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Amendements  sur le projet ou la proposition

ogo2003modif

N° 2744

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mai 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, relative à la protection de l’enfant,

PAR Mme Annie LE HOUEROU,

Députée.

——

Voir les numéros :

Sénat : 799 (2013-2014), 146, 147, 139 et T.A. 76 (2014-2015).

Assemblée nationale : 2652 rect et 2743.

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS 7

INTRODUCTION 9

TRAVAUX DE LA COMMISSION 15

I. AUDITION DE LA MINISTRE 15

II. DISCUSSION GÉNÉRALE 35

III. EXAMEN DES ARTICLES 37

TITRE IER – AMÉLIORER LA GOUVERNANCE NATIONALE ET LOCALE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE 37

Article 1er (art. L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles) : Création d’un conseil national de la protection de l’enfance 37

Article 1er bis (nouveau) (art. L. 112-5 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles) : Mise en place, dans chaque département, d’un protocole entre les acteurs institutionnels et associatifs chargés de la prévention 41

Article 2 (art. L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles) : Missions des observatoires de la protection de l’enfance au regard de l’obligation légale de formation des professionnels 44

Article 2 bis (nouveau) (art. L. 542-3 du code de l’éducation) : Intégration des séances d’information et de sensibilisation à l’enfance maltraitée au sein du « parcours éducatif de santé » 46

Article 3 (art. L. 226-6, L. 226-9 et L. 226-10 du code de l’action sociale et des familles) : Changement de dénomination de l’Oned en ONPE 47

Article 4 (art. L. 2112-1 du code de la santé publique) : Désignation d’un médecin référent pour la protection de l’enfance au sein de chaque département 50

Après l’article 4 53

Article 4 bis (art. L. 221-3 du code de l’action sociale et des familles) : Encadrement des demandes de renseignements, formulées par les services sociaux étrangers, portant sur la situation d’un enfant français vivant à l’étranger 53

Après l’article 4 bis 54

TITRE II – SÉCURISER LE PARCOURS DE L’ENFANT PLACÉ 55

Avant l’article 5 A 55

Article 5 A (art. L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles) : Missions du service de l’aide sociale à l’enfance 56

Article 5 B (nouveau) (art. L. 221-2-1 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles) : Accueil de l’enfant par un tiers digne de confiance 58

Article 5 C (nouveau) (art. L. 221-3 et L. 226-3-2 du code de l’action sociale et des familles) : Échanges d’informations entre les départements 61

Article 5 D (nouveau) (art. L. 222-5-1 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles) : Entretien à 16 ans pour préparer l’accession à l’autonomie des jeunes pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance 63

Article 5 E (nouveau) (art. L. 222-5-2 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles) : Accueil des enfants de moins de trois ans et de leurs parents en centre parental 65

Après l’article 5 E 66

Article 5 (art. L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles) : Contenu du projet pour l’enfant 67

Article 6 (art. L. 223-1, L. 223-1-1 nouveau et L. 421-16 du code de l’action sociale et des familles) : Définition des actes usuels 70

Article 7 (art. L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles) : Validation du projet pour l’enfant par une commission pluridisciplinaire 72

Article 8 (art. L. 223-3 du code de l’action sociale et des familles) : Information du juge en cas de modification du lieu d’accueil d’un enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance 76

Article 9 (art. L. 223-5 du code de l’action sociale et des familles et art. 375 du code civil) : Contenu et transmission au juge du rapport annuel de l’Aide sociale à l’enfance 79

Après l’article 9 82

Article 10 (art. L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles) : Règles de consultation des dossiers d’assistance éducative 82

Article 11 (art. 371-4 et 375-4-1 du code civil et art. L. 227-2-1 du code de l’action sociale et des familles) : Définition de durées maximales de placement 83

Après l’article 11 86

Article 11 bis (nouveau) (art. 375 du code civil) : Encadrement de la durée de placement de l’enfant auprès d’un tiers digne de confiance 87

Après l’article 11 bis 89

Article 11 ter (nouveau) (art. L. 2112-2 du code de la santé publique) : Mise en place d’un entretien prénatal systématiquement proposé en début de grossesse 89

TITRE III – ADAPTER LE STATUT DE L’ENFANT PLACÉ SUR LE LONG TERME 90

Article 12 (art. 370 du code civil) : Réforme des règles de révocabilité de l’adoption simple 90

Article 13 (art. L. 223-7 du code de l’action sociale et des familles) : Mise en place d’un suivi médical, psychologique, éducatif et social en cas de reconnaissance d’un enfant né sous le secret 94

Article 14 (art. 346 et 360 du code civil) : Possibilité d’une nouvelle adoption plénière d’enfants, précédemment adoptés, admis en qualité de pupilles de l’État 98

Article 15 (art. 345 et 353 du code civil et art. 1170 du code de procédure civile) : Audition devant le juge de l’enfant en voie d’être adopté 101

Article 16 (art. 786 du code général des impôts) : Alignement du tarif appliqué aux successions en matière d’adoption simple sur le taux applicable aux transmissions en ligne directe 105

Article 17 (art. 375-1 du code civil) : Désignation d’un administrateur ad hoc dans le cadre de la procédure d’assistance éducative 108

Article 17 bis (nouveau) (art. 377 du code civil) : Transmission, par le juge des enfants, du dossier de l’enfant au Procureur de la République et saisine du juge aux affaires familiales 111

Article 18 (art. 347, 350, 381-1 [nouveau] et 381-2 [nouveau] du code civil) : Réforme de la procédure de déclaration judiciaire d’abandon 112

Après l’article 18 119

Article 19 (art. 224-8 du code civil) : Sécurisation du dispositif de recours contre l’arrêté d’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État 119

Article 20 (art. 378 du code civil) : Retrait automatique de l’autorité parentale 125

Article 21 (art. 729 du code civil) : Exclusion des parents de la succession de leur enfant en cas de crime ou de délit commis sur celui-ci 128

Article 21 bis A (nouveau) (art. 378 du code civil) : Élargissement des titulaires de l’action en retrait total de l’autorité parentale 129

Article 21 bis (art. 21-12 du code civil) : Réduction à deux ans du délai de résidence en France nécessaire pour permettre à un enfant recueilli d’acquérir la nationalité française 130

Article 21 ter (nouveau) (art. 226-3 du code de l’action sociale et des familles) : Interdiction du recours aux données radiologiques de maturité osseuse pour déterminer l’âge d’un mineur étranger 132

Après l’article 21 ter 138

Article 22 (art. 222-24, 222-28, 222-30, 222-32-1 [nouveau], 227-26, 227-27-1A [nouveau] et 227-27 du code pénal) : Création d’une qualification pénale de l’inceste valant circonstance aggravante d’infractions à caractère sexuel 139

Article 22 bis (nouveau) (art. 434-1 du code pénal) : Suppression de l’exception pour l’infraction de non-dénonciation de certains crimes commis sur un mineur de plus de quinze ans 147

Article 22 ter (nouveau) (art. 434-2-1 [nouveau] du code pénal) : Création d’une infraction de non-dénonciation d’une agression sexuelle commise sur un mineur 148

Article 22 quater (nouveau) (art. 221-2-2 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles) : Fixation par le ministère de la Justice des critères de répartition des mineurs étrangers isolés entre départements 149

Article 22 quinquies (nouveau) (art. 375-5 du code civil) : Orientation par l’autorité judiciaire des mineurs étrangers isolés 150

Article 23 : Gage financier 151

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 153

AVANT-PROPOS

Notre priorité d’action est d’assurer une protection à tous les enfants, garantir leurs droits et leur permettre de se construire un avenir ; tel est l’enjeu fondamental de la protection de l’enfance.

300 000 jeunes sont concernés par l’aide sociale à l’enfance, une compétence assurée par les départements et qui nécessite un cadre national.

La loi du 2 mars 2007 a refondé et réformé la protection de l’enfance, elle constitue une avancée majeure et chacun partage l’avis qu’il s’agit d’une « bonne loi » ; mais elle nécessite d’être précisée pour plus d’efficacité et d’équité de traitement de tous les enfants de notre République.

Sa mise en œuvre se heurte à de nombreux obstacles : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, insuffisance de formation des professionnels dans leur diversité, coopération parfois difficile entre les secteurs d’intervention (l’éducation nationale, la santé, la caisse d’allocations familiales, les collectivités locales…), retard dans le développement de la prévention, prévalence du maintien du lien familial biologique dans les pratiques professionnelles. Le parcours des enfants protégés est souvent trop instable, or la stabilité du parcours est un élément d’équilibre nécessaire au développement de l’enfant…

Nous nous sommes attachés à apporter notre contribution à la proposition de loi déposée et rapportée au Sénat par nos collègues sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini pour mieux répondre à ces enjeux. Leur proposition de loi adoptée par le Sénat me semble être altérée dans son sens initial, c’est pourquoi je souhaite que nos travaux permettent une nouvelle avancée, et que chaque enfant puisse bénéficier des meilleurs atouts possibles afin d’aborder sa vie d’adulte accompagné dans un environnement le plus propice à son épanouissement.

INTRODUCTION

L’aide sociale à l’enfance des départements prend en charge 284 000 mineurs et 21 500 majeurs en France. Dans la grande majorité des cas, les décisions de protection sont prises par le juge des enfants. Elles permettent le plus souvent de protéger les enfants quand ils subissent des violences, quand ils sont exposés à des situations de carence, de négligence, voire lorsque les enfants se mettent eux-mêmes en danger.

Mais la protection de l’enfance concerne aussi la mise en place d’actions de prévention pour préparer l’arrivée d’un nouveau-né, garantir une présence éducative auprès des jeunes en difficulté, soutenir la parentalité, répondre aux parents qui viennent demander de l’aide aux services de l’aide sociale à l’enfance. Chaque année, 7 milliards d’euros, soit 20 % des dépenses départementales d’action sociale y sont consacrés. L’enjeu de la réforme dont nous débattons est donc majeur.

Cependant, comme l’a rappelé la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, Mme Laurence Rossignol, lors de son audition par la commission des Affaires sociales le 14 avril dernier (1), la mort récente d’une petite fille à la suite de mauvais traitements infligés par sa famille « vient nous rappeler les dysfonctionnements en matière de protection de l’enfance, mais aussi les douloureuses réalités auxquelles nous avons dû faire face lors de l’affaire Marina. Les destins tragiques d’enfants qui échappent au pare-feu de la protection de l’enfance sont malheureusement plus fréquents qu’on ne le pense. »

Les chiffres, dans ce domaine, sont dramatiques : deux enfants meurent encore chaque semaine dans notre pays de mauvais traitements infligés au sein de leur milieu familial. 100 000 enfants seraient en danger, et parmi eux, 20 000 seraient à proprement parler « maltraités » selon les associations spécialisées dans la protection de l’enfance. Ces dysfonctionnements nous interpellent quant à notre politique publique de protection de l’enfance. Car si cette politique a déjà beaucoup évolué ces dernières années, elle doit encore être améliorée.

La loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance (2) lui a permis de gagner en lisibilité mais aussi en efficacité, en poursuivant trois objectifs :

– renforcer la prévention, en essayant de détecter le plus précocement possible les situations à risque par des bilans réguliers « aux moments essentiels du développement de l’enfant » par la mise en place d’entretiens systématisés au quatrième mois de grossesse, de visites à domicile dans les premiers jours suivant la sortie de maternité, ainsi que de bilans systématiques à l’école maternelle, puis élémentaire ;

– réorganiser les procédures de signalement par la création dans chaque département d’une cellule spécialisée permettant aux professionnels liés par le secret professionnel et intervenant pour la protection de l’enfance dans les domaines sociaux, médico-sociaux ou éducatifs, de mettre en commun leurs informations et d’harmoniser leurs pratiques ;

– diversifier les modes de prise en charge des enfants en prévoyant la possibilité d’accueils ponctuels ou épisodiques hors de la famille, sans pour autant qu’il s’agisse d’un placement en établissement ou en famille d’accueil.

Cependant, l’application de la loi du 5 mars 2007 se heurte à plusieurs obstacles : de fortes disparités territoriales, une absence de pilotage national, une formation insuffisante des professionnels concernés, ou encore un manque de coopération entre les différents secteurs d’intervention en ce domaine.

Par ailleurs, cette loi a introduit un changement de paradigme : alors que l’on privilégiait auparavant le placement des enfants en établissement par l’intermédiaire des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), on fait prévaloir depuis 2007 le maintien du lien familial biologique, parfois à tout prix. Il est nécessaire de retrouver un certain équilibre entre ces deux approches en nous préoccupant avant tout de l’intérêt de l’enfant. Le parcours des enfants protégés est parfois instable, ce qui remet en cause l’équilibre nécessaire à leur bon développement.

La présente proposition de loi a été déposée au Sénat par Mme Michelle Meunier, membre du groupe socialiste, et Mme Muguette Dini, membre du groupe UDI-UC, en septembre 2014. Elle fait suite à de nombreux travaux et réflexions sur ce sujet. Peuvent être cités notamment le rapport d’information sur l’application de la loi de 2007 présenté par les sénatrices à l’origine de la proposition de loi (3), mais aussi le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des services judiciaires dans le cadre de la modernisation de l’action publique (4), le rapport relatif à la gouvernance de la protection de l’enfance, de Mme Adeline Gouttenoire (5) ou encore le colloque sur la violence faite aux enfants, organisé au Sénat en 2013 par M. André Vallini et la pédiatre Mme Anne Tursz.

De même, la présente proposition de loi a fait l’objet d’une large concertation puisque la secrétaire d’État chargée de la Famille a rencontré des parents d’enfants placés, des jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, les présidents et vice-présidents chargés de la protection de l’enfance de nombreux départements. Un groupe de travail réunissant quatorze départements, l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) et l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) a également été mis en place.

Le texte qui nous est soumis poursuit trois objectifs principaux : l’amélioration de la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, la sécurisation du parcours de l’enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, et la garantie d’une plus grande stabilité de l’enfant, en particulier en adaptant son statut lorsque l’enfant fait l’objet d’un placement de longue durée. Chacun de ces objectifs correspond à un titre de la proposition.

Ce texte a été adopté à l’unanimité au Sénat. Cependant, ce vote ne doit pas nous faire oublier que le texte initial a subi d’importantes modifications lors de son examen au Sénat. De nombreux articles ont été supprimés : l’article 1er visant à créer un Conseil national de la protection de l’enfance, l’article 7 tendant à mettre en place une commission pluridisciplinaire chargée d’examiner les situations d’enfants les plus préoccupantes, l’article 10 visant à définir de nouvelles règles en matière de consultation des dossiers d’assistance éducative. Les articles 12 et 14, concernant respectivement les règles de l’adoption simple et de l’adoption plénière, ont également été supprimés par le Sénat, de même que l’article 17 relatif à l’administrateur ad hoc désigné par le juge afin de représenter les intérêts du mineur. Les articles 19, 20, 21, relatifs respectivement au dispositif de recours contre l’arrêté d’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État, au retrait automatique de l’autorité parentale et à l’exclusion des parents de la succession de leur enfant en cas de crime ou de délit commis sur celui-ci, ainsi que l’article 22 portant sur l’inceste, ont eux aussi été supprimés.

Le Sénat a néanmoins adopté un certain nombre de dispositions enrichissant le texte initial, comme celle prévoyant, à l’article 5, la mise en place d’un référentiel commun pour définir le contenu du « projet pour l’enfant », ou celle, à l’article 11, visant à ce que, au-delà d’une certaine durée de placement, le service de l’aide sociale à l’enfance examine l’opportunité de mettre en place d’autres mesures susceptibles de garantir la stabilité des conditions de vie de l’enfant.

La Commission des affaires sociales a adopté de nombreux amendements de rétablissement d’articles importants supprimés.

L’article 1er, visant à créer un Conseil national de la protection de l’enfance, a ainsi été rétabli. La mise en place de cette instance devrait permettre d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de protection de l’enfance, aujourd’hui caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les différents départements ainsi que par un cloisonnement des interventions des différents acteurs concernés. Ce Conseil national représenterait ainsi une avancée essentielle, car la diversité des pratiques ne permet pas, à l’heure actuelle, de garantir une égalité de traitement entre tous les enfants sur l’ensemble du territoire.

Afin de favoriser les synergies et d’éviter que les nombreux acteurs chargés de la politique de protection de l’enfance mènent des politiques non coordonnées, la Commission des affaires sociales a adopté un article additionnel visant à mettre en place un protocole entre les départements et les acteurs institutionnels et associatifs concernés par la mise en place d’actions de prévention en direction des enfants et de leurs familles. Un article spécifique, inséré par la Commission dans le code de l’action sociale et des familles, doit par ailleurs permettre de renforcer les liens de travail entre les professionnels de santé du département et les services départementaux chargés de la protection de l’enfance, le secteur médical représentant une trop faible part des sources émettrices d’informations préoccupantes. La Commission des affaires sociales a en outre adopté une disposition visant à faciliter les échanges d’informations entre les départements, d’une part, et entre le département et la caisse primaire d’assurance maladie et la caisse d’allocations familiales, d’autre part.

La Commission a enrichi les missions du service de l’aide sociale à l’enfance, en adoptant un amendement visant à inscrire dans la loi celle de veiller au maintien des liens d’attachement noués par l’enfant avec ses frères et sœurs. Le contenu du « projet pour l’enfant » a été précisé, de manière à en faire un document essentiel accompagnant l’enfant tout au long de son parcours. Afin d’aider les jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance à préparer leur passage à l’âge adulte, le principe d’un entretien à 16 ans, à l’occasion duquel les modalités d’accession à l’autonomie du jeune devraient être envisagées, a également été ajouté.

La Commission des affaires sociales a rétabli l’article 7 de la proposition de loi initiale, supprimé par le Sénat, prévoyant la constitution d’une commission pluridisciplinaire pour examiner la situation des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins. Cette commission pluridisciplinaire, extérieure aux services auxquels les enfants sont confiés, permettra aux acteurs de se poser les bonnes questions relatives à la situation et au devenir de l’enfant.

Le placement d’enfants auprès de tiers dignes de confiance, dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative, a été encadré par la Commission des affaires sociales, qui a adopté un amendement visant à aligner le régime du placement auprès d’un tiers digne de confiance sur les autres mesures éducatives dont la durée doit être fixée par le juge, dans la limite de deux ans ou de cinq ans en cas de difficultés parentales sévères et chroniques. Ce dispositif répond ainsi aux préoccupations formulées par le Défenseur des droits dans ses travaux de mars 2014 sur ce sujet (6).

La Commission des affaires sociales a en outre rétabli l’article 12 de la proposition de loi initiale, supprimé par le Sénat. Celui-ci prévoit de sécuriser l’adoption simple afin de lever les freins juridiques au développement de cette forme d’adoption, qui mérite d’être davantage utilisée comme mesure de protection de l’enfance.

Un amendement proposé par la rapporteure pour avis de la commission des Lois a, quant à lui, rétabli l’article 17 de la proposition de loi, afin de prévoir l’indépendance, à l’égard du service de l’aide sociale à l’enfance, de l’administrateur ad hoc chargé par le juge de représenter les intérêts du mineur lorsque ceux-ci apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux.

Afin d’améliorer la prise en charge des enfants abandonnés par leurs parents, la présente proposition de loi vise à réformer la déclaration judiciaire d’abandon, actuellement définie à l’article 350 du code civil, afin de la centrer sur l’intérêt de l’enfant. Reprenant une préconisation formulée par plusieurs rapports rendus publics, la proposition de loi fonde cette procédure non plus sur la notion de « désintérêt manifeste » des parents, jugée trop floue, mais sur celle de « délaissement parental », définie comme des carences continues dans l’exercice des responsabilités parentales, compromettant le développement de l’enfant.

S’agissant du volet pénal, la Commission des affaires sociales a rétabli l’article inscrivant l’inceste dans le code pénal, supprimé en séance publique par le Sénat. Des centaines de milliers de victimes attendent cette reconnaissance symbolique pour se reconstruire et la réflexion menée depuis plusieurs mois en collaboration avec la Chancellerie par le groupe de travail transpartisan créé au sein de l’Assemblée nationale, comprenant notamment nos collègues MM. Bernard Roman et Sébastien Denaja, a permis d’aboutir à une rédaction rigoureuse et mesurée. La définition d’une liste précise des auteurs susceptibles de commettre un inceste permet de respecter le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines et devrait éviter une censure par le Conseil constitutionnel, comme cela a été le cas de la loi du 8 février 2010 qui poursuivait le même objet.

Par ailleurs afin de permettre une meilleure prise en charge des mineurs victimes de crimes et d’agressions sexuels, votre rapporteure a proposé, par deux amendements adoptés par la Commission, respectivement de modifier les règles applicables à l’infraction de non-dénonciation de crimes commis sur des mineurs, et de créer une infraction de non-dénonciation d’agressions sexuelles commises sur un mineur.

S’agissant du volet relatif aux mineurs étrangers isolés, la présente proposition de loi prévoit, à l’initiative de la Commission des affaires sociales, d’interdire le recours aux tests radiologiques de maturité osseuse pour déterminer leur âge et de donner une base légale aux critères permettant de les répartir entre les différents services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, à la suite de l’annulation partielle, par le Conseil d’État, de la circulaire du ministère de la Justice du 31 mai 2013, au motif qu’une telle disposition relevait de la compétence du législateur et non du pouvoir réglementaire.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE LA MINISTRE

La Commission entend Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, sur la présente proposition de loi lors de sa séance du mardi 14 avril 2015.

M. Jean-Patrick Gille, président. Nous sommes réunis aujourd’hui pour l’audition de Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, Mme Laurence Rossignol, sur la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

Cette proposition de loi, qui est en distribution, nous vient du Sénat. Elle y a été déposée par Mmes Michelle Meunier et Muguette Dini, dans le prolongement des travaux d’une mission d’information rapportée en juin 2014 par les deux mêmes sénatrices. Notre rapporteure, Mme Annie le Houérou, nous en parlera sans doute dans quelques instants.

Cette proposition de loi vise à améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, à sécuriser le parcours de l’enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), et à adapter le statut de l’enfant quand il fait l’objet de placements longs.

Le Sénat a adopté cette proposition en première lecture le 11 mars dernier, à l’unanimité, après cependant des modifications substantielles du texte initial, en l’occurrence la suppression de plusieurs articles.

Cette proposition de loi est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le mardi 12 mai après-midi et soir. Notre commission l’examinera le mardi 5 mai après-midi, après la suspension de nos travaux du printemps.

Notre commission est saisie au fond, mais je vous indique que, comme cela a été le cas au Sénat, la commission des lois de l’Assemblée s’est saisie pour avis de dix articles, dont certains ont été supprimés lors de la discussion au Sénat.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé. Il est des coïncidences funestes : l’examen de cette proposition de loi par votre commission intervient deux semaines après un nouveau drame, la mort d’une petite fille à la suite de mauvais traitements infligés par sa famille. Cette affaire vient nous rappeler les dysfonctionnements en matière de protection de l’enfance, mais aussi les douloureuses réalités auxquelles nous avons dû faire face lors de l’affaire Marina. Les destins tragiques d’enfants qui échappent au pare-feu de la protection de l’enfance sont malheureusement plus fréquents qu’on ne le pense. Au demeurant, les chiffres sont insuffisamment précis, ce qui est révélateur du problème.

Ces drames nous amènent à nous interroger sur notre capacité collective à protéger les enfants des situations de maltraitance, y compris les situations connues des services ou ayant fait l’objet d’enquêtes sociales. Pour autant, la protection de l’enfance ne peut se réduire à la prévention ou au traitement de ces drames.

La protection de l’enfance, ce sont avant tout des professionnels et des élus qui s’engagent pour accompagner au quotidien les 284 000 enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Nous devons saluer de la même manière ce travail formidable et appréhender la vérité des dysfonctionnements qui subsistent. Ces dysfonctionnements interpellent le législateur, ainsi que tous les acteurs de la protection de l’enfance.

Ils interrogent notre fonctionnement, le traitement des situations, alors que chaque acteur est, au quotidien, pleinement investi dans sa mission.

Ils interrogent surtout la coordination des acteurs de la protection de l’enfance. Comment est-il possible que des enfants meurent aujourd’hui en France de mauvais traitements infligés par leurs parents, alors que ces mêmes parents ont été identifiés ? Comment des enfants peuvent-ils encore passer à travers les mailles du filet de la protection de l’enfance, qui a été mis en place ?

Ils interrogent aussi nos conceptions, notre regard. Je pense à la réticence qui subsiste à voir un éducateur, un assistant social ou encore un juge pousser les portes réelles ou symboliques de la vie domestique et poser son regard sur la manière dont on élève ses enfants. Je pense aussi à la place de l’enfant dans notre société.

Globalement, ces dysfonctionnements interrogent sur notre politique publique de protection de l’enfance. Car si cette politique a déjà beaucoup évolué ces dernières années, elle doit encore être améliorée.

C’est précisément l’objet de cette proposition de loi, fruit d’un travail déjà largement engagé lors de ma prise de fonctions de secrétaire d’État. Face au besoin d’agir vite, le Gouvernement a choisi de soutenir pleinement ce véhicule législatif.

En effet, non seulement cette proposition de loi permet de faire sortir la protection de l’enfance de l’angle mort des politiques publiques, mais elle apporte également des avancées indispensables – elle pourra d’ailleurs faire l’objet d’autres avancées grâce au travail de l’Assemblée.

Sans revenir sur toutes les dispositions de ce texte, permettez-moi de citer l’article 4, qui affirme la nécessité d’un médecin référent pour la protection de l’enfance au sein de chaque département, ou encore l’article 5 qui replace le projet pour l’enfant (PPE) comme clé de voûte de l’harmonisation et du travail commun des différentes cultures professionnelles.

Il nous faut donc agir vite. Non pas en réaction aux tragédies qui nous ont fortement interpellés ces derniers mois – car aussi douloureuses soient ces tragédies, on ne légifère pas dans l’émotion –, mais en écho au travail qui a été mené, d’abord, par les rédactrices elles-mêmes de cette proposition de loi, dans le cadre du rapport d’information extrêmement riche sur l’application de la loi de 2007, ensuite, par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) dans le cadre de la modernisation de l’action publique (MAP) et d’un travail relatif à la gouvernance de la protection de l’enfance, mais aussi par Adeline Gouttenoire, professeure de droit, que vous allez peut-être auditionner sur le rapport qu’elle a rédigé, par André Vallini et la pédiatre Anne Tursz, suite à l’organisation de leur colloque au Sénat en 2013 et qui a donné lieu à un rapport, mais aussi par François de Singly, dans le cadre de la mission confiée à France stratégie… et bien d’autres encore. Vous le voyez : je ne manquais pas de rapports sur mon bureau ; j’ai donc jugé inutile d’en commander un autre. Sur la base de ce travail important, il nous faut maintenant passer à l’acte en examinant cette proposition de loi qu’il convient d’appréhender avec beaucoup de respect.

Nous nous appuyons sur la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance. À cet égard, je tiens à saluer le travail mené par Philippe Bas, alors ministre de la famille, qui a permis de réelles avancées. Je rappelle que cette loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale ; je forme des vœux pour que cette PPL le soit également, en tout cas que le débat permette de dégager un consensus.

Il ne s’agit pas d’une proposition de loi sur la famille : elle n’interroge pas nos conceptions différentes de la famille, elle concerne uniquement les enfants, plus particulièrement les enfants en danger, c’est-à-dire les plus vulnérables.

De quoi parle-t-on quand on évoque la protection de l’enfance ? On entend un ensemble de missions exercées par les départements qui consacrent 20 % de leurs dépenses d’action sociale à la protection de l’enfance, ce qui représente un total de 7 milliards d’euros par an dans notre pays pour accompagner 284 000 mineurs et 21 500 jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance – la moitié d’entre eux étant accompagnés à domicile, l’autre moitié accueillis chez des assistants familiaux ou dans des foyers.

Dans la grande majorité des cas, les décisions de protection sont prises par le juge des enfants. Elles permettent le plus souvent de protéger les enfants quand ils subissent des violences, quand ils sont exposés à des situations de carence, de négligence, voire lorsque les enfants se mettent eux-mêmes en danger.

Mais la protection de l’enfance, c’est aussi la mise en place d’actions de prévention pour préparer l’arrivée d’un bébé, garantir une présence éducative auprès des jeunes en difficulté, soutenir la parentalité, répondre aux parents qui viennent demander de l’aide aux services de l’aide sociale à l’enfance.

C’est dire si l’enjeu est de taille pour ces centaines de milliers d’enfants qu’il s’agit de mieux protéger, de mieux soutenir, en leur proposant le plus tôt possible des réponses adaptées à leurs besoins. Cela fait maintenant huit ans que la loi de 2007 est à l’épreuve du terrain, du quotidien des nombreux acteurs qui interviennent dans la mise en œuvre de cette politique.

Ce sont sans doute les présidents des actuels conseils départementaux, dans leurs nouvelles responsabilités de chefs de file de la protection de l’enfance, qui se sont le plus mobilisés depuis les lois de décentralisation pour faire entrer cette politique publique dans la modernité. Je n’ai entendu aucun acteur de la protection de l’enfance évoquer avec nostalgie la DDASS des années 70 ! La loi de 2007 a permis des avancées considérables, à commencer par la mise en place des cellules de recueil des informations préoccupantes, les CRIP, qui constituent aujourd’hui un véritable pilier de la politique de protection de l’enfance dans les départements.

Pour autant, ces huit années nous ont montré aussi qu’il faut encore apporter des améliorations à la politique de protection de l’enfance. Je partage avec Muguette Dini et Michelle Meunier, les deux sénatrices à l’origine du texte, la conviction que ces avancées ne seront possibles que dans le cadre de la définition d’une politique nationale pour la protection de l’enfance. Car si les départements conduisent les politiques de protection de l’enfance, l’État doit en être le garant. En effet, trop de disparités existent entre les territoires, si bien que le destin d’un enfant peut être considérablement modifié en fonction du côté de la frontière départementale où il vit, ce qui n’est pas acceptable. À cet égard, le rôle de l’État est d’apporter un cadre propice à l’épanouissement des initiatives locales, tout en garantissant à chaque enfant la même qualité de réponse aux difficultés qu’il rencontre.

Le rôle de l’État consiste aussi à faciliter les coordinations entre les nombreux acteurs mobilisés dans la politique publique de protection de l’enfance : les conseils départementaux, les magistrats, les associations, les professionnels – travailleurs sociaux, médecins, psychologues, assistants familiaux.

Le besoin d’une harmonisation des pratiques, d’un décloisonnement des différents univers professionnels, d’une cohérence entre les actions – qui se fait éminemment sentir en matière de protection de l’enfance – a été souligné par l’ensemble des rapports qui se sont intéressés à la question. Surtout, ce besoin a été confirmé dans le cadre de la concertation que je mène depuis plusieurs mois avec l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance.

J’ai souhaité que cette concertation soit la plus large possible. J’ai en effet tenu à rencontrer les parents d’enfants placés, mais aussi les premiers concernés, à savoir les jeunes ou plutôt les adultes qu’ils sont devenus après des parcours jalonnés par l’aide sociale à l’enfance et souvent marqués par des affectations chaotiques. Les chefs de file de cette politique publique ont également été associés, puisque j’ai rencontré à plusieurs reprises les président-e-s et vice-président-e-s chargés de la protection de l’enfance dans les départements. J’ai également constitué un groupe de travail réunissant quatorze départements, l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) et l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), et qui vient nourrir chaque étape de la concertation et participer à la construction d’une feuille de route pour la protection de l’enfance.

Cette concertation arrive à son terme. D’ici à votre examen en séance publique de cette proposition de loi, j’aurai rencontré tous les acteurs. Je tiens ici à insister sur deux points saillants de la concertation : la doctrine et la gouvernance.

La doctrine, tout d’abord. Il nous faut expliciter clairement la doctrine en matière de protection de l’enfance et définir des orientations nationales qui fixent un cadre de référence transparent et partagé par tous les acteurs du territoire.

Notre appréhension de la protection de l’enfance doit évoluer pour se recentrer sur l’enfant, le respect de ses droits, la prise en compte de ses besoins, tels que définis par la Convention internationale des droits de l’enfant, mais aussi sur la base des progrès de la connaissance, du travail en matière de psychologie de l’enfant – construction du lien, attachement, environnement sécurisé. En effet, si les parcours au sein de l’aide sociale à l’enfance sont émaillés de ruptures, c’est parce que l’approche par les dispositifs l’emporte trop souvent sur la mobilisation des ressources de l’environnement des enfants, ou encore que le maintien des liens avec les parents l’emporte sur la prise en compte des besoins de stabilité des enfants.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé au Sénat un amendement qui ajoute, au sein du code de l’action sociale et des familles, une nouvelle finalité aux missions de la protection de l’enfance. Aux côtés de la protection de l’enfant et de la restauration de l’autorité parentale lorsqu’elle est défaillante, j’ai souhaité placer, au même niveau, la stabilité du parcours de l’enfant – la stabilité physique. Il s’agit de restreindre le plus possible les allers-retours, encore trop nombreux aujourd’hui, entre un établissement et la famille, entre le placement ou l’accueil et la famille. Il s’agit aussi de restreindre les ruptures dans l’accueil entre les foyers et les assistants familiaux. Car la stabilité affective, cruciale pour le développement de l’enfant, est une priorité.

Ces dispositions pourront être complétées par de nouveaux amendements permettant de mieux accompagner les sorties de placement et le passage à l’âge adulte, avec toujours cette préoccupation de limiter les ruptures auxquelles sont trop souvent exposés les enfants et les jeunes confiés à l’ASE. Je déposerai moi-même des amendements pour la séance publique, compte tenu du délai assez court qui nous sépare de l’examen de ce texte dans l’hémicycle.

Nous devons également améliorer le repérage et la prise en compte des situations de maltraitance, en précisant les conditions de saisine de l’autorité judiciaire et en définissant un cadre pour l’évaluation de l’information préoccupante.

Il nous faudra aussi nous attarder beaucoup plus sur la prévention. Le poids des réponses a posteriori, c’est-à-dire curatives, est encore prédominant. Là encore, un changement de paradigme s’impose : nous devons soutenir les parents dès la période prénatale en renforçant l’entretien précoce de périnatalité prévu par la loi de 2007, et veiller à la qualité des premiers liens d’attachement à l’enfant.

Comme vous le constatez, l’enjeu pour les prochaines semaines est d’enrichir encore ce texte, afin que la nouvelle loi porte une définition actualisée des missions de la protection de l’enfance, recentrée sur l’enfant et ses besoins, tout en réaffirmant la nécessité de mieux soutenir les parents dans l’exercice de leurs responsabilités, notamment quand ils rencontrent des difficultés.

Si l’ensemble des acteurs adhèrent à ces changements de perspective dans l’exercice des missions de protection de l’enfance, ces prises de conscience ne suffisent pas à modifier les pratiques sur le terrain. Voilà pourquoi la qualité de la gouvernance, second point saillant de la concertation, se pose avec autant de pertinence. C’est l’autre enjeu majeur du texte : mettre en place un pilotage national pour la protection de l’enfance. Il existe d’ailleurs un consensus avec les présidents de conseil départemental sur ce point. Je continuerai donc de défendre la mise en place d’une instance nationale de pilotage qui s’attachera de manière ciblée à la protection de l’enfance et accordera une place importante à la prévention.

Parallèlement, il faudra poursuivre le soutien aux observatoires de la protection de l’enfance, dans sa coordination nationale, comme dans ses déclinaisons départementales. Nous devrons également promouvoir les missions d’évaluation et de contrôle. L’actualité récente, comme certaines enquêtes sur les établissements de protection de l’enfance, montrent la nécessité d’améliorer la surveillance et le contrôle des personnes et des institutions auxquelles sont confiés les enfants les plus vulnérables.

Avant de conclure, je souhaiterais attirer votre attention sur un dernier point que je considère comme un levier incontournable du changement de perspective que nous appelons de nos vœux. Je veux parler de la formation des différents acteurs de la protection de l’enfance. Il est, en effet, indispensable de mieux former au repérage des signes de maltraitance et, surtout, d’instaurer un corpus de formation dont pourront bénéficier tous les acteurs quelle que soit leur culture professionnelle. Ce point ne relève pas nécessairement du domaine législatif, mais il est crucial au regard de la nécessité de renforcer l’efficacité de nos politiques en matière de protection de l’enfance. Il s’agit là d’une volonté politique forte.

Évolution de la doctrine et des pratiques, évolution législative, évolution de la formation, tel est le triptyque qui doit nous guider. Cette proposition de loi recouvre de nombreux aspects. Les enjeux de ce texte sont considérables puisqu’il y est question de la manière dont notre société est capable de protéger les plus fragiles, tout en leur garantissant un environnement propice au « bien grandir ». Cet enjeu fédérateur nous permettra, j’en suis sûre, de faire naître le consensus dans l’objectif, encore une fois, du meilleur intérêt de l’enfant.

Mme Annie Le Houérou, rapporteure de la commission des affaires sociales. La mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a constitué une avancée majeure. Elle a permis de clarifier les missions des différents acteurs et d’accroître l’efficacité de la politique menée. Si de nombreuses dispositions font aujourd’hui l’objet d’un consensus, force est de constater que, plus de sept ans après l’entrée en vigueur de cette loi, son application est marquée par des inégalités territoriales, des retards et des inerties. Elle n’apporte, en outre, pas de réponse satisfaisante au problème de l’instabilité des parcours des mineurs pris en charge ; vous en avez fait état, madame la secrétaire d’État.

La proposition de loi des sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini vise donc à modifier la législation sur certains points précis, tout en préservant l’esprit et l’équilibre issu de la loi de 2007. Comme l’a dit notre président, elle a pour ambition d’améliorer la gouvernance de la protection de l’enfance, de contribuer à la sécurisation du parcours de l’enfant protégé, et d’adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme. Je partage l’orientation générale de cette proposition de loi consensuelle. La construction d’un véritable projet de vie pour l’enfant suppose de trouver des solutions d’accueil qui apportent à l’enfant une stabilité affective durable, ce qui est indispensable à son épanouissement personnel. Ce texte y contribue.

Le texte adopté par le Sénat est néanmoins en retrait, c’est le moins que l’on puisse dire, par rapport à la proposition de loi initiale, déposée par Mmes Meunier et Dini. Le texte initial a, en effet, fait l’objet de nombreuses modifications, adoptées en commission puis en séance publique au Sénat : onze articles ont été supprimés et trois articles ont été créés.

Je souhaiterais connaître votre point de vue, madame la secrétaire d’État, sur les modifications apportées par le Sénat sur plusieurs points.

Concernant la gouvernance, l’article 1er, qui visait à améliorer la gouvernance de la politique de protection de l’enfance grâce à la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, a été supprimé en séance publique. Cet article paraissait pourtant essentiel dans la mesure où il existe des pratiques et des interprétations disparates entre les départements, situation qui menace l’égalité de traitement des enfants sur tout le territoire.

Concernant la coopération entre les acteurs de la protection de l’enfance, je partage votre point de vue sur la formation professionnelle. Plusieurs articles permettent de renforcer la coopération entre les professionnels de la protection de l’enfance et de développer une approche pluridisciplinaire, en particulier l’article 4 et l’article 7. Ce dernier, supprimé par le Sénat, prévoyait un examen du projet pour l’enfant (PPE) par une commission pluridisciplinaire.

J’aimerais aussi connaître votre avis sur les articles réformant les règles de l’adoption, en particulier les articles 12 et 14, supprimés par la commission des affaires sociales du Sénat.

Enfin, la question des jeunes majeurs n’est pas abordée dans ce texte. Il est pourtant essentiel d’anticiper la sortie des dispositifs de protection des jeunes pour leur donner des outils leur permettant de bien aborder leur vie d’adulte. La loi de 2007 replaçait la famille au cœur du dispositif. Il me paraît impératif de rechercher l’intérêt de l’enfant : ce seul intérêt doit prévaloir, car le temps est court quand il s’agit de construire le socle sur lequel repose l’avenir d’un enfant. Nous vous proposerons des amendements en ce sens.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois. Mme Le Houérou a parfaitement défini la problématique. Pour ma part, je tiens à attirer votre attention sur le fait qu’un projet de vie pour l’enfant suppose une meilleure articulation entre le juge et les conseils départementaux, afin d’éviter que des enfants ayant fait l’objet de placements ou de mesures éducatives ne soient exclus du bénéfice, du fait d’une procédure d’abandon ou de délaissement, d’un projet tel qu’il est défini dans le texte.

