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N
° 2014

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2014

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 1988) DE MME MARIETTA KARAMANLI, sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice,

PAR Mme Marietta KARAMANLI,

Députée.

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LE BILAN CONTRASTÉ DU PROGRAMME DE STOCKHOLM 6

II. DONNER UNE NOUVELLE IMPULSION À L’ÉDIFICATION DE L’ESPACE DE LIBERTÉ, DE SÉCURITÉ ET DE JUSTICE 9

EXAMEN EN COMMISSION 11

TABLEAU COMPARATIF 17

Mesdames, Messieurs,

La Commission est aujourd’hui saisie, en application de l’article 88-4 du Règlement de l’Assemblée nationale, de la proposition de résolution européenne sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (1), que votre rapporteure a déposée le 28 mai 2014 au nom de la commission des Affaires européennes de notre assemblée.

Prenant la suite des programmes de Tampere (1999-2004) et de La Haye (2005-2009), le programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen du 11 décembre 2009, avait assigné à l’espace de liberté, de sécurité et de justice des objectifs ambitieux pour la période 2010 à 2014. Ce programme arrivant désormais à son terme, le prochain Conseil européen, lors de sa réunion des 26 et 27 juin 2014, devra définir les futures orientations stratégiques en matière de justice et d’affaires intérieures et adopter le nouveau programme pluriannuel pour les années 2015 à 2019.

Les travaux en cours en vue de procéder à l’élaboration de ce nouveau programme de travail s’inscrivent dorénavant dans le cadre du Traité de Lisbonne qui fait du renforcement de cet espace l’un des objectifs fondamentaux de l’Union européenne. En effet, aux termes de l’article 68 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), « le Conseil européen définit les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice ». C’est dans ce cadre que s’inscrit la proposition de résolution européenne adoptée le 28 mai 2014 par la commission des Affaires européennes et soumise à votre Commission.

Dans cette perspective, le présent rapport vise à présenter, de manière synthétique, le programme de Stockholm et le bilan susceptible d’en être fait après quatre années de mise en œuvre – votre rapporteure renvoie, pour plus de détails, au rapport d’information (2) qu’elle a présenté au nom de la commission des Affaires européennes. La question des principales priorités qui devront figurer dans le prochain programme pluriannuel pour 2015-2019 fera ensuite l’objet d’une attention particulière.

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* *

I. LE BILAN CONTRASTÉ DU PROGRAMME DE STOCKHOLM

Le programme de Stockholm, baptisé « Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens », a fixé les priorités de l’Union européenne en matière de justice, de liberté et de sécurité pour les années 2010 à 2014. Il a été adopté dans le cadre nouvellement défini par le traité de Lisbonne, lequel a fait évoluer les dispositions des traités en matière de justice et d’affaires intérieures avec, en particulier, la force juridique contraignante conférée à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la généralisation de la majorité qualifiée, le rôle de co-législateur du Parlement européen, la place renforcée des parlements nationaux ou bien encore la possibilité d’instituer un Parquet européen.

Dès l’origine, le programme de Stockholm a reposé sur des priorités relativement larges, que sont :

—  la promotion de la citoyenneté et de la participation à la vie démocratique de l’Union ainsi que la garantie des libertés et droits fondamentaux, comme le droit à la protection des données personnelles, le droit à la libre circulation et la lutte contre le racisme et la xénophobie ;

—  l’Europe du droit et de la justice, avec la perspective de la création d’un espace judiciaire européen, facilitant l’accès des citoyens à la justice et reposant sur une coopération judiciaire pénale et civile renforcée ;

—  l’Europe qui protège, avec pour objectif l’élaboration d’une stratégie de sécurité intérieure de l’Union, en vue d’améliorer la protection des citoyens, la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme ;

—  l’accès à l’Europe à l’heure de la mondialisation, grâce au développement d’une gestion intégrée des frontières européennes et des politiques de visas, afin de garantir aux ressortissants des pays tiers un accès légal et efficace à l’Europe, tout en assurant la sécurité de son territoire ;

—  l’Europe faisant preuve de responsabilité et de solidarité et travaillant en partenariat en matière d’immigration et d’asile, grâce au développement d’une politique migratoire globale, répondant tant aux besoins des pays de l’Union qu’à ceux des migrants.

