Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF
Retour vers le dossier législatif


N
° 2678

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 mars 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2568), DE M. ÉRIC CIOTTI ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, relative à la légitime défense des policiers,

PAR M. Éric CIOTTI

Député

——

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LA PROTECTION PÉNALE DES DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE EST INSUFFISANTE ET HÉTÉROGÈNE 7

A. LA LÉGITIME DÉFENSE ET L’ÉTAT DE NÉCESSITÉ NE PERMETTENT PAS DE COUVRIR TOUTES LES SITUATIONS AUXQUELLES LES FORCES DE L’ORDRE FONT FACE 7

B. L’ORDRE DE LA LOI ENTRAINE UNE DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT ENTRE GENDARMES ET POLICIERS 9

1. Les gendarmes bénéficient d’un régime spécial d’emploi de la force armée 9

2. En dehors d’hypothèses très particulières, l’emploi de la force armée par la police est soumis au droit commun 11

3. La différence de traitement entre les forces de l’ordre n’est pas justifiée au regard de la proximité des missions 12

II. LA PROTECTION PÉNALE INADAPTÉE DES DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE FACE À UNE CRIMINALITÉ DE PLUS EN PLUS AUDACIEUSE MILITE POUR UNE ÉVOLUTION DU CADRE LÉGAL 13

A. MALGRÉ LA DANGEROSITÉ DE SES MISSIONS, LA POLICE NE FAIT L’OBJET D’AUCUNE PROTECTION PARTICULIÈRE 13

B. L’ÉVOLUTION DE LA CRIMINALITÉ MILITE POUR UN RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE 15

C. MALGRÉ DE RÉCENTES TENTATIVES EN CE SENS, LE LÉGISLATEUR NE S’EST PAS EMPARÉ DU SUJET 17

III. LE RENFORCEMENT DE LEUR PROTECTION PÉNALE OFFRIRA AUX DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE UNE SÉCURITÉ ACCRUE SANS BOULEVERSER L’ÉQUILIBRE DU DROIT PÉNAL FRANÇAIS 19

A. UNE PROPOSITION DE LOI QUI NE SE LIMITE PAS AUX SEULS POLICIERS 20

B. UN DISPOSITIF ADAPTÉ AUX DANGERS AUXQUELS SONT EXPOSÉES LES FORCES DE L’ORDRE ET COMPATIBLE AVEC LE DROIT EUROPÉEN 20

1. Une lisibilité accrue du droit pénal par la réunion dans un même article des hypothèses générales de recours à la force armée entraînant une irresponsabilité pénale 20

2. L’ouverture du recours à la force armée dans des hypothèses de danger non couvertes par le droit existant 21

3. Un encadrement rigoureux compatible avec le droit européen 22

4. L’approfondissement de la formation des forces de l’ordre 23

DISCUSSION GÉNÉRALE 25

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 37

Article unique (art. 122-6-1 [nouveau] du code pénal) : Renforcement de la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique déployant la force armée dans des situations dangereuses 37

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 49

CONTRIBUTION ÉCRITE REÇUE PAR LE RAPPORTEUR 50

Mesdames, Messieurs,

Les dépositaires de l’autorité publique, au premier rang desquels les femmes et les hommes de la police et de la gendarmerie nationales, risquent quotidiennement leur vie pour protéger la population et assurer la défense des intérêts et des valeurs de la République. Sans ces professionnels dévoués, qui accomplissent leurs missions avec détermination et loyauté et qui ne peuvent susciter qu’admiration et respect, la vie en société serait compromise, pour ne pas dire impossible. Trop souvent, hélas, l’accomplissement de leur mission a des conséquences fatales, face à une criminalité qui s’affranchit de toutes limites, dotée désormais d’un équipement militaire et qui n’hésite pas à prendre prioritairement pour cible les forces de l’ordre. C’est un constat, l’uniforme ne protège plus, il expose. Le nombre de policiers tués et blessés en mission est en augmentation depuis plusieurs années, et les forces de l’ordre, récemment, ont payé un lourd tribut lors des attentats tragiques qui ont frappé notre pays en début d’année.

Il est donc impératif et urgent de fournir aux forces de l’ordre les moyens nécessaires pour faire face efficacement à ces comportements criminels, mais aussi pour garantir la préservation de leur vie et celle des Français. Or, sur ce point, l’état du droit s’avère insuffisant. En effet, lorsqu’il s’agit de faire usage de leurs armes, les forces de l’ordre, en ce qu’elles sont soumises au droit commun de la légitime défense, se trouvent dans une configuration juridique absolument identique à celles de tout particulier. Cela n’est pas acceptable : en raison de leurs fonctions et des sujétions qu’elles impliquent, les agents publics ne sont pas confrontés aux mêmes situations que le reste des citoyens.

Seuls les gendarmes bénéficient de dispositions législatives qui leur sont propres et leur permettent, dans des cas limitativement énumérés, d’avoir recours à la force armée. Ce contraste avec le régime juridique dont relève le reste des forces de l’ordre rend ce dernier d’autant moins acceptable que les missions des différents corps, et notamment de la gendarmerie et de la police, sont similaires, que les risques encourus sont partagés et que les obligations déontologiques sont identiques.

Les règles en vigueur entraînent une insécurité juridique importante qui amène les forces de l’ordre à hésiter à se défendre face à un péril en faisant usage de leurs armes, par crainte de poursuites administratives et judiciaires. Une évolution sur ce point est urgente et la sécurité des forces de l’ordre commande l’adoption d’un nouveau cadre légal. C’est l’ambition de la présente proposition de loi.

Il faut insister sur le fait que ce texte n’introduit aucunement une nouvelle présomption d’irresponsabilité pénale. Il entend simplement répondre aux attentes des forces de l’ordre telles qu’elles sont exprimées régulièrement et depuis longtemps. Cette proposition est équilibrée et offre toutes les garanties attendues sur un sujet aussi sensible.

En permettant aux dépositaires de l’autorité publique d’avoir recours à la force armée dans des situations où le péril est manifeste, elle introduit enfin dans notre droit les outils juridiques à même de préserver la vie des agents et d’autrui.

En subordonnant ce recours aux hypothèses les plus dangereuses, dans lesquelles le risque pour la vie et l’intégrité physique est patent, notamment lorsque sont en cause des individus armés, la proposition de loi atteint un équilibre entre les éventuelles atteintes à la vie que la force armée entraînera et les intérêts que son usage défendra.

Votre rapporteur, pour ces raisons, appelle chacune et chacun à dépasser les clivages politiques pour se réunir sur un sujet aussi essentiel, afin de faire avancer notre droit et de renforcer la sécurité de ses principaux auxiliaires.

I. LA PROTECTION PÉNALE DES DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE EST INSUFFISANTE ET HÉTÉROGÈNE

Le droit pénal français reconnaît trois cas d’irresponsabilité pénale objective lorsqu’une infraction est commise :

– l’ordre de la loi, du règlement ou hiérarchique (article 122-4 du code pénal) ;

– la légitime défense (articles 122-5 et 122-6 du code pénal, le second prévoyant une présomption de légitime défense pour repousser une intrusion dans un domicile habité ou pour lutter contre un vol ou un pillage) ;

– l’état de nécessité (article 122-7 du code pénal).

Lorsque des dépositaires de l’autorité publique font usage de leur arme de service dans l’exercice de leurs fonctions, leur responsabilité pénale est engagée sauf s’ils peuvent établir qu’ils ont agi en situation de légitime défense ou d’état de nécessité, c’est-à-dire dans les hypothèses reconnues par le droit pénal commun. Les gendarmes, quant à eux, bénéficient d’un régime particulier consistant en une doctrine de l’emploi de la force armée. Cet état du droit, qui opère une distinction entre des forces qui contribuent toutes les deux à la sécurité des Français, n’est pas satisfaisant.

A. LA LÉGITIME DÉFENSE ET L’ÉTAT DE NÉCESSITÉ NE PERMETTENT PAS DE COUVRIR TOUTES LES SITUATIONS AUXQUELLES LES FORCES DE L’ORDRE FONT FACE

La légitime défense consiste en un acte de défense face à une atteinte injustifiée envers sa personne ou autrui, proportionné à la gravité de l’atteinte. Elle peut également, ainsi que le prévoit le second alinéa de l’article 122-5 du code pénal, permettre l’interruption de l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, si l’acte de défense est rendu nécessaire, est proportionné et ne consiste pas en un homicide volontaire (1).

L’état de nécessité prévu à l’article 122-7 du même code consiste en l’accomplissement d’un acte de sauvegarde rendu nécessaire pour éviter un danger imminent contre sa personne, autrui ou un bien, là encore sous réserve que l’acte réalisé soit proportionné à la gravité du danger (2). L’état de nécessité ne concerne pas, loin de là, que des situations potentiellement mortelles ou qui entraînent des blessures : il recouvre des hypothèses aussi variées que des difficultés de logement, des questions commerciales et financières, des vols de nourriture ou encore des violations de domicile par les pompiers, rendues nécessaires pour éteindre un incendie.

Les deux régimes sont voisins – la légitime défense est en réalité une forme particulière de l’état de nécessité, dans laquelle le danger à éviter découle de la commission d’une infraction – et supposent, pour que la responsabilité pénale ne soit pas retenue, un péril, une réponse proportionnée à celui-ci et l’absence d’alternative.

Néanmoins, ils diffèrent sur trois points fondamentaux.

D’une part, s’agissant du danger, la légitime défense s’avère plus restrictive que l’état de nécessité dans la mesure où, aux termes de l’article 122-5, l’action de défense doit s’accomplir « dans le même temps » que l’atteinte. Il faut donc une simultanéité des deux actions, là où l’état de nécessité, en exigeant simplement un danger imminent, semble permettre une riposte préventive.

Ce critère de la simultanéité pose une difficulté majeure – et évidente – pour les forces de l’ordre : il entraîne une mise en danger de la vie du dépositaire de l’autorité publique, qui est souvent contraint d’attendre d’être exposé directement au danger, d’être pris sous le feu, pour pouvoir riposter.

L’usage d’armes à feu n’est au demeurant pas la seule situation à laquelle l’état du droit ne répond pas de manière complètement satisfaisante. Les armes blanches font en effet peser sur les forces de l’ordre, en plus d’un danger physique manifeste, un réel risque juridique. Il est en effet difficile pour un policier de savoir si les critères de la légitime défense – nécessité, proportionnalité, simultanéité – sont remplis lorsqu’un individu armé d’un sabre, d’un couteau ou d’une hache avance vers lui ou autrui. L’usage de l’arme, alors que l’individu n’a pas encore frappé, peut être considéré comme prématuré. Certes, la légitime défense n’exclut pas a priori, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation, la protection contre une agression qui était objectivement vraisemblable, sans pour autant avoir connu un commencement d’exécution (3). Cependant, l’absence d’une telle possibilité expresse dans la loi et l’incertitude liée à l’interprétation par les juges de ces éléments, qui repose sur l’appréciation des faits et peut donc varier, n’offre pas un cadre clair et sécurisant pour les forces de l’ordre : les organisations syndicales de la police nationale entendues par votre rapporteur ont indiqué ne pas se sentir pleinement protégées par le droit en vigueur.

D’autre part, l’état de nécessité n’est censé jouer que dans des hypothèses où un intérêt supérieur à celui sacrifié par la commission d’une infraction est en jeu, s’opposant ainsi non seulement à tout excès – ce qui est légitime – mais également, pour une partie de la doctrine, à ce que ce régime soit invoqué dans les cas où sont en cause des intérêts égaux, telle la vie des personnes.

Enfin, l’état de nécessité ne peut jouer qu’en cas de danger réel, non de danger putatif qui n’existe que dans la perception qu’en a la personne en cause. En conséquence, la situation d’un individu détenant une arme factice qui aurait l’apparence d’une arme réelle ne serait pas éligible à cette cause d’irresponsabilité pénale. L’état de nécessité « s’analyse comme un fait justificatif totalement objectif, qui suppose donc un véritable danger » (4). Dans l’hypothèse mentionnée, seule la légitime défense pourrait être utilement invoquée mais, ainsi que cela a été vu, son régime exige une simultanéité, non simplement une imminence du danger.

Chacune de ces deux hypothèses d’irresponsabilité pénale objective présente donc, pour l’action des forces de l’ordre, des lacunes au regard de la réalité des interventions réalisées. Elles ne permettent pas non plus de répondre à des situations extrêmes, telles celles d’un tueur qui vient d’abattre plusieurs personnes à un endroit, rengaine son arme et se rend dans une autre salle ou qui reste près d’autres personnes, prises en otage. Le risque est manifeste, mais l’état du droit, de l’aveu même de la direction générale de la police nationale, ne permet pas, à l’heure actuelle, de répondre à de telles hypothèses.

B. L’ORDRE DE LA LOI ENTRAINE UNE DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT ENTRE GENDARMES ET POLICIERS

L’ordre de la loi permet à son exécutant de ne pas voir sa responsabilité pénale engagée. Ajoutons qu’existe également l’ordre hiérarchique, s’il n’est pas manifestement illégal et si son auteur est l’autorité légitime de l’exécutant de l’ordre. Ce cas d’irresponsabilité pénale est consacré à l’article 122-4 du code pénal qui doit, pour trouver à s’appliquer, être combiné avec les dispositions juridiques contenant l’ordre en question.

1. Les gendarmes bénéficient d’un régime spécial d’emploi de la force armée

À titre liminaire, et dans un souci d’exhaustivité, précisons que les militaires – et donc les gendarmes – ne sont pas pénalement responsables s’ils font un usage de la force armée absolument nécessaire, après sommations, pour empêcher une intrusion dans une zone militaire hautement sensible (5). C’est néanmoins un autre cas de figure qui sera examiné ici, du fait de son contenu et de sa portée pratique.

