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N° 2441

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 décembre 2014.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage,

PAR M. Pascal DEGUILHEM,

Député.

——

Voir les numéros :

Sénat : 677, 737, 738 (2013-2014) et T.A. 2 (2014-2015).

Assemblée nationale : 2297.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LA LUTTE ANTIDOPAGE EN FRANCE, UNE PRÉROGATIVE DE PUISSANCE PUBLIQUE 7

A. L’AGENCE FRANÇAISE DE LUTTE CONTRE LE DOPAGE AU CœUR DU CONTRÔLE 7

1. Le choix d’une autorité administrative indépendante 7

2. Des compétences affirmées en matière de lutte contre le dopage 8

B. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE INÉGAL 10

1. Un contrôle antidopage national effectif et proportionné 10

2. Le contrôle des compétitions internationales sujet à caution 13

C. UN ARSENAL RÉPRESSIF RELATIVEMENT COMPLET 14

1. Des incriminations centrées sur l’usage et le trafic de produits dopants 14

2. Des sanctions disciplinaires importantes 16

II. LES AVANCÉES INTRODUITES PAR LE NOUVEAU CODE MONDIAL ANTIDOPAGE 19

A. UNE COORDINATION PLUS POUSSÉE ENTRE LES ORGANISATIONS ANTIDOPAGE 19

1. Un régime rénové pour les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques 19

2. L’extension des pouvoirs de contrôles des organisations nationales antidopage dans le cadre des manifestations internationales 20

3. L’accent mis sur le renseignement et le partage d’informations 21

B. UN CIBLAGE ACCRU DES CONTRÔLES ANTIDOPAGE : UNE PLANIFICATION INTELLIGENTE ET PROPORTIONNÉE 22

C. UN SYSTÈME RÉPRESSIF PLUS ADAPTÉ 24

1. La prévention du dopage sous l’influence de l’entourage 24

2. Le ciblage des « vrais tricheurs » 25

3. Des mesures de clémence accordées dans certaines circonstances 26

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

I. DISCUSSION GÉNÉRALE 27

II. EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 39

Article unique : Habilitation à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect dans le droit interne des principes du nouveau code mondial antidopage 39

TABLEAU COMPARATIF 47

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 49

INTRODUCTION

L’histoire du dopage semble indissociable de l’histoire des compétitions sportives. En effet, les athlètes grecs consommaient déjà diverses variétés de champignons et des figues séchées pour améliorer leurs performances, tandis que le XIXe siècle a vu des substances comme la caféine, la cocaïne, la strychnine ou l’opium être utilisées par les sportifs à des fins de dopage (1).

Toutefois, la lutte contre le dopage a changé de dimension lorsque, après la Seconde guerre mondiale, les sportifs se sont emparés des amphétamines qu’avaient expérimentées à grande échelle les forces armées. Après de nombreux décès liés à ces substances, notamment celui, lors des Jeux olympiques de Rome en 1960, d’un cycliste danois, puis, lors du Tour de France de 1967, de Tom Simpson, le mouvement sportif international s’est saisi de la question. Dès l’année suivante, dans le cadre des Jeux Olympiques de Grenoble, des contrôles ont été diligentés par le Comité international olympique.

Depuis lors, les États, de concert avec les fédérations sportives internationales, s’efforcent de lutter contre le dopage, qui nuit tant à l’éthique du sport qu’à la santé des sportifs, même si d’aucuns considèrent ce dernier élément comme un alibi utile à la restriction des libertés dont pâtissent les sportifs (2). Cette volonté conjointe s’est d’abord traduite, en 1999, par la création de l’Agence mondiale antidopage, une fondation de droit privé suisse, qui a élaboré, dès 2003, un code mondial antidopage. L’ambition des États s’est ensuite exprimée, à partir de 2005, par le biais de la Convention internationale contre le dopage dans le sport, qui compte aujourd’hui 177 signataires.

Le présent projet de loi a vocation à habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance en droit interne les dispositions du code mondial antidopage, qui a été récemment révisé pour la seconde fois. Si le respect des principes constitutionnels français, comme des principes issus de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, doivent guider cette transposition, la France ne saurait être en retrait dans la lutte contre le dopage, dans laquelle elle est engagée de longue date.

Le code mondial antidopage, dans sa nouvelle rédaction, renouvelle les moyens de la lutte antidopage. Le contrôle analytique, basé sur la réalisation de tests biologiques, est aujourd’hui complété par un contrôle indirect, fondé sur la réalisation d’enquêtes, mais aussi sur les aveux et le suivi longitudinal des paramètres biologiques des sportifs.

Une telle évolution est indispensable pour rendre la lutte contre le dopage plus efficace et moins dépendante de la recherche scientifique, qui a nécessairement du retard, par rapport aux sportifs, dans la mise au point de tests de détection. À titre d’exemple, il s’est écoulé dix ans entre le moment où l’érythropoïétine (EPO) a été inscrite sur la liste des substances interdites et la mise au point, par le laboratoire antidopage français, d’un test de détection fiable (3). Comme l’a très justement souligné notre collègue Valérie Fourneyron, présidente du comité Santé, médecine et recherche de l’Agence mondiale antidopage, le nouveau code doit permettre qu’il n’y ait « plus jamais d’affaire Armstrong » (4).

I. LA LUTTE ANTIDOPAGE EN FRANCE, UNE PRÉROGATIVE DE PUISSANCE PUBLIQUE

Contrairement à d’autres pays, la lutte contre le dopage relève, en France, d’une prérogative de puissance publique. Dans ce cadre, la nécessité d’assurer la loyauté des compétitions, l’éthique du sport et la santé des sportifs justifie quelques limitations aux libertés individuelles des sportifs soumis aux règles antidopage.

A. L’AGENCE FRANÇAISE DE LUTTE CONTRE LE DOPAGE AU CœUR DU CONTRÔLE

1. Le choix d’une autorité administrative indépendante

Dans le cadre de manifestations sportives nationales, c’est l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) qui est compétente pour effectuer les contrôles antidopage des sportifs participant à ces compétitions. Cette autorité administrative indépendante, dotée de la personnalité morale, a succédé, en 2006, au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage créé en 1999 (5). En application de l’article L. 232-6 du code du sport, son collège comprend neuf membres :

– trois membres issus des juridictions administratives et judiciaires : un conseiller d’État, président de l’AFLD et de son collège ; un conseiller à la Cour de cassation ; un avocat général près la Cour de cassation ;

– trois personnalités ayant des compétences scientifiques dans les domaines de la pharmacologie, de la toxicologie et de la médecine du sport, désignées respectivement par les présidents de l’Académie de pharmacie, l’Académie des sciences et l’Académie nationale de médecine ;

– trois personnalités qualifiées dans le domaine du sport : un sportif de haut niveau ou un ancien sportif de haut niveau ; un membre du conseil d’administration du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ; une personne désignée par le président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Les membres du collège de l’AFLD, qui est renouvelé par tiers tous les deux ans, sont nommés pour six ans. Leur mandat est irrévocable, ce qui garantit l’indépendance de cette autorité, et peut être renouvelé une fois. Le collège ne peut délibérer que lorsqu’au moins six de ses membres sont présents ; en formation disciplinaire, il est composé d’au moins quatre de ses membres et obligatoirement présidé par l’un des membres ayant la qualité de magistrat. L’article L. 232-5 du code du sport dispose enfin que les missions de contrôle, d’analyse et de sanction sont exercées, au sein de l’AFLD, par des personnes distinctes.

2. Des compétences affirmées en matière de lutte contre le dopage

Les compétences reconnues à l’AFLD, qui ont beaucoup évolué depuis la création du Conseil national de la prévention et de la lutte contre le dopage, sont énumérées à l’article L. 232-5 du code du sport.

L’AFLD, par le biais du département des contrôles, diligente des contrôles antidopage dans le cadre de manifestations sportives nationales voire internationales, mais également en dehors des compétitions (cf. infra) ; un autre de ses départements analyse les prélèvements effectués lors de ces contrôles, notamment au sein du laboratoire antidopage de Châtenay-Malabry. La distinction des fonctions de contrôle et d’analyse doit prévenir tout conflit d’intérêts au sein de l’Agence.

En 2013, l’AFLD a réalisé 11 040 prélèvements antidopage, dont 8 485 prélèvements urinaires et 2 425 prélèvements sanguins, qui ont concerné 63 disciplines sportives. Les cinq disciplines les plus contrôlées en 2013 ont été le cyclisme, l’athlétisme, le football, le rugby et le basketball, qui ont respectivement représenté 19,3 %, 14,3 %, 10,9 %, 9,3 % et 5,6 % des contrôles. Au total, en 2013, 143 contrôles ont été déclarés positifs par le département des analyses.

L’AFLD a également pour tâche de délivrer, après avoir recueilli l’avis conforme d’un comité composé d’au moins trois médecins, les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) qui permettent aux sportifs de prendre des substances ou de recourir à des méthodes qui, sans cette autorisation, seraient considérées comme dopantes. En 2013, l’Agence a reçu 644 demandes d’autorisations, qui concernaient principalement les pathologies asthmatiformes et la prise de glucocorticoïdes.

Les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques

Les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) délivrées par les organisations antidopage, dont l’AFLD, permettent aux sportifs qui en bénéficient d’user, à des fins thérapeutiques, de substances et de méthodes interdites sans pour autant encourir de sanctions disciplinaires (6). Il en est de même des cas où le sportif peut se prévaloir d’une raison médicale dûment justifiée, liée à une urgence médicale, un état pathologique aigu ou des circonstances exceptionnelles (7).

La délivrance des AUT par l’AFLD répond à une procédure codifiée aux articles D. 232-72 et suivants du code du sport. Les AUT sont délivrées lorsque plusieurs conditions cumulatives sont remplies :

– l’existence d’un préjudice de santé significatif si la substance ou la méthode n’est pas administrée au sportif souffrant d’un état pathologique aigu ou chronique ;

– l’utilisation de la substance ou méthode n’aura pas de conséquence, en matière de performance, au-delà du rétablissement de la santé du sportif ;

– l’absence de solution alternative ne mettant pas en jeu une substance ou méthode interdite ;

– le fait que la nécessité de recourir à cette substance ou méthode n’est pas liée à l’utilisation préalable, sans AUT, d’une substance ou méthode interdite.

L’AFLD dispose de trente jours francs pour se prononcer sur la demande du sportif et, lorsqu’elle est délivrée, l’AUT précise la substance, sa posologie et sa voie d’administration, ainsi que la durée de sa validité.

L’AFLD est également compétente pour sanctionner les faits de dopage interdits par le code du sport, tant en ce qui concerne le dopage humain que le dopage animal. Elle agit ainsi comme une instance de régulation des décisions rendues par les fédérations sportives, mais intervient également en cas de carence de ces dernières (cf. infra). Une cellule spécifique, placée sous l’autorité du secrétaire général de l’Agence, diligente les procédures disciplinaires en lien étroit avec les fédérations. En 2013, l’Agence a prononcé 116 sanctions.

Enfin, l’AFLD met en œuvre des actions de prévention et de recherche dans le domaine de la lutte contre le dopage. En 2013, quatre recherches sont arrivées à leur terme, qui concernaient notamment l’effet des peptides E, qui appartiennent à une nouvelle génération de produits dopants, mais aussi le traitement de l’asthme chez les sportifs et sa frontière avec le dopage. L’Agence a également lancé deux appels à projets concernant l’utilisation de substances dopantes dans les disciplines à risque mais non contrôlées – comme l’alpinisme – la mort subite du sportif en lien avec des substances interdites, ou encore les effets des produits dopants sur le système nerveux central.

B. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE INÉGAL

En application du code mondial antidopage actuellement en vigueur, plusieurs autorités sont compétentes pour effectuer des contrôles antidopage :

– au plan national, ce sont les organisations nationales antidopage, comme l’AFLD, qui sont a priori seules compétentes pour contrôler les sportifs participant à des manifestations nationales ;

– dans le cadre de manifestations sportives internationales, seules les fédérations internationales ou les organisations internationales – comme le Comité international olympique pour les Jeux olympiques – sont en principe compétentes pour diligenter des contrôles ;

– en dehors des compétitions, l’Agence mondiale antidopage (AMA, cf. encadré infra), les fédérations internationales et les organisations antidopage nationales sont compétentes pour effectuer des contrôles.

L’Agence mondiale antidopage, instance internationale de régulation

Créée en 1999, l’Agence mondiale antidopage (AMA) est une fondation de droit privé suisse dont le but est de promouvoir, coordonner et superviser la lutte contre le dopage sous toutes ses formes. Installée à Montréal, l’AMA dispose également de bureaux régionaux au Cap, à Montevideo, à Tokyo et à Lausanne.

L’AMA est composée d’un conseil de fondation, d’un comité exécutif et de plusieurs comités d’experts. Le conseil de fondation est l’organe de décision suprême de l’AMA. Composé de 38 membres, il représente à parts égales le Mouvement sportif et les gouvernements. Parmi les comités d’experts, le comité des sportifs représente les sportifs du monde entier et protège leurs droits ; un comité d’éducation aide l’AMA dans la définition de ses stratégies d’éducation.

