Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF
Retour vers le dossier législatif


N
° 2416

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2014

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2389) DE M. 
NOËL MAMÈRE, MME BARBARA POMPILI, M. FRANÇOIS DE RUGY ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation,

PAR M. Sébastien PIETRASANTA,

Député.

——

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I.  LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION
DE RÉSOLUTION
6

II. L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE TELLE COMMISSION D’ENQUÊTE 8

EXAMEN EN COMMISSION 9

INTRODUCTION

MESDAMES, MESSIEURS

« La vocation première du maintien de l’ordre consiste à permettre le plein exercice des libertés publiques dans des conditions optimales de sécurité en particulier pour les personnes qui manifestent et les forces de l’ordre » (1).

Incontestablement, la période récente a été marquée par la récurrence d’échauffourées opposant, en marge ou à l’issue de manifestations, des individus plus ou moins violents aux forces de l’ordre. Les débordements qui ont accompagné les « manif pour tous », la célébration par les supporteurs du Paris Saint-Germain du titre de champion de France de football 2013, les rassemblements contre le projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les protestations des « bonnets rouges » contre l’écotaxe ou encore les mouvements de soutien au peuple palestinien en sont autant d’exemples. Très récemment, un jeune militant écologiste, Rémi Fraisse, est décédé lors d’affrontements entre les opposants à la construction du barrage de Sivens et les forces de gendarmerie mobile (2).

Ce drame a conduit les députés du groupe Écologiste à déposer, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation.

Conformément à l’article 140 du Règlement, il revient à la commission permanente compétente – en l’espèce la commission des Lois – de se prononcer sur la recevabilité juridique de la proposition de résolution (I) et sur l’opportunité de la création de cette commission d’enquête (II).

I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et du chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement de l’Assemblée nationale (voir l’encadré ci-dessous), la création d’une commission d’enquête, même lorsqu’elle est demandée par un groupe d’opposition ou minoritaire sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 141 de notre Règlement, est soumise à plusieurs conditions de recevabilité.

EXTRAITS DU RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1  Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2  L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1  Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

2  Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3  Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.

En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent, en application de l’article 137 dudit Règlement, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». Cet impératif est satisfait par l’intitulé de la commission d’enquête qui résulterait de l’adoption de la proposition de résolution déposée par les députés du groupe Écologiste. En effet, celle-ci serait relative aux missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation. L’objet de ses travaux – l’examen de la gestion du maintien de l’ordre par le service public de la sécurité intérieure, en l’occurrence par les unités de forces mobiles de la police et de la gendarmerie nationales – est donc établi avec une précision suffisante.

En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l’article 138 de notre Règlement, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». Tel n’est pas le cas ici ; la proposition de résolution remplit donc ce critère de recevabilité.

En troisième et dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l’article 139 du Règlement de notre assemblée, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose, quant à lui, que « si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de ce même article 139, Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, lui a fait savoir, dans un courrier du 27 novembre dernier, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée ne semblait pas recouvrir celui des procédures en cours ouvertes à la suite de différentes manifestations. La commission d’enquête devra bien entendu veiller, comme l’a rappelé la garde des Sceaux, à ne pas faire porter ses investigations sur « des aspects relevant de la compétence exclusive de l’institution judiciaire ».

II. L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE TELLE COMMISSION D’ENQUÊTE

La présente proposition de résolution a été déposée à la suite de la mort tragique de Rémi Fraisse, dans la nuit du 25 au 26 octobre dernier, lors d’affrontements entre les opposants à la construction du barrage de Sivens et les forces de gendarmerie mobile.

La légitimité de l’intérêt du Parlement pour les problématiques de sécurité publique et, notamment, du maintien de l’ordre, ne saurait être contestée. Votre commission des Lois avait d’ailleurs créé, le 22 octobre dernier, une mission d’information sur les forces mobiles de sécurité. Cependant, tirant les conséquences de l’inscription à l’ordre du jour de la séance publique de la présente proposition de résolution, ses rapporteurs, MM. Jean-Jacques Urvoas et Jean-Frédéric Poisson, ont fait le choix de mettre un terme à leurs travaux dans le but de ne pas multiplier les travaux concurrents sur un même sujet.

