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OGOGRIS-22mm

N° 1111

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 1053) DE M. PAUL GIACOBBI ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions de privatisation de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM),

PAR M. Paul Giacobbi,

Député.

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Voir le numéro :

Assemblée nationale : 1053.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

EXAMEN EN COMMISSION 13

TABLEAU COMPARATIF 19

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 21

INTRODUCTION

Sept ans après sa privatisation, en mai 2006, la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) va mal.

La société, qui réalise 300 millions d'euros de chiffre d'affaires, a encore perdu 12 millions d’euros en 2012. Elle doit, en outre, faire face à une amputation d’un tiers des subventions qu’elle reçoit pour assurer ses liaisons vers la Corse.

Enfin – et surtout – elle se trouve menacée de remboursements dont les montants sont hors de proportion avec ses capacités financières. D’abord, le Tribunal de l’Union européenne a annulé en première instance, le 11 septembre 2012, la décision du 8 juillet 2008 de la Commission européenne qui approuvait les conditions de recapitalisation-privatisation de la SNCM. La compagnie se trouve désormais sous la menace de devoir rembourser tout ou partie d’un montant de concours publics de 230 millions d’euros.

Ensuite, la Commission européenne a qualifié « d’aide d’État » la part de la contribution versée par la collectivité territoriale de Corse à la SNCM au titre du service complémentaire en haute saison de la délégation de service public 2007-2013 entre la Corse et le continent. La SNCM est ainsi menacée de devoir rembourser à l’Office des transports de la Corse, au titre des « services complémentaires », la somme de 220 millions d’euros.

Les membres du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste de l’Assemblée nationale considèrent que cette situation était contenue en germe dans les conditions dans lesquelles a été effectuée la privatisation de la SNCM. Ils ont donc déposé le 22 mai 2013 une proposition de résolution (n° 1053) « tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions de privatisation de la Société nationale Corse Méditerranée ».

Créée en 1969, sous le nom de Compagnie générale transméditerranéenne (CGTM), la SNCM, qui a pris son nom actuel en 1976, lors de sa prise de contrôle par l’État  par l’intermédiaire de deux sociétés nationales, la Compagnie générale maritime (CGM), pour 75 % du capital, et la SNCF, pour les 25 % restants est en effet, depuis 2006, un groupe privé.

En 2005, M. Dominique de Villepin étant alors Premier ministre, l’État a engagé la privatisation de la SNCM sur la base d’une procédure de vente de gré à gré. Après diverses péripéties, le projet finalement élaboré prévoyait l’entrée au capital du fonds d’investissement Butler Capital Partners, pour 38 %, de la société Connex, devenue depuis Veolia Transdev, pour 28 %, le maintien de l’État à hauteur de 25 %, et enfin l’attribution d’actions au personnel (9 %). La vente de l’entreprise a ensuite été autorisée par le décret n° 2006-606 du 26 mai 2006. Le conseil d’administration a entériné le transfert de capital le 31 mai 2006.

En novembre 2008, Butler Capital Partners (BCP) a annoncé la cessation de ses parts à Veolia Transdev, pour un montant de 73 millions d’euros.

En 2013, la SNCM est donc détenue à 66 % par Transdev, filiale commune du groupe Veolia et de la Caisse des dépôts et consignations, et à 25 % par l’État, les parts détenues par les salariés représentant les 9 % restants.

Pour les auteurs de la proposition de résolution, une procédure plus ouverte que la vente de gré à gré, un meilleur intérêt porté à des offres autres que provenant de fonds d’investissement, l’association à la procédure de la collectivité territoriale de Corse, responsable de la continuité territoriale et donc de la définition de la future délégation de service public à ce titre, auraient permis une meilleure gestion industrielle de la SNCM depuis cette date, ainsi qu’une meilleure anticipation des décisions des instances de l’Union européenne. Bref, une procédure de vente autrement menée aurait permis d’éviter à la SNCM la situation dangereuse qui est la sienne aujourd’hui.

Ils s’interrogent aussi sur l’analyse qui a pu amener à céder pour 13 millions d'euros environ à BCP 38 % du capital, que BCP a revendus à Veolia, déjà actionnaire à hauteur de 28 %, 73 millions d’euros trois ans après, soit plus de cinq fois leur prix d’achat à l’État, sans que, entre-temps, BCP ne semble avoir contribué à réaménager en profondeur la situation de la SNCM.