Le comité Santé, médecine et recherche surveille les développements scientifiques dans le domaine du sport et sélectionne les projets de recherche bénéficiant de subventions de l’AMA. Il supervise également les différents groupes d’experts chargés de conseiller l’AMA sur l’établissement annuel de la liste des substances et méthodes interdites, les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques, l’accréditation des laboratoires d’analyse et le dopage génétique.

1. Un contrôle antidopage national effectif et proportionné

Dans le cadre de manifestations sportives nationales, les organisations nationales antidopage sont, en principe, seules compétentes. Cette répartition stricte des compétences entre les organisations sportives internationales et les organisations nationales antidopage a été reprise par l’article L. 232-5 du code du sport, qui dispose que l’AFLD diligente des contrôles :

– pendant les manifestations sportives nationales ;

– pendant les manifestations sportives internationales avec l’accord de l’organisme international compétent ou, à défaut, de l’AMA ;

– pendant les périodes d’entraînement à ces manifestations.

Il convient également de noter que, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs, l’AFLD dispose d’une compétence extraterritoriale (8). En effet, lorsqu’une fédération sportive française organise une manifestation à l’étranger, l’AFLD peut, avec l’accord de l’organisation antidopage homologue, exercer sa compétence en matière de contrôle, d’analyse et de sanctions. Cette disposition permet à l’AFLD de contrôler les manifestations organisées à l’étranger, par exemple par la Fédération française de football – le Trophée des Champions, qui oppose le vainqueur de la Coupe de France au champion de France en titre de Ligue 1, a ainsi été organisé, en 2014, à Pékin – ou de rugby.

En outre, l’AFLD peut également effectuer des contrôles en dehors des compétitions. En effet, certains sportifs désignés par l’AFLD parmi les sportifs de haut niveau et Espoir, les sportifs professionnels licenciés ou l’ayant été au moins une année sur les trois dernières années et les sportifs ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire pour dopage au cours des trois dernières années sont tenus de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation, de sorte que l’AFLD puisse diligenter des contrôles (9). Les sportifs du groupe cible peuvent ainsi faire l’objet de contrôles antidopage dans un cadre plus large, y compris en dehors des manifestations et des périodes d’entraînement (10), afin d’assurer la détection, dans leur organisme, de certaines substances difficilement décelables après leur administration. Les prélèvements dont ils font l’objet peuvent également avoir pour but d’établir leur profil biologique, son suivi permettant de mettre en évidence, de façon indirecte, des pratiques prohibées (11).

Le passeport biologique

La loi du 12 mars 2012 (12) a mis en place le profilage biologique pour les sportifs du groupe cible de l’AFLD. Parallèlement au contrôle analytique permis par la détection directe de substances prohibées dans l’organisme du sportif, le suivi des paramètres biologiques de l’athlète sur une longue période permet de déceler des signes de dopage. Il comprend plusieurs modules distincts qui permettent de déceler le dopage par l’administration d’hormones de croissance ou d’hormones stéroïdiennes mais aussi le dopage sanguin, qui vise à augmenter le nombre de globules rouges dans le sang. La mise en place du module stéroïdien sera prochainement soumise au collège de l’AFLD.

Le passeport biologique est utilisé soit comme un outil de ciblage, pour diligenter des contrôles précis sur certains sportifs, soit comme outil de sanction. Dans ce cas, un comité composé de trois experts, mis en place par l’AFLD, est saisi en application de l’article L. 232-22-1 du code du sport. S’il estime que les données recueillies indiquent l’utilisation d’une substance ou méthode interdite, alors le sportif concerné encourt des sanctions disciplinaires de la même façon que s’il avait été contrôlé de façon directe.

Source : Agence française de lutte contre le dopage.

Si, d’après le standard international de l’AMA relatif aux contrôles, les sportifs doivent se soumettre « à tout moment en tout lieu » à ces contrôles, le droit français est plus protecteur. En effet, l’ensemble des contrôles, en compétition et hors compétition, sur l’ensemble des sportifs, ne peuvent avoir lieu que dans une liste limitative de lieux (13) :

– celui où se déroule un entraînement ou une manifestation,

– dans un établissement où sont pratiquées des activités physiques et sportives,

– dans tout lieu choisi avec l’accord du sportif, y compris, à sa demande, son domicile,

– dans le cadre du placement en garde-à-vue d’un sportif pour des faits de dopage susceptibles de recevoir une sanction pénale.

Par ailleurs, les contrôles ne peuvent intervenir qu’à des horaires définis par la loi. Ainsi, les personnes responsables des prélèvements ne peuvent accéder aux lieux de contrôle qu’entre 6 heures et 21 heures, sauf s’il s’agit d’un lieu ouvert au public ou qu’une manifestation sportive ou un entraînement s’y déroule. Les contrôles ayant lieu au domicile du sportif ne peuvent en aucun cas intervenir avant 6 heures et après 21 heures. Au total, les pouvoirs de contrôle reconnus à l’AFLD sont très encadrés, ce qui garantit le respect d’une certaine proportionnalité entre les enjeux de la lutte contre le dopage et la protection des droits fondamentaux.

De façon concrète, le contrôle antidopage débute par la notification du contrôle au sportif, par la personne chargée de procéder au prélèvement ou par une personne désignée par elle. La décision de contrôle peut prévoir que le sportif est ensuite escorté jusqu’au lieu de contrôle par une tierce personne (14). La personne chargée du prélèvement, qui doit être du même sexe que le sportif contrôlé – de même que l’escorte –, peut être accompagnée d’un délégué de la fédération, pour l’assister dans l’organisation du contrôle.

Le contrôle proprement dit débute par un entretien, au cours duquel le sportif peut informer la personne en charge du contrôle de la prise de médicaments, puis se prolonge par un examen médical si nécessaire. La personne en charge du contrôle peut ensuite effectuer des prélèvements d’urine, de sang, de salive et de phanères et effectuer des opérations de dépistage, comme un alcootest. Le contrôle se conclut par la rédaction et la signature d’un procès-verbal.

2. Le contrôle des compétitions internationales sujet à caution

Si le cadre juridique du contrôle tel qu’il est mis en œuvre au plan national apparaît satisfaisant, le contrôle antidopage exercé au plan international – pendant des manifestations sportives internationales ou sur des sportifs de niveau international –, ne semble pas aussi efficace.

En effet, comme le souligne un rapport de l’Académie de médecine, les États sont en réalité « dépossédés de leurs prérogatives au profit d’un pouvoir sportif international qui risque, pourtant, de se trouver parfois dans une situation de conflit d’intérêts en étant juge et partie » (15). Il est en effet difficile, pour une fédération internationale, de diligenter en toute bonne foi des contrôles dont les résultats sont susceptibles de ternir son image et d’avoir un effet significatif sur le nombre de ses licenciés. Des contrôles insuffisamment ciblés, réalisés au hasard, ou trop aisément prévisibles, sont ainsi inefficaces même s’ils sont nombreux.

Qui plus est, les organisations nationales antidopage n’ont qu’une compétence limitée en ce qui concerne le contrôle en compétition des manifestations sportives internationales (16). En effet, les organisations nationales ne peuvent effectuer de contrôles antidopage durant la manifestation qu’avec l’accord de l’organisateur ou, à défaut, celui de l’AMA (17). De surcroît, dans les faits, la commission d’enquête créée par le Sénat en 2013 sur l’efficacité de la lutte contre le dopage a montré que « les fédérations internationales et, surtout, l’AMA n’acceptent la mise en place de tels contrôles additionnels que s’ils permettent effectivement de couvrir un champ de contrôle non couvert par la fédération internationale » (18). L’AFLD s’est ainsi déjà vu refuser la réalisation de contrôles additionnels durant des manifestations sportives internationales, même lorsque les contrôles organisés par la fédération pouvaient sembler insuffisants (19).

Par ailleurs, les organisations sportives internationales semblent entretenir à dessein une conception extensive de la notion de « manifestation internationale ». Notamment, comme l’a montré le rapport de la commission d’enquête précitée, certaines fédérations considèrent l’ensemble de leurs compétitions comme des manifestations internationales placées sous leur égide, tandis que d’autres entretiennent une définition large de la période de compétition, englobant les jours, voire les semaines qui précèdent ladite compétition. Dans un tel contexte, l’intervention des organisations nationales antidopage est réduite aux manifestations strictement nationales – sauf à ce qu’elle réalise les contrôles sur délégation d’une organisation sportive internationale – et au contrôle hors compétition des sportifs de leur groupe cible.

C. UN ARSENAL RÉPRESSIF RELATIVEMENT COMPLET

1. Des incriminations centrées sur l’usage et le trafic de produits dopants

Les agissements sanctionnés dans le cadre de la lutte contre le dopage sont relativement larges. Outre le fait de détenir ou d’utiliser une substance ou une méthode figurant sur la liste des interdictions établie par l’AMA (cf. encadré infra) – en l’absence d’une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques ou d’une raison médicale dûment justifiée –, la tentative de détention ou d’usage est également incriminée par l’article L. 232-9 du code du sport.

La liste des interdictions

Publiée pour la première fois en 1963 sous la direction du Comité international olympique, la liste des interdictions, qui regroupe l’ensemble des substances et méthodes prohibées dans le cadre de la lutte contre le dopage, relève désormais de la compétence de l’AMA. La liste est publiée au minimum une fois par an par l’AMA avec l’appui d’un groupe d’experts internationaux qui émet des recommandations sur le contenu de celle-ci. Une substance ou une méthode est inscrite sur la liste lorsque deux critères au moins parmi trois sont réunis : elle présente un potentiel d’amélioration de la performance ; elle est susceptible de porter préjudice à la santé ; elle viole l’esprit du sport.

Certaines substances et méthodes sont interdites en permanence : c’est le cas des hormones de croissance, des agents anabolisants, des modulateurs hormonaux ou encore des diurétiques, comme des méthodes qui visent à manipuler les composants sanguins, du dopage génétique ou encore de la manipulation chimique. Certaines substances ou méthodes sont spécifiquement interdites en compétition : aux substances et méthodes précédentes s’ajoutent alors le cannabis, les stimulants, les narcotiques et les glucocorticoïdes. Enfin, certaines substances ou méthodes sont interdites dans certaines disciplines : l’alcool est ainsi prohibé pour les sportifs automobiles, tandis que les bêtabloquants sont interdits aux golfeurs.

Source : Agence mondiale antidopage.

Par ailleurs, la législation vise aujourd’hui, au-delà des sportifs, tous ceux qui participent au dopage et au trafic de produits dopants. Il est ainsi interdit à toute personne de prescrire, d’administrer, de donner des produits dopants à des sportifs, ou d’inciter à leur usage ; le code du sport interdit également de produire, fabriquer, importer, exporter, transporter, détenir ou acquérir en vue de son usage par un sportif ce type de substances ou méthodes (20). Là encore, la simple tentative est incriminée.

En outre, pour s’assurer de l’efficacité des contrôles antidopage, le code du sport sanctionne également le fait de s’opposer par tout moyen aux mesures de contrôle. Notamment, l’article L. 232-17 du code précité incrimine le fait de se soustraire, de tenter de se soustraire ou de refuser de se soumettre à un contrôle antidopage, ainsi que les manquements aux obligations de localisation pesant sur les sportifs du groupe cible, qui sont caractérisés lorsque trois défauts de localisation sont constatés en l’espace de 18 mois. De la même façon, la falsification, la destruction ou la dégradation de tout élément relatif au contrôle, à l’échantillon ou à son analyse, est passible de sanctions disciplinaires (21).

Enfin, la lutte contre le dopage comprend également un volet pénal. En effet, la détention d’une substance ou méthode interdite sans raison médicale dûment justifiée est punie d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende (22), tandis que le fait de s’opposer à un contrôle antidopage est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 7 500 euros (23). Les agissements d’autrui concourant au dopage d’un sportif, comme la prescription ou l’administration de produits dopants, l’incitation à la prise de substances prohibées et le trafic de produits dopants, sont quant à eux punis de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Ces peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende dans trois circonstances particulières : la commission en bande organisée, à l’égard d’un mineur ou par une personne ayant autorité. En 2011, six condamnations pénales ont ainsi été prononcées, dont aucune ne visait toutefois la détention de substances dopantes.

2. Des sanctions disciplinaires importantes

Lorsqu’un sportif licencié s’est rendu coupable de tels agissements, la compétence de sanction appartient, en premier lieu, à sa fédération (24). Après constatation de l’infraction, l’organe disciplinaire de la fédération dispose de dix semaines pour se prononcer. Si celui-ci ne statue pas dans les délais, c’est l’organe disciplinaire d’appel qui doit se prononcer dans un délai maximum de quatre mois. Les décisions disciplinaires des fédérations peuvent faire l’objet d’un appel devant le juge judiciaire ou administratif (25).

L’AFLD se saisit d’office en cas de carence, lorsque la fédération ne s’est pas prononcée dans les délais impartis. Elle peut également réformer les décisions prises par cette dernière dans un délai de deux mois et décider d’étendre une sanction disciplinaire prise par une fédération aux activités de la personne sanctionnée relevant d’autres fédérations sportives. Enfin, l’AFLD est compétente pour infliger directement des sanctions à des personnes non licenciées qui participent à des manifestations ou entraînements organisés par des fédérations agréées ou délégataires, ou à leur organisation (26). Ses décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État, qui statue en premier et dernier ressort.

