N° 2923
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juillet 2015.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 2183) relatif au droit des étrangers en France,
PAR M. Erwann BINET
Député
——
Voir les numéros : 2916, 2919, 2920.
SOMMAIRE
___
Pages
I. LA FRANCE, TERRE D’IMMIGRATIONS 19
A. LES ÉTRANGERS EN FRANCE 19
B. UNE SITUATION INTERNATIONALE DÉLICATE 25
1. Schengen et Frontex 25
2. La situation politique en Méditerranée 26
3. Les spécificités de l’outre-mer 29
C. LES DIFFÉRENTS TYPES D’IMMIGRATION VERS LE TERRITOIRE FRANÇAIS 34
1. L’immigration professionnelle 34
2. L’immigration étudiante 36
3. L’immigration familiale 37
4. La mise en œuvre du droit d’asile 39
II. LA NÉCESSAIRE RÉFORME DU DROIT FRANÇAIS DES ÉTRANGERS 39
A. UN CADRE EUROPÉEN RÉCEMMENT MODERNISÉ 39
1. La directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dite directive Retour 39
2. La directive 2009/50/CE du 25 mai 2009, dite directive Carte bleue 40
3. La directive 2009/52/CE du 18 juin 2009, dite directive Sanctions 41
B. DES PROCÉDURES NATIONALES INSATISFAISANTES 42
1. Un dispositif d’accueil et d’intégration privilégiant la contrainte à l’accompagnement 42
2. Des titres de séjour qui réclament une meilleure adéquation entre durée de validité et durée de présence de l’étranger 44
3. Des procédures de contrôle et d’éloignement à mieux concilier avec le respect effectif des droits reconnus aux étrangers 46
a. Des procédures de contrôle lourdes et en partie inefficaces 46
b. Des procédures d’éloignement trop nombreuses et peu lisibles 47
4. Le placement en rétention, une mesure de droit commun qui doit devenir l’exception 48
III. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI ET LES APPORTS DE LA COMMISSION DES LOIS 50
1. Renforcer le dispositif d’accueil et d’intégration des étrangers souhaitant s’installer durablement en France 50
2. Moderniser le régime applicable aux visas 51
3. Contrôler la régularité du séjour dans le respect des droits des étrangers 51
4. Améliorer le régime applicable à l’immigration professionnelle 52
5. Réformer la procédure relative aux étrangers malades 52
6. Généraliser la carte de séjour pluriannuelle 53
7. Prendre en compte les violences conjugales et familiales 54
8. Élargir la délivrance de la carte de résident 55
9. Transposer plusieurs directives européennes en matière de droit des étrangers 55
10. Limiter les placements en rétention 56
11. Réformer les procédures d’éloignement 57
12. Garantir le respect des droits reconnus aux étrangers 57
13. Adapter le droit des étrangers aux spécificités des outre-mer 58
14. Actualiser les dispositions relatives au droit du séjour des étrangers 59
TITRE IER – L’ACCUEIL ET LE SÉJOUR DES ÉTRANGERS 83
Chapitre Ier – L’accueil et l’intégration 83
Article 1er (art. L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; art. L. 117-1 du code de l’action sociale et des familles) : Parcours personnalisé et contrat d’intégration républicaine 83
Article 2 (art. L. 314-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Condition de connaissance de la langue française pour la délivrance de la carte de résident 91
Après l’article 2 95
Chapitre II – La carte de séjour pluriannuelle 96
Article 3 (chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Intitulé du chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile 96
Article 4 (art. L. 311-1 et L. 211-2-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Documents ouvrant droit au séjour de plus de trois mois 97
Article 5 (art. L. 311-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Autorisation provisoire de séjour délivrée à l’étudiant titulaire d’un diplôme au moins équivalent au grade de master 103
Article 6 (art. L. 313-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle 107
Article 7 (art. L. 313-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Conditions de première délivrance de la carte de séjour temporaire et de certaines cartes pluriannuelles 108
Article 8 (art. L. 313-5-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Modalités de contrôle du maintien du droit au séjour du titulaire d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte pluriannuelle 109
Article 8 bis (nouveau) (art. L. 313-7-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Carte de séjour temporaire portant la mention « stagiaire ICT » 114
Article 9 (art. L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle 115
Article 10 (art. L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) :Conditions de délivrance de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » 118
Article 10 bis (nouveau) (art. L. 311-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Autorisation provisoire de séjour de plein droit pour le parent d’enfant malade 127
Article 10 ter (nouveau) : (art. L. 313-12 et L. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Renouvellement automatique du titre de séjour pour les personnes victimes de violences conjugales 132
Article 10 quater (nouveau) (art. L. 313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) :Renouvellement automatique du titre de séjour pour les personnes victimes de violences familiales 133
Article 11 (chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Carte de séjour pluriannuelle 134
Après l’article 11 153
Article 12 (art. L. 5221-2 du code du travail) : Limitation de l’obligation d’obtention d’une autorisation de travail aux seuls séjours professionnels d’une durée supérieure à trois mois 153
Après l’article 12 154
Article 13 (livre III, art. L. 411-8 et L. 531-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art. L. 512-2 du code de la sécurité sociale, art. 155 B du code général des impôts) : Mesures de coordination dans le CESEDA, le code de la sécurité sociale et le code général des impôts 154
Article 13 bis (nouveau) (art. L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Carte de résident portant la mention « résident de longue durée-UE » 158
Article 13 ter (nouveau) (art. L. 314-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Délivrance de plein droit de la carte de résident pour les conjoints et enfants de Français ayant résidé en France pendant trois ans sous couvert de cartes de séjour annuelles ou pluriannuelles 161
Article 13 quater (nouveau) (art. L. 314-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Conditions de la délivrance de plein droit de la carte de résident permanent 162
Article 13 quinquies (nouveau) (art. L. 316-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Carte de séjour temporaire pour les victimes de mariage forcé 163
TITRE II – DISPOSITIONS RELATIVES AUX ÉTRANGERS EN ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE 166
Chapitre Ier – Mesures d’éloignement applicables aux étrangers en situation irrégulière 166
Article 14 (art. L. 511-1, L. 512-1 et L. 533-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et art. L. 222-2-1 du code de justice administrative) : Mesures d’éloignement applicables aux ressortissants de pays tiers à l’Union européenne 166
Article 15 (art. L. 511-3-1, L. 511-3-2 [nouveau], L. 512-1, L. 513-1 et L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et art. 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Mesures applicables aux citoyens de l’Union européenne 184
Article 16 : (art. L. 514-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Effectivité des recours dans les collectivités d’outre-mer 188
Article 17 (art. L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Compatibilité de la directive Retour et des engagements internationaux conclus antérieurement 192
Article 17 bis (nouveau) (art. L. 513-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Reconduite vers un pays tiers à l’Union européenne dont l’étranger n’a pas la nationalité 193
Chapitre II – Conditions de mise en œuvre des décisions d’éloignement 194
Article 18 (art. L. 513-5 [nouveau], L. 523-1, L. 531-2, L. 531-2-1 [nouveau], L. 531-3 et L. 541-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Escorte de la force publique en cas d’assignation à résidence 194
Article 19 (art. L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Priorité de l’assignation à résidence 205
Article 19 bis (nouveau) (art. L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Fin du caractère exceptionnel de l’assignation à résidence judiciaire 209
Article 20 (art. L. 554-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Assignation à résidence consécutive à la rétention 209
Article 21 (art. L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Limitation de l’assignation à résidence en cas de report de l’éloignement 210
Article 22 (art. L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Conditions de l’assignation à résidence de courte durée 211
Chapitre III – Dispositions diverses 213
Article 23 (art. L. 221-6 et L. 553-7 [nouveaux] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Principe de l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention 213
Article 24 (art. L. 611-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et art. 78-2 du code de procédure pénale) : Extension à la Martinique des dispositions permettant de procéder à la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique, à l’exclusion des voitures particulières, et de contrôler, dans certaines zones, l’identité de toute personne sans réquisition du procureur de la République 217
Article 25 (art. L. 611-12 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Possibilité pour l’autorité administrative, sous réserve du secret médical, d’obtenir de certaines autorités publiques et personnes privées des éléments d’information permettant une action préventive et effective des manœuvres frauduleuses ou de consulter les données qu’elles détiennent 221
Article 26 (art. L. 622-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Ouverture de voies de recours contre les décisions de destruction et d’immobilisation par neutralisation, prises par le procureur de la République, des véhicules ayant permis, dans des collectivités d’outre-mer, le délit d’entrée irrégulière sur le territoire 228
Article 27 : (art. L. 624-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Clarification des conditions d’application des dispositions pénales en cas de soustraction aux obligations résultant de la mesure d’assignation à résidence 231
Article 28 (art. L 625-1, L. 625-3, L. 625-4, L. 625-5 et L. 625-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Renforcement des sanctions pénales encourues par les transporteurs ne respectant pas leurs obligations en matière de contrôle des documents de voyage 235
Article 28 bis (art. L. 213-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Suppression de la référence au refus d’entrée en France en matière d’obligation de réacheminement des étrangers à la charge des entreprises de transport aérien ou maritime 237
Article 28 ter (art. L. 222-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Précision de l’office du juge des libertés et de la détention pour le maintien en zone d’attente 238
Chapitre IV – Dispositions de coordination 238
Article 29 (art. L. 213-1, L. 511-4, L. 513-3, L. 521-3, L. 523-4, L. 571-1, L. 624-1 et L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art. L. 776-1 et L. 776-2 du code de justice administrative et art. 729-2 du code de procédure pénale) : Dispositions de coordination 238
Article 30 : Dispositions transitoires relatives aux arrêtés de reconduite à la frontière 239
TITRE III – DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER 240
Article 31 (art. L. 311-9-2 et L. 832-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Dispositions relatives à Mayotte 240
Article 32 : Application à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin 242
Article 33 : Habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et les îles Wallis et Futuna 242
Article 34 : Ratification d’ordonnance 243
TITRE IV – DISPOSITIONS FINALES 247
Article 35 : Mesure transitoire relative au contrat d’accueil et d’intégration 247
Article 36 : Entrée en vigueur de la condition relative au niveau de connaissance de la langue française 248
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 249
LISTE DES DÉPLACEMENTS 255
TABLEAU COMPARATIF 259
ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 363
Mesdames, Messieurs,
Il est des domaines dans lesquels la politique est tenue par l’histoire. Il en va ainsi des questions qui touchent aux populations et à leurs droits. La France est une terre d’immigration depuis des siècles. Elle a accueilli naguère des Italiens, des Polonais, des Espagnols, des Portugais. Elle s’enrichit aujourd’hui de multiples apports venus des continents africain, asiatique, amérindien. Cette histoire, l’histoire du peuple français toujours poursuivie mais jamais interrompue, n’a pas vocation à changer à l’heure de la mondialisation des échanges et de la circulation des personnes. Les événements géopolitiques, s’il faut leur prêter attention, ne changent rien à cette trajectoire de long terme.
Face à ces événements, le Gouvernement et la majorité entendent privilégier la raison humaniste sur la crainte instinctive. Le principe de réalité s’impose : les personnes qui aspirent à s’installer en France, qui s’y installent parfois dans l’irrégularité mais aussi le plus souvent dans le calme et le respect de la société, peuvent être un avantage pour la nation. Car les étrangers ne sont pas des abstractions ou des objets de slogans. Ce sont des personnes qui recherchent un avenir meilleur, pour eux et leurs proches. Ce sont des gens qui vivent parmi les Français, qui travaillent parmi les Français, qui se marient parmi les Français.
Trop souvent, des considérations idéologiques ou électoralistes ont présidé aux modifications des lois relatives à l’entrée et au séjour des étrangers dans notre pays. Pendant dix ans, la presse a pu à bon droit s’alarmer de l’accumulation de projets de loi toujours plus restrictifs et sécuritaires, toujours moins efficaces aussi puisque les réalités humaines et géopolitiques ne s’effacent jamais facilement devant les textes d’affichage (1). Dépassant les motivations économiques qui, depuis la Libération, se conciliaient avec la tradition d’ouverture de la France pour produire un droit équilibré, cet activisme législatif a été de plus en plus guidé par la suspicion latente faisant de chaque immigré un délinquant potentiel et un profiteur avéré. Cette dérive s’est nourrie autant qu’elle a alimenté un courant de pensée structuré autour de la stigmatisation de l’immigration qui ne pouvait que prospérer dans un contexte de crise économique et de tension sur le marché de l’emploi.
Quelles ont été les conséquences du durcissement croissant des conditions d’entrée des étrangers sur le territoire français, de l’allongement de la durée des rétentions et de l’approche volontiers restrictive du droit d’asile ? Hormis une polarisation du débat public et l’agitation des mauvais instincts de la société, cet activisme a produit de bien piètres effets qui désolent sans surprendre. La question de l’immigration n’a jamais été réglée ni même simplement considérée comme telle ; les flux de migration ont répondu aux circonstances internationales bien plus qu’aux pétitions de principe médiatiques. Une chose est hélas certaine : cette option s’est traduite par une dégradation de l’image de notre pays dans le monde, le faisant parfois paraître frileux, acariâtre et replié sur lui-même aux yeux de ses partenaires étrangers. L’irruption dans le droit de méthodes pour le moins contestables – qu’on songe aux tests osseux ou génétiques que certains défendent volontiers encore – ont affaibli la voix de la France et terni son rayonnement international. Un paroxysme a été atteint avec la « circulaire Guéant » qui s’évertuait à chasser du sol français des étudiants étrangers parfois très qualifiés, texte à rebours de nos propres intérêts, heureusement abrogé dès 2012 par le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls.
Les dernières années ont délivré un triste héritage : le sentiment diffus que l’étranger, en France et dans le droit français, se réduit à la figure du clandestin, du retenu, de l’éloigné, de l’expulsé. C’est une distorsion aberrante de la réalité. L’immigré peut aussi se présenter dans le respect des règles de droit et des valeurs républicaines : il mérite alors la considération du pays car il va, pour quelques temps ou pour toujours, lier son destin à celui de la nation.
Il y a 6 % d’étrangers en France : cette proportion stable depuis plus d’un siècle. Ces étrangers ne se précipitent pas à la frontière pour capter la richesse nationale : près de la moitié d’entre eux sont venus pour se marier, pour fonder ou rejoindre leur famille.
Vingt mille personnes seulement sont entrées sur le territoire pour des motivations d’ordre professionnel, ce qui fait de la France un des pays les moins accueillants pour l’immigration de travail et qui la prive de talents qui ne demandent qu’à y éclore. La France d’hier a accueilli sur son sol Alexandre Yersin et l’identification du bacille de la peste, Marie Curie et la découverte de la radioactivité. Par quel reflexe mortifère en viendrait-elle à chasser au loin leurs équivalents contemporains après leur avoir imposé des démarches administratives innombrables et une rigueur d’analyse confinant au rigorisme ?
Dans l’une des plus vieilles terres d’immigration d’Europe, l’histoire montre l’intérêt et la capacité à recevoir et à amalgamer les populations les plus diverses. Sans évoquer la tradition de la monarchie français qui octroyait les droits et devoirs de sujet du roi à tout étranger établi sur le sol du royaume, sans mentionner davantage l’ouverture dont faisait preuve la Première République en délivrant la citoyenneté française à tous les grands hommes du temps qui avaient servi la cause de la liberté, sans s’attarder sur la contribution de l’immigration à la construction et à la reconstruction de la puissance française au cours des deux derniers siècles, il convient de restaurer l’héritage et de retrouver les vertus d’une politique équilibrée. Si, comme l’écrivait Jean-Paul Sartre, « l’immigré est d’abord un homme que les autres tiennent pour immigré », le retour de la loi à une conciliation entre bienveillance de l’accueil et fermeté de la décision publique devrait donner l’exemple pour une meilleure intégration dans la société française.
L’entrée et le séjour sur le territoire doivent faire l’objet d’un régime juridique intelligent, débarrassé des contraintes inutiles qui entravent la liberté de circulation, respectueux des droits des personnes et des familles et soucieux de l’intérêt national. La politique d’immigration est un outil d’intégration des personnes durablement installées sur notre sol et de stabilisation des étrangers y résidant temporairement, mais aussi un instrument de soutien au codéveloppement et au rayonnement de notre diplomatie.
Le Gouvernement est conscient des chances qu’offre l’immigration sans pour autant nier les difficultés dont elle peut être source. Il est temps que la raison et la réflexion succèdent aux passions et à la communication. Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, ni angélique ni anxiogène, se fonde en vérité sur les quatre vertus cardinales : justice, prudence, force d’âme et tempérance.
Le projet de loi fait preuve de justice parce qu’il considère l’étranger pour ce qu’il est, à savoir un être humain et non une statistique, une menace ou un nuisible. Un être humain a le droit de vivre sa vie familiale et de préserver sa santé. Un être humain doit être apprécié en fonction de ses qualités, de ses mérites et de ses efforts pour contribuer à enrichir l’économie et la société françaises, pour acquérir la langue française, pour faire siennes les valeurs de la République française. Un être humain peut réussir son intégration comme il peut échouer à comprendre ce qui fait la France : la justice consiste à tirer des conséquences particulières des comportements de chacun, non à prétendre que l’immigré en tant que tel est ontologiquement incapable de se fondre parmi les citoyens.
Le projet de loi fait preuve de prudence car il dote l’administration des outils nécessaires pour veiller à la bonne intégration des personnes étrangères. Dans un monde où les périls sont nombreux et où le terrorisme frappe plus souvent qu’à son tour, des instruments de contrôle garantissent la sécurité des Français sans nier les droits des étrangers. Ainsi, ouvrir une porte n’équivaut pas à abattre les murs de la maison commune : migrer vers la France et s’y établir ne sont pas des droits, ce sont des chances dont tous ne peuvent raisonnablement bénéficier. Il revient à l’autorité administrative, au ministre de l’Intérieur et aux services préfectoraux de déterminer qui remplit les critères définis par la loi, puis de vérifier que le respect de ses exigences ne donne lieu ni à fraude ni à abus manifeste.
Le projet de loi fait preuve de force d’âme dès lors qu’il réaffirme le droit de la nation au respect de ses choix. L’accueil des étrangers sur le territoire n’emporte pas obligation de laisser s’installer ceux dont, pour des raisons juridiques, économiques ou sécuritaires, l’État estime qu’ils n’y ont pas leur place. Il ne faut pas confondre l’étranger ayant un droit au séjour et celui qui en est dénué ; il faut également différencier les traitements dont relève la personne en situation administrative irrégulière de ceux applicables à l’individu délinquant ou criminel. Les procédures d’éloignement sont la condition nécessaire à la bonne implémentation du droit, à la valeur opposable des dispositifs d’accueil édictés par le législateur.
Le projet de loi fait preuve de tempérance en ce qu’il prévoit un recours modéré à l’usage de la contrainte. Celle-ci ne doit s’employer qu’en cas de nécessité ; les restrictions apportées aux libertés fondamentales sont limitées par une stricte proportionnalité. Par exemple, si le placement en rétention demeure parmi les instruments dont dispose l’administration, c’est au rang d’exception et non de règle de droit commun. L’assignation à résidence, moins contraignante pour l’étranger et moins coûteuse pour les finances publiques, est privilégiée. Les mineurs et les familles ne sont retenus qu’en dernier recours. Le juge judiciaire, gardien des libertés, doit s’opposer au plus tôt aux diligences excessives – ce point sera précisé plus avant à l’occasion de l’examen en séance publique. Enfin, les spécificités des territoires ultramarins font obstacle à une application uniforme et jacobine de la loi : diverses dérogations sont prévues pour en tenir compte.
Par son vote favorable, la commission des Lois s’est réjouie d’adopter un projet de loi qui vient clore une décennie peu glorieuse de l’histoire du droit français. En faisant à nouveau des étrangers des femmes et des hommes plutôt que des statistiques, au mieux, et des indésirables, au pire, la République redevient fidèle à la France : un pays suffisamment confiant en ses forces et conscient de ses besoins décide une politique conforme à ses valeurs et à ses intérêts ; il ne se soumet pas à la peur de l’autre et au doute de soi.
C’est ce changement que l’Assemblée nationale sera appelée à valider en séance publique.
L’immigration désigne l’entrée dans un pays de personnes étrangères dans l’intention d’y séjourner ou de s’y installer. L’étranger est la personne n’ayant pas la nationalité française sur le territoire français (2). Depuis 1850, la France a connu trois épisodes significatifs d’immigration.
La première vague, due à un important besoin de main-d’œuvre, débute avec la Révolution industrielle et le Second Empire. Alors que cette période voit un triplement de la population de l’Europe, l’achèvement précoce de la transition démographique française confronte le pays à une natalité déficitaire. Les États voisins deviennent ses principaux fournisseurs de main-d’œuvre : les immigrés sont alors belges, piémontais, suisses, espagnols et italiens. Le XIXe siècle connaît aussi la venue d’immigrants Juifs qui fuient l’oppression et les pogroms d’Europe de l’Est.
Le deuxième mouvement d’immigration s’étend de la fin de la Grande Guerre à la veille du second conflit mondial. En 1914, la France compte sur son sol 420 000 Italiens, 287 000 Belges, 105 000 Espagnols, 102 000 Allemands et 72 000 Suisses (3). La Première Guerre mondiale est marquée par la mobilisation par le ministère de l’Armement de travailleurs nord-africains, chinois et indochinois. Le 2 avril 1917, un décret institue pour la première fois une carte de séjour pour les étrangers de plus de quinze ans résidant en France. Les pertes humaines de la guerre sont compensées par un recours sans précédent à l’immigration pour la nécessaire reconstruction du pays : la France accueille des étrangers venus travailler ainsi que des réfugiés politiques arméniens, russes « blancs », italiens, allemands et espagnols chassés par la montée des totalitarismes dans leur pays d’origine. En 1931, 5,9 % de la population totale résidant sur le territoire sont des étrangers, soit 2 890 000 personnes. Entre 1921 et 1939, près d’un million d’entre eux sont naturalisés (4). Pourtant, la Grande Dépression a poussé la France à prendre des dispositions pour ralentir le flux des travailleurs immigrés. La loi du 10 août 1932 protégeant la main-d’œuvre nationale accorde une priorité à l’ouvrier français en instaurant des quotas d’étrangers dans les entreprises. Quant au régime de Vichy, il prend deux textes de sinistre mémoire – l’un du 4 octobre 1940 relatif aux ressortissants étrangers de race juive et l’autre du 27 septembre 1940 sur les étrangers en surnombre dans l’économie nationale – qui soumettent les étrangers à une surveillance étroite, les privent du droit de circuler sur le territoire et les excluent de la législation du travail.
La troisième période d’immigration commence à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Elle est caractérisée par une immigration de regroupement familial. Le 2 novembre 1945, l’ordonnance n° 45-2658 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et portant création de l’Office national d’immigration confère à l’État le contrôle de l’entrée de main-d’œuvre étrangère dans le pays. Des cartes de séjour d’un an, trois ans et dix ans sont instaurées. Peu de temps auparavant, l’ordonnance n° 45-2447 du 19 octobre 1945 avait été prise, portant code de la nationalité française.
La décolonisation et l’entrée en vigueur du traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne, qui proclamait le principe de libre circulation, ont eu pour conséquence une accélération de l’immigration. Les politiques publiques en la matière varient depuis en fonction de la conjoncture économique, mais elles dépendent également de la majorité politique aux affaires. Lorsqu’elles furent en situation de décision, les forces de gauche se sont toujours attachées à la défense des droits des personnes et à l’encadrement des procédures ; les partis de droite ont pour leur part tenté de limiter les flux migratoires et de multiplier les sanctions dont sont passibles les clandestins. Les principaux textes sont ainsi :
– le décret n° 76-383 du 29 avril 1976 relatif aux conditions d’entrée et de séjour en France des membres de familles des étrangers autorisés à résider en France a légalisé sous condition le regroupement familial ;
– la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France a introduit une série de garanties nouvelles pour les immigrés : leur expulsion ne peut être prononcée qu’à la suite d’une condamnation à une peine au moins égale à un an de prison ferme ; les garanties de procédure dont ils bénéficient sont accrues ; la reconduite à la frontière fait suite à un jugement judiciaire et non à un acte administratif unilatéral ; les étrangers mineurs ne peuvent faire l’objet d’un éloignement. Ceux qui ont des attaches personnelles et familiales en France ne peuvent être expulsés qu’en cas d’urgence absolue, lorsque la mesure constitue « une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou pour la sécurité publique » ;
– la loi n° 84-622 du 17 juillet 1984, portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 et du code du travail et relative aux étrangers séjournant en France et aux titres uniques de séjour et de travail, est votée à l’unanimité. Elle reconnaît le caractère durable de l’installation en France et dissocie le droit au séjour de l’occupation d’un emploi ;
– la loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, dite « loi Pasqua », confie à nouveau aux préfets le pouvoir de prononcer la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Elle rétablit le régime de l’expulsion tel qu’il existait antérieurement à la loi du 29 octobre 1981 ; la liste des étrangers qui obtiennent de plein droit une carte de résident et celle des étrangers protégés contre les mesures d’éloignement sont restreintes ;
– la convention du 19 juin 1990 d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 portant suppression graduelle des contrôles aux frontières intérieures prévoit des obligations et des sanctions applicables aux transporteurs acheminant des étrangers en France ;
– la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, dite « loi RESEDA » ou « loi Chevènement », redéfinit les conditions du regroupement familial, supprime la condition d’entrée régulière pour l’attribution de la carte de résident et met fin au régime de la rétention judiciaire ;
– la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a notamment porté de 12 jours à 32 jours la durée maximale de la rétention administrative. Elle a également établi un fichier d’empreintes digitales et de photos à partir des demandes de visa. Le délit de mariage de complaisance est institué ;
– la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration a durci les conditions du regroupement familial et supprimé les régularisations automatiques après dix années de vie en France. Elle a conditionné l’octroi d’une carte de résident de dix ans au niveau de maîtrise de la langue française ;
– la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, dite « loi Hortefeux » concerne principalement l’immigration familiale, mais elle est surtout connue pour avoir un temps envisagé de réaliser des tests ADN pour les ressortissants de pays dont l’état civil accuse des carences ;
– la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dite « loi Besson (5) », durcit les conditions de maintien sur le territoire et d’obtention de la nationalité française ;
– la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, est l’un des premiers textes votés par l’actuelle majorité : il abroge notamment le délit de séjour irrégulier et affirme définitivement que l’étranger en situation irrégulière doit faire l’objet de mesures administratives, non d’une répression pénale.
Comme le rappelait le président de la République M. François Hollande le 15 décembre dernier lors de l’inauguration du musée national de l’histoire de l’immigration, la France accueille, depuis dix ans, environ 200 000 personnes par an soit 0,3 % de la population. Cette proportion compte parmi les plus faibles d’Europe.
Depuis 2003, les ressortissants de l’Union européenne ainsi que des pays de l’Espace économique européen et de la Confédération suisse ne sont plus soumis à l’obligation de détenir un titre de séjour pour séjourner et travailler en France (6). Ils conservent cependant le droit, s’ils en font la demande, d’en être munis (7). Seules les données sur les ressortissants de pays tiers constituent par conséquent des données significatives (8).
LA DÉLIVRANCE DES PREMIERS TITRES DE SÉJOUR (9)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 (provisoire) |
2014 (estimée) |
Évolution 2013-2014 |
183 893 |
194 401 |
196 507 |
193.031 |
193 120 |
203 996 |
207 870 |
+ 1,9 % |
Source : AGDREF / DSEF
Le nombre de premiers titres de séjour délivrés, stable depuis 2003, a légèrement augmenté en 2013. Au 31 décembre 2013, 2 600 000 ressortissants de pays tiers étaient détenteurs d’un titre de séjour. La primo-délivrance de titres progresse légèrement en 2014 : cette hausse est principalement due à l’augmentation des admissions pour motifs économique et humanitaire. En effet, entre 2013 et 2014, cette catégorie a connu une progression de 16,8 %, passant de 17 425 à 20 360 titres délivrés.
De manière constante, quatre nationalités sont particulièrement représentées parmi les octrois de séjour décidés par l’autorité administrative. Il s’agit des personnes originaires des trois pays du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie) et de Turquie.
TITRES ET AUTORISATIONS PROVISOIRES DE SÉJOUR EN COURS DE VALIDITÉ PAR NATIONALITÉ (PAYS TIERS)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
Algérie |
587 880 |
584 350 |
578 109 |
562 545 |
571 469 |
579 607 |
Maroc |
476 699 |
465 923 |
463 157 |
470 528 |
476 224 |
483 817 |
Turquie |
192 981 |
191 647 |
191 041 |
193 244 |
196 028 |
199 550 |
Tunisie |
176 888 |
174 836 |
177 184 |
185 067 |
190 864 |
197 401 |
Chine (Hong-Kong inclus |
73 126 |
72 476 |
77 412 |
88 205 |
92 986 |
98 245 |
Mali |
54 777 |
57 808 |
61 322 |
64 806 |
67 532 |
71 472 |
Sénégal |
54 854 |
54 409 |
55 539 |
59 045 |
61 117 |
63 586 |
République démocratique du Congo |
44 099 |
45 219 |
47 235 |
50 237 |
54 241 |
58 058 |
Cameroun |
38 892 |
36 654 |
40 990 |
43 317 |
45 223 |
47 007 |
Côte d’Ivoire |
37 749 |
38 137 |
38 803 |
42 063 |
44 104 |
46 081 |
73,2 % |
73,4 % |
72,8 % |
71,7 % |
71,3 % |
70,8 % | |
TOTAL |
2 373 120 |
2 350 882 |
2 377 377 |
2 454 057 |
2 523 310 |
2 606 724 |
Source : AGDREF / DSED et Insee, recensement 2009, exploitation complémentaire (champ : étrangers hors EEE de 18 ans ou plus, France métropolitaine).
Une partie des immigrés résidant en France demande chaque année l’obtention de la nationalité française par naturalisation. Celle-ci s’effectue par décret dans le respect des conditions mentionnées aux articles 21-15 à 21-27 du code civil (10). La naturalisation n’est pas un droit : elle est soumise à la décision discrétionnaire de l’administration, qui peut la refuser même si les conditions sont réunies. Si le demandeur doit être majeur, la naturalisation peut être accordée à l’enfant mineur resté étranger bien que l’un de ses parents soit devenu français, s’il justifie avoir résidé avec lui en France durant les cinq années précédant le dépôt de la demande.
ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE PAR NATURALISATION DEPUIS 2000
2000 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
Naturalisations |
68 750 |
89 100 |
77 655 |
62 372 |
82 477 |
82 832 |
87 033 |
61 434 |
43 067 |
49 757 |
Source : ministère de l’Intérieur, janvier 2015.
Comme le soulignait le ministre de l’Intérieur dans le rapport du Gouvernement sur la situation des étrangers en France en 2013, les naturalisations, à la suite de circulaires du 16 octobre 2012 et du 21 juin 2013, se stabilisent après deux années de baisse marquée consécutives. Si leur nombre demeure en retrait par rapport au haut niveau atteint en 2010, cette inflexion signifie que la France renoue avec l’originalité de son message républicain, en permettant à nouveau aux étrangers qui réussissent leur parcours d’intégration de devenir français. Le taux de réponse favorable des préfectures n’était que de 40 % au début de l’année 2012 ; il a atteint 62 % courant 2013. Les services du ministère ont donc appliqué les nouvelles orientations, plus ouvertes, tracées par le Gouvernement.
L’étranger dépourvu de titre de séjour valable est en situation irrégulière.
Depuis 2014, la forte hausse des entrées dans l’espace Schengen de migrants en provenance de la corne de l’Afrique, de Libye et de Syrie, via l’Italie et la Grèce – 220 000 migrants en 2014 et 100 000 supplémentaires entre janvier et juin 2015 – constitue un défi pour l’Europe (11).
En 2013, le nombre d’étrangers dépourvus de titre de séjour reconduits hors de l’Union Européenne a connu une augmentation de 13 % (12). En 2014, les sorties comptabilisées sont en légère hausse, passant de 27 081 l’année précédente à 27 606. Les retours contraints de ressortissants de pays tiers connaissent une augmentation de 40 % : ils sont les plus représentatifs de l’action des forces de l’ordre et des services des préfectures dans la lutte contre l’immigration irrégulière. En revanche, les éloignements aidés sont en diminution (–18,6 %) en conséquence de la réforme des aides au retour décidée en 2013 face au constat de l’inefficacité du dispositif antérieur (13).
En 2013, le nombre de filières d’immigration illégale démantelées a augmenté de 14 %. Les chiffres de 2014 confirment cette tendance, témoignant de l’activité des services d’investigation.
La hausse des flux migratoires a entraîné un développement préoccupant de campements illicites, indignes et inacceptables, pour les migrants eux-mêmes comme pour le reste de la population. Cette situation révèle les limites des dispositifs d’asile et d’hébergement d’urgence. Si une part substantielle de ces migrants cherche à rejoindre l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et la Suisse, qui connaissent une hausse spectaculaire des demandes d’asile, un nombre significatif d’entre eux cherche à gagner le Royaume-Uni et reste bloqué à Calais. En effet, Londres n’est pas partie aux accords de Schengen de sorte que les migrants en transit sont confrontés à l’impossibilité de franchir la frontière franco-britannique.
Si la situation est ancienne, elle s’est fortement dégradée depuis mars 2014. Le nombre de migrants en situation irrégulière dans le Calaisis a quintuplé depuis cette date, passant de 400 à 2 200 personnes. Il représente plus de deux fois celui constaté au moment du démantèlement de la « jungle (14) », en 2009, et les difficultés excèdent celles provoquées par la fermeture du centre de Sangatte en 2003. Deux opérations de démantèlement ont été organisées en mai et juillet 2014 pour faire face à l’urgence de la situation, jugée difficilement supportable par les Calaisiens. La situation tend à s’aggraver de jour en jour et le nombre de migrants à Calais pourrait encore augmenter dans la mesure où beaucoup sont actuellement retenus en Italie et tenteront dès que possible de rejoindre le Royaume-Uni (15).
La difficulté de régulation des flux migratoires appelle donc non seulement à apporter des éléments de réponse au niveau national, mais aussi à développer une concertation à l’échelle européenne et internationale.
Afin de supprimer les contrôles systématiques aux frontières intérieures, un espace de libre circulation des personnes a été mis en place par les États parties à l’accord de Schengen signé le 14 juin 1985.
La convention d’application de l’accord, conclue le 19 juin 1990, a permis de créer une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d’entrée dans l’espace Schengen selon des procédures identiques. Un État ne peut, en effet, rétablir les contrôles qu’en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale, pour six mois maximum ou deux ans en cas de circonstances exceptionnelles, et après consultation des autres États. Depuis le 1er juillet 2013, cet espace comprend vingt-deux États membres de l’Union européenne (16) ainsi que l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse, soit plus de 400 millions d’habitants.
Selon une étude Eurobaromètre réalisée à l’autonome 2013 (17), 57 % des Européens jugent que la libre circulation est le premier des résultats positifs produits par l’intégration européenne. C’est un acquis auquel Européens et Français sont attachés.
Les États signataires de l’accord Schengen s’accordent également pour une harmonisation des contrôles aux frontières extérieures afin de répondre aux défis posés par l’immigration. Le travail de l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, dite Frontex (18) s’inscrit dans ce deuxième volet. Ses tâches essentielles consistent à :
– produire des analyses du risque migratoire irrégulier ;
– coordonner la coopération opérationnelle entre les pays ;
– apporter une assistance aux États membres pour la formation des garde-frontières nationaux ;
– centraliser les données de surveillance communiquées par les États membres.
Dans le but d’améliorer la gestion intégrée des frontières, de prévenir l’immigration illégale et de lutter contre la criminalité transfrontalière, l’Union européenne a créé le système européen de surveillance des frontières (Eurosur) géré par Frontex. Il est devenu opérationnel, dès le 2 décembre 2013, dans dix-neuf États membres de l’Espace Schengen situés aux frontières extérieures méridionale et orientale. Il introduit un mécanisme permettant aux agences de surveillance des frontières d’échanger rapidement des informations et de travailler en étroite collaboration.
Les Gouvernements européens ont la volonté de s’appuyer sur Frontex pour permettre à l’espace Schengen de répondre aux nouveaux défis posés notamment par la situation politique en Méditerranée.
Le développement des conflits en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient, ainsi que les mouvements de protestation des « Printemps arabes », ont multiplié les flux migratoires. Si les personnes concernées se dirigent pour leur grande majorité vers les pays voisins – le Liban, la Jordanie, la Tunisie accueillent bien plus de réfugiés que les nations d’Europe –, une partie traverse la Méditerranée pour rallier l’espace européen. En septembre 2014, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) dénombrait, sur neuf mois, près de 130 000 migrants arrivant sur les côtes méditerranéennes, soit deux fois plus qu’en 2013 sur l’année complète.
En novembre 2014, le directeur exécutif de Frontex dressait un tableau très sombre de la situation devant la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale. « D’une façon générale, l’année 2014 connaît une augmentation spectaculaire en matière de franchissement irrégulier des frontières par rapport à 2013 : ce phénomène est en effet 2,5 fois plus important qu’au cours de la période précédente. De janvier à octobre de cette année, les États membres ont détecté 229 073 franchissements irréguliers, contre 107 365 pour l’ensemble de l’année 2013. Autrement dit, nous sommes face à une augmentation de l’ordre de 113 %. Le niveau d’ores et déjà atteint se situe bien au-dessus du total de 2011, année qui avait connu un record du fait du Printemps arabe. Nous constatons pour le moment une augmentation de 60 % par rapport à 2011, année au cours de laquelle les détections étaient de l’ordre de 141 000. Le nombre total de franchissements irréguliers devrait avoisiner 250 000 cette année. […] On notera que certaines voies ont connu une baisse des flux migratoires tandis que d’autres ont connu une très forte hausse. La Méditerranée centrale a connu 153 603 détections entre janvier et octobre 2014, soit une augmentation de 272 % par rapport à la même période en 2013. En octobre, la baisse des flux migratoires en Méditerranée centrale et Méditerranée orientale est vraisemblablement due aux conditions météorologiques. Au cours de l’automne, un grand nombre de Kosovars ont franchi irrégulièrement la frontière et demandé l’asile une fois qu’ils ont été détectés ou lorsqu’ils ont atteint leur destination finale (19). »
Source : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
L’usage d’embarcations de fortune a entraîné des situations dramatiques telles que le naufrage d’un bateau au large de Lampedusa le 3 octobre 2013, entraînant la mort de près de 400 migrants ou, en avril 2015, celui d’un chalutier au large de la Libye causant la mort de plus de 800 personnes.
Depuis le début de l’année 2015, l’ONU estime que 35 000 migrants ont tenté de traverser la mer Méditerranée pour fuir la pauvreté, la misère, les violences et les guerres. La plupart d’entre eux sont partis des côtes libyennes. Face à l’aggravation de la crise migratoire en Méditerranée, le ministre de l’Intérieur M. Bernard Cazeneuve a rappelé la nécessité de travailler au sein de l’Union européenne pour diminuer, en amont, les flux migratoires irréguliers et pour renforcer la lutte contre les filières criminelles. Sur ces aspects, une coopération étroite avec les pays d’origine et de transit revêt un aspect crucial.
Source : L’Agence des Nations unies pour les réfugiés
C’est ainsi que le ministre de l’Intérieur a indiqué à la commission des Lois avoir entamé une tournée des capitales européennes pour défendre la perspective d’une politique globale et forte au sein de l’Union européenne. L’approche plaidée par la France établit une distinction, dès le franchissement des frontières extérieures de l’Union européenne par les migrants, entre ceux qui relèvent du statut de réfugié et ceux qui se trouvent en immigration irrégulière. La Commission européenne a repris cette solution en proposant la mise en place de points de contact d’urgence (hotspots) en Italie et en Grèce ; ces deux pays ont accepté le principe, même si les discussions sur les modalités continuent, d’un soutien de Frontex pour le traitement rapide des demandes d’asile. . Cette mesure est indispensable pour tarir le flux de l’immigration irrégulière en Europe et organiser les reconduites dans les pays de provenance, dans la mesure où 70 % des migrants qui transitent par la bande sahélo-saharienne relèvent de l’immigration économique irrégulière.
Active à terre, l’Union européenne est également présente sur mer. L’opération Triton, lancée le 1er novembre 2014 et menée par l’agence Frontex, a succédé à l’opération italienne Mare Nostrum qui faisait face depuis 2013 à l’afflux de migrants par voie maritime. Huit pays participent au déploiement en mettant à disposition du matériel technique et des gardes-frontières (20).
Les territoires ultramarins présentent, en raison de leur prospérité relative au regard de leur environnement régional, une attractivité migratoire très importante (21). La situation est toutefois hétérogène selon les territoires.
Les spécificités géographiques de Mayotte et de la Guyane, notamment leur forte proximité avec des pays au niveau de vie inférieur (22), y rendent la pression migratoire exceptionnellement élevée et la mise en œuvre de toute politique de contrôle de l’immigration difficile. Leur situation est sans équivalent sur toute autre partie du territoire de la République. Ainsi, sur 23 978 éloignements effectués outre-mer en 2012, 13 001 ont été réalisés depuis Mayotte et 9 757 l’ont été depuis la Guyane.
La Guyane est le seul territoire d’un État membre de l’Union européenne qui partage une frontière terrestre avec les États d’Amérique du Sud. Elle représente ainsi un territoire d’attractivité économique pour les populations des États du Brésil, du Suriname et du Guyana. Ces flux migratoires se traduisent par :
– une proportion de ressortissants étrangers dans la population totale (250 personnes) beaucoup plus forte qu’en métropole et dans les autres départements d’outre-mer. Ainsi, au 31 décembre 2013, le nombre d’étrangers en situation régulière dépassait 38 000 personnes et on estimait le nombre d’immigrés illégaux entre 30 000 et 60 000 individus ;
– des admissions annuelles au séjour beaucoup plus nombreuses. À titre d’exemple, la Guyane recueille plus de 50 % des premières demandes d’asile déposées outre-mer ;
– des éloignements d’étrangers en situation irrégulière en nombre plus important, comme le montre le tableau ci-dessous.
NOMBRE D’ÉLOIGNEMENTS EFFECTUÉS EN GUYANE
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
Évolution 2010-2012 |
Évolution 2005-2012 |
5 942 |
8 145 |
9 031 |
8 085 |
9 066 |
9 458 |
9 410 |
9 757 |
6 824 |
–30,06 % |
+14,84 |
Source : MI/DCPAF, données actualisées au 16 octobre 2014
Votre rapporteur s’est rendu à Mayotte entre le 16 et le 18 juin 2015 afin d’évaluer l’adéquation du droit métropolitain des étrangers à la réalité locale.
Département d’outre-mer depuis la loi du 11 juillet 2011 conformément au souhait exprimé par la population lors du référendum du 29 mars 2009, Mayotte demeure un territoire caractérisé par des réalités locales très particulières. L’application du droit commun n’y est envisageable que sous réserve d’importantes adaptations. Dans le domaine du droit des étrangers, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est adapté par l’ordonnance n° 2014-64 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à Mayotte du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dont la ratification est prévue à l’article 34 du présent projet de loi.
i. L’immigration clandestine
L’immigration vers Mayotte provient majoritairement d’un pays, l’Union des Comores, composé de trois îles dont la plus proche, Anjouan, se trouve à environ 70 kilomètres de distance. La plupart des immigrants sont donc comoriens mais une minorité croissante d’environ 10 % d’entre eux provient du continent africain (Mozambique et Tanzanie notamment), parmi lesquels se trouvent la plupart des demandeurs d’asile.
Rapportée à la population du département, la pression migratoire est sans commune mesure avec l’immigration que connaît la métropole. Le nombre de résidents en situation légale à Mayotte s’élevait à 212 645 personnes en 2012 (23). La population étrangère en situation irrégulière n’a pu être quantifiée que de façon approximative : elle semble au moins équivalente au tiers du chiffre précédent et pourrait être beaucoup plus importante (24). Aucune donnée fiable n’est cependant disponible.
Des statistiques existent concernant les interceptions d’immigrants clandestins. Le nombre de reconduites à la frontière s’élevait en 2014 à 19 991 selon la préfecture contre 15 723 en 2013, la tendance étant à l’augmentation ces dix dernières années.
NOMBRE D’ÉLOIGNEMENTS EFFECTUÉS À MAYOTTE
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
Évolution 2010-2012 |
Évolution 2005-2012 |
7 714 |
13 253 |
13 990 |
13 329 |
16 726 |
20 429 |
16 374 |
13 001 |
- 36,36 % |
+ 68,53 % |
Source : MI/DCPAF, données actualisées au 16 octobre 2014
En 2014, 62 % des reconduites résultaient d’interceptions réalisées en mer. Environ 5 000 mineurs auraient fait l’objet de reconduites selon la préfecture, mais il est souvent impossible de déterminer l’âge d’une personne éloignée. En 2014, ce sont donc cinquante reconduites par jour qui ont eu lieu pour quarante-trois en 2013. Un tel volume est difficile à gérer compte tenu des capacités d’hébergement et de traitement des dossiers dont dispose l’administration locale.
L’augmentation observée entre 2013 et 2014 est difficile à interpréter puisqu’elle peut aussi bien résulter d’une augmentation de la pression migratoire que d’une amélioration des capacités d’interception de la police aux frontières et de la gendarmerie. Le nombre de personnes parvenant à Mayotte sans être interceptées est en effet, par définition, très difficile à estimer.
Du côté comorien, les filières d’immigration clandestine prennent une forme très organisée sur l’île d’Anjouan, la plus proche de Mayotte. Les chefs de ces filières utilisent des embarcations de fortune connues sous le nom de « kwassa kwassa », susceptibles de faire naufrage pendant le trajet et conçues pour être rentabilisées en un ou deux voyages. Le prix d’un trajet en « kwassa kwassa » d’Anjouan vers Mayotte varie de 300 euros, soit plusieurs fois le salaire mensuel moyen d’un fonctionnaire comorien, à des sommes plus importantes selon le nombre de passagers. La vente de trajets vers Mayotte s’effectue au grand jour à Anjouan, le gouvernement comorien se montrant réticent à coopérer avec la France et ne reconnaissant pas la souveraineté française sur l’île. Aucun accord de réadmission n’existe entre la France et les Comores, ce qui a conduit la préfecture à solliciter les services d’un transporteur privé pour les rapatriements, plaçant les personnes concernées hors de la juridiction française dès leur départ du port de Mamoudzou.
Si les passeurs font leur possible pour éviter d’être repérés par les patrouilles françaises, les horaires d’arrivée semblent être connus d’une partie de la population mahoraise. Ainsi, les naufrages de « kwassa kwassa » sont généralement signalés aux autorités par des habitants qui donnent l’alerte à la gendarmerie lorsqu’ils ne voient pas arriver un de leur proche à l’heure prévue.
La cinquantaine de reconduites à la frontière effectuées chaque jour résulte soit d’arrestations à terre conduites par la police, souvent à l’occasion de contrôles d’identité, soit d’interceptions menées en mer par la gendarmerie ou la police aux frontières, qui disposent de cinq navires d’interception et d’un hélicoptère. Les procédures d’éloignement sont exécutées très rapidement, la reconduite ayant lieu en moyenne 17 heures après l’arrestation.
Ce délai très court doit être mis en perspective avec la surpopulation du centre de rétention administrative de Mamoudzou. Les conditions d’hébergement devraient toutefois être améliorées par la mise en service prochaine de nouvelles installations dont la construction est terminée et dont la capacité d’accueil est de 148 personnes. De fait, il est difficile d’imaginer l’application à Mayotte du principe du « jour franc » qui obligerait l’administration à héberger chaque retenu 24 heures de plus – soit davantage que la durée moyenne du séjour au centre.
Quels que soient les efforts entrepris pour faire face à l’immigration illégale à Mayotte, le volume de cette immigration rend impossible le traitement de chaque cas individuel avec la même attention qu’en métropole malgré une collaboration très satisfaisante entre la préfecture et certaines associations (25). Tant que perdure cette situation, les exceptions prévues par l’ordonnance du 7 mai 2014 demeurent nécessaires pour éviter l’engorgement des services préfectoraux, policiers et juridictionnels. Les référés-liberté sont dénués de caractère suspensif ; leur traitement, effectué par visioconférence depuis le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion, n’est pas réalisé dans les meilleures conditions (26).
ii. Particularités de l’immigration clandestine à Mayotte
La comparaison entre les situations de Mayotte et de la métropole est trompeuse : la première répond à une problématique locale tenant au lien historique entre Mayotte et l’Union des Comores, territoires qui n’ont été séparés que récemment et entre lesquels les liens demeurent forts. L’immigration clandestine à Mayotte n’est, pour une large part, que le prolongement de la circulation qui a toujours eu lieu entre îles voisines dont les habitants sont unis par une histoire et une langue communes. Un habitant des Comores peut chercher à se rendre à Mayotte, de façon ponctuelle, pour des raisons ne relevant pas de l’immigration et préférer emprunter une filière illégale plutôt que la voie légale, cette dernière impliquant depuis 1995 l’obtention d’un visa selon une procédure fastidieuse. Il n’est pas rare qu’une personne se livre volontairement à la police française afin d’être expulsée vers Anjouan, bénéficiant ainsi d’un trajet gratuit pour le retour.
La proximité culturelle et historique entre les deux populations n’entraîne cependant pas une solidarité absolue. Les relations entre les populations de l’archipel sont historiquement complexes. Mayotte et les autres îles ont vécu sous des sultanats distincts avant d’être placées sous souveraineté française à des dates différentes (27) et le choix mahorais de demeurer français lors du référendum du 8 février 1976 indiquait une volonté d’échapper à ce qui avait longtemps été perçu comme une domination de la part du reste de l’archipel. En tout état de cause, après quarante ans d’indépendance des Comores, l’écart économique entre les deux ensembles est élevé. Le processus de départementalisation de Mayotte, malgré les difficultés qu’il rencontre, creuse encore l’écart économique, social et culturel entre les populations. Si cette différence contribue certainement à la pression migratoire, elle engendre nécessairement une certaine réticence de la part de la population mahoraise. L’immigration est perçue, selon la préfecture, comme un poids supplémentaire qui pèse sur l’île.
De cette situation découle ce que plusieurs personnes rencontrées par votre rapporteur, aussi bien au sein de l’administration que parmi les élus locaux, ont décrit comme un « double discours » de la part de la population mahoraise, à la fois proche des migrants comoriens et inquiète de ce que toute mesure prise en leur faveur le soit à son détriment.
iii. Conséquences sociales et sanitaires pour Mayotte
Même si la population totale de l’île, comprenant les personnes en situation irrégulière, n’a pu être estimée que de façon approximative, le paysage urbain témoigne d’une croissance rapide et mal maîtrisée, avec notamment une poussée continue des bidonvilles à Kawéni, sur les hauteurs de Mamoudzou. Ces habitations, qui s’étendent près du sommet des collines surplombant le chef-lieu, présentent des risques sanitaires et sécuritaires importants. Plusieurs incendies s’y sont déclarés ; les interventions de la police et des pompiers y sont extrêmement difficiles.
Le cas particulier des enfants présente un caractère particulièrement inquiétant. Dans un département où la moitié de la population est âgée de moins de vingt ans, le nombre de mineurs en situation irrégulière ne peut être qu’élevé. Plus grave, ces mineurs sont fréquemment seuls, notamment lorsque leurs parents en situation irrégulière, arrêtés par la police et éloignés, ne signalent pas leur existence. Ce cas de figure est fréquent d’après plusieurs interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur. Le problème posé par cette population jeune en déshérence est considérable. La faiblesse de l’aide sociale à l’enfance, la quasi-impossibilité de « rattacher » administrativement la plupart de ces mineurs à un adulte et l’absence d’information sur leurs liens familiaux rendent pratiquement impossible une prise en charge adéquate. À court terme, la scolarisation est rendue difficile par l’ignorance de leur nombre : les effectifs des classes doivent souvent être révisés lors de la rentrée scolaire, provoquant des incidents avec les familles des enfants en situation régulière. À plus long terme, c’est l’augmentation de la petite délinquance qui pourrait poser un grave problème dans l’ensemble du territoire.
La plus grande partie de la population en situation irrégulière se concentre à Mamoudzou et dans ses alentours. La police nationale, avec 217 fonctionnaires, dispose de moyens limités pour maintenir l’ordre dans une ville où le paysage urbain est dans un état très variable, où l’éclairage public est quasiment inexistant.
L’immigration illégale pose également un problème sanitaire important. La recherche d’une prise en charge médicale indisponible aux Comores est un motif fréquent d’immigration illégale, ce qui crée une contrainte supplémentaire pour les services de l’État à Mayotte. En premier lieu, le voyage d’Anjouan peut aggraver l’état des malades dont certains décèdent en mer. Les opérations d’interception et le transfert vers Mayotte sont également plus délicats dès lors que des personnes nécessitant une prise en charge sanitaire se trouvent à bord. En second lieu, beaucoup de femmes enceintes se déplacent des Comores vers Mayotte afin de faire naître leur enfant sur le territoire français. C’est ainsi qu’environ 46 % des parturientes de la maternité locale sont en situation irrégulière, situation à la fois contraignante pour l’administration et génératrice de mécontentement au sein de la population mahoraise.
Plus généralement, la faiblesse du dispositif médical à Mayotte, avec une densité de 74 médecins pour 100 000 habitants recensés en 2013, prépare mal ce territoire à l’accueil d’une population supplémentaire, notamment en raison de la non-application à Mayotte du dispositif de l’aide médicale de l’État. Mais contrairement à ce qui se passe dans d’autres domaines, il existe une coopération médicale entre Mayotte et les Comores, notamment avec le centre de dialyse de l’hôpital El-Maarouf de Moroni. Cette coopération demeure cependant insuffisante pour inciter les Comoriens à rechercher des soins sur place, et à plus forte raison à retourner aux Comores lorsque leur état ne justifie plus leur séjour à Mayotte.
Au vu de ces éléments, votre rapporteur estime que l’extension à Mayotte du champ d’application du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doit être réalisée avec une très grande prudence. Les exceptions prévues par l’ordonnance du 7 mai 2014 paraissent en effet appropriées.
