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N
° 2667

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 mars 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la République de Moldavie, d’autre part

PAR M. Thierry MARIANI

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros :

Sénat : 198, 283, 284 et T.A. 68 (2014-2015)

Assemblée nationale : 2612.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

I. LE CHOIX EUROPÉEN DE LA MOLDAVIE 9

A. UNE IDENTITÉ COMPLEXE 9

1. Un territoire disputé entre les puissances 9

2. Le temps de l’indépendance : la sécession de la Transnistrie 10

B. LA MOLDAVIE INDÉPENDANTE 12

1. Une vie politique pluraliste, mais parfois agitée et en manque de stabilité 13

2. Une situation socio-économique difficile 15

a. Le pays le plus pauvre d’Europe 15

b. Un pays en déclin démographique 17

3. La prégnance des vieilles relations avec la Russie 18

4. Le statut de neutralité, point d’équilibre d’un pays divisé 19

5. Mais un choix européen clairement affirmé, en particulier depuis 2009 19

a. Les progrès de l’État de droit 20

i. La démocratie et les libertés fondamentales 20

ii. La lutte contre la corruption 21

iii. La lutte contre la criminalité 23

b. La réorientation progressive des flux économiques et énergétiques 23

c. Un soutien actif de l’Union européenne 24

i. La libéralisation de la circulation des personnes 24

ii. Un niveau élevé de soutien financier 25

iii. La Mission d’assistance au contrôle de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine 26

6. La période la plus récente : l’impact de la crise ukrainienne 26

a. De très graves difficultés économiques en Transnistrie 26

b. Des difficultés également en Moldavie, du fait des restrictions russes sur les produits agro-alimentaires moldaves 27

c. Une réactivation, au moins verbale, du conflit avec la Transnistrie 28

d. Mais, de manière contradictoire, une opportunité de relancer le règlement du conflit ? 28

II. LES RELATIONS FRANCO-MOLDAVES 31

A. DES ÉCHANGES MODESTES 31

1. Les échanges humains 31

2. Les échanges commerciaux 32

3. L’implantation des entreprises françaises 33

B. UN CIMENT ESSENTIEL : LA FRANCOPHONIE 33

1. Le rôle majeur de l’Alliance française 33

2. Le regrettable retrait de l’Organisation internationale de la francophonie 34

3. La coopération culturelle et universitaire 35

C. LES COOPÉRATIONS ADMINISTRATIVES 36

D. DES RELATIONS POLITIQUES EXCELLENTES, MAIS LIMINAIRES 36

E. …ET ENTRAVÉES PAR LA BAISSE DES MOYENS BUDGÉTAIRES 37

III. UN ACCORD D’ASSOCIATION DE FACTURE CLASSIQUE 41

A. LE PROCESSUS D’ADOPTION DE L’ACCORD 41

1. Le déroulement de la négociation 41

a. Le Partenariat oriental 41

b. La négociation menée avec la Moldavie 41

c. L’état des lieux avec les autres pays du Partenariat oriental 42

2. Un accord « mixte » 42

3. Le processus de ratification 43

B. LA STRUCTURE DE L’ACCORD 43

C. LE TRAITEMENT DES QUESTIONS POLITIQUES SENSIBLES 44

1. Les « aspirations européennes » de la Moldavie 44

2. La Transnistrie 45

D. LE DIALOGUE POLITIQUE ET LES DOMAINES DE COOPÉRATION 46

E. UN ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE « COMPLET ET APPROFONDI » 47

1. Un accord incompatible avec une éventuelle adhésion de la Moldavie à l’Union économique eurasiatique 48

2. La libéralisation des échanges 49

a. Les clauses transitoires 49

b. Les clauses dérogatoires ou spécifiques 50

3. L’alignement sur l’acquis communautaire 50

4. Une question particulièrement sensible, la propriété intellectuelle 51

5. Les évaluations ex-ante de l’impact du volet commercial de l’accord 52

CONCLUSION 53

TRAVAUX DE LA COMMISSION 55

ANNEXE N° 1 : TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 65

ANNEXE N° 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 67

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L’accord d’association avec la Moldavie soumis à notre examen s’inscrit dans une démarche politique de l’Union européenne, le « Partenariat oriental », qui est lui-même un élément de la « politique de voisinage » de l’Union. Le Partenariat oriental a été initié en 2009 et est tourné vers six pays de l’espace post-soviétique : Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, Moldavie et Ukraine. Il a consisté à proposer à ces pays une association politique à l’Union assortie d’une quasi-intégration économique à celle-ci, ceci passant par la conclusion d’accords d’association comportant un volet économique très étoffé.

Cette démarche est légitimement critiquée pour deux raisons principales : du fait des divisions internes à l’Union européenne sur la question, elle a laissé planer une grande ambiguïté sur les perspectives d’évolution future des relations avec les pays concernés – offre d’adhésion à l’Union ou non ? – ; par ailleurs, les accords d’association proposés et finalement signés avec trois des pays, Géorgie, Moldavie et Ukraine, prévoient tous, à quelques différences minimes près, le même cadre exigeant d’intégration économique, avec reprise de l’« acquis communautaire », sans tenir compte des spécificités des pays ni des intérêts des tiers, à commencer par la Russie.

On sait que dans le cas de l’Ukraine, c’est la décision de l’ancien président Viktor Ianoukovitch de ne finalement pas parapher le projet d’accord d’association au sommet du Partenariat oriental à Vilnius en novembre 2013 qui a entraîné la révolution dans ce pays. L’application qui a été faite du Partenariat oriental, le désintérêt des États d’Europe de l’ouest pour cet instrument et sa lecture restrictive par les pays de l’est européen ont donc joué un rôle déclencheur dans la crise ukrainienne actuelle, même si les causes profondes de cette crise sont internes (les problèmes d’identité et de gouvernance de l’Ukraine) et s’il ne faut pas sous-estimer non plus les responsabilités de la Russie, comme d’ailleurs des États-Unis. L’inadaptation de l’accord d’association « première mouture » proposé à l’Ukraine a été démontrée quand, en mars 2014, le nouveau gouvernement ukrainien pro-européen a demandé et obtenu le report de l’entrée en vigueur des clauses économiques de l’accord qu’il a finalement signé.

Les choses se présentent heureusement mieux pour ce qui concerne la Moldavie. Ce petit pays a pourtant été confronté, suite à son indépendance en 1991, à plusieurs handicaps :

– son identité complexe et fragile. Au moment de l’indépendance, la majorité roumanophone du pays était travaillée par des mouvements favorables à la réunification avec la « grande Roumanie », ce qui a encouragé en réaction les tendances séparatistes de la minorité gagaouze et surtout de la population majoritairement slavophone de la région de Transnistrie. Après une sécession violente et soutenue militairement par la Russie, la Transnistrie est devenue un État de facto, dépourvu de reconnaissance internationale, et le conflit n’a toujours pas été réglé ;

– son économie à dominante agricole, dépourvue de richesses minérales, qui en fait encore le pays le plus pauvre d’Europe (en termes de PIB per capita) et l’un des plus pauvre de l’espace post-soviétique, ainsi qu’un pays encore très dépendant de la Russie et de l’Ukraine pour son approvisionnement énergétique ;

– du fait de cette situation économique, une démographie inquiétante – la population résidente a officiellement baissé de 14 % durant les dix dernières années ! –, avec un quart des Moldaves qui ont émigré à l’étranger et dont les transferts financiers vers la mère-patrie assurent également plus du quart du revenu national.

Malgré ces handicaps, la Moldavie peut revendiquer plusieurs réussites.

Dans un espace post-soviétique où ce n’est pas si fréquent, c’est une véritable démocratie parlementaire pluraliste et l’un des pays les plus avancés de la zone s’agissant du rapprochement avec les standards communautaires (et plus généralement occidentaux) d’État de droit et de gouvernance, même s’il reste des problèmes, notamment de corruption.

La politique étrangère moldave a su concilier un engagement pro-européen très net, surtout depuis l’arrivée au pouvoir d’une majorité pro-européenne après 2009, et le maintien de relations correctes avec la Russie, ce malgré le conflit sur la Transnistrie, ce qui la différencie de la politique de la Géorgie. La Moldavie est neutre et ne demande pas pour le moment à adhérer à l’OTAN, même si la question est désormais débattue dans la classe politique.

C’est enfin un pays dont près d’un quart de la population parle encore le français et où près de la moitié de la population scolaire l’apprend encore, ce qui crée un lien particulier avec la France.

La Moldavie est donc typiquement un partenaire auquel il était légitime de faire l’offre d’un accord d’association, y compris, comme c’est le cas en l’espèce, un accord exigeant dont la mise en œuvre devrait déboucher sur une intégration de fait du pays à l’espace économique et juridique européen. La négociation de cet accord s’est déroulée sans difficulté particulière. Il faut enfin signaler que, bien que cet accord aille donc vers une large intégration, il ne préjuge en rien, selon ses propres termes, des développements futurs des relations entre l’Union et la Moldavie, donc d’une éventuelle ouverture à une candidature de celle-ci à l’adhésion.

I. LE CHOIX EUROPÉEN DE LA MOLDAVIE

La Moldavie est un petit pays à l’identité complexe où le débat politique, pluraliste, est souvent centré sur le choix géopolitique entre le rapprochement avec l’Union européenne ou avec la Russie. Depuis 2009, c’est l’engagement pro-européen qui justifie l’important et réel effort de réformes (alignement sur les standards occidentaux d’État de droit) engagé par le pays, avec un fort soutien de l’Union européenne.

A. UNE IDENTITÉ COMPLEXE

1. Un territoire disputé entre les puissances

Le territoire actuel de la Moldavie est principalement formé d’une grande partie de l’ancienne province qui était dite au XIXème siècle de Bessarabie et était délimitée par le cours des rivières et fleuves Prut, Danube (inférieur) et Dniestr, ainsi que par le rivage de la mer Noire.

La Bessarabie constituait la partie orientale de la principauté médiévale de Moldavie, qui s’était unifiée et avait conquis son indépendance avant d’être vassalisée par l’empire ottoman. Elle avait, comme d’autres provinces de l’empire turc ou de l’empire austro-hongrois – la Valachie, la Transylvanie et la partie occidentale de la Moldavie, à l’ouest du Prut –, une population largement roumanophone. Mais, alors que ces autres provinces ont finalement constitué la Roumanie indépendante, la Bessarabie a connu un destin différent.

Conquise par la Russie aux dépens de l’empire ottoman en 1812, elle est restée dans le giron de l’empire des tsars jusqu’à la révolution russe. Puis elle a été rattachée à la « grande Roumanie », qui était récompensée d’avoir choisi le camp des vainqueurs de la Première guerre mondiale par une large expansion territoriale.

Cependant, la jeune Union soviétique n’avait pas renoncé à récupérer la Bessarabie, qui avait été russe. Dès 1924, fut donc créée une « république autonome socialiste soviétique moldave », entité autonome de second rang rattachée à la république soviétique d’Ukraine, dans les régions restées sous contrôle soviétique, donc à l’est du Dniestr, sous prétexte qu’il s’y trouvait aussi des minorités roumanophones. Selon les priorités du moment, la politique y oscilla entre un internationalisme agressif, cette république étant alors présentée comme la préfiguration d’une future Roumanie soviétique conquise par la révolution mondiale, et la valorisation d’une identité propre, ou « moldavisme », qui serait différente de l’identité roumaine (malgré la proximité linguistique).

Par ailleurs, dans la même optique, le pacte germano-soviétique de 1939 prévoyait le retour de la Bessarabie dans la zone d’influence soviétique. Dès juin 1940, mettant à profit la défaite française, l’URSS adressait donc un ultimatum à la Roumanie, puis occupait la Bessarabie quelques jours plus tard. Comme la Roumanie, notamment pour récupérer la région, a ensuite fait le mauvais choix de l’alliance avec l’Allemagne nazie lors de sa rupture avec l’URSS en 1941, cette annexion a naturellement été confirmée en 1945.

La république soviétique de Moldavie a donc été constituée, après la Seconde guerre mondiale, d’une part d’une grande partie du territoire qui était celui de la Bessarabie, d’autre part d’une fraction de ce qui avait été la « république autonome moldave » avant 1940. Il est aussi à noter que la partie méridionale de la Bessarabie, avec l’accès au delta du Danube et à la mer Noire, a alors été rattachée non à cette nouvelle république soviétique de Moldavie, mais à celle d’Ukraine.

On le voit, l’histoire récente de la Moldavie est celle d’un petit pays aux frontières fluctuantes, ballotté entre les ambitions territoriales des puissances et leurs calculs géopolitiques. Son identité actuelle a en partie été créée d’en haut par les stratèges soviétiques en vue de servir leurs intérêts, variables selon les moments.

2. Le temps de l’indépendance : la sécession de la Transnistrie

Devenue donc l’une des quinze républiques soviétiques, la Moldavie a proclamé son indépendance le 27 août 1991, au moment de la tentative de putsch conservatrice contre Mikhaïl Gorbatchev, qui a accéléré la dislocation de l’URSS.

Cette indépendance s’est faite dans un contexte de fort réveil national, la majorité roumanophone étant travaillée par des mouvements prônant la réunification avec la Roumanie. En réaction, deux entités ont alors cherché à faire sécession :

– au sud du pays, les Gagaouzes parlent un dialecte turcophone et le russe et sont historiquement des Chrétiens orthodoxes. Bénéficiant d’un statut d’autonomie locale du temps de l’URSS, ils se sont proclamés en août 1991 « république indépendante », avant de négocier en 1994 un statut d’autonomie ;

– en septembre 1991, la population de la rive orientale du Dniestr, en majorité slave et ayant, on l’a dit, une histoire différente, avec une soviétisation plus précoce, a proclamé la « république moldave du Dniestr », avec pour capitale Tiraspol. À l’issue d’un conflit armé qui a fait plus de 500 morts et impliqué directement les forces militaires russes présentes sur place aux côtés des séparatistes, un cessez-le-feu a été signé en juillet 1992.

La Transnistrie a depuis lors tous les attributs d’un État de fait, même si elle ne bénéficie d’aucune reconnaissance internationale (elle n’a été reconnue par aucun État reconnu, mais seulement pas d’autres entités séparatistes non reconnues de l’ex-URSS, comme l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud). Sous réserve de quelques têtes de pont de chacun des deux camps sur l’autre rive, la frontière de fait entre la Moldavie et la Transnistrie suit le Dniestr. Cela laisse à la Transnistrie un territoire d’un peu plus de 4 000 km2, tout en longueur, où vivent environ 500 000 personnes – en majorité des slavophones, Russes ou Ukrainiens, mais aussi près d’un tiers de roumanophones.

L’armée russe est toujours présente, garante de fait du maintien de la république séparatiste. Toutefois – et c’est une grande différence avec les « conflits gelés » du Caucase –, la « frontière » interne entre la partie contrôlée par le gouvernement moldave et la Transnistrie n’est plus une ligne de confrontation militarisée et est aisément traversée par les hommes et par les flux commerciaux.

La Transnistrie, qui a hérité de la plupart des sites industriels de l’ancienne Moldavie soviétique et a bénéficié de fonds russes, est généralement présentée comme plus prospère que la Moldavie, mais il est difficile de le vérifier vu l’isolement du pays, sa non prise en compte par les institutions internationales et l’absence de fiabilité des statistiques économiques élaborées localement.

Des « élections présidentielles » ont eu lieu en Transnistrie en décembre 2011, portant au pouvoir une personnalité jeune, M. Evgueni Chevtchouk, face au « président » sortant Igor Smirnov et au candidat soutenu par la Russie, M. Anatoli Kaminski. Le nouveau « président » s’est fait élire sur un programme d’ouverture et de modernisation, mais on évoque aussi ses liens avec le groupe Sheriff, groupe privé dont l’origine des capitaux est incertaine et qui contrôle l’essentiel de l’économie locale.

B. LA MOLDAVIE INDÉPENDANTE

Réduite de fait à la rive occidentale du Dniestr, la Moldavie est aujourd’hui un pays de 2,9 millions d’habitants, qui a une relative unité linguistique : les Moldaves (au sens ethnolinguistique (1)), selon les derniers chiffres disponibles, ceux du recensement de 2004, forment 75,8 % de la population, devant les Ukrainiens (8,4 %), les Russes (5,9 %) et les Gagaouzes (4,4 %). Le roumain est la langue nationale et son usage relève du « politiquement correct », mais la pratique du russe est encore très courante, en particulier dans les élites économiques et administratives, mais aussi dans certaines régions, en Transnistrie bien entendu, en Gagaouzie, ou dans le nord, notamment à Balti, deuxième ville du pays. À Chisinau, de nombreuses enseignes restent rédigées en russe et il n’est pas rare d’entendre parler cette langue par une grande partie de la population, même si les politiques de l’actuelle majorité pro-européenne tendent à marginaliser son usage.

1. Une vie politique pluraliste, mais parfois agitée et en manque de stabilité

République parlementaire, la Moldavie a mis en place lors de son indépendance et su maintenir un système politique pluraliste, mais les transitions politiques y sont souvent difficiles et le pays a aussi connu des périodes d’instabilité politique chronique.