Aux termes de l’article L. 2338-3 du code de la défense, les officiers et sous-officiers de la gendarmerie nationale peuvent faire usage de leurs armes de service dans certaines hypothèses. Cet article, qui reprend l’article 174 du décret du 20 mai 1903 – abrogé en 2009 –, a été introduit par l’ordonnance n° 2004-1374 du 20 décembre 2004 portant création du code de la défense et vise les hypothèses suivantes :

– protection face à des violences ou des voies de fait commis à leur encontre (1°) ;

– défense de positions, biens et personnes qui leur ont été confiés, si la force des armes est seule susceptible de venir à bout de la résistance opposée (2°) ;

– arrêt de personnes n’obtempérant pas à des sommations et qui tentent d’échapper à la garde ou aux investigations des gendarmes, si l’emploi de la force est le seul moyen de les contraindre à s’arrêter (3°) ;

– immobilisation de véhicules, lorsque leurs conducteurs n’obtempèrent pas aux ordres d’arrêt, à défaut d’autres moyens (4°).

L’article L. 2338-3 prévoit également, à son dernier alinéa, que les gendarmes ont le droit d’employer tout engin approprié pour faire arrêter un véhicule, notamment au moyen de herses ou de câbles.

En conséquence, l’usage de la force armée par un officier ou un sous-officier de la gendarmerie nationale dans l’un des cas mentionnés ci-dessus n’engage pas sa responsabilité pénale, sur le fondement de l’ordre de la loi.

Ce dispositif a été jugé compatible avec le droit européen, notamment l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) (6). Toutefois, cette compatibilité de l’article L. 2338-3, notamment son 3°, est due à son strict encadrement.

Il est en effet exigé que le recours aux hypothèses prévues aux 1° à 4° de l’article L. 2338-3 du code de la défense soit « absolument nécessaire », critère qui découle directement de l’article 2 de la CEDH, qui protège le droit à la vie, et de l’interprétation qui en est faite par la Cour européenne des droits de l’homme. Cet article, en dehors de la peine de mort légalement prononcée par une juridiction (7), prévoit trois hypothèses dans lesquelles il peut être porté atteinte à ce droit, mais elles sont limitatives et fermement encadrées (8). L’acte accompli pour atteindre les objectifs que fixent ces trois hypothèses n’a pas, au demeurant, à nécessairement entraîner la mort : le dispositif européen s’applique au recours à la force armée en général, rendant incompatible avec la Convention une législation nationale considérée comme trop permissive (9).

Pour tenir compte de cette position, plusieurs textes ont été édictés en droit français. Ainsi, une circulaire du 7 mars 2006 (n° 6347) subordonne l’emploi des armes à la réalisation de sommations et à une absolue nécessité. Elle a été abrogée par une circulaire du 2 février 2009 (n° 133000), qui est venue renforcer les exigences liées à la nécessité absolue et à l’absence d’alternative à l’emploi des armes.

La Cour européenne des droits de l’homme a récemment eu à connaître directement de l’article L. 2338-3 du code de la défense dans une affaire Guerdner contre France, jugée en 2014 (10). À cette occasion, elle a déclaré le dispositif français conforme à l’article 2 de la Convention et aux exigences requises des sociétés démocratiques, du fait des précisions apportées par la jurisprudence et les circulaires ministérielles (11). Il ressort en effet de la lecture du paragraphe 66 de la décision que la lettre de l’article L. 2338-3, vue comme permettant l’emploi de la force pour arrêter un fugitif même s’il ne présente pas de menace réelle et qu’il n’est pas soupçonné d’avoir commis une infraction violente, n’apparaissait pas en tant que tel compatible avec les exigences de la Convention.

L’interprétation faite par les juges du code de la défense a certes entraîné une neutralisation partielle de la portée de l’article L. 2338-3, mais ce dernier reste néanmoins et heureusement un outil précieux pour les gendarmes lorsqu’ils partent en opération, et leur assure une protection renforcée d’un point de vue juridique en ce qu’il légitime leurs actions.

2. En dehors d’hypothèses très particulières, l’emploi de la force armée par la police est soumis au droit commun

À la différence des gendarmes, les autres dépositaires de l’autorité publique ne bénéficient pas d’un régime particulier leur permettant de faire usage de leurs armes en dehors de trois hypothèses limitatives qui ne concernent que les policiers nationaux :

– d’une part, lorsqu’ils sont en situation de légitime défense ; ils obéissent alors au régime de droit commun et sont placés dans la même situation que tout particulier.

– d’autre part, en situation de maintien de l’ordre, pour disperser un attroupement, ainsi que le prévoit l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure. Deux hypothèses sont à distinguer : l’usage des armes est autorisé après deux sommations demeurées sans effet, ou en l’absence de sommation si des voies de fait sont exercées contre eux ou si le terrain qu’ils occupent ne peut être autrement défendu. Les armes en question sont des armes de catégorie B (grenades de différents types) et les lanceurs de grenades et de balles de défense, ainsi que des armes de catégorie C (fusil à répétition) en cas de voies de fait et pour riposter à des tirs.

– enfin, lors d’intervention en milieu carcéral ou pour protéger les abords d’un établissement pénitentiaire, les policiers étant alors assimilés, pour la durée de l’intervention, à des personnels de l’administration pénitentiaire (en vertu des dispositions combinées des articles R. 57-7-84 et D. 283-6 du code de procédure pénale).

Les restrictions sont encore plus importantes s’agissant des policiers municipaux – qui ne sont pas tous armés. Les articles R. 511-23 et R. 515-9 du code de la sécurité intérieure limitent l’usage d’armes par les policiers municipaux aux situations de légitime défense.

Il n’existe donc pas, sauf pour les gendarmes, « d’ordre de la loi » ayant une portée générale. En dehors des hypothèses précédemment mentionnées, les forces de police ne peuvent faire usage de leurs armes qu’en situation de légitime défense ou d’état de nécessité, c’est-à-dire dans le cadre du droit commun de l’irresponsabilité pénale objective.

3. La différence de traitement entre les forces de l’ordre n’est pas justifiée au regard de la proximité des missions

La différence de traitement constatée entre policiers et gendarmes est contestable dans la mesure où les deux corps effectuent souvent des opérations de même nature, les premiers se trouvant alors, faute de doctrine d’emploi des armes similaire à celle des seconds, dans une configuration potentiellement dangereuse pour eux-mêmes.

Certes, l’article L. 2338-3 du code de la défense trouve son origine dans l’article 174 du décret du 20 mai 1903 et remonte donc à une époque où les missions de la gendarmerie s’effectuaient essentiellement en milieu rural, et non au sein de zones urbaines densément peuplées dans lesquelles l’usage d’armes à feu peut s’avérer dangereux pour la population.

Toutefois, exciper du contexte d’origine du dispositif en vigueur pour la gendarmerie afin de s’opposer à une extension de la doctrine d’emploi des armes à feu à la police n’apparaît pas recevable.

D’une part, le code de la sécurité intérieure contient un grand nombre de dispositions déontologiques communes aux deux forces, police et gendarmerie, attestant s’il en était besoin de la proximité des missions qui leur sont dévolues (12).

D’autre part, les criminels en zones urbaines font un usage important d’armes, face auxquels les forces de police – tout comme celles de la gendarmerie – ne sauraient rester démunies. Au demeurant, des gendarmes peuvent intervenir en zones urbaines, ainsi qu’en témoignent par exemple les gardes républicains.

Il n’apparaît donc pas cohérent, ni justifiable, de maintenir la dualité de régime juridique actuelle et d’exclure de dispositions sécurisantes les forces de l’ordre ne relevant pas de la gendarmerie nationale.

II. LA PROTECTION PÉNALE INADAPTÉE DES DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE FACE À UNE CRIMINALITÉ DE PLUS EN PLUS AUDACIEUSE MILITE POUR UNE ÉVOLUTION DU CADRE LÉGAL

La soumission des policiers au droit commun et, plus généralement, le cadre légal applicable aux dépositaires de l’autorité publique, ne sont pas cohérents avec les dangers qui pèsent sur eux, ainsi que l’ont souligné à plusieurs reprises les parlementaires.

A. MALGRÉ LA DANGEROSITÉ DE SES MISSIONS, LA POLICE NE FAIT L’OBJET D’AUCUNE PROTECTION PARTICULIÈRE

Il est pour le moins étonnant que les femmes et les hommes de la police se trouvent placés dans une situation identique à celle des particuliers, alors que, eu égard à leurs fonctions, ils sont appelés à se trouver dans des situations d’une extrême dangerosité et à mettre leur vie en danger pour servir la population.

Il sera ici rappelé que la raison d’être des forces de police est, aux termes de l’article R. 434-2 du code de la sécurité intérieure, « la défense des institutions et des intérêts nationaux, le respect des lois, le maintien de la paix et de l’ordre publics, la protection des personnes et des biens ». Les policiers, toujours d’après cet article et au même titre que les gendarmes, doivent exercer leurs missions avec « loyauté, sens de l’honneur et dévouement ».

L’article R. 434-28, quant à lui, fait état « des risques et des sujétions » liés à la fonction du policier, qui l’exerce « éventuellement au péril de sa vie ».

Enfin, les hypothèses d’emploi de la force armée dans le cadre des fonctions sont expressément mentionnées aux articles R. 434-10, R. 434-18 et R. 434-19.

Certains considèrent que la soumission des forces de police au droit commun, loin d’entraîner une absence de protection pénale, constitue au contraire un avantage de nature à préserver les policiers. Pour eux, si la qualité particulière des policiers était prise en compte et donc qu’ils n’étaient plus soumis aux règles pénales applicables à tous, il y aurait un risque de sévérité accrue de la part des juges. Ceux-ci tiendraient en effet alors compte de l’entraînement et de la formation des forces de police, censés offrir une maîtrise de soi accrue et une capacité à faire face au danger supérieure au reste de la population. Dès lors, un comportement qui aurait été admis de la part d’un simple particulier, par définition non formé pour faire face à ce genre de situations, pourrait être condamné s’il émanait d’un policier entraîné. La reconnaissance de l’irresponsabilité pénale des forces de l’ordre serait par conséquent plus difficile.

Votre rapporteur ne partage pas ce point de vue, et il suffit de se pencher sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme portant sur l’emploi de la force armée par les forces de l’ordre pour se convaincre de l’absence de fondement de l’argument. La Cour, en effet, ne tient pas compte de la formation des forces de l’ordre dans son appréciation d’un usage mesuré de la force armée. Son analyse porte uniquement sur la dangerosité de la victime et sur l’éventuelle existence de solutions alternatives au recours aux armes. Ainsi, dans sa décision Guerdner contre France récemment rendue et intéressant la gendarmerie nationale, l’usage excessif de la force armée constaté en l’espèce se fondait sur l’absence de menace présentée par la victime, notamment du fait de ses entraves, et sur la possibilité de l’arrêter sans lui tirer dessus. La seule référence à la formation des gendarmes figurait dans l’analyse relative à la conformité du cadre juridique national à la Convention, la Cour retenant qu’une formation adéquate des forces de l’ordre est un gage de respect des exigences que pose l’article 2.

Ce qui, au regard de cette jurisprudence, vaut pour les gendarmes vaudra pour les forces de l’ordre en général avec le nouvel article qu’entend introduire la présente proposition de loi.

Le même sort doit être réservé à l’argument tiré d’une prétendue rupture d’égalité entre les policiers et le reste des citoyens qui, en vertu de l’article 73 du code de procédure pénale, peuvent intervenir pour faire cesser un crime ou un délit flagrant. Cette objection ne saurait prospérer : nul ne peut sérieusement soutenir que, face à la criminalité, les policiers et le reste des citoyens sont placés dans une situation identique justifiant l’application des mêmes règles. L’article 73 du code de procédure pénale se borne à reconnaître une faculté, là où les policiers – et plus généralement les forces de l’ordre –, ainsi qu’il a été vu notamment avec l’évocation de leur code de déontologie, sont tenus d’intervenir.

Dès lors, il est non seulement légitime, mais également urgent, de prévoir la mise en place de règles particulières pour une catégorie de personnes – les membres des forces de police – soumise à des sujétions spéciales, dangereuses et qui s’accroissent régulièrement.

B. L’ÉVOLUTION DE LA CRIMINALITÉ MILITE POUR UN RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE

La criminalité à laquelle font face les forces de l’ordre a connu depuis plusieurs années une mutation profonde.

D’une part, l’uniforme et les fonctions de dépositaires de l’autorité publique ne dissuadent plus les agresseurs ; au contraire, ils constituent désormais des cibles privilégiées. Depuis 2004, d’après les chiffres fournis par la direction générale de la police nationale, 36 policiers nationaux ont été tués en mission (13). L’année 2014 a été la plus meurtrière depuis 2009, avec quatre décès en mission enregistrés. Si les décès en service sont ajoutés, ce sont en tout 112 policiers nationaux qui ont perdu la vie depuis 2004.

Par ailleurs, 52 174 policiers nationaux ont été blessés en mission entre 2004 et 2014, avec une hausse marquée lors des trois dernières années : si la moyenne sur la période considérée s’établit à 4 743 blessés en mission, ce furent plus de 5 000 policiers qui ont été blessés en 2012, 2013 et 2014, cette dernière année marquant un sommet inédit avec 5 834 blessés. Le total des policiers blessés, en ajoutant les blessures en service, porte sur 123 782 policiers.

Le graphique suivant illustre l’importance et l’augmentation, depuis 2004, du nombre de policiers nationaux blessés en mission.

Source : direction générale de la police nationale

S’agissant de 2015, il est impossible de ne pas songer au récent drame qui a meurtri notre pays en janvier et au cours duquel 17 personnes dont trois policiers (14) trouvèrent la mort, illustré par les images insoutenables montrant un policier froidement abattu au sol par des terroristes assassins équipés de fusils d’assaut.

Ces chiffres, dont la froideur arithmétique ne doit pas dissimuler les tragédies individuelles qu’ils recèlent, témoignent avec force de la dangerosité des missions des forces de l’ordre. Les dangers auxquels les policiers et, plus généralement, les dépositaires de l’autorité publique sont exposés sont tout sauf théoriques et constituent, hélas, une réalité qui se rappelle trop fréquemment à nous.