L’immigration professionnelle concerne « l’étranger qui se voit délivrer un premier titre de séjour pour l’exercice d’une activité professionnelle » (28). Elle concerne ainsi deux hypothèses : d’une part l’étranger primo-arrivant qui obtient un titre de séjour alors qu’il réside dans un pays tiers, d’autre part la personne présente sur le territoire français dont la situation est régularisée par un titre de séjour à vocation professionnelle.
Ainsi, cette notion n’inclut pas l’étranger qui, après ses études, poursuit sa vie professionnelle en France. Il reçoit certes un titre de séjour, mais il n’est pas un primo-arrivant. Sa situation ne correspond pas à l’obtention d’un premier titre, mais à un « changement de statut ».
En 2013, 17 832 personnes ont obtenu un titre pour l’exercice d’une activité professionnelle, ce qui représente 8,7 % de l’ensemble des admissions accordées aux ressortissants de pays tiers. Le tableau suivant présente l’évolution de cette immigration entre 2008 et 2013 (29) :
ADMISSION AU SÉJOUR DES RESSORTISSANTS DES PAYS TIERS
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
A. Économique | ||||||
[1] Compétences et talents |
183 |
368 |
319 |
289 |
286 |
251 |
[2] Actif non salarié |
225 |
98 |
121 |
121 |
169 |
150 |
[3] Scientifique |
1 926 |
2 242 |
2 268 |
2 073 |
2 691 |
3 029 |
[4] Artiste |
286 |
183 |
181 |
173 |
160 |
147 |
[5] Salarié |
11 718 |
14 240 |
13 725 |
13 546 |
11 201 |
12 981 |
[6] Saisonnier/temporaire |
7 014 |
3.050 |
1 653 |
1 619 |
1 506 |
1 274 |
Total A. Économique |
21 352 |
20 181 |
18 267 |
17 821 |
16 013 |
17 832 |
Source : AGDREF / DSED
Ces statistiques démontrent que l’immigration professionnelle est sensible aux orientations de la politique migratoire et à la conjoncture économique. Entre 2008 et 2012, le nombre total de titre de séjour professionnel a baissé de 25 %, avant d’augmenter en 2013 pour atteindre le niveau de 2011. Cette baisse importante est liée à une contraction de l’activité économique qui a réduit les besoins des entreprises, mais aussi à une politique hostile à toute forme d’immigration menée par la précédente majorité.
Une évolution du cadre réglementaire permet d’expliquer la hausse de 11,36 % du nombre de titres de séjour à caractère professionnel délivrés entre 2012 et 2013. Par exemple, la circulaire du 28 novembre 2012, relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par les ressortissants étrangers en situation irrégulière, a sécurisé le parcours d’intégration de ces personnes, contribuant à rétablir l’attractivité de la France auprès des travailleurs étrangers. Ce changement illustre une politique volontariste qui poursuit plusieurs finalités complémentaires (30) :
— répondre aux besoins du marché du travail, ainsi que le montre le décret n° 2014-921 du 18 août 2014 qui met fin à l’obligation de demander une carte de séjour ou une autorisation de travail pour les ressortissants de pays tiers séjournant en France suite à l’obtention d’un visa « vacances-travail (31) » ;
— lutter contre le dumping social, notamment dans le domaine des fraudes au détachement dans le domaine des prestations de services internationales ;
— faciliter l’admission de certaines catégories de migrants, notamment les travailleurs hautement qualifiés, les entrepreneurs, les travailleurs saisonniers ainsi que les salariés transférés temporairement en France au titre d’une mobilité intra-entreprises ;
— garantir l’effectivité de certains droits au profit des ressortissants de pays tiers qui résident déjà légalement sur le territoire français.
Afin de mener à bien ces objectifs, votre rapporteur souligne l’importance de simplifier les procédures actuellement applicables pour l’obtention d’un titre de séjour à caractère professionnel.
En 2013, 62 614 titres de séjour ont été délivrés pour suivre des études supérieures en France. C’est le deuxième motif d’immigration avec 30 % des titres primo-délivrés. Parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France est, avec l’Allemagne, le pays non anglophone le plus attractif pour les étudiants internationaux (32).
ADMISSION AU SÉJOUR DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
Étudiant et stagiaire |
52 163 |
58 582 |
65 271 |
64 925 |
58 857 |
62 614 |
Source : AGDREF / DSED
Le tableau ci-dessus montre l’évolution du nombre de titres de séjour délivrés aux étudiants étrangers entre 2008 et 2013. Après un pic atteint en 2010 et en 2011, le nombre de titres délivrés a chuté de près de 10 % en 2012 pour atteindre 58 857.
La hausse de 3,9 % constatée en 2013 peut s’expliquer, d’une part, par l’abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 qui restreignait l’obtention de titres de séjour pour les étudiants et les chercheurs étrangers et, d’autre part, par les mesures de facilitation engagées depuis 2012.
Lors de l’année universitaire 2013-2014, 295 084 étrangers suivaient une formation dans l’enseignement supérieur : ils représentent 12,3 % de l’ensemble des étudiants sur le territoire national (33).
LES ÉTUDIANTS DE NATIONALITÉ ÉTRANGÈRE
2005 / 2006 |
2009 / 2010 |
2013 / 2014 | |
Universités |
208 007 |
214 252 |
217 926 |
Autres formations |
55 087 |
63 742 |
77 158 |
Total |
263 094 |
277 994 |
295 084 |
Part des étrangers (%) |
11,7 |
12 |
12,1 |
Source : RERS 2014, champ : France entière, étudiants dans l’enseignement supérieur
L’attractivité de la France pour les étudiants et les chercheurs étrangers est une des priorités de la majorité parlementaire. Lors de l’inauguration du musée de l’histoire de l’immigration, le 15 décembre 2014, le président François Hollande déclarait que « nous avons besoin de plus d’étudiants étrangers parce que c’est un investissement considérable pour la France, c’est une chance extraordinaire de pouvoir avoir les meilleurs talents, les meilleurs chercheurs qui viennent, ici, en France, étudier ».
Plusieurs réformes ont poursuivi l’objectif de simplifier et de sécuriser les procédures d’acquisition d’un titre de séjour pour des motifs estudiantins. La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, a étendu à douze mois la durée de validité de l’autorisation provisoire de séjour pour les étudiants étrangers qui souhaitent acquérir une expérience professionnelle. Par ailleurs, l’État a exprimé sa volonté de faciliter la réception des étudiants étrangers et de fluidifier le traitement de leurs dossiers en ouvrant, dès la rentrée 2012, vingt-deux nouveaux points d’accueil hors préfectures pour porter leur nombre total à vingt-cinq.
Votre rapporteur approuve cette politique volontariste qui renforce le rayonnement de la France auprès des étrangers dans un contexte économique compétitif. Il insiste sur la nécessité de poursuivre cet effort pour améliorer les conditions de séjour de ces étudiants.
La migration familiale a pour objectif de reconstituer la cellule familiale sur le territoire national. Elle couvre l’hypothèse où l’étranger isolé et présent régulièrement en France aspire à être rejoint par son conjoint et ses enfants. Cette migration est encadrée par des dispositions constitutionnelles et conventionnelles qui garantissent le respect de la vie privée et familiale, ce qui a pour effet de la rendre peu sensible aux évolutions des politiques migratoires nationales.
La migration familiale représente le premier motif d’immigration : avec 93 173 premiers titres de séjour accordés en 2013 aux ressortissants de pays tiers, elle compte pour 46 % du total des flux migratoires en France.
Le tableau suivant (34) permet de visualiser l’évolution de cette migration entre 2008 et 2013.
ADMISSION AU SÉJOUR DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
[1] Famille de Français |
48 833 |
53 170 |
49 834 |
48 951 |
52 070 |
49 806 |
[2] Membre de famille |
17 304 |
15 171 |
15 678 |
14 809 |
16 581 |
23 132 |
[3] Liens personnels/familiaux |
17 328 |
17 374 |
17 666 |
17 411 |
18 519 |
20 235 |
Total |
83 465 |
85 715 |
83 178 |
81 171 |
87 170 |
93 173 |
Source : AGDREF / DSED
Ces statistiques témoignent d’une baisse de deux mille titres de séjour par an entre 2009 et 2011, puis une hausse de 5 % en 2013 par rapport à 2012. Par ailleurs, les différents types de catégories de titre de séjour de l’immigration familiale ont connu une évolution variable entre 2012 et 2013 :
— ceux délivrés pour les membres de la famille ont augmenté de 39 % pour atteindre 23 132, soit 25 % des admissions au séjour des ressortissants de pays tiers pour des motifs familiaux ;
— ceux octroyés en raison des liens personnels et familiaux ont cru de 9 %. Ils représentaient en 2013 20 235, soit 22 % des titres de séjour familiaux ;
— ceux remis au motif de membres de famille de Français ont diminué de près de 7 %. Une évolution comparable peut être constatée entre 2009 et 2010. Ce motif représente plus de 53 % de l’ensemble des titres de séjour délivrés pour des raisons familiales avec 49 806 admissions en 2013.
De manière constante, les trois nationalités à qui le plus grand nombre de titres de séjour délivrés pour des motifs familiaux sont les Algériens (17 991 en 2013), les Marocains (13 113 cette même année) et les Tunisiens (8 517 en 2013). Selon les années, l’ordre parmi elles peut varier.
Les règles applicables à la migration familiale sont constituées de plusieurs dispositifs. Quelques principes structurants peuvent être mis en évidence.
Tout d’abord, la venue du migrant ne doit pas contrevenir aux règles qui garantissent l’ordre public. Ensuite, depuis la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, l’état de polygamie est un motif de rejet de demandes formulées. Il est en effet jugé incompatible avec la conception française et républicaine de la famille. Enfin, le migrant doit respecter des conditions liées à la communauté de vie et, le cas échéant, contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de son enfant français.
L’article L. 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) définit la qualité de réfugié comme celle « reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu’à toute personne sur laquelle le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat (…) ou qui répond aux définitions de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 ».
Le demandeur d’asile formule sa requête à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui a traité 64 811 dossiers en 2014. Sa décision peut faire l’objet d’un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Au total, 14 589 demandes ont donné lieu à l’attribution de l’asile, soit un taux de réponse favorable de 22,5 %.
Le projet de loi de réforme du droit d’asile, qui devrait être adopté par le Parlement dans quelques jours, prévoit trois nouveautés principales (35) :
— une accélération des procédures avec l’objectif de traiter les demandes d’asile dans un délai de neuf mois ;
— un renforcement des droits reconnus aux demandeurs d’asile, notamment la présence d’un conseil devant l’OFPRA et la systématisation du recours suspensif devant la CNDA ;
— la création d’un hébergement directif des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire afin d’éviter toute concentration territoriale.
Dans une Europe dépourvue de contrôle à ses frontières intérieures, la gestion coordonnée de l’immigration et l’élaboration d’une politique commune en la matière se sont imposées en incontournables nécessités. La Commission européenne a structuré le droit applicable à travers trois directives, désormais transposées en droit français par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
La directive Retour a été adoptée dans le but d’harmoniser les règles juridiques encadrant l’éloignement des étrangers en situation irrégulière hors des frontières de l’Union européenne.
Le texte donne la priorité au départ volontaire des ressortissants de pays tiers. Ainsi, la décision administrative qui constate l’irrégularité du séjour ouvre une période de « retour volontaire » qui peut être suivie, lorsque cela est nécessaire, d’une décision d’éloignement.
La directive encadre également le recours à la rétention. Celle-ci ne peut, en principe, pas excéder une durée de six mois (36). Par ailleurs, elle doit s’effectuer dans des centres spécialisés ou, lorsqu’opérée dans des locaux pénitentiaires, permettre une séparation entre les étrangers en voie d’éloignement et les détenus de droit commun. Le placement en rétention de mineurs non accompagnés et de familles n’est permis qu’en dernier ressort et pour la période la plus brève possible.
Il est créé une interdiction d’entrée sur le territoire européen (37). Si aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger ou s’il n’a pas respecté l’obligation de retour, la décision administrative doit être assortie d’une interdiction d’entrée sur l’ensemble des territoires des États membres. Dans les autres cas, cette interdiction est dépourvue de caractère obligatoire, mais elle doit pouvoir être valablement prononcée par l’administration en fonction des circonstances.
À tous les stades des procédures d’éloignement, la directive octroie de nombreuses garanties aux étrangers en instance d’éloignement. Le droit à un recours juridictionnel effectif est garanti de même que l’assistance d’un avocat et, le cas échéant, d’un interprète, ainsi que le bénéfice d’une aide juridictionnelle. L’étranger doit être informé par écrit des motifs de la décision de retour ou d’éloignement le concernant. Il a droit, en outre, à l’unité familiale, à des soins médicaux d’urgence et à la scolarisation de ses enfants mineurs tant qu’ils se trouvent sur le territoire européen.
Cette directive est venue déterminer les conditions d’entrée et de séjour de plus de trois mois sur le territoire européen pour les ressortissants de pays tiers qui viennent y occuper un emploi hautement qualifié, ainsi que pour les membres de leur famille.
La « carte bleue européenne » est le premier titre de séjour européen ouvrant le même droit au séjour dans l’ensemble des États membres. Il est destiné aux ressortissants hautement qualifiés de pays tiers, c’est-à-dire à ceux qui justifient de trois années d’études supérieures au minimum ou d’une expérience professionnelle d’au moins cinq années, en état de présenter :
— un contrat de travail valide ou une offre ferme pour un emploi hautement qualifié, pour une durée d’au moins un an ;
— des documents attestant soit de qualifications professionnelles élevées, soit – dans le cas des professions règlementées – de la satisfaction des critères posés par les législations nationales pour l’exercice de leur profession ;
— un document de voyage en cours de validité, une demande de visa ou un visa ;
— la preuve de la souscription d’une assurance maladie.
À ces exigences s’ajoute une condition de ressources : le salaire annuel brut découlant du contrat de travail ou de l’offre ferme d’embauche ne doit pas être inférieur à une fois et demie le salaire annuel brut moyen dans l’État membre de séjour.
Outre le fait qu’ils pourront entrer et séjourner librement sur le territoire de l’État qui leur a délivré le titre, les étrangers pourront exiger, à l’issue d’une durée de deux ans, une égalité de traitement avec les nationaux s’agissant, par exemple, des conditions de travail ou encore de l’exercice de la liberté d’association et d’affiliation à une organisation syndicale.
Enfin, les membres de la famille du titulaire de la carte bleue européenne pourront bénéficier du regroupement familial sans qu’il soit subordonné ni à l’exigence d’une perspective raisonnable pour le travailleur hautement qualifié d’obtenir un droit de séjour permanent, ni à une condition de durée de résidence minimale. En effet, la directive laisse aux États membres l’opportunité de délivrer la carte bleue européenne en fonction notamment de la situation de leur marché du travail et des besoins des pays d’origine.
Cette directive harmonise les sanctions applicables aux employeurs d’étrangers en situation irrégulière. Elle offre aussi des garanties aux travailleurs ainsi illégalement employés.
Les employeurs d’étrangers en situation irrégulière, leurs donneurs d’ordre et leurs cocontractants peuvent se voir infliger des sanctions financières proportionnelles au nombre de ressortissants de pays tiers dont ils utilisent illégalement la force de travail. La directive impose également des sanctions administratives pour une durée pouvant atteindre cinq ans – fermeture temporaire ou définitive de l’établissement, exclusion du bénéfice des aides publiques ou encore interdiction de poser des candidatures à des marchés publics. La récidive, le recours à des conditions de travail abusives et l’emploi d’un mineur sont susceptibles de donner lieu à répression pénale.
Le dispositif répressif est complété par des mesures de protection des ressortissants de pays tiers employés illégalement. Les étrangers en situation irrégulière ont droit à une rémunération pour le travail accompli et l’employeur est tenu d’acquitter les impôts et cotisations sociales qui en découlent.
Les employeurs doivent exiger la présentation du titre de séjour des étrangers qu’ils embauchent, en conserver une copie à la disposition de l’administration et lui notifier les décisions de recrutement. Le respect de ces obligations permet de dispenser de sanctions les employeurs de bonne foi.
Le contrat d’accueil et d’intégration (CAI) constitue aujourd’hui la première étape du parcours d’intégration des étrangers, non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, obtenant pour la première fois un titre de séjour les autorisant à s’installer durablement en France. Lors de la signature du CAI, l’étranger s’oblige à suivre une formation civique et, lorsque le besoin en est établi, linguistique.
Alors que la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration a rendu obligatoire la signature du CAI pour tout étranger primo-arrivant en France âgé d’au moins 16 ans, la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, en a étendu la signature aux parents d’enfants bénéficiaires du regroupement familial, lesquels sont ainsi tenus de s’engager contractuellement auprès de l’État et de suivre une formation sur leurs droits et devoirs en France.
Enfin, la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 a cherché à lier plus étroitement le renouvellement des cartes de séjour à l’effectivité du suivi, par chaque signataire, des actions prévues par le CAI. Dans une logique de contrainte davantage que d’accompagnement, elle a renforcé la sanction attachée au non-respect de l’obligation d’assiduité et de sérieux dans le suivi des formations imposées dans le cadre du CAI.
En 2014, 111 085 CAI ont été signés, contre 109 009 en 2013, soit une augmentation de 1,9 % (38). Entre 2010 et 2014, les nombre de CAI a cru de près de 10 %.
ÉVOLUTION DU NOMBRE DE CAI SIGNÉS ENTRE 2010 ET 2014
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
Évolution 2010-2014 | |
CAI signés |
101 353 |
102 259 |
101 413 |
109 009 |
111 085 |
+ 9,6 % |
Source : Rapport annuel 2014 de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, p. 25.
L’actuel CAI avait initialement pour objectif d’assurer une implication plus forte des signataires dans les formations prescrites par l’État ainsi que l’acquisition d’un minimum de connaissances nécessaires à leur intégration dans la société française. Or, à rebours de ces objectifs, le CAI est à ce jour perçu comme un parcours subi par l’étranger, où la contrainte l’emporte sur la démarche d’accompagnement individualisé. Le taux d’assiduité de 97 % aux formations prescrites dans le cadre du CAI serait ainsi principalement dû à la crainte d’un non-renouvellement du titre de séjour.
De surcroît, les formations elles-mêmes ne tiennent pas suffisamment compte du profil des migrants : elles sont identiques quel que soit le pays d’origine, le niveau scolaire ou le niveau de maîtrise de la langue des primo-arrivants. À cet égard, les besoins spécifiques des non-francophones ne sont pas suffisamment pris en compte, tandis que les formations linguistiques sont dispensées à des personnes qui ne sont pas concernées – telles que les jeunes scolarisés en France – dans la mesure où elles ont la possibilité de faire l’apprentissage du français dans un autre cadre.
Enfin, l’actuel dispositif ne permet pas à l’étranger d’anticiper, dans son pays d’origine, les démarches utiles à effectuer en vue de la signature d’un CAI à son entrée sur le territoire, retardant d’autant la mise en place d’un accueil et d’un accompagnement personnalisés de l’étranger souhaitant s’installer durablement sur le territoire français.
2. Des titres de séjour qui réclament une meilleure adéquation entre durée de validité et durée de présence de l’étranger
L’ADMISSION AU SÉJOUR PAR MOTIFS
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 provisoire |
2014 estimé | ||
A. Économique |
1 – Compétences et talents |
183 |
368 |
319 |
289 |
286 |
251 |
230 |
2 – Actif non salarié |
225 |
98 |
121 |
121 |
169 |
150 |
155 | |
3 – Scientifique |
1 926 |
2 242 |
2 268 |
2 073 |
2 691 |
3 029 |
3 630 | |
4 – Artiste |
286 |
183 |
181 |
173 |
160 |
147 |
170 | |
5 – Salarié |
11 718 |
14 240 |
13 725 |
13 546 |
11 201 |
12 981 |
13 820 | |
6 – Saisonnier ou temporaire |
7 014 |
3 050 |
1 653 |
1 619 |
1 506 |
1 274 |
1 560 | |
Total |
21 352 |
20 181 |
18 267 |
17 821 |
16 013 |
17 832 |
19 565 | |
B. Familial |
1 – Famille de Français |
48 833 |
53 170 |
49 834 |
48 951 |
52 070 |
49 806 |
51 065 |
2 – Membres de famille |
17 304 |
15 171 |
15 678 |
14 809 |
16 581 |
23 132 |
22 905 | |
3 – Liens personnels et familiaux |
17 328 |
17 374 |
17 666 |
17 411 |
18 519 |
20 235 |
18 395 | |
Total |
83 465 |
85 715 |
83 178 |
81 171 |
81 170 |
93 173 |
92 365 | |
C. Étudiants |
Total |
52 163 |
58 582 |
65 271 |
64 925 |
58 857 |
62 614 |
62 200 |
D. Divers |
1 – Visiteur |
4 4745 |
5 876 |
6 151 |
6 303 |
6 389 |
6 592 |
6 570 |
2 – Étranger entré mineur |
3 015 |
3 365 |
3 704 |
3 918 |
4 762 |
4 981 |
5 300 | |
3 – Rente accident du travail |
98 |
123 |
70 |
45 |
39 |
23 |
20 | |
4 – Ancien combattant |
193 |
225 |
153 |
141 |
154 |
265 |
190 | |
5 – Retraité ou pensionné |
1 398 |
1 200 |
906 |
544 |
573 |
548 |
670 | |
6 – Motifs divers |
488 |
553 |
587 |
676 |
707 |
543 |
630 | |
Total |
9 667 |
11 342 |
11 571 |
11 627 |
12 624 |
12 952 |
13 380 | |
E. Humanitaire |
1 – Réfugié et apatride |
10 742 |
10 764 |
10 073 |
9 715 |
10 000 |
9 493 |
11 050 |
2 – Asile territorial / protection subsidiaire |
753 |
1 797 |
1 759 |
1 618 |
2 024 |
1 929 |
2 455 | |
3 – Étranger malade |
5 733 |
5 965 |
6 325 |
6 122 |
6 396 |
5 965 |
6 800 | |
4 – Victime de la traite des êtres humains |
18 |
55 |
63 |
32 |
36 |
38 |
55 | |
Total |
17 246 |
18 581 |
18 220 |
17 487 |
18 456 |
17 425 |
20 360 | |
Total |
183 893 |
194 401 |
196 507 |
193 031 |
193 120 |
203 996 |
207 870 |
Source : ministère de l’Intérieur.
Il existe différents motifs permettant la délivrance d’un titre de séjour sur le territoire national : économique, familial, estudiantin, humanitaire et divers. Comme l’indique le tableau ci-dessus, c’est le motif familial qui donne lieu à la délivrance du plus grand nombre de titres de séjour. Il est suivi des catégories estudiantine, humanitaire et économique.
Depuis 2003, les ressortissants de l’Union européenne ainsi que des pays de l’Espace économique européen et de la Suisse ne sont plus soumis à l’obligation de détenir un titre de séjour pour séjourner et travailler en France.
Les autres ressortissants étrangers peuvent solliciter principalement une carte de séjour temporaire, dont la durée de validité ne peut excéder un an. Ce type de cartes regroupe notamment :
— la carte de séjour temporaire portant la mention « visiteur » ;
— la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;
— la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », qui est octroyée en particulier à l’étranger disposant d’attaches familiales en France ou encore, sous certaines conditions, à l’étranger malade ;
— la carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle.
Le principe général retenu par le CESEDA est celui de l’annualité des cartes de séjour. À l’expiration de celle-ci, l’étranger doit quitter la France à moins qu’il n’en obtienne le renouvellement ou que, de façon plus rare, il ne lui soit délivré une carte de résident d’une durée de dix années.
La règle aujourd’hui posée par le législateur entraîne donc un examen continu des conditions de séjour pendant les premières années de présence et avant l’obtention d’une carte de résident d’une durée de dix années, qui peut intervenir après cinq années de séjour régulier (art. L. 314-8) ou, pour certaines catégories, après trois années de séjour régulier (art. L. 314-9 ou dispositions conventionnelles). La délivrance de titres de séjour pluriannuels demeure exceptionnelle même si les dernières lois intervenues dans le domaine de l’immigration ont, dans une perspective d’immigration « choisie », progressivement introduit des dérogations au principe d’annualité.
En l’état du droit, les cartes de séjour pluriannuelles, dont la délivrance reste donc résiduelle, sont les suivantes :
— la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur saisonnier » ;
— la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié en mission » ;
— la carte de séjour portant la mention « compétences et talents » ;
— les cartes de séjour temporaires « étudiant » et « scientifique » ;
— la « carte bleue européenne », d’une durée maximale de trois ans ;
— la carte de résident prévue à l’article L. 314-11, délivrée de plein droit dès la première année de séjour en France et que l’on peut considérer comme une forme de carte pluriannuelle.
Le principe général d’annualité des titres de séjour contraint la grande majorité des ressortissants étrangers à effectuer des visites excessivement nombreuses et répétitives en préfecture.
Le besoin d’un véritable titre pluriannuel de séjour, de nature à renforcer l’adéquation entre durée de présence des ressortissants étrangers sur le territoire et durée de validité des titres leur étant délivrés, se fait donc sentir. Aux ressortissants étrangers ayant vocation à demeurer durablement sur le territoire, le titre pluriannuel permettrait de préparer la délivrance d’une carte de résident, voire la naturalisation. À l’inverse, pour les ressortissants étrangers amenés à ne rester que temporairement en France (étudiants et salariés notamment), la durée de validité du titre devrait correspondre, dans toute la mesure du possible, à la durée du séjour.
TYPOLOGIE DES PRINCIPAUX TITRES EN MÉTROPOLE PAR TYPE DE DOCUMENT
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 | |
Cartes de résident et résident longue durée |
1 203 429 |
1 199 206 |
1 204 985 |
1 230 747 |
1 270 490 |
1 312 109 |
1 348 530 |
Certificat de résidence pour Algérien |
570 039 |
563 737 |
560 169 |
542 905 |
553 801 |
561 543 |
556 994 |
Carte de séjour temporaire |
433 175 |
410 541 |
413 105 |
421 260 |
450 140 |
463 695 |
487 523 |
Titres communautaires |
13 883 |
14 780 |
15 934 |
17 236 |
19 233 |
21 418 |
24 485 |
Retraite |
4 132 |
4 379 |
4 415 |
4 344 |
4 216 |
4 260 |
4 353 |
Compétences et talents |
383 |
1 064 |
1 590 |
1 674 |
1 724 |
1 713 |
1 741 |
Visas long séjour valant titres de séjour |
17 021 |
64 722 |
62 291 |
64 568 |
64 418 | ||
Documents provisoires |
148 079 |
157 175 |
160 158 |
171 169 |
161 415 |
177 418 |
175 993 |
Total |
2 373 120 |
2 350 882 |
2 377 377 |
2 454 057 |
2 523 310 |
2 606 724 |
2 664 037 |
Source : AGDREF / DSED
3. Des procédures de contrôle et d’éloignement à mieux concilier avec le respect effectif des droits reconnus aux étrangers
L’octroi ou le renouvellement du titre de séjour demandé par l’étranger est précédé d’un contrôle sur la véracité des informations fournies ainsi que sur le respect des critères établis pour la délivrance de l’autorisation de séjour. L’exécution de ces vérifications au moment de l’acceptation ou du refus de la demande ne permet pas de réunir les conditions optimales d’examen, notamment du fait de la surcharge de travail des services préfectoraux et du rythme annuel de renouvellement des titres de séjour.
Une refonte des modalités de contrôle des demandes de titres de séjour
– en particulier dans une perspective pluriannuelle – apparaît nécessaire afin d’améliorer le traitement des dossiers. Tout en garantissant les droits individuels relatifs à la protection de la vie privée, ce contrôle devrait être davantage échelonné dans le temps. Votre rapporteur veillera à la bonne conciliation des exigences d’efficacité de l’administration et de protection de l’intimité des personnes, notamment dans la nature des informations recueillies et dans la durée de leur conservation ainsi que dans les modalités de déclenchement du contrôle.
Lorsque l’étranger est en situation irrégulière sur le territoire national, les autorités nationales appliquent l’une des six procédures d’éloignement que compte la législation :
— l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), prévu à l’article L. 533-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est applicable au ressortissant d’un État tiers de l’Union européenne présent sur le territoire national depuis moins de trois mois et qui, soit a travaillé sans autorisation, soit menace l’ordre public ;
— les procédures d’éloignement prises dans le cadre de l’Union européenne ou de l’espace Schengen, prévues aux articles L. 531-1 à L. 531-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sont applicables à l’étranger non-européen et supposent l’intervention d’un État partie à la convention ;
— l’arrêté préfectoral ou ministériel d’expulsion, défini aux articles L. 524-1 à L. 524-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est applicable à l’étranger qui vit régulièrement en France et dont le comportement constitue une menace très grave à l’ordre public ;
— l’interdiction judiciaire du territoire français, prévue aux articles L. 541-1 à L. 541-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est une peine prononcée par le juge pénal contre l’étranger coupable de crime ou de délit ;
— l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), d’une durée de deux ou de trois ans, est délivrée à l’étranger non-européen qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Elle se traduit par un signalement de ce dernier au système d’information de Schengen aux fins de non-admission. Deux critiques principales sont formulées à l’égard de l’IRTF : elle n’est pas appliquée de manière systématique contrairement à ce que prévoit la directive Retour ; sa rédaction actuelle est marquée par une certaine pusillanimité due à la crainte d’une censure du Conseil constitutionnel sur le fondement du principe de l’individualité de la peine qui proscrit toute forme d’automaticité. Le Conseil constitutionnel a depuis dissipé cette perspective en qualifiant l’IRTF de mesure de police et non de peine (39) ;
— l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), dont le régime juridique est fixé aux articles L. 511-1 à L. 514-2 du CESEDA, fait obligation à l’étranger de quitter le territoire par ses propres moyens, soit immédiatement, soit dans un délai de trente jours.
L’OQTF est la procédure d’éloignement la plus utilisée par les autorités françaises. Mais elle subit des critiques adressées par la Commission européenne. Tout d’abord, le dispositif qui fixe une obligation de quitter le territoire sous trente jours apparaît excessivement rigide eu égard à la directive Retour qui prévoit que la situation personnelle de l’intéressé peut conduire l’autorité administrative à moduler ce délai. Or, actuellement, le droit interne ne prévoit pas la possibilité de prolonger ce délai a posteriori. Surtout, la Commission européenne a souligné que l’OQTF doit impliquer, non seulement l’obligation de quitter le territoire français, mais aussi celui des États membres de l’Union européenne conformément à la notion de retour définie par la directive.
Votre rapporteur considère avec circonspection la multiplicité des procédures prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce foisonnement s’explique pour partie par la survivance de mécanismes aujourd’hui largement délaissés par l’administration tels que l’APRF, mais que le législateur a laissé perdurer sans véritable raison. En ce qui concerne les divergences rencontrées entre la loi française et le droit de l’Union européenne, il convient que celles-ci soient corrigées au plus vite pour éviter à la France une mise en cause par les institutions de Bruxelles et de Luxembourg.
Comme dans les dispositifs de contrôle, les droits et libertés des personnes ne sauraient être sacrifiées à la louable volonté de l’administration de se conformer à ses obligations. Le droit des étrangers est affaire de personnes ; par conséquent, la fin n’y justifie pas les moyens. Votre rapporteur souhaite notamment préserver dans les meilleures conditions possibles les garanties procédurales offertes par le droit commun aux différentes catégories d’étrangers en situation irrégulière, y compris aux déboutés du droit d’asile dont la situation a fait l’objet d’un examen par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Créés par la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, les centres de rétention administrative (CRA) sont les vingt-six locaux dans lesquels les étrangers en situation irrégulière sont placés dans l’attente de leur éloignement. La rétention ne doit pas être confondue avec l’emprisonnement ou la détention car elle fait suite à une décision administrative et non judiciaire.
L’étranger à qui est notifiée une OQTF est placé en centre de rétention, s’il refuse cette mesure ou s’il ne l’exécute pas, par décision du préfet pour une durée de cinq jours. Celui-ci peut décider, de manière dérogatoire, d’assigner à résidence l’étranger dans les conditions prévues aux articles L. 561-1 à L. 561-3 du CESEDA.
Passé le délai de cinq jours, le juge des libertés et de la détention se prononce sur la prolongation de la rétention pour une durée de vingt jours renouvelable une fois. Gardien des libertés individuelles, le juge judiciaire veille, conformément aux jurisprudences constitutionnelle (40) et conventionnelle (41), à une stricte limitation de la rétention au temps nécessaire à l’éloignement et à la régularité de la privation de liberté.
Le placement en rétention doit garantir le respect des droits de la personne retenue. En application de l’article L. 552-2 du CESEDA, le juge veille à ce qu’elle en soit informée dès son placement. Des associations sont habilitées à intervenir au sein des CRA pour apporter conseil, soutien et écoute aux personnes retenues.
Les centres de rétention font également l’objet de contrôles de la part du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur les « conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux (42) ». Les rapports rendus par cette autorité administrative indépendante et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) pointent plusieurs dysfonctionnements, voire certaines limites inhérentes au principe de centre de rétention, qui portent atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes retenues.
Dans son rapport d’activité pour l’année 2014, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a formulé plusieurs propositions relatives aux centres de rétention administrative. Elles concernent tant la vie quotidienne des personnes retenues (visites, biens personnels, activités) que les moyens de communication à leur disposition, la prise en charge sanitaire ou encore l’accès au droit. Après avoir visité l’ensemble des centres de rétention, la Contrôleure a conclu que « les droits des étrangers (…) en centres de rétention se heurtent à de nombreuses contingences qui, finalement, entachent l’exercice de leurs droits, et en premier lieu celui de demander l’asile (43) ».
Dans son avis relatif au présent projet de loi, la CNCDH a également mentionné plusieurs inquiétudes, notamment « l’allongement constant depuis son institution de la durée d’enfermement (…). En considération de la valeur éminente que l’on doit accorder à la liberté individuelle de quiconque, le sacrifice imposé à la liberté individuelle de l’étranger est disproportionné par rapport au gain escompté, à savoir un éloignement effectif que l’on sait par expérience compromis à mesure que la rétention perdure, voire s’éternise (44). »
Pleinement conscient de ces problématiques, votre rapporteur considère essentiel d’apporter des correctifs aux dispositifs d’éloignement et de rétention des étrangers en situation irrégulière. S’il accueille favorablement les multiples évolutions contenues dans le projet de loi, il appelle l’Assemblée nationale à aller plus loin encore pour développer l’assignation à résidence, alternative à la rétention, et pour préserver de celle-ci les étrangers les plus fragiles – notamment les mineurs.
1. Renforcer le dispositif d’accueil et d’intégration des étrangers souhaitant s’installer durablement en France
L’article 1er restructure l’actuel dispositif d’accueil et d’intégration à un double titre.
D’une part, il prévoit que, dans son pays d’origine, l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français, s’informe sur la vie en France ainsi que sur les droits et les devoirs qui y sont liés, à partir des éléments mis à sa disposition par l’État.
D’autre part, dans sa rédaction initiale, il substituait à l’actuel contrat d’accueil et d’intégration un contrat fixant un parcours individualisé d’accueil d’intégration, mieux adapté aux besoins des primo-arrivants, l’objectif étant, dans un souci de garantir une meilleure intégration, de les faire basculer le plus rapidement possible dans une logique de droit commun comme tout citoyen français. Sur proposition du Gouvernement, la Commission a redéfini le contenu de ce parcours – rebaptisé « parcours personnalisé d’intégration républicaine » – de l’étranger, par lequel ce dernier s’engage, via la signature avec l’État d’un contrat d’intégration républicaine – en remplacement de l’actuel contrat d’accueil et d’intégration – à suivre des formations civique et linguistique.
Prolongeant la refonte du parcours d’accueil et d’intégration, l’article 2 conditionnait, initialement, la délivrance à une connaissance suffisante de la langue française dont le niveau minimal – en l’espèce le niveau A2 du cadre européen de référence pour les langues – sera fixé par décret en Conseil d’État. Toutefois, la Commission a supprimé, sur proposition de votre rapporteur, l’exigence d’un niveau « suffisant » de maîtrise de la langue française – ce critère dépendant d’une appréciation trop subjective –, mais a maintenu la condition d’un niveau minimal – défini par décret en Conseil d’État – de connaissance de la langue. Le respect de cette condition ne sera effectivement exigé qu’à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, ce que prévoit l’article 36.
L’article 4 prévoit que la délivrance d’une carte de résident ou d’une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à l’obligation de séjourner sous couvert d’un visa de long séjour valant titre de séjour ou d’une carte de séjour temporaire. Il pose de manière générale l’obligation de détenir un visa de long séjour afin de pouvoir séjourner sur le territoire français pour une durée supérieure à trois mois. Il supprime par ailleurs le contrat d’accueil et d’intégration souscrit par l’étranger avant son arrivée en France. La Commission a posé le principe de la motivation obligatoire de toutes les décisions de refus de visa d’entrée, prises par les autorités diplomatiques ou consulaires.
L’article 7 fait obligation à l’étranger, sauf exceptions, de détenir un visa de long séjour ou un visa de long séjour valant titre de séjour en vue de la première délivrance de la carte de séjour temporaire et des cartes de séjour pluriannuelles portant la mention « passeport talent », « passeport talent - famille » et « saisonnier ». La Commission a précisé que les cartes portant la mention « passeport talent » et « passeport talent - famille » pouvaient être délivrées, le cas échéant, par l’autorité diplomatique ou consulaire. Elle a aussi prévu que la carte de séjour pluriannuelle puisse être retirée en cas de menace pour l’ordre public posée par l’étranger.
Optant pour un contrôle en continu de la régularité du séjour par l’autorité administrative, l’article 8 prévoit que l’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle doit pouvoir justifier à tout moment qu’il continue de satisfaire aux conditions fixées pour la délivrance de cette carte et que le préfet procède aux contrôles et convocations nécessaires pour s’assurer du maintien de son droit au séjour. La carte peut être retirée, ou son renouvellement refusé, si l’étranger cesse de remplir les conditions requises, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations.
La Commission a modifié cet article pour en rendre la rédaction moins soupçonneuse et plus objective et afin de prévoir une obligation de motivation et le respect du principe du contradictoire pour toute décision de retrait ou de refus de renouvellement de la carte.
L’article 5 modifie les dispositions relatives à la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour, d’une durée de validité de douze mois non renouvelable, aux étudiants titulaires de master, en prévoyant notamment l’octroi d’une telle autorisation à l’étudiant justifiant d’un projet de création d’entreprise dans un domaine correspondant à sa formation.
L’article 9 réforme les dispositions relatives à la délivrance de la carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle, en rétablissant en particulier la distinction entre les contrats de travail à durée indéterminée et ceux à durée déterminée. S’agissant de ce dernier cas, la Commission a prévu que la durée du renouvellement du titre de séjour s’adaptait à la durée du contrat à durée déterminée. L’article 9 fusionne par ailleurs la carte de séjour délivrée aux étrangers exerçant une profession commerciale, artisanale ou industrielle avec celle délivrée aux travailleurs indépendants.
L’article 12 supprime l’autorisation provisoire de travail pour les étrangers qui viennent travailler en France pour une durée inférieure à trois mois.
L’article 10 opère la refonte de la procédure applicable aux étrangers malades, prévue à l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Celle-ci consiste en la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à un étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Le droit actuel pose comme condition l’absence d’un traitement approprié dans le pays d’origine. L’article 10 y substitue le fait de ne pouvoir bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans le pays d’origine, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans ce pays. Afin de garantir l’homogénéité des décisions prises sur l’ensemble du territoire national, la décision du préfet doit désormais se fonder sur l’avis d’un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), et non plus sur celui d’un médecin de l’agence régionale de santé (ARS). La Commission a précisé que les médecins de l’Office accomplissaient cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé.
La Commission a créé un article 10 bis disposant que l’autorisation provisoire de séjour prévue au profit du parent d’enfant malade lui est délivrée de plein droit, dès lors qu’il justifie résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation. Cette autorisation ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
L’article 11 prévoit la délivrance à l’étranger, au terme d’une année de séjour régulier en France, accompli sous couvert d’un visa de long séjour valant titre de séjour ou d’une carte de séjour temporaire, d’une carte de séjour pluriannuelle générale, sauf dans certaines hypothèses très circonscrites. La carte de séjour pluriannuelle porte la même mention que la carte de séjour temporaire dont l’étranger était précédemment titulaire.
La première délivrance de la carte de séjour pluriannuelle générale est subordonnée à une double condition. L’étranger doit, d’une part, justifier de son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations prescrites dans le cadre du contrat personnalisé et ne pas manifester son rejet des valeurs de la République. Il doit, d’autre part, continuer de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. La carte de séjour pluriannuelle générale peut être renouvelée si l’étranger continue de remplir ces mêmes conditions. La Commission a remplacé l’expression de « contrat personnalisé » par celle plus précise de « contrat d’intégration républicaine » et adjoint à la référence faite aux « valeurs de la République » une référence aux « valeurs essentielles de la société française ».
La carte a en principe une durée de validité de quatre ans, sauf pour les étudiants (durée correspondant à celle des études), pour les conjoints de Français, parents d’enfants français et titulaires de liens personnels et familiaux (deux ans) et pour les étrangers malades (durée des soins).
L’étranger qui sollicite la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle en faisant valoir un autre motif que celui sur lequel est fondé la carte de séjour dont il est bénéficiaire se voit délivrer une carte de séjour temporaire d’une durée d’un an à l’expiration de laquelle, s’il en remplit toujours les conditions de délivrance, une carte de séjour pluriannuelle générale lui est délivrée.
L’article 11 crée par ailleurs une nouvelle carte de séjour pluriannuelle spécifique portant la mention « passeport talent » destinée aux étrangers qui apportent une contribution au développement et au rayonnement de la France. D’une durée maximale de quatre ans, elle est délivrée dès la première admission au séjour. Ce nouveau titre agrège plusieurs cartes de séjour existantes avec des conditions spécifiques de délivrance et vise également trois nouvelles catégories d’étrangers dont celle des jeunes diplômés qualifiés recrutés dans une jeune entreprise innovante. La Commission a précisé que, dans cette dernière hypothèse, l’intéressé devait avoir été recruté pour exercer des fonctions en lien avec le projet de recherche et développement de l’entreprise.
La carte portant la mention « passeport talent » permet l’exercice d’une activité professionnelle salariée sans avoir à solliciter d’autorisation de travail. En cas de perte involontaire d’emploi, elle est renouvelée pour un an puis, le cas échéant, pour la durée des droits acquis à l’allocation d’assurance chômage. La Commission a déterminé de façon plus précise les modalités selon lesquelles l’étranger salarié titulaire de cette carte peut, lorsqu’il se trouve involontairement privé d’emploi, obtenir le renouvellement de celle-ci.
Les membres de la famille du titulaire de cette carte peuvent se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent – famille ».
L’étranger qui, titulaire d’un titre de séjour délivré sur un autre fondement, sollicite la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » ou « passeport talent – famille » se voit délivrer cette carte dès la première demande pour une durée maximale de quatre ans sous réserve qu’il en remplisse les conditions.
L’article 3 modifie l’intitulé du chapitre III du titre Ier du livre III du CESEDA afin d’y inclure une référence à la carte de séjour pluriannuelle.
L’article 4 mentionne la carte de séjour pluriannuelle parmi les documents ouvrant droit au séjour dont la liste est dressée par le nouvel article L. 311-1 du CESEDA.
L’article 6 précise que la durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle ne peut être supérieure à quatre ans. Il dispose aussi que, à l’expiration de la durée de validité de sa carte, temporaire ou pluriannuelle, l’étranger doit quitter la France à moins qu’il n’en obtienne le renouvellement ou qu’il ne lui soit délivré un autre document de séjour.
À l’article 7, la Commission a précisé que les cartes de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » ou « passeport talent famille » pouvaient être délivrées, le cas échéant, par l’autorité diplomatique ou consulaire. Elle a aussi prévu que la carte de séjour pluriannuelle puisse être retirée en cas de menace pour l’ordre public posée par l’étranger.
Enfin, l’article 35 prévoit la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à l’étranger signataire d’un contrat d’accueil et d’intégration sur le fondement des dispositions antérieures du CESEDA.
La Commission a créé un article 10 ter, qui dispose que la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est renouvelée de plein droit, nonobstant la fin de la communauté de vie, aux personnes victimes de violences conjugales, y compris lorsqu’elles sont autorisées à séjourner en France au titre du regroupement familial.
La Commission a ajouté un article 10 quater, aux termes duquel le renouvellement de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », prévu à l’article L. 313-12, est également ouvert aux personnes victimes de violences « familiales ».
La Commission a également créé un article 13 quinquies, aux termes duquel il appartient à l’autorité administrative de délivrer dans les plus brefs délais une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection, en raison de la menace d’un mariage forcé, sous la seule réserve d’une éventuelle menace à l’ordre public que poserait sa présence.
Enfin, la Commission a créé un article 13 sexies prévoyant le renouvellement de plein droit du titre de séjour de l’étranger séjournant en France au titre du regroupement familial et victime de violences conjugales.
La Commission a créé un article 13 ter prévoyant une délivrance de plein droit de la carte de résident aux conjoints et enfants de Français ayant résidé en France pendant trois ans sous couvert de cartes de séjour annuelles ou pluriannuelles.
La Commission a également créé un article 13 quater prévoyant la délivrance de plein droit, sous réserve du respect de certaines conditions, de la carte de résident permanent après deux renouvellements de la carte de résident ou de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée – CE ».
Afin de transposer en droit interne les dispositions de la directive n° 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe, la Commission a ajouté un article 8 bis, créant une carte de séjour temporaire portant la mention « stagiaire ICT (45) », destinée aux stagiaires faisant l’objet d’un transfert intragroupe. Toujours dans le souci de transposer cette même directive, la Commission a créé, à l’article 11, une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié détaché ICT » pour les étrangers venant en France pour effectuer une mission dans le cadre d’un détachement afin soit d’occuper un poste d’encadrement supérieur, soit d’apporter leur expertise dans une entreprise française du groupe d’entreprises auquel ils appartiennent. Quant aux modalités d’éloignement des étrangers bénéficiant des dispositions de la directive, elles ont été insérées à l’article 18 du projet de loi par un amendement modifiant l’article L. 531-2 du CESEDA.
Au même article 11, la Commission a, aux fins de transposition de la directive n° 2005/71/CE du conseil du 12 octobre 2005 relative à une procédure d’admission spécifique des ressortissants de pays tiers aux fins de recherche scientifique, apporté une précision concernant la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » à un étranger ayant la qualité de scientifique chercheur : l’étranger ayant été admis dans un autre État membre de l’Union européenne peut mener une partie de ses travaux en France sur la base de la convention d’accueil conclue dans le premier État membre s’il séjourne en France pour une durée inférieure ou égale à trois mois, pour autant qu’il dispose de ressources suffisantes ; s’il séjourne en France pour une durée supérieure à trois mois, il doit justifier remplir les conditions requises de l’étranger chercheur, sans que soit exigée la production d’un visa de long séjour.
La Commission a ajouté un article 13 bis réécrivant les dispositions du CESEDA relatives à la carte de résident portant la mention « résident de longue durée – UE » afin d’en conditionner la délivrance à l’existence de ressources stables, régulières et suffisantes, conformément à la directive n° 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, y compris lorsque cette carte est délivrée aux titulaires d’une carte bleue européenne.
Par dérogation au droit commun, l’étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui a pénétré en France sans visa ou qui y a séjourné sans titre peut être remis aux autorités compétentes d’un État membre de l’Union européenne qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application de conventions internationales conclues à cet effet. Selon la directive Retour, cette procédure n’est possible qu’en vertu d’accords ou d’arrangements bilatéraux existant à la date d’entrée en vigueur de la présente directive », soit au 13 janvier 2009. L’article 17 transcrit cette condition.
Enfin, la commission des Lois a précisé à l’article 17 bis les modalités applicables à l’éloignement d’un étranger vers un pays tiers dont il ne possède pas la nationalité. Ceci n’est possible qu’en vertu d’accords ou arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou à la condition de l’accord de l’étranger éloigné, conformément à la directive Retour.
Plusieurs dispositions contenues dans le projet de loi encadrent et limitent le placement en rétention pour favoriser l’assignation à résidence par l’autorité administrative (articles 19, 20 et 22) ou par décision du juge des libertés et de la détention (article 19 bis). Le régime de l’assignation à résidence est donc précisé : l’étranger ne peut se soustraire aux démarches nécessaires à l’établissement d’un laissez-passer consulaire (articles 18 et 21) ; une visite de son domicile peut être diligentée suivant la procédure définie à l’article 22.
La Commission a renforcé le cadre légal de la rétention en encadrant limitativement les circonstances dans lesquelles un étranger accompagné d’un mineur de moins de treize ans peut être placé en rétention : soit à la suite de sa soustraction à une précédente tentative d’éloignement ou à une assignation à résidence, soit si la mesure permet d’épargner au mineur un transfert jugé plus éprouvant. Dans tous les cas, aux termes de l’article 19, l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer une considération primordiale aux yeux de l’administration.
Enfin, la Commission a souhaité que soit évité un placement en rétention pour l’éloignement des étrangers détenus à la suite d’une condamnation judiciaire. Les délais dans lesquels statue le juge administratif sont réduits pour qu’il soit possible de procéder à l’éloignement dès l’élargissement, sans qu’il soit nécessaire de prononcer une mesure administrative restrictive de liberté dans l’intervalle.
Le projet de loi entend à la fois simplifier et préciser les procédures d’éloignement présentes dans le CESEDA.
D’une part, l’article 14 procède à la suppression de l’arrêté de reconduite à la frontière et à l’inclusion des situations qu’il visait dans le champ de l’obligation de quitter le territoire français. La Commission s’est cependant refusée à créer un régime d’OQTF spécifique, aux délais réduits, à destination des déboutés du droit d’asile.
D’autre part, le même article 14 intègre dans la loi française les critiques portées par la Commission européenne. L’obligation de quitter le territoire français vaut désormais obligation de sortir de l’espace européen ; le délai de départ accordé à l’étranger peut être prolongé en fonction des circonstances ; l’interdiction de retour sur le territoire français adjointe à une OQTF est rendue plus systématique.
Par ailleurs, l’article 15 institue une interdiction de circulation sur le territoire français à l’encontre des ressortissants d’un État membre de l’Union européenne. Cette mesure peut être adjointe à une obligation de quitter le territoire français prononcée en réponse à un abus de droit ou à une menace portée par l’étranger à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société française.
Plusieurs dispositions du présent projet de loi visent à garantir de manière effective les droits reconnus aux étrangers.
Dans cette perspective, l’article 23 autorise désormais l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention administrative, cet accès des journalistes étant essentiel pour garantir les libertés d’expression et de communication des personnes retenues. Tout en souscrivant à cette nouvelle procédure d’accès des journalistes aux lieux de rétention, la Commission a étendu le respect de l’anonymat patronymique et physique aux majeurs, sauf accord contraire exprès de leur part pour lever l’anonymat.
Plus largement, alors que l’article 25 ouvre la possibilité pour l’autorité administrative d’obtenir, de la part des autorités publiques et de certaines personnes privées, toute information strictement nécessaire, sous réserve du secret médical, pour procéder au contrôle du respect par l’étranger des conditions fixées pour la délivrance d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle dont il est titulaire, la Commission a intégralement réécrit, sur l’initiative de votre rapporteur, cet article, afin de mieux encadrer le recours par l’administration au droit de communication qui lui est reconnu.
Ainsi, les finalités en ont été limitées et le caractère ponctuel en a été réaffirmé. De la même manière, la possibilité pour l’administration d’accéder directement aux informations et documents détenus par les organismes – au nombre par ailleurs réduit – a été supprimée. Alors que la durée de conservation des données a été limitée à la durée cumulée du titre de séjour et, le cas échéant, de la procédure de renouvellement dudit titre, le principe de la rectification, de la mise à jour ou de la suppression, à la demande de l’étranger, des données le concernant a été consacré. Enfin, un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) devra déterminer les modalités d’application du droit de communication et définir de manière différenciée, pour chaque administration, organisme, établissement ou entreprise concernée, la nature des informations et des documents susceptibles d’être communiqués.
Afin de tenir compte des situations propres aux outre-mer, le présent projet de loi s’efforce d’apporter des solutions adaptées à chacun de ces territoires.
Dans cette perspective, l’article 16 proscrit l’exécution d’office d’une mesure d’éloignement prononcée en Guyane et à Saint-Martin lorsque l’étranger concerné a introduit un référé-liberté devant la juridiction administrative et, le cas échéant, tant que le juge administratif ne s’est pas prononcé. Si le droit commun aux termes duquel le retour ne peut avoir lieu durant un délai de 48 heures pour laisser à l’étranger l’opportunité de saisir la justice ne peut raisonnablement être étendu outre-mer en raison des situations spécifiques de Guyane et de Mayotte, l’évolution proposée permet un progrès appréciable dans la garantie du droit des personnes.
L’article 24 étend à la Martinique les dispositions, actuellement applicables dans certaines collectivités d’outre-mer, autorisant, d’une part, la visite sommaire de véhicules qui circulent sur la voie publique et, d’autre part, le contrôle, dans certaines zones, de l’identité de toute personne sans réquisition du procureur de la République.
L’article 26 réécrit l’article L. 622-10 du CESEDA relatif à la possibilité, pour le procureur de la République, en Guyane, en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, d’ordonner la destruction ou l’immobilisation des véhicules utilisés pour commettre le délit d’entrée irrégulière sur le territoire. Dans cette perspective, il ouvre des voies de recours contre ces décisions de procureur de la République – afin de garantir leur conformité à la Constitution – et étend l’application de l’article L. 622-10 à Mayotte et à la Martinique – en vue d’uniformiser le régime juridique applicable dans les collectivités d’outre-mer concernées.
L’article 31, parmi diverses adaptations des dispositions du CESEDA au territoire de Mayotte, prévoit des procédures dérogatoires précisées par décret en Conseil d’État pour l’acquisition d’un niveau suffisant en langue français dans le cadre d’un contrat d’accueil et d’intégration et pour la formulation d’un avis médical préalable à la délivrance d’une carte de séjour à un étranger malade. Par ailleurs, l’ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014, portant extension et adaptation à Mayotte du CESEDA dans sa partie législative, est ratifiée à l’article 34.