I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Président du groupe RRDP demande l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en application de l’article 141 du Règlement.

Aux termes de l’article 140 dudit Règlement, « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente. Celle-ci vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies et se prononce sur son opportunité. »

Aux termes du deuxième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ». L’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale ajoute que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

La proposition de résolution propose la création d’une commission d’enquête sur « les conditions de la privatisation de la Société nationale Corse Méditerranée. »

L’objet désigné par ce libellé généraliste est parfaitement précis. Il ne peut s’agir d’autre chose que de recueillir des informations sur les éléments constitutifs d’une décision unique, la décision de privatisation de la SNCM – décision qui est elle-même une décision engageant l’avenir d’une société nationale - et les conditions dans lesquelles cette décision a été finalement formulée.

La proposition de résolution paraît donc parfaitement recevable au regard des dispositions précitées de l’ordonnance n° 58-100 et de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.

*

Ensuite, en application du premier alinéa de l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

Vérification faite, la présente proposition de résolution ne tombe pas sous le coup de ce motif d’irrecevabilité. Une proposition de résolution à l’intitulé identique, déposée le 9 juin 2011, sous la précédente législature, par M. Paul Giacobbi et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche n’avait pas été mise à l’ordre du jour.

*

Enfin, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 interdit la création d’une commission d’enquête dont les travaux porteraient « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

Pour garantir l’application de cette disposition, l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit les dispositions suivantes :

« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

« Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue. »

Saisie par lettre de M. le Président de l’Assemblée nationale en date du 27 mai 2013, Mme la Garde des sceaux a répondu le 3 juin 2013 dans les termes suivants :

« Vous m’avez informée, conformément aux dispositions de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, du dépôt d’une proposition de résolution présentée par M. Paul GIACOBBI, député, tendant à la création d’une commission d’enquête "sur les conditions de privatisation de la Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM)".

« J’ai l’honneur de vous faire savoir qu’à ma connaissance, aucune poursuite judiciaire n’a été engagée sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition. »

*

Dans ces conditions, le rapporteur considère que, à ce jour, la proposition de résolution répond aux conditions posées tant par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires que par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

II. SUR L’OPPORTUNITÉ DE CRÉER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE

Pour justifier de l’opportunité de créer une commission d’enquête, les auteurs de la proposition de résolution mettent en avant plusieurs arguments.

Le premier concerne l’ampleur des enjeux de la situation de la SNCM. Celle-ci est menacée d’une charge de remboursement de 450 millions d’euros. Or, le prix payé en 2006 par BCP et Transdev valorise le total du capital de la SNCM à 35 millions d’euros. L’opération particulièrement profitable faite par BCP fin 2008 le valorise à 192 millions d’euros. Le chiffre d’affaires de la société est de 300 millions d’euros. L’ordre de grandeur des remboursements à envisager est sans commune mesure avec ces données. Le risque pour la SNCM, c’est tout simplement la cessation d’activité.

L’« inquiétude économique relative à la viabilité – économique, financière et sociale – de la solution ébauchée » et l’« inquiétude sociale s’agissant de l’emploi et sans doute des conditions de travail et de rémunération des marins » évoquées par l’exposé des motifs de la proposition de résolution sont donc tout à fait fondées. Et, régionalement, la SNCM n’est pas un petit employeur : « 1 700 emplois permanents sont en jeu : 1 000 marins, 200 officiers, 500 sédentaires, auxquels il faut ajouter les salariés en contrat à durée déterminée et les emplois indirects. »

Outre les conséquences de la situation actuelle de la SNCM sur l’économie régionale, les auteurs de la proposition de résolution soulignent une dimension spécifique à la Corse : « Une inquiétude insulaire face à ce qui est ressenti comme une sorte de spoliation du fruit des contributions relatives à la continuité territoriale, et un risque évident de disparition d’un service public vital ».

En bref, les conséquences potentielles de la situation actuelle de la SNCM sont tout sauf marginales : disparition d’une activité économique et accroissement du chômage, localement et dans le secteur de la marine marchande, disparition pour la Corse d’un service public vital.

