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N
° 934

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 avril 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE sur l’interdiction de certains pesticides responsables de la mortalité des abeilles (n° 872),

PAR Mme Sophie ERRANTE,

Députée.

——

Voir le numéro : 872.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

A.— LA SANTÉ DES ABEILLES OU L’EXEMPLE DU LIEN ENTRE ÉCOLOGIE ET ÉCONOMIE 7

1. Une surmortalité à l’échelle mondiale 7

a) Des explications diverses, qui posent la question de la validité des expertises 8

b) La position des pays européens et de la France 11

2. De la crise économique au drame écologique 12

a) Un secteur en crise 12

b) Un risque écologique à moyen terme 14

B.— AGIR PENDANT LA PÉRIODE DU MORATOIRE 15

1. La question de l’usage des pesticides 15

a) Compléter les expertises existantes 15

b) Les alternatives aux pesticides, un débat idéologique et technique 16

2. La prise en compte des insectes pollinisateurs dans les politiques agricoles nationales et européennes 17

3. La mise en place d’une filière apicole 19

CONCLUSION 21

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE 23

II.— EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 33

ANNEXES 35

BIBLIOGRAPHIE 39

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 41

MESDAMES, MESSIEURS,

L’interdiction de certains pesticides responsables de la mortalité des abeilles est un dossier qui résume l’ensemble de la problématique du développement durable : modes de production, pratiques culturales, usage des produits phytosanitaires et conséquences éventuelles sur la santé publique, services rendus par la nature, relations entre l’être humain et la nature, activités agricoles locales, biodiversité, préservation de l’écosystème ou encore commerce extérieur, démontrant une nouvelle fois que l’écologie et l’économie sont liées.

La commission du développement durable est saisie de ce dossier en raison du dépôt par Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, d’une proposition de résolution (n° 872), à la suite du rejet par le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale de l’Union européenne d’une demande d’interdiction de trois insecticides de la catégorie des néonicotinoïdes, jugés responsables par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) de la mortalité prématurée des abeilles. Notre collègue, Mme Laurence Abeille, avait également déposé le 17 octobre 2012 une proposition de résolution (n° 300) en ce sens, cosignée par plusieurs de ses collègues du Groupe Écologiste.

Le thiametoxame est une molécule de la catégorie des néonicotinoïdes, mentionnée à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du 1er février 2007. Son usage a été autorisé par l’Union européenne sous réserve de strictes conditions devant minimiser la dissémination de poussières de ce produit dans les sols ou les organismes vivants. En janvier 2010, la Commission européenne a reçu de la société qui le fabrique, Syngenta, une étude sur les abeilles mellifères, qui a été transmise à l’Espagne, alors État membre rapporteur. À la suite des observations d’autres États de l’Union européenne, soumises au comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPCASA), la Commission européenne a demandé en avril 2012 à l’AESA de conduire ou de recenser de nouvelles expertises sur les risques encourus par les abeilles en raison des pesticides, plus particulièrement sur les colonies, leur développement, le comportement des larves comme celui des adultes. Sur la base des premières études de l’AESA et après des discussions au sein du comité précité, la Commission européenne a donné instruction à l’AESA de concentrer ses analyses sur trois néonicotinoïdes.

Dans son avis n° 2013-3067 du 16 janvier 2013, l’AESA a considéré que ces produits étaient dangereux pour les abeilles lorsqu’elles y étaient exposées en ingérant du nectar ou du pollen contaminé, en étant en présence de poussières ou par guttation au petit matin. Le commissaire européen à la santé, M. Toni Borg, a en conséquence proposé le 31 janvier 2013 aux CPCASA l’interdiction pour deux ans – il s’agit donc d’un moratoire – à compter du 1er juillet 2013, de l’utilisation de la clothianidine, du thiametoxame et de l’imidaclopride sur quatre grandes cultures, à savoir le colza, le tournesol, le maïs et le coton. Le CPCASA n’a pas dégagé de majorité qualifiée sur cette proposition le 15 mars dernier, qui reviendra en appel le 29 avril prochain.

La France soutenait la proposition du commissaire européen. La proposition de résolution de Mme Danielle Auroi a pour objet de soutenir le Gouvernement, de rappeler l’attachement de l’Assemblée nationale aux politiques de développement durable et de contribuer à ce qu’une majorité d’États membres approuve la proposition du commissaire européen lors du vote d’appel.

Pour autant, le soutien de l’Assemblée ne saurait intervenir sans une analyse du contexte dans lequel intervient cette proposition de résolution comme des enjeux économiques et écologiques qu’elle emporte. La santé des abeilles met une nouvelle fois en lumière le conflit quelque peu irrationnel entre les défenseurs de l’environnement et le monde agricole. Or, s’agissant de ces insectes, les bases de ce conflit sont fragiles car malgré la qualité de plusieurs études sur leur mortalité, il n’existe pas de preuve absolue que les insecticides incriminés représentent l’unique cause de l’effondrement de leurs colonies (cf. annexe, communiqué de presse de l’AESA). Les expertises de ces dernières années doivent être complétées. Focaliser le débat sur les seules abeilles au nom de la lutte contre certains pesticides empêche une réflexion d’ensemble sur la coexistence de l’agriculture et de l’apiculture - deux mondes étrangement séparés alors qu’ils sont liés par le rôle pollinisateur des abeilles – et sur la manière dont le secteur agricole et agroalimentaire, y compris les semenciers et les industriels de la chimie, doit évoluer vers des pratiques respectueuses de notre environnement et de la santé publique.

Une autre question apparaît dans ce débat : le moratoire à l’encontre de trois néonicotinoïdes porte sur leur application aux quatre grandes cultures précitées, au stade de la semence. Or ces pesticides sont largement utilisés sur les cultures vivrières (légumes notamment) et en arboriculture fruitière mais cet usage n’entre pas dans le champ du moratoire alors que les abeilles sont présentes dans l’ensemble des espaces agricoles. Il ne faudrait pas que la préservation de leur santé serve de prétexte à un autre combat, contre l’enrobage des semences. Cette question porte en effet de fortes implications économiques et sociales et doit être abordée d’une manière ouverte.

Le moratoire proposé par l’Union européenne est sans doute utile mais il ne présente d’intérêt que s’il permet, par la recherche scientifique et le dialogue au sein du monde agricole, de clarifier les raisons de la surmortalité des abeilles et d’assurer la coexistence des agriculteurs et des apiculteurs.

A.— LA SANTÉ DES ABEILLES OU L’EXEMPLE DU LIEN ENTRE ÉCOLOGIE ET ÉCONOMIE

Les 1 100 espèces d’abeilles sont souvent qualifiées de sentinelles de la nature en raison de leur extrême sensibilité aux variations de l’écosystème. Elles sont parmi les premières à disparaître quand les équilibres écologiques sont atteints. Depuis des siècles, l’apiculture, activité commune à l’ensemble de l’humanité, a permis d’acquérir une connaissance à la fois empirique et scientifique du comportement comme de l’utilité de la seule abeille (Apis mellifera) qui fabrique le miel et de ses congénères (bourdons, guêpes). Leur rôle dans la reproduction des plantes cultivées et sauvages, grâce à la pollinisation, ainsi que dans la préservation de la biodiversité est crucial.

1. Une surmortalité à l’échelle mondiale

Depuis une quinzaine d’années, les apiculteurs constatent une surmortalité inhabituelle dans leurs colonies d’abeilles. Le taux annuel de mortalité, qui s’établit généralement entre 10 % et 14 %, le plus souvent en hiver, a laissé place à un taux oscillant entre 19 % et 30 %, notamment dans les pays développés. Ce taux, constaté en France (d’après l’Institut technique apicole) se retrouve en Belgique, en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Italie ou encore en Espagne. Il est analogue au Canada et aux États-Unis, où des scientifiques l’ont appelé syndrome d’effondrement des colonies. Ce syndrome se caractérise par la diminution brutale du nombre des abeilles ouvrières adultes, qui apportent la nourriture à la ruche, entraînant ensuite la disparition complète de la colonie

Le syndrome a été également constaté au Moyen-Orient, où les colonies ont diminué de 20 % en Jordanie et au Liban, et de 80 % en Irak et en Syrie. Or ces pays ne pratiquent pas une agriculture avec autant d’intrants chimiques que les pays développés.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), qui souhaite s’appuyer sur des preuves scientifiquement validées, avance plusieurs raisons, qui agissent de manière indépendante ou combinée : le changement climatique, avec des hivers plus longs, conduit à des périodes de famine dans la mesure où les abeilles épuisent leurs stocks avant de pouvoir à nouveau butiner ; les virus, les attaques d’agents pathogènes, de parasites (Varroa destructor, Aracapis woodi, Paenibacillus larvae) ou d’espèces invasives (frelon asiatique) sont également en cause. La fragmentation des habitats ruraux, la monoculture qui affaiblit la biodiversité dans un espace donné réduisent leurs ressources nutritives. Enfin, l’AESA a clairement évoqué les conséquences de certains pesticides.

a) Des explications diverses, qui posent la question de la validité des expertises

Les raisons avancées quant à la surmortalité des abeilles sont au nombre d’une quarantaine, ce qui pose le problème de leur identification et de la validité des expertises, question sur laquelle notre commission du développement durable a récemment débattu en examinant, sur le rapport de notre collègue Marie-Line Reynaud (SRC), la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et à la protection des lanceurs d’alerte.

D’emblée, votre Rapporteure indique qu’il existe de fortes suspicions à l’encontre de certains pesticides. Les études les plus fiables ont été conduites dès 1977 (Kevan), poursuivies en 2007 (Desneux) et 2010 (Johnson), enfin en 2012 avec l’étude du professeur Henry de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) d’Avignon. Elles montrent pour la plupart que les néonicotinoïdes désorientent les abeilles. Elles justifient un moratoire de leur utilisation, à la condition d’établir, pendant cette période, une stratégie de recherche sur l’ensemble des causes de l’effondrement des colonies. Le problème de la mortalité des abeilles est trop complexe pour être réduit à un seul facteur et les autorités publiques, les scientifiques et le monde agricole admettent le caractère encore parcellaire des recherches.