Certains articles ont été supprimés, notamment concernant l’adoption. Or l’adoption simple ou une forme de parrainage peut constituer un projet de vie, et ce dans l’intérêt de l’enfant. J’aimerais connaître ce qui a justifié la suppression de ces articles, madame la secrétaire d’État.

Pour finir, je ne peux que relever qu’il est vrai que le temps dont nous disposons pour examiner cette proposition de loi est très court.

Mme Françoise Dumas. Cette proposition de loi a un objectif somme toute assez simple : mettre l’enfant au cœur du sujet et s’assurer du respect de son intérêt supérieur, c’est-à-dire garantir sa protection et la prévention contre les maltraitances, les carences sociales, éducatives ou affectives qu’il peut subir.

Pendant longtemps, la protection de l’enfance a été pensée à travers le prisme du droit des familles, des parents, avec une trop grande prévalence du maintien du lien familial biologique, souvent chaotique et déstructurant pour les enfants. Nous avons su évoluer, prendre en compte la notion d’environnement affectif stable, continu, bâtir pour chaque enfant un parcours sécurisé, c’est-à-dire replacer son bien-être et son épanouissement au cœur de l’action publique, et ce dans la durée.

Depuis les lois de décentralisation, qui ont fait des départements les chefs de file de la politique en faveur de l’enfance, de la prévention et de la protection de l’enfance, les conseils départementaux doivent s’adapter aux évolutions sociales, familiales, médico-sociales, en lien avec les autres politiques publiques. Il est de notre devoir de les accompagner dans cette évolution.

Malgré un texte globalement reconnu de bonne qualité, il était néanmoins nécessaire d’aller plus loin, pour pallier la multiplicité des intervenants, le cloisonnement des services, les ruptures et les incohérences de prise en charge. Dans ce contexte, on peut, d’une certaine manière, parler de « maltraitances institutionnelles », auxquelles s’ajoutent des disparités territoriales, qui peuvent certes parfois s’expliquer, mais qu’il convient de limiter pour ne pas rompre le principe d’équité.

Sur la base de ce constat, et pour y répondre, la proposition de loi issue des travaux de nos collègues sénatrices Meunier et Dini se donne trois objectifs nouveaux : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfant ; sécuriser le parcours de l’enfant protégé dans un environnement familial ; adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme.

Outre les modalités d’une harmonisation territoriale, le texte contient un certain nombre de mesures de nature à faire évoluer notre droit, à commencer par l’article 1er qui proposait de créer un Conseil national de la protection de l’enfance. Je pense également notamment aux articles 5 et 6, qui précisent, respectivement, le contenu du projet pour l’enfant et la définition des actes usuels de l’autorité parentale, compte tenu de l’actuel flou juridique préjudiciable.

En plus d’un déficit de gouvernance nationale, on observe une faiblesse de la coopération au niveau local : la coordination des services départementaux est pour le moins perfectible. Par ailleurs, les mesures concrètes du quotidien que sont la prévention, le repérage, la prise en charge, c’est-à-dire le cœur du système, appellent des améliorations. Il nous faut aussi sécuriser davantage le parcours de l’enfant confié, par la reconnaissance de garanties et de droits nouveaux qui seront tout autant profitables à l’enfant qu’aux adultes qui l’entourent.

Deux objectifs majeurs de la proposition de loi initiale répondent au besoin de stabilisation du parcours de vie des enfants protégés : faciliter l’identification du délaissement de l’enfant protégé ; favoriser l’adoption simple des enfants confiés pour lesquels un retour dans leur famille est improbable, en évitant le parcours difficile, voire douloureux, qui passe par la déclaration judiciaire d’abandon, puis l’admission en qualité de pupille de l’État.

Grandir et s’épanouir dans une famille requièrent stabilité et sécurité. Conformément à cet impératif, l’esprit initial de la proposition de loi est donc un rééquilibrage du texte de 2007. Le succès de ce rééquilibrage passe par une conception résolument recentrée sur l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant est une fin en soi, un devoir, qui peut appeler, selon les cas, une distance réfléchie vis-à-vis de la famille naturelle.

La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat ; nous pouvons nous en réjouir. Mais ce résultat ne doit pas nous faire oublier que le texte ainsi adopté a subi de nombreuses suppressions, notamment d’articles structurants. D’un texte « non révolutionnaire », de l’aveu même de Michelle Meunier, mais tout de même porteur de mesures nécessaires, il est devenu un texte qui doit être fortement amendé pour retrouver tout son sens.

C’est pourquoi le groupe SRC portera, madame la secrétaire d’État, de nombreux amendements de rétablissement. Je sais que vous ne manquerez pas de le faire vous-même.

Pouvez-vous nous détailler la façon dont vous appréhendez, en particulier, la question de la gouvernance nationale avec la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, qui permettra une réelle impulsion nationale de pilotage et d’harmonisation ?

Mme Isabelle Le Callennec. Vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, des enfants meurent encore de mauvais traitements, et toujours trop d’enfants souffrent de carence affective dans notre pays.

Le texte que nous examinons aujourd’hui reprend un certain nombre de propositions d’un rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat, qui établit un bilan de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance dont l’objectif était d’améliorer la prévention, le signalement et les interventions sociales et judiciaires. Huit ans après le vote de cette loi, ce rapport met en lumière des difficultés de mise en œuvre.

Les principales limites identifiées sont nombreuses : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, manque de coopération entre les différents secteurs d’intervention, insuffisance des formations dispensées, prévalence assez marquée du lien familial biologique à tout prix, réponses encore trop lacunaires face à l’enjeu de stabilisation des parcours des enfants placés. L’objectif de cette proposition de loi consiste donc à repousser ces limites.

La protection de l’enfance, vous l’avez rappelé, concerne près de 300 000 mineurs et jeunes majeurs, soit 1,8 % de jeunes de moins de vingt et un ans, et elle représente une dépense d’environ 7 milliards d’euros. Nous venons de renouveler les assemblées départementales de notre pays ; la protection de l’enfance est une de leurs compétences majeures. Dans mon département, l’Ille-et-Vilaine, 2 600 enfants, dont 300 mineurs étrangers isolés, sont concernés : 31 % sont accueillis en établissement et les autres dans des familles d’accueil qui attendent beaucoup de cette proposition de loi.

La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat. Améliorer le repérage des enfants en danger, créer un référentiel commun, définir les actes usuels de l’autorité parentale en cas de placement, mais surtout améliorer les échanges et la coordination entre les services de l’aide sociale à l’enfance et les magistrats, telles devraient être les priorités de ce texte, auxquelles j’ajouterai ce qui ne relève pas de la loi, à savoir l’amélioration des pratiques professionnelles.

Pour le groupe UMP, cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous débattrons certainement de la modification des règles de l’adoption, que vous souhaitez apparemment, Madame la secrétaire d’État. Nous essaierons également d’en savoir davantage sur ce que vous renvoyez au décret : les modalités de transmission des informations aux différentes parties prenantes, le référentiel commun, la durée du placement, la stabilité du parcours de l’enfant et la formation des travailleurs sociaux. Nous tenterons de faire accepter l’idée de cultiver, non pas le principe du secret professionnel, mais celui du secret partagé, condition sine qua non de la bonne coordination entre ceux qui ont à connaître de situations préoccupantes ou dramatiques – vous avez cité, madame la secrétaire d’État, les professionnels mais aussi, notamment, les élus.

Par ailleurs, l’article 23 évoque les éventuelles conséquences financières résultant de cette proposition de loi. J’imagine qu’elles ont été calculées, mais nous souhaiterions avoir quelques informations en la matière.

Enfin, vous avez annoncé des amendements gouvernementaux à venir pour favoriser un travail de qualité. Sur un sujet aussi sensible, nous aimerions ne pas les découvrir en séance publique, madame la secrétaire d’État.

Mme Véronique Massonneau. Madame la secrétaire d’État, nous reconnaissons certainement tous que la loi de 2007 relative à la protection de l’enfance est une bonne loi. Malheureusement, les lois ne font pas tout. Encore faut-il que les moyens de leur application ne fassent pas défaut. C’est déjà ce qui était reproché à l’époque à ce texte.

Au-delà du manque de moyens pour mettre en œuvre l’aide sociale à l’enfance, des lacunes sont apparues en termes de coordination. Cette proposition de loi a le mérite d’apporter des solutions : amélioration de la formation des professionnels, désignation d’un médecin référent labellisé « protection de l’enfance » dans chaque département, établissement du projet pour l’enfant afin de garantir un suivi personnel et continu des mineurs bénéficiant de l’intervention de l’ASE mais aussi pour répondre aux besoins de l’enfant en termes de vie sociale, de développement, de scolarité et de santé, de stabilisation des conditions de vie des enfants accueillis s’il y va de leur intérêt et de prise en compte de leur avis s’ils sont capables de discernement.

L’enfant est placé au cœur de cette proposition de loi, et nous nous en félicitons.

Je souhaite vous poser une question, mais je ne sais pas si elle entre dans le cadre de la proposition de loi. Elle concerne le cas des mineurs isolés étrangers. En théorie, ces enfants font partie intégrante du dispositif de protection de l’enfance. Mais, dans les faits, ils ont bien souvent du mal à faire valoir leurs droits. Accusés de mentir sur leur âge, sur leur situation familiale, sur la réalité des risques qu’ils ou elles encourent, certains sont purement et simplement renvoyés à leur errance, ce qui constitue le plus sûr moyen de les livrer aux réseaux d’exploitation de toutes sortes. Les bénéficiaires d’une protection pendant leur minorité ne sont pas pour autant assurés de pouvoir demeurer en France à leur majorité. Que proposez-vous pour remédier aux difficultés que rencontrent ces mineurs étrangers qui doivent avant tout être accueillis pour ce qu’ils sont : des enfants ?

En conclusion, nous appréhendons ce texte avec bienveillance et intérêt. Nous attendons que les débats et les auditions permettent de l’enrichir.

Mme Sylviane Bulteau. Le Conseil national de la protection de l’enfance est l’outil qui permettra une observation globale des différentes pratiques sur toute la France.

J’ai été marquée par l’excellent reportage qui avait été diffusé sur Arte et qui mettait en lumière les manques – et le mot est faible – en matière de suivi et de contrôle du financement des associations auxquelles avait été confiée la mission de protection de l’enfance. Le président du conseil général de la Mayenne, Jean Arthuis, avait été le seul à oser en parler, ce qui avait ouvert les yeux de nombre d’élus départementaux, et peut-être plus encore dans mon département où la protection de l’enfance a été souvent confiée à des associations d’obédience catholique. Je me demande si la protection de l’enfance ne devrait pas faire partie intégrante du service public.

La protection de l’enfance relève de la compétence du conseil départemental. Ce sont donc les élus départementaux qui choisissent quels moyens lui attribuer. Il n’y a aucune obligation à y consacrer plus de moyens ou à procéder à davantage de contrôles. Si la proposition de loi vise à encadrer les choses, les élus départementaux sont autonomes en termes de choix politiques. Les instances départementales viennent d’être renouvelées. Il est temps, je crois, qu’elles remettent la protection de l’enfance au centre de leurs préoccupations car le social est le cœur de leurs compétences.

M. Rémi Delatte. La proposition de loi relative à la protection de l’enfant vise à recentrer la protection de l’enfant autour de l’intérêt supérieur de celui-ci. Pour autant, le texte n’aborde pas la question du syndrome dit « d’aliénation parentale ». Or les séparations parentales ne cessent d’augmenter et nous rencontrons nombre d’enfants qui rejettent un de leurs parents sans raison apparente. Ces enfants ne parviennent pas à expliquer les causes de ce rejet, mais ils expriment des sentiments de haine à l’égard du parent vu comme fautif, traduisant par là même une très grande souffrance.

Cette réalité est particulièrement néfaste pour le développement de l’enfant car ce dernier cesse d’être un simple spectateur du conflit entre ses parents pour en devenir un acteur à part entière. La lutte contre ce syndrome passe par le développement de l’autorité parentale partagée. Certes, la reconnaissance de la résidence alternée est affirmée, mais elle n’est pas encore de plein droit. Elle demeure en effet soumise à la décision du juge. Elle fait encore débat et rencontre de nombreux points de blocage. De surcroît, le taux de résidences alternées est extrêmement variable d’un tribunal de grande instance à un autre.

Après plusieurs années d’application de la loi de mars 2007, on constate une dérive préjudiciable aux droits de l’enfant. En effet, le parent qui s’oppose à la recherche d’une solution d’équilibre obtient souvent gain de cause. Par conséquent, il nous faut être dissuasifs à l’égard du parent qui prend le risque de rendre son enfant otage d’un conflit dont il n’est pas responsable. Ne faudrait-il pas, à la faveur de ce texte, comme j’ai pu le proposer dans le cadre d’une proposition de loi que j’ai déposée en octobre 2012 avec mon collègue Jean-Pierre Decool, inverser la charge de la preuve et obliger dorénavant celui qui souhaite s’opposer à la résidence partagée à l’exprimer et à devoir justifier sa position ?

M. Michel Liebgott. Je souhaite insister sur les mesures de prévention qui peuvent être prises plus globalement avant que des situations individuelles ne deviennent dramatiques, et en particulier assurer ici la promotion de l’ensemble des politiques d’État. À cet égard, je me félicite que la prise en charge des enfants en difficulté puisse relever d’une dimension étatique.

Je citerai deux exemples qui concernent la prévention. D’abord, dans le cadre de la politique de la ville, les projets de réussite éducative qui concernent les enfants de deux à seize ans permettent souvent d’empêcher certains enfants de sombrer dans des dérives qui conduisent à une prise en charge par l’ASE. Ensuite, je veux rappeler le succès des clubs de prévention qui concernent les enfants de seize à vingt-cinq ans. Il ne faut pas perdre de vue l’importance que représentent les prises en charge préventives qui dépendent souvent des moyens qu’un département veut ou non consacrer à cette politique. Il faut donc réinsérer une dimension nationale pour que les enfants soient traités de la même manière sur l’ensemble du territoire et non en fonction des moyens des départements, a fortiori si les départements devaient être maintenus, le débat sur leur existence n’étant pas nécessairement définitivement clos à moyen ou à long terme.

Les magistrats nous ont invités, à plusieurs reprises, à visiter leurs services. Nous avons malheureusement pu constater qu’ils disposent souvent de moyens qui ne sont pas à la hauteur au vu du nombre élevé de dossiers qu’ils doivent traiter. Il ne faut pas perdre de vue qu’il est important de renforcer les effectifs, notamment dans l’administration de la justice. À cet égard, je me félicite que ce Gouvernement ait réalisé un effort en ce sens. En effet, il ne suffit pas de tenir des discours, encore faut-il donner des moyens.

En conclusion, il me paraît important qu’un enfant puisse trouver, après des mois d’exclusion de la famille et de l’école, une stabilité, même si ce n’est pas dans sa famille biologique.

M. Bernard Perrut. Nous sommes tous très attachés à placer l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur du dispositif de protection de l’enfance. Cet intérêt supérieur de l’enfant consacre l’enfant comme sujet de droit depuis 1989, grâce à la Convention internationale des droits de l’enfant. Auparavant, on parlait simplement d’objet de droit.

Aujourd’hui, on ne peut que se réjouir des objectifs de cette proposition : vouloir améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, rendre le dispositif le plus efficace possible à tous les stades, enfin sécuriser les parcours de l’enfant protégé.

Les dispositions qui figurent dans le texte sont non seulement utiles mais aussi indispensables. Le Conseil national de la protection de l’enfance permettra de promouvoir la convergence des politiques au niveau national et local. Un médecin référent « protection de l’enfance » sera désigné. Il sera chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les acteurs de la protection de l’enfance : services départementaux, professionnels de santé, médecine de ville, hôpital, santé scolaire, etc.

Je souhaite insister sur la mise en place d’un référentiel commun pour définir le contenu du projet pour l’enfant aujourd’hui très inégalement mis en œuvre par les départements.

Enfin, il est nécessaire de mieux pouvoir repérer, détecter, accompagner les enfants qui éprouvent de graves difficultés dans leur famille. À cet égard, je tiens à saluer le rôle de l’éducation nationale. En effet, il est clair que nos enseignants peuvent identifier certains de nos jeunes en difficulté.

M. Jean Jacques Vlody. Nous discutons aujourd’hui d’un sujet extrêmement sensible et je salue cette proposition de loi.

Je souhaite appeler votre attention sur quelques aspects qui ne figurent pas dans le présent texte, notamment la question des familles d’accueil. L’un des éléments clé du bien-être des enfants concerne la qualité de l’accompagnement de ces enfants par des familles d’accueil. Or celles-ci se retrouvent souvent exclues du secret professionnel, du secret médical. Aussi faut-il s’interroger sur le statut et le rôle de ces familles, sur leur professionnalisation et sur la question de leur association ou non au secret médical ou professionnel.

Le lien entre la justice et le département fonctionne relativement bien, même si quelques aspects techniques doivent être précisés. En revanche, pour avoir été en charge de la mise en œuvre de la politique de l’ASE du conseil général de La Réunion sur l’arrondissement sud qui regroupe une dizaine de communes, j’ai pu constater que des problèmes se posent en matière de prévention. D’abord, il n’y a pas de continuité dans la prise en charge des enfants qui ont été suivis par les services du conseil général lorsqu’ils parviennent à l’âge adulte. Ensuite, on n’arrive pas à trouver comment associer les familles et les services du conseil général et de la justice. Nous avons souvent été alertés sur le fait que des jeunes, des adolescents étaient en difficulté. Mais il n’existe aucun moyen de les prendre en charge. Ce n’est que lorsqu’il y a passage à l’acte, violence, méfaits sur l’enfant que l’on peut prendre des décisions de justice.

Mme Bérengère Poletti. La communication tardive de l’ordre du jour ne nous a pas permis d’anticiper correctement un texte relatif à un sujet fondamental et complexe. J’espère que nous disposerons de davantage de temps lorsque nous l’aborderons en séance.

Sur le sujet de la protection de l’enfance, notre pays a encore un long chemin à parcourir. Se penchant régulièrement sur le sujet, le Parlement et le Gouvernement tentent sincèrement et avec détermination d’améliorer le sort des enfants et de les protéger contre les violences physiques, sexuelles, psychologiques, les négligences lourdes.

En France, cette protection est récente puisqu’elle ne date que de la fin du XIXe siècle. Le dernier texte qui a été voté, texte majeur, a été effectivement la loi du 5 mars 2007 que cette proposition de loi sénatoriale vise à faire évoluer. Les disparités territoriales, l’instabilité de l’environnement de l’enfant, l’insuffisance de la formation des professionnels, le repérage tardif constituent des fragilités majeures de cette protection et font l’objet de modifications intéressantes.

Ce qui fait du tort aux enfants dans ce pays, c’est que leur protection réelle n’est malheureusement pas toujours au cœur de nos priorités. Préserver le lien familial à tout prix nous a amenés à commettre un certain nombre d’erreurs.

Pour avoir participé en 2007 au texte sur la réforme de la protection de l’enfance, je me souviens d’avoir entendu les mêmes arguments que ceux qui ont déclenché cette proposition de loi aujourd’hui. La mise en place du partage de l’information devait résoudre de nombreux problèmes. Or force est de constater aujourd’hui que nous n’y sommes pas. La triste affaire de la petite Marina en est une illustration douloureuse. Sommes-nous certains, après l’adoption de ce texte, ne plus replacer des enfants martyrs dans des situations familiales délétères ? Allons-nous cesser de faire de la protection des agresseurs parfois notre priorité ?

Récemment, dans ma région, une assistance maternelle assez gravement maltraitante s’est vue retirer son agrément par la justice seulement pour une durée de cinq ans. Un enseignant est venu me voir récemment parce qu’il avait fait un signalement mais qu’il n’a ensuite plus entendu parler de rien par personne, l’enfant étant toujours dans la classe.

Je terminerai mon intervention sur la remarque que vous avez faite, madame la secrétaire d’État, concernant la prévention. Je parlerai plutôt en tant que professionnelle sage-femme. Quand on travaille en maternité, on sait que certaines situations familiales vont engendrer malheureusement des difficultés. Il pourrait être intéressant de mettre en place des démarches de prévention avec ces professionnels qui sont au plus près des familles, des femmes et des enfants.

M. Joël Aviragnet. Nous sommes tous d’accord, je crois, pour affirmer que la stabilité des parcours des enfants est nécessaire Malheureusement il y a des enfants, et notamment des adolescents, pour lesquels les parcours n’arrivent pas à se mettre en place. Je pense évidemment à ces jeunes qui ont des troubles associés, souvent des troubles du comportement, et qui dépendent d’autres secteurs, du secteur médico-social voire du secteur sanitaire. Peut-être faudrait-il envisager, dans le cadre du PPE, une coordination avec les autres services. La protection fait souvent écran et ne permet pas de traiter les autres questions.

M. Dominique Dord. La protection de l’enfant est une question sensible qui nous touche de près, et nous avons tous en tête des situations locales.

Bernard Perrut a souligné, à juste titre, le rôle de l’éducation nationale en matière de détection. Pour ma part, j’insisterai sur le rôle des associations qui interviennent notamment à l’école.

La présente proposition de loi est très intéressante mais elle manque de fondement comparatif. Existe-t-il des études qui montrent comment la protection de l’enfance fonctionne à l’étranger ? Peut-être pourrions-nous nous inspirer des bonnes solutions, si tant est qu’elles soient meilleures. Y a-t-il des éléments de comparaison qui permettraient de situer notre système français qui est à la fois centralisé en ce qui concerne la justice, décentralisé s’agissant des moyens de détection et départementalisé dans ses moyens de traitement ?

Mme Linda Gourjade. Le constat est partagé : il existe de fortes disparités s’agissant des moyens et des services mis à disposition de la protection de l’enfance dans les conseils départementaux, des retards dans le développement de la prévention à travers les services d’aide à domicile, comme l’aide éducative à domicile (AED) ou le service éducatif de jour. L’état des lieux plaide en faveur d’un réajustement de ces dispositifs. Il est nécessaire d’améliorer la gouvernance nationale et locale et de sécuriser le parcours de l’enfant. La présente proposition de loi va dans ce sens et renforce les dispositifs de 2007. Elle prévoit la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, des missions complémentaires de suivi des formations des personnels de la protection de l’enfance pour harmoniser les pratiques ainsi que des outils supplémentaires pour une meilleure prise en charge des enfants dans le cadre de la protection, notamment la désignation d’un médecin référent « protection de l’enfance » pour renforcer le lien entre l’ASE et la PMI, les professions médicales et les hôpitaux, les services de santé scolaire.

Le texte prévoit également un repositionnement de l’intérêt de l’enfant dans le projet pour l’enfant. Peut-être conviendrait-il de préciser les modalités des droits de visite. Ils sont trop souvent définis en favorisant le maintien du lien familial à tout prix, ce qui n’est pas toujours pertinent pour l’enfant. De plus, ils sont insuffisants parce que les services ne peuvent pas organiser des visites plus fréquentes.

Il est évident que ces nouvelles dispositions donneront lieu à un travail socio-éducatif et administratif conséquent. Dans ces conditions, ne serait-il pas utile de définir les moyens nécessaires en fonction du nombre d’enfants placés pour que chaque enfant puisse bénéficier des mêmes services sur l’ensemble du territoire ?

L’article 350 du code civil a été modifié pour définir le délaissement parental manifeste. Ne serait-il pas utile de préciser les éléments sur lesquels le service gardien peut s’appuyer pour faire cette déclaration au magistrat ? Cette décision est trop souvent différée pour privilégier le maintien du lien avec les parents, même s’ils sont inexistants. Parfois, les services gardiens manquent d’éléments précis pour pouvoir s’appuyer sur cette déclaration.

Mme la secrétaire d’État. Lorsque j’ai ouvert ce dossier, j’ai acquis assez vite la conviction que la protection de l’enfance était l’angle mort des politiques publiques. Comme cette politique est confiée aux départements, elle obéit aux règles constitutionnelles de libre administration des collectivités territoriales. C’est par ailleurs rarement un sujet de débat politique. En effet, je n’ai jamais vu un conseiller départemental se faire élire ou réélire en mettant au cœur de la campagne électorale la question de la protection de l’enfance. On sait tout sur les ronds-points, mais peu sur la protection de l’enfance. Cela montre bien le secret qui entoure les politiques de protection de l’enfance. Il faut les extraire de cet angle mort.

Comme les départements conduisent les politiques qu’ils veulent dans le cadre des compétences qui leur sont données, on aboutit à une diversité des politiques, c’est-à-dire à une diversité des points de vue. Permettez-moi de dire que l’essentiel ne se joue sans doute pas dans la loi. Certes la loi doit exister, car elle manifeste la volonté politique, l’intérêt de l’État à se porter garant du sort des enfants, mais l’essentiel se joue dans les pratiques professionnelles et les doctrines sur lesquelles s’appuient les élus mais aussi les services des conseils départementaux. De fait, on peut toujours faire une loi, mais dans quatre ou cinq ans on s’apercevra qu’elle est diversement appliquée, comme toutes les précédentes.

M. Vlody a évoqué la place des assistants familiaux. Font-ils ou non partie des équipes des travailleurs sociaux ? Oui, en tout cas, c’est ce que prévoit la loi de 2005. Mais leur inclusion ou non dans les équipes des travailleurs sociaux dépend de la volonté des uns et des autres. Si l’on veut améliorer les choses, il faut pouvoir retrouver la volonté politique de l’État dans la politique que mène le département. En la matière, les élus doivent jouer tout leur rôle. Je suis partie du principe que si l’on ne faisait pas travailler tout le monde ensemble, cela ne servirait à rien de modifier la loi. Il est indispensable que les deux mouvements soient concomitants et complémentaires.

Certains orateurs sont troublés par les lacunes qui existent en matière de repérage de la maltraitance. La Haute autorité de santé a publié il y a quelques mois un avis dans lequel elle considère que la maltraitance des enfants est une question de santé publique, ce qui n’était pas le cas auparavant. Quand vous discutez avec différents acteurs, notamment avec les médecins dont on a remarqué qu’ils font peu de signalements par rapport au nombre de personnes et de familles qu’ils voient, on sent un certain malaise où se soupèse le lien de confiance avec la famille et la nécessité de transmettre des informations préoccupantes. Vous avez déploré que certains signalements ne soient pas suivis d’effet. Mais on touche là au secret. On ne peut pas en effet partager le secret avec le parent d’élève qui a été alerté parce que son fils est « copain » avec un enfant qui lui aura raconté certaines choses. Cela dit, en la matière on peut néanmoins incontestablement améliorer la situation. Les observatoires départementaux de la protection de l’enfance permettent de réunir les acteurs et ainsi de mieux travailler. Par ailleurs, les CRIP ont permis de progresser.

Mme la rapporteure me demande pourquoi le Sénat a supprimé certains articles. Le Conseil national de la protection de l’enfance a été supprimé par une espèce de rigueur que je qualifierai d’ « anti-machin ». Or l’absence de coordination des différents acteurs et d’élaboration d’une doctrine commune de la protection de l’enfance justifie la création de ce conseil. Si l’Assemblée nationale propose de rétablir l’article 1er, j’y serai très favorable.

L’article 7 qui prévoyait la validation du projet pour l’enfant par une commission pluridisciplinaire a été supprimé en raison de la charge de travail supplémentaire que risque d’entraîner cette mesure. Seul un peu moins de 15 % des enfants protégés par l’ASE bénéficient d’un projet pour l’enfant. Les travailleurs sociaux estiment que c’est compliqué, qu’ils n’ont pas le temps, bref ce n’est pas dans leur culture. D’où l’idée de créer un référentiel. Monsieur Dord, nous avons procédé à des comparaisons, notamment avec le Québec. Mais comme l’approche culturelle des autres pays est parfois assez orthogonale par rapport à la nôtre, il est difficile de s’en inspirer. D’abord, les travailleurs sociaux n’aiment pas les référentiels. Contrairement aux Québécois, ils n’aiment pas avoir une grille d’identification. Il faut donc travailler avec eux sur la conception d’un tel référentiel.

Les doctrines sont un peu différentes selon les pays, notamment sur la manière dont on coupe ou non les liens avec la famille biologique. Dans certains pays, on ne s’encombre pas de certaines questions, on ne s’interroge pas, par exemple, sur la place de la famille biologique et des différentes figures d’attachement autour de l’enfant. Du coup, leurs politiques d’adoption sont infiniment plus rapides que les nôtres. En France, l’histoire de la protection de l’enfance est faite de grands mouvements de balancier successifs. Jusque dans les années quatre-vingt, le respect de la famille biologique ne dominait pas la protection de l’enfance. La direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) n’était pas toujours très attentive à cette notion. Depuis le rapport Bianco-Lamy, on a assisté au mouvement de balancier inverse : tout est fondé sur les parents, sur l’autorité parentale. Il nous faut parvenir à placer le curseur du balancier au bon endroit, sans repartir dans l’autre sens, c’est-à-dire celui d’avant 1980.

Certains aimeraient que l’on retire les enfants des parents biologiques et que l’on favorise l’adoption, que l’on « prenne les enfants des pauvres pour les confier aux riches ». La pauvreté est une maltraitance sociale de ces familles mais ce n’est pas la maltraitance des enfants dans la famille. Certains courants de pensée considèrent que la famille biologique est l’alpha et l’oméga de la vie qu’on doit offrir à un enfant. Il faut donc parvenir, dans un contexte sensible, à trouver le bon équilibre en sachant qu’il faut être prudent dans la loi.

Madame Poletti, s’agissant du repérage précoce, l’entretien pendant la grossesse doit être davantage centré sur le « repérage » car c’est le moment où l’on peut aider à construire le lien. Sinon, on risque d’aboutir au placement de l’enfant et à ces fameux aller et retour dommageables dont on a parlé tout à l’heure.

L’irrévocabilité de l’adoption simple pourrait constituer une solution pour bon nombre d’enfants pour lesquels la vie dans la famille d’origine n’est pas possible. L’adoption simple est insuffisamment utilisée dans notre pays en raison de sa révocabilité. Le texte initial de la proposition de loi proposait l’irrévocabilité de l’adoption simple, c’est-à-dire une stabilisation de l’adoption simple car actuellement n’importe quel membre de la famille de l’adopté peut demander la révocation de l’adoption simple. Cette situation est donc extrêmement précarisante tant pour l’adoptant que pour l’adopté. Je suis favorable au rétablissement de l’article 12.

S’agissant des jeunes majeurs, je suis en train de réfléchir à une ou deux propositions. Le code de la famille et de l’action sociale prévoit déjà que l’accompagnement va au-delà de dix-huit ans, c’est-à-dire à vingt et un ans. Toutefois, l’application de cet article est différente d’un département à l’autre car il n’est pas très directif. Or on ne peut pas le rendre totalement directif. Je vous proposerai des amendements qui prévoient que le jeune majeur soit suivi et qu’un travail soit fait avec lui avant la rupture. Je précise que certains conseils départementaux font des choses formidables en matière d’accompagnement des jeunes majeurs.

Les mineurs isolés étrangers relèvent, comme les autres mineurs, de l’aide sociale à l’enfance. Ce sont des mineurs. C’est d’ailleurs toute la noblesse de la loi française de les traiter d’abord comme des mineurs. Il existe des problèmes en ce qui concerne leur répartition sur l’ensemble du territoire. Je proposerai un amendement afin de donner une base légale à la circulaire Taubira et faire en sorte que les départements prennent leur part de manière équitable. Paris est l’une des villes les plus sollicitées sur la question des mineurs isolés étrangers.

Mme Isabelle Le Callennec. La Seine-Saint-Denis aussi !

Mme la secrétaire d’État. La Ville de Paris vient de présenter un plan en faveur des mineurs isolés étrangers. Il est vrai qu’il existe des cas où l’on a un doute sur le fait qu’ils soient mineurs.

Monsieur Delatte, le syndrome d’aliénation parentale est une maladie curieusement spécifique à la France, aussi interpelle-t-elle un certain nombre de personnes. L’existence de ce syndrome ne fait pas consensus. Mais les enfants dont les parents se séparent ne relèvent pas de la protection de l’enfance, du moins pas systématiquement, notre but étant même qu’ils en relèvent le moins possible. Votre question porte surtout sur la résidence alternée. Je souhaite que l’on se concentre sur l’objet du texte, c’est-à-dire la protection de l’enfant, et pas sur l’ensemble des questions liées à l’évolution du droit de la famille.

M. Jean-Patrick Gille, président. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour vos réponses et votre disponibilité.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la proposition de loi relative à la protection de l’enfant sera examinée par notre commission le mardi 5 mai, après-midi, et qu’elle est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le mardi 12 mai, après-midi et soir. Par ailleurs, je vous indique que la date limite de dépôt des amendements à cette proposition, en ligne depuis la mi-mars, est fixée conformément au règlement au jeudi 30 avril, à dix-sept heures.

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission procède à l’examen de la présente proposition de loi lors de sa séance du mardi 5 mai 2015.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous examinons cet après-midi la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, déposée puis adoptée en première lecture le 11 mars dernier au Sénat à l’unanimité, après avoir été substantiellement modifiée par celui-ci. L’audition, sur cette proposition de loi, de la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, Mme Laurence Rossignol, a eu lieu le 14 avril dernier, avant la suspension de nos travaux. La proposition de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique du mardi 12 mai. Si notre Commission est saisie au fond de ce texte, la commission des Lois s’est saisie pour avis de dix articles de celle-ci, raison pour laquelle Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis, est ici présente. Nous examinerons donc aussi les amendements adoptés ce matin par la commission des Lois, qui s’est saisie des articles 11, 12, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 21 bis et 22.

Mme Annie Le Houérou, rapporteure. Cette proposition de loi a été déposée au Sénat par nos collègues Michelle Meunier, membre du groupe socialiste, et Muguette Dini, membre du groupe UDI-UC, en septembre 2014. Elle fait suite à de nombreux travaux et rapports, notamment un rapport d’information publié par ces deux sénatrices.

La protection de l’enfance par l’aide sociale à l’enfance des départements de France concerne près de 300 000 jeunes. Chaque année, 7 milliards d’euros, soit 20 % des dépenses départementales d’action sociale, y sont consacrés. Au-delà de ces chiffres, l’avenir de nombreux enfants se construit autour de ce dispositif. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a permis à cette politique de gagner en lisibilité, mais aussi en efficacité. Cependant, elle doit être améliorée car son application se heurte à des obstacles : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, formation insuffisante des professionnels concernés, ou encore manque de coopération entre les différents secteurs d’intervention en ce domaine. Le développement de la prévention a également pris du retard. Cette loi a introduit un changement de paradigme : alors que l’on privilégiait auparavant le placement des enfants en établissement par l’intermédiaire de la DDASS (direction départementale de l’action sanitaire et sociale), on fait prévaloir depuis 2007 le maintien du lien familial biologique, parfois à tout prix. Il nous revient donc de chercher un nouvel équilibre entre ces deux approches en nous préoccupant avant tout de l’intérêt de l’enfant. Le parcours des enfants protégés est également parfois trop instable, ce qui remet en cause l’équilibre nécessaire à leur bon développement.

Cette proposition de loi poursuit trois objectifs principaux : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, sécuriser le parcours de l’enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et garantir une plus grande stabilité de l’enfant, en particulier en adaptant son statut lorsqu’il fait l’objet d’un placement de longue durée. La proposition de loi présentée au Sénat, qui vise à mettre l’intérêt de l’enfant au centre de nos préoccupations, a été largement amendée lors de son examen en commission puis en séance publique, dix de ses vingt-trois articles ayant été supprimés.

III. EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER
AMÉLIORER LA GOUVERNANCE NATIONALE ET LOCALE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE

Article 1er
(art. L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles)

Création d’un conseil national de la protection de l’enfance

Le présent article, supprimé par le Sénat en séance publique, prévoyait la création d’un organe à compétence nationale en matière de protection de l’enfance, dénommé Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE).

1.  Le dispositif initial

L’article 1er de la proposition de loi initiale tendait à compléter l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, qui définit les objectifs de la politique de protection de l’enfance, par un alinéa prévoyant la création d’une instance à compétence nationale, intitulée Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE).

Placée auprès du Premier ministre, cette instance devait être chargée de proposer au Gouvernement les orientations nationales en matière de politique de protection de l’enfance et d’en évaluer la mise en œuvre. Ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement devaient être précisées par décret.

La création de cette instance consultative entendait répondre au manque de coordination entre les différents acteurs, d’une part, et entre l’échelon local et l’action de l’État, d’autre part. La politique de protection de l’enfance, fortement décentralisée, fait en effet intervenir un nombre important d’acteurs. La diversité des pratiques qui en résulte ne permet pas de garantir l’égalité de traitement des enfants sur l’ensemble du territoire.

2.  Un dispositif supprimé par le Sénat

Lors de la discussion de la présente proposition de loi au Sénat, cet article a d’abord été enrichi par sa commission des Affaires sociales avant d’être supprimé en séance publique :

– La commission des Affaires sociales du Sénat, sur proposition de sa rapporteure Mme Michelle Meunier, a tout d’abord adopté un amendement précisant que ce Conseil avait également pour mission de promouvoir la convergence des politiques menées au niveau local, dans le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

– L’article 1er a ensuite été supprimé en séance publique, à l’initiative de M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, au motif que le pilotage par une nouvelle instance nationale d’un dispositif décentralisé, dont l’objet est de la compétence des départements, était illusoire. A également été invoqué le risque de doublon entre cet organisme et l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), que l’article 3 de la présente proposition de loi prévoit d’instituer en remplacement de l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned).

Votre rapporteure est favorable au rétablissement de l’article 1er dans sa rédaction issue des travaux de la commission des Affaires sociales du Sénat. La création du CNPE permettrait en effet d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de la protection de l’enfance, celles-ci restant à l’heure actuelle caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les départements et, au sein d’un même territoire, par un cloisonnement de l’action des différents acteurs.

*

La Commission des affaires sociales a adopté deux amendements identiques, présentés par votre rapporteure, par Mme Françoise Dumas et par les commissaires du groupe SRC, visant à rétablir l’article 1er, supprimé par le Sénat en séance publique.

Cet amendement de rétablissement de l’article 1er tend également à enrichir les missions du Conseil national de la protection de l’enfant, puisque celui-ci se trouverait également chargé de promouvoir la convergence des politiques menées au niveau local, dans le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

La création de ce Conseil national doit permettre d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de la protection de l’enfance, celles-ci restant à l’heure actuelle caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les départements et, au sein d’un même territoire, par un cloisonnement de l’action des différents acteurs.

*

La Commission examine les amendements identiques AS79 de la rapporteure et AS24 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. L’amendement AS79 vise à réintroduire l’article 1er de la proposition de loi tel qu’il avait été adopté par la commission des Affaires sociales du Sénat. Cet article prévoit la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, afin d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de protection de l’enfance, aujourd’hui caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les différents départements ainsi que par un cloisonnement des interventions des différents acteurs concernés. La diversité des pratiques ne permet pas de garantir une égalité de traitement entre tous les enfants sur l’ensemble du territoire. Ce Conseil national se substituera au Comité technique de prévention spécialisé, qui était chargé d’un champ important mais trop limité de la protection de l’enfance, ainsi qu’au Comité interministériel de l’enfance maltraitée et au Comité technique de soutien à la parentalité. Il s’agit donc d’une mesure de simplification.

Mme Françoise Dumas. L’amendement identique AS24 vise à rétablir un article important pour la cohésion d’ensemble du dispositif créé par la proposition de loi. De nombreux rapports ont illustré la nécessité d’assurer, sur tout le territoire, une égalité de moyens permettant de prendre en charge la protection de l’enfance. Ce Conseil national présentera un double intérêt : il permettra d’assurer une cohérence nationale tout en servant de réceptacle aux expériences locales des départements, et aussi de pourvoyeur d’idées. Il constitue le socle de ce texte qui place au centre de toute politique de protection de l’enfance l’enfant lui-même. Il faut que tous les enfants sur l’ensemble du territoire français puissent bénéficier d’une égalité de prise en charge.

M. Dominique Dord. Le Sénat a-t-il supprimé l’article 1er parce qu’il estimait que la création de ce Conseil national reviendrait, en visant à harmoniser les pratiques, à imposer une tutelle sur les départements dans la gestion de cette politique ?