Savoir comment la SNCM a pu en arriver à une situation aussi désastreuse est donc essentiel. Pour cela, les pistes évoquées par les auteurs de la proposition de résolution apparaissent pertinentes.

Ils soulignent en effet la nécessité de savoir par quel cheminement l’État a pu arriver à écarter aussi facilement une solution qui aurait conduit à la reprise de la SNCM par un véritable opérateur industriel, au profit d’une solution dont le principal actionnaire était un fonds d’investissement financier, uniquement préoccupé, on l’a vu par la suite, de valoriser financièrement l’achat qu’il avait réalisé, en le revendant aussitôt que possible, avec le profit maximal possible.

Ils souhaitent aussi que la lumière soit faite sur les analyses qui ont pu amener l’État, après avoir dépensé 113 millions d'euros pour l’assainissement financier de la SNCM, à en fixer la valeur à un prix tel que le principal acheteur, BCP, a pu revendre 73 millions d'euros trois ans plus tard une part payée 13 millions d'euros environ à l’État, réalisant ainsi une plus-value de l’ordre de 60 millions d'euros. Cette affaire financière rejoint aussi la politique industrielle envers la SNCM : en payant 73 millions d’euros en 2009 la participation de BCP dans la SNCM, Transdev a dépensé pour les 66 % du capital de celle-ci 60 millions d'euros de plus que si elle les avait achetés directement à l’État en 2006. C’est ainsi 60 millions d'euros qui lui ont manqué pour des investissements industriels dans la SNCM.

Enfin, les auteurs de la proposition de résolution soulignent la nécessité de comprendre comment la SNCM a pu être mise en situation d’être condamnée à rembourser jusqu’à 450 millions d’euros de subventions désormais considérées comme indûment perçues.

Le total de ces sommes correspond à deux décisions des instances de l’Union européenne.

D’abord, exposent les auteurs de la proposition de résolution, « le Tribunal de l’Union européenne a annulé en première instance, le 11 septembre 2012, la décision du 8 juillet 2008 de la Commission européenne qui approuvait les conditions de recapitalisation-privatisation de la SNCM et a entaché d’illégalité les concours publics accordés pour un montant maximum de 230 millions d’euros, ce qui pourrait conduire la compagnie à devoir rembourser tout ou partie de ce montant. »

Par ailleurs, ils rappellent que « la Commission européenne a condamné la compagnie au remboursement à l’Office des transports de la Corse au titre des "services complémentaires", la somme de 220 millions d’euros, institués en 2006. »

Or, la question se pose de savoir si lors de la privatisation, « le ver n’était pas déjà dans le fruit ».

Dans le délai qui lui était imparti pour la préparation du présent rapport, le rapporteur n’a pas pu démêler l’écheveau des motifs qui ont amené le Tribunal à rendre l’arrêt qu’il a rendu. Mais il s’avère que la décision de la Commission qui a été annulée faisait elle-même référence à des décisions antérieures – et antérieures à la privatisation même de la SNCM – de la République française et de la Commission.

Quant à la décision de la Commission sur les services complémentaires, il faut rappeler que, selon certaines sources, les repreneurs avaient subordonné leur accord définitif au renouvellement de la délégation de service public avec l’office des transports de la Corse, qui devait être renouvelé à la fin de l’année 2006.

Bref, il n’est pas exclu que les motifs qui ont amené le Tribunal de l’Union européenne à condamner la Commission, et la Commission à condamner la SNCM, n’étaient pas déjà contenus dans les conditions de privatisation de la SNCM, et aient alors été ignorés, volontairement ou non, par les signataires de celle-ci, représentants de l’État compris. Mais seule une enquête approfondie permettra de s’en assurer.

Il faut noter que sur ce point, les auteurs de la proposition de résolution critiquent aussi l’absence d’intervention apparente de la collectivité territoriale de Corse, « responsable de la continuité territoriale, et qui devait définir les conditions de la future délégation de service public au titre de la continuité territoriale maritime. »

Ils s’indignent également de la non information de la représentation nationale sur cette vente : « Pour quelle raison le Parlement qui représente le peuple actionnaire de la SNCM n’a-t-il été à aucun moment consulté ou même simplement informé ? »

Enfin, ils soulignent le contexte médiatique volontairement défavorable dans lequel a été lancée la privatisation :

« On a décidé de privatiser la SNCM après que l’État eut lancé une véritable campagne de torpillage de la société, notamment en parlant de déficit chronique alors qu’elle était encore bénéficiaire en 2003.