L’application des dispositions du projet de loi à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin est prévue à l’article 32 hormis dans le domaine du droit du travail qui relève des compétences propres de ces collectivités. L’application à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna sera effectuée par voie d’ordonnances : le Gouvernement est autorisé à agir par ce moyen à l’article 33.
Le présent projet de loi comprend plusieurs articles destinés à actualiser, sur des aspects ponctuels et précis, certaines dispositions relatives au droit du séjour des étrangers, en vue de garantir leur entière sécurité juridique et leur pleine effectivité.
Dans cette perspective, l’article 27 clarifie les modalités d’application des sanctions encourues par les étrangers en cas de manquement aux obligations fixées dans le cadre d’une mesure d’assignation à résidence, tandis que l’article 28 renforce les sanctions pénales encourues par les transporteurs ne respectant pas leurs obligations en matière de contrôle des documents de voyage.
Sur proposition du Gouvernement, la Commission a supprimé, dans un nouvel article 28 bis, la référence au refus d’entrée en France en matière d’obligation de réacheminement des étrangers à la charge des entreprises de transport aérien ou maritime pour tenir compte de la situation des étrangers en transit.
Dans un nouvel article 28 ter, la Commission a précisé, sur proposition du Gouvernement, l’office du juge des libertés et de la détention concernant le maintien en zone d’attente, afin qu’il statue sur l’exercice effectif des droits reconnus à l’étranger.
L’article 29 procède à des coordinations rendues nécessaires par les précédentes dispositions du projet de loi tandis que l’article 30 prévoit une mesure transitoire consécutive à la suppression des arrêtés de reconduite à la frontière à l’article 14.
Lors de sa première réunion du mercredi 1er juillet 2015, la Commission procède à l’audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France (n° 2183).
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir de recevoir à nouveau M. le ministre de l’Intérieur que je remercie pour sa disponibilité. Il vient nous présenter le projet de loi portant sur le droit des étrangers en France.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Le débat public portant sur l’accueil et le droit des étrangers en France, nous l’avons constaté au cours des dernières semaines, manque singulièrement de sérénité et de rationalité. Certains commentaires à l’emporte-pièce auxquels la crise migratoire actuelle a donné lieu ont montré combien rares sont ceux qui s’emploient à sonder la complexité des choses. Or, en cette matière délicate, l’excès est très mauvais conseiller.
La France est le plus vieux pays d’immigration d’Europe du fait de la conjugaison d’une démographie atone au XIXe siècle et des besoins en main-d’œuvre provoqués par la révolution industrielle. Belges, Polonais, Italiens, Espagnols puis Algériens, Marocains, Tunisiens, immigrés venus d’Afrique noire, tous ont contribué à faire ce que nous sommes aujourd’hui : une nation prospère et ouverte sur le monde. L’identité de la France est intimement liée à l’histoire des flux migratoires. Il faut avoir la lucidité de le reconnaître : nous sommes un pays d’immigration.
Si l’outrance n’est pas de bonne méthode, c’est également parce que la France, par vocation, s’inscrit pleinement dans la mondialisation. Par là même, elle doit accueillir dignement ceux qui ont droit au séjour tout en menant une lutte sans relâche, avec la plus grande détermination, contre l’immigration irrégulière.
Le Gouvernement a fait le choix de la responsabilité, qui consiste à analyser sereinement les fragilités de notre droit pour leur apporter les réponses concrètes nécessaires. Faire le choix de la responsabilité, c’est aussi parler des étrangers qui vivent en France sans céder aux fantasmes, encore moins aux calculs politiciens, tout en demeurant d’une fermeté sans faille sur la légalité républicaine. C’est également rechercher l’équité en adoptant des critères clairs, précis, incontestables qui soient appliqués sur l’ensemble du territoire. C’est ainsi qu’a procédé mon prédécesseur Manuel Valls en matière de régularisation : la circulaire du 28 novembre 2012 fixe des critères rigoureux, à l’opposé d’une gestion au cas par cas qui ne peut manquer d’être illisible et inégalitaire.
Afin d’éviter faux débats et analyses biaisées, le ministère de l’Intérieur a entrepris un travail de clarification sur la réalité des chiffres de l’immigration. Un service statistique indépendant est ainsi chargé, sous la supervision de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), de collecter les données chiffrées nécessaires dans le strict respect des règles de déontologie.
Que nous disent les chiffres ?
D’abord, il y a 6 % d’étrangers en France. C’est moins qu’en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni. C’est autant qu’au début du XXe siècle. Pour un pays tel que la France, ouvert sur le monde, ancienne puissance coloniale, ce pourcentage ne reflète en rien la déferlante que certains s’emploient à dénoncer.
Les flux migratoires réguliers représentent environ 200 000 personnes par an – pas davantage –, soit 0,3 % de la population, proportion qui nous place tout en bas des pays de l’OCDE, derrière tous nos principaux partenaires. Cette immigration régulière présente quatre caractéristiques.
Tout d’abord, l’immigration familiale y occupe une place très importante, ce qui traduit le fait que nous sommes un vieux pays d’immigration. Elle compte pour 45 % de nos flux migratoires réguliers, au premier rang desquels figure le mariage avec un Français ou une Française.
Ensuite, les mobilités étudiantes représentent une part en augmentation, jusqu’à 65 000 personnes par an. Ces étrangers, qui viennent étudier chez nous, enrichissent notre pays, contribuent à son rayonnement et font vivre la francophonie. La France est le premier pays non anglophone qui accueille des étudiants étrangers. Considérant que le développement de régions entières de la planète va entraîner une multiplication par deux en dix ans du nombre d’étudiants étrangers dans le monde, ne pas favoriser leur accueil serait contraire à nos intérêts, notamment économiques.
Pour ce qui est de nos flux d’immigration professionnelle, ils sont parmi les plus faibles au monde en raison de notre législation qui empêche tout employeur de recruter un étranger extra-communautaire s’il n’a pas démontré préalablement qu’aucun résident en France ne pouvait occuper le poste proposé. Dans une période de chômage de masse, une telle législation est forcément dissuasive, ce qui explique que l’immigration professionnelle concerne moins de 20 000 personnes par an au total.
Enfin, la part de l’asile et de l’immigration de type humanitaire, qui concerne les réfugiés, les protégés subsidiaires et les étrangers malades, que leurs convictions, leurs croyances ou leur situation personnelle exposent, dans leur pays d’origine, à de graves dangers pour eux-mêmes ou leurs proches, ne représente que 15 000 à 20 000 personnes par an.
Dans ce contexte, nous sommes confrontés à deux difficultés principales.
La première est que nous intégrons mal les étrangers qui viennent légalement sur notre sol. Si le contrat d’accueil et d’intégration imaginé par François Fillon en 2003 est une bonne idée. Il exige le niveau de langue le plus faible du référentiel européen et, pour 80 % des étrangers, ce contrat se borne, en réalité, à quelques heures de formation civique. C’est certes utile, mais insuffisant.
Surtout, nous soumettons les étrangers qui viennent en France à un véritable parcours administratif du combattant que l’on peut illustrer en chiffres : 2,5 millions d’étrangers extracommunautaires effectuent 5 millions de passages en préfecture alors même que 1,8 million d’entre eux sont titulaires d’une carte de séjour valable dix ans. Cela signifie que nous soumettons des centaines de milliers d’étrangers à environ une dizaine de passages en préfecture par an. Comment s’intégrer lorsqu’on court de titre précaire en titre précaire ? Comment trouver un emploi quand on doit mobiliser son énergie plusieurs fois par an et s’armer de patience dans les longues files d’attente ? Et comment ces préfectures peuvent-elles lutter efficacement contre la fraude – une de mes priorités –, quand elles doivent faire face à la masse des demandeurs au guichet ?
Le Gouvernement propose de changer de logique. Tous les étrangers auront désormais accès à un titre de séjour pluriannuel après leur première année de séjour et si les conditions sont réunies pour ce faire. Selon les préconisations du rapport de Matthias Fekl, ce titre de séjour pluriannuel les conduira à la carte de résident, à laquelle il ne se substitue pas contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là. Le titre de séjour pluriannuel permet d’éviter des allers-retours angoissants en préfecture. En réalité, si ce projet de loi ne fait pas référence à la carte de résident, c’est précisément parce que nous souhaitons sanctuariser ce dispositif. Mme Chapdelaine propose de consolider l’accès à cette carte en permettant sa remise de plein droit au terme du parcours d’intégration républicain. Le Gouvernement est ouvert à une telle clarification qui permettra de lever tous les doutes éventuels sur l’avenir de la carte de résident.
La création du titre de séjour pluriannuel, au bout d’un an de séjour en France, s’accompagnera de deux évolutions indispensables. La première est le renforcement du parcours d’intégration, fondamental pour la réussite de notre démarche. Dans ce cadre, des cours de langue renforcés devront permettre aux étrangers d’atteindre un niveau A2, inférieur à celui requis pour la naturalisation mais suffisant pour une vraie intégration dans la vie courante. À cet égard, plusieurs amendements déposés devant votre Commission témoignent d’une inquiétude : en France, un parcours d’intégration est forcément républicain ; tout étranger qui souhaite vivre en France doit acquérir et partager les valeurs fondamentales qui cimentent notre nation.
L’amélioration des outils dont disposent les préfectures pour lutter contre la fraude constituera la seconde évolution, avec l’instauration d’un droit de communication tel qu’en disposent les administrations fiscale et sociale. La préfecture n’aura plus à demander à la personne étrangère qu’elle produise des pièces toujours plus difficiles à fournir, mais pourra se tourner directement vers les administrations et les entreprises pour leur réclamer les informations nécessaires. Nous gagnerons ainsi en simplicité et en efficacité. Paradoxalement, aujourd’hui, l’administration fiscale et la sécurité sociale ont accès à toutes les informations détenues par les préfectures quand celles-ci ne peuvent rien leur demander. Il faut mettre fin à cette relation asymétrique qui rend nos titres de séjour vulnérables à la fraude. Si nous voulons créer les conditions d’un accueil digne, nous devons nous armer pour lutter résolument et avec efficacité contre la fraude.
L’esprit de la réforme n’est pas d’accumuler des masses d’informations inutiles sur les étrangers. Au contraire, avec le titre de séjour pluriannuel, nous prônons le mouvement inverse. C’est pourquoi le Gouvernement sera ouvert à toute rédaction de nature à apaiser les craintes.
La deuxième difficulté liée à notre immigration légale est que notre législation restrictive sur l’immigration professionnelle nous prive de talents dont nous avons besoin pour notre compétitivité et notre rayonnement. La mondialisation entraîne une concurrence entre États pour attirer les meilleurs talents, les meilleurs étudiants, les artistes prometteurs. Se priver de ces talents à cause d’une réglementation sourcilleuse reviendrait à se condamner à une forme d’aporie. C’est pourquoi l’une des toutes premières décisions prises par le Gouvernement, en 2012, fut d’abroger la circulaire Guéant, qui témoignait d’une rare méconnaissance des réalités de la mondialisation. Ce texte avait abouti à réduire considérablement le nombre d’étudiants étrangers accueillis en France alors que leur présence se révèle éminemment utile pour le développement de notre recherche, la promotion de la francophonie, la mise en relation de nos centres de recherche. Pour que la France redevienne pleinement attractive, il a fallu, en première étape, supprimer cette circulaire.
La seconde étape consiste à introduire, avec ce projet de loi, trois innovations majeures. La première est la création d’un « passeport talent », titre unique destiné à tous les étrangers dont nous souhaitons qu’ils viennent en France. Valable quatre ans, renouvelable, délivré à la personne et à sa famille, ce passeport regroupe et élargit certaines catégories de titres existants. Il pourra concerner jusqu’à 10 000 personnes chaque année. La deuxième innovation consiste à simplifier le passage du statut d’étudiant à celui de salarié, pour que les étudiants puissent concrétiser dans la vie professionnelle les espoirs que la France a placés en eux. Le Gouvernement souhaite que ces facilités soient réservées aux meilleurs étudiants et aux titulaires de master pour éviter tout effet d’aubaine. La fin des autorisations de travail destinées aux artistes et à leurs équipes pour les visas de moins de trois mois constitue la troisième nouveauté. Ces autorisations sont accordées dans 97 % des cas, mais leur délivrance est le résultat d’une procédure que les entreprises de spectacle ou les organisateurs de festivals considèrent comme particulièrement lourde.
Avec le titre de séjour pluriannuel et le passeport talent, nous entendons répondre aux deux lacunes principales de notre législation en matière de droit au séjour. Nous pourrons ainsi mieux tenir compte des mobilités liées à la connaissance, au savoir et à la culture. Nous intégrerons mieux les étrangers présents sur notre sol. Enfin, nous lutterons plus efficacement contre la fraude. Tels sont, à mes yeux, les objectifs d’une politique d’accueil des étrangers : ferme dans ses principes, solide dans ses fondements, conforme à l’esprit de la République.
Quelques mots sur le titre de séjour délivré aux étrangers malades, qui est en adéquation avec la vocation de la République. Créé par mes prédécesseurs Jean-Louis Debré et Jean-Pierre Chevènement, il témoigne d’une continuité républicaine incontestable qui dépasse les clivages politiques. Ce droit au séjour repose sur un principe simple : un étranger qui risque la mort dans son pays parce qu’il n’y trouve pas les soins adaptés à sa pathologie doit pouvoir rester en France pour se soigner. Un rapport conjoint de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait proposé de clarifier dans la loi la définition des bénéficiaires de ce titre et de transférer à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui dispose d’une expertise reconnue, l’évaluation de la santé des personnes. On pourrait ainsi remédier à la trop grande hétérogénéité du système actuel et éviter la fraude – car elle existe en la matière. Le projet de loi reprend les deux évolutions souhaitées par les inspections générales. Nous redonnerons ainsi à ce droit aujourd’hui décrié toute sa force et toute sa légitimité.
Le deuxième volet du projet de loi concerne la lutte contre l’immigration irrégulière. C’est un point fondamental à mes yeux.
Comme tous ses voisins européens – et pas plus qu’eux –, la France est confrontée à ce phénomène. Avec 300 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière, essentiellement concentrés en Île-de-France, la France se situe au niveau de l’Allemagne. Au Royaume-Uni, l’immigration irrégulière est deux fois plus importante que chez nous. Ce constat statistique ne doit pas pour autant nous détourner de nos objectifs : un étranger en situation irrégulière doit être reconduit à la frontière et les filières criminelles de l’immigration clandestine, ces réseaux de passeurs, qui tirent profit de la mort ou de l’exploitation des plus vulnérables, doivent être démantelées. Il en va du respect de l’État de droit et des valeurs de la République.
Démanteler les filières de l’immigration clandestine, c’est précisément ce à quoi je souhaite que s’emploie toute l’administration placée sous ma responsabilité. Les forces de l’ordre enregistrent d’excellents résultats : plus 25 % de filières démantelées en 2014 par rapport à 2012 ; plus 13 % de reconduites contraintes pendant la même période, les reconduites vers un pays tiers à l’Union européenne (UE) connaissant la hausse la plus significative, après un point bas atteint en 2011– autrement dit, ce sont les reconduites les plus difficiles à réaliser qui augmentent le plus. Comprenant parfaitement que certains puissent ressentir le besoin de vérifier l’adéquation entre ce que j’affirme et la réalité, le Gouvernement est disposé à communiquer à la Commission l’ensemble des statistiques dont il dispose. Ainsi pourrons-nous mettre un terme à des débats alimentés par des contre-vérités.
Dans cette lutte contre l’immigration irrégulière, nous devons remédier à trois faiblesses.
D’abord, nous avons mal transposé en droit français certains aspects de la directive Retour. Il en résulte que les étrangers à qui nous remettons une mesure d’éloignement ne font l’objet de l’interdiction de retour prévue par les textes européens que de façon exceptionnelle. Or celle-ci peut permettre aux préfectures de gagner en efficacité en évitant de délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) chaque fois qu’un étranger se soustrait à une mesure d’éloignement. Cette interdiction de retour sera valable pendant une durée comprise entre une à trois années, et supprimée si l’étranger exécute volontairement l’OQTF qui lui est délivrée. Elle renforcera l’efficacité de nos outils juridiques en nous permettant de nous conformer pleinement à nos obligations communautaires. J’ajoute que cette évolution est conforme à la jurisprudence constitutionnelle : le Conseil constitutionnel a bien précisé que l’interdiction de retour n’était pas une sanction et qu’elle pouvait donc accompagner plus systématiquement les OQTF.
Ensuite, notre politique d’éloignement repose trop exclusivement sur la rétention. En conformité avec les directives européennes, nous devons privilégier, chaque fois que cela est possible, l’incitation à la contrainte, et veiller à ce que la rétention ne soit utilisée que lorsqu’elle est indispensable. Le Gouvernement a récemment refondu les aides au retour pour en faire, s’agissant notamment des pays tiers à l’Union européenne, un outil indispensable de sa politique d’éloignement. Mais ce n’est pas suffisant. Il prévoit donc, dans le projet de loi, de renforcer l’assignation à résidence pour en faire une alternative efficace à la rétention. C’est ainsi que sont clarifiées les conditions de l’action des forces de l’ordre dans le cadre d’une assignation à résidence, ce qui leur apporte le cadre juridique sans lequel l’assignation à résidence est à la fois peu efficace et peu protectrice des libertés. Avec la fin du délit de séjour irrégulier, votée par l’Assemblée nationale en décembre 2012, cette évolution signifie également la fin d’une assimilation de la politique d’éloignement avec la politique pénale. Un étranger en situation irrégulière doit être éloigné ; il n’est pas pour autant un délinquant et ne doit donc pas être traité comme tel, ni privé systématiquement de liberté.
En ce qui concerne précisément la rétention, j’entends agir dans la plus grande transparence. Des associations interviennent dans les centres de rétention pour faire respecter le droit ; des parlementaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits s’y rendent régulièrement. Mais, de façon paradoxale et faute d’un régime juridique adapté, la presse n’y a accès que sur dérogation. Ce n’est pas la conception que nous devons avoir de la République. Il faut un régime clair et simple d’accès des journalistes aux centres de rétention. S’il s’avère que des centres offrent des prestations insatisfaisantes, comme à Mayotte par exemple, une visite de la presse aura tôt fait d’amener le Gouvernement, quel qu’il soit, à prendre les mesures qui s’imposent. Le projet de loi prévoit donc l’accès de la presse aux centres de rétention.
Enfin, vous êtes nombreux à vous interroger sur le contentieux des étrangers, à propos duquel je distinguerai deux catégories de questions.
La première porte sur la rétention, en particulier sur son contrôle par le juge des libertés et de la détention (JLD) que la loi du 16 juin 2011 fait intervenir après le cinquième jour de rétention. Certains d’entre vous s’en inquiètent car une part non négligeable des étrangers est éloignée avant même que le juge ait pu examiner les conditions de leur interpellation. Ces éloignements ont lieu exclusivement vers des pays de l’Union européenne puisqu’il est impossible, dans les autres cas, d’obtenir un laissez-passer consulaire dans des délais si courts. Toutefois, du point de vue des principes, un tel angle mort n’est pas satisfaisant. Pour remédier à cette situation, il faut prendre en compte l’ensemble des aspects du sujet : dans la chaîne contentieuse en rétention, particulièrement complexe, l’action des deux juges qui se prononcent en l’espace de cinq jours doit être coordonnée avec la plus grande minutie ; du point de vue des forces de l’ordre et de la Chancellerie, il faut garder à l’esprit que la procédure implique des escortes et des audiences alors que les services sont très mobilisés par ailleurs.
Certains parlementaires souhaitent réduire la durée de rétention pourtant parmi les plus courtes d’Europe : de quarante-cinq jours en France, elle est de six mois en Italie et en Allemagne et de dix-huit mois au Royaume-Uni. Cette proposition s’appuie sur le fait que le taux de reconduite décroît avec le temps. Or les éloignements qui ont lieu tard dans la procédure sont ceux qui concernent des États tiers à l’Union européenne, parfois peu coopératifs dans la délivrance de laissez-passer consulaires. Réduire cette durée reviendrait à adresser un signal négatif quant à notre détermination à éloigner les ressortissants de ces pays en situation irrégulière sur notre territoire. C’est pourquoi je n’y suis absolument pas favorable. Rien n’est prévu à cet égard dans le projet de loi parce que nous souhaitons que ces questions soient évoquées en séance. Nous poursuivrons notre travail avec le rapporteur pour rechercher les meilleures solutions afin de concilier respect de l’État de droit et efficacité de nos dispositifs. Si nous sommes disposés à réduire les angles morts, il faut aussi que nous créions les conditions d’un éloignement soutenable, efficace et ferme.
J’en viens à la deuxième catégorie de questions portant sur le contentieux des étrangers. Le texte prévoit un recours accéléré pour les situations dans lesquelles le préfet a pris une OQTF sans examiner une demande de titre de séjour, se bornant à constater une situation d’irrégularité. Cela est nécessaire : il est anormal qu’au terme d’une longue procédure d’asile, il faille jusqu’à un an au tribunal pour statuer sur l’obligation de quitter le territoire français. Nous ne faisons, sur ce point, que rétablir la distinction qui prévalait jusqu’en 2011 entre arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière et obligation de quitter le territoire.
Dans le débat sur l’asile, considérant que de telles solutions présentaient des fragilités juridiques considérables, j’avais très clairement exprimé mon opposition à des mesures prévoyant que tout refus d’asile valait automatiquement OQTF ou interdisant aux déboutés de l’asile de déposer une demande de titre de séjour pour un autre motif, renvoyant le traitement de la question au texte sur le séjour. Nous y sommes. Alors même que toutes les garanties juridiques sont prises, puisque nous avons accordé un droit au recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), l’OQTF « post-asile » doit pouvoir faire l’objet d’un traitement accéléré sans remise en cause des droits des étrangers. Tel est l’objectif de cette mesure, qui doit renforcer la soutenabilité de notre système d’asile, qui implique que nous soyons à même de reconduire à la frontière tous ceux qui, déboutés du droit d’asile, n’ont pas le droit au séjour en France à un autre titre. Tout autre raisonnement serait irresponsable.
En matière d’immigration, le Gouvernement a trois priorités : mieux intégrer ceux que notre droit et nos principes nous conduisent chaque année à accueillir légalement ; attirer davantage les talents ; lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière en démantelant les filières – nous multiplions, à ce sujet, les accords de coopération en Europe et avec nos partenaires extra-européens – et en éloignant effectivement du territoire les étrangers qui n’ont pas droit au séjour, sans pour autant les considérer comme des délinquants. Si nous réussissons ensemble à bâtir cette réforme équilibrée, réaliste et adaptée aux réalités contemporaines, nous aurons été des républicains utiles.
Quand le droit s’attache à réaliser des objectifs politiques justes, incontestables et adaptés, il s’inscrit dans la profondeur du temps. J’ai confiance dans la sagesse de votre Commission, éclairée par le travail remarquable de votre rapporteur Erwann Binet. Celui-ci s’est pleinement investi dans l’examen du projet de loi, multipliant les visites et les contacts avec l’ensemble des acteurs intéressés, pour parvenir à une solution qui fasse honneur à la République et nous éloigne des postures habituelles, dangereuses pour nous comme pour les étrangers ; bref, une solution qui nous permette de faire vivre la République et ses principes.
M. Erwann Binet, rapporteur. Je salue les avancées remarquables proposées dans le projet de loi que vous nous présentez, au premier rang desquelles le caractère pluriannuel de la carte de séjour : nous donnons ainsi aux étrangers autorisés à résider en France la possibilité d’y envisager leur avenir au-delà d’une petite année. Nous savons tous que la stabilité du séjour est une condition de l’intégration. Nous donnons enfin aux étrangers un droit, une perspective à la hauteur de l’exigence que nous avons à leur égard.
L’affirmation du caractère subsidiaire du placement en rétention administrative au bénéfice de l’assignation à résidence est également un geste très positif. En matière de police des étrangers, la restriction de liberté doit prévaloir sur la privation de liberté.
Dans le cadre du titre de séjour au bénéfice des étrangers malades, vous réintroduisez la condition d’effectivité de l’accès à un traitement approprié par l’étranger malade dans son pays. Aujourd’hui, nous ne faisons qu’évaluer l’existence d’un traitement dans le pays dont est originaire l’étranger malade, ce qui peut conduire à lui refuser des soins en France alors qu’il n’y a pas accès à de tels soins dans le pays d’origine. Ce n’est pas admissible.
Enfin, le texte introduit la possibilité pour les journalistes d’accéder aux zones d’attente et aux centres de rétention administrative.
J’ai retenu des auditions et des visites de terrain que j’ai menées plusieurs inquiétudes suscitées par certaines dispositions. Il me semble toutefois que la plupart d’entre elles, justifiées à la lecture du texte, peuvent être levées par de simples éclaircissements. Je ne relèverai pour l’heure que deux de ces inquiétudes.
L’une concerne le transfert à un collège de médecins de l’OFII de l’avis médical donné au préfet dans la procédure pour la délivrance d’un titre autorisant le séjour d’un étranger malade. Cet avis est délivré aujourd’hui par le médecin de l’Agence régionale de santé (ARS) ou, à Paris, par le médecin-chef de la préfecture de police. L’inquiétude vient de ce que l’organisme de tutelle de l’OFII est le ministère de l’Intérieur. Ainsi le Défenseur des droits craint-il « que l’OFII ne s’éloigne de l’objectif de protection et de prévention en matière de santé pour privilégier un objectif de gestion des flux migratoires ». À titre personnel, il me semble que la déontologie médicale, d’une part, et la responsabilité confiée par le texte au ministre de la Santé de fixer les orientations auxquelles devront se référer les médecins de l’OFII, d’autre part, sont éclairantes sur vos intentions. Je constate néanmoins que les doutes persistent. Il me paraît donc utile, monsieur le ministre, de vous entendre sur ce point.
D’autres inquiétudes tiennent aux moyens donnés à vos services au sein des préfectures d’examiner le respect effectif par l’étranger des conditions attachées au bénéfice du titre de séjour tout au long de la durée de sa validité, soit jusqu’à quatre ans pour le titre pluriannuel. La formulation de l’article 8, exigeant de l’étranger qu’il puisse justifier à tout moment qu’il continue de satisfaire aux conditions fixées pour la délivrance de sa carte, mérite d’être allégée de son caractère un peu trop soupçonneux. Surtout, s’agissant de l’article 25 qui prévoit la possibilité de recueillir des informations auprès d’un grand nombre d’autorités et de personnes privées afin de contrôler la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites, il importe que nous connaissions les intentions du Gouvernement au regard de l’encadrement et de la nature du contrôle.
Nous pouvons comprendre aisément les démarches de base, telles que la vérification de l’authenticité d’un document ou d’une adresse – ce sont les plus simples et elles ne poseront aucune difficulté. En revanche, lorsque l’administration souhaitera vérifier la réalité de la vie commune ou de la contribution effective à l’éducation et à l’entretien de l’enfant français par un étranger, quels documents demandera-t-elle aux banques, aux établissements scolaires, aux organismes de sécurité sociale ? Certes, les autorités pourront exiger uniquement les documents et les informations « strictement nécessaires » mais, avec une liste d’organismes très générale et sans précision sur l’accès aux informations ni sur les conditions et la durée de conservation des documents compulsés, on peut légitimement s’interroger sur les risques que ferait peser sur les personnes étrangères un droit mal défini d’ingérence dans leur vie privée et celle de leurs enfants. Je proposerai une réécriture des articles 8 et 25 à la Commission, qui doit être éclairée sur les moyens que vous vous attribuez pour le contrôle des titres.
Quant aux conditions de la rétention et aux questions relatives au contentieux, vous avez abondamment évoqué le sujet. Nous devrons travailler dans les jours qui viennent ; je n’y reviendrai donc pas.
M. le ministre. En ce qui concerne le rôle de l’OFII à l’égard des étrangers malades, les dispositions prévues, je l’ai dit, s’inspirent du rapport conjoint de l’IGA et de l’IGAS. Ce sont aujourd’hui les ARS qui s’en chargent avec grand professionnalisme mais aussi beaucoup d’hétérogénéité. Il n’y a pas de doctrine unifiée sur le droit au séjour des étrangers malades : dans certains départements, le taux d’accord des ARS pour la délivrance des titres de séjour est de 100 % quand il n’est que de 30 % dans d’autres. Les mêmes règles doivent être appliquées aux étrangers malades où qu’ils se trouvent sur le territoire de la République. Nous devons corriger les disparités. Nous entendons confier les avis médicaux à l’OFII considérant que sa déjà longue pratique du suivi de l’état de santé des migrants arrivant en France lui confère une expérience en la matière. Les médecins de l’OFII agiront sous le contrôle exclusif du ministère de la Santé ; ils rendront un avis après une expertise collégiale. Nous bâtirons ainsi, sous le contrôle du juge, une pratique harmonisée pour la délivrance des titres de séjour.
Pour ce qui est de la lutte contre la fraude, je considère que les préfectures ne disposent pas d’outils suffisamment efficaces. Elles n’ont aucun droit de communication auprès d’autres administrations et doivent, le plus souvent, se contenter d’éléments transmis par l’étranger. Cela conduit à deux effets pervers qu’il faut absolument corriger. D’une part, elles sollicitent toujours davantage de justificatifs de l’étranger, notamment à l’occasion du renouvellement annuel du titre de séjour, multipliant les convocations et les files d’attente. D’autre part, ces lourdeurs, proches du dysfonctionnement, empêchent notre système de lutter efficacement contre la fraude, l’embolisation des guichets conduisant les préfectures à délaisser les fonctions de contrôle qui sont, en la matière, essentielles.
Avec l’instauration du titre de séjour pluriannuel, le préfet disposera d’un droit de communication d’informations en provenance d’autres administrations qui, elles, ont un tel droit vis-à-vis de l’administration préfectorale. Il est également prévu que le préfet puisse convoquer l’étranger pour l’entendre lorsqu’il ressort de l’examen préliminaire des pièces obtenues que des doutes existent sur la véracité des informations transmises par l’étranger. Cela est normal et vaut pour ceux qui bénéficient de droits reconnus par une administration ou par la République.
Je suis prêt à améliorer la rédaction du texte afin de lever vos craintes, mais il ne saurait être question, ce faisant, d’affaiblir la capacité du dispositif à lutter contre la fraude, notamment documentaire. À cet égard, la détermination du Gouvernement est ferme. La rédaction doit être aussi bonne que l’intention est ferme.
M. Éric Ciotti. Ce projet de loi était attendu, annoncé depuis très longtemps ; il résulte d’une promesse du candidat Hollande en 2012. De fait, on a l’impression d’un texte daté, dont on se demande bien pourquoi il vient en complément de la loi sur la réforme du droit d’asile. Dans le contexte de crise migratoire majeure qu’il n’est nul besoin de rappeler, il ne tient aucun compte de la situation, n’en tire aucune leçon, ne mesure pas l’ampleur des difficultés auxquelles va nous confronter l’évolution démographique structurelle. Le problème migratoire risque de s’amplifier si nous ne prenons pas des mesures très fermes, très audacieuses que je ne trouve nulle part dans votre projet de loi.
Au-delà de cette crise migratoire, qui, depuis le début de l’année, a conduit sur les côtes européennes, dans des conditions épouvantables, près de 100 000 étrangers en situation irrégulière et entraîné la mort de quelque 2 000 personnes en Méditerranée, c’est l’échec terrible de notre modèle d’intégration que nous devons constater. En témoigne le taux de chômage des étrangers en situation régulière : 25 % en moyenne, presque 50 % dans certains territoires. Cet échec, nous pouvons tous en assumer la responsabilité.
Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, l’immigration en France a, pour moitié, un caractère familial, ce qui nous distingue des autres pays dans lesquels elle répond davantage à des motivations économiques. Sa structure même est donc source de difficultés.
Aujourd’hui, un texte se voulant efficace en matière d’immigration chercherait à rendre notre pays moins attractif et s’inspirerait de la courageuse politique menée par le Premier ministre britannique David Cameron. Il conviendrait de limiter l’accès à notre système social pour les étrangers ne disposant pas de capacités contributives, ne payant pas les cotisations sociales attachées à un travail.
Le groupe Les Républicains pense qu’il y a lieu de lutter de manière implacable et bien plus déterminée que vous ne le faites contre l’immigration irrégulière. Vous vous targuez, monsieur le ministre, d’une légère augmentation du taux de reconduite à la frontière. Or, sur les 300 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière dans notre pays que vous évoquez, moins de 20 000 par an sont reconduits à la frontière, soit un taux ridicule d’à peine 5 %. Selon une évaluation de la Cour des comptes, le taux de retour des déboutés du droit d’asile est de seulement 1 %. Quelques difficultés que puisse rencontrer telle ou telle majorité, nous avons tous le devoir de rendre notre modèle moins attractif par une lutte plus efficace contre l’immigration irrégulière, qui passe par l’augmentation du nombre des procédures de reconduite à la frontière.
Nous considérons que ce projet de loi ne répond pas à ces exigences et contient même des mesures dangereuses qui risquent de renforcer nos difficultés. Ainsi, le titre de séjour de quatre ans et l’élargissement de l’accès à la procédure de séjour pour les étrangers malades, pourtant détournée, rendront-ils notre pays encore plus attractif. La mise en place du passeport talent entraînera, selon certaines évaluations, l’arrivée de 10 000 étrangers supplémentaires en France, sans parler de la suppression de l’obligation pour les étrangers d’obtenir une autorisation de travail pour une activité de moins de trois mois. En matière d’immigration irrégulière, le moindre recours à la rétention contredit votre discours et limitera considérablement l’efficacité des procédures de retour. La mesure d’assignation à résidence s’avérera illusoire car seule la rétention peut stimuler l’indispensable progression du taux de reconduite à la frontière.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous considérons ce projet totalement inadapté au contexte que nous connaissons ; il ne répond en rien aux enjeux majeurs auquel est confronté notre pays en matière d’immigration. Le groupe Les Républicains défendra de nombreux amendements visant à rendre notre modèle social moins prodigue – en conditionnant notamment le versement des prestations sociales et familiales à une durée de séjour – et à mettre en place une caution au retour. Nous souhaitons changer la philosophie qui sous-tend la politique conduite par le Gouvernement, lui insuffler courage, audace et volontarisme. Ce texte, monsieur le ministre, ne permettra pas de résoudre la crise migratoire que vivent notre pays et le continent européen ; il comporte même des mesures dangereuses qui la renforceront.
M. le ministre. Vos propos, très politiques comme il est normal à l’Assemblée nationale, s’adossent à des éléments erronés. Je vais vous apporter des faits précis afin que nous puissions avoir un débat qui repose non sur des postures, des incantations et des contre-vérités, mais sur des données objectives. Vous avez raison : il existe une tension migratoire à propos de laquelle le pays est profondément divisé. Certaines images véhiculées ne sont pas de nature à conforter la République dans ses fondements et ses principes, mais cherchent à créer des fantasmes, de la peur et de la division. Tous les républicains devraient se montrer rigoureux et précis. C’est l’attitude qui a animé le Gouvernement lors de la rédaction de ce texte. Je conserverai cet esprit pour son examen.
Les dispositions que nous prenons ne sont pas, dites-vous, à la hauteur de la crise migratoire. Mais ce n’est pas la première que nous connaissons. Lors d’un épisode sévère en 2011, au lendemain des « Printemps arabes », plus de 100 000 migrants étaient arrivés en quelques mois en Europe. Qu’avait-il été fait à l’époque ? J’attends de connaître des éléments précis sur les décisions européennes arrêtées il y a quatre ans. L’examen de ce texte offrira l’occasion d’aborder ce sujet.
Je peux vous dire précisément ce que nous avons fait de notre côté. Le 30 août dernier, alors que la crise actuelle ne s’était pas encore déclarée, j’ai entamé une tournée des capitales européennes pour défendre auprès de mes homologues la mise en place d’une politique globale et forte de l’Union européenne. J’ai plaidé pour qu’une distinction soit opérée, dès le franchissement des frontières extérieures de l’Union européenne par les migrants, entre ceux qui relèvent du statut de réfugié et ceux qui se trouvent en immigration irrégulière. La Commission européenne a repris cette solution en proposant la mise en place de hotspots en Italie et en Grèce ; ces deux pays en ont accepté le principe même si les discussions sur les modalités continuent. Cette mesure est indispensable pour tarir le flux de l’immigration irrégulière en Europe et organiser les reconduites dans les pays de provenance, dans la mesure où 70 % des migrants qui transitent par la bande sahélo-saharienne relèvent de l’immigration économique irrégulière.
Par ailleurs, il faut organiser le dispositif de reconduite à la frontière avec l’Union européenne. Pour ce faire, nous avons triplé les moyens de Frontex et sommes prêts à l’armer dans le cadre d’accords permettant la délivrance de laissez-passer consulaires avec les pays de provenance. Dans le respect rigoureux des règles de Schengen, nous avons fait en sorte que le dispositif de réadmission fonctionne – vous le savez parfaitement, monsieur Ciotti, puisque nous avons agi non loin de votre circonscription. Cela a suscité des débats injustes qui ont stigmatisé la position française comme non solidaire alors qu’elle reposait sur le respect des règles européennes ; cela a également engendré une nette amélioration du dialogue avec les Italiens et nous avançons dorénavant ensemble. Sans cette mesure de grande fermeté, nous n’aurions pas pu trouver avec l’Italie l’accord auquel nous avons abouti.
Pour ceux qui relèvent du statut de réfugié, un mécanisme de répartition entre les différents pays européens doit être créé. Il n’est pas normal que cinq pays accueillent 85 % des demandeurs d’asile. Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur Ciotti, la France n’accueille pas sans compter les demandeurs d’asile. Leur nombre a d’ailleurs diminué de 2,34 % l’an dernier et atteint environ 20 000 chaque année pour 60 000 demandes. L’Allemagne en a accueilli près de 200 000 ; vous ne qualifieriez pas la sensibilité politique du gouvernement allemand de laxiste et d’inconséquente. Quant à la pression migratoire qui ne cesserait d’augmenter, j’ai dit que les 200 000 étrangers arrivant chaque année représentent une proportion de la population française identique à celle qu’elle était au début du XXe siècle.
Notre politique repose sur les piliers suivants : lutte contre l’immigration irrégulière, démantèlement des filières, reconduite à la frontière de ceux qui relèvent de l’immigration illégale et accueil de ceux qui relèvent de l’asile par la mise en place d’un dispositif en Italie et en Grèce. Celui-ci mobilise l’Union européenne et nos administrations, notamment l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l’OFII, pour aider les Italiens.
Vous nous reprochez la faiblesse de notre politique d’éloignement. Regardons les chiffres précis et ne cédons pas à l’approximation et aux raisonnements à l’emporte-pièce : en 2009, le Gouvernement d’alors a procédé à 13 908 reconduites à la frontière, puis 12 034 en 2010 et 12 547 en 2011. En 2012, ce nombre est remonté à 13 386, puis à 14 076 en 2013 et 15 161 en 2014. Le nombre de reconduites à la frontière a donc augmenté de 13 % depuis 2012 et il avait atteint son point le plus bas en 2011. Monsieur Ciotti, vous comptabilisez, dans les statistiques que vous diffusez sur les reconduites à la frontière, les Roumains et les Bulgares retournés dans leur pays au titre de la prime instaurée par M. Brice Hortefeux. Le Gouvernement que vous souteniez a gonflé ces statistiques avec des Roumains et des Bulgares qui partaient dans leur pays avant Noël, après avoir touché la prime, revenaient en France en janvier et repartaient à Pâques après avoir perçu à nouveau de l’argent. Ce n’est pas une politique pertinente ; c’est une politique de gribouille ! Elle s’avère dispendieuse d’argent public et ne permet pas d’éloigner les personnes difficiles à renvoyer chez elles. Pour notre part, nous avons refondu le dispositif d’aide au retour afin d’atteindre cet objectif. Monsieur Ciotti, compte tenu de votre engagement et de votre passion sur cette question, ainsi que de la qualité de nos relations, je ne doute pas que vous ferez le meilleur usage de ces chiffres qui décrivent la réalité.
Le sujet qui prouve la volonté d’un Gouvernement d’agir est le démantèlement des filières de l’immigration irrégulière : l’an dernier, nous avons augmenté de 25 % le nombre de démantèlement de filières. Le reconnaître revient à accepter la réalité et à rendre hommage aux forces de l’ordre, qui apprécieraient que l’ensemble de la classe politique française salue l’accomplissement de cette tâche difficile et risquée. Je tiens à les féliciter de leur travail qui donne des résultats.
Il est inexact que le passeport talent engendrera l’arrivée de 10 000 étrangers supplémentaires. Ce dispositif bénéficiera, à flux identique, à des personnes déjà présentes, qui ont démontré leur utilité à notre pays. Plutôt que de les condamner à un parcours administratif interminable qui embolise les services des préfectures et les empêche de lutter efficacement contre la fraude, il facilitera leur intégration. Toutes les grandes puissances économiques sont capables d’accueillir des ingénieurs, des intellectuels, des scientifiques et des gens talentueux qui viennent stimuler leur économie. On ne peut pas vouloir une France plus forte dans la mondialisation et compliquer la tâche de ceux qui peuvent apporter de l’intelligence et de la valeur ajoutée et qui veulent venir chez nous.
Connaissez-vous, monsieur Ciotti, le taux de délivrance des autorisations de travail de moins de trois mois ? Il s’élève aujourd’hui à 97 % ! Affirmer que la modification que nous apportons est une source de laxisme considérable ne constitue pas un argument raisonnable.
L’assignation à résidence n’a pas vocation à empêcher les éloignements mais à les réaliser dans des conditions humaines. L’administration pourra ainsi organiser les départs dans des conditions de confiance et non plus de tension. J’ai également modifié le barème des aides au retour pour faciliter les reconduites. On peut discuter de l’efficacité de la mesure mais on ne peut pas faire dire à un texte le contraire des objectifs qu’il prétend servir. Pensez-vous que les centres de rétention, inoccupés pour un tiers d’entre eux, remplissent leur fonction ? Je ne crois pas. Nous aurons ce débat lors de l’examen du projet de loi en séance publique.
Il n’y a pas de soutenabilité de notre politique d’immigration sans une puissante action européenne. C’est difficile, comme le Conseil européen l’a montré, mais ce n’est pas une raison pour ne pas nous pencher sur les problèmes que nous affrontons.
La fermeté s’avère également indispensable, et ce texte en fait montre pour les déboutés du droit d’asile et l’immigration irrégulière. Enfin, il ne peut y avoir de débat de qualité sur ces questions hautement sensibles si le pays est invité à réagir instinctivement plutôt qu’à faire usage de sa raison et si les termes de la discussion ne sont pas précisés. Je souhaite que le débat démontre qu’il est possible, à des questions difficiles, d’apporter des réponses aux Français et à leurs représentants dans la précision des chiffres, des textes et des procédures, et non dans les amalgames et les approximations. Choisissons l’exigence républicaine et ne cédons pas à la tentation d’instrumentaliser ces sujets à des fins politiques.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le ministre, je salue votre discours mesuré et maîtrisé sur un thème qui le mérite. Vous avez distingué le quantitatif du qualitatif dans votre appréhension de l’immigration, et souligné la nécessité à la fois d’endiguer des flux et de traiter humainement et dans le respect de l’État de droit les personnes concernées. Vous avez décrit un système qui n’est pas une révolution mais une évolution rendue nécessaire par les règles européennes et par le changement des situations que nous rencontrons. Ces dernières ne sont pas toujours neuves comme l’atteste l’afflux des migrants en 2011.
Ma longue pratique de ces questions, en qualité de juge notamment, m’a convaincue qu’il n’y a pas une immigration, mais des immigrations. Les situations de migration sont diverses et renvoient à des réalités nuancées que la loi doit parvenir à appréhender bien que les termes de celles-ci se caractérisent non par la complexité mais par la généralité. Nous éprouvons des difficultés à faire appliquer le cadre de la loi à des situations complexes et humaines.
Monsieur le rapporteur, M. Jean-Pierre Chevènement avait intégré le passeport talent dans la loi du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, dite loi Reseda. Nous sommes tous soucieux de favoriser l’attractivité du territoire et séduits par l’idée d’attirer les meilleurs. Mais cette politique présente un paradoxe avec celle du codéveloppement. Si l’on veut tarir l’immigration, il faut permettre aux pays d’émigration de se développer, ce qui nécessite le concours de leurs élites. Je ne prétends pas avoir la solution à ce problème difficile mais il convient de ne pas l’éluder.
Le véritable parcours du combattant que constitue le parcours administratif du demandeur de titre de séjour doit être simplifié. Je me demande s’il n’y aurait pas lieu d’aller plus loin même si cela relèverait de l’application de la loi et d’une circulaire. Où en est le guichet unique pour les étudiants que nous avions tenté de mettre en place au tournant des années 2000 ? L’idée de délivrer sur le campus même le titre de séjour était audacieuse et avait fait frissonner l’esprit universitaire. Les oppositions avaient été importantes mais devons-nous pour autant renoncer ?
Les directives ministérielles ne sont pas appliquées uniformément par les préfectures. Certaines d’entre elles, trop nombreuses, exigent des étrangers des démarches ou des pièces justificatives que la loi ne requiert pas. Nous avions tenté de mettre en place une formation des personnels de préfecture dans ce domaine mais la restriction des dépenses publiques a des conséquences sur le nombre, la motivation et la formation de ces agents. Or ceux-ci sont indispensables pour que les titres soient délivrés de manière humaine, raisonnée et en conformité avec la loi. La loi et rien que la loi, voilà quelle doit être notre boussole en la matière !
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je remercie le ministre qui doit nous quitter pour se rendre au Conseil des Ministres.
M. Paul Molac. La loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité fut adoptée dans un contexte particulier. Depuis cette date, la situation internationale ne s’est pas améliorée – parfois de notre fait, puisque notre intervention en Libye a déstabilisé toute la zone sahélienne, sans même parler de l’invasion américaine de l’Irak. L’Europe doit aujourd’hui faire face à un afflux de réfugiés.
M. le ministre a raison de parler d’embolie voire de thrombose des services préfectoraux. Il suffit de se rendre de bon matin devant une préfecture pour y constater les files d’attente d’immigrés qui viennent simplement y chercher leurs papiers. Cette situation n’est vraiment pas à notre honneur.
Parmi les points positifs de ce projet de loi, la création d’une carte pluriannuelle constitue une avancée. Un tel document, entre la carte annuelle et le titre de séjour, manquait. Au sujet du passeport talent, je partage les réserves exprimées par Marie-Françoise Bechtel : entre l’individu et le codéveloppement, il s’avère ardu de choisir. On ne pouvait pas continuer à conditionner la délivrance du titre de séjour pour les étrangers malades à l’existence dans leur pays du traitement médical demandé. Lorsque ce traitement représente plusieurs mois de salaire, l’accès ne peut pas y être effectif, même pour des traitements qui nous paraissent courants comme ceux à base d’insuline. L’assignation à résidence et la proportionnalité des contraintes sont également de bonnes mesures.
D’autres points nous paraissent, en revanche, négatifs. Nous regrettons que le juge des libertés et de la détention ne puisse toujours pas intervenir avant un délai de cinq jours suivant le placement en rétention alors que cette période n’était que de quarante-huit heures autrefois. Nous craignons, par ailleurs, que l’augmentation des contrôles ne finisse par devenir intrusive si bien que, entre la liberté et le contrôle, la cote nous semble mal taillée. Enfin, certaines interdictions de retour sur le territoire français nous paraissent abusives.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. J’aurais aimé que M. le ministre entende la parole du groupe Socialiste, républicain et citoyen. Je déplore très franchement pour l’intérêt de nos débats qu’il soit parti.
Le projet de loi répond à la nécessité d’aborder la question des étrangers avec efficacité, dignité, sérénité et fidélité à nos valeurs républicaines, mais sans angélisme. N’en déplaise à M. Ciotti qui est également parti, il comporte un volet visant à renforcer l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière. Pour autant, l’étranger ne doit plus être un triste terrain de jeu électoral comme ce fut trop longtemps le cas durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Le texte comporte de réelles avancées pour le droit au séjour des étrangers : pluriannualité de la carte de séjour ; suppression des précontrats d’accueil et d’intégration, réclamée par tous ; subsidiarité du placement en rétention administrative ; possibilité de proroger le délai de retour volontaire ; justification du refus de délivrance d’un titre de séjour aux étrangers malades par l’effectivité de l’accès à un traitement approprié dans le pays d’origine ; autorisation d’accès aux zones d’attente et aux lieux de rétention pour les journalistes.
Néanmoins, des améliorations s’imposent en matière de libertés et droits fondamentaux. Réforme après réforme, le droit se complique et il convient parfois de simplifier ; il importe également de faire évoluer concrètement ces droits pour qu’ils puissent être effectivement exercés.
L’article 1er instaure un contrat d’accueil personnalisé salué par l’ensemble des associations et des personnes auditionnées par le rapporteur. Il convient de le préciser.
L’article 11, majeur car il concerne la carte pluriannuelle, mériterait d’être plus explicite sur la situation des parents d’enfants français et des conjoints de Français.
La combinaison des articles 8 et 25 établit un régime juridique pouvant apparaître invasif sur le plan des libertés individuelles et du respect du droit. Mais le rapporteur, l’administration et le Gouvernement ont déjà levé certaines difficultés.
Nous sommes interpellés par l’article 14 qui établit plusieurs délais pour introduire un recours. Ceci nuit à la lisibilité de la loi. Le risque d’une justice à deux vitesses ne nous apparaît pas nul. La simplification et la fluidification des délais de recours constitueront un gage d’efficacité. Nous devons encore progresser en la matière.
Je tiens à saluer l’article 19 qui permettra de limiter le plus possible le nombre d’enfants enfermés dans un centre de rétention. Il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant. Je m’étonne que le groupe politique qui n’a cessé de défendre cette position ne le salue pas davantage.
L’article 22, qui permet à l’autorité administrative de solliciter le juge des libertés et de la détention pour requérir les forces de l’ordre afin d’intervenir au domicile des étrangers assignés à résidence, devrait offrir davantage de garanties procédurales.
Qu’est-il possible d’obtenir sur le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention et sur la durée de cette dernière ?
Le groupe Socialiste, citoyen et républicain souhaite faire évoluer le texte sur les dispositions relatives à l’accueil et à l’intégration, à l’attractivité de la France et à l’effectivité de la lutte contre l’immigration irrégulière de façon constructive et déterminée, en parfaite entente avec le Gouvernement. Il salue l’ambition politique de l’exécutif d’agir dans le respect des droits et des obligations des étrangers qui arrivent sur notre sol afin qu’ils ne soient plus traités comme une variable d’ajustement. Souvenons-nous que la stabilité du séjour n’est pas la récompense d’une bonne intégration, mais le moyen d’y parvenir ! C’est dans cet esprit que notre groupe proposera des amendements et soutiendra ceux du rapporteur.
Mme Françoise Descamps-Crosnier. En 2013, une mission parlementaire, présidée par Denis Jacquat et dont le rapporteur était Alexis Bachelay, avait préconisé d’inscrire l’histoire de l’immigration dans l’histoire nationale afin de promouvoir une mémoire partagée au service d’une meilleure intégration. Cette dernière n’étant pas seulement une affaire de mémoire, des propositions avaient été avancées pour assouplir les dispositions juridiques relatives au séjour et à l’accès à la nationalité française. Le rapport avait relevé les difficultés dans lesquelles vivent de nombreux immigrés âgés, dont les chibanis, révélatrices des faiblesses de nos politiques sociales. Il suggérait des pistes pour améliorer ces conditions de vie, pistes qu’il conviendrait de mettre en œuvre et qui servent de fondement aux amendements que nous avons déposés. J’aurais souhaité demander à M. le ministre, qui a à cœur de permettre à chaque immigré de vivre une vieillesse digne, de soutenir ces amendements tel, par exemple, celui visant à mettre en place un régime de regroupement familial dérogatoire. J’aimerais que ces suggestions soient adoptées à l’unanimité ce qui montrerait que la représentation nationale prend en compte ces difficultés.
M. Alain Tourret. Les grandes migrations actuelles diffèrent de celles que nous connaissons depuis plusieurs dizaines d’années ; elles s’inscrivent dans un climat de crise mondiale marqué par l’appauvrissement des pays d’accueil et de départ. Les difficultés sont plus fortes dans les pays d’émigration qui subissent des chocs économiques violents dus notamment au réchauffement climatique. Celui-ci entraîne la désagrégation de ces pays puisque des centaines de milliers d’habitants des campagnes rejoignent les grandes aires urbaines avant d’émigrer.
En tant qu’humaniste, je rappelle avec force que l’étranger veut tout simplement vivre ; il a le droit de vivre. L’appel de l’éden, de la prospérité, de la protection par la santé, des anciennes sociétés coloniales se mêle à celui des familles déjà établies dans les pays d’accueil. Si l’on suit M. Ciotti et ses amis, l’étranger constitue un risque pour nos sociétés. Cette idée est totalement fausse ! L’étranger n’est pas un élément de désagrégation de nos sociétés mais un facteur de leur enrichissement. C’est une évidence s’agissant des étudiants, des médecins et de tous les cadres que nous accueillons avec sympathie. Ainsi, toutefois, nous contribuons à désorganiser les structures de leurs pays d’origine. Je suis toujours inquiet de voir un médecin en provenance d’une région pauvre arriver en France pour répondre à nos besoins de présence médicale car il ruine le pays qu’il quitte.
Israël est un petit pays étonnant qui, en dix ans, vient d’accueillir entre 1 million et 1,5 million d’étrangers. Cela ne l’empêche pas de gagner tous les combats. Je me suis rendu très souvent dans ce pays et j’ai constaté que l’apport de l’immigration et le syncrétisme de toutes les cultures avaient permis d’y créer plus de start-up que dans toute l’Europe réunie. Il y a des malheurs en Israël et en Palestine mais nous avons des leçons d’intégration à prendre de leur part.