M. Élie Aboud. Nous sommes globalement favorables à cette proposition de loi mais je m’interroge quant au rétablissement de ce premier article. Votre amendement tend à décloisonner la gouvernance de la protection de l’enfance, qui fait intervenir de multiples acteurs : le département, certes, mais aussi les caisses d’allocations familiales (CAF), le Comité interministériel de l’enfance maltraitée et le Comité technique de soutien à la parentalité. Cela risque de poser problème par la suite. N’est-ce pas précisément pour cette raison que le Sénat a supprimé cet article ?

Mme Bérengère Poletti. Lorsque le Sénat a débattu de cet article, il s’est préoccupé des questions de financement et de simplification de la politique de protection de l’enfance, tout comme nous lorsque nous avons abordé le problème de l’accompagnement des personnes âgées et envisagé la création d’un Haut conseil de l’âge.

Je ne suis pas certaine que l’on réponde aux objectifs de protection de l’enfance en créant des niveaux d’intervention supplémentaires. Nous disposons déjà de plusieurs conseils, tels que le Défenseur des droits ou le Conseil économique, social et environnemental. Nous ne sommes donc démunis ni en termes de soutien, ni en matière d’orientation. En outre, quel serait le coût de cette structure ?

Les départements manquent déjà de ressources pour faire face à des politiques très coûteuses – l’aide sociale à l’enfance représente 20 % de leurs dépenses d’aide sociale. Dans mon département, la dynamique des dépenses en faveur de l’aide sociale à l’enfance explose alors que les moyens pour y faire face sont en diminution. Nous ferions donc mieux de faire en sorte que le département soit mieux armé financièrement pour mener ces politiques que de créer de telles structures.

Mme la rapporteure. Si le Sénat a supprimé cet article, c’est effectivement pour des raisons de moyens, mais pas de tutelle. Il a souligné le fait que plusieurs autres organismes existaient déjà, tels que l’Observatoire national de l’enfance en danger. Mais le Conseil national de la protection de l’enfance jouera un rôle différent, réclamé par les professionnels et les départements : celui de contribuer à harmoniser les politiques locales. Tous les rapports sur le sujet ont en effet mis en exergue l’hétérogénéité de traitement des situations selon les territoires.

Dans le même temps, nous proposons la suppression d’autres organismes qui fusionneront avec ce Conseil national. Regroupant l’ensemble des professionnels impliqués dans ce champ pluridisciplinaire, ce Conseil sera placé auprès du Premier ministre et garantira la présence des différentes institutions intervenant en faveur de la protection de l’enfance.

En ce qui concerne la création d’un Haut conseil de l’âge, il y aura lieu d’harmoniser les pratiques, notamment dans le cadre du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, afin de traiter tous les âges de la vie.

M. Jean-Pierre Barbier. L’harmonisation des politiques locales par ce nouveau Conseil ne risque-t-elle pas de faire peser de nouvelles obligations, et par conséquent de nouvelles dépenses non compensées, sur les départements ? Ainsi que l’a souligné Bérengère Poletti, la situation financière des départements est difficile en raison notamment de la montée en charge du revenu de solidarité active (RSA). Les orientations fixées par ce Conseil seront-elles obligatoires ou facultatives ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le débat sur le RSA viendra ultérieurement.

Mme la rapporteure. Ce Conseil national émettra des préconisations. Pour autant, il le fera dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales.

M. Dominique Dord. Voilà qui me paraît ambigu.

Mme la rapporteure. Pas du tout. Ce Conseil sera aussi un lieu de partage des bonnes pratiques, comme le souhaitent les travailleurs sociaux de l’ensemble des départements.

Mme Françoise Dumas. La protection de l’enfance recouvre davantage que les seules questions de l’enfance maltraitée et de la prévention spécialisée. Elle concerne aussi les enfants accueillis provisoirement, placés en institution et confiés à des tiers ou à des établissements après intervention du juge. L’article 1er présente l’intérêt de permettre aux acteurs concernés de faire remonter leurs difficultés et de faire en sorte que soient étudiées les différentes modalités de prise en charge des enfants. La création de ce Conseil national n’induira pas de dépenses supplémentaires pour les départements mais répond à la volonté des professionnels du secteur.

M. Élie Aboud. S’agira-t-il d’un lieu de réflexion ou d’un organisme décideur ?

Mme Bérengère Poletti. Notre collègue semble affirmer que la création de cette nouvelle structure ne coûtera rien. Pourtant, elle aura des dépenses de fonctionnement. Quelles seront ses modalités de fonctionnement ?

Mme la rapporteure. Notre amendement dispose que ce Conseil national est institué auprès du Premier ministre et que son rôle consiste à proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, à formuler des avis sur toute question s’y rattachant et à en évaluer la mise en œuvre. Il promeut la convergence des politiques menées au niveau local dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement seront définies par décret.

De nombreux acteurs interviennent dans le cadre de la protection de l’enfance, y compris des services de l’État tels que l’éducation nationale. Il est donc essentiel de disposer d’un tel Conseil national pour rassembler tous ces acteurs autour d’un objectif commun – la préconisation de bonnes pratiques, dans l’intérêt de l’enfant. Ce partage de bonnes pratiques sera porteur d’économies pour les départements.

La Commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rétabli.

*

Article 1er bis (nouveau)
(art. L. 112-5 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles)

Mise en place, dans chaque département, d’un protocole
entre les acteurs institutionnels et associatifs chargés de la prévention

Sur proposition de votre rapporteure, de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe SRC, la Commission des affaires sociales a adopté un article additionnel visant à mettre en place un protocole associant, dans chaque département, les acteurs institutionnels et associatifs concernés par la politique de prévention.

À côté du conseil départemental, différents acteurs, parmi lesquels les caisses d’allocations familiales, mais également les services de l’État et les communes, mettent en œuvre des politiques de prévention qui restent le plus souvent cloisonnées.

En favorisant le travail en commun entre ces acteurs, le présent article additionnel tendra à améliorer la prévention des situations de maltraitance. Il propose de rassembler les synergies dans une démarche coordonnée de définition des priorités à l’échelle du territoire, contribuant ainsi à éviter la dispersion des projets et des financements.

*

La Commission est saisie des amendements identiques AS82 de la rapporteure et AS29 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Cet amendement a pour objet de mettre en place un protocole entre les départements et les acteurs concernés par la prévention, notamment les caisses d’allocations familiales (CAF). Les départements, de même que les CAF et certaines communes, mettent en œuvre des politiques de prévention qui restent le plus souvent cloisonnées. L’élaboration d’un protocole associant les départements et les différents acteurs institutionnels et associatifs concernés par la prévention permettra de favoriser les synergies et une démarche coordonnée de définition des priorités à l’échelle d’un territoire.

Mme Françoise Dumas. Il importe de donner à la prévention toute sa place dans la protection de l’enfance en mettant l’accent sur sa gouvernance, notamment en lien avec les CAF. La prévention est au fondement même de tout le travail que nous devons faire en matière d’action sociale.

Mme Bérengère Poletti. Je souscris à l’objectif poursuivi dans la mesure où la communication entre les acteurs est précisément ce qui fait défaut à la prévention pour l’aide sociale à l’enfance. Je suis néanmoins étonnée que les médecins ne soient pas cités dans cet amendement alors que l’on a souligné leur manque de réactivité face à la maltraitance. Quant à l’éducation nationale, est-elle considérée comme un service de l’État ? Ne devrait-on pas la viser explicitement ?

M. Élie Aboud. La deuxième phrase de ces amendements dispose que le protocole établi dans chaque département définira les modalités de mobilisation et de coordination des acteurs autour de priorités partagées. Cela suppose-t-il que les départements devront dégager des moyens de financement pour mettre en œuvre ces priorités ou bien l’État compensera-t-il une telle charge ?

M. Jean-Pierre Barbier. L’exposé sommaire de ces amendements prévoit que la gouvernance de la prévention associera les départements et les CAF. Cela veut-il dire que cette gouvernance sera partagée ? Jusqu’ici, les choses me paraissaient simples puisque le département était chef de file en ce domaine. Mais je crains que cet article additionnel n’introduise de l’incertitude à cet égard.

M. Jean-Louis Costes. Nous nous accordons tous sur les objectifs poursuivis : une meilleure coordination nationale, une harmonisation des pratiques. Mais en vertu des lois de décentralisation, les conseils départementaux votent des schémas départementaux de l’enfance comprenant un volet relatif à la prévention. Or, avec le dispositif que vous proposez d’introduire, on ne saura plus qui fait quoi.

M. Dominique Dord. Ces amendements me semblent être dans le même esprit que l’article 1er et anticiper sur les bonnes pratiques qu’il devrait revenir au Conseil national de définir. En créant un nouveau Conseil et un protocole obligatoire, ces deux articles sont redondants et ambigus quant à la responsabilité dévolue à chacun des acteurs. Une fois que le Conseil national aura défini des bonnes pratiques, des départements pourront-ils décider de ne pas les suivre ? Il me semble que c’est cette ambiguïté qui a conduit le Sénat à supprimer l’article 1er.

Mme la rapporteure. Je vous remercie, madame Poletti, de souscrire à l’esprit de nos amendements. Nous souhaitons en effet pallier le manque de coopération entre les différents domaines d’intervention de la protection de l’enfance.

L’éducation nationale étant effectivement un service de l’État, elle est bien concernée par nos amendements. Il importe que l’ensemble des actions de prévention en matière de parentalité et d’accompagnement des enfants soit cohérent. Tel est l’objectif de ces protocoles qui associeront le département – le président du conseil départemental est le chef de file, responsable en quelque sorte de la protection de l’enfance – et les autres intervenants impliqués dans cette politique. Il est essentiel que ces protocoles puissent prévoir les responsabilités de chacun dans l’accompagnement de l’enfant et de sa famille, afin d’éviter la dispersion et la concurrence entre les différents services concernés.

Nous reviendrons à l’article 4 sur le nécessaire échange d’informations entre les médecins, madame Poletti, car ces derniers sont susceptibles de faire partie des partenaires intervenant pour le conseil départemental et d’apporter leur contribution à l’élaboration de ce protocole.

Cet article additionnel ne pose aucune question de gouvernance puisqu’il s’agit d’élaborer des protocoles d’accompagnement. Pour avoir défini une charte avec les différents acteurs sur mon territoire, je peux vous dire que ce type de dispositif fonctionne très bien.

M. Jean-Pierre Barbier. Il me paraît inacceptable que, comme le prévoit l’exposé sommaire de ces amendements, la gouvernance de la protection de l’enfance soit partagée entre le conseil départemental et les CAF.

Mme Bérengère Poletti. Alors qu’actuellement, tous les départements sont censés définir des projets personnalisés pour l’enfant, 30 % d’entre eux n’ont pas rempli cette obligation, faute de moyens et de personnel. Du fait de l’augmentation de leur activité d’aide sociale à l’enfance, ils éprouvent de grandes difficultés à parvenir à définir ces projets. Or, nous nous apprêtons à leur demander d’élaborer des protocoles de prévention : j’espère qu’il ne s’agit pas là d’un vœu pieux.

Mme Françoise Dumas. Les deux démarches ne sont pas incompatibles : l’une se concentre sur l’enfant, l’autre sur les relations institutionnelles entre les différents responsables. Le département est effectivement chef de file de l’ensemble de la protection de l’enfance mais il n’est pas isolé sur un territoire. Le principe de libre administration des collectivités territoriales est tel que l’élaboration d’objectifs de prévention par l’ensemble des partenaires institutionnels et associatifs d’un département apportera de la cohérence à cette politique, en fonction des besoins particuliers du territoire. Le dispositif que nous proposons ne fera qu’enrichir, sur un territoire donné, l’ensemble de la politique de la protection de l’enfance dans son volet relatif à la prévention.

M. Élie Aboud. La question que nous soulevons ne concerne ni la prévention ni la mutualisation mais la fixation, par un organisme pluri-institutionnel, d’un schéma directeur qui s’imposera aux départements alors que notre objectif est de simplifier la gouvernance. Le dispositif que vous proposez permettra à ce Conseil national de donner des ordres aux élus départementaux. Or, si aucun moyen financier ne leur est accordé, cela posera un problème de transparence et de gouvernance.

M. Fernand Siré. Il conviendrait également de mentionner ici la justice. Car souvent, les juges des enfants sont démunis lorsque, faute de lieu approprié, ils doivent placer des enfants délinquants dans des établissements de protection de l’enfance, avec les risques de contagion que cela implique.

La Commission adopte les amendements AS82 et AS29.

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Article 2
(art. L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles)

Missions des observatoires de la protection de l’enfance
au regard de l’obligation légale de formation des professionnels

Le présent article, adopté sans modification par le Sénat dans la rédaction initiale de la présente proposition de loi, confie aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE) une mission supplémentaire relative au suivi de la formation continue des professionnels de la protection de l’enfance.

1.  Le droit en vigueur

a.  Les missions des observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE)

Les missions des observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE) sont définies à l’article L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles.

Ce dernier prévoit que chaque ODPE est chargé de recueillir, d’examiner et d’analyser les données relatives à l’enfance en danger dans le département, doit être informé de toute évaluation des services et établissements intervenant dans le domaine de la protection de l’enfance, doit suivre la mise en œuvre du schéma d’organisation sociale et médico-sociale en tant qu’il concerne ces établissements et services, et formuler des propositions et avis sur la mise en œuvre de la politique de protection de l’enfance.

Il est également précisé dans le même article que l’ODPE établit des statistiques, portées à la connaissance de l’assemblée départementale et transmises aux représentants de l’État et de l’autorité judiciaire.

b.  La formation des professionnels de la protection de l’enfance

L’obligation de formation, initiale et continue, des professionnels de la protection de l’enfance (personnels médicaux et paramédicaux, travailleurs sociaux, magistrats, personnels de police, enseignants…) est prévue par l’article L. 542-1 du code de l’éducation qui précise, depuis la loi du 5 mars 2007 (7), que cette formation est en partie commune aux différentes professions et institutions, afin de favoriser le développement d’une culture professionnelle partagée.

Les thèmes et les objectifs des programmes de formation sont précisés au niveau réglementaire par l’article D. 542-1 du même code.

2.  Le dispositif proposé par le Sénat

Le présent article tend à confier aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE) une nouvelle mission relative à l’obligation légale de formation des professionnels de la protection de l’enfance.

Il complète l’article L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles par un alinéa qui confie aux ODPE la mission supplémentaire de réaliser un bilan annuel des formations continues délivrées aux professionnels de la protection de l’enfance et, sur cette base, d’élaborer un programme pluriannuel de leurs besoins en formation dans le département.

Votre rapporteure est favorable à l’adoption de l’article 2, qui permettrait de renforcer l’effectivité et le suivi des formations des professionnels de la protection de l’enfance.

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La Commission des affaires sociales a adopté deux amendements identiques présentés par votre rapporteure, par Mme Françoise Dumas et les commissaires du groupe SRC tendant à fixer par décret la composition des ODPE, qui devraient toutefois être pluri-institutionnelles.

L’expérience des pratiques au sein des OPDE a en effet montré la nécessité de préciser leur composition pour qu’y siègent effectivement les représentants des différents partenaires de la protection de l’enfance.

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La Commission aborde les amendements identiques AS81 de la rapporteure et AS28 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. L’amendement AS81 renvoie à un décret la fixation de la composition pluri-institutionnelle des observatoires départementaux de protection de l’enfance. L’expérience des pratiques au sein de ces observatoires a montré la nécessité de préciser leur composition pour s’assurer que celle-ci soit bien pluridisciplinaire grâce à la présence des représentants des différents partenaires de la protection de l’enfance.

Mme Françoise Dumas. Je soutiens le même amendement, cohérent avec ce que nous avons affirmé précédemment. La composition de ces observatoires départementaux doit être fixée par décret afin que puissent y siéger les représentants de tous les partenaires de la protection de l’enfance.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

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Article 2 bis (nouveau)
(art. L. 542-3 du code de l’éducation)

Intégration des séances d’information et de sensibilisation
à l’enfance maltraitée au sein du « parcours éducatif de santé »

Sur proposition de Mme Martine Pinville, la Commission des affaires sociales a adopté le présent article additionnel visant à intégrer les séances d’information et de sensibilisation à l’enfance maltraitée, organisées chaque année au moins dans les écoles, les collèges et les lycées, au « parcours éducatif de santé » des élèves, prévu par le projet de loi de modernisation de notre système de santé adopté par l’Assemblée nationale en première lecture et en cours de navette.

Ce « parcours éducatif de santé » a pour objectifs de permettre à tous les élèves de disposer des connaissances, des compétences et de la culture leur permettant de prendre en charge leur propre santé de façon autonome et responsable. Il vise à faciliter la coordination et l’organisation des différentes actions en matière d’éducation à la santé des jeunes et des adolescents.

L’inscription des actions d’information et de sensibilisation à l’enfance maltraitée, prévues à l’article L. 542-3 du code de l’éducation, au sein d’un parcours éducatif de santé correspond bien à l’un des objectifs de la politique de protection de l’enfance, qui est de garantir le bon développement physique et psychique de l’enfant, et donc sa santé. En permettant une meilleure information des enfants, il favorisera en outre la prévention des situations de maltraitance.

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La Commission en vient à l’amendement AS40 de Mme Martine Pinville.

Mme Martine Pinville. Cet amendement vise à intégrer les séances d’information et de sensibilisation à l’enfance maltraitée organisées, chaque année au moins, dans les écoles, les collèges et les lycées, dans le parcours éducatif de santé des élèves.

Mme la rapporteure. Avis défavorable : je vous rejoins sur le fond mais il ne me paraît pas opportun de viser ici le projet de loi de santé, actuellement encore en cours de discussion.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Retirez-vous votre amendement, madame Pinville ?

Mme Martine Pinville. Je le maintiens.

La Commission adopte l’amendement.

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Article 3
(art. L. 226-6, L. 226-9 et L. 226-10 du code de l’action sociale et des familles)

Changement de dénomination de l’Oned en ONPE

Le présent article, modifié par le Sénat en séance publique, tend à changer la dénomination de l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned) en Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) et à modifier le périmètre du dispositif d’observation de la protection de l’enfance.

1.  Le droit en vigueur

L’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned), créé par l’article 9 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, fait partie, aux côtés du « Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger » (Snated), du groupement d’intérêt public « Enfance en danger » (Giped).

Ses missions sont définies à l’article L. 226-6 du code de l’action sociale et des familles. L’Oned est ainsi chargé du recueil et de l’analyse des données et des études concernant la maltraitance envers les mineurs, en provenance des divers acteurs œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance. Il contribue à la mise en cohérence des différentes données et informations et à l’amélioration de la connaissance des phénomènes de maltraitance. Il recense les bonnes pratiques de prévention, de dépistage et de prise en charge médico-sociale et judiciaire de la maltraitance, afin d’en assurer la promotion.

2.  Le dispositif initial

Le présent article vise à opérer un changement sémantique, en transformant l’Oned en Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE). Il modifie en conséquence chaque article du code de l’action sociale et des familles dans lequel l’Oned est actuellement mentionné (2°).

Cette modification doit permettre de mieux identifier la tête de réseau des observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE). Elle traduit la volonté de dépasser la problématique de l’enfance en danger pour privilégier celle, plus large, de la protection de l’enfance, conformément aux orientations de la loi précitée du 5 mars 2007.

3.  Les modifications apportées par le Sénat

L’article 3 a été enrichi en séance publique par un 3° résultant de l’adoption d’un amendement présenté par Mme Hermeline Malherbe et plusieurs de ses collègues. Celui-ci permet de faire entrer dans le périmètre de l’observation nationale toute mesure de protection de l’enfance, administrative ou judiciaire, hors aides financières.

Cette modification fait suite aux recommandations du rapport d’experts rendu public le 2 juillet 2013, établi à la suite d’une démarche de réflexion et d’expertise en vue d’un consensus sur le périmètre de l’observation de la population prise en charge dans le dispositif de protection de l’enfance, lancée par le GIP « Enfance en danger » (Oned) et l’État, avec le soutien de l’Assemblée des départements de France. Elle a été reprise par la commission présidée par Mme Adeline Gouttenoire dans son rapport de février 2014 (proposition n° 3).

La formulation retenue actuellement par l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles pour les règles d’inclusion des mineurs dans l’observation de la protection de l’enfance s’appuie exclusivement sur la notion d’ « information préoccupante ».

Cette disposition ne permet cependant pas une observation exhaustive de la population visée. En effet, les départements font une interprétation très variable de la notion d’information préoccupante. Un certain nombre de mesures de protection de l’enfance sont en outre mises en place en dehors du cadre posé par cette notion. Les règles actuelles ne permettent pas non plus de suivre le parcours des jeunes majeurs bénéficiant d’une aide au titre de la protection de l’enfance, empêchant ainsi une connaissance statistique précise et fiable de ces dispositifs et des publics concernés.

L’amendement présenté par Mme Malherbe et adopté en séance publique complète l’article 3 afin d’insérer dans le code de l’action sociale et des familles un nouvel article L. 226-3-3 modifiant le périmètre de l’observation de la protection de l’enfance.

Il permet de faire entrer dans ce champ toute mesure de protection de l’enfance, administrative ou judiciaire, hors aides financières.

Entreront ainsi dans le périmètre de l’observation au titre de la protection de l’enfance les personnes bénéficiant d’une aide à domicile attribuée lorsque la santé, la sécurité, l’entretien ou l’éducation de l’enfant l’exigent (article L. 222-3 du code de l’action sociale et des familles), les mineurs bénéficiant d’un accueil de jour (article L. 222-4-2 du même code), les personnes prises en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental (article L. 222-5du même code), les enfants recueillis provisoirement par le service de l’aide sociale à l’enfance avant toute décision judiciaire ou accord de leurs représentants légaux, en cas d’urgence ou de danger (article L. 223-2 du même code), les mineurs maintenus dans leur milieu naturel sur décision du juge (article 375-2 du code civil), les enfants confiés (article 375-3 du code civil), les mineurs et leurs parents lorsque le juge a ordonné une mesure d’information concernant leurs personnalités ou leurs conditions de vie (article 1183 du code de procédure civile).

La modification introduite en séance publique permet en outre d’intégrer les majeurs de moins de 21 ans dans le périmètre de l’observation retenu.

Pour les mêmes raisons que celles mentionnées ci-dessus, votre rapporteure est favorable à la rédaction de l’article 3 telle qu’adopté par le Sénat.

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La Commission adopte les amendements de précision AS65 et AS66 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

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Article 4
(art. L. 2112-1 du code de la santé publique)

Désignation d’un médecin référent pour la protection de l’enfance
au sein de chaque département

Le présent article, modifié par le Sénat en séance publique, prévoit la désignation, dans chaque département, d’un médecin référent labellisé « protection de l’enfance », chargé d’établir des liens de travail réguliers entre différents acteurs de la protection de l’enfance du département.

1.  Le dispositif initial

Le présent article vise à renforcer le travail en réseau des professionnels de santé afin de garantir une prise en charge mieux coordonnée et plus efficace des enfants en danger.

Le secteur médical représente en effet une faible part des sources émettrices d’informations préoccupantes et de signalements, notamment par rapport aux autres acteurs, en particulier l’Éducation nationale. Les professionnels de santé constituent pourtant des acteurs essentiels de la protection de l’enfance, tous les enfants étant amenés, à un moment ou à un autre, à être examinés par un médecin.

Cette situation peut s’expliquer par le manque de formation des professionnels de santé aux problématiques de la protection de l’enfance, par l’ignorance des procédures mises en place dans le département pour la transmission des informations, ou encore par un certain isolement professionnel, en particulier des médecins libéraux.

Afin de renforcer les liens de travail entre les professionnels de santé du département et les services départementaux chargés de la protection de l’enfance, l’article 4 de la présente proposition de loi tend à compléter l’article L. 2112-1 du code de la santé publique relatif au service de protection maternelle et infantile (PMI) par un alinéa prévoyant la désignation d’un médecin référent. Celui-ci est chargé d’établir des relations de travail régulières en coordonnant l’action et en facilitant la transmission d’informations entre les services départementaux, la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire du département.

Le dispositif initial prévoyait que ce médecin référent était désigné au sein de chaque service départemental de protection maternelle et infantile (PMI).

2.  Les modifications apportées par le Sénat

Le dispositif initial a été modifié par deux amendements adoptés en séance publique au Sénat.

Un amendement de la rapporteure de la commission des Affaires sociales vise à pouvoir désigner le médecin référent du département, le cas échéant, en dehors du service départemental de protection maternelle et infantile (PMI).

Cette modification a été justifiée par la rapporteure par la nécessité d’offrir davantage de souplesse en prévoyant que le médecin référent puisse être tout médecin du département, et pas forcément celui du service de la PMI. Elle vise également, ce faisant, à garantir que la collaboration entre le secteur médical du département et les services de la protection de l’enfance du conseil général s’étende à l’ensemble des enfants, jusqu’à leur majorité.

Par ailleurs, à l’initiative de M. Jean-Noël Cardoux et de plusieurs de ses collègues, un amendement destiné à préciser le rôle du médecin référent du département a été intégré dans le présent article. Afin d’établir des liens de travail réguliers entre les acteurs concernés, l’amendement précise que le médecin est chargé de coordonner leur action et de faciliter la transmission d’informations.

Votre rapporteure est favorable à l’article 4 ainsi rédigé, qui garantit une prise en charge plus efficace des enfants en danger grâce à une meilleure coopération entre les professionnels de santé et les autres acteurs de la politique de protection de l’enfance.

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La Commission des affaires sociales a adopté deux amendements identiques, présentés par votre rapporteure, par Mme Françoise Dumas et les commissaires du groupe SRC, visant à déplacer la disposition prévue par le présent article, qui, dans la proposition de loi adoptée par le Sénat, figurait dans le code de la santé publique parmi les articles relatifs à la protection maternelle et infantile, vers le code de l’action sociale et des familles, dans sa partie consacrée à la protection de l’enfance.

En effet, le médecin référent « protection de l’enfance » du département, dont la mise en place est prévue par le présent article, n’est pas nécessairement un médecin de protection maternelle et infantile. Or, cette disposition était initialement placée à l’article L. 2112-1 du code de la santé publique, consacré à la protection maternelle et infantile, ce qui aurait pu être source de confusion.

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La Commission examine en discussion commune les amendements identiques AS86 de la rapporteure et AS30 de Mme Françoise Dumas, et l’amendement AS42 de Mme Martine Pinville.

Mme la rapporteure. L’amendement AS86 vise à déplacer la disposition relative au médecin référent « protection de l’enfance », que la proposition de loi fait figurer parmi les articles du code de la santé publique consacrés à la protection maternelle et infantile (PMI), dans la partie du code de l’action sociale et des familles relative à la protection de l’enfance. Ce déplacement est justifié par le fait que le médecin référent du département n’est pas nécessairement un médecin de PMI. Cet amendement répond à l’une des interrogations soulevées par Mme Poletti tout à l’heure.

Mme Françoise Dumas. Il s’agit de faire en sorte que nous disposions d’au moins un médecin référent par département. La coordination est parfois insuffisante en matière de protection de l’enfance, par manque d’échanges de données médicales.

Mme Bérengère Poletti. Ce médecin référent sera désigné au sein d’un service du département. Il s’agira donc d’un médecin salarié du conseil départemental. Si je plaide pour que le monde médical s’implique dans la protection de l’enfance, il reste que dans mon département comme dans d’autres, le conseil départemental éprouve de grandes difficultés à recruter des médecins. Je crains donc qu’encore une fois, cet amendement reste l’expression d’un vœu pieux.

M. Élie Aboud. Il me paraît bénéfique de désigner des médecins référents. Mais cet amendement risque de poser problème, compte tenu de notre démographie médicale.

Mme Martine Pinville. Il me semble intéressant qu’au sein du conseil départemental, un médecin soit désigné comme référent auprès des services de protection de l’enfance afin de répondre à leurs questions.

Mme Françoise Dumas. De fait, dans chaque département, et au sein de chaque service de l’aide sociale à l’enfance, de protection de l’enfance ou de PMI, sont obligatoirement présents des médecins territoriaux. Nous ne créons donc pas de charges supplémentaires en désignant un médecin comme référent du département en matière de protection de l’enfance.

M. Jean-Pierre Barbier. Ces amendements vont loin dans le détail du fonctionnement des départements, remettant ainsi en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales.

La Commission adopte les amendements AS86 et AS30, rendant sans objet l’amendement AS42.

En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé.

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Après l’article 4

La Commission examine les amendements identiques AS85 de la rapporteure et AS31 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Je retire l’amendement AS85 au profit de l’amendement AS23 de M. Dominique Potier, plus large que le mien.

Mme Françoise Dumas. Moi de même.

Les amendements AS85 et AS31 sont retirés.

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Article 4 bis
(art. L. 221-3 du code de l’action sociale et des familles)

Encadrement des demandes de renseignements, formulées
par les services sociaux étrangers, portant sur la situation
d’un enfant français vivant à l’étranger

Le présent article 4 bis, introduit au Sénat en séance publique par un amendement de M. Olivier Cadic et plusieurs de ses collègues, concerne les enfants français vivant à l’étranger et victimes de maltraitance. Il vise à informer les services compétents du ministère de la justice en cas de demande de renseignements, par les services sociaux étrangers, relative à la situation d’un enfant français vivant à l’étranger.

Lorsque les services sociaux du pays d’accueil sont informés de cas de maltraitance envers des enfants français résidant dans leur pays, ces services peuvent leur appliquer des mesures de sauvegarde, conformément à leur législation nationale.

Or, selon l’auteur de l’amendement, dans certains cas, à la suite de la communication systématique, par certains services sociaux français, des pièces du dossier et des enquêtes sociales à leurs homologues étrangers, ces jeunes français peuvent faire l’objet d’une adoption forcée, c’est-à-dire décidée sans la permission de leurs parents biologiques. M. Cadic a précisé lors de son intervention en séance publique que ce type de situation concernait notamment le Royaume-Uni.

Afin d’éviter de telles situations, l’article additionnel adopté par le Sénat vise à compléter l’article L. 221-3 du code de l’action sociale et des familles de façon à ce que, à l’occasion de ces demandes de renseignements, l’autorité centrale française compétente – en l’occurrence, le service de l’entraide juridique du ministère de la Justice – soit informée de toute procédure engagée à l’étranger concernant un éventuel placement d’enfants français par une autorité étrangère. La demande de renseignements relative à une famille ou à un mineur devrait être validée par l’autorité centrale française et faire l’objet d’un avis aux parents. Cette procédure vise à permettre aux autorités françaises d’organiser un suivi attentif de ces dossiers, voire d’anticiper et de coordonner un retour nécessaire de l’enfant en concertation avec sa famille pour un placement en France.

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La Commission adopte l’article sans modification.

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Après l’article 4 bis

La Commission en vient à l’amendement AS1 de M. Philip Cordery.

M. Philip Cordery. Je salue les avancées réalisées grâce à cette proposition de loi en matière de protection de l’enfance et souhaiterais que l’on n’oublie pas les milliers de nos compatriotes vivant à l’étranger et susceptibles de rencontrer des difficultés dans leur famille. C’est notamment le cas des enfants de couples binationaux qui se séparent. Dans certains pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, la justice a tendance à accorder la garde au parent qui maintient son domicile dans le pays de résidence de l’enfant, motivant ses décisions sur le seul critère de stabilité géographique. De tels jugements sont souvent défavorables aux mères de nationalité française qui connaissent mal la langue du pays et qui sont obligées soit de rester sur le territoire étranger dans une situation précaire pour vivre avec leur enfant, soit de rentrer en France pour y trouver un travail, mais sans leur enfant.

Cet amendement vise donc à demander au Gouvernement qu’il remette un rapport identifiant les difficultés existant en la matière et proposant des solutions bilatérales qui pourraient d’ailleurs être discutées par le Conseil national de la protection de l’enfance, dans l’intérêt des enfants français vivant à l’étranger.

Mme la rapporteure. Avis défavorable : j’entends votre préoccupation. Des réponses bilatérales telles que celles attendues en conclusion du rapport que vous proposez, si des difficultés venaient à être identifiées avec certains pays, ont existé, mais il a été considéré que l’adoption d’instruments européens ou internationaux de coopération avait conduit à y mettre un terme.

Mme Bérengère Poletti. Cet amendement est très intéressant. Il mérite sans doute d’être recentré sur les seuls pays européens. Il me paraît en effet difficile d’étudier les difficultés rencontrées dans tous les pays du monde avant le 31 décembre 2015.

M. Dominique Dord. M. Cordery pointe à juste titre un sujet dramatique dont nous sommes régulièrement saisis. Mais son amendement s’apparente à un vœu pieu. Malheureusement, la présentation d’un rapport annuel ne changera rien aux drames que nous connaissons.

M. Philip Cordery. J’entends les remarques de Mme Poletti. Je retire l’amendement pour en présenter en séance une version recentrée sur les aspects européens. J’estime en effet que les instruments européens que Mme la rapporteure met en avant ont échoué. C’est la raison pour laquelle je plaide pour des solutions bilatérales aux difficultés que j’ai soulignées. Un rapport d’étape pourrait être utile à cet égard.

Mme la rapporteure. J’ajoute deux éléments pour justifier mon avis défavorable. D’une part, le délai jusqu’au 31 décembre 2015 est bien trop court. D’autre part, la Commission européenne a engagé une révision du règlement dit « Bruxelles II bis ». Il serait préférable d’attendre la conclusion de ces travaux.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Votre demande ne relève probablement pas du domaine législatif. Je ne suis pas convaincue qu’un rapport supplémentaire soit la solution la plus adéquate aux problèmes que vous soulevez.

L’amendement est retiré.

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TITRE II
SÉCURISER LE PARCOURS DE L’ENFANT PLACÉ

Avant l’article 5 A

La Commission examine les amendements identiques AS96 de la rapporteure et AS32 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Je retire cet amendement dont l’objectif est de supprimer le terme « placé » dans l’intitulé du titre II de la proposition de loi. J’en présenterai un autre en séance qui lui substituera l’expression « en protection de l’enfance ».

Mme Françoise Dumas. Je retire également l’amendement. Il faut prendre en compte la diversité des prises en charge par les services de protection de l’enfance. Nous travaillerons en vue de la séance à une rédaction qui couvre l’ensemble des enfants protégés et pas seulement les enfants placés.

Mme Bérengère Poletti. J’abonde dans votre sens : le périmètre de la protection de l’enfance est différent de celui du placement.

M. Jean-Pierre Barbier. Pourquoi ne pas indiquer : « l’enfant pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance » ?

Mme la rapporteure. Nous préférons l’expression « en protection de l’enfance ».

Les amendements sont retirés.

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Article 5 A
(art. L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles)

Missions du service de l’aide sociale à l’enfance

L’article 5 A, introduit au Sénat en séance publique par un amendement du Gouvernement au début du titre II de la présente proposition de loi, consacré à la sécurisation du parcours de l’enfant, précise que le service de l’aide sociale à l’enfance est chargé de veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme.

1.  Le droit en vigueur

Les missions du service de l’aide sociale à l’enfance sont définies à l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles.

De manière générale, le service est chargé d’une mission de soutien matériel, éducatif et psychologique, à portée préventive, tant auprès des mineurs et de leur famille qu’auprès des mineurs émancipés ou des majeurs de moins de vingt et un an, lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés risquant de compromettre gravement leur développement ou leur équilibre.

Le service de l’aide sociale à l’enfance doit par ailleurs pourvoir aux besoins des mineurs qui lui sont confiés, « veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal », et mener en urgence, le cas échéant, des actions de protection en faveur de ces jeunes.

Il est également chargé de mener des actions de prévention des mauvais traitements infligés aux enfants et d’organiser le recueil et la transmission des informations préoccupantes relatives à ces mineurs.

Ce service est enfin chargé, depuis la loi du 5 mars 2007 précité, de veiller à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec d’autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur.

2.  Le dispositif proposé

La doctrine relative à la protection de l’enfance a beaucoup évolué au cours des trente-cinq dernières années.

Avant les années 1980, la politique de protection de l’enfance privilégiait le retrait des enfants de leur famille, en vue de les protéger. Le rapport de MM. Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy, intitulé « L’aide à l’enfance de demain » et publié en 1980, a marqué un tournant, puisque la doctrine relative à la politique de protection de l’enfance a privilégié, à partir de cette date, le maintien des liens familiaux.

Or, tant les personnes auditionnées par votre rapporteure, lorsqu’elles ont eu à s’exprimer sur le sujet, que les rapports et évaluations disponibles, ont montré que cette évolution de la doctrine a entraîné, pour les enfants, des allers et retours parfois excessifs entre la famille d’origine, la famille d’accueil, le foyer, voire entre plusieurs familles d’accueil.

La loi du 5 mars 2007, en dépit d’avancées majeures, n’a pas apporté de réponse satisfaisante au problème de l’instabilité des parcours des mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.

Le présent article additionnel complète donc les missions du service de l’aide sociale à l’enfance en ajoutant, à l’initiative du Gouvernement par un amendement adopté en séance publique, à l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles un alinéa supplémentaire (7°) précisant que ce service est chargé de « veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme ».

Votre rapporteure est favorable à cet article additionnel. Il traduit bien en effet l’esprit de la présente proposition de loi, qui vise à sécuriser le parcours de l’enfant protégé afin de lui assurer un cadre éducatif stable.

Le service de l’aide sociale à l’enfance pourrait également se voir confier la mission de veiller aux liens d’attachement de l’enfant avec ses frères et sœurs, dans la mesure où ces liens contribuent à son équilibre et à son épanouissement affectif. Aussi votre rapporteure propose-t-elle d’ajouter cette mission à l’article L. 221-1 précité définissant les missions du service de l’aide sociale à l’enfance.

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La Commission des affaires sociales a adopté deux amendements identiques, présentés par votre rapporteure, par Mme Françoise Dumas et les commissaires du groupe SRC, tendant à compléter l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles pour ajouter une nouvelle mission au service de l’aide sociale à l’enfance. Celle-ci consiste à veiller au maintien des liens d’attachement de l’enfant avec ses frères et sœurs, dans l’intérêt de l’enfant. Ces liens contribuent en effet à son équilibre et à son épanouissement affectif.

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La Commission est saisie des amendements identiques AS78 de la rapporteure et AS33 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Cet amendement tend à compléter les missions confiées au service de l’aide sociale à l’enfance en lui assignant celle de « veiller à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec ses frères et sœurs soient maintenus, dans l’intérêt de l’enfant ». En effet, cette préoccupation n’est pas toujours prise en compte.

Mme Françoise Dumas. Cet amendement devrait faire l’unanimité. La convention internationale des droits de l’enfant souligne l’importance du maintien des liens avec la fratrie. L’enfant doit pouvoir a minima s’inscrire dans une fratrie, si tel est son intérêt.

M. Rémi Delatte. L’intérêt évident de ces liens mérite d’être rappelé. Lorsque les membres d’une fratrie sont séparés, la souffrance s’ajoute au malheur.

M. Élie Aboud. Je suis favorable à cet amendement qui relève du bon sens.

La Commission adopte les amendements.

Elle adopte ensuite l’article 5 A modifié.

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Article 5 B (nouveau)
(art. L. 221-2-1 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles)

Accueil de l’enfant par un tiers digne de confiance

Sur proposition de votre rapporteure, de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe SRC, la Commission des affaires sociales a adopté un article additionnel tendant à inscrire dans un nouvel article L. 221-2-1 du code de l’action sociale et des familles la possibilité, pour le président du conseil départemental, de prévoir l’accueil par un tiers d’un enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, à titre bénévole. Cet accueil est déjà possible à droit constant mais l’amendement vise à sécuriser ce type d’accueil afin de le développer.

Un certain nombre d’enfants pourraient en effet bénéficier, dans leur parcours, d’une mise en contact avec des adultes non professionnels qui s’engagent à établir avec eux une relation durable et avec lesquels pourraient s’instaurer des liens significatifs.

L’accueil par le tiers serait encadré : celui-ci devrait être informé et accompagné par le service de l’aide sociale à l’enfance, afin d’être en capacité de répondre aux besoins de l’enfant. Un suivi de cet accueil serait en outre effectué par le service de l’aide sociale à l’enfance, afin de vérifier les conditions d’accueil, tant matérielles que morales, de l’enfant (par des entretiens, des visites à domicile, etc.).

Un décret devrait préciser les conditions à remplir par le tiers pour se voir confier un enfant dans ce cadre, ainsi que les modalités du suivi de l’enfant.

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La Commission examine les amendements identiques AS88 de la rapporteure et AS35 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Cet amendement tend à inscrire dans la loi la possibilité de l’accueil par un tiers, à titre bénévole, d’un enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Cet accueil est déjà possible à droit constant mais l’amendement vise à sécuriser ce dispositif afin de le développer.