D’autre part, les criminels disposent d’armes qui, auparavant, relevaient plutôt des théâtres de guerre. L’usage d’armes automatiques, notamment de fusils d’assaut, n’est plus l’apanage de groupes particuliers et terroristes ; de plus en plus souvent, des criminels « communs » déploient un arsenal militaire et font usage de techniques de guérilla urbaine, face auxquels les forces de l’ordre peuvent être démunies.

L’utilisation de telles armes témoignent d’une intention meurtrière patente et d’une escalade dans la violence que se proposent de mettre en œuvre les criminels. Elle traduit également une détermination nouvelle, dans la mesure où il n’est pas rare de voir des criminels faire usage d’armes d’assaut pour des opérations au butin dérisoire (15), et une banalisation d’arsenaux militaires aux mains de délinquants de petite ou moyenne envergure. Le nombre de caches d’armes découvertes par la police ou la gendarmerie est en régulière augmentation. Si cela traduit une efficacité renforcée des actions des forces de l’ordre, il est néanmoins probable que se dissimule derrière ces succès croissants une hausse du volume d’armes en circulation. Deux opérations conduites récemment, « Armes 52 » et « Armes 66 », ont conduit à des saisies record. La première a porté sur 430 armes, une tonne de munitions et 24 kilogrammes d’explosifs ; la seconde, réalisée en mars 2014, a permis de saisir plus de 800 armes, dont 150 fusils d’assaut et pistolets mitrailleurs, un lance-roquettes, des grenades, des obus et près de 70 000 munitions. La géographie des armes regroupe deux volets : d’une part, des zones d’amoncellement, essentiellement en milieu rural ; d’autre part, les zones d’utilisation, alimentées par les premières et qui se trouvent principalement dans les grandes agglomérations.

Le nombre et la nature des armes dont bénéficient les criminels contribuent donc à accroître considérablement les risques encourus par les forces de l’ordre. Or, ainsi que des représentants des organisations représentatives du personnel de la police nationale l’ont souligné, face à des armes longues, telles que des fusils d’assaut, à la portée et à la puissance de feu très supérieures aux armes dont disposent la plupart des agents publics, il n’est pas possible à ces derniers d’attendre d’être mis en joue pour pouvoir neutraliser l’individu armé, sauf à faire peser sur leur vie un risque qui sera presque automatiquement réalisé.

Ces dangers aggravés militent ainsi pour une évolution du droit, afin d’offrir aux femmes et aux hommes qui protègent la population et garantissent l’intégrité de la République une protection suffisante pour de ne pas exposer de façon extrême leurs vies.

C. MALGRÉ DE RÉCENTES TENTATIVES EN CE SENS, LE LÉGISLATEUR NE S’EST PAS EMPARÉ DU SUJET

À la suite de la mise en examen d’un policier pour homicide volontaire à Noisy-le-Sec le 25 avril 2012, qui avait suscité de vives émotions parmi les forces de l’ordre, le Gouvernement a mis en place une mission de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes, conduite par le conseiller d’État Mattias Guyomar. Si de nombreuses propositions ont été faites en matière de protection fonctionnelle des personnels des forces de l’ordre et de leurs familles, les conclusions de la mission excluaient l’introduction dans notre droit d’une nouvelle présomption de légitime défense et écartaient toute modification du cadre légal de l’usage de la force armée (16).

En septembre 2012, une proposition de loi déposée par MM. Guillaume Larrivé, Philippe Goujon et plusieurs de leurs collègues membres du groupe UMP, dont votre rapporteur (17), avait cherché à offrir à la police nationale une doctrine d’emploi des armes à feu voisine de celle qui existe pour les gendarmes à l’article L. 2338-3 du code de la défense. Elle tendait également à renforcer la protection fonctionnelle des forces de l’ordre en s’inspirant directement des conclusions du rapport Guyomar. Le second volet de la proposition, frappé d’irrecevabilité financière au titre de l’article 40 de la Constitution, n’avait pu être examiné par votre Commission ; le premier avait été rejeté, faute de consensus, notamment au motif que le sujet relevait plutôt de l’initiative gouvernementale (18).

Le Sénat s’est à son tour penché sur le sujet en examinant en mars 2013 une proposition de loi déposée par MM. Louis Nègre et Pierre Charon (19). Fondamentalement différent de la proposition examinée par votre Commission s’agissant du volet relatif à la force armée, ainsi que votre rapporteur l’a indiqué à titre liminaire, le texte soumis au Sénat introduisait une présomption de légitime défense au bénéfice des forces de l’ordre en cas de recours à la force armée dans des hypothèses inspirées de l’article L. 2338-3 du code de la défense. Suivant la rapporteure, Mme Virginie Klès, la commission des Lois, puis le Sénat en séance, ont rejeté la proposition (20).

Votre rapporteur, s’il ne partage pas un certain nombre d’arguments retenus pour rejeter cette proposition, tient néanmoins à souligner l’inopportunité du dispositif qu’elle entendait introduire, pour plusieurs raisons.

D’une part, sur le principe, la proposition sénatoriale ajoutait aux présomptions de légitime défense existantes à l’article 122-6, fondées sur les circonstances (intrusion dans un domicile habité ; vol et pillage) une présomption reposant, elle, sur la qualité des auteurs d’une infraction consécutive à l’usage d’armes à feu (membre des forces de l’ordre).

D’autre part, la présomption de légitime défense reconnue aux forces de l’ordre plaçait la victime dans une situation où son comportement criminel ou délictuel était présumé, puisqu’elle revenait à reconnaître ab initio et jusqu’à preuve du contraire, de la part de la victime de l’usage de la force armée, une atteinte injustifiée constitutive d’une infraction pénale. Le corollaire du dispositif du Sénat était donc une présomption de culpabilité, qui n’est admise qu’en matière contraventionnelle et méconnaît, en matière criminelle et délictuelle, la présomption d’innocence, essentielle dans un État de droit.

Enfin, d’un point de vue procédural, cette présomption faisait reposer la charge de la preuve sur les victimes, là où l’irresponsabilité pénale qui découle de la légitime défense, de l’état de nécessité et de l’ordre de la loi suppose que le moyen soit soulevé par l’auteur des faits, au moins de façon minimale, quitte à ce qu’ensuite le parquet doive prouver que les éléments constitutifs requis ne sont pas réunis pour reconnaître l’irresponsabilité.

Malgré ces défauts, la proposition avait le mérite de poser, une nouvelle fois, la question de l’emploi par la police de la force armée et de l’opportunité d’un renforcement de la protection pénale de ses personnels. Les conclusions de la mission Guyomar et le rejet des deux propositions de loi précédemment mentionnées ne doivent pas conduire à considérer que le sujet est clos, bien au contraire : ainsi qu’il a été vu, l’actualité récente atteste de l’impériosité de doter nos forces de l’ordre d’un cadre légal renforcé et harmonisé s’agissant du recours à la force armée, qui devra garantir un équilibre entre la protection des forces de l’ordre et les impératifs liés au droit à la vie.

C’était d’ailleurs ce qu’appelait de ses vœux le professeur Roger Bernardini, en juin 2014, lorsqu’il disait, s’agissant de la proposition de loi de Guillaume Larrivé, que son rejet « s’explique davantage à partir d’une absence de consensus et de situations conjoncturelles, politiques et syndicales, parce que, dans l’absolu, le rapprochement des conditions d’emploi des armes à feu par les policiers et les gendarmes est indispensable. Il faudrait même dépasser le cadre de l’usage des armes à feu pour envisager, de manière globale, le recours à la force et à l’usage de toutes armes, létales ou non, par « les responsables de l’application des lois » dans l’exercice de leurs missions, pour reprendre l’expression retenue pour les principes adoptés par l’Organisation des Nations unies le 7 septembre 1990. » (21) C’est précisément l’objet de la présente proposition.

III. LE RENFORCEMENT DE LEUR PROTECTION PÉNALE OFFRIRA AUX DÉPOSITAIRES DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE UNE SÉCURITÉ ACCRUE SANS BOULEVERSER L’ÉQUILIBRE DU DROIT PÉNAL FRANÇAIS

S’inspirant du dispositif applicable aux gendarmes prévu à l’article L. 2338-3 du code de la défense, l’article unique de la présente proposition de loi met en place une irresponsabilité pénale au bénéfice des dépositaires de l’autorité publique lorsqu’ils font l’objet d’agressions et – il s’agit du point essentiel du texte – dans des hypothèses limitativement énumérées dans lesquelles la force armée est employée.

A. UNE PROPOSITION DE LOI QUI NE SE LIMITE PAS AUX SEULS POLICIERS

Le dispositif qu’entend introduire dans notre droit l’article unique porté par la présente proposition de loi vise les dépositaires de l’autorité publique, non les seuls policiers – qui font naturellement partie de cette catégorie.

Cette notion, relativement large, permet en effet d’inclure, outre la police nationale, la gendarmerie nationale mais aussi les douaniers ou encore les policiers municipaux.

Ainsi, l’ensemble des forces de l’ordre susceptible d’avoir recours à la force armée dans l’exercice de leurs fonctions seront soumis à un statut commun, offrant une lisibilité accrue des hypothèses dans lesquelles il est permis de faire usage de son arme de service et une harmonisation de la protection pénale de ces agents.

B. UN DISPOSITIF ADAPTÉ AUX DANGERS AUXQUELS SONT EXPOSÉES LES FORCES DE L’ORDRE ET COMPATIBLE AVEC LE DROIT EUROPÉEN

En introduisant dans le code pénal un nouvel article précisant les cas dans lesquels les dépositaires de l’autorité publique sont pénalement irresponsables, la présente proposition de loi répond aux attentes des forces de l’ordre et comble les insuffisances juridiques constatées, tout en offrant toutes les garanties requises pour assurer une compatibilité avec le droit européen.

1. Une lisibilité accrue du droit pénal par la réunion dans un même article des hypothèses générales de recours à la force armée entraînant une irresponsabilité pénale

La proposition de loi fait œuvre de synthèse, en réunissant dans une même disposition l’ensemble des hypothèses de portée générale auxquelles les agents publics peuvent être confrontés à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

Les situations particulières dans lesquelles la force armée peut être utilisée, de même que les dispositions du code de la défense propres aux gendarmes, n’ont pas été reprises et ne disparaissent naturellement pas : l’article unique de la proposition de loi ne se substitue pas au droit existant, il l’enrichit.

Enfin, contrairement à ce que certains pourraient croire, et à la différence de ce que prévoyait la proposition de loi examinée en 2013 par le Sénat, le dispositif porté par la présente proposition n’entend aucunement introduire une présomption de légitime défense ou, plus généralement, d’irresponsabilité pénale. L’agent qui se prévaudra des nouvelles dispositions devra en effet établir qu’il se situait bien dans les hypothèses qu’elles prévoient. Il n’y a donc par conséquent aucun renversement de la charge de la preuve ni de présomption de culpabilité vis-à-vis de la victime du recours à la force armée.

2. L’ouverture du recours à la force armée dans des hypothèses de danger non couvertes par le droit existant

La proposition de loi n’introduit en aucun cas un blanc-seing au bénéfice des dépositaires de l’autorité publique pour employer la force armée. L’objectif est de protéger les agents qui garantissent la sécurité de la population et la vie en société.

Elle permet en effet aux dépositaires de l’autorité publique de faire usage de leur arme lorsque pèsent sur leur vie et la vie de toute personne un danger imminent qui émane d’individus armés.

Elle offre également la possibilité aux agents d’utiliser leur arme lorsqu’ils sont victimes de violences graves, qui présentent par nature un risque évident pour leur vie.

Est par ailleurs prévue l’hypothèse d’individus armés qui refusent de déposer leurs armes, malgré deux sommations en ce sens et l’information que, faute d’obtempérer, la force sera employée.

La proposition de loi étend en outre à l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique certaines dispositions du code de la défense dans la mesure où celles-ci portent sur des situations auxquelles toutes les forces de l’ordre, et non uniquement les gendarmes, sont susceptibles d’être confrontées. Elle autorise ainsi l’usage de la force armée si aucun autre moyen ne permet aux agents de protéger des personnes qui leur ont été confiées ou de défendre une position, hypothèse d’une attaque qui fait peser sur la sécurité publique un risque manifeste. Elle permet également cet usage pour immobiliser un véhicule dont le conducteur n’obéit pas aux ordres d’arrêt.

Toutes ces situations ont en commun deux éléments. D’une part, elles se caractérisent par une dangerosité évidente vis-à-vis des forces de l’ordre et de la population, dangerosité que font peser les individus pris pour cibles, et qu’accentue la détention par ceux-ci d’armes. D’autre part, ainsi qu’il a été vu, elles ne sont pas correctement couvertes par le droit existant, plus particulièrement par les articles du code pénal relatifs à la légitime défense et l’état de nécessité.

Avec l’ajout dans notre droit de l’article unique proposé, les forces de l’ordre auront enfin à leur disposition un cadre juridique clair et sans ambiguïté, ce qui constitue déjà, en soi, une avancée importante.

Elles bénéficieront par ailleurs d’un droit qui leur garantit une protection suffisante, sans qu’elles aient à attendre d’être directement exposées au danger et donc de risquer de perdre leur vie pour neutraliser des individus dangereux.

3. Un encadrement rigoureux compatible avec le droit européen

Tout en offrant aux agents publics une protection pénale adaptée aux réalités de leurs interventions, le dispositif porté par l’article unique de la présente proposition de loi assure, par son encadrement rigoureux, une compatibilité avec le droit européen.

Le droit à la vie et sa protection sont consacrés à l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), qui dispose que :

« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi (22).