« Pourquoi avoir parlé de "déficit chronique" à propos d’une société qui était, en tout cas jusqu’en 2002, convenablement capitalisée, équilibrée en exploitation, avec un résultat net clairement positif et un chiffre d’affaires en croissance, dans un secteur très porteur, celui du fret et du transport de passagers en Méditerranée ? »

Ils vont même jusqu’à considérer que « des solutions de nature à préserver le service public tout en renouant avec la rentabilité de la société ont été proposées. Or, la logique, le respect des lois et le souci de l’intérêt général semblent avoir été sacrifiés au profit d’intérêts particuliers. »

En conclusion, considérant que « l’importance des sommes à rembourser et des emplois menacés justifient amplement la création d’une commission d’enquête pour éclairer la représentation nationale sur les conditions de la privatisation intervenue en 2006 », et qu’« un véritable travail d’analyse, transparent, public et contradictoire est nécessaire afin de comprendre les dysfonctionnements », les auteurs de la proposition de résolution font valoir que « l’Assemblée nationale a donc le devoir de créer une commission d’enquête pour éclairer la représentation nationale sur les conditions de cette privatisation. »

*

Pour le rapporteur, il ressort que la proposition de résolution présentée est juridiquement recevable.

Par ailleurs, l’ampleur des enjeux qu’emporte la situation de la SNCM, ainsi que la place des conditions de sa privatisation dans cette situation, rendent cette proposition de résolution parfaitement justifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a procédé à l’examen de la présente proposition de résolution au cours de sa séance du mercredi 5 juin 2013.

M. Paul Giacobbi. Sept ans après la privatisation de la SNCM, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne fut pas une réussite. Les instances européennes compétentes ont dénoncé l’irrégularité des conditions dans lesquelles elle s’est déroulée. D’abord, le Tribunal de l’Union européenne a déclaré illégales l’ensemble des aides publiques de recapitalisation de la compagnie, la Commission européenne devant se prononcer en septembre sur la traduction financière de cette invalidation. Tout laisse à penser que les sommes que la SNCM devra rembourser s’élèveront à environ 200 millions d’euros.

D’autre part, la Commission européenne a jugé à l’unanimité que les subventions perçues par la SNCM pour le service complémentaire couvrant les périodes de pointe pendant la saison touristique, ne compensaient aucun besoin réel de service public. La SNCM est ainsi menacée de devoir rembourser à l’office des transports de la Corse la somme de 220 millions d’euros. Certes, ces décisions font l’objet de recours, mais je rappelle qu’en droit européen de la concurrence le pourvoi n’est pas suspensif et le sursis à exécution extrêmement difficile à obtenir.

Cette proposition de résolution n’a nullement pour objet d’établir ce qu’il faudrait faire pour sauver la SNCM ou d’examiner des projets industriels : il s’agit de déterminer précisément comment on en est arrivé là et si cette situation pouvait être évitée. Il faudra beaucoup de sérénité pour démêler cette question complexe.

Dès 2005, j’ai appelé l’attention de l’Assemblée sur les conditions de la privatisation, notamment sur certains faits plus que suspects. Le 9 juin 2011, le groupe SRC a déposé une proposition de résolution similaire, mais l’Assemblée n’a pas eu le temps d’en débattre. Aujourd’hui les membres du groupe RRDP réitèrent cette proposition, considérant que la situation actuelle était en germe dans les conditions dans lesquelles a été effectuée la privatisation de la SNCM.

Je voudrais rappeler les faits en quelques mots. Lorsque, en 2005, l’État a engagé la privatisation de la SNCM, société jusqu’alors publique, la procédure retenue a été la vente de gré à gré. Après diverses péripéties, le projet finalement élaboré prévoyait l’entrée au capital du fonds d’investissement Butler Capital Partners (BCP) pour 38 %, de la société Connex, devenue depuis Veolia Transdev, pour 28 %, le maintien de l’État à hauteur de 25 %, et enfin l’attribution d’actions au personnel, pour 9 %. La vente de l’entreprise a ensuite été autorisée par le décret n° 2006-606 du 26 mai 2006. Le conseil d’administration a entériné le transfert de capital le 31 mai 2006.