RÉPARTITION DES SANCTIONS PRONONCÉES PAR L’AFLD EN 2013

Cadre de la sanction

Nombre de sanctions

Sanctions à l’encontre de sportifs non licenciés

27

Extension d’une sanction à d’autres disciplines

4

Réformation d’une décision prise par une fédération

75

Carence d’une fédération

10

Total

116

Source : ministère de la ville, de la jeunesse et des sports.

Dans le cadre de leur pouvoir de sanction, les fédérations peuvent aller jusqu’à prononcer une interdiction définitive de participer à des manifestations sportives. L’AFLD peut de son côté prononcer, à l’encontre des sportifs, un avertissement, une interdiction temporaire ou définitive de participer aux manifestations sportives et une sanction pécuniaire d’un montant maximum de 45 000 euros. Toutefois, M. Bernard Amsalem (27), président de la Fédération française d’athlétisme, a regretté que la possibilité de sanctions financières, particulièrement efficaces, ne soit pas plus souvent mise en œuvre par l’AFLD.

Le sportif sanctionné par l’AFLD perd également le bénéfice de ses résultats individuels, et donc des médailles, prix ou gains qu’il a pu recevoir à ce titre. Lorsque la personne sanctionnée n’est pas un sportif, l’AFLD peut prononcer un avertissement, une interdiction temporaire ou définitive d’organiser ou de participer à l’organisation de manifestations sportives, une interdiction d’exercer les activités de professeur, d’entraîneur et d’animateur sportif et une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 150 000 euros.

II. LES AVANCÉES INTRODUITES PAR LE NOUVEAU CODE MONDIAL ANTIDOPAGE

Le code mondial antidopage, depuis la première version adoptée en 2003, a d’ores et déjà fait l’objet d’une révision, entérinée en 2007, qui a été transposée en droit français par quatre textes législatifs successifs (28). Le processus de révision entamé en novembre 2011, qui a abouti, en novembre 2013, à l’adoption à Johannesburg de la version qui entrera en vigueur au 1er janvier 2015, procède ainsi à 2 269 modifications du code actuel, dont certaines ont une portée significative.

A. UNE COORDINATION PLUS POUSSÉE ENTRE LES ORGANISATIONS ANTIDOPAGE

Pour assurer l’efficacité du contrôle antidopage et la coordination des différents acteurs, le nouveau code mondial antidopage procède à plusieurs modifications.

1. Un régime rénové pour les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques

La première d’entre elles concerne les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT). Aujourd’hui, les fédérations internationales sont compétentes pour délivrer des AUT aux sportifs de niveau international, tandis que les organisations nationales antidopage délivrent ces AUT aux sportifs placés sous leur autorité. La répartition des compétences n’est pas bouleversée par le nouveau code, qui introduit cependant l’obligation, pour les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage, de reconnaître réciproquement les AUT délivrées à leurs sportifs.

En cas de désaccord, si la fédération internationale considère que l’AUT délivrée par une organisation nationale antidopage ne respecte pas le standard international établi, dans ce domaine, par l’AMA, et refuse de reconnaître sa validité, alors l’organisation nationale antidopage ou le sportif peuvent saisir cette dernière (29). Si la question n’est pas soumise à l’AMA, l’AUT délivrée par l’organisation nationale antidopage cesse d’être valable au bout de 21 jours. À l’inverse, si une organisation nationale antidopage considère que l’AUT délivrée par une fédération internationale contrevient au standard international, elle peut soumettre la question à l’AMA (30). Si l’AMA n’est pas saisie, alors l’AUT devient également valable dans le cadre de compétitions nationales.

Ces nouvelles dispositions offrent aux organisations nationales antidopage un pouvoir de contrôle des AUT délivrées par les fédérations internationales, en même temps qu’elles simplifient les démarches des sportifs de niveau international.

Il convient également de noter que la nouvelle version du code mondial antidopage permet aux organisations responsables de grandes manifestations – ce sont, par exemple, les organisations sportives continentales, comme l’UEFA – d’exiger des sportifs qui participent à leur manifestation qu’ils lui demandent une autorisation à des fins thérapeutiques. Mais, là encore, pour faciliter les démarches du sportif, les AUT délivrées par sa fédération internationale ou son organisation nationale antidopage doivent obligatoirement être reconnues par l’organisation responsable d’une grande manifestation si elles respectent le standard établi par l’AMA (31).

Par ailleurs, l’article 4.4.5 du nouveau code mondial antidopage prévoit un assouplissement des règles relatives aux AUT en ce qui concerne les sportifs qui ne sont ni de niveau international, ni de niveau national. Les sportifs qui participent à des compétitions de niveau inférieur ou qui ne participent à aucune compétition peuvent être autorisés, par les organisations nationales antidopage, à demander une AUT avec effet rétroactif en cas de contrôle.

2. L’extension des pouvoirs de contrôles des organisations nationales antidopage dans le cadre des manifestations internationales

Le code mondial antidopage actuellement en vigueur prévoit que les organisations nationales antidopage, pendant les manifestations sportives internationales, ne peuvent procéder à des contrôles additionnels qu’avec l’accord de la fédération internationale ou de l’organisme sportif international, à défaut, de l’AMA (32). La nouvelle version du code apporte deux améliorations substantielles aux pouvoirs de contrôle des organisations nationales antidopage dans le cadre des manifestations sportives internationales.

D’une part, l’incompétence de principe de celles-ci sera limitée au site de la manifestation internationale (33). Cela signifie que les organisations nationales antidopage pourront désormais, sans avoir à demander l’accord de la fédération internationale, contrôler des sportifs pendant la durée de la manifestation sportive en dehors du site désigné par la fédération internationale. Dans ce cas, le contrôle doit cependant faire l’objet d’une coordination avec l’organisation responsable de la manifestation. L’AMA indique qu’une organisation nationale antidopage pourra ainsi contrôler un sportif qui participe à une manifestation internationale, mais qui se trouve encore sur le territoire national après le commencement de celle-ci (34). Mais cette disposition pourra également permettre à l’AFLD de contrôler les sportifs à leur hôtel pendant une manifestation sportive internationale se déroulant en France, par exemple pendant le tournoi de Roland Garros ou bien encore le Tour de France (35). M. Bruno Genevois, président de l’AFLD, a toutefois nuancé cette avancée, arguant du fait que cette modification n’était pas à la hauteur des enjeux de la lutte antidopage, et toujours moins efficace qu’un contrôle organisé de concert, par le biais d’une convention, par l’organisation nationale antidopage et la fédération internationale (36).

D’autre part, le nouveau code mondial antidopage prévoit que, dans le cas où une fédération ou une organisation sportive internationale a délégué à une organisation nationale antidopage le soin d’effectuer ses contrôles antidopage, celle-ci peut prélever des échantillons supplémentaires ou effectuer des analyses supplémentaires à ses frais (37). L’organisation responsable de la manifestation en est seulement informée. Les contrôles pour le compte d’un tiers, qui représentent déjà 14 % des prélèvements effectués par l’AFLD, seront ainsi l’occasion d’étendre les compétences de l’Agence.

Enfin, il est toujours possible à une organisation nationale antidopage, pendant une manifestation internationale et sur son site, de demander à l’organisme international en charge de la manifestation d’effectuer des contrôles additionnels (38), et réciproquement.

En outre, il convient de noter que l’AMA pourra désormais, en application de l’article 20.7.8 du nouveau code mondial antidopage, « effectuer, dans des circonstances exceptionnelles et sur instruction du Directeur général de l’AMA, des contrôles du dopage de sa propre initiative ou à la demande d’autres organisations antidopage ». Une telle disposition permettra de dépasser les éventuels conflits qui peuvent survenir entre le mouvement sportif et les organisations nationales antidopage.

3. L’accent mis sur le renseignement et le partage d’informations

Si les violations des règles relatives au dopage pouvaient déjà être prouvées par tout moyen fiable – y compris ne reposant pas sur des analyses biologiques –, le nouveau code mondial antidopage met l’accent sur la nécessité, pour l’ensemble des organisations antidopage, nationales et internationales, de développer leurs fonctions de renseignement. En effet, la « collecte de renseignement peut permettre d’identifier des cas non analytiques, de cibler davantage les contrôles et d’obtenir une meilleure sélection des sportifs à contrôler » (39).

Ainsi, l’article 5.8 du nouveau code mondial antidopage stipule que l’ensemble des organisations antidopage doivent être en mesure d’obtenir et de traiter des renseignements antidopage pour établir un plan de contrôle efficace et ciblé. Elles doivent en outre enquêter lorsque des résultats analytiques anormaux apparaissent ou qu’une information leur parvient indiquant une violation des règles antidopage. L’AFLD a d’ores et déjà recruté un enquêteur, issu de la police nationale, et dont le bagage scientifique lui permet de centraliser de façon pertinente le renseignement antidopage (40).

L’efficacité d’un tel système repose nécessairement sur le partage de l’information entre les organisations antidopage et la coopération de l’ensemble des acteurs, notamment dans le cadre d’enquêtes. C’est pourquoi le code a étendu les obligations et responsabilités de l’ensemble des acteurs de la lutte antidopage. Les fédérations internationales doivent ainsi exiger de leurs fédérations nationales qu’elles leur transmettent, ainsi qu’à leur organisation nationale antidopage, toute information relative à une possible violation d’une règle antidopage, et qu’elles coopèrent aux enquêtes des organisations antidopage (41). Elles doivent également coopérer pleinement avec l’AMA lorsque celle-ci met en œuvre ses nouveaux pouvoirs d’enquête, de la même façon que les organisations nationales.

Les sportifs et le personnel d’encadrement doivent quant à eux collaborer avec les organisations antidopage enquêtant sur d’éventuelles violations. Par ailleurs, les signataires de la convention internationale contre le dopage doivent mettre « en place une législation, une réglementation, des politiques ou des pratiques administratives applicables à la coopération et au partage d’informations avec les organisations antidopage ainsi qu’au partage de données entre organisations antidopage » (42).

B. UN CIBLAGE ACCRU DES CONTRÔLES ANTIDOPAGE : UNE PLANIFICATION INTELLIGENTE ET PROPORTIONNÉE

Comme le faisait remarquer à juste titre Sir Craig Reedie, président de l’AMA, lors de sa rencontre avec plusieurs membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, dont le rapporteur (43), contrôler tous les sportifs en permanence n’est pas un objectif accessible en termes financiers. Aussi le contrôle antidopage, pour gagner en efficacité, doit-il être aussi ciblé que possible.

Or, comme l’indique l’AMA, « toutes les organisations antidopage ne collectent pas à la fois des échantillons de sang et d’urine, et n’enjoignent pas aux laboratoires d’analyser tous les échantillons recueillis selon le menu intégral. En fait, certaines organisations antidopage effectuent des contrôles minimes, voire n’effectuent aucun contrôle pour les substances et les méthodes interdites qui sont susceptibles de figurer parmi les plus efficaces dans certains sports » (44).

Partant de ce constat, le nouveau code mondial antidopage prévoit l’élaboration, par l’AMA, en coopération avec les fédérations internationales et d’autres organisations antidopage, d’un document technique « établissant, au terme d’une évaluation des risques, les substances interdites et/ou les méthodes interdites étant les plus susceptibles de faire l’objet d’abus en fonction des sports et des disciplines » (45). Chaque discipline ayant une propension plus ou moins forte à recourir à une substance particulière, cette démarche doit permettre l’établissement d’un contrôle intelligent et proportionné.

Un « document technique pour les analyses spécifiques par sport » a ainsi été publié par l’AMA en octobre dernier. Son élaboration doit assurer un niveau d’analyse minimum par substance et par discipline. Ainsi, en ce qui concerne l’érythropoïétine (EPO), le niveau minimal d’analyse diffère en fonction de la discipline considérée : il est de 60 % pour la course sur 3 000 mètres, mais de 0 % pour le tir à l’arc. De la même façon, en ce qui concerne l’hormone de croissance, il est de 30 % pour l’haltérophilie, mais de 5 % pour le taekwondo.

Les laboratoires des organisations antidopage ont ainsi l’obligation de réaliser, au minimum, le pourcentage de tests défini par le document technique pour chaque discipline considérée (46). Toutefois, les organisations antidopage peuvent leur demander de procéder à des analyses plus détaillées que celles prévues par le document technique, et les laboratoires peuvent, de leur propre chef et à leur frais, en faire autant (47).

Les plans de contrôle des organisations antidopage doivent ainsi être élaborés en tenant compte de ce document, et dresser « un ordre de priorité approprié entre les disciplines, les catégories de sportifs, les types de contrôles, les types d’échantillons prélevés et les types d’analyses des échantillons » (48). Pour assurer l’application de cette disposition, le nouveau code mondial antidopage prévoit que l’AMA peut demander aux organisations antidopage de lui transmettre leur plan de répartition des contrôles.

C. UN SYSTÈME RÉPRESSIF PLUS ADAPTÉ

1. La prévention du dopage sous l’influence de l’entourage

Parce que les cas de dopage impliquent souvent des personnels d’encadrement qui, jusqu’alors, échappaient à la compétence des organisations antidopage, le nouveau code mondial antidopage prévoit de nouvelles mesures pour mieux appréhender l’entourage des sportifs.