Mme Françoise Dumas. Cet amendement vise à élargir la palette des outils permettant d’offrir un accueil durable à un enfant. En effet, des liens peuvent être noués en dehors de la famille, qui soient aussi enrichissants et structurants pour l’enfant. L’amendement constituerait une avancée majeure dans la prise en charge de l’enfant.

M. Jean-Pierre Barbier. Ces amendements soulèvent plusieurs questions : lorsqu’un enfant fait l’objet d’un placement dans une famille rémunérée, les termes du contrat sont clairs. Qu’en sera-t-il si l’accueil est bénévole ? Qui contrôlera le tiers bénévole ? En laissant se créer un lien affectif, cette mesure ne s’apparente-t-elle pas à une adoption déguisée ? Je m’inquiète des dérives auxquelles pourrait donner lieu ce texte, malgré le bon sentiment dont il procède.

On sait que certains services retirent des enfants de familles d’accueil car le lien affectif est devenu trop important. Je suis donc surpris par la logique qui sous-tend ces amendements.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Dans le cas visé, le lien affectif existe déjà à l’égard du tiers à qui l’enfant est susceptible d’être confié.

Mme Geneviève Levy. En dépit de mon accord sur l’économie générale de cet amendement, je partage les inquiétudes exprimées par M. Barbier qui me semblent légitimes. Qui appréciera la confiance qui peut être accordée au tiers ?

Mme Bérengère Poletti. Je regrette l’absence de consultation du juge sur la décision de confier l’enfant à un tiers. Il serait peut-être préférable d’envisager cette mesure dans un deuxième temps, après un premier placement rémunéré. Dans le cas contraire, des erreurs d’appréciation risquent d’être commises.

M. Bernard Perrut. L’intention est louable mais il faut apporter des garanties quant à la responsabilité vis-à-vis de l’enfant. Quel sera le rôle de la famille à l’égard du tiers ? Une expérimentation pourrait être envisagée car cette pratique, bonne au demeurant, nécessite des aménagements.

M. Jean-Pierre Barbier. Vous faites peser une responsabilité énorme sur le président du conseil départemental, qui peut décider du placement bénévole.

Mme Françoise Dumas. Il s’agit simplement d’élargir la palette des outils existants. Aujourd’hui, dans le cadre de la politique d’aide sociale à l’enfance, l’enfant peut être confié par le département soit à un établissement, soit à une famille d’accueil. Dans ce même cadre, l’amendement ouvre la possibilité, sous la responsabilité du magistrat et avec son accord, pour un tiers d’accueillir l’enfant dont il a l’habitude de s’occuper.

M. Jean-Pierre Barbier. Il y a une différence entre ce que vous dites et ce qui est écrit dans l’amendement. Le texte prévoit que le président « peut décider » ; le juge n’est pas mentionné. La famille de l’enfant pourrait en outre contester la décision du président du conseil départemental de ne pas lui confier l’enfant et de préférer l’accueil par un tiers. On sait que les décisions des juges de placement en famille d’accueil sont parfois mises en cause par les familles. Cet amendement crée une source de conflits.

Mme Françoise Dumas. L’enfant est confié par le juge au département. L’amendement intervient à droit constant – le président a déjà la responsabilité de décider des modalités d’accueil de l’enfant – ; il se contente d’ajouter une modalité supplémentaire.

M. Denys Robiliard. La décision du président du conseil départemental intervient une fois que le juge a confié l’enfant aux services de ce dernier. Il n’appartient pas au juge de déterminer les modalités du placement.

Mme Bérengère Poletti. À ceci près qu’aujourd’hui, le juge confie l’enfant à la collectivité en sachant que celui-ci sera suivi par des professionnels. Actuellement, si l’enfant est placé dans sa famille ou chez des proches, c’est le juge qui le décide. Je crains que votre amendement n’opère un transfert de décision du juge vers le président du conseil départemental qui se voit ainsi assigner une lourde responsabilité.

M. Joël Aviragnet. L’intervention d’un référent me semble apporter les garanties nécessaires.

Mme la rapporteure. Cet amendement propose de mettre à disposition des services de l’aide sociale à l’enfance un outil supplémentaire. En outre, le tiers est contrôlé par le référent.

La Commission adopte les amendements.

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Article 5 C (nouveau)
(art. L. 221-3 et L. 226-3-2 du code de l’action sociale et des familles)

Échanges d’informations entre les départements

La Commission des affaires sociales a adopté deux articles additionnels identiques, présentés par votre rapporteure, par Mme Françoise Dumas et par les commissaires du groupe SRC, tendant à renforcer le dispositif d’échange d’informations entre les départements afin d’assurer un suivi plus efficace des enfants et des familles pris en charge au titre de la protection de l’enfance.

La loi n° 2012-301 du 5 mars 2012 relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations permet d’assurer le suivi des enfants en organisant la transmission d’informations entre départements, lorsqu’une famille déménage dans un autre département.

La modification adoptée par la Commission des affaires sociales vise à compléter le dispositif en vigueur en autorisant les départements :

– à transmettre des informations relatives à la situation passée des mineurs anciennement pris en charge dans leur département, aux départements qui en font la demande dans le cadre de l’évaluation de la situation de ces mineurs. Cette disposition devrait permettre un transfert sécurisé de données, nécessaires à l’exercice de leur mission, entre des personnes soumises au secret professionnel (article L. 221-3 du code de l’action sociale et des familles) ;

– à saisir la caisse primaire d’assurance maladie ou la caisse d’allocations familiales pour connaître la nouvelle adresse de la famille et à en informer le département d’accueil lorsqu’un enfant fait l’objet d’une information préoccupante en cours d’évaluation ou d’une mesure en cours, et qu’il risque d’être en danger (article L. 226-3-2 du code de l’action sociale et des familles).

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La Commission est saisie des amendements identiques AS90 de la rapporteure et AS58 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Cet amendement tend à renforcer le dispositif, prévu par la loi du 5 mars 2012 relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations, d’échange d’informations entre les départements afin d’assurer un suivi plus efficace des enfants et des familles pris en charge au titre de la protection de l’enfance. Vous l’avez compris, c’est l’ « affaire Marina » qui est à l’origine de cette loi, que cet amendement vient compléter.

L’amendement autorise ainsi les départements à transmettre des informations relatives à la situation passée des mineurs anciennement pris en charge dans leur département, aux départements qui en font la demande dans le cadre de l’évaluation de la situation de ces mineurs. Le département peut également saisir la caisse primaire d’assurance maladie ou la caisse d’allocations familiales pour connaître la nouvelle adresse de la famille et en informer le département d’accueil lorsqu’un enfant fait l’objet d’une information préoccupante en cours d’évaluation ou d’une mesure en cours et qu’il risque d’être en danger.

Il s’agit d’éviter le « nomadisme » de certaines familles dont les enfants pourraient être danger.

M. Élie Aboud. Cet amendement est excellent. Toutefois, comment s’assurer de la circulation de l’information entre les caisses ?

Mme Bérengère Poletti. Je m’interroge sur la limitation au cas de l’enfant ayant fait « l’objet par le passé, au titre de la protection de l’enfance, d’une information préoccupante, d’un signalement ou d’une prise en charge dans ce département ». Un département doit pouvoir s’adresser à un autre, sans considération du passé dont, le plus souvent, il n’a pas connaissance. Un simple soupçon devrait suffire pour obtenir des informations d’un autre département.

M. Bernard Perrut. Si je comprends bien, votre amendement complète l’article L. 221-3 du code de l’action sociale en permettant précisément l’échange d’informations sur un enfant qui a fait l’objet d’un signalement par le passé, pas seulement sur les procédures en cours de traitement.

Mme Françoise Dumas. Il me paraît délicat de justifier une demande d’informations par un simple soupçon. Dans le cas visé par l’amendement, l’enfant a fait l’objet d’un signalement ou d’une information préoccupante, une appréciation a déjà été portée sur la dangerosité de la situation.

Cet amendement vise à éviter les dysfonctionnements qui conduisent à laisser échapper ces informations et que nous avons tous eus à connaître. Il apporte des garanties supplémentaires dans la coordination des départements au bénéfice de la protection de l’enfance.

Certaines familles savent se déplacer de quelques kilomètres lorsqu’elles se sentent en difficulté ; les services peinent alors à les retrouver, laissant ainsi perdurer une situation dangereuse pour l’enfant. Les démarches auprès des caisses pour le rétablissement des droits constituent une occasion supplémentaire de rassembler au plus vite des informations afin d’éviter que les enfants continuent à subir des situations parfois extrêmement graves.

La Commission adopte les amendements.

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Article 5 D (nouveau)
(art. L. 222-5-1 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles)

Entretien à 16 ans pour préparer l’accession à l’autonomie des jeunes
pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance

Sur proposition de votre rapporteure, de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe SRC, la Commission des affaires sociales a adopté deux amendements identiques portant article additionnel, visant à mieux préparer les jeunes pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance au passage à l’âge adulte.

La plupart des services d’aide sociale à l’enfance préparent déjà les jeunes à leur sortie du dispositif de protection. Le présent article additionnel tend à institutionnaliser cette étape éducative qui offre l’opportunité à l’enfant, à un moment de son parcours, de s’interroger sur son avenir. Il vise ainsi à faciliter l’accession des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance à l’autonomie et de les aider à mieux préparer leur passage à l’âge adulte.

À cette fin, le présent article tend à ajouter un article L. 222-5-1 au code de l’action sociale et des familles afin de préciser qu’un entretien spécifiquement centré sur l’avenir des jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, lorsque ceux-ci atteignent l’âge de 16 ans, doit être organisé par le président du conseil départemental.

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La Commission examine les amendements identiques AS92 de la rapporteure et AS63 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. L’amendement prévoit l’organisation d’un entretien à l’âge de seize ans afin de préparer l’accession du mineur à l’autonomie.

Les études sur le devenir des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance révèlent en effet les difficultés que ceux-ci peuvent rencontrer à la sortie du dispositif de protection de l’enfance. Parfois, à 18 ans, ils ne bénéficient plus d’aucune prise en charge. Il s’agit de les aider à mieux préparer leur passage à l’âge adulte.

Mme Françoise Dumas. 40 % des personnes sans domicile fixe sont issues de l’aide sociale à l’enfance. De nombreux jeunes notamment se retrouvent du jour au lendemain dépourvus de prise en charge.

La plupart des services d’aide sociale à l’enfance préparent déjà les jeunes à leur sortie du dispositif de protection. Mais il semble utile d’institutionnaliser cette étape éducative. L’amendement tend à rendre obligatoire un arrêt sur image dans le parcours de l’enfant, qui soit l’occasion pour lui de s’interroger et de constater l’intérêt qu’on lui porte.

M. Jean-Pierre Barbier. Je suis d’accord sur le principe. Néanmoins, cette mesure ne sert à rien si l’enfant ne fait pas l’objet d’une évaluation. On sait que certains jeunes à 18 ans, une fois sortis des dispositifs, seront en perdition même s’ils sont préparés. L’évaluation doit permettre d’identifier d’autres dispositifs prenant le relais pour ceux qui n’auront pas les moyens de s’en sortir. La préparation à l’autonomie est souhaitable mais elle doit être assortie d’une évaluation. Ce rôle revient aux éducateurs.

Mme Martine Pinville. Il est vrai que certains services connaissent déjà cette pratique. Mais il me semble intéressant d’acter que tout enfant avant 18 ans a droit à un entretien pour préparer son projet.

Mme Bérengère Poletti. La mission première de l’éducation n’est-elle pas de préparer un enfant à devenir autonome ? Les éducateurs spécialisés en sont pleinement conscients et le font déjà. Cet amendement n’apporte donc pas grand-chose.

M. Jean-Pierre Barbier. Les amendements que vous présentez s’immiscent dans les détails du fonctionnement des services de l’aide sociale à l’enfance. Comment cette ingérence sera-t-elle vécue par ceux qui préparent les jeunes tous les jours à affronter leur vie d’adulte ? Je doute qu’ils apprécient qu’une loi vienne leur expliquer comment faire leur travail.

Mme Françoise Dumas. L’entretien s’inscrit aussi dans le cadre du projet pour l’enfant. Ce document est coconstruit par la famille, les services de l’aide sociale à l’enfance et l’enfant.

L’entretien prévu par l’amendement constitue une étape éducative. Il a une fonction presque initiatique. La plupart des services et des éducateurs le font. Mais il est apparu lors des auditions que, dans certains cas, les enfants ignorent ce qui les attend.

M. Joël Aviragnet. Il est important de formaliser cet entretien qui permet d’anticiper l’accompagnement vers l’autonomie, par exemple le placement dans des structures à l’extérieur avant 18 ans, qui pose un problème de responsabilité.

M. Jean-Pierre Barbier. Je m’interroge également sur le choix de l’âge de 16 ans. Certains jeunes de cet âge ne sont pas capables d’entendre les choses, ils peuvent même être déstabilisés. Le degré de maturité n’est pas le même pour tous. Il serait préférable de laisser le choix du moment à l’appréciation du personnel éducatif.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Barbier, pour quelle raison la carte vitale est-elle distribuée à partir de 16 ans ?

Mme Françoise Dumas. L’âge de 16 ans correspond aussi à la fin de l’obligation scolaire et à une étape identifiée dans l’adolescence.

Mme la rapporteure. L’entretien s’inscrit dans un cheminement vers l’accession à l’autonomie. Le Gouvernement a l’intention d’aller dans le sens que vous souhaitez en identifiant des dispositifs d’accompagnement pour les jeunes majeurs.

La Commission adopte les amendements.

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Article 5 E (nouveau)
(art. L. 222-5-2 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles)

Accueil des enfants de moins de trois ans
et de leurs parents en centre parental

La Commission des affaires sociales a adopté deux articles additionnels identiques, présentés par votre rapporteure, par Mme Françoise Dumas et par les commissaires du groupe SRC, visant à faciliter l’accueil en centre parental de très jeunes enfants avec leurs deux parents, dès la période pré ou postnatale, lorsque cet accueil est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Le présent article additionnel tend à favoriser la prévention précoce en veillant au bon développement de l’enfant, tout en soutenant ses parents dans leurs responsabilités éducatives.

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La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements identiques AS89 de la rapporteure et AS37 de Mme Françoise Dumas ainsi que de l’amendement AS20 de Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme la rapporteure. Le présent amendement vise à faciliter l’accueil en centre parental de très jeunes enfants avec leurs deux parents dès la période pré ou postnatale, lorsque cet accueil est conforme à l’intérêt de l’enfant. Il s’agit de favoriser la prévention précoce en veillant au bon développement de l’enfant, tout en soutenant ses parents dans leurs responsabilités éducatives.

Mme Françoise Dumas. Cet amendement tend à favoriser la création du lien parental dans un cadre sécurisé. Actuellement, les centres parentaux accueillent uniquement les mères et leur enfant, ce qui peut poser des difficultés pour la construction de l’enfant.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Je n’ai rien à ajouter. C’est dans l’intérêt de l’enfant de pouvoir être accueilli avec ses deux parents.

M. Jean-Pierre Barbier. Cet amendement va dans le bon sens. Une fois n’est pas coutume, il traite de la cause et pas seulement des conséquences.

Je considère que ces centres de parentalité devraient être développés, y compris pour les enfants au-delà de l’âge de trois ans. L’apprentissage de la parentalité réglerait de nombreux problèmes auxquels sont confrontés les services d’aide sociale à l’enfance.

Mme Bérengère Poletti. L’esprit de cet amendement est intéressant. Mais ces centres ne sont pas nécessairement le meilleur moyen de prendre en charge des parents démunis face à la parentalité. On pourrait envisager un système de tutorat par d’autres familles qui me semblerait plus adapté à la situation. Cette question mérite d’être abordée avec la ministre en séance.

Mme la rapporteure. Les techniciens de l’intervention sociale et familiale jouent le rôle d’accompagnement des parents que vous évoquez.

L’amendement est limité aux enfants à naître ou âgés de moins de trois ans accompagnés de leurs deux parents.

La Commission adopte les deux amendements identiques.

L’amendement AS20, devenu sans objet, est retiré.

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Après l’article 5 E

La Commission examine l’amendement AS43 de Mme Martine Pinville.

Mme Martine Pinville. L’article 388-1 du code civil prévoit qu’un mineur « capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet ». Cet amendement précise que cette audition « est adaptée aux capacités de discernement du mineur ».

Comme l’a relevé le Défenseur des droits dans un rapport intitulé « L’enfant et sa parole en justice », la mise en œuvre de ce droit bute sur l’appréciation du discernement de l’enfant faute de critères et de pratiques homogènes, créant des déceptions et des inégalités de traitement chez les enfants qui demandent à être entendus. Le comité des droits de l’enfant des Nations unies considère que l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant n’impose pas d’âge limite à ce droit et que les États ne doivent pas en apporter.

Pour faire face à cette difficulté, il convient, ainsi que le recommande le Défenseur des droits, de reconnaître une présomption de discernement à tout enfant qui demande à être entendu par le juge dans une procédure qui le concerne. Le magistrat entendant l’enfant qui le demande pourra alors apprécier son discernement et sa maturité.

Mme la rapporteure. J’émets un avis défavorable. Cet amendement propose une rédaction différente de celle déjà prévue par l’article 19 de la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, en cours de navette. Celle-ci précise que le mineur « doit être entendu selon des modalités adaptées à son degré de maturité ».

Il me semble préférable de ne pas introduire à ce stade une nouvelle rédaction.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. L’article 15 de la proposition de loi porte sur le point que vous visez au travers de cet amendement.

La commission des Lois a adopté ce matin l’amendement AS104. Celui-ci précise que l’enfant doit être entendu selon des modalités adaptées à son degré de maturité ; en cas de refus de l’enfant d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus ; l’enfant peut être entendu seul ou avec un avocat ou une personne de son choix. Cette rédaction permet d’être en adéquation avec la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant.

L’amendement est retiré.

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Article 5
(art. L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles)

Contenu du projet pour l’enfant

Le présent article, modifié par le Sénat en commission, tend à préciser le rôle et le contenu du « projet pour l’enfant », ainsi que les modalités de son élaboration.

1.  Le droit en vigueur

La loi du 5 mars 2007 précitée a prévu l’élaboration, lorsqu’un enfant fait l’objet d’une mesure de protection administrative ou judiciaire, d’un document intitulé « projet pour l’enfant » (PPE).

Cette obligation est codifiée à l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles, qui précise les éléments essentiels du contenu du PPE ainsi que les acteurs concernés. Ce document doit préciser « les actions qui seront menées auprès de l’enfant, des parents et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de leur mise en œuvre (…). Il est cosigné par le président du conseil départemental et les représentants légaux du mineur, ainsi que par un responsable de chacun des organismes chargés de mettre en œuvre les interventions. »

Or, ainsi que l’ont constaté nos collègues sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini dans leur rapport d’information sur la protection de l’enfance, l’appropriation de cet outil par les départements s’avère très inégale.

En premier lieu, le PPE, pourtant garant de la qualité de la prise en charge de l’enfant, n’existe pas dans tous les territoires. Et lorsqu’il existe, certains conseils départementaux ne l’ont mis en place que pour une ou plusieurs catégories de mesures d’accueil ou de placement, mais non leur totalité. À l’inverse, certains départements ont mis au point un « PPE-type », très abouti et applicable à l’ensemble des mesures. La présentation et le contenu même du PPE diffèrent également d’un département à l’autre.

2.  Le dispositif initial

Le présent article tend à modifier la rédaction de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles, consacré au PPE, afin de définir plus précisément le rôle, le contenu et les modalités d’élaboration de ce document.

Le rôle du PPE, tout d’abord, serait précisé : il serait ainsi destiné à garantir le « développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social » de l’enfant. Son contenu serait également défini plus clairement.

Les modalités d’élaboration du document sont également précisées : le dispositif de la proposition de loi initiale prévoyait que le PPE est élaboré par le président du conseil départemental ou son délégué, en concertation avec chacune des parties prenantes (représentants légaux titulaires de l’autorité parentale, organismes ou personnes chargés de sa mise en œuvre) qui cosignent le document. Les parents non titulaires de l’autorité parentale étaient consultés, le cas échéant. Surtout, le présent article précise que le mineur est associé à l’élaboration du PPE le concernant.

Enfin, le dispositif prévoyait que le PPE soit librement consultable par les parties prenantes et régulièrement actualisé sur la base de rapports annuels de situation, afin de tenir compte de l’évolution des besoins fondamentaux de l’enfant.

3.  Les modifications apportées par le Sénat

L’article 5 a été modifié par un amendement adopté en commission des Affaires sociales, à l’initiative de sa rapporteure Michelle Meunier.

Cet amendement visait tout d’abord à améliorer la définition du contenu les modalités d’élaboration du PPE. En particulier, il supprimait la nécessité, pour le président du conseil départemental, ou son délégué, d’élaborer le PPE en concertation avec chacun des organismes ou personnes chargés de mettre en œuvre les interventions qu’il prévoit, de même que l’obligation de consulter le ou les parents non titulaires de l’autorité parentale.

Il prévoyait en outre l’élaboration d’un référentiel commun définissant le contenu du PPE, afin de permettre l’harmonisation de pratiques trop souvent disparates, ce référentiel devant être approuvé par décret.

Le texte n’a pas été modifié en séance publique.

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Sur proposition de votre rapporteure, de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe SRC, la Commission des affaires sociales a adopté deux articles additionnels identiques proposant une nouvelle rédaction de l’article 5 de la présente proposition de loi, afin d’élargir son champ d’application à l’ensemble des enfants bénéficiant d’une décision de protection de l’enfance, que celle-ci soit de nature administrative ou judiciaire, hors aide financière.

Cette nouvelle rédaction tend par ailleurs à mieux prendre en compte, dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet, les ressources de l’environnement de l’enfant, en y reconnaissant la place des personnes qui s’impliquent auprès de lui.

Elle tend également à faire de l’enfant l’acteur central du projet, puisqu’il est précisé que l’enfant « est associé à l’élaboration du projet (…) le concernant ».

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La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements identiques AS87 de la rapporteure et AS34 de Mme Françoise Dumas ainsi que des amendements AS47 de Mme Chantal Guittet et AS44 de Mme Martine Pinville.

Mme la rapporteure. Cet amendement propose une nouvelle rédaction de l’article 5 afin d’élargir son champ d’application à l’ensemble des enfants bénéficiant d’une décision de protection de l’enfance, hors aide financière.

Il fait de l’enfant l’acteur central du projet qui est construit pour lui et avec lui.

Il permet de mieux prendre en compte, dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet, les ressources de l’environnement de l’enfant, en y reconnaissant la place des personnes qui s’impliquent auprès de lui.

Mme Françoise Dumas. Cet article reflète l’esprit de la proposition de loi qui consiste à placer l’enfant au centre de la prise en charge au titre de la protection de l’enfance. Le projet pour l’enfant est élaboré conjointement par lui, sa famille et les services de l’aide sociale à l’enfance. L’enfant pourra s’y référer tout au long de sa vie. Alors que les enfants bénéficiant de l’aide sociale à l’enfance connaissent souvent un parcours haché, ce projet est un moyen d’assurer la continuité de leur histoire et de les aider ainsi à se construire.

Il représente une avancée symbolique et éducative.

Mme Bérengère Poletti. Dans plusieurs départements, l’immobilisme a prévalu, par manque non de volonté mais de moyens. Il convient d’intégrer dans le projet pour l’enfant (PPE) l’entretien conduit avec lui et destiné à évaluer son autonomie.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à souligner que notre collègue Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des Lois, était également la rapporteure de la proposition de loi sur l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant (APIE) et bénéficie donc d’une expertise dont nous profitons aujourd’hui.

La Commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, les amendements AS47 et AS44 tombent.

L’article 5 est ainsi rédigé.

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Article 6
(art. L. 223-1, L. 223-1-1 nouveau et L. 421-16 du code de l’action sociale et des familles)

Définition des actes usuels

L’article 6 de la présente proposition de loi, modifié par le Sénat en commission puis en séance publique, tend à préciser les modalités d’exercice des actes usuels de l’autorité parentale en cas de placement.

1.  Le droit en vigueur

En vertu de l’article 375-7 du code civil, les parents dont l’enfant bénéficie d’une mesure d’assistance éducative continuent à exercer tous les attributs de l’autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure.

Toutefois, cet article renvoie à l’article 373-4 du même code qui prévoit, s’agissant de la décision du juge aux affaires familiales de confier l’enfant à un tiers, que ce dernier « accomplit tous les actes usuels relatifs à sa surveillance ou à son éducation ».

L’exercice des actes usuels de l’autorité parentale soulève deux difficultés.

Tout d’abord, il n’existe pas de définition précise de la notion d’actes usuels de l’autorité parentale. La doctrine se réfère aux actes courants, c’est-à-dire les actes qui n’engagent pas l’avenir de l’enfant ni ne rompent avec son passé. Renouveler une inscription ou autoriser une intervention chirurgicale bénigne seraient des actes usuels, alors que modifier le nom d’usage d’un enfant, le changer d’école ou autoriser une hospitalisation longue ne pourraient être ainsi qualifiés juridiquement. La notion d’ « acte usuel » reste cependant manifestement difficile à appréhender.

Cette première difficulté se double d’une seconde, relative aux relations entre le service d’aide sociale à l’enfance, auquel le juge a juridiquement confié la garde, et l’assistant familial, auquel ce service a ensuite délégué cette garde. L’assistant familial ne peut être amené à exercer ces actes usuels qu’au nom du service de l’aide social à l’enfance, qui reste juridiquement responsable de l’enfant. Il en résulte donc une incertitude quant au périmètre des actes qui peuvent être directement exercés par l’assistant familial, de ceux pour lesquels il doit en référer au service et de ceux pour lesquels les parents demeurent les seuls à pouvoir décider.

Cet état du droit entraîne souvent des difficultés dans la prise en charge quotidienne de l’enfant, qu’il importe de régler.

2.  Le dispositif initial

Dans la rédaction de la proposition de loi initiale, le I du présent article insère un nouvel article L. 223-1-1 après l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles mentionnant le « projet pour l’enfant » (PPE).

Il prévoit que le PPE définisse les modalités selon lesquelles les actes usuels de l’autorité parentale sont exercés par la personne physique ou morale qui l’accueille ainsi que les conditions dans lesquelles les titulaires de l’autorité parentale sont tenus informés de cet exercice.

Le II prévoit, à l’article L. 421-16 du même code, qui fixe le régime du contrat d’accueil conclu entre le service de l’aide sociale à l’enfance et l’assistant familial auquel l’enfant est confié, que ce contrat mentionne également les actes usuels que l’assistant familial est autorisé à exercer.

3.  Les modifications apportées par le Sénat

Le dispositif initial a été modifié par le Sénat en commission et en séance publique.

● La commission des Affaires sociales a tout d’abord adopté un amendement visant à définir plus précisément l’exercice des actes usuels de l’autorité parentale par la personne accueillante.

Cet amendement précise tout d’abord que le PPE définit, parmi les actes usuels qui peuvent être exercés par la personne physique ou morale qui accueille le mineur pour le compte du service de l’aide sociale à l’enfance, ceux pour lesquels elle doit en référer préalablement à ce service, qui l’emploie. Il prévoit également que le PPE mentionne, à titre indicatif, une liste des actes usuels les plus courants qui peuvent être effectués par la personne qui accueille l’enfant sans formalités préalables.

L’amendement vise par ailleurs à préciser que le PPE définit les conditions dans lesquelles les parents sont informés des actes usuels effectués, en fonction de l’importance de ces actes.

Il modifie enfin la mention ajoutée par le II du présent article à l’article L. 421-16 du code de l’action sociale et des familles, relatif au contrat d’accueil des assistants familiaux, pour prévoir que les informations relatives aux actes usuels intégrées à ce contrat reproduisent les dispositions du PPE.

● Le dispositif initial a également été modifié en séance publique par un amendement présenté par le Gouvernement.

Le texte adopté par la commission des Affaires sociales précisait que le PPE mentionnait à titre indicatif la liste des actes usuels courants pouvant être exercés par la personne qui accueille l’enfant sans formalités préalables.

L’amendement adopté en séance publique a supprimé le terme « courants » afin d’éviter de créer une nouvelle sous-catégorie juridique au sein des actes usuels, qui pourrait être déduite de la référence aux « actes usuels courants » par opposition à ceux qui ne le seraient pas.

Votre rapporteure est favorable à cet article en tant qu’il précise les modalités d’exercice des actes usuels de l’autorité parentale en cas de placement.

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La Commission adopte successivement l’amendement de précision AS67 et l’amendement rédactionnel AS68 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

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Article 7
(art. L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles)

Validation du projet pour l’enfant par une commission pluridisciplinaire

Cet article, modifié par le Sénat en commission puis supprimé en séance publique, tendait à prévoir l’examen annuel du « projet pour l’enfant » (PPE) par une commission pluridisciplinaire.

1.  Le dispositif initial

L’article 7 proposait de compléter les dispositions de l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles relatives au « projet pour l’enfant » (PPE) afin de prévoir que celui-ci était soumis, au moment de son adoption puis à l’occasion de chaque révision annuelle, à une commission pluridisciplinaire dont l’avis devait être transmis aux signataires du PPE ainsi qu’au juge lorsque celui-ci était saisi.

Un décret devait préciser la composition et le fonctionnement de cette commission.

Ce dispositif devait permettre de développer une approche pluridisciplinaire de la politique de protection de l’enfance. En effet, alors que les difficultés que rencontrent les familles se limitent rarement à un domaine en particulier, la politique de protection de l’enfance reste marquée par une coopération insuffisante entre les acteurs et par un cloisonnement encore très marqué entre les différents secteurs d’intervention. Le présent article permettait également de renforcer le suivi dont chaque enfant placé fait l’objet.

2.  Un dispositif supprimé par le Sénat

L’article 7 a été modifié au Sénat par sa commission des Affaires sociales avant d’être supprimé en séance publique.

● La commission des Affaires sociales a adopté un amendement visant à réserver la saisine de la commission pluridisciplinaire aux cas dans lesquels il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins. Tout en conservant le principe d’un examen pluridisciplinaire de la situation des enfants placés, cette limitation du périmètre du dispositif a été justifiée par la nécessité de réduire la charge supplémentaire qui résulterait pour les services de l’aide sociale à l’enfance d’un examen systématique annuel de la situation de chaque enfant.

L’amendement prévoyait également que la commission pluridisciplinaire se réunirait plus fréquemment, tous les six mois, pour les enfants de moins de deux ans.

● Le dispositif a été supprimé dans son intégralité en séance publique par un amendement présenté par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, adopté contre l’avis du Gouvernement.

Selon l’auteur de cet amendement, ce nouveau dispositif était susceptible d’entraîner une « asphyxie des services ». Il a notamment évoqué lors de son intervention en séance publique le risque de ralentissement des procédures et de surcoût pour les conseils départementaux.

Si le principe d’un examen pluridisciplinaire de la situation de certains enfants a fait l’objet d’un consensus parmi les sénateurs, la complexité de sa mise en œuvre, voire son caractère irréaliste en l’état actuel du fonctionnement des départements, ont été mis en avant pour justifier la suppression du dispositif.

Votre rapporteure est pour sa part favorable au rétablissement de l’article 7. Les professionnels de la protection de l’enfance travaillent encore trop souvent « en silo », sans se rencontrer, alors que certains cas complexes nécessitent un réel travail pluridisciplinaire au profit de l’enfant. Plutôt qu’un alourdissement de la tâche des professionnels, la mise en place de cette commission pluridisciplinaire, limitée à des cas précis, constituerait un véritable atout pour leur travail et surtout l’enfant lui-même, naturellement.

Elle permettrait peut-être aussi que le « projet pour l’enfant » soit véritablement mis en œuvre.

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La Commission des affaires sociales a adopté, sur proposition de votre rapporteure, de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe SRC, un amendement tendant à rétablir l’article 7, supprimé par le Sénat en séance publique.

Les professionnels de la protection de l’enfance travaillent encore trop souvent « en silo », sans se rencontrer, alors que certains cas complexes nécessitent un réel travail pluridisciplinaire au profit de l’enfant. La mise en place de cette commission pluridisciplinaire serait limitée à des cas précis puisque celle-ci n’examinerait que la situation des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins.

Par rapport à la rédaction initiale adoptée par la commission des Affaires sociales du Sénat, le présent amendement ajoute qu’il est nécessaire que le référent éducatif et la personne qui accueille ou qui accompagne l’enfant au quotidien participent aux travaux de la commission. Il précise par ailleurs que les membres de cette commission sont soumis au secret professionnel.

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La Commission examine les amendements identiques AS83 de la rapporteure et AS25 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Le présent amendement vise à réintroduire l’article 7 de la proposition de loi tel qu’il a été adopté par la commission des Affaires sociales du Sénat. Il prévoit la constitution d’une commission pluridisciplinaire pour examiner la situation des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins.

De nombreux rapports et études ont montré que les professionnels de la protection de l’enfance travaillaient encore trop souvent de manière séparée et ne se rencontraient pas, alors que certains cas complexes nécessitent une réelle action pluridisciplinaire au profit de l’enfant ; les travailleurs sociaux réclament d’ailleurs le développement d’une telle coopération.

Par rapport à la rédaction initiale, cet amendement prévoit que le référent éducatif et la personne qui accueille ou qui accompagne l’enfant au quotidien participent à ces commissions. Nous devons reconnaître la place des assistants familiaux dans la définition du projet pour l’enfant – PPE. L’amendement précise par ailleurs que les membres de cette commission sont soumis au secret professionnel.

Mme Françoise Dumas. Plusieurs rapports, notamment celui de Mme Adeline Gouttenoire, ont mis en lumière la nécessité de s’interroger régulièrement sur la situation des enfants, notamment lorsqu’existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant s’avère précaire ou se trouve appelé à être modifié.

Cette commission pluridisciplinaire, extérieure aux services auxquels les enfants sont confiés, permettra aux acteurs de se reposer les bonnes questions relatives à la situation et au devenir de l’enfant.

Mme Bérengère Poletti. Le Sénat semble avoir supprimé cet article du fait de sa redondance avec d’autres procédures existantes. Qu’en est-il réellement ?

Mme la rapporteure. La commission des Affaires sociales du Sénat a limité les cas d’intervention de cette commission pluridisciplinaire aux situations les plus complexes, celles de délaissement parental ou d’inadaptation du statut juridique de l’enfant à ses besoins. Le Sénat a également mis en avant la question du coût induit par la mise en place de cette commission.

Mme Bérengère Poletti. Le Sénat n’a pas modifié l’article, il l’a supprimé.

Mme la rapporteure. Lors de la séance publique, en effet. Il est essentiel de rétablir la constitution de cette commission, car l’ensemble des acteurs ayant à connaître de la situation des enfants risquant d’être délaissés par leurs parents doivent pouvoir se réunir dans une instance, afin de déterminer le dispositif le plus adapté à la condition de ces mineurs. Cela permettra également d’assurer la stabilité de la prise en charge des enfants.

Mme Françoise Dumas. Le PPE répond à la situation présente de l’enfant, et une commission extérieure doit se pencher sur l’évolution de celle-ci, en interrogeant notamment la pertinence de la prise en charge et l’effectivité de la défense de son intérêt. Au quotidien, il est possible que l’on cesse de se poser de telles questions, pourtant essentielles.

Mme Bérengère Poletti. L’idée d’instaurer une telle commission est intéressante, mais comment envisagez-vous sa composition ?

Mme la rapporteure. Cette commission s’inspire de l’action conduite en faveur des pupilles de l’État ; nous n’avons pas encore déterminé l’identité précise de ses futurs membres, mais elle regroupera tous ceux qui accompagnent l’enfant. Les personnes que nous avons auditionnées furent unanimes à défendre la création de cette instance.

M. Jean-Pierre Barbier. Cette proposition est intéressante car elle associe le référent éducatif et la personne accueillant l’enfant au quotidien. Néanmoins, le dispositif prévu encadre trop l’action du président du conseil départemental. Ainsi, ce dernier devrait pouvoir convoquer la commission pour que celle-ci se penche sur diverses situations comme les fugues de jeunes de leur famille d’accueil.

La Commission adopte les amendements.

L’article 7 est ainsi rétabli.

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Article 8
(art. L. 223-3 du code de l’action sociale et des familles)

Information du juge en cas de modification du lieu d’accueil
d’un enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance

Le présent article, modifié par le Sénat en commission puis en séance publique, tend à prévoir que le service de l’aide sociale à l’enfance informe, sous certaines conditions, le juge des enfants qu’il envisage de modifier le lieu de placement d’un enfant confié depuis plus de deux ans à la même personne ou au même établissement.

1.  Le droit en vigueur

Lorsque le juge des enfants prend une décision de placement de l’enfant en vertu de l’article 375-3 du code civil, il désigne expressément la personne morale ou physique à laquelle le mineur sera confié.

Cependant, conformément au principe de subsidiarité qui s’applique à l’intervention judiciaire, lorsque le juge confie l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance, il ne précise pas quelle famille d’accueil ou quelle structure employée par le département l’accueillera effectivement. Cette décision appartient exclusivement au service concerné, qui peut donc changer l’enfant de lieu de placement sans en avertir le juge.

Lorsque l’enfant est confié à la même famille d’accueil pendant plusieurs années et que des liens affectifs forts se sont développés entre eux, les décisions de changement de lieu d’accueil de l’enfant peuvent être lourdes de conséquences pour l’enfant, comme d’ailleurs pour la famille d’accueil. Pourtant, d’un point de vue strictement juridique, le service de l’aide sociale à l’enfance a tout pouvoir pour prendre seul cette décision. Certains enfants pris en charge par ce service connaissent de ce fait des parcours chaotiques, marqués par de fréquentes ruptures des modalités de prise en charge qui peuvent nuire à leur développement.

Cette situation a été sévèrement critiquée par nos collègues sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini dans leur rapport d’information précité consacré à la protection de l’enfance, qui reprend sur ce point l’analyse du groupe de travail « Protection de l’enfance et adoption » présidé par Mme Adeline Gouttenoire.

2.  Le dispositif initial

La rédaction du présent article 8 dans la proposition de loi initiale tendait à compléter l’article L. 223-3 du code de l’action sociale et des familles afin de prévoir que le service de l’aide sociale à l’enfance ne peut modifier les conditions de prise en charge d’un enfant confié à la même famille d’accueil ou au même établissement depuis au moins trois ans, qu’après avis de l’autorité judiciaire qui a pris la mesure.

Il prévoyait que le juge entende préalablement le mineur, la famille ou l’établissement d’accueil, ainsi que le représentant du service de l’aide sociale à l’enfance.

3.  Les modifications apportées par le Sénat

Le présent article a été modifié par le Sénat, en commission puis en séance publique.

● Constatant que la procédure d’un avis simple donné par le juge était très rare, l’autorité judiciaire intervenant en principe pour trancher un litige ou prononcer une décision, la commission des Affaires sociales a adopté un amendement modifiant la rédaction du nouvel alinéa de l’article L. 223-3 précité.

Cet amendement prévoyait que le juge soit simplement avisé par le service de l’aide sociale à l’enfance lorsque celui-ci envisage de manière unilatérale de modifier les conditions de prise en charge de cet enfant.

En application de l’article 375 du code civil, le juge pourrait se saisir d’office, dans le cas où il l’estimerait nécessaire au regard de l’intérêt de l’enfant, notamment pour ordonner le maintien de l’enfant dans son lieu d’accueil.

● Le dispositif a également été modifié en séance publique, après adoption de deux amendements présentés par le Gouvernement.

Le dispositif finalement adopté prévoit en conséquence, tout d’abord, que le juge soit informé – et non plus avisé – de la volonté du service de l’aide sociale à l’enfance de modifier le lieu de placement de l’enfant. Le magistrat garde ainsi la faculté de s’autosaisir, s’il l’estime nécessaire, dans l’intérêt de l’enfant.

Sauf en cas d’urgence, cette information devrait être portée à la connaissance du juge au moins un mois avant la mise en œuvre de la décision, afin de lui laisser le temps de convoquer une audience s’il l’estime opportun.

Par ailleurs, afin de renforcer le suivi des enfants placés, le délai minimum de placement de l’enfant à partir duquel le juge doit être informé d’une modification du lieu d’accueil a été abaissé de trois ans à deux ans.