En novembre 2008, BCP a annoncé la cession de ses parts à Veolia Transdev, pour un montant de 73 millions d’euros, réalisant au passage une plus-value de 60 millions d’euros. J’avais prévu dès 2005 que BCP réaliserait une plus-value sans rien apporter à la SNCM qui la justifierait.

Si l’on avait privilégié une procédure plus ouverte que la vente de gré à gré, si l’on avait considéré d’autres offres que celle du fonds d’investissement, si l’on avait associé à la procédure la collectivité territoriale de Corse, responsable de la continuité territoriale et donc de la définition de la future délégation de service public, les conditions de privatisation de la SNCM auraient été plus favorables pour l’État, la gestion industrielle de la SNCM aurait été meilleure depuis cette date, et l’on aurait mieux anticipé les décisions des instances de l’Union européenne. Bref, une procédure de vente menée autrement aurait permis à la SNCM d’éviter la situation dangereuse qu’elle connaît aujourd’hui. La commission d’enquête dont nous proposons la création doit permettre d’éclairer ces points et de tirer les leçons de cette expérience, loin de toute polémique partisane ou de volonté d’accuser qui que ce soit.

Aux termes de l’article 140 du Règlement, « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente. Celle-ci vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies et se prononce sur son opportunité. » Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ». L’article 137 du Règlement ajoute que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

L’objet désigné par le titre de la commission d’enquête demandée est parfaitement précis. Il ne peut s’agir d’autre chose que de recueillir des informations sur les éléments constitutifs d’une décision unique, la décision de privatisation de la SNCM, décision engageant l’avenir d’une société nationale, et les conditions dans lesquelles cette décision a été finalement formulée.

La proposition de résolution paraît donc parfaitement recevable au regard des dispositions de l’ordonnance n° 58-1100 et de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, la présente proposition de résolution ne tombe pas sous le coup de l’article 138 du Règlement, selon lequel « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

Enfin, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 interdit la création d’une commission d’enquête dont les travaux porteraient « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Saisie par M. le président de l’Assemblée nationale, Mme la garde des sceaux a répondu le 3 juin qu’aucune poursuite judiciaire n’avait été engagée sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition.

À ce jour, la proposition de résolution répond donc aux conditions de recevabilité imposées par les textes.

Le choix de revendre la SNCM à un fonds d’investissement n’ayant aucune compétence, aucune expérience d’aucune sorte dans le domaine du transport maritime, qui n’a absolument rien apporté à la société, et a récupéré en la revendant quelques mois plus tard une plus-value de 60 millions d’euros, suffirait à établir l’opportunité de créer une commission d’enquête.

Autre fait particulièrement choquant, la cession à CMA CGM d’une participation de la SNCM dans l’entreprise Sud-Cargo s’est faite à un prix anormalement bas.

Par ailleurs, ce sont les deux conditions posées par le repreneur de la SNCM, à savoir l’attribution d’aides d’État et l’inclusion dans la délégation de service public du service complémentaire, qui valent aujourd’hui à la SNCM d’être menacée par l’Union européenne d’une charge de remboursement de 450 millions d’euros.

On doit également se demander pourquoi le Parlement, qui représente le peuple actionnaire de la SNCM, n’a été à aucun moment consulté ou même simplement informé sur cette vente, sinon à travers mes questions au Gouvernement.

En outre, la plus-value réalisée en quelques mois par BCP prouve que la société n’avait pas été estimée à sa juste valeur.

Enfin, l’exposé des motifs souligne le contexte médiatique volontairement défavorable dans lequel a été lancée la privatisation.

Ainsi, la proposition de résolution présentée est juridiquement recevable. La situation de la SNCM, ainsi que le rôle des conditions de sa privatisation dans cette situation, justifient pleinement un véritable travail d’analyse, transparent, public et contradictoire pour éclairer la représentation nationale sur ces conditions.