Nous devons formuler une réponse européenne. Je nourris beaucoup d’admiration pour l’Italie, qui subit actuellement un choc important, et beaucoup d’indignation envers ceux qui souhaitent la laisser seule. Là, ce sont des leçons d’humanité que nous avons à prendre. Nos amis allemands souffrent d’un affaiblissement de leur natalité : je me demande pourquoi ils n’accueillent pas d’autres populations qui souhaitent s’intégrer dans leur pays.
Aucune solution ne sera durable si nous ne trouvons pas, comme l’a fort bien dit M. le ministre, un équilibre entre la sécurité et l’accueil, entre les incompréhensions et l’humanisme que nous devons défendre devant nos concitoyens. Cela nécessite un codéveloppement avec l’Afrique dont nous sommes aujourd’hui fort éloignés. Nous ne montrons aucune détermination en la matière. J’admire l’action de notre ancien collègue Jean-Louis Borloo, que le Gouvernement soutient fortement. Il faudrait que ses initiatives soient mieux connues et que nous puissions l’entendre parler de ces sujets. Comme vous le percevez, monsieur le président, c’est l’humaniste en moi qui parle plutôt que le défenseur de la nécessaire sécurité de notre société. Les immigrés ont le droit de vivre. Ce sont des êtres humains comme nous.
Mme Marietta Karamanli. Je voudrais insister sur deux ou trois points du rapport présenté hier en commission des Affaires européennes pour observations sur ce projet de loi.
S’agissant de l’immigration irrégulière, ce texte apporte plusieurs modifications et clarifications nécessaires au regard de la directive Retour. Il tient également compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Le renforcement de l’assignation à résidence est un élément positif conforme à l’esprit de la directive. Il serait toutefois intéressant de savoir si les mesures de contrainte prévues aux articles 18 et 22 sont parfaitement proportionnées à l’objectif poursuivi, c’est-à-dire la bonne exécution des mesures d’éloignement prononcées.
Par ailleurs, la réduction des délais de recours et de jugement, s’agissant de certaines OQTF prononcées notamment à l’endroit des demandeurs d’asile définitivement déboutés, a été fortement critiquée par les associations lors des auditions. Dans quelle mesure est-elle indispensable ?
S’agissant toujours de l’immigration irrégulière, que recouvrira exactement l’interdiction de circulation et à quel moment sera-t-elle opposable aux personnes concernées ?
J’en viens aux aspects de l’immigration légale, et d’abord à la langue qui fait partie des éléments d’intégration. Le texte élève le niveau de langue demandé sans pour autant augmenter le nombre d’heures de cours. Comment répondre à cette exigence de niveau quand le volume d’heures consacré à son acquisition n’y est pas ?
Le titre de séjour comporte des points faibles : il y a trop de régimes dérogatoires au régime unique de carte de séjour pluriannuelle ; la carte de séjour ne protège pas l’étranger à tout moment, les choses pouvant être remises en question pendant la période de validité de la carte ; la pluriannualité du titre ne garantit pas le passage à une carte de résident.
Enfin, quid des passerelles pour ceux des étrangers, les étudiants notamment, qui se retrouvent dans une zone de non-droit lorsqu’ils passent d’un statut à un autre ? De même, les étrangers malades risquent de se retrouver condamnés à vivre en séjour irrégulier pendant les longs mois de la procédure de reconnaissance de leur taux d’incapacité.
M. Jacques Valax. Ce texte était attendu depuis très longtemps puisqu’il a été présenté en conseil des ministres le 23 juillet 2014. Il répond à certaines exigences et certains principes républicains auxquels nous devons rester fidèles. Il faut sans cesse revenir à ce postulat que l’immigration est une richesse, non une menace.
Il ressort des chiffres que la France n’est pas un très grand pays d’immigration par rapport à la plupart des pays comparables en Europe. Chaque année, compte tenu des 200 000 arrivées et des 100 000 départs, ce sont 100 000 étrangers seulement qui s’ajoutent à la population française quand la Grande-Bretagne enregistre plus de 400 000 entrées, et l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne 220 000.
L’immigration familiale est de loin le premier motif de l’admission au séjour et représente 40 % des entrées. La part des visas professionnels, de 9 % seulement, reste faible alors même que l’on constate des difficultés de recrutement liées à la crise pour près de quatre emplois sur dix, qu’il s’agisse d’ingénieurs, d’informaticiens ou d’aides à domicile. Enfin, aujourd’hui, plus d’un étudiant sur dix est étranger.
Ce texte réaffirme les priorités du Gouvernement en matière d’immigration. Deux objectifs sont poursuivis avec constance et rigueur par le Gouvernement : l’amélioration de l’accueil et la volonté réelle d’une plus grande intégration des étrangers.
L’amélioration des conditions d’accueil passe, entre autres, par la simplification qu’entraînera la généralisation du titre de séjour pluriannuel de quatre ans pour tous les étrangers qui auront passé un an en France. Présentée comme la mesure phare du texte, sa mise en place évitera la répétition des démarches complexes et les files d’attente interminables à la préfecture.
La seconde priorité du Gouvernement est de renforcer l’attractivité de la France en facilitant en particulier la mobilité des talents internationaux via la création d’un passeport talent et d’une carte spécifique pour les étudiants.
Parmi les autres bonnes mesures contenues dans ce texte, soulignons le principe de l’assignation à résidence plutôt que la rétention, l’accès aux zones d’attente et aux centres de rétention administrative pour les journalistes, le retour aux dispositions antérieures à la loi de 2011 pour les étrangers malades. Sur ce point particulier, le ministre a rappelé la notion de continuité républicaine à laquelle nous devons être fidèles.
Il nous faudra sans doute modifier le délai de recours contre l’obligation de quitter le territoire français adressée à certaines catégories de personnes, notamment les déboutés du droit d’asile. Selon moi, sept jours ne suffisent pas à une mise en œuvre effective des droits de la défense. Il y aura nécessairement une discussion sur ce sujet. Nous devrons aussi revenir sur les dispositions de la loi de 2011 relatives à la durée de rétention, passée de trente-deux à quarante-cinq jours, et au délai d’intervention du juge des libertés en rétention après cinq jours contre quarante-huit heures auparavant.
Ce texte est important, particulièrement dans le contexte d’afflux massif de migrants aux portes de l’Espace Schengen depuis le début de l’année. Il est essentiel que nos débats restent empreints de la philosophie qui évite les amalgames, les idées toutes faites, les faux débats. Il faut sortir de la logique de suspicion qui est toujours celle de la droite vis-à-vis de l’immigration. La France est une terre d’accueil et elle doit le rester. Puissent nos travaux parlementaires nous permettre de parvenir à un texte à la mesure de nos valeurs, dont nous sommes fiers !
La Commission en vient ensuite à l’examen des articles du projet de loi.
TITRE IER
L’ACCUEIL ET LE SÉJOUR DES ÉTRANGERS
Chapitre Ier
L’accueil et l’intégration
Sur l’initiative du Gouvernement, la Commission a adopté un amendement modifiant l’intitulé du chapitre Ier du titre Ier du présent projet de loi, afin de mieux mettre en exergue la finalité de l’intégration et non l’une de ses modalités qu’est l’accompagnement.
*
* *
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL257 du Gouvernement.
Article 1er
(art. L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
art. L. 117-1 du code de l’action sociale et des familles)
Parcours personnalisé et contrat d’intégration républicaine
Le présent article modifie l’article L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à deux égards :
— d’une part, il prévoit que, dans son pays d’origine, l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français s’informe sur la vie en France ainsi que sur les droits et les devoirs qui y sont liés, à partir des éléments mis à sa disposition par l’État ;
— d’autre part, il prévoit que l’étranger admis pour la première fois au séjour en France ou qui entre régulièrement en France entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans révolus, et qui souhaite s’y maintenir durablement, conclut avec l’État un contrat d’intégration républicaine. Ce dernier fixe un parcours personnalisé, lequel inclut une formation civique sur les principes, les valeurs et les institutions de la République, les droits et les devoirs liés à la vie en France et la connaissance de la société française, mais également une formation linguistique, lorsque le besoin est établi, ainsi que, dans la rédaction initiale du présent article, une orientation vers les services de droit commun.
Le contrat d’accueil et d’intégration (CAI) constitue la première étape du parcours d’intégration des étrangers, non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, obtenant pour la première fois un titre de séjour les autorisant à s’installer durablement en France. Sont exclus du dispositif les étudiants, les travailleurs saisonniers ainsi que les salariés en mission au sein d’un groupe ou d’une entreprise. Relevant initialement du ministère chargé de l’intégration, son pilotage a été transféré, en 2012, au ministère de l’Intérieur. L’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est en charge de sa mise en œuvre.
Après avoir été expérimenté dans quelques départements à partir de 2003, le dispositif d’accueil des primo-arrivants a été généralisé par différentes lois successives.
La loi n° 2005-35 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a mis en place un dispositif d’accueil visant à permettre ou faciliter l’insertion des étrangers titulaires pour la première fois d’un titre de séjour les autorisant à s’installer durablement sur le territoire. Elle en a fixé les bases juridiques et a décidé sa généralisation à l’ensemble du territoire national, effective depuis septembre 2006.
La loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration a, quant à elle, rendu obligatoire sa signature pour tout étranger primo-arrivant en France âgé d’au moins 16 ans.
Aux termes de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, les parents d’enfants bénéficiaires du regroupement familial sont également tenus de s’engager contractuellement auprès de l’État et de suivre une formation sur leurs droits et leurs devoirs en France.
Enfin, la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 a contribué à lier plus étroitement le renouvellement des cartes de séjour à l’effectivité du suivi, par chaque signataire, des actions prévues par le CAI. Elle a renforcé la sanction attachée au non-respect de l’obligation d’assiduité et de sérieux dans le suivi des formations imposées dans le cadre du CAI. Ce dernier est devenu un élément pris en compte dans la décision du renouvellement du titre de séjour, devenant ainsi un élément d’appréciation de l’intégration de l’étranger.
Il a, en effet, été prévu que, « lors du renouvellement de la carte de séjour intervenant au cours de l’exécution du contrat d’accueil et d’intégration ou lors du premier renouvellement consécutif à cette exécution, l’autorité administrative tient compte du non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l’étranger des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration s’agissant des valeurs fondamentales de la République, de l’assiduité de l’étranger et du sérieux de sa participation aux formations civiques et linguistiques, à la réalisation de son bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, à la session d’information sur la vie en France » (46). Ces dispositions avaient pour objectif d’assurer une implication plus forte des signataires dans les formations qui leur ont été prescrites, ainsi que l’acquisition d’un minimum de connaissances fondamentales à leur intégration dans la communauté vivant sur le territoire national.
Le CAI actuellement en vigueur est conclu pour un an, renouvelable une fois. En pratique, le CAI est souvent accompli dans les quatre mois suivant l’arrivée sur le territoire (47).
Lors de la signature du CAI, l’étranger « s’oblige à suivre une formation civique et, lorsque le besoin en est établi, linguistique » (48). Toutes les formations et prestations prescrites au migrant sont dispensées gratuitement par l’OFII et financées par l’État. À ce titre, le CAI comporte :
— une formation civique obligatoire d’une journée. Celle-ci comprend une présentation des institutions françaises et des valeurs de la République, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité, ainsi que la place de la France en Europe ;
— lorsque le besoin en est établi, une formation linguistique, sanctionnée par un titre ou un diplôme reconnus par l’État. Cette formation linguistique est de 400 heures maximum. Prescrite à environ 25 % des migrants, elle dure en moyenne 270 heures (2) ;
— une session d’information sur la vie en France, destinée à informer les migrants du fonctionnement de la société française. Elle est prescrite à 32 % des migrants (2) ;
— un bilan de compétences professionnelles de trois heures, visant à permettre aux signataires du CAI de valoriser leurs qualifications et compétences professionnelles, dans un objectif de recherche d’emploi. Ce bilan est obligatoire depuis 2009 pour tous les signataires du CAI, exception faite des mineurs de moins de 18 ans scolarisés, des étrangers de plus de 55 ans et des personnes justifiant d’une activité professionnelle. Ce bilan de compétence est prescrit à 60 % des migrants (2).
i. Dispositif préparatoire dans le pays de départ pour les migrants familiaux : le pré-CAI (articles L. 211-2-1 et L. 411-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Prévu par la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile et mis en place par le décret n° 2008-1115 du 30 octobre 2008, le « pré-CAI » est destiné au conjoint de Français âgé de moins de 65 ans ainsi que le ressortissant étranger âgé de plus de 16 ans et de moins de 65 ans, pour lequel le regroupement familial a été sollicité. Ces derniers bénéficient dès le pays de demande de visa, d’une évaluation de leurs connaissances de la langue française et des valeurs de la République, au terme de laquelle est organisé, dans le pays de demande de visa ou de résidence, une formation aux valeurs de la République et une formation linguistique d’une durée maximale de 40 heures. Les attestations de suivi de ces formations sont nécessaires pour l’obtention du visa de long séjour (49).
ii. Contrat d’accueil et d’intégration pour la famille (article L. 311-9-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Le contrat d’accueil et d’intégration pour la famille (CAIF) est signé par les bénéficiaires du regroupement familial dès lors qu’ils ont des enfants. Les signataires s’engagent alors à participer à une journée de formation sur les « droits et devoirs des parents » et à veiller au respect de l’obligation scolaire pour leurs enfants de 6 à 16 ans.
Différentes faiblesses ou limites rencontrées par l’actuel dispositif justifient la réforme envisagée du CAI par le présent article.
Tout d’abord, la trop grande standardisation du CAI est elle aussi à l’origine de la réforme de ce dernier. Le rapport conjoint de l’IGA et de l’IGAS, publié en octobre 2013, sur l’évaluation de la politique d’accueil des étrangers primo-arrivants, souligne que « les conditions de déroulement de l’accueil à l’OFII ne permettent pas d’individualiser suffisamment les prestations proposées au migrant ». Il précise que « l’entretien individuel ne compense que partiellement ce défaut d’individualisation, car il est trop court (une vingtaine de minutes) et fonctionne plus comme une liste d’informations descendantes que l’agent de l’OFII transmet au primo-arrivant que comme un échange individualisé ». Il précise enfin que « les prestations elles-mêmes ne tiennent pas suffisamment compte du profil des migrants : elles sont identiques quel que soit le pays d’origine, le niveau scolaire ou le niveau de maîtrise de la langue des primo-arrivants ». Le présent article vise donc à individualiser davantage le parcours d’intégration des primo-arrivants en France.
Lors de son déplacement au siège de l’OFII à Paris, votre rapporteur a constaté cette trop grande « standardisation » des prestations délivrées dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration, prestations qui peuvent s’avérer inadaptées aux besoins spécifiques de certains publics. À cet égard, les besoins spécifiques des non-francophones ne sont pas suffisamment pris en compte, tandis que les formations linguistiques sont dispensées à des personnes qui ne sont pas concernées – telles que les jeunes scolarisés en France ou bien les conjoints de scientifiques – dans la mesure où elles ont la possibilité de faire l’apprentissage du français dans un autre cadre. En revanche, votre rapporteur tient à souligner le rôle très positif joué, dans la personnalisation des parcours d’accueil et d’intégration, par les entretiens individuels réalisés par les agents de l’OFII.
De surcroît, est également soulevé le fait qu’un lien plus étroit entre parcours individualisé et délivrance du titre de séjour devrait être instauré (50). Le présent projet de loi entend à cette fin :
— lier la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à une condition d’assiduité aux formations prescrites par l’État dans le cadre du parcours individualisé. Les personnes, pour lesquelles l’assiduité ne sera pas attestée, pourront se voir délivrer un titre de séjour annuel ;
— lier la délivrance de la carte de résident à une condition d’atteinte d’un niveau qui ne devra pas être inférieur à celui défini par décret en Conseil d’État. Les personnes ne pouvant attester de ce niveau pourront se voir renouveler leur titre de séjour pluriannuel (51).
Le coût élevé des formations prescrites par le CAI fait également l’objet de certaines critiques. La CNCDH regrette le « coût exorbitant » (52) du CAI au vu de son efficacité relative en raison de la trop faible individualisation du dispositif. Selon les données transmises par la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’Intérieur, les diverses formations dispensées au titre de l’intégration ont engendré, en 2013, une dépense de près de 50 millions d’euros. Un double effort de rationalisation et de performance s’impose donc aujourd’hui, ce qui passe notamment par la suppression du pré-CAI et du CAIF dans le cadre du présent article.
Dans sa rédaction initiale, le présent article modifiait l’article L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, afin de :
— supprimer, au deuxième alinéa de cet article, le pré-CAI, auquel serait désormais substituée une information sur la vie en France, plus adaptée aux besoins des migrants et mise à disposition par l’État aux candidats à l’immigration dès leur pays d’origine.
— remplacer le CAI par un contrat mettant en œuvre un parcours individualisé d’intégration, mieux adapté aux besoins des primo-arrivants et ce, afin que le migrant bascule le plus rapidement possible dans une logique de droit commun comme tout citoyen français. Ces modifications vont avoir une incidence sur le travail fourni par l’OFII qui va passer d’une plateforme d’accueil collective à une logique d’entretien individualisé et d’accompagnement personnalisé. Le présent article prévoit ainsi que l’étranger, lors de la signature du contrat personnalisé fixant le parcours d’accueil et d’intégration, s’engage à :
● suivre la formation civique prescrite par l’État relative aux valeurs et institutions de la République, aux droits et devoirs liés à la vie en France et à la connaissance de la société française ;
● suivre, lorsque le besoin en est établi, la formation linguistique prescrite par l’État visant à l’acquisition d’un niveau suffisant de connaissance du français ;
● effectuer les démarches d’accès aux services publics de proximité, suivant l’orientation personnalisée définie par l’État.
— dispenser de la signature du contrat personnalisé les étrangers bénéficiant de la carte de séjour mentionnée aux articles L. 313-6, L. 313-7, L. 313-7-1, au 2° de l’article L. 313-10, aux 8° et 11° de l’article L. 313-11, aux articles L. 313-20, L. 313-21 et L. 313-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (53), ainsi que les étrangers ayant effectué leur scolarité dans un établissement d’enseignement secondaire français à l’étranger pendant au moins trois ans ou ayant suivi des études supérieures en France d’une durée au moins égale à une année.
Sur l’initiative du Gouvernement et suivant l’avis favorable de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement réécrivant intégralement le présent article.
Ainsi, le I redéfinit l’architecture de l’article L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dont :
— le premier alinéa prévoit une information mise à disposition par l’État dans le pays d’origine au profit de l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français. En effet, cette information s’inscrit en amont de l’arrivée en France et est destinée à mieux la préparer. Par ailleurs, la nouvelle rédaction adoptée par votre Commission élargit le contenu de cette information préalable à la migration aux droits et devoirs liés à la vie en France et qui fondent l’exercice de la citoyenneté en France ;
— les deuxième, troisième et quatrième alinéas redéfinissent le contenu du « parcours personnalisé d’intégration républicaine », afin d’inscrire l’accueil des étrangers dans une durée plus longue que celle de l’actuel dispositif du CAI. La notion nouvellement introduite par le présent article de « parcours personnalisé d’intégration républicaine » implique à la fois une préparation plus efficace dans le pays d’origine ainsi qu’une approche plus individualisée des besoins et plus progressive dans l’apprentissage de la langue française et dans l’appropriation des principes, valeurs et institutions de la République, autant de facteurs essentiels de réussite de l’intégration. Ce parcours se définit par son double objectif d’accès à l’autonomie et d’insertion dans la société de l’étranger primo-arrivant, qui s’engage, ce faisant, à suivre des formations civique et linguistique, lesquelles ont vocation à constituer le socle de leur intégration sociale et professionnelle. En revanche, la notion d’accès aux services publics de proximité qui figurait initialement au présent article a été supprimée car elle était, selon l’exposé sommaire de l’amendement du Gouvernement « trop floue et incomplète » ;
— le cinquième alinéa substitue à l’actuel CAI – critiqué pour son caractère trop formel ainsi que son absence de contenu et d’engagement dont l’étranger pourrait avoir véritablement conscience – le contrat d’intégration républicaine (CIR), qui vient désormais concrétiser et formaliser l’engagement de l’étranger dans un parcours personnalisé d’intégration républicaine. L’objectif assigné à ce nouveau dispositif est bien de mettre en exergue la réciprocité des engagements pris respectivement par l’État – d’accueillir – et de l’étranger – de suivre les formations qu’implique son parcours personnalisé d’intégration.
Par ailleurs, en coordination avec les amendements adoptés, sur l’initiative de votre rapporteur, relatifs à la transposition de la directive 2014/66/UE du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe, la Commission a dispensé de la signature du nouveau CIR les étrangers titulaires de la carte de séjour temporaire portant la mention « stagiaire ICT », « salarié détaché ICT », « salarié détaché mobile ICT » ainsi que leurs membres de famille. En effet, ces publics séjournent en France, afin d’effectuer une mission ou un stage dans le cadre d’un détachement entre entreprises du même groupe. Ils n’ont, par conséquent, pas vocation à s’installer durablement sur le territoire français et ne peuvent, dans ces conditions, être soumis à la signature du CIR.
Enfin, issu d’un amendement de votre rapporteur, le II du présent article tient compte de la nouvelle dénomination retenue pour le CIR et substitue cette notion à celle de CAI à l’article L. 117-1 du code de l’action sociale et des familles relatif à l’intégration des personnes immigrées ou issues de l’immigration.
*
* *
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte successivement les amendements CL258, CL260, CL261 et CL264 du Gouvernement.
Puis elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL198, l’amendement de coordination CL244, l’amendement de précision CL188 et l’amendement rédactionnel CL199, tous du rapporteur.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte ensuite l’amendement CL266 du Gouvernement.
La Commission en vient à l’amendement CL259 de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation. Cet amendement précise les dispositions que devra comporter le décret d’application en prenant en compte la formulation qui existe aujourd’hui pour le contrat d’accueil et d’intégration.
M. le rapporteur. L’objectif est louable, néanmoins, la rédaction proposée me paraît poser plusieurs difficultés et nécessitera sans doute une réécriture d’ici à la séance publique. D’abord, le contrat d’accueil et d’intégration républicaine comporte des formations, non des actions – vocable trop large qui n’apparaît pas dans le présent projet de loi. Surtout, il n’a pas vocation à être renouvelé. On ne peut pas demander au décret de préciser les conditions de renouvellement d’un contrat, qui n’est pas formellement prévu par le projet de loi. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
Mme la rapporteure pour avis. Je redéposerai l’amendement en séance publique.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’amendement de coordination CL196 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2
(art. L. 314-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Condition de connaissance de la langue française
pour la délivrance de la carte de résident
Le présent article modifie l’article L. 314-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), relatif à la carte de résident, en conditionnant sa délivrance à une connaissance suffisante de la langue française dont le niveau sera fixé par décret en Conseil d’État. Le niveau visé serait, comme l’indique l’étude d’impact qui accompagne le présent projet de loi, le niveau A2 du cadre européen de référence pour les langues.
En l’état actuel du droit, la délivrance d’une première carte de résident est subordonnée, aux termes du premier alinéa de l’article L. 314-2 du CESEDA, à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, appréciée notamment au regard de sa connaissance suffisante de la langue française, dont le niveau de maîtrise minimal est déterminé par décret en Conseil d’État (54).
Pour vérifier que la condition d’intégration est bien respectée, le deuxième alinéa de l’article L. 314-2 du CESEDA dispose que l’autorité administrative tient compte, lorsqu’il a été souscrit, du respect par l’étranger de l’engagement pris au titre du contrat d’accueil et d’intégration (CAI). Elle est, en outre, tenue de saisir pour avis le maire de la commune dans laquelle réside le migrant. Sans réponse du maire dans les deux mois à compter de sa saisine, l’avis est réputé favorable par l’autorité administrative (55). Le respect des engagements souscrits dans le cadre d’un CAI constitue donc un critère parmi d’autres de la condition d’intégration requise pour l’obtention d’une carte de résident.
Enfin, le troisième et dernier alinéa de l’article L. 314-2 du CESEDA précise que ne sont pas soumis à la condition relative à la connaissance de la langue française les étrangers âgés de plus de soixante-cinq ans.
Dans le cadre du Conseil de l’Europe, a été élaboré et publié, en 2001, le cadre européen commun de référence pour les langues (CECR). Ce dernier permet d’établir des niveaux harmonisés de maîtrise de langue, afin que les programmes d’enseignement de langues vivantes, les manuels et les examens puissent connaître en Europe une certaine homogénéité. Le CECR détermine six niveaux de langues :
— le niveau A1 équivaut à un niveau découverte ;
— le niveau A2 permet une communication simple ;
— le niveau B1 correspond à une communication plus élaborée permettant notamment d’exprimer ses idées ;
— le niveau B2 correspond au niveau d’un utilisateur indépendant ou avancé ;
— le niveau C1 à celui d’un utilisateur autonome ;
— le niveau C2 à un niveau de langue parfaitement maîtrisé.
Le niveau exigé en France depuis 2007 est le niveau A1.1. Ce dernier, inférieur au niveau A1, ne fait l’objet d’aucune définition par le CECR, celui-ci n’en mentionnant que la possibilité. Ce niveau ne permet que de s’identifier, de comprendre des expressions simples et de communiquer de manière basique. Il permet, en outre, de rendre compte des progrès pour les plus faibles, notamment dans les cours du soir pour adultes ou pour des populations ayant été peu scolarisées. « Pour l’essentiel, et même si ce niveau peut trouver d’autres applications, le niveau A1.1 a été créé en liaison avec le ministère de l’Éducation nationale pour répondre au besoin de fixer un objectif de niveau linguistique dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) » (56).
Le rapport conjoint de l’inspection générale de l’administration (IGA) et de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l’évaluation de la politique d’accueil des étrangers primo-arrivants d’octobre 2013 souligne que la France est le seul pays qui fixe pour les migrants un objectif de maîtrise de sa langue aussi modeste. Ce niveau est d’ailleurs jugé insuffisant par 62 % des bénéficiaires de la formation linguistique pour permettre une intégration dans la société française et pour y mener une vie autonome. En outre, deux tiers d’entre eux auraient souhaité bénéficier d’une formation plus longue (57).
Le présent article entend renforcer significativement l’apprentissage du français. À ce titre, la feuille de route du Gouvernement relative à la politique d’égalité républicaine et d’intégration, dévoilée le 11 février 2014, a fixé l’objectif d’accompagner les migrants vers le niveau A1 dans la première année suivant leur arrivée en France et vers le niveau A2 après cinq ans de résidence sur le territoire. L’objectif est d’offrir ainsi aux migrants un parcours de progression linguistique consistant à leur enseigner, dès leur arrivée, les bases de la langue et ce, en vue de leur permettre de continuer à se former par eux-mêmes. Le rapport précité des deux corps d’inspections générales a évalué à 46 millions d’euros par an le coût total de l’objectif de l’atteinte d’un niveau A1 et à 80 millions d’euros annuels le coût de l’atteinte d’un niveau supérieur A2.
La mission, auteure du rapport précité, a proposé « de saisir l’occasion de la création du titre de séjour pluriannuel pour encourager les migrants dans leur apprentissage de la langue en liant sa délivrance à l’acquisition du niveau A1 ». Dans un rapport, publié en février 2014, sur les conditions d’un contrôle renforcé du droit au séjour dans le cadre de la mise en œuvre du titre de séjour pluriannuel, l’IGA a, une nouvelle fois, recommandé que la validation du CAI soit impérative pour l’obtention du titre pluriannuel et a précisé qu’« a minima, la validation du volet linguistique devrait être exigée comme démonstration de la volonté d’intégration associée à une durée étendue du titre de séjour ». Le rapport conjoint de l’IGA et l’IGAS publié en octobre 2013 reposait sur l’idée que cet objectif linguistique plus ambitieux revenait « à considérer la maîtrise du français non comme la preuve d’une intégration, mais comme la condition nécessaire à cette intégration ». Ainsi, dans sa feuille de route précitée du 11 février 2014, le Gouvernement a mis l’accent sur deux points :
— la nécessité de conditionner la délivrance du titre pluriannuel à une exigence d’assiduité aux formations linguistiques et civiques prescrites par l’État ;
— la nécessité de conditionner la délivrance de la carte de résident, en principe au bout de cinq ans, à l’atteinte d’un niveau de connaissance suffisant du français (58).
Cette exigence de maîtrise de la langue tient notamment au fait que « l’absence de maîtrise de la langue française est identifiée par Pôle emploi comme un frein spécifique à l’emploi » (59). Le rapport conjoint de l’IGA et de l’IGAS précité a souligné que « l’OFII devrait se consacrer à la levée des freins qui sont spécifiques aux primo-arrivants : la méconnaissance des règles du marché de l’emploi en France et la barrière que peut représenter l’insuffisante maîtrise du français, quand bien même les autres conditions pour accéder à un emploi sont réunies ». Il a ainsi recommandé « de faire de la formation linguistique un axe stratégique de la formation professionnelle ».
Compte tenu de ces considérations, le 1° du présent article modifie le premier alinéa de l’article L. 314-2 du CESEDA en liant, dans sa rédaction initiale, la délivrance de la carte de résident à « une connaissance suffisante de la langue française qui ne doit pas être inférieure à un niveau défini par décret en Conseil d’État », en l’espèce le niveau A2 du CECR. Sur l’initiative de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement réécrivant le 1° du présent article, afin supprimer l’exigence d’un niveau « suffisant » de maîtrise de la langue, le caractère « suffisant » d’un niveau de langue dépendant d’une appréciation subjective susceptible de varier fortement suivant le profil du migrant et sa situation personnelle sur le territoire. En revanche, le niveau de langue exigé pour l’obtention d’une carte de résident devra toujours correspondre à un niveau minimum, dont les caractéristiques seront définies par décret en Conseil d’État. Dès lors, les personnes pour lesquelles l’assiduité aux formations linguistiques prescrites par l’État ne sera pas attestée ne pourront se voir délivrer qu’un titre de séjour annuel. De la même manière, les personnes ne pouvant attester du niveau défini en décret en Conseil d’État ne pourront davantage se voir renouveler leur titre de séjour pluriannuel. Cette nouvelle condition relative au niveau de connaissance de la langue française ne sera applicable qu’à compter d’un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la loi.
Le 2° du présent article supprime, au deuxième alinéa de l’article L. 314-2 du CESEDA, une disposition redondante figurant déjà au premier alinéa de ce même article, à savoir la prise en compte l’autorité administrative, en vue d’apprécier la condition d’intégration, le respect de l’engagement défini à l’article L. 311-9 du même code souscrit, le cas échéant, par le migrant.
En revanche, le présent article ne modifie pas le troisième et dernier alinéa de l’article L. 314-2 du CESEDA. Les étrangers âgés de plus de soixante-cinq ans resteront ainsi exonérés de la condition relative à la connaissance de la langue française.
*
* *
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL99 de M. Denys Robiliard et CL245 du rapporteur.
M. Denys Robiliard. Supprimer l’alinéa 2 de l’article 2 du projet de loi faciliterait la stabilité du séjour, qui tient aussi à la durée du titre de séjour. Il est contre-productif de conditionner la délivrance de la carte de résident à une intégration préalable qui viendra précisément de la stabilité du séjour.
M. le rapporteur. La stabilité du séjour ne suffit pas pour apprécier et favoriser l’intégration d’une personne étrangère. L’intégration passe évidemment par la langue, dont le Gouvernement souhaite renforcer de manière raisonnable l’exigence de niveau. Le futur décret d’application devrait l’élever au niveau A2 du cadre européen de référence pour les langues, auquel le locuteur satisfait en étant capable de communiquer lors de tâches simples, habituelles, ne demandant qu’un échange d’informations simples et directes sur des sujets familiers et habituels. C’est donc un niveau minimal qui est requis. Par ailleurs, cinq ans de présence ne sont pas forcément un gage de maîtrise de la langue.
Pour ce qui est de mon amendement CL245, il tend à objectiver davantage l’évaluation du niveau de langue en substituant aux mots « suffisante de la langue française dans des conditions définies par décret en Conseil d’État » les mots « de la langue française, qui doit être au moins égale à un niveau défini par décret en Conseil d’État. »
Mme Marie-Françoise Bechtel. S’agissant de l’amendement CL99, il me semble normal de conserver la recherche d’un début d’intégration matérialisé par la langue.
Quant à l’amendement du rapporteur, le mieux étant l’ennemi du bien, je crains qu’il ne soit contre-productif. Si l’on parle d’un niveau défini par décret en Conseil d’État, il faudra bien donner un niveau objectif. Ou alors on s’orientera vers quelque chose de plus subjectif et l’on reviendra à l’appréciation des conditions suffisantes.
M. le rapporteur. Je ne fais que traduire par des mots précis les intentions du Gouvernement, déjà annoncées dans l’étude d’impact : le niveau A2 restera la référence exigée en matière de langue.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Il est toujours fâcheux de renvoyer à un décret en Conseil d’État pour dire la seule chose que l’on puisse dire… En l’occurrence, le renvoi est très peu utile. Quel que soit l’esprit dans lequel le ministre s’est exprimé tout à l’heure, je pense qu’un peu plus de souplesse aurait suffi s’agissant de l’appréciation des conditions suffisantes.
La Commission rejette l’amendement CL99 et adopte l’amendement CL245 du rapporteur.
L’amendement CL100 de M. Denys Robiliard est retiré.
La Commission adopte l’article 2 modifié.
La Commission est saisie de l’amendement CL101 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Il s’agit d’arriver à l’unification complète du régime de la domiciliation en supprimant deux alinéas du code de l’action sociale et des familles, afin d’aller au bout de la logique défendue dans la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dites loi ALUR).
M. le rapporteur. Vous aviez déjà déposé cet amendement lors de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile.
Vous revenez, un an seulement après leur adoption, sur les règles de domiciliation définies par la loi ALUR du 24 mars 2014 modifiant le code de l’action sociale et des familles. Ce dernier élargit le champ du droit à la domiciliation de droit commun à l’aide médicale de l’État (AME) et aux demandes d’asile, même si des spécificités réglementaires pourront être conservées dans le cadre de procédures de demande d’asile. Par ailleurs, il précise les cas dans lesquels une attestation de domiciliation peut être délivrée à des étrangers sans titre de séjour : la délivrance de l’aide médicale d’État, la demande d’asile et la demande de l’aide juridictionnelle. Il n’y a donc pas lieu de revenir sur l’équilibre ainsi défini par le législateur il y a un an seulement.
En outre, cet amendement créerait de nouvelles charges pour les centres communaux d’action sociale, en particulier dans les grandes villes, alors que l’on cherche à alléger le poids de leurs obligations.
Je demande le retrait de l’amendement.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je comprends parfaitement la logique de cet amendement. Néanmoins, le problème n’est pas d’ordre législatif, il se pose plutôt en termes d’application. Même si l’on doit garantir la domiciliation, certains départements ne l’organisent pas, et c’est par la voie réglementaire que l’on peut y remédier. J’ai en tête un département breton qui a fini par remplir ses obligations sur la sollicitation des associations et de son préfet.
La Commission rejette l’amendement.
Chapitre II
La carte de séjour pluriannuelle
Article 3
(chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Intitulé du chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
L’article 3 modifie l’intitulé et l’organisation du chapitre III, consacré à « la carte de séjour temporaire », du titre Ier (relatif aux « titres de séjour ») du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Le 1° modifie l’intitulé du chapitre III afin de tenir compte de la création, par l’article 11 du projet de loi (60), de la carte de séjour pluriannuelle. Le nouveau titre devient ainsi : « La carte de séjour temporaire et la carte de séjour pluriannuelle ».
Le 2° abroge, au sein de la section 2 du chapitre III (intitulée : « Les différentes catégories de cartes de séjour temporaires »), les sous-sections 3 (61) et 4 (62), et renumérote les sous-sections 2 bis (63), 5 (64), 6 (65) et 7 (66) respectivement en sous-sections 3, 4, 5 et 6.
Seul un amendement rédactionnel a été adopté par la commission des Lois concernant cet article.
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL194 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 3 modifié.
Article 4
(art. L. 311-1 et L. 211-2-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Documents ouvrant droit au séjour de plus de trois mois
L’article 4 du projet de loi a trait aux dispositions régissant les séjours de plus de trois mois.
Le I de l’article 4 substitue de nouvelles dispositions à celles actuellement prévues à l’article L. 311-1 du CESEDA. Article inaugural du livre III de ce code, celui-ci prévoit simplement, en l’état du droit, que tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France, être muni d’une carte de séjour. L’article L. 311-2 précise que cette carte est soit une carte de séjour temporaire, soit une carte de résident, soit une carte de séjour « compétences et talents », soit une carte de séjour portant la mention « retraité ».
Dans la rédaction proposée par le présent projet de loi, l’article L. 311-1 dresse la liste des documents ouvrant droit au séjour pour tout étranger âgé de plus de dix-huit ans souhaitant séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois (67). Ces documents, énumérés de manière à montrer la progressivité du droit au séjour, sont les suivants :
— un visa de long séjour, d’une durée maximale d’un an ;
— un visa de long séjour, d’une durée maximale d’un an, conférant à son titulaire, en application du deuxième alinéa de l’article L. 211-2-1, les droits attachés à une carte de séjour temporaire (68) ;
— une carte de séjour temporaire, d’une durée maximale d’un an, dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont prévues au chapitre III du titre Ier du livre III ;
— une carte de séjour pluriannuelle, d’une durée maximale de quatre ans, dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont prévues au même chapitre III ;
— une carte de résident, d’une durée de dix ans ou à durée indéterminée, dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont prévues au chapitre IV du même titre ;
— une carte de séjour portant la mention « retraité », d’une durée de dix ans, dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont prévues au chapitre VII du même titre.
Par ailleurs, aux termes du nouvel article L. 311-1, l’étranger qui séjourne sous couvert d’un visa de long séjour valant titre de séjour ou d’une carte de séjour temporaire peut solliciter, « sous réserve des exceptions prévues par les dispositions législatives » du CESEDA, la délivrance :
— d’une carte de séjour pluriannuelle (dans les conditions prévues à l’article L. 313-17 (69)) ;
— ou d’une carte de résident (dans les conditions prévues aux articles L. 314-8 à L. 314-12).
Les « exceptions prévues » auxquelles il est fait référence visent quatre catégories d’étrangers exclus du bénéfice du titre pluriannuel et qui bénéficient seulement de cartes de séjour annuelles renouvelables (70) :
— les « visiteurs », régis par l’article L. 313-6 ;
— les « stagiaires », régis par l’article L. 313-7-1 ;
— les « travailleurs temporaires », régis par l’article L. 313-10, I, 2° ;
— les « victimes de la traite des êtres humains », régis par l’article L. 316-3.
L’article 13 du projet de loi (71) procède parallèlement à l’abrogation de l’article L. 311-2 dont la rédaction découle de celle de l’article L. 311-1.
Le II de l’article 4 modifie sur plusieurs points l’article L. 211-2-l, relatif à la délivrance d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois.
Le 1° du II remplace le premier alinéa de cet article par deux nouveaux alinéas. Le premier prévoit que tout étranger souhaitant entrer en France en vue d’y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour. La durée de validité de ce visa ne peut être supérieure à un an. Le second précise que ce même visa confère à son titulaire, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, les droits attachés à une carte de séjour temporaire.
Le 2° supprime les deux alinéas relatifs à l’évaluation du degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République du conjoint de Français sollicitant un visa ainsi qu’à la formation susceptible d’être organisée à son profit. Il est ainsi procédé à la suppression du contrat d’accueil et d’intégration souscrit par l’étranger avant son arrivée en France, appelé « pré CAI ». Ce dispositif est issu de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Il a été jugé largement inefficace et redondant par l’inspection générale de l’administration et l’inspection générale des affaires sociales dans leur rapport d’octobre 2013 sur l’évaluation de la politique d’accueil des étrangers primo-arrivants (72).
Le 3° opère une modification de conséquence nécessitée par cette suppression de deux alinéas.
Le 4° supprime, compte tenu de ce qui est prévu au 1°, le septième alinéa de l’article L. 211-2-1 aux termes duquel le visa délivré pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois au conjoint d’un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l’article L. 313-11 (73) pour une durée d’un an.
La commission des Lois a adopté un amendement du Gouvernement créant un visa de long séjour valant titre de séjour pour les étrangers sollicitant la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel portant la mention « passeport talent » pour un séjour sur le territoire français d’une durée inférieure ou égale à douze mois. Elle a complété à cet effet la liste dressée par l’article L. 311-1 dans sa rédaction issue du I de l’article 4. Elle a également complété le second alinéa de l’article L. 211-2-l dans sa rédaction issue du II de l’article 4.
La Commission a par ailleurs adopté un amendement de M. Paul Molac rétablissant le premier alinéa de l’article L. 211-2-1, que le II de l’article 4 entendait initialement supprimer, prévoyant que « la demande d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois donne lieu à la délivrance par les autorités diplomatiques et consulaires d’un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande ». La remise d’un récépissé offre en effet des garanties importantes pour le demandeur telles que la justification de la date de dépôt ou la facilitation pour l’exercice de recours.
La Commission a enfin adopté un amendement de M. Denys Robiliard tendant à abroger l’article L.211-2 qui prévoit l’absence de motivation des décisions de refus de visa d’entrée en France, prises par les autorités diplomatiques ou consulaires.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL272 du Gouvernement.
M. le rapporteur. Cet amendement a pour objet de créer un visa de long séjour valant titre de séjour pour les étrangers sollicitant la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel portant la mention « passeport talent » pour un séjour sur le territoire français d’une durée inférieure ou égale à douze mois. C’est à la fois un gage d’attractivité pour notre pays et de simplicité pour l’étranger qui n’aura pas de démarche à effectuer en préfecture.
Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL141 de M Paul Molac.
M. Paul Molac. Il nous semble regrettable de supprimer le récépissé indiquant la date du dépôt de la demande d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois. Il s’agit d’une garantie qui permet au demandeur d’exercer ses droits en cas d’absence de réponse de la part de l’administration.
M. le rapporteur. Avis favorable. La remise d’un récépissé offre, en effet, des garanties importantes pour le demandeur. Il justifie de la date de dépôt et offre des facilités pour l’exercice de recours. La remise d’un récépissé doit donc être conservée.
La Commission adopte l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL90 de Mme Fanélie Carrey-Conte.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Cet amendement vise à rétablir l’automaticité de la délivrance du récépissé.
M. le rapporteur. Il est satisfait.
L’amendement est retiré.
La Commission est saisie de l’amendement CL102 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Il s’agit de prévoir la délivrance d’un visa de plein droit quand la personne qui demande le visa pourrait, si elle était en France, obtenir de plein droit une carte de résident.
M. le rapporteur. Certains des cas que vous visez concernent des personnes qui sont déjà présentes sur le territoire ou des personnes qui n’ont pas besoin de visa de long séjour. Plus généralement, je ne suis pas favorable à une délivrance de plein droit systématique. Il me semble qu’il faut aussi tenir compte, par exemple, des risques de fraude qui existent.
Voilà pourquoi je souhaite que vous retiriez cet amendement. Faute de quoi, j’émettrai un avis défavorable.
M. Denys Robiliard. Les risques de fraude existent dans tous les cas de figure. Si la fraude est établie, il n’y a tout simplement pas de délivrance. L’argumentation du rapporteur ne me convainc pas. Je maintiens l’amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL103 de M. Denys Robiliard et CL89 de Mme Fanélie Carrey-Conte.
M. Denys Robiliard. L’amendement CL103 propose qu’un visa de long séjour puisse être délivré de façon automatique aux conjoints de Français. Il y a actuellement un écart très important entre le nombre de mariages mixtes célébrés à l’étranger et le nombre de visas qui sont ensuite obtenus. Il faut parfois de longues années pour obtenir un visa, ce qui n’est pas normal au regard du respect dû à la vie privée et familiale.
M. le rapporteur. Je comprends la logique. Néanmoins, la suppression des cinquième et sixième alinéas de l’article L. 211-2-1 conduirait paradoxalement à l’inverse de l’effet recherché. Concrètement, le conjoint resterait bloqué dans son pays d’origine et serait contraint d’obtenir un visa de tourisme, ce qui, dans certains pays, est parfois encore plus difficile. Mieux vaudrait retirer l’amendement.
Mme Fanélie Carrey-Conte. L’amendement CL89 tend à assurer un délai de traitement minimal des demandes de visa afin de donner une meilleure visibilité aux étudiants étrangers sur leurs perspectives d’études et leur permettre, en cas de refus, d’effectuer de nouvelles démarches pour trouver un établissement susceptible de les accueillir.
M. le rapporteur. Je partage également les préoccupations de Mme Carrey-Conte et des cosignataires de l’amendement, mais la rédaction de celui-ci ne me paraît pas satisfaisante. Désigner des personnes uniquement par renvoi à un autre article n’est pas facteur de clarté. J’invite donc au retrait de l’amendement pour en revoir la rédaction d’ici à la séance publique.
Les amendements CL103 et CL89 sont retirés.
La Commission discute de l’amendement CL104 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Sauf exceptions, les refus de visa n’ont pas à être motivés. Puisqu’il faut faire un recours pour avoir la motivation, ce qui occasionne problèmes et retard, je propose que les refus de visa soient motivés.
M. le rapporteur. Je partage votre souci, mais je souhaiterais que nous en discutions avec le Gouvernement. Il peut, en effet, sembler paradoxal que les refus de visa de court séjour doivent être motivés alors que cette obligation n’existe pas, sauf exceptions, pour les longs séjours. Toutefois, poser une obligation générale de motivation pour tous les refus constituerait un changement notoire particulièrement lourd en termes d’implications et de risques juridiques, ainsi que de moyens dont je ne suis pas sûr que l’administration dispose aujourd’hui.
Pour ces raisons, et eu égard au besoin d’une expertise plus approfondie, je souhaite que nous reportions cette discussion à la séance publique pour avoir l’avis du ministre.
Mme Cécile Untermaier. Cette question des visas est essentielle, et ce texte qui porte sur le séjour des étrangers est une bonne occasion d’améliorer le système, qui ne marche pas. Dans nos fonctions de députés, nous sommes tous amenés à demander à l’administration ou aux consulats de réexaminer des dossiers, car les mailles du filet sont tellement serrées qu’on n’arrive plus à faire venir en France des personnes dont il est évident que le séjour ne peut pas leur être refusé. Lorsque des visas de long séjour sont refusés à des étudiants qui viennent rejoindre leurs parents eux-mêmes en situation régulière, c’est en violation de l’article 8 et du respect de la vie privée et familiale.
Je souhaite que nous puissions, avec le rapporteur, réfléchir à une solution permettant d’éviter ces refus de visas problématiques. Pour ma part, en tout cas, et d’un point de vue moral, je suis extrêmement embêtée devant certains d’entre eux.
Mme la rapporteure pour avis. La commission des Affaires culturelles a adopté un amendement demandant la motivation du refus de visa pour les étudiants. Malheureusement, un problème technique a fait qu’il n’a pas été déposé en commission des Lois.
M. Jean-Michel Clément. Nous sommes entrés dans une ère où la motivation est la règle. Le silence qui prévalait est combattu – pour ma part, je l’ai toujours fait, et la jurisprudence même a fait avancer la loi dans de nombreux domaines en la matière. On comprend mal, lorsqu’il s’agit de toucher aux droits de personnes, que le silence soit la règle. Pour moi, la question ne devrait même pas se poser : la motivation doit être l’alpha et l’oméga de toute décision administrative de refus, en toute circonstance. Elle doit être aujourd’hui intégrée dans notre logiciel de pensée pour respecter les valeurs démocratiques et républicaines auxquelles nous sommes attachés.
Mme Colette Capdevielle. On souffre particulièrement de l’absence d’une motivation sans laquelle on ne peut pas exercer de recours. Rien n’est pire aujourd’hui, dans un État de droit, qu’une décision administrative non motivée. Il faut progresser sur cette question, et je souhaite que nous puissions en discuter avec le Gouvernement, car elle constituerait un apport substantiel pour le texte.
La Commission adopte l’amendement CL104.
Puis elle adopte l’article 4 modifié.
Article 5
(art. L. 311-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Autorisation provisoire de séjour délivrée à l’étudiant titulaire d’un diplôme au moins équivalent au grade de master
En l’état actuel du droit, l’article L. 311-11 porte sur la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour, d’une durée de validité de douze mois non renouvelable, aux étudiants titulaires d’un master ou d’un diplôme équivalent.
L’article 5 du projet de loi a pour objet de refondre la rédaction de cet article afin, d’une part, de tenir compte de la création de la carte de séjour pluriannuelle et, d’autre part, de prévoir la possibilité de cette délivrance lorsque l’étudiant justifie d’un projet de création d’entreprise dans un domaine correspondant à sa formation.
Deux hypothèses sont distinguées.
En premier lieu, l’autorisation provisoire de séjour peut être délivrée à l’étudiant qui entend compléter sa formation par une première expérience professionnelle, sans limitation à un seul emploi ou à un seul employeur. Pendant la durée de cette autorisation, son titulaire est autorisé à chercher et à exercer un emploi en relation avec sa formation et assorti d’une rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret.
Au terme des douze mois, l’intéressé pourvu d’un tel emploi, ou d’une promesse d’embauche, est autorisé à séjourner en France sous couvert d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » (74) ou d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » (75) ou la mention « travailleur temporaire » (76), sans que puisse lui être opposée la situation de l’emploi.
En second lieu, l’autorisation provisoire de séjour peut être délivrée à l’étudiant qui justifie d’un projet de création d’entreprise dans un domaine correspondant à sa formation.
Au terme des douze mois, l’intéressé justifiant de la création et du caractère viable d’une telle entreprise est autorisé à séjourner en France sous couvert d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » (77) ou d’une carte de séjour temporaire portant la mention « entrepreneur/profession libérale » (78).
Il convient de relever que, dans un cas comme dans l’autre, le projet de loi facilite, pour les étudiants titulaires d’un master, le changement de « statut » sans avoir à passer nécessairement par la délivrance préalable d’un titre temporaire. Il s’agit là d’une dérogation à la règle commune posée par le nouvel article L. 313-19 dans sa rédaction issue de l’article 11 du projet de loi.
Outre deux amendements rédactionnels, la Commission a adopté un amendement de Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis au nom de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation. Cet amendement précise que le décret qui déterminera les seuils minimum de rémunération pour l’exercice d’un emploi par le titulaire de master devra tenir « compte du domaine professionnel et du territoire concernés. »
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL52 de M. Pascal Cherki.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Compte tenu des difficultés actuelles qui entourent la recherche d’emploi, l’autorisation provisoire de séjour (APS) doit pouvoir être renouvelée au moins une fois pour permettre aux étudiants de multiplier les expériences professionnelles nécessaires à l’obtention d’un premier emploi.
M. le rapporteur. La période de douze mois est adaptée pour une recherche constructive d’emploi ou pour une création d’entreprise. Le dispositif en question s’adresse à des étudiants très qualifiés. Il répond à un objectif d’intégration sur le territoire et d’attraction des talents.
L’autorisation provisoire de séjour est, par nature, temporaire. Elle a déjà été portée de six mois à douze par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Aller au-delà risquerait d’ouvrir la voie à des détournements du dispositif.
Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL262 de la commission des affaires culturelles et CL232 du rapporteur.
Mme la rapporteure pour avis. L’objet de l’amendement CL262 est d’étendre l’autorisation provisoire de séjour, aujourd’hui réservée aux étudiants titulaires d’un master, à tous les étudiants titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Selon la commission des affaires culturelles, cette proposition s’inscrit judicieusement dans la logique de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche que nous avons adoptée et dans notre volonté de reconnaître les formations courtes et professionnalisantes.
M. le rapporteur. Mon amendement CL232 est rédactionnel.
Pour ce qui est du CL262, l’autorisation provisoire de séjour répond à un objectif d’attractivité du territoire. À ce titre, elle est réservée aux étudiants bénéficiaires d’un master en raison du caractère hautement qualifié de ce grade. Prévoyant la non-opposabilité de la situation de l’emploi, le dispositif n’a pas vocation à concerner l’ensemble des étudiants venant se former en France. L’ouvrir aussi largement que le propose l’amendement serait contre-productif : cela le viderait de sa substance et nuirait aux étudiants étrangers titulaires d’un master.
Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement CL262 et adopte l’amendement CL232
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL91 de Mme Fanélie Carrey-Conte et CL81 de Mme Chantal Guittet.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Le texte conditionne l’autorisation provisoire de séjour à l’obtention par l’étudiant d’un emploi « en relation avec sa formation », mention que nous proposons de supprimer. Outre que cette notion paraît très abstraite, aujourd’hui, certains secteurs du marché du travail peuvent privilégier la polyvalence de certaines tâches plutôt qu’une adéquation directe avec la formation. Du reste, la construction d’un parcours professionnel peut conduire, dans un premier temps, à occuper un emploi sans relation directe avec sa formation initiale, avant de rebondir sur un autre type d’emploi.
L’amendement CL81 est de repli. Il propose une rédaction plus ouverte.
M. le rapporteur. Avis défavorable à l’amendement CL91. Le dispositif de l’APS a pour objet de valoriser les études que l’étudiant a suivies sur le territoire français et qu’il entend compléter par une première expérience professionnelle. L’exercice d’un emploi qui ne serait pas en lien avec ces études serait incohérent avec le projet professionnel de l’étudiant et contraire à l’objectif de promotion et de rayonnement de l’enseignement supérieur français.
Avis défavorable également à l’amendement CL81. Les termes de l’ajout proposé risquent de permettre à un étudiant qualifié d’occuper un emploi inférieur à son niveau de formation, avec un risque de dumping social. Dans cette expression extrêmement subjective pourrait rentrer à peu près n’importe quel emploi. La formule de l’article 5, « emploi en relation avec sa formation », laisse déjà une marge d’appréciation.
Les amendements CL91 et CL81 sont retirés.
La Commission en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements CL53 deuxième rectification de M. Pascal Cherki et CL263 de la commission des Affaires culturelles.