Le dispositif a par ailleurs été étendu, sous certaines conditions et dans une formulation qui gagnerait à être clarifiée, à toutes les décisions de modification du lieu de placement. Il prévoit ainsi que le juge est également informé de la volonté du service de l’aide sociale à l’enfance de modifier le lieu de placement de l’enfant même quand celui-ci a été confié depuis moins de deux années à la même personne ou au même établissement. Deux exceptions sont néanmoins prévues dans ce cas : l’urgence et l’anticipation d’une telle décision dans le « projet pour l’enfant ».

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La Commission des affaires sociales a adopté un amendement, présenté par Mme Françoise Dumas, visant à modifier le présent article sur deux points.

La première modification propose une mise en cohérence avec le premier alinéa de l’article 223-3 du code de l’action sociale et des familles relatif à l’information des parents sur toute modification du lieu et du mode de placement de leur enfant. L’amendement adopté rétablit donc, au présent article, la référence à la modification du mode de placement.

La seconde modification vise à rendre systématique, sans référence à une durée minimale de deux ans, l’information du juge compétent pour toute décision de modification du lieu ou mode de placement concernant un très jeune enfant, de moins de deux ans. En effet, les enfants de moins de deux ans, très vulnérables au point de vue psychosocial et affectif, nécessitent un suivi particulier de leur parcours de vie.

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La Commission adopte l’amendement rédactionnel AS69 de la rapporteure.

Puis elle est saisie de l’amendement AS62 de Mme Françoise Dumas.

Mme Françoise Dumas. Le présent amendement vise à compléter l’article 8 qui prévoit l’information du juge compétent par le service de l’aide sociale à l’enfance lorsque ce dernier envisage de modifier le lieu de placement d’un enfant après deux années de prise en charge par un même établissement ou une même personne.

La première modification du deuxième alinéa de l’article 8 propose une mise en cohérence avec le premier alinéa de l’article L. 223-3 du code de l’action sociale et des familles relatif à l’information des parents sur toute modification du lieu et du mode de placement de leur enfant.

Il convient donc de rétablir dans l’article 8 de la présente loi la référence à la modification du mode de placement.

La seconde modification vise à rendre systématique, et sans délai minimum de deux ans, l’information du juge compétent pour toute décision de modification du lieu ou du mode de placement concernant un enfant de moins de deux ans.

En effet, les mineurs de moins de deux ans, très vulnérables sur les plans psychosocial et affectif, nécessitent un suivi particulier de leur parcours de vie.

Mme la rapporteure. J’émets un avis favorable à l’adoption de cet amendement, qui renforce l’information du juge lorsque le service de l’ASE envisage de modifier le lieu ou le mode de placement et qui améliore le suivi des enfants de moins de deux ans.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 8 modifié.

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Article 9
(art. L. 223-5 du code de l’action sociale et des familles et art. 375 du code civil)

Contenu et transmission au juge du rapport annuel
de l’Aide sociale à l’enfance

Le présent article, modifié par la commission des Affaires sociales du Sénat, vise à préciser le contenu du rapport prévu annuellement pour tout enfant accueilli par le service de l’aide sociale à l’enfance ou faisant l’objet d’une mesure éducative.

1.  Le droit en vigueur

Conformément aux dispositions de l’article L. 223-5 du code de l’action sociale et des familles, un rapport doit être élaboré par ce service au moins une fois par an pour tout enfant accueilli par le service de l’aide sociale à l’enfance ou faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative. Ce rapport est transmis à l’autorité judiciaire lorsque la mesure a été décidée par le juge.

2.  Le dispositif initial

Le présent article vise à renforcer le suivi des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance et à améliorer la coordination des actions menées en faveur de l’enfant.

Il tend à cet effet à compléter l’article L. 223-5 du code de l’action sociale et des familles afin de préciser le contenu du rapport annuel précité. Dans sa version initiale, il prévoyait ainsi que ce rapport « analyse la santé physique et psychique de l’enfant, son développement, sa scolarité, sa vie sociale et ses relations avec sa famille ».

Il précisait également que, lorsque l’enfant est âgé de moins de deux ans, ce rapport doit être préparé, et le cas échéant transmis au juge, tous les six mois. Par coordination, l’article 375 du code civil, relatif aux mesures de placement décidées par le juge des enfants, est modifié dans le même sens.

3.  Les modifications apportées par le Sénat

Le dispositif prévu à l’article 9 a été enrichi par la commission des Affaires sociales du Sénat, après adoption d’un amendement présenté par sa rapporteure Michelle Meunier.

Cet amendement tendait à préciser que le rapport annuel établi par le service de l’aide sociale à l’enfance devait porter également sur les relations que l’enfant entretient avec les tiers intervenant dans sa vie. Il clarifiait en outre l’articulation entre ce rapport et le « projet pour l’enfant ».

Il prévoyait, enfin, l’élaboration d’un référentiel fixant le contenu et les modalités d’élaboration du rapport, ce référentiel devant être approuvé par décret en Conseil d’État.

Votre rapporteure est favorable à l’adoption du présent article ainsi rédigé.

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La Commission des affaires sociales a adopté un amendement de Mme Chantal Guittet visant à garantir l’information des parents, mais également de toute autre personne exerçant l’autorité parentale, du tuteur et du mineur, quant au contenu du rapport annuel.

À cette fin, l’amendement tend à préciser que le contenu et les conclusions de ce rapport doivent être « préalablement » portés à la connaissance du père, de la mère, de toute autre personne exerçant l’autorité parentale, du tuteur et du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité.

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La Commission étudie l’amendement AS45 de Mme Martine Pinville.

Mme Martine Pinville. Je propose de compléter la première phrase de l’alinéa 5 de l’article 9, afin que le rapport portant sur la santé physique et psychique de l’enfant, son développement, sa scolarité, sa vie sociale et ses relations avec sa famille et les tiers intervenant dans sa vie traite également de « l’évolution de ces différents aspects de sa vie au cours de la période considérée ».

Mme la rapporteure. Madame Pinville, je vous demande de retirer cet amendement auquel je ne suis pas favorable. Le rapport annuel a pour objet de prendre en compte la situation de l’enfant, si bien que votre suggestion, que je partage sur le fond, me paraît redondante. Par ailleurs, l’article 5 de la proposition de loi prévoit déjà que le PPE est « régulièrement mis à jour, sur la base des rapports annuels de situation, afin de tenir compte de l’évolution des besoins fondamentaux de l’enfant ».

Mme Martine Pinville. Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel AS93 de la rapporteure.

Puis elle en vient à l’amendement AS48 de Mme Chantal Guittet.

Mme Chaynesse Khirouni. Cet amendement vise à porter le rapport visé par l’article 9 à la connaissance des parents ou des personnes assurant la prise en charge matérielle et affective de l’enfant. Cette communication doit s’opérer avant la transmission du document au juge, car une fois cette transmission effectuée, le rapport devient une pièce judiciaire non diffusable.

Mme la rapporteure. J’émets un avis favorable à l’adoption de cet amendement qui permet de mieux informer la famille.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

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Après l’article 9

La Commission aborde l’amendement AS46 de Mme Martine Pinville.

Mme Martine Pinville. Je retire cet amendement.

L’amendement est retiré.

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Article 10
(art. L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles)

Règles de consultation des dossiers d’assistance éducative

Le présent article, supprimé par la commission des Affaires sociales du Sénat, visait à mettre en place un régime spécial d’accès au dossier administratif des mesures d’assistance éducative suivies par le département.

1.  Le dispositif initial

Le présent article ajoutait un alinéa à l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles afin d’organiser les modalités de consultation du dossier d’assistance éducative.

Il prévoyait que cette consultation soit ouverte aux parents, au tuteur, à la personne ou au service à qui l’enfant a été confié, ainsi qu’au mineur capable de discernement, en présence de son représentant légal ou de son avocat. La consultation du dossier par le mineur devait néanmoins avoir lieu en présence de son représentant légal ou de son avocat et devait être limitée à ce qui ne représentait pas pour lui un danger physique ou moral grave.

À la suite de la consultation du dossier administratif, toute partie devait pouvoir y consigner ses observations.

Le dispositif initial prévoyait par ailleurs que le président du conseil départemental pouvait exclure de la consultation du dossier les pièces relatives à des faits susceptibles de recouvrir une qualification pénale.

2.  Un dispositif supprimé par le Sénat

Le présent article a été supprimé par la commission des Affaires sociales du Sénat, suivant l’avis de sa commission des Lois.

M. François Pillet, rapporteur pour avis pour cette dernière, a mis en avant plusieurs arguments justifiant une suppression de ce dispositif.

Tout d’abord, certains éléments du dossier d’assistance éducative pourraient entrer dans le champ des exceptions au principe de communication d’un document administratif, prévu par la loi du 17 juillet 1978 (8). En effet, les mesures d’assistance éducative sont parfois ordonnées par le juge. Dans ce cas, le dossier inclut des décisions judiciaires, qui obéissent à leur propre régime de communication.

Surtout, M. François Pillet notait opportunément dans son rapport pour avis que « la procédure proposée offre peu de garanties pour les tiers nommés dans le dossier, en particulier les travailleurs sociaux, ou pour l’enfant dont le témoignage a pu être recueilli sur ses parents. Le dispositif proposé les exposerait à de réels dangers ou la vengeance du parent dont ils auraient dénoncé le comportement. La possibilité d’occulter les faits susceptibles de faire l’objet d’une qualification pénale n’est pas suffisante : beaucoup d’appréciations ou de témoignages, sans viser des faits de cette nature, peuvent comporter une mise en cause ou un jugement portés sur l’attitude des parents ».

Enfin, la communication du dossier d’assistance éducative fait déjà l’objet d’une jurisprudence de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), qui considère que son contenu est communicable aux parents du mineur, sous réserve d’être expurgé des informations personnelles qui ne les concernent pas, de celles qui portent sur d’autres personnes ou de celles qui exposeraient autrui à un préjudice, ainsi que des documents élaborés sur commande de l’autorité judiciaire.

Pour l’ensemble de ces raisons, votre rapporteure est favorable au maintien de la suppression de l’article 10.

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La Commission adopte l’article 10 sans modification.

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Article 11
(art. 371-4 et 375-4-1 du code civil et art. L. 227-2-1 du code de l’action sociale et des familles)

Définition de durées maximales de placement

Le I et le II du présent article, supprimés par la commission des Affaires sociales du Sénat, tendaient à consacrer un droit pour l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec un tiers et confiaient au juge des enfants, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, le pouvoir de fixer les modalités des relations de l’enfant avec ce tiers.

Le II traitait en outre des règles de renouvellement d’une mesure de placement de l’enfant. Ce dispositif a été entièrement réécrit par la commission des Affaires sociales du Sénat au profit d’un nouveau III dans le texte ainsi modifié.

A.  RELATIONS DE L’ENFANT AVEC UN TIERS

1.  Le dispositif initial

Le I du présent article prévoyait de modifier l’article 371-4 du code civil relatif à la place des tiers dans la vie de l’enfant.

Ce dernier dispose dans son premier alinéa que l’enfant a le droit d’entretenir des relations privilégiées avec ses ascendants, sauf si cela est contraire à son intérêt. Le second alinéa de l’article 371-4 permet au juge aux affaires familiales, si tel est l’intérêt de l’enfant, de fixer les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non.

Le I du présent article visait à modifier la rédaction du second alinéa afin de consacrer la notion de droit pour l’enfant « d’entretenir des relations personnelles avec un tiers », parent ou non, avec lequel il a résidé de manière stable ou a noué des liens affectifs.

Cette modification tendait ainsi à rapprocher le régime auquel sont soumis les tiers de celui des ascendants de l’enfant. Les deux régimes seraient néanmoins demeurés distincts : alors qu’il est précisé, concernant les ascendants, que seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit (alinéa 1 de l’article 371-4), la règle actuelle selon laquelle le juge peut fixer les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, si tel est l’intérêt de l’enfant, aurait été maintenue (alinéa 2 de l’article 371-4).

Le II du présent article tendait à créer un nouvel article 375-4-1 dans la partie du code civil consacrée à l’assistance éducative.

Les deux premiers alinéas de ce nouvel article visaient à reconnaître au juge des enfants, dans le cadre de l’assistance éducative et si tel était l’intérêt de l’enfant, le pouvoir de fixer les modalités des relations du mineur avec un tiers, lorsque l’enfant a noué avec lui des liens affectifs.

Le juge des enfants pouvait être saisi par l’un des parents, par le tiers, mais également par le mineur lui-même. L’enfant devait en outre être informé des modalités retenues par lui pour ses relations avec les tiers.

2.  Un dispositif supprimé par le Sénat

Le I et le II de l’article 11 ont été supprimés par le Sénat lors de l’examen du texte par la commission des Affaires sociales.

La principale difficulté soulevée par le dispositif initial tenait à la définition du tiers.

La loi du 17 mai 2013 (9) fait référence, parmi les tiers, au beau-parent, défini comme celui « qui a résidé de manière stable avec l’enfant et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation et a noué avec lui des liens affectifs durables ». Le I de l’article 11 de la proposition de loi initiale proposait une définition différente du tiers, moins précise, puisque celui-ci n’était caractérisé que comme la personne qui « a résidé de manière stable avec lui ou a noué avec lui des liens affectifs ».

Outre le fait que cette nouvelle définition du tiers est incertaine, il ne paraît pas souhaitable de remettre en cause la définition du tiers beau-parent établie par la loi du 17 mai 2013 précitée.

Pour ces raisons, votre rapporteure est favorable au maintien de la suppression du I et du II de l’article 11.

B.  INSTAURATION D’UNE DURÉE MAXIMALE DE RENOUVELLEMENT DES MESURES DE PLACEMENT

1.  Le dispositif initial

La seconde partie du nouvel article 375-4-1 du code civil, que le II du présent article tendait à compléter ainsi, visait à fixer une durée maximale de renouvellement d’une mesure de placement en institution ou auprès d’un service d’aide sociale à l’enfance. Cette durée, définie par décret, devait varier selon l’âge de l’enfant.

À l’issue, le juge des enfants devait rendre une ordonnance garantissant la stabilité des conditions de vie de l’enfant, afin de lui permettre de « bénéficier d’une continuité relationnelle, affective, éducative et géographique dans un lieu adapté à ses besoins ». Des circonstances particulières, définies par décret, pouvaient toutefois permettre au juge de déroger à cette durée maximale.

Cette mesure ne s’appliquait pas aux cas où le juge décide de confier l’enfant à un membre de sa famille ou à un tiers digne de confiance Ce choix est cohérent avec l’article 375, alinéa 3 du code civil relatif aux mesures d’assistance éducative ordonnées par le juge, qui dispose que « la décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu’il s’agit d’une mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans ».

Ce dispositif, qui s’inspire de la législation québécoise, visait à éviter à l’enfant un parcours chaotique, caractérisé par des changements fréquents de lieux de placements, sans qu’une situation stable ne lui soit jamais proposée.

2.  Les modifications apportées par le Sénat

La deuxième partie du II du présent article, relative au renouvellement d’une mesure de placement de l’enfant, a été entièrement réécrite par la commission des Affaires sociales du Sénat. Elle fait l’objet d’un nouveau III dans le texte ainsi modifié.

La partie du nouvel article 375-4-1 du code civil prévoyant une durée maximale de renouvellement d’une mesure de placement a été supprimée.

Un nouveau paragraphe III, ajouté au présent article par la commission des Affaires sociales du Sénat, vise à insérer un nouvel article L. 227-2-1 dans le code de l’action sociale et des familles.

Cet article tend à prévoir que le service de l’aide sociale à l’enfance, lorsque la durée de placement excède un seuil fixé par décret, examine l’opportunité d’autres mesures susceptibles de garantir la stabilité des conditions de vie de l’enfant. Le service en informe le juge des enfants et lui présente les raisons qui l’amènent à retenir ou à exclure les mesures envisageables.

Votre rapporteure est favorable à l’adoption du paragraphe III dans la rédaction proposée par la commission des Affaires sociales du Sénat, et de l’article 11 ainsi rédigé.

*

La Commission adopte successivement l’amendement rédactionnel AS71 de la rapporteure, les amendements identiques de rectification AS70 de la rapporteure et AS102 de la commission des Lois, et l’amendement rédactionnel AS 72 de la rapporteure.

La Commission adopte l’article 11 modifié.

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Après l’article 11

La Commission est saisie de l’amendement AS22 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement vise à mieux définir la notion de l’intérêt de l’enfant en reprenant la formule de « l’intérêt supérieur de l’enfant » de la convention internationale des droits de l’enfant et de différentes dispositions juridiques.

Mme la rapporteure. J’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement, car la proposition de loi relative à la protection de l’enfant ne fait pas référence à la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, la nature « supérieure » de cet intérêt étant toujours sous-entendue. Cette question a fait l’objet de longs débats en séance publique lors de l’examen de la PPL relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, et il a été décidé de ne pas inscrire la notion d’intérêt supérieur de l’enfant dans la loi, au motif que la Constitution et des normes internationales de valeur supra-législative la garantissaient déjà.

M. Dominique Potier. Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement AS55 de M. Joël Aviragnet

M. Joël Aviragnet. Cet amendement concerne les adolescents qui ont souvent des difficultés avec la loi et l’autorité ; il vise à leur proposer de pouvoir choisir entre deux établissements lorsqu’ils doivent être accueillis, afin de mieux les associer à leur projet éducatif.

Mme la rapporteure. Cette mesure est intéressante, mais il convient de ne pas systématiser l’offre d’un choix entre deux établissements car cela semble difficile à mettre en œuvre sur un plan pratique. Ce texte et la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance doivent permettre de proposer l’établissement le plus adapté aux besoins de l’enfant. Devoir systématiquement sélectionner deux structures pourrait poser des difficultés aux conseils départementaux.

M. Joël Aviragnet. J’entends l’argument de la complexité, mais mon amendement permettrait de lutter contre le nomadisme des enfants qui changent constamment d’établissement du fait de leur opposition à tout cadre.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur Aviragnet, vous avez utilisé la formule « dans la mesure du possible » dans la rédaction de cet amendement : il ne prévoit donc aucune systématicité !

M. Joël Aviragnet. Vous avez raison, madame Poletti.

Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

*

Article 11 bis (nouveau)
(art. 375 du code civil)

Encadrement de la durée de placement de l’enfant
auprès d’un tiers digne de confiance

Sur proposition de votre rapporteure, de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe SRC, la Commission des affaires sociales a adopté deux amendements identiques portant article additionnel, visant à mieux encadrer le placement auprès d’un tiers digne de confiance.

Dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, dont les conditions de mise en place sont définies à l’article 375 du code civil, l’enfant peut être confié par le juge à un proche, tiers digne de confiance. Or, dans le droit en vigueur, et contrairement aux autres mesures éducatives, cette mesure n’est pas limitée dans le temps, ce qui ne favorise ni la surveillance de la qualité de l’accueil par le juge ni l’élaboration d’un projet de vie plus pérenne pour l’enfant.

Les travaux du Défenseur des droits, publiés en 2014, portant sur l’accueil d’enfants placés sur décision du juge auprès de tiers digne de confiance (10), ont montré la nécessité d’un meilleur suivi de ces enfants.

À cette fin, le présent article additionnel vise à aligner le régime du placement auprès d’un tiers digne de confiance sur les autres mesures éducatives dont la durée doit être fixée par le juge, dans la limite de deux ans ou de cinq ans en cas de difficultés parentales sévères et chroniques. Cette disposition tend ainsi à garantir une révision régulière de la situation par le juge.

*

La Commission étudie l’amendement AS91 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Dans le cadre de la procédure d’assistance éducative, l’enfant peut être confié par le juge à un proche, tiers digne de confiance. Contrairement aux autres mesures éducatives, celle-ci n’est pas limitée dans le temps, ce qui ne favorise pas la surveillance de la qualité de l’accueil par le juge.

Cet article additionnel vise à aligner le régime du placement auprès d’un tiers digne de confiance sur celui des autres dispositions éducatives dont la durée doit être fixée par le juge – dans la limite de deux ou cinq ans en cas de difficultés parentales sévères et chroniques.

Cette disposition garantit une révision régulière de la situation par le juge et favorise, lorsque cela est possible, l’élaboration d’un projet pérenne pour l’enfant.

Mme Bérengère Poletti. Dans votre exposé sommaire, vous écrivez, madame la rapporteure, que « les travaux de 2014 du Défenseur des droits sur l’accueil d’enfants placés sur décision du juge auprès de tiers digne de confiance, ont montré la nécessité d’un meilleur suivi de ces enfants ». Comme nous l’avons dit plus tôt dans ce débat, il est difficile et risqué de demander au président du conseil départemental d’assumer cette responsabilité.

Mme la rapporteure. Madame Poletti, vous avez raison, mais nous mettons en place l’accompagnement, le contrôle et le suivi de ces accueils chez des personnes dignes de confiance.

La Commission adopte l’amendement.

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Après l’article 11 bis

Puis elle en vient à l’amendement AS21 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement précise le rôle des médecins de protection maternelle et infantile (PMI) ainsi que des collectivités compétentes, et rappelle que l’enfant est accompagné par l’ensemble de la communauté.

Mme la rapporteure. J’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement, dont la rédaction manque de portée normative. Différents amendements permettent déjà de renforcer la prévention ; ainsi, l’amendement AS82 après l’article 1er vise à assurer la prévention en prévoyant la signature d’un protocole entre le président du conseil départemental et les différents acteurs concernés. De même, l’amendement AS89 après l’article 5A a pour objet de faciliter l’accueil des enfants de moins de trois ans et de leurs parents dans les centres parentaux. Le Gouvernement présentera en outre en séance publique un dispositif définissant la politique de protection de l’enfance qui portera un accent particulier à la prévention. Votre demande se trouve donc déjà satisfaire, monsieur Potier.

M. Dominique Potier. Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

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Article 11 ter (nouveau)
(art. L. 2112-2 du code de la santé publique)

Mise en place d’un entretien prénatal systématiquement
proposé en début de grossesse

La Commission des affaires sociales a adopté un amendement présenté par M. Dominique Potier visant à remplacer les termes d’« entretien systématique psychosocial » introduit par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, par ceux d’ « entretien prénatal ». Ce dernier ne serait plus « systématique », mais serait « systématiquement proposé » en début de grossesse.

Le terme « psychosocial », auquel fait référence le droit en vigueur, pourrait dissuader certaines femmes qui ne se sentiraient a priori pas concernées. Cet entretien doit correspondre à un temps d’échange destiné à permettre à toutes les femmes ou à tous les couples qui le souhaitent d’aborder les préoccupations de tous ordres qu’ils peuvent rencontrer.

Par ailleurs, l’amendement tend à préciser que cet entretien doit être proposé « au début de la grossesse ». La nouvelle rédaction proposée offre ainsi davantage de souplesse que le droit en vigueur, qui précisait que cet entretien devait avoir lieu « lors du quatrième mois de grossesse ».

*

La Commission aborde l’amendement AS23 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement qualifie de « prénatal » plutôt que de « psychosocial », terme potentiellement stigmatisant, l’entretien proposé au début de la grossesse.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

Le présent amendement vise à adapter la terminologie relative à l’entretien prénatal, en précisant qu’il s’agit d’un entretien proposé systématiquement et le plus tôt possible au cours de la grossesse.

Je suis favorable à cette rédaction, qui me semble meilleure que celle de mon amendement AS85, qui prévoyait que cet entretien prénatal précoce était proposé de manière limitative « durant le premier trimestre de grossesse ». Le fait de proposer cet entretien « au début de la grossesse » offre davantage de souplesse et permet également de ne pas exclure les femmes découvrant leur grossesse tardivement.

La Commission adopte l’amendement.

*

TITRE III
ADAPTER LE STATUT DE L’ENFANT PLACÉ SUR LE LONG TERME

Article 12
(art. 370 du code civil)

Réforme des règles de révocabilité de l’adoption simple

Le présent article, supprimé par le Sénat lors de l’examen du texte par la commission des Affaires sociales, visait à modifier l’article 370 du code civil afin de rendre l’adoption simple irrévocable durant la minorité de l’adopté, sauf à la demande du ministère public s’il est justifié de motifs graves.

1.  Le droit en vigueur

La loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l’adoption a institué deux formes d’adoption : l’adoption plénière et l’adoption simple.

– L’adoption plénière « confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine » (article 356 du code civil). Elle entraîne une rupture du lien de parenté d’origine et inscrit l’enfant dans une nouvelle parenté.

– Dans le cadre d’une adoption simple, au contraire, « l’adopté reste dans sa famille d’origine et y conserve tous ses droits, notamment ses droits héréditaires » (article 364 du même code). L’adoption simple n’a pas pour conséquence de rompre les liens de l’enfant avec sa famille d’origine.

Contrairement à l’adoption plénière qui est irrévocable (article 359 du même code), l’adoption simple peut être révoquée sous certaines conditions, dont certaines dépendent de l’âge de l’adopté (article 370 du même code) :

– dans tous les cas, la révocabilité de l’adoption est conditionnée à l’existence de motifs graves ;

– lorsque l’adopté est majeur, l’adoption peut être révoquée à la demande de l’adoptant ou de l’adopté ;

– lorsque l’adopté est mineur, l’adoption peut être révoquée à la demande de l’adoptant si l’adopté est âgé de plus de quinze ans, du ministère public, du père et de la mère de naissance ou, à défaut, d’un membre de la famille d’origine, jusqu’au degré de cousin germain inclus.

2.  Le dispositif initial

L’article 12 visait à modifier l’article 370 du code civil afin de ne rendre possible la révocation de l’adoption simple pendant la minorité de l’adopté qu’à la demande du ministère public, en cas de motifs graves.

La rédaction de cet article était identique à celle de l’article 5 de la proposition de loi n° 3739, déposée le 21 septembre 2011 à l’Assemblée nationale, par Mme Michèle Tabarot et plusieurs de ses collègues, sur l’enfance délaissée et l’adoption. Ce texte avait été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 1er mars 2012, mais son article 5 avait été supprimé en séance publique, à l’initiative du Gouvernement.

Le du présent article tendait à prévoir que la demande de révocation ne serait recevable, à la demande de l’adoptant, que pour les adoptés majeurs.

Le du présent article tendait à supprimer le dernier alinéa de l’article 370 du code civil qui prévoit, lorsque l’adopté est mineur, la possibilité de révocation de l’adoption à la demande des membres de la famille d’origine.

L’objet des modifications proposées était d’encourager le recours à l’adoption simple, dont la révocabilité trop aisée pourrait s’avérer dissuasive pour certains parents.

3.  Un dispositif supprimé par le Sénat

Suivant l’avis de la commission des Lois, la commission des Affaires sociales du Sénat a adopté un amendement de suppression de l’article 12.

Plusieurs raisons ont été avancées pour justifier la suppression de ce dispositif.

M. François Pillet, rapporteur pour avis, a estimé tout d’abord qu’« il n’est pas du tout certain que le fait de ne plus permettre à l’adoptant de solliciter la révocation de l’adoption avant la majorité de l’enfant, quoiqu’il arrive, même pour motifs graves, soit un facteur d’incitation à s’engager dans ce processus pour les candidats à l’adoption ». L’irrévocabilité de l’adoption simple pourrait même a contrario présenter un effet dissuasif pour certaines personnes candidates à l’adoption, ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par la présente proposition de loi.

Il soulignait par ailleurs que « si la famille, en particulier les père et mère de sang, n’a plus cette faculté de demander la révocation de l’adoption simple, il est à craindre qu’elle se montre plus réticente dans le futur à consentir à l’adoption de l’enfant ».

La commission des Affaires sociales du Sénat a enfin estimé qu’il n’était pas opportun de revenir sur les règles actuelles de révocabilité, considérant que la question devait être abordée « dans le cadre d’une réflexion plus générale sur les évolutions à apporter à l’adoption sous ses différentes formes ».

Votre rapporteure regrette la suppression de ce dispositif par le Sénat.

Plusieurs rapports ont en effet préconisé une limitation des possibilités de révocation de l’adoption simple.

Parmi eux, le rapport de l’Académie de médecine, intitulé « Faciliter l’adoption simple » et paru en février 2011, proposait de rendre l’adoption simple irrévocable afin de stabiliser la situation des enfants adoptés sous cette forme – qui a le mérite de maintenir les liens avec la famille d’origine – et de permettre le développement de cette modalité de l’adoption, dans l’intérêt de l’enfant.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2009, relatif au délaissement parental (11), préconisait lui aussi de faciliter les relations entre les parents adoptifs et la famille de l’enfant adopté ; dans cette perspective, il proposait notamment de promouvoir l’adoption simple, qui doit, selon les auteurs du rapport, être vue comme un type d’intervention relevant de la protection de l’enfance, alternative à la prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance.

L’adoption simple pourrait ainsi constituer un outil de sécurisation des parcours des enfants protégés, alors qu’elle est à l’heure actuelle essentiellement prononcée dans le cadre familial et concerne souvent des majeurs.

Votre rapporteure partage pour sa part l’avis du groupe de travail « Protection de l’enfance et adoption », présidé par Mme Adeline Gouttenoire, selon lequel « il importe de renforcer la sécurité juridique de cette forme d’adoption, tant à l’égard de l’adopté qu’à l’égard de l’adoptant, afin que le lien de parenté ainsi créé ne soit pas fragilisé ».

Pour toutes ces raisons, votre rapporteure est favorable au rétablissement de l’article 12.

*

La Commission des affaires sociales a adopté trois amendements identiques présentés par votre rapporteure, par Mme Françoise Dumas et les commissaires du groupe SRC, ainsi que par Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis, visant à rétablir le présent article, supprimé par le Sénat.

Ces trois amendements de rétablissement visent à modifier l’article 370 du code civil afin de ne maintenir la possibilité de révoquer l’adoption simple pendant la minorité de l’adopté qu’à la seule demande du ministère public, en cas de motifs graves. La demande de révocation par l’adoptant ne serait possible que si l’adopté est majeur. Ni le père ou la mère de naissance, ni un membre de la famille d’origine jusqu’au degré de cousin germain inclus ne pourraient demander la révocation.

Sans modifier le fond du dispositif, les amendements adoptés par la Commission des affaires sociales apportent par ailleurs diverses améliorations rédactionnelles à la rédaction initiale de l’article 12.

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La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques AS84 de la rapporteure, AS26 de Mme Françoise Dumas et AS103 de la commission des Lois, et l’amendement AS49 de Mme Chantal Guittet.

Mme la rapporteure. Cet amendement a pour objet de rétablir l’article 12, visant à sécuriser l’adoption simple, qui a été supprimé par le Sénat. L’objectif est d’encadrer les conditions de révocabilité de l’adoption simple, afin de lever certains freins juridiques au développement de cette forme d’adoption, qui mérite d’être davantage utilisée comme mesure de protection de l’enfance.

L’amendement modifie l’article 350 du code civil et ne maintient la révocabilité pendant la minorité de l’adopté qu’à la demande du ministère public, en cas de motif grave. La demande de révocation faite par l’adoptant ne sera admissible que si l’adopté est majeur. Ni les père et mère de naissance, ni un membre de la famille d’origine jusqu’au degré de cousin germain inclus ne pourront plus en formuler la requête.

Mme Françoise Dumas. De nombreux rapports, rédigés par l’Académie de médecine ou par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2009, se sont penchés sur cette question. Il convient de faciliter les relations entre les parents adoptifs et la famille de l’enfant adopté ; dans cette optique, la promotion de l’adoption simple constitue un outil supplémentaire de sécurisation du parcours de l’enfant. Il importe de renforcer la sécurité juridique de cette forme d’adoption, afin de lutter contre toute fragilisation du lien de parenté ainsi créé. La révocabilité de l’adoption simple doit être limitée et ne peut se maintenir qu’à la demande du ministère public en cas de motif grave. La demande de révocation formulée par l’adoptant ne sera révocable que si l’adopté est majeur.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. La commission des Lois a adopté cet amendement ; nous partageons tous la conviction selon laquelle l’article 12 permettra de disposer d’un instrument supplémentaire, solide juridiquement, pour trouver un projet de vie pour l’enfant.

La Commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, l’amendement AS49 tombe.

L’article 12 est ainsi rétabli.

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Article 13
(art. L. 223-7 du code de l’action sociale et des familles)

Mise en place d’un suivi médical, psychologique, éducatif et social
en cas de reconnaissance d’un enfant né sous le secret

Le présent article, modifié par le Sénat en commission des Affaires sociales puis en séance publique, vise à permettre un suivi médical, psychologique, éducatif et social en cas de reconnaissance d’un enfant né sous le secret.

1.  Le droit en vigueur

L’article L. 224-6 du code de l’action sociale et des familles prévoit que, dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle un enfant a été déclaré pupille de l’État à titre provisoire, l’enfant peut être repris immédiatement et sans aucune formalité par celui de ses père ou mère qui l’avait confié au service.

Un enfant né sous le secret dans les conditions prévues aux articles 326 du code civil et L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles peut, dans ce délai, être « restitué » à sa mère ou à son père de naissance, lorsqu’il a fait l’objet d’une reconnaissance et que le lien de filiation est établi.

L’article L. 222-6 précité prévoit que les femmes ayant accouché sous le secret peuvent bénéficier d’un accompagnement psychologique et social de la part du service de l’aide sociale à l’enfance, à leur demande ou avec leur accord. Cet accompagnement est prévu indépendamment de leurs intentions ou décisions futures quant à une éventuelle reprise de l’enfant.

2.  Le dispositif initial

L’article 13 de la proposition de loi initiale tendait à compléter l’article L. 223-7 du code de l’action sociale et des familles afin de prévoir que lorsqu’un enfant né sous le secret est reconnu par au moins l’un de ses parents, un suivi médical, psychologique et éducatif est obligatoirement mis en place au cours des trois années suivant cette reconnaissance.

Cette durée de trois ans a été choisie car elle correspond à la période qui sépare la naissance de l’enfant de sa première année de scolarisation.

La mise en place d’un suivi pluridisciplinaire pour accompagner le parent et assurer la protection de l’enfant répond à une préconisation formulée dans plusieurs rapports. Dans son rapport sur la présente proposition de loi, établi au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat, Mme Michelle Meunier cite à cet égard le compte rendu de la mission confiée par le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants sur « l’histoire de Marina » (30 juin 2014). M. Alain Grevot suggère de renforcer ce suivi et préconise « que tous les conseils généraux organisent systématiquement un accompagnement autour des enfants nés « sous le secret » et reconnus ensuite par un au moins de leur parent. En effet, comme dans le cas de Marina, née sous le secret avant que sa mère ne la reconnaisse un mois plus tard, de telles situations fragilisent l’établissement des liens parentaux ».

3.  Les modifications adoptées par le Sénat

Le dispositif initialement proposé a été complété par le Sénat, en commission des Affaires sociales puis en séance publique.

● La commission des Affaires sociales du Sénat a modifié le dispositif prévu à l’article L. 223-7 du code de l’action sociale et des familles.

Elle a tout d’abord supprimé le caractère obligatoire du suivi, au motif que celui-ci était susceptible d’entrer en contradiction avec le droit au respect à la vie privée et familiale et d’induire des effets pervers s’il était interprété comme une « mise sous tutelle » de l’autorité parentale.

Par ailleurs, elle a remplacé la notion de « suivi », qui peut revêtir une connotation négative, par celle plus neutre d’ « accompagnement ».

La rédaction adoptée par la commission des Affaires sociales du Sénat précisait en outre que l’accompagnement doit être proposé par le service de l’aide sociale à l’enfance auquel l’enfant a été confié.

Enfin, la commission des Affaires sociales a souhaité compléter l’article L. 224-6 du code de l’action sociale et des familles afin d’étendre l’accompagnement proposé pour les enfants nés sous le secret mais qui sont par la suite reconnus par l’un de leurs parents, aux enfants déclarés pupille de l’État, lorsqu’ils sont, de même, repris par l’un de leurs parents.

● Le dispositif a ensuite été modifié en séance publique après adoption d’un amendement présenté par la rapporteure de la commission des Affaires sociales.

Celui-ci précisait que l’accompagnement proposé relève de la responsabilité du président du conseil départemental et qu’il concerne à la fois le parent et l’enfant.

Votre rapporteure est favorable à l’article 13 ainsi modifié.

Ce dispositif devrait en effet favoriser l’établissement des relations nécessaires au développement physique et psychologique de l’enfant ainsi que sa stabilité affective.

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La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS73 et AS74 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 13 modifié.

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Article 13 bis (nouveau)
(art. L. 225-1 du code de l’action sociale et des familles)

Mise en place d’un projet de vie pour les enfants
admis en qualité de pupille de l’État

Sur proposition de votre rapporteure, de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe SRC, la Commission des affaires sociales a adopté deux articles additionnels identiques tendant à instaurer l’obligation de mettre en place un projet de vie pour tout enfant admis en qualité de pupille de l’État.

Le droit en vigueur dispose, à l’article L. 225-1 du code de l’action sociale et des familles, que les enfants pupilles de l’État « doivent faire l’objet d’un projet d’adoption dans les meilleurs délais ». La rédaction actuelle de cette disposition laisse entendre que l’adoption de ces enfants constitue la solution à privilégier, l’article L. 225-1 précité précisant néanmoins que « lorsque le tuteur considère que l’adoption n’est pas adaptée à la situation de l’enfant, il doit indiquer ses motifs au conseil de famille. Le conseil de famille, sur le rapport du service de l’aide sociale à l’enfance, s’assure de la validité de ces motifs qui doit être confirmée à l’occasion de l’examen annuel de la situation de l’enfant ».

Les deux articles additionnels identiques adoptés par la Commission des affaires sociales visent à permettre aux enfants admis en qualité de pupille de l’État de faire l’objet d’un « projet de vie », qui peut être une adoption « si tel est leur intérêt ». Ils tendent ainsi à souligner que ce projet de vie ne doit pas conduire systématiquement à une adoption, mais que celle-ci doit être privilégiée seulement lorsqu’elle constitue la meilleure option qui peut être proposée.

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La Commission étudie les amendements identiques AS80 de la rapporteure et AS36 de Mme Françoise Dumas.

Mme la rapporteure. Cet amendement a pour objet d’instaurer l’obligation de mettre en place un projet de vie pour tout enfant admis en qualité de pupille de l’État. Ce projet peut prendre la forme d’une adoption simple ou plénière, ou d’une décision comme le parrainage ou le maintien dans la famille d’accueil.

En effet, l’adoption n’est pas le projet de vie le plus pertinent pour certains enfants, notamment lorsqu’ils ne sont pas adoptables pour des raisons psychologiques. Il doit donc être mis fin à l’obligation de prévoir, dans les six mois, un projet de vie pour les enfants pupilles de l’État et de transmettre au ministre chargé de la famille le dossier des pupilles non adoptés dans ces délais.

Le fait qu’il n’y ait pas de projet d’adoption envisageable ne doit pas constituer un frein pour l’admission en qualité de pupille de l’État.

Mme Françoise Dumas. Il convient de se poser des questions sur la situation des enfants au fil des années, notamment lorsqu’ils sont pupilles de l’État. Les projets de vie peuvent prendre différentes formes, et l’adoption peut ne pas être adaptée. Le statut de pupille de l’État vise avant tout à assurer la protection de l’enfance en apportant au jeune toutes les garanties quant à son suivi et à la défense de ses intérêts. Cet amendement a, lui aussi, pour objet de sécuriser le parcours du mineur.

La Commission adopte les amendements.

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Article 14
(art. 346 et 360 du code civil)

Possibilité d’une nouvelle adoption plénière d’enfants,
précédemment adoptés, admis en qualité de pupilles de l’État

Le présent article, supprimé par la commission des Affaires sociales du Sénat, visait à permettre à un enfant qui a fait l’objet d’une première adoption plénière, puis qui a été admis en qualité de pupille de l’État, de pouvoir faire l’objet d’une nouvelle adoption plénière.

1.  Le droit en vigueur

L’adoption plénière est régie par le chapitre 1er du titre VIII du livre Ier du code civil.

Elle confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine : l’adopté cesse d’appartenir à sa famille biologique (article 356 du code civil) et possède, dans la famille de l’adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’un enfant dit « naturel » et légalement reconnu (article 358 du même code).

Par conséquent, en application de l’article 359 du code civil, l’adoption plénière est irrévocable, ce qui constitue l’un des principaux critères qui la distinguent de l’adoption simple.

Le deuxième alinéa de l’article 346 du même code précise que seul le décès de l’adoptant, lorsqu’il avait adopté seul, ou des deux époux adoptants, permet de prononcer une nouvelle adoption plénière de l’enfant. Dans le cas où l’enfant avait été adopté par deux époux, en cas de décès de l’un d’eux, seul l’éventuel nouveau conjoint de l’époux survivant peut adopter l’enfant en la forme plénière.