Sur la base de ces priorités, de nombreux textes ont été adoptés ou sont en voie de l’être que ce soit en matière d’asile, d’immigration, de lutte contre la criminalité ou de coopération judiciaire civile et pénale. Sans procéder à un recensement exhaustif de ces différents textes, votre rapporteure tient à souligner la création du bureau européen d’appui en matière d’asile (3), le renforcement de l’agence Frontex (4) en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, le renforcement d’Eurojust (5) et d’Europol (6) ainsi que la consolidation des droits procéduraux – en particulier à l’information (7) et d’accès à l’avocat (8) – en matière de coopération judiciaire pénale.

En dépit des nombreuses réformes adoptées ou engagées depuis 2010, votre rapporteure regrette que les résultats n’aient pas toujours été à la hauteur des ambitions initialement poursuivies par le programme de Stockholm et que beaucoup de progrès restent encore à accomplir.

Dans un rapport d’évaluation de 2013 sur la mise en œuvre du programme de Stockholm (9), la Commission « Libertés civiles, justice et affaires intérieures » du Parlement européen a notamment déploré le fait que l’espace de liberté, de sécurité et de justice se caractérisait par de nombreux déséquilibres en particulier :

« –  entre liberté et sécurité en raison du décalage entre les normes protectrices des individus et la pratique ainsi que du retard accumulé dans l’adoption des normes relatives à la protection des données personnelles ;

« –  entre justice et sécurité avec l’adoption d’une stratégie de sécurité intérieure contrastant avec l’absence d’un réel espace judiciaire européen ;

«   entre harmonisation et opérationnalisation en raison d’un déficit normatif alors que les agences et instruments politiques foisonnent ;

«   entre États membres dans le cadre d’un espace de liberté, de sécurité et de justice morcelé en raison du refus de prendre en considération la géopolitique dans le cas des États méditerranéens et de la volonté de certains États membres de pratiquer les « opt-out » ;

« –  entre la gestion de l’immigration légale qui stagne malgré ses faibles ambitions et la lutte contre l’immigration illégale en voie de progrès avec d’importants investissements programmés dans les bases de données ;

« –  entre les dimensions interne et externe des politiques européennes, le traité de Lisbonne n’ayant pas clarifié un paysage institutionnel qui reste complexe et conflictuel. »

Dans sa résolution adoptée le 2 avril 2014 sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm, le Parlement européen a appelé de ses vœux à une application davantage uniforme du droit de l’Union et à un recours subsidiaire aux dérogations et régimes spéciaux. Il a également souligné qu’en dépit des progrès réalisés, la mise en œuvre du chapitre relatif aux droits fondamentaux devait être renforcée. Il a également jugé que les objectifs du programme de Stockholm n’ont pas été atteints dans les domaines de la coopération judiciaire civile et de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, malgré l’adoption du règlement « Bruxelles I », du règlement relatif aux successions ainsi que du règlement « Rome III » (10), plusieurs propositions importantes étant encore attendues, notamment s’agissant des effets attachés aux actes d’état civil et de la directive sur le droit des sociétés.

Le Parlement européen a rappelé les progrès réalisés en matière de droits procéduraux des personnes suspectées dans le cadre d’une procédure pénale et a souligné la nécessité d’avancer sur les trois propositions déposées en matière d’aide juridictionnelle, de présomption d’innocence et de garanties en faveur des enfants. Il a aussi souhaité que soit de nouveau envisagée la définition de normes minimales en matière de détention préventive et de détention administrative et s’est félicité de la proposition de règlement relatif à la création d’un Parquet européen. En matière de sécurité intérieure enfin, le Parlement européen a appelé les États membres à intensifier leurs efforts dans la lutte contre la traite des êtres humains, qui touche en particulier les femmes.

Votre rapporteure regrette, pour sa part, qu’au-delà d’une approche souvent quantitative, il n’existe pas de véritable politique d’évaluation systématique des politiques menées en matière de liberté, de sécurité et de justice. Elle déplore également que les études d’impact accompagnant les propositions d’actes dans ces domaines soient insuffisantes et ne permettent pas de dresser un véritable état des lieux des dispositions existantes. À cet égard, votre rapporteure considère que la prise en compte, dans ces évaluations, des expériences des citoyens apporterait un éclairage important.