Le système politique moldave a été dominé de 2001 à 2009 par le Parti communiste de la république de Moldavie : malgré le soutien russe à la sécession de la Transnistrie, il subsiste en Moldavie un fort courant regrettant le passé soviétique et resté proche de la Russie (cette nostalgie n’ayant pas empêché le Parti communiste moldave au pouvoir de mener une politique d’indépendance nationale et d’entrer parfois en conflit avec le pouvoir russe – il est d’ailleurs à l’origine du mouvement de rapprochement européen engagé à partir de 2005 suite au premier embargo sur les vins moldaves par les autorités russes). La fin de l’hégémonie de ce parti en 2009 s’est passée dans des conditions difficiles : manifestations parfois violentes de l’opposition contre les résultats d’élections qui reconduisaient les Communistes, puis nouveau scrutin.

La Moldavie tente depuis, difficilement, de trouver une certaine stabilité politique. Depuis 2009, elle a été gouvernée par deux coalitions de centre-droit élues sans majorité absolue, dont l’objectif était de réformer le pays, d’améliorer le climat des affaires et, à terme, d’intégrer l’Union européenne. De nouvelles élections ont dû être organisées en novembre 2010 et le successeur de l’ex-président communiste Vladimir Voronine n’a pu être élu qu’en 2012, après plus de deux années de vacance : il s’agit de M. Nicolae Timofti. Une nouvelle crise politique, amorcée fin 2012, s’est prolongée jusqu’au 31 mai 2013, date de la formation d’une nouvelle coalition de gouvernement pro-européenne.

Enfin, les élections législatives qui se sont déroulées le 30 novembre 2014 ont encore ouvert une période d’instabilité.

Elles ont vu l’émergence, à la faveur de l’éviction à deux jours du scrutin du parti pro-russe Patria, d’un nouvel acteur politique, le Parti socialiste de la république de Moldavie, ouvertement soutenu par la Russie, qui a fait son entrée au Parlement avec un quart des sièges. Le Parti socialiste ne pouvait cependant pas gouverner seul et l’autre parti d’opposition, le Parti communiste, en fort recul, n’a pas voulu aller jusqu’à une alliance, même s’il a fait des ouvertures et a commencé des discussions.

Ces élections constituent donc avant tout un échec pour l’Union européenne en Moldavie. Malgré l’importance du soutien financier accordé par l’Union depuis 2009, les trois partis pro-européens de l’ancienne coalition en sont ressortis majoritaires de justesse grâce également au vote de la diaspora d’Amérique du Nord ou d’Europe occidentale.

Cependant, les négociations entre ces trois partis de la coalition pro-européenne de 2009 (le Parti libéral démocrate, le Parti démocrate et le Parti libéral) n’ont pas abouti, butant notamment sur la détermination du Parti libéral à voir l’adhésion de la Moldavie à l’OTAN figurer dans le nouveau programme de gouvernement, mais aussi à faire le choix d’un procureur indépendant de toute formation politique.

Le 23 janvier, deux d’entre eux, le Parti libéral-démocrate et le Parti démocrate ont donc signé un accord de coalition minoritaire pour former un nouveau gouvernement ; ne disposant, à eux deux, que de 42 députés (sur 101), ils espéraient compter sur l’appui du Parti communiste (21 sièges), qui avait indiqué sa disposition à une coopération sans participation à l’exercice du pouvoir. Cependant, l’ancien Premier ministre Iurie Leanca, candidat à sa propre succession, n’a pas obtenu, le 12 février, la confiance du Parlement, n’ayant finalement été appuyé ni par le Parti communiste, ni par le Parti libéral.

Alors que la perspective de nouvelles élections commençait à se dessiner, le Parlement a enfin approuvé, le 18 février, un nouveau gouvernement et un nouveau Premier ministre, avec une majorité de 60 voix grâce à l’appui du Parti communiste. Il s’agit de M. Chiril Gaburici, 38 ans, homme d’affaires membre du Parti libéral-démocrate.

La nouvelle crise politique de cet hiver, une de plus, ajoute encore au discrédit des partis pro-européens majoritaires, mais aussi du Parti communiste, dont les motivations profondes du soutien au nouveau gouvernement restent encore à identifier. Il faut noter qu’outre l’opposition parlementaire représentée par le Parti socialiste, un parti populiste écarté – au dernier moment et dans des conditions discutables – des élections de novembre 2014, le parti Patria, attend son heure, porté par des citoyens déçus par les marchandages d’une classe politique dont certains membres sont par ailleurs des « oligarques » qui contrôlent des pans entiers de l’économie. La manière dont s’est constitué le gouvernement actuel, avec le soutien plus ou moins assumé du Parti communiste, alors que la coalition majoritaire « naturelle » aurait été celle des trois partis modérés pro-européens, suscite à cet égard bien des interrogations. Certains y voient surtout un arrangement entre des partis en perte de vitesse électorale et donc peu désireux d’un retour aux urnes (que la poursuite de la crise parlementaire aurait entraîné), voire des arrangements entre hommes d’affaires. Il reste à savoir si la nouvelle coalition, appuyée par un Parti communiste modérément pro-européen, poursuivra avec la même vigueur la politique d’intégration européenne de ceux qui l’ont précédée ; elle y semble décidée. Il reste surtout à savoir quelle sera sa durée de vie, alors que plusieurs échéances difficiles se profilent :

– dès le 22 mars 2015, l’élection du chef de l’administration locale (« bashkan ») en Gagaouzie, qui a vu la large victoire d’une candidate « indépendante », Mme Irina Vlah, dont le slogan électoral, explicite, était « ensemble avec la Russie » et qui bénéficiait du soutien du Parti socialiste ;

– la perspective d’élections locales générales, dont la date n’est pas encore fixée dans l’attente d’une réforme des collectivités locales, élections qui pourraient être très sévères pour les partis au pouvoir ;

– une élection présidentielle en 2016, qui exigera une majorité positive au Parlement (qui élit le Président) et sera donc un nouveau test ;

– les différentes suites plus ou moins prévisibles du très lourd scandale politico-financier en cours qui concerne trois grandes banques (voir infra).

2. Une situation socio-économique difficile

a. Le pays le plus pauvre d’Europe

Dans le cadre de l’URSS, la Moldavie avait surtout, comme d’autres régions méridionales de l’empire, une spécialisation agricole. Encore aujourd’hui, l’agriculture assure près du quart de son PIB. À la différence d’autres ex-républiques soviétiques, à commencer par la Russie, elle ne dispose pas de ressources minérales abondantes, notamment en hydrocarbures. Les produits alimentaires, en particulier le vin, continuent à peser grandement dans les exportations moldaves (41 % de celles-ci en 2013), qui comprennent aussi des produits textiles et des équipements électriques.

Malgré ce manque de ressources minérales et après les grandes difficultés des années 1990, l’économie moldave a cependant connu, dans les années 2000, une croissance rapide, avec des taux annuels généralement compris entre 5 % et 8 %. Elle a ensuite durement subi la crise en 2009, avec 6 % de récession, puis, après deux années 2010 et 2011 de croissance proche de 7 %, une nouvelle année de faible récession en 2012 (– 0,7 %), en lien avec la crise de la zone euro et du fait d’une sécheresse exceptionnelle. La croissance a ensuite bien rebondi en 2013 (8,9 %), mais se ralentit depuis : elle a été de l’ordre de 2 % seulement en 2014.

À la fin de 2014, les institutions internationales annonçaient pour 2015 une croissance de 3 % à 3,5 %, selon que l’on prenait les prévisions de la Banque mondiale ou celles du Fonds monétaire international (FMI). Mais il semble désormais clair que l’année en cours sera beaucoup plus difficile. Cette situation est bien sûre due à la crise économique qui affecte deux des partenaires principaux de la Moldavie, l’Ukraine et la Russie, et à la crise politique russo-ukrainienne, qui se répercute sur la Moldavie du fait notamment des restrictions russes sur certaines exportations agricoles moldaves. Par ailleurs, la grande dépendance de l’économie moldave aux transferts des migrants en Russie (voir infra) la rend particulièrement sensible aux difficultés russes et à la chute du rouble (certains migrants moldaves perdent leur emploi et les transferts de tous sont dépréciés). Il faut donc espérer que la Moldavie échappera, ce que les prévisions pour le moment anticipent, à la récession qui a déjà frappé l’Ukraine en 2014 et devrait également affecter la Russie en 2015.

Certes, après des années de déséquilibres, les données macro-économiques de la Moldavie apparaissent désormais assez saines, avec, en 2014, selon le FMI :

– un taux de chômage de 6 % ;

– un taux d’inflation de 5,1 % ;

– un déficit public représentant 1,6 % du PIB et une dette publique de l’ordre de 25 % de celui-ci ;

– cependant, une balance courante extérieure assez fortement déficitaire, avec un solde négatif égal à 6,2 % du PIB.

Mais, malgré sa croissance assez dynamique, la Moldavie reste un pays très pauvre : en termes de PIB par habitant, elle est le pays le plus pauvre du continent européen et, dans l’espace post-soviétique, seuls le Kirghizstan et le Tadjikistan apparaissent plus pauvres. Le graphique ci-après porte sur les PIB per capita « en parité de pouvoir d’achat », les taux de change étant ajustés pour rendre compte du pouvoir d’achat réel des monnaies – il est à noter qu’une comparaison aux taux de change effectifs ferait apparaître la Moldavie comme encore plus pauvre. L’analyse en parité de pouvoir d’achat permet donc de comparer les niveaux de vie, en l’espèce ceux de la Moldavie, de ses voisins des bords de la mer Noire et des autres États issus de l’URSS : par rapport à celui de la Moldavie, le PIB par habitant ainsi corrigé est plus de sept fois plus élevé dans l’Union européenne prise globalement, cinq fois plus élevé en Russie, quatre fois plus en Turquie et en Roumanie et encore 1,7 fois plus en Ukraine…

Le PIB per capita ramené en parité de pouvoir d’achat : comparaison de la situation de la Moldavie avec ses voisins et avec les autres ex-républiques soviétiques

(en dollars courants, données pour 2014)

Source : graphique élaboré à partir des données de la base du FMI, données actualisées d’octobre 2014.

S’agissant de la pauvreté, on doit enfin observer que le taux de pauvreté dans la population a fortement reculé ces dernières années, passant de plus de 26 % à 12,7 % de 2009 à 2013, selon la Banque mondiale.

En lien avec son niveau de développement économique, la Moldavie obtient des scores modestes dans les classements économiques internationaux.

Dans le classement sur la « compétitivité globale » du World Economic Forum 2014-2015, la Moldavie arrive au 82ème rang, ce qui, dans l’espace post-soviétique, est certes moins bien que le Kazakhstan, la Russie, la Géorgie et l’Ukraine, mais mieux que l’Arménie, le Tadjikistan et le Kirghizstan. C’est également mieux que certains pays balkaniques : la Serbie et l’Albanie ont de moins bons scores que la Moldavie dans ce palmarès.

Dans le classement Doing Business 2015 de la Banque mondiale, supposé mesurer le caractère plus ou moins favorable de l’environnement réglementaire et administratif des pays au développement des activités des entreprises, la Moldavie obtient un honorable 63ème rang mondial qui la place en position moyenne dans l’espace post-soviétique : derrière la Géorgie, les pays Baltes, l’Arménie, le Belarus, et, de peu, la Russie, mais nettement devant l’Azerbaïdjan, l’Ukraine et les pays d’Asie centrale. La Moldavie devance également certains pays européens : Albanie, Chypre, Croatie, Serbie…

b. Un pays en déclin démographique

La situation démographique de la Moldavie est celle d’un pays en vieillissement rapide. Du recensement de 2004 à celui de 2014, la population (hors Transnistrie) est passée de 3,38 millions d’habitants à 2,91 millions, soit une baisse de près de 14 % ! Cette évolution est due à deux facteurs qui se renforcent mutuellement :

– le solde naturel est négatif d’environ 1 % par an (les décès l’emportant sur les naissances), car la natalité a fortement diminué, tandis que la mortalité reste assez élevée, avec une espérance de vie à la naissance qui n’est que de 70 ans et augmente moins vite que dans la plupart des pays ;

– le pays connaît une émigration massive, notamment de ses jeunes, ce qui réduit d’autant les naissances sur place. Le recensement de 2014 a décompté environ 330 000 Moldaves se trouvant à l’étranger (11 % des Moldaves) et ce chiffre ne prend sans doute pas en compte les Moldaves vivant de façon permanente hors du pays. On estime souvent qu’un million de Moldaves pourraient vivre à l’étranger.

Cette émigration est vitale pour l’économie moldave : les transferts financiers des émigrés assureraient près de 27 % du PIB national (selon des données de la CNUCED pour 2013) ! Ces transferts massifs permettent au pays d’importer très massivement les biens qu’il consomme : le déficit commercial représente 40 % du PIB (selon la même source)…

Dans le même temps, les conséquences sur la structure démographique et la situation économique interne de la Moldavie sont impressionnantes : une personnalité rencontrée par votre rapporteur a indiqué qu’il y avait quelques 800 000 pensionnés, qui seront bientôt près d’un million, pour 600 000 actifs !

L’émigration concerne en premier lieu les ex-républiques soviétiques, en particulier la Russie. Selon le service des migrations internationales de la Fédération de Russie, plus de 500 000 Moldaves travailleraient sur le territoire russe (mais ils seraient plus nombreux à y vivre). Il existe en outre, pour des raisons historiques, une importante communauté moldave en Ukraine, qui comprendrait 260 000 individus.

L’Union européenne est la seconde destination des émigrants moldaves : les principaux pays concernés sont la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Roumanie. D’après des recoupements sur les titres de séjour, il pouvait y avoir fin 2012 quelques 230 000 Moldaves qui séjournaient illégalement dans l’Union. Du fait que par ailleurs au moins 200 000 citoyens moldaves ont obtenu des passeports roumains, cette émigration vers l’Union est à la fois facilitée et plus difficile à quantifier.

3. La prégnance des vieilles relations avec la Russie

Après plus de deux décennies d’indépendance et malgré le soutien russe au séparatisme de la Transnistrie, la Moldavie conserve de fait des liens très forts avec la Russie :

– ce pays reste le premier partenaire commercial (sauf si l’on prend en compte l’Union européenne globalement), avec près de 22 % des flux d’échanges extérieurs de la Moldavie ;

– comme plus de 60 % des transferts financiers des migrants moldaves proviennent de Russie et que ces transferts pèsent globalement 27 % dans le PIB moldave, on voit que les transferts depuis la Russie pourraient représenter de l’ordre de 16 % au moins de celui-ci. La menace de renvoyer chez eux les travailleurs immigrés moldaves est donc un levier très puissant pour la Russie ;

– la quasi-totalité du gaz consommé en Moldavie reste importée de Russie. Moldovagaz, qui gère le réseau gazier et la distribution, est contrôlé à 50 % par Gazprom, à 35,33 % par la Moldavie et à 13,44 % par l’administration transnistrienne de facto, qui en a confié la gestion à Gazprom. Un accord gazier a été signé le 11 novembre 2014 pour prolonger jusqu’en décembre 2015 les livraisons, avec une forte baisse de prix (on passe de 378 dollars pour 1 000 m3 en 2014 à 331,8 dollar en 2015, soit un tarif plus favorable que la plupart de ceux pratiqués par Gazprom). Il est toutefois à noter que la récente chute du leu moldave n’a pas permis au pays de profiter de cette embellie sur les prix de l’énergie à l’instar de ce qui s’est produit dans le reste du monde. Il existe en outre une dette gazière de plus de 4 milliards de dollars, dont l’essentiel du fait de la Transnistrie.

4. Le statut de neutralité, point d’équilibre d’un pays divisé

Par ailleurs, du point de vue politique, la Moldavie reste très divisée quant au choix – si choix il y a à faire – entre la Russie et l’Union européenne. Ce choix géopolitique est au cœur des affrontements électoraux. Selon un sondage récent (avril 2014), en cas de choix exclusif à faire entre l’Union européenne et l’Union économique eurasiatique (avec la Russie et les pays ex-soviétiques qui ont accepté d’y entrer, comme le Kazakhstan, le Belarus et l’Arménie), la population moldave se partagerait en deux blocs égaux pesant l’un et l’autre 41 % (2).

Cette position d’entre-deux se concrétise aussi dans le statut de neutralité du pays, qui est inscrit dans sa constitution et exclut l’appartenance à une alliance militaire. La Moldavie a établi depuis 1994 une coopération avec l’OTAN dans le cadre d’un « partenariat pour la paix », mais de tels accords ont été signés par l’OTAN avec toutes les ex-républiques soviétiques, y compris la Russie, et la Moldavie n’est, à ce jour, pas candidate à rejoindre l’Alliance atlantique. Sur l’autre bord, la Moldavie est membre de la Communauté des États indépendants (CEI), forum peu contraignant créé en 1991 entre la plupart des ex-républiques soviétiques, mais pas de l’Organisation du traité de sécurité collective, structure à vocation sécuritaire pilotée par la Russie, dont restent à l’écart celles de ces républiques qui ont pris (à des degrés divers) leurs distances avec Moscou (outre la Moldavie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Ouzbékistan, le Turkménistan et l’Ukraine).