La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire:

a. pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;

b. pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;

c. pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Ainsi, contrairement à une idée trop fréquemment répandue, la CEDH ne prohibe pas le recours à la force armée au nom du droit à la vie, mais encadre ce dernier pour éviter toute dérive de la part des autorités publiques.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, dans une situation dangereuse, caractérisée notamment par la confrontation à un individu armé et qui a commis une infraction violente, et en l’absence d’autres solutions, les forces de l’ordre peuvent recourir à la force armée, y compris la force mortelle.

L’article unique de la proposition de loi, en ce qu’il circonscrit le recours à la force armée à des situations particulièrement dangereuses, où le risque pour la vie des agents publics ou de toute personne est caractérisé, s’inscrit dans un rapport de compatibilité avec les exigences du droit européen.

L’absolue nécessité requise est en effet satisfaite, les individus pris pour cible par les forces de l’ordre faisant peser un risque évident pour la vie des personnes, soit que le danger est imminent, soit qu’il est réalisé lorsque les forces de l’ordre sont victimes d’actes violents d’une particulière gravité, soit enfin que des individus armés refusent de déposer leurs armes.

Le dispositif n’ouvre pas la possibilité d’une anticipation excessive, d’une action préemptive préjugeant des intentions criminelles des individus en cause, mais bien d’une réaction à un comportement contraire aux lois et dangereux.

Par ailleurs, il convient de souligner que la force armée prévue par le dispositif ne concerne pas exclusivement les armes mortelles, mais bien toutes les armes dont disposent les forces de l’ordre, au premier rang desquelles figurent les armes non létales.

4. L’approfondissement de la formation des forces de l’ordre

Le dispositif qui vous est proposé appelle à se pencher sur une autre question, qui relève plutôt du domaine réglementaire mais que nos travaux peuvent néanmoins évoquer : la formation des personnels.

Il est nécessaire d’offrir aux forces de l’ordre une formation adaptée, abordant plusieurs aspects : maniement des armes, naturellement, afin de viser le mieux possible – permettant d’éviter des tirs mortels et de privilégier la blessure au décès en cas de recours nécessaire à la force armée –, sensibilisation accrue au droit pénal, dimension psychologique relative à la gestion du stress et à la maîtrise de soi en situation de danger. Ces éléments font déjà partie de la formation de tout policier et gendarme ; il apparaît néanmoins indispensable de les développer et de les approfondir, afin de préparer le mieux possible les femmes et les hommes des forces de l’ordre de notre pays à faire face à toute situation dans les meilleures conditions possibles.

*

* *

En conclusion, le dispositif qu’entend introduire la présente proposition de loi, loin de constituer comme certains pourraient le craindre un permis de tuer reconnu aux forces de l’ordre en général et aux policiers en particulier pour faire un usage large de leurs armes et susceptible de conduire à des abus, assure un équilibre entre la nécessité de protéger la vie de ceux qui se dévouent pour la population et la République, et la sauvegarde de l’intégrité physique des personnes qui, en prenant les armes pour commettre des infractions, enfreignent les lois de notre pays.

Cet équilibre, garantit par les cas de recours à la force armée, encadrés et limités aux situations dangereuses face auxquelles seul l’usage d’armes peut préserver les intérêts supérieurs à défendre, s’inscrit pleinement dans les exigences propres aux sociétés démocratiques, au premier rang desquelles la France a l’heur de figurer.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Au cours de sa séance du mercredi 25 mars 2015, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Éric Ciotti, la proposition de loi qu’il a déposée relative à la légitime défense des policiers (n° 2568).

Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale s’est engagée.

M. Philippe Goujon. Voilà une proposition de loi qui devrait faire consensus. Elle est soutenue par les organisations syndicales représentant les forces de police ; nous sommes dans une situation extrêmement difficile après que le pays a été victime d’attentats dramatiques ; on a vu ce qu’il en était de l’usage des armes par les terroristes, les délinquants, les criminels de tout poil. Il serait bon que l’appel à l’unité nationale soit entendu lorsque des propositions de loi de l’opposition viennent en discussion, et non pas seulement lorsque nous, nous votons la loi sur le terrorisme ou, comme nous le ferons bientôt, la loi sur le renseignement. D’autant que nos propositions s’inspirent du rapport Guyomar, qui visait à améliorer la protection juridique dont bénéficient les forces de police.

Si la proposition de loi en ce sens déjà déposée par MM. Ciotti, Larrivé et moi-même a été rejetée, le Gouvernement ne s’en était pas moins engagé, à cette occasion, à progresser sur ces questions extrêmement importantes. Plus de deux ans après, hélas, aucune autre proposition n’a été formulée, alors que, pour les policiers, les gendarmes et les autres dépositaires de l’autorité publique, le risque d’être victimes de violences dans l’exercice de leurs fonctions n’a jamais été aussi élevé. Cela a été dit : depuis 2004, 112 policiers ont été tués en service, plus de 52 000 ont été blessés en mission, et ce chiffre a connu une forte hausse au cours des trois dernières années. Chacun peut observer la diffusion croissante d’armes de combat, d’armes de guerre et leur utilisation de plus en plus fréquente, même au service de la petite délinquance.

Comme l’a dit Éric Ciotti, c’est une réponse juste et pondérée que le texte apporte à ces difficultés, d’autant qu’un amendement restreint le périmètre de l’exemption de responsabilité pénale aux seuls dépositaires de l’autorité publique détenteurs de jure d’une arme, ce qui garantit la proportionnalité du dispositif. Il ne s’agit évidemment pas de créer une présomption d’irresponsabilité pénale, mais de permettre, de manière très concrète et opérationnelle, de réagir dans l’urgence à des agressions ainsi qu’à des dangers imminents – c’est l’un des aspects novateurs du texte. Surtout, le texte soustrait les policiers à une insécurité juridique qui met leur vie même en danger. N’a-t-on pas vu des criminels abattre des policiers qui, dans des circonstances où il faut réagir très vite, hésitaient à faire usage de leur arme parce qu’ils ne savaient pas dans quelle situation juridique ils se trouvaient ? Du reste, les gendarmes peuvent être également concernés puisque la jurisprudence ne leur permet plus d’utiliser leur arme comme les y autorise le code de la défense.

En somme, cette loi protège ceux qui défendent la sécurité des Français. Elle devrait donc nous réunir.

Mme Élisabeth Pochon. La proposition de loi en discussion vise à modifier les dispositions du code pénal relatives à la légitime défense afin d’aligner les règles qui régissent l’usage des armes à feu par les fonctionnaires de police sur celles applicables aux gendarmes. Elle crée un régime d’irresponsabilité pour les policiers en cas d’usage de leurs armes, fondé sur une présomption de légitime défense des policiers.

Cette proposition n’est pas nouvelle. C’est une résurgence de la campagne présidentielle : on la trouvait dans le programme de Marine Le Pen et le candidat Nicolas Sarkozy s’y était déclaré favorable entre les deux tours, une prise de position saluée par la même Marine Le Pen comme une victoire idéologique de son parti. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Elle répond au vœu du syndicat Alliance, selon lequel elle assurerait aux forces de l’ordre une meilleure protection juridique au cours de leurs interventions.

Cette revendication des policiers, que l’on retrouve au fil des treizième et quatorzième législatures, repose sur des arguments professionnels. La légitime défense de droit commun nuirait à l’efficacité des policiers lorsqu’ils poursuivent des délinquants ou des criminels ; elle les mettrait en danger, car ils seraient obligés d’attendre d’être menacés par une arme pour pouvoir y recourir. Les policiers estiment également que les magistrats en font trop fréquemment une interprétation restrictive, souvent en leur défaveur. Le fait que la justice n’ait pas retenu la légitime défense dans des affaires qui datent de 2011 et de 2012 avait d’ailleurs provoqué une manifestation à laquelle s’étaient joints des syndicats de police.

Enfin, les policiers réclament l’alignement de leur statut sur celui des gendarmes. Sur ce point, il semble qu’il y ait un malentendu. Certes, les gendarmes ne sont pas soumis au principe de la légitime défense de droit commun : en cas de menace armée directe, ils peuvent, après les sommations d’usage, faire feu avec leur arme de service pour assurer leur protection ou celle d’autrui. Mais ce tir est encadré. Les gendarmes sont des militaires ; ils n’ont pas le libre choix de se servir de leurs armes à feu ; ils ne tirent que sur ordre, sauf dans des cas limitativement prévus par l’article L. 2338-3 du code de la défense, et, même alors, le principe d’absolue nécessité s’impose.

Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a eu l’occasion de le rappeler : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a défini les conditions dans lesquelles on peut engager la force – la proportionnalité d’abord, l’extrême nécessité ensuite –, et les conditions d’usage de la force, telles qu’elles ressortent de la loi et de la jurisprudence, sont en fait identiques pour les policiers et pour les gendarmes.

Plusieurs propositions de loi ont précédé celle-ci, toutes issues de l’UMP ou du Front national (Protestations sur les bancs du groupe UMP) : elles étaient signées par M. Roustan, Mme Barèges, M. Estrosi ou encore M. Collard. Toutes bénéficiaient aux forces de l’ordre et répondaient à un vœu exprimé par le syndicat Alliance au cours de la précédente législature. Toutes allaient vers l’assouplissement des conditions de la légitime défense au bénéfice des policiers, et parfois même des citoyens. Aucune d’entre elles n’a abouti.

En janvier 2012, Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, avait jugé que « l’état actuel du droit, même s’il est difficile pour les policiers, représente un bon équilibre », ajoutant : « Ce qu’il faut, de notre côté, c’est que nous assurions au policier un supplément de formation continue afin qu’il puisse se remémorer, y compris dans ses gestes, la façon dont le droit doit être intégré à son action […] mais on ne peut pas donner aux policiers un permis de tirer, ce n’est pas possible. » Voilà ce qu’il déclarait avant d’être contredit, trois mois plus tard, par Nicolas Sarkozy.

Le contexte aurait-il changé ? Au syndicat Alliance, qui invoque l’aggravation des conditions de travail, nous aimerions rappeler que la réduction drastique des effectifs due à la révision générale des politiques publiques (RGPP), la pression résultant de la politique du chiffre ou l’inégale répartition territoriale des effectifs appartiennent au passé et que, depuis 2012, les moyens alloués à la police se sont plutôt améliorés.

Le contexte médiatique, quant à lui, est assurément particulier. Certes, les attentats survenus début janvier ont représenté pour notre nation un traumatisme considérable et la population a su témoigner à la police toute la reconnaissance qui lui est due. Mais ce n’est pas parce que les policiers tués n’ont pu recourir à la légitime défense qu’ils sont morts : ils ont été tout simplement assassinés. Une loi comme celle que nous examinons n’y aurait pas changé grand-chose.

Cette proposition de loi vise à poser le principe de l’irresponsabilité pénale des policiers, agissant tant comme officiers de police judiciaire qu’en maintien de l’ordre, dans l’exercice de leurs fonctions, et à supprimer les références aux conditions de la légitime défense, qui reposent sur un équilibre entre le danger réel, immédiat, et la qualité de la riposte, marqué par le caractère injustifié de l’atteinte portée à soi-même ou à autrui et par les principes de nécessité, de simultanéité et de proportionnalité.

La proposition de loi instaure ainsi une exception au principe de légitime défense, au bénéfice des policiers et des gendarmes. Elle assouplit les conditions de l’usage de l’arme par les agents et propose l’impunité des policiers et des gendarmes agissant pour leur propre défense en cas de violences ou de voies de fait – jets de pierres, utilisation de fumigènes, coups de feu. Les conditions de la légitime défense sont implicitement maintenues, hormis les principes de nécessité et de proportionnalité. Je vous renvoie au texte pour la liste détaillée des situations envisagées.

La proposition de loi ne se contente pas d’instaurer une présomption de légitime défense : elle tend aussi à créer un régime d’irresponsabilité, voisin de l’excuse absolutoire, en cas d’usage d’une arme en service. Je doute que la confiance témoignée par la population aux policiers perdure si cette présomption est appliquée et que la police n’a plus à répondre de ses actes.

En outre, le texte est juridiquement périlleux. Dans le droit actuel, la présomption de légitime défense repose sur les circonstances des faits et non sur la qualité de la personne qui en est l’auteur. Ici, au contraire, ce serait la qualité de policier qui ferait présumer la légitime défense. Le Conseil constitutionnel pourrait y voir une atteinte à l’égalité. Un policier est un citoyen comme un autre. Il n’y a rien de choquant à demander à un policier qui fait usage de la force de s’en justifier. De plus, instaurer une présomption générale de légitime défense rendrait très difficile à établir d’éventuelles violences policières illégitimes qui, certes rares, n’en sont pas moins inacceptables dans un État de droit.

En revanche, cette loi serait-elle en vigueur qu’elle ne pourrait faire obstacle à la mise en examen du policier, à cette notification officielle de charges qui ouvre les droits de la défense. L’existence d’une présomption de légitime défense ne peut empêcher les poursuites ni ne change quoi que ce soit à une procédure. C’est à la fin du processus, au stade de l’établissement de la culpabilité, qu’elle entre en compte : c’est le travail du juge d’instruction de rechercher si les circonstances de l’infraction l’établissent ou l’écartent.

Le texte nous est soumis à un moment opportun du calendrier : c’est entre les deux tours des élections départementales (Protestations sur les bancs du groupe UMP) que resurgit cette proposition récurrente, comme un chiffon rouge, par laquelle on suggère qu’il y aurait ici, d’un côté les amis de la police et de l’ordre, de l’autre les partisans du chaos ou du rejet de la force publique. Mais nous avons tous la même reconnaissance envers les policiers, qui exercent leur mission dans des conditions difficiles. Et c’est une élue de Seine-Saint-Denis qui vous parle, ayant en tête des images très précises de jeunes policiers frais émoulus de leur formation et déjà en difficulté.

Vous l’aurez compris, le groupe SRC votera contre cette proposition de loi, parce que sa nécessité n’est pas avérée, parce que c’est une fausse bonne idée, une loi d’affichage, qui s’inscrit dans le sillage des propos de M. Robert Ménard sur l’arme, « nouvel ami » du policier – la loi pourrait d’ailleurs, c’était votre souhait, être étendue à la police municipale et à d’autres corps. Nous déplorons bien entendu le décès des policiers en service (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), comme vous !