L’infraction de complicité vise, dans la version actuelle du code, l’assistance, l’incitation, la contribution, la dissimulation ou toute autre forme de complicité impliquant la violation ou la tentative de violation d’une règle antidopage. Le code mondial antidopage, à partir du 1er janvier 2015, étend cette infraction à la « conspiration » et à la violation d’une mesure de suspension par un non sportif (49), et précise le caractère intentionnel de la complicité. Cette rédaction vise ainsi à incriminer, par exemple, le personnel d’encadrement du sportif qui, pour contourner la suspension dont celui-ci fait l’objet, l’inscrit sous un faux nom à une compétition.

Par ailleurs, le nouveau code mondial antidopage élève au rang de norme ce qui n’est, sous l’empire du code actuel, qu’une recommandation. Ainsi, l’association, à caractère professionnel ou sportif, d’un sportif ou d’un non sportif avec un membre du personnel d’encadrement sportif qui purge une période de suspension, qui a été reconnu coupable, sur un plan pénal, disciplinaire ou professionnel, de faits qui auraient constitué des violations des règles antidopage si elles lui avaient été applicables (50), ou qui sert d’intermédiaire ou de couverture à de telles personnes, est interdite. Ainsi, les personnes qui se sont déjà rendues coupables, directement ou indirectement, d’une violation des règles antidopage se trouvent dans l’impossibilité de travailler dans un cadre qui leur permettrait de favoriser, directement ou indirectement, le dopage de sportifs.

En outre, pour limiter l’accès des sportifs à des produits ou méthodes dopantes, le nouveau code prévoit que le personnel d’encadrement lui-même ne peut utiliser ou posséder, sans justification valable, un produit ou une méthode interdite (51). Si cela n’est pas constitutif d’une violation des règles antidopage, ces faits sont cependant passibles d’une sanction disciplinaire.

Enfin, le personnel d’encadrement fait l’objet d’une surveillance renforcée en cas de dopage avéré. En effet, lorsqu’une violation des règles antidopage est commise par un mineur ou par un membre du personnel d’encadrement complice d’un sportif, alors les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage doivent automatiquement mener une enquête sur l’ensemble du personnel d’encadrement (52).

2. Le ciblage des « vrais tricheurs »

Le nouveau code met l’accent sur le caractère intentionnel des violations des règles antidopage et alourdit les sanctions auxquels les « vrais tricheurs » sont potentiellement soumis.

Ainsi, en cas d’usage ou de possession d’une substance non spécifiée – ce sont les substances qui peuvent difficilement être présentes par erreur dans l’organisme, comme les hormones de croissance, les anabolisants ou les antagonistes hormonaux –, la sanction encourue est portée à quatre ans, contre seulement deux ans sous l’empire du code actuel, sauf si le sportif parvient à établir que la violation n’était pas intentionnelle. De la même façon, si une organisation antidopage parvient à prouver que l’usage ou la possession d’une substance spécifiée – l’ensemble des autres substances, y compris, par exemple, le cannabis – est intentionnel, alors la peine encourue répond au même quantum (53) (54).

L’infraction de falsification est également précisée. Seront désormais incriminés tous les comportements intentionnellement préjudiciables au contrôle, et notamment « le fait de volontairement perturber ou tenter de perturber dans son travail un agent de contrôle du dopage, de fournir des renseignements frauduleux à une organisation antidopage ou d’intimider ou de tenter d’intimider un témoin potentiel » (55). Le fait de modifier les moyens d’identification du sportif sur les formulaires de contrôle, de briser intentionnellement un flacon destiné à contenir le prélèvement ou d’altérer un échantillon par apport d’une substance étrangère seront ainsi des faits passibles de sanctions disciplinaires.

Par ailleurs, le délai de prescription de l’action des organisations antidopage est porté de huit à dix ans par le nouveau code. En effet, la sophistication croissante des méthodes de dopage exige que des investigations nettement plus poussées, et donc plus longues, soient diligentées par les organisations antidopage. L’allongement de la durée de prescription peut aussi leur permettre d’incriminer des sportifs ayant recours à des substances ou méthodes qui ne sont pas encore détectables par le biais d’un contrôle analytique, mais susceptibles de l’être à moyen terme.

À l’inverse, certaines violations font désormais l’objet d’une appréciation plus souple. C’est notamment le cas de la violation des obligations de localisation auxquelles sont assujettis les sportifs appartenant à des groupes cibles : la période pendant laquelle sont comptabilisés les trois manquements passe de 18 à 12 mois. En effet, il est apparu qu’une durée de 12 mois était suffisante pour confondre un sportif qui aurait réellement l’intention de se soustraire à ses obligations. Là encore, le nouveau code cible davantage les sportifs qui font montre d’une volonté claire de violer les règles antidopage.

3. Des mesures de clémence accordées dans certaines circonstances

Pour faciliter la lutte contre le dopage et adapter les sanctions à la gravité de la faute commise, le code mondial antidopage prévoit aujourd’hui que les organisations antidopage peuvent octroyer un sursis à la personne coupable d’une violation des règles antidopage qui apporte une aide substantielle à la découverte ou à l’établissement d’une infraction. La partie de la suspension assortie du sursis varie en fonction de la gravité de l’infraction et de l’importance de l’aide fournie – les facteurs pris en compte sont, par exemple, le nombre de personnes impliquées, leur statut, la nature difficilement décelable de la substance, etc. –. En tout état de cause, le sursis ne peut concerner, au maximum, que les trois quarts de la période de suspension, et peut être révoqué si l’aide promise ne s’est pas concrétisée. La fourniture d’une aide substantielle est le seul cas de figure dans lequel un sursis peut être accordé.

Dans le cadre de la révision du code mondial antidopage, l’AMA pourra désormais, dans des circonstances exceptionnelles, accepter une période de sursis plus élevée, voire couvrant la totalité de la période de suspension (56). Par ailleurs, dans des « circonstances uniques », l’AMA pourra autoriser l’organisation antidopage qui a accordé le sursis à conclure des accords de confidentialité pour retarder ou limiter la divulgation de l’aide fournie. Par ailleurs, pour assurer à la personne suspendue que le sursis accordé ne pourra être remis en cause, les décisions de l’AMA seront insusceptibles d’appel. Au total, le code mondial antidopage permet aux personnes « qui reconnaissent leurs erreurs et sont disposé[e]s à faire la lumière sur d’autres violations des règles antidopage » de contribuer à l’assainissement du milieu sportif.

Enfin, les mineurs font désormais l’objet d’un traitement spécifique concernant la divulgation obligatoire de leur identité par l’organisation antidopage. En effet, alors que dans le cas de personnes majeures, l’organisation antidopage a l’obligation de dévoiler l’identité du sportif dopé, le nouveau code mondial prévoit une exception pour les personnes mineures qui auraient été sanctionnées du fait d’une violation des règles antidopage (57).

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission examine, sur le rapport de M. Pascal Deguilhem, le présent projet de loi au cours de sa séance du mercredi 10 décembre 2014.

I. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. le président Patrick Bloche. Les habilitations du Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance en application de l’article 38 de la Constitution constituent un exercice contraint pour le Parlement puisque seul le Gouvernement peut en avoir l’initiative et en définir le champ, comme le Conseil constitutionnel l’a confirmé dans une décision du 20 janvier 2005. Par conséquent, nos possibilités d’amender le texte restent limitées. Notre rapporteur a toutefois mis à profit l’examen de ce projet de loi pour analyser dans le détail le dispositif actuel de lutte antidopage ainsi que les évolutions figurant dans le nouveau code mondial. Nous avons d’ailleurs eu le plaisir de nous entretenir à ce sujet le 14 novembre dernier avec Sir Craig Reedie, président de l’Agence mondiale antidopage. Nos collègues Marie-George Buffet, Valérie Fourneyron, Pascal Deguilhem et moi-même avons assisté à cet entretien.

M. Pascal Deguilhem, rapporteur. En préambule, je souhaiterais rassurer les parlementaires ici présents puisque, à l’issue de l’examen de mon rapport par notre Commission, le Gouvernement nous laissera consulter son projet d’ordonnance.

La France a toujours été l’un des pays les plus volontaristes en matière de lutte contre le dopage. Plusieurs étapes législatives se sont succédé à cet égard. Dès 1965 fut adoptée la loi Herzog, du nom du ministre des sports de l’époque, qui réprimait l’usage des produits stimulants dans le cadre de compétitions sportives. Puis le ministre Bambuck, en faisant adopter la loi de 1989, a permis de franchir un pas décisif dans la politique antidopage. Enfin, en 1999, sous la responsabilité de notre collègue Marie-George Buffet, fut votée une grande loi, dans le prolongement d’une affaire qui avait profondément marqué le sport français : l’affaire Festina qui éclata lors du Tour de France de 1998. La loi de 1999 a permis la création du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage qui se transformera plus tard en Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). La ratification par la France, sous l’égide de l’Unesco, de la Convention internationale de lutte contre le dopage en janvier 2007 a traduit la nécessité de mener ce combat éthique de façon harmonisée au niveau international.

Aujourd’hui, notre pays, qui dispose de plusieurs représentants au sein de l’Agence mondiale antidopage (AMA) – parmi lesquels notre collègue Valérie Fourneyron, qui en préside le comité Santé, Médecine et Recherche –, doit saisir l’occasion que constitue l’adoption du nouveau code mondial antidopage pour faire évoluer sa politique de lutte contre le dopage. Ainsi que vient de le rappeler le président Bloche, nous avons auditionné à l’Assemblée nationale Sir Craig Reedie, le président de l’AMA, qui nous a rappelé la place de la France en la matière.

Bien sûr, le Gouvernement n’a pas attendu la révision du code mondial pour prendre des mesures importantes, puisqu’il a notamment instauré en 2012 le passeport biologique. Si l’application progressive de ce dispositif a posé des difficultés, et si l’on mesure encore mal aujourd’hui le nombre d’athlètes concernés, il n’en constitue pas moins un outil important pour suivre les variables biologiques des sportifs et repérer ceux d’entre eux qui pourraient éventuellement se doper.

Cela étant, le code mondial antidopage, qui a été récemment révisé, comporte des dispositions susceptibles de rendre la lutte contre le dopage
– essentiellement fondée sur les contrôles sanguins et urinaires – plus intelligente et plus ciblée encore. Outre le fait que la France se soit engagée politiquement à l’égard des autres États à transposer ce texte en droit interne, et outre l’entrée en vigueur de ce nouveau code dès le 1er janvier 2015, c’est la pertinence de ses dispositions qui justifie leur transposition rapide, par voie d’ordonnance, dans le code du sport. Sans cela, nous mettrions en difficulté notre Agence française de lutte contre le dopage. Or la France ne saurait être en retrait sur la scène internationale en matière de lutte contre le dopage. Ce serait un mauvais signal envoyé à des pays moins avancés en ce domaine.

Le code mondial antidopage comporte plusieurs dispositions nouvelles tendant à renforcer l’efficacité de la prévention et de la répression du dopage.

Tout d’abord, les compétences des organisations nationales antidopage, telles que l’AFLD, se trouvent étendues : l’AFLD pourra désormais effectuer des contrôles au cours des manifestations sportives internationales, mais en dehors du site sur lequel elles se déroulent. Si une telle mesure peut prêter à discussion, elle semble néanmoins nécessaire tant il est difficile d’obtenir une harmonisation complète des règles applicables entre les différentes fédérations internationales, les fédérations nationales et notre agence. Une telle disposition permettra donc de remédier à la mauvaise volonté dont peuvent faire preuve certaines fédérations internationales lorsqu’il s’agit de laisser des organisations antidopage diligenter des contrôles supplémentaires dans le cadre des compétitions qu’elles organisent.

Ensuite, le nouveau code mondial antidopage met l’accent sur le renseignement, la réalisation d’enquêtes, le partage d’informations et la mise en réseau des différents acteurs de la lutte antidopage. Nous sommes aujourd’hui à un tournant dans la lutte contre le dopage : au contrôle direct, fondé sur des analyses biologiques – 11 000 environ ont été réalisées en 2013 – mettant en évidence la présence d’un produit dopant, va succéder un contrôle indirect, fondé sur des moyens de preuve différents, parmi lesquels le renseignement tient une place fondamentale. Du reste, l’AFLD vient de recruter un enquêteur issu de la police nationale.

Enfin, la répression du dopage évolue pour mieux protéger le sportif, dès son plus jeune âge, de lui-même et de son entourage. Une nouvelle infraction est créée, qui interdit au sportif de s’associer à des personnes ayant enfreint les règles antidopage. Les vrais tricheurs, ceux qui violent intentionnellement ces règles, se verront appliquer des sanctions disciplinaires plus lourdes. À l’inverse, les sportifs qui auront apporté une aide substantielle à la découverte d’une infraction pourront voir leurs sanctions réduites. Pour adapter la répression à la nature même du dopage, qui évolue sans cesse, mais aussi pour tenir compte du temps que peut prendre une enquête, le délai de prescription passe de huit à dix ans.