Il faut toutefois observer que, dans le contexte international actuel, avec la crise politique en Ukraine, ce principe de neutralité est de plus en plus remis en cause dans les partis pro-européens : si seul le Parti libéral se positionne ouvertement en faveur d’un rapprochement avec l’OTAN, des responsables gouvernementaux issus d’autres partis s’y disent favorables en privé, mais estiment qu’il serait prématuré d’ouvrir maintenant le débat public. Des députés ont demandé à la cour constitutionnelle une interprétation sur la portée de la règle inscrite dans la constitution moldave.

5. Mais un choix européen clairement affirmé, en particulier depuis 2009

Dès son indépendance, la Moldavie a naturellement subi la force d’attraction de l’Union européenne et a bénéficié des différentes politiques d’aide et de coopération mises en place par l’Union sur son flanc oriental après la fin du bloc soviétique. Les relations des deux entités ont été formalisées dans le cadre de l’accord de partenariat et de coopération signé le 28 novembre 1994 et entré en vigueur en juillet 1998.

a. Les progrès de l’État de droit

L’arrivée au pouvoir après 2009 d’une majorité pro-européenne a accéléré le processus, soutenu par l’Union européenne, d’alignement de la Moldavie sur les standards européens, et plus généralement, occidentaux, quant à l’État de droit (en matière de démocratie et de droits fondamentaux, mais plus généralement aussi de fonctionnement du système juridique et de l’économie).

i. La démocratie et les libertés fondamentales

La situation dans ce domaine s’est améliorée en Moldavie grâce à plusieurs plans et réformes, impulsés par une réelle volonté politique et la perspective de la signature de l’accord d’association : réforme de la justice, mise en œuvre d’un plan national d’action pour les droits de l’homme couvrant la période 2011-2014 et d’un programme pour l’égalité de genre.

L’acquis démocratique est solide en Moldavie, un certain nombre de constats faits par des organisations internationales ou des ONG le confirme :

– les observateurs internationaux estiment que la Moldavie connaît des élections réellement libres et disputées, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’ex-URSS. S’agissant de la dernière consultation, à savoir les élections législatives de novembre 2014, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), tout en émettant des observations critiques, parfois sévères, sur un certain nombre de points particuliers, salue ainsi globalement un large choix d’alternatives politiques, un accès sans entraves des différents partis aux médias, une administration électorale qui bénéficie de la confiance de la plupart des parties prenantes, un cadre légal qui fournit généralement une base adéquate pour conduire des élections démocratiques, une campagne électorale pacifique et enfin le respect en général des libertés d’expression, d’association et de réunion (3;

– en matière de liberté de la presse, la Moldavie est classée au 56ème rang mondial (sur 180) dans le classement établi par l’ONG Reporters sans frontières pour 2014, ce qui est en fait un score très honorable. En effet, la Moldavie devance ainsi la plupart des pays balkaniques, dont des membres de l’Union européenne (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Grèce, Hongrie, Macédoine et Monténégro), la totalité des ex-républiques soviétiques hormis les pays Baltes, enfin plusieurs vieilles démocraties comme l’Inde, Israël ou le Japon. L’ONG porte le jugement suivant sur les quatre ex-républiques soviétiques les mieux classées : « la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et le Kirghizstan bénéficient tous d’un pluralisme important et d’une censure étatique relativement faible, mais la forte polarisation des sociétés se reflète dans le paysage médiatique et le climat de travail des journalistes, souvent pris à partie par divers groupes de pression. Dans des contextes où l’orientation politique des médias est largement corrélée avec l’identité de leurs propriétaires, l’indépendance des rédactions reste un défi majeur ». Il est à noter qu’en Moldavie, le début d’année 2014 a été marqué par une tentative d’arrêt de la diffusion sur les réseaux câblés de trois chaînes de télévisions à la ligne éditoriale indépendante, qui ont finalement pu reprendre leur diffusion à la suite d’une importante mobilisation de la société civile. Actuellement, des responsables de la majorité pro-européenne envisagent de restreindre (par le vote d’une nouvelle loi) la liberté de diffusion des chaînes de télévision russes, accusées de mener une propagande anti-européenne éhontée auprès des russophones.

Le principal point noir dénoncé ces dernières années en matière de droits fondamentaux est l’abus des mauvais traitements, voire de la torture, par la police, qui a longtemps bénéficié d’une large impunité. Près de 500 cas étaient recensés en 2012, dont seulement 69 avaient fait l’objet d’une enquête criminelle et 24 avaient abouti à un procès. Toutefois, le code pénal a été modifié en 2012 et le dernier rapport (2014-2015) d’Amnesty International (4) fait état, pour la première fois, de condamnations récentes de policiers dans deux affaires de torture à des peines d’emprisonnement (allant jusqu’à six ans).

ii. La lutte contre la corruption

La lutte contre la corruption reste manifestement un enjeu essentiel en Moldavie, même si, dans ce domaine aussi, ce pays obtient déjà des résultats assez honorables si on le compare à ceux qui lui sont comparables. En effet, dans le classement pour 2014 de la corruption perçue selon l’ONG Transparency International, la Moldavie occupe un 103ème rang sur 174 qui peut certes apparaître médiocre, mais la classe moins mal que la majorité des États issus de l’URSS : seuls les États baltes, la Géorgie et l’Arménie obtiennent de meilleurs scores. Néanmoins, il convient de signaler que l’arrivée au pouvoir de partis pro-européens n’a pas véritablement changé la donne en la matière, la Moldavie étant mieux classée en 2009 (89ème rang mondial).

Des mesures significatives ont été prises ces dernières années. Un ensemble de lois visant à renforcer la lutte contre la corruption au sein de l’appareil judiciaire ont été adoptées fin 2013 (enquêtes sur l’intégrité des magistrats, intensification des contrôles disciplinaires, renforcement des sanctions, dont l’instauration de la confiscation des biens mal acquis, augmentation des salaires des juges…). Des opérations anti-corruption de grande envergure ont été conduites en décembre 2013. Il semble que des juges aient fait l’objet de sanctions disciplinaires, voire de révocations, suite à des manquements à leurs obligations. Un centre national anti-corruption a été mis en place ; il existe également une commission nationale pour l’intégrité, qui a notamment la charge de vérifier les déclarations de patrimoine et les éventuels conflits d’intérêt des personnes publiques ; toutefois, ces institutions semblent se heurter à des problèmes de moyens et leur cadre juridique doit encore être stabilisé. Des progrès importants en matière de lutte contre la corruption aux frontières ont par ailleurs été réalisés dans le cadre du plan d’action exigé préalablement à la libéralisation des visas de court séjour avec l’espace Schengen.

Cependant, la marge de progrès reste encore élevée. Dans son rapport de progrès sur la mise en œuvre de la politique européenne de voisinage en Moldavie en 2013, publié le 27 mars 2014, la Commission européenne relève que des cas de corruption au sein du système judiciaire, demeurés impunis, ont créé un climat de défiance à l’égard de l’État de droit et une forte dégradation du climat des affaires.

Le scandale politico-financier impliquant depuis 2013 trois banques du pays, dont la principale, Banca de Economii, est révélateur de cette situation : des anciens dirigeants de ces institutions font l’objet d’enquêtes judiciaires pour avoir octroyé des crédits injustifiables à des sociétés qui seraient liées à des hommes politiques influents. Une commission d’enquête parlementaire a également été constituée et un cabinet d’audit international commissionné. D’après des informations récemment publiées, le total des fonds détournés à la Banca de Economii et à la Banca sociala atteindrait 27,9 milliards de lei (5), soit environ 1,4 milliard d’euros. Les banques en cause, qui étaient initialement publiques, ont été privatisées dans des conditions discutables, avant d’être replacées sous tutelle publique vu leur déconfiture. Le défaut pourrait représenter 15 % du PIB moldave, voire plus. Le nouveau gouvernement semble conscient de la gravité de la situation et de la nécessité de trouver rapidement une solution, notamment pour sécuriser les dépôts dans les banques condamnées. Au-delà, des réformes structurelles seront nécessaires pour assainir le système financier : plus grande transparence de l’actionnariat des institutions financières, exigences accrues de fonds propres…

De même, les conditions d’attribution du récent marché de la gestion de l’aéroport de la capitale ont été critiquées.

Dans son rapport précité, la Commission recommande à la Moldavie d’intensifier la lutte contre la corruption à tous les niveaux, en particulier :

– en assurant le bon fonctionnement et la pleine indépendance du centre national anti-corruption ;

– en adoptant le cadre législatif nécessaire à l’action de la commission nationale pour l’intégrité ;

– en luttant contre l’immixtion des intérêts d’affaires, en particulier dans le secteur judicaire ;

– en assurant la transparence des marchés publics et des privatisations.

Le nouveau gouvernement met effectivement en avant le triptyque de la réforme de la justice, de la lutte contre la corruption et de la stabilisation du système financier.

Une part importante de l’enveloppe allouée à la Moldavie dans le cadre de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat est destinée au renforcement de l’État de droit et de la bonne gouvernance (première priorité de la programmation 2007-2013). Une stratégie de réforme de la justice a été mise en place pour 2011-2016, dont la mise en œuvre fait l’objet d’une assistance technique et budgétaire (60 millions d’euros) de la part de l’Union européenne.

iii. La lutte contre la criminalité

Le rapport précité de la Commission européenne donne plutôt un satisfecit à la Moldavie sur la politique de lutte contre la criminalité. Il relève ainsi que le gouvernement moldave a mis en œuvre la loi de prévention et de lutte contre le crime organisé, ainsi que la stratégie pour 2011-2016 élaborée en cohérence avec les réformes internes, notamment du ministère de l’intérieur, et inspirée des bonnes pratiques européennes et internationales. De même, une stratégie anti-drogue a été élaborée pour la période 2011-2018 et est mise en œuvre.

Un accord de coopération stratégique existe depuis 2007 avec Europol et un officier de liaison moldave est détaché depuis 2013 auprès de cette organisation. Un accord de coopération stratégique et opérationnelle a été signé le 18 décembre 2014, qui doit succéder à l’accord de coopération stratégique.

Il faut noter que si, selon Europol, des groupes criminels moldaves sont déjà présents et actifs dans plusieurs États membres de l’Union, et sont parfois bien structurés (selon le modèle, commun aux ex-républiques soviétiques, des « bandits dans la loi » – Vory v Zakone), ces groupes ne semblent pas jouer un rôle significatif dans les hiérarchies du crime organisé au sein de l’Union. Leurs activités de prédilection seraient la traite des êtres humains, l’aide à l’immigration clandestine, le vol, la fraude aux cartes bancaires, la contrebande de cigarettes et la cybercriminalité.

b. La réorientation progressive des flux économiques et énergétiques

On observe une réorientation des flux économiques externes de la Moldavie vers l’Union européenne. En 2013, plus de 46 % du commerce extérieur moldave a été effectué avec l’Union européenne, contre près de 22 % avec la Russie et un peu moins de 12 % avec l’Ukraine. La Roumanie est le premier partenaire commercial communautaire de la Moldavie, loin devant l’Italie, puis l’Allemagne.

Sur la période 2009-2013, les exportations européennes vers la Moldavie ont augmenté en moyenne de 16,4 % par an. Le mouvement s’est apparemment accéléré suite à l’entrée en vigueur (provisoire en attente de ratification) du volet commercial du présent accord à partir de la mi-2014 : les exportations moldaves vers l’Union auraient crû de 10 % à 20 %, tandis que celles vers la Russie baissaient de 20 % à 30 % du fait des mesures d’embargo sur certains produits (voir infra). En conséquence, les échanges avec l’Union représenteraient désormais plus de la moitié du commerce extérieur moldave. Pour la première fois, la Moldavie s’est mise à exporter vers l’Union des céréales et certains produits industriels.

La Moldavie est devenue en 2010 membre de la Communauté de l’énergie (créée en 2005 entre l’Union européenne et certains de ses voisins en vue d’établir un marché intégré de l’énergie), ce qui est également le cas de l’Ukraine. Cette appartenance implique la reprise de l’acquis européen en matière énergétique, notamment s’agissant de la séparation des activités de réseau et de distribution prévue par le « troisième paquet énergie », pour laquelle la Moldavie bénéficie toutefois d’une dérogation jusqu’en 2020.

Des projets ont été lancés pour réduire la dépendance énergétique de la Moldavie à l’Ukraine et à la Russie : depuis août 2014, un gazoduc construit avec l’aide de l’Union européenne relie Iasi, en Roumanie, à Ungheni, en Moldavie. Il reste à le compléter par un tronçon Ungheni-Chisinau et à construire une usine de compression (la pression du gaz étant différente en Roumanie et en Moldavie). Des études de faisabilité sont en cours pour la réalisation du second tronçon, en vue de l’achever en 2017, ce qui exigera un financement international qui n’est pas encore trouvé. Dans le domaine électrique, trois projets majeurs (au nord, au centre et au sud) sont à l’étude pour réaliser l’interconnexion des réseaux moldaves et roumains : les études de faisabilité sont en cours et les projets pourraient être lancés dès 2015. L’Union européenne soutient également fortement la mise en œuvre de politiques favorables aux énergies renouvelables (biomasse notamment) et à l’efficacité énergétique. Il reste néanmoins que les intérêts importants qui sont en jeu n’ont pas permis de faire évoluer le cadre légal avant les élections législatives de novembre 2014. La question reste entière et constituera un test important pour juger de la volonté de transparence de la majorité actuelle.

c. Un soutien actif de l’Union européenne

La Moldavie bénéficie depuis quelques années d’un soutien particulièrement actif de l’Union européenne, en retour de son engagement pro-européen.

i. La libéralisation de la circulation des personnes

Depuis le 28 avril 2014, les Moldaves porteur d’un passeport biométrique peuvent entrer sans visa, pour un court séjour (moins de trois mois), dans l’espace Schengen, tandis que ceux dont le passeport n’est pas biométrique bénéficient de conditions préférentielles pour obtenir un visa (droits réduits à 35 euros au lieu de 60 et procédure rapide, sans consultation entre pays « Schengen »). Ces facilités valent réciproquement pour les citoyens européens.

Parmi les pays du Partenariat oriental, la Moldavie est le plus avancé dans le processus de libéralisation de la circulation des personnes :

– l’Ukraine et la Géorgie sont seulement entrées, respectivement depuis le 23 juin 2014 et le 17 novembre 2014, dans la seconde phase de leur plan d’action avec l’Union pour la libéralisation du régime des visas – cette phase d’évaluation suit la phase d’actions où les pays doivent mettre en place le cadre administratif et juridique exigé par l’Union avant la suppression des visas ; de sa validation dépendra la décision finale de libéralisation ou non ;

– l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont juste signé des accords de facilitation pour la délivrance des visas et de réadmission des personnes en situation irrégulière, tandis qu’avec le Belarus, ce sont seulement des discussions en vue de tels accords qui ont été entamées en 2014.

Ce traitement privilégié a pu être attribué à la Moldavie du fait de sa situation démographique : le réservoir d’émigration est de plus en plus limité dans ce petit pays en voie de vieillissement accéléré, dont une très grande part des ressortissants vit déjà à l’étranger. Le nombre d’arrestations de Moldaves en situation irrégulière dans l’Union était effectivement en baisse constante ces dernières années, étant passé de près de 7 000 en 2008 à 3 000 en 2012.

ii. Un niveau élevé de soutien financier

Pour l’aide européenne par capita, la Moldavie est le deuxième pays du « voisinage » européen le plus aidé, après les Territoires palestiniens, donc le premier au sein du Partenariat oriental.

La programmation 2007-2013 de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat, dont l’enveloppe bilatérale allouée à la Moldavie s’élevait à 273 millions d’euros, fixait trois priorités : la bonne gouvernance et l’État de droit ; le développement social et humain ; le commerce et le développement durable. La programmation s’est traduite en particulier par la mise en œuvre de programmes de soutien budgétaire dans les domaines de la justice, de l’assistance sociale, de la santé, de l’eau, du développement rural et de l’énergie.

Pour 2014-2020, l’enveloppe programmée s’établit entre 610 et 746 millions d’euros. Pour la sous-période 2014-2017, la programmation pluriannuelle, assortie d’une enveloppe indicative de 335 à 410 millions d’euros, met en avant trois priorités : la réforme de l’administration publique (30 % de l’enveloppe), le développement agricole et rural (30 % également), la réforme de la police et de la gestion des frontières (20 % de l’enveloppe). Une part de l’enveloppe (20 %) est en outre allouée au soutien à la société civile et au développement des capacités institutionnelles. Le niveau de ce soutien communautaire est très important, mais il reste à vérifier que l’essentiel de ces fonds n’aille pas assurer les fins de mois d’experts occidentaux venus donner des leçons de bonne gouvernance contre une confortable rémunération, ou ne soit détourné ou mal utilisé dans le cadre du support budgétaire direct aux autorités, mais aille vraiment à l’amélioration des conditions de vie, encore très modestes, de la majorité des Moldaves.

La bonne volonté affichée par les gouvernants moldaves leur a valu par ailleurs des soutiens plus conjoncturels et venant d’autres organisations internationales, notamment pour faire face à la crise financière de 2008-2009 (programme du FMI et assistance financière européenne avec 90 millions d’euros donnés).