En dehors de cette situation liée au décès du ou des adoptants, le législateur a prévu une atténuation au principe d’irrévocabilité de l’adoption plénière dans les deux cas suivants :

– le deuxième alinéa de l’article 360 du code civil prévoit la possibilité, s’il est justifié de motifs graves, d’une adoption simple d’un enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière. Il peut notamment s’agir d’un échec de l’adoption ;

– la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe prévoit que l’enfant précédemment adopté par une seule personne, en la forme simple ou plénière, peut l’être une seconde fois par le conjoint de cette dernière, en la forme simple. Cette disposition est codifiée au troisième alinéa de l’article 360 du code civil.

Dans ces deux situations, une adoption plénière peut être suivie d’une adoption simple.

2.  Le dispositif initial

Le I du présent article visait à compléter l’article 346 du code civil afin de permettre aux enfants, adoptés sous la forme plénière avant d’être admis en qualité de pupille de l’État, d’être adoptés une nouvelle fois sous la forme plénière.

Corrélativement, dans la mesure où une nouvelle adoption plénière était rendue possible, le II du présent article supprimait le deuxième alinéa de l’article 360 du code civil, c’est-à-dire la possibilité pour un enfant adopté sous la forme plénière, d’être adopté sous la forme simple s’il est justifié de motifs graves.

Cette disposition s’inspirait de la proposition n° 40 du groupe de travail « Protection de l’enfance et adoption », présidée par Mme Adeline Gouttenoire.

3.  Un dispositif supprimé par le Sénat

Suivant l’avis de la commission des Lois, la commission des Affaires sociales du Sénat a supprimé l’article 14.

Cette disposition constituait une modification substantielle des règles de l’adoption plénière, dans la mesure où elle avait pour effet de rendre celle-ci révocable sous certaines conditions.

Comme l’a noté le sénateur François Pillet dans son rapport pour avis, l’article 14 de la proposition de loi initiale « permet[tait] de remettre l’enfant adopté au service de l’aide sociale à l’enfance pour qu’il soit admis en qualité de pupille de l’État en vue d’une nouvelle adoption plénière, ce qui revient à substituer la nouvelle adoption à la précédente et donc à la détruire, même si l’enfant n’est pas privé de filiation puisqu’il passe d’une adoption plénière à une autre ». Dans son principe, cette disposition revenait donc sur le caractère irrévocable de l’adoption plénière et exigeait en conséquence l’abrogation de l’article 359 du code civil qui dispose que l’adoption plénière est irrévocable.

Par ailleurs, la remise en cause de l’adoption plénière devenait paradoxalement plus facile que la révocation d’une adoption simple. L’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles énumère les différentes situations dans lesquelles un enfant peut être admis comme pupille de l’État. Le rapporteur pour avis du Sénat précise notamment que « les parents adoptifs ayant les mêmes droits et obligations que les parents naturels dans le cadre d’une filiation biologique établie, ils peuvent d’ores et déjà remettre l’enfant adopté au service de l’aide sociale à l’enfance en vue de son admission en qualité de pupille de l’État, en application de l’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles ». Dès lors, si, comme le proposait initialement l’article 14, l’enfant admis en qualité de pupille de l’État pouvait faire l’objet d’une nouvelle adoption plénière, la remise en cause de la première adoption plénière serait devenue plus facile que celle d’une adoption simple, la révocation d’une adoption simple étant prononcée par le juge pour des motifs graves (article 370 du code civil).

C’est pourquoi, selon le rapporteur pour avis du Sénat, « si l’objectif du présent article est louable, puisqu’il vise à permettre à un enfant de retrouver une famille stable à la suite d’une adoption plénière qui aurait échoué, il représente en réalité un véritable danger pour l’enfant adopté qui pourrait être très facilement « répudié » par ses parents adoptifs, sans motifs graves, ni contrôle du juge. Cette disposition porte une atteinte grave à l’intérêt de l’enfant car il instaure une précarité très forte de l’adoption plénière ainsi réformée ».

En remettant profondément en cause le principe d’irrévocabilité de l’adoption plénière, les bouleversements induits par le dispositif initialement proposé doivent, en tout état de cause, être discutés dans le cadre d’une réflexion plus globale et approfondie sur l’ensemble des règles applicables à l’adoption.

Pour l’ensemble de ces raisons, votre rapporteure est favorable au maintien de la suppression de l’article 14.

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La Commission est saisie de l’amendement AS50 de Mme Chantal Guittet.

Mme Chaynesse Khirouni. Cet amendement vise à rétablir l’article supprimé par le Sénat étendant les possibilités de nouvelle adoption pour les enfants adoptés et admis en qualité de pupille de l’État.

Comme l’expose le rapport présenté par le groupe de travail « Protection de l’enfance et adoption », il y a lieu d’autoriser qu’une nouvelle adoption puisse être prononcée après que l’enfant adopté a été admis en qualité de pupille de l’État.

En outre, il convient de supprimer le deuxième alinéa de l’article 360 du code civil qui ne permet qu’une adoption simple après une adoption plénière.

Mme la rapporteure. Je suis défavorable au rétablissement de l’article 14. En effet, cette disposition modifiait substantiellement les règles de l’adoption plénière, dans la mesure où elle avait pour effet de rendre celle-ci révocable sous certaines conditions. Or, l’adoption plénière est irrévocable, cette caractéristique la différenciant de l’adoption simple.

Par ailleurs, la remise en cause de l’adoption plénière deviendrait paradoxalement plus facile que la révocation d’une adoption simple : il suffirait en effet que les parents ayant adopté remettent l’enfant au service de l’ASE et que celui-ci devienne pupille de l’État pour qu’il puisse être adopté à nouveau, alors que la révocation d’une adoption simple est prononcée par le juge pour des motifs graves aux termes de l’article 370 du code civil.

C’est pourquoi, si l’objectif du présent article est louable, puisqu’il vise à permettre à un enfant de retrouver une famille stable à la suite d’une adoption plénière qui aurait échoué, il représente en réalité un véritable danger pour l’enfant adopté qui pourrait être très facilement « répudié » par ses parents adoptifs, sans motif grave, ni contrôle du juge.

Enfin, en remettant profondément en cause le principe d’irrévocabilité de l’adoption plénière, les bouleversements induits par le rétablissement de l’article 14 devraient, en tout état de cause, être discutés dans le cadre d’une réflexion plus globale et approfondie sur l’ensemble des règles applicables à l’adoption, ce qui n’est pas l’objet de la présente proposition de loi. Cet article ne serait pas un facteur de simplification, mais de complexification. J’émets donc un avis défavorable à l’adoption de l’amendement.

Mme Chaynesse Khirouni. Je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission maintient la suppression de l’article 14.

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Article 15
(art. 345 et 353 du code civil et art. 1170 du code de procédure civile)

Audition devant le juge de l’enfant en voie d’être adopté

Le présent article, modifié par le Sénat en commission des Affaires sociales et en séance publique, vise à préciser que le tribunal entend l’enfant capable de discernement dont l’adoption est demandée.

Il prévoyait également, dans sa rédaction initiale, la nomination d’un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts de l’enfant dont l’adoption est demandée, mais ce dispositif a été supprimé par la commission des Affaires sociales du Sénat.

1.  Le droit en vigueur

Au sein du chapitre Ier du titre VIII du livre Ier du code civil, relatif à l’adoption plénière, l’article 353 prévoit les conditions du jugement autorisant cette adoption. Le tribunal de grande instance est saisi pour vérifier si la procédure d’adoption a respecté la loi – notamment l’existence d’une différence d’âge d’au moins quinze ans entre l’adopté et les adoptants –, si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, et si elle n’est pas de nature à compromettre la vie de la famille adoptante si cette dernière a d’autres enfants. Il n’est cependant pas prévu que le jugement rendu soit motivé.

À la différence de l’adoption simple, l’adoption plénière rompt tout lien avec la famille d’origine de l’adopté, y compris ses droits héréditaires. Elle suppose que l’adopté acquière une nouvelle filiation qui remplace celle d’origine. Peuvent être adoptés dans ces conditions les enfants pour lesquels les parents d’origine ou le conseil de famille ont consenti à l’adoption, les pupilles de l’État, ainsi que les enfants déclarés abandonnés. Le juge dispose toutefois en la matière d’une marge d’appréciation substantielle : en vertu de l’article 348-6 du code civil, il peut passer outre le refus de consentement du ou des parents ou du conseil de famille et prononcer l’adoption dans l’intérêt de l’enfant, lorsque le désintérêt dont font preuve ses parents à son égard menace sa santé et sa moralité.

En dépit de l’importance pour l’enfant des effets juridiques d’une telle procédure, son audition devant le juge n’est pas expressément prévue dans le droit existant.

L’article 345 du même code précise toutefois que, s’il est âgé de plus de treize ans, l’enfant doit consentir personnellement à son adoption plénière, non devant le juge, mais devant un notaire, un agent diplomatique ou consulaire. Il peut également être reçu par le service de l’aide sociale à l’enfance, lorsque l’enfant lui a été remis, en application de l’article 348-3 du même code.

Par ailleurs, l’article 388-1 du même code dispose que dans toute procédure judiciaire le concernant, le mineur capable de discernement peut être entendu par le juge, règle générale qui s’applique sans préjudice des dispositions relatives au consentement ou à l’intervention du mineur ainsi qu’aux situations où une personne tierce peut être entendue à sa place.

2.  Le dispositif initial

L’article 15 de la présente proposition de loi prévoyait trois dispositions :

Le I de cet article avait pour objet de désigner, dans toute procédure d’adoption, un administrateur représentant spécifiquement les intérêts de l’enfant devant le tribunal.

Le II précisait expressément que l’enfant doué de discernement devait être entendu par le juge, préalablement à son adoption plénière.

Le III modifiait le code de procédure civile, qui est cependant de nature réglementaire.

3.  Les modifications apportées par le Sénat

Le présent article a été modifié par le Sénat lors de l’examen du texte, en commission des Affaires sociales puis en séance publique.

● En commission des Affaires sociales, deux amendements proposés par le rapporteur pour avis de la commission des Lois ont conduit à la suppression des I et III du présent article.

La suppression du I, relative à la désignation systématique d’un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts de l’enfant dont l’adoption est demandée, était justifiée, selon l’exposé des motifs de l’amendement adopté, par son caractère difficilement applicable – en termes de coût comme de disponibilité suffisante d’administrateurs formés – et par la limitation imposée à la libre appréciation du juge par l’intervention systématique d’un tel administrateur ad hoc.

En outre, une telle intervention est déjà prévue par l’article 388-2 du code civil, lorsque « dans une procédure, [les] intérêts [du mineur] apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux ». On observera à cet égard que la désignation de l’administrateur ad hoc prévue à l’article 388-2 précité n’est pas systématique, puisqu’elle est subordonnée au fait que les intérêts de l’enfant soient en opposition avec ceux de ses représentants légaux.

La suppression du III est rédactionnelle : la disposition visée étant de nature strictement réglementaire, comme l’ensemble du code de procédure civile, elle ne peut faire l’objet d’une intervention législative.

La commission des Affaires sociales du Sénat a également adopté, à l’initiative de sa rapporteure, un amendement – présenté comme rédactionnel – qui substituait à la notion de discernement de l’enfant celle de son degré de maturité. Le fait de prévoir une audition de l’enfant « selon des modalités adaptées à son degré de maturité » aurait par ailleurs permis, le cas échéant, une audition indirecte du mineur.

La rédaction ainsi adoptée reproduit celle retenue à l’article 19 de la proposition de loi n° 1856 relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture. Cet article écartait en effet l’utilisation du terme de « discernement » à l’article 388-1 du code civil, qui prévoit la procédure générale d’audition des mineurs devant le juge.

● En séance publique, l’adoption d’un amendement du rapporteur pour avis de la commission des Lois a conduit à rétablir le recours à la notion de « discernement », sur le fondement que le droit existant – en l’espèce la rédaction actuelle de l’article 388-1 précité – devait constituer la référence. Toutefois, le dispositif de l’amendement permet désormais de prévoir que, lorsque les intérêts du mineur le commandent, son audition devant le tribunal peut être indirecte, c’est-à-dire remplacée par celle d’une personne désignée par le juge, toujours conformément à la procédure générale prévue à l’article 388-1.

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La Commission des affaires sociales a adopté un amendement présenté par Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des Lois, tendant à compléter la disposition que le II du présent article tend à insérer à l’article 353 du code civil, afin de prévoir l’audition systématique de l’enfant lors d’une procédure d’adoption.

S’inspirant du dispositif prévu, de manière plus générale, par l’article 388-1 du code civil en matière de recueil de la parole du mineur dans toute procédure le concernant, cet amendement tend à préciser que l’enfant doit être entendu selon des modalités adaptées à son degré de maturité et que s’il refuse de parler, il appartient au juge d’apprécier le bien-fondé de cette opposition.

Le dispositif adopté prévoit également que le jeune peut être entendu seul ou accompagné d’un avocat ou d’une personne de son choix et précise que si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt de l’enfant, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.

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La Commission aborde l’amendement AS104 de la commission des Lois qui fait l’objet du sous-amendement AS113 de la rapporteure.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Cet amendement apporte des compléments nécessaires à la disposition que le II de l’article 15 insère à l’article 353 du code civil, afin de prévoir l’audition systématique de l’enfant lors d’une procédure d’adoption.

S’inspirant du dispositif prévu, de manière plus générale, par l’article 388-1 du code civil en matière de recueil de la parole de l’enfant dans toute procédure le concernant, cet amendement précise que l’enfant doit être entendu selon des modalités adaptées à son degré de maturité et que s’il refuse de parler, le juge appréciera le bien-fondé de cette opposition. Le jeune peut être entendu seul ou accompagné d’un avocat ou d’une personne de son choix. Si ce dernier n’apparaît pas conforme à l’intérêt de l’enfant, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.

Mme la rapporteure. J’émets un avis favorable sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement visant à remplacer les termes « l’enfant » par les termes « le mineur » et les mots « de l’enfant » par les mots « du mineur ». Cela me semble plus cohérent.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Cette nouvelle rédaction me convient.

La Commission adopte le sous-amendement AS113.

Puis elle adopte l’amendement AS104 sous-amendé.

Elle adopte enfin l’article 15 modifié.

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Article 16
(art. 786 du code général des impôts)

Alignement du tarif appliqué aux successions en matière d’adoption simple sur le taux applicable aux transmissions en ligne directe

Le présent article, modifié par la commission des Affaires sociales du Sénat, vise à imposer les transmissions à titre gratuit entre adoptants et adoptés simples selon le régime fiscal applicable aux transmissions en ligne directe, lorsque l’adoptant décède pendant la minorité de l’adopté.

1.  Le droit en vigueur

Le premier aliéna de l’article 786 du code général des impôts dispose que « pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il n’est pas tenu compte du lien de parenté résultant de l’adoption simple ». Les enfants adoptés par la voie de l’adoption simple s’acquittent ainsi des mêmes droits que les personnes non parentes. Ce principe résulte de la volonté d’éviter que l’adoption simple ne soit utilisée à des fins exclusivement fiscales.

Toutefois, le 5e alinéa (3°) de l’article 786 précité prévoit, par exception, que cette règle ne s’applique pas aux adoptés simples qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins durant celle-ci, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins au total, ont bénéficié de la part de l’adoptant de soins et secours ininterrompus.

Pour bénéficier de ce dispositif, l’administration fiscale considérait dans sa doctrine opposable que « l’adoptant doit en principe avoir assuré la totalité des frais d’éducation et d’entretien de l’adopté pendant le délai prévu ; il ne suffit pas qu’il y ait simplement participé » (12) .

La Cour de cassation, juge fiscal de dernier ressort en matière de droits de mutation, a précisé, pour sa part, dans un arrêt du 6 mai 2014 (13), que « la notion de secours et soins ininterrompus n’impose pas une prise en charge exclusive mais seulement continue et principale » de l’adopté simple par l’adoptant.

En pratique, l’adopté qui demande à bénéficier des dispositions du 3° précité peut rencontrer des difficultés pour prouver à l’administration fiscale qu’il remplit bien les conditions exigées, surtout si l’adoptant est décédé pendant la minorité de l’adopté.

2.  Le dispositif initial

Le présent article tend à modifier l’article 786 du code général des impôts afin de prévoir que, lorsque le décès de l’adoptant intervient pendant la minorité de l’adopté simple, les transmissions à titre gratuit entre adoptants et adoptés simples sont imposées selon le régime fiscal applicable aux transmissions en ligne directe, de manière inconditionnelle (modification du 3°).

Le régime en vigueur serait en revanche maintenu pour les adoptés simples majeurs : ceux-ci devraient continuer à prouver, au moment du décès de l’adoptant, qu’ils ont bénéficié de soins et secours ininterrompus soit dans leur minorité pendant au moins cinq ans, soit dans leur minorité et leur majorité mais pendant au moins dix ans (insertion d’un 3° bis reprenant l’essentiel de l’actuel 3°).

3.  Les modifications apportées par le Sénat

La commission des Affaires sociales du Sénat a adopté un amendement présenté par M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des Lois.

Cet amendement vise à préciser, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation précitée, que les « soins et secours ininterrompus » ont été prodigués au titre d’une « prise en charge continue et principale ». Il tend ainsi à éviter toute divergence d’interprétation entre la jurisprudence judiciaire et l’administration fiscale, en faisant prévaloir la première sur la doctrine administrative. Ce choix est conforme à la hiérarchie des normes, l’administration n’ayant pas compétence pour édicter des règles fiscales dans le domaine législatif, sauf dans les strictes limites posées par l’article L. 80A du livre des procédures fiscales, et sous le contrôle du juge.

Le texte adopté par la commission des Affaires sociales n’a pas été modifié en séance publique.

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La Commission des affaires sociales a adopté un amendement présenté par M. Denys Robiliard et par Mme Bérengère Poletti visant à permettre une remise, par l’administration, de droits de mutation à titre onéreux restant dus à la date d’entrée en vigueur de la présente loi par des adoptés majeurs.

En effet, dans sa rédaction actuelle, l’article 16 ne règle pas le cas des impositions dont le fait générateur est antérieur à la date d’entrée en vigueur de la loi.

Il est donc proposé que l’administration fiscale, par dérogation à l’article L. 247 du Livre des procédures fiscales qui interdit toute remise de droits d’enregistrement, prononce, sur demande du contribuable, la remise des droits restant dus à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, mais uniquement pour la partie qui excède le montant des droits qui aurait été dû si la nouvelle rédaction de l’article 786 du code général des impôts avait été applicable au moment du décès de l’adoptant.

Les enfants adoptés simples qui n’auraient pas fini d’acquitter l’impôt à la date d’entrée en vigueur de la présente loi pourraient ainsi bénéficier du nouveau régime, mais il n’y aurait pas de droit au remboursement pour ceux l’ayant payé complètement.

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La Commission examine, en présentation commune, les amendements AS10 de Mme Bérengère Poletti, et AS15, AS16 et AS17 de M. Denys Robiliard.

Mme Bérengère Poletti. Dans sa rédaction actuelle, l’article 16 ne règle pas le cas des impositions dont le fait générateur est antérieur à la date d’entrée en vigueur de la loi.

Or, il existe des enfants qui, aujourd’hui, paient toujours des dettes fiscales puisqu’ils étaient mineurs lors du décès de leur parent adoptif et n’ont pas été correctement pris en charge. L’enfant adopté, simple mineur lors du décès de son parent, est victime d’une discrimination par rapport aux autres enfants adoptés simples puisqu’il n’a pas la capacité juridique et donc ne peut pas constituer lui-même le dossier de preuve requis. L’enfant est soumis au jugement et à la diligence aléatoire de son tuteur, qui peut parfois s’en désintéresser, ce qui va à l’encontre de son intérêt supérieur.

Une application rétroactive ne serait pas satisfaisante car elle supposerait une réouverture du droit de réclamation et serait sans effet sur les impositions devenues définitives en application de décisions ayant la force de la chose jugée.

Il est donc proposé de remettre les droits encore dus par l’enfant sous remboursement des droits déjà payés, ce qui concerne bien entendu uniquement les droits relevant de la différence entre le tarif en ligne directe et le tarif entre tiers.

Cet amendement exclut tout remboursement de l’État tout en mettant fin à des situations d’endettement d’enfants ayant été mineurs lors du décès de leur parent adopté simple.

M. Denys Robiliard. Mon amendement AS15 prévoit l’instauration du même dispositif fiscal. La proposition de loi modifie en profondeur le cadre existant : aujourd’hui, les enfants adoptés ayant perdu l’un de leurs parents sont considérés comme des tiers complets et acquittent des droits fixés au taux maximal de 60 % ; une fois la loi entrée en vigueur, les enfants adoptés dont le parent sera décédé au temps de leur minorité ne paieront que les droits frappant les enfants légitimes ou naturels. Cela provoquera des situations douloureuses. Notre idée est de faire bénéficier du nouveau régime ceux qui n’ont pas fini d’acquitter l’impôt, mais il n’y aura pas de droit au remboursement pour ceux l’ayant payé complètement. Il s’agit d’un amendement de justice fiscale.

Mme la rapporteure. J’émets un avis de sagesse sur ces amendements, même si je préfère la rédaction de l’amendement de M. Robiliard. L’article 16 représente déjà un acquis important, mais cette proposition renforce bien l’égalité de traitement. Ne bénéficiant pas d’expertise fiscale sur le sujet, je m’en remets à la sagesse de la Commission.

Mme la présidente Catherine Lemorton. À titre personnel, l’amendement de M. Robiliard me semble préférable au plan légistique.

Mme Bérengère Poletti. Nous pourrions nous regrouper et déposer le même amendement.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Transformons l’amendement AS15 de M. Robiliard, qui s’insère après le cinquième alinéa de l’article 16, en amendement commun.

Les amendements AS10 et AS17 sont retirés.

La Commission adopte à l’unanimité l’amendement signé également par Mme Bérengère Poletti, M. Patrick Hetzel, M. Gilles Lurton, M. Jean-Pierre Door, Mme Véronique Louwagie et Mme Isabelle Le Callennec.

En conséquence, l’amendement AS16 tombe.

La Commission adopte l’article 16 modifié.

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Article 17
(art. 375-1 du code civil)

Désignation d’un administrateur ad hoc dans le cadre
de la procédure d’assistance éducative

Le présent article, supprimé par le Sénat en séance publique, visait à prévoir l’obligation, pour le juge des enfants, dans le cadre de la procédure d’assistance éducative, de désigner un administrateur ad hoc, indépendant du service de l’aide sociale à l’enfance, pour représenter les intérêts du mineur lorsque ceux-ci sont en opposition avec les intérêts des titulaires de l’autorité parentale.

1.  Le droit en vigueur

La section 2 du chapitre Ier du titre IX du livre 1er du code civil est consacrée à l’assistance éducative. En son sein, l’article 375 prévoit que le juge des enfants peut ordonner des mesures d’assistance éducative « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ».

Aux termes de l’article 375-1 du même code, le juge des enfants « doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée et se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant ».

D’une manière générale, l’article 388-2 du code civil dispose pour sa part que, « lorsque, dans une procédure, les intérêts d’un mineur apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux, le juge des tutelles dans les conditions prévues à larticle 389-3 ou, à défaut, le juge saisi de l’instance lui désigne un administrateur ad hoc chargé de le représenter ». Cet article est applicable au juge des enfants, comme aux autres juges qui peuvent être saisis d’une question relative à un enfant.

2.  Le dispositif initial

Le présent article tendait à compléter l’article 375-1 précité du code civil, aux fins de rendre obligatoire pour le juge, dans le cadre de la procédure d’assistance éducative, la désignation d’un administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts du mineur, lorsque ceux-ci sont en opposition avec les intérêts des titulaires de l’autorité parentale. Il précisait que cet administrateur devait être indépendant du service de l’aide sociale à l’enfance.

3.  Un dispositif supprimé par le Sénat

Le présent article a été modifié par la commission des Affaires sociales du Sénat avant d’être supprimé en séance publique.

● La commission des Affaires sociales du Sénat a noté à juste titre que la désignation d’un administrateur ad hoc chargé de représenter le mineur lorsque ses intérêts apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux était déjà prévue à l’article 388-2 du code civil. Le dispositif initialement proposé est donc déjà satisfait par le droit positif sur ce point.

Le présent article tendait néanmoins à ajouter une condition supplémentaire, non prévue à l’article 388-2 précité : il prévoyait que l’administrateur ad hoc était indépendant du service de l’aide sociale à l’enfance.

Convaincue de la nécessité de garantir l’indépendance de cet administrateur, la commission des Affaires sociales du Sénat a adopté un amendement de sa rapporteure modifiant la rédaction du nouvel alinéa 3 de l’article 375-1 du code civil par lequel le présent article propose de le compléter.

Celui-ci tendait ainsi à préciser les cas dans lesquels le juge des enfants désignait un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts du mineur (mise en place ou renouvellement d’une mesure d’assistance éducative, modification des modalités de prise en charge de l’enfant). Il prévoyait également, comme dans la rédaction initiale, que cet administrateur était indépendant du service de l’aide sociale à l’enfance.

● Le présent article a ensuite été supprimé en séance publique, après adoption d’un amendement présenté par le rapporteur pour avis de la commission des Lois du Sénat.

Ce dernier a en effet estimé que le dispositif proposé, qui prévoyait expressément que l’administrateur ad hoc désigné par le juge soit indépendant du service de l’aide sociale à l’enfance, traduisait une « défiance » vis-à-vis des services de l’aide sociale à l’enfance dans la mesure où « cette interdiction conduit à penser qu’ils sont dans tous les cas incapables de défendre correctement les intérêts de l’enfant qui leur a été confié ».

Le rapporteur pour avis de la commission des Lois a, à cet égard, tenu à souligner, lors de son intervention en séance publique, que le service de l’aide sociale à l’enfance avait au demeurant « une bien meilleure connaissance de l’intérêt et de la situation de l’enfant qu’un administrateur ad hoc désigné du jour au lendemain ».

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La Commission des affaires sociales a adopté un amendement présenté par Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteur pour avis de la commission des Lois, visant à rétablir le présent article, dont l’objet est d’assurer l’indépendance, à l’égard du service d’aide sociale à l’enfance, de l’administrateur ad hoc désigné par le juge dans les conditions définies à l’article 388-2 du code civil.

Celui-ci dispose que le juge désigne un administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts d’un mineur lorsque ceux-ci apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux.

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La Commission étudie, en discussion commune, les amendements AS105 de la commission des Lois et AS51 de Mme Chantal Guittet.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à rétablir l’article 17 de la proposition de loi, dont l’objet est d’assurer l’indépendance, à l’égard du service d’aide sociale à l’enfance (ASE), de l’administrateur ad hoc chargé, par le juge, de représenter les intérêts d’un mineur lorsque ceux-ci apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux.

Mme Chaynesse Khirouni. Mon amendement est défendu, car il repose sur les mêmes motivations que celles avancées par Mme Chapdelaine.

Mme la rapporteure. Avis favorable à l’amendement AS105 qui vise à garantir l’indépendance de l’administrateur ad hoc désigné dans le cadre de la procédure d’assistance éducative.

La Commission adopte l’amendement AS105.

En conséquence, l’amendement AS51 tombe.

L’article 17 est ainsi rétabli.

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Article 17 bis (nouveau)
(art. 377 du code civil)

Transmission, par le juge des enfants, du dossier de l’enfant
au Procureur de la République et saisine du juge aux affaires familiales

Sur proposition de la commission des Lois et de sa rapporteure pour avis Marie-Anne Chapdelaine, la Commission des affaires sociales a adopté un amendement portant article additionnel, visant à permettre au juge des enfants, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 377 du code civil, de transmettre le dossier de l’enfant au procureur de la République qui, s’il le juge opportun, pourrait saisir le juge aux affaires familiales (JAF) aux fins de délégation de l’exercice de l’autorité parentale au bénéfice du service gardien ou de la personne à qui l’enfant a été confié.

En facilitant ainsi l’évolution du statut de l’enfant, le présent article additionnel tend à favoriser l’adaptation et la stabilité du parcours de l’enfant dans le long terme.

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La Commission est saisie de l’amendement AS106 de la rapporteure pour avis au nom de la commission des Lois.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Il est nécessaire de questionner le statut de l’enfant placé à long terme, afin d’en permettre, si tel est son intérêt, l’évolution.

Le juge des enfants pourrait ainsi, lorsqu’il décide du renouvellement d’une mesure, transmettre le dossier de l’enfant au procureur de la République qui, s’il le jugeait opportun, pourrait saisir le juge aux affaires familiales (JAF) aux fins de délégation de l’exercice de l’autorité parentale au bénéfice du service gardien ou de la personne à qui l’enfant a été confié.

Mme la rapporteure. J’émets un avis favorable à l’adoption de cet amendement, puisqu’il permet au juge des enfants, lorsqu’il statue sur le renouvellement d’une mesure de placement, de transmettre le dossier de l’enfant au procureur de la République ; ce dernier pourra saisir le juge aux affaires familiales, afin que celui-ci statue sur une délégation de l’autorité parentale. Cette disposition favorisera l’adaptation du statut de l’enfant à l’évolution de son parcours.

La Commission adopte l’amendement.

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Article 18
(art. 347, 350, 381-1 [nouveau] et 381-2 [nouveau] du code civil)

Réforme de la procédure de déclaration judiciaire d’abandon

Le présent article tend à réformer la procédure de la déclaration judiciaire d’abandon, actuellement définie à l’article 350 du code civil, afin de la centrer sur l’intérêt de l’enfant.

1.  Le droit existant

Le premier alinéa de l’article 350 du code civil dans son texte en vigueur permet de déclarer judiciairement abandonné « l’enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l’aide sociale à l’enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration d’abandon ».

L’alinéa 3 de l’article 350 précise que la simple rétractation du consentement à l’adoption, la demande de nouvelles ou l’intention exprimée mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant n’est pas une marque d’intérêt suffisante pour motiver de plein droit le rejet d’une demande en déclaration d’abandon.

La déclaration judiciaire d’abandon constitue l’une des voies d’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’État (article 224-4 du code de l’action sociale et des familles) et ouvre la possibilité d’une adoption (article 347 du code civil).

Le plus souvent, ce sont les services sociaux ayant en charge l’enfant qui constatent le « désintérêt manifeste » des parents et qui saisissent le tribunal de grande instance (TGI), par l’intermédiaire du procureur de la République. Le tribunal déclare ou non l’abandon en examinant les critères affectifs et objectifs du désintérêt prolongé des parents pour l’enfant.

Cependant, comme l’a montré un rapport sur les conditions de reconnaissance du « délaissement parental » et ses conséquences pour l’enfant, établi par Mme Catherine Hesse et M. Pierre Naves, inspecteurs des affaires sociales (14), cette procédure est, en pratique, très peu utilisée : le nombre de pupilles de l’État admis après une déclaration judiciaire d’abandon a baissé de 70 % entre 1989 et 2008. Il ne s’élève maintenant qu’à moins de 200 chaque année alors que, par comparaison, 600 enfants deviennent pupilles à la suite d’un accouchement sous le secret. Les auteurs du rapport constatent que : « Les responsables rencontrés ont reconnu, en dépit des craintes formulées par certains, que de nombreux autres enfants pourraient bénéficier de l’article 350 du code civil. »

Plusieurs raisons, expliquent, selon l’IGAS, le très faible recours à cette procédure :

– l’âge de l’enfant et les bonnes conditions de son accueil en cours (15) ;

– les craintes de réactions des parents ou de membres de la famille élargie qui, sans s’être décidés à prendre en charge l’enfant, déclarent s’y intéresser ;

– les incertitudes et la longueur de la procédure judiciaire, qui tiennent à la fois à la rédaction du texte mais aussi à des pratiques qui s’écartent de la stricte application du code de procédure pénale ;

– les réticences des professionnels sociaux et des magistrats, formés à donner la priorité au maintien des relations avec les parents, même si ces relations sont très compliquées à organiser et perturbantes pour l’enfant.

Par ailleurs, l’article 350 du code civil fait l’objet d’une interprétation qui en limite substantiellement l’application. Son deuxième alinéa indique que : « sont considérés comme s’étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs. »

Or, le désintérêt « manifeste » est habituellement interprété par le juge comme devant être intentionnel. Ceci conduit à ne pas engager de requête pour des situations où il est compliqué d’apporter la preuve de la volonté des parents de se désintéresser de leur enfant (notamment dans le cas de parents atteints de troubles psychiques et souvent hospitalisés, de parents souffrant de déficience mentale et hébergés dans un établissement médico-social, etc.). D’autre part, les notions d’« intérêt » et de « liens affectifs » ne correspondent pas à certaines situations dans lesquelles les parents ne s’intéressent à leur enfant que de façon épisodique et très négative pour lui.

Les auteurs du rapport de l’IGAS précité relèvent ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation sur le désintérêt manifeste « conduit à ne pas engager de requête pour des situations dans lesquelles il est compliqué d’apporter la preuve de la volonté des parents de se désintéresser de l’enfant ».

Il convient donc de rendre cette procédure plus lisible et plus efficace en la fondant sur des critères plus objectifs.

2.  Le dispositif proposé

Le présent article tend à réformer la procédure de la déclaration judiciaire d’abandon, actuellement définie à l’article 350 du code civil précité.

Le paragraphe I du présent article abroge l’article 350 du code civil, en conséquence des dispositions suivantes.

Le paragraphe II créé en contrepartie deux nouveaux articles 381-1 et 381-2 qui font l’objet d’une nouvelle section au sein du code civil, intégrée au titre IX du livre Ier qui traite de l’autorité parentale, de façon à affirmer clairement qu’il s’agit d’une modalité de protection de l’enfance.

a.  La rédaction initiale du dispositif

Dans sa rédaction dans la proposition de loi initialement déposée, le nouvel article 381-1 du code précité fondait la nouvelle procédure envisagée non plus sur la notion de « désintérêt manifeste » des parents, jugée trop floue, mais sur celle de « délaissement parental manifeste », définie par des carences dans l’exercice des responsabilités parentales, compromettant le développement de l’enfant. En conséquence, la procédure était renommée « déclaration judiciaire de délaissement manifeste » et un enfant était considéré comme « délaissé lorsque ses parents n’ont contribué par aucun acte à son éducation ou à son développement pendant une durée d’un an. »

Le nouvel article 381-2 du code précité fixait les modalités de déclaration du délaissement :

– il devenait désormais possible au ministère public de saisir le tribunal de grande instance d’office ou sur proposition du juge des enfants ;

– il était précisé que « la simple rétractation du consentement à l’adoption, la demande de nouvelles ou l’intention exprimée mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant ne constituent pas un acte suffisant » (et non plus « une marque d’intérêt suffisante » comme c’est le cas actuellement) pour motiver de plein droit le rejet d’une demande en déclaration de délaissement manifeste.

Le tribunal disposait de six mois à compter du dépôt de la demande pour se prononcer.

Le paragraphe III opérait diverses coordinations.

b.  Les modifications apportées par la commission des Affaires sociales

La commission des Affaires sociales du Sénat a souhaité apporter trois modifications à l’article 18 :

– elle a remplacé la notion de « délaissement » par celle « d’abandon », la première étant déjà utilisée en matière pénale pour viser une infraction spécifique d’une autre nature (16) ;

– par ailleurs, elle a ajouté que cet abandon devait être « volontaire » afin de prendre en compte l’intention des parents et non simplement les faits. Dans sa nouvelle rédaction, l’article 381-1 proposé dispose ainsi qu’ « un enfant est considéré comme abandonné lorsque ses parents se sont volontairement abstenus, pendant plus d’un an, d’entretenir avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement ». L’objectif recherché par cette modification était que l’appréciation de l’abandon soit fondée sur le défaut de relation entre le parent et l’enfant, plutôt que sur l’absence d’actes effectués par le parent ;

– enfin, elle a souhaité supprimer l’obligation pour le tribunal de se prononcer dans un délai de six mois, jugé irréaliste compte tenu des investigations complémentaires qui sont souvent nécessaires.

Le Sénat, en séance publique, a adopté la rédaction adoptée par sa commission des Affaires sociales.

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La Commission a adopté un amendement de votre rapporteure, sous-amendé par la rapporteure pour avis de la commission des Lois, Mme Chapdeleine, qui permet de revenir à une rédaction plus proche de celle de la proposition de loi initialement déposée devant le Sénat en remplaçant le terme « abandon », trop stigmatisant pour l’enfant, par la notion de « délaissement parental ». De même, l’exigence du caractère « volontaire », pour qualifier l’abstention des parents, a été supprimée, ce terme, trop subjectif, risquant de donner lieu à interprétation.

En outre, l’amendement adopté précise que, pour que leur comportement soit qualifié de délaissement, les parents ne doivent pas être empêchés d’entretenir des relations avec leur enfant par quelque cause que ce soit.

Enfin, la notion de « désintérêt manifeste », qui figure actuellement dans l’article 350 du code civil et qui limite considérablement le recours à cette procédure, est remplacée par une notion plus objective et vérifiable : ainsi, un enfant est considéré comme « délaissé lorsque ses parents n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement, pendant l’année qui précède l’introduction de la requête, sans que ces derniers en aient été empêchés pour quelque cause que ce soit. »

La Commission a aussi prévu que le délaissement peut être déclaré à l’endroit d’un seul parent, à des fins de coordination avec l’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles.

Enfin, elle a rétabli l’obligation de transmission des demandes en déclaration judiciaire de délaissement issue de la rédaction actuelle de l’article 350 du code civil, sans quoi l’objectif de l’article ne serait pas atteint.

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La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques AS94 de la rapporteure et AS27 de Mme Françoise Dumas, et les amendements AS107 et AS108 de la commission des Lois.

L’amendement AS94 fait l’objet d’un sous-amendement AS115 de Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme la rapporteure. Cet amendement propose de remplacer le terme « abandon », trop stigmatisant pour l’enfant, par la notion de « délaissement parental ». Par ailleurs, il est proposé de ne pas retenir l’adverbe « volontairement » pour qualifier l’abstention des parents de délaissement, car, trop subjectif, il offre une marge d’interprétation trop large. Nous précisons également que, pour que leur comportement soit qualifié de délaissement, les parents ne doivent pas être empêchés d’entretenir des relations avec leur enfant. Ces modifications permettraient de revenir à une rédaction plus proche de celle de la proposition de loi initialement déposée devant le Sénat.

Il est également nécessaire de prévoir que le délaissement peut être déclaré à l’endroit d’un seul parent afin de retenir une rédaction similaire à celle de l’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles.

Enfin, l’amendement propose de rétablir l’obligation de transmission des demandes de déclaration judiciaire de délaissement, issue de la rédaction actuelle de l’article 350 du code civil, sans quoi l’objectif de l’article ne serait pas atteint.

M. Jean-Pierre Barbier. Je comprends la préoccupation à l’origine de la rédaction de cet amendement, mais nous écrivons des textes de loi. Le terme d’« abandon » possède une signification précise distincte de celle de « délaissement ». Ce dernier mot s’avère d’ailleurs bien moins précis, car un délaissement peut être complet ou partiel ; il peut donc être interprété, ce qui pourrait créer des situations de conflit.

Mme Bérengère Poletti. Je ne comprends pas pourquoi les mots nous font peur. Un mot décrit une situation. L’abandon est une situation difficile pour un enfant, mais elle peut lui être expliquée. Un texte de loi doit employer les termes justes, et celui de « délaissement » ne l’est pas ; on peut ainsi très bien avoir un enfant chez soi et le délaisser à l’intérieur de son foyer.

Mme Françoise Dumas. Je considère, contrairement à vous, monsieur Barbier et madame Poletti, que cet amendement est fondamental. Les mots sont lourds de sens : dire à un enfant qu’il a été abandonné emporte des conséquences symboliques et affectives considérables. Un enfant abandonné à la naissance par une mère estimant ne pas être en mesure de s’en occuper entre dans le champ de l’actuel article 350 du code civil et peut devenir adoptable. Le délaissement d’un enfant renvoie à une situation de fait et correspond à une absence de liens entre l’enfant et ses parents ; juridiquement, une telle configuration peut être floue. Avec cet amendement, les travailleurs sociaux et l’aide sociale à l’enfance pourront constater l’inexistence de relations suivies entre l’enfant et ses parents, afin de placer celui-ci sous un autre statut. Le « délaissement » est donc un terme important, doté d’un sens pour l’enfant et pour les familles, et qui s’avère moins stigmatisant et culpabilisant que celui d’« abandon ». Il peut faciliter l’accès de l’enfant au droit à une famille.