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* *

II. DONNER UNE NOUVELLE IMPULSION À L’ÉDIFICATION DE L’ESPACE DE LIBERTÉ, DE SÉCURITÉ ET DE JUSTICE

De ce bilan que votre rapporteure a souhaité faire du programme de Stockholm, il ne fait aujourd’hui nul doute que les priorités initialement affichées étaient trop larges et qu’un recentrage sur des priorités politiques claires est souhaitable. L’enjeu est celui de la construction d’un espace citoyen, aujourd’hui insuffisamment perceptible en raison d’un trop grand nombre de mesures, d’ailleurs parfois éloignées des préoccupations plus immédiates des citoyens de l’Union, mais dont l’édiction est nécessaire à la construction d’un véritable État de droit à l’échelle du continent.

Dans cette perspective, les points n° 1 et 2 de la proposition de résolution européenne soumise à votre Commission soulignent, d’une part, l’intérêt majeur qu’il y a désormais à définir des orientations stratégiques pour l’élaboration de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, d’autre part, la nécessité de recentrer ces orientations sur des priorités moins nombreuses et plus clairement définies qu’elles ne l’étaient dans le programme de Stockholm.

Par ailleurs, dans un contexte de crise profonde, la promotion et la défense des droits qui sont au cœur de la construction européenne constituent un impératif majeur. Par conséquent, le point n° 4 de la proposition de résolution européenne soumet l’élaboration et la mise en œuvre des politiques européennes en matière de liberté, de sécurité et de justice au plein respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

C’est d’ailleurs dans cette même perspective d’une meilleure protection des droits fondamentaux des citoyens européens que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) doit être rapidement finalisée et que les deux propositions de règlement et de directive en matière de protection des données à caractère personnel doivent être adoptées simultanément au plus tard en 2015. Cette position est réaffirmée aux points n° 5 et 6 de la proposition de résolution.

Votre rapporteure est également soucieuse, comme le souligne le point n° 7, d’une meilleure articulation des politiques tendant à l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice avec d’autres politiques sectorielles de l’Union européenne – politique extérieure de l’Union, emploi, protection des consommateurs, recherche et transports.

S’agissant de la politique migratoire, la proposition de résolution revient, à son point n° 8, sur la priorité que doivent être la mise en œuvre rapide et le suivi rigoureux des mesures législatives adoptées en matière de droit d’asile. Plus largement, elle salue la réalisation de l’espace de libre circulation sans frontières intérieures – plus connu sous le nom d’espace Schengen – et appelle à un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union ainsi que, dans le même temps, à une politique européenne régulatrice et plus ambitieuse en matière d’immigration légale.

S’agissant de la coopération judiciaire en matière pénale, les travaux en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme doivent se poursuivre de manière déterminée, rendant nécessaire un renforcement de la coopération opérationnelle entre les services répressifs des États membres, comme le précise le point n° 11 de la proposition de résolution.

De manière plus générale, il est impératif, comme le souligne le point n° 12 de la proposition de résolution, de renforcer la reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire et de développer les coopérations concrètes, l’échange de bonnes pratiques et les formations européennes des magistrats et des professionnels du droit. Les droits procéduraux doivent également faire l’objet d’une attention particulière. Le point n° 13 fait, à cet égard, de l’aboutissement des propositions de directive déposées en matière de droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies une priorité.

La coopération judiciaire en matière pénale doit également permettre à l’Union européenne de porter des projets ambitieux au service d’une plus grande intégration européenne. Votre Commission a, à cet égard, soutenu de manière constante la création d’un Parquet européen (11), dont le fonctionnement devra être collégial et dont les compétences devront être étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme l’indique le point n° 14 de la proposition de résolution.

Enfin, l’importance de la confiance mutuelle, de la clarification et de l’harmonisation des règles de conflits de lois pour faciliter la vie quotidienne des citoyens doit être mise en avant, en saluant notamment les progrès récemment accomplis en matière de coopération judiciaire en matière civile, qu’il s’agisse du droit des régimes matrimoniaux ou bien encore du droit des successions. C’est le vœu exprimé par le point 15 de la proposition de résolution.

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* *

En conclusion, si le bilan des mesures adoptées ces dernières années dans le cadre du programme de Stockholm est important, votre rapporteure est convaincue que la réussite du prochain programme pluriannuel exige d’en recentrer plus clairement les objectifs, tout en plaçant le citoyen au cœur de sa stratégie.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 11 mai 2014, la Commission examine, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli, la proposition de résolution européenne sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (n° 1988).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Notre réunion de commission va porter exclusivement sur les questions européennes avec l’examen d’une proposition de résolution européenne présentée par Mme Marietta Karamanli consacrée aux orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Il s’agit de la suite du programme de Stockholm pour les années qui viennent. Ces orientations concernent particulièrement notre Commission puisque c’est à partir de ces grandes lignes que seront ensuite pris les règlements ou les directives dans les domaines des libertés, de la sécurité et de la justice.