Le code mondial antidopage, qui a été élaboré avec l’aide d’un cabinet d’avocats américains, est commun à 177 pays. Il doit donc nécessairement être adapté à la diversité des droits des États. Aussi, dans le cadre de la transposition qui fait l’objet du présent projet de loi, nous avons, dans une certaine mesure, la faculté d’adapter ces dispositions à notre tradition juridique et à nos principes, notamment constitutionnels.

Un point particulier de la transcription fait d’ailleurs encore débat : la possibilité, prévue par ce nouveau code, d’effectuer des contrôles, c’est-à-dire des prélèvements sanguins et urinaires, « à tout moment et en tout lieu ». Au regard du droit en vigueur, l’adoption d’une telle disposition aurait pour effet de permettre aux autorités antidopage de diligenter des contrôles nocturnes, entre 21 heures et 6 heures du matin, au domicile d’un sportif. Une telle possibilité est contraire au principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile. D’ailleurs, même en droit pénal, les perquisitions nocturnes ne sont possibles que pour des infractions particulièrement graves, telles que des actes de terrorisme ou relevant de la criminalité organisée. Cette disposition contrevient également au principe de respect de la vie privée et familiale, garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH), de sorte que la France, si elle appliquait une telle mesure, pourrait se voir condamnée par la Cour européenne de Strasbourg. C’est pourquoi le Conseil d’État, dans son avis du 26 juin 2014, a considéré que la transposition de cette disposition n’était possible que si le contrôle en cause s’effectuait avec le consentement du sportif concerné. D’après les informations dont je dispose, le Gouvernement souhaite conditionner ces contrôles nocturnes à l’accord du sportif mais aussi à l’existence d’une forte suspicion à son égard : il ne s’agirait donc pas de contrôler l’ensemble des sportifs de cette façon. Non seulement le dispositif envisagé semble proportionné mais en outre, il pallie l’une des lacunes du droit actuel, qui laisse les sportifs libres de prendre des produits dopants pendant la nuit, indétectables le lendemain matin. C’est notamment le cas de l’hormone de croissance ou de faibles doses d’EPO.

Globalement, la transposition du code mondial antidopage devrait contribuer à renforcer l’efficacité de la lutte contre le dopage, à condition toutefois que l’AFDL dispose de moyens financiers et humains suffisants pour être en mesure d’appliquer ces nouveaux dispositifs.

Les produits ou méthodes de dopage progressant chaque jour et conservant toujours une avance sur la recherche en matière de détection, nous ne pouvons nous permettre de prendre du retard en la matière. Toutes les personnes que nous avons auditionnées – qu’elles appartiennent au milieu sportif, au monde scientifique ou au champ universitaire – considèrent ce texte comme allant dans la bonne direction. Elles nous ont d’ailleurs adressé des propositions visant à consolider le projet d’ordonnance sur le plan juridique et à améliorer l’efficacité de la lutte contre le dopage.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie pour la clarté et la pédagogie de votre présentation, monsieur le rapporteur.

Mme Brigitte Bourguignon. Ce texte d’ordre technique ne devrait pas poser de difficultés à notre commission puisqu’il a été adopté à l’unanimité au Sénat et fait l’objet d’un large consensus. Il permettra à la France de respecter les règles et principes du code mondial antidopage.

Si nous connaissons tous l’historique de la lutte mondiale contre le dopage, depuis la première convention internationale signée à Strasbourg en 1989 et la création de l’Agence mondiale antidopage en 1999, il s’agit à présent de poursuivre la rationalisation et l’harmonisation, à l’échelle mondiale, des règles de lutte contre toute forme de dopage. D’où la troisième modification apportée au code mondial antidopage depuis son élaboration en 2003, que devront respecter l’ensemble des fédérations sportives internationales et les agences de lutte contre le dopage des différents pays signataires.

La France, qui est membre de l’agence mondiale depuis l’origine, s’honore encore une fois à se montrer exemplaire en termes d’éthique et de déontologie en transposant ce nouveau code en droit interne. Dans un souci de célérité, le texte qui nous est présenté tend à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance, comme ce fut le cas pour la transposition de la deuxième modification de ce code. Les dispositions nouvelles de ce code mondial, très techniques, doivent en effet entrer en vigueur au 1er janvier 2015.

Plusieurs d’entre elles nécessitent une intervention législative. Sans les reprendre toutes ici, je tiens à souligner l’intérêt que présente cette nouvelle doctrine antidopage : celle-ci met l’accent sur les enquêtes et le recours au renseignement, prend en compte tout l’environnement du sportif, durcit les sanctions applicables et implique davantage les fédérations nationales dans cette lutte antidopage.

Je m’attarderai également sur les trois dispositions de ce texte qui sont susceptibles d’être contraires à nos principes constitutionnels – le Gouvernement semble cependant prêt à apporter une réponse satisfaisante.

La première d’entre elles, qui prévoit que le sportif doit être disponible pour subir des contrôles antidopage « à tout moment et en tout lieu », posait le problème des contrôles susceptibles d’être effectués entre 21 heures et 6 heures du matin. Ces contrôles ne devraient donc être possibles qu’avec l’autorisation du sportif, et se limiteraient à un prélèvement d’échantillon afin de garantir un juste équilibre entre le droit à l’intimité du sportif et la lutte antidopage. Il sera nécessaire de veiller au contenu de la future ordonnance, comme le préconise le Conseil d’État. Deuxième point, la compétence reconnue par le code mondial antidopage au tribunal arbitral du sport ne sera pas retranscrite dans l’ordonnance. Enfin, troisième et dernier point, les sanctions prévues par le code mondial devront s’entendre comme des sanctions maximales afin d’éviter toute contradiction avec le principe d’individualisation des peines.

Le Gouvernement s’est engagé au Sénat à présenter devant la représentation nationale le texte de l’ordonnance, dès qu’il sera connu, afin de la rassurer sur ces trois points. Au nom de l’Assemblée nationale, j’ai siégé au sein du comité de préfiguration du profil biologique de l’AFLD et ai ainsi assisté à l’élaboration du profil biologique que le rapporteur mentionne dans son rapport. J’ai ainsi pu mesurer à quel point l’instauration de tels dispositifs de lutte antidopage était complexe. Tout ce qui permet de conforter l’éthique dans le sport doit être fait. Les techniques de dopage s’affinent. Les trafics aussi. C’est donc pour nous un devoir que de nous conformer aux règles mondiales dans cette lutte. Les législations nationales sont certes nécessaires mais c’est désormais des échelons mondial et européen que relève la compétence en matière de lutte antidopage, dans le cadre des grands événements internationaux.

Au-delà du sport professionnel sans cesse pointé dans ces affaires, c’est désormais le sport amateur qui est menacé. Or le sport, présenté comme un facteur de bonne santé, ne doit pas devenir paradoxalement, à cause du fléau du dopage, un problème de santé publique.

C’est pourquoi le groupe SRC est favorable à l’adoption des mesures proposées.

Mme Sophie Dion. Une fois n’est pas coutume, nous examinons un projet de loi qui ne soulève pas de difficultés particulières ni d’opposition manifeste de la part du groupe UMP. Certes, nous ne sommes généralement pas favorables à la procédure des ordonnances qui prive le Parlement de son rôle de législateur
– même si nous pourrons sans doute lire l’ordonnance une fois sa rédaction achevée. Dans ce contexte précis, compte tenu de l’urgence des délais impartis
– le code mondial antidopage entrant en vigueur à compter du 1er janvier 2015 – ainsi que de la technicité des mesures à prendre – le code mondial ayant fait l’objet de 2 269 modifications –, on peut comprendre que le Gouvernement souhaite légiférer par voie d’ordonnance pour transposer cette nouvelle version du code mondial antidopage qui fut adoptée lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport à Johannesburg en novembre 2013.

Le dopage est un fléau majeur pour l’éthique du sport, pour l’équité des compétitions et pour la santé des sportifs – qu’ils soient amateurs ou professionnels, jeunes ou confirmés. La France a toujours mené une politique active de lutte contre le dopage et a joué en la matière un rôle précurseur lorsqu’elle a créé son agence de lutte contre le dopage. Celle-ci, qui bénéficie d’un certain nombre de pouvoirs, n’est cependant pas dotée de moyens suffisants pour mener à bien sa mission.

Cela étant, la lutte contre le dopage doit s’effectuer au niveau mondial. Il nous faut œuvrer en harmonie et en coopération avec tous les autres pays et avec le mouvement sportif, tant au niveau national que mondial, qu’il s’agisse des organisations sportives, des fédérations sportives ou des agences de lutte contre le dopage. Il convient de favoriser les échanges d’informations et d’adapter sans cesse notre cadre juridique aux nouvelles pratiques de dopage. De ce point de vue, les mesures visant à allonger de huit à dix ans le délai de prescription des sanctions disciplinaires, à élargir l’échelle des sanctions – notamment pour l’entourage, parfois fautif, des sportifs – ou encore à favoriser la collecte d’informations vont dans le bon sens.

Il est un point à l’égard duquel il nous faut cependant rester vigilants : les sportifs bénéficient des droits et garanties qui sont accordés à toute personne humaine. Or la possibilité, prévue par le code mondial d’antidopage, d’effectuer des prélèvements nocturnes au domicile d’un sportif est contraire aux principes constitutionnels d’inviolabilité du domicile et de respect de la vie privée. Une application littérale de ce code mondial pourrait donc poser un problème de respect des garanties et droits dus à toute personne humaine, fût-elle un sportif.

M. Jean-Noël Carpentier. Notre commission partage une vision commune en matière de lutte contre le dopage, véritable fléau pour la santé, pour l’éthique et pour le sport. Car enfin, quel plaisir peut-on bien trouver à une compétition internationale si, dès qu’un vainqueur est récompensé, on se demande s’il ne s’est pas dopé ? Fléau aussi parce que le dopage active les réseaux mafieux. Le groupe RRDP approuve donc les mesures proposées. Il souhaiterait néanmoins lui aussi avoir accès au texte du projet d’ordonnance que fournira le Gouvernement.

Mme Marie-George Buffet. Le texte que nous examinons ce matin témoigne avant tout du chemin parcouru depuis la création de l’Agence mondiale antidopage. C’est en 1999 que quinze ministres des sports de l’Union européenne, à l’initiative de la France, se sont rendus au Comité international olympique à Lausanne pour lui demander de s’engager dans la lutte contre le dopage afin que soit reconnue la double responsabilité des États et du mouvement sportif dans cette lutte. Or, aujourd’hui, le combat est loin d’être gagné, comme l’illustrent les affaires qui agitent la Fédération russe et la Fédération internationale d’athlétisme. De même, des sportifs français ont fait l’objet de contrôles ayant donné lieu à des résultats positifs dans une période récente. Le code mondial antidopage est appliqué de manière très inégale selon les pays et il reste encore des progrès à réaliser en la matière. Il convient néanmoins de mesurer les avancées concrètes qui ont été accomplies ainsi que la prise de conscience internationale à laquelle nous assistons, plaçant au cœur de la pratique sportive le respect de l’intégrité physique et psychique des individus ainsi que le respect des règles.

Le calendrier de transposition de ce code mondial étant contraint, il nous est demandé d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Je le regrette sur un sujet aussi complexe, touchant aux droits et aux devoirs de la personne, qui aurait mérité un débat et la faculté pour les parlementaires d’amender, dans les limites permises par la nécessité de transposer un texte international. Les dispositions proposées sont positives pour la plupart. Sont notamment prévus l’allongement du délai de prescription, des actions disciplinaires, l’interdiction de s’associer à une personne faisant l’objet d’une sanction, l’incitation à une meilleure coopération entre les fédérations et les organisations nationales de lutte contre le dopage et l’extension du rôle de l’AFLD.

Permettez-moi néanmoins de m’arrêter sur deux mesures qui me posent problème. En l’état actuel, la loi française repose sur la prévention et sur le contrôle positif : le législateur a en effet considéré que la lutte contre le dopage revêtait un caractère spécifique et que le sportif était avant tout victime d’un système et qu’il ne devait donc pas faire l’objet de sanctions pénales mais bien de sanctions disciplinaires sportives, telles que la suspension ou l’interdiction de pratiquer son sport pendant une période donnée. Il est vrai que l’affaire Armstrong a montré les limites de ce système de contrôle – surtout lorsqu’il y a des complicités au plus haut niveau de certaines fédérations sportives. Et c’est parce que la méthode américaine a permis de confondre ce cycliste à partir d’enquêtes et de témoignages qu’une telle démarche a été retenue dans le code mondial antidopage. Ce n’était pourtant pas la démarche du législateur français. Convient-il de maintenir une discipline sportive ou plutôt de nous orienter vers des sanctions pénales ? Je reste pour ma part convaincue que le sportif est prisonnier d’un système et qu’il convient par conséquent d’en rester à la sanction sportive.

Ma deuxième observation porte sur les sursis. Nous nous trouvons face à une activité fondée sur la compétition. Il convient donc de bien encadrer le recours aux témoignages et aux dénonciations afin d’éviter toute dérive.