M. Jean-Pierre Barbier. Les personnes en charge des enfants ne sont pas obligées de leur lire le texte de loi mot à mot et doivent simplement le leur expliquer, ainsi qu’aux familles. La définition du terme de « délaissement » dans le dictionnaire diffère de celle du mot « abandon ».

Mme Jeanine Dubié. L’article 350 du code civil prévoit déjà la situation de délaissement et la qualifie par un désintérêt manifeste des parents envers leur enfant pendant une durée d’au moins un an.

Mme Bérengère Poletti. Dans le cas d’enfants confiés à la responsabilité du département et recevant des nouvelles épisodiques de leurs parents, on ne peut pas parler en effet d’« abandon », et le terme de « délaissement » s’avère plus pertinent car les parents ne maintiennent un contact que pour préserver le lien juridique.

Mme Isabelle Le Callennec. Juridiquement, « abandon » et « délaissement parental » renvoient à deux situations différentes. Les juges et l’aide sociale à l’enfance ont-ils demandé que la notion d’« abandon », dont le sens est très fort dans la loi, soit remplacée ? Il me semble plus important de se pencher sur le délai – un an –, mais aussi sur l’âge de l’enfant, auquel il n’est jamais fait allusion.

M. Frédéric Barbier. Nous parlons de la déclaration judiciaire d’abandon, et non de la relation de l’enfant avec la famille.

Mme Françoise Dumas. Il s’agit de la déclaration judiciaire d’une situation de fait.

M. Frédéric Barbier. Certes, mais une déclaration judiciaire d’abandon est autre chose qu’une déclaration judiciaire de délaissement parental.

Mme la rapporteure. L’amendement précise les conditions dans lesquelles un enfant est considéré comme délaissé en indiquant : « lorsqu’il n’a pas bénéficié de la part de ses parents des relations nécessaires à son éducation ou à son développement, pendant l’année qui précède l’introduction de la requête, sans que ces derniers en aient été empêchés pour quelque cause que ce soit ». En effet, des parents peuvent être confrontés à des difficultés pour éduquer leur enfant. Ainsi, en excluant la notion d’abandon volontaire, cette rédaction renvoie à des situations de fait.

Mme la présidente. La notion de « délaissement » me semble protéger davantage l’enfant, car elle élargit le champ.

M. Denys Robiliard. C’est une sanction à l’égard des parents. Ces derniers peuvent en effet se trouver dans l’impossibilité de maintenir un contact avec l’enfant pour des raisons de santé ou d’éloignement, sans que cela signifie nécessairement qu’ils aient voulu délaisser ou abandonner cet enfant. Je crois comprendre que le terme de « délaissement » se substitue au terme « abandon » à droit constant. Or le terme d’« abandon », qui recouvre une notion de fait et une forme de volonté, est plus clair juridiquement que celui de « délaissement ».

Mme la rapporteure. La notion de « déclaration judiciaire de délaissement » est moins handicapante pour l’enfant, pour la construction de son identité et de son avenir. En indiquant « sans que ces derniers en aient été empêchés pour quelque cause que ce soit », cette rédaction tient compte des situations particulières que vous soulevez, monsieur Robiliard, comme l’incapacité physique ou psychique, mais aussi le fait d’être retenu à l’étranger ou de se trouver dans un lieu de privation de liberté. Ainsi, l’amendement donne une définition très précise du délaissement.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. La commission des Lois avait préféré la notion d’« abandon » à celle de « délaissement », laquelle figure dans le code pénal et le code civil avec des significations différentes. Mais l’amendement de Mme la rapporteure permet de lever l’ambiguïté et de s’en tenir au factuel.

Je vous propose un sous-amendement AS115 visant à substituer aux mots « lorsqu’il n’a pas bénéficié de la part de ses parents des » les mots « lorsque ses parents n’ont pas entretenu avec lui les ».

Mme la rapporteure. Je suis favorable à ce sous-amendement.

Mme Isabelle Le Callennec. Retenir la notion de « délaissement parental » donnera lieu à de multiples interprétations. Pourquoi ne pas conserver la formulation beaucoup plus claire de « déclaration judiciaire d’abandon », qui avait d’ailleurs la préférence de la commission des Lois ?

La Commission adopte le sous-amendement AS115.

Puis elle adopte l’amendement AS94 sous-amendé.

En conséquence, les amendements AS107 et AS108 tombent.

La Commission adopte successivement les amendements de précision AS75, AS76 et AS77 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 18 modifié.

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Après l’article 18

La Commission est saisie de l’amendement AS109 de la commission des Lois.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Cet amendement est devenu sans objet.

L’amendement est retiré.

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Article 19
(art. 224-8 du code civil)

Sécurisation du dispositif de recours contre l’arrêté d’admission
d’un enfant en qualité de pupille de l’État

Le présent article, supprimé par le Sénat en première lecture, proposait de modifier le dispositif de recours contre l’admission des enfants en qualité de pupilles de l’État, tel que prévu par l’article 224-8 du code civil, modifié par la loi du 26 juillet 2013 (17).

1.  L’état du droit

Est pupille de l’État l’enfant, placé sous la tutelle du préfet, assisté d’un conseil de famille, et dont la prise en charge est assurée par le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) parce que sa famille n’est pas en capacité d’assurer cette prise en charge ou y a renoncé. La décision d’admission en qualité de pupille de l’État, prise par le Président du conseil départemental, ouvre le droit au placement de l’enfant en vue de son adoption.

Selon une enquête sur la situation des pupilles de l’État réalisée par l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) (18), 2 345 enfants avaient, au 31 décembre 2011, le statut de pupille de l’État en France. Plus du tiers d’entre eux vivaient dans une famille ayant pour projet de les adopter.

L’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles définit les différentes catégories d’enfants recueillis par les services de l’aide sociale à l’enfance et destinés à être admis en qualité de pupille de l’État :

– les enfants sans parents dont la filiation n’est pas établie ou est inconnue (1° de l’article L. 224-4 du code précité) (19) ;

– les enfants dotés d’une filiation établie et connue mais remis pour adoption au service de l’aide sociale à l’enfance, soit par des personnes ayant qualité pour le faire, les deux parents le plus souvent, soit par un seul des parents (2° et 3° de l’article L. 224-4 du code précité) ;

– des enfants orphelins de père et de mère (4° de l’article L. 224-4 du code précité) ;

– enfin des enfants admis en qualité de pupille de l’État à la suite d’une décision judiciaire (5° et 6° de l’article L. 224-4 du code précité).

L’enfant recueilli par les services de l’aide sociale à l’enfance et destiné à être admis en qualité de pupille, s’il a vocation à être in fine placé en vue de l’adoption, peut également bénéficier du rétablissement d’une situation familiale stable dans son milieu d’origine. Pour ce faire, il existe à la fois une procédure non contentieuse de retour dans l’enfant dans sa famille d’origine et une voie spécifique de recours juridictionnel.

Le retour de l’enfant dans son environnement d’origine

L’admission en qualité de pupille ne doit intervenir que lorsque l’environnement préexistant n’est plus de nature à offrir une famille à un enfant, qui se trouve dès lors effectivement abandonné.

Ainsi l’arrêté d’admission ne saurait être pris par le président du conseil général avant le terme des différents délais fixés à l’article L. 224-4 précité et qui visent à permettre, le cas échéant, une prise en charge, par la famille d’origine :

– des enfants sans filiation établie, pour lesquels la qualité de pupille ne s’acquiert qu’à l’expiration d’un délai légal de deux mois au cours duquel un lien de filiation de l’enfant peut être créé à l’égard des personnes qui sont initialement des « père ou mère de naissance » ;

– des orphelins, pour lesquels un délai de deux mois doit être respecté avant de prendre l’arrêté d’admission visant à mettre éventuellement en place une tutelle de droit commun ;

– des enfants remis par leurs parents, pour lesquels l’admission n’intervient pas avant un délai de deux mois pendant lequel les parents disposent d’un droit de reprise, immédiate et sans aucune formalité, qui correspond à la durée du délai de rétractation du consentement à l’adoption prévu à l’alinéa 2 de l’article L. 348-3 du code civil ;

– des enfants remis par un seul parent, l’admission n’intervenant pas avant six mois afin d’accorder un délai au parent qui n’a pas remis l’enfant et que les services de l’aide sociale à l’enfance doivent s’efforcer d’informer de cette remise (article R. 224-13).

– des enfants qui acquièrent la qualité de pupille de l’État à la suite d’une décision judiciaire, et dont l’admission est immédiate, dès le jugement passé en force de chose jugée.

Passés ces délais, le troisième alinéa de l’article L. 224-6 du code précité prévoit que la décision d’accepter ou de refuser la restitution d’un pupille de l’État remis par ses parents est prise par le préfet, avec l’accord du conseil de famille. Seul l’intérêt du mineur, apprécié par le tuteur et le conseil de famille, justifie dès lors un retour dans la famille d’origine.

Mais tout retour de l’enfant est impossible en cas de placement en vue de l’adoption car celui-ci met obstacle à sa restitution à sa famille d’origine et fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance, en application de l’article 352 du code civil.

Les recours éventuels contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État

Les règles d’admission en qualité de pupille de l’État sont régies par l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, récemment modifié par la loi du 26 juillet 2013 précitée.

À défaut d’une reprise ou d’une reconnaissance avant la décision d’admission, la voie de recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État, définie à l’article L. 224-8 précité, permet au requérant de demander au tribunal qu’il lui confie la garde de l’enfant. Un tel recours a pour effet d’empêcher le tuteur et le conseil de famille des pupilles de l’État de décider du placement du pupille en vue de son adoption.

Le recours obéit à un régime dérogatoire au droit commun : il n’est ouvert qu’aux parents et aux personnes proches de l’enfant qui demandent à en assumer la charge et il doit être exercé dans le délai de trente jours.

Il relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance qui examine donc l’opportunité d’un acte administratif, en fonction de l’intérêt de l’enfant.

Dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2013, l’article L. 224-8 précité ne prévoyait pas de mesures de publication ou de notification propres à établir valablement le point de départ du délai de recours puisqu’il était indiqué qu’il était ouvert « suivant la date de l’arrêté du président du conseil général ».

Or, dans une décision du 27 juillet 2012 portant sur une question prioritaire de constitutionnalité (20), le Conseil constitutionnel a censuré, à compter du 1er janvier 2014, l’alinéa 1er de cet article dans son ancienne rédaction, jugé contraire au droit à un recours effectif. Le juge constitutionnel a, en effet, considéré que : « si le législateur a pu choisir de donner qualité pour agir à des personnes dont la liste n’est pas limitativement établie et qui ne sauraient, par conséquent, recevoir toutes individuellement la notification de l’arrêté en cause, il ne pouvait, sans priver de garanties légales le droit d’exercer un recours juridictionnel effectif, s’abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l’enfant sont effectivement mises à même d’exercer ce recours ».

C’est pour cette raison que l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles a été réécrit par la loi du 26 juillet 2013 (21).

En l’état actuel du droit, l’article L. 224-8 précité prévoit que l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État fait l’objet d’un arrêté du président du conseil général.

Quatre catégories de personnes ont qualité pour agir à l’encontre de cet arrêté, à condition qu’elles demandent à assumer la charge de l’enfant :

– les parents de l’enfant (1°), en l’absence d’une déclaration judiciaire d’abandon ou d’un retrait total de l’autorité parentale ;

– les membres de la famille de l’enfant (2°) ;

– le père de naissance ou les membres de la famille de la mère ou du père de naissance lorsque l’enfant a été admis en qualité de pupille après une naissance « sous X » (3°) ;

– toute personne ayant assuré la garde de droit ou de fait de l’enfant (4°).

Le III de l’article L. 224-8 en vigueur fixe les règles de publicité de l’arrêté d’admission : l’arrêté est obligatoirement notifié aux parents de l’enfant (visés au 1° du II) ; il est également notifié aux autres personnes ayant qualité pour former un recours selon le paragraphe II (2° à 4°) à condition qu’elles aient manifesté, avant la date de l’arrêté, un intérêt pour l’enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance.

Le IV prévoit que le recours doit être formé devant le tribunal de grande instance dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de la notification de l’arrêté.

Le délai de trente jours s’applique donc bien aux personnes qui ont reçu la notification, mais il ne pourra pas être opposé à celles ayant qualité pour agir mais n’ayant pas reçu la notification (visées au II).

2.  Un dispositif supprimé par le Sénat

a.  Les dispositions initiales de la proposition de loi

L’article 19 tel que rédigé dans la proposition de loi initiale proposait :

– de compléter le I de l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles pour renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de définir les modalités selon lesquelles l’arrêté fait l’objet d’une notification et d’abroger, en conséquence le III de l’article L. 224-8 ;

– de préciser le champ des personnes ayant qualité pour agir en remplaçant, dans le 2° du II de l’article L. 224-8, les « membres de la famille de l’enfant », par les « parents ou alliés de l’enfant jusqu’au sixième degré » ;

– de remplacer, au 3° du II, « le père de naissance ou les membres de la famille de la mère ou du père de naissance » par les « parents ou alliés jusqu’au sixième degré d’un parent de naissance ».

b.  La position de la commission des Affaires sociales du Sénat

La commission des Affaires sociales du Sénat a considéré que la rédaction de l’article 19 soulevait deux problèmes :

– le premier était de renvoyer à un décret le soin de définir les modalités de la notification ;

– le deuxième était la difficulté que pourrait rencontrer le conseil départemental s’il devait notifier l’arrêté d’admission à l’ensemble des personnes visées par le nouveau paragraphe II. Celui-ci serait probablement dans l’impossibilité d’identifier tous les membres de la famille jusqu’au 6e degré (c’est-à-dire les conjoints ou ex-conjoints jusqu’aux cousins issus de germains), si ces personnes ne se sont pas manifestées de leur propre initiative, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un enfant né sous le secret.

C’est pourquoi la Commission a souhaité restreindre le champ des personnes ayant qualité à agir aux « ascendants et collatéraux privilégiés des parents de l’enfant, en l’absence d’une déclaration judiciaire de délaissement parental ou d’un retrait total de l’autorité parentale, qui, avant la date de cet arrêté, ont manifesté un intérêt pour l’enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance en charge de l’enfant au cours des délais prévus par l’article L. 224-4 pour l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État. »

Par ailleurs, elle a proposé, dans une nouvelle rédaction de l’article L. 224-8, que l’arrêté soit notifié à l’ensemble de ces personnes, la notification devenant ainsi une condition de recevabilité du recours.

c.  Un article supprimé en séance publique

Le Sénat, en séance publique, a adopté un amendement du Gouvernement tendant à supprimer le présent article. La secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, Mme Laurence Rossignol, a en effet indiqué qu’il lui semblait « quelque peu prématuré de supprimer un dispositif qui n’a pas encore fait les preuves de son inadaptation. »

En outre, la nouvelle définition des personnes habilitées à contester l’arrêté ne semblait pas satisfaisante, du fait que :

– la référence aux « ascendants et collatéraux privilégiés des parents de l’enfant » venant désormais remplacer les « membres de la famille de l’enfant » prévus au 2° du II est inutilement restrictive, puisque seuls les arrière-grands-parents, les grands-parents, les oncles et tantes et les neveux des parents de l’enfant pourraient alors contester l’arrêté sous la condition qu’aucune déclaration judiciaire d’abandon ou retrait d’autorité parentale n’ait été prononcée. Or, les termes « membre de la famille de l’enfant » avaient pourtant volontairement été privilégiés lors de la dernière modification du texte, afin de maintenir une définition large, donnant qualité pour agir à des personnes dont la liste n’est pas fixée de manière limitative, dans l’intérêt même de l’enfant à être pris en charge prioritairement dans sa famille, même éloignée ;

– la référence aux « personnes justifiant d’un lien de parenté jusqu’au 3ème degré inclus avec un parent de naissance » en lieu et place des termes « père de naissance ou les membres de la famille de l’enfant » lorsque l’enfant a été admis en qualité de pupille de l’État en application du 1° de l’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles (absence de filiation ou filiation inconnue) est source de confusion en ce qu’elle implique la détermination du degré de parenté, lequel varie en principe selon que l’on se trouve en ligne directe, ou collatérale. Surtout, une telle rédaction conduit toujours à exclure le père de naissance du dispositif puisque seules sont mentionnées les personnes justifiant d’un lien de parenté avec un parent de naissance et donc à le priver de toute possibilité de recours ce qui apparaît attentatoire à ses droits.

Pour l’ensemble de ces raisons, votre rapporteure est favorable au maintien de la suppression de l’article 19.

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La suppression de l’article 19 est maintenue.

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Article 20
(art. 378 du code civil)

Retrait automatique de l’autorité parentale

Le présent article, supprimé par le Sénat en première lecture, proposait le retrait automatique de l’autorité parentale pour le parent condamné pour des crimes ou délits commis contre son enfant, ainsi que pour le parent qui s’est rendu coupable d’un crime sur la personne de l’autre parent.

1.  L’État du droit

Des parents peuvent se voir retirer l’autorité parentale sur leur enfant :

– par une décision expresse d’un jugement pénal lorsqu’ils sont condamnés, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant, soit comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime sur la personne de l’autre parent (article 378 du code civil) ;

– en dehors de toute condamnation pénale, lorsqu’ils mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant soit par de mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, soit par un défaut de soins ou un manque de direction.

De même, peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale, les père et mère qui, pendant plus de deux ans, se sont volontairement abstenus de remplir les devoirs et d’exercer les droits que leur laissait l’article 375-7 du code civil quand une mesure d’assistance éducative a été prise à l’égard de l’enfant.

L’action en retrait total de l’autorité parentale peut être portée devant le tribunal par le ministère public, un membre de la famille ou le tuteur de l’enfant. Une fois prononcé, ce retrait total de l’autorité parentale permet à l’enfant d’être admis en qualité de pupille de l’État (article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles).

Ce retrait, qui ne peut être prononcé que par un juge, n’est pas automatique : il revient au juge de le prononcer en fonction des faits et de l’intérêt de l’enfant. Ce retrait peut être total ou partiel et peut concerner un seul parent ou les deux. Il peut également être provisoire : les parents peuvent se voir restituer ultérieurement, sous conditions, une partie ou la totalité de leur autorité parentale.

En revanche, l’article 34 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (22) a créé, au sein du code pénal, deux nouveaux articles 221-5-5 et 222-48-2 obligeant les juridictions pénales condamnant un père ou une mère pour un crime ou un délit d’atteinte volontaire à la vie ou d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne commis sur la personne de leur enfant ou de l’autre parent à se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale.

Chacun de ces deux articles prévoit que, lorsque les poursuites ont lieu devant la cour d’assises, celle-ci statue sur cette question sans l’assistance des jurés.

En pratique, l’autorité parentale n’est que rarement totalement retirée. Selon l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), les enfants accueillis à la suite d’un retrait total de l’autorité parentale représentent moins de 9 % des enfants bénéficiant du statut de pupille de l’État (23).

2.  Une sanction automatique supprimée par le Sénat

L’article 20, tel que rédigé dans la proposition de loi initiale, tendait à modifier l’article 378 du code civil afin d’imposer le retrait automatique de l’autorité parentale pour le parent condamné comme auteur, coauteur ou complice soit d’un crime ou d’un délit commis contre son enfant, soit d’un crime commis sur la personne de l’autre parent.

Seule demeurait soumis à une décision expresse du jugement pénal le retrait de l’autorité parentale pour les pères et mères condamnés comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant.

Ce dispositif a dans un premier temps été modifié par la commission des Affaires sociales du Sénat, qui a souhaité préserver la possibilité pour le juge d’apprécier l’opportunité de ne pas retirer automatiquement l’autorité parentale, le juge devant procéder au retrait de l’autorité parentale « sauf si l’intérêt supérieur de l’enfant le justifie expressément ».

Malgré cette modification, cet article a été supprimé en séance publique à l’initiative du rapporteur pour avis de la commission des Lois du Sénat, M. François Pillet.

Votre rapporteure considère, comme les auteurs de cette proposition de loi, qu’il est primordial, dans certaines situations graves, de permettre le retrait de l’autorité parentale et ainsi d’accorder éventuellement à un enfant, devenu pupille de l’État, une seconde chance dans une nouvelle famille.

Cependant, la mise en place d’un retrait automatique de l’autorité parentale n’apparaît pas souhaitable pour trois raisons cumulatives :

● la première raison tient au fait est qu’une sanction automatique serait très probablement sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’Homme.

En effet, comme le rappelle notre collègue sénateur François Pillet, dans le rapport pour avis de la commission des Lois (24), la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, dans une décision récente (25), que « la déchéance des droits parentaux est une mesure particulièrement radicale qui ne doit être appliquée que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’elle est justifiée par une exigence impérieuse liée à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Même dans l’hypothèse où cette déchéance automatique ne concernerait qu’un nombre restreint d’infractions commises contre l’enfant, la Cour estime que « la mise en œuvre automatique de la mesure, sans contrôle des tribunaux nationaux ni examen des questions de savoir si elle correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant ou si la situation de la personne accusée a changé, pose problème ». Constatant en outre que le retrait avait un effet permanent, elle a conclu à la violation des droits familiaux du parent privé de son autorité parentale.

De même, on peut s’interroger sur la constitutionnalité de ce dispositif qui peut être considéré comme une sanction civile, le juge constitutionnel ayant rappelé récemment que « le principe d’individualisation des peines qui découle [de l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen] implique que la peine d’amende ne puisse être appliquée que si le juge ou l’autorité compétente l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce » (26;

● la deuxième raison est que l’article 20, tel qu’il était initialement rédigé, pourrait entraîner, sauf si l’intérêt supérieur de l’enfant s’y opposait, le retrait automatique de l’autorité parentale dans certains cas, par exemple dans l’hypothèse où le père ou la mère seraient condamnés pour un délit d’homicide ou de blessure involontaire par imprudence à l’encontre de leur enfant ou de leur conjoint, pour lesquels ce retrait semble excessif et à tout le moins, éventuellement, contraire à l’intérêt de l’enfant.

De même, différentes personnes entendues par votre rapporteure ont cité l’exemple d’un enfant dont un des parents serait reconnu coupable de violences à l’égard de son conjoint : il ne serait alors pas systématiquement dans l’intérêt de l’enfant de retirer l’autorité parentale à ce conjoint violent.

● la troisième raison tient au fait que l’intérêt de l’enfant commande justement que le juge s’adapte à sa situation particulière et non qu’une décision soit prononcée de manière automatique.

L’ensemble des personnes entendues par votre rapporteure ont émis les plus grandes réserves sur ce dispositif pour cette raison : il semble souhaitable de laisser plusieurs options au juge qui est ainsi à même de prendre la meilleure décision pour l’intérêt de l’enfant.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteure est favorable au maintien de la suppression de l’article 20.

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La suppression de l’article 20 est maintenue.

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Article 21
(art. 729 du code civil)

Exclusion des parents de la succession de leur enfant
en cas de crime ou de délit commis sur celui-ci

L’indignité successorale est la peine civile privant une personne de la possibilité de recueillir un héritage du fait de ses fautes envers le défunt.

Ainsi, en vertu de l’article 726 du code civil, un héritier est automatiquement exclu de la succession s’il a été condamné à une peine criminelle, comme auteur ou complice, pour meurtre ou tentative de meurtre sur la personne du défunt ou pour coups, violence, voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

Par ailleurs, l’article 727 du code civil prévoit que peuvent être déclarés indignes de succéder les héritiers qui se sont rendus coupables de certaines infractions à l’égard du défunt.

Les cas d’indignité facultative

En vertu de l’article 727 du code civil, peuvent être déclarés indignes de succéder :

– celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;

– celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;

– celui qui est condamné pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;

– celui qui est condamné pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;

– celui qui est condamné pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.

Peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés dans les deux premiers cas et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte.

L’article 21 de la proposition de loi déposée au Sénat tendait à compléter l’article 726 précité afin de déclarer indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession de leur enfant, le ou les parents qui sont condamnés, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur la personne de celui-ci.

La commission des affaires sociales du Sénat a supprimé cet article. Pour les mêmes raisons que l’article 20, cette suppression a été confirmée en séance publique.

Votre rapporteure est favorable au maintien de la suppression de cet article, la mise en place d’une sanction automatique pouvant être contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’Homme.

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La suppression de l’article 21 est maintenue.

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Article 21 bis A (nouveau)
(art. 378 du code civil)

Élargissement des titulaires de l’action en retrait total de l’autorité parentale

La Commission des affaires sociales a adopté un amendement de la commission des Lois, qui vise à ajouter le service de l’aide sociale à l’enfance et l’administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts de l’enfant, à la liste des titulaires de l’action en retrait total de l’autorité parentale prévue par l’article 378-1 du code civil.

En l’état du droit, seuls le ministère public, un membre de la famille ou le tuteur de l’enfant peuvent engager cette action. Celle-ci permet, en dehors de toute condamnation pénale, de retirer totalement l’autorité parentale au père et à la mère qui :

– soit par de mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, soit par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant ;

– soit, quand une mesure d’assistance éducative a été prise à l’égard de l’enfant, se sont volontairement abstenus d’exercer les droits et de remplir les devoirs que leur laissait l’article 375-7 du même code pendant plus de deux ans.

Il a paru nécessaire d’élargir la liste des titulaires de cette action au service de l’aide sociale à l’enfance et l’administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts de l’enfant, qui disposent de toutes les informations nécessaires pour prendre en compte au mieux l’intérêt de l’enfant.

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La Commission étudie l’amendement AS110 de la commission des Lois.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ajouter le service de l’aide sociale à l’enfance et l’administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts de l’enfant à la liste des titulaires de l’action en retrait total de l’autorité parentale prévue par l’article 378-1 du code civil. En effet, en l’état actuel du droit, seul le ministère public ou un membre de la famille ou le tuteur de l’enfant peut intenter cette action.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

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Article 21 bis
(art. 21-12 du code civil)

Réduction à deux ans du délai de résidence en France nécessaire pour permettre à un enfant recueilli d’acquérir la nationalité française

En application du deuxième alinéa de l’article 370-3 du code civil, issu de la loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale (27), « l’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France. » Alors qu’avant 2001, la jurisprudence admettait qu’un enfant recueilli puisse faire l’objet d’une adoption, le deuxième alinéa de l’article 370-3 du code précité exclut désormais cette possibilité. Dès lors, ces enfants ne peuvent pas bénéficier d’une adoption simple ou plénière avant de devenir français.

Certaines familles choisissent de réclamer, pour l’enfant qu’elles élèvent, la nationalité française. Or cette démarche n’est possible, en vertu de la règle générale posée par l’article 21-12 du code civil, qu’après cinq années de résidence en France. Une fois l’enfant devenu français, c’est la législation française qui s’applique et l’enfant peut alors être adopté.

En effet, selon une réponse du ministère de la Justice à une question écrite posée par notre collègue Bernard Piras (28) : « dès lors que l’enfant a été élevé pendant cinq ans en France par des Français, la nationalité française peut lui être accordée selon les conditions fixées par l’article 21-12 du code civil. La loi française lui étant alors applicable, l’enfant devient adoptable ». La Cour de cassation a confirmé cette possibilité dans un arrêt du 4 décembre 2013 (29).

Or, comme le souligne le rapport intitulé « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui », élaboré par le groupe de travail mis en place par la ministre de la famille à la fin de l’année 2013 (30: « le statut de ces enfants en France est précaire. Les difficultés auxquelles sont confrontés les enfants et les personnes qui les recueillent dans la vie quotidienne, dans les relations avec les administrations ou les organismes sociaux, ont été reconnues par plusieurs rapports et études qui s’inquiètent de l’avenir de ces enfants sans filiation, sans attache. La question de l’avenir d’un enfant en kafala est notamment posée en cas de décès ou d’incapacité de la personne qui l’a recueilli. Ces enfants ne bénéficient pas des mêmes droits que les autres enfants résidant sur le territoire français. Les liens affectifs qu’ils ont développés avec les personnes qui les ont recueillis et relevant sans aucun doute d’un attachement filial ne sont pas consacrés par le droit. Il est regrettable de devoir attendre la majorité des intéressés pour que la situation puisse évoluer car jusqu’alors, la plupart de ces enfants n’appartiennent à aucune famille, à défaut de filiation établie dans leur pays de naissance ou bien à défaut de recueil par la famille élargie s’ils sont orphelins. » C’est pourquoi les auteurs de ce rapport proposaient de réduire le délai de cinq ans, prévu par l’article 21-12 du code civil, à partir duquel l’enfant recueilli peut acquérir la nationalité française.

Cette proposition a été reprise en séance publique par le Sénat, qui a adopté un amendement portant article additionnel à l’initiative de M. Alain Milon.

Le présent article 21 bis, qui en résulte, prévoit en ce sens que l’enfant qui, depuis au moins deux années, est recueilli et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l’aide sociale à l’enfance, puisse réclamer la nationalité française.

Deux arguments ont été invoqués à l’encontre de cet amendement :

– le premier, avancé par la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, est celui de l’utilité d’une harmonisation avec les règles d’acquisition de la nationalité pour les enfants nés en France de parents étrangers et résidant régulièrement sur le territoire français, pour lesquels le délai de résidence requis est de cinq ans.

Il semble à votre rapporteure toutefois davantage nécessaire d’harmoniser les règles d’acquisition de la nationalité pour les enfants pour lesquels l’adoption est prohibée par la loi personnelle et qui ne peuvent être donc adoptés qu’une fois qu’ils ont obtenu la nationalité française et celles pour les enfants qui peuvent être « directement » adoptés. Dans ce dernier cas, ils acquièrent immédiatement la nationalité française. Une réduction du délai de résidence de cinq à deux ans dans le premier cas semble, de ce point de vue, pertinente ;

– le second argument invoque la difficulté qu’un tel amendement pourrait soulever en matière de droit international privé. Pour autant, ainsi que l’a rappelé M. Alain Milon, lors du débat en séance publique au Sénat (31), de nombreux pays européens, parmi lesquels la Belgique et l’Espagne, permettent à des enfants recueillis d’acquérir la nationalité de leurs parents adoptants dès deux ans.

La réforme envisagée alignerait donc la législation de la France sur celle de nombreux autres États européens.

C’est pourquoi votre rapporteure est favorable à cette réforme qui lui paraît tout à fait conforme à l’intérêt de ces enfants.

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La Commission adopte l’article 21 bis sans modification.

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Article 21 ter (nouveau)
(art. 226-3 du code de l’action sociale et des familles)

Interdiction du recours aux données radiologiques de maturité osseuse
pour déterminer l’âge d’un mineur étranger

La Commission des affaires sociales a adopté un amendement interdisant le recours aux données radiologiques de maturité osseuse pour déterminer l’âge d’un mineur étranger.

Le recours aux « tests osseux » pour déterminer la minorité d’un individu pose en effet de multiples problèmes.

En premier lieu, parce qu’il n’existe pas de texte encadrant strictement cette pratique, son application est très variable selon les territoires. Par ailleurs, alors que la circulaire du ministère de la Justice du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des mineurs étrangers isolés rappelle que l’examen osseux ne doit être utilisé qu’en dernier recours, quand il apparaît trop difficile de déterminer l’âge d’un mineur par d’autres moyens, il est, en pratique, réalisé systématiquement dans certains départements.

En second lieu, la fiabilité de cette méthode est mise en cause depuis plusieurs années, par des instances aussi bien judiciaires que médicales. Sur le plan médical, la technique des tests osseux comprend une certaine marge d’erreur (estimée entre 12 et 24 mois) et elle s’appuie sur l’atlas de Greuliche et Pyle établi sur une population caucasienne aisée des États-Unis dans les années 1940.

Sur le plan juridique, de nombreuses critiques ont aussi été émises. Dès juin 2005, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) soulignait « l’inadaptation de ces méthodes », comme l’avait fait auparavant la Défenseure des enfants. De même, l’Académie nationale de médecine, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le Haut Conseil de la santé publique ainsi que le Défenseur des droits ont émis sur ce point les plus expresses réserves. Récemment, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dans un avis du 24 juin 2014 préconisait de « mettre fin aux pratiques actuelles d’évaluation de l’âge ».

C’est pourquoi, la commission a modifié l’article 226-3 du code de l’action sociale et des familles pour interdire le recours à ces tests pour déterminer l’âge d’un mineur. L’exigence d’un faisceau d’indices (évaluation par une équipe pluridisciplinaire, examen des papiers officiels ...) permettra une évaluation plus rigoureuse et objective.

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La Commission examine, en discussion commune, les deux amendements identiques AS13 de Mme Jeanine Dubié, qui fait l’objet d’un sous-amendement AS99 de la rapporteure, et AS18 de M. Denys Robiliard, ainsi que l’amendement AS38 de M. Sergio Coronado.

Mme Jeanine Dubié. Mon amendement vise à écarter le recours aux tests osseux pour déterminer l’âge des mineurs étrangers isolés arrivant sur le sol français. Cet examen osseux consiste à radiographier de face la main et le poignet gauche de la personne et à examiner les points d’ossification des doigts : plus il y a de cartilage de croissance, plus la personne est jeune ; lorsqu’il n’y a plus de cartilage, la maturité osseuse est atteinte, ce qui correspond plus ou moins à l’âge de 18 ans selon la personne et le sexe. Cette comparaison s’effectue selon un atlas de références, réalisé entre 1931 et 1942 à partir d’une cohorte d’enfants américains, selon des tranches de six mois à un an. La finalité initiale de cette technique était essentiellement médicale, car utilisée en particulier dans le suivi des maladies endocriniennes. Cet atlas n’a jamais été mis à jour, si bien que la fiabilité de cette méthode est remise en question aujourd’hui par les instances aussi bien médicales que judiciaires. Pourtant, ces tests restent souvent utilisés pour déterminer la minorité ou la majorité de jeunes personnes arrivant sur le sol français sans papier d’identité ou avec des papiers sujets à caution, alors que la « circulaire Taubira » relative aux mineurs étrangers isolés précise que cet examen osseux ne doit intervenir qu’en dernier recours.

Ainsi, nous sommes passés d’une finalité à caractère médical à une finalité judiciaire. Les conséquences de l’appréciation de la minorité ou de la majorité ayant de lourdes conséquences pour les jeunes concernés, il ne nous paraît plus acceptable que ces tests peu fiables puissent continuer à être déterminants dans l’évaluation.

M. Denys Robiliard. Mon amendement vise également à supprimer ces tests osseux aux fins de détermination de l’âge des jeunes, car ils ne sont plus scientifiquement crédibles. Disant cela, je m’appuie sur deux avis, l’un du Comité national d’éthique du 23 juin 2005 et l’autre du Haut Conseil de la santé publique du 23 janvier 2014. Ce dernier relève que l’écart type est de un à deux ans ; j’en déduis qu’un jeune âgé de 16 ans risque d’être déclaré majeur. Surtout, cet avis cite une étude selon laquelle « la lecture indépendante des clichés par deux radiologues spécialisés en imagerie pédiatrique, à l’aveugle de l’âge et de données cliniques autres que le sexe, a montré que leurs évaluations différaient dans 33 % des cas, l’écart étant en moyenne de 18 mois (avec des extrêmes de moins de 39 mois à plus de 31 mois). » Autrement dit, on était en plein arbitraire !

Mme Isabelle Le Callennec. Certes, les tests osseux sont loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique, mais on ne peut pas laisser croire que la seule preuve documentaire, qui le plus souvent n’existe même pas, ou le faisceau d’indices dégagé par un personnel qualifié, évoqué par M. Robiliard, permettra de déterminer de façon certaine l’âge des jeunes étrangers isolés, qui sont particulièrement nombreux dans les départements de la Seine-Saint-Denis et de l’Ille-et-Vilaine.

Il y a donc là un enjeu majeur, car un jeune reconnu mineur dépend de l’aide sociale à l’enfance, compétence dévolue aux départements, alors qu’un jeune majeur relève de la responsabilité de l’État. Or les personnels qui reçoivent ces jeunes pour déterminer s’ils relèvent de l’aide sociale à l’enfance ou de l’État ont besoin d’outils fiables.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Pour être députée de Paris, département qui accueille le plus grand nombre de mineurs étrangers isolés, je suis favorable à l’interdiction des tests osseux sur ces jeunes. En effet, ces tests ne sont absolument pas fiables, comme l’ont montré les avis du Conseil de l’Ordre et du Haut Conseil de la santé publique notamment. En outre, ces tests posent la question de la dignité des personnes, car ces jeunes doivent être considérés comme des jeunes avant d’être considérés comme des étrangers.

Tous les départements ne pratiquent pas les tests osseux, car il existe d’autres méthodes d’évaluation, notamment l’entretien dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire, qui ont prouvé leur efficacité – même si l’on sait que la détermination de la majorité ou de la minorité n’est jamais fiable à 100 %.

J’ajoute que, dans la mesure où la « circulaire Taubira » indique que les tests osseux doivent être utilisés en dernier recours, une harmonisation s’impose au niveau des départements.

Enfin, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui pourrait prévoir aussi d’organiser, par deux amendements que nous propose le Gouvernement, la répartition géographique des mineurs étrangers isolés : ce texte est donc le bon véhicule pour sécuriser le dispositif et mieux protéger les droits de ces mineurs.

Mme Bérengère Poletti. Les indices dégagés par un personnel qualifié me semblent encore plus aléatoires que les tests osseux. Certes, les tests osseux ne constituent pas l’unique moyen de déterminer l’âge, et d’autres méthodes peuvent être utilisées, comme l’interrogatoire du jeune. Mais il faut être conscient qu’un jeune pourra refuser de communiquer des éléments donnant des indications sur son âge réel. Les départements, qui consacrent 20 % de leur budget social à l’aide sociale à l’enfance, ne comprendraient pas qu’on leur retire la possibilité de pratiquer ces tests osseux, qui font partie d’une palette d’outils.

M. Frédéric Barbier. Un jeune pourra être incité à dire la vérité sur son âge s’il sait qu’un test osseux est susceptible d’être réalisé. Supprimer les tests laissera place à l’arbitraire car quelqu’un sera amené à décider. Ne me dites pas, madame Carrey-Conte, que cela permettra de sécuriser les procédures !

Mme Isabelle Le Callennec. Voter cet amendement ira à l’encontre de la « circulaire Taubira », qui rend possibles les tests osseux en dernier recours.

Mme Jeanine Dubié. C’est pour les jeunes de 16 à 19 ans que le problème se pose. Lorsque leur minorité n’est pas reconnue, cela a pour eux des incidences très préjudiciables. Et parce que nous sommes nous aussi les défenseurs des départements, je tiens à rappeler que leur effort de prise en charge ne cesse pas lorsque ces jeunes atteignent 18 ans mais bien 21 ans. Notre débat dépasse donc largement la question de la prise en charge financière de ces jeunes par l’État ou le département.

Contrairement aux autres examens morphologiques qui existent, ce test est aujourd’hui systématiquement utilisé alors que ses résultats ne devraient faire partie que d’un faisceau d’indices. Faisons confiance aux travailleurs sociaux pour fournir une évaluation de l’âge de ces jeunes qui soit beaucoup plus générale et plus fiable.

M. Denys Robiliard. Je me réjouis d’entendre l’UMP soutenir Mme Taubira ! Cela est tellement inhabituel que cela mérite d’être souligné. Pour autant, c’est bien la première fois que j’entends voir opposer à une évolution législative une circulaire, qui n’a normalement pour objet que de décrire l’état du droit positif sans pouvoir y ajouter. Je suis surpris qu’alors que jusqu’à présent, nous nous sommes tous employés à défendre l’intérêt supérieur de l’enfant, celui-ci ne soit absolument plus pris en considération dans l’argumentation soutenue contre l’interdiction des tests osseux.

Alors que tout le monde reconnaît que ces tests ne sont pas fiables, ceux-ci sont néanmoins extrêmement utilisés. Et comme ils sont établis par un médecin, ils font autorité. L’autorité administrative ne parvenant pas seule à mettre fin à cette pratique, il faut que le législateur en interdise le recours.

Mme Isabelle Le Callennec. Quel est le personnel qualifié visé dans l’exposé sommaire de cet amendement ? Dans certains départements, des cellules ont été instituées pour gérer l’arrivée importante de mineurs étrangers. Même si ces équipes sont pluridisciplinaires, à un moment donné, c’est une personne seule qui prendra la décision de savoir si ces jeunes sont mineurs ou pas. S’il existe pour ce faire des techniques plus fiables que les tests osseux, utilisons-les. Mais je n’en ai pas entendu parler de façon précise. Laisser place à la subjectivité sera très difficile à supporter pour ce personnel qualifié qui aura la responsabilité d’en assumer les conséquences.