L’adoption de cette résolution aujourd’hui par notre Commission permettra qu’elle devienne définitive le 26 juin prochain au moment où se tiendra le prochain Conseil européen.

M. Guy Geoffroy qui assure la veille européenne au sein de notre Commission avec Mme Marietta Karamanli va, quant à lui, faire un point sur la protection des données personnelles. Ce sujet a beaucoup occupé la commission des Lois en particulier lors de la dernière législature avec une mission d’information conduite par M. Jean-Luc Warsmann qui avait abouti à une réunion et à une déclaration communes avec les députés allemands.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Le programme de Stockholm, qui établissait les priorités de l’Union européenne dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-2014, arrivant à son terme, il reviendra au prochain Conseil européen, lors de sa réunion des 26 et 27 juin prochains, de définir les futures orientations stratégiques en la matière pour les années 2015 à 2019. La proposition de résolution européenne que j’ai déposée, le 28 mai dernier, au nom de la commission des Affaires européennes, doit nous permettre d’indiquer au Conseil européen notre souhait que les priorités du prochain programme pluriannuel soient ambitieuses et que le citoyen soit au cœur de cette stratégie.

Je dresserai d’abord un bilan succinct du programme de Stockholm, vous renvoyant pour un exposé plus détaillé au rapport d’information que j’ai consacré à ce sujet au nom de la commission des Affaires européennes. J’aborderai ensuite la question des priorités qui devraient figurer dans le prochain programme pluriannuel et qui sont l’objet de la proposition de résolution européenne qui vous est soumise. Les travaux en cours en vue de procéder à l’élaboration de ce nouveau programme de travail s’inscrivent dorénavant dans le cadre du traité de Lisbonne, qui fait du renforcement de cet espace l’un des objectifs fondamentaux de l’Union européenne. En effet, aux termes de l’article 68 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Le Conseil européen définit les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Le programme de Stockholm était axé sur des priorités relativement larges : promotion de la citoyenneté et des droits fondamentaux, Europe du droit et de la justice, Europe qui protège, accès à l’Europe et rôle de celle-ci à l’heure de la mondialisation ; était également mise en avant la nécessité pour l’Europe de faire preuve de responsabilité et de solidarité et de travailler en partenariat en matière d’immigration et d’asile. L’étendue de ces priorités n’a pas dû faciliter leur mise en œuvre concrète.

Certes, beaucoup de textes ont été adoptés depuis 2009, que ce soit en matière d’asile, d’immigration, de lutte contre la criminalité ou de coopération judiciaire civile et pénale. On notera ainsi l’adoption du paquet « Asile », le renforcement d’Eurojust et d’Europol ainsi que la consolidation des droits procéduraux, en particulier le droit à l’information et le droit d’accès à l’avocat en matière pénale.

Cependant, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions initialement poursuivies par le programme de Stockholm et beaucoup de progrès restent encore à accomplir. Un rapport d’évaluation de la mise en œuvre du programme de Stockholm de 2013, établi à l’initiative de la Commission « Libertés civiles, justice et affaires intérieures » (LIBE) du Parlement européen, a relevé que l’espace de liberté, de sécurité et de justice se caractérisait par de nombreux déséquilibres : entre liberté et sécurité, en raison du décalage entre les normes protectrices des individus ainsi que la pratique et du retard accumulé dans l’adoption des normes relatives à la protection des données personnelles ; entre justice et sécurité, l’adoption d’une stratégie de sécurité intérieure contrastant avec l’absence d’un réel espace judiciaire européen ; déséquilibres entre États membres enfin, l’espace de liberté, de sécurité et de justice se trouvant morcelé en raison du refus de prendre en considération la géopolitique dans le cas des États méditerranéens et de la volonté de certains pays de mettre en œuvre les « opt-out ». Dans sa résolution du 2 avril 2014 sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm, le Parlement européen a d’ailleurs rappelé que le droit de l’Union européenne devrait être appliqué de manière uniforme et que les dérogations et régimes spéciaux devraient être évités.