La mise en œuvre des aides européennes ne s’est toutefois pas toujours faite sans difficultés. L’Union européenne a ainsi interrompu le soutien budgétaire destiné au secteur de la gestion de l’eau, la destination des fonds n’ayant pas été respectée.

iii. La Mission d’assistance au contrôle de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine

Depuis le 1er décembre 2005, l’Union européenne déploie une mission d’assistance au contrôle de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine (EUBAM), en réponse à une demande des présidents moldave et ukrainien de l’époque. Le mandat de cette mission, initialement de deux ans, a été reconduit à trois reprises (2007, 2009 et 2011) et court jusqu’au 30 novembre 2015.

Cette mission vise à prévenir les activités criminelles le long de cette frontière en conduisant un programme d’accompagnement et de formation des autorités moldaves et ukrainiennes en charge du contrôle de la frontière (gardes-frontières, douaniers). Elle contribue également à l’apaisement des tensions autour du conflit transnistrien, notamment par le soutien à la mise en œuvre de mesures de confiance. Elle supervise l’enregistrement auprès des autorités de Chisinau des sociétés établies en Transnistrie et exportatrices vers l’Union. Depuis 2009, elle accompagne aussi les autorités moldaves et ukrainiennes dans leur travail de démarcation du segment transnistrien de la frontière commune. Plus récemment, elle a facilité la reprise du trafic ferroviaire entre Chisinau et Odessa via la Transnistrie. En 2012, pour la première fois, elle a pu organiser un séminaire conjoint entre les autorités moldaves et transnistriennes sur les questions douanières.

6. La période la plus récente : l’impact de la crise ukrainienne

La crise ukrainienne a nécessairement un impact sur la Moldavie, qui n’en est pas très éloignée géographiquement.

a. De très graves difficultés économiques en Transnistrie

Tout d’abord, la Transnistrie se trouve confrontée à de très graves difficultés économiques du fait de l’arrêt (provisoire ou durable, la question n’est pas tranchée) des subsides de la Russie, elle-même en crise économique et dotée d’autres priorités, comme la Crimée, de la chute du rouble russe et de la baisse des échanges avec l’Ukraine : cette dernière résulte de la crise économique dans ce pays, mais aussi de la politique beaucoup moins accommodante du nouveau pouvoir ukrainien vis-à-vis de l’enclave pro-russe.

Ces difficultés se traduisent par des coupes budgétaires depuis le mois de juillet 2014. Les autorités locales ont annoncé, le 21 janvier 2015, que les revenus de la région séparatiste représenteraient un quart de ce qu’ils étaient à la même période l’an dernier, invoquant un blocus qui serait imposé par l’Ukraine et la Moldavie. Les conséquences sont importantes : retards de paiement des salaires dans la fonction publique ; coupe de moitié des pensions de retraite ; augmentation des tarifs des services publics ; déficit budgétaire abyssal…

b. Des difficultés également en Moldavie, du fait des restrictions russes sur les produits agro-alimentaires moldaves

La crise ukrainienne se traduit également par une baisse des échanges commerciaux bilatéraux entre l’Ukraine et la Moldavie. Par exemple, l’Ukraine, en proie à des difficultés d’approvisionnement, a suspendu, le 13 janvier dernier, l’exportation d’électricité vers la Moldavie.

Quant à la Russie, débouché majeur pour les produits agricoles moldaves (90 % des pommes moldaves y étaient exportées), elle a adopté des mesures restrictives à l’encontre de la Moldavie, éventuellement justifiées par des prétextes sanitaires, mais qui s’inscrivent surtout dans le contexte de tension et de sanctions avec l’Union européenne, dont la Moldavie a de son côté le tort de se rapprocher : embargo sur les vins moldaves à partir de septembre 2013 (à l’exception de ceux de la région pro-russe de Gagaouzie) ; restriction sur certaines viandes en juillet 2014, au lendemain de la ratification de l’accord d’association par le parlement moldave ; embargo « sanitaire » et en principe temporaire sur les fruits le même mois, puis sur les produits carnés en octobre ; instauration en août 2014 de droits de douane sur divers produits moldaves, malgré l’accord de libre-échange en vigueur entre la Russie et la Moldavie, pour contrer un risque prétendu d’afflux de produits européens via la Moldavie suite au présent accord d’association…

Tout récemment, l’embargo sur les pommes a été l’objet d’une levée partielle et provisoire, très sélective : dix entreprises moldaves ont été à nouveau autorisées à exporter vers la Russie. Selon un membre du gouvernement moldave, le choix de ces entreprises s’expliquerait surtout par leur localisation dans des régions où la population est bien disposée à l’endroit de la Russie.

Pour faire face à cette situation, la Moldavie a bénéficié de mesures spécifiques de la part de l’Union européenne, telles que la libéralisation depuis le 1er janvier 2014 des importations dans l’Union de vin moldave et le rehaussement des contingents d’entrée dans l’Union de certains fruits, puis l’application anticipée de l’accord d’association à partir de la mi-2014. Mais il n’est pas évident de réorienter instantanément des circuits commerciaux bien rôdés, d’autant que la plupart des produits moldaves ne répondent pas aux standards européens.

c. Une réactivation, au moins verbale, du conflit avec la Transnistrie

Sur le plan politique, la crise ukrainienne a ravivé le « conflit gelé » transnistrien.

La Transnistrie, suite à l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014, a multiplié en vain les demandes de reconnaissance de sa volonté séparatiste vis-à-vis de la Moldavie, certains responsables politiques appelant au rattachement à la Russie, tandis que le « président » Evgueni Chevtchouk restait sur une position d’indépendance. Le « soviet suprême » de Transnistrie a demandé le 16 avril 2014 à la Russie et aux Nations-Unies de reconnaître la Transnistrie indépendante.

Le gouvernement moldave, de son côté, apporte son soutien aux nouvelles autorités ukrainiennes et a condamné l’annexion russe de la Crimée. La crise a également amené la Moldavie à renforcer sa coopération avec l’OTAN et, ainsi qu’on l’a dit, a lancé dans la classe politique le débat sur l’abandon éventuel du statut de neutralité et une candidature à cette organisation. Pour justifier leurs positions, certaines personnalités politiques moldaves mettent en avant les projets de « Nouvelle Russie » popularisés par des milieux nationalistes russes, selon lesquels l’annexion par la Russie de toute l’Ukraine méridionale, jusqu’à Odessa, permettrait de recréer une continuité russe jusqu’à la Transnistrie.

d. Mais, de manière contradictoire, une opportunité de relancer le règlement du conflit ?

Les négociations au format « 5+2 » (6) sur la résolution du conflit sont bloquées. Après plusieurs reports demandés par la Transnistrie, seules deux réunions sur les cinq prévues se sont déroulées en 2014. La dernière réunion s’est tenue en juin et aucune date n’est encore fixée pour la prochaine.

Sur le plan strictement bilatéral, les autorités moldaves et transnistriennes ont établi un dialogue structuré, avec plusieurs groupes de travail sectoriels. Mais bien que ce dialogue semble se passer dans des conditions assez cordiales, il ne débouche pas sur des résultats concrets quand il s’agit de passer aux décisions. Un membre du gouvernement moldave a regretté la présence systématique de représentants de la Russie au côté des délégations transnistriennes.

Les grandes difficultés économiques et budgétaires actuelles de la Transnistrie et la réduction de son commerce avec la Russie et l’Ukraine sont vues par le gouvernement moldave comme une opportunité de relancer le processus de rapprochement entre les deux rives du Dniestr. 68 % des exportations transnistriennes seraient désormais orientées vers l’ouest (reste de la Moldavie et Union européenne) contre 12 % seulement vers la Russie.

De plus, il existe actuellement un moyen de pression spécifique. En effet, les produits de Transnistrie ont bénéficié comme les autres produits moldaves de l’application anticipée des clauses commerciales du présent accord à partir de 2014, mais cela ne vaut que jusque fin 2015. Ensuite, en application de l’article 462 de l’accord, ces clauses préférentielles ne bénéficieront à la Transnistrie que si les autorités moldaves et l’Union européenne en décident ainsi (voir infra la partie III du présent rapport pour plus de détail sur cet article). L’année en cours est donc l’occasion de mettre les autorités de Transnistrie devant un choix : faire preuve d’ouverture ou renoncer au débouché européen. Cela dit, au regard de tout ce qui a été dit plus haut sur les difficultés du dialogue avec ces autorités, la probabilité d’une issue constructive reste limitée.

II. LES RELATIONS FRANCO-MOLDAVES

Les échanges entre la France et la Moldavie, qu’ils soient humains ou économiques, sont faibles et l’on ne peut pas non plus invoquer une longue histoire commune ou une longue histoire d’amitié entre les deux pays. Il existe pourtant eux une relation d’une nature particulière, très amicale, dont le fondement est essentiellement le partage de la francophonie.

A. DES ÉCHANGES MODESTES

1. Les échanges humains

La communauté moldave en France reste assez peu nombreuse par rapport à celles présentes dans d’autres pays, avec dans notre pays 3 721 ressortissants moldaves détenteurs, en 2013, de titres ou autorisations de séjour. Cela dit, les Moldaves présents en France sont évidemment bien plus nombreux, sans doute entre 20 000 et 50 000. Le fait que nombre d’entre eux détiennent des passeports roumains, puis la suppression en 2014 de l’obligation de visa pour les courts séjours rendent à peu près impossible leur décompte.

Les étudiants moldaves, qui sont, eux, normalement identifiables, puisqu’ils doivent en principe disposer d’un titre de séjour ad hoc pour s’inscrire dans les établissements français, sont environ 1 000. Toutefois ce chiffre est également sans doute largement supérieur dans la réalité car il y a aujourd’hui de nombreux étudiants binationaux roumains-moldaves. Les étudiants purement moldaves ne représentent certes qu’un peu plus de 0,3 % du total des étudiants étrangers présents en France, mais leur effectif est tout de même significatif pour un pays de la taille de la Moldavie. À titre de comparaison, les étudiants ukrainiens en France sont à peine plus nombreux, bien qu’ils proviennent d’un pays quinze fois plus peuplé ; les étudiants moldaves sont plus nombreux en France que les étudiants hongrois, irlandais, serbes, suédois ou autrichiens… Par ailleurs, avec l’élévation du niveau de vie, le faible coût des études en France, la francophonie – près de 50 % des jeunes moldaves apprennent encore le français dans les écoles, collèges et lycées – et la présence de l’Alliance française qui promeut activement les études supérieures en France, la Moldavie est le pays d’Europe qui a vu son nombre de jeunes poursuivre des études supérieures en France le plus progresser ces dernières années. Alors que la proportion des étudiants européens dans les universités françaises baisse au profit des autres continents, le nombre d’étudiants moldaves est quant à lui en progression de 38 % entre 2007 et 2013. La France est aujourd’hui le 4ème pays d’accueil des étudiants moldaves poursuivant des études supérieures à l’étranger, derrière la Roumanie, la Russie et l’Italie, mais devant l’Ukraine ou l’Allemagne.

Avant la suppression de l’obligation de visa pour les courts séjours, le nombre de visas « Schengen » français délivrés en Moldavie était en moyenne de 4 000 par an (sur 2009-2013). Quant au nombre moyen de visas de long séjour, il a été sur la même période un peu supérieur à 300, la moitié environ de ces visas étant motivés par la poursuite d’études en France. Sur un total de 167 000 visas de long séjour (chiffre de 2013) attribués mondialement par la France, on voit que la contribution de la Moldavie à l’immigration extra-communautaire durable dans notre pays est pour le moins limitée (environ 0,2 %). Il est enfin à noter que le taux de refus des demandes de visas est assez élevé en Moldavie : 10 % à 14 % selon les années de 2009 à 2013, soit un peu plus que la moyenne mondiale pour l’ensemble de nos postes, laquelle est un peu inférieure à 10 %.

La suppression de l’obligation de visa pour les courts séjours a entraîné une forte baisse des demandes d’asile exprimées par des Moldaves (passées de 38 à 7 de 2013 à 2014), ainsi que des notifications d’obligation de quitter le territoire français à des Moldaves en situation irrégulière (passées de 1 317 en 2012 à 226 en 2014).

Quant à la communauté française en Moldavie, elle compte moins d’une centaine de membres enregistrés.

2. Les échanges commerciaux

Les échanges commerciaux bilatéraux restent à un niveau modeste, qui s’explique naturellement par la petite taille de l’économie moldave et son relatif éloignement géographique. En 2013, les exportations françaises vers la Moldavie ont atteint 60,3 millions d’euros et les exportations moldaves vers notre pays 40,8 millions d’euros. Il faut noter que cette soixantaine de millions d’euros d’exportations vers la Moldavie ne représentent que :

– 0,014 % du total de nos exportations ;

– du point de vue moldave, 1,1 % du total des importations du pays.

La part de marché française en Moldavie apparaît donc faible ; elle est inférieure à notre part de marché mondial (c’est-à-dire la moyenne pondérée de nos parts de marché dans les importations de tous les pays), qui est de 3,5 % ; elle est également en recul tendanciel (elle atteignait 2,3 % en 2002).

Encore faut-il ajouter que, d’après les données disponibles sur onze mois de 2014, notre commerce avec la Moldavie devrait être encore plus faible sur cet exercice (nos exportations se sont contractées de 23,7 %).

La composition des exportations françaises vers la Moldavie rend compte des points forts habituels de notre commerce extérieur : en 2013, les matériels de transport ont représenté près de la moitié (25 millions d’euros) de ces exportations, du fait de la livraison d’un aéronef d’occasion. Les produits agricoles et de la pêche constituent le deuxième poste d’exportation (10 millions d’euros en 2013) et les produits chimiques et parfums le troisième (5,6 millions d’euros en 2013).

Depuis la Moldavie, la France importe principalement des produits agricoles – dont 96 % sont des fruits à coque –, des textiles et de l’habillement, conformément aux dominantes de l’économie moldave.

3. L’implantation des entreprises françaises

Le stock d’investissements directs étrangers (IDE) français en Moldavie était de 173,6 millions d’euros en 2012, ce qui représenterait un peu moins de 7 % du total des IDE dans le pays (sous réserve que les données de la Banque de France sur les IDE français et celles de la CNUCED sur les IDE globaux en Moldavie soient cohérentes). Il y a essentiellement quatre grandes entreprises françaises fortement implantées en Moldavie : Lafarge, qui couvre 60 % des besoins du pays en ciment ; Orange, qui est devenu le premier exploitant de téléphonie mobile de Moldavie, avec 50 % du marché des télécommunications ; la Société générale, qui est l’actionnaire majoritaire de la Mobiasbanca, cinquième banque moldave ; enfin, Lactalis.

Des opportunités pour nos entreprises s’offrent dans ce pays qui cherche à se moderniser, notamment dans les secteurs de l’eau, de la gestion des déchets, des énergies, notamment renouvelables, et des transports. La richesse des sols et le faible coût d’une main d’œuvre pourtant plutôt bien formée créent également des opportunités dans l’agriculture comme dans l’industrie.

La présence économique française commence depuis 2008 à se structurer et à s’institutionnaliser avec la création d’une Chambre de commerce et d’industrie française. La présence de nombreuses entreprises françaises en Roumanie voisine constitue également un atout pour le développement des flux économiques et commerciaux entre nos deux pays.

B. UN CIMENT ESSENTIEL : LA FRANCOPHONIE

Pays de tradition latine, la Moldavie est un pays très francophone, comme la Roumanie voisine. Elle a adhéré à l’Organisation internationale de la francophonie en 1996 et comptait en 2010 près de 900 000 locuteurs du français, soit plus du quart de la population ; 150 000 élèves y apprennent notre langue et 3 800 sont même dans des classes bilingues. Elle fait à cet égard figure d’exception parmi les ex-républiques soviétiques.

TV5 est diffusée depuis 1994 avec un sous-titrage en roumain et russe ; la réception est gratuite et la couverture de bon niveau. France 24 est également présente.

1. Le rôle majeur de l’Alliance française

Le dispositif français de coopération culturelle et linguistique en Moldavie repose en grande partie sur l’Alliance française de Moldavie, que le programme-cadre de coopération et d’action culturelle franco-moldave, signé à Chisinau en juillet 2000, avait désignée comme l’opérateur de coopération culturelle et linguistique de la France en Moldavie. Ce programme-cadre avait néanmoins été signé pour trois ans et a expiré depuis. Il conviendrait désormais de signer un nouvel accord de coopération culturelle, linguistique, scientifique et technique qui figerait officiellement le rôle d’opérateur de coopération de l’Alliance française entre les deux pays, en particulier compte-tenu des évolutions attendues de notre dispositif institutionnel sur place à l’horizon 2017.

L’Alliance française est le centre culturel étranger le plus ancien (elle a été créée en 1992) en Moldavie et y reste toujours le seul centre étranger d’importance.

L’établissement de Chisinau comporte des locaux pédagogiques, des salles de cours et de réunion, une galerie d’exposition, une médiathèque. Il accueille un espace Campus France destiné aux candidats aux études en France. L’Alliance Française héberge également le correspondant technique de TV5Monde en Moldavie et le siège de la Chambre de commerce et d’industrie France-Moldavie.