Une autre disposition qui m’interpelle est celle qui prévoit que tout sportif peut être tenu de fournir un échantillon à tout moment et en tout lieu, donc y compris entre 21 heures et 6 heures du matin. Comment allons-nous procéder pour faire évoluer le code du sport dans le respect du principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile ? Le rapporteur a souligné que le pouvoir de contrôle de l’AFLD était très encadré. On a effectivement toujours cherché à respecter une certaine proportionnalité entre les enjeux de la lutte contre le dopage et la protection des droits fondamentaux. Or ce principe de proportionnalité n’est-il pas remis en cause en l’occurrence ? J’en entends certains objecter que les sportifs pourraient se doper la nuit. Mais un dealer peut aussi cacher de la drogue avant que la police n’arrive à six heures du matin à son domicile. La remise en cause du principe d’inviolabilité du domicile ne me paraît donc pas justifiée. Certes, le rapporteur nous indique que le Gouvernement entend encadrer très strictement cette entorse au principe en recueillant l’autorisation du sportif. Mais alors, quelle sera l’efficacité de ces visites nocturnes ?

Enfin, le combat contre le dopage vise à protéger les sportifs : il tend à éviter la triche mais aussi à les empêcher de nuire à leur propre santé. Est-il acceptable que le sportif ne soit pas considéré comme un citoyen à part entière et que l’on déroge en conséquence à des principes constitutionnels pour le contrôler alors que la France n’a plus à faire la preuve de sa volonté de mener ce combat ?

M. Laurent Degallaix. La lutte contre le dopage répond à un double impératif. Elle correspond tout d’abord à un objectif éthique, puisqu’il s’agit de préserver les valeurs du sport et le sens même de l’effort, sa vérité, comme celle de la performance sportive. Elle se justifie également par la poursuite d’un objectif de santé publique puisque le dopage peut mettre en danger la vie ou la santé de celles et ceux qui y recourent, avec ou sans leur consentement.

La lutte contre le dopage doit également répondre à une double exigence méthodologique. Elle ne peut s’inscrire que dans un cadre international et l’arsenal législatif et réglementaire doit sans cesse évoluer pour combattre le plus efficacement possible l’inventivité sans limites des tricheurs.

Face à la persistance du dopage, et aux nouvelles dimensions qu’il prend, le Gouvernement a déposé au Parlement un projet de loi visant à mettre notre droit en conformité avec la troisième version du code mondial antidopage, adoptée lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport qui s’est tenue à Johannesburg en novembre 2013. Les modifications proposées visent à renforcer l’efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, dans le respect du principe de proportionnalité.

Notre groupe salue ces modifications comme autant d’actions utiles et pertinentes pour lutter contre le dopage : la prise en compte des preuves indirectes est facilitée, le partage d’informations est développé, la coopération entre les fédérations sportives et les institutions intervenant dans la lutte contre le dopage est améliorée et un pouvoir d’enquête propre est conféré à l’Agence mondiale antidopage.

En outre, nous nous réjouissons que le délai de prescription des sanctions disciplinaires soit allongé et que les sanctions soient alourdies, que les pouvoirs de contrôle des organisations nationales antidopage soient renforcés tout comme la lutte contre les complicités ou les systèmes organisés de dopage.

En revanche, nous ne pouvons que regretter le recours aux ordonnances. Cette méthode prive malheureusement le Parlement d’un débat approfondi sur cette question essentielle, les mesures à prendre ayant des conséquences significatives en matière de libertés publiques.

Néanmoins, l’adoption sans modification et à l’unanimité du projet de loi par la nouvelle majorité sénatoriale démontre que le Gouvernement a su apporter les indications appropriées quant aux mesures qui figureraient dans l’ordonnance, ce qui nous semble rassurant.

Nous regrettons enfin que le dopage fasse l’objet d’un projet de loi spécifique, au lieu d’être traité dans le cadre d’une grande loi qui aurait porté sur toutes les dimensions du sport : la gouvernance, le financement et l’économie du sport, l’infrastructure et les équipements, l’emploi sportif, le sport professionnel et amateur, le rôle du sport comme vecteur d’instruction, d’éducation et de cohésion sociale, le développement de nouvelles pratiques sportives, le parcours des sportifs, leur formation et leur reconversion, et la lutte contre le dopage.

Pour autant, nous considérons que le code mondial antidopage, dans la nouvelle rédaction qu’il s’agit de traduire en droit interne, renouvelle et renforce les moyens de la lutte contre le dopage et permet aux pouvoirs publics de ne pas être en retrait face à cet enjeu sanitaire et sportif majeur. Aussi, nous approuverons ce projet de loi.

Mme Marie-Odile Bouillé. Je veux à mon tour souligner l’importance de la lutte contre le dopage et, surtout, la nécessité d’assurer, dans les clubs, une formation et une information des parents et des jeunes pratiquant un sport. La France est leader en matière de lutte contre le dopage. Aussi souhaiterais-je savoir si la transposition des principes du code mondial antidopage dans notre droit interne entraînera une évolution du niveau des sanctions. Peut-être pourriez-vous, monsieur le rapporteur, établir sur ce point une comparaison avec l’Allemagne, où une loi entièrement consacrée à la lutte contre le dopage devrait être prochainement adoptée, qui durcit la législation applicable en la matière en prévoyant la mise en cause pénale des sportifs ainsi que des peines de prison en cas de délit de possession de produits dopants.

M. Michel Herbillon. La lutte contre le dopage nous rassemble, au-delà des clivages politiques, tant ses enjeux éthiques et de santé publique sont importants. Je souhaiterais savoir quel jugement notre rapporteur porte sur la nature des contrôles prévus dans le texte : seront-ils véritablement efficaces ? Certes, il faut respecter les libertés publiques et les principes constitutionnels, mais ce qu’attendent les sportifs, les amateurs de sport et les citoyens, ce sont des contrôles antidopage véritablement efficaces.

M. Hervé Féron. Les ministres allemands de la justice et de l’intérieur ont présenté, le mois dernier, un projet de loi sanctionnant d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison les sportifs allemands de haut niveau coupables de s’être dopés. Jusqu’à présent, les sportifs concernés n’étaient passibles d’aucune sanction pénale ; ils n’encouraient qu’une suspension, prononcée par les tribunaux sportifs. Outre les peines d’emprisonnement, le texte prévoit des amendes ainsi que la confiscation des prix reçus au titre des performances accomplies grâce au dopage.

La France semble, quant à elle, accorder une plus grande attention à la dimension préventive de la lutte contre le dopage, et je m’en félicite. Des antennes médicales de prévention du dopage ont ainsi été mises en place à partir de 2006.

Monsieur le rapporteur, que pensez-vous de l’initiative allemande, qui témoigne d’un véritable durcissement de la législation antidopage outre-Rhin ? En aggravant ainsi les sanctions encourues par les sportifs, on risque d’en faire des boucs émissaires. Or, comme le dit la présidente de l’association des victimes de dopage, de nombreux intérêts sont en jeu dans le dopage. Nous avons donc besoin d’un dispositif qui permette de détruire les réseaux, de rendre les structures visibles et d’en punir les responsables. La création d’une nouvelle infraction de complicité de trafic de substances ou de méthodes dopantes visant l’entourage des sportifs permettra-t-elle, selon vous, d’identifier et de démanteler ces réseaux illégaux dont les sportifs sont les premières victimes ? D’autres dispositions du code mondial antidopage vont-elles également dans ce sens ?

Mme Dominique Nachury. La lutte contre le dopage ne suscite pas de débat : c’est un impératif éthique et sanitaire. Si elle nécessite que l’on y consacre des moyens appropriés, certains de ces moyens suscitent des interrogations au regard du droit français, qu’il s’agisse de l’automaticité des sanctions ou de la disponibilité des sportifs pour les contrôles. J’en viens à ma question. Une meilleure reconnaissance des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) ne risque-t-elle pas de faire des sportifs de haut niveau des grands malades ? Je pense, par exemple, aux asthmatiques du Tour de France... Par ailleurs, comment concilier cette mesure avec le secret médical ? Peut-on envisager la levée de ce secret pour les sportifs de haut niveau ?

M. Frédéric Reiss. Mon intervention concerne la prévention du dopage sous l’influence de l’entourage. Le code mondial antidopage précise bien que le personnel d’encadrement ne peut utiliser ou posséder une méthode ou un produit interdits. Se pose donc la question du dopage des jeunes sportifs, notamment des mineurs. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de prévenir le dopage, non seulement dans les établissements scolaires, mais aussi dans les centres de formation.

M. François de Mazières. La diffusion par la chaîne publique allemande ARD d’un documentaire sur l’athlétisme russe, intitulé « Dopage confidentiel. Comment la Russie fabrique ses vainqueurs », a incité le ministre de l’intérieur allemand à annoncer l’élaboration d’un projet de loi prévoyant jusqu’à trois ans de prison pour les sportifs de haut niveau allemands coupables de s’être dopés. En France, seule la détention, et non l’utilisation, de substances ou de méthodes interdites est passible d’une sanction pénale, en l’espèce une amende de 3 750 euros et une peine d’emprisonnement d’un an. Autant dire que ces peines ne sont jamais prononcées. Au demeurant, elles représentent bien peu au regard des enjeux de la carrière d’un sportif de haut niveau. Comment se situe la transposition française de cette convention internationale par rapport aux autres initiatives législatives nationales et va-t-elle suffisamment loin ?

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, j’ai pris bonne note de vos remarques. Je vais donc écrire dès aujourd’hui à Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, pour lui exprimer notre souhait de l’accueillir ici même afin qu’il nous présente, le moment venu, l’ordonnance préparée par le Gouvernement.

M. le rapporteur. Les préoccupations exprimées portent, pour l’essentiel, sur l’équilibre qu’il nous faut trouver entre sanction disciplinaire et sanction pénale. M. de Mazières vient de rappeler que nous disposons d’un outil pénal
– même si celui-ci n’est jamais utilisé. Dès lors, on peut s’interroger sur l’opportunité de prévoir des sanctions du type de celles que l’Allemagne s’apprête à adopter. En effet, et je rejoins Mme Marie-George Buffet sur ce point, il faut prendre garde à ne pas faire du sportif le grand délinquant qu’il n’est pas. Hélas, les enjeux financiers de la performance sportive sont tels que le sportif de haut niveau se retrouve souvent entouré de personnes liées au trafic de produits ou de méthodes interdits. Des dispositions adaptées à la lutte contre ce phénomène doivent donc être prises par le législateur, et c’est précisément un des objets de la transposition dans notre droit du code mondial antidopage.

Cette transposition tente de parvenir à un juste équilibre. À cet égard, peut-être la sanction financière du sportif devrait-elle être davantage appliquée, comme nous l’ont indiqué plusieurs des personnes que nous avons auditionnées. Certes, nous allons renforcer la sanction sportive, puisque la durée de la suspension sera portée de deux à quatre ans. Mais une suspension de quatre ans signifie la fin de sa carrière pour le sportif concerné ; la sanction est donc suffisamment lourde. En revanche, il nous faut concentrer nos efforts, notamment les moyens d’enquête – et c’est l’objet de cette transposition – sur les membres de l’entourage qui ont conduit le sportif à se retrouver prisonnier d’un engrenage. Bien entendu, il ne s’agit pas d’abandonner le profilage biologique ni les contrôles sanguins et urinaires. On ne parle, la plupart du temps, que de la partie émergée de l’iceberg, des faits dont la presse se fait l’écho, en oubliant que l’organisation de contrôles dans certaines salles de sport permettrait de révéler un dopage et un trafic de produits dopants qui sont trop souvent ignorés aujourd’hui. Il en va pourtant de la santé publique.

Encore une fois, la transposition du code mondial antidopage dans notre droit interne respecte un juste équilibre. Il nous appartiendra, en tant que législateur français, d’aller éventuellement plus loin dans le cadre d’une loi sur le sport. Quoi qu’il en soit, il importe, dans le cadre de cette transposition, d’agir dans le respect de la vie privée du sportif, avec le souci qu’il soit traité comme n’importe quel autre citoyen, sauf en cas de très grande suspicion. À ce propos, je veux dire à Marie-George Buffet que je vois mal l’AFLD diligenter un contrôle nocturne. Elle pourra toutefois en faire la demande. Dans ce cas, un refus de la part du sportif ne fera que renforcer les soupçons qui auront conduit l’agence à formuler cette demande, laquelle, je le rappelle, ne pourra intervenir que si des enquêtes préalables ont mis en évidence la nécessité de procéder à un tel contrôle.

La question du tribunal arbitral du sport, qui a été soulevée par Brigitte Bourguignon, est réglée : cette disposition ne sera pas transposée en droit français.

Par ailleurs, nous avons été nombreux à déplorer que le Gouvernement engage la procédure accélérée sur ce texte, mais la transposition dans notre droit des dispositions du code mondial antidopage est aujourd’hui nécessaire.

Enfin, Dominique Nachury a évoqué les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques. La proportion d’asthmatiques est trois fois plus élevée chez les sportifs que dans la population générale – je suis d’ailleurs de ceux qui développent un asthme d’effort dans le cadre de leur pratique sportive. C’est une donnée à prendre en compte. En tout état de cause, il s’agit ici de simplifier les démarches des sportifs de haut niveau. Je pense que la transposition du code mondial est de nature à faciliter les choses sous cet aspect, tout en prenant en compte la nécessaire évolution des méthodes de lutte contre le dopage et des sanctions qui doivent être prises à l’encontre de celles et ceux qui transgressent les règles communes.