Avant que l’AESA ne se saisisse du problème, de nombreuses études ont cherché à expliquer les raisons de la surmortalité de ces insectes. Pour citer quelques exemples, la Belgique a avancé le rôle du varroa comme explication première tandis qu’en Espagne, un champignon microscopique (Nosema ceranae) est considéré comme le facteur principal de la mort des abeilles. Les États-Unis privilégient également la recherche sur les virus, considérant que les dicistroviridae seraient en cause sur le continent américain, les colonies d’abeilles des îles Hawaii étant pour leur part victimes du varroa. L’administration américaine estime également que la monoculture sur de vastes surfaces, sans bordures florales, a réduit la biodiversité, affaiblissant la teneur en nutriments des pollens. Cette hypothèse a été confirmée par une étude de l’INRA d’Avignon qui considère que les pollens polyfloraux renforcent le système immunitaire car les larves comme les adultes y trouvent quand ils le souhaitent les aliments et les oligoéléments dont ils ont besoin. La relation entre la productivité des ruches, la santé des abeilles et la biodiversité a été mise en lumière dans le Loiret, en 2005 et 2006, avec une augmentation de 7 % de la production de miel dans des zones apicoles riches en pollens variés.

La référence à des taux de mortalité par pays masque la complexité du phénomène. Dans certaines régions, l’apiculture cohabite sans problème avec les grandes cultures (le miel du Gâtinais n’a pas disparu) ; de même, beaucoup d’apiculteurs font usage de produits chimiques pour lutter contre les parasites sans que leurs colonies ne s’effondrent. Mais comment expliquer la diminution du nombre des abeilles en Auvergne, alors que l’agriculture de montagne ne recourt pas aux produits chimiques ? Ces disparités de situation démontrent que ce problème, perçu de manière globale, comporte des aspects locaux qui rendent complexe sa résolution et qui exigent que l’ensemble des acteurs agricoles et apicoles d’une même zone géographique travaillent ensemble.

Les pesticides – question centrale – font l’objet d’une très forte suspicion, mais les conclusions des études sont loin d’être unanimes. Des produits comme l’imidaclopride et autres néonicotinoïdes, les désherbants et les fongicides sont mis en cause en France par l’ANSES, en Belgique par l’université de Liège et à l’échelle européenne par l’AESA. Ces études, tout en constatant des traces de nombreux produits au sein des matrices apicoles ou des corps des abeilles mortes, n’aboutissent parfois pas aux mêmes conclusions. Sans doute faut-il s’interroger sur les commanditaires des expertises… Il en résulte une certaine confusion, dont le Royaume-Uni est l’illustration la plus caricaturale. À quelques semaines d’intervalle, le département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales a publié (mars 2013) un document qui exonère les insecticides de toute responsabilité dans la disparition des abeilles alors qu’un rapport de la Chambre des Communes, rendu public le 5 avril dernier, aboutit aux conclusions inverses.

La thèse la plus couramment avancée se fonde sur plusieurs facteurs qui se combineraient : les néonicotinoïdes désorienteraient les abeilles butineuses, les empêchant de regagner leur ruche (INRA d’Avignon, 2012) ; ils imprimeraient également sur leur corps une marque olfactive les empêchant d’être identifiées (et donc acceptées) par leurs congénères lorsqu’elles regagnent la ruche. Or une abeille ne peut survivre seule. Enfin, ces pesticides affaibliraient la résistance immunitaire des abeilles, notamment face à leurs ennemis parasitaires (nosemose), rendant les colonies plus fragiles.

La validité de l’expertise et la prise en compte des contre-expertises ont une importance primordiale dans ce dossier. Jusqu’à présent, la position de la Commission européenne se fonde sur le travail de laboratoires qu’elle a référencés et sur le recueil d’observations sur le terrain. Mais il manque un protocole commun de recherche qui permette aux États membres de fonder leur position. Tant que ce protocole n’existera pas, tout État pourra invoquer le caractère parcellaire des expertises. La Commission européenne, qui cherche à le mettre en place, en est parfaitement consciente.

Rappelons que l’Union européenne a pris la mesure de ce problème au début des années 2000, même s’il existait dès 1992 une législation sur la police sanitaire relative aux mouvements des abeilles entre les États membres (directive 92/65/CEE du Conseil du 13 juillet 1992). Mais, comme souvent dans l’Union européenne, les procédures sont lentes avant de parvenir à un résultat. L’action européenne s’est déroulée jusqu’à présent dans le cadre juridique suivant :

– stratégie de santé animale (2007 – 2013) avec comme objectif de connaître très précisément les facteurs affectant la santé des abeilles ;

– lancement en 2009 d’un projet intitulé « mortalité et surveillance des abeilles en Europe », puis d’un second programme de surveillance en 2011 ;

– adoption du règlement européen n° 1107/2009 CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives n° 79/117/CE et n° 91/414/CE du Conseil, ce texte tirant les conséquences des mutations technologiques proposées par les industriels de la chimie. Ce règlement encadre la mise sur le marché des pesticides, mais il n’est pas interdit à l’Union européenne de prendre en compte tout élément nouveau. C’est ainsi que l’AESA a revu ses modèles de calcul d’exposition des abeilles aux produits phytosanitaires et qu’elle a préconisé l’interdiction de trois d’entre eux ;

– communication de la Commission européenne sur la santé des abeilles (2010) ;

– adoption du règlement (UE) n° 546/2011 de la Commission du 10 juin 2011 portant application du règlement CE n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, afin d’établir des principes uniformes pour l’évaluation et l’autorisation des produits pharmaceutiques dont le point 2.5.2.3. de la partie C précise les cas où ces produits ne peuvent être autorisés en cas de danger pour les abeilles.

L’avis du 16 janvier 2013 de l’AESA, qui est à l’origine de la proposition d’interdiction de trois produits par la Commission européenne, résulte de l’utilisation de plusieurs études scientifiques et de campagnes de surveillance dans de nombreuses aires géographiques de l’Union européenne, avec la consolidation de données comme le relevé d’abeilles mortes. L’AESA, comme notre Gouvernement, rappelle toutefois que les études ont été effectuées en laboratoires et qu’elles n’ont pu porter que sur un groupe restreint de plantes mises en culture. Ce caractère lacunaire de l’expertise scientifique est mis en avant par les entreprises adhérentes de l’Union des industries de protection des plantes (UIPP), qui contestent le protocole selon lequel les expériences ont été menées en laboratoires et dont certaines (Bayer et Syngenta) sont directement concernées par la proposition de moratoire sur les pesticides.

La recherche sur la mortalité des abeilles est conduite soit par des laboratoires publics, dont les protocoles ne sont pas unifiés à l’échelle européenne, soit par des laboratoires privés, certains financés par les industriels de la chimie. Les expertises sont conduites sans coordination, ni concertation et ne s’appuient pas sur des méthodes admises par tous les États européens en matière de prélèvement et de suivi des substances insecticides. Il est en conséquence facile de trouver des arguments pour contester une étude. Il est par ailleurs regrettable que la représentation des apiculteurs français et européens soit si fractionnée en de multiples associations et syndicats qu’elle rend cette profession incapable de financer ses propres études. Les organisations d’apiculteurs ont certes établi à Bruxelles la coordination de leurs intérêts mais elles ne sont pas en mesure d’apporter à leurs adhérents une information fiable, ce qui ajoute au désarroi de ces derniers quand une colonie s’effondre.

Le moratoire proposé par la Commission européenne n’a de sens que s’il donne le signal d’un programme de travail autour des colonies d’abeilles. La priorité est de déterminer à très court terme un protocole (lignes directrices) européen de recherche sur la mortalité des abeilles. Rappelons que ces insectes ne pèsent que 100 à 150 milligrammes et que leurs corps ainsi que les substances qu’ils contiennent se dégradent très vite quand ils meurent. Ce protocole devra déterminer les conditions de collecte et de conservation des corps et les conditions de leur acheminement vers un laboratoire pour rendre une étude incontestable.

b) La position des pays européens et de la France

Les pays européens qui se sont prononcés contre la proposition de la Commission n’ont pas motivé leur décision, ou ont mis en avant l’absence de lignes directrices pour le déroulement des expertises ou ont encore invoqué le manque de données. Lors du second vote en comité d’appel, qui devrait intervenir le 29 avril, la motivation des votes sera en revanche obligatoire.

L’Allemagne et le Royaume-Uni font partie des pays qui se sont abstenus. La position allemande peut apparaître logique dans la mesure où Berlin peut souhaiter défendre les intérêts de Bayer et que la culture du colza y tient une place considérable. Néanmoins, l’attitude des pouvoirs publics n’est pas monolithique puisque le ministère de l’environnement est officieusement en faveur de la proposition de l’Union européenne et qu’il en est de même pour plusieurs Länder. Le Royaume-Uni a pour sa part envoyé à l’AESA l’étude précitée de son département de l’environnement, mais l’agence européenne a jugé qu’elle n’était pas suffisamment étayée. Comme en Allemagne, il existe un courant en faveur de l’interdiction des néonicotinoïdes. Le 5 avril dernier, la commission de l’environnement de la Chambre des Communes a rendu public un rapport demandant leur retrait sur les grandes cultures.