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Laissez Mme Pochon conclure.

Mme Élisabeth Pochon. Au demeurant, il ne semble pas que les gendarmes soient épargnés bien que leur situation soit différente à cet égard : on compte aussi des victimes dans leurs rangs.

Pour dépasser, les uns et les autres, nos principes idéologiques (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), peut-être faudrait-il conduire une mission et demander une étude d’impact avant de reparler de ce sujet.

M. Dominique Raimbourg. Les événements du mois de janvier ont suscité, entre nos concitoyens et les forces de police, un rapprochement qu’il nous faut éviter de compromettre. Si l’on peut donc souscrire aux intentions de cette proposition de loi, il faut aussi s’interroger sur sa nécessité, son efficacité et son utilité.

Dans les faits, rien n’indique que la dualité des régimes auxquels sont respectivement soumis la police et la gendarmerie pose problème. Aucune étude d’impact ne montre, en particulier, que l’usage des armes soulève, pour les policiers, quelque difficulté juridique au regard de la légitime défense. Quant au gendarme Nivel, il fut agressé par des hooligans : la situation était donc tout à fait différente.

J’en viens à l’argument de l’efficacité. Notre droit distingue entre les armes par nature et les armes par destination ; or, telle qu’elle est rédigée, la proposition de loi permettrait aux policiers d’ouvrir le feu sur toute personne qui paraîtrait vouloir leur lancer un caillou. Le champ d’application est donc trop large ; et si nous le restreignions, par exemple en le limitant aux menaces par armes à feu, cela mettrait les policiers en danger. Sauf démonstration contraire, le droit en vigueur, fondé sur la notion de « danger personnel », me semble donc suffisant.

On peut tout à fait comprendre que les policiers ayant été exposés à des dangers vivent mal le fait d’être placés en garde à vue, et sans doute pourrait-on envisager des aménagements afin de procéder avec « doigté » en de pareils cas ; mais la garde à vue est aussi une garantie juridique à laquelle, en l’occurrence, le texte ne permettrait pas aux policiers d’échapper.

J’ajoute que les armes à feu peuvent aussi être dangereuses pour ceux qui en font usage : les « tirs amis », comme on les appelle un peu abusivement, font également des blessés parmi les forces de l’ordre.

Le groupe SRC votera donc contre le texte, étant entendu que rien n’interdit la création d’une mission d’information pour étudier l’opportunité d’un rapprochement statutaire entre gendarmerie et police.

Mme Marie-Jo Zimmermann. M. Raimbourg a quelque peu corrigé les propos de Mme Pochon. De fait, les exagérations et les provocations déboussolent nos concitoyens et les détournent de la classe politique.

Quand j’entends Mme Pochon parler d’un texte de circonstance, je me dis que nous ne vivons décidément pas dans le même monde.

M. Patrick Mennucci. En effet : nous ne vivons pas à Neuilly, nous !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Moi non plus !

Je n’épiloguerai pas, monsieur Mennucci, sur les propos que vous avez tenus hier soir au sujet des femmes et de la parité… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

La proposition de loi me paraît bienvenue en ce qu’elle conforte le statut trop fragile des policiers, même si l’accent devrait être mis sur leur formation, notamment continue, conformément à une demande des intéressés eux-mêmes.

Comment peut-on par ailleurs conclure, monsieur Raimbourg, à l’inefficacité d’un statut qui n’existe pas encore ? Donnons à nos policiers, dont certains sont parents, les moyens de se défendre ; témoignons-leur notre respect en leur accordant un nouveau droit à la légitime défense : cette proposition de loi se justifie pleinement, nonobstant les discours provocateurs de Mme Pochon, que les Français pourront interpréter comme une marque d’irrespect à l’égard des forces de l’ordre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas le groupe UMP, madame Pochon, qui fixe l’ordre du jour de notre commission mais son bureau, en fonction du calendrier imposé par le Gouvernement.

D’autre part, la retraite à soixante ans fait aussi partie du programme du Front national : cela n’a pas empêché la majorité de voter des dispositions qui allaient dans ce sens. Vos indignations sélectives deviennent un peu fatigantes, y compris pour les électeurs, qui ne manqueront sans doute pas de vous le faire savoir dimanche soir.

Il est bien légitime que les événements du mois de janvier, et l’émoi médiatique qu’ils ont provoqué, nous incitent à des évolutions législatives ; mais, au-delà du contexte, ces évolutions sont appelées par celle de la menace elle-même au cours des dernières décennies, les forces de l’ordre étant de plus en plus souvent confrontées, dans certains territoires, à l’utilisation d’armes de guerre. C’est là une vraie nouveauté à laquelle nous devons apporter une réponse.

L’alignement du statut des policiers sur celui des gendarmes, d’origine militaire, pose des questions dont Dominique Raimbourg a justement fait état ; reste que la proposition de loi ne comporte rien qui soit susceptible d’exonérer les forces de l’ordre de poursuites judiciaires : si tel avait été le cas, je ne l’aurais pas cosignée. Être présumé innocent n’implique évidemment pas qu’on le soit en effet : il faut s’entendre sur les termes.

Je n’ai rien, cela va de soi, contre un renforcement de la formation des policiers, ni contre une révision des conditions d’usage des armes à feu ; mais, je le répète, l’évolution de la menace appelle une réflexion sur les moyens mis en œuvre pour assurer l’ordre public. De plus, la proposition de loi est une marque de confiance à l’égard des forces de l’ordre ; c’est pourquoi je l’approuve.

M. Philippe Gosselin. Les polémiques et les postures politiciennes n’ont pas leur place sur de tels sujets. Les violences auxquelles sont confrontées nos forces de l’ordre vont croissant : les agents présents sur la voie publique peuvent le constater tous les jours. Il n’y a évidemment pas lieu de rendre les policiers irresponsables au regard du droit commun, ni de leur reconnaître un droit acquis à la légitime défense : il s’agit de leur donner les moyens d’affronter des situations sans commune mesure avec les vols à la roulotte, par exemple des situations de terrorisme. Dans ces conditions, le rapprochement statutaire avec les gendarmes me semble une piste intéressante : la balayer d’un revers de main n’est assurément pas à la mesure des enjeux, nos démocraties ayant aussi le devoir de se protéger.

M. Alain Tourret. Si je puis souscrire à certains objectifs des auteurs de la proposition de loi, le nouvel article que l’on nous propose reste trop général. En ignorant le principe de proportionnalité, il donnerait aux forces de l’ordre la possibilité de riposter à la moindre menace, au risque de tuer. À l’époque, c’est d’ailleurs ce qui avait conduit M. Guéant à s’opposer à une telle modification législative.

L’alignement statutaire entre gendarmes et policiers aurait une certaine cohérence, a fortiori depuis que les premiers sont placés sous la tutelle du ministère de l’Intérieur ; mais la question est de savoir lequel des deux statuts doit se rapprocher de l’autre. Les gendarmes, qui sont des militaires, accepteraient mal, par exemple, de se voir appliquer le droit qui s’impose aux policiers.

Dès lors que les forces de gendarmerie et de police remplissent les mêmes fonctions – les unes en milieu rural, les autres en milieu urbain –, une évolution législative est envisageable, pour peu qu’elle n’omette pas non plus le principe de proportionnalité.

M. Gilbert Collard. Force est de constater que le texte proposé s’inspire de l’amendement que j’avais déposé en décembre 2012 sur la précédente proposition de loi du groupe UMP… (Exclamations au sein du groupe SRC.) Cependant, elle soulève la question du distinguo entre légitime défense objective et subjective : vieux débat juridique auquel il convient d’ajouter, M. Tourret l’a rappelé, celui de la proportionnalité. Personnellement, je suis partisan d’une présomption réfragable.

Un policier ou un gendarme revêtu des signes de sa fonction représente en lui-même une injonction à la loi ; dès lors, tout individu armé manifestant une hostilité à son encontre s’expose à une riposte, selon ce qu’il est convenu d’appeler la légitime défense subjective, c’est-à-dire liée à la qualité de l’agressé.

Aux termes du texte qui nous est soumis, les forces de l’ordre deviendraient pénalement irresponsables en cas de riposte contre « des personnes armées [refusant] de déposer leur arme après deux injonctions à haute et intelligible voix » – au passage, vous avez omis les éventuels problèmes de traduction. Première injonction : « déposez votre arme » ; seconde injonction : « déposez votre arme ou je fais feu ». Pourquoi ne pas dépêcher un huissier, tant qu’on y est ? Lors des attaques contre Charlie Hebdo, l’officier de sécurité n’aurait jamais eu le temps d’adresser de telles injonctions avant de riposter.

Je comprends bien entendu les inquiétudes de certains. Il existe de mauvais policiers, nous en sommes tous d’accord ; mais songeons, par exemple, aux deux jeunes femmes tuées dans le Var faute d’avoir eu une arme à la main ; si d’ailleurs elles avaient pu faire feu en entrant dans les lieux, on leur aurait reproché d’avoir anticipé sur la légitime défense.

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais non !

M. Gilbert Collard. Le fait est que certains magistrats, qui s’imaginent incarner la justice à eux seuls, ont une interprétation très restrictive de la légitime défense. Nous ne sommes plus à l’époque de la pèlerine et du sifflet à roulettes : au moins pourrions-nous accorder aux policiers une présomption réfragable de légitime défense. Qui peut croire qu’ils se lèvent le matin avec l’intention de tirer sur des gens ? S’ils le font, c’est bien évidemment parce qu’ils y sont contraints. Que peut faire un policier qui voit une voiture foncer droit sur lui ? Adresser des injonctions à son chauffeur ? Les évolutions dont je vous parle n’ont évidemment rien pour me réjouir ; mais, s’il nous faut préserver des garanties juridiques – et ne pas imiter le modèle américain, qui permet aux policiers de tirer comme au Far West –, on ne peut plus laisser les policiers dans la crainte d’une intervention les armes à la main qui les expose à un risque juridique.

Vous savez comme moi, monsieur Tourret, que l’interprétation de la légitime défense subjective varie beaucoup selon les magistrats ; c’est pourquoi nous devons préciser les contours de cette notion, en fonction, bien entendu, des statuts respectifs des gendarmes et des policiers. Bref, cette proposition de loi ne sert à rien, sinon à débattre et à afficher des intentions, au demeurant louables. La vérité est que vous avez peur d’aller jusqu’au bout, peur d’accorder un droit de riposte aux policiers en situation de légitime défense subjective, moyennant une présomption réfragable. Certaines situations ne permettent pas les calculs mentaux ou les analyses juridiques ; obliger les forces de l’ordre à de telles analyses, c’est aller au-devant de nouvelles oraisons funèbres.

Mme Colette Capdevielle. Outre qu’ils témoignent, une fois encore, d’une défiance à l’égard des magistrats, les propos de M. Collard sont de nature à alimenter les divisions entre la justice et les forces de l’ordre. L’efficacité de l’action publique et de la politique pénale exige pourtant que tous les acteurs travaillent ensemble. Les opposer ainsi en jouant sur les peurs est inacceptable.

La proposition de loi, je le répète au nom de notre groupe, est juridiquement inutile et dangereuse pour les policiers eux-mêmes.

M. Patrick Mennucci. Je souscris aux analyses de Dominique Raimbourg.

Ce n’est pas parce que l’on vous répond, madame Zimmermann, que l’on est misogyne. « Nous ne vivons décidément pas dans le même monde », avez-vous dit ; à quoi j’ai répondu : « En effet, nous ne vivons pas à Neuilly. » Cette saillie n’a évidemment rien de sexiste. De plus, j’ai appris que vous vivez désormais à Metz…

Hier soir, je me suis seulement contenté de rappeler qu’en matière de parité ce sont les règles en vigueur au sein des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui doivent s’appliquer à la métropole lyonnaise. J’ai beaucoup de respect pour vous, madame Zimmermann, et je comprends que votre élimination par le parti socialiste dans le canton de Metz 3 vous inspire quelque ressentiment (Protestations sur les bancs du groupe UMP), mais nous n’y sommes pour rien.

M. Guy Geoffroy. Si j’ai cosigné cette proposition de loi, c’est parce que le sujet qu’elle traite me semble important et que j’ai vécu, en tant que maire, un événement qui aura sans doute une résonance pour beaucoup d’entre nous. Un dimanche de septembre 1999, au petit matin, de dangereux individus ont volé des motos, fonçant sur les forces de police au moment où celles-ci tentaient de les interpeller. Deux policiers étaient présents : une jeune femme, qui faillit être tuée, et un de ses collègues, âgé de vingt-sept ans. Celui-ci, après les sommations d’usage, avait tiré sur le conducteur d’une moto, l’atteignant en plein cœur. Quant au complice, il se nommait Amedy Coulibaly…

Arrivé sur les lieux quelques minutes plus tard, je fus interrogé par un journaliste connu d’une grande radio nationale, qui me demanda de confirmer qu’il s’agissait d’une bavure policière. J’en fus, et en suis encore scandalisé. L’Inspection générale des services (IGS) et le procureur s’étant aussitôt rendus sur place, le jeune policier fut immédiatement lavé de tout soupçon ; mais dès le lendemain, il était muté d’office, pour sa propre sécurité, dans le Midi, où il a dû refaire sa vie, en raison des menaces dont il faisait et fait encore l’objet dans ma commune, tous les ans, à l’occasion d’une cérémonie d’« hommage » aux « victimes » de la prétendue « bavure policière ». Amedy Coulibaly a confié par la suite n’avoir jamais accepté que ce jeune policier soit resté libre, ajoutant que cet événement était à l’origine de son parcours. Quinze ans plus tard, le même fonctionnaire de police vit encore sous la menace d’une vengeance qui a désormais deux motifs : la mort d’un jeune homme pourtant tué en état de légitime défense, et celle d’Amedy Coulibaly.