L’Alliance française est également présente en province : elle y a trois annexes à Balti, Nisporeni et Ungheni et soutient deux centres de ressources et d’information sur la France contemporaine à Tiraspol et Calarasi. Le centre de ressources de Tiraspol a été réinstallé, en 2008, dans des locaux plus spacieux de l’Université Taras Chevtchenko. Il est doté d’équipements multimédias uniques en Transnistrie.

Avec près de 6 000 apprenants de français (dont près de 300 fonctionnaires et agents publics moldaves suivant des cours dans le cadre d’un programme financé par l’Organisation internationale de la francophonie, programme qui vient de s’ interrompre – voir infra), l’Alliance française de Moldavie est l’une des toutes premières Alliances françaises en Europe et dans le monde, même si la forte progression du nombre d’inscrits a eu tendance à se ralentir ces dernières années, affectée en particulier par le recul des moyens alloués par la France et les partenaires de la francophonie à la promotion et à l’enseignement de notre langue et à la promotion des échanges culturels entre nos deux pays.

Confrontée à une forte baisse de ses moyens (70 % de baisse de subvention depuis 2010 hors les suppressions de postes décidées), l’Alliance française ne dispose plus aujourd’hui des capacités à promouvoir efficacement la visibilité française en Moldavie.

2. Le regrettable retrait de l’Organisation internationale de la francophonie

La Moldavie bénéficie de plusieurs dispositifs appuyés par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et ses opérateurs :

– Chisinau est membre de l’Association internationale des maires francophones ;

– huit universités moldaves sont membres de l’Agence universitaire pour la francophonie (AUF), qui dispose d’une antenne à Chisinau ainsi que de six centres de réussite universitaire (espaces didactiques de modernisation de l’enseignement du français). En 2013, l’AUF a investi 268 000 euros pour le financement de ses actions en Moldavie ;

– le parlement moldave est associé à l’Assemblée parlementaire de la francophonie ;

– le pays a signé en 2008 avec l’OIF un mémorandum pour le renforcement de la maîtrise du français par les diplomates et fonctionnaires moldaves. Cependant, ce programme de formation des fonctionnaires par l’OIF risque d’être définitivement interrompu cette année, bien qu’il ait manifestement été un outil très efficace d’influence : en 2013, étaient inscrits deux ministres et six vice-ministres, ainsi que la moitié du cabinet du Premier ministre d’alors, M. Iurie Leanca, lequel avait également bénéficié de ce programme lorsqu’il était ministre des affaires étrangères. La relance de ce programme en Moldavie butte sur une demande de cofinancement de la partie moldave, soit quelques milliers d’euros, alors même que des cours d’anglais sont proposés gratuitement aux fonctionnaires moldaves.

3. La coopération culturelle et universitaire

La coopération culturelle, scientifique et technique franco-moldave est régie par un accord intergouvernemental signé à Chisinau le 24 novembre 1994.

Il n’y a pas d’Institut français autonome en Moldavie, ni d’établissement d’enseignement.

La programmation culturelle de l’Alliance française s’articulait traditionnellement autour d’opérations telles que les « Journées de la francophonie », le « Festival du film francophone » – plus de 6 000 entrées en 2012 – et le festival « Les nuits pianistiques de Moldavie-mer Noire », qui a célébré ses dix ans en 2012. La réduction des moyens de coopération affecte cependant cette programmation. Les « Nuits pianistiques » ont ainsi été abandonnées en 2013. Quant au « Festival du Film francophone », il n’a pu être organisé en 2015 suite à l’annonce en fin d’année 2014 de la chute brutale de la subvention budgétaire de 75 % !

Globalement, les moyens budgétaires affectés à la coopération culturelle et universitaire dans son ensemble (bourses aux étudiants moldaves, coopération institutionnelle et subventions à l’Alliance française de Moldavie) sont en baisse constante depuis plusieurs années : leur enveloppe est passée de 383 000 euros en 2010 à 287 000 euros en 2013, 242 000 euros en 2014 et 218 000 euros pour 2015. La diminution annuelle de cette dotation depuis 2010 a été en moyenne supérieure à 10 % : à ce rythme, une dotation est divisée par deux en à peine sept ans.

La coopération scientifique et technologique avec la Moldavie est actuellement très limitée. Elle se limite à des échanges de chercheurs résultant de contacts directs ou effectués par le biais de projets financés par les programmes européens. Le CNRS et l’Académie des sciences de Moldavie ont signé le 24 mai 2011 un accord-cadre de coopération scientifique pour organiser des échanges de chercheurs sur la base d’appels à projets conjoints, mais il n’existe actuellement aucune action de coopération formalisée du CNRS.

En matière universitaire, des conventions ont été signées entre l’Université de Nice Sophia-Antipolis et IMI-NIVA et entre l’Université d’Orléans et l’Académie d’études économiques de Moldavie en économie et gestion. Trois masters ont été développés dans des filières francophones : un master professionnel franco-moldave vitivinicole et un autre sur la transformation des produits animaux à l’Université technique de Moldavie en partenariat avec l’Association des établissements d’enseignement supérieur et de recherche agronomique, agroalimentaire, horticole et vétérinaire de Rennes, Nantes et Angers (AGRENA) ; un d’appui au management de la santé publique dans le cadre d’une convention entre l’École nationale de la santé publique de Rennes et son homologue moldave.

Par ailleurs, en 2012-2013, 915 étudiants moldaves étaient inscrits à l’université en France (contre 654 en 2005) et 89 étaient inscrits dans nos « grandes écoles ».

C. LES COOPÉRATIONS ADMINISTRATIVES

La France mène avec la Moldavie des coopérations techniques dans de nombreux domaines, les plus importants étant : l’action médico-sociale en faveur des enfants ; la sécurité intérieure (lutte contre la criminalité organisée et la traite des êtres humains, renforcement de la surveillance des frontières, coopération entre carabiniers et gendarmes, formation de la police à la gestion démocratique des foules et à la lutte contre la délinquance itinérante) ; les finances et les douanes (formation des douaniers et fiscalité).

Il existe un accord administratif du 12 octobre 2010 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme entre TRACFIN (soit la cellule « traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins ») et l’organisme moldave comparable.

D. DES RELATIONS POLITIQUES EXCELLENTES, MAIS LIMINAIRES

Les relations politiques bilatérales sont excellentes, mais les contacts ministériels encore trop rares. L’ancien Premier ministre Iurie Leanca s’est ainsi rendu à Paris en janvier 2013, puis en juin 2014, et a également rencontré le Président de la République à l’occasion du sommet de Vilnius en novembre 2013. En 2014, alors que nos partenaires américains et européens ont multiplié les visites officielles sur place, seuls MM. Laurent Fabius, à l’occasion d’un déplacement trilatéral avec son homologue allemand, et Harlem Désir, lors d’une visite du Groupe pour l’action européenne de la république de Moldavie, se sont rendus dans ce pays pour quelques heures. La France, qui est pourtant très attendue et bénéficie d’un véritable capital sympathie dans ce pays, semble laisser le champ libre à ses autres partenaires européens dans cette région, en particulier à nos amis allemands. Manque de moyens ou désintérêt pour ce pays, la question se pose. On ne peut que le déplorer, car la coopération culturelle et linguistique aurait aujourd’hui besoin d’être relancée et les moyens financiers à engager sont modestes. Il en est de même pour le développement des relations économiques et commerciales, qui pourraient être promues lors de ces visites de haut niveau.

La diplomatie parlementaire est en revanche très active, avec notamment une visite du président du parlement moldave à Paris en février 2013, des visites en Moldavie, la même année, de nos collègues Jean-Claude Mignon, alors président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et Jean-Pierre Dufau, président délégué de la section française de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, puis, en 2014, de délégations des groupes d’amitié avec la Moldavie de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Il est également à noter que la France co-préside avec la Roumanie le Groupe pour l’action européenne de la république de Moldavie, qui vise à soutenir et à accompagner le rapprochement entre l’Union et la Moldavie. Ce groupe informel s’est réuni pour la première fois en janvier 2010 et pour la dernière fois en septembre 2014, à Chisinau, ces réunions se faisant au niveau des secrétaires d’État chargés des affaires européennes.

E. …ET ENTRAVÉES PAR LA BAISSE DES MOYENS BUDGÉTAIRES

Plusieurs pays européens ont des politiques de coopération très actives en Moldavie, avec des budgets se chiffrant en millions d’euros, voire pouvant atteindre la dizaine de millions, notamment la Suède, « parraine » du Partenariat oriental, l’Allemagne, qui par ailleurs n’hésite pas à intervenir de manière assez directive dans la vie politique moldave, ou encore l’Autriche, sans oublier naturellement la Roumanie.

Les interventions françaises n’ont jamais été à ce niveau, mais le partage de la francophonie nous a permis de conserver jusqu’à présent avec la Moldavie une relation bilatérale d’une intensité particulière. Cependant, on l’a vu, les moyens affectés à l’Alliance française et plus généralement à l’action culturelle sont en forte rétraction, tandis que l’Organisation internationale de la francophonie risque d’interrompre l’un de ses programmes les plus emblématiques.

Dans le même temps, notre poste diplomatique à Chisinau devrait fortement réduire ses moyens d’ici 2017. Il fait déjà partie de la trentaine de postes dits de « présence diplomatique » aux moyens modestes, dont 13 avaient été sélectionnés pour connaître une cure d’amaigrissement sur 2013-2015 : limitation drastique des personnels (en général, il ne reste qu’un cadre A, l’ambassadeur) et du nombre de missions exercées, les autres, par exemple les missions consulaires, étant assurées à distance par un poste de rattachement. La Moldavie a échappé à cette première vague, mais appartient à la deuxième, qui concernerait 12 postes, ce alors même que la présence française devrait être plus soutenue dans le cadre du rapprochement européen de ce pays. Certes, deux postes d’encadrement devraient être maintenus à Chisinau (un ambassadeur et un conseiller), mais des questions se posent encore sur la réorganisation et les moyens du dispositif de coopération culturelle, linguistique et institutionnelle qui devrait être maintenu et mieux soutenu. Une éventuelle implication de l’Agence française de développement (AFD) pourrait notamment être étudiée.

Votre rapporteur ne conteste pas la nécessité des économies budgétaires. Il peut même admettre que le fait que le ministère des affaires étrangères ait été depuis des années bien plus lourdement et constamment mis à contribution que bien d’autres administrations ne dispense pas ce ministère de continuer à concourir à l’effort d’économies.

Mais la démarche de mise en place des postes à format très réduit pose tout de même question : d’une part, du fait de son systématisme, qui a du mal à prendre en compte les spécificités et les besoins locaux ; d’autre part, car on est en droit de se demander si l’universalité de notre réseau diplomatique, que cette démarche est censée préserver, reste bien réelle, des moyens trop insignifiants pouvant être incompatibles avec une présence effective, voire contreproductifs (à quoi bon garder un diplomate sur le terrain s’il doit refuser toutes les demandes exprimées, renoncer à toutes les actions d’influence, faute de crédits d’intervention ?).

Dans le cas de la Moldavie, il existe plusieurs arguments justifiant le maintien d’un certain niveau de présence diplomatique avec des moyens d’intervention suffisants :

– il y a bien sûr l’enjeu de la francophonie, particulièrement important dans un pays susceptible d’entrer un jour dans l’Union européenne. Sur ce point, il faut certes se féliciter que la francophonie reste très répandue en Moldavie, mais elle y est aussi, comme ailleurs, menacée (on est passé de 80 % d’apprentissage du français dans l’enseignement dans les années 1980 à 42,7 % en 2012). Corrélativement, la capacité de continuer à attirer une part importante des meilleurs étudiants moldaves vers nos universités constitue un outil de notre politique d’influence ;

– les fonds européens très généreusement déversés sur la Moldavie (une centaine au moins de millions d’euros par an) représentent un autre enjeu. Il faut conserver les moyens de contrôler et d’influencer l’usage de cet argent, qui provient pour une large part du contribuable français, et il serait dommage de perdre tous les moyens nationaux qui permettent de répondre à des appels d’offres européens et de bénéficier de cofinancements (la France a remporté plusieurs appels d’offres européens dans les années passées, qui représentaient chacun un à trois millions d’euros : jumelage dans le domaine de la transplantation, du développement régional, étude de faisabilité sur le système d’eau de Chisinau).

III. UN ACCORD D’ASSOCIATION DE FACTURE CLASSIQUE

Comme on l’a dit, le présent accord a été précédé en 1994 par un accord de partenariat et de coopération, qu’il remplace.

Document très étoffé, il comporte des clauses assez générales de dialogue politique, de coopération, parfois assortie d’alignement sur l’acquis communautaire par la Moldavie, dans de très nombreux domaines, enfin un volet économique très détaillé dont l’application devrait conduire de fait à une quasi-intégration économique de la Moldavie à l’Union (suppression de presque tous les droits de douane et obligation de transposition de très nombreux textes communautaires).

A. LE PROCESSUS D’ADOPTION DE L’ACCORD

1. Le déroulement de la négociation

a. Le Partenariat oriental

La négociation du présent accord s’inscrit dans le processus dit du « Partenariat oriental ». Le Partenariat oriental a été lancé en 2009 en direction de six pays : Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, Moldavie et Ukraine. Issue d’une initiative polono-suédoise, sa création s’inscrivait dans un contexte marqué, d’une part par la guerre russo-géorgienne d’août 2008, d’autre part, s’agissant du voisinage méridional de l’Union, par la création en 2008 de l’Union pour la Méditerranée. Les ambitions du Partenariat oriental sont décrites dans les déclarations des sommets de Prague (2009), Varsovie (2011) et Vilnius (2013) :

– le renforcement du dialogue politique via la conclusion d’accords d’association, destinés à remplacer les accords de partenariat et de coopération signés dans les années 1990 ;

– la libéralisation des échanges commerciaux et la reprise d’une part significative de l’acquis européen par le biais d’accords de libre-échange « complet et approfondi », intégrés aux accords d’association ;

– la libéralisation, à terme, du régime des visas de court séjour ;

– le développement de la coopération régionale au moyen de rencontres politiques (sommets et réunions ministérielles) et techniques et de projets concrets.

b. La négociation menée avec la Moldavie

Le 15 juin 2009, le Conseil de l’Union européenne a autorisé la Commission à ouvrir des négociations avec la Moldavie en vue de la conclusion d’un nouvel accord destiné à remplacer l’accord de partenariat et de coopération de 1994. Les négociations ont été ouvertes en janvier 2010 et achevées en juin 2013. Le présent accord d’association a été paraphé le 29 novembre 2013 à Vilnius, lors du troisième sommet du Partenariat oriental, et signé le 27 juin 2014.

c. L’état des lieux avec les autres pays du Partenariat oriental

S’agissant des autres pays du Partenariat oriental, il faut rappeler que la Géorgie a également paraphé son accord d’association avec l’Union au sommet de Vilnius, mais que c’est le renoncement de l’Ukraine à faire alors de même qui a déclenché dans ce pays la révolution que l’on sait. Après cela, les accords d’association avec les trois pays ont été définitivement signés le 27 juin 2014.

Un projet d’accord d’association avait aussi été finalisé avec l’Arménie, mais la décision de ce pays, annoncée le 3 septembre 2013, de rejoindre l’Union économique eurasiatique l’a rendu caduc. Depuis, l’Union et l’Arménie ont convenu de rechercher un accord alternatif moins ambitieux, mais les négociations n’ont pas commencé.

Avec l’Azerbaïdjan, la négociation d’un accord d’association engagée en 2010 a peu avancé ; son volet commercial reste bloqué par la non-appartenance du pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une négociation alternative a été lancée en 2013, celle d’un « partenariat stratégique pour la modernisation » qui serait centré sur les secteurs d’intérêt commun comme l’énergie et le développement économique.

Enfin, aucune négociation de ce type n’est en cours avec le Belarus.

2. Un accord « mixte »

Comme de nombreux accords de l’Union, le présent accord porte à la fois sur des matières relevant de la compétence communautaire, notamment tout le volet commercial, et sur des matières relevant de celle des États membres. Pour ne prendre qu’un exemple, l’article 9 exige des parties qu’elles mettent en place « un système effectif de contrôles nationaux des exportations » destiné à empêcher la prolifération des armes de destruction massive : ce type de mesures relève des seuls États. Par conséquent, il s’agit d’un « accord mixte » qui devra, pour entrer en vigueur, être ratifié non seulement par les institutions de l’Union, mais aussi par ses vingt-huit États membres. Dans tous ou la plupart d’entre eux, dont la France, cette ratification implique un vote parlementaire, certaines des dispositions de compétence nationale de l’accord étant de nature législative.

Comme c’est souvent le cas des accords mixtes au vu de la longueur du processus de ratification, la plupart des clauses du présent accord, notamment la totalité des clauses commerciales, sont déjà entrées en vigueur à titre provisoire, suite à une décision du Conseil de l’Union européenne du 16 juin 2014.

3. Le processus de ratification

L’accord a déjà été ratifié par la Moldavie et le Parlement européen, ainsi que par quelques États membres, dont on observera qu’ils sont en majorité situés à l’est ou au nord de l’Europe : Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte, Roumanie, Slovaquie et Suède.