Votre rapporteur est convaincu que la doctrine du maintien de l’ordre appliquée dans notre pays est conforme aux principes républicains et que les conditions d’emploi de la force publique sont proportionnées aux menaces et exemptes de tout reproche.

Tout en s’interrogeant sur la véritable volonté du groupe Écologiste et sans vouloir croire que la création de cette commission d’enquête puisse répondre à des préoccupations politiques ou médiatiques, il propose à votre Commission d’adopter la présente proposition de résolution. La décision de votre Commission anticipera ainsi la modification du Règlement, adoptée par notre assemblée le 28 novembre dernier, qui supprime la possibilité de s’opposer à la création d’une commission d’enquête lorsqu’elle est demandée par un groupe d’opposition ou minoritaire sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 141 de notre Règlement (3).

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 3 décembre 2014, la Commission examine, sur le rapport de M. Sébastien Pietrasanta, la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation (n° 2389).

Après l’exposé de votre rapporteur, une discussion a lieu.

M. Jean-Frédéric Poisson. Notre rapporteur juge la proposition de résolution recevable ; les choses vont donc suivre leur cours, et c’est très bien ainsi.

Le titre de la proposition de résolution fait toutefois référence au « maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques ». Je crois comprendre que les signataires visent le respect par les forces de l’ordre des libertés publiques des opposants à des installations comme le barrage de Sivens. J’ai toutefois relevé deux éléments dans les propos du général Renault, chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale, venu hier nous présenter à votre initiative, monsieur le président, le rapport d’enquête administrative sur les événements de Sivens.

Premièrement, il y avait en réalité sur place deux types de manifestants, les uns pacifiques, les autres manifestement venus pour « esquinter » les forces de l’ordre, notamment par des pièges, des armes par destination et d’autres dispositifs illégaux, contraires à l’ordre public et aux libertés publiques. Ce problème sera-t-il traité par la commission d’enquête ? Cela me paraît très important.

Deuxièmement, selon le rapport d’enquête administrative, page 6, « les multiples séquences filmées, que les opposants diffusent sur internet, montrent comment leur stratégie de harcèlement s’accompagne d’une politique de communication active. Très tôt, les activistes vont empêcher voire interdire aux médias de travailler sur la zone afin de garder le monopole des images destinées au public. Les gendarmes constatent à plusieurs reprises des entraves au travail des journalistes (contrôle de ce qui est filmé ou photographié, violences verbales et physiques, restrictions de circulation, dégradations de matériel professionnel ou de véhicule). Un journaliste de BFMTV est molesté, des journalistes de France 3 subissent des violences physiques et la dégradation de leur véhicule. Seule une journaliste de M6 ose porter plainte pour la dégradation de sa voiture le 8 octobre. Au cours des affrontements les plus violents de fin août, septembre et fin octobre, les journalistes sont contraints pour leur sécurité de rester au sein du dispositif des forces de l’ordre et sont très souvent pris à partie verbalement, en particulier par des activistes cagoulés qui ne veulent pas être filmés. Après le décès de Rémi Fraisse, les médias classiques ne sont en possession que des seules images émanant des opposants au projet de retenue d’eau ». J’ai cité ce passage in extenso afin qu’il figure au compte rendu de notre réunion.

Ce paragraphe en témoigne, un certain nombre d’opposants au barrage a donc porté atteinte à une liberté publique fondamentale, garantie par notre Constitution : la liberté de la presse, la liberté pour les journalistes de recueillir l’information et de la diffuser auprès des Français et du Parlement.

Si le groupe UMP est favorable à l’application du droit de tirage du groupe Écologiste, il importe que le respect des libertés publiques mentionné dans le titre renvoie aussi à celui dont font preuve les manifestants.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. En effet, tous ceux qui ont lu le rapport ont été sensibles aux observations que vous citez, ainsi qu’à la précision selon laquelle les journalistes ne sont tolérés sur le site que deux heures par jour au maximum, à condition de porter un brassard pour être identifiés.