Il convient également de regretter l’absence, au-delà d’une approche souvent quantitative, d’une politique d’évaluation systématique des politiques menées pour renforcer l’espace de liberté, de sécurité et de justice. On peut aussi regretter que les études d’impact qui accompagnent les propositions d’actes soient parfois insuffisantes pour dresser un véritable état des lieux des dispositions existantes. Ces évaluations devraient par ailleurs tenir compte des expériences des citoyens.

Préparer l’après-Stockholm suppose donc de recentrer les priorités du prochain programme pluriannuel et de donner une nouvelle impulsion à l’édification d’un espace de liberté, de sécurité et de justice

Il ne fait aucun doute qu’un recentrage sur des priorités politiques claires est aujourd’hui souhaitable. Il s’agit de rendre ces orientations plus visibles. L’enjeu de l’édification d’un espace citoyen est aujourd’hui occulté par le grand nombre de mesures qui apparaissent parfois lointaines par rapport à des préoccupations plus immédiates mais qui contribuent réellement à l’existence d’un État de droit efficace pour tous. C’est pourquoi la proposition de résolution souligne dans ses deux premiers points, d’une part, l’intérêt majeur de la définition d’orientations stratégiques pour l’élaboration de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, d’autre part, la nécessité de recentrer ces orientations sur des priorités moins nombreuses et plus clairement définies qu’elles ne l’étaient dans le programme de Stockholm.

Dans un contexte de crise profonde, la promotion et la défense des droits qui sont au cœur de la construction européenne sont impératives. Dans cette perspective, le point n° 4 de la proposition de résolution européenne rappelle que l’élaboration et la mise en œuvre des politiques européennes en matière de liberté, de sécurité et de justice sont soumises au respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

C’est d’ailleurs dans cette même perspective d’une meilleure protection des droits fondamentaux des citoyens européens que l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la CEDH, doit être rapidement finalisée et que les deux propositions de règlement et de directive en matière de protection des données à caractère personnel doivent faire l’objet d’une adoption simultanée au plus tard en 2015. Cette position est réaffirmée aux points n° 5 et n° 6 de la proposition de résolution.

Le point n° 7 insiste sur le fait que les politiques tendant à l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice doivent faire l’objet d’une meilleure articulation avec d’autres politiques sectorielles de l’Union, notamment la politique extérieure de l’Union, la politique de l’emploi, la protection des consommateurs, la politique de recherche ou celle des transports.

S’agissant de la politique migratoire, la proposition de résolution demande, dans son point n° 8, que la priorité soit donnée à la mise en œuvre rapide et au suivi rigoureux des mesures législatives adoptées en matière de droit d’asile. Plus largement, elle salue l’édification d’un espace de libre circulation sans frontières intérieures, plus connu sous le nom d’espace Schengen. Si l’apport que l’immigration légale représente pour les sociétés européennes doit être rappelé, la nécessité d’une politique européenne régulatrice et plus ambitieuse en la matière doit être aussi mieux affirmée. Dans cette perspective, les huitième et neuvième points de la proposition de résolution européenne appellent à un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union et, dans le même temps, à une politique européenne régulatrice et plus ambitieuse en matière d’immigration légale.

Certaines mesures sortent du seul champ de la mobilité des personnes et touchent des sujets très divers : intégration volontariste garantissant les droits des migrants, question de la concurrence salariale au sein des pays de l’Union ou encore politiques de coopération avec les pays tiers connaissant une émigration économique.

S’agissant de la coopération judiciaire en matière pénale, les travaux en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme doivent être poursuivis avec détermination et la coopération opérationnelle entre les services répressifs des États membres doit être renforcée, comme le précise le point n° 11 de la proposition de résolution.

De manière plus générale, il est impératif de renforcer la reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire et de développer les coopérations concrètes, l’échange de bonnes pratiques et les formations européennes des magistrats et des professionnels du droit. C’est ce à quoi appelle le point n° 12 de la proposition de résolution.

Les droits procéduraux doivent également faire l’objet d’une attention particulière. À cet égard, le point n° 13 fait de l’aboutissement des négociations relatives aux propositions de directive déposées en matière de droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies une priorité.

La coopération judiciaire en matière pénale doit également permettre à l’Union de porter des projets ambitieux au service d’une plus grande intégration européenne. Je vous rappelle à cet égard, mes chers collègues, le soutien constant de l’Assemblée nationale, en particulier de notre Commission, à la création d’un Parquet européen, dont le fonctionnement serait collégial et dont les compétences devraient être étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme le précise à bon droit le point n° 14 de la proposition de résolution.

