N° 2625

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

    ONZIÈME LÉGISLATURE

    Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 octobre 2000.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES (1) SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2001 (n° 2585)

TOME VII

RECHERCHE

PAR M. Jean-Pierre Foucher,

Député.

___

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir le numéro : 2624 (annexe n° 37).

Lois de finances

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; M. Jean-Michel Dubernard, M. Jean-Paul Durieux, M. Maxime Gremetz, M. Édouard Landrain, vice-présidents ; M. André Aschieri, Mme Odette Grzegrzulka, M. Denis Jacquat, M. Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; M. Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux-Bacquet, M. Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Pierre Baeumler, M. Pierre-Christophe Baguet, M. Jean Bardet, M. Jean-Claude Bateux, M. Jean-Claude Beauchaud, Mme Huguette Bello, Mme Yvette Benayoun-Nakache, M. Serge Blisko, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Jean-Claude Boulard, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Danielle Bousquet, Mme Christine Boutin, M. Jean-Paul Bret, M. Victor Brial, M. Yves Bur, M. Alain Calmat, M. Pierre Carassus, M. Pierre Cardo, Mme Odette Casanova, M. Laurent Cathala, M. Jean-Charles Cavaillé, M. Bernard Charles, M. Michel Charzat, M. Jean-Marc Chavanne, M. Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, M. René Couanau, Mme Martine David, M. Bernard Davoine, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Marcel Dehoux, M. Jean Delobel, M. Jean-Jacques Denis, M. Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, M. Guy Drut, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Yves Durand, M. René Dutin, M. Christian Estrosi, M. Michel Etiévant, M. Claude Evin, M. Jean Falala, M. Jean-Pierre Foucher, M. Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, M. Germain Gengenwin, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Marie Geveaux, M. Jean-Pierre Giran, M. Michel Giraud, M. Gaétan Gorce, M. François Goulard, M. Gérard Grignon, M. Jean-Claude Guibal, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, M. Francis Hammel, M. Pierre Hellier, M. Michel Herbillon, M. Guy Hermier, Mme Françoise Imbert, Mme Muguette Jacquaint, M. Serge Janquin, M. Jacky Jaulneau, M. Armand Jung, M. Bertrand Kern, M. Christian Kert, M. Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, M. Jacques Lafleur, M. Robert Lamy, M. Pierre Lasbordes, M. André Lebrun, M. Michel Lefait, M. Maurice Leroy, M. Patrick Leroy, M. Michel Liebgott, M. Gérard Lindeperg, M. Lionnel Luca, M. Patrick Malavieille, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, M. Didier Mathus, M. Jean-François Mattei, M. Pierre Menjucq, Mme Hélène Mignon, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, M. Renaud Muselier, M. Philippe Nauche, M. Henri Nayrou, M. Alain Néri, M. Yves Nicolin, M. Bernard Outin, M. Dominique Paillé, M. Michel Pajon, M. Jean-Pierre Pernot, M. Bernard Perrut, M. Pierre Petit, Mme Catherine Picard, M. Jean Pontier, M. Jean-Luc Préel, M. Alfred Recours, M. Gilles de Robien, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont, M. Yves Rome, M. Joseph Rossignol, M. Jean Rouger, M. Rudy Salles, M. André Schneider, M. Bernard Schreiner, M. Patrick Sève, M. Michel Tamaya, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, Mme Marisol Touraine, M. Anicet Turinay, M. Jean Ueberschlag, M. Jean Valleix, M. Alain Veyret, M. Philippe de Villiers, M. Philippe Vuilque, Mme Marie-Jo Zimmermann.

INTRODUCTION 5

I.- UN BUDGET DE CONTINUITÉ 7

A. DES CRÉDITS MAINTENUS 7

B. DES RIGIDITÉS PERSISTANTES 9

C. UN RATTRAPAGE NÉCESSAIRE 14

II.- VERS UNE RECHERCHE PLUS EFFICIENTE ? 17

A. UN CORSET RÉGLEMENTAIRE À DESSERRER 17

B. LA MISE EN VALEUR DES RESSOURCES AUTRES QUE BUDGÉTAIRES 18

C. UNE PLUS GRANDE COHÉRENCE DES ACTIONS DE RECHERCHE 20

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

INTRODUCTION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est une nouvelle fois appelée à se prononcer pour avis sur les crédits de la recherche inscrits dans le projet de loi de finances.

L'an dernier, son rapporteur avait souligné que l'exercice relevait d'un « rituel bien réglé » et dénoncé la contradiction existant entre la priorité rhétorique donnée à la recherche et la stagnation des moyens.

Le constat de cette année ne saurait être très différent. A l'évidence, les moyens accordés à la recherche ne constituent pas un budget de rupture, de sursaut, capable à lui seul de provoquer un nouvel élan pourtant nécessaire.

On ne saurait cependant se contenter d'approcher le problème d'une façon strictement comptable, de porter le deuil de deniers publics jamais inscrits ou encore de rallier les rangs des partisans de davantage d'emplois publics. Une approche plus responsable consiste à s'interroger sur l'efficience des dépenses engagées dans le domaine de la recherche, sur la valorisation de ressources autres que publiques et sur les éventuels signes dans ce budget d'une plus grande cohérence de l'action publique.

I.- UN BUDGET DE CONTINUITÉ

Les crédits en faveur de la recherche inscrits au projet de loi de finances pour 2001 présentent sur le papier quelques traits satisfaisants : légère croissance des crédits, affichage de priorités peu discutables. Toutefois, la persistance de nombreuses rigidités, au premier rang desquelles celles liées au poids des dépenses de personnel, laissent sceptique quant à la capacité de ce budget à rompre avec la simple reconduction des actions antérieures et à simplement maintenir la France dans la course à la recherche lancée par ses principaux partenaires et concurrents.