Mme Fanélie Carrey-Conte. L’amendement CL53 vise à faire rentrer les étudiants étrangers dans le droit commun, au regard notamment de l’accès à l’emploi, en supprimant la condition de rémunération minimale actuellement inscrite dans le texte. On connaît la situation du marché de l’emploi et l’existence de nombreux emplois précaires que peuvent exercer les étudiants.
Mme la rapporteure pour avis. Les salaires d’embauche des jeunes à la sortie de leurs études diffèrent selon les filières professionnelles et les territoires. L’amendement propose qu’il en soit tenu compte dans la fixation des seuils.
M. le rapporteur. La condition de rémunération fixée à 1,5 SMIC correspond à un minimum pour un master, et l’exigence d’une rémunération conforme au niveau d’études participe du projet professionnel de l’étudiant. Cette condition est une mesure importante à la fois de régulation et de protection de l’étudiant, qui ne doit pas pouvoir occuper un emploi sous-qualifié et sous-payé au regard de ses qualifications. C’est une mesure de lutte contre le dumping social. Avis défavorable à l’amendement CL53.
L’amendement CL263, outre qu’il peut répondre à certains arguments de Mme Carrey-Conte, me semble d’une bien meilleure facture et reçoit donc un avis favorable.
L’amendement CL53 deuxième rectification est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL263.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL233 du rapporteur.
Elle adopte ensuite l’article 5 modifié.
Article 6
(art. L. 313-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle
Comportant des dispositions de nature générale, l’article L. 313-1 est le premier article du chapitre III du titre Ier du livre III. Ce chapitre est consacré, dans sa rédaction issue du présent projet de loi, tant à la carte de séjour temporaire qu’à la carte de séjour pluriannuelle.
L’article 6 laisse inchangé le premier alinéa de cet article qui dispose notamment que la durée de validité de la carte de séjour temporaire ne peut être supérieure à un an. En revanche, il substitue au second alinéa (prévoyant actuellement l’obligation pour l’étranger de quitter la France à l’expiration de sa carte de séjour temporaire) deux nouveaux alinéas.
L’un précise que la durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle, mise en place par l’article 11 du projet de loi (79), ne peut être supérieure à quatre ans.
L’autre prévoit que, à l’expiration de la durée de validité de sa carte, temporaire ou pluriannuelle, l’étranger doit quitter la France à moins qu’il n’en obtienne le renouvellement ou qu’il ne lui soit délivré un autre document de séjour.
*
* *
La Commission adopte l’article 6 sans modification.
Article 7
(art. L. 313-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Conditions de première délivrance de la carte de séjour temporaire et de certaines cartes pluriannuelles
L’article 7 vise à rétablir l’article L. 313-2 qui avait été abrogé par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration afin d’y inscrire une disposition relative aux conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire et de certaines cartes de séjour pluriannuelles.
Le nouvel article L. 313-2 pose ainsi le principe selon lequel la première délivrance de la carte de séjour temporaire ou des cartes de séjour pluriannuelles portant la mention « passeport talent » (80), « passeport talent (famille) » (81) ou « travailleur saisonnier » (82) est subordonnée à la production par l’étranger :
— soit d’un visa de long séjour, d’une durée maximale d’un an (83) ;
— soit d’un visa de long séjour, d’une durée maximale d’un an, conférant à son titulaire, en application du deuxième alinéa de l’article L. 211-2-1, les droits attachés à une carte de séjour temporaire (84).
Ce principe s’applique sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du CESEDA.
La commission des Lois a adopté un amendement du Gouvernement précisant que, le cas échéant, la carte de séjour pluriannuelle visée aux articles L. 313-20 (carte portant la mention « passeport talent ») et L. 313-21 (carte portant la mention « passeport talent (famille) ») peut être délivrée par l’autorité diplomatique ou consulaire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
La Commission a adopté un second amendement du Gouvernement, regroupant les dispositions qui précèdent au sein d’un I de l’article 7.
Ce second amendement porte par ailleurs sur l’article L. 313-3, relatif au retrait de la carte de séjour temporaire en cas de menace pour l’ordre public posée par l’étranger. L’amendement adopté prévoit une disposition similaire à propos de la carte de séjour pluriannuelle. Au sein du projet de loi, cette disposition fait l’objet du II de l’article 7.
*
* *
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte successivement les amendements CL274 et CL273 du Gouvernement.
Puis elle adopte l’article 7 modifié.
Article 8
(art. L. 313-5-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Modalités de contrôle du maintien du droit au séjour du titulaire d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte pluriannuelle
L’article 8 prévoit l’insertion d’un nouvel article L. 313-5-1 après l’article L. 313-5 du CESEDA qui, dans la rédaction issue du présent projet de loi (85), porte sur le retrait de la carte de séjour temporaire ou de la carte de séjour pluriannuelle, notamment lorsque l’étranger est passible de poursuites pénales.
Le nouvel article L. 313-5-1 prévoit que l’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle « doit pouvoir justifier à tout moment qu’il continue de satisfaire aux conditions fixées pour la délivrance de cette carte » et que le préfet « procède aux contrôles et convocations nécessaires pour s’assurer du maintien de son droit au séjour ». Le projet de loi fait ici clairement le choix d’un contrôle en continu par l’autorité administrative de la régularité du séjour de l’étranger, contrôle dont on peut penser qu’il prendra la forme soit d’un ciblage de catégories pré-identifiées, soit d’une vérification aléatoire.
Aux termes du même article, la carte de séjour peut être retirée à l’étranger, ou son renouvellement être refusé, si l’intéressé « cesse de remplir l’une des conditions exigées pour la délivrance de la carte de séjour dont il est titulaire, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations ». S’agissant de ces deux derniers cas, le retrait et le non-renouvellement de la carte doivent manifestement être analysés comme de véritables sanctions, qui nécessiteront le respect d’une procédure contradictoire. L’étude d’impact indique que ces sanctions seront « accompagnées de garanties procédurales respectueuses des droits acquis par les ressortissants étrangers (86) ».
L’article 313-5-1 apporte également une précision quant à la condition d’activité exigée aussi bien dans le cadre de la carte de séjour annuelle portant la mention « salarié » (1° de l’article L. 313-10) que dans celui de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » (article L. 313-20). L’étranger involontairement privé d’emploi au sens de ces articles n’est pas considéré comme ayant cessé de remplir cette condition d’activité.
L’article L. 313-5-1 doit se lire en liaison avec le nouvel article L. 611-12 (87) qui, dans un souci de lutte contre la fraude au séjour, vise à faciliter la possibilité pour l’autorité administrative, sous réserve du secret médical, d’obtenir de certaines autorités publiques et personnes privées énumérées par la loi certains éléments d’information.
L’étude d’impact indique qu’ « un décret en Conseil d’État viendra ensuite compléter ce dispositif en détaillant les modalités opérationnelles de mise en œuvre des contrôles (88) ».
Bien que le projet de loi n’en fasse pas mention, il est incontestable que le contrôle prévu au présent article devra être mis en œuvre en conformité avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Le premier stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » et qu’ « il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Le second prévoit que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
La commission des Lois a adopté un amendement de votre rapporteur proposant une nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de l’article 8. À ses yeux, en effet, les termes retenus par le projet de loi traduisaient une forte méfiance envers l’étranger titulaire de la carte de séjour, voire une quasi-présomption que l’intéressé pourrait ne pas être en situation régulière, quasi-présomption qu’il lui appartient de renverser en permanence. Selon la nouvelle rédaction proposée par votre rapporteur, l’étranger doit simplement « être en mesure de justifier qu’il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de cette carte. L’autorité administrative peut procéder aux vérifications utiles pour s’assurer du maintien du droit au séjour de l’intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci pour un ou plusieurs entretiens. »
Ce changement est complété par un autre, qui est son corollaire et résulte également d’un amendement de votre rapporteur adopté par la Commission. Il est ainsi prévu une obligation de motivation et le respect du principe du contradictoire dans le cas d’un examen de la situation individuelle de l’étranger aboutissant à une décision de retrait par le préfet ou de refus de renouvellement de son titre de séjour. Ainsi, si l’étranger cesse de remplir l’une des conditions requises, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations, la carte de séjour peut lui être retirée ou son renouvellement refusé, « par une décision motivée, prise après qu’il a été mis à même de présenter ses observations dans les conditions prévues par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ».
*
* *
La Commission étudie les amendements identiques CL107 de M. Denys Robiliard et CL143 de M. Paul Molac.
M. Denys Robiliard. Bien que visant la consolidation des droits des étrangers en France, le projet de loi prévoit la possibilité de retirer à tout moment un titre de séjour qui a été valablement délivré. De fait, cela entraîne la précarisation et du titre de séjour et du séjour. Si l’on veut consolider les séjours et en faire des facteurs d’intégration, il ne faut pas créer un facteur d’instabilité dans la loi. D’autant qu’un titre de séjour obtenu frauduleusement peut d’ores et déjà être retiré au titre de l’article L. 311-8 du CESEDA.
M. Paul Molac. L’article 8 peut conduire au retrait du titre sur un simple défaut de déférence au contrôle. De plus, la loi ne précise pas les modalités de ce dernier, qui peut être opéré par l’administration de manière aléatoire ou ciblée. C’est pourquoi nous jugeons plus prudent de supprimer cet article.
M. le rapporteur. Je comprends ces arguments, que je partage pour partie. Je présenterai moi-même deux amendements réécrivant l’article 8 dont la rédaction n’est pas satisfaisante sur plusieurs points, notamment ceux que vous avez soulignés. Avec ces amendements, les contrôles a posteriori de la validité des titres de séjour me semblent légitimes. Le projet de loi tend certes à espacer les passages en préfecture, mais il n’est pas anormal que l’on demande à l’étranger d’être toujours en mesure de justifier qu’il continue de pouvoir bénéficier du titre de séjour qui lui a été accordé.
Cette disposition aura d’autant plus d’importance avec la mise en œuvre du titre pluriannuel. Aujourd’hui, il est très sécurisant pour les services des préfectures de pouvoir convoquer l’étranger plusieurs fois par an et pour le renouvellement annuel, et de lui demander des pièces complémentaires. Avec le titre pluriannuel, la situation sera différente. Il me semble logique et normal d’inscrire dans la loi que la préfecture doit pouvoir contrôler la concordance des conditions qui ont conduit à la délivrance du titre à tout moment pendant la durée de celui-ci.
Reste que la rédaction est par trop suspicieuse, et c’est la raison pour laquelle je vous en proposerai une qui me semble mieux convenir. Je vous demande donc de bien vouloir retirer vos amendements de suppression.
Mme Cécile Untermaier. Il conviendrait tout de même de définir la procédure encadrant le contrôle sur le détenteur d’une carte de séjour pour que la validité de son titre ne soit pas en permanence à la merci d’aléas.
La Commission rejette les amendements.
Elle en vient à l’amendement CL108 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Cet amendement procède de la même intention que celle du rapporteur de mieux encadrer les modalités de contrôle et faire cesser la suspicion sous-entendue dans la rédaction actuelle de l’article 8, en introduisant une procédure contradictoire.
M. le rapporteur. Nous cherchons à désemboliser les services de la préfecture. Je crains que votre proposition ne conduise à la situation inverse. Plutôt que la saisine obligatoire de la commission du titre de séjour, qui serait un facteur de lourdeur supplémentaire, je proposerai, dans l’un de mes amendements, de faire entrer le principe du contradictoire dans la procédure menée par le préfet. Je vous suggère donc de retirer votre amendement au profit de ceux que j’ai déposés.
M. Denys Robiliard. La commission du titre de séjour a ceci d’extrêmement important qu’elle permet d’avoir un véritable débat contradictoire auquel ne participent pas seulement les services de la préfecture. Prévoir un tel mécanisme paraît protecteur pour les droits des étrangers.
Certes, la fraude existe et doit être combattue, mais, en l’état, elle peut l’être par l’article L. 311-8 du CESEDA. Le nombre de cas de fraude est relativement faible. Cette procédure ne va pas emboliser les services de la préfecture puisqu’elle ne concernera qu’une petite partie seulement des titres délivrés. Il s’agit d’une procédure relativement exceptionnelle. Pourquoi ne pas la mettre en œuvre ?
La Commission rejette l’amendement.
Elle aborde ensuite l’amendement CL183 du rapporteur.
M. le rapporteur. Comme annoncé, je propose ici une nouvelle rédaction de l’article 8, à mettre en rapport avec les modifications que je vous demanderai également d’apporter à l’article 25. Modifié par cet amendement, l’alinéa 2 se lirait comme suit : « L’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle doit être en mesure de justifier qu’il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de cette carte. L’autorité administrative peut procéder aux vérifications utiles pour s’assurer du maintien du droit au séjour de l’intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci pour un ou plusieurs entretiens. » Cette formulation me paraît beaucoup moins suspicieuse que celle du texte gouvernemental.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Cet amendement améliore le texte, mais ne répond pas entièrement à l’objection que vient de formuler à juste titre Cécile Untermaier : il faut une procédure établissant que l’étranger a été dûment convoqué, dans des conditions régulières, et qu’il n’a pas répondu à la deuxième convocation, par exemple. Or, de ce point de vue, la formule « ou ne défère pas aux convocations » employée dans l’alinéa suivant n’est pas suffisante. Il convient de préciser, soit directement soit par décret, que les convocations doivent obéir à certaines conditions.
M. le rapporteur. Cette interrogation légitime devrait trouver une réponse dans mon amendement CL239, qui complète l’alinéa 3.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL70 de M. Pascal Cherki et CL239 du rapporteur.
Mme Fanélie Carrey-Conte. L’amendement CL70 vise à supprimer la possibilité de retirer le titre de séjour pour sanctionner le dépassement du plafond d’heures de travail autorisées. Cette sanction est disproportionnée, particulièrement lorsque le dépassement est involontaire. Par ailleurs, il ne me paraît pas tout à fait légitime que le respect des règles en la matière incombe au salarié plutôt qu’à l’employeur dans le cas des étrangers.
M. le rapporteur. Éternelle question !
Il convient néanmoins de maintenir la possibilité du retrait, ne serait-ce qu’à titre dissuasif. La limitation du temps de travail à 60 % de la durée de travail annuelle vise à permettre aux étudiants de poursuivre leurs études dans les conditions les plus propices à la réussite, sans sacrifier à l’excès leur temps d’étude à l’exercice d’une activité professionnelle. À un étudiant qui consacrerait beaucoup plus de temps à son travail qu’à ses études, on ne saurait reconnaître la qualité d’étudiant ! Si l’on supprimait cette possibilité de sanction, les risques que l’objet de la carte soit détourné seraient bien supérieurs.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Quant à mon amendement CL239, il tend, je l’ai dit, à compléter l’alinéa 3 par les mots « par une décision motivée, prise après qu’il a été mis à même de présenter ses observations dans les conditions prévues par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ».
La Commission rejette l’amendement CL70 et adopte l’amendement CL239.
Elle en vient à l’amendement CL144 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Cet amendement propose que le retrait d’un titre passe par la commission départementale du titre de séjour, actuellement déjà saisie en cas de renouvellement ou de refus.
M. le rapporteur. Avis défavorable, pour les raisons précédemment opposées à M. Robiliard.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 8 modifié.
Article 8 bis (nouveau)
(art. L. 313-7-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Carte de séjour temporaire portant la mention « stagiaire ICT »
La commission des Lois a adopté un amendement de votre rapporteur créant un article 8 bis.
Celui-ci vise à transposer en droit interne les dispositions de la directive n° 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe.
À cet effet, il crée, au sein de la sous-section 2 bis (89) du chapitre III du titre Ier du livre III du CESEDA, un nouvel article L. 313-7-2. Ce dernier prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger qui vient en France, sous couvert d’une convention de stage visée par l’autorité administrative compétente, effectuer un stage dans un établissement ou une entreprise du même groupe, qui justifie d’une ancienneté d’au moins trois mois, et qui dispose de moyens d’existence suffisants. Cette carte porte la mention « stagiaire ICT (90) ».
L’octroi d’une carte de séjour temporaire pour les membres de la famille du stagiaire, donnant droit à l’exercice d’une activité professionnelle, est également prévu. Cette carte porte la mention « stagiaire ICT (famille) ».
Aux termes du même article L. 313-7-2, l’étranger ayant été admis au séjour dans un autre État membre de l’Union européenne pour les mêmes motifs que ceux mentionnés plus haut, peut effectuer une mission d’une durée inférieure ou égale à 90 jours dans le cadre du 2° de l’article L. 1262-1 du code du travail (91), afin de suivre un stage dans un établissement ou une entreprise du même groupe, sous couvert du titre de séjour délivré dans le premier État membre aux fins d’un transfert temporaire intragroupe, portant la mention « ICT ». Lorsque la mission est d’une durée supérieure à 90 jours, l’étranger qui justifie de ressources suffisantes est autorisé à travailler et séjourner en France sous couvert d’une carte de séjour portant la mention « stagiaire mobile ICT » d’une durée identique à celle de la mission envisagée. Cette durée ne peut dépasser la durée maximale de séjour autorisée dans l’Union européenne.
Là encore, les membres de la famille peuvent se voir délivrer une carte de séjour temporaire, donnant droit à l’exercice d’une activité professionnelle. Cette carte porte la mention « stagiaire mobile ICT (famille) ».
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL241 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement, qui a fait l’objet d’échanges avec le Gouvernement, vise à transposer en droit interne les dispositions de la directive du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe. Ainsi que le précise l’article 2 de la directive, ces dispositions visent les cadres, les experts ou les employés stagiaires.
La Commission adopte l’amendement.
Article 9
(art. L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle
L’article 9 a pour objet de modifier les dispositions de l’article L. 313-10 du CESEDA relatif à la carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle. Il rétablit en particulier, à propos de la délivrance de cette carte, la distinction entre les contrats de travail à durée indéterminée et ceux à durée déterminée, qui prévalait avant la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration.
Certaines des dispositions de l’article L. 313-10 sont par ailleurs reprises dans d’autres articles du CESEDA. Ainsi, la carte de séjour portant la mention « salarié en mission » (prévue au 5° de l’article L. 313-10) et celle portant la mention « carte bleue européenne » (prévue au 6° du même article) sont reprises respectivement aux 3° et 2° de l’article L. 313-20 relatif à la nouvelle carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent (92) ». De la même façon, les dispositions concernant la carte de séjour portant la mention « saisonnier (93) » sont transférées, en raison du caractère pluriannuel de celle-ci, au nouvel article L. 313-23 (94).
Selon la nouvelle rédaction de l’article 313-10, une carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle, d’une durée maximale d’un an, peut être délivrée à l’étranger dans trois hypothèses, numérotées de 1° à 3°.
La carte de séjour temporaire peut tout d’abord être délivrée à l’étranger sous couvert d’un contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues par l’article L. 5221-2 du code du travail. Dans sa rédaction issue du présent projet de loi (95), ce dernier dispose que, « pour entrer en France en vue d’y exercer une profession salariée pour une durée supérieure à trois mois, l’étranger présente : 1° les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° un contrat de travail visé par l’autorité administrative ou une autorisation de travail. » Elle porte dans ce cas la mention « salarié ».
La carte est prolongée d’un an si l’étranger se trouve involontairement privé d’emploi. Lors du renouvellement suivant, s’il est toujours privé d’emploi, il est statué sur son droit au séjour pour une durée équivalente à celle des droits restant à courir au titre du revenu de remplacement mentionné à l’article L. 5422-1 du code du travail (96).
La situation de l’emploi n’est pas opposable à l’étranger lorsque sa demande concerne un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, après consultation des organisations syndicales représentatives d’employeurs et de salariés.
La situation de l’emploi n’est pas non plus opposable à l’étudiant étranger qui, ayant obtenu un diplôme au moins équivalent au grade de master dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national, souhaite exercer un emploi salarié et présente un contrat de travail, à durée indéterminée ou à durée déterminée, en relation avec sa formation et assorti d’une rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret en Conseil d’État.
La carte de séjour temporaire peut également, dans les mêmes conditions, être délivrée à l’étranger sous couvert d’un contrat de travail à durée déterminée ou dans les cas prévus aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du code du travail. Ces deux articles visent les hypothèses de détachement de salariés respectivement par un employeur établi hors de France et par une entreprise exerçant une activité de travail temporaire établie hors du territoire national. La carte est délivrée et renouvelée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement, dans la limite d’un an. Elle porte la mention « travailleur temporaire ».
La situation de l’emploi n’est pas opposable à l’étranger dans les mêmes conditions que celles prévues s’agissant du titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée.
La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Marie-Anne Chapdelaine. Celui-ci prévoit que, s’agissant du renouvellement du titre de séjour, la durée de celui-ci s’adapte à la durée du contrat à durée déterminée (ou du détachement). Sa durée peut donc alors éventuellement dépasser un an.
La carte de séjour temporaire peut enfin être délivrée à l’étranger pour l’exercice d’une activité non salariée économiquement viable et dont l’intéressé tire des moyens d’existence suffisants, dans le respect de la législation en vigueur. Elle porte alors l’appellation « entrepreneur/profession libérale ».
L’article 9 du projet de loi procède ici à la fusion, avec des critères harmonisés, des actuelles cartes de séjour délivrées aux étrangers exerçant une profession commerciale, artisanale ou industrielle (carte dite « commerçant ») et aux travailleurs indépendants (carte dite « profession libérale »).
*
* *
La Commission examine l’amendement CL47 de Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. L’alinéa 10 à l’article 11 exclut explicitement les étrangers détenteurs d’une carte « travailleur temporaire », donc les étrangers en contrat à durée déterminée (CDD), du bénéfice d’une carte de séjour pluriannuelle. Or un CDD peut durer plus d’un an ; d’où le présent amendement.
M. le rapporteur. Avis favorable à cet amendement, qui clarifie la rédaction et distingue utilement la délivrance et le renouvellement.
La Commission adopte l’amendement.
Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL54 rectifié de M. Pascal Cherki.
Elle aborde ensuite l’amendement CL265 de la commission des Affaires culturelles.
Mme la rapporteure pour avis. Compte tenu de l’avis du rapporteur sur l’amendement précédent, je retire celui-ci en vue de le redéposer pour la séance publique.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’article 9 modifié.
Article 10
(art. L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Conditions de délivrance de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale »
L’article 10 porte sur l’article L. 313-11 du CESEDA, qui énumère la liste des personnes pouvant se voir délivrer de plein droit la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».
L’article L. 313-11 prévoit aujourd’hui, dans son 1°, que la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » peut être délivrée, sous certaines conditions, à l’étranger « dont l’un des parents au moins est titulaire de la carte de séjour temporaire ou de la carte de résident », ainsi qu’à l’étranger « dont le conjoint est titulaire de l’une ou de l’autre de ces cartes», s’ils ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial.
Le 1° de l’article 10 du projet de loi étend cette possibilité au bénéfice de l’étranger dont l’un des parents au moins ou dont le conjoint est titulaire de la « carte de séjour pluriannuelle ».
Le 2° de l’article 10 supprime le 3° de l’article L. 313-11, relatif à la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger dont l’un des parents ou dont le conjoint est titulaire de la carte de séjour « compétences et talents », de la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié en mission » ou de la « carte bleue européenne ».
L’article L. 313-11 régit, dans son 11°, la délivrance aux étrangers malades de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Selon les normes en vigueur, cette carte est délivrée de plein droit à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, « sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative », sans que la condition prévue à l’article L. 311-7 (97) soit exigée.
Le demandeur doit établir qu’il dispose de sa résidence habituelle en France. À défaut, il peut recevoir une autorisation provisoire de séjour renouvelable pendant la durée du traitement, en application de l’article R. 313-22 du CESEDA.
La décision de délivrer la carte de séjour est prise par le préfet, « après avis du médecin de l’agence régionale de santé de la région de résidence de l’intéressé, désigné par le directeur général de l’agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police ». Le médecin de l’agence régionale de santé ou, à Paris, le chef du service médical de la préfecture de police peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d’État. Le préfet n’est pas lié par l’avis qui lui est transmis.
En termes statistiques, l’étude d’impact souligne que « le nombre de titres de séjour délivrés en première demande pour motif médical a doublé de 2001 à 2007, passant de 3 164 titres à 7 500. L’amorce d’une décrue relevée en 2006 s’est poursuivie les années suivantes pour se stabiliser autour des 6 000 titres délivrés. Les chiffres provisoires pour 2011 et partiels pour 2012 ne semblent pas remettre en cause cette stabilité (…) Une amélioration des prises en charge médicales dans certains pays, pour certaines pathologies, a été un facteur de réduction du nombre de titres délivrés. Par ailleurs, le nombre d’étrangers quittant le statut d’étranger malade, soit parce que leur titre n’est pas renouvelé, soit parce qu’il leur est délivré un titre pour un autre motif, est inférieur au nombre des nouveaux entrants (98). »
Le 3° de l’article 10 a pour objet de refondre le 11° de l’article L. 313-11.
Selon la nouvelle rédaction envisagée, le fait de ne pouvoir « bénéficier effectivement d’un traitement approprié » dans le pays d’origine doit s’apprécier « eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé » dans ce pays. La rédaction actuelle, qui pose comme critère « l’absence d’un traitement approprié dans le pays » d’origine, peut en effet apparaître exagérément restrictive, malgré la nuance apportée par l’article 26 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité qui réserve le cas d’une « circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du directeur général de l’agence régionale de santé ».
La condition prévue à l’article L. 313-2 (99), dans sa rédaction issue du présent projet de loi, qui impose à l’étranger de produire un visa de long séjour, n’est pas exigée en l’espèce.
La nouvelle rédaction du 11° de l’article L. 313-11 prévoit par ailleurs que la décision de délivrer la carte de séjour est prise, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, par l’autorité administrative « après avis d’un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (100) », et non plus sur le fondement d’un avis du médecin de l’agence régionale de santé. L’OFII « accomplit cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ».
Cette dernière modification est destinée à garantir l’homogénéité des décisions prises sur l’ensemble du territoire national. Les disparités actuellement observées portent en effet préjudice au droit des usagers à un traitement égal. La modification souhaitée répond à une recommandation formulée dans un rapport de mars 2013 par une mission conjointe de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale des affaires sociales sur l’admission au séjour des étrangers malades (101). La mission préconisait en effet d’« amender l’article L. 313-11, 11°, du CESEDA pour investir les médecins exerçant à l’OFII de la compétence pour rendre un avis médical au préfet, après examen clinique de l’étranger (102) ».
À l’appui de ce transfert, la mission relevait que « l’OFII est déjà investi par ses statuts et son histoire (ex OMI (103)) d’une large compétence de santé publique pour procéder aux visites médicales de tous les étrangers ayant vocation à être admis au séjour en France (sauf pour les demandeurs d’asile non accueillis en CADA) (104) ». Elle notait aussi qu’ « il s’est organisé territorialement à cette fin, avec un maillage dense de 31 délégations territoriales comportant, chacune, un plateau technique adapté à la réception des patients, à la réalisation d’examens médicaux et radiologiques, et s’insérant dans un réseau de conventions avec des établissements hospitaliers pour tous les actes spécialisés et examens complémentaires, que prend seul en charge financièrement l’office (105) ».
Elle soulignait aussi que l’OFII « est doté d’effectifs conséquents de médecins, d’infirmiers, de manipulateurs radio et de personnels administratifs dédiés à cette mission, exerçant sous contrat à durée indéterminée de droit public. Ces personnels bénéficient d’un « quasi-statut » organisé par un décret du 14 janvier 2004, et les contrats de travail des médecins comportent un certain nombre de clauses garantissant à la fois leur indépendance professionnelle et la prévalence des obligations résultant du code de déontologie médicale vis-à-vis de toute éventuelle instruction hiérarchique qui pourrait y porter atteinte. Une part de ces médecins pratique une langue étrangère et le volume de personnes reçues permet de constituer une base de connaissances substantielle sur les pathologies les plus souvent rencontrées et leur fréquence selon les pays d’origine. L’ensemble des délégations bénéficient d’un service d’interprétariat téléphonique garantissant un dialogue effectif avec le patient et le médecin consultant (106). »
À ces multiples raisons s’ajoute le fait que l’office dispose « d’un réseau de représentations dans neuf pays étrangers, dont cinq en Afrique, permettant de renforcer ses capacités d’information sur les offres de soins dans ces zones géographiques dont sont originaires la grande majorité des étrangers sollicitant en France un titre de séjour en qualité d’étranger malade (107) ». La centralisation au sein d’un service médical unique de la fonction « avis » devrait permettre, comme le relève l’étude d’impact (108), une meilleure maîtrise du dispositif par la diffusion d’une information actualisée sur les systèmes de santé dans les pays dont sont originaires les demandeurs de titres.
Il convient néanmoins de noter que l’ensemble de ces raisons ne suffisent pas à convaincre le Défenseur des droits qui décèle un danger dans le transfert des agences régionales de santé, placées sous la tutelle du ministère de la Santé, vers l’OFII, établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur (109). Cette crainte est partagée par nombre de personnes et d’institutions auditionnées par votre rapporteur (110).
La nouvelle rédaction du 11° de l’article L. 313-11, proposée par le projet de loi, ne mentionne plus le cas d’une « circonstance humanitaire exceptionnelle ». Cette dernière disposition, outre qu’elle demeure inappliquée en pratique, fait en effet double emploi avec les dispositions de l’article L.313-14 qui permettent d’admettre exceptionnellement au séjour un étranger en raison de « considérations humanitaires ». La mission conjointe de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale des affaires sociales soulignait à ce sujet que « les préfets recourent tous à l’admission exceptionnelle au séjour quand la situation le requiert » et que « le dispositif introduit par la loi du 16 juin 2011 est donc superfétatoire (111) ».
Le 3° de l’article 10 précise enfin qu’un rapport doit présenter chaque année au Parlement l’activité réalisée, au titre de la procédure applicable aux étrangers malades, par le service médical de l’OFII, ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre.
S’il en remplit les conditions, l’étranger malade se verra donc délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », d’une durée d’un an, en application du 11° de l’article L. 313-11.
Cette disposition ne doit pas se lire indépendamment du 3° de l’article L. 313-18, créé par l’article 11 du présent projet de loi (112), qui prévoit que, après cette première année de séjour, la carte de séjour pluriannuelle peut lui être délivrée sur la base de la durée prévisible des soins. C’est au médecin qu’il appartient de fixer la durée prévisible des soins de laquelle dépendra la durée du titre de séjour. Toutefois, la durée de validité de cette carte pluriannuelle ne peut être supérieure à quatre ans, conformément au second alinéa de l’article L. 313-1 dans sa rédaction issue de l’article 6 du présent projet de loi.
La commission des Lois a adopté un amendement de M. Jean-Louis Touraine concernant l’émission d’un avis par un collège de médecins du service médical de l’OFII, préalablement à la décision de l’autorité administrative de délivrer une carte de séjour à un étranger malade. Cet amendement précise que ce sont « les médecins de l’Office », et non l’Office lui-même, qui « accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ».
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL40 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. Actuellement, l’étranger doit démontrer que le traitement dont il a besoin n’existe pas dans son pays d’origine. L’article 10 modifie cette obligation sans que l’étude d’impact dise quoi que ce soit du coût de la mesure. Or on peut craindre un véritable appel d’air pour les filières et une envolée du nombre de personnes concernées et du coût, à l’image de ce qui s’est produit pour l’aide médicale de l’État (AME). C’est pourquoi cet amendement tend à supprimer l’article 10.
M. le rapporteur. La refonte du dispositif dit « étrangers malades », caractérisé par des inégalités de traitement et l’hétérogénéité des appréciations, est devenue absolument nécessaire. Le ministre y a d’ailleurs beaucoup insisté. En particulier, l’absence d’une doctrine unifiée en matière d’appréciation de l’état de santé des étrangers justifie que l’on transfère l’avis des agences régionales de santé (ARS) à l’OFII.
En outre, la rédaction actuelle du CESEDA n’est pas satisfaisante : le texte dispose que l’étranger doit être pris en charge sous réserve de l’« absence » de traitement dans son pays. Or un traitement peut exister sans que l’immense majorité de la population y ait effectivement accès.
Du reste, il convient de relativiser les chiffres en la matière : 6 800 titres ont fait l’objet d’une primo-délivrance sur ce fondement en 2014. Le nombre d’étrangers séjournant à ce titre est d’environ 30 000.
Avis évidemment défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL95 de Mme Sandrine Mazetier et CL111 de M. Denys Robiliard.
Mme Sandrine Mazetier. Nous proposons d’étendre le droit à un titre de séjour temporaire sur le fondement de la vie privée à tous les jeunes majeurs qui résident en France depuis l’âge de treize ans, que ce soit avec leurs parents ou avec un autre membre de leur famille, et même auprès de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Mme Fanélie Carrey-Conte. L’amendement CL111 a le même objet.
M. le rapporteur. Je comprends parfaitement cette préoccupation, et je la partage.
Toutefois, ces amendements présenteraient le redoutable inconvénient d’encourager l’envoi d’enfants en France séparément de leurs parents, en vue d’une future régularisation. C’est ainsi que se développent des stratégies migratoires consistant à laisser des enfants traverser seuls des continents pour tenter de rejoindre une tante ou un cousin. Dans l’intérêt même de l’enfant, l’adoption de ces amendements n’est donc pas souhaitable.
En réalité, l’objectif du texte est surtout dissuasif : il ressort de mes échanges avec le Gouvernement qu’en pratique, la plupart des cas que vous visez aboutissent à une régularisation. Néanmoins, officialiser cette pratique en l’inscrivant dans la loi pourrait entraîner des conséquences dramatiques pour les enfants. Je ne voudrais pas retrouver en métropole ce à quoi j’ai assisté à Mayotte : des enfants à qui leurs parents font prendre le bateau seuls pour qu’ils puissent être ensuite régularisés en France.
Mme Sandrine Mazetier. S’il faut veiller à ne pas encourager de tels comportements, ce n’est pas une solution que de laisser des enfants pris en charge et résidant en France depuis des années soudainement basculer dans l’irrégularité à leur majorité, y compris à Mayotte. Le fait qu’ils n’aient pas alors droit à un titre de séjour n’empêche nullement qu’à Mayotte ou ailleurs l’on trouve des mineurs envoyés seuls sur les routes de l’exil. C’est d’ailleurs une préoccupation que je partage, et nous avons sagement décidé, dans le cadre d’un précédent texte, que les parents d’un mineur isolé étranger accueilli en France seraient recherchés dans son pays de provenance. Il serait néanmoins regrettable de ne pas inscrire dans la loi une possibilité dont vous nous dites, monsieur le rapporteur, qu’elle est souvent réalisée en pratique – même si je doute que cela soit vrai dans tous les territoires de la République.
Je maintiens donc mon amendement.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je comprends parfaitement le point de vue de Mme Mazetier. Il faudrait toutefois préciser que les enfants doivent avoir fait l’objet d’une délégation d’autorité parentale, par kafala ou par la voie judiciaire, afin de s’assurer qu’ils ont été recueillis de manière régulière et non à mauvais escient – pour employer un euphémisme. Peut-être cela nécessite-t-il de retravailler l’amendement.
Quant au cas des enfants placés auprès de l’ASE, il est déjà couvert par la loi sur la protection de l’enfant qui leur assurera ipso facto l’octroi du titre de séjour.
La Commission rejette successivement les amendements CL95 et CL111.
L’amendement CL109 de M. Denys Robiliard est retiré.
La Commission aborde ensuite, en discussion commune, les amendements CL28 de M. Guy Geoffroy et CL112 de M. Denys Robiliard.
M. Bernard Gérard. L’amendement CL28 a pour objet de durcir les conditions d’accès au séjour pour les étrangers en situation irrégulière, en précisant, dans la loi, la notion de « liens personnels et familiaux ». En effet, l’article L. 313-11 du CESEDA, qui présente les conditions auxquelles la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » peut être délivrée de plein droit, fait simplement référence aux « liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité », qui ne peuvent faire obstacle à l’admission au séjour. Nous proposons de préciser qu’un minimum de dix ans de résidence et de cinq ans de scolarisation des enfants est exigé.
M. le rapporteur. La rédaction actuelle du CESEDA, qui exige en vue de la régularisation des liens privés et familiaux en France stables, anciens et intenses, traduit un équilibre satisfaisant, conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. À l’inverse, la rédaction que vous proposez restreint considérablement les possibilités de délivrance de la carte, et me paraît difficilement compatible avec l’article 8 de ladite convention, relatif au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale.
Avis défavorable.
M. Denys Robiliard. L’amendement CL112 est quasi rédactionnel puisqu’il tend à remplacer le mot « et » par le mot « ou » dans l’expression « liens personnels et familiaux ». En effet, la vie privée ne se réduit pas à la vie familiale et ce sont l’une et l’autre que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme tend à protéger.
M. le rapporteur. Cet amendement est tout sauf rédactionnel !
Le dispositif prévu dans le CESEDA a pour objet de régulariser les étrangers qui ont fixé durablement en France le centre de leurs intérêts familiaux. Il traduit le souci du législateur de consacrer le droit au respect de la vie privée et familiale tel qu’il est défini par la Convention européenne des droits de l’homme. Les liens purement personnels – qui pourraient être très nombreux – seraient insuffisants pour caractériser le respect de ce droit à mener une vie familiale normale. Au demeurant, la notion de lien personnel mais non familial me paraît extrêmement floue et susceptible de toutes les interprétations.
La Commission rejette successivement les amendements CL28 et CL112.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL29 de M. Guy Geoffroy, CL73 de M. Jean-Louis Touraine, CL113 de M. Denys Robiliard et CL72 de M. Jean-Louis Touraine.
M. Philippe Goujon. Actuellement, l’étranger doit démontrer que les soins dont il a besoin ne sont aucunement dispensés dans son pays d’origine. Si l’article est adopté en l’état, il lui suffira de prouver que le système de santé publique de son pays d’origine n’est pas en capacité de lui fournir ces soins. Sous peine d’ouvrir les vannes d’une immigration totalement incontrôlée, l’amendement CL29 propose de supprimer les alinéas 4 et 5 de l’article.
M. le rapporteur. Avis défavorable, pour les raisons précédemment développées.
Mme Pascale Crozon. Aux termes de l’amendement CL73, les médecins de l’OFII suivent une formation dont le cadre est fixé par arrêté du ministère de la Santé et du ministère des Affaires étrangères. Il est nécessaire, en effet, qu’ils soient pleinement informés à propos de maladies touchant spécifiquement certains pays.
M. le rapporteur. Cette précision ne me paraît pas utile. L’OFII dispose déjà d’un réseau de représentations dans neuf pays étrangers, dont cinq en Afrique ; il peut ainsi mieux s’informer des offres de soins disponibles dans ces zones géographiques dont est originaire la grande majorité des personnes qui sollicitent en France un titre de séjour en qualité d’« étranger malade ». La centralisation au sein d’un service médical unique de la fonction d’avis permettra une meilleure maîtrise du dispositif par la diffusion d’une information actualisée sur les systèmes de santé des pays d’origine. Mieux vaut donc laisser à l’OFII le soin d’organiser ses formations, plutôt que d’inscrire dans la loi une obligation de formation spécifique de ses médecins.
Je vous prie donc de bien vouloir retirer votre amendement.
L’amendement CL73 est retiré.
M. Denys Robiliard. L’avis du médecin de l’OFII devrait être conforme. S’il appartient au préfet d’apprécier l’éventuelle menace pour l’ordre public ou la résidence habituelle, on ne voit pas sur quel fondement son avis pourrait différer de celui du médecin lorsqu’il s’agit d’estimer la gravité des conséquences de l’absence de soins ou l’impossibilité de se faire soigner dans le pays d’origine. Tel est le sens de l’amendement CL113.
M. le rapporteur. Je souhaite le retrait de cet amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Le préfet doit conserver un pouvoir d’appréciation, car il doit examiner l’ensemble de la situation de l’étranger : l’aspect médical, bien sûr, mais aussi ses conditions de résidence habituelle ou les éventuelles fraudes. Les médecins se prononcent sur le seul état de santé ; il ne convient pas de les investir d’une compétence qui doit rester attachée à la puissance publique. Rappelons par ailleurs, s’il en était besoin, que la décision du préfet est soumise au contrôle du juge.
Au demeurant, on aurait tort de présupposer que l’avis du médecin de l’OFII serait systématiquement favorable au demandeur : l’avis des médecins de l’ARS ne l’est pas toujours aujourd’hui, et l’avis du préfet peut être contraire à l’avis médical, donc favorable à l’étranger malade.
M. Denys Robiliard. Si l’avis du médecin était conforme, le préfet ne serait lié que pour la délivrance d’un titre de séjour « étranger malade » : rien ne lui interdirait de délivrer un titre de séjour sur un autre fondement. En revanche, je le répète, je ne vois pas au nom de quelle compétence le préfet pourrait substituer son avis à celui du médecin dès lors qu’il s’agit de délivrer un titre à raison de l’état de santé du demandeur. D’autant que, le médecin étant tenu par le secret médical, les éléments à partir desquels il se prononce ne sont pas connus du préfet. Dès lors, comment son avis pourrait-il ne pas être conforme ?
Mme Marie-Françoise Bechtel. Ce serait une première dans notre pays si nous faisions d’un médecin, si honorable soit-il, une autorité administrative ! Car l’avis conforme est une décision administrative.
M. le rapporteur. J’aimerais vous citer un exemple qui m’a été relaté à la préfecture de Rennes lorsque je m’y suis rendu avec Marie-Anne Chapdelaine. Un réseau venait d’être démantelé : une ou deux personnes étrangères atteintes d’hépatite C se présentaient à l’hôpital pour y subir des examens, munies de papiers qui n’étaient pas les leurs, permettant ainsi à des dizaines d’autres – les véritables titulaires de ces papiers – de bénéficier d’un avis favorable de l’ARS. De tels cas sont évidemment marginaux, mais ils existent. Voilà pourquoi il ne me paraît pas opportun de faire de l’avis du médecin un avis conforme.
Mme Pascale Crozon. L’amendement CL72 précise qu’il appartient aux médecins de l’OFII de se prononcer sur la difficulté d’accès effectif à un traitement approprié dans le pays d’origine, en se fondant sur l’offre de soins existante et sur les caractéristiques du système de santé sur place. Il convient de souligner que cette mission n’est pas pilotée par le ministère de l’Intérieur et qu’elle respecte les orientations fixées par le ministre de la Santé.
M. le rapporteur. Cette précision est très utile. Avis favorable.
Successivement, la Commission rejette les amendements CL29 et CL113, et adopte l’amendement CL72.
Puis elle adopte l’article 10 modifié.
Article 10 bis (nouveau)
(art. L. 311-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Autorisation provisoire de séjour de plein droit pour le parent d’enfant malade
La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Marie-Anne Chapdelaine créant un article 10 bis et disposant que l’autorisation provisoire de séjour prévue à l’article L. 311-12 du CESEDA au profit du parent d’enfant malade (qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l’article L. 313-11 du même code (113)) lui est délivrée de plein droit, dès lors qu’il justifie résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation.
Le même amendement précise que cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l’étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL41 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. Aux termes du présent amendement, aucune prestation d’aide sociale non contributive ou d’aide au logement n’est versée aux étrangers qui résident en France depuis moins de deux ans. Il s’agit d’éviter que des étrangers ne s’installent en France dans le seul but de profiter de la grande générosité de notre système social. D’autant qu’en période de difficulté budgétaire, il serait peu compréhensible qu’un étranger venant d’arriver bénéficie immédiatement de prestations financées par l’impôt.
M. le rapporteur. Avis évidemment défavorable.
Vous proposez de modifier l’article L. 111-1 du code de l’action sociale et des familles, qui ne concerne pas notre sujet, en subordonnant à une résidence régulière d’au moins deux ans l’accès à la couverture maladie universelle (CMU), à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), à la prestation de compensation du handicap (PCH), entre autres. Outre les risques d’inconstitutionnalité qu’il comporte, l’amendement n’est pas conforme au sens du présent projet de loi. Il n’est pas question de priver un étranger de ces prestations sous prétexte qu’il séjournerait sur notre territoire depuis moins de deux ans.
M. Serge Letchimy. Répétons-le, les immigrés n’appauvrissent pas la France, ils contribuent à la construire et à l’enrichir ! Les points de PIB que nous avons gagnés au cours des dix ou quinze dernières années, c’est en partie à eux que nous les devons, comme notre démographie très dynamique à l’heure où nombre de pays européens vieillissent. Des propositions comme celle qui nous est soumise sont donc à proscrire absolument. Elles nourrissent la stigmatisation des étrangers déjà présents sur le territoire et les enferment dans un isolement très néfaste à notre pays.
La Commission rejette l’amendement.
Elle discute ensuite l’amendement CL27 de M. Guy Geoffroy.
M. Bernard Gérard. Le modèle social français ne doit pas être en lui-même attractif pour les étrangers et les filières d’immigration illégale. Voilà pourquoi il convient de revenir sur le système actuel de l’AME, dont le coût pour le budget de l’État est passé de 75 millions d’euros en 2000 à 759 millions en 2014 : peu de pays au monde ont une politique aussi généreuse.
Nous proposons donc qu’à l’image de nos voisins allemands, nous limitions la prise en charge par la solidarité nationale au traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse et à ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. M. Letchimy a raison : soyons conscients de ce que les étrangers peuvent nous apporter et de notre devoir de solidarité à leur égard. Je suis outrée que l’on remette ainsi en cause l’accès aux soins des personnes présentes sur le territoire français. Des accouchements dans les caves, est-ce cela que vous voulez ? Est-ce cela, la France que nous voulons ? Pas sur les bancs du groupe Socialiste, républicain et citoyen, en tout cas !
L’étranger a des droits, il doit pouvoir les faire valoir, et celui de se soigner est un droit fondamental dont on ne peut priver quiconque, quelle que soit sa situation administrative. De tels amendements sont stupéfiants. À les lire, l’étranger est nécessairement un fraudeur, qu’il ne faudrait pas soigner s’il est malade !
Et que dire du risque pour la santé publique ? Si un étranger souffrant de tuberculose ne se soigne pas et qu’une épidémie en résulte, les frais seront encore plus élevés. Il est donc de notre devoir de soigner les étrangers.
M. le rapporteur. La prise en charge proposée serait limitée essentiellement aux maladies graves, à la grossesse et aux vaccinations obligatoires. Nous avons évidemment ici un désaccord politique. Pour nous, la prise en charge par la solidarité nationale des personnes présentes sur notre territoire est un devoir qui ne saurait varier selon que le séjour est régulier ou irrégulier, pour des raisons tout simplement humanitaires.
En outre, comme l’a rappelé Marie-Anne Chapdelaine, l’AME est un outil de santé publique, laquelle ne se limite pas aux vaccinations réglementaires et à la médecine préventive.
Avis défavorable.
M. Paul Molac. J’ajoute que, depuis que la gauche est au pouvoir, le déficit de la sécurité sociale est passé de 20 milliards d’euros à 10. Tout cela coûte peut-être cher, mais il y a des gens qui savent gérer !
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle en vient à l’amendement CL42 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. Il s’agit à nouveau de l’AME, dont le coût connaît une très forte progression. Des outils de régulation doivent être mis en place pour mettre fin aux abus. C’est à l’urgence que doit répondre l’AME. Nous proposons donc que, pour les étrangers majeurs en situation irrégulière, le panier de soins relevant de l’AME soit limité à la prise en charge des soins urgents, vitaux ou encore nécessaires pour prévenir un risque épidémique, et dispensés au sein des établissements hospitaliers. Pour les mineurs, en revanche, la prise en charge doit, bien sûr, rester totale, quels que soient le lieu des soins et leur nature.
M. le rapporteur. Même avis défavorable que précédemment, pour les mêmes raisons.
La Commission rejette l’amendement.
Elle étudie ensuite l’amendement CL30 de M. Guy Geoffroy.
M. Philippe Goujon. Il s’agit de durcir les conditions d’accès au revenu de solidarité active (RSA). Actuellement, pour y prétendre, une personne étrangère doit être titulaire d’un titre de séjour autorisant l’exercice d’une activité professionnelle depuis au moins cinq ans. Afin de lutter contre une immigration souvent motivée par l’attrait de prestations sociales trop accessibles, il est proposé de porter cette durée à sept ans.
Mme Colette Capdevielle. De la part d’un groupe qui s’appelle Les Républicains, cet amendement est une véritable provocation. La devise de la République ne consacre-t-elle pas l’égalité ? Comment vous représentez-vous donc la société ? En employant de tels arguments, en provoquant de la sorte celles et ceux qui vivent en France sans avoir la nationalité française, comment voulez-vous que notre pays connaisse la paix sociale ? Que proposez-vous en contrepartie ? Comment voulez-vous que nous vivions ensemble ? Et vous osez parler d’humanité, de vivre-ensemble ? Pourquoi sept ans ? Et pourquoi pas dix ans, quinze ans, ou même jamais, pendant que vous y êtes ? Simplement parce que ces gens n’ont pas la nationalité française ?
Pas plus que l’égalité, vous ne respectez la fraternité. La fraternité, c’est le vivre-ensemble, chacun apportant sa contribution ; et les étrangers apportent la leur, comme le disait notre collègue Letchimy : ils paient la TVA, ils acquittent les cotisations sociales puisqu’ils travaillent. Les uns ont des entreprises, les autres font le travail dont nos compatriotes ne veulent pas – on le voit bien dans cette maison. Provocation pour provocation, que diriez-vous de les dispenser de TVA et de cotisations pendant ces sept ans ?
Nous sommes très nombreux, en particulier sur les bancs du groupe Socialiste, républicain et citoyen, à être profondément choqués par ces amendements populistes qui attentent aux principes fondateurs de notre République. Vous portez décidément très mal votre nom !
Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement permet tout simplement de rappeler que, contrairement aux représentations que véhicule en permanence l’ex-UMP, désormais baptisée Les Républicains, notre pays n’est pas trop généreux et ne distribue pas les prestations sociales inconsidérément, puisqu’il faut cinq ans de séjour sur le territoire français pour avoir accès au RSA – cinq ans de cotisations, comme cela vient d’être rappelé. La réalité, la voilà !
Au Royaume-Uni – comme en Allemagne jusqu’à une date récente –, le modèle social se caractérise par une très faible rémunération du travail et par l’absence de prestations sociales ; et pourtant, ces pays sont bien plus attractifs que le nôtre. Le ministre a rappelé tout à l’heure les chiffres. Les faits sont têtus ! Ce n’est donc pas le modèle social français qui oriente particulièrement les flux migratoires vers la France.
Ce que vous proposez d’abîmer, c’est ce qui fait la République, ce qui fait notre modèle. Au fond, vous n’aimez pas ce qui constitue la République française.
M. le rapporteur. Que dire de plus ? Il y aurait lieu même de s’interroger sur la durée de cinq ans actuellement en vigueur, et sur sa conformité à la lettre et à l’esprit de notre Constitution. Notre droit est déjà très restrictif, bien plus que celui de la plupart des pays voisins. Il ne constitue donc pas un facteur d’attractivité : c’est un faux problème.
Avis très défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL142 de M. Paul Molac, CL242 du rapporteur, CL48 de Mme Marie-Anne Chapdelaine, CL105 de M. Denys Robiliard, CL69 de Mme Marie-Anne Chapdelaine et CL106 de M. Denys Robiliard.
M. Paul Molac. La loi prévoit qu’une autorisation provisoire de séjour est délivrée, à la discrétion du préfet, à l’un des parents d’un enfant gravement malade. Il est donc parfois obligatoire de choisir l’un des deux parents auquel sont alors délivrées des APS tous les six mois, sans droit au travail. Il s’agit le plus souvent des mères, ce qui constitue une véritable distinction de genre, au mépris de l’intérêt de l’enfant.
L’amendement CL142 tend, par conséquent, à permettre de délivrer un titre de séjour « vie privée et familiale », au lieu d’une simple APS, aux deux parents titulaires de l’autorité parentale.
M. le rapporteur. Je retirerai mon amendement CL242 au profit du CL48, qui devrait également satisfaire ceux de MM. Molac et Robiliard.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Aux termes de l’amendement CL48, le parent accompagnant un enfant malade bénéficie d’un titre de séjour qui est renouvelé pendant toute la durée de la prise en charge de l’enfant et permet à son bénéficiaire de travailler, afin de garantir la stabilité de son séjour.
M. Denys Robiliard. Mon amendement CL105 est dans la même veine, à ceci près qu’il tend à faire bénéficier les deux parents, et non un seul, du titre de séjour. Il est particulièrement important pour un enfant gravement malade d’avoir ses deux parents auprès de lui. En outre, si un seul des deux parents en bénéficie, ce sera la mère, ce qui favorise à n’en pas douter les discriminations de genre.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. L’enfant peut aussi être accompagné d’une personne autre qu’un de ses parents, titulaire de l’autorité parentale. Dans ce cas, il convient d’étendre à celle-ci le bénéfice de l’APS. Tel est le sens de mon amendement CL69.
M. Denys Robiliard. L’amendement CL106 est corollaire du CL105.
M. le rapporteur. Je comprends le bien-fondé de l’octroi du titre de séjour aux deux parents plutôt qu’à un seul, que prévoyait d’ailleurs mon amendement. Sur cette question précise, nous pourrions travailler avec le Gouvernement d’ici à la séance publique.
Quant à l’amendement CL69, je souhaite son retrait, pour les raisons que j’ai opposées tout à l’heure à Mme Mazetier.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je le retire, pour le retravailler en vue de la séance.
L’égalité requiert que l’enfant puisse être accompagné soit de ses parents, soit, s’il les a perdus, par exemple, d’un autre dépositaire de l’autorité parentale. Il faut simplement s’assurer que la personne qui l’accompagne est bien titulaire de cette autorité.
Les amendements CL142, CL242, CL105, CL69 et CL106 sont successivement retirés.
La Commission adopte l’amendement CL48.
Article 10 ter (nouveau)
(art. L. 313-12 et L. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Renouvellement automatique du titre de séjour pour les personnes victimes de violences conjugales
La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Maud Olivier créant un article 10 ter.
Il complète l’article L. 313-12 du CESEDA afin de prévoir que la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » est renouvelée de plein droit, nonobstant la fin de la communauté de vie, aux personnes victimes de violences conjugales.
Il complète également l’article L. 431-2 afin de prévoir une disposition similaire au profit de l’étranger autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial.