Enfin, celle-ci souligne, dans son point n° 15, l’importance de la confiance mutuelle, de la clarification et de l’harmonisation des règles de conflits de lois pour faciliter la vie quotidienne des citoyens, saluant notamment les progrès récemment accomplis par la coopération judiciaire en matière civile, qu’il s’agisse du droit des régimes matrimoniaux ou du droit des successions.

En conclusion, si le bilan des mesures adoptées dans le cadre du programme de Stockholm est loin d’être négligeable, ce programme pluriannuel est souvent apparu comme un « catalogue » de mesures aux priorités excessivement larges. Le choix de ne pas concentrer les efforts sur des thématiques clairement définies a pu être source de déception. C’est pourquoi il est nécessaire de resserrer les objectifs du prochain programme pluriannuel sur les termes du traité. Des priorités transversales, telles que la transposition rapide des nombreux textes adoptés en application du précédent programme, une meilleure formation des acteurs ainsi qu’une coopération accrue doivent également être défendues.

M. François Vannson. La réaffirmation de notre soutien à la création d’un Parquet européen est un point essentiel de votre proposition de résolution. Existe-t-il un calendrier de mise en œuvre d’un tel projet et est-il possible de savoir quand ce Parquet sera créé ?

M. Alain Tourret. D’une façon générale, en l’absence de précision quant à leur délai de mise en œuvre, les vingt-deux points de la proposition de résolution risquent de rester à l’état de vœux pieux. L’emploi de verbes tels qu’« estimer », « souhaiter », « juger », etc., dans la proposition de résolution, peut le laisser craindre à moins qu’il s’agisse de la forme habituelle de tels textes.

Mme la rapporteure. Ce sont en effet les termes habituellement utilisés dans les résolutions.

S’agissant du calendrier, nous avons voulu que notre assemblée puisse indiquer au Conseil européen les orientations qu’elle souhaitait pour l’élaboration du nouveau programme pluriannuel pour l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, avant la réunion du Conseil des 26 et 27 juin prochains, qui devra se pencher sur la définition de ces orientations stratégiques. Nous recommandons notamment au Conseil que ce futur programme, qui couvrira la période 2015-2019, se concentre sur la mise en œuvre des mesures décidées au cours du programme précédent.

Pour le reste, nous ne sommes pas maîtres du calendrier. C’est à la Commission européenne que reviendra de fixer, avec le Conseil européen, la date de mise en œuvre de ces mesures. C’est pourquoi il était important de signaler dès maintenant au Conseil les orientations qui nous semblent prioritaires.

S’agissant en particulier du projet de Parquet européen, c’est la Commission européenne qui définira le calendrier de sa mise en œuvre. À ce stade, je peux simplement vous indiquer les initiatives émanant des parlements nationaux en ce domaine. Une initiative commune aux Parlements des États membres est notamment prévue fin septembre, afin de nous permettre d’avancer sur les questions prioritaires que sont l’institution d’un Parquet européen et de la protection des données personnelles.

La Commission adopte la proposition de résolution européenne sans modification.

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* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution européenne sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice dont le texte figure dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de la proposition de résolution

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Texte adopté par la commission

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Proposition de résolution sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice

Proposition de résolution sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice

Article unique

Article unique

L'Assemblée nationale,

(Sans modification)

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

 

Vu l’article 3 du Traité sur l’Union européenne,

 

Vu l’article 68 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

 

Vu le programme de Stockholm Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens (Journal officiel C 115 du 4 mai 2010),

 

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions Faire de l'Europe ouverte et sûre une réalité (COM[2014]154 final),

 

Vu la résolution du Parlement européen du 2 avril 2014 sur l'examen à mi-parcours du programme de Stockholm (P7_TA(2014)0276),

 

1. Souligne l’intérêt majeur de la définition d’orientations stratégiques pour la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice ;

 

2. Souhaite que les orientations stratégiques du prochain programme pluriannuel soient ambitieuses et estime qu’elles devraient être recentrées sur des priorités moins nombreuses et plus clairement définies qu’elles ne l’étaient dans le programme de Stockholm précité;

 

3. Juge que les orientations stratégiques devraient mieux prendre en compte les attentes et les besoins des citoyens européens ;