La France fonde sa position sur les résultats consolidés des laboratoires de référence de l’Union européenne (LRUE) dont fait partie Sophia-Antipolis, qui relève de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Le rapport de 2012 de l’INRA d’Avignon montre également que dans des conditions expérimentales, 30 % des abeilles exposées au thiametoxame, substance présente dans l’insecticide Cruiser, souffrent d’une perturbation de leur comportement et de désorientation. D’autres observations, à partir d’approches effectuées sur les colonies d’abeilles et non sur les seuls individus, rendent responsables les néonicotinoïdes de l’effondrement desdites colonies.

La France souhaite que les États de l’Union européenne harmonisent leur réponse face au problème de la surmortalité des abeilles. Cette réponse passe dans un premier temps, pour le Gouvernement, par un moratoire sur trois pesticides, mais doit également offrir des alternatives aux agriculteurs et réorganiser l’ensemble de la filière apicole. Ce dernier point a déjà fait l’objet, pour la France, d’un plan de développement durable de l’apiculture, préparé par le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux et présenté par M. le ministre de l’agriculture le 8 février 2013. Il est urgent de le mettre en œuvre car l’apiculture traverse une crise profonde.

2. De la crise économique au drame écologique

La surmortalité des abeilles a mis en lumière le lien étroit entre écologie et économie dans le monde agricole : alors qu’il dispose (hors la Russie) du plus vaste espace rural d’Europe avec une multitude d’espèces végétales, la chute du nombre de ruches et surtout l’effondrement de leur rendement ont conduit notre pays à devenir importateur de miel.

a) Un secteur en crise

Le tableau ci-après recense les chiffres de la consommation, de la production et du commerce extérieur de miel :

Consommation, production et commerce extérieur de miel

(en tonnes)

 

2004

2010

Variations 2010/2004

Production estimée

25 500

18 326

- 28 %

Importations

17 051

25 395

+ 49 %

Stock disponible

42 551

43 721

+ 3 %

Exportations

2 500

3 944

+ 58 %

Consommation apparente

40 051

39 777

- 1 %

Taux d’autosuffisance

64 %

46 %

- 18 points

Source : Audit Proteis 2012 et Audit GEM de la filière apicole de 2004, pour le ministère de l’agriculture.

La dégradation des performances du secteur apicole est le résultat de la chute du rendement des ruches ainsi que de la diminution depuis 20 ans du nombre d’apiculteurs et de ruches :

Évolution du nombre des apiculteurs et des ruches

 

Apiculteurs

Ruches (1)

Production (tonnes)

1994 (outre-mer inclus)

84 215

1 351 991

nc

2004 (métropole

69 237

1 346 575

25 500

2010 (métropole)

41 836

1 074 218

18 326

Évolution 2010/2004

40 %

- 20 %

- 28 %

Évolution 2010/1994

50 %

- 21 %

 

(1) Une marge d’erreur est possible, le recensement des ruches étant approximatif.

Source : Audit Proteis 2012 et Audit GEM de la filière apicole de 2004, pour le ministère de l’agriculture.

La production apicole est principalement le fait de producteurs familiaux, ce qui a rendu jusqu’ici difficile l’organisation du secteur en filière. La crise qui les frappe est socialement silencieuse, en raison de la division des producteurs en multiples associations et syndicats. Malgré de nombreuses manifestations et une large couverture de presse, leur déclin suscite moins de réaction que la fermeture d’une seule entreprise alors qu’il concerne un secteur économique entier, qui a perdu en seize ans 50 % de ses effectifs et 28 % de sa production.

Répartition du nombre des apiculteurs et des ruches

2010

Apiculteurs

 

Ruches

 

Production de miel

 
 

Nombre

%

Nombre

%

Tonnes

%

Apiculteurs producteurs familiaux (1 à 30 ruches)

37 326

91 %

294 206

27 %

3 495

19 %

Apiculteurs pluriactifs (31 à 150 ruches)

2 085

5 %

195 487

18 %

3 227

18 %

Apiculteurs professionnels (plus de 150 ruches)

1 633

4 %

584 525

54 %

11 604

63 %

Total France métropolitaine

41 044

100 %

1 074 218

100 %

18 326

100 %

Source : Audit Proteis 2012, pour le ministère de l’agriculture.

Le chiffre d’affaires de l’apiculture a été évalué pour 2010 à 133,5 millions d’euros, à raison de 121 millions pour les produits de la ruche (115 millions pour le miel), 4,1 millions pour les produits transformés (pain d’épices, nougat), 5,2 millions pour l’élevage (essaims et reines) et 3,04 millions pour la pollinisation. Ce chiffre semble minime au regard du PIB de notre pays mais il s’agit d’une activité indispensable pour l’équilibre écologique du milieu rural et génératrice de revenus complémentaires pour des milliers d’agriculteurs.

En raison de sa géographie, de ses climats et de la diversité de ses cultures comme de sa végétation sauvage, la France devrait être un des plus puissants pays apicoles du monde. Avant sa diminution depuis 20 ans, le nombre d’apiculteurs ne cessait d’augmenter sur notre territoire. La fragilisation des colonies oblige notre pays à importer la moitié de sa consommation. Les miels importés sont de qualité variable pour les consommateurs, certains étant mélangés à du miellat ou coupés d’eau. Tel est le résultat économique d’une crise écologique.

b) Un risque écologique à moyen terme

Les travaux de la conférence de Nagoya de 2010 sur la biodiversité ont mis en avant le concept de « service rendu par la nature ». La biodiversité rend en effet à l’humanité des services gratuits, essentiels à la vie, comme l’eau ou les médicaments (la moitié des médicaments a une origine naturelle). Elle assure des activités de régulation (traitement de l’eau par les plantes aquatiques, stockage du carbone par la mer et les plantes, aération des sous-sols par les insectes, engrais naturels) et permet des activités économiques et sociales, comme l’utilisation des milieux naturels pour des activités touristiques. Des milliers d’entreprises à travers le monde dépendent d’un bon état de conservation de la nature.

La préservation de la nature est essentiellement une question d’éthique, mais des économistes, comme Pavan Sukhdev (analyste de la Deutsche Bank et fondateur de la green economy initiative en Inde) ont travaillé sur la quantification monétaire des services assurés par la biodiversité, à la demande de la conférence des parties, quelques mois avant la conférence de Nagoya précitée. Il s’agit de mettre en lumière le coût pour l’économie si les écosystèmes disparaissaient. À titre d’exemple, la « valeur » de la barrière corallienne des îles Hawaii est estimée à 360 millions de dollars par an, en raison de son rôle dans la lutte contre l’érosion, des espèces marines qui y nichent et pour les touristes qu’elle attire. Le travail de pollinisation des abeilles en Suisse rapporte à l’économie 210 millions de dollars.

Le plan de développement durable de l’apiculture, récemment présenté par le Gouvernement, rappelle que cette activité est « fondamentale dans le service de la pollinisation : 80 % des cultures – essentiellement fruitières, légumières, oléagineuses et protéagineuses – sont dépendantes des insectes pollinisateurs, dont l’abeille domestique est le chef de file. La liste des plantes à fleur pollinisées par les abeilles représente 170 000 espèces, dont 40 000 se porteraient mal sans la visite des abeilles ». La valeur de la pollinisation par les abeilles oscille selon les études entre 126 et 153 milliards d’euros par an, à l’échelle mondiale. L’INRA d’Avignon, qui a conduit l’analyse la plus complète, l’évalue à 9,5 % du produit agricole mondial. Cette somme serait à la charge des agriculteurs s’ils devaient assurer eux-mêmes la pollinisation.

Le débat sur l’interdiction des pesticides est à la fois écologique, éthique, économique et social. Le recensement des rapports et études conduit à affirmer qu’il existe une forte suspicion sur la toxicité de certains produits pour les abeilles, mais également que les expertises doivent être complétées. Sans unanimité des États membres comme des acteurs économiques, l’apiculture ne pourra être sauvée. Il serait toutefois irresponsable de mettre en place le moratoire souhaité par la France et plusieurs de ses partenaires de l’Union européenne sans examiner, avec les agriculteurs comme avec les industriels de la chimie, les solutions alternatives à l’usage des pesticides comme l’agroécologie, la mise au point de produits phytosanitaires non nocifs pour l’environnement ou encore la relance de l’apiculture, qui passe nécessairement par l’établissement de liens plus étroits entre apiculteurs et agriculteurs, deux composantes du monde rural qui curieusement semblent s’ignorer.

B.— AGIR PENDANT LA PÉRIODE DU MORATOIRE

La surmortalité des abeilles est un problème d’autant plus emblématique qu’il comporte une forte charge affective et symbolique. Le miel est un bien commun à l’ensemble de l’humanité, qu’il soit extrait de colonies vivant à l’état sauvage en forêt (Bengale) ou en haute montagne (Népal) ou issu du patient travail de l’homme depuis des siècles, avec l’entretien des ruches. Avant l’extension du commerce international, le miel a longtemps été la seule source de sucre dans les pays européens. Au début du XXe siècle, presque chaque ferme française disposait au moins d’un élevage d’abeilles.

Ce problème met en lumière trois questions : l’usage des pesticides en agriculture et les risques qu’ils représentent ; la prise en compte des insectes pollinisateurs dans les politiques agricoles nationales et européennes ; la mise en place d’une filière apicole.

1. La question de l’usage des pesticides

La question des pesticides est double :

– poser un moratoire sur l’usage de trois produits, appliqués sur quatre grandes cultures seulement, n’a de sens que si une expertise subséquente conclut définitivement à leur nocivité ou à leur innocuité ;

– diminuer le recours aux pesticides rend nécessaire la proposition d’alternatives ;

a) Compléter les expertises existantes

Le moratoire proposé par la commission européenne durera deux ans si une majorité d’États vote en sa faveur lors du comité d’appel. Il n’aura de sens que si les connaissances sur les abeilles sont approfondies. En effet, quelle sera la réponse de l’Union européenne si les colonies d’abeilles continuent de disparaître à l’expiration du moratoire ?