S’agissant de la Moldavie, il faut rappeler la forte polarisation de la vie politique autour des choix géopolitiques, de sorte que l’accord d’association est loin d’y faire l’unanimité. S’il y est soutenu par les partis pro-européens, qui mettent en avant les gains économiques qu’il devrait apporter au pays selon les évaluations ex-ante commanditées par la Commission européenne, dans l’opposition, le Parti socialiste, ouvertement pro-russe, souhaite organiser un referendum pour le dénoncer. Quant au Parti communiste, il a nécessairement une position plus nuancée, dans la mesure où il était encore aux affaires au début du processus du Partenariat oriental et où aujourd’hui, il soutient sans y participer le gouvernement nouvellement constitué. Il ne critique donc pas le principe de l’accord d’association, mais la manière dont il a été négocié et certaines des dispositions qui en résultent : manque de transparence, sentiment que le texte a été dicté par l’Union européenne, regrets quant à l’absence d’anticipation des réactions russes prévisibles (embargos), dénonciation d’une prise en compte insuffisante des intérêts des producteurs moldaves…

B. LA STRUCTURE DE L’ACCORD

Le présent accord constitue un document très étoffé. Il comporte trois volets principaux, portant respectivement sur le dialogue et les réformes politiques, la coopération et le commerce. Ces trois volets sont couverts par sept titres comptant au total 465 articles. L’accord est de plus complété par 35 annexes et 4 protocoles…

Il faut bien voir cependant que l’essentiel de ce très long document reprend à l’identique un modèle que l’on trouve dans les différents accords d’association et accords commerciaux récents de l’Union. Ce sont donc les dispositions spécifiques à cet accord, minoritaires, qu’il est intéressant d’identifier.

Après un article 1er qui en fixe les objectifs et un titre Ier relatif aux principes généraux, où les parties rappellent leur attachement à la démocratie, aux droits de l’homme, à l’économie de marché et aux grands principes du droit international, l’accord traite successivement :

– du dialogue et des réformes politiques, ainsi que de la coopération dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité (titre II) ;

– des questions de liberté, sécurité et justice (titre III) ;

– de la coopération économique et dans d’autres secteurs (titre IV), avec des engagements de coopération – et éventuellement de rapprochement de l’acquis communautaire par la Moldavie – dans de très nombreux domaines (droit des sociétés, droit social, droit de la consommation, statistiques, finances publiques, fiscalité, diverses politiques économiques sectorielles, environnement, santé publique, protection civile, éducation, recherche, culture, etc.) ;

– de la libéralisation du commerce (titre V), avec des stipulations concernant le démantèlement des droits de douane, mais aussi de nombreux autres domaines (convergence normative, mesures sanitaires et phytosanitaires, marchés publics, protection de la propriété intellectuelle, droit de la concurrence, etc.) ;

– de l’aide financière de l’Union et des dispositifs de contrôle (titre VI) ;

– des dispositions institutionnelles et finales (titre VII).

Un point particulier mérite une explication : le présent accord a été passé avec la Moldavie par l’Union européenne, mais aussi par la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA). En effet, cette organisation, créée en 1957 en même temps que la Communauté économique européenne, n’a jamais été juridiquement fusionnée avec l’Union européenne, bien qu’elle fonctionne avec les mêmes institutions. Or, une stipulation au moins du présent accord concerne les compétences de la CEEA : son article 77, à son paragraphe i, prévoit une coopération en matière de sûreté nucléaire, de sécurité nucléaire et de protection radiologique. Et, même si la Moldavie ne dispose pas de centrales nucléaires, il n’est pas inutile de viser une coopération qui peut notamment servir à lutter contre les trafics illégaux de matériels radioactifs.

C. LE TRAITEMENT DES QUESTIONS POLITIQUES SENSIBLES

1. Les « aspirations européennes » de la Moldavie

Durant la négociation, le point le plus âprement discuté a été le souhait de la Moldavie, appuyé par les pays Baltes, la Suède et des pays d’Europe centrale, que lui soit reconnue une perspective d’adhésion à l’Union européenne. Mais ceci constituait une « ligne rouge » pour ceux des États membres, dont la France, qui considèrent que l’Union n’a pas pleinement « digéré » ses élargissements rapides des années 2000 et doit donner la priorité au règlement de ses problèmes de gouvernance interne, mis en lumière par la crise des dettes publiques de certains membres de la zone euro, et, au-delà, à son approfondissement.

Il faut en outre rappeler que, pour cette raison, il a été clair dès les débuts que le Partenariat oriental visait non à une adhésion de ses bénéficiaires, mais seulement à « l’établissement d’une association politique et un approfondissement de l’intégration économique » avec l’Union européenne, pour reprendre les termes de la déclaration commune adoptée lors du sommet fondateur du Partenariat oriental, à Prague le 7 mai 2009. La même déclaration énonce explicitement que ce partenariat « sera développé sans préjudice des aspirations exprimées par les différents pays partenaires en ce qui concerne leur future relation avec l’Union européenne ».

Le cadre juridique des accords d’association de l’Union est également clair. Ils s’inscrivent dans sa politique de voisinage, relevant de l’article 8 du Traité sur l’Union européenne : « l’Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées, en vue d’établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l’Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération [et, à cette fin,] peut conclure des accords spécifiques avec les pays concernés (…) ».

Le préambule du présent accord rend compte des tensions sur cette question de la perspective d’adhésion, mais reste clair sur l’essentiel : il prend acte des « aspirations européennes » de la Moldavie, reconnaît que celle-ci, « en tant que pays européen, partage une histoire et des valeurs communes avec les États membres », mais énonce clairement qu’il « ne préjuge en rien de l’évolution progressive des relations entre l’UE et la République de Moldavie à l’avenir ».

2. La Transnistrie

Deux articles du présent accord traitent de la question de la Transnistrie :

– l’article 8 pose les principes. Il dispose que l’Union et la Moldavie « réaffirment leur volonté de trouver une solution durable au problème de la Transnistrie, en respectant pleinement la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République de Moldavie, ainsi que de faciliter ensemble la réhabilitation après le conflit. Dans l’attente d’une solution et sans préjudice du cadre de négociation existant, le problème de la Transnistrie constitue l’un des principaux sujets à l’ordre du jour du dialogue politique et de la coopération entre les parties, ainsi que du dialogue et de la coopération avec les autres acteurs internationaux concernés (…). Ces efforts sont menés dans le respect des principes communs de maintien de la paix et de la sécurité à l’échelle internationale tels qu’ils sont établis par la charte des Nations-Unies, l’acte final d’Helsinki de 1975 de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et d’autres actes multilatéraux pertinents ». L’Union européenne fait donc état de sa volonté de faire de la question transnistrienne « un des principaux sujets » de son dialogue politique, y compris avec les autres acteurs concernés (la Russie par exemple), et il est clairement fait référence au principe de l’intégrité territoriale de la Moldavie ainsi qu’aux instruments de droit international qui le soutiennent ;

– l’article 462 traite de l’application de l’accord d’association, en particulier de ses clauses commerciales privilégiées, à la Transnistrie : « en ce qui concerne les régions de la République de Moldavie sur lesquelles son gouvernement n’exerce aucun contrôle effectif, le présent accord ou son titre V (commerce et questions liées au commerce) ne commenceront à s’appliquer que lorsque la République de Moldavie garantira la mise en œuvre et le respect intégraux, respectivement, du présent accord ou de son titre V (…) sur l’ensemble de son territoire (…). Le conseil d’association adopte une décision sur le moment à partir duquel la mise en œuvre et le respect intégraux du présent accord ou de son titre V (…) sont garantis sur l’ensemble du territoire de la République de Moldavie ». Par conséquent, tant que le conseil d’association (composé de représentants européens et moldaves et statuant par consensus) n’aura pas adopté une décision reconnaissant que l’accord peut effectivement être appliqué sur tout le territoire moldave, il ne s’appliquera pas à la Transnistrie.

Comme on l’a dit, cette disposition permet aujourd’hui d’exercer une certaine pression sur les autorités de fait de Transnistrie, dans la mesure où leurs produits bénéficient à titre provisoire des clauses commerciales de l’accord jusque fin 2015, mais que cela ne sera plus le cas ensuite, sauf mise en œuvre de la procédure décisionnelle susmentionnée.

D. LE DIALOGUE POLITIQUE ET LES DOMAINES DE COOPÉRATION

Les titres II à IV de l’accord listent un ensemble considérable de domaines où les deux parties s’engagent de manière générale à coopérer. Ce catalogue correspond en fait à la reprise des différentes politiques de l’Union, telles que mentionnées dans les traités européens, sur lesquelles, chaque fois, une coopération est offerte à la Moldavie.

L’article 3 établit entre l’Union et la Moldavie un « dialogue politique » dont les objectifs sont définis en termes très généraux : « approfondir l’association politique et accroître la convergence (…), promouvoir la stabilité et la sécurité sur le plan international grâce à un multilatéralisme effectif (…), renforcer le respect des principes démocratiques, de l’État de droit et de la bonne gouvernance (…), promouvoir les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale, d’inviolabilité des frontières et d’indépendance ».

Ensuite viennent donc les très nombreux domaines de coopération et parfois de convergence des réglementations qui sont identifiés. Sans en faire la liste, on peut toutefois relever quelques dispositions significatives, telles que ;

– l’article 10, dans lequel les parties reconnaissent la menace constituée par la « dissémination incontrôlée » des armes légères et s’engagent donc à coopérer dans la lutte contre leur commerce illicite ;

– l’article 16, lequel, relatif à la coopération dans la lutte contre la criminalité, nomme les points sensibles : trafic et traite des êtres humains, contrebande et trafics, contrefaçon, fraude fiscale, fraude dans la passation des marchés publics, fraude aux aides communautaires, corruption, falsification de documents et cybercriminalité…

L’accord, en particulier à son titre VII, établit un certain nombre d’outils institutionnels pour mettre en œuvre le dialogue entre les parties :

– un conseil d’association, chargé de superviser et de contrôler l’application et la mise en œuvre de l’accord, ainsi que de réexaminer de façon périodique le fonctionnement de celui-ci à la lumière de ses objectifs. Ce conseil est constitué de ministres moldaves, de commissaires européens et de membres du Conseil de l’Union européenne (donc par ce biais de ministres des États membres, mais il n’est pas prévu une représentation des États membres en tant que tels, sauf éventuellement en tant qu’observateurs). Il doit se réunir au moins une fois par an ; le premier conseil d’association s’est tenu le 19 janvier 2015 à Bruxelles ;

– un comité d’association, composé de hauts fonctionnaires et chargé de préparer les réunions du conseil d’association. Le comité doit se réunir au moins une fois par an dans une configuration spécifique pour examiner les questions commerciales (visées au titre V de l’accord) ;

– des sous-comités, dont la création est prévue par le titre V de l’accord, dédiés spécifiquement aux aspects commerciaux de l’accord (sous-comité sanitaire et phytosanitaire, sous-comité douanier, sous-comité concernant les indications géographiques et sous-comité du commerce et du développement durable) ;

– une commission parlementaire d’association, composée de membres du Parlement européen et de son homologue moldave, qui a notamment pour mission de formuler des recommandations au conseil d’association ;

– une plate-forme de la société civile, formée notamment, s’agissant de l’Union européenne, de membres du Comité économique et social européen, qui a également une compétence de recommandation. Dans le cadre du volet commercial de l’accord, est également mis en place un forum mixte avec les organisations de la société civile.

Ce dispositif institutionnel est similaire à celui prévu dans les autres accords d’association, notamment ceux signés avec la Géorgie et l’Ukraine.

E. UN ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE « COMPLET ET APPROFONDI »

En matière commerciale, l’Union européenne a longtemps donné la priorité au multilatéralisme. Cependant, constatant le blocage et anticipant l’échec annoncé du cycle de négociations dit « de Doha » dans le cadre de l’OMC, elle a envisagé dès 2006 la négociation d’accords bilatéraux dans la mesure où il lui fallait défendre ses intérêts offensifs et défensifs (7). Elle a dès lors promu un modèle d’accords commerciaux ambitieux qui, non seulement assureraient le libre-échange avec les partenaires concernés par un démantèlement aussi complet que possible des droits de douane sur les produits, mais traiteraient aussi des obstacles dits non tarifaires (tels que ceux issus des réglementations), du commerce des services et aussi de l’amont du commerce, avec les libertés d’investissement et d’établissement. Ceci implique des accords très étoffés, traitant de très nombreuses questions : tarifs douaniers, mais aussi harmonisation ou reconnaissance mutuelle des règlementations (techniques, sanitaires et phytosanitaires…), liberté d’établissement pour les entreprises et d’accès aux marchés réglementés (dans les services notamment), ouverture des marchés publics, protection de la propriété intellectuelle, droit de la concurrence…

L’accord avec la Corée du Sud, entré en vigueur en 2011, a été l’un de ces premiers accords dits « de deuxième génération », dont d’autres exemples sont fournis par les accords en cours de finalisation avec le Canada et en cours de négociation avec les États-Unis et le Japon.

L’accord de partenariat et de coopération signé en 1994 entre l’Union et la Moldavie comportait des clauses commerciales de portée relativement limitée : les deux entités s’accordaient mutuellement le « traitement de la nation la plus favorisée » – ce qu’implique aussi l’adhésion à l’OMC, mais la Moldavie n’en est devenue membre qu’en 2001 – et établissaient la liberté de transit des marchandises via leur territoire.

Les clauses commerciales du présent accord, beaucoup plus ambitieuses, sont clairement celles d’un accord de libre-échange « complet et approfondi » : elles traitent de l’ensemble des items mentionnés supra et organisent en fait, conformément aux objectifs du Partenariat oriental, une intégration économique de la Moldavie à l’Union.

1. Un accord incompatible avec une éventuelle adhésion de la Moldavie à l’Union économique eurasiatique

Le présent accord n’interdit pourtant pas à la Moldavie d’avoir des accords de libre-échange avec d’autres pays ou groupes de pays : dans la mesure où un accord de libre-échange ne concerne que les biens produits dans les pays concernés (ce type d’accords, dont le présent accord, comprennent des « règles d’origine » définissant ce qu’est un produit « moldave » ou « européen » en fonction de la part de son processus de production effectuée dans l’entité concernée), un pays A peut avoir un accord de libre-échange avec un pays B et un pays C sans que cela entraîne ipso facto un libre-échange entre B et C.

Le présent accord ne remet donc pas en cause les accords de libre-échange en vigueur signés par la Moldavie :

– avec plusieurs pays de la Communauté des États indépendants, soit dans un cadre bilatéral, soit dans le cadre du traité multilatéral de libre-échange de 2011 (qui réunit l’Arménie, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Moldavie, la Russie, le Tadjikistan et l’Ukraine) ;

– depuis 2007 avec les pays de l’ex-Yougoslavie non membres de l’Union européenne dans le cadre de l’Accord de libre-échange centre-européen (le commerce avec les pays en cause est toutefois très peu significatif pour la Moldavie : moins de 1 % de ses échanges extérieurs).

En revanche, le présent accord serait incompatible avec une adhésion de la Moldavie à la nouvelle Union économique eurasiatique Russie-Biélorussie-Kazakhstan-Arménie. En effet, cette dernière comprend une union douanière, donc une mise en commun de la politique commerciale extérieure de ses membres, auxquels il devient donc impossible d’avoir leurs propres accords commerciaux (par exemple, en l’espèce, le présent accord d’association). De plus, l’Union eurasiatique, inspirée du modèle communautaire, a réalisé entre ses membres une sorte de marché unique en harmonisant un certain nombre de réglementations : même si il n’y a pas d’incompatibilité automatique, il est peu probable, vu le degré d’alignement sur les réglementations communautaires exigé de la Moldavie dans le présent accord (« acquis communautaire »), que les deux démarches d’alignement réglementaire imposées, d’une part par l’Union européenne, d’autre part par l’Union eurasiatique, soient pleinement compatibles.

2. La libéralisation des échanges

L’objectif de l’accord est énoncé à son article 143 : il s’agit de parvenir en dix ans à une zone de libre-échange entre l’Union et la Moldavie.

Un vaste démantèlement tarifaire est prévu, l’accord comprenant une élimination de 99,2 % des droits de douane en valeur commerciale pour la Moldavie (concernant 95 % des lignes tarifaires) et de 99,9 % pour l’Union européenne.

a. Les clauses transitoires

Le calendrier de mise en place de la zone de libre-échange complet et approfondi s’étale sur dix ans. Il est asymétrique dans la mesure où, pour certains produits, la diminution des droits de douane est plus rapide pour les exportations moldaves vers l’Union que pour les exportations européennes vers la Moldavie.