Si j’ai cité la « circulaire Taubira », c’est que j’imagine qu’elle a été publiée au terme d’un long travail avec tous les acteurs concernés par cette question très sensible. L’amendement remettrait donc en cause une disposition qui a probablement été élaborée dans la concertation.

Mme la rapporteure. La pratique du test osseux pour déterminer la minorité d’un individu est effectivement problématique. Il n’existe pas de texte encadrant strictement cette pratique de sorte que son application est très variable selon les départements. Alors que la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des mineurs isolés étrangers, à laquelle il a été fait référence ici, dispose que le test osseux n’est que l’un des examens permettant de déterminer l’âge des individus, il est réalisé quasi systématiquement. Je précise que cette circulaire fait trois pages et que les données radiologiques de maturité osseuse – expression appropriée que mon sous-amendement tend à substituer à celle de « méthode des tests osseux » – n’est que l’un des éléments cités parmi d’autres dans cette circulaire.

La fiabilité de cette méthode est remise en question depuis plusieurs années par des instances aussi bien judiciaires que médicales. Sur le plan médical, la technique des tests osseux comprend une marge d’erreur estimée entre 12 et 24 mois. Elle s’appuie sur l’atlas de Greulich et Pyle établi sur une population caucasienne aisée des États-Unis dans les années 1940, ce qui semble en décalage avec les populations que nous sommes amenés à accueillir. Sur le plan juridique, de nombreuses critiques ont aussi été émises. Dès juin 2005, le Comité consultatif national d’éthique soulignait l’inadaptation de ces méthodes, comme l’avait fait auparavant la Défenseure des enfants. De même, l’Académie nationale de médecine, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le Haut conseil de la santé publique et le Défenseur des droits ont émis sur ce point les plus expresses réserves. Récemment, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un avis du 24 juin 2014, préconisait de mettre fin aux pratiques actuelles d’évaluation de l’âge.

Je pense simplement que, juridiquement, il faudrait remplacer la notion de « tests osseux » par celle de « données radiologiques de maturité osseuse ». C’est l’objet de mon sous-amendement. Sous réserve de l’adoption de ce dernier, j’émettrai un avis favorable à l’amendement AS13.

Enfin, j’ajouterai que c’est le juge qui décide en dernier recours. L’évaluation de l’âge de ces jeunes s’appuie donc sur plusieurs critères et fait intervenir plusieurs acteurs, dont deux médecins et non un seul. Bien d’autres aspects que les données radiologiques de maturité osseuse sont évalués : l’évaluateur est ainsi attentif à des éléments liés au développement physique, au comportement du jeune, à la compatibilité de ce comportement avec l’âge allégué et à la vulnérabilité de ce jeune.

M. Jean-Pierre Barbier. Dans son sous-amendement, la rapporteure nous propose de reprendre les termes figurant dans la circulaire du 31 mai 2013 dans l’amendement de Mme Dubié. Or ce dernier vise précisément à supprimer le recours aux tests osseux préconisés dans cette circulaire. C’est ubuesque !

Mme Isabelle Le Callennec. Je ne comprends pas que l’on vote un sous-amendement remplaçant les mots « tests osseux » par les mots « données radiologiques de maturité osseuse » pour ensuite supprimer la possibilité de recourir à ce genre de tests.

En vertu de la « circulaire Taubira », l’examen médical n’intervient qu’en cas de doute sur la minorité du jeune ; ce dernier doit être consentant à l’examen et informé de ses modalités et de ses conséquences ; la réquisition doit être faite par le Parquet ; l’examen doit être réalisé sur la base d’un protocole unique et opposable intégrant des données cliniques, des données dentaires et des données radiologiques de maturité osseuse.

Par conséquent, cet amendement remet en cause cette circulaire.

M. Denys Robiliard. Le sous-amendement de la rapporteure a uniquement une portée terminologique, s’appuyant sur les termes retenus dans la « circulaire Taubira ». Compte tenu de la marge d’erreur très importante des tests osseux, nous souhaitons effectivement les voir supprimés.

Sur le plan procédural, le sous-amendement de la rapporteure ne portant que sur l’amendement AS13 de Mme Dubié, je souhaiterais, Madame la présidente, que les cosignataires de l’amendement identique AS18 puissent être associés à cet amendement AS13. Et je retire mon propre amendement.

L’amendement AS18 est retiré.

La Commission adopte le sous-amendement AS99 puis l’amendement AS13 ainsi sous-amendé.

En conséquence, l’amendement AS38 de M. Sergio Coronado devient sans objet.

Mme Véronique Massonneau. Je tiens néanmoins à présenter cet amendement. Comme nous estimons que la méthode des tests osseux n’est pas fiable, nous proposons de ne plus l’utiliser nulle part – ni dans la recherche de la minorité ou de la majorité ni pour le regroupement familial ou la détermination de la majorité pénale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Autant les amendements précédents étaient en lien direct avec l’objet de la proposition de loi, autant le vôtre est bien plus large. En ce qui concerne la protection de l’enfant, votre amendement est satisfait par celui que nous venons de voter.

Mme Bérengère Poletti. L’amendement AS38 est dangereux car les marges d’erreur des tests osseux n’existent qu’à partir de l’âge de 16 ans. Ces tests sont au contraire très précis en deçà de cet âge.

Après l’article 21 ter

La Commission en vient à l’amendement AS59 de M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Cet amendement a trait au même sujet mais vise les mineurs qui sont en zone d’attente à Roissy, à Orly à Lyon-Satolas ou encore dans d’autres aéroports et ports. La question de savoir si ces jeunes sont mineurs ou pas peut également s’y poser et là encore, on a tendance à recourir de façon presque systématique aux tests osseux précités.

Mme la rapporteure. Votre amendement procède à une coordination à l’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile s’agissant de l’interdiction des tests osseux. J’y suis défavorable car il n’entre pas dans le champ de la protection de l’enfance.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Retirez-vous votre amendement, monsieur Robiliard ?

M. Denys Robiliard. Je le maintiens. Car s’il ne se situe pas dans le champ de la protection de l’enfance au sens technique du terme, il concerne la protection des mineurs en zone d’attente. Il est donc conforme à l’esprit de ce texte.

Mme la rapporteure. Il est vrai que vous faites référence à l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles mais c’est l’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que vous modifiez. Or ce n’est pas dans le cadre de cette proposition de loi relative à la protection de l’enfant qu’il convient de le faire. Je vous propose donc de le retirer pour que nous en revoyions la rédaction d’ici à l’examen du texte en séance publique.

M. Denys Robiliard. Je ne comprends pas votre position : il s’agit de traiter de la même question de protection de l’enfance et de la même technique des tests osseux que précédemment. Simplement, deux codes différents sont concernés. Il est vrai que l’amendement AS38 de M. Coronado avait le mérite de régler le problème une fois pour toutes dans un seul et même code : le code civil. Dès lors que l’on fait le choix de traiter la question des tests osseux matière par matière, il convient de raisonner en termes de protection de l’enfance, indépendamment de l’aspect formel du texte concerné.

La Commission rejette l’amendement.

*

Article 22
(art. 222-24, 222-28, 222-30, 222-32-1 [nouveau], 227-26, 227-27-1A [nouveau]
et 227-27 du code pénal)

Création d’une qualification pénale de l’inceste
valant circonstance aggravante d’infractions à caractère sexuel

L’article 22 de la proposition de loi initiale visait à qualifier d’inceste certaines agressions sexuelles et certains viols, et procédait à la même qualification pour certaines atteintes sexuelles. Cet article a été supprimé par le Sénat en première lecture.

1.  Le droit existant

Selon le grand Robert de la langue française, l’inceste se caractérise par des « relations sexuelles entre un homme et une femme parents ou alliés à un degré qui entraîne la prohibition du mariage, et, entre parents très proches (au premier degré) ».

Ces interdictions ne figurent aujourd’hui que de manière implicite dans la loi française en vigueur, au travers soit des circonstances aggravantes du viol, des agressions et des atteintes sexuelles, dans le code pénal, soit des interdictions de mariage, dans le code civil.

C’est ainsi que le code pénal, dans son article 222-24, prévoit que le viol, prévu à l’article 222-23 du même code, est puni d’une peine portée de quinze ans à vingt ans de réclusion criminelle si l’auteur des faits est « un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

De même, l’article 222-28 prévoit que les agressions sexuelles, prévues à l’article 222-27, sont punies d’une peine portée de cinq à sept ans d’emprisonnement et d’une amende dont le montant est porté de 75 000 euros à 100 000 euros, si l’auteur des faits est « un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

Enfin, l’article 227-6 prévoit que les atteintes sexuelles sur mineur, définies à l’article 227-25, sont punies d’une peine portée de cinq à dix ans d’emprisonnement et d’une amende dont le montant est porté de 75 000 euros à 150 000 euros, si l’auteur des faits est « un ascendant ou (…) toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

Par conséquent, dans sa rédaction actuelle, le code pénal ne permet pas de condamner l’inceste en tant que tel. Les actes de nature incestueuse sont réprimés comme les viols, les autres agressions sexuelles et les atteintes sexuelles, dont le lien filial ou la relation d’autorité entre l’auteur des faits et la victime ne constituent « qu »‘une circonstance aggravante.

Parallèlement, l’article 161 du code civil prohibe le mariage entre tous les ascendants et descendants en ligne directe et les alliés. Par ailleurs, l’article 162 du même code prohibe le mariage entre le frère et la sœur. Enfin, l’article 163 le prohibe entre l’oncle et la nièce, d’une part, et entre la tante et le neveu, d’autre part. Le mariage est également prohibé entre le grand-oncle et la petite-nièce (32). Le président de la République peut cependant autoriser un tel mariage, « pour des causes graves », en application de l’article 163 du même code.

L’inscription de l’inceste dans le code pénal a fait l’objet d’une première tentative avec la loi du 8 février 2010 (33). Celle-ci a conduit à l’insertion dans le code pénal d’un paragraphe 3, intitulé « De l’inceste commis sur les mineurs » et initialement constitué des deux articles 222-31-1 et 222-31-2.

Cependant, dans sa décision du 16 septembre 2011 (34), le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions de la loi du 8 février 2010, aux motifs de l’imprécision de la notion de « famille » employée par cette loi.

Dans cette décision, le Conseil a estimé que « s’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ».

À la suite de cette décision, le paragraphe 3 précité ne fait plus aujourd’hui préférence qu’à son unique article 222-31-2, au viol et à l’agression sexuelle commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l’autorité parentale, sous le seul angle de la question du maintien ou du retrait total ou partiel de cette dernière.

2.  Un dispositif supprimé par le Sénat

a.  Le dispositif adopté par la commission des Affaires sociales du Sénat

L’article 22, dans sa rédaction de la proposition de loi initiale, proposait, dans son I, au sein d’un nouvel article 222-32-1 du code pénal, que constituent des incestes les viols et les autres agressions sexuelles, commis sur un mineur par une personne faisant partie de l’une des cinq catégories de personnes suivantes :

– son ascendant (1°) ;

– son oncle ou sa tante (2°) ;

– son frère ou sa sœur (3°) ;

– sa nièce ou son neveu (4°) ;

– le conjoint ou l’ex-conjoint, ou le concubin ou l’ex-concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° à 4°, ou le partenaire ou l’ex-partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une de ces personnes (5°).

Le paragraphe II de l’article 22 insérait un nouvel article dans le code pénal, disposant que les atteintes sexuelles sur mineur constituaient des incestes lorsqu’elles étaient commises par une personne appartenant à l’une des cinq catégories précitées.

Enfin, les paragraphes III à VII de l’article 22 précisaient que les incestes constituent une circonstance aggravante :

– des infractions de viol et d’agression sexuelle ainsi que d’agression sexuelle autre que le viol imposée à une personne caractérisée par une particulière vulnérabilité dans les conditions de l’article 222-30 ;

– d’une atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans ;

– et d’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans.

La commission des Affaires sociales du Sénat a adopté un amendement qui a élargi aux grands-oncles et grands-tantes, d’une part, et aux cousins et cousines germains, d’autre part, le périmètre des personnes susceptibles d’être condamnées pour inceste.

Par ailleurs, elle a souhaité supprimer les dispositions des paragraphes III à VII qui faisaient de l’inceste une circonstance aggravante. Le fait que l’inceste soit une circonstance aggravante qui se substituerait à d’autres antérieures interdirait que cette nouvelle circonstance aggravante soit appliquée aux incestes commis avant la promulgation de la loi, en application du principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Il en serait résulté deux régimes pénaux différents en fonction de la date des faits commis.

b.  Un dispositif supprimé en séance publique

Le Sénat a adopté un amendement de suppression du présent article, présenté par le rapporteur pour avis de la commission des Lois, M. Alain Pillet. Celui-ci a considéré que, tout en indiquant partager l’objectif poursuivi par l’article, la réflexion n’était pas encore aboutie : « c’est la raison pour laquelle tant la commission des lois que la commission des affaires sociales avaient décidé que ces dispositions seraient discutées en séance publique, afin que nous puissions débattre de cette situation, mais qu’il ne s’agirait que d’un débat préalable à un débat beaucoup plus technique sur l’incorporation du mot « inceste » dans le code pénal. Aujourd’hui, tout le monde est prêt a priori à franchir ce pas, mais nous ne le ferons que si notre démarche est bien assurée. »

Pour les mêmes raisons, notre collègue député Sébastien Denaja avait retiré l’amendement qu’il avait déposé sur le même sujet, lors du débat du projet de loi sur l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, en décembre dernier. La ministre des Droits des femmes, Mme Najat Vallaud-Belkacem, s’était alors déclarée très favorable à cette évolution législative tout en appelant à une réflexion complémentaire : « Chacun le sait, je suis très favorable à ce que la notion d’inceste soit réintroduite dans le code pénal, et je n’avais pas d’objection, initialement, à ce que l’on procède par le biais de ce projet. Mais je suis sensible aux réserves de votre rapporteur ainsi qu’à la proposition de M. Guy Geoffroy tendant à l’élaboration d’une proposition de loi commune, au terme d’un débat approfondi, pour éviter une nouvelle censure par le Conseil constitutionnel. Cette approche devrait conduire au retrait de l’amendement. » (35).

*

Sur proposition de MM. Sébastien Denaja, Bernard Roman, François Dumas, Marie-Anne Chapdeleine et des députés du groupe dont ils sont membres, identique à celle de la rapporteure, de la commission des Lois et de plusieurs députés de l’opposition, avec deux sous-amendements du Gouvernement, la Commission a adopté un article additionnel rétablissant l’article 22 afin d’inscrire la notion d’inceste dans le code pénal.

La rédaction adoptée diffère de celle qui avait été initialement adoptée par la Commission des affaires sociales du Sénat avant que l’article ne soit supprimé en séance publique.

Sont ainsi qualifiés d’incestueux les viols et agressions sexuelles commis par les personnes suivantes :

– un ascendant ;

– un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, si cette personne a sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

– son tuteur ou la personne disposant à son égard d’une délégation totale ou partielle d’autorité parentale ;

– le conjoint ou l’ancien conjoint, le concubin ou l’ancien concubin des personnes mentionnées précédemment ou le partenaire ou l’ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) avec l’une de ces personnes, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Cette liste précise répond aux exigences du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines en définissant précisément les personnes susceptibles de commettre une agression sexuelle ou un viol incestueux.

Les deux sous-amendements du Gouvernement prévoyaient, pour le premier, que seuls les frères et sœurs ayant une autorité de droit ou de fait sont concernés par cette qualification, et pour le second l’inclusion des anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires liés par un PACS. Dans la mesure où ils visent à éviter tout risque de censure constitutionnelle et à prendre en compte le plus complètement possible les personnes concernées (y compris les anciens conjoints ou concubins), ils ont été adoptés par la Commission.

Comme la loi du 8 février 2010 précitée, cette nouvelle qualification pénale ne modifie pas les peines encourues, puisque le code pénal prévoit déjà une aggravation des peines lorsque les faits sont commis par l’une des personnes mentionnées dans l’alinéa. De ce fait, il ne peut être considéré comme une loi pénale plus sévère et serait donc d’application immédiate.

*

La Commission examine les amendements identiques AS52 de M. Sébastien Denaja, AS95 de la rapporteure, AS111 et AS112 de la commission des Lois.

L’amendement AS52 fait l’objet des sous-amendements AS97 et AS98 du Gouvernement.

M. Bernard Roman. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission.

Cet amendement a été présenté en commission des Lois ce matin. Il est quasiment identique à un amendement cosigné par M. Geoffroy et Mme Fort. Il vise à rétablir dans le code pénal l’incrimination de l’inceste. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’inceste ne figurait pas dans le code pénal jusqu’en 2010. Les associations de victimes estiment à deux millions le nombre de personnes concernées par des actes incestueux. Des centaines de milliers de personnes, peut-être plus d’un million, ne pourront jamais se reconstruire si cette infraction n’est pas reconnue.

L’amendement propose de rétablir l’incrimination d’inceste dans le code pénal en tenant compte des motifs qui avaient conduit le Conseil constitutionnel à censurer les dispositions relatives à l’inceste, à l’occasion de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Le principal motif tenait à la définition trop large et sujette à interprétation des auteurs de crimes ou délits incestueux – la notion de famille à laquelle il était fait référence était insuffisamment précise. Le Conseil a estimé que s’il était légitime pour le législateur d’instituer une qualification particulière pour les agissements sexuels incestueux, les auteurs susceptibles d’être poursuivis pour ces faits devaient être précisément désignés.

Nous avons suivi cette recommandation en travaillant, en lien avec la Chancellerie, au sein d’un groupe de travail réunissant notamment M. Denaja, M. Geoffroy, Mme Fort et moi-même, et en nous inspirant notamment de travaux transpartisans menés au Sénat. Nous sommes parvenus à une rédaction ce matin dont nous pensions qu’elle était définitive mais la Chancellerie nous propose deux ajustements mineurs, très techniques, qui nous mettent à l’abri d’autres recours devant le Conseil constitutionnel.

L’amendement reprend, pour désigner les personnes susceptibles d’être poursuivies pour des faits incestueux, la liste des personnes pour lesquelles le code civil prévoit un empêchement à mariage ainsi que leurs conjoints, concubins ou partenaires d’un pacte civil de solidarité, sous réserve pour certains d’entre eux qu’ils aient sur la victime une autorité de droit ou de fait. Sont ainsi visés l’oncle, la tante, le neveu, la nièce, l’ascendant, le frère, la sœur, le tuteur et la personne disposant à l’égard de la victime d’une délégation totale ou partielle d’autorité. Nous nous référons au code civil afin de lever toute équivoque constitutionnelle.

Je présente brièvement les deux sous-amendements du Gouvernement que la commission des Lois a approuvés de manière informelle. Le premier prévoit de distinguer dans deux alinéas les ascendants, d’une part, et les frères et sœurs, d’autre part, en précisant pour ces derniers qu’ils doivent, au moment des faits, avoir une autorité de droit ou de fait sur la victime. Le second propose d’ajouter les anciens conjoints ou concubins aux personnes auxquelles la qualification d’inceste peut s’appliquer.

Si nous adoptions cet amendement attendu, nous réparerions une anomalie du droit pénal français en réussissant enfin à y introduire la notion d’inceste.

Mme Bérengère Poletti. Nous voterons cet amendement qui fait l’objet de discussions depuis longtemps.

Le sous-amendement du Gouvernement fait référence à l’autorité de droit ou de fait que détiennent certains parents sur la victime. Je ne suis pas sûre de comprendre. Est-ce à dire que l’absence d’autorité interdirait de retenir la qualification d’inceste même si les faits ont été commis par un membre de la famille ?

Mme Isabelle Le Callennec. Je m’interroge également sur la mention de l’autorité. Cette précision risque de soustraire aux poursuites certaines personnes pourtant coupables de faits délictueux.

Quant aux anciens concubins que vous avez mentionnés, ils n’ont, de fait, pas d’autorité.

M. Bernard Roman. Je suis très gêné de devoir défendre des amendements du Gouvernement. J’aurais préféré que ce dernier soit présent pour le faire.

Ces sous-amendements ont pour seule vocation de consolider juridiquement et de peaufiner le texte, qui est le fruit d’un consensus à l’Assemblée – ce qui est assez rare pour être souligné – et d’un long travail d’échange et de persuasion avec l’exécutif.

Actuellement, dans le code pénal, la commission d’agressions ou d’atteintes sexuelles par les frères et sœurs ne constitue pas une circonstance aggravante.

Pour pouvoir appliquer la notion d’inceste aux frères et sœurs, tout en parant à tout risque constitutionnel, il convient de reprendre les cas dans lesquels les infractions d’agressions sexuelles ou d’atteinte sexuelles sont déjà aggravées par la loi, en l’occurrence lorsqu’elles sont commises par une personne exerçant une autorité de droit ou de fait. C’est la raison pour laquelle cette précision est apportée dans le sous-amendement du Gouvernement.

S’agissant des ex-concubins ou ex-conjoints, la notion d’autorité de fait est déjà utilisée, notamment en matière de droit de visite. Je reconnais que nous avons omis de prendre en compte les familles recomposées dans le dispositif.

Notre amendement va aussi loin qu’il est possible sans s’exposer à une question prioritaire de constitutionnalité qui remettrait en cause le dispositif.

Il reste des questions posées à juste titre par les associations : quid des cousins ? Ils ne figurent pas parmi les personnes pour lesquelles le code civil prévoit un empêchement à mariage. On pourrait nous reprocher les limites que nous nous imposons mais nous ne voulons pas être censurés par le Conseil constitutionnel.

Nous avons décidé ce matin en commission des Lois que M. Geoffroy et son groupe déposeraient un amendement reprenant les décisions de votre commission. Le groupe socialiste et d’autres groupes proposeront le même amendement afin qu’une discussion commune s’organise en séance pour aboutir à une décision, je l’espère, unanime.

M. Denys Robiliard. La portée de cet amendement est essentiellement symbolique puisque, sauf erreur de ma part, il ne modifie ni les peines ni les incriminations. Le texte ne crée pas une nouvelle incrimination mais une qualification pénale de l’inceste. Il n’emporte pas de conséquences juridiques particulières, sinon d’introduire dans le code pénal la notion d’inceste.

Dès lors, je ne comprends pas la nécessité de la circonstance aggravante de l’autorité exercée. Il nous faut absolument faire coïncider la définition du code pénal avec celle du code civil qui n’emploie pas le terme d’inceste – sauf en interdisant les filiations incestueuses – mais qui le définit au travers des empêchements à mariage et à PACS.

Puisque ce texte est purement qualificatif, pourquoi faire de l’exercice de l’autorité une condition de l’inceste alors qu’elle ne figure pas dans le code civil ? Je ne vois pas en quoi cette condition pourrait être un élément constitutif de la notion d’inceste.

Nous aurions intérêt à adopter une définition pénale identique à la définition civile puisque nous sommes dans le domaine du symbolique.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. Un mot pour traduire le consensus qui s’est dégagé ce matin au sein de la commission des Lois et pour faire part de la volonté partagée de trouver une rédaction inattaquable sur le plan constitutionnel. C’est la raison pour laquelle je porte deux amendements identiques avec des cosignataires différents.

Les amendements AS95, AS111 et AS112 sont retirés.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement les sous-amendements AS97 et AS98 puis l’amendement AS52 sous-amendé.

Mme la rapporteure. L’adoption de cet amendement très attendu et consensuel est une très bonne chose.

L’article 22 est ainsi rétabli.

*

Article 22 bis (nouveau)
(art. 434-1 du code pénal)

Suppression de l’exception pour l’infraction de non-dénonciation
de certains crimes commis sur un mineur de plus de quinze ans

Sur proposition de votre rapporteure, la Commission a adopté un article additionnel relevant de quinze à dix-huit ans l’âge des mineurs victimes d’un crime pour lesquels l’exception à l’infraction de non-dénonciation concernant les conjoints et les parents de l’auteur du crime ne s’applique pas.

En l’état actuel du droit, l’article 434-1 du code pénal prévoit que constitue une infraction « le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ». Cette infraction est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Cependant, ne sont pas concernés par cette infraction de non-dénonciation de crime :

– les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime ;

– le conjoint de l’auteur ou du complice du crime ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.

Ces deux exceptions ne sont pas applicables pour les crimes commis sur des mineurs de moins de quinze ans.

Par conséquent, un parent ou un conjoint d’un criminel qui ne dénonce pas le crime commis par ce dernier sur un mineur de moins de quinze ans commet une infraction, alors que ce n’est pas le cas pour un crime commis sur un mineur qui a entre quinze et dix-huit ans.

Dans ce cas précis, il n’apparaît pas pertinent de retenir l’âge de la majorité sexuelle, c’est-à-dire quinze ans, pour définir les victimes concernées, alors même qu’il s’agit de crimes. C’est pourquoi le présent article additionnel prévoit que les victimes concernées par l’article 434-1 du code précité sont l’ensemble des mineurs.

*

La Commission examine l’amendement AS100 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’article 434-1 du code pénal prévoit une infraction de non-dénonciation de crimes. Sont exceptés de cette disposition les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime ; le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui. Toutefois, ces deux exceptions ne sont pas applicables aux crimes commis sur les mineurs de 15 ans. Les crimes commis sur les mineurs de 15 à 18 ans ne sont donc pas visés par cet article. Cet amendement vise à pallier cette lacune en étendant l’infraction aux crimes commis sur tous les mineurs.

La Commission adopte l’amendement.

*

Article 22 ter (nouveau)
(art. 434-2-1 [nouveau] du code pénal)

Création d’une infraction de non-dénonciation
d’une agression sexuelle commise sur un mineur

Sur proposition de votre rapporteure, la Commission a adopté un article additionnel créant une infraction de non-dénonciation d’agression sexuelle commise sur un mineur.

En effet, en l’état actuel du droit, comme on l’a vu précédemment, l’article 434-1 du code pénal prévoit que constitue une infraction le fait de ne pas dénoncer un crime. Quand il s’agit de mineurs de moins de quinze ans – dix-huit ans dans l’article additionnel adopté par la commission – cette infraction ne connaît aucune exception.

De même, l’article 434-3 du code pénal prévoit une infraction de non-dénonciation « des privations, mauvais traitements ou [les] atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse. »

Or la non-dénonciation d’une agression sexuelle, qui ne constitue pas un crime et qui n’est pas pour autant une atteinte sexuelle, n’est pas prévue par le code pénal.

Le présent article, adopté par la commission, prévoit, dans un nouvel article 434-2-1 du code pénal, que « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance d’une agression sexuelle commise à l’encontre d’un mineur de dix-huit ans, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. ».

Dans un second alinéa, le présent article précise que, sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 du code pénal, c’est-à-dire les personnes, comme les professionnels de santé, soumises à une obligation de secret professionnel.

*

La Commission est saisie de l’amendement AS101 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement propose de créer une infraction spécifique pour sanctionner la non-dénonciation d’agressions sexuelles commises sur des mineurs de 18 ans.

En effet, les agressions sexuelles ne sont pas constitutives d’un crime, dont la non-dénonciation est punie par l’article 434-1 précité, mais d’un délit.

S’agissant des atteintes sexuelles, l’article 434-3 du code pénal punit le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de 15 ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives.

Mme Isabelle Le Callennec. Quelles sont les personnes astreintes au secret qui sont exceptées des dispositions prévues dans le deuxième alinéa de votre amendement ?

Mme la rapporteure. Cet alinéa reprend une disposition qui figure dans d’autres articles du code pénal relatifs à la non-dénonciation.

La Commission adopte l’amendement.

*

Article 22 quater (nouveau)
(art. 221-2-2 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles)

Fixation par le ministère de la Justice des critères de répartition
des mineurs étrangers isolés entre départements

Sur proposition du Gouvernement, la Commission a adopté un article additionnel donnant une base légale à la clé de répartition des mineurs étrangers isolés entre départements.

Environ 4 000 jeunes mineurs étrangers sans référents parentaux arrivent sur le territoire français chaque année. Conformément à la convention relative aux droits de l’enfant, ces mineurs sont accueillis par les conseils généraux dans le cadre du droit commun de la protection de l’enfance.

Face à l’augmentation importante du nombre de mineurs accueillis ces dernières années, une cellule spécifique a été mise en place au sein de la protection judiciaire de la jeunesse durant l’automne 2010. Cependant, la concentration des entrées dans certains départements (comme la Seine-Saint-Denis, Paris, l’Ille-et-Vilaine, le Rhône ou l’Isère) a rapidement conduit à la saturation de leurs services de l’aide sociale à l’enfance. Cette situation a conduit les élus de ces départements à solliciter une intervention concrète de l’État et la mise en place d’un système de régulation des accueils sur le territoire national.

C’est ce dispositif, issu d’un travail de concertation entre l’Assemblée des départements de France et l’État, qui a ensuite inspiré la mise en place d’un protocole avec les départements et la circulaire du 31 mai 2013 relative à la prise en charge et à l’orientation des mineurs isolés étrangers.

Cette circulaire prévoit que les jeunes isolés étrangers sont recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance dans le cadre d’un accueil provisoire d’urgence pendant lequel doit être conduite une évaluation visant à déterminer s’il y a danger, au regard notamment de la minorité et de l’isolement du jeune considéré. 40 % des jeunes accueillis font l’objet d’un signalement en protection de l’enfance et sont ensuite orientés par l’autorité judiciaire à partir des informations délivrées par la cellule nationale, selon une clé de répartition reposant sur la population des moins de 19 ans de chaque département.

Par une décision du 30 janvier 2015, le Conseil d’État a validé l’essentiel des dispositions de la circulaire du 31 mai 2013 précitée, précisant que la circulaire apportait une réponse adaptée à une situation difficile, dans l’intérêt de ces mineurs. En revanche, il a invalidé le fait qu’une simple circulaire puisse fixer une clé de répartition chiffrée comme fondement à la décision d’orientation du jeune.

C’est pourquoi le présent article créé, au sein du code de l’action sociale et des familles, un nouvel article L. 221-2-2 qui vise à garantir la « remontée » vers le ministère de la Justice des informations des départements sur les mineurs étrangers isolés et à donner une base légale à la clé de répartition définie par la circulaire du 31 mai 2013, en prévoyant que « le ministère de la justice fixe les objectifs de répartition proportionnée des accueils de ces mineurs entre les départements en fonction de critères démographiques. »

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Article 22 quinquies (nouveau)
(art. 375-5 du code civil)

Orientation par l’autorité judiciaire des mineurs étrangers isolés

Sur proposition du Gouvernement, la Commission a adopté un article additionnel de coordination avec l’article 22 quater, afin de préciser le rôle du juge s’agissant de l’accueil et de l’orientation du mineur étranger isolé.

L’article 375-5 du code civil, qui concerne la protection judiciaire des mineurs, est ainsi complété par deux alinéas prévoyant que :

– lorsqu’un service de l’aide sociale à l’enfance signale la situation d’un mineur étranger isolé, le juge demande au ministère de la Justice de lui communiquer, pour chaque département, les informations permettant l’orientation des mineurs concernés ;

– pour garantir des modalités d’accueil adaptées, l’autorité judiciaire prend sa décision en stricte considération de l’intérêt de l’enfant, qu’elle apprécie notamment à partir des éléments précités.

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La Commission examine, en présentation commune, les amendements AS11 et AS12, tous deux du Gouvernement.

Mme la rapporteure. Ces deux amendements, présentés par le Gouvernement, visent à garantir la remontée depuis les départements des informations nécessaires au bon fonctionnement de la cellule d’appui du ministère de la justice.

Le premier amendement donne une base légale à la clé de répartition entre les départements pour l’accueil des mineurs privés de leur famille, définie par la « circulaire Taubira » relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers.

J’émets un avis favorable sur ces amendements qui permettent par ailleurs de faciliter les échanges d’informations.

Mme Bérengère Poletti. Aux termes de l’amendement, la répartition s’appuie sur des critères démographiques. Or, ces critères m’apparaissent très insuffisants. Pourquoi les capacités financières des départements ne sont-elles pas prises en compte ? Je ne peux pas soutenir un amendement qui fait référence aux seuls critères démographiques.

Mme la rapporteure. Cette répartition a fait l’objet d’une concertation avec les départements. Je vous invite à demander des précisions sur ce point au Gouvernement en séance.

La Commission adopte successivement ces amendements.

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Article 23
Gage financier

Le présent article a pour objet d’assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi, en gageant les charges qui pourraient en résulter pour l’État.

Cet article n’a pas été modifié au Sénat lors de l’examen de la présente proposition de loi, bien que le Gouvernement se fût prononcé favorablement quant à l’adoption de cette dernière, après un vote unanime.

*

La Commission adopte l’article 23 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie, chers collègues, pour ce débat serein sur un sujet très important.

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* *

En conséquence, la Commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE

(par ordre chronologique)

Ø Table ronde des associations :

– SOS Villages d’enfants – M. Gilles Meunier, responsable du développement des activités, et Mme Sandrine Dottori, chargée de mission « études et innovation »

– La voix de l’enfant Mme Martine Brousse, présidente, et Mme Marie-Laure Joliveau-Tezcan, directrice juridique

Ø Audition commune :

– Association nationale des directeurs de l’enfance et de la famille (ANDEF)Mme Chantal Rimbault, présidente, directrice de la protection de l’enfance et de la jeunesse du Val-de-Marne, et M. Jean-François Kerr, trésorier

Association nationale des directeurs de l’action sociale et de santé des départements (ANDASS)Mme Marie-Françoise Bellée Van Thong, directrice famille-enfance-jeunesse

Ø Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) – Mme Fabienne Quiriau, directrice générale, et Mme Laure Sourmais, responsable du pôle Protection de l’enfance

Ø Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) – Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente, conseillère près la Cour d’appel de Paris, et Mme Marie-José Marand Michon, vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants au Tribunal de Créteil, trésorière adjointe à l’AFMJF

Ø Syndicat national des médecins de la protection maternelle et infantile (SNMPMI) – Dr Pierre Suesser, président

Ø Table ronde relative à l’adoption :

– Mouvement pour l’adoption sans frontières (MASF) – M. Marc Lasserre, président

– Enfance et famille d’adoption (EFA) – Mme Nathalie Parent, présidente

– Conseil national des adoptés (CNA) – Mme Hélène Charbonnier, présidente

Ø Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) – Mme Samia Darani, conseillère technique Enfance-Famille-Jeunesse (*)

Ø Le Défenseur des droits – Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, Mme Annick Feltz, directrice du département Protection des personnes, Mme Marie Lieberherr, responsable du pôle Protection de l’enfance, et M. Richard Senghor, secrétaire général

Ø Table ronde relative à l’inceste :

– Institut de victimologie – Mme Bénédicte de Montvalon, directrice adjointe

– Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI) – Mme Isabelle Aubry, présidente

Ø Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) – Mme Catherine Sultan, directrice, et Mme Brigitte Soppelsa, de la sous-direction des missions de protection judiciaire et d’éducation

Ø ATD Quart monde – M. Pierre-Yves Madignier, président, Mme Maryvonne Caillaux, responsable du réseau Wresinski Santé, et M. Denis Rochette, chargé des relations avec le Parlement

Ø Cabinet de Mme Laurence Rossignol, Secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie – Mme Anne Devreese, conseillère, Mme Marie Derain, chargée de mission, et Mme Nina Savoye, conseillère parlementaire

Ø Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – Sous-direction de l’enfance et de la famille – Mme Isabelle Grimault, sous-directrice de l’enfance et de la famille, M. Jean François Hatte, chef du bureau de la protection de l’enfance et de l’adolescence, Mme Catherine Briand, adjointe au chef du bureau de la protection de l’enfance et de l’adolescence, et Mme Camille Martin, chargée de mission

Ø Fédération nationale des associations départementales d’entraide entre les pupilles et anciens pupilles de l’État (FNADEPAPE) – M. Roland Willoq, vice-président, et M. Claude Le Merrer-Berbigier, secrétaire général de la FNADEPAPE

Ø M. Lyes Louffok, auteur d’un livre sur l’aide sociale à l’enfance, membre du Comité de suivi «Concertation nationale sur la protection de l’enfance » engagée par Mme Laurence Rossignol, Mme Elina Dumont, et Mme Gwenaëlle Austin

Ø M. Olivier Goujon, avocat du barreau de Nîmes

Ø Mme le Professeur Adeline Gouttenoire, professeure de droit

Ø Audition commune :

– Association de parents adoptifs d’enfants recueillis par Kafala (APAERK) – Mme Malika Bouziane, présidente, Mme Catherine Barut, membre représentant les Français résidents à l’étranger (Maroc), et Mme Fatima Zohra Alami Laqbaqbi, membre du collectif des parents français établis hors de France et représentante Apaerk (Français résidents à l’étranger)

Association Kafala – Mme Charhazad Amrani

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

© Assemblée nationale

1 () Réunion de la commission des Affaires sociales du 14 avril 2015, compte rendu annexé au présent rapport.

2 () Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.

3 () Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la protection de l’enfance, par Mmes Muguette Dini et Michelle Meunier (n° 655, 25 juin 2014).

4 () Évaluation de la gouvernance de la protection de l’enfance, P. Naves et F. Simon-Delavelle (Inspection générale des affaires sociales), P. Bruston et B. Descoubes (inspection générale des services judiciaires), juillet 2014.

5 ()  Rapport « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui » du groupe de travail « Protection de l’enfance et adoption », présidé par Adeline Gouttenoire, février 2014.

6 () Décision relative à des recommandations portant sur l’accueil des enfants confiés, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, à une personne désignée tiers digne de confiance, 17 mars 2014.

7 () Loi n° 293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.

8 () Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.

9 () Loi n° 2013-404 du 17 mai 1013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

10 () Décision relative à des recommandations portant sur l’accueil des enfants confiés, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, à une personne désignée tiers digne de confiance, 17 mars 2014.

11 () Inspection générale des affaires sociales, rapport sur les conditions de reconnaissance du délaissement parental et ses conséquences pour l’enfant, novembre 2009.

12 () BOI-ENR-DMRG-10-50-80, n° 80, 12 septembre 2012.

13 () Cass. Com., 6 mai 2014, n° 12-21.835.

14 () Inspection générale des affaires sociales, rapport sur les conditions de reconnaissance du délaissement parental et ses conséquences pour l’enfant, novembre 2009.

15 () En général dans une famille d’accueil à laquelle l’enfant s’est attaché.

16 () En application de l’article 223-3 du code pénal, le délaissement, en un lieu quelconque, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

17 () Loi n° 2013-673 du 26 juillet 2013 relative à l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État.

18 () Observatoire de l’enfance en danger, « La situation des pupilles de l’État – Enquête au 31 décembre 2011 », janvier 2013.

19 () S’agissant des enfants dont la filiation n’est pas établie, il s’agit principalement d’enfants dont la filiation est inconnue du fait de l’accouchement dans le secret et l’anonymat, dit « sous X », prévu aux articles 326 du code civil et L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles.

20 () Décision n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012, Mme Annie M.

21 () Loi n° 2013-673 du 26 juillet 2013 relative à l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État.

22 () Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

23 () ONED, « La situation des pupilles de l’État – Enquête au 31 décembre 2011 », janvier 2013.

24 () Avis (2014-2015) n° 139 sur la proposition de loi relative à la protection de l’enfant de M. François Pillet fait au nom de la commission des Lois, déposé le 2 décembre 2014.

25 () CEDH, M.D. et autres C/ Malte, 17 juillet 2012, req. n° 64791/10.

26 () Conseil constitutionnel, n° 2014-696 DC du 7 août 201, loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.

27 () Loi n° 2001-111 du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale.

28 () Réponse du ministère de la Justice à une question écrite n° 03703 de M. Bernard Piras publiée dans le Journal officiel « Sénat » du 21 août 2008.

29 () Cass. 1re civ., pourvoi n° 12-26-161.

30 () « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui », groupe de travail « protection de l’enfance et adoption » du ministère des affaires sociales et de la santé et du ministère délégué chargé de la famille (février 2014).

31 () Sénat, séance du 11 mars 2015, Journal officiel n° 28 s (C.R).

32 () Chambre des requêtes de la Cour de cassation, 28 novembre 1877.

33 () Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

34 () Décision n° 2013-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N.

35 () Commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, réunion du 18 décembre 2013, compte rendu n° 31.