Deux ans constituent une durée courte, ce qui exige que l’AESA conduise rapidement une nouvelle campagne d’expertise sur la base d’un protocole de recherche validé par l’ensemble des États. À défaut, le moratoire risque de s’achever ou d’être reconduit sous le prétexte, dans les deux cas, d’un manque de base scientifique, ce qui ne bénéficiera ni aux industriels, ni aux défenseurs de l’environnement, ni au monde agricole.

Pour garantir l’impartialité des expertises, ces dernières doivent être confiées aux seuls laboratoires du réseau européen et financées par des crédits exclusivement publics. Dans le cas des colonies d’abeilles, outre les méthodes d’évaluation, les connaissances sont lacunaires sur de nombreux points, parmi lesquels la réaction des larves exposées aux produits incriminés par la Commission.

b) Les alternatives aux pesticides, un débat idéologique et technique

Les alternatives aux pesticides forment un débat à la fois idéologique (au sens noble du terme) et technique.

Les pesticides contiennent des substances biologiquement actives qui agissent sur les êtres vivants, d’où les tests approfondis dont ils font normalement l’objet pour déterminer leurs effets sur l’homme et sur l’environnement. Les néonicotinoïdes, qui figurent parmi les insecticides les plus utilisés au monde, visent ainsi le système nerveux central des insectes, leurs effets secondaires étant normalement mineurs chez les mammifères. L’enjeu économique qu’ils représentent est important pour les industriels, notamment pour les trois molécules pour lesquelles est demandé le moratoire puisqu’elles sont présentes dans le Poncho Maïs (clothianidine, Bayer), dans le Gaucho et le Confidor (imidaclopride, Bayer) et dans la gamme des Cruisers (thiametoxam, Syngenta). La France est la première utilisatrice de pesticides en Europe avec 62 700 tonnes en 2011 : 20 % sont consommés par le secteur viticole, qui n’occupe que 3,7 % des surfaces.

Il existe tout un courant de partis politiques et d’associations qui militent pour l’abrogation des pesticides dans l’agriculture. La présence dans les sols, l’air et l’eau (y compris dans les eaux minérales) de substances chimiques nocives pour l’environnement et la santé constitue la base d’une préoccupation légitime qui trouve un écho dans notre société, y compris chez des agriculteurs. Des associations et des syndicats travaillent à déterminer des solutions de substitution aux pesticides auxquelles les consommateurs sont sensibles. Le réseau d’action contre les pesticides (Pesticide Action Network), dont l’antenne européenne siège à Bruxelles, a ainsi publié un tableau qui propose pour 18 cultures une alternative chimique autre que pesticide et une solution biologique.

Ce débat idéologique porte sur la place de la chimie dans notre société. Il s’agit en quelque sorte de fixer un curseur et d’arbitrer entre les exigences environnementales et sanitaires d’un côté, les exigences économiques de l’autre en rappelant sur ce point qu’il s’agit de nourrir 7 milliards d’êtres humains et en gardant à l’esprit les fortes contraintes auxquelles le monde rural est actuellement confronté. Opter pour une solution radicale est un choix, à la condition – là encore – de disposer d’alternatives qui concilient productivité et environnement.

Les syndicats agricoles admettent sans réserve que leurs pratiques culturales doivent évoluer mais font majoritairement le choix d’un usage raisonné des pesticides. Ils placent le débat sur un terrain technique plutôt qu’idéologique. À l'instar des associations environnementales, ils proposent des modes différents d’administration des produits sur les semences ou les végétaux, ou encore, pour préserver les colonies d’abeilles, la révision des dosages et des périodes d’administration en fonction de la floraison, les prairies permanentes, les surfaces d’intérêt écologique… Ils rejettent l’abandon des pesticides, considérant que non seulement le rendement mais aussi la qualité de leurs produits seraient remis en cause.

Quels que soient les arguments des associations environnementales, une politique d’alternative aux pesticides ne peut être mise en œuvre sans l’accord du monde agricole, qui a largement pris conscience, de son côté, de la nécessité de préserver les sols. Les agriculteurs assument en effet la charge financière des investissements et l’usage de nouvelles techniques. Les pouvoirs publics ont pour leur part le devoir de conduire les expertises qui justifient les mutations et de piloter les externalités au mieux de l’intérêt général. Ainsi peuvent-ils obliger les industriels, qui consacrent 10 % de leur chiffre d’affaires à la recherche, à orienter celle-ci vers des produits phytosanitaires respectueux de l’environnement.

2. La prise en compte des insectes pollinisateurs dans les politiques agricoles nationales et européennes

La crise du secteur apicole n’a que récemment été considérée par le monde agricole comme une menace sur la durabilité des exploitations. La prise de conscience des syndicats et des instituts techniques comme l’ITSAP (institut des abeilles) s’est accélérée avec la phase de renégociation de la politique agricole commune (PAC) qui vise à orienter cette dernière vers un plus grand respect de l’environnement. La diminution du nombre des insectes pollinisateurs (abeilles mellifères, mais également bourdons) est désormais au programme des travaux des organismes qui sont associés à la réforme de la PAC. Le caractère multifactoriel des causes de leur disparition (virus, dégradation des habitats, pesticides) conduit logiquement à dégager plusieurs réponses.

Comme indiqué supra, la valeur de la pollinisation à l’échelle mondiale oscille entre 126 et 153 milliards de dollars par an. En s’appuyant sur la même méthode d’évaluation, l’ITSAP et l’INRA considèrent que cette valeur pour la France s’établit à 2,8 milliards d’euros.

Par son caractère productiviste, la PAC a longtemps été défavorable à la biodiversité. Un rapport de l’INRA de juillet 2008 a montré l’impact néfaste d’une agriculture trop intensive pour les insectes pollinisateurs. Les régions qui s’adonnent à la monoculture de maïs sont désormais presque dépourvues d’abeilles ; la réduction des cultures d’espèces légumineuses, comme le trèfle ou la luzerne, a privé les abeilles de nectar et de pollen. Les révisions successives de la PAC, notamment le développement du deuxième pilier sur le soutien au développement rural et à l’environnement, ont conduit graduellement à une éco-conditionnalité des aides. Le projet de révision amorcé par la Commission européenne accentue le conditionnement des aides au respect de normes environnementales.

Plusieurs mesures agro-environnementales (MAE) existantes, européennes ou déconcentrées à partir d’un cahier des charges national, présentent un intérêt particulier pour les abeilles. La présence de trois cultures dans les rotations (1,2 million d’hectares engagés en 2010), la mise en place de prairies à base de légumineuses associées à des graminées pour l’élevage extensif, la protection d’espèces florales menacées, leur réintégration dans leur milieu d’origine, l’accompagnement dans la durée des engagements en agriculture biologique témoignent d’une prise de conscience en faveur de la biodiversité. La France est également le seul pays d’Europe à avoir lancé une MAE spécifique en faveur de l’apiculture (MAE – API), dont l’objectif n’est pas de favoriser directement les abeilles, mais la diversité végétale dont elles ont besoin. Cette mesure est issue d’un travail commun de l’INRA et de l’ITSAP et est proposée dans 16 régions : 977 apiculteurs professionnels, qui gèrent 237 000 ruches, ont signé un contrat qui leur donne droit à des aides de 17 euros par ruche.

En écho aux souhaits des apiculteurs, votre Rapporteure appelle à ce que le Gouvernement français mette en avant, dans la négociation de la prochaine PAC, l’abeille pollinisatrice, qui constitue un atout pour l’ensemble de l’agriculture, avec le double objectif que soit maximisé le service rendu à la nature et de relancer la production de miel. La France n’est en effet pas seule à être importatrice de miel : l’Allemagne et le Royaume-Uni sont dans le même cas et représentent avec notre pays 92 % des importations dans l’Union européenne.

Pour la période allant de 2014 à 2020, la PAC pourrait renforcer le « second pilier » relatif au développement rural et à l’environnement. Trois mesures pourraient directement concerner l’apiculture, à savoir la diversification des cultures, la présence de prairies permanentes et la constitution de surfaces d’intérêt écologique. Les deux premières mesures visent à ce que la place de la monoculture diminue (ce qui est déjà le cas en France) et à accroître la place des plantes et fleurs chargées en pollen et nectar. Les surfaces d’intérêt écologique représentent pour leur part un grand intérêt pour les apiculteurs car loin de la pression agricole, elles offrent la plus grande variété d’espèces et de dates de floraison. Ce point avait été souligné par notre collègue Martial Saddier (UMP) dans son rapport sur « les abeilles et les pollinisateurs sauvages, pour une filière apicole durable », remis en octobre 2008 à M. le Premier ministre.

Au niveau national, d’autres mesures pourraient utilement compléter les orientations de la prochaine PAC, comme les bandes herbeuses le long des cours d’eau, la diversité des assolements ou le maintien de couverts végétaux mellifères sur les terres gelées. Elles peuvent être aisément appliquées dès lors que les pouvoirs publics et les organisations professionnelles font l’effort d’informer les agriculteurs de leur utilité.

3. La mise en place d’une filière apicole

En théorie, la question de l’organisation d’une filière apicole ne devrait plus être posée. À la suite du rapport précité de notre collègue Martial Saddier, des mesures sont en effet entrées en vigueur, comme la création de l’ITSAP en 2009. Mais, à la décharge du précédent Gouvernement, l’apiculture est un secteur professionnel dont les acteurs sont dispersés et qui n’a entamé que récemment un dialogue avec le monde agricole, dont il fait pourtant partie. Le Plan de développement durable de l’apiculture, présenté au début de 2013 sur la base d’un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, a recensé l’ensemble des problèmes sanitaires dont souffrent les colonies, fait le point sur le déficit de production de miel, souligné l’intérêt de retrouver une biodiversité indispensable à l’ensemble de l’agriculture mais il a surtout énuméré l’ensemble des facteurs qui entravent l’essor de l’apiculture.