    A. DES CRÉDITS MAINTENUS

Les crédits inscrits au fascicule « recherche et technologie » pour 2001 s'élèvent à 40 268 MF (dépenses ordinaires + crédits de paiement), soit une « augmentation » de 1 % par rapport à l'an dernier. Cette prétendue augmentation doit être relativisée puisqu'elle ne porte que sur les moyens exprimés en francs courants et que la hausse des prix - si elle n'est pas encore connue - annulera ces moyens nouveaux et se traduira par une dégradation des moyens en francs constants.

Toutefois, même si l'explication donnée par le Gouvernement sur le caractère « peu significatif » de ces chiffres n'apparaît guère satisfaisante - le caractère conventionnel de la répartition des dépenses de certains organismes entre les différents fascicules du budget civil de recherche et développement (BCRD) n'est pas propre à l'exercice à venir -, les crédits propres au fascicule « recherche et technologie » ne constituent sans doute pas le critère le plus pertinent pour mesurer l'effort en faveur de la recherche.

Le BCRD, qui regroupe l'ensemble des dotations des ministères en faveur de la recherche, est à l'évidence un meilleur reflet de la volonté - ou de l'absence de volonté - en la matière. Sont ainsi synthétisées au sein du BCRD les actions des départements ministériels suivants : affaires étrangères (actions de politique culturelle, scientifique et technique ; subvention au Centre européen de recherche nucléaire et subventions aux autres organisations internationales) ; agriculture et pêche ; culture (Cité des sciences et de l'industrie, archéologie préventive, institut national d'histoire de l'art notamment) ; recherche ; éducation nationale (essentiellement enseignement supérieur) ; défense ; environnement ; équipements et transports (pour l'essentiel aviation civile) ; logement ; industrie (avec quatre postes essentiels : la recherche industrielle, le Commissariat à l'énergie atomique, l'Agence nationale de valorisation de la recherche, l'Institut de protection et de sécurité nucléaire) ; cinq départements dont les crédits sont inférieurs à 50 MF : intérieur, justice, plan, emploi, santé.

L'évolution du BCRD apparaît globalement plus satisfaisante que celle des crédits du seul fascicule « recherche et technologie ».

Tableau 1 :

BCRD - Évolution des dotations des ministères en dépenses ordinaires

et crédits de paiement (en millions de francs)

 

LFI 2000

PLF 2001

%

Recherche

39 861,47

40 267,76

+ 1 %

Industrie

6 605,11

5 956,66

- 9,8 %

Education nationale

2 586,27

2 742,00

+ 6 %

Equipements et transports

1 911,24

2 101,25

+ 9,9 %

Environnement

82,42

1 416,08

NS

Défense

1 500,00

1 250,00

- 16,7 %

Affaires étrangères

905,22

922,84

+ 1,9 %

Culture

728,52

746,21

+ 2,4 %

Logement

174,55

173,37

- 0,7 %

Agriculture et pêche

142,98

139,58

- 2,4 %

Plan

58,36

57,36

- 1,7 %

Santé

43,66

44,02

+ 0,8 %

Emploi

38,22

38,90

+ 1,8 %

Justice

3,60

5,80

+ 3,6 %

Intérieur

3,50

3,00

- 14,8 %

Total

54 647,12

55 864,83

+ 2,2 %

On observera tout d'abord l'évolution très contrastée des crédits des différents ministères puisque sur les onze dotations supérieures à 50 MF en 2000, cinq diminueront (parfois sévèrement, comme celle de la défense), cinq augmenteront, tandis que la dotation du ministère de l'environnement change de dimension avec le transfert d'une partie des crédits consacrés à l'Institut de protection et de sécurité nucléaire (IPSN).

L'ensemble du BCRD progresse quant à lui de 2,2 %, ce qui constitue une hausse plus importante que les années précédentes, mais dont il faut déduire l'effet prix. On peut donc parler au mieux de légère progression du BCRD, inférieure à 1 % en moyens constants.

Il est vrai que les moyens promis pour l'avenir sont plus conséquents puisque l'ensemble des autorisations de programme du BCRD s'élèvent à 24,4 milliards de francs, soit une hausse de 6,4 % par rapport à 2000. Rapprochée des années précédentes, la progression est nette puisque les autorisations de programme n'évoluaient que de 1,5 % en moyenne. Encore convient-il que les promesses soient tenues : de ce point de vue, la progression des crédits de paiement de 3,2 % incite à la prudence et laisse craindre un décrochage entre engagements pluri-annuels et moyens annuels.

    B. DES RIGIDITÉS PERSISTANTES

1) Les priorités

· Les priorités affichées dans la présentation des crédits de la recherche sont dans l'ensemble peu contestables, qu'il s'agisse :

- du renforcement des moyens de fonctionnement et d'investissement des laboratoires publics de recherche (établissements de recherche et universités) ;

- la progression des crédits destinés au développement de l'innovation et à la recherche industrielle ;

- de la croissance des crédits fléchés en faveur de thèmes prioritaires mieux identifiés, en particulier les sciences du vivant et les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC).

· Les laboratoires publics de recherche

Les autorisations de programme progressent de 2,8 %, après avoir stagné entre 1997 et 2000. Le progrès est particulièrement net s'agissant des établissements publics scientifiques et techniques (EPST) avec une hausse de 10 % des autorisations de programme, particulièrement pour ceux intervenant dans les