Je n’ai pas répondu à l’ensemble des questions, mais je m’efforcerai de le faire lors de mon intervention en séance publique.

II. EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique
Habilitation à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect dans le droit interne des principes du nouveau code mondial antidopage

1.  Le recours à une habilitation à légiférer par ordonnance justifiée par l’urgence

Pour certains, l’obligation de transposition du code mondial antidopage en vigueur au 1er janvier 2015 n’aurait, en réalité, pas de force juridique particulière. Cette assertion est, au strict plan du droit, exacte.

En effet, la France ayant ratifié la convention internationale contre le dopage dans le sport, elle est liée par cette dernière. Elle doit donc « adopter des mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés dans le Code » et « respecter les principes énoncés dans le Code », en application des articles 3 et 4 de la Convention. Pour autant, la convention stipule que le texte du code, bien qu’il constitue l’un de ses appendices, ne fait pas partie intégrante de la Convention. En outre, la Convention fait explicitement référence à la version de 2003 du code mondial antidopage.

Cette rédaction maladroite semble donc suggérer que la France doit respecter les « principes » du code – de surcroît dans sa version initiale –, sans pour autant être liée par ce dernier ! En tout état de cause, cela a poussé le Conseil d’État à considérer qu’ « en l’absence de ratification d’un avenant à la convention internationale de lutte contre le dopage dans le sport, les modifications apportées au code mondial antidopage en 2013 et figurant dans la version applicable au 1er janvier 2015 ne créent pas d’obligations juridiques à l’égard de la France » (58).

Une interprétation aussi littérale de la Convention et des obligations de la France ne respecterait toutefois pas son esprit. D’ailleurs, comme l’a indiqué M. Bruno Genevois, président de l’AFLD, dans un courrier adressé au rapporteur du projet de loi devant le Conseil d’État, les conventions internationales devant être appliquées de bonne foi, la reprise par une nouvelle version du code de « principes » figurant dans la version initiale ou procédant de la même inspiration entre dans le champ de la Convention (59). Dès lors, la France a bel et bien l’obligation, a minima politique et morale, de tenir compte de la nouvelle version du code. Certes, la lettre de ce texte offre quelques marges de manœuvre, sur le fond – comme nous le verrons plus loin – mais également quant à la date de la transposition effective en droit français.

Cependant, comme l’a très justement souligné Mme Cécile Chaussard, maître de conférences à l’Université de Bourgogne (60), l’AFLD est, contrairement à la France, signataire du code mondial antidopage et ses actions doivent être conformes à ce dernier, du moins une fois qu’elle aura adhéré à la version du code en vigueur. Si le code du sport n’est pas modifié rapidement, l’AFLD se trouvera donc dans une situation problématique, ses décisions pouvant éventuellement respecter le droit français mais pas les dispositions du nouveau code mondial. Il importe donc de transposer le plus rapidement possible les principes du nouveau code mondial antidopage, qu’ils soient de nature législative ou réglementaire.

D’ailleurs, si le projet de loi prévoit que l’ordonnance sera prise dans les neuf mois à compter de la publication de la présente loi et qu’un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance, les informations communiquées à votre rapporteur laissent à penser que l’ordonnance sera prise dans des délais bien plus brefs.

Dans un tel cas de figure, caractérisé par l’urgence, le recours à une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance peut se concevoir. Du reste, le Conseil constitutionnel a reconnu que « l’urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l’article 38 de la Constitution » (61). La relative technicité des dispositions à transposer – à laquelle le Parlement a cependant coutume de faire face –, et la nature peu « créative », au plan législatif, de la tâche à accomplir peuvent également justifier le recours à une ordonnance.

2.  De nombreuses dispositions à traduire dans la partie législative du code du sport

Si le nouveau code mondial antidopage apporte un certain nombre de modifications au droit existant, seules certaines d’entre elles relèvent du domaine législatif et donc du présent projet de loi.

a.  L’extension des compétences de l’AFLD

Les compétences de l’AFLD se trouvent quelque peu étendues par le nouveau code mondial antidopage. Comme on l’a vu plus haut, il est désormais nécessaire de prévoir, dans la loi, que l’AFLD peut contrôler les sportifs pendant la durée d’une manifestation internationale se déroulant sur le territoire français, en dehors du site de celle-ci. Elle pourra également, si les dispositions du nouveau code mondial sont transposées, effectuer des contrôles additionnels de sa propre initiative lorsqu’une organisation sportive internationale lui a délégué la réalisation de ses contrôles.

Mais, comme l’a souligné à juste titre Mme Cécile Chaussard, le code comporte également des dispositions non obligatoires qui mériteraient, dans le cadre de l’habilitation, d’être transposées en droit français. Notamment, le nouveau code prévoit, comme le précédent, que les organisations nationales antidopage peuvent choisir d’appliquer tout ou partie des règles antidopage aux sportifs récréatifs, qui ne prennent part à aucune compétition. Eu égard aux pratiques qui se développent aujourd’hui de façon préoccupante dans le cadre de certaines activités physiques et sportives, il ne serait pas inopportun d’entamer une réflexion sur le champ de la lutte contre le dopage en France.

En tout état de cause, votre rapporteur attire l’attention sur le coût que la mise en œuvre de ces compétences nouvelles représente. Il conviendra donc d’être attentif, dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de finances, à ce que les crédits budgétaires dévolus à l’AFLD soient cohérents avec la révision du code mondial antidopage.

b.  Les nouvelles modalités de répression

Plusieurs modifications apportées au code mondial antidopage appellent une modification du dispositif répressif figurant dans la partie législative du code du sport. Tel est le cas, en premier lieu, de la création de nouvelles incriminations :

– l’infraction d’association avec une personne suspendue ou reconnue coupable, au plan pénal, disciplinaire ou professionnel, de la violation d’une règle antidopage : il importera ici d’indiquer, dans le code du sport, la durée pendant laquelle l’interdiction s’applique aux personnes s’étant rendues coupables d’une violation des règles antidopage, ainsi que la procédure par laquelle le sportif en est informé et peut faire cesser, dans un délai également prévu par la loi, l’association en question. Des cas de non-application pourraient également être prévus par la loi, notamment lorsque la relation implique des personnes d’une même famille – parents et enfants, époux. Enfin, il semble difficile de transposer en l’état la disposition selon laquelle l’interdiction s’applique également aux personnes qui ont servi d’intermédiaire ou qui ont couvert les violations considérées, sauf à ce qu’elles aient également été reconnues coupables au plan professionnel, disciplinaire ou pénal de ces faits précis.

– la complicité, qui existait déjà sous l’empire de l’ancien code, n’est qu’imparfaitement reprise en droit interne, sauf en ce qui concerne les agissements spécifiquement sanctionnés au plan pénal (62). En ce qui concerne les agissements interdits, non repris dans la partie du code du sport relative aux sanctions pénales, il n’existe pas de sanction générale de la complicité. Certes, la complicité de l’usage, par un sportif, d’un produit interdit, est appréhendée, au cas par cas, par les autres interdictions – incitation, administration, facilitation, détention en vue de l’usage par un sportif, etc. Mais la complicité des faits de trafics, d’administration à un sportif, de soustraction au contrôle ou encore de falsification, n’est pas passible de sanctions disciplinaires en tant que telle, contrairement à ce que prévoit le code mondial antidopage. Aussi une transposition est-elle nécessaire.

– la définition de la falsification, dans le code mondial antidopage, inclut le fait de perturber le contrôle, de fournir des informations frauduleuses à une organisation antidopage ou encore l’intimidation de témoins potentiels. Or, ces deux derniers cas ne semblent pas appréhendés par le droit actuel, qui interdit de s’opposer par tout moyen à un contrôle et réprime la falsification, la destruction ou la dégradation de tout élément relatif au contrôle. Là encore, une transposition semble nécessaire pour respecter les principes du code mondial antidopage.

Le nouveau code mondial modifie également le régime de la prescription, en portant son délai à dix ans. Cela nécessite la modification de l’article L. 232-24-1 du code du sport, qui dispose que « l’action disciplinaire se prescrit par huit années révolues à compter du jour du contrôle ». Votre rapporteur rejoint en outre Mme Cécile Chaussard, qui a fait part, lors de son audition, de la nécessité de modifier également le point de départ du délai de prescription. En effet, l’existence d’un contrôle positif comme point de départ, avec le développement des moyens de preuve indirects, ne fait plus sens. Il était d’ores et déjà incohérent avec la possibilité de poursuivre quelqu’un pour simple détention de produits dopants, et pour l’ensemble des infractions qui sont insusceptibles d’être révélées par une analyse biologique. Du reste, le nouveau code prévoit que le délai de prescription commence à courir à compter de la date de la violation alléguée.

Enfin, le Gouvernement a prévu de transposer, dans la partie législative du code du sport, la possibilité offerte par le nouveau code mondial antidopage de prononcer des condamnations avec sursis en cas d’aide substantielle apportée par la personne sanctionnée.

c.  Les relations entre les organisations antidopage

Concernant les autorisations à des fins thérapeutiques (AUT), le droit interne prévoit déjà que l’AFLD peut reconnaître la validité des AUT délivrées par des organisations antidopage étrangères ou des fédérations internationales, dès lors qu’elles sont conformes au standard figurant en annexe à la convention de l’UNESCO. Toutefois, le droit interne ne fait pas encore mention de la possibilité désormais offerte aux organisations responsables de grandes manifestations de délivrer de telles autorisations. En conséquence, le code du sport devra permettre la reconnaissance des AUT délivrées par les organisations responsables de grandes manifestations.

Par ailleurs, le code du sport devra être modifié pour permettre un échange d’information efficace entre les acteurs de la lutte contre le dopage. Il faudra notamment transposer l’obligation faite aux fédérations sportives nationales de communiquer à l’AFLD toutes les informations dont elles disposent sur de possibles violations des règles antidopage. Une telle mesure permettrait à l’AFLD de veiller à ce que les fédérations sportives, premières instances disciplinaires pour les sportifs licenciés, exercent effectivement leurs compétences. Dans la même logique, comme l’ont suggéré tant Mme Cécile Chaussard que M. Pierre Camou (63), président de la Fédération française de rugby, il serait opportun de permettre expressément à l’AFLD de partager, avec les fédérations sportives, les informations qu’elle possède (64).

3.  L’aménagement de certaines dispositions du code mondial difficilement compatibles avec le droit français

a.  La compétence du tribunal arbitral du sport : une question réglée

Le nouveau code mondial antidopage, comme le précédent, reconnaît au tribunal arbitral du sport (TAS), une juridiction privée située à Lausanne, certaines compétences qui sont supposées s’imposer aux acteurs de la lutte contre le dopage. Notamment, l’appel des sanctions prononcées à l’encontre des sportifs de niveau international doit se faire exclusivement devant cette juridiction (65). Par ailleurs, le nouveau code mondial antidopage prévoit la possibilité d’une audience unique devant le TAS pour les sportifs de niveau national et international, en cas d’accord de toutes les parties (66).

Or, le Conseil d’État, saisi du projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale contre le dopage dans le sport, avait considéré que ces dispositions auraient conduit à établir « une compétence d’appel exclusive au bénéfice du tribunal arbitral du sport dans les cas de dopage impliquant des sportifs français de niveau international engagés, sur le territoire français, dans des compétitions sportives de niveau national, régional ou départemental ». Dès lors, « l’attribution d’une telle compétence porterait en effet atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, dans la mesure où elle conduirait à soumettre au contrôle d’une autorité internationale, de surcroît non établie par un accord intergouvernemental, les décisions d’autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique » (67).

Le Conseil d’État a donc réaffirmé, dans son avis du 26 juin 2014 sur le présent projet de loi, l’impossibilité de reconnaître, en droit interne, la compétence du TAS en matière de recours contre les décisions prises par l’AFLD et les fédérations nationales. Cette position est d’autant plus justifiée que le droit interne prévoit que les instances internationales peuvent saisir la juridiction administrative en application de l’article L. 232-24 du code du sport (68). Un tel recours offre en effet des garanties équivalentes à celui que prévoit le code mondial antidopage. Du reste, l’AMA n’a jamais remis en question la façon dont ces dispositions sont appréhendées par le droit français.

b.  Le régime des sanctions prévu par le code mondial : une incompatibilité avec le principe constitutionnel d’individualisation des sanctions

La transposition du nouveau code mondial antidopage soulève une autre question qui a, elle aussi, été réglée dans le cadre des transpositions précédentes. Ainsi, les nouvelles sanctions prévues par le code mondial révisé ne sauraient être transposées en droit interne, car elles ont le même caractère d’automaticité, dans la fixation de leur quantum, que les sanctions précédemment prévues. Chaque agissement interdit serait, si le code était appliqué selon une interprétation littérale, puni de la même sanction, quelles que soient les circonstances de l’infraction.

L’application littérale des dispositions du code mondial antidopage ne serait pas conforme au droit interne, notamment au principe constitutionnel d’individualisation des peines (69), qui s’applique à l’ensemble des sanctions ayant un caractère répressif et tendant à éviter la réitération, et rend nécessaire l’adaptation du quantum des peines aux circonstances propres à chaque cas. L’autorité compétente pour prononcer la sanction doit toujours être en mesure d’individualiser la sanction.