– Formation : l’enseignement agricole fait peu de cas de l’importance de l’apiculture dans les formations générales et professionnelles. Ce manque est partiellement compensé par les enseignements dispensés par les associations d’apiculteurs, qui agissent sur ce point en ordre dispersé en raison de leurs faibles moyens financiers.

– Représentation : le monde apicole est divisé en producteurs amateurs, petits producteurs professionnels s’adonnant à la pluriactivité et exploitants de nombreux ruchers. Leur représentation est elle-même divisée en plusieurs syndicats et associations, faiblement coordonnées et disposant de peu de moyens financiers. Les apiculteurs sont ainsi dans l’incapacité de participer aux conférences internationales qui les concernent lorsqu’elles se déroulent loin de France. La complexité des normes administratives (seuil fiscal à 10 ruches, seuil de mutualité sociale agricole à 50 ruches, seuils d’éligibilité aux aides financières différents selon que l’aide est nationale ou européenne) ne favorise pas l’unité de la profession.

– Production : assez curieusement, s’agissant d’un pays comme la France où les statistiques ne manquent pas, les données sur l’apiculture ne sont pas exhaustives. Le nombre des apiculteurs et des ruches et le tonnage du miel produit sont évalués, mais ne sont pas précis. La traçabilité est peu répandue alors que le consommateur apprécie que le miel provienne d’un terroir. L’étiquetage assure inégalement l‘information de la clientèle.

– Produit : la « directive miel » n° 2001/110 ne définit pas avec suffisamment de précision ce produit. Il est en conséquence victime d’altération (comme la filtration de pollen, qui caractérise le miel de cru) au regard de la directive précitée et du décret du 30 juin 2003. La direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes a indiqué que 42 % des contrôles effectués en 2010 sur les miels commercialisés en France révélaient des ajouts d’eau, de saccharose ou un étiquetage défectueux. Les miels sont également l’objet d’adultération par des sirops à forte teneur en maltose. Il apparaît en conséquence urgent d’identifier avec précision les différents miels en valorisant les producteurs qui respectent les normes d’une AOC (Corse, sapin des Vosges) ou d’une IGP (lavande de Provence) de ceux qui mettent sur le marché un miel avec des sucres industriels.

– Recherche : la recherche sur le miel a été réorganisée ces dernières années, mais la communauté scientifique qui travaille sur les abeilles est encore réduite. L’ITSAP, le laboratoire de l’ANSES de Sophia-Antipolis, l’INRA d’Avignon, l’UMT PRADE, l’unité du CNRS de Gif-sur-Yvette, le muséum d’histoire naturelle de Paris, les écoles vétérinaires de Nantes et de Maisons-Alfort participent aux différents volets du programme de recherche, à partir de fonds européens. Les connaissances sur les abeilles demeurent lacunaires. Ces insectes, si utiles à la vie, sont encore négligés dans l’enseignement supérieur.

Le panorama de l’apiculture française donne l’impression d’un vaste gâchis : d’un côté, un espace rural qui combine plaines, collines, montagnes, climats océanique, continental et méditerranéen, propices à la production de miels à forte valeur ajoutée ; de l’autre, une profession mal organisée, qui défend difficilement ses intérêts et dont l’utilité n’a été que récemment perçue par le reste du monde agricole.

Les apiculteurs ne peuvent être tenus pour responsables de la mort de leurs colonies ; ils recourent peu aux pesticides et n’ont pas pris part aux mutations d’un espace agricole qui a altéré la biodiversité. Mais dans le jeu qui mêle pouvoirs publics, laboratoires d’expertise, syndicats agricoles, semenciers, chimistes et centrales d’achat, leurs divisions les rendent peu audibles, incapables d’assurer leur défense. Leur chance est de bénéficier de la sympathie de l’opinion publique, attachée à un animal et à un produit à forte charge symbolique, de trouver également des alliés dans des partis politiques, syndicats et associations conscients de l’importance des insectes pollinisateurs pour l’environnement, mais dans un monde globalisé, ils doivent faire l’effort de s’unir afin de faire entendre leur voix.

CONCLUSION

L’effondrement des colonies d’abeille est le symptôme de la dégradation de l’environnement. Au stade des connaissances scientifiques actuelles, les pesticides ont leur part de responsabilité mais d’autres raisons, notamment la raréfaction des ressources nutritives en raison de l’affaiblissement de la biodiversité, peuvent être mises en avant. Les écosystèmes sont complexes et chaque élément interagit sur les autres. Le cas des abeilles est similaire à celui des récifs coralliens, indispensables à la vie marine, victimes à la fois de l’urbanisation des côtes, de l’acidification des océans et de leur réchauffement.

La proposition de résolution de Mme Danielle Auroi, comme celle de Mme Laurence Abeille, a le mérite de rappeler que la crise du monde apicole dure depuis près de vingt ans et qu’il est nécessaire d’agir. Comme l’a indiqué votre Rapporteure, un moratoire est nécessaire, mais à la condition de procéder à des expertises sur l’ensemble des facteurs qui affectent la santé des abeilles. Seule une base scientifique incontestable permettra aux responsables politiques de prendre les décisions qui s’imposent.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, en votre nom à tous, je voudrais tout d’abord souhaiter la bienvenue à notre nouveau collègue Napole Polutélé, élu dans la circonscription de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements sur tous les bancs)

Je cède maintenant la parole à notre rapporteure Sophie Errante pour qu’elle expose ses conclusions sur la proposition de résolution européenne sur la mortalité des abeilles.

Mme Sophie Errante, rapporteure. Notre commission est aujourd’hui appelée à se prononcer sur un dossier sensible, celui de la mortalité des abeilles en raison de l’usage des pesticides dans l’agriculture. Notre collègue Danielle Auroi, présidente de la Commission des affaires européennes, a en effet déposé une proposition de résolution à la suite du rejet par le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale de l’Union européenne (CPCASA) d’une demande d’interdiction de trois insecticides de la catégorie des néonicotinoïdes, jugés responsables par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) de la mortalité prématurée des abeilles.

Notre collègue Laurence Abeille avait également déposé, le 17 octobre 2012, une proposition de résolution en ce sens, cosignée par plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.

Je rappelle que l’Union européenne instruit depuis trois ans un dossier sur la santé des abeilles, lorsqu’elles se trouvent en présence de certains pesticides. À la suite d’expériences conduites dans différents laboratoires – en France, à Sophia Antipolis (ANSES) et à Avignon (INRA) –, le CPCASA a proposé un moratoire de deux ans sur trois d’entre eux, que l’on retrouve dans les produits phytosanitaires appliqués à de grandes cultures. Cette proposition, soutenue par la France, n’a malheureusement pas réuni de majorité en janvier dernier, sans qu’il y ait eu obligation pour les États membres de motiver leur vote.

Un nouveau vote, dit « d’appel », doit intervenir le 29 avril prochain. La proposition de résolution que nous examinons a pour finalité que notre Gouvernement puisse se prévaloir du soutien de l’Assemblée nationale sur cette question.

J’en viens au fond du dossier, qui résume l’ensemble de la problématique du développement durable avec un entremêlement de questions économiques et écologiques, et qui, pour moi, va au-delà de la seule question des abeilles. Il comporte un double enjeu : santé publique et préservation d’une filière économique.

Depuis près de vingt ans, la surmortalité des abeilles a été observée partout dans le monde : alors que le taux de mortalité normal s’établit entre 10 et 14 % des effectifs d’une colonie, il oscille en Europe et en Amérique du Nord entre 19 et 30 % ; au Moyen-Orient, des taux de 50 à 80 % de chute ont même été observés. Ce phénomène a été baptisé « syndrome d’effondrement des colonies ».

Le risque écologique lié à cet effondrement tient au rôle des insectes pollinisateurs dans la nature. Les 1 100 espèces d’abeilles et de bourdons jouent en effet un rôle fondamental dans la biodiversité et la reproduction des végétaux. Quelque 170 000 espèces végétales, arbres, fleurs, sauvages ou cultivés, dépendent des pollinisateurs. Les économistes caractérisent cette activité sous le concept de « service rendu gratuitement par la nature ». La valeur économique annuelle de la pollinisation est aujourd’hui estimée à 150 milliards d’euros à travers le monde. Pour la France, la disparition des abeilles aurait pour conséquence d’obliger le monde agricole à recourir à la pollinisation artificielle, soit une charge d’environ 2,8 milliards d’euros par an.

Le syndrome d’effondrement des colonies a agi comme un révélateur de la crise du monde apicole. Ces dix dernières années, la production de miel a chuté de 28 %, les importations de miel de qualité variable ont augmenté de 49 % et le nombre des apiculteurs est passé de 69 000 à 41 000 personnes. Notre pays, qui dispose d’un vaste espace rural et de paysages et de climats très différents – en résumé, de conditions optimales pour produire des miels de qualité – est devenu importateur net, alors qu’il pourrait être exportateur de ce produit, sur lequel il y a une importante demande mondiale.

La responsabilité de l’effondrement des colonies d’abeilles est une question qui n’emporte pas l’unanimité. Elle est donc au cœur du débat politique au sein de l’Union européenne.

Plusieurs études montrent que certains pesticides sont mortels pour les colonies d’abeilles, parce qu’ils provoquent leur désorientation ou altèrent leur identité olfactive. Ces études doivent être considérées comme sérieuses. Elles sont complétées par des observations sur le terrain, où les taux de mortalité d’abeilles sont enregistrés et transmis aux autorités européennes.

Ces études sont toutefois contestées tant par les industriels de la chimie que par certains États, qui considèrent qu’elles n’ont pas été conduites selon un protocole de recherche validé dans l’ensemble de l’Union européenne ou qu’elles sont le résultat d’expertises en laboratoire, alors qu’il faudrait les conduire en pleine nature.