 

4. Rappelle que les politiques européennes doivent garantir le plein respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les traités précités et que, dans un contexte de crise profonde, la promotion et la défense des droits qui sont au cœur de la construction européenne sont impératives ;

 

5. Souhaite que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales soit finalisée ;

 

6. Juge essentiel, afin d’offrir un cadre juridique complet assurant un haut niveau de protection des données à caractère personnel, d’aboutir au plus tard en 2015 à une adoption simultanée de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (COM[2012] 011 final) et de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données (COM[2012] 010 final) ;

 

7. Estime que les politiques tendant à l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice devraient faire l’objet d’une meilleure articulation avec d’autres politiques sectorielles de l’Union avec lesquelles des synergies sont possibles ;

 

8. Demande que la mise en œuvre rapide des mesures législatives adoptées, notamment en matière de droit d’asile et de coopération judiciaire pénale, constitue une priorité et fasse l’objet d’un suivi rigoureux ;

 

9.Rappelle que l’espace de libre circulation sans frontières intérieures constitue l’une des principales réalisations européennes. Le fonctionnement de l’espace Schengen doit encore être amélioré et assorti d’un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union ;

 

10. Souligne l’apport que représente l’immigration légale pour les sociétés européennes ainsi que la nécessité d’une politique européenne régulatrice plus ambitieuse en la matière ;

 

11. Estime que la poursuite des travaux en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme doit être déterminée, que la coopération opérationnelle entre les services répressifs des États membres doit être renforcée et que la pleine mise en œuvre des systèmes d’échanges d’informations existants doit intervenir rapidement ;

 

12. Appelle au renforcement de la reconnaissance mutuelle et de la confiance mutuelle en matière de coopération judiciaire et souligne la nécessité de développer les coopérations concrètes, l’échange des bonnes pratiques ainsi que les formations européennes des magistrats et des professionnels du droit ;

 

13. Souhaite que l’aboutissement des négociations relatives aux propositions de directive déposées en matière de droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales constitue une priorité. Les aspects opérationnels et liés au financement de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l’aide juridictionnelle provisoire pour les suspects et les personnes poursuivies privés de liberté, ainsi que l’aide juridictionnelle dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen (COM[2013]824 final), doivent être discutés au niveau des organes politiques de l’Union afin de garantir l’effectivité des droits ;

 

14. Rappelle son soutien constant à la création d’un Parquet européen, indispensable pour renforcer la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et la délinquance financière au détriment de l’Union européenne, qui devrait être de forme collégiale et dont les compétences devraient être étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière;

 

15. Souligne l’importance de la confiance mutuelle, de la clarification et de l’harmonisation des règles de conflits de lois pour faciliter la vie quotidienne des citoyens, saluant notamment les progrès récemment accomplis en matière de droit des régimes matrimoniaux et de droit des successions.

 
© Assemblée nationale

1 () Proposition de résolution européenne (n° 1988, XIVe législature), présentée le 28 mai 2014 au nom de la commission des Affaires européennes par Mme Marietta Karamanli, députée, sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

2 () Rapport d’information (n° 1987, XIVe législature), présenté le 28 mai 2014 au nom de la commission des Affaires européennes par Mme Marietta Karamanli, sur le prochain programme pluriannuel pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

3 () Règlement (UE) n° 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 portant création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile.

4 () Règlement (UE) n° 1168/2011 du 25 octobre 2011 modifiant le règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne.

5 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, du 17 juillet 2013, relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) (COM(2013) 535 final.

6 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération et la formation des services répressifs (Europol) et abrogeant les décisions 2009/371/JAI et 2005/681/JAI (COM[2013] 173).

7 () Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales.

8 () Directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires.

9 () Vers la négociation et l’adoption du programme succédant à Stockholm pour la période 2015-2019, M. Henri Labayle avec la collaboration de M. Philippe De Bruycker, Parlement européen, direction générale des politiques internes, 2013.

10 () Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ; règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen ; règlement (UE) no 1259/2010 du conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (Rome III).

11 () Rapport (n° 1796, XIVe législature), enregistré le 15 janvier 2014, fait au nom de la commission des Lois par Mme Marietta Karamanli, sur la proposition de résolution européenne (n° 1658) sur la proposition de règlement du conseil, du 17 juillet 2013, portant création du parquet européen.