M. Paul Molac. Permettez-moi tout d’abord d’excuser Noël Mamère, qui ne peut être parmi nous ce matin.

La proposition de résolution trouve son origine dans les événements de Sivens, même s’il ne s’agit pas de refaire l’enquête judiciaire sur la mort de Rémi Fraisse. Celle-ci est la première mort d’un manifestant pacifique depuis plusieurs décennies. Il est logique que ce drame nous fasse nous poser des questions et que nous voulions veiller à ce qu’il ne se reproduise jamais plus.

En son temps, la mort de Malik Oussekine avait suscité les mêmes interrogations et conduit à une légère réforme de l’organisation des forces de l’ordre, impliquant notamment la dissolution des voltigeurs mobiles, ainsi qu’à la création d’une commission d’enquête sénatoriale intitulée « Événements de novembre et décembre 1986 : préparation, organisation, déroulement et présentation ».

Près de 30 000 agents sont exclusivement dédiés au maintien de l’ordre en France, ce qui est considérable. Garants de l’ordre public, ils sont, à ce titre, indispensables. Mais la mort de Rémi Fraisse doit nous faire réagir, d’autant qu’elle survient après des incidents graves. La nuit où elle a eu lieu, 42 grenades offensives ont été lancées. Les grenades offensives, qui n’étaient utilisées que par les gendarmes, ont ensuite été bannies ; cette réaction du ministre de l’intérieur est heureuse. Mais d’autres armes peuvent nous inciter à nous interroger. La nuit du 25 octobre, on a ainsi dénombré 74 tirs de flash-ball, dans l’obscurité, alors que ces armes peuvent, on le sait, provoquer des blessures très graves, en particulier au visage. Les différents cadres juridiques d’emploi des armes par les policiers et les gendarmes doivent être questionnés. On peut s’interroger sur le commandement : pour des raisons historiques, en France, le politique a conservé un rôle important dans la conduite des opérations policières, quand certains de nos voisins ont procédé à une séparation stricte. Ce problème du commandement et de l’utilisation des forces doit faire l’objet d’une attention particulière dans le cas de conflits de longue durée qui concernent par définition des « zones à défendre » : ceux de Notre-Dame-des-Landes et de Sivens durent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.

Pour les mêmes raisons historiques, le droit de manifester en France est strictement encadré et sa reconnaissance constitutionnelle fut tardive. À ce propos, monsieur Poisson, il va de soi que toutes les libertés fondamentales doivent être défendues, dont la liberté de la presse.

Nombreux sont donc les sujets concernés par la commission d’enquête dont notre groupe propose la création.

Je tiens à remercier le président Urvoas et M. Poisson de s’être montrés aussi conciliants en décidant de mettre fin à leur propre mission d’information sur les forces mobiles de sécurité.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous n’avons pas lu les mêmes chiffres. La commission d’enquête y retravaillera, mais j’avais pour ma part compris que 23 grenades offensives avaient été tirées dans la nuit. J’appelle en outre votre attention sur le fait que la gendarmerie n’est pas dotée de flash-balls, mais de lanceurs de balles de défense, ce qui n’est pas la même chose.

M. Alain Tourret. Chacun a entendu ce matin Noël Mamère déclarer à la radio qu’il ferait toute la lumière, en tant que président de la commission d’enquête, sur les événements de Sivens. N’est-ce pas en contradiction avec l’approche globale censée être celle de cette commission, et ne risque-t-on pas de se heurter par ailleurs aux procédures judiciaires en cours, d’autant que la Cour de justice de la République sera sans doute saisie également ? Cela contraste singulièrement en tout cas avec les propos tenus dans cette salle par M. Molac, qui est un collègue sympathique, et cela nécessite quelques éclaircissements. Je pense donc qu’il aurait été souhaitable que Noël Mamère s’exprime devant notre Commission.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Par formation et par conviction personnelle, je ne crois pas aux procédures qui viennent à point nommé, sous le couvert d’une apparente généralité, pour satisfaire certaines positions, essentiellement idéologiques. À mes yeux, cette proposition de résolution doit donc être abordée avec la plus grande méfiance intellectuelle.