Par ailleurs, un autre problème est apparu : une surmortalité des abeilles a été constatée dans des zones où il n’y a pas de pesticides, par exemple en Auvergne, en altitude. Les scientifiques mettent donc en avant deux autres facteurs : la diminution de la biodiversité, qui réduit leurs ressources alimentaires, et la virulence des parasites et acariens qui affectent les ruches.

Un relatif consensus s’établit donc autour d’une multiplicité de facteurs : un affaiblissement dû aux pesticides, qui altère les facultés d’orientation et les défenses immunitaires – d’où une moindre résistance aux parasites –, et la réduction du bol alimentaire des abeilles.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments, comme le Comité permanent de la chaîne alimentaire, mettent en avant le rôle de trois pesticides pour lesquels un moratoire est demandé, mais ils sont parfaitement conscients de la nécessité de mettre au point à l’échelle européenne un protocole commun de recherche. C’est en effet la diversité des études – certaines concluent d’ailleurs à l’innocuité des pesticides – qui justifie la position de certains États opposés au moratoire proposé par l’Union européenne.

Tel est l’état du dossier : une forte suspicion à l’encontre de certains pesticides, mais qui n’est pas unanimement admise par certains États, et une prise de conscience des conséquences pour les abeilles de la réduction de la biodiversité.

La question de la surmortalité des abeilles comporte un double enjeu, de santé publique et de préservation d’une filière économique.

En termes de santé publique, la question des pesticides est centrale dans l’agriculture, puisque ces produits posent problème tant pour l’état des sols et des eaux que pour les pratiques culturales. La France en est le premier utilisateur en Europe, avec 62 700 tonnes en 2011 – dont 20 % pour la viticulture.

Le débat est idéologique – au sens noble du terme – et technique. On retrouve en effet des traces de pesticides dans la chaîne alimentaire et dans la nature. Il y a donc un véritable débat politique, portant sur leur interdiction ou sur le « réglage du curseur » – en d’autres termes, la modification des doses comme des périodes d’administration des pesticides sur les cultures. Il s’agit donc d’arbitrer entre des exigences environnementales et sanitaires, et des exigences économiques pour un secteur agricole qui est soumis à de fortes contraintes réglementaires et financières.

Une autre question se greffe dans ce débat : plusieurs pesticides sont classés parmi les perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire des produits qui peuvent avoir des conséquences génétiques chez l’homme ou provoquer des cancers. Ils sont présents dans des produits alimentaires, mais aussi dans les secteurs cosmétique et textile. Les pouvoirs publics commencent à prendre la mesure de ce problème.

Pour ce qui concerne la filière apicole, il faut avoir le courage de dire que l’apiculture est en crise, mais que cette crise ne provient pas seulement de la surmortalité des abeilles : elle provient largement de l’absence de filière apicole digne de ce nom.

Ce problème avait déjà été soulevé en 2008 par notre collègue Martial Saddier, auteur d’un rapport sur la « filière apicole durable » remis au Premier ministre François Fillon. Les pouvoirs publics ne sont pas inactifs face à cette situation. Le précédent Gouvernement, sur les recommandations de notre collègue, a commencé la restructuration de la filière en la dotant d’un Institut technique ; plus récemment, le ministre chargé de l’agriculture Stéphane Le Foll a lui-même proposé un plan en faveur de l’apiculture.

Plus généralement, la division du monde apicole entre producteurs amateurs, professionnels pluriactifs et professionnels à plein temps ne favorise pas l’unité de position de ce secteur. Par ailleurs, ce n’est que récemment que les cultivateurs et les éleveurs ont reconnu l’apiculture comme une composante de l’agriculture. Cette absence de véritable filière laisse les apiculteurs désarmés quand ils font face à des difficultés comme l’effondrement des colonies.

Ma conclusion est donc que les pesticides sont sans doute responsables d’une partie de la mortalité des abeilles, mais pas exclusivement. Ma prudence rejoint celle de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, qui admet elle-même un manque d’information sur de nombreux points. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Commission européenne propose un moratoire et non l’interdiction définitive de trois produits.

Le relèvement de l’apiculture ne peut être assuré que par une politique d’ensemble, par une inflexion de la politique agricole commune vers un plus grand respect des équilibres écologiques et par un ensemble d’actions nationales réorganisant la filière.

Le moratoire proposé par la Commission européenne n’a de sens que si la période de deux ans qu’il ouvre sert à approfondir nos connaissances sur les colonies d’abeilles, à partir d’un protocole de recherche validé par l’ensemble des pays européens. À défaut, il ne servira à rien et si jamais les abeilles continuent de mourir au terme de ce moratoire, le pouvoir politique n’aura pas de base scientifique pour agir. Je vous proposerai donc d’adopter la proposition de résolution, compte tenu d’un amendement rédactionnel et d’un amendement portant sur les actions à conduire pendant la période du moratoire.

Mme Françoise Dubois. Je remercie Sophie Errante pour son travail sur cette proposition de résolution européenne de la présidente Danielle Auroi. Elle en a explicité les enjeux, c’est-à-dire les soupçons pèsent sur les pesticides – et singulièrement sur les trois insecticides ciblés – dans la surmortalité des abeilles en Europe. Le rapport de causalité est incertain, complexe et non-exclusif puisqu’une quarantaine de facteurs sont visiblement responsables de cette situation. Toutefois, une responsabilité partielle justifie un moratoire de deux ans pour mener une recherche publique alors qu’aucune donnée précise n’est aujourd’hui disponible pour tirer des conclusions formelles sur la situation des pollinisateurs. L’absence de programmes internationaux et régionaux de surveillance du phénomène fait planer une incertitude.

Le relèvement de la filière apicole constitue également un objectif auquel nous souscrivons.

Sans revenir sur la procédure européenne, rappelons combien il est important de soutenir le Gouvernement dans ses discussions avec les autres États-membres. Ceux-ci devront motiver leur position sur le projet de moratoire, et la réunion d’une majorité autour de la position française ne semble pas inaccessible.

À l’intérieur de nos frontières, ce moratoire est compatible avec le plan de développement durable de l’apiculture présenté par le ministre Stéphane Le Foll en Sarthe il y a quelques mois : il avait alors insisté, à raison, sur l’intérêt des pollinisateurs tant du point de vue économique que dans une approche écologique. Ce plan important et cohérent prévoit d’injecter quatre millions d’euros en trois ans dans la filière apicole.

Quant aux apiculteurs, la faible organisation de leur filière impose que les élus relaient efficacement leur voix et leurs inquiétudes. Il n’y a pas à les opposer aux agriculteurs dans la mesure où chacun peut mener ses activités en bonne intelligence. Faut-il rappeler que bon nombre de plantes ont besoin d’une pollinisation animale pour se reproduire ? À ce propos, une étude réalisée en 2012 sur la corrélation entre le déclin des pollinisateurs et la diminution de la productivité agricole a chiffré la valeur de la pollinisation des cultures à 265 milliards de dollars.

Le groupe SRC plaide pour le renforcement de la filière apicole et pour enrayer la surmortalité des abeilles tout en préservant la rentabilité de l’agriculture et en conservant à l’esprit les préoccupations de santé publique. Des techniques respectueuses des pollinisateurs doivent émerger. Le bon sens comme la prudence requièrent donc de soutenir la présente proposition de résolution pour une meilleure connaissance des effets des trois insecticides visés.

M. Martial Saddier. Je veux adresser mes félicitations à notre rapporteure pour la qualité de la synthèse qu’elle a dressée. Les premiers travaux sur la mortalité des abeilles remontent à 1947 ; ils ont mis en évidence une surmortalité des abeilles et, ce qu’on néglige trop souvent, des apoïdes sauvages. Peut-être, d’ailleurs, faudrait-il également évoquer ces derniers !

Peut-être, aussi, le fait de pointer du doigt les pesticides dans la recherche des responsables de la surmortalité des abeilles a-t-il braqué un certain nombre de personnes alors qu’un consensus assez large admet une pluralité de facteurs à la source de cette situation.

On parle de mortalité de 30 à 40 % suivant les territoires, et c’est bien ce qui est important : ces taux se retrouvent aussi bien dans les grandes plaines céréalières qu’au sein des vallées que domine le Mont-Blanc. Il y a donc plusieurs causes et beaucoup d’inconnus. Tous les pays du monde sont frappés avec la même vigueur par le même phénomène. On en comprend l’impact quand on sait que le cycle des protéines commence immanquablement ou presque par une pollinisation par les apoïdes sauvages. Le chiffre de 250 milliards de dollars a déjà été mentionné pour en donner la traduction annuelle en termes monétaires ; ce montant atteint 2 milliards d’euros pour l’espace français. J’indique, au passage, que les plantes anémophiles constituent une exception à cette règle puisque, comme leur nom l’indique, le vent suffit à leur pollinisation.

Le constat de cette mortalité excessive a conduit à organiser une table ronde dédiée dans le cadre du Grenelle de l’environnement. En 2007, le chef du Gouvernement a demandé à trois de ses ministres – Jean-Louis Borloo, Michel Barnier et Nathalie Kosciusko-Morizet – d’encadrer un parlementaire en mission pour formuler des propositions. Il a découlé du rapport Pour une filière apicole durable, que j’ai eu l’honneur de commettre, un plan de relance de l’apiculture dans notre pays. Les causes multiples ont alors été abondamment décrites, qu’il s’agisse des intrants, de l’état du cheptel, de l’habitat ou encore des ressources alimentaires.

Vous avez insisté sur la double nécessité, d’une part de mener le combat au niveau européen pour convaincre nos partenaires de l’opportunité d’une action commune, d’autre part de constituer une filière apicole à partir des organisations encore trop éclatées malgré la création de l’Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation en 2009. Il faut poursuivre vers une interprofession qui sera, j’en suis convaincu, la seule façon de régler toutes nos difficultés.