La légitime défense des policiers est un sujet grave, qui mérite d’autres propos que ceux que nous venons d’entendre, comme le présent texte mérite un meilleur sort que celui qu’on lui réserve ; c’est en tout cas sur le fondement d’une expérience concrète que je lui apporte mon soutien.

M. le rapporteur. Je voudrais essentiellement apporter des réponses juridiques aux points qui ont été soulevés, ou plutôt aux questions qui ont été posées, de manière pertinente et équilibrée, et sans a priori, par M. Alain Tourret et par M. Dominique Raimbourg. Tous deux ont souligné la légitimité de ce débat. Ce dernier a même proposé qu’à l’issue du vote, nous puissions élargir la problématique en constituant une mission de réflexion.

Nous sommes en effet en face de problèmes soulevés par la jurisprudence de la Cour de cassation. Au demeurant, les propositions que je formule restent dans le cadre précis et contraignant fixé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est récemment prononcée à propos du tir d’un gendarme dirigé contre une personne menottée tentant de s’évader. Nous en avons tiré les conséquences, en établissant des critères nouveaux de responsabilité, avec l’objectif de rapprocher policiers et gendarmes.

Tout à l’heure, Jean-Frédéric Poisson faisait état du statut militaire de ces derniers. Je rappelle toutefois que, depuis 2009, ils sont rattachés au ministère de l’Intérieur. Il est difficile de concevoir que des dépositaires de l’autorité publique, confrontés à la même menace et agissant sous la même autorité ministérielle, soient soumis à deux régimes juridiques différents.

Dans son intervention, notre collègue Raimbourg a exprimé plus de doutes que de certitudes, car nous sommes en face d’un problème complexe. Aussi voulons-nous améliorer les possibilités d’interprétation, sans rien supprimer, pour les gendarmes, du code de la défense nationale. Nous souhaitons seulement préciser trois critères, des critères supplémentaires visant à harmoniser le statut de tous les dépositaires de la force publique utilisant la force armée. Je reprends la formule pour Alain Tourret, qui s’inquiétait d’une rédaction trop large de la proposition de loi – un amendement répondra à sa préoccupation, en restreignant la rédaction.

Monsieur Collard, vous avez caricaturé la proposition de loi, dont seul le 3° de son article unique concerne les sommations. En recourant à la notion de danger imminent, elle couvrirait une situation telle que celle qui s’est produite à Charlie Hebdo. La direction générale de la police nationale s’est penchée sur l’hypothèse d’un tueur fou ayant, tel Breivik, rangé son arme, et se trouvant dans la rue après avoir tué un nombre important de personnes. Cette notion de danger imminent recouvre des cas nouveaux. Mme Monéger, directrice de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), entendue dans le cadre de mes travaux préparatoires, était gênée de devoir convenir que des cas ne sont aujourd’hui en effet pas prévus. Nous parlons de ceux où la police a préalablement connaissance que cette personne a déjà tué.

Ensuite, nous évoquons les violences graves. Cela concerne les situations où un dépositaire de l’autorité publique ferait l’objet d’une attaque violente, tel le gendarme Nivel ou le commissaire Illy à Sarcelles, pris à partie par une quinzaine d’assaillants, toutefois non armés. Enfin, nous abordons la question des sommations. Monsieur Collard, vous parlez d’un huissier… Libre à vous de caricaturer le contenu de ce texte.

Monsieur Raimbourg, vous vous inquiétez de la définition des armes portées par les individus en question : elles peuvent être de tout type, mais doivent être en lien avec le danger, ce qui prévient les dérives que vous craignez. Je rappelle que la proposition n’établit pas de présomption de légitime défense, ce qui serait contraire à la Constitution, car cela induirait a contrario une présomption de culpabilité. Tel n’est pas l’objectif de cette proposition.

Nous ne faisons que sécuriser le cadre d’interprétation des magistrats. Il y a eu des condamnations qui nous conduisent à vouloir que la jurisprudence actuelle, qui n’est pas protectrice pour les policiers, puisse changer. Lorsque le danger est imminent, que des armes sont employées et que la nécessité est établie, les conditions sont remplies au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation comme de la Cour européenne des droits de l’homme.

Heureusement, madame Pochon, que M. Raimbourg a sauvé l’argumentation de la majorité. Sans vous faire de procès d’intention, j’ai noté que vous avez dit, sans doute par simple maladresse, que vous déplorez « quand même » la mort de policiers en service.

Plusieurs membres du groupe socialiste. Faux procès ! Vous avez mal entendu ! C’est lamentable.

M. le rapporteur. Pour conclure, vous vous êtes interrogée, en rappelant le texte naguère déposé par Philippe Goujon et Guillaume Larrivé, sur la question de savoir si le contexte aurait changé depuis son examen. Ignorez-vous que les dizaines de milliers de policiers désormais mobilisés en vertu du plan Vigipirate constituent autant de cibles, au même titre que les gendarmes et les autres militaires ? Assurément, le contexte a changé et il convient de s’adapter.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique
(art. 122-6-1 [nouveau] du code pénal)

Renforcement de la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique déployant la force armée dans des situations dangereuses

L’article unique de la présente proposition de loi vise à renforcer la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique lorsqu’ils sont victimes de violences à leur endroit ou, dans des conditions limitatives et strictement encadrées, en cas d’usage de leurs armes.

À titre liminaire, votre rapporteur souhaite souligner que n’est pas ici proposée une présomption de légitime défense, à la différence de la proposition de loi qu’avait examinée le Sénat en 2013. Il s’agit de renforcer la protection reconnue aux dépositaires de l’autorité publique, notamment les policiers, en définissant un cadre légal de l’usage de la force armée, étendu par rapport au droit existant – qui s’avère insuffisant – mais offrant toutes les garanties exigées par les impératifs démocratiques et le droit européen grâce à un encadrement strict. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle avait été déposé un amendement tendant à insérer l’article additionnel porté par la présente proposition de loi non pas après l’article 122-6 du code pénal, qui a trait à la présomption de légitime défense, mais après l’article 122-4 du même code, relatif à l’ordre de la loi, et avant l’article 122-5 consacré à la légitime défense. L’adoption de l’amendement de suppression de l’article unique, déposé par M. Sergio Coronado, a fait obstacle à son examen.

Ainsi que cela a été précisé dans l’exposé général, le droit commun de l’irresponsabilité pénale objective, à savoir la légitime défense, prévue à l’article 122-5 du code pénal, et l’état de nécessité, prévu à l’article 122-7 du même code, n’offrent pas une protection suffisante aux dépositaires de l’autorité publique lorsque ceux-ci font usage de leurs armes. Certaines situations dangereuses échappent en effet aux conditions posées par la lettre de la loi ou l’interprétation qu’en font les juridictions judiciaires.

Par ailleurs, la différence entre le cadre légal applicable aux gendarmes et le droit commun auxquels sont soumises les autres forces de l’ordre ne se justifie plus, compte tenu de la proximité des missions réalisées et des dangers encourus, mais également du fait, s’agissant de la gendarmerie et de la police nationales, d’un rattachement administratif à la même administration (23) et de règles déontologiques communes.

1.  Le renforcement de leur protection pénale offrira aux dépositaires de l’autorité publique une sécurité accrue

L’article unique de la présente proposition de loi introduit dans le code pénal une nouvelle hypothèse d’irresponsabilité pénale, non seulement au bénéfice des policiers, mais de l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique appelés à avoir recours à la force armée dans le cadre de leurs fonctions. Les hypothèses visées par cette irresponsabilité sont strictement encadrées et limités aux situations dangereuses, où la sécurité des personnes est en jeu.

a.  Les personnes éligibles au renforcement de la protection pénale

Les personnes éligibles au dispositif qu’entend introduire la proposition de loi sont, aux termes des alinéas 2 et 3 de son article unique, les « dépositaires de l’autorité publique ». Cette notion vise toute personne exerçant une fonction publique dans l’intérêt général et détentrice, par délégation de la puissance publique, d’un pouvoir de décision et de contrainte sur les personnes et les choses. Elle inclut, en plus des gendarmes et policiers nationaux, les policiers municipaux, les agents de surveillance de Paris, les agents assermentés de la Société nationale des chemins de fer, les douaniers ou encore les magistrats, les préfets et les présidents d’assemblées délibérantes locales.

Notons, s’agissant des gendarmes, que seront ici concernés l’ensemble des personnels, notamment les gendarmes adjoints volontaires, là où l’article L. 2338-3 du code de la défense ne vise que les officiers et sous-officiers.

Le choix d’une telle rédaction est motivé par le souci de protéger de façon accrue l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique, qui sont de plus en plus souvent, en raison de leurs fonctions, des cibles privilégiées de la part des criminels. Certes, toute agression commise contre un dépositaire de l’autorité publique à raison de ses fonctions est une circonstance aggravante (24). Toutefois, l’effet dissuasif est souvent insuffisant pour prévenir les agressions contre ces personnes.

Ce choix fait également écho aux « Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois », adoptés par le huitième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants en 1990 (25), qui fait référence aux « responsables de l’application des lois ». Cette notion regroupe tous les représentants de la loi, désignés ou élus, qui détiennent des pouvoirs de police, notamment d’arrestation ou de détention (26). Elle est donc proche de celle de dépositaires de l’autorité publique, qui vise notamment la détention d’un pouvoir de contrainte.

Le fait de retenir une rédaction large, s’agissant de la population susceptible de bénéficier des cas de légitime défense prévus par le texte, n’aura naturellement pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre à l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique de faire usage d’armes – dont la plupart sont au demeurant dépourvus au titre de leurs fonctions. Néanmoins, afin de se prémunir d’une éventuelle ambiguïté et d’éviter toute dérive, telle que l’emploi d’une arme privée par un policier municipal dans une commune qui n’a pas choisi d’équiper ses agents d’armes à feu – ou, pour prendre un exemple extrême, le cas d’un élu armé d’un fusil de chasse –, avait été déposé un amendement tendant à limiter le bénéfice des nouvelles dispositions proposées aux dépositaires de l’autorité publique régulièrement autorisés à porter une arme. Il n’a pu être examiné par votre Commission à la suite de l’adoption de l’amendement de suppression de l’article unique de la proposition.

À travers les dépositaires de l’autorité publique, c’est à la République que s’en prennent leurs agresseurs. La République se doit donc d’adopter une réponse ferme pour garantir sa défense et la sécurité de ses serviteurs.

b.  L’irresponsabilité pénale en cas d’usage de la force armée pour faire face à des agressions et des dangers imminents

Le premier alinéa de l’article 122-6-1 (nouveau) du code pénal introduit par l’article unique de la proposition de loi permet aux dépositaires de l’autorité publique de faire usage de la force armée lorsqu’ils sont victimes de violence ou de voies de fait et qu’ils accomplissent, ce faisant, un acte de défense. Une telle hypothèse recouvre une situation de légitime défense.

La force armée, qui fait l’objet des autres alinéas de cet article, n’est pas expressément visée : est ici concerné tout acte susceptible d’offrir à son auteur une protection nécessaire. L’insertion de cette hypothèse dans un article qui, d’une manière générale, porte sur le recours à la force armée se justifie par le souci de cohérence et de lisibilité qui irrigue cette proposition de loi, en regroupant dans le même article l’ensemble des cas d’irresponsabilité pénale à portée générale (et donc non limités à des hypothèses exceptionnelles telles que des manifestations ou des interventions en milieu carcéral).

Le de ce nouvel article autorise l’usage d’armes à feu par les dépositaires de l’autorité publique lorsque ces derniers ou autrui sont menacés d’un danger imminent par des personnes armées.

Le , quant à lui, permet l’emploi de la force armée en cas de violences graves qui ne peuvent être arrêtées autrement. Il ne doit pas être confondu avec le premier alinéa dans la mesure où est ici expressément visé l’emploi des armes.

Les éléments traditionnels de la gravité du danger et de la proportionnalité de la riposte se retrouvent dans ces deux hypothèses : l’imminence du danger accentuée par l’emploi d’armes par les personnes faisant face aux forces de l’ordre, pour le 1°, l’absence d’alternative pour faire cesser des violences, pour le 2°.

Ces deux alinéas offrent donc aux agents, par la consécration législative de la possibilité d’utiliser la force armée dans des hypothèses définies, une sécurité juridique accrue et, par conséquent, garantissent leur intégrité physique en évitant qu’ils ne se mettent inutilement en danger en n’employant pas la force armée nécessaire par crainte de poursuites.

Il convient de souligner que le 1° est plus encadré que ce que prévoyait la proposition de loi de M. Larrivé discutée en 2012, en exigeant, pour ouvrir le recours à la force armée, un « danger imminent » et non une simple menace.

Surtout, cette notion de « danger imminent » est à même de répondre à des situations qui ne s’inscrivent pas dans les éléments constitutifs de la légitime défense définie à l’article 122-5 du code pénal. En effet, ainsi qu’il a été vu, celle-ci exige une réponse simultanée à l’atteinte, entraînant de ce fait une réelle mise en danger de l’agent public. Si la jurisprudence admet une agression objectivement vraisemblable, les risques d’interprétations divergentes et la difficulté liée à l’appréciation d’une situation qui n’est pas formellement prévue par la loi n’offrent pas aux agents un cadre clair et une sécurité juridique suffisante.

Avec le dispositif proposé, ces derniers pourront agir face à un danger qui va surgir, mais qui n’est pas encore matériellement constitué, sans craindre de ne pas être dans les cas prévus par la jurisprudence ni redouter une interprétation nouvelle des juges. Ce 1° offre ainsi une sécurité maximale en permettant de répondre aux situations dans lesquelles, par exemple, des armes blanches sont employées. La proximité nécessaire à l’usage de telles armes rend quasiment impossible une riposte utile dans le même temps que l’agression ; en revanche, le critère lié à l’imminence du danger permet de prévenir toute atteinte à la vie des personnes. Cette situation, loin d’être un cas d’école, est malheureusement une réalité : en octobre 2011, une policière avait été tuée à coups de sabre dans la préfecture du Cher, à Bourges. Les témoins de la scène, ainsi que l’ont fait valoir les organisations syndicales du personnel de la police nationale entendues par votre rapporteur, avaient indiqué que la jeune femme semblait hésiter à agir, n’étant pas certaine de se situer dans le cadre légal de la légitime défense.