Le Conseil d’État, saisi du projet de loi autorisant la ratification de la convention de l’UNESCO, avait d’ailleurs indiqué que les dispositions du code mondial « ne peuvent être interprétées comme imposant la création d’un régime de sanction automatique en cas de dopage » ; au contraire, « elles peuvent être lues comme permettant d’instaurer un régime de sanction maximale » (70).

Ainsi, si les autorités compétentes pour prononcer les sanctions disciplinaires en France, l’AFLD et les fédérations sportives, doivent s’efforcer, dans les sanctions qu’elles prononcent, de tenir compte de l’aggravation des sanctions prévue par le nouveau code mondial, il ne saurait être fait référence, dans la loi, à l’application d’un quantum unique et automatique.

c.  La conciliation des contrôles nocturnes avec le droit interne

Le nouveau code mondial antidopage prévoit désormais que les contrôles doivent pouvoir être effectués à tout moment et en tout lieu, y compris la nuit et au domicile du sportif. Cette règle figurait auparavant dans le standard établi par l’AMA pour le contrôle antidopage, qui ne s’impose pas à la France. La transposition, en l’état, de cette disposition, serait contraire au principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile comme au droit au respect de la vie privée et familiale protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH).

Ces principes ne connaissent, en droit interne, que de très rares exceptions, relatives notamment aux perquisitions en matière de terrorisme et de criminalité en bande organisée. Du reste, le commentaire du code mondial antidopage indique que cette disposition n’est applicable, si le sportif n’y a pas consenti, que lorsque l’organisation antidopage a « des soupçons graves et spécifiques que le sportif puisse être impliqué dans des activités de dopage » (71).

L’AFLD a indiqué, dans sa délibération du 26 mars 2014, que cette obligation allait « sensiblement au-delà des obligations pesant sur la généralité des intéressés et même sur ceux astreints à une obligation de localisation destinée à permettre des contrôles inopinés en amont des compétitions » (72). Le Conseil d’État a considéré, pour sa part, que ces dispositions « ne peuvent être transposées qu’en garantissant la stricte proportionnalité entre les atteintes portées aux droits des sportifs et les enjeux de la lutte contre le dopage, en termes de loyauté des compétitions sportives et de santé publique, et qu’en conditionnant au consentement des sportifs les prélèvements effectués à leur domicile » (73).

D’après les informations communiquées à votre rapporteur, le Gouvernement entend encadrer très strictement la possibilité offerte par le nouveau code mondial d’opérer des prélèvements nocturnes. Outre le consentement du sportif, une telle mesure ne serait pas applicable à l’ensemble des sportifs – comme le prévoit pourtant le code mondial antidopage –, ni même à l’ensemble des sportifs du groupe cible. Seule une forte suspicion à l’égard du sportif pourrait conduire à sa mise en œuvre. Enfin, seuls des prélèvements biologiques, non pas des perquisitions, seraient rendues possibles dans ce cadre.

L’Espagne, qui a d’ores et déjà transposé cette disposition, a prévu un régime qui apparaît moins protecteur des droits individuels et des libertés fondamentales. En effet, si la loi du 20 juin 2013 pose le principe d’une interdiction des contrôles antidopage entre 23 heures et 6 heures, pour assurer tant le repos du sportif que le respect de sa vie privée, l’article 15.2 de la loi précise que, sous réserve de respecter le principe de proportionnalité, de tels contrôles peuvent avoir lieu dans des cas dûment justifiés et après avoir informé le sportif des raisons pour lesquelles il fait l’objet d’un contrôle de nuit.

Une telle disposition pourrait vraisemblablement, en France, être jugée inconstitutionnelle. Si M. Denis Masseglia (74), président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a souligné avec force la nécessité, pour la France, de transposer cette disposition de la façon la plus fidèle possible, d’autres ont critiqué le maximalisme dont semble faire preuve l’AMA dans ce domaine.

Votre rapporteur estime que le dispositif de transposition prévu par le Gouvernement offre des garanties suffisantes de proportionnalité entre le respect de la vie privée du sportif et les enjeux de la lutte antidopage. Ce dispositif semble aujourd’hui indispensable pour faire avancer la lutte contre le dopage, dont les pratiques ne cessent de se perfectionner. En effet, comme cela a été indiqué à votre rapporteur, il arrive que les sportifs profitent du créneau horaire offert par la loi pour s’administrer de faibles doses de produits dopants – de l’EPO en « entretien » d’une cure préalable plus intense, ou bien des hormones de croissance, dont la moitié disparaît de l’organisme deux heures après sa prise (75) –, qui deviennent indétectables au bout de quelques heures. Lorsque des renseignements de cette nature sont transmis aux autorités antidopage, il serait dommageable de ne pas leur permettre de les exploiter.

*

La Commission adopte l’article unique du projet de loi sans modification.

Mme Marie-George Buffet. Je me suis abstenue, car je n’ai pas compris à quel moment nous pourrons prendre connaissance de l’ordonnance.

M. le rapporteur. Elle nous sera bien entendu présentée avant sa signature. J’ajoute que j’ai insisté auprès du Gouvernement pour qu’elle traduise bien l’esprit qui nous anime et que les précautions nécessaires soient prises pour que sa rédaction ne recèle aucune ambiguïté.

La Commission adopte ensuite l’ensemble du projet de loi sans modification.

*

* *

En conséquence, la commission des affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte du projet de loi

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Propositions de la Commission

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Projet de loi habilitant le Gouvernement

à prendre les mesures relevant du domaine de la loi

nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect

des principes du code mondial antidopage

Projet de loi habilitant le Gouvernement

à prendre les mesures relevant du domaine de la loi

nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect

des principes du code mondial antidopage

Article unique

Article unique

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer, en conformité avec les principes constitutionnels et conventionnels, le respect dans le droit interne des principes du code mondial antidopage applicable à compter du 1er janvier 2015.

Non modifié

   

II. – L’ordonnance prévue au I est prise dans un délai de neuf mois suivant la publication de la présente loi.

 
   

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.

 
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

Ø Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) M. Bruno Genevois, président

Ø Ministère de la ville, de la jeunesse et des sportsM. Thierry Mosimann, directeur des sports, M. Laurent Belleguic, chef du bureau de la protection du public, de la promotion de la santé et de la prévention du dopage, et M. Sébastien Borrel, chargé de mission au bureau de la protection du public

Ø Mme Cécile Chaussard, maître de conférences à l’Université de Bourgogne

Ø Agence mondiale antidopage – Mme Valérie Fourneyron, présidente du comité Santé, médecine, recherche, députée de Seine-Maritime

Ø Comité national olympique sportif français (CNOSF) – M. Denis Masseglia, président

Ø Fédération française de rugby (FFR)  M. Pierre Camou, président, et M. Florent Lajat, adjoint au responsable juridique

Ø Fédération française d’athlétisme (FFA) – M. Bernard Amsalem, président

Déplacement :

Ø Laboratoire antidopage de Châtenay-Malabry Mme Françoise Lasne, directrice

© Assemblée nationale

1 () B. Houlihan, La victoire, à quel prix ? Le dopage dans le sport, Éditions du Conseil de l’Europe, 2003.

2 () Voir notamment P. Collomb, « Les sportifs de haut niveau sont-ils des citoyens de seconde zone ? », La Semaine juridique n° 19, mai 2011.

3 () Déplacement du 27 novembre 2014 au laboratoire de Châtenay-Malabry.

4 () Audition du 25 novembre 2014.

5 () Loi n° 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage.

6 () Article L. 232-9 du code du sport.

7 () Article R. 232-85-1 du code du sport.

8 () Article 17 de la loi n° 2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs.

9 () Article L. 232-15 du code du sport.

10 () 3° de l’article L. 232-5 du code du sport.

11 () Article L. 232-12-1 du code du sport.

12 () Loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles.

13 () Article L. 232-13-1 du code du sport.

14 () Article R. 232-55 du code du sport.

15 () M. Rieu et P. Queneau, « Sport et dopage. Un danger pour la santé publique », Académie de médecine, 2012, p. 7.

16 () Celles-ci sont définies, par l’article L. 230-2 du code du sport, comme une manifestation sportive pour laquelle un organisme sportif international, comme le Comité international olympique ou une fédération internationale, édicte les règles applicables à cette manifestation ou nomme les personnes chargées de faire respecter ces règles.

17 () Article L. 232-16 du code du sport.

18 () Sénat, Rapport de M. Jean-Jacques Lozach fait au nom de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, juillet 2013, p. 128.

19 () Ibid.

20 () Article L. 232-10 du code du sport.

21 () Article L. 232-10 du code du sport.

22 () Article L. 232-6 du code du sport.

23 () Article L. 232-25 du code du sport.

24 () Article L. 232-21 du code du sport.

25 () Selon que la fédération considérée est agréée ou délégataire.

26 () Article L. 232-22 du code du sport.

27 () Audition du 26 novembre 2014.

28 () Loi n° 2008-650 du 3 juillet 2008 relative à la lutte contre le trafic de produits dopants, ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du code du sport avec les principes du code mondial antidopage, lois n° 2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs et n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles.

29 () Article 4.4.3.1 du code mondial antidopage.

30 () Article 4.4.3.2 du code mondial antidopage.

31 () Article 4.4.4 du code mondial antidopage.

32 () La réciproque est également vraie : une fédération internationale peut, avec l’accord de l’organisation nationale antidopage, effectuer des contrôles additionnels lors d’une manifestation nationale.

33 () Article 5.3.1 du code mondial antidopage.

34 () AMA, « Principaux changements apportés au code 2015, version 4.0 par rapport au code 2009 », septembre 2013, p. 5.

35 () Sous réserve que l’organisation sportive internationale responsable de la manifestation n’ait pas désigné les lieux de résidence des sportifs comme faisant partie du site de la manifestation.

36 () Audition du 18 novembre 2014.

37 () Article 5.2.6 du code mondial antidopage.

38 () Article 5.3.2 du code mondial antidopage.

39 () Intervention de M. Frédéric Donzé, directeur du bureau européen de l’agence mondiale antidopage, lors du 14e colloque national de lutte et de prévention du dopage des 13 et 14 mars 2014.

40 () Audition de M. Bruno Genevois, président de l’AFLD, du 18 novembre 2014.

41 () Article 20.3.6 du code mondial antidopage.

42 () Article 22.2 du code mondial antidopage.

43 () Rencontre du 14 novembre 2014.

44 () AMA, « Principaux changements apportés au code 2015, version 4.0 par rapport au code 2009 », septembre 2013.

45 () Article 5.4 du code mondial antidopage.

46 () Article 6.4 du code mondial antidopage.

47 () Article 6.4.3 du code mondial antidopage.

48 () Article 5.4.2 du code mondial antidopage.

49 () Article 2.9 du code mondial antidopage.

50 () Pendant une période de six ans après la condamnation ou pendant la durée de la sanction, la durée la plus longue étant applicable.

51 () Article 21.2.6 du code mondial antidopage.

52 () Articles 20.3.10 et 20.5.9 du code mondial antidopage.

53 () Article 10.2 du code mondial antidopage.

54 () Il convient également de noter que, pour les substances qui ne sont interdites qu’en compétition, la violation associée à un contrôle positif est présumée non intentionnelle si le sportif parvient à prouver, pour une substance spécifiée, que l’usage a été réalisé hors compétition, et de surcroît, pour une substance non spécifiée, sans lien avec la performance sportive.

55 () Article 2.5 du code mondial antidopage.

56 () Article 10.6.1.2 du code mondial antidopage.

57 () Article 14.3.6 du code mondial antidopage.

58 () Avis du Conseil d’État du 26 juin 2014.

59 () Source : AFLD.

60 () Audition du 19 novembre 2014.

61 () Décision du Conseil constitutionnel n° 99-421 du 16 décembre 1999.

62 () En effet, la répression de la complicité est, dans ce cas de figure, prévue par l’article 121-7 du code pénal.

63 () Audition du 25 novembre 2014.

64 () À l’heure actuelle, la communication du dossier de l’AFLD à la fédération du sportif concerné n’est obligatoire que dans le cadre du profilage biologique des sportifs du groupe cible, en application de l’article R. 232-67-15.

65 () Article 13.2.1 du code mondial antidopage.

66 () Article 8.5 du code mondial antidopage.

67 () Avis du Conseil d’État n° 373750 du 12 octobre 2006.

68 () Son second alinéa dispose que l’AMA ou un organisme sportif international peut saisir la juridiction administrative compétente d’une décision prise par l’AFLD ou une fédération sportive nationale.

69 () Article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

70 () Avis du Conseil d’État n° 373750 du 12 octobre 2006.

71 () Commentaire de l’article 5.2 du code mondial antidopage.

72 () Délibération n° 2014-28 du 28 mars 2014 du collège de l’AFLD.

73 () Avis du Conseil d’État n° 388772 du 26 juin 2014.

74 () Audition du 25 novembre 2014.

75 () Déplacement du 27 novembre au laboratoire de Châtenay-Malabry.