Pour toutes ces raisons, aucun député UMP ne s’opposera au vote de cette résolution, et je gage que beaucoup voteront même en sa faveur comme je m’apprête à le faire moi-même. Ce soutien est subordonné, néanmoins, à l’adoption de l’amendement évoqué précédemment par notre rapporteure, car il est exclu que la France fasse cavalier seul sur ce sujet.

M. Bertrand Pancher. J’ai mauvaise grâce à m’exprimer à la suite de Martial Saddier tant sa connaissance du sujet est précise. Comme lui, les commissaires du groupe UDI soutiendront cette proposition de résolution.

Nous sommes convaincus de la pluralité des causes de la disparition des abeilles dans les pays occidentaux ; cependant nous sommes tout aussi conscients que les insecticides sont dangereux à partir de doses en nanogrammes par abeille alors que chaque hectare de terre cultivée peut réglementairement recevoir aux environs de cent grammes. L’émission de poussières polluées, la rémanence des pesticides dans les plantes et les sols, leur forte toxicité pour les abeilles comme d’ailleurs pour d’autres espèces, la nécessité d’une harmonisation européenne nous convainquent tout à fait.

Les questions de la rotation des cultures et des maladies ne doivent pas être éludées. La précédente mandature avait vu le renforcement des études scientifiques pour mieux caractériser la situation, car il ne s’agit évidemment pas de proclamer la culpabilité d’une filière particulière sur la base de quelques présomptions. Ne mettons pas en péril l’équilibre économique du pays en général, et de l’agriculture en particulier.

Nous espérons, enfin, la finalisation d’un document d’orientation européen destiné à l’évaluation des effets des substances pharmaceutiques et chimiques sur les comportements humains et animaux. Les règles doivent être renforcées !

M. François-Michel Lambert. Chacun sait combien les écologistes tiennent la biodiversité pour primordiale, et nous nous réjouissons de la future création d’une agence dédiée à cette problématique. Sa préservation est essentielle ; elle doit prévaloir sur les intérêts économiques de toute sorte. Notre groupe soutiendra donc cette proposition de résolution européenne, adoptée unanimement par la commission des affaires européennes, et à laquelle je souhaite le même destin dans notre commission du développement durable. Le texte qui nous est soumis a été d’abord inspiré par notre collègue Laurence Abeille, qui a plaidé pour un moratoire sur les pesticides néonicotinoïdes et phénylpyrazoles. Danielle Auroi a élargi son approche pour aboutir à la proposition qui nous est soumise aujourd’hui.

Une étude de l’INRA, réalisée en 2012, a révélé les risques des pesticides sur le système nerveux des abeilles. Ils entraînent indirectement la mort en troublant le sens de l’orientation de l’animal et en l’empêchant de retrouver le chemin de sa ruche – or chacun sait qu’une nuit hors de la ruche condamne une abeille. Or, ces effets indirects sont particulièrement difficiles à isoler, ce qui ralentit le progrès de la connaissance scientifique et la compréhension du phénomène d’effondrement des populations d’abeilles. Une nouvelle étude, de 2013 cette fois, a confirmé ces conclusions également renforcées par un précédent : la décision de l’Italie d’interdire les néonicotinoïdes sur le maïs, en 2008, a coïncidé avec une reprise de l’apiculture transalpine – sans qu’on puisse toutefois, et il faut le souligner, déduire de cette corrélation une causalité.

Je ne reviendrai pas sur l’inquiétude que montre le Programme des Nations-Unies pour l’environnement au sujet du désordre dans les colonies d’abeilles. Il est nécessaire, au-delà de ce vote, de rompre avec une agriculture fondée sur la chimie qui perturbe les écosystèmes, qui détruit la biodiversité et qui, au bout de la chaîne, altère la santé humaine. (Murmures)

Cette agriculture-là doit intégrer les principes du développement durable. Tout ceci n’est pas nouveau. On en a parlé dans le Grenelle de l’environnement ; on a dressé le plan Écophyto 2018 pour réduire l’emploi des pesticides. C’est l’un des grands échecs des dernières années de ne pas être parvenu à limiter la croissance de leur utilisation.

Enfin, nous devons réfléchir à la filière apicole française. C’est un sujet environnemental, économique, social. Pour la préservation de la biodiversité, le plan lancé par Stéphane Le Foll devra répondre aux attentes qu’il suscite et inaugurer un nouveau chemin pour la production agricole. Arrêtons de nous droguer aux pesticides !

M. Christophe Priou. Notre collègue Jacques Krabal cite fréquemment Jean de La Fontaine au cours de nos travaux ; il me revient à l’esprit, issue d’une fable dont le nom m’échappe, la maxime selon laquelle « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».

Plusieurs députés sur tous les bancs. Le Lion et le Rat !

M. Christophe Priou. Merci à nos collègues de suppléer ma mémoire ! Cette morale s’applique parfaitement au cas qui nous occupe aujourd’hui : l’autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments reconnaît enfin les découvertes des chercheurs français. Je ne suis pas certain, toutefois, que ce laps de temps soit au goût des apiculteurs, puisque la multiplicité des causes, évoquée par notre rapporteure, semble désormais attestée pour le plus grand malheur des populations d’abeilles. Je sais que les espèces invasives, et notamment le frelon asiatique, ont leur part de responsabilité dans cette situation.

Nous avons besoin du soutien d’un maximum de parlementaires, comme la France aura besoin d’un maximum de soutien de ses partenaires pour faire prévaloir le moratoire demandé par cette proposition de résolution. Il est grand temps. J’espère que ce texte fera consensus dans notre commission.

M. Charles-Ange Ginesy. Je soutiens naturellement cette résolution. Le Grenelle de l’environnement a suscité de nombreuses réflexions sur la question des abeilles, et ma position en découle directement. Il ne faut pas que la France soit seule à s’engager dans la voie du moratoire : être en pointe est une chose, être isolé en est une autre.

Je me réjouis de la suppression du Gaucho, du Régent et du Cruiser. Mais je demeure inquiet de la progression du varroa, cet acarien qui continue à décimer les populations d’abeilles. Ceci illustre la pluralité des causes dont les intervenants précédents ont fait mention. Je m’interroge également beaucoup sur l’utilisation de l’amitraze et de ce qu’on nomme couramment les « lanières », qui réduisent encore les populations et qui restent autorisées en France alors qu’une interdiction a été décidée dans le reste de l’Europe. Il faut poursuivre la réflexion car le varroa, lui, s’habitue à ce traitement.

M. Yannick Favennec. Dans son avis de janvier 2013, l’AESA a été très sévère à l’encontre des néonicotinoïdes. Or ces pesticides figurent parmi les plus utilisés dans le monde. Le Cruiser en fait ainsi partie et il est largement appliqué sur les cultures de maïs. Madame la rapporteure, faut-il selon vous interdire ce produit ?

Mme Geneviève Gaillard. Je soutiens le travail de notre rapporteure, mais je suis inquiète quand elle évoque dans son amendement n° 2 le recours à des crédits publics nationaux ou européens pour mettre en œuvre de nouvelles expertises quand on connaît la difficulté qu’il y a à les mobiliser. Il faut du temps pour inscrire des crédits à un budget et pour se mettre d’accord sur un protocole de recherche. La période proposée pour le moratoire est de deux ans mais je crains que nous ne disposions pas d’éléments probants lorsqu’il expirera, d’où le risque qu’il ne soit prolongé.

M. Olivier Marleix. Je salue à mon tour la contribution de notre rapporteure à un débat qui n’est pas simple, car les études qui le sous-tendent sont souvent contestées. Il existe de forts indices en faveur de causes multifactorielles provoquant l’effondrement des colonies d’abeilles, comme la diminution de la biodiversité et l’action du varroa. Si les pesticides devaient être supprimés, a-t-on chiffré le coût qui en résulterait pour l’agriculture, en termes de baisse de la production ?

M. Jean-Pierre Vigier. De nombreuses mesures ont déjà été prises en faveur des colonies d’abeilles, avec l’interdiction du Gaucho et du Régent en 1999. Le Gouvernement vient de mettre en place un plan triennal en faveur de l’apiculture auquel il faut donner une rapide impulsion ; de nouvelles techniques, comme les déflecteurs, évitent de disséminer les poussières qui portent des pesticides, mais quelles aides pouvons-nous apporter à nos agriculteurs dans ce dossier ?

M. Jean-Marie Sermier. Je tiens à féliciter notre rapporteure qui a su faire la part des choses dans un débat passionné, passionnant et souvent chargé d’émotion. L’amendement qu’elle a déposé au dernier alinéa de la proposition de résolution m’apparaît essentiel afin de distinguer ce qui ressort des techniques phytosanitaires et ce qui relève de la biologie. Il est par ailleurs vital de redresser la filière apicole, car la profession est « balkanisée ».

Mme la rapporteure. M. Martial Saddier a évoqué la question des autres insectes pollinisateurs. Sur ce point, l’AESA est très claire et son avis fait preuve de modestie intellectuelle puisque cette autorité indique qu’il n’existe pas d’étude sur les conséquences des pesticides sur les insectes autres que les abeilles mellifères. M. Yannick Favennec m’a interrogé sur le Cruiser : je précise que ce produit est visé par le moratoire proposé par l’Union européenne car il contient du thiametoxame, qui est un néonicotinoïde. Mme Geneviève Gaillard s’est inquiétée des effets de mon projet d’amendement : je tiens à lui préciser que j’ai consulté le Gouvernement sur les crédits qui pourraient être affectés à de telles recherches, ces crédits étant d’un faible montant.

Mme Geneviève Gaillard. Espérons-le !