La Moldavie a ainsi obtenu un calendrier de démantèlement de ses droits qui s’étale sur :

– trois à cinq ans pour les fromages et les céréales et produits agro-alimentaires à base de céréales ;

– trois à dix ans pour de nombreux fruits et légumes ;

– cinq ans pour les jus de fruit, vins et spiritueux ;

– dix ans pour le lait et certains produits carnés ;

– quatre à six ans pour divers produits industriels (ciment, tuyaux, mobilier et équipement de la maison, habillement).

b. Les clauses dérogatoires ou spécifiques

Des limites quantitatives (contingents tarifaires) seront conservées pour l’entrée sans droits dans l’Union de quelques fruits et légumes moldaves (tomates, ail, raisin et jus de raisin, pommes et prunes), tandis que d’autres ne seront exemptés que de la part ad valorem du droit de douane. Ce régime de quotas est regretté par la partie moldave : certes, à court terme, les quotas ne seront pas remplis, vu les problèmes de qualité de l’offre moldave ; mais l’existence même de ces quotas, sur des produits emblématiques pour la Moldavie, est présentée comme pouvant décourager l’esprit de conquête des producteurs moldaves.

Du côté moldave, certains produits agricoles ne seront pas libéralisés.

Outre la possibilité générale pour l’une des parties d’adopter des clauses de sauvegarde commerciale en cas de grave déséquilibre, conformément aux règles de l’OMC, un mécanisme anti-contournement spécifique est prévu à l’article 148 de l’accord, manifestement motivé par la crainte que la Moldavie ne serve de plateforme pour la réexportation vers l’Union en franchise de droits de produits agricoles provenant de pays tiers. En conséquence, des contingents indicatifs d’importations depuis la Moldavie sont fixés ; si l’Union observe, au cours d’une année, que l’on atteint 70 % de l’un de ces contingents, une procédure de demande d’explication aux autorités moldaves pourra être lancée ; en l’absence d’explication valable, l’exemption de droits accordée aux produits en cause sera susceptible d’être suspendue quand 100 % du contingent est atteint. Ce mécanisme anti-contournement concerne la viande de porc, la volaille, le lait et certains produits laitiers, les œufs, certaines céréales et leurs dérivés, le sucre, les sucreries, le café, le chocolat, le maïs doux, les cigarettes et les cigares.

3. L’alignement sur l’acquis communautaire

En sus du démantèlement tarifaire, l’accord prévoit des engagements sur l’élimination progressive de certains obstacles techniques au commerce et la facilitation des procédures douanières. Il couvre la plupart des sujets commerciaux non tarifaires sur lesquels l’Union européenne a des intérêts offensifs, parmi lesquels les mesures sanitaires et phytosanitaires, les services, la concurrence, les marchés publics et la propriété intellectuelle, qui font l’objet de chapitres spécifiques.

L’accord doit notamment permettre des avancées importantes en matière de normes sanitaires et phytosanitaires ; dans ce domaine, il est prévu un mécanisme de consultation rapide pour remédier aux barrières commerciales avec un système d’alerte rapide et un mécanisme d’alerte précoce pour les urgences vétérinaires et phytosanitaires.

Du point de vue moldave, les questions de normes sanitaires et phytosanitaires sont centrales, car jusqu’à présent la Moldavie ne pouvait pas exporter de produits animaux faute de validation de ses contrôles sanitaires par l’Union. Le gouvernement moldave a donc élaboré un plan pluriannuel pour obtenir successivement sur différentes familles de produits la levée des obstacles réglementaires aux exportations vers l’Union. Même sur les produits végétaux, qui sont déjà exportables et effectivement exportés dans l’Union, les enjeux de qualité et de conditionnement sont perçus comme essentiels pour développer les flux vers l’Union : les progrès dans ce domaine constituent une priorité du gouvernement moldave, pour laquelle il espère des aides européennes conséquentes.

L’alignement sur l’acquis communautaire du droit des marchés publics est également un enjeu important, aussi bien pour les entreprises européennes, qui pourront accéder à ces marchés comme les entreprises moldaves, que pour la gouvernance du pays, car la gestion de ces marchés reste à ce jour un réel problème en Moldavie.

Les annexes de l’accord comprennent des calendriers précis indiquant les délais laissés à la Moldavie pour harmoniser ses réglementations avec le droit communautaire. Les délais prévus sont souvent courts (un à trois ans), parfois plus longs (par exemple six, voire huit ans) sur des questions délicates, notamment concernant les marchés publics.

4. Une question particulièrement sensible, la propriété intellectuelle

L’accord de partenariat et de coopération de 1994 obligeait déjà la Moldavie à assurer un degré de protection des droits de propriété intellectuelle similaire à celui qui était pratiqué dans l’Union. Mais tous les problèmes n’étaient pas résolus et le présent accord devrait permettre, avec des dispositions plus précises et plus contraignantes, d’obtenir des avancées concrètes.

Un premier pas vers la protection effective d’un certain type de propriété intellectuelle, les appellations viticoles, a déjà été effectué en 2012. Historiquement, en effet, la protection de certaines indications géographiques (champagne, cognac, vin de Cahors) n’était pas vraiment assurée en Moldavie compte tenu de la production locale et de situations de trafic via la Transnistrie. Fortement poussé par la France, l’Accord entre l’Union européenne et la Moldavie relatif à la protection des indications géographiques des produits agricoles et des denrées alimentaires, signé le 26 juin 2012 à Bruxelles et entré en vigueur le 1er avril 2013, règle ces questions. Il est repris par le présent accord d’association.

Mais ce dernier va plus loin :

– il prévoit la reconnaissance et la protection de toutes les indications géographiques européennes (soigneusement listées dans une annexe à l’accord), et pas seulement de celles relatives aux vins et spiritueux ;

– en matière de droits d’auteur, de dessins et modèles, même non enregistrés, et de brevets, des dispositions complètent et mettent à jour celles de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle conformément aux règles internes de l’Union européenne ;

– il vise en outre à rapprocher la législation moldave de l’acquis communautaire en matière de contrôles douaniers. Parmi les nombreux domaines de coopération entre l’Union et la Moldavie mentionnés dans le texte figurent la lutte contre la contrefaçon et le piratage, ainsi que le renforcement des organisations nationales chargées du contrôle et de la protection des droits de propriété intellectuelle. La question des indications géographiques sera en outre suivie par un sous-comité mixte ad hoc.

5. Les évaluations ex-ante de l’impact du volet commercial de l’accord

L’étude préalable d’impact commanditée par la Commission européenne (8) estime que l’application du volet « libre échange approfondi » de l’accord d’association pourrait entraîner un gain supplémentaire (toutes choses égales par ailleurs) de PIB de 3,2 % à court terme et 5,4 % à long terme pour la Moldavie. Ce gain résulterait surtout de l’alignement de la Moldavie sur l’acquis communautaire en matière de réglementations et donc de l’amélioration de la qualité de ses produits, évolutions qui devraient leur ouvrir non seulement le marché européen, mais aussi de nouveaux marchés tiers.

Du point de vue de l’Union européenne, les enjeux économiques – qu’il s’agisse d’opportunités ou de menaces – sont très peu significatifs, sauf peut-être en Roumanie, du fait de l’extrême disproportion des poids économique des deux entités : le PIB moldave représente moins du millième du PIB communautaire.

CONCLUSION

Votre rapporteur vous invite naturellement à adopter le présent projet de loi, déjà adopté par le Sénat le 3 mars dernier, afin que la France puisse ratifier l’accord d’association avec la Moldavie. Quelles que soient les interrogations et les critiques que peut susciter la politique du Partenariat oriental de l’Union européenne dans laquelle il s’inscrit, il faut dans le cas présent observer que :

– la Moldavie est une véritable démocratie pluraliste et l’un des pays les plus avancés dans l’espace post-soviétique pour l’adoption des standards occidentaux d’État de droit ;

– son engagement européen est incontestable ;

– elle mène une politique étrangère modérée, avec un souci de conserver des relations correctes avec la Russie malgré le problème de la Transnistrie et un statut de neutralité internationale ;

– à la différence d’autres pays du Partenariat oriental, c’est un pays dont la situation géopolitique interne, avec le relatif apaisement du conflit sur la Transnistrie, et externe est relativement stable et n’est pas très inquiétante ;

– c’est un pays qui a un lien spécial avec le nôtre du fait de son appartenance à la francophonie, une francophonie qui est vivace, ce qui n’en rendent que plus regrettables l’effondrement des moyens de l’Alliance française locale, le retrait probable du programme de formation des élites de l’Organisation internationale de la francophonie et plus généralement le retrait de notre présence diplomatique qui est en cours (passage à un poste dit à format très réduit) ;

– c’est enfin un pays qui, compte tenu de sa taille et de sa situation démographique, ne présente plus de risque migratoire significatif.

Par ailleurs, il faut souligner que le présent accord d’association, selon son préambule, ne préjuge pas des développements ultérieurs des relations entre l’Union européenne et la Moldavie, donc d’une éventuelle candidature à l’adhésion à l’Union. Au demeurant, pour votre rapporteur, une telle perspective serait tout à fait envisageable s’agissant de la Moldavie – alors qu’elle serait beaucoup plus problématique pour les autres pays du Partenariat oriental, pour des raisons de taille démographique, d’identité et/ou de situation géopolitique.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa seconde réunion du mercredi 18 mars 2015, la commission examine, sur le rapport de M. Thierry Mariani, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la République de Moldavie, d’autre part (ensemble trente-cinq annexes et quatre protocoles), signé à Bruxelles le 27 juin 2014.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous informe que les accords d’association avec l’Ukraine et avec la Géorgie devraient être déposés la semaine prochaine. Le gouvernement souhaite que les deux assemblées les aient votés avant le sommet de Riga, le 21 mai. Nous serons donc appelés à désigner un rapporteur prochainement.

Notre commission a créé une mission d’information sur les relations entre la Russie, l’Union européenne et la France. Elle marque ainsi son intérêt et sa préoccupation à propos de l’avenir de nos relations avec la Russie. Nous savons que la signature d’accords d’association avec d’anciennes républiques soviétiques fait l’objet de sérieuses réserves de la part de ce pays. Pour cette raison, il est souhaitable que nous ayons un large débat sur ce sujet. Il est donc naturel que ces projets fassent l’objet d’un débat en séance.

Nous devons aussi veiller à maintenir le dialogue avec la Russie. Dans cet esprit, j’ai reçu mon homologue M. Pouchkov à plusieurs reprises depuis le début de la crise ukrainienne. Je compte aussi recevoir le vice-ministre des affaires étrangères de Russie en charge des relations avec l’Europe occidentale, M. Mechkov.

M. Thierry Mariani, rapporteur. L’accord d’association avec la Moldavie que nous examinons aujourd’hui est un texte important non seulement pour ce pays, mais aussi pour notre Union européenne, car il pose la question de la poursuite, ou non, du processus d’élargissement, donc celle des limites de l’Union et de ses finalités. Avant de présenter ce pays attachant qu’est la Moldavie, puis les clauses de l’accord, je voudrais donc rappeler son contexte institutionnel et géopolitique.

Ce contexte, c’est le Partenariat oriental de l’Union. Le Partenariat oriental a été initié en 2009 et est tourné vers six pays de l’espace post-soviétique : Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, Moldavie et Ukraine. Il a consisté à proposer à ces pays une association politique à l’Union assortie d’une intégration économique à celle-ci, ceci passant par la conclusion d’accords d’association comportant un volet économique très étoffé.

Aujourd’hui, cette démarche est légitimement critiquée pour deux raisons principales. D’abord, du fait des divisions internes sur la question, l’Union européenne a laissé planer une grande ambiguïté sur les perspectives d’évolution future des relations avec les pays concernés – offre d’adhésion ou non ? Par ailleurs, les accords d’association proposés et finalement signés avec trois des pays, Géorgie, Moldavie et Ukraine, prévoient tous, à quelques différences minimes près, le même cadre exigeant d’intégration économique, avec reprise de l’acquis communautaire, sans tenir compte des spécificités des pays ni des intérêts des tiers, à commencer par la Russie.

On sait que dans le cas de l’Ukraine, c’est la décision de l’ancien président Viktor Ianoukovitch de ne finalement pas parapher le projet d’accord d’association au sommet du Partenariat oriental à Vilnius en novembre 2013 qui a entraîné la révolution dans ce pays. L’application qui a été faite du Partenariat oriental a donc joué un rôle déclencheur dans la crise ukrainienne actuelle, même si les causes profondes de cette crise sont internes au pays. L’inadaptation de l’accord d’association « première mouture » proposé à l’Ukraine a été démontrée quand, en mars 2014, le nouveau gouvernement ukrainien pro-européen a demandé et obtenu le report de l’entrée en vigueur des clauses économiques de l’accord qu’il a finalement signé.

Les choses se présentent heureusement mieux pour ce qui concerne la Moldavie. Ce petit pays a pourtant été confronté, suite à son indépendance en 1991, à plusieurs handicaps.

Le premier était celui de son identité complexe, fragile et récente. Au moment de l’indépendance, la majorité roumanophone du pays était travaillée par des mouvements favorables à la réunification avec la « grande Roumanie », ce qui a encouragé en réaction les tendances séparatistes de la minorité gagaouze, qui parle une langue turque mais est en fait largement russifiée, et surtout de la population majoritairement slavophone de la région de Transnistrie. Après une sécession violente et soutenue militairement par la Russie, la Transnistrie est devenue un État de facto, dépourvu de reconnaissance internationale, et le conflit n’a toujours pas été réglé. Quant à la Gagaouzie, les élections locales prévues dans quelques jours vont sans doute y voir le triomphe d’une candidate dont le slogan est explicite : « ensemble avec la Russie ».

Viennent ensuite les faiblesses économiques et démographiques. Économie agricole dont le vin et les fruits sont traditionnellement les principaux produits d’exportation, la Moldavie reste le dernier pays d’Europe pour la richesse par habitant et même l’un des derniers dans l’ex-URSS. Seuls le Kirghizstan et le Tadjikistan y sont plus pauvres.

Du fait de cette situation économique, la situation démographique est extrêmement difficile : pour 3,5 millions de personnes vivant dans les limites de la république de Moldavie, dont 500 000 dans la région séparatiste de Transnistrie que le pouvoir central ne contrôle pas, il y a un million au moins de Moldaves qui sont partis à l’étranger. Durant les dix dernières années, entre les recensements de 2004 et 2014, la population résidente a diminué de 14 % et les actifs sont aujourd’hui moins nombreux que les retraités. Dernier chiffre frappant : 27 % du PIB provient des envois d’argent des Moldaves de l’étranger ! La première communauté moldave à l’étranger est en Russie, où ils sont environ 500 000. Dans l’Union européenne, c’est en Italie qu’ils sont les plus nombreux, au moins 130 000.

C’est d’ailleurs principalement en raison de cette situation démographique que la Moldavie est le premier et pour le moment le seul pays du Partenariat oriental à bénéficier depuis avril 2014 de la levée de l’obligation de visa pour les séjours de moins de trois mois dans l’espace Schengen. Sa pauvreté et son engagement pro-européen valent aussi à la Moldavie un niveau très élevé d’aide européenne, actuellement de l’ordre de 100 millions d’euros par an, ce qui en fait le deuxième pays de la politique de voisinage européenne pour l’aide per capita, après les Territoires palestiniens.

Malgré ces handicaps, la Moldavie peut revendiquer plusieurs réussites.

D’abord, dans un espace post-soviétique où ce n’est pas si fréquent, c’est une véritable démocratie parlementaire et l’un des pays les plus avancés de la zone s’agissant du rapprochement avec les standards occidentaux d’État de droit et de gouvernance. Ayant moi-même pris part à la dernière mission d’observation électorale, je peux confirmer ce que disent les rapports de l’OSCE : les élections sont réellement libres et disputées en Moldavie ; on peut y créer de nouveaux partis et tout le monde accède aux médias.

Si le système politique moldave a une faiblesse, c’est plutôt de ressembler à notre IVème République ou à la Belgique actuelle. Les crises politiques sont fréquentes et parfois interminables. L’actuel Président de la République a ainsi été élu après plus de deux années de vacance du poste. Les dernières élections législatives ont eu lieu le 30 novembre 2014 et ce n’est que le 18 février qu’un nouveau gouvernement a été mis en place. De plus, ce gouvernement, dont j’ai rencontré à Chisinau les principaux responsables, repose sur une coalition assez improbable entre deux partis pro-européens et le Parti communiste, qui le soutient sans y participer. Il y a beaucoup d’interrogations sur la durée de vie de cette coalition, qui semble principalement soudée par la crainte d’un désastre électoral pour ceux qui la composent en cas de dissolution du Parlement, voire correspond selon certains à un arrangement entre certains des oligarques qui contrôlent l’économie et la politique.

L’autre grand problème de la gouvernance en Moldavie, c’est la corruption et les affaires politico-financières. Le pays affronte actuellement un scandale qui va provoquer à court terme une forme de liquidation de trois de ses principales banques, après que des prêts douteux ont été octroyés à des sociétés qui seraient liées à des hommes politiques. Les sommes détournées et évaporées représentent peut-être 1,4 milliard d’euros, soit selon les sources 15 % à 25 % du PIB. Le nouveau gouvernement moldave affirme sa détermination à régler rapidement le problème en sauvant les dépôts des épargnants, mais le coût va être énorme pour le pays. Aussi bien les institutions européennes que les pouvoirs publics moldaves affichent un programme centré sur le triptyque réforme de la justice-lutte contre la corruption-stabilisation du système bancaire.