*
* *
La Commission, suivant l’avis favorable du rapporteur, adopte l’amendement CL75 de Mme Maud Olivier, satisfaisant ainsi l’amendement CL128 de M. Denys Robiliard visant à transformer en obligation la faculté pour le préfet d’accorder le renouvellement d’une carte de séjour aux personnes victimes de violences conjugales.
Article 10 quater (nouveau)
(art. L. 313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Renouvellement automatique du titre de séjour pour les personnes victimes de violences familiales
Sur la proposition de M. Denys Robiliard, la Commission a ajouté un article 10 quater, aux termes duquel le renouvellement de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », prévu à l’article L. 313-12, est également ouvert aux personnes victimes de violences « familiales ».
*
* *
La Commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL86 de Mme Chantal Guittet et CL114 et CL115 de M. Denys Robiliard.
Mme Fanélie Carrey-Conte. L’amendement CL86 vise à permettre aux victimes de violences non seulement conjugales, mais aussi familiales – c’est-à-dire perpétrées par un autre membre de la famille –, de bénéficier des dispositions permettant la délivrance et le renouvellement de la carte de séjour.
Il tend également à étendre aux partenaires de pacte civil de solidarité (PACS) et aux concubins dont la communauté de vie a été rompue à la suite de violences conjugales la délivrance par l’autorité administrative d’un premier titre de séjour.
M. le rapporteur. L’amendement que nous avons adopté précédemment visait à simplifier le renouvellement des titres obtenus par les conjoints de Français ou par les bénéficiaires du regroupement familial qui auraient été victimes de violences au sein du couple, en le rendant automatique après vérification par le préfet de la réalité des violences.
L’amendement CL86 prévoit d’étendre le bénéfice du renouvellement de la carte de séjour temporaire aux conjoints de Français victimes de violences familiales ainsi qu’aux partenaires de PACS, aux concubins ou ex-conjoints, ex-partenaires ou ex-concubins. La notion de violences familiales, qui fait l’objet de l’amendement CL114 de M. Robiliard, pourrait rencontrer mon assentiment. En revanche, sur le second point, mon avis est défavorable. D’une part, le Conseil constitutionnel a validé le traitement différencié en la matière des conjoints et des autres partenaires par le législateur. D’autre part, l’article L. 316-3 du CESEDA dispose déjà que l’autorité administrative doit automatiquement délivrer, dans les plus brefs délais, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en raison des violences commises par son conjoint, son partenaire de PACS ou son concubin, que cette carte de séjour temporaire est renouvelée et qu’elle ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
Enfin, mentionner les anciens conjoints, anciens pacsés ou anciens concubins reviendrait à ouvrir le dispositif au cas de violences commises en dehors du cercle familial.
Je suggère le retrait de l’amendement.
L’amendement CL86 est retiré.
M. Denys Robiliard. L’amendement CL115 vise les victimes de violences quasi-conjugales au sein de couples non mariés. Une personne pacsée ou vivant en concubinage, qui fait l’objet de violences de la part de son partenaire ou de son concubin, doit bénéficier d’un niveau de protection identique à celui d’un conjoint marié.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
La Commission adopte l’amendement CL114 et rejette l’amendement CL115.
Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL110 de M. Denys Robiliard.
Article 11
(chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Carte de séjour pluriannuelle
L’article 11 a pour objet de créer, au sein du chapitre III du livre III du CESEDA, une section 3 intitulée : « La carte de séjour pluriannuelle », composée de trois sous-sections.
Le principe général actuellement posé par le CESEDA est celui de l’annualité des cartes de séjour. Dans sa rédaction en vigueur, l’article L. 313-1 de ce code dispose que « la durée de validité de la carte de séjour temporaire ne peut être supérieure à un an » et que « l’étranger doit quitter la France à l’expiration de la durée de validité de sa carte à moins qu’il n’en obtienne le renouvellement ou qu’il ne lui soit délivré une carte de résident ».
Comme le rappelle l’étude d’impact, « la règle actuelle fixée par le législateur entraîne un examen continu des conditions de séjour pendant les premières années de présence et avant l’accession à la carte de résident d’une durée de dix ans, qui peut avoir lieu après cinq années de séjour régulier (art. L. 314-8) ou pour certaines catégories, après trois années de séjour régulier (art. L. 314-9 ou dispositions conventionnelles) (114) ».
Le rapport rendu le 14 mai 2013 par M. Matthias Fekl, en qualité de parlementaire en mission auprès du ministre de l’Intérieur (115), a fait valoir à quel point la délivrance de titres de séjour pluriannuels demeurait aujourd’hui une exception.
Ce rapport souligne ainsi qu’ « en raison du nombre limité des possibilités juridiques de délivrance de tels titres et de la complexité des procédures afférentes, la part que représentent les titres pluriannuels sur le total des titres délivrés demeure faible (…) Il apparaît clairement que la délivrance d’un titre pluriannuel ne revêt aujourd’hui qu’un caractère résiduel, la grande majorité des ressortissants étrangers étant obligés, en tout cas au cours des premières années qu’ils passent sur le territoire français, à effectuer des visites régulières en préfecture, généralement coûteuses — au moins en temps et en énergie, mais aussi en argent — et surtout anxiogènes (116). »
Il est bon de rappeler ici que le nombre de passages en préfecture de ressortissants étrangers est évalué à plus de cinq millions par an et qu’environ 750 000 titres sont renouvelés chaque année (117).
Les dernières lois intervenues dans le domaine de l’immigration ont été inspirées par la volonté de favoriser l’accès à des titres plus pérennes pour des publics « choisis ». Comme le souligne l’étude d’impact, « à partir de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, le législateur a progressivement introduit des dérogations au principe d’annualité en octroyant des cartes de séjour d’une durée de validité supérieure à un an. Ces cartes de séjour « pluriannuelles » ont principalement concerné l’immigration professionnelle (118). »
En l’état du droit, les cartes de séjour pluriannuelles sont les suivantes :
— la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur saisonnier », prévue par l’article L. 313-10, 4°, d’une durée maximale de trois ans, qui permet à un étranger de revenir chaque saison en France pour effectuer certains types de travaux (agriculture, hôtellerie-restauration, etc.) dans la limite de six mois par an ;
— la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié en mission », d’une durée de trois ans, remise à un ressortissant étranger arrivant en France dans le cadre d’une mobilité internationale dite « intragroupe », c’est-à-dire entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises du même groupe international (art. L. 313-10 5°) ;
— la carte de séjour portant la mention « compétences et talents », destinée à un ressortissant étranger qui vient en France réaliser un projet professionnel déterminé et qui dispose de compétences spécifiques et reconnues dans son domaine d’activité (art. L. 315-1 et suivants) ;
— les cartes de séjour temporaires « étudiant » et « scientifique », régies par l’article L. 313-4 ;
— la « carte bleue européenne », d’une durée maximale de trois ans, régie par l’article L. 313-10 (6°).
— la carte de résident prévue à l’article L. 314-11, délivrée de plein droit dès la première année de séjour en France et qu’il est permis d’analyser comme une forme de carte pluriannuelle (119).
Dans les faits, les possibilités de délivrance de titres pluriannuels n’ont été que faiblement accrues, en particulier pour les ressortissants étrangers extérieurs à l’Union européenne, à l’Espace économique européen et à la Suisse. La proportion des titres de séjour pluriannuels (cartes de séjour et cartes de résident) délivrée aux primo-arrivants représente moins de 16 % du total des admissions au séjour chaque année. En 2012, seuls 29 573 des 191 452 titres délivrés étaient des cartes pluriannuelles (120).
Selon M. Matthias Fekl, « la création du titre pluriannuel de séjour doit permettre de renforcer l’adéquation entre durée de présence des ressortissants étrangers sur le territoire et durée de validité des titres leur étant délivrés. Cela impliquerait que pour les ressortissants étrangers ayant vocation à demeurer durablement sur le territoire, le titre pluriannuel permette, à la suite de la délivrance d’un ou plusieurs titres annuels, de préparer la délivrance d’une carte de résident, et, le cas échéant, à la naturalisation (121) ». À l’inverse, pour les ressortissants étrangers amenés à ne rester que temporairement en France (étudiants et salariés notamment), la durée de validité du titre devrait correspondre, dans toute la mesure du possible, à la durée du séjour.
S’inspirant en partie du rapport de M. Matthias Fekl, l’article 11 du projet de loi crée une carte de séjour pluriannuelle « générale » et deux cartes de séjour pluriannuelles pour des publics spécifiques. Cette consécration du principe de la pluri-annualité de la carte de séjour a été saluée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son avis du 21 mai 2015 (122) même si celle-ci a regretté « les multiples exceptions apportées au schéma de base (notamment pour les étrangers malades, les étudiants ou la proche famille) » et ce qu’elle nomme la « catégorisation extrême des titres de séjour (123) ».
Le Défenseur des droits, dans son avis du 23 juin 2015, a souligné que « la délivrance de titres plus pérennes [était] de nature à désengorger l’accueil en préfecture et [à] limiter le risque pour les étrangers de faire l’objet de discriminations (à l’emploi, à l’accès aux biens et services notamment) en raison de la précarité de leur séjour (124) ».
Alors que l’exposé des motifs du projet de loi rappelle qu’à l’issue de la carte de séjour pluriannuelle, l’étranger a vocation à prétendre, s’il en remplit les conditions et s’il en fait la demande, à une carte de résident (125), l’article 11 prévoit seulement l’hypothèse du renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle. Il ne traduit donc pas expressément, comme l’ont souligné plusieurs associations auditionnées par votre rapporteur, la volonté du Gouvernement de faire de la délivrance de la carte de résident le principe (à l’issue d’une carte de séjour pluriannuelle) et du renouvellement du titre de séjour pluriannuel seulement l’exception. On ne peut exclure totalement le risque que la généralisation de la carte de séjour pluriannuelle n’ait paradoxalement pour effet de marginaliser quelque peu la carte de résident, risque sur lequel l’étude d’impact n’apporte pas d’éclairage.
La sous-section 1 se compose des articles L. 313-17 à L. 313-19 du CESEDA.
Le I de l’article L. 313-17 prévoit que, au terme d’une première année de séjour régulier en France, accompli sous couvert d’un premier document de séjour (carte de séjour temporaire ou visa de long séjour valant titre de séjour), l’étranger bénéficie, à sa demande, d’une carte de séjour pluriannuelle dès lors :
— qu’il justifie de son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l’État dans le cadre du contrat personnalisé (126) et n’a pas manifesté de rejet des valeurs de la République ;
— qu’il continue à remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire.
La carte de séjour pluriannuelle ainsi délivrée à l’étranger porte la même mention que la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire.
S’agissant de la notion de rejet des « valeurs de la République », susceptible d’entraîner le rejet de la demande de carte de séjour pluriannuelle, l’étude d’impact ne précise pas si un décret sera amené à en définir plus précisément le contenu afin d’écarter les risques d’arbitraire ou d’excessive disparité des décisions prises sur le territoire. La jurisprudence administrative peut être une aide pour en dessiner les contours, mais elle vise plus volontiers le rejet des « valeurs essentielles de la société française », notamment dans ces espèces où ce type de motifs est opposé à une demande d’acquisition de la nationalité française. Dans un arrêt Aberkane du 27 novembre 2013 (127), le Conseil d’État a ainsi jugé qu’ « il ressort des pièces du dossier et notamment des propos tenus et du comportement adopté par M. A… au cours des entretiens menés par les fonctionnaires de la sous-préfecture de Rambouillet puis par ceux de la préfecture des Yvelines chargés de l’instruction de son dossier que l’intéressé refuse d’accepter les valeurs essentielles de la société française et notamment l’égalité entre les hommes et les femmes ».
Le I de l’article L. 313-17 dispose par ailleurs qu’une carte de séjour pluriannuelle n’est pas délivrée à l’étranger titulaire de la carte de séjour temporaire mentionnée à l’article L. 313-6, à l’article L. 313-7-1, au 2° de l’article L. 313-10 et à l’article L. 316-1. Ces références visent respectivement :
— les « visiteurs », dont le séjour en France est par nature temporaire et limité, faute d’activité professionnelle et de ressources suffisantes ;
— les « stagiaires » ;
— les « travailleurs temporaires », leur contrat initial étant inférieur à douze mois ;
— les « victimes de la traite des êtres humains » qui sont appelées, moyennant une procédure spécifique, à se voir délivrer ultimement une carte de résident.
Le II de l’article L. 313-17 précise que l’étranger bénéficie, à sa demande, du renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle s’il continue à remplir les conditions de délivrance de son ancienne carte de séjour temporaire.
Aux termes de l’article L. 313-18, la carte de séjour pluriannuelle a en principe une durée de validité de quatre ans. Trois exceptions sont cependant prévues :
— s’agissant de l’étranger qui suit en France un enseignement, la durée de la carte est égale à celle restant à courir du cycle d’études dans lequel il est inscrit, sous réserve du caractère réel et sérieux des études ;
— la durée de la carte est de deux ans pour les étrangers relevant du 4° (étranger marié à un ressortissant de nationalité française), 6° (père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France) et 7° (étranger dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée) ;
— s’agissant des étrangers malades (128), la durée de la carte correspond à celle des soins.
Il convient de relever tout particulièrement la durée dérogatoire de deux ans prévue pour le titre pluriannuel délivré aux étrangers mariés avec un ressortissant français et pour les étrangers parents d’enfants français. D’après la CNCDH, cela montrerait « que les personnes visées par le nouveau texte sont, une fois de plus, regardées avec suspicion par le législateur qui présume, sans fondement, la prolifération des mariages et filiations de complaisance (129) ».
L’article L. 313-19 régit la situation de l’étranger qui sollicite la délivrance (ou le renouvellement) d’une carte de séjour pluriannuelle en faisant valoir un autre motif que celui sur lequel est fondée la carte de séjour dont il est bénéficiaire. Dans ce cas, une carte de séjour temporaire d’une durée d’un an lui est délivrée. C’est à l’expiration de celle-ci seulement qu’il peut bénéficier d’une carte de séjour pluriannuelle portant la même mention (sous réserve de continuer à en remplir les conditions de délivrance). Il n’y a donc pas de possibilité de changement de « statut » sans passer par l’étape préalable d’un nouveau titre temporaire.
La Commission a adopté, outre deux amendements rédactionnels, un amendement du Gouvernement remplaçant, à propos des conditions de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle générale, l’expression générique de « contrat personnalisé » par celle plus précise de « contrat d’intégration républicaine ».
Elle a par ailleurs adopté un amendement de votre rapporteur ayant pour objet, eu égard aux considérations énoncées plus haut, d’adjoindre à la référence faite aux « valeurs de la République » une référence aux « valeurs essentielles de la société française ».
Sur la proposition de Mme Chantal Guittet, elle a prévu que le caractère réel et sérieux des études, conditionnant la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle pour la durée restant à courir de celles-ci, est « attesté par l’établissement de formation ».
La sous-section 2 se compose des articles L. 313-20 à L. 313-22 du CESEDA.
Selon l’article L. 313-20, la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent », d’une durée maximale de quatre ans, est délivrée, dès sa première admission au séjour, à l’étranger qui :
— exerce une activité professionnelle salariée et qui a obtenu, dans un établissement d’enseignement supérieur, un diplôme au moins équivalent au grade de master ou qui est recruté dans une jeune entreprise innovante (130) (131) ;
— occupe un emploi hautement qualifié, pour une durée égale ou supérieure à un an, et justifie d’un diplôme sanctionnant au moins trois années d’études supérieures ou d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable (132) (cette carte, d’une durée égale à celle figurant sur le contrat de travail, porte la mention « carte bleue européenne (133) ») ;
— vient en France pour effectuer une mission dans le cadre d’un détachement ou dans le cadre d’un contrat de travail avec une entreprise établie en France (la carte de séjour est délivrée pour une durée de trois ans) (134) ;
— titulaire d’un diplôme équivalent au grade de master, qui mène des travaux de recherche ou dispense un enseignement de niveau universitaire (cette carte porte la mention « chercheur ») ;
— justifie d’un diplôme équivalent au grade de master ou d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable et qui crée une entreprise en France ;
— procède à un investissement économique direct en France ;
— occupe la fonction de représentant légal dans un établissement ou une société établie en France, tout en étant salarié ou mandataire social hors de France dans un établissement ou une société du même groupe ;
— exerce la profession d’artiste-interprète ou qui est auteur d’une œuvre littéraire ou artistique mentionnée à l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle (135) ;
— dont la renommée internationale est établie, qui vient exercer en France une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif (136).
Si l’étranger perd involontairement son emploi, la carte est renouvelée pour un an puis, le cas échéant, pour la durée des droits acquis au revenu de remplacement.
Un décret en Conseil d’État viendra préciser les conditions d’application de cet article et, en particulier, les conditions de délivrance et les seuils de rémunération dont certains des étrangers visés doivent justifier.
L’article L. 313-21 prévoit la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent (famille) » pour le conjoint ou l’enfant du bénéficiaire de la carte « passeport talent ». Sa durée est égale à la période de validité restant à courir pour la carte du parent ou conjoint.
L’article L. 313-22 précise que l’étranger titulaire d’un document de séjour délivré sur un autre fondement que celui de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » (ou « passeport talent (famille) ») bénéficie de la délivrance de cette carte lorsqu’il en fait la demande et en remplit les conditions.
Sur la proposition du Gouvernement, la Commission a apporté une précision concernant la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » à l’étranger recruté dans une jeune entreprise innovante. L’intéressé doit avoir été recruté « pour exercer des fonctions en lien avec le projet de recherche et développement de l’entreprise ». Ceci est de nature à viser les ingénieurs, les techniciens, les gestionnaires de projets de recherche et développement, les juristes en charge de la production industrielle et des accords liés au projet, les salariés chargés de tests pré-concurrentiels, les salariés affectés directement à la réalisation des opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits ainsi que les mandataires sociaux. En revanche, des fonctions liées, par exemple, au secrétariat ne seraient pas concernées.
La Commission a ensuite adopté un amendement de votre rapporteur (137) visant à transposer en droit interne la directive n° 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe. À cet effet, il rédige plus précisément l’alinéa du nouvel article L. 313-20 consacré à l’étranger qui vient en France pour effectuer une mission dans le cadre d’un détachement. La nouvelle rédaction vise désormais « l’étranger qui vient en France dans le cadre d’une mission entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe et qui justifie, outre d’une ancienneté professionnelle d’au moins trois mois dans le groupe ou l’entreprise établi hors de France, d’un contrat de travail conclu avec l’entreprise établie en France ». Cet amendement a également créé une sous-section 4, consacrée à la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié détaché ICT », dont il sera question plus loin (138).
Sur la proposition du Gouvernement, la Commission a par ailleurs apporté une précision concernant le cas de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » à l’étranger ayant la qualité de « scientifique chercheur » afin de transposer la directive n° 2005/71/CE du conseil du 12 octobre 2005 relative à une procédure d’admission spécifique des ressortissants de pays tiers aux fins de recherche scientifique. L’étranger ayant été admis dans un autre État membre de l’Union européenne conformément à cette directive peut mener une partie de ses travaux en France sur la base de la convention d’accueil conclue dans le premier État membre s’il séjourne en France pour une durée inférieure ou égale à trois mois, pour autant qu’il dispose de ressources suffisantes. S’il séjourne en France pour une durée supérieure à trois mois, il doit justifier remplir les conditions requises de l’étranger chercheur, sans que soit exigée la production d’un visa de long séjour.
La Commission a enfin adopté un amendement du Gouvernement ayant pour objet de déterminer de façon plus précise comment l’étranger salarié titulaire d’une carte portant la mention « passeport talent » peut bénéficier de son renouvellement en cas de perte involontaire d’emploi. Il est ainsi précisé que, à la date d’expiration de la carte, « celle-ci lui est renouvelée pour une durée équivalente aux droits qu’il a acquis au revenu de remplacement mentionné à l’article L. 5422-1 du code du travail (139) ».
La sous-section 3 se compose des articles L. 313-23 et L. 313-24 du CESEDA.
L’article L. 313-23 reprend, sans en changer la substance, les dispositions actuelles du 4° de l’article L. 313-10, supprimées par l’article 9 du projet de loi (140). Il dispose ainsi qu’une carte de séjour d’une durée de trois ans, renouvelable, autorisant l’exercice d’une activité professionnelle, est délivrée à l’étranger pour l’exercice d’un emploi à caractère saisonnier. L’étranger s’engage à maintenir sa résidence habituelle hors de France.
Défini au 3° de l’article L. 1242-2 du code du travail (141), l’ « emploi à caractère saisonnier » doit être exercé dans les conditions prévues par l’article L. 5221-2 du même code (142).
Cette carte, qui porte la mention « travailleur saisonnier », donne à son titulaire le droit de séjourner et de travailler en France pendant la ou les périodes qu’elle fixe et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de six mois par an.
L’article L. 313-24 renvoie à un décret en Conseil d’État la fixation des modalités d’application du chapitre III ainsi modifié.
L’amendement de votre rapporteur cité plus haut (143) a, outre les précisions rédactionnelles déjà signalées, prévu la création, dans un nouvel article L. 313-24, d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié détaché ICT ».
Cette carte de séjour d’une durée maximale de trois ans, autorisant l’exercice d’une activité professionnelle, est délivrée à l’étranger qui vient en France pour effectuer une mission dans le cadre du 2° de l’article L. 1262-1 du code du travail (144), afin soit d’occuper un poste d’encadrement supérieur soit d’apporter son expertise dans une entreprise française du groupe d’entreprises auquel il appartient, et qui justifie d’une ancienneté professionnelle dans le groupe d’entreprises concerné d’au moins trois mois. Cette carte est délivrée pour la durée de la mission envisagée sur le territoire français. En cas de prolongation de la mission, elle est renouvelée dans les mêmes conditions et dans la limite de trois ans.
Les membres de la famille peuvent se voir délivrer une carte de séjour plurianuelle, donnant droit à l’exercice d’une activité professionnelle. Cette carte porte la mention « salarié détaché ICT (famille) ».
Aux termes du même article L. 313-24, l’étranger ayant été admis au séjour dans un autre État membre de l’Union européenne pour les mêmes motifs que ceux visés plus haut, peut effectuer une mission d’une durée inférieure ou égale à 90 jours dans le cadre du 2° de l’article L. 1262-11 du code du travail, afin soit d’occuper un poste d’encadrement supérieur soit d’apporter son expertise dans une entreprise française du groupe d’entreprises auquel il appartient, sous couvert du titre de séjour délivré dans le premier État membre aux fins d’un transfert temporaire intragroupe, portant la mention « ICT ». Lorsque la mission est d’une durée supérieure à 90 jours, l’étranger qui justifie de ressources suffisantes est autorisé à travailler et séjourner en France sous couvert d’une carte de séjour portant la mention « salarié détaché mobile ICT » d’une durée identique à celle de la mission envisagée. Cette durée ne peut dépasser la durée maximale de séjour autorisée dans l’Union européenne.
Là encore, les membres de la famille peuvent se voir délivrer une carte de séjour plurianuelle, donnant droit à l’exercice d’une activité professionnelle. Cette carte porte la mention « salarié détaché mobile ICT (famille) ».
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL180 de Mme Fanélie Carrey-Conte.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi ne prévoit la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle qu’après un an de présence sur le territoire, y compris pour les étudiants étrangers. Or le cadre européen qui structure les formations en trois cycles – licence, master et doctorat (LMD) – prévoit une cohérence et une progression pluriannuelles des études. En facilitant la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle pour les étudiants étrangers dès la première admission, cet amendement affirme la nécessité d’effectuer un cycle d’études complet.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Avec l’article 11, nous entrons dans le cœur du sujet qu’est l’instauration de la carte pluriannuelle. Le Gouvernement a choisi de permettre la délivrance de ce titre à l’issue d’une première année de séjour régulier sur le territoire français. Le rendez-vous au bout d’un an est utile, quel que soit d’ailleurs le titre, et la situation des étudiants ne justifie pas une dérogation à ce principe qui s’insère dans un parcours cohérent et progressif sur le territoire.
La Commission rejette l’amendement.
Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL181 de Mme Fanélie Carrey-Conte.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL84 de Mme Chantal Guittet, CL116 de M. Denys Robiliard et CL146 de M. Paul Molac.
M. Denys Robiliard. La notion de « sérieux » n’est pas facile à appréhender. Son utilité est douteuse et elle risque de poser des problèmes de contentieux.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Nous parlons du caractère réel et sérieux du suivi des formations diligentées par l’OFII, que nous avons consulté sur cette question. Cette expression vise essentiellement à prévenir les comportements susceptibles de perturber le bon déroulement des formations. Elle recouvre à la fois l’évaluation non pas du niveau, mais du sérieux ou de la bonne volonté de l’étudiant, et le souci de lutter contre les incivilités qui font l’objet d’un signalement de la part des formateurs de l’OFII. Elle me paraît donc à la fois utile et objective.
M. Paul Molac. Je retiens de mon expérience que des élèves pas très sérieux obtiennent parfois de bonnes notes. Cette notion me paraît donc subjective.
L’amendement CL116 est retiré.
La Commission rejette les amendements CL84 et CL146.
Elle étudie, en discussion commune, les amendements identiques CL83 de Mme Chantal Guittet et CL145 de M. Paul Molac, et l’amendement CL267 de la commission des Affaires culturelles.
M. Paul Molac. La condition d’assiduité dans la formation délivrée aux étrangers doit tenir compte des difficultés particulières qui peuvent survenir sans que la volonté d’intégration de la personne soit en cause : problèmes de santé, obligations familiales ou professionnelles, imprévus divers. C’est d’ailleurs ce que recommande la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son avis rendu sur le présent projet de loi. Quant à la condition de sérieux, elle me semble devoir être supprimée : s’il est possible de justifier de l’assiduité, il me semble délicat de justifier du sérieux.
Mme la rapporteure pour avis. L’amendement CL267 supprime la condition de sérieux de la participation de l’étranger aux formations prescrites dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration. N’ayant aucune densité juridique, cette notion est susceptible de nourrir des interprétations divergentes, voire arbitraires. Aux yeux de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, seule l’assiduité du signataire constitue un critère objectif. Il faut, en outre, prévoir les cas exceptionnels où l’étranger ne serait pas en mesure de suivre une partie des formations, par exemple lorsque sa santé ou des contraintes professionnelles urgentes l’en empêchent.
M. le rapporteur. Je comprends la préoccupation, mais elle me semble satisfaite par les dispositions réglementaires existantes, notamment par l’article R. 311-19 du CESEDA. La mesure que vous proposez apparaît superfétatoire : elle ne ferait que redire dans la loi ce que prévoit déjà le règlement. Je suggère le retrait des amendements CL83 et CL145, sans pour autant être fermement opposé à leur adoption. En tout état de cause, je préfère l’amendement CL267 aux deux autres.
La Commission rejette successivement les amendements CL83, CL145 et CL267.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement CL275 du Gouvernement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL234 du rapporteur.
Elle en vient à l’amendement CL268 de la commission des Affaires culturelles.
Mme la rapporteure pour avis. La commission des Affaires culturelles propose de définir plus précisément les manifestations de rejet des valeurs de la République en insérant les mots « par une volonté caractérisée ». En effet, la constatation d’une intention morale est mieux appréhendée par la jurisprudence que la disposition actuellement proposée.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Cet ajout ne me semble ni utile ni bienvenu. Je vois mal comment le préfet peut apprécier la volonté caractérisée.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL191 du rapporteur.
M. le rapporteur. Le préfet peut refuser un titre pluriannuel à un étranger qui manifeste un rejet des valeurs de la République. Ce terme n’étant pas stabilisé par la jurisprudence, le présent amendement a pour objet d’adjoindre à la référence aux « valeurs de la République » celle des « valeurs essentielles de la société française ». Cette dernière notion est, en effet, davantage définie que la première.
Mme Marie-Françoise Bechtel. À quelle jurisprudence abondante faites-vous allusion ? Pour moi, les valeurs essentielles de la société françaises sont évolutives et constituent une notion beaucoup moins stable que la République, qui bénéficie d’un véritable socle dur de contenu. Les mélanger ne me semble donc pas opportun.
Qui plus est, le rejet des valeurs de la République devrait être isolé de la participation aux cours et aux formations, car il peut s’exprimer en dehors de ce parcours. Mieux vaudrait le mettre en deuxième item, et je déposerai sans doute un amendement en ce sens pour la séance.
M. le rapporteur. On se réfère aux valeurs essentielles de la société française dans le contentieux de la naturalisation, cette notion servant à apprécier l’assimilation de la personne à la société française. La jurisprudence est particulièrement abondante en matière d’égalité entre les femmes et les hommes : un individu enfermant son épouse ou l’obligeant à porter le niqab n’a pas pu être naturalisé ; en revanche, une femme portant un simple voile n’a pas été jugée avoir une attitude contraire aux valeurs essentielles de la société française. Si la naturalisation exige une assimilation de ces valeurs, la délivrance d’un titre pluriannuel exigerait, plus modestement, une absence de rejet de ces valeurs. Dans le contexte actuel, je ne souhaite pas laisser les services du ministère de l’Intérieur, les préfectures, la jurisprudence même, manier une notion aujourd’hui très floue qui pourrait être appréciée de manière très diverse.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous avez vous-même répondu à l’objection que j’allais vous faire : la jurisprudence concerne le contentieux de la nationalité. Pour les raisons mêmes que vous avez invoquées pour mieux les rejeter, je trouve qu’il n’est pas bon de passer de l’assimilation à l’intégration avec cette notion de valeurs essentielles de la société française, dont je maintiens qu’elles sont évolutives. Je suis également surprise de votre jugement sur les valeurs de la République : si le port du voile ne leur est pas suffisamment attentatoire pour qu’il faille invoquer les valeurs essentielles de la société française pour le sanctionner, les bras m’en tombent ! Il faut laisser la formulation actuelle sans l’affadir par une notion voisine et connexe qui s’applique mieux dans d’autres domaines.
M. le rapporteur. En fait, je propose de faire figurer à la fois les valeurs essentielles de la société française et celles de la République, espérant rassembler tout le monde autour de la même idée.
La Commission adopte l’amendement.
Elle est saisie de l’amendement CL147 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. En l’état, tout changement de type de carte de séjour temporaire mettra fin à la carte de séjour pluriannuelle, rendant bien plus difficiles les passerelles d’un statut à l’autre. C’est là une des limites de la carte pluriannuelle : un étranger n’est pas un travailleur, un étudiant, marié ou malade toute sa vie ; en cas de changement de statut, il devra repasser par une carte temporaire avant d’obtenir une nouvelle carte pluriannuelle. Cela risque de bloquer durablement certaines personnes et de les maintenir dans une forte précarité, ce qui est contraire à l’objet du présent projet de loi.
M. le rapporteur. Ne pas passer par l’étape préalable d’une nouvelle carte de séjour peut se justifier pour certaines catégories, par exemple les scientifiques-chercheurs qui souhaitent devenir salariés. Pour d’autres, en revanche, cela semble plus problématique. Lorsque la situation de l’étranger évolue, que d’étudiant il devient salarié ou qu’il divorce de son conjoint français, il ne remplit plus les conditions de sa précédente carte. Dès lors, il me semble utile de laisser s’écouler une année pour lui permettre de justifier de la réalité et de l’effectivité de son nouveau motif de séjour. Je vous suggère de retirer votre amendement et de le retravailler d’ici à la séance en visant des catégories précises.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL235 du rapporteur.
Elle en vient à l’amendement CL148 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. La délivrance de titre de séjour aux victimes de traite ou de proxénétisme ayant déposé plainte a été abordée dans la loi relative à la prostitution, mais régulièrement renvoyée au présent texte. Selon le ministère de l’Intérieur, cinquante-cinq cartes de séjour temporaires seulement ont été délivrées en 2014 ; une seule personne a bénéficié d’une carte de résident en 2011 et quatre en 2012. La faiblesse de ces chiffres montre qu’il est nécessaire de permettre l’accès à une carte pluriannuelle, que le projet de loi prévoit pourtant explicitement de ne pas accorder à ce public. Cet amendement vise à corriger cette situation, conformément aux recommandations de la CNCDH.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Le séjour de ces victimes est soumis à un régime spécifique, lié à l’évolution des procédures pénales engagées avec la collaboration de la victime elle-même. Dans ce cas, on ne peut pas définir à l’avance la durée nécessaire pour une carte de séjour pluriannuelle, car elle dépend de celle de la procédure pénale. La disposition risque donc de se retourner contre ses bénéficiaires.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL92 de Mme Fanélie Carrey-Conte.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Pour valider un diplôme, les étudiants étrangers doivent effectuer l’ensemble d’un cycle et non une seule année ; il faut donc faciliter la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle dès la première admission.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Après quoi, elle adopte l’amendement rédactionnel CL237 du rapporteur.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL93 de Mme Fanélie Carrey-Conte, CL269 de la commission des Affaires culturelles, CL94 de Mme Fanélie Carrey-Conte et CL85 de Mme Chantal Guittet.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Pour le renouvellement de leur titre de séjour, les étudiants étrangers sont soumis à une obligation de résultats. Outre que cette obligation n’est pas clairement définie par la loi, la disposition crée une inégalité entre étudiants français et étrangers, seuls les premiers bénéficiant du droit à l’erreur, à la réorientation et à une deuxième chance.
L’amendement CL93 poursuit un double objectif : ne pas sanctionner les éventuelles difficultés scolaires par un non-renouvellement de la carte de séjour, et mettre fin au traitement arbitraire de ces questions par les préfectures.
Mme la rapporteure pour avis. L’amendement CL269 vise à confier l’appréciation de l’assiduité de l’étudiant, qui conditionne le maintien de sa carte de séjour pluriannuelle, à l’établissement de formation, qui est le mieux placé pour la connaître.
M. le rapporteur. Madame Carrey-Conte, je ne suis pas sûr qu’intégrer, dès le début des études, une année de redoublement dans la durée du titre de séjour pluriannuel contribue à renforcer l’attractivité de notre système universitaire. En revanche, il me paraît utile d’obliger les établissements de formation à s’engager par le biais d’une attestation, au lieu de s’en remettre totalement aux services préfectoraux. Dans les faits, comme Mme Bechtel l’a évoqué dans son propos liminaire, c’est généralement déjà le cas : de plus en plus de préfectures confient une grande partie du traitement des titres de séjour aux services administratifs des universités.
Avis favorable à l’amendement CL85 et défavorable à tous les autres.
Les amendements CL269 et CL94 sont retirés.
La Commission rejette l’amendement CL93 et adopte l’amendement CL85.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL270 de la commission des Affaires culturelles.
Mme la rapporteure pour avis. Les étudiants étrangers doivent, comme les étudiants nationaux, avoir droit à l’erreur. Sans que le titre de séjour autorise directement le redoublement, il faut donner la possibilité de le prolonger d’une année supplémentaire par cycle, de la même manière que les étudiants boursiers français peuvent prétendre à leurs droits à bourse une année de plus si besoin.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Votre amendement ne me paraît pas utile : la notion de prolongation n’existe pas dans le CESEDA, mais si nécessaire, y compris en cas de redoublement, la carte peut faire l’objet d’un renouvellement.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine, en discussion commune, l’amendement CL149 de M. Paul Molac et les amendements CL117, CL119 et CL118 de M. Denys Robiliard.
M. Paul Molac. Le projet de loi propose que plusieurs catégories d’étrangers ne puissent accéder qu’à une carte pluriannuelle d’une durée de deux ans, et non de quatre : les conjoints de Français, les parents de Français et les personnes ayant des liens personnels et familiaux en France. Cette mesure n’aura pour effet que de les maintenir dans la précarité. Pourquoi ne pas leur donner les mêmes droits qu’aux autres ? Nous proposons de supprimer cette exception. La CNCDH, dans son avis sur le présent texte, recommande d’ailleurs de « revoir les dérogations relatives aux conjoints de Français et aux parents d’enfants français ».
M. le rapporteur. Avis défavorable à tous ces amendements. La logique du Gouvernement consiste à caler la carte pluriannuelle juste avant l’attribution de la carte de résident. Les parents d’enfants français et les conjoints de Français peuvent obtenir cette dernière au bout de trois ans ; leur donner le bénéfice d’une carte de quatre ans ne ferait que retarder cette échéance. Pour l’ensemble des étrangers, les étapes du parcours sont d’un an, puis de quatre ans, puis de dix ans ; pour les parents d’enfants français et les conjoints de Français, elles sont d’un an, puis de deux ans, puis de dix ans.
L’amendement CL149 est retiré.
La Commission rejette successivement les amendements CL117, CL119 et CL118.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL120 de M. Denys Robiliard et CL236 du rapporteur.
M. Denys Robiliard. Un étranger qui demanderait le renouvellement d’une carte de séjour pluriannuelle sur le fondement d’un autre motif que celui pour lequel il l’avait obtenue ne pourrait bénéficier que d’une carte de séjour d’un an. Cette mesure va à l’encontre de la logique d’intégration qui doit s’accompagner d’une progressivité dans la durée des titres délivrés. C’est pourquoi je propose de supprimer les alinéas 16 et 17.
M. le rapporteur. Mon amendement CL236 est rédactionnel.
Avis défavorable à l’amendement CL120. Comme précédemment, votre proposition peut être pertinente pour certaines catégories, notamment pour un scientifique-chercheur souhaitant devenir salarié. Mais pour les autres catégories, elle ne me semble pas judicieuse. Vous pourriez redéposer l’amendement en séance en précisant quels titres de séjour seraient inclus ou exclus de ce dispositif.
M. Denys Robiliard. La carte pluriannuelle n’est pas délivrée immédiatement, mais après une première carte de séjour temporaire d’un an. Au moment où il demande son renouvellement, l’étranger en est donc à une durée de séjour de cinq ans minimum. Quel que soit le motif invoqué pour ce renouvellement, est-il opportun de repasser, après cinq ans de séjour régulier sur le sol français, à une carte d’un an ?
La Commission rejette l’amendement CL120 et adopte l’amendement CL236.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte ensuite l’amendement CL276 du Gouvernement.
Elle en vient à l’amendement CL240 du rapporteur.
M. le rapporteur. Comme pour les salariés détachés, il s’agit d’appliquer la directive du 15 mai 2014 relative aux étrangers qui séjournent dans notre pays dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe.
La Commission adopte l’amendement.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte également l’amendement CL277 du Gouvernement.
Puis elle examine l’amendement CL271 de la commission des Affaires culturelles.
Mme la rapporteure pour avis. Il s’agit d’inclure, parmi les bénéficiaires de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent », les talents artistiques, scientifiques, sportifs ou humanitaires qui jouissent aussi d’une renommée nationale. Il n’est pas rare que des étrangers soient connus uniquement dans notre pays, leur renommée pouvant être attestée par un faisceau d’indices : publications, colloques, couverture médiatique, et autres. Il ne faut pas écarter ces publics qui correspondent à notre volonté d’attractivité.
M. le rapporteur. La rédaction de votre amendement n’est pas claire : la renommée nationale renvoie-t-elle aux étrangers très connus en France mais inconnus dans leur pays – peu nombreux – ou bien aux personnes connues dans leur pays d’origine mais inconnues en France ? Dans le second cas, compte tenu de l’immensité du nombre, on ne peut qu’être défavorable à cette proposition. Je vous invite à retravailler la formulation en vue de la séance.
Mme la rapporteure pour avis. La commission des Affaires culturelles et de l’éducation visait le premier cas, mais si la rédaction vous semble imprécise, nous la reverrons.
L’amendement est retiré.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL278 du Gouvernement.
Puis elle étudie l’amendement CL167 de M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy. Le dispositif de contribution économique exceptionnelle, qui permet à une personne apportant un investissement important de bénéficier d’une carte de séjour, n’était pas applicable à l’outre-mer. Je propose d’y remédier en complétant l’alinéa 33. En effet, les pays d’outre-mer, entourés de nombreux pays étrangers, pourraient bénéficier de stratégies d’investissement venant de l’immigration. Néanmoins, il conviendrait de revoir les seuils de manière à les adapter à la situation économique de nos régions.
J’observe, au passage, qu’à la recherche d’un équilibre entre immigration « classique » et solidarité humanitaire – qui permet aujourd’hui à de nombreuses personnes de travailler dans notre pays, y compris dans les couloirs de l’Assemblée nationale –, nous glissons vers l’immigration dite choisie. Or, dans une perspective de codéveloppement, les talents doivent certes prospérer ici, mais également retourner dans leur pays pour contribuer à son développement.
M. le rapporteur. L’idée d’adapter les seuils de rémunération du passeport talent à la réalité de la situation économique de l’outre-mer est intéressante. Néanmoins, pour en évaluer les conséquences et en adapter le champ, il serait utile d’organiser un échange avec le Gouvernement. Ne connaissant pas sa position sur cette question, je préfère reporter le débat en séance, et vous suggère donc de retirer votre amendement.
M. Serge Letchimy. L’enjeu étant de taille, je retire l’amendement. Il me semble toutefois qu’au cours de l’élaboration d’un texte, le Gouvernement devrait être consulté en permanence ! En suivant l’évolution de ce projet de loi, j’ai cru comprendre qu’il était favorable à cet amendement, mais, pour une meilleure compréhension collective, je suis prêt à le redéposer en séance.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’article 11 modifié.
La Commission est saisie de l’amendement CL121 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Cet amendement se situe dans la lignée de mes amendements à l’article 11.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Article 12
(art. L. 5221-2 du code du travail)
Limitation de l’obligation d’obtention d’une autorisation de travail aux seuls séjours professionnels d’une durée supérieure à trois mois
En l’état actuel du droit, l’article L. 5221-2 du code du travail dispose que « pour entrer en France en vue d’y exercer une profession salariée », l’étranger doit présenter :
— « les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur » ;
— « un contrat de travail visé par l’autorité administrative ou une autorisation de travail. »
Le texte en vigueur ne mentionne pas de durée minimale de présence en France. C’est pourquoi des autorisations provisoires de travail sont aujourd’hui délivrées lorsque le séjour est inférieur à trois mois. Ces autorisations ne sont refusées que dans 3 % des cas (145).
L’article 12 du projet de loi prévoit, dans un souci de simplification des procédures, que les obligations prévues à l’article L. 5221-2 du code du travail ne s’imposent que pour les séjours professionnels d’une « durée supérieure à trois mois ». Cela signifie que, a contrario, l’étranger qui vient travailler en France pour une durée inférieure à trois mois est dispensé d’autorisation provisoire de travail.
Néanmoins, comme le souligne l’étude d’impact, « des contrôles continueront d’être effectués a posteriori par les services compétents qui pourront d’une part relever des infractions dès lors que les formalités préalables n’auront pas été effectués et d’autre part requalifier une situation d’emploi par une entreprise d’étrangers démunis de titre de travail s’il était constaté un détournement de procédure par la multiplication de séjours consécutifs de moins de trois mois dans le but de s’exonérer de la demande d’autorisation de travail prévue à l’article L. 5221-2 du code du travail (146). »
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL43 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. L’article 12 limite l’obligation d’obtention d’une autorisation de travail aux seuls séjours professionnels d’une durée supérieure à trois mois ; l’étranger qui viendra travailler en France pour une durée inférieure en sera dispensé. Nous proposons de nous en tenir au droit existant, notamment en raison du chômage structurel que connaît notre pays.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Cette mesure concerne un public – chercheurs, artistes, mannequins – qui séjourne sur le territoire pour de très courtes périodes et pour des prestations très limitées, et qui n’a pas vocation à rester au-delà de trois mois. En 2013, 43 323 demandes ont été formées à ce titre, avec un taux de refus de seulement 3 %. La suppression de cette autorisation est donc une mesure de simplification utile.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 12 sans modification.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL88 de Mme Chantal Guittet.
Article 13
(livre III, art. L. 411-8 et L. 531-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art. L. 512-2 du code de la sécurité sociale, art. 155 B du code général des impôts)
Mesures de coordination dans le CESEDA, le code de la sécurité sociale et le code général des impôts
L’article 13 opère un certain nombre de coordination destinées à remplacer, au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, du code de la sécurité sociale et du code général des impôts, les références du CESEDA modifiées par le présent projet de loi.
Le I porte sur le CESEDA.
Le 1° du I abroge les articles L. 311-2, L. 311-7, L. 311-8, L. 311-9-1 et L. 313-4, la sous-section 5 de la section 2 du chapitre IV et le chapitre V du titre Ier.
Le 2° opère une coordination au second alinéa de l’article L. 311-12.
Le 3° opère une coordination au deuxième alinéa de l’article L. 311-13. Ce 3° a fait l’objet d’un amendement purement rédactionnel adopté par la commission des Lois.
Le 4° opère une coordination à l’article L. 311-15.
Le 5° opère une coordination aux 3° et 4° de l’article L. 313-4-1.
Le 6° opère une coordination au premier alinéa de l’article L. 313-14.
Le 7° opère une coordination au premier alinéa de l’article L. 314-8.
Le 8° opère une coordination à l’article L. 314-8-1.
Le 9° opère une coordination aux articles L. 313-11-1, L. 313-4-1, L. 314-1-1, L. 314-7, L. 314-7-1, L. 314-8, L. 314-8-1 et L. 314-10.
Le 10° opère une coordination à l’article L. 311-12, au D de l’article L. 311-13, au premier alinéa de l’article L. 313-4-1, au premier alinéa de l’article L. 313-7, au deuxième alinéa de l’article L. 313-7-1, aux 2°, 2° bis, 6° à 10° de l’article L. 313-11, aux premier et quatrième alinéas de l’article L. 313-11-1, aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 313-13 ainsi qu’aux articles L. 313-14, L. 313-15, L. 316-1 et L. 316-3.
Le 11° opère une coordination à l’article L. 313-5.
Le 12° opère une coordination à l’article L. 311-3. Il prévoit que les étrangers âgés de seize à dix-huit ans qui déclarent vouloir exercer une activité professionnelle reçoivent, de plein droit, une carte de séjour portant la mention « passeport talents (famille) » s’ils remplissent les conditions prévues à l’article L. 313-21. S’agissant de la délivrance sous certaines conditions d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de résident, le 12° reprend à peu de chose près la rédaction actuelle de l’article L. 311-3. La commission des Lois a toutefois adopté deux amendements identiques de M. Denys Robiliard et de M. Paul Molac afin que l’identité de rédaction soit complète de manière à écarter tout risque que le mineur ait un droit au séjour restreint relativement à celui du majeur.
Le 13° opère une coordination à l’article L. 321-4.
Le II abroge l’article L. 411-8 du CESEDA.
Les 1° et 2° du III réalisent des coordinations à l’article L. 531-2 du CESEDA.
Le IV réalise une coordination à l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale.
Le V effectue une coordination à l’article 155 B du code général des impôts.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL18 de M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. L’article 13 prévoit d’abroger un article du CESEDA au titre duquel, lorsqu’un ou plusieurs enfants ont bénéficié de la procédure de regroupement familial, l’étranger admis au séjour en France et, le cas échéant, son conjoint, préparent l’intégration républicaine de la famille dans la société française en passant un contrat d’accueil et d’intégration par lequel ils s’obligent à suivre une formation sur les droits et les devoirs des parents en France, ainsi qu’à respecter l’obligation scolaire. L’intégration réussie des enfants est cruciale, car, s’ils résident de façon continue en France et sont scolarisés, ils seront appelés à acquérir la nationalité française. Nous ne comprenons donc pas l’abrogation de cet article et proposons de supprimer cette référence.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Puis elle aborde l’amendement CL19 de M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Un alinéa de l’article L. 311-12 du CESEDA permet de délivrer une autorisation provisoire de séjour de six mois à l’un des parents étranger de l’étranger mineur qui nécessite des soins, à condition qu’il réside avec lui en France – même de façon clandestine – et qu’il subvienne à son entretien et à son éducation. Cet article faisant référence à la nécessité des soins que réclame l’enfant, il nous paraît illogique de remplacer l’avis du médecin de l’ARS ou, à Paris, du médecin-chef du service médical de la préfecture de police, par celui de l’OFII.
M. le rapporteur. Nous avons eu ce débat avec le ministre en début de séance. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de rectification CL238 du rapporteur.
L’amendement CL56 de M. Pascal Cherki est retiré.
La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL24 et CL20 de M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. L’article 13 modifie l’article L. 313-5 du CESEDA qui précise les modalités de retrait de la carte de séjour temporaire et de la nouvelle carte de séjour pluriannuelle en cas de commission de délit. Nous proposons d’ajouter à la liste de délits la vente et l’exploitation de vente à la sauvette, ainsi que le délit de reconnaissance frauduleuse d’enfant et de mariage frauduleux.
M. le rapporteur. Avis défavorable. En matière de vente à la sauvette, la proposition me paraît disproportionnée. Quant aux mariages frauduleux, votre amendement CL20, tel qu’il est rédigé, aurait pour effet inattendu de faire retirer des titres de séjour à des Français !
La Commission rejette successivement les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques CL130 de M. Denys Robiliard et CL154 de M. Paul Molac.
M. Denys Robiliard. Cet amendement est presque rédactionnel en ce qu’il tend à affirmer clairement que les droits du mineur ne sont pas inférieurs à ceux du majeur, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le texte tel qu’il est rédigé. Plutôt que de cibler les situations qui concernent exclusivement les mineurs, j’ai préféré viser la totalité des situations qu’on rencontre aujourd’hui.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte les amendements.
Elle aborde ensuite l’amendement CL77 de M. Denys Robiliard.
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Cet amendement reprend la proposition n° 7 de la mission parlementaire sur les immigrés âgés qui envisageait la modification du cadre juridique du regroupement familial pour les personnes handicapées atteintes d’une incapacité inférieure à 80 % mais supérieure à un taux à définir. Notre amendement fixe celui-ci à 30 %. La condition de ressources ne pourrait donc plus être opposée à ces personnes, comme cela est le cas pour celles qui souffrent d’une incapacité égale ou supérieure à 80 %.
M. le rapporteur. La loi prévoit déjà une dispense pour les bénéficiaires de l’allocation pour adulte handicapé (AAH). Vous souhaitez un autre cas de dispense, mais le taux de 30 % me paraît vraiment bas et en l’état, arbitraire. Je vous suggère de retravailler cette question dans un nouvel amendement à redéposer en séance, auquel je pourrais éventuellement donner mon assentiment.
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Entendu. Nous sommes très volontaristes en cette matière !
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’article 13 modifié.
Article 13 bis (nouveau)
(art. L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Carte de résident portant la mention « résident de longue durée – UE »
Sur la proposition du Gouvernement, la commission des Lois a ajouté un article 13 bis.
Le I de cet article réécrit l’article L. 314-8 du CESEDA relatif à la carte de résident portant la mention « résident de longue durée – UE ». Selon cette nouvelle rédaction, une carte de résident portant la mention « résident de longue durée – UE » est délivrée de plein droit à l’étranger qui justifie :
— d’une résidence régulière ininterrompue d’au moins cinq années en France sous couvert de l’une des cartes de séjour temporaires ou pluriannuelles prévues par le CESEDA (à l’exception d’un certain nombre de titres que l’article L. 314-8 énumère) ;
— de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses besoins, ressources qui doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance ;
— d’une assurance maladie.
La notion de « ressources stables, régulières et suffisantes » se substitue à celle figurant dans la rédaction actuelle de l’article L. 314-8, qui se réfère à une « intention de s’établir durablement en France ».
La conformité est ainsi mieux assurée avec la directive n° 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. L’article 5 de cette directive dispose en effet que « les États membres exigent du ressortissant d’un pays tiers de fournir la preuve qu’il dispose pour lui et pour les membres de sa famille qui sont à sa charge (…) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné ».
Le II modifie l’article L. 314-8-1 relatif à la délivrance d’une carte de résident portant la mention « résident de longue durée-CE » aux titulaires d’une carte bleue européenne (147). Par cohérence avec la modification introduite à l’article L. 314-8, il substitue à la condition d’ « intention de s’établir durablement en France » une condition de « ressources stables, régulières et suffisantes ».
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL34 de M. Guy Geoffroy.
M. Bernard Gérard. Cet amendement a pour objet de durcir les conditions d’accès à la nationalité française du fait du mariage. Actuellement, un étranger qui se marie avec un Français peut demander la nationalité française après quatre ans de mariage. L’amendement porte cette exigence à cinq ans.
M. le rapporteur. Avis défavorable. D’une part, ce projet de loi ne traite pas de la naturalisation. D’autre part, rien ne justifie, ni politiquement ni juridiquement, de porter ce délai de quatre à cinq ans.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL35 de M. Guy Geoffroy.
M. Bernard Gérard. Cet amendement revient sur l’attribution automatique de la nationalité française à un enfant né en France de deux parents étrangers en situation irrégulière. Nous souhaitons à tout le moins que l’enfant, une fois majeur, en exprime la volonté, qu’il réside en France à ce moment-là et qu’il justifie d’une résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de onze ans.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL23 de M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à améliorer la lutte contre les mariages frauduleux – blancs et gris – qui donnent lieu au développement d’une filière d’immigration clandestine très importante. À cette fin, il intègre dans le texte des dispositions facilitant la détection de ces fraudes, à l’heure où la moitié des acquisitions de la nationalité française a lieu par mariage et sachant que 80 % des décisions d’annulation concernent des mariages mixtes.
Inspiré de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, l’amendement prévoit de rendre obligatoire la saisine du procureur de la République par l’officier d’état civil en cas de doute sur le mariage ; d’augmenter les peines encourues en cas de refus par l’officier d’état civil de procéder à cette saisine ; d’instituer un mécanisme de désignation par le maire de l’un de ses adjoints comme référent en matière de détection des mariages frauduleux ; de proposer, au titre de la formation obligatoire à laquelle ont droit les élus, un module sur la détection des mariages frauduleux.
Par ailleurs, il serait utile d’expliciter que les officiers d’état civil des mairies d’arrondissement sont bien couverts par la protection subsidiaire dans le cadre des fonctions qu’ils exercent au titre de l’État.