« On a beau faire, la vérité s’échappe et perce toujours les ténèbres qui l’environnent » disait Montesquieu. Je pense cependant, loin de tout esprit polémique, qu’il est temps de faire le point sur cette affaire.

M. Camille de Rocca Serra. L’État a toujours été un très mauvais actionnaire de la SNCM. Seules la situation de monopole et les subventions qui lui étaient octroyées au titre de la continuité territoriale permettaient de maintenir à flot une entreprise qui n’a jamais consenti les efforts de structuration nécessaires ni fait preuve d’ambition de développement au-delà de la Corse, qui était pour elle un « territoire captif ». La situation de la SNCM était devenue critique quand la décision de privatisation est intervenue. Bruxelles n’acceptant plus de recapitalisation, restait la solution de l’ouverture du capital. C’est pourquoi la décision de privatisation totale a surpris la collectivité territoriale de Corse, qui a été placée devant le fait accompli et a dû en gérer les conséquences.

Je voudrais préciser que le service complémentaire n’a pas été créé à ce moment-là. Cette aberration avait pour fonction de préserver la paix sociale en maintenant l’emploi à Marseille et, dans une bien moindre mesure, en Corse. En réalité, il s’agit d’un faux « service public d’été », et Bruxelles l’a condamné à juste titre. Pour compenser, une aide sociale au passager transporté était octroyée aux lignes maritimes entre Toulon, ou Nice et la Corse. C’est pourquoi je m’étonne que le Gouvernement ait déclaré, par la voix de Mme Batho, qu’il ferait tout pour intégrer le service complémentaire dans la délégation de service public.

Il est vrai que nous subissons aujourd’hui une situation qui peut paraître anormale. Pour ma part, j’étais partisan d’une simple ouverture du capital et de la recherche d’un partenaire dans le secteur des transports. Il faut reconnaître cependant qu’aucun grand opérateur de transport ne s’était porté candidat à la reprise de la SNCM – mais peut-être avait-on tout fait pour les dissuader.

S’il doit y avoir une commission d’enquête, qu’elle se fasse sereinement, en tenant compte du climat politique et social. Je rappelle que la SNCM assure toujours une délégation de service public pour la desserte de la Corse au départ de Marseille.

M. Gaby Charroux. Notre groupe est favorable à la proposition de création d’une commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la SNCM. Sur les conditions de la privatisation de la SNCM, sur la condamnation de la SNCM par le tribunal européen à la suite d’une plainte de Corsica Ferries, qui fait peser sur la SNCM une menace de remboursement de 220 millions d’euros d’aides publiques, et sur l’instruction en cours sur les conditions de recapitalisation, je partage les analyses du rapporteur. Mais l’utilisation de fonds publics par Corsica Ferries pose également question. Je rappelle que cette compagnie a été condamnée en mai 2004 pour dégazage illégal d’un Mega Express au large du Cap Corse.

Par ailleurs, le gel de la revalorisation de la dotation de l’office des transports de la Corse depuis 2009, alors que le prix des carburants a plus que doublé, est aussi une cause des difficultés rencontrées par la SNCM.

Enfin, seule l’offre de la SNCM pour la délégation de service public a été considérée comme acceptable sur le plan technique. C’est son volet financier qui a été retoqué, permettant à Corsica Ferries de « revenir dans la danse ».

Vous n’êtes pas sans savoir qu’un préavis de grève de vingt-quatre heures reconductibles à partir du 27 juin 2013 a été déposé – la date n’est pas choisie au hasard, puisque le Tour de France doit s’élancer de Porto-Vecchio le 29 juin. Dans ces conditions, ne serait-il pas opportun d’étendre l’objet de la commission d’enquête à l’examen de l’utilisation des aides apportées par l’État au titre de la continuité territoriale et de l’utilisation des fonds publics par la compagnie Corsica Ferries ? Je rappelle que, en janvier 2010, notre groupe avait déposé une proposition de résolution tendant à cette fin, mais qui n’avait pas été retenue.

M. Dominique Lefebvre. Le groupe SRC n’a pas changé de position depuis sa proposition de création d’une commission d’enquête en 2011 et soutient donc cette proposition de résolution qui, selon nous, ne pose aucun problème de recevabilité et qui est imposée par une exigence de transparence.