Le 2° permet de faire face à des situations particulièrement délicates pour les forces de l’ordre. Le lynchage par une trentaine de personnes à Villiers-le-Bel qu’avait subi en 2007 le commissaire divisionnaire de Sarcelles, Jean-François Illy, témoigne de la gravité des violences qui peuvent être exercées contre les policiers. L’agression du maréchal des logis-chef Daniel Nivel par des supporters allemands en juin 1998 constitue un autre cas, parmi de trop nombreux exemples, de ce que peuvent supporter les forces de l’ordre.

Ces deux alinéas ont recueilli un assentiment unanime de la part des organisations syndicales du personnel de la police nationale que votre rapporteur a pu entendre dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen de la présente proposition de loi. Celles-ci ont souligné l’intérêt et le caractère bienvenu de ces dispositions, qui offrent un cadre juridique clair et sécurisant pour les agents des forces de l’ordre, tout en assurant un équilibre avec les impératifs de maîtrise de la force et de respect de la vie.

Il pourrait certes être soulevé, à titre d’objection, que l’état de nécessité prévu par l’article 122-7 du code pénal couvre déjà les hypothèses qu’entendent satisfaire les 1° et 2° du nouvel article proposé.

Toutefois, ainsi qu’il a été vu, l’état de nécessité a un champ très large et ne concerne que rarement l’emploi de la force armée, pour lequel il est moins fréquemment invoqué ; la preuve en est des nombreuses décisions intéressant la police ou la gendarmerie rendues au visa de l’article 122-5 par rapport à celles faisant référence à l’article 122-7. En outre, il ne saurait jouer en cas de danger putatif. Enfin, une incertitude subsiste quant à son invocabilité lorsque les intérêts défendus sont de même valeur que ceux auxquels il est porté atteinte.

L’ensemble de ces éléments militent pour une consécration sans ambiguïté des cas dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent faire usage de leurs armes. L’appréciation unanimement positive portée par l’ensemble des syndicats de policiers entendus par votre rapporteur, l’appétence de celles-ci pour le dispositif qui vous est proposé, témoignent de la pertinence de ce dernier et de l’urgence de son inscription dans le droit pénal positif français.

Le du nouvel article 122-6-1 autorise les dépositaires de l’autorité publique à faire usage de leurs armes lorsque des individus, également armés, refusent de déposer leurs armes après deux sommations.

La première sommation tend à faire déposer les armes par leurs détenteurs. La seconde, en cas d’inobservation de la première, ajoute qu’à défaut d’obtempération, il sera fait feu. Les personnes ciblées sont donc averties des conséquences que leur résistance pourrait entraîner. L’exigence de deux sommations constitue une garantie de l’équilibre du dispositif. Un amendement, qui n’a pu être examiné du fait de sa chute, précisait ce que doit être la nature de chaque sommation sans pour autant citer la lettre des termes qui doivent être prononcés en ces circonstances. Il serait en effet regrettable qu’une sommation au fond identique, mais dont la forme diffèrerait de ce qui serait écrit dans le code pénal, entraîne l’exclusion du bénéfice du dispositif proposé. Le feu de l’action, la tension qui l’accompagne, sont en effet susceptibles d’entraîner de légères déformations de formules consacrées, sans pour autant en altérer le sens ou l’intelligibilité. Cet amendement entendait également ajouter que la qualité de l’auteur des sommations doit être annoncée.

La preuve du prononcé de ces sommations pourra naturellement être apportée par tout moyen, mais l’emploi d’un système d’enregistrement automatique (vidéo ou audio) lorsque l’arme est sortie de son étui serait une solution extrêmement opportune, et dont le principe est souhaité par certaines organisations syndicales de la police nationale.

Votre rapporteur souhaitait également préciser, au travers d’un amendement en ce sens, que les personnes refusant de déposer leurs armes doivent avoir un comportement manifestement dangereux. Cet ajout n’était pas, en soi, nécessaire pour assurer une compatibilité entre le dispositif et le droit européen. Néanmoins, il aurait offert une sécurité juridique accrue aux dépositaires de l’autorité publique par la clarification qu’il apporte. N’aurait ainsi pu être prise pour cible une personne entendant se rendre et, pour ce faire, mettant les mains en l’air, tout en conservant son arme malgré les sommations. En revanche, une personne ne manifestant pas l’intention de se rendre ou tentant de s’enfuir avec son arme au poing, pouvant ainsi en faire usage contre d’autres personnes, fait peser un danger réel et a un comportement dangereux, supposant la reconnaissance aux forces de l’ordre de la possibilité de l’arrêter.

Les 4° et 5° reprennent pour l’essentiel une partie des dispositions de l’article L. 2338-3 du code de la défense et ouvrent la possibilité d’employer la force armée pour défendre une position occupée, s’il n’y a pas d’autre solution pour ce faire (4°), ou pour immobiliser un véhicule dont le conducteur n’obtempère pas aux ordres d’arrêt, à défaut d’autre moyen (5°) (27).

Les tirs sur véhicules, qui sont de plus en plus utilisés comme armes contre les agents publics, policiers ou gendarmes, représentent la moitié des cas d’utilisation par les policiers nationaux de leur arme de service. Il s’agit de situations particulièrement dangereuses, qui entraînent malheureusement la mort de dépositaires de l’autorité publique. Peut être ici mentionné le tragique décès du major Daniel Brière survenu en octobre 2012, percuté par un automobiliste qui voulait forcer un barrage et a orienté son véhicule sur le gendarme de façon délibérée.

Afin d’éviter toute insécurité juridique ou toute mise en danger injustifiée de leur vie par les dépositaires de l’autorité publique, votre rapporteur proposait d’adopter, au 5°, un amendement subordonnant l’emploi de la force armée pour arrêter un véhicule lorsque l’usage de l’arme ne fait pas courir aux tiers un risque manifeste. Cet amendement tendait à éviter que l’usage de l’arme à feu entraîne des dommages collatéraux, tels qu’une sortie de route d’un véhicule qui irait faucher des piétons. Comme les autres amendements de votre rapporteur, il n’a pas été discuté en raison de la suppression de l’article unique par votre Commission.

Enfin, le dernier alinéa de l’article unique, quant à lui, précise que les dépositaires de l’autorité publique peuvent employer des engins d’immobilisation de véhicules lorsque leur usage est nécessaire, tels que des herses, des câbles ou des hérissons, matériels mis en travers des voies pour bloquer la circulation. Cette possibilité existe déjà, aux termes de l’article L. 2338-3 du code de la défense, pour les gendarmes. Le nouvel article que tend à introduire la présente proposition de loi vise cependant une population plus large, ainsi qu’il a été vu, et ne subordonne pas expressément l’usage des moyens d’arrêt des véhicules au port ostensible de l’uniforme et de badges.

Votre rapporteur souhaite préciser que les armes détenues par les individus concernés par l’intervention des forces de l’ordre ne sont pas nécessairement des armes à feu. En effet, ainsi qu’il a été vu, des armes blanches peuvent faire peser sur la vie des personnes un danger patent. Plus généralement, sont visées non seulement les armes par nature, mais également les armes par destination afin de couvrir toutes les hypothèses auxquelles pourraient faire face les forces de l’ordre et d’éviter qu’un champ trop restreint prive les agents du bénéfice du dispositif proposé alors que l’emploi de la force armée était justifié. Toutefois, s’agissant de cette dernière catégorie d’armes, il convient de souligner le nécessaire lien à établir avec la dangerosité présentée et le risque encouru par les personnes. Cette relation avec les circonstances de fait, cette articulation entre l’objet détenu et sa dangerosité, prémunissent le texte de toute imprécision et de toute interprétation extensive non souhaitée, dans le souci permanent d’équilibre et d’encadrement qui nourrit cette proposition de loi.

2.  L’encadrement rigoureux de l’usage de la force armée ne bouleverse pas l’édifice juridique français et assure une compatibilité avec le droit européen

Le dispositif introduit par la présente proposition de loi fait l’objet d’un encadrement rigoureux conforme aux exigences posées par la CEDH et l’interprétation qu’en fait la Cour européenne des droits de l’homme. Il n’emporte pas ailleurs pas de modification des règles procédurales, notamment s’agissant de la charge de la preuve : encore une fois, il ne s’agit pas d’une présomption de légitime défense.

a.  La force armée employée par les dépositaires de l’autorité publique ne concerne pas seulement les armes mortelles

Si les armes à feu – armes de poing (pistolets) ou armes d’épaules (fusils) – sont celles auxquelles il est naturellement fait référence dans les hypothèses d’emploi de la force armée, il y a lieu de relever que cette dernière ne se limite aucunement à ces catégories.

En effet, figurent également dans cette notion les armes d’arrêt dont disposent les forces de l’ordre, telles que les lanceurs de balles de défense (LBD), armes utilisant des balles (flash-ball de 44 mm, pour des tirs prévus jusqu’à 20 mètres) ou des projectiles non sphériques (pour le plus récent LBD 40, de 40 mm), susceptibles d’arrêter tout individu jusqu’à une distance de 50 mètres.

Il convient à cet égard de relever que le cadre légal en matière de dispersion de manifestations, qui seul, avec les interventions en milieu carcéral, autorise textuellement la police à faire un usage de la force armée, prévoit que les armes qui peuvent être utilisées sont les LBD, sauf pour riposter à des tirs.

Il pourrait être soutenu que les LBD peuvent, en fonction de leurs modalités d’emploi, entraîner la mort de la personne prise pour cible. La Commission nationale de la déontologie de la sécurité a ainsi pu relever que les tirs de LBD 40 sont susceptibles de revêtir un caractère létal s’ils sont effectués à très courte portée (jusqu’à 5 mètres), et d’entraîner des lésions traumatiques sévères à courte portée (jusqu’à 15 mètres).

Toutefois, les décès ou traumatismes subis par les personnes cibles de tirs de LBD sont des accidents et ne constituent en aucun cas les conséquences d’un usage normal de ces armes. À égard, relevons que la doctrine d’emploi des LBD prohibe les tirs au visage, précisément pour prévenir ce genre de dommages.

En conséquence, le dispositif prévu par la présente proposition de loi ne concerne pas seulement la force mortelle, mais bien toutes les armes dont disposent les forces de l’ordre, au premier rang desquelles se trouvent les armes non létales. Le dispositif qui vous est proposé n’a donc en aucun cas pour objet et ne saurait avoir pour effet de généraliser l’usage par les forces de l’ordre d’armes à feu mortelles : la large gamme des armes susceptibles d’être employées tend à assurer une adaptation de la riposte aux atteintes subies, en fonction de la gravité et de la dangerosité de celles-ci.

b.  Les conditions de recours à la force armée sont compatibles avec le droit européen et le respect du droit à la vie

Votre rapporteur souhaite insister sur l’encadrement du recours à la force que prévoit le dispositif contenu dans la présente proposition de loi et l’absence d’atteinte au droit à la vie, tel que défini par la CEDH et la Cour européenne des droits de l’homme.

S’agissant des situations prévues aux 1° et 2°, ainsi qu’il a été vu, l’usage de la force armée est ouvert en cas de danger caractérisé et d’absence d’alternative. L’hypothèse visée par le 4° concerne également des actes nécessaires à la sauvegarde de personnes ou de biens, et en cas d’absolue nécessité, notion à laquelle fait écho l’absence d’autre solution.

L’imminence du danger, qui ne se confond pas avec la stricte simultanéité qu’exige l’article 122-5 du code pénal français, n’est pas incompatible avec le droit européen. L’absolue nécessité qu’exige la Cour s’apprécie en effet au regard de la menace que l’individu pris pour cible fait peser sur la vie ou l’intégrité physique des personnes et du soupçon pesant sur ledit individu d’avoir commis une infraction à caractère violent. Si ces deux éléments ne sont pas réunis, l’usage de la force armée est condamné. A contrario, leur satisfaction établit la dangerosité de l’individu pris pour cible (28). Il n’est donc pas indispensable que l’action des forces de l’ordre soit simultanée à une agression ; la prévention d’une menace réelle est admise.

S’agissant de la proportionnalité, les juges européens ont une approche pragmatique qui tient compte, pour apprécier le bon emploi de la force armée, de la particularité de la situation dans laquelle sont placées les forces de l’ordre et de la bonne foi de leur intervention. Elle indique ainsi qu’elle « ne saurait toutefois, en réfléchissant dans la sérénité des délibérations, substituer sa propre appréciation de la situation à celle des agents qui devaient réagir, dans le feu de l’action » (29). De ce point de vue, le dispositif proposé n’entraîne pas un usage disproportionné de la force armée. Au demeurant, il convient de rappeler que des personnes non armées peuvent tuer quelqu’un ; dans une telle hypothèse, l’emploi de la force armée ne serait pas hors de proportion s’il était le seul moyen de faire cesser la menace.

En ce qui concerne le 5°, il convient de souligner que l’objectif est d’immobiliser un véhicule, non directement de tirer sur une personne. Par ailleurs, un amendement proposera d’encadrer le recours à la force armée dans de telles situations, ainsi qu’il a été vu.

Enfin, le 3° offre, lui aussi, toute les garanties requises. L’originalité de ce dispositif tient au fait qu’il se détache de ce qui existe au bénéfice des gendarmes.