La politique étrangère moldave a su concilier un engagement pro-européen très net, surtout depuis l’arrivée au pouvoir d’une majorité pro-européenne après 2009, et le maintien de relations correctes avec la Russie, ce malgré le conflit sur la Transnistrie, ce qui la différencie de la politique de la Géorgie. Le commerce extérieur se fait maintenant plus avec l’Union européenne qu’avec la Russie, mais la dépendance vis-à-vis de la Russie reste considérable dans certains domaines : presque tout le gaz en vient, même si un gazoduc en provenance de Roumanie est en cours de construction ; plus de 60 % des transferts des Moldaves de l’étranger, vitaux pour l’économie, viennent de Russie.

La Moldavie a un statut constitutionnel de neutralité et ne demande pas pour le moment à adhérer à l’OTAN, même si la question est désormais débattue dans la classe politique. La neutralité est en fait un point d’équilibre car le pays est très divisé entre les orientations pro-européennes et pro-russes. Cette division forme une ligne de clivage qui domine les débats politiques et les campagnes électorales.

Un dernier point qu’il faut souligner, c’est que la Moldavie est un pays dont un quart de la population parle le français, ce qui crée un lien particulier avec notre pays, malgré l’absence de liens historiques et des échanges économiques très limités. Compte tenu de la proximité entre langues latines, à l’époque soviétique, l’apprentissage du français était généralisé. Puis la Moldavie indépendante a adhéré à l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF. 150 000 Moldaves apprennent aujourd’hui le français et 3 800 sont même dans des classes bilingues. La présence institutionnelle locale de notre pays la plus marquante reste celle de l’Alliance française, qui a plusieurs centres et inscrit près de 6 000 étudiants par an.

Mais aujourd’hui l’OIF risque d’interrompre définitivement son programme de formation au français des élites politiques et administratives, bien que ç’ait pourtant été un puissant outil d’influence, qui a par exemple profité à Iurie Leanca, qui était Premier ministre jusqu’à la formation de l’actuel gouvernement ; aujourd’hui, près de la moitié du personnel politique moldave comprend le français et certains le parlent couramment. Quant aux moyens de l’Alliance française, ils sont en chute libre, comme ceux plus généralement de notre diplomatie, car notre poste à Chisinau fait partie de ceux qui vont passer au format dit très réduit, alors même que nombre de nos partenaires augmentent leurs moyens sur place. Depuis 2010, l’enveloppe d’action culturelle et universitaire du poste a diminué en moyenne de plus de 10 % par an : à ce rythme-là, elle aura été divisée par deux en six ou sept ans.

Cette évolution est inquiétante. Pouvons-nous négliger la francophonie dans un pays où elle est vivace, mais menacée comme ailleurs, et qui entrera peut-être un jour dans l’Union européenne ? Par ailleurs, il y a l’enjeu des fonds européens qui se déversent sur la Moldavie, soit une centaine de millions d’euros par an. Nous devrions veiller à garder les moyens de contrôler et d’influencer l’usage de cet argent qui provient pour une large part du contribuable français, ainsi que de bénéficier de programmes européens, ce qui suppose un minimum de mise de fonds nationale.

Dans le même temps, d’autres pays européens, comme l’Allemagne, la Suède, l’Autriche, sont très présents en Moldavie, où ils ont des programmes de coopération dont les montants se chiffrent en millions ou dizaines de millions d’euros.

L’accord d’association avec la Moldavie constitue un document très étoffé. Il comporte trois volets principaux, portant respectivement sur le dialogue et les réformes politiques, la coopération et le commerce. Ces trois volets sont couverts par sept titres comptant au total 465 articles. L’accord est de plus complété par 35 annexes et 4 protocoles…

Il faut bien voir que l’essentiel de ce très long document reprend à l’identique un modèle que l’on trouve dans les différents accords d’association et accords commerciaux récents de l’Union. Ce sont donc les dispositions spécifiques, minoritaires, qu’il est intéressant d’identifier.

Il y a dans le texte deux points politiquement très sensibles. Le premier est la question des perspectives européennes de la Moldavie, sur laquelle les États membres restent très divisés. Le préambule de l’accord rend compte de ces tensions. Il prend acte, je cite, des « aspirations européennes » de la Moldavie, reconnaît que celle-ci, « en tant que pays européen, partage une histoire et des valeurs communes avec les États membres », mais énonce clairement qu’il « ne préjuge en rien de l’évolution progressive des relations entre l’UE et la République de Moldavie à l’avenir ». À titre personnel, je suis favorable à ce que l’on ouvre un débat sur les perspectives d’adhésion de la Moldavie, en séparant son cas de celui des autres pays du Partenariat oriental, qui pour des raisons de taille et de situation géographique et géopolitique posent bien d’autres problèmes.

Le second point sensible dans le texte de l’accord est le traitement de la région sécessionniste de Transnistrie. Avant d’évoquer sur ce point le contenu de l’accord, il faut rappeler quelques éléments sur la situation présente. La crise à la fois politique et économique qui concerne actuellement l’Ukraine et la Russie a bien sûr des répercussions dans la Moldavie et la Transnistrie voisines. Ce qui se passe en Crimée et dans le Donbass a naturellement eu pour effet de réactiver les demandes de reconnaissance internationale, et d’abord par la Russie, exprimées par les autorités de fait de Transnistrie. Il y a donc une réactivation, heureusement seulement verbale, du conflit. Mais, en même temps, la crise actuelle entraîne en Transnistrie un effondrement économique et budgétaire. En effet, comme la Russie est en crise économique et donne la priorité à la Crimée, le robinet des subventions à la Transnistrie semble être en train de se fermer ; dans le même temps, le nouveau gouvernement ukrainien gère sa frontière avec la Transnistrie, qui vivait traditionnellement de divers trafics, de manière beaucoup plus stricte. Toujours dans le même temps, la Transnistrie bénéficie, comme le reste de la Moldavie, de l’application anticipée des clauses commerciales de l’accord d’association depuis un an et a donc réorienté massivement son commerce vers l’ouest.

Mais, j’en reviens aux termes de l’accord, cela devrait cesser fin 2015, car, au-delà, il est prévu que la Transnistrie ne sera couverte par le texte que si l’Union européenne et le gouvernement moldave en décident conjointement. Le gouvernement moldave voit dans la conjonction de cette échéance et des difficultés actuelles de la Transnistrie un moyen de relancer le règlement du conflit. Cependant, il ne semble pas trop croire que cela fonctionnera.

Pour le reste, l’accord d’association comprend un certain nombre de clauses de dialogue politique et de coopération dans de nombreux domaines, et surtout ce que l’Union appelle un accord de libre-échange dit « complet et approfondi ». Un vaste démantèlement tarifaire est prévu, l’accord comprenant une élimination de 99,2 % des droits de douane en valeur commerciale pour la Moldavie, concernant 95 % des lignes tarifaires, et de 99,9 % pour l’Union européenne. Un certain nombre de produits font cependant l’objet de mesures dérogatoires, soit transitoires, pour protéger pendant quelques années, dix au plus, certaines productions moldaves de la concurrence européenne, soit durables. L’Union maintiendra notamment des quotas pour l’entrée de certains fruits et légumes moldaves, ce que regrette logiquement le gouvernement moldave, même si à court terme ces quotas ne seront pas remplis.

L’accord prévoit également un alignement des réglementations économiques, techniques et sanitaires moldaves sur le droit européen, ce qui est un enjeu essentiel pour la Moldavie. Elle ne pourra en effet exporter des produits de l’élevage vers l’Union que lorsqu’elle satisfera un certain nombre d’exigences d’équivalence sanitaire. Et, même pour ses produits végétaux, qui peuvent déjà entrer dans l’Union, il reste de gros efforts à faire pour atteindre les standards de qualité de l’Union, sans lesquels les chances d’y exporter des agriculteurs moldaves resteront faibles. Les pommes moldaves, par exemple, ne répondent pas actuellement aux exigences de calibrage et de conditionnement de l’Union, de sorte que la Moldavie ne remplit pas le quota dont elle dispose.

L’ouverture de l’Union aux produits moldaves est d’autant plus importante que l’un de leurs marchés traditionnels était la Russie et que ce pays multiplie depuis deux ans les mesures d’embargo à l’encontre de la Moldavie, généralement en invoquant des motifs sanitaires, mais plus probablement – c’est du moins ce que pensent évidemment les Moldaves – pour punir la Moldavie de son rapprochement avec l’Union.

En conclusion, je vous invite naturellement à adopter ce projet de loi, qui permettra de ratifier l’accord d’association avec un pays ami, démocratique, très largement francophone, mitoyen de l’Union européenne et incontestablement européen, enfin un pays dont la situation géopolitique est bien moins inquiétante que celle d’autres pays du Partenariat oriental et qui ne présente plus de risque migratoire significatif, car tous les Moldaves qui le souhaitaient ont en pratique déjà pu obtenir un passeport roumain.

M. Jacques Myard. Nous parlons ici de l’ancienne Bessarabie, dont il ne faut pas oublier le passé stalinien. Y a-t-il des États avec lesquels l’Union européenne n’a pas encore d’accord d’association ? Il me semble que cette politique de voisinage se dilue.

Mme la présidente Élisabeth Guigou.  Il me semble que nous n’en avons pas signé avec la Syrie, même si cela a été envisagé dans le passé, j’avais d’ailleurs travaillé sur ce dossier. La question des droits de l’homme avait été un facteur bloquant.

M. Gwenegan Bui. Merci de mettre en avant cette problématique moldave, que nous abordons rarement en commission. Je soutiens votre proposition d’entamer une réflexion, en amont, sur les risques et opportunités d’une adhésion du pays à l’Union européenne.

M. Michel Terrot. Pourriez-vous nous dire un mot du poids économique de la Moldavie dans la sous-région ? Et comment se positionnent les entreprises françaises ?

Par ailleurs, je ferai une observation de fond, qui vaut aussi pour la Roumanie ou d’autres pays : on peut être inquiet sur l’avenir de la francophonie. Nous assistons à la disparition programmée, faute de moyens, de la francophonie, alors que nos partenaires européens investissent massivement pour promouvoir leur langue et leur culture. Les sommes ne sont pas gigantesques, mais si le manque de moyens empêche le bon fonctionnement de structures pivots, comme les Alliances françaises, comment rallier les populations à l’idée d’une France forte dans le monde ? Peut-être le rapporteur ou la présidente pourraient-ils profiter de la publication de ce rapport pour alerter le Gouvernement sur la question ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Vous êtes nombreux à exprimer cette préoccupation, que je relaierai auprès du ministre. J’accompagnerai la transmission du rapport d’un courrier à cet effet.

M. Thierry Mariani, rapporteur. La Moldavie est un pays où la cote d’amour de la France est énorme. Lors de mon déplacement, j’ai notamment pu rencontrer en une journée le Président de la République, le Premier ministre, deux anciens Premiers ministres, plusieurs ministres dont celui de l’économie, qui est franco-moldave, etc. Nous avons eu le plaisir de mener plusieurs entretiens en français.

M. Myard, s’agissant de l’Est de l’Europe, nous n’avons d’accords d’association qu’avec la Moldavie, l’Ukraine et la Géorgie. Je profite de cette occasion pour souligner qu’aborder la problématique de manière globale est une faute, car ces pays sont très différents. Lorsque vous échangez avec certains responsables russes, ils déclarent que l’Ukraine est slave et la Moldavie roumaine. Les hasards de l’histoire ont placé la Moldavie dans l’espace soviétique, parce que la Roumanie avait fait le mauvais choix pendant la guerre, mais, dans l’esprit des Russes, la Moldavie n’appartient pas à leur sphère d’influence.

La question essentielle qui agite le débat public moldave aujourd’hui est celle des perspectives européennes du pays. On ne peut pas demander aux Moldaves de se rapprocher du modèle européen et d’engager des réformes, de couper leurs relations avec le voisin russe, où une grande majorité des immigrés travaillent et où ils réalisaient une majorité de leurs exportations, sans promesse d’une intégration européenne. Je suis sceptique sur l’élargissement indéfini de l’Union européenne, mais il me semble que la Moldavie a – à long terme, car le pays est encore très pauvre – vocation à la rejoindre. Sur la Géorgie et l’Ukraine, je suis plus partagé. Mais le cas de la Moldavie est à part. D’autres pays européens ont un discours franc sur ce sujet, la France gagnerait en influence politique si notre diplomatie était plus claire sur ce point.

Concernant l’économie, quatre entreprises françaises dominent leurs marchés respectifs en Moldavie : Orange dans la téléphonie, Lafarge dans le ciment, la Société Générale et Lactalis.

Sur la francophonie, je suis comme vous consterné. Je m’appuierai sur un exemple concret : l’Organisation internationale de la francophonie prenait en charge la formation des hauts responsables et fonctionnaires au français, ce qui permettait d’exercer une influence réelle. Ces crédits ont été coupés. En revanche, l’organisation a financé le déplacement d’experts durant les élections législatives en Moldavie, experts qui venaient parfois de pays aussi lointains que Madagascar. Les sommes dépensées sont sans commune mesure, et on peut douter de leur utilité.

Pour conclure, la Moldavie est un pays attachant, qui se trouve dans une situation de pauvreté extrême, et qui devrait répondre dans les années à venir à un défi majeur : il comptera bientôt un million de retraités pour beaucoup moins d’actifs. La situation est critique. Il faut donc, je le répète, lui laisser l’espoir d’une perspective européenne. Si nous ne le faisons pas, les partis anti-européens triompheront, notamment en raison des difficultés économiques. Les travailleurs moldaves ne peuvent plus gagner de l’argent en Russie comme dans le passé, les pommes et le vin moldaves ne sont plus acceptés sur le marché russe et, ne répondant pas encore aux normes européennes, pénètrent difficilement celui de l’Union... Il ne faudrait pas qu’en voulant tirer la Moldavie vers le haut, l’Europe ne l’enfonce un peu plus dans les difficultés. J’ajoute que le pays ne représente aucun risque migratoire, car de nombreux moldaves ont un deuxième passeport roumain. Par conséquent, tous ceux qui voulaient émigrer vers l’Europe l’ont déjà fait depuis longtemps.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 2612).

ANNEXE N° 1 :

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique

Est autorisée la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la République de Moldavie, d’autre part (ensemble trente-cinq annexes et quatre protocoles), signé à Bruxelles le 27 juin 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 2612).

ANNEXE N° 2 :

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(à Chisinau, les 10 et 11 mars 2015) :

– Son Exc. Nicolae Timofti, Président de la République de Moldavie

– M. Chiril Gaburici, Premier ministre

– Mmes Natalia Gherman, vice-premier ministre, ministre des affaires étrangères et de l’intégration européenne, Daniela Cujba, vice-ministre, et Stela Volontir, rédactrice chargée de la France et point de contact national pour la francophonie 

– MM. Stéphane Bridé, vice-premier ministre, ministre de l’économie, et Octavian Calmic, vice-ministre

– Mme Liliana Palihovici, vice-présidente du Parlement, membre du Parti libéral-démocrate

– MM. Iurie Leanca, député non-inscrit, ancien Premier ministre, et Eugen Carpov, député non-inscrit, ancien vice-premier ministre chargé de la réintégration territoriale (Transnistrie)

– M. Vladimir Filat, président du Parti libéral-démocrate, ancien Premier ministre

– M. Artur Resetnicov, député, membre du Parti communiste

– MM. Andrei Neguta et Vlad Batrincea, députés, membres du Parti socialiste

– M. Emmanuel Skoulios, président de la Chambre de commerce et d’industrie France-Moldavie et directeur de l’Alliance française de Moldavie

Votre rapporteur remercie les hautes personnalités rencontrées de leur disponibilité pour le recevoir. Il remercie également l’ambassadeur de France, M. Pascal Vagogne, et ses collaborateurs pour leur accueil et l’organisation de cette visite.

© Assemblée nationale

1 () Au temps de l’URSS, les citoyens soviétiques pouvaient revendiquer une « nationalité », en fait une appartenance ethnico-communautaire, indépendamment de la république où ils vivaient. De manière générale, dans les pays ex-soviétiques, les recensements continuent à décompter des appartenances communautaires ressenties, ou fondées sur la langue, qui n’impliquent pas des citoyennetés nationales différentes.

2 () Ce sondage est rapporté dans l’ouvrage « Géopolitique de la démocratisation – L’Europe et ses voisinages », sous la direction de Jacques Rupnik, publié aux Presses de Sciences-Po, dans l’article rédigé par Florent Parmentier sur la Moldavie.

3 () « Moldova, Parliamentary Elections, 30 November 2014 : Statement of Preliminary Findings and Conclusions », sur le site internet de l’OSCE.

4 () « La situation des droits humains dans le monde ».

5 () voir : http://www.anticorruption-moldova.org.

6 () Les deux parties – Moldavie et Transnistrie –, trois médiateurs – OSCE, Russie et Ukraine – et deux observateurs – Union européenne et États-Unis.

7 () « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée », communication de la Commission européenne, COM (2006) 567 final, 4 octobre 2006.

8 () « Trade Sustainability Impact Assessment in support of negotiations of a DCFTA between the EU and Georgia and the Republic of Moldova », rapport final des cabinets ECORYS et CASE pour la Commission européenne, DG commerce, 27 octobre 2012.