Nous sommes tous attachés aux libertés publiques, mais elles ont parfois bon dos, et l’objet très large – « le maintien de l’ordre républicain » – que s’est donné la proposition de résolution pour ne pas paraître interférer avec des procédures en cours cache mal, selon moi, certaines visées particulières, notamment la volonté de remettre en cause la manière dont se sont déroulées les récentes opérations de maintien de l’ordre sur les lieux du barrage de Sivens. Or il y a tout lieu de penser aujourd’hui que ces opérations ont été menées de manière conforme à l’ordre républicain. Je suis donc très défavorable au contenu de cette proposition de résolution, à laquelle nous n’avons cependant pas le pouvoir de nous opposer.

M. Patrick Mennucci. Nous allons certes, pour les raisons indiquées par notre rapporteur, approuver la création de cette commission d’enquête, mais j’ai, comme Alain Tourret, entendu Noël Mamère ce matin dire exactement le contraire de ce que vient de nous rappeler le rapporteur, à savoir qu’une commission d’enquête ne peut porter sur des faits faisant l’objet d’une enquête judiciaire. Faut-il dès lors craindre un détournement des règles de l’Assemblée nationale ? Je souhaite que Noël Mamère s’explique sur cette question car il n’est pas possible de transformer cette commission en cabinet de juge d’instruction.

J’appelle par ailleurs votre attention sur le fait que les actions des « Black Blocs » et autres anarchistes auxquels nous sommes confrontés à Sivens ou à Nantes n’ont rien à voir avec ce que l’on appelle traditionnellement une manifestation, et qui consiste à voir défiler dans nos rues, de la place de la République ou du Vieux Port jusqu’à l’hôtel de ville ou la préfecture, des syndicalistes et des citoyens désireux de faire connaître leurs revendications. La manière dont sera assuré le maintien de l’ordre sera donc forcément différente selon que l’on a affaire à une manifestation de ce type ou à des individus qui investissent un territoire, maltraitent les journalistes et attaquent les entreprises mandatées pour travaillées sur le site.

M. Mamère doit savoir que, même si nous sommes contraints d’approuver la création de la commission d’enquête qu’il entend mettre en place, les membres du groupe SRC qui y siégeront n’ont pas l’intention d’accepter d’emblée l’idée que l’anarchie est partout chez elle dans le pays et qu’elle peut mettre à mal des projets structurants pour nos territoires.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous allons permettre la création de cette commission d’enquête, anticipant ainsi l’application du nouveau Règlement de l’Assemblée nationale, que nous avons adopté vendredi et qui fait que, à partir du 1er janvier prochain, personne ne pourra s’opposer au « droit de tirage » dont bénéficient les groupes, à condition que le cadre juridique soit respecté.

C’est ce cadre qui permettra au rapporteur de la commission d’enquête
– probablement Pascal Popelin – de circonscrire le travail de ladite commission à ce qui est strictement autorisé par la loi, c’est-à-dire qu’elle ne pourra investiguer sur des questions qui relèvent aujourd’hui du champ judiciaire, pas plus à Sivens qu’à Notre-Dame-des-Landes ou ailleurs.

M. Jacques Valax. Sans doute cette demande de commission d’enquête est-elle recevable ; opportune, en revanche, elle ne l’est certainement pas ; utile, encore moins ; polémique, assurément. L’attitude du groupe Écologiste est à la limite de la provocation politicienne, et je ne supporte plus l’attitude de Noël Mamère, que je viens à l’instant de croiser devant l’immeuble du 101, rue de l’Université, guettant sans doute les caméras de télévisions. J’aurais préféré qu’il soit parmi nous pour défendre une proposition frappée selon moi du sceau du mensonge.

Juridiquement, cette commission d’enquête est inutile, puisque une enquête administrative et une enquête judiciaire sont en cours. Quant au maintien de l’ordre, les journalistes comme les riverains de la retenue de Sivens, qui ne peuvent plus travailler et dont le quotidien est largement perturbé, peuvent témoigner des tentatives d’obstruction à l’ordre républicain. Ils attendent que la République retrouve tous ses droits.