Ainsi qu’il a été vu, le dispositif propre aux gendarmes, dont la lettre leur permettait de tirer sur une personne cherchant à fuir après des sommations non suivies d’effet, n’a été jugé compatible avec la CEDH qu’en raison du fort encadrement dont il avait fait l’objet par la Cour de cassation, qui avait neutralisé la portée des dispositions en cause. Pour que des tirs sur une personne en fuite soient réguliers, il faut qu’il s’agisse de la seule solution possible et que cela soit absolument nécessaire, ainsi qu’il ressort de la décision Guerdner contre France déjà mentionnée, mais également de la décision Ülüfer contre Turquie du 5 juin 2012 (30). Dans les deux affaires, étaient en cause des membres des forces de l’ordre qui avaient abattu un détenu menotté qui tentait de se soustraire à leur garde. Chaque fois, l’absence de danger immédiat et, par conséquent, le défaut de la condition liée à l’absolue nécessité de l’emploi des armes, avaient été retenus. Notons, dans un souci d’exhaustivité, que le cadre légal turc, à la différence de la législation française bien encadrée par la jurisprudence et les circulaires, était beaucoup plus permissif et avait été jugé en tant que tel incompatible avec la Convention. En tout état de cause, les dispositions soumises à l’appréciation de la Cour autorisaient l’usage de la force armée même en l’absence de menace réelle.

Loin de telles dispositions permissives, le 3° du nouvel article 122-6-1 du code pénal qui serait créé ici ne permet l’emploi de la force armée que dans l’hypothèse où un individu armé refuse de déposer son arme malgré deux sommations en ce sens, la seconde le prévenant que faute pour lui d’obtempérer, la force sera employée. Il n’y a ainsi aucune comparaison possible avec la situation d’un individu en fuite, entravé et non armé telle qu’a eu à en connaître la Cour européenne des droits de l’homme dans les deux affaires précitées ; le dispositif proposé est strictement limité à une situation par nature dangereuse (31). Les conclusions de la Cour dans ces affaires ne sauraient par conséquent être transposées au 3° et l’enrichissement du code pénal qui vous est soumis, de par son encadrement clair et ferme, apparaît bien compatible avec le droit européen tel qu’interprété par la Cour.

c.  Le nouveau régime d’irresponsabilité pénale n’entraînera pas un renversement de la charge de la preuve

À la différence d’une présomption de légitime défense, que n’entend aucunement mettre en place la proposition de loi qui vous est soumise, l’irresponsabilité pénale qui découle du dispositif proposé n’aura pas pour effet de préserver les membres des forces de l’ordre de poursuites et de condamnations si la force armée n’est pas utilisée dans les hypothèses prévues.

En tout état de cause, il appartiendra aux agents d’établir que les conditions d’utilisation de la force armée s’inscrivaient dans le cadre légal en vigueur, à défaut de quoi leur responsabilité pénale sera retenue. Certes, les agents pourront se contenter d’avancer la satisfaction générale des éléments constitutifs de l’ordre de la loi et de la conformité de l’action en cause avec les exigences du droit européen, à charge pour le parquet, s’il l’estime nécessaire, de démontrer qu’il n’en est rien. Néanmoins, la preuve de l’irresponsabilité incombera toujours à la personne s’en prévalant.

À cet égard, peut être mentionné le logiciel TSUA (« Traitement suivi usage des armes ») employé par la police nationale, qui recense et permet d’exploiter toutes les déclarations d’utilisation d’armes par les policiers. Cet outil, précieux, pourra utilement servir pour concourir à l’établissement ou non de la réunion des conditions posées par la loi pour l’emploi de la force armée.

*

* *

La Commission examine l’amendement CL1 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement tend à la suppression de l’article. J’observe que le travail de notre collègue Collard inspire de nombreuses propositions de loi, et pas seulement de l’opposition. Je vous renvoie aux comptes rendus de nos précédentes réunions en soulignant que la réprobation n’a pas toujours été au rendez-vous.

La protection des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions constitue une préoccupation partagée par l’ensemble des membres de cette commission. Cela explique que les crédits qui leur sont alloués aient été préservés même en période de rigueur budgétaire. C’est un signe fort.

Il me semble que le consensus nécessaire pour l’adoption d’une telle réforme fait défaut. À mon sens, un tel alignement de statut et l’introduction d’une irresponsabilité pénale des policiers en service relèveraient d’ailleurs davantage d’une décision de l’exécutif, car nous entrons, en abordant cette question, dans un champ régalien.

Je ne vous ferai toutefois pas de procès d’intention, monsieur Ciotti, en vous reprochant de déposer une proposition de loi de circonstance, alors que l’opposition a montré au contraire sa volonté constante de procéder à cet alignement et d’introduire cette irresponsabilité pénale pour les policiers dans l’exercice de leurs fonctions.

Par ailleurs, même si l’on considère qu’un débat sur le sujet est légitime, je souligne que la proposition de Dominique Raimbourg se rapproche de la démarche déjà mise en œuvre en 2012, quand M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, avait confié une mission de réflexion à M. Mattias Guyomar. Je vous rappelle que cette mission avait conclu à un renforcement de la protection fonctionnelle des policiers plutôt qu’à un alignement de statut.

En pratique, le nombre de décès de policiers en service reste élevé, mais il n’a pas explosé. Il a même – heureusement – légèrement diminué. L’utilisation des armes, même en cas de légitime défense, doit être strictement encadrée, comme c’est le cas dans les droits étrangers. Je propose donc la suppression de cet article unique.

M. Bernard Gérard. Je vous livrerai un simple témoignage. Il y a peu, je me suis rendu dans le commissariat de ma ville, où les policiers nationaux étaient littéralement barricadés à la suite d’instructions leur défendant de passer par leur portail d’accès habituel, consistant en une porte en verre dépourvue de gâche électrique, car l’État n’a pas encore eu les moyens nécessaires pour fournir l’équipement nécessaire à leur mise en défense.

Il en va de la sécurité comme de la santé. Sur le plan des principes, tout le monde devrait être pour. Pour cette raison, je souscris à la proposition d’aujourd’hui. La suggestion nuancée de M. Raimbourg m’agrée également. Quel que soit le sort de la présente proposition de loi, la réflexion méritera en tout état de cause d’être poursuivie. Enfin, pourrions-nous entendre le ministre de l’Intérieur pour savoir quelles mesures il prend pour protéger les policiers dans les commissariats ? Comment avancer sur une solution respectueuse des droits fondamentaux, mais propre également à renforcer la protection de notre police nationale ?

M. le rapporteur. Avis défavorable. Monsieur Coronado, vous avez l’honnêteté de reconnaître que l’adoption de votre amendement clorait le débat, en faisant tomber l’ensemble de la proposition de loi. Puisqu’il s’agit d’un débat important, prenons plutôt la possibilité d’enrichir le texte, comme M. Raimbourg nous y invite.

Refuser le débat enverrait un message grave à l’opinion publique. Madame Pochon, vous soulignez qu’Alliance, syndicat auquel je comprends que vous n’apportez aucun soutien explicite, est favorable la présente proposition de loi. Mais cette organisation est le syndicat majoritaire chez les gardiens. En outre, au cours des auditions que nous avons menées, six des sept organisations syndicales de la police nationale se sont prononcées en faveur de l’adoption du texte. Mme Monéger, directrice de l’Inspection générale de la police nationale, est également convenue que la question mérite d’être examinée.

La Commission adopte l’amendement.

L’article unique est ainsi supprimé, et les amendements CL2, CL3, CL4, CL5, CL6, CL7 et CL8 du rapporteur tombent.

En conséquence, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La proposition de loi sera examinée en séance publique jeudi 2 avril 2015 dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe UMP.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi présentée par M. Éric Ciotti et plusieurs de ses collègues relative à la légitime défense des policiers (n° 2568).

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

l Ministère de l’Intérieur - direction des libertés publiques et des affaires juridiques

—  M. Éric Tison, sous-directeur des libertés publiques

—  M. Hugues Courtial, chef du bureau des questions pénales - sous-direction des libertés publiques

l Ministère de l’Intérieur - direction générale de la police nationale

—   Mme Marie-France Moneger, directrice de l'inspection générale de la police nationale

l Ministère de l’Intérieur - direction générale de la gendarmerie nationale

—  Général de corps d'armée Michel Pattin, directeur des opérations et de l'emploi

—  Colonel Armando de Oliveira, commandant la région de gendarmerie de Picardie

l Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN)

—  M. Arnaud Bavois, délégué

l Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI)

—  M. Christophe Dumont, secrétaire national

l Synergie Officiers

—  M. Mohamed Douhane, secrétaire national

l Unité SGP Police-FO

—  M. Stéphane Lievin, délégué national

—  M. Grégory Joron, délégué national

l Alliance police nationale

—  M. Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint

—  M. Laurent Laclau Lacrouts, délégué national

—  M. Henri Bontempelli, délégué national

l UNSA Police

—  M. Christophe Bonvalet, secrétaire national province

CONTRIBUTION ÉCRITE REÇUE PAR LE RAPPORTEUR

Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)

—  M. Olivier Boisteaux, président

© Assemblée nationale

1 () Article 122-5 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction. »

2 () Article 122-7 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

3 () Voir par exemple Cass., crim., 7 août 1873 ; D. 1873.1.385 ; Cass., crim., 17 mai 1977, JCP. 1978.II.18869 ou encore, pour une illustration récente, Cass., crim., 12 mars 2013, n° 12-82.683.

4 () Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 16e édition, p. 710.

5 () Article L. 4123-12 du code de la défense.

6 () Cass., crim., 18 février 2003, Bull. crim. n° 41.

7 () Qui a au demeurant été proscrite par les protocoles additionnels à la Convention n°s 6 de 1983 et 13 de 2002.

8 () Ces trois hypothèses sont, d’une part, la défense de toute personne contre la violence illégale, d’autre part, l’arrestation régulière ou l’empêchement de l’évasion d’une personne régulièrement détenue, enfin, la répression, conformément à la loi, d’une émeute ou d’une insurrection.

9 () CEDH, 27 septembre 1995, Mac Cann, Farell et Savage c. Royaume-Uni, n° 18984/91 : dans cette affaire, la Constitution de Gibraltar rendait régulière une mort consécutive à un recours à la force « raisonnablement justifiable », loin de l’absolue nécessité requise par la Convention.

10 () CEDH, 17 avril 2014, Guerdner, Schatz, Chabaud et Gimenez c. France, n° 68780/10.

11 () Op. cit., § 66, 69 et 74.

12 () Les trois premières sections du chapitre IV du titre III du livre IV de la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure, portant code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale, sont communes aux deux forces (articles R. 434-1 à R. 434-27).

13 () La notion de décès en mission concerne les décès survenus en opération de police ou en service commandé, au cours desquels l’agent met en œuvre les prérogatives liées à sa fonction. Elle se distingue de la notion de décès en service, qui vise les décès survenus pendant le temps du service ou sur le trajet entre le domicile de l’agent et son lieu de travail. La même distinction sera retenue s’agissant des blessures.

14 () Deux policiers nationaux et une policière municipale.

15 () Peut ici, à titre d’exemple, être cité le braquage d’un supermarché à Marseille le 27 novembre 2012, au cours duquel les assaillants ont tiré sur des policiers avec des fusils d’assaut AK-47. D’une manière générale, les fusillades mettant en œuvre des armes d’assaut se sont multipliées ces dernières années, particulièrement dans les Bouches-du-Rhône.

16 () Une protection fonctionnelle renforcée des policiers et des gendarmes, rapport remis au Premier ministre par M. Mattias Guyomar le 13 juillet 2012.

17 () Proposition de loi précisant les conditions de l’usage légal de la force armée par les représentants de l’ordre dans l’exercice de leurs missions et renforçant la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes (n° 191), déposée le 12 septembre 2012 par MM. Guillaume Larrivé, Éric Ciotti, Philippe Goujon et plusieurs de leurs collègues.

18 () Rapport de M. Guillaume Larrivé, au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, n° 462, du 28 novembre 2012.

19 () Proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu (n° 767), déposée le 18 septembre 2012 par MM. Louis Nègre, Pierre Charon et plusieurs de leurs collègues.

20 () Rapport de Mme Virginie Klès, au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat, n° 453 (2012-2013), du 27 mars 2013.

21 () Dalloz, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, rubrique « Légitime défense », § 180.

22 () Il convient de préciser que le protocole additionnel n° 13 à la CEDH, ratifié par 44 États dont la France, abolit la peine de mort en toutes circonstances. La seconde partie du premier alinéa de l’article 2 de la Convention n’a donc plus d’objet à l’égard des État qui ont ratifié ce protocole. La France a en outre révisé sa Constitution en 2007 afin d’y introduire, à l’article 66-1, l’abolition générale de la peine de mort.

23 () En vertu de l’article L. 3225-1 du code de la défense, introduit par l’article 1er de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

24 () À titre d’exemple, le meurtre d’un dépositaire de l’autorité publique es qualités est puni, aux termes de l’article 221-4 du code pénal, de la réclusion criminelle à perpétuité – là où le droit commun prévoit une peine de 30 ans – qui peut être assortie d’une période de sûreté de 30 ans – alors qu’elle est en principe limitée à 22 ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

25 () Ce Congrès des Nations unies s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990. Il précise le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 17 décembre 1979 (résolution n° 34/169).

26 () Article premier de la résolution n° 34/169 du 17 décembre 1979 de l’Assemblée générale des Nations unies portant code de conduite pour les responsables de l’application des lois.

27 () Cette possibilité est également ouverte, s’agissant des policiers nationaux, par l’article L. 214-2 du code de la sécurité intérieure, qui a codifié l’article 25-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité.

28 () CEDH, 6 juillet 2005, Natchova et autres c. Bulgarie, n°s 43577/98 et 43579/08, notamment les § 95 et 107.

29 () CEDH, 9 octobre 1997, Andronicou et Constantinou c. Chypre, n° 86/1996/705/897, § 192.

30 () CEDH, 5 juin 2012, Ülüfer c. Turquie, n° 23038/07.

31 () Op. cit., § 69-70, dans lesquels la Cour, pour retenir l’absence de dangerosité de la victime, relevait qu’elle n’était pas armée.