M. le rapporteur. Il me semble totalement disproportionné de prévoir poursuites et peine à l’encontre des maires qui seraient dépourvus des qualités suffisantes pour détecter le caractère frauduleux d’un mariage. Quant à désigner un adjoint chargé des mariages blancs, je doute qu’il y ait beaucoup de candidats à un tel poste dans les équipes municipales. J’émets, par conséquent, un avis défavorable à cet amendement.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le maire n’a nullement la faculté de s’opposer à la célébration d’un mariage. Lorsqu’il en conteste les conditions, il n’a pour seule obligation que de saisir le procureur de la République. Il revient alors à l’autorité judiciaire de refuser ou pas cette célébration. C’est pourquoi nombre de maires se sont mis dans l’illégalité en la refusant. La célébration des mariages est une prérogative de nature judiciaire que détient l’officier d’état civil, sous l’autorité du procureur de la République.
M. Philippe Goujon. Les déclarations de M. Le Bouillonnec justifient pleinement cet amendement puisque le maire n’a actuellement aucune obligation de saisir le procureur de la République. En outre, que vous le vouliez ou non, face à ce qui est une véritable filière d’immigration clandestine, les officiers d’état civil ont besoin d’une formation et de référents. Il convient de modifier le système en vigueur, mais cet amendement n’a bien évidemment pas pour objet de donner aux maires la faculté de refuser un mariage.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement CL279 du Gouvernement et les amendements identiques CL122 de M. Denys Robiliard et CL150 de M. Paul Molac.
M. Denys Robiliard. L’article L. 314-8 du CESEDA soumet la délivrance de la carte de résident de longue durée de l’Union européenne à une décision discrétionnaire du préfet. Or, aux termes de la directive du 25 novembre 2003, cette délivrance devrait être de plein droit pour les résidents de l’Union européenne séjournant régulièrement en France depuis cinq ans.
M. le rapporteur. Les amendements CL122 et CL150 sont satisfaits par l’amendement CL279.
La Commission adopte l’amendement CL279.
En conséquence, les amendements CL122 et CL150 tombent.
Article 13 ter (nouveau)
(art. L. 314-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Délivrance de plein droit de la carte de résident pour les conjoints et enfants de Français ayant résidé en France pendant trois ans sous couvert de cartes de séjour annuelles ou pluriannuelles
Sur la proposition de Mme Marie-Anne Chapdelaine, la commission des Lois a créé un article 13 ter. Il modifie l’article L. 314-9 du CESEDA afin d’y prévoir non plus une possibilité de délivrance, mais une délivrance « de plein droit », de la carte de résident aux personnes que cet article énumère, c’est-à-dire :
— le conjoint et les enfants (dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire), d’un étranger titulaire de la carte de résident, qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial et qui justifient d’une résidence non interrompue, d’au moins trois années en France ;
— l’étranger qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire mentionnée au 6° de l’article L. 313-11 (148), sous réserve qu’il remplisse encore les conditions prévues pour l’obtention de cette carte de séjour temporaire et qu’il ne vive pas en état de polygamie ;
— l’étranger marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant de nationalité française, à condition qu’il séjourne régulièrement en France, que la communauté de vie entre les époux n’ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, qu’il ait été transcrit préalablement sur les registres de l’état civil français.
*
* *
La Commission étudie, en discussion commune, les amendements identiques CL123 de M. Denys Robiliard et CL182 de M. Paul Molac, et l’amendement CL49 de Mme Marie-Anne Chapdelaine.
M. Denys Robiliard. L’amendement CL123 s’articule avec le CL124 pour faire en sorte que les catégories d’étrangers auxquelles le préfet a aujourd’hui la faculté d’accorder une carte de résident puissent l’obtenir de plein droit. Sont ici visés le conjoint et les enfants de personnes ayant d’ores et déjà une carte de résident, l’étranger père ou mère d’un enfant français et l’étranger marié depuis au moins trois ans à un ressortissant français.
M. Paul Molac. J’ajoute que le rapport remis par M. Matthias Fekl préconisait de faciliter l’accès à la carte de résident, dont l’existence ne saurait être remise en cause par l’introduction du nouveau titre pluriannuel de séjour.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Pour les conjoints et enfants de Français ayant résidé en France pendant trois ans, munis d’une carte de séjour annuelle ou pluriannuelle, l’amendement CL49 prévoit que la délivrance de la carte de résident est de plein droit. Le but est de sécuriser l’accès à la carte de résident.
M. le rapporteur. J’émets un avis favorable à l’amendement CL49 et demande en conséquence le retrait des amendements CL123 et CL182. Cette excellente mesure permettra notamment de sécuriser l’accès à la carte de résident pour les conjoints et enfants de Français, ayant résidé en France pendant trois ans.
Les amendements CL123 et CL182 sont retirés.
La Commission adopte l’amendement CL49.
Article 13 quater (nouveau)
(art. L. 314-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Conditions de la délivrance de plein droit de la carte de résident permanent
Sur la proposition de Mme Françoise Descamps-Crosnier, la commission des Lois a créé un article 13 quater.
Celui-ci insère un nouvel alinéa au sein de l’article L. 314-14 du CESEDA afin de prévoir la délivrance de plein droit, sous réserve du respect des dispositions du chapitre IV (149) du titre Ier du livre III, de la carte de résident permanent après deux renouvellements de la carte de résident ou de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée-CE ».
*
* *
Les amendements CL124 de M. Denys Robiliard et CL151 de M. Paul Molac, soumis à une discussion commune, sont retirés.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL125 de M. Denys Robiliard.
Elle examine l’amendement CL74 de Mme Françoise Descamps-Crosnier.
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Cet amendement reprend la onzième proposition du rapport d’information sur les immigrés âgés, qui vise à rendre automatique, pour la personne ayant renouvelé au moins deux fois sa carte de résident, l’obtention d’une carte de résident permanent, sous réserve qu’elle ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’elle satisfasse aux critères d’appréciation de l’intégration républicaine dans la société française.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.
Article 13 quinquies (nouveau)
(art. L. 316-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Carte de séjour temporaire pour les victimes de mariage forcé
La commission des Lois a adopté deux amendements identiques de M. Denys Robiliard et de M. Paul Molac, créant un article 13 quinquies.
Celui-ci complète l’article L. 316-3 par un nouvel alinéa. Aux termes de cet alinéa, il appartient à l’autorité administrative de délivrer dans les plus brefs délais une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-13 du code civil (150), en raison de la menace d’un mariage forcé, sous la seule réserve d’une éventuelle menace à l’ordre public que poserait sa présence.
*
* *
La Commission est saisie des amendements identiques CL126 de M. Denys Robiliard et CL152 de M. Paul Molac.
M. Denys Robiliard. Les personnes ne bénéficiant pas d’une ordonnance de protection mais ayant néanmoins fait l’objet de tentatives de mariage forcé ou ayant été mariées de force doivent pouvoir obtenir un titre de séjour. Tel est l’objet de l’amendement CL126, qui entend contribuer à la lutte contre le mariage forcé.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte les amendements.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL127 de M. Denys Robiliard et CL153 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. La Cour de cassation a jugé que les décisions de répudiation prononcées par des juridictions étrangères étaient contraires à l’ordre public international et en particulier au principe d’égalité entre époux lors de la dissolution du mariage. À ce sujet, la CNCDH recommande de délivrer de plein droit aux femmes étrangères qui engagent une procédure judiciaire en tant que victimes de répudiation, de mariage forcé ou d’enlèvement d’enfant, un titre de séjour jusqu’à l’aboutissement de la procédure concernée.
L’amendement CL153 a pour objet de suivre cette recommandation en permettant aux femmes étrangères de prétendre à un titre de séjour pendant le temps de la procédure.
M. le rapporteur. Avis défavorable à l’amendement CL127.
S’agissant du CL153, insérer dans le CESEDA la notion de répudiation, alors que la jurisprudence de la Cour de cassation la juge contraire à l’ordre public international, reviendrait à reconnaître son existence même dans notre pays. Avouez que ce serait gênant. Avis défavorable également.
La Commission rejette successivement les amendements CL127 et CL153.
Elle en vient à l’amendement CL129 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Cet amendement tend à faciliter la lutte contre le travail dissimulé. Associer à la faculté, pour un salarié employé de façon clandestine, de saisir le conseil des prud’hommes ou la juridiction pénale de l’infraction dont il est victime – et non co-auteur – la délivrance d’un titre de séjour, constitue pour lui une incitation forte à révéler le travail dissimulé au juge.
M. le rapporteur. Je comprends votre préoccupation. Néanmoins, le simple fait d’engager une procédure prud’homale ne saurait suffire à ouvrir droit à une carte de séjour, sous peine d’ouvrir la voie à des détournements. Je vous invite à retirer votre amendement.
M. Denys Robiliard. Je le retire afin de le réécrire de façon plus adaptée et précise.
L’amendement est retiré.
La Commission est saisie des amendements identiques CL31 de M. Guy Geoffroy et CL37 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. Il s’agit de durcir les conditions du regroupement familial en prévoyant qu’un ressortissant étranger ne puisse en faire la demande qu’après au moins vingt-quatre mois de présence régulière sur le territoire français, au lieu de dix-huit mois actuellement.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les amendements.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL32 de M. Guy Geoffroy, CL38 de M. Éric Ciotti et CL78 de M. Denys Robiliard.
M. Philippe Goujon. L’amendement CL32 vise à augmenter le montant minimal de ressources fixé dans le CESEDA dont doit justifier l’auteur d’une demande de regroupement familial, afin d’assurer l’accueil de sa famille dans de bonnes conditions en France. L’amendement CL38 a un objet similaire.
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Reprenant, cette fois, la proposition n° 10 du rapport d’information sur les immigrés âgés, l’amendement CL78 tend à instaurer un régime de regroupement familial dérogatoire, strictement encadré, au bénéfice des demandeurs âgés et isolés. L’insuffisance de leurs revenus et l’inadaptation de leur logement constituant les deux principaux obstacles à la venue en France de leur famille, il convient de les dispenser de ces conditions pour les sortir de l’état d’isolement humainement insupportable dans lequel ils vivent.
M. le rapporteur. Avis défavorable aux amendements CL32 et CL38.
Je comprends l’objectif du CL78. S’agissant de travailleurs pauvres et peu qualifiés, on ne peut qu’être sensible à l’idée que la condition relative aux ressources ne devrait pas être décisive face à leur droit de vivre en famille. Néanmoins, cet amendement présente deux failles : d’une part, il porte le risque de fabriquer un appeau à misère et de faire tomber des familles entières dans la pauvreté sur notre territoire ; d’autre part, il pourrait inspirer des stratégies de contournement, telles que l’établissement de liens conjugaux de complaisance sous forme, par exemple, de couples présentant une forte différence d’âge. Compte tenu de ces difficultés, je vous invite à retirer votre amendement pour en améliorer la rédaction dans la perspective de la séance publique.
L’amendement CL78 est retiré.
La Commission rejette successivement les amendements CL32 et CL38.
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AUX ÉTRANGERS EN ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
Chapitre Ier
Mesures d’éloignement applicables aux étrangers en situation irrégulière
Article 14
(art. L. 511-1, L. 512-1 et L. 533-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et art. L. 222-2-1 du code de justice administrative)
Mesures d’éloignement applicables aux ressortissants de pays tiers à l’Union européenne
1. L’état du droit
Le droit prévoit différentes procédures pour éloigner un étranger du territoire national.
a. L’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF)
Prévu à l’article L. 533-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière concerne exclusivement l’étranger non-européen présent en France depuis moins de trois mois qui a travaillé sans autorisation (151) ou qui constitue une menace pour l’ordre public caractérisée par la commission d’infractions pénales. L’arrêté est accompagné de la décision fixant le pays dans lequel l’étranger est reconduit.
L’administration peut procéder à la reconduite forcée après un délai de 48 heures suivant la notification de l’arrêté en l’absence de recours devant le tribunal administratif ou à la suite du rejet de la requête dans le cas contraire. Le tribunal administratif dispose de trois mois pour statuer tant sur la régularité de l’arrêté de reconduite à la frontière que sur la décision déterminant le pays de renvoi. Toutefois, l’affaire est confiée à un juge unique qui se prononce dans les 72 heures si l’étranger fait l’objet d’une mesure restrictive de liberté – rétention ou assignation à résidence. Le jugement peut faire l’objet d’un appel qui ne suspend pas la procédure.
Neuf situations font obstacle à la procédure de reconduite à la frontière :
– trois situations se fondent sur la durée du séjour de l’étranger en France : si celle-ci excède dix ans, ou si elle dépasse vingt ans lorsqu’un titre de séjour « étudiant » est en cause, ou si l’étranger a sa résidence habituelle en France depuis l’âge de 13 ans au moins ;
– trois autres situations tiennent compte des liens familiaux de l’étranger sur le territoire : s’il est marié depuis au moins trois ans avec un Français ou une Française à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; s’il réside légalement depuis plus de dix ans en France et qu’il est marié depuis au moins trois ans avec un étranger lui-même présent en France depuis l’âge de treize ans sous réserve de la réalité de la communauté de vie ; ou enfin s’il est parent d’un enfant français mineur résidant en France à l’éducation duquel il contribue depuis sa naissance ou depuis au moins deux ans ;
– les trois dernières situations qui font obstacle à la délivrance d’un APRF ont trait à l’âge ou à l’état de santé de l’étranger : s’il bénéficie d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle d’un organisme français pour un taux d’incapacité permanente d’au moins 20 % ; s’il est malade et qu’il nécessite une prise en charge médicale indispensable en l’absence d’un traitement approprié dans son pays ; ou enfin s’il est mineur (152).
b. Les procédures d’éloignement prises dans le cadre de l’Union européenne ou de Schengen
Un étranger non-européen peut être renvoyé hors de France en application des règles édictées dans le cadre de l’Union européenne ou de la convention de Schengen (153). Aux termes des articles L. 531-1 à L. 531-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, trois procédures d’éloignement distinctes peuvent être diligentées suivant la situation de l’intéressé.
La remise de l’étranger à un autre pays de l’Union européenne est décidée par l’autorité administrative et peut être exécutée de force. Elle est possible dans cinq hypothèses :
– en vertu d’un accord bilatéral de réadmission (154) lorsque l’étranger est interpellé en situation irrégulière à la frontière entre la France et l’État avec lequel l’accord existe ou lorsque l’étranger séjourne irrégulièrement en France après être entré dans l’Union européenne par le pays en question ;
– si l’étranger dépose en France une demande d’asile dont l’examen appartient à autre État en vertu du règlement européen Dublin II (155) ;
– si l’intéressé est entré ou a séjourné en France en contrevenant aux stipulations de la convention de Schengen – sans visa, avec un visa expiré ou pour une durée supérieure à trois mois en cas de dispense de visa ;
– quand une mesure d’éloignement est prononcée à l’encontre d’un étranger détenteur d’un « titre de résident de longue durée – UE (156) » délivré par un autre pays de l’Union européenne ;
– lorsqu’un étranger détenteur d’un titre de séjour « carte bleue européenne (157) » délivré par un autre pays de l’Union européenne se voit refuser une carte similaire en France.
L’éloignement en cas de « signalement Schengen » concerne l’étranger non-européen en situation irrégulière en France et signalé aux fins de non-admission au « système d’information Schengen (158) » par un État partie à la convention de Schengen en raison d’une menace à l’ordre public.
Enfin, l’exécution d’une mesure d’éloignement prise par un autre pays de l’Union européenne à l’encontre d’un étranger non-européen arrivé depuis en France ne nécessite pas de nouvelle décision administrative. L’étranger est renvoyé vers son pays d’origine ou tout autre pays dans lequel il peut être admis.
c. L’arrêté préfectoral ou ministériel d’expulsion (APE ou AME)
L’expulsion, régie par les articles L. 521-1 à L. 524-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, frappe exclusivement l’étranger européen ou non-européen qui vit régulièrement en France et qui représente une menace très grave pour l’ordre public appréciée par l’administration en fonction de son comportement. Une condamnation pénale préalable n’est pas nécessaire au bien-fondé de la procédure.
L’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’une décision d’expulsion. Certains étrangers sont également protégés suivant l’ancienneté et l’importance de leurs attaches en France :
– la protection relative ne peut être levée qu’en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique, ou après une condamnation définitive à une peine de cinq ans de prison ferme. En bénéficient l’étranger régulièrement présent depuis plus de dix ans en France (sauf au moyen d’une carte de séjour « étudiant »), l’étranger monogame marié depuis trois ans à un Français qui a conservé la nationalité française sans rupture de la communauté de vie, l’étranger non-polygame parent d’un enfant français mineur résidant en France à l’éducation duquel il contribue, et l’étranger bénéficiaire d’une rente française d’accident du travail ou de maladie professionnelle incapable au moins à 20 % ;
– la protection quasi-absolue ne peut être levée qu’en cas de comportement terroriste ou compromettant les intérêts fondamentaux de l’État, ou à la suite d’actes de provocation délibérée à la discrimination, la haine ou la violence. En bénéficient l’étranger malade résidant en France en l’absence d’un traitement approprié dans son pays, l’étranger résidant en France depuis l’âge de treize ans, l’étranger monogame résidant régulièrement en France depuis dix ans et marié depuis quatre ans sans rupture de la communauté de vie à un Français qui a conservé la nationalité française ou à un étranger qui vit en France depuis l’âge de treize ans, et l’étranger résidant régulièrement en France depuis dix ans et parent d’un enfant français mineur résidant en France dont il contribue à l’éducation.
La décision est prise par le préfet du lieu de résidence (arrêté préfectoral d’expulsion, APE) ou, en cas d’urgence absolue ou s’il s’agit d’un étranger protégé, par le ministre de l’Intérieur (arrêté ministériel d’expulsion, AME). L’étranger est préalablement convoqué devant une commission d’expulsion qui formule un avis motivé dans le respect des règles relatives au droit de la défense (159). L’arrêté d’expulsion peut être exécuté par la force et justifier des mesures privatives de liberté telles que la rétention et l’assignation à résidence. Si l’étranger qui fait l’objet de la mesure est incarcéré, l’expulsion intervient une fois sa peine purgée.
L’arrêté peut être contesté devant la juridiction administrative dans les deux mois suivant sa notification si l’étranger se trouve en France. Ce délai est porté à quatre mois si l’intéressé se trouve au-delà des frontières nationales – notamment si l’expulsion a déjà été réalisée. En effet, le recours en annulation ne suspend pas la décision d’expulsion. De plus, la loi n’impose pas au juge de rendre sa décision dans un temps limité.
d. L’interdiction judiciaire du territoire français (ITF)
Prévue par les articles L. 541-1 à L. 541-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui reprennent les articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal, l’interdiction judiciaire du territoire français n’est pas une décision administrative mais une peine prononcée par le juge pénal à l’encontre d’un étranger coupable d’un crime ou d’un délit.
Temporaire ou définitive, elle peut être infligée comme peine principale (en cas de mariage de complaisance ou d’emploi de travailleurs sans papiers) ou comme peine complémentaire à la suite de crimes et délits de droit commun. Les étrangers européens et non-européens peuvent en faire l’objet, mais les attaches et les liens familiaux tissés par les résidents de longue date leur assurent une protection contre cette mesure.
e. L’obligation de quitter le territoire français (OQTF)
Régie par les articles L. 511-1 à L. 514-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’obligation de quitter le territoire français est la mesure d’éloignement la plus courante. Elle oblige l’intéressé, européen ou non, à quitter la France par ses propres moyens. Les situations personnelles qui prémunissent un individu contre la délivrance d’une OQTF sont similaires à celles qui font obstacle à un APRF. Il existe deux types d’OQTF : l’OQTF à trente jours et l’OQTF immédiat.
La procédure de droit commun contraint l’étranger à quitter la France dans un délai de trente jours dans une des situations suivantes :
– entrée irrégulière en France ou dans un pays signataire de la convention de Schengen ;
– séjour irrégulier après expiration du visa ou, en cas de dispense de visa, après trois mois passés sur le territoire ;
– refus de renouvellement ou de retrait du récépissé de demande de titre de séjour ou de l’autorisation provisoire de séjour (160) ;
– refus de délivrance ou de renouvellement ou de retrait du titre de séjour ;
– expiration du titre de séjour ;
– entrée et maintien irrégulier sur le territoire français en provenance directe d’un pays signataire de la convention de Schengen.
L’OQTF est notifiée par le préfet du département de résidence, sans exigence de motivation si elle découle d’un refus de délivrance, de renouvellement ou de retrait de document de séjour lui-même motivé. Elle est accompagnée de la décision fixant le pays dans lequel l’étranger sera renvoyé s’il ne quitte pas volontairement la France dans le temps qui lui est imparti. Une aide au retour volontaire peut être sollicitée auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). L’administration peut édicter des mesures de contrôle pour s’assurer des préparatifs de départ mis en œuvre par l’intéressé, qui dispose dans l’attente d’un récépissé valant justificatif d’identité.
Trente jours sont laissés à l’intéressé à compter de la notification. À titre exceptionnel et eu égard à la situation personnelle de l’intéressé, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ouvre la possibilité pour l’autorité administrative de fixer un délai supérieur.
À l’expiration du délai qui lui est assigné, l’étranger peut être placé en rétention ou être assigné à résidence dans l’attente d’une exécution par la force de l’OQTF. Une personne ne peut toutefois pas être renvoyée si elle établit que sa vie, son intégrité ou sa liberté est menacée dans son pays d’origine.
Un recours juridictionnel peut être formé devant le tribunal administratif contre l’ensemble des décisions administratives dont fait l’objet l’étranger : le refus de séjour qui lui a été opposé, le délai qui lui est imparti pour quitter la France, la décision fixant le pays de renvoi et, le cas échéant, le placement en centre de rétention ou l’assignation à résidence. Les droits de la défense et l’aide juridictionnelle sont garantis.
L’OQTF doit être contestée dans les trente jours qui suivent sa notification, soit durant le temps imparti à l’étranger pour son départ volontaire. La juridiction administrative se prononce en formation collégiale dans un délai de trois mois. Toutefois, en cas de rétention ou d’assignation à résidence, le recours est examiné en urgence par un juge unique dans un délai de soixante-douze heures. En cas de validation de la décision, l’étranger peut interjeter un appel dépourvu de caractère suspensif.
L’obligation de quitter la France sans délai est prononcée en cas de menace pour l’ordre public, après un refus de délivrance ou de renouvellement d’un document de séjour en raison du caractère manifestement infondé de la demande ou à la suite d’une fraude, ou enfin en cas de risque de fuite de l’étranger – notamment s’il s’est précédemment soustrait à une mesure d’éloignement.
La procédure diffère de l’OQTF de droit commun en ce que le délai de recours contentieux est réduit à quarante-huit heures après la notification de la décision (161). L’étranger ne peut être éloigné avant l’expiration de ce délai ou, s’il a introduit un recours juridictionnel, avant le jugement du tribunal. En revanche, il peut immédiatement faire l’objet d’une rétention ou d’une assignation à résidence.
NOMBRE D’OQTF PRONONCÉES AVEC OU SANS DÉLAI DE DÉPART VOLONTAIRE
Nombre d’OQTF |
1er semestre 2012 |
2nd semestre 2012 |
1er semestre 2013 |
2nd semestre 2013 |
Trente jours |
24 773 (55,9 %) |
25 095 (65,6 %) |
30 305 (67,8 %) |
30 040 (67,9 %) |
Immédiat |
19 519 (44,1 %) |
13 148 (34,4 %) |
14 373 (32,2 %) |
14 232 (32,1 %) |
Total |
44 292 |
38 243 |
44 678 |
44 272 |
Source : étude d’impact jointe au projet de loi
f. L’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF)
Conformément à l’article 11 de la directive Retour (162), l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) a été créée par l’article 37 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (163). Cette mesure d’éloignement est prononcée par le préfet à l’encontre d’un étranger non-européen à la suite de la délivrance d’une OQTF. L’intéressé fait en conséquence l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans le « système d’information Schengen ».
L’IRTF peut être prononcée pour plusieurs motifs et pour une durée maximale de deux ans (si l’étranger s’est maintenu en France au-delà du délai de départ volontaire) à trois ans (si l’étranger ne bénéficiait pas d’un délai pour quitter le territoire) (164). Le préfet tient compte, lorsqu’il fixe la durée de la mesure, de la nature et de l’ancienneté des liens de la personne avec la France, de ses antécédents en matière d’éloignement et de la menace éventuelle que fait peser sa présence sur la préservation de l’ordre public. L’IRTF est contestable devant la juridiction administrative dans un délai de trente jours suivant une procédure de droit commun.
Prenant acte d’une interrogation persistante sur la nature de l’IRTF – mesure de police ou sanction – et du risque constitutionnel qui en découlait, la loi du 16 juin 2011 a laissé un large pouvoir d’appréciation à l’autorité administrative pour éviter tout caractère systématique et tout risque de censure au nom du principe d’individualisation des peines. Il en résulte cependant une possibilité laissée au préfet de prononcer, ou non, l’interdiction de retour dont la directive Retour impose pourtant le caractère systématique dans certaines conditions déjà mentionnées.
Le doute a depuis été levé par le Conseil constitutionnel selon lequel « l’interdiction de retour dont l’obligation de quitter le territoire peut être assortie constitue une mesure de police et non une sanction ayant le caractère d’une punition au sens de l’article 8 de la Déclaration [des droits de l’homme et du citoyen] de 1789 (165) ». Cependant, en conséquence de la rédaction prudente de la loi, l’IRTF est loin d’être fréquemment associée aux OQTF.
NOMBRE D’INTERDICTIONS DE RETOUR SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS (IRTF) DEPUIS L’ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA MESURE LE 18 JUILLET 2011
Nombre d’OQTF |
Nombre d’IRTF |
Pourcentage d’OQTF assorties d’IRTF | |
2nd semestre 2011 |
38 916 |
4 271 |
10,97 % |
2012 |
82 535 |
5 393 |
6,53 % |
2013 |
79 305 |
1 515 |
1,91 % |
Source : étude d’impact jointe au projet de loi
2. Les dispositions du projet de loi
Le projet de loi procède à des modifications dans l’architecture juridique des mesures d’éloignement applicables aux étrangers qui apparaissent comme des conséquences des dispositions votées par le Parlement à l’occasion de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
a. L’absorption de l’APRF dans le périmètre de l’OQTF
La loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, qui a créé l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), faisait de cette mesure indissociable d’un délai de départ volontaire l’instrument juridique d’éloignement des étrangers dont la demande d’admission au séjour était rejetée. Quant à l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), il sanctionnait alors le séjour irrégulier des personnes ne s’étant pas présentées à l’administration.
La loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a fait de l’OQTF la mesure unique permettant l’éloignement des personnes au motif du caractère irrégulier de leur présence en France. Le législateur a limité l’APRF au cas où l’étranger moins de trois mois auparavant menace l’ordre public ou occupe un emploi sans autorisation (166). Si les procédures administrative et contentieuse applicables l’une et l’autre des mesures d’éloignement ont été rapprochées, l’APRF permet toujours de justifier un refus d’entrer en France pendant les trois années qui suivent son édiction tandis que l’OQTF doit être assortie pour ce faire d’une IRTF décidée au cas par cas. L’APRF conserve donc une utilité spécifique par ses effets.
La coexistence des dispositifs soulève cependant une difficulté juridique : des étrangers sont susceptibles de faire l’objet de l’une et l’autre de ces mesures aux finalités très voisines. De surcroît, depuis que la loi du 16 juin 2011 a réduit son périmètre, l’APRF semble devenu tout à fait résiduel.
NOMBRE D’OBLIGATIONS DE QUITTER LE TERRITOIRE FRANÇAIS (OQTF) ET D’ARRÊTÉS PRÉFECTORAUX DE RECONDUITE À LA FRONTIÈRE (APRF)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
OQTF |
42 225 |
40 308 |
39 081 |
59 994 |
82 535 |
88 940 |
APRF |
43 739 |
40 116 |
32 519 |
24 441 |
365 |
653 |
Total |
85 964 |
80 424 |
71 600 |
84 435 |
82 900 |
89 293 |
Source : étude d’impact jointe au projet de loi
NOMBRE D’ARRÊTÉS PRÉFECTORAUX DE RECONDUITE À LA FRONTIÈRE (APRF) ET LEUR FONDEMENT
2nd semestre 2011 |
1er semestre 2012 |
2nd semestre 2012 |
1er semestre 2013 |
2nd semestre 2013 | |
Sur le fondement de l’ordre public |
178 |
127 |
67 |
96 |
180 |
Sur le fondement du travail illégal |
134 |
96 |
75 |
191 |
206 |
Total |
312 |
223 |
142 |
287 |
366 |
Source : étude d’impact jointe au projet de loi
Pour cette raison, l’alinéa 26 de l’article 14 du projet de loi abroge le chapitre III du titre III du livre V du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif à l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. L’alinéa 27 procède à une coordination à l’article L. 222-2-1 du code de justice administrative.
Les motifs qui permettent aujourd’hui la délivrance d’un APRF sont inscrits à l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile parmi les critères justifiant l’édiction d’une OQTF (alinéas 4 et 5).
b. Le durcissement du régime de l’IRTF
La décision du Conseil constitutionnel considérant l’IRTF comme une mesure de police et non comme une sanction permet de reconsidérer la rédaction du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui altère le caractère de principe de la mesure dans les cas de refus de délai de départ ou de violation de ce délai. Par conséquent, les alinéas 11 à 16 de l’article 14 modifient l’article L. 511-1 dans un sens plus proche de la lettre de la directive Retour.
Lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger ou lorsqu’il n’a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti, l’autorité administrative prononce d’office – sauf circonstances humanitaires – une interdiction de retour d’une durée maximale de trois ans. L’IRTF devient donc le principe et son absence l’exception.
Dans le cas d’une OQTF à trente jours exécutée correctement, une interdiction de retour peut être prononcée pour deux ans par une décision motivée.
Les critères au regard desquels le préfet détermine le quantum de la durée de l’interdiction demeurent inchangés.
c. Précisions apportées au régime de l’OQTF
L’actuelle rédaction du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pose le principe d’un délai de départ de trente jours à la suite du prononcé d’une obligation de quitter le territoire français. Il s’agit de la durée maximale prévue par la directive Retour, qui prévoit néanmoins que la situation personnelle de l’intéressé peut conduire l’autorité administrative à accorder un délai de départ pour une durée « appropriée ». Or le II de l’actuel article L. 511-1 autorise bien la fixation d’un « délai de départ volontaire supérieur à trente jours », mais il ne permet pas de prolongation a posteriori. L’étude d’impact annexée au projet de loi indique que la Commission européenne a déploré cette rédaction excessivement rigide. Les alinéas 7 et 8 du présent article prévoient une évolution vers une plus grande souplesse. L’alinéa 10 opère une coordination.
La Commission européenne a également souligné la non-conformité dans la transposition de la directive Retour d’une rédaction qui restreint l’appréciation au cas par cas portée par l’autorité administrative sur le risque que l’étranger se soustraie à l’obligation qui lui est faite, ce qui provoque l’édiction d’une OQTF sans délai de départ. Ce risque est regardé comme établi si l’étranger :
– n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour alors qu’il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français ;
–s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il est dispensé de visa, trois mois après son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;
– s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration de son titre de séjour ou assimilé sans en avoir demandé le renouvellement ;
– s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ;
– a contrefait un titre de séjour ou un document d’identité ;
– ne présente pas de garanties de représentation suffisantes.
En conséquence, l’alinéa 9 permet à l’autorité administrative de ne pas considérer établi le risque de soustraction de l’étranger à ses obligations même si sa situation correspond à un ou plusieurs de ces critères indicatifs.
L’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit une obligation de quitter le « territoire français ». La Commission européenne a signalé cette imprécision : la notion de retour, définie à l’article 3 de la directive Retour, n’implique pas de franchir les frontières nationales mais de rejoindre un pays tiers à l’Union européenne. Le Conseil d’État a fait sienne cette distinction entre la « remise » à un État membre et le « retour » dans le pays d’origine ou dans un pays où le séjour régulier est possible (167).
Les dispositions réglementaires du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile confèrent bien une dimension européenne à l’interdiction de retour sur le territoire français à travers le signalement « SIS » aux fins de non-admission dans l’espace Schengen. En outre, l’article R. 511-4 du même code précise que l’étranger faisant l’objet d’une OQTF assortie d’une interdiction de retour est réputé avoir satisfait à son obligation lorsqu’il peut attester de sa sortie par un point de passage frontalier, c’est-à-dire de sa sortie de l’espace Schengen.
Mais l’ambiguïté perdure dans les dispositions législatives. Afin d’y mettre un terme, l’alinéa 6 précise que l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification de l’OQTF « pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l’Union européenne où il est légalement admissible », que cette OQTF soit accompagnée d’une IRTF ou non.
Le droit pèche enfin par imprécision sur les cas de prononcé de l’OQTF énumérés au I de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette liste ne prévoit aucune disposition concernant les étrangers qui demandent le statut de réfugié. On pourrait en déduire qu’aucune OQTF ne peut leur être imposée.
Cependant, l’article L. 742-3 du même code, relatif aux demandeurs d’asile, indique que « l’étranger admis à séjourner en France bénéficie du droit de s’y maintenir jusqu’à la notification de la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, si un recours a été formé, jusqu’à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile. Le a du 3° du II de l’article L. 511-1 n’est pas applicable. » Il résulte de la seconde phrase que l’entrée irrégulière sur le territoire national ne peut constituer un élément d’appréciation du risque de soustraction à une mesure d’éloignement à l’encontre d’un demandeur d’asile, c’est-à-dire qu’elle ne peut fonder le prononcé d’une OQTF immédiate à la place d’une OQTF à trente jours.
Par conséquent, le droit et la pratique autorisent un recours à la procédure de l’OQTF à trente jours, sur le fondement de l’article L. 511-1, dans le cas des demandeurs d’asile déboutés. Afin de clarifier la situation, l’alinéa 3 inclut parmi les cas justifiant l’édiction d’une obligation de quitter le territoire français l’étranger auquel a été définitivement refusé la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire (168).
d. La création d’un troisième régime contentieux d’OQTF
Les alinéas 17 à 25 instituent un troisième régime contentieux pour la contestation d’une OQTF devant la juridiction administrative.
Pour l’heure, les OQTF avec délai de départ peuvent faire l’objet d’un recours dans un délai de trente jours et sont jugées dans les trois mois par le tribunal administratif en formation collégiale. Les OQTF immédiates doivent être attaquées dans les quarante-huit heures. En cas de rétention ou d’assignation à résidence, le recours est examiné en urgence par un juge unique dans un délai de soixante-douze heures.
Le projet de loi propose de maintenir le régime contentieux actuel pour les OQTF fondées sur les cas de retrait, de refus de délivrance ou de refus de renouvellement de titre de séjour ou d’autorisation provisoire de séjour. Il s’appliquerait également aux cas justifiant jusqu’à présent l’édiction d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.
En revanche, un nouveau régime contentieux s’appliquerait dans quatre situations :
– si l’étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ;
– si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d’un premier titre de séjour régulièrement délivré ;
– si l’étranger n’a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s’est maintenu sur le territoire français à l’expiration de ce titre ;
– si l’étranger s’est vu définitivement refusée la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire.
Ce type d’OQTF pourra être contesté dans un délai de sept jours suivant la notification devant le président du tribunal administratif – ou le magistrat qu’il désigne à cette fin – statuant en juge unique et sans conclusions du rapporteur public. Le jugement devra être rendu dans un délai d’un mois. Le projet de loi prévoit le respect des droits de la défense : l’étranger pourra, au cours d’une audience publique, consulter son dossier et se faire assister d’un avocat et d’un interprète.
3. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté dix amendements à l’article 14 du projet de loi.
Trois amendements, déposés pour deux d’entre eux par votre rapporteur et pour le troisième par M. Denys Robiliard, procèdent à une coordination rendue nécessaire par le projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile, actuellement en navette et dont l’examen devrait prochainement s’achever.
Quatre amendements du rapporteur sont de nature rédactionnelle.
Un amendement du rapporteur actualise une référence désormais obsolète au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, l’article L. 511-1 renvoie à l’article 96 de la convention d’application des accords de Schengen du 19 juin 1990 alors que la norme internationale applicable figure désormais à l’article 24 du règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II).
Un amendement de M. Denys Robiliard a supprimé les alinéas 19 à 25 instituant une nouvelle procédure d’obligation de quitter le territoire français pour les déboutés du droit d’asile et d’autres catégories d’étrangers. Votre rapporteur a délivré un avis favorable à cette suppression. En effet, les discussions menées avec des représentants de la juridiction administrative ont mis en lumière le poids important du contentieux des étrangers dans son activité : plus d’un tiers des affaires traitées par les tribunaux administratifs et la moitié des dossiers examinés par les cours administratives d’appel. Alors même que les juridictions s’attachent à respecter le délai de soixante-douze heures pour le jugement des recours des retenus – au prix parfois d’un retard sur les OQTF à trente jours, notamment dans les tribunaux de la région parisienne où les décisions sont rendues en moyenne en cinq mois au lieu de trois –, il apparaît certain qu’une nouvelle procédure enserrée dans des délais contraints aurait des conséquences néfastes pour l’examen de tous les autres contentieux. Le mécanisme aurait pu concerner des dizaines de milliers de cas chaque année – ne seraient-ce que les quelque trente mille rejets prononcés par la cour nationale du droit d’asile. Le gain modeste de soixante jours escompté de la nouvelle procédure ne compense pas le risque d’engorgement des tribunaux. En outre et par principe, la multiplication des recours sui generis assortis de délais de jugement ne va pas dans le sens d’une bonne administration de la justice. La Commission s’est donc opposée à la création d’une nouvelle forme d’OQTF.
Enfin, un amendement du rapporteur a étendu la procédure accélérée de jugement en soixante-douze heures par un juge unique aux cas d’éloignement d’un détenu. En effet, le cadre juridique actuel ne favorise pas le règlement de ces situations avant l’élargissement, en dépit de la volonté des préfectures d’engager la procédure suffisamment tôt. Une OQTF ne peut être exécutée d’office avant que le juge ait statué sur sa légalité ; or, en l’absence d’assignation à résidence ou de rétention (ce qui est bien le cas dans une détention), le tribunal administratif statue dans le délai de droit commun de trois mois. Le moindre retard peut conduire l’autorité administrative à faire succéder une rétention à une détention, ce qui n’est satisfaisant ni pour l’étranger ni pour l’efficacité de l’action publique. En outre, les gestionnaires de centre de rétention administrative ont fait état avec insistance de la difficile cohabitation entre les étrangers sortants de prison et les autres dans l’attente d’un éloignement. Le dispositif adopté devrait permettre de prévenir cette situation.
*
* *
La Commission adopte l’amendement de coordination CL250 du rapporteur.
Puis elle examine les amendements identiques CL131 de M. Denys Robiliard et CL204 du rapporteur.
M. Denys Robiliard. Tout demandeur d’asile débouté par l’OFPRA puis, le cas échéant, par la Cour nationale du droit d’asile, doit pouvoir prétendre à la délivrance d’un titre de séjour à un autre titre que l’asile. Actuellement, certaines préfectures refusent d’examiner les demandes de titre de séjour émanant de personnes ayant déjà adressé une demande d’asile. Cette pratique doit évoluer d’autant qu’elle ne me semble pas conforme au droit.
M. le rapporteur. Pour d’autres raisons, je propose aussi la suppression de l’alinéa 3 de l’article 14.
La Commission adopte les amendements.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL21 de M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. L’article 14 intègre, dans les dispositions relatives au prononcé d’une OQTF, les comportements des étrangers ne résidant pas régulièrement en France depuis plus de trois mois qui constituent une menace pour l’ordre public. Le présent amendement tend à le compléter par les cas de migrants en transit qui ne demandent pas l’asile en France ni le statut de réfugié et qui ne souhaitent pas non plus s’y maintenir, mais qui constituent cependant une charge, financière notamment, pour le pays d’accueil. Il s’agit ainsi de renforcer la fermeté qui doit être celle de l’État dans ces situations.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine en discussion commune les amendements CL205 du rapporteur et CL22 de M. Philippe Goujon.
M. le rapporteur. L’amendement CL205 est rédactionnel. Son adoption ferait tomber le CL22.
M. Philippe Goujon. Nous proposons d’ajouter à la liste des comportements pouvant donner lieu au prononcé d’une OQTF le délit de mariage gris ou blanc, qui constitue une fraude flagrante en vue d’acquérir la nationalité française ou le droit au séjour régulier sur notre territoire. En outre, la limitation de ce prononcé à certains vols aggravés nuit à l’intelligibilité de la loi et ne se justifie pas. Il est donc proposé de viser tous les vols aggravés.
La Commission adopte l’amendement CL205.
En conséquence, l’amendement CL22 tombe.
La Commission en vient à l’amendement CL132 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Cet amendement a pour objet de supprimer l’alinéa 5 qui, en permettant la remise en cause du droit au séjour d’un étranger en situation régulière dès lors que celui-ci a travaillé sans autorisation, constitue une incitation au travail dissimulé. Un salarié embauché sans avoir le droit de travailler aura un intérêt objectif à ne pas attaquer son employeur et à ne pas révéler la situation si cela entraîne pour lui la perte du droit au séjour. Alors qu’en cas de travail dissimulé le salarié est considéré comme une victime, on le traite ici comme un complice.
M. le rapporteur. La disposition prévoyant que l’étranger fraîchement arrivé sur le territoire national doit solliciter une autorisation de travail sans laquelle il risque de se voir expulser est importante pour lutter contre le travail illégal. En-deçà de trois mois de séjour, l’étranger n’est guère que dans une démarche touristique. Je ne crois pas qu’il y ait un quelconque déracinement dans l’éloignement d’une personne qui a presque immédiatement fait montre de son incapacité à respecter nos lois. Je vous invite à retirer votre amendement.
M. Denys Robiliard. Je le maintiens. On sait qu’il existe des filières via lesquelles des personnes arrivent en France déjà recrutées dans un restaurant ou un atelier. Or je crains que cet alinéa 5 ne leur facilite la tâche même si tel n’est pas l’objectif recherché.
La Commission rejette l’amendement.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL155 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Cet amendement tend à préciser la définition du risque de fuite au titre duquel un délai de départ volontaire peut être refusé et le placement en centre de rétention administrative ou l’assignation à résidence prononcé. Il s’appuie sur la directive 2008/115 CE, selon laquelle ce risque doit être apprécié en considération d’autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier, ainsi que sur la jurisprudence du Conseil d’État qui l’évalue au regard d’une soustraction systématique et intentionnelle à la mesure d’éloignement.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL156 de M. Paul Molac, CL133 de M. Denys Robiliard, CL206 du rapporteur et CL76 de Mme Catherine Coutelle.
M. Paul Molac. L’amendement CL156 vise à supprimer l’interdiction de retour sur le territoire français pendant deux à cinq ans. Cette mesure est généralisée pour les personnes ne bénéficiant pas d’un délai de départ volontaire et pour celles ne respectant pas le délai de départ.
En 1993, le Conseil constitutionnel avait censuré l’interdiction automatique de retour d’un an liée à un arrêté de reconduite à la frontière. Or l’interdiction de retour sur le territoire telle qu’elle est proposée aujourd’hui relève plus de la sanction que de la mesure de police administrative. Les possibilités d’interdiction de retour vont également au-delà de celles prévues par la directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
Enfin, comme l’a noté la CNCDH, malgré la gravité de cette mesure, le projet de loi ne prévoit aucune catégorie de personnes protégées explicitement comme pourraient notamment l’être les victimes de la traite.
M. le rapporteur. Cette disposition est nécessaire au respect du droit européen. Je vous invite à retirer votre amendement.
L’amendement CL156 est retiré.
M. Denys Robiliard. L’amendement CL133 relève d’une motivation comparable à celle de M. Molac. De plus, il ne me semble pas que la directive « Retour » nous contraigne à instaurer en droit français une interdiction automatique de retour.
M. le rapporteur. L’argument de l’automaticité et de la non-individualisation de la peine ne tient pas, le Conseil constitutionnel ayant jugé qu’une interdiction n’était pas une peine au sens du droit pénal mais une mesure de police pouvant être valablement prononcée pour sanctionner un séjour irrégulier. Je maintiens mon avis défavorable.
M. Denys Robiliard. Mon raisonnement porte sur l’automaticité de la mesure que je n’ai pas qualifiée de « peine » au sens pénal du terme.
M. le rapporteur. L’amendement CL206 est rédactionnel.
Je propose le retrait de l’amendement CL76 dont la rédaction pourrait être améliorée d’ici à la discussion en séance publique.
L’amendement CL76 est retiré.
La Commission rejette l’amendement CL133 et adopte l’amendement CL206.
Puis elle adopte successivement l’amendement d’actualisation CL249, l’amendement rédactionnel CL207 et l’amendement de coordination CL197, tous du rapporteur.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL134 et CL135 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Il convient d’accorder aux demandeurs le temps d’exercer leurs recours dont la nature administrative exige qu’ils soient entièrement rédigés. Un délai de sept jours est insuffisant.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL135 de M. Denys Robiliard n’a plus d’objet.
La Commission aborde les amendements identiques CL136 rectifié de M. Denys Robiliard et CL157 de M. Paul Molac.
M. Denys Robiliard. Il s’agit de garantir l’effectivité du recours en substituant au délai de quarante-huit heures celui de deux jours ouvrés. En effet, il est parfois difficile de contacter un avocat dans un délai de quarante-huit heures.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les amendements.
Elle est saisie de l’amendement CL251 du rapporteur.
M. le rapporteur. Lorsqu’une personne est détenue avant son éloignement, en l’absence d’assignation à résidence ou de rétention, le tribunal administratif statue dans les trois mois de sa saisine. Ceci peut conduire à faire succéder une rétention à une détention. Cela n’est satisfaisant ni pour l’étranger ni pour l’efficacité de l’action publique.
De plus, les directeurs des centres de rétention dans lesquels nous nous sommes rendus ont souligné que la cohabitation entre les anciens détenus et les étrangers en voie d’éloignement était très difficile à gérer. L’application de la procédure accélérée de jugement en soixante-douze heures par un juge unique s’avère donc nécessaire en cas de détention également. Tel est l’objet de l’amendement.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle discute de l’amendement CL137 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Il arrive que des étrangers ne forment de demande de titre de séjour qu’au stade de l’exécution d’une obligation de quitter le territoire et que l’on s’aperçoive alors, notamment grâce aux associations présentes en centres de rétention, que certains souffrent d’un grave problème de santé et qu’il leur est impossible de se soigner dans leur pays. L’amendement propose que le médecin de l’ARS – de l’OFII aujourd’hui – puisse être saisi de façon à vérifier que l’exécution de la mesure d’éloignement n’aura pas de conséquence irrémédiable sur la santé de ces demandeurs.
M. le rapporteur. Mieux vaudrait retirer votre amendement. D’une part, vous mentionnez la saisine du médecin de l’ARS alors que le projet de loi donne compétence à l’OFII. D’autre part, l’absence de délai encadrant cette consultation, qui suspend l’exécution de l’éloignement, présente un risque de détournement de procédure : certains étrangers pourraient ainsi être incités à porter atteinte à leur propre intégrité physique.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’article 14 modifié.
Après l’article 14
La Commission est saisie de l’amendement CL98 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Par principe, les mineurs n’ont pas leur place en centre de rétention car ils ne sont pas en situation irrégulière – ce qui ne veut pas dire non plus qu’ils soient en situation régulière sur le sol français.
M. le rapporteur. Avis défavorable : votre amendement a notamment pour effet de supprimer le dernier alinéa de l’article L.221-5 qui détermine les conditions requises pour exercer la fonction d’administrateur ad hoc. Il néglige aussi de préciser ce que l’administrateur en question doit faire lorsqu’un enfant lui est confié.
La Commission rejette l’amendement.
Article 15
(art. L. 511-3-1, L. 511-3-2 [nouveau], L. 512-1, L. 513-1 et L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et art. 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)
Mesures applicables aux citoyens de l’Union européenne
1. L’état du droit
La libre circulation des personnes dans l’espace européen est un principe fondamental de l’Union européenne, rappelé par le paragraphe 2 de l’article 3 du traité sur l’Union européenne (169) et par l’article 26 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (170). Selon ce principe, les citoyens européens peuvent se déplacer librement sur le territoire des vingt-huit États membres pour voyager, étudier, travailler et résider.
La liberté de circulation est particulièrement effective dans « l’espace Schengen » qui, depuis le 1er juillet 2013, compte vingt-six États : vingt-deux des vingt-huit membres de l’Union européenne (171) et quatre États associés non membres de l’Union européenne (172). Un État ne peut rétablir les contrôles à ses frontières qu’en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale pour une durée maximale de deux ans en cas de circonstances exceptionnelles et après consultation de ses partenaires (173).
En raison de cette liberté de circulation conventionnellement garantie, l’interdiction de retour sur le territoire français ne peut être prononcée à l’encontre de ressortissants des États membres de l’Union européenne bénéficiaires de la liberté de circulation et du droit de séjour qui en résulte. Toutefois, les articles 27 à 33 et 35 de la directive 2004/38/CE (174) relative à leurs conditions d’entrée et de séjour sur le territoire des États membres leur interdisent d’adopter un comportement menaçant la sécurité intérieure et de s’adonner à des pratiques intentionnellement abusives et frauduleuses.
La Commission européenne considère que, si la directive de 2004 autorise une restriction du droit de circulation et de séjour lorsque le comportement personnel de la personne représente une menace pour un intérêt fondamental de la société, l’éloignement mis en œuvre peut être accompagné d’une interdiction de réadmission sur le territoire de l’État membre concerné (175). Cette mesure ne concerne pas les ressortissants des États membres dont le droit au séjour ne peut être maintenu parce qu’ils n’y justifient pas des conditions socio-économiques requises. Elle vise spécifiquement les individus éloignés pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique (176) ainsi que les auteurs d’abus de droit.
En effet, la Commission européenne a appelé à la mise en œuvre des mesures autorisées par l’article 35 selon lequel « les États membres peuvent (…) refuser, annuler ou retirer tout droit conféré par la présente directive en cas d’abus de droit ou de fraude, tels que les mariages de complaisance (177) ». Cette position est partagée par la Cour de justice de l’Union européenne : « conformément à l’article 35 de la directive 2004/38, les États membres peuvent adopter les mesures nécessaires pour refuser, annuler ou retirer tout droit conféré par cette directive en cas d’abus de droit ou de fraude, tels que les mariages de complaisance, étant entendu que toute mesure de cette nature doit être proportionnée et soumise aux garanties procédurales prévues par ladite directive (178) ».
L’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ouvre bien la possibilité de délivrer une obligation de quitter le territoire français à un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, soit à la suite d’un abus de droit (179), soit en raison d’une menace grave que fait porter l’intéressé sur un intérêt fondamental de la société française (180).
Les titulaires d’un droit au séjour permanent en France après cinq ans de séjour régulier et ininterrompu ne peuvent être concernés (181). Cette procédure donne lieu à une dizaine de milliers d’applications chaque année.
NOMBRE D’OQTF PRONONCÉES À L’ENCONTRE DE CITOYENS DE L’UNION EUROPÉENNE
Nombre d’OQTF | |
2012 |
11 877 |
2013 |
10 487 |
Source : étude d’impact jointe au projet de loi
En revanche, aucune possibilité d’interdire à l’éloigné de revenir en France n’est prévue à la suite de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français.
2. Les dispositions du projet de loi
L’article 15 du projet de loi consiste essentiellement à instituer une interdiction de circulation sur le territoire français qui puisse être assortie par l’autorité administrative à une OQTF délivrée à l’encontre d’un ressortissant européen.
Les alinéas 1 et 2 autorisent l’autorité administrative à délivrer une OQTF à un étranger européen même si celui-ci est présent sur le territoire français depuis plus de trois mois. Cette évolution résulte d’une volonté de rapprocher la lettre de la loi de celle de la directive, qui ne prévoit pas cette contrainte de durée autrefois définie en droit national en référence au mécanisme de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.
Les alinéas 3 à 9 créent l’interdiction de circulation qui peut être adjointe à l’OQTF délivrée à un étranger européen lorsque cette mesure se fonde sur un abus de droit ou sur une menace à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société française (182). Prononcée pour une durée maximale de trois ans en fonction de la situation personnelle de l’intéressé, elle peut être abrogée à tout moment à l’initiative de l’administration ou à la demande de l’intéressé si celui-ci justifie résider hors de France depuis un an au moins – sauf s’il est détenu ou retenu sur le territoire français. Les voies de recours ouvertes sont les mêmes que pour l’interdiction de retour sur le territoire français.
Les alinéas 10 à 19 procèdent à des coordinations dans les intitulés et dans les articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que dans la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, alignant le régime de l’interdiction de circulation sur celui de l’interdiction de retour sur le territoire français applicable aux ressortissants de pays tiers.
3. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a apporté au texte du projet de loi une modification d’ordre rédactionnel proposée par votre rapporteur avant d’adopter l’article 15.
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL208 du rapporteur.
Puis, suivant les avis défavorables de ce dernier, elle rejette successivement les amendements CL139 et CL140 de M. Denys Robiliard.
Elle examine ensuite l’amendement CL280 du Gouvernement.
M. le rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement. J’en proposerai un sur le même sujet qui sera mieux placé dans le texte, après les dispositions relatives à l’assignation à résidence.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 15 modifié.
Après l’article 15
La Commission est saisie de l’amendement CL138 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. L’exécution de l’éloignement doit être suspendue en attendant que le tribunal administratif statue sur le recours introduit contre la décision fixant le pays de destination, notifiée en même temps que le placement en rétention.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Le mécanisme suggéré offrirait plusieurs mois de sursis, ce qui ouvrirait une période d’incertitude étendue et néfaste tant pour la personne étrangère que pour l’administration qui souhaite son éloignement.
La Commission rejette l’amendement.
Article 16
(art. L. 514-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Effectivité des recours dans les collectivités d’outre-mer
1. L’état du droit
Le droit commun applicable sur le territoire national prévoit le caractère suspensif de plein droit du recours juridictionnel dirigé une mesure d’éloignement. « L’obligation de quitter le territoire français ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n’a été accordé, avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n’ait statué s’il a été saisi (183). »
Toutefois, les contraintes propres à la situation de certaines collectivités ultramarines – pression migratoire importante et nombre conséquent de mesures d’éloignement d’étrangers – ont conduit à l’édiction de mesures dérogatoires par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Ainsi, en Guyane et à Saint-Martin, les recours dirigés contre les mesures d’éloignement ne présentent pas de caractère suspensif ; tout plus l’étranger concerné peut-il assortir sa requête d’une demande de sursis à exécution (184). Ce dispositif d’exception avait fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel qui avait estimé qu’il ne portait pas atteinte aux libertés fondamentales et aux droits des personnes (185).