Je rappelle également que les gendarmes, faisant preuve d’objectivité et de lucidité, ont indiqué avec force détails que, dans ses phases de paroxysme, la violence qu’ils avaient subie sur le site de Sivens avait atteint un niveau sans précédent, y compris à Notre-Dame-des-Landes. Ces gendarmes, soldats de la loi placés là pour protéger le site, ont été la cible de militants « radicalisés », ainsi qu’il a été rappelé. Ils ont mené leur action de façon remarquable, faisant preuve d’un calme et d’une modération qui se sont soldés dans leurs rangs par onze agressions et sept hospitalisations, tandis qu’aucun blessé n’avait été à déplorer parmi les manifestants avant la mort de Rémi Fraisse.

M. Éric Straumann. Cette proposition de résolution rejoint en effet l’actualité. L’Assemblée a voté en seconde lecture un texte sur la délimitation des régions, qui ne convient à aucun Alsacien. Cela a donné lieu à des manifestations spontanées, organisées via les réseaux sociaux, comme à Colmar où deux mille manifestants ont défilé dimanche dernier. Dans ces cas-là et en l’absence de structure organisatrice, le préfet ignore qui sont ses interlocuteurs et il ne peut qu’avertir que les attroupements sont passibles de six mois d’emprisonnement, ce qui, en pratique, est impossible.

Je regrette que ce soient toujours les plus radicaux qui se fassent entendre, tandis que nos manifestations, où l’on ne brûle pas de portiques et où l’on ne déplore, heureusement, ni blessés ni morts, ni agressions contre les forces de l’ordre, ont bien du mal à trouver un écho à Paris.

M. René Dosière. Nous avons, la semaine dernière, rendu plus libre la création des commissions d’enquête. Mais il n’y a pas de liberté sans responsabilité, et la possibilité désormais donnée à chaque groupe politique de créer une commission d’enquête sur tout et n’importe quoi – ce qui me paraît le cas de la proposition qui nous est soumise – risque d’aboutir au résultat inverse de celui escompté : la multiplication des fausses commissions d’enquête discréditera le travail des vraies aux yeux de l’opinion publique.

M. Éric Ciotti. Je pense comme Jacques Valax que cette proposition de résolution est une provocation. Je dénonce l’attitude purement politicienne de nos collègues écologistes, qui consiste à mettre en cause les forces républicaines de sécurité, de manière totalement irresponsable.

M. Gilbert Collard. Serait-il envisageable de créer une commission d’enquête sur les commissions d’enquête ? La proposition de M. Mamère d’en créer une sur les modalités du maintien de l’ordre républicain signifie-t-elle que nous sommes dans un pays où l’ordre républicain ne serait pas respecté par les forces de l’ordre ? Cette suspicion ne peut que heurter les représentants de la nation que nous sommes, et M. Mamère devrait en revenir à davantage de calme et de raison. Comme mes collègues, je pense que la création de cette commission d’enquête discrédite la notion même de commission d’enquête.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je veux croire que la demande de nos collègues écologistes n’aurait pas existé s’ils avaient eu la possibilité de créer une mission d’information, ce qui ne sera possible qu’à partir du 1er janvier prochain.

Nous avions réfléchi, avec Jean-Frédéric Poisson, à l’idée d’une mission d’information sur les forces mobiles, qui n’a pas été agréée par les co-présidents du groupe Écologiste. Nous allons donc nous prononcer sur la recevabilité de cette proposition de résolution, qui ne souffre pas de discussion, sous cette réserve que le champ des travaux de la commission d’enquête ne devra pas porter sur des questions aujourd’hui aux mains de la justice.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

Elle adopte l’article unique de la proposition de résolution sans modification.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution (n° 2389) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

© Assemblée nationale

1 () Rapport de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale et de l’Inspection générale de la police nationale relatif à l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre, 13 novembre 2014, p. 4.

2 () Rémi Fraisse est décédé dans la nuit du 25 au 26 octobre dernier. Une information judiciaire a été ouverte le 29 octobre.

3 () Résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 novembre 2014, TA n° 437, art. 34.