Mme la rapporteure. Je suis d’accord avec M. Jean-Pierre Vigier pour donner une vive impulsion au plan en faveur de l’apiculture. Toute la difficulté est de mettre autour de la table les apiculteurs, les agriculteurs, les semenciers et les chimistes. Enfin, j’ai bien noté les propos de M. François-Michel Lambert : les études sur les néonicotinoïdes sont probantes, mais ne suffisent pas ; elles suscitent des contre-expertises et en susciteront encore si nous n’établissons pas à l’échelle européenne un protocole de recherche.

II.— EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

La commission adopte tout d’abord à l’unanimité l’amendement rédactionnel CD 1 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CD 2 de la rapporteure.

Mme Sophie Errante, rapporteure. Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, cet amendement a pour objet de consacrer la période du moratoire à l’approfondissement des connaissances scientifiques sur les causes de la mortalité des abeilles, à l’échelle européenne.

M. Martial Saddier. Le groupe UMP soutient cet amendement car il est important de relayer au niveau européen l’action que nous conduisons dans notre pays.

La commission adopte alors à l’unanimité l’amendement CD 2 puis l’ensemble de la proposition de résolution ainsi modifiée.

ANNEXES

Annexe 1

Texte de la proposition de résolution européenne adopté
par la commission des affaires européennes

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, du 6 décembre 2010, sur la santé des abeilles (COM [2010] 714 final),

Vu l’avis de l’Agence européenne de sécurité alimentaire no 2013-3067, du 16 janvier 2013, sur l’évaluation des risques pour les abeilles associés aux pesticides contenant la substance active « néonicotinoïde thiaméthoxame »,

Considérant le rôle crucial de la pollinisation dans la reproduction des plantes et la protection de la biodiversité ;

Considérant que, en quelques années, la mortalité des abeilles est passée de 5 % à 30 %, voire à 50 % dans certaines zones ;

Considérant que l’impact létal de certains insecticides systémiques se trouvant dans les graines et les semences est établi et que certains États membres en ont d’ores et déjà restreint l’usage ;

Considérant le rapport d’information n° 42 (2012-2013) de Mme Nicole Bonnefoy au nom de la mission commune d’information du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement ;

1. Salue l’initiative de la Commission européenne pour instaurer un moratoire sur trois substances responsables de la mortalité des abeilles, selon l’avis de l’Agence européenne de sécurité alimentaire ;

2. Regrette que le vote lors de la réunion du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, le 14 mars 2013, n’ait pas permis de dégager une majorité qualifiée permettant d’adopter ce projet de la Commission européenne ;

3. Appuie toute nouvelle initiative de la Commission visant à l’interdiction générale de ces substances.

Annexe 2

Communiqués de presse sur les recherches scientifiques

Communiqué de presse de l’Autorité européenne de sécurité des aliments
(16 janvier 2013)

« Les scientifiques de l’AESA ont identifié un certain nombre de risques associés à trois insecticides de type néonicotinoïdes pour les abeilles. La Commission européenne a demandé à l’Autorité d’évaluer les risques associés à l’utilisation de la clothianidine, de l’imidaclopride et du thiamotexame, utilisés comme traitement des semences ou sous forme de granulés, en se penchant particulièrement sur leurs effets aigus et chroniques sur la survie et le développement des colonies d’abeilles, leurs effets sur les larves d’abeilles et le comportement des abeilles et enfin, les risques associés à des doses sublétales de ces trois substances. Dans certains cas, l’AESA n’a pas été en mesure de finaliser les évaluations en raison du caractère incomplet des données disponibles.

Les évaluations des risques ont porté sur trois voies d’exposition principale : l’exposition aux résidus dans le nectar et le pollen des fleurs traitées, l’exposition à la poussière émanant de l’ensemencement des graines traitées ou de l’application de granules et l’exposition aux résidus dans les gouttelettes d’eau par les plantes traitées (guttation). Lorsque les évaluations des risques ont pu être finalisées, l’AESA, en coopération avec des experts scientifiques des États membres de l’UE, a rendu les conclusions suivantes pour les trois substances :

– exposition au pollen et au nectar : seule l’utilisation sur des cultures n’attirant pas les abeilles a été considérée comme acceptable ;

– exposition à la poussière : un risque pour les abeilles a été signalé ou n’a pas pu être exclu, avec certaines exceptions telles que l’utilisation sur les betteraves sucrières et les cultures sous serre, ainsi que l’utilisation de certains granules ;

– exposition aux gouttelettes : la seule évaluation des risques ayant pu être finalisée concerne le maïs traité avec du thiaméthoxame. Dans ce cas, les études sur le terrain démontrent un effet aigu sur les abeilles exposées à la substance par guttation.

Pour parvenir à leurs conclusions, les scientifiques de l’AESA ont évalué les données qui leur avaient été communiquées précédemment dans le cadre du processus d’autorisation de ces substances actives au niveau de l’UE, et à l’appui des procédures d’autorisation e produits au niveau des États membres. Ils ont également étudié la littérature scientifique pertinente et les données issues des activités de surveillance. Par ailleurs, les nouvelles évolutions intervenues dans le cadre de l’évaluation des risques associés aux produits phytopharmaceutiques pour les pollinisateurs ont été prises en considération, notamment les recommandations contenues dans l’avis scientifique de l’AESA sur les éléments scientifiques qui étayent l’élaboration d’un document d’orientation concernant l’évaluation des risques associés aux produits phytopharmaceutiques pour les abeilles, publié en mai 2012.

Cet avis, publié par le groupe scientifique sur les produits phytopharmaceutiques et leurs résidus, proposait une évaluation beaucoup plus exhaustive des risques pour les abeilles et il introduisait également un niveau de contrôle plus élevé lors de l’interprétation des études de terrain… En outre, dans la mesure où une grande partie des données ont été générées avant la publication de cet avis, un certain nombre de lacunes ont été identifiées. Par ailleurs, le document d’orientation final sur l’évaluation des risques associés aux produits phytopharmaceutiques pour les abeilles étant toujours en cours d’élaboration, un haut niveau d’incertitude subsiste pour ce qui concerne les dernières évaluations.

Tous ces éléments impliquent que les scientifiques de l’AESA n’ont pas été en mesure d’achever l’évaluation des risques pour certaines des utilisations autorisées dans l’UE et qu’ils ont identifié un certain nombre de lacunes dans les données, qu’il conviendrait de compléter afin de procéder à des évaluations plus approfondies des risques potentiels associés à la clothianidine, à l’imidaclopride et au thiamotéxame pour les abeilles. Enfin, il est à noter que les informations concernant les pollinisateurs autres que les abeilles étant limitées, il conviendra donc de se pencher sur les risques pour les autres pollinisateurs dans le futur ».

Communiqué de presse de l’INRA d’Avignon (14 février 2013, extrait)

« Depuis quelques années, de nombreux scientifiques et apiculteurs s’inquiètent du déclin des abeilles domestiques. Ce déclin toucherait aussi les abeilles sauvages, sans qu’on puisse réellement en estimer l’importance. Une équipe de recherche du centre INRA PACA et du CNRS, associée à des chercheurs agricoles, ont mené une étude dont les récents résultats peuvent en partie expliquer ces disparitions. Ils ont disposé des puces RFID (radio fréquence) sur 650 abeilles, fonctionnant comme des code-barres individuels lors du passage dans la ruche, elle-même munie d’un capteur. Elles ont ensuite été nourries soit d’une simple solution sucrée, soit d’une solution sucrée couplée à une très légère dose d’insecticide, et placées à 1 km, distance habituelle de leur ruche. En comparant les proportions de retours à la ruche des deux groupes d’abeilles, les chercheurs ont constaté que l’ingestion de pesticide provoquait un phénomène de désorientation chez l’abeille. L’intoxication aboutit à une mortalité journalière de 25 % à 50 % chez les butineuses intoxiquées, soit jusqu’à trois fois le taux normal (environ 15 % des butineuses par jour) ».

BIBLIOGRAPHIE

Commission européenne : communication au Parlement européen et au Conseil sur la santé des abeilles (6 décembre 2010).

European beekeeping coordination : pourquoi les néonicotinoïdes sont-ils une menace pour la santé et la sécurité environnementale de l’Union européenne ? (11 mars 2013).

European beekeeping coordination et syndicat national d’apiculture : arguments pour soutenir les propositions de la Commission européenne (avril 2013).

Greenpeace : le déclin des abeilles (avril 2013).

Union des industries de protection des plantes : néonicotinoïdes et apiculture, pas d’accord à Bruxelles pour une suspension de certains usages, l’UIPP en appelle à une approche proportionnée (19 mars 2013).

Martial Saddier : pour une filière apicole durable, les abeilles et les pollinisateurs (rapport au Premier ministre, octobre 2008).

Ministère de l’agriculture, conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux : plan de développement durable de l’apiculture (octobre 2012 et 8 février 2013).

Institut de l’abeille / ITSAP : propositions pour une prise en compte des insectes pollinisateurs dans les politiques agricoles nationales et européennes (2012).

FNSEA : néonicotinoïdes et pollinisateurs (22 février 2013).

FNSEA : plan de développement durable de l’apiculture, comprendre c’est bien, appliquer c’est mieux (15 février 2013).

Union française des semenciers : apport économique des produits néonicotinoïdes pour la production de semences.

ANSES / Marie-Pierre Chauzat : programme pan européen de surveillance de la mortalité des colonies d’abeilles (2012).

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

M. Bruno Ferreira, conseiller technique au cabinet de M. le ministre de l’agriculture.

M. Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’Union des industries de protection des plantes (UIPP), M. François Thiboust (Bayer) et M. Gérard Thomas (Syngenta).

M. Rémi Haquin, président de la commission environnement de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

M. Yves Vedrenne, Président et Mme Cindy Adolphe, conseillère, Syndicat national de l’apiculture.

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