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé différemment. Dans un arrêt de grande chambre du 13 décembre 2012 (186), elle a affirmé que cette dérogation met à mal l’exigence d’effectivité du recours garanti par l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (187).
En l’espèce, un ressortissant brésilien résidant en Guyane depuis douze ans fut interpellé le 25 janvier 2007 au terme d’un contrôle routier qui fit apparaître l’absence de documents d’identité en cours de validité. Le jour même, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et un arrêté de placement en rétention administrative lui furent notifiés. Le lendemain à 15 heures 11, l’intéressé introduisit un recours pour excès de pouvoir assorti d’un référé-suspension. Mais cette requête n’interrompait pas la procédure : il fut reconduit à 16 heures vers Belem, au Brésil. Le soir même, le tribunal administratif de Cayenne examina le référé-suspension et constata qu’il était devenu sans objet. Dès août 2007, l’étranger visé était de retour illégalement en Guyane. Mais le 18 octobre 2007, le tribunal administratif prononça l’annulation de l’arrêté de reconduite à la frontière : l’intéressé vivait en France de longue date, sa mère était titulaire d’une carte de résident et, de surcroît, un contrôle judiciaire lui faisait interdiction de quitter le territoire guyanais.
Dans son arrêt, la Cour observe que la « procédure [de] reconduite à la frontière du requérant a été (…) mise en œuvre selon des modalités rapides, voire expéditives » (§ 96). Elle proclame que « le recours (…) doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat défendeur » (§ 80) et que « une attention particulière doit aussi être prêtée à la rapidité du recours lui-même (…), la durée excessive d’un recours [pouvant] le rendre inadéquat » (§ 81).
Mais si la cour condamne la France en raison du défaut d’effectivité des garanties procédurales, elle confirme que la Convention n’implique pas une exigence générale d’un recours suspensif de plein droit. « La Cour l’a dit à plusieurs reprises, l’article 13 a (…) pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un grief défendable fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié » (§ 78). « La Cour rappelle également que l’article 13 de la Convention ne va pas jusqu’à exiger une forme particulière de recours (188) et que l’organisation des voies de recours internes relèvent de la marge d’appréciation des États » (§ 85), ce d’autant plus que « les conséquences de l’ingérence dans les droits [à la vie privée et familiale] sont en principe réversibles » (§ 43).
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’impose donc aucunement une généralisation du caractère suspensif des recours dirigés contre les mesures d’éloignement décidées outre-mer. Les magistrats reconnaissent « la nécessité pour les États de lutter contre l’immigration clandestine et de disposer des moyens nécessaires pour faire face à de tels phénomènes, tout en organisant des voies de recours interne de façon à tenir compte des contraintes et situations nationales » (§ 97).
Cependant, ces adaptations que nécessitent la situation dans les territoires ultramarins ne sauraient « dénier au requérant la possibilité de disposer en pratique des garanties procédurales minimales adéquates visant à le protéger contre une décision d’éloignement arbitraire » (§ 97). La Cour refuse que perdure un dispositif qui permet, dans la pratique, l’exécution d’une mesure d’éloignement sans que l’étranger ait pu disposer de manière effective du moyen de faire valoir un grief défendable. L’argument tiré du risque d’engorgement des juridictions est inopérant : les États sont astreints « à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences » d’une bonne justice (§ 98).
L’état du droit est donc insatisfaisant : non seulement il ne permet pas une bonne protection des droits et libertés des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement prononcée outre-mer, mais il expose de surcroît la France à de nouvelles condamnations prononcées par le Cour européenne des droits de l’homme. Pour autant, la suppression du dispositif dérogatoire prévu à l’article L. 514-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui aménage la règle du recours suspensif de plein droit sur l’obligation de quitter le territoire français, n’est ni requise par la juridiction européenne, ni souhaitable en l’état : elle impliquerait inéluctablement une paralysie de l’action administrative.
L’article 16 du projet de loi complète le dispositif de l’article L. 514-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il interdit l’exécution d’une mesure d’éloignement avant que le juge administratif, saisi d’un référé liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, n’ait statué sur la tenue de l’audience contradictoire et, dans le cas où il décide de la tenue de cette audience, n’ait rejeté le référé.
Cette procédure apparaît à même de garantir un recours effectif aux intéressés. D’une part, un éloignement est une mesure contraignante qui peut valablement donner lieu à un référé-liberté. D’autre part, cette procédure permet au juge d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale », donc de surseoir à l’éloignement s’il le juge opportun.
3. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté l’article 16 sans modification.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL164 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. En 2013, en métropole, 7,4 % des personnes enfermées en rétention ont été libérées par un juge administratif constatant la violation de leurs droits. En Guyane ou en Guadeloupe, ce taux n’est que de 0,4 %. À Mayotte, seulement 93 des 16 000 personnes enfermées, parmi lesquelles 3 000 mineurs, ont pu former un référé devant le tribunal administratif.
Le référé liberté pourrait bien n’être qu’une coquille vide si les étrangers retenus sont éloignés avant même d’avoir eu la capacité d’introduire leur recours auprès du tribunal. Il convient donc de fixer un délai minimal d’un jour franc, à compter de la notification de la mesure d’éloignement, pendant lequel cette dernière est suspendue.
M. le rapporteur. Avis défavorable. La situation à Mayotte est trop « extraordinaire » ; les chiffres concernant les éloignements y sont équivalents à ceux que le ministre de l’Intérieur a cités ce matin pour la métropole tout entière.
Si je comprends vos arguments, monsieur Molac, on ne peut pas appliquer à Mayotte les mêmes textes et les mêmes règles qu’en métropole. L’adoption de votre amendement compromettrait fortement la gestion actuelle des kwassa kwassa, ces bateaux qui accostent à Mayotte en provenance des Comores.
M. Paul Molac. N’est-ce pas contraire à notre Constitution qui veut que la loi s’applique de la même façon sur tout le territoire de la République ? Partisan d’un fédéralisme différencié, j’avoue que le raisonnement ne me gêne pas. Mais lorsque je propose des dispositions de cette nature, on m’oppose souvent cet argument.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Vous n’êtes pas sans savoir que la plupart des textes que nous examinons comportent des mesures d’adaptation aux spécificités ultramarines.
La Commission rejette l’amendement.
Elle est saisie de l’amendement CL72 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Dans le même esprit, parce qu’il ne servirait à rien d’instituer un recours impossible à exercer faute de temps, je propose d’introduire un délai d’un jour franc à partir de la notification de l’OQTF pour introduire le référé liberté. Si l’exécution forcée de l’éloignement intervient immédiatement après la notification, comment le recours pourrait-il être matériellement possible ? Qui plus est, cela constitue pour l’administration une incitation à différer la notification jusqu’au moment où elle est prête à exécuter l’éloignement.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 16 sans modification.
Article 17
(art. L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Compatibilité de la directive Retour et des engagements internationaux conclus antérieurement
1. L’état du droit
L’article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que, par dérogation au droit commun, l’étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui a pénétré en France sans visa ou qui y a séjourné sans titre peut être remis aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les États membres de l’Union européenne. Il s’agit alors d’une procédure de « remise » et non de « retour » au sens de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour.
La directive précise toutefois, au paragraphe 3 de son article 6, que cette procédure n’est possible qu’en « vertu d’accords ou d’arrangements bilatéraux existant à la date d’entrée en vigueur de la présente directive », soit au 13 janvier 2009. Cette condition n’est pas retranscrite dans la loi française.
L’article 17 du projet de loi complète donc l’article L. 531-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin qu’il mentionne explicitement que ne sont applicables que les accords et arrangements bilatéraux entre les États membres pour la réadmission des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui ont été conclus antérieurement au 13 janvier 2009.
2. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté l’article 17 sans modification.
*
* *
La Commission adopte l’article 17 sans modification.
Article 17 bis (nouveau)
(art. L. 513-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Reconduite vers un pays tiers à l’Union européenne dont l’étranger n’a pas la nationalité
L’article 17 bis est issu d’un amendement du Gouvernement adopté par la commission des Lois avec l’avis favorable du rapporteur. Il modifie l’article L. 513-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif à la destination vers laquelle un éloignement peut avoir lieu :
– un État dont l’étranger détient la nationalité ;
– un État qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ;
– un État dans lequel il est légalement admissible.
Le dispositif assure la complète transposition de l’article 3 de la directive Retour. Celui-ci précise qu’un éloignement vers un pays dont l’étranger n’est pas un national est seulement envisageable en vertu d’accords ou d’arrangements de réadmission, européens ou bilatéraux, conclu avec l’État concerné. À défaut, l’étranger doit donner son accord à cette reconduite vers un autre pays que le sien.
*
* *
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL281 rectifié du Gouvernement.
Chapitre II
Conditions de mise en œuvre des décisions d’éloignement
Article 18
(art. L. 513-5 [nouveau], L. 523-1, L. 531-2, L. 531-2-1 [nouveau], L. 531-3 et L. 541-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Escorte de la force publique en cas d’assignation à résidence
1. L’état du droit
Une décision administrative d’éloignement peut être mise en œuvre suivant trois modalités différentes. La première ne requiert aucune intervention après la délivrance de l’arrêté : elle suppose que l’intéressé défère spontanément à l’obligation qui lui est faite de quitter le territoire français.
En revanche, si l’étranger en instance d’éloignement ne montre aucune intention de quitter l’espace européen pour rejoindre le territoire d’un État tiers, une reconduite à la frontière doit être diligentée. Afin de disposer du temps nécessaire aux préparatifs de son exécution, deux dispositifs sont prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : le placement en rétention d’une part, l’assignation à résidence d’autre part.
a. La rétention administrative
La rétention d’un étranger dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire fait l’objet des articles L. 551-1 à L. 555-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le centre de rétention administrative (CRA), créé par la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, est le bâtiment surveillé dans lequel l’administration retient, pour une durée limitée et sous contrôle juridictionnel, les étrangers faisant l’objet d’une procédure d’éloignement et ne pouvant pas quitter immédiatement la France.
En 2014, il existait vingt-cinq centres de rétention administrative sur l’ensemble du territoire national comptant 1 755 places – dont 184 outre-mer.
D’après l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement peut être placé dans un centre de rétention administrative.
Les articles L. 511-4 et L. 521-4 du même code confèrent à certaines personnes, notamment aux mineurs isolés, une protection totale contre les mesures de reconduite à la frontière (189). La loi et la jurisprudence nationales permettent cependant qu’un mineur accompagné de ses parents soit retenu avec eux (190). La Cour européenne des droits de l’homme a porté sur ce point une appréciation dissonante en condamnant la France pour la rétention de mineurs accompagnés pour des raisons tenant tout à la fois à leur bas âge, au caractère inadapté des structures de rétention à leurs besoins, à la durée de leur enfermement et à la nécessité de « limiter autant que faire se peut la [r]étention de familles accompagnées d’enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale (191) ». Sans écarter donc le principe d’une rétention de mineurs, la Cour encourage fortement les États à privilégier d’autres modalités d’exécution des décisions d’éloignement concernant leurs parents.
L’article L. 554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile édicte le principe selon lequel un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ.
La décision préfectorale de placement en rétention vaut pour cinq jours. Passé ce délai, le juge des libertés et de la détention (JLD) (192) est saisi aux fins de prolongation de la rétention (193). Il peut décider d’assigner l’étranger à résidence à titre exceptionnel, de le libérer lorsque les circonstances le justifient ou d’ordonner son maintien en rétention pour vingt jours supplémentaires. Sa décision est susceptible d’appel.
Une deuxième prolongation de vingt jours n’est accordée par le juge des libertés et de la détention que sous certaines conditions : l’obstruction délibérée du retenu sur son identité, la perte ou la destruction de ses documents de voyage ou encore l’échec de l’exécution de la mesure d’éloignement en dépit des diligences de l’administration.
La rétention peut donc finalement atteindre quarante-cinq jours depuis la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, contre trente-deux jours auparavant. Au-delà de ce délai, l’étranger est obligatoirement remis en liberté (194). L’allongement de la durée de la rétention de droit commun de trente-deux à quarante-cinq jours était essentiellement motivé par les difficultés de la coopération consulaire. Interrogés dans le cadre d’une mission d’information parlementaire (195), les services du ministère de l’Intérieur ont indiqué qu’une « des principales entraves à l’exécution des reconduites d’étrangers en situation irrégulière tient en effet à la difficulté d’obtenir de la part des autorités consulaires compétentes les laissez-passer nécessaires pour que les étrangers soient acceptés dans leurs pays de renvoi. Les raisons de cette situation sont diverses (aussi bien politiques et conjoncturelles que parfaitement objectives, fondées sur la difficulté réelle d’identifier les personnes et s’assurer de leur nationalité)... Une durée suffisante de rétention contribue ainsi à offrir le temps nécessaire au déroulement des procédures d’instruction (vérifications sur pièces, auditions, consultation des autorités centrales nationales) préalables à la prise de décision par l’autorité consulaire. »
Si une durée de quarante-cinq jours peut apparaître excessive pour une rétention administrative, deux éléments viennent tempérer ce premier jugement :
– d’une part, la comparaison de la situation de la France avec le droit de ses partenaires européens montre que celle-ci se classe parmi les États les plus modérés : le délai est de soixante jours en Espagne, de deux mois au Portugal et en Italie, de six mois en Autriche, de huit mois en Belgique et de dix-huit mois en Allemagne. Quant à la Finlande, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ils ne connaissent aucune limitation de durée. Les difficultés rencontrées par la France pour exécuter les décisions d’éloignement sont donc partagées par ses partenaires, qui n’hésitent pas à recourir à des mesures privatives de liberté plus importantes ;
– d’autre part, peu d’étrangers en attente de leur éloignement demeurent effectivement en centre de rétention plus d’un mois (196). Comme l’indiquent les associations dans leur publication tirant le bilan de l’année 2013 (197), « en rétention, la grande majorité des personnes est éloignée durant les premiers jours. Outre-mer, la quasi-totalité des expulsions est réalisée dans les cinq premiers jours, voire souvent dans les premières heures. En métropole, 65 % des personnes ont embarqué dans les dix premiers jours. » En métropole toujours, 1 587 personnes ont été retenues entre quarante et quarante-cinq jours pour 263 expulsions, soit un taux d’éloignement de l’ordre de 16 %. Peu d’étrangers sont donc concernés par cette extension de trente-deux à quarante-cinq jours que les services consulaires continuent de juger indispensable dans leurs échanges avec leurs homologues.
Toutefois, il est apparu que certaines préfectures font sciemment le choix de placer en rétention jusqu’au terme du délai légal des étrangers dont elles ont la certitude qu’ils ne seront pas éloignés. Dans les centres de rétention interdépartementaux, c’est une façon pour l’autorité administrative de s’assurer de la disponibilité d’une place pour la personne qui fera l’objet d’une prochaine décision de rétention. Votre rapporteur s’insurge contre cette pratique attentatoire au droit qui conduit un étranger à subir une mesure restrictive de liberté plus longtemps qu’il n’est strictement nécessaire. Il appelle le Gouvernement à mettre fin à cette mauvaise habitude de gestion de certains services préfectoraux.
Les centres de rétention administrative proposent des conditions d’accueil, d’accompagnement et d’information fixées par l’article R. 553-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Leur capacité d’accueil ne peut excéder 140 places et ils doivent proposer une surface minimale de dix mètres carrés par retenu, des chambres non mixtes, des équipements sanitaires et un téléphone en libre accès, une restauration collective, des locaux de loisirs et de détente, des locaux dédiés aux médecins, aux avocats, aux associations, aux visites familiales et consulaires.
Certains centres de rétention administrative peuvent accueillir des familles. Ils comptent alors des équipements spécifiques comme des chambres aménagées.
Ces conditions font l’objet d’un contrôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à l’occasion de ses visites des locaux.
Le contentieux de la rétention administrative est caractérisé par l’enchevêtrement des compétences des juridictions administrative et judiciaire.
– le placement en rétention étant décidé par le préfet, l’examen de la légalité de la décision relève du juge administratif, saisi par l’étranger, qui peut à cette occasion contester également l’obligation de quitter le territoire français dont il fait l’objet ainsi que toutes les décisions qui lui sont assorties ;
– la rétention administrative étant une privation de liberté, sa prolongation est soumise à l’examen du juge des libertés et de la détention qui vérifie la régularité de la procédure depuis l’interpellation jusqu’à la rétention proprement dite.
Alors que le faible taux d’exécution des mesures d’éloignement résultait pour plus d’un quart des cas du refus de prolonger la rétention opposé par le juge des libertés et de la détention, la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a inversé l’ordre d’intervention des juges. L’action devant le juge administratif a été accélérée par l’ouverture d’une voie de recours spécifique : saisi dans les 48 heures suivant la notification de la mesure de placement en rétention, le juge administratif statue dans les 72 heures. Au contraire, l’autorisation de prolongation de la rétention par le juge judiciaire a été repoussée du deuxième au cinquième jour (198).
Par ailleurs, la même loi du 16 juin 2011 a limité les pouvoirs du juge judiciaire. L’article L. 552-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise qu’aucune irrégularité antérieure à l’audience relative à la première prolongation de la rétention ne peut être soulevée lors de l’audience relative à la seconde prolongation : les éventuelles nullités de procédure se trouvent purgées. En outre, le juge ne peut examiner que les irrégularités de procédure qui ont porté atteinte aux droits de l’étranger (199).
La réforme du 16 juin 2011 a provoqué un éloignement du juge judiciaire dont peut profiter l’administration pour procéder à des éloignements sans exercice des voies de recours ouvertes aux retenus. Pour 2013, les associations indiquent que 54 % des personnes éloignées de métropole l’ont été sans contrôle du juge judiciaire. Outre-mer, ce pourcentage atteindrait 99 % (200). Le contrôle du juge administratif, plus rapide, ne saurait constituer une substitution parfaite : celui-ci refuse effectivement de connaître des conditions d’interpellation de l’étranger, qu’il estime au cœur de la compétence judiciaire.
L’étude d’impact annexée au projet de loi indique que le coût global de la rétention administrative, soit le fonctionnement hôtelier et l’entretien immobiliers des espaces de rétention et les frais d’accompagnement humanitaire, juridique et linguistique des retenus a représenté en 2013 une enveloppe globale de 37,95 millions d’euros, soit près de 59 % des dépenses totales de l’action « Lutte contre l’immigration irrégulière » du programme 303 « Immigration et asile ».
Le coût par retenu, hors investissement et éloignement, se monte en 2013 à 1 846 euros selon l’étude d’impact jointe au projet de loi. Or, en 2009, la Cour des comptes établissait le coût de la rétention en centre de rétention administrative en métropole, « hors dépenses d’interpellation, d’éloignement et de justice, (…) à 5 550 euros par retenu (201) ». Certes, les exercices budgétaires et les périmètres de référence diffèrent, mais quelle est la part de cette divergence qu’il convient d’imputer à la rapidité et aux conditions peu respectueuses des libertés des personnes des procédures mises en œuvre outre-mer ?
b. L’assignation à résidence
L’assignation à résidence d’un étranger en attente d’éloignement fait l’objet des articles L. 561-1 à L. 563-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’assignation à résidence concerne l’étranger qui se trouve dans l’impossibilité de quitter la France, ne parvient pas à regagner son pays d’origine et ne peut se rendre dans aucun autre pays. Il se trouve dans l’une de ces situations : il fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français sans délai ou dont le délai est expiré ; il doit être remis aux autorités d’un État membre de l’Union européenne ; il doit être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction de retour, d’une interdiction judiciaire du territoire ou d’un arrêté de reconduite à la frontière ; il a fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de non admission par un autre pays membre de l’Union européenne.
L’autorité administrative peut, jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation, l’autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l’assignant à résidence.
L’étranger doit résider dans les lieux qui lui sont fixés et se présenter périodiquement aux forces de l’ordre. Il peut être tenu de remettre à l’administration les documents d’identité ou de voyage qu’il possède en échange d’un récépissé lui permettant de justifier de son identité dans l’attente de son éloignement. En cas de menace pour la sécurité et l’ordre publics, une interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes peut s’attacher à l’assignation à résidence.
Si l’étranger assigné à résidence est parent d’un enfant mineur résidant en France dont il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation, la loi autorise l’autorité administrative à prendre une décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique avec son accord. En l’absence de décret d’application, cette mesure n’a cependant jamais été appliquée.
L’expression « assignation à résidence » regroupe deux mécanismes distincts : l’assignation dite de longue durée est prévue par l’article L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; l’assignation dite de courte durée de l’article L. 562-2 du même code qui constitue une alternative à la rétention.
L’assignation à résidence est dite de longue durée, soit six mois indéfiniment renouvelables, pour l’étranger dans l’impossibilité de quitter la France en raison de son état de santé ou des risques encourus à son retour. La mesure prend acte des circonstances objectives s’opposant provisoirement à l’éloignement en assurant à l’étranger concerné une situation sécurisée prévenant le risque de vérifications répétées.
L’assignation à résidence est dite de courte durée, car limitée à quarante-cinq jours et renouvelable une fois, lorsqu’elle se substitue à la rétention en application de l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou lorsqu’elle est décidée par le juge des libertés et de la détention lors de l’examen de la situation d’un retenu. Elle suppose des garanties de représentation et une perspective raisonnable d’éloignement à court terme.
L’étranger peut contester la décision d’assignation à résidence devant le tribunal administratif. Le recours doit être déposé dans les 48 heures de la notification de la décision pour une assignation de courte durée, dans les deux mois pour une assignation de longue durée.
En 2013, les dépenses de l’assignation à résidence ont atteint 470 000 euros pour 1 618 personnes concernées. L’étude d’impact jointe au projet de loi fait état d’un coût journalier pour un couple variant d’un département à l’autre entre 60 et 100 euros.
Le coût moyen par assignation l’an passé a été de 294 euros. En comparaison du coût moyen par retenu de 1 846 euros, l’assignation apparaît très économique. Toutefois, cette somme n’intègre aucun frais d’assistance humanitaire et sanitaire – contrairement à celle d’une rétention.
c. Le caractère résiduel de l’assignation à résidence par rapport à la rétention
Le bilan annuel des mesures ordonnées pour permettre la préparation de l’exécution de l’éloignement fait apparaître un recours privilégié de l’administration à la rétention au détriment de l’assignation à résidence de courte durée. En effet, en dehors de l’obligation de pointage, de la confiscation des documents d’identité et de l’assignation à résidence proprement dite, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’autorise aucune contrainte sur l’intéressé – même pour préparer son éloignement. Or l’autorité administrative ne dispose pas du pouvoir d’exécution forcée de ses décisions, sauf si la loi l’y autorise explicitement, si l’urgence le commande ou si aucune autre voie de droit ne permet une exécution normale.
PLACEMENTS EN RÉTENTION ET ASSIGNATIONS À RÉSIDENCE ALTERNATIVES
2nd semestre 2011 |
1er semestre 2012 |
2nd semestre 2012 |
1er semestre 2013 |
2nd semestre 2013 | |
Placements en rétention |
12 392 |
14 047 |
9 347 |
11 843 |
12 333 |
Assignation à résidence de courte durée |
248 |
339 |
329 |
479 |
779 |
Source : étude d’impact jointe au projet de loi
Ainsi, si la loi autorise l’autorité administrative à placer un étranger en rétention pour assurer l’exécution forcée d’une décision d’éloignement, la rédaction de la loi conduit à la conclusion que l’administration ne peut pas donner instruction de « retenir » un étranger assigné à résidence.
Alors que l’assignation à résidence alternative à la rétention correspond, comme la rétention, à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement par opposition au retour volontaire de l’étranger, l’exécution d’une OQTF immédiate devrait privilégier l’assignation à résidence de courte durée pour limiter les coûts et les formalités du centre de rétention. Mais dès lors que l’assignation à résidence ne permet pas explicitement de voie d’exécution – sinon une action pénale manifestement hors de proportion eu égard aux enjeux –, elle est pratiquement dépourvue d’intérêt pour les services de l’État qui n’y recourent qu’avec parcimonie : 1 258 assignations en 2013 contre 24 176 placements en rétention.
L’efficience administrative comme les droits des étrangers souffrent de cette rédaction lacunaire du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le projet de loi a pour objet d’y apporter les corrections nécessaires.
2. Les dispositions du projet de loi
Les alinéas 1 et 2 de l’article 18 du projet de loi complètent par un nouvel article L. 513-5 le chapitre III du livre V du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif à l’exécution des OQTF et des IRTF. Celui-ci prévoit, lorsque l’étranger assigné à résidence n’a pas déféré à une demande de l’autorité administrative de se présenter aux autorités consulaires du pays dont il est possiblement originaire pour préparer son retour, de le faire escorter par les forces de l’ordre. Cette contrainte est subordonnée à une exigence de stricte proportionnalité et à l’absence de motif légitime au refus d’obtempérer initial.
Les alinéas 3 à 7 rendent applicable le dispositif précédent aux étrangers faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion (1°), d’une décision de remise à un État membre de l’Union européenne (2°) et d’une reconduite d’office en cas de signalement aux fins de non-admission dans l’espace Schengen ou d’une interdiction judiciaire du territoire français (3°).
3. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté un amendement présenté par le rapporteur instituant un dispositif d’éloignement pour les étrangers ayant bénéficié des conditions d’entrée et de séjour sur le territoire prévues par la directive 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe. Son article 23 prévoit différents cas dans lesquels, après une mobilité entre deux États membres de l’Union européenne à des fins de transfert temporaire intragroupe, le premier État membre d’accueil de ce ressortissant d’un État tiers autorise sa réadmission en provenance du deuxième État membre d’accueil.
Pour transposer cette disposition, il est indiqué à l’article L. 531-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile les cas dans lesquels cet étranger, en situation irrégulière au regard des conditions d’entrée et de séjour sur le territoire français, peut être remis aux autorités compétentes de l’État européen qui l’a accueilli en premier lieu.
*
* *
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL158 de M. Paul Molac.
Elle examine ensuite l’amendement CL173 de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Il s’agit de mettre en place un délai qui permette d’examiner la situation de santé d’une personne dans la phase d’exécution de la mesure d’expulsion dont elle fait l’objet.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Je crains que la mesure proposée n’ait un effet pervers : les personnes concernées pourraient être tentées de se mutiler pour éviter l’expulsion.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL252 du rapporteur.
M. le rapporteur. Comme certains des amendements que je vous ai présentés ce matin, celui-ci vise à transposer des dispositions de la directive 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 18 modifié.
Après l’article 18
La Commission est saisie de l’amendement CL159 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. De nombreuses personnes étrangères protégées contre un arrêté d’expulsion et ayant obtenu l’abrogation de cette mesure se heurtent à un refus de délivrance de carte de séjour. Elles forment ainsi une nouvelle catégorie de personnes « ni expulsables ni régularisables » et vivent en France sans titre de séjour ou sous couvert d’autorisations provisoires de séjour qui ne permettent pas leur bonne intégration. L’objet de l’amendement est de garantir à ces personnes l’obtention d’un titre de séjour.
M. le rapporteur. Avis défavorable à cette proposition généreuse. Il n’est pas suffisant de remplir des critères de résidence, de santé ou de vie familiale pour bénéficier d’un titre de séjour sans même le demander. Par ailleurs, le Gouvernement m’a signalé qu’un tel dispositif l’obligerait sans doute à attribuer des titres de séjours à des personnes mises en cause dans le cadre de la lutte antiterroriste, ce qui n’est pas souhaitable.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement CL179 rectifié de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Comment une personne qui a vocation à quitter le territoire national, mais qui juridiquement ne peut pas être expulsée, peut-elle vivre dans des conditions normales ? Dès lors que nous ne sommes pas en mesure d’exécuter l’arrêté d’expulsion les concernant, il faut donner aux étrangers assignés à résidence la possibilité de travailler dans les limites de cette assignation.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Les personnes assignées à résidence ont précisément vocation à quitter le pays : il n’est donc pas souhaitable qu’elles puissent avoir accès à des outils d’intégration, en particulier à un travail. Ce serait même contradictoire avec le principe et l’objectif de l’assignation.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL174 rectifié de M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Les personnes étrangères qui justifient aujourd’hui de leur appartenance aux catégories protégées contre un arrêté d’expulsion pris alors qu’elles n’étaient pas protégées doivent bénéficier d’une mesure d’assignation à résidence de façon à pouvoir solliciter l’abrogation de cet arrêté.
M. le rapporteur. Je ne comprends pas bien la logique de cet amendement. L’article L. 523-5 du CESEDA dispose que tous les étrangers frappés d’une mesure d’expulsion, qu’ils soient protégés ou non, peuvent bénéficier du régime de l’assignation à résidence, plus souple que celui de la rétention. Votre amendement restreint le champ de cette disposition aux seuls étrangers protégés.
M. Denys Robiliard. L’assignation à résidence n’est qu’une possibilité. Là est toute la question car les étrangers n’en bénéficient pas nécessairement. Du reste, le mot « bénéfice » n’est peut-être pas le plus adapté s’agissant d’une mesure qui permet l’exécution d’un arrêté d’éloignement.
En l’espèce, nous avons affaire à cette catégorie d’étrangers « ni ni », qui ne sont pas assignés à résidence et qui ne peuvent pas déposer régulièrement une demande d’abrogation de la mesure d’expulsion. Cet amendement vise à mettre fin à des situations quelque peu kafkaïennes que nous rencontrons sur le terrain. Si vous pensez qu’une autre rédaction permettrait d’y parvenir, j’y travaillerai.
M. le rapporteur. Cela me paraît nécessaire, car les dispositions que vous défendez ne sont pas contraignantes.
L’amendement est retiré.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL160 de M. Paul Molac et CL175 rectifié de M. Denys Robiliard.
M. Paul Molac. Les personnes étrangères qui ont fait l’objet d’une peine d’interdiction du territoire avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 novembre 2003 doivent pouvoir obtenir le relèvement de cette peine s’ils justifient que, à la date de son prononcé, ils appartenaient aux catégories aujourd’hui protégées contre une interdiction du territoire français. Un nombre important de personnes se trouve toujours sous la menace constante d’un éloignement du territoire.
M. Denys Robiliard. Il s’agit de permettre à ceux qui ont été frappés par une double peine, mais auxquels elle ne peut désormais plus s’appliquer en vertu de la loi Sarkozy du 26 novembre 2003, de bénéficier de façon systématique de ce dernier texte. La loi doit indiquer qu’ils sont relevés de l’interdiction du territoire dont ils ont été l’objet.
M. le rapporteur. L’interdiction judiciaire de territoire peut être prononcée soit pour une durée maximale de dix années, soit définitivement. Dans les faits, le premier cas concerne les délits, le second les crimes les plus graves.
Les personnes qui ont été interdites du territoire pour une durée maximale de dix années avant 2003, soit il y a plus de douze ans, ont aujourd’hui la possibilité de revenir en France. Ce n’est pas le cas de celles à l’encontre desquelles une interdiction définitive a été prononcée, qui ont commis les crimes les plus graves. L’adoption des amendements leur permettrait de revenir sur le sol national. Je ne suis pas certain que ce soit le but recherché. Je demande le retrait des amendements.
M. Denys Robiliard. Je ne fais pas la même analyse juridique que notre rapporteur mais je suis prêt à retirer mon amendement afin de vérifier cela.
Les amendements CL160 et CL175 sont retirés.
Article 19
(art. L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Priorité de l’assignation à résidence
1. L’état du droit
L’article 19 du projet de loi réécrit l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif au placement en rétention. Il doit être lu en combinaison avec l’article 22 du projet de loi qui, quant à lui, procède de même avec l’article L. 561-2 du même code sur l’assignation à résidence de courte durée.
La logique rédactionnelle de ces deux articles est inversée. Alors que l’actuel code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile décrit la procédure relative à la rétention et procède par exception pour définir l’assignation à résidence, les articles issus du présent projet de loi inscrivent les détails de la procédure dans la disposition relative à l’assignation à résidence et procèdent par renvoi pour la définition de la rétention.
L’alinéa 2 prévoit par conséquent que l’étranger en attente d’éloignement peut être placé en rétention pour une durée de cinq jours par l’autorité administrative s’il ne présente pas les garanties de représentation propres à éviter le risque d’une soustraction.
L’alinéa 3 correspond au 8° de l’actuelle rédaction. Il impose un délai de sept jours entre la décision et le terme d’une précédente rétention afin d’éviter une succession ininterrompue de rétentions imposées à un même individu.
2. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Marie-Anne Chapdelaine encadrant strictement les conditions dans lesquelles les dispositions relatives à la rétention sont applicables à l’étranger accompagné d’un enfant mineur de moins de treize ans.
À la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Popov précédemment cité, le régime de rétention applicable aux mineurs a été précisé par la circulaire n° NOR INTK1207283C du 6 juillet 2012, relative à la mise en œuvre de l’assignation à résidence prévue à l’article L. 561-2 du CESEDA en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l’article L. 551-1 du même code. Aux termes des consignes données par le ministre de l’Intérieur, la rétention ne devait être prononcée qu’en cas d’échec des dispositifs d’aide au retour volontaire et d’assignation à résidence, durant un temps aussi bref que possible et dans des conditions adaptées.
La commission des Lois a souhaité aller plus loin en inscrivant dans la loi que la rétention est limitée aux cas de violation d’une précédente mesure d’assignation à résidence, aux situations de fuite ou de résistance lors d’une précédente tentative d’éloignement, ou à des modalités de transfert si lourdes qu’une rétention limitée à quarante-huit heures apparaît préférable. Elle a également commandé à l’autorité administrative de toujours prendre en considération en priorité l’intérêt de l’enfant.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL46 de M. Éric Ciotti.
M. Guy Geoffroy. Cet amendement vise à supprimer l’article 19 qui fait de l’assignation à résidence la mesure de droit commun de contrainte avant éloignement. Alors que le ministre de l’Intérieur a clairement indiqué au début de nos travaux que l’éloignement effectif des personnes en situation irrégulière constituait l’un des enjeux principaux du projet de loi, je crains que l’assignation à résidence soit plus propice à un évanouissement dans la nature des personnes concernées par une décision de reconduite à la frontière.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Le Gouvernement souhaite privilégier l’assignation à résidence plutôt que la rétention car, comme l’a dit le ministre, il ne s’agit pas d’enfermer des délinquants. Un certain nombre de dispositions du texte encadrent l’assignation à résidence afin de la rendre plus effective.
Qui plus est, il ressort de l’étude d’impact que l’assignation à résidence remplit le même office que la rétention pour un coût dix-huit fois moindre. Nous serions idiots de nous en passer !
M. Guy Geoffroy. J’accepte volontiers l’argument budgétaire mais je considère que le premier n’est pas acceptable. La rétention administrative ne fait pas des étrangers des délinquants. En tout cas, ce n’est pas ce que nous défendons en préférant ce mode de placement. J’invite le rapporteur à modérer ses propos !
Dans l’esprit du texte, et conformément à ce que j’ai compris des propos du ministre, tout ce qui peut permettre un éloignement effectif doit être privilégié. En conséquence, je maintiens mon amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL161 de M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Le juge des libertés et de la détention doit pouvoir vérifier les conditions de placement des personnes en centre de rétention dans les quarante-huit heures suivant ce placement plutôt qu’après cinq jours, comme cela est le cas aujourd’hui. Cette mesure est préconisée à la fois dans le rapport de M. Matthias Fekl et par la CNCDH.
M. le rapporteur. Le ministre de l’Intérieur a annoncé que nous discuterons dans les jours qui viennent sur un « paquet global » des questions relatives à la rétention. Je n’ai jamais caché qu’à titre personnel, j’étais favorable, comme Matthias Fekl, à l’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention après quarante-huit heures. Les mots prononcés par le ministre ce matin m’ont rempli d’optimisme quant à la possibilité de parvenir à un accord. C’est pourquoi je demande à tous ceux qui ont déposé des amendements sur le sujet de bien vouloir les retirer.
L’amendement est retiré.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL162 de M. Paul Molac.
Elle examine l’amendement CL51 de Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Sous la majorité précédente, le nombre de mineurs en rétention avait plus que doublé en six ans. Ignorant la jurisprudence européenne et les droits de l’enfant, le pouvoir refusait de mettre fin à cette situation.
Il vous est proposé d’affirmer, sous certaines réserves car on ne peut pas tout exclure, que la place des enfants n’est pas en centre de rétention et qu’il est préférable, les concernant, de privilégier l’assignation à résidence ou tout autre moyen.
M. le rapporteur. Je suis très favorable à l’amendement. La rétention des mineurs a valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme. En 2012, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls l’a fortement encadrée par circulaire. Il est bon de le faire aussi par la loi et de limiter ainsi cette pratique.
La Commission adopte l’amendement.
L’amendement CL176 de M. Denys Robiliard est retiré.
La Commission adopte l’article 19 modifié.
Après l’article 19
La Commission est saisie de l’amendement CL96 de Mme Sandrine Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. L’objectif de cet amendement était de faire cesser les situations scandaleuses que favorisait l’intervention du juge des libertés et de la détention dans les centres de rétention au bout de cinq jours. Mais j’ai entendu l’appel du rapporteur et je fais confiance au Gouvernement pour réduire ce délai : je le retire.
L’amendement est retiré.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL165 de M. Paul Molac et CL97 de Mme Sandrine Mazetier.
M. Paul Molac. L’amendement CL165 propose de revenir à la situation d’avant 2011 concernant la durée de la rétention, les quarante-cinq jours actuels semblant totalement disproportionnés. L’éloignement du territoire intervient avant la fin du septième jour de rétention pour 85 % des personnes, le taux s’affaiblissant après le trente-deuxième jour. C’est ainsi qu’en 2013, sur les 1 587 personnes ayant subi plus de quarante jours d’enfermement dans les centres de rétention de métropole, 263 seulement ont été expulsées.
Le raccourcissement de la durée maximale de rétention est une recommandation de la CNCDH. Cette proposition figure également dans le rapport de M. Matthias Fekl.
Mme Sandrine Mazetier. La durée de la rétention a été allongée sans bénéfice aucun. Il faut sérieusement se pencher sur ce sujet qui relève d’une sorte de fétichisme. J’ai bien compris que le rapporteur nous annonçait des évolutions en la matière. En attendant, j’accepte de retirer mon amendement d’ici à la séance publique.
L’amendement CL97 est retiré.
M. le rapporteur. Je demande aussi le retrait de l’amendement CL165 au bénéfice des discussions qui auront lieu avec le Gouvernement d’ici à la séance publique.
L’amendement CL165 est retiré.
Article 19 bis (nouveau)
(art. L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Fin du caractère exceptionnel de l’assignation à résidence judiciaire
Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que, lors de sa première saisine à fin de vérification des conditions d’une rétention, le juge des libertés et de la détention peut, « à titre exceptionnel », ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives, après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé sur lequel est portée la mention de la mesure d’éloignement en instance d’exécution.
À l’initiative de Mme Marie-Anne Chapdelaine, la commission des Lois a souhaité supprimer le caractère exceptionnel de cette mesure, ce qui est cohérent avec la volonté exprimée par le Gouvernement de privilégier l’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention dans la perspective d’un éloignement.
*
* *
La Commission en vient à l’amendement CL50 de Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Conformément à l’esprit du projet de loi qui entend faire de la rétention une mesure de dernier recours, l’amendement reprend la proposition n° 25 du rapport de M. Matthias Fekl selon laquelle l’assignation à résidence ne doit pas seulement être prononcée à titre exceptionnel, mais dès qu’il est possible d’envisager une alternative à la rétention dans le cadre d’une procédure d’éloignement.
M. le rapporteur. C’est au profit du présent amendement que je m’étais prononcé défavorablement à un amendement précédent du Gouvernement.
La Commission adopte l’amendement.
Article 20
(art. L. 554-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Assignation à résidence consécutive à la rétention
1. L’état du droit
Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 554-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que l’obligation de quitter le territoire français est rappelée à l’étranger dont la rétention prend fin, soit par le juge des libertés et de la détention s’il a décidé sa libération, soit par le chef du centre de rétention si la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée.
L’article 20 du projet de loi complète cette disposition en indiquant qu’une assignation à résidence de courte durée peut succéder immédiatement à la rétention à laquelle il est mis fin. En effet, cette mesure ne constituant pas une privation de liberté, elle peut valablement être imposée dès la sortie du centre de rétention.
Cet enchaînement demeure naturellement exclu si la rétention s’achève à la suite d’une annulation de la mesure d’éloignement par la juridiction administrative.
2. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté l’article 20 sans modification.
*
* *
La Commission adopte l’article 20 sans modification.
Article 21
(art. L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Limitation de l’assignation à résidence en cas de report de l’éloignement
1. L’état du droit
En conformité avec la directive Retour, l’article L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit une assignation à résidence de longue durée lorsque l’étranger objet d’une OQTF justifie d’une impossibilité à y déférer. L’intéressé reçoit une autorisation de maintien provisoire sur le territoire français pour une période de six mois.
Mais la loi n’a pas posé de réelle limitation dans le temps : la mesure est « prise pour une durée maximale de six mois et renouvelée une fois ou plus dans la même limite de durée ». Cette situation n’est pas satisfaisante au regard des droits fondamentaux des personnes qui pourraient être assignées à résidence en permanence par une simple décision de l’administration.
2. Les dispositions du projet de loi
L’article 21 du projet de loi modifie l’article L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’alinéa 2 supprime la mention d’une dérogation à l’article L. 551-1 relatif au placement en rétention, auquel les articles 19 et 22 du projet de loi retirent son caractère de disposition de droit commun. Au reste, l’assignation à résidence de longue durée ne répond pas aux mêmes objectifs que la rétention et l’assignation à résidence de courte durée : la première est prononcée quand l’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait ; les secondes ont vocation à s’assurer de la personne de l’étranger dans la perspective de son éloignement prochain.
Les alinéas 4 et 5 précisent que la période de six mois d’assignation à résidence ne peut être renouvelée qu’à une seule reprise. Si l’impossibilité de l’éloignement demeure à ce terme, un réexamen global de la situation de l’intéressé est ordonné. En cas d’absence persistante de droit au séjour à l’issue de cette actualisation, l’autorité administrative prononce une nouvelle obligation de quitter le territoire français.
La limitation dans le temps de l’assignation à résidence de longue durée ne concerne ni les interdictions judiciaires de territoires ni les arrêtés d’expulsion. Par ailleurs, le renouvellement de la période de six mois demeure possible aussi longtemps que l’étranger est sous le coup d’une interdiction de circulation ou d’une interdiction de retour sur le territoire français.
L’alinéa 6 fait obligation à l’étranger assigné à résidence pour une longue durée de se présenter aux autorités consulaires lorsque l’administration le lui demande. Il s’agit d’une évolution de cohérence avec l’article 18 du projet de loi qui prévoit le recours à la force publique en cas de refus de présentation dans la situation voisine d’une assignation à résidence de courte durée.
Enfin, l’alinéa 3 procède à une coordination rendue nécessaire par l’article 15 du projet de loi.
3. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté l’article 21 sans modification.
*
* *
La Commission adopte l’article 21 sans modification.
Article 22
(art. L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Conditions de l’assignation à résidence de courte durée
1. L’état du droit
L’article 22 du projet de loi procède à la réécriture de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif aux assignations à résidence de courte durée. Il tire les conséquences de l’article 19 du projet de loi, qui a retiré au placement en rétention de l’article L. 551-1 du même code son caractère de mesure de droit commun, en complétant le dispositif juridique pour le rendre plus efficace dans la perspective de l’exécution d’un éloignement.
Les alinéas 2 à 9 précisent les diverses hypothèses dans lesquelles un étranger dont l’éloignement constitue une perspective raisonnable peut faire l’objet d’une assignation à résidence. Les sept situations visées correspondent aux huit critères pour lesquels l’actuel article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit un placement en rétention ; seul disparaît le cas de l’étranger objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière – mécanisme supprimé par l’article 14 du projet de loi.
L’alinéa 10 applique à l’assignation à résidence de courte durée plusieurs éléments du régime de l’assignation à résidence de longue durée précisé à l’article 21 du projet de loi : une motivation de la décision administrative et une sanction pénale en cas de violation des obligations imposées parmi lesquelles un pointage régulier auprès des forces de l’ordre, une remise des documents d’identité contre récépissé, un déplacement sous escorte vers le lieu de l’assignation et une présence devant les autorités consulaires dès que celles-ci le sollicitent.
L’alinéa 11 prévoit que l’étranger assigné à résidence qui ne donne plus de garanties suffisantes de représentation, qui enfreint ses obligations ou qui a tenté de prendre la fuite, fait l’objet d’un placement en rétention.
Les alinéas 12 à 17 instituent un mécanisme d’intervention des forces de l’ordre au domicile de l’étranger. En effet, l’une des difficultés inhérentes à la procédure actuelle d’assignation à résidence tient à la protection du domicile dont bénéficie l’intéressé face à toute mesure contraignante. La Cour européenne des droits de l’homme a adopté une jurisprudence très stricte exigeant un contrôle juridictionnel rigoureux, et si possible préalable, pour toute perquisition du domicile (202).
Le dispositif est prévu en conséquence : l’autorité administrative sollicite du juge des libertés et de la détention l’autorisation d’employer la force publique pour s’assurer de l’intéressé, le placer en rétention ou diligenter son éloignement. Le juge statue dans les vingt-quatre heures par ordonnance motivée exécutoire pendant quatre-vingt-seize heures, notifiée à l’étranger ou à l’occupant des lieux le cas échéant. Le juge peut venir sur les lieux vérifier le respect des dispositions légales. L’intervention policière ne peut avoir lieu avant 6 heures ou après 21 heures ; son déroulement est consigné sur procès-verbal. Un appel est possible auprès du premier président de la cour d’appel.
2. La position de la commission des Lois
La commission des Lois a adopté, sur proposition de votre rapporteur, dix amendements rédactionnels et de coordination. Elle a ensuite adopté l’article 22.
*
* *
La Commission adopte successivement l’amendement de coordination CL253, l’amendement rédactionnel CL209, l’amendement de cohérence rédactionnelle CL210, les amendements rédactionnels CL211 et CL212, les amendements de précision CL213 et CL214, l’amendement rédactionnel CL215, l’amendement de cohérence CL216, l’amendement de précision CL217 et l’amendement rédactionnel CL218, tous du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 22 modifié.
Chapitre III
Dispositions diverses
Article 23
(art. L. 221-6 et L. 553-7 [nouveaux] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Principe de l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention
Le présent article insère, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), deux nouveaux articles L. 221-6 et L. 553-7, qui ont pour objet de permettre l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention administrative.
En l’état, aucun texte n’interdit ni n’autorise l’accès des journalistes en ces lieux, laissant à l’administration un pouvoir discrétionnaire d’appréciation des demandes d’accès. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (203) est sans ambiguïté : l’interdiction absolue de filmer au sein d’une prison est prohibée, parce qu’elle est contraire à la liberté d’information, composante de la liberté d’expression.
À ce jour, seuls sont autorisés, aux termes de l’article 719 du code de procédure pénale, à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires, les députés et les sénateurs ainsi que les représentants au Parlement européen élus en France.
Les journalistes peuvent solliciter l’accès pour rencontrer un ou des retenus nommément désignés, au même titre que les membres de sa famille. Les modalités de contrôle des visites sont alors précisées par l’arrêté du 2 mai 2006 pris en application de l’article 4 du décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d’attente pris en application des articles L. 111-9, L. 551-2, L. 553-6 et L. 821-5 du CESEDA et les instructions ministérielles du 15 décembre 2008 et du 1er décembre 2009. Selon ces textes, le règlement intérieur de chaque lieu de rétention prévoit l’obligation de se soumettre aux contrôles de sécurité, les jours et horaires de visite ainsi que le déroulement de celles-ci dans des locaux réservés.
De manière plus générale, si les journalistes souhaitent accéder à un lieu de rétention administrative pour en visiter les locaux et non pas pour y rencontrer une ou plusieurs personnes en particulier, ils doivent adresser une requête au préfet du lieu d’implantation du centre ou du local de rétention. Aucun texte ne définit à ce jour la procédure de demande ni les critères d’appréciation du préfet.
L’absence de textes propres à l’accès des journalistes est régulièrement décriée par les associations travaillant aux côtés des étrangers, qui dénoncent l’impossibilité d’accès aux lieux de rétention administrative et aux zones d’attente. Depuis 2011, une campagne intitulée « Open access now » a été lancée par les réseaux associatifs Migreurop et Alternatives Européennes, dénonçant le manque de transparence des lieux de rétention et réclamant le libre accès des journalistes en ces lieux.
L’accès des journalistes est essentiel pour garantir les libertés d’expression et de communication des personnes retenues. Ainsi, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe de la liberté de communication tandis que l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit la liberté d’expression. Ces articles protègent également la liberté d’information et la liberté de la presse, composantes à part entières de la liberté d’expression. La retenue étant une mesure privative de liberté au même titre que la détention, les règles pénitentiaires européennes (204) ont vocation à s’appliquer dans une certaine mesure. Selon la règle pénitentiaire 24.12, « les détenus doivent être autorisés à communiquer avec les médias, à moins que des raisons impératives ne s’y opposent au nom de la sécurité et de la sûreté́, de l’intérêt public ou de la protection des victimes, des autres détenus et du personnel ». Par analogie, le droit de communication des personnes retenues doit être garanti et c’est le but du présent article.
Le I du présent article crée, dans le CESEDA, un nouvel article L. 221-6, lequel comprend deux alinéas :
— le premier alinéa pose le principe de la faculté désormais reconnue aux journalistes d’accéder aux zones d’attente ; il renvoie, en revanche, à un décret en Conseil d’État le soin de définir les conditions et modalités d’accès aux zones d’attente, d’instaurer à cette fin une procédure d’autorisation préalable et de préciser les motifs de refus qui pourront être opposés à celle-ci. Obligation est notamment faite au pouvoir réglementaire de veiller à concilier le respect de la dignité des personnes présentes en ces lieux – étrangers, personnels permanents, intervenants ponctuels – avec les exigences de sécurité et de fonctionnement des zones d’attente ;
— le second alinéa consacre le droit à l’image reconnu aux personnes présentes en ces lieux. Ainsi, l’autorité administrative ne pourra autoriser la prise d’image qu’avec l’accord préalable de ces personnes. La Commission a adopté un amendement de votre rapporteur conditionnant également la prise de son à l’accord préalable de l’autorité administrative. Une protection spécifique était initialement accordée aux mineurs en garantissant le respect de leur anonymat patronymique et physique. Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement étendant le respect de l’anonymat patronymique et physique aux majeurs, sauf accord contraire exprès de leur part pour lever l’anonymat.
Le II du présent article insère un nouvel article L. 553-7 du CESEDA, applicable aux lieux de rétention administrative. Cet article introduit, de manière identique, un droit d’accès des journalistes dans les lieux de rétention administrative. À l’instar des règles relatives aux zones d’attente, l’accès aux lieux de rétention est encadré dans ses modalités, d’une part, par un décret en Conseil d’État (205) et, d’autre part, par les exigences de respect de la dignité des personnes présentes, de sécurité et de fonctionnement du lieu de rétention (premier alinéa). De plus, cet article autorise, sous certaines conditions, la prise d’image et de son des personnes présentes en ces lieux avec leur accord préalable. Il protège pareillement l’anonymat patronymique et physique des mineurs et, sauf accord contraire exprès de leur part, des majeurs (second alinéa).
Ainsi défini par le présent article, l’accès des journalistes garantira les libertés d’expression et de communication des personnes retenues de même que le droit à la liberté d’information, qui en est une composante à part entière. Le cadre juridique posé par le présent article s’efforce de concilier ces droits et libertés avec les exigences de respect de la dignité des personnes et de sécurité nécessaires au fonctionnement des locaux de rétention.
C’est d’ailleurs au nom du respect de la dignité de la personne humaine que le présent article protège le droit à l’image des personnes maintenues en rétention. Celui-ci – comme, plus largement la préservation de la sécurité – ne devrait permettre d’apporter à la liberté des journalistes de photographier, filmer et enregistrer au sein des établissements visités que des restrictions strictement proportionnées et nécessaires.
Cette conciliation entre le droit à l’image et la liberté d’information des journalistes est précisée, s’agissant des seules personnes détenues, par l’article 41 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 (206). Le présent article introduit une protection similaire sur le principe au sein des zones d’attente et des lieux de rétention administrative suite à l’autorisation d’accès des journalistes. Il s’en écarte sur les modalités compte tenu des différences entre la détention et la rétention. Alors que la rétention est une mesure administrative permettant à l’autorité publique de retenir une personne dans un lieu défini et pour une durée limitée, afin de pouvoir procéder à des investigations et à son éloignement, la détention vise une personne condamnée à une peine de prison ou placée en détention provisoire dans le cadre d’une instruction.
Ainsi, les articles L. 221-6 et L. 553-7 du CESEDA ne définissent aucune règle, contrairement à l’article 41 de la loi pénitentiaire précitée du 24 novembre 2009, concernant l’utilisation de la voix des personnes ou les possibilités de refus par l’autorité administrative de la prise d’images. En revanche, ils vont plus loin, concernant les mineurs, que l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante (207). Alors que ce dernier protège indirectement l’anonymat des mineurs délinquants, le présent article pose directement l’obligation pour les journalistes de respecter l’anonymat patronymique et physique des mineurs et également, sur l’initiative de votre rapporteur, des majeurs, sauf accord contraire exprès de leur part pour lever l’anonymat. Cet article vise donc à concilier la protection du droit à l’image avec les libertés d’expression et de communication.
*
* *
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL200, CL201 et CL202 du rapporteur.
Elle passe ensuite à l’amendement CL203, également du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de préciser que l’accord préalable nécessaire pour la prise d’images en zone d’attente vaut également pour la prise de son : la radio existe encore en 2015 !
La Commission