À la différence de l’orateur précédent, je partage votre souhait, monsieur le rapporteur, que l’objet de cette commission d’enquête soit strictement limité aux conditions de la privatisation de la SNCM. En effet, si les difficultés actuelles de la SNCM sont loin d’être réglées et si son avenir est loin d’être assuré, il ne faut pas confondre les rôles et les responsabilités.

Le contexte est marqué d’abord par les décisions européennes, qui pourraient coûter 450 millions d’euros à une entreprise dont le chiffre d’affaires est de 250 millions d’euros et dont l’EBIDTA est nul. Ce fait justifie à lui seul qu’on s’interroge sur les conditions de privatisation et de recapitalisation de la SNCM et sur l’utilisation des aides publiques.

Il faudra également veiller à la défense des intérêts nationaux dans le cadre de cette commission d’enquête. À ma connaissance, en effet, le Gouvernement et l’entreprise contestent la décision du Tribunal de l’Union européenne de qualifier d’illégales les aides octroyées à la SNCM soit dans le cadre de la privatisation-recapitalisation, soit au titre de la délégation de service public.

Au regard de ce contexte mouvant, la proposition de notre collègue du groupe GDR d’élargir le champ de l’enquête n’est pas de nature à nous permettre de faire rapidement la lumière sur cette affaire.

Par ailleurs, la privatisation n’a pas été totale, puisque l’État détient encore 25 % du capital de la SNCM. La puissance publique est donc impliquée dans l’avenir de l’entreprise.

Il est d’autant plus légitime de faire la lumière sur toute cette affaire que des acteurs privés ont réalisé des plus-values alors que la viabilité de la SNCM n’est pas garantie.

Ce sont autant de raisons pour lesquelles nous soutenons la création d’une telle commission d’enquête, à la condition que son champ d’investigation soit parfaitement délimité et circonscrit aux conditions de la privatisation.

M. le rapporteur. Vous avez opportunément rappelé, monsieur de Rocca Serra, que la collectivité locale avait subi la décision de privatisation sans y être à aucun moment associée. Il est vrai que le service complémentaire existait avant la privatisation, mais sa prolongation était une des conditions imposées par le repreneur. Vous en avez aussi donné une excellente définition en parlant d’un « faux service public d’été ». Quant au mécanisme d’aide sociale, il était indirectement une des conditions de la privatisation.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Lefebvre, sur la nécessité d’une définition stricte du champ de nos investigations. Il s’agit d’enquêter sur ce qui a rendu possible la situation actuelle ; notre but n’est pas d’engager une réflexion sur la politique qu’il faudrait mener.

Je voudrais enfin dire que l’intérêt d’une telle commission d’enquête dépassera le cas particulier de cette affaire, car elle doit nous permettre d’éclairer nos décisions futures.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

Article unique

La Commission est saisie de l’amendement rédactionnel CF 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à rétablir dans l’intitulé de la commission d’enquête la raison sociale précise de la SNCM : Société nationale maritime Corse Méditerranée.

La Commission adopte l’amendement.

TITRE

La Commission adopte l’amendement de conséquence CF 2 du rapporteur.

Elle adopte ensuite la proposition de résolution modifiée.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de la proposition de résolution

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Texte adopté par la Commission

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PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LES CONDITIONS DE PRIVATISATION DE LA
SOCIÉTÉ NATIONALE CORSE MÉDITERRANÉE (SNCM).

Article unique

PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LES CONDITIONS DE PRIVATISATION DE LA
SOCIÉTÉ NATIONALE MARITIME CORSE MÉDITERRANÉE (SNCM).

(Amendement CF-2)

Article unique

Conformément aux articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur les conditions de la privatisation de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM).

Conformément aux articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur les conditions de la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM).

 

(Amendement CF-1)

   

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement CF1 présenté par M. Paul Giacobbi, rapporteur au nom de la commission des Finances :

Article unique

Après les mots : « société nationale », insérer le mot : « maritime ».

Amendement CF2 présenté par M. Paul Giacobbi, rapporteur au nom de la commission des Finances :

Titre

Après les mots : « société nationale », insérer le mot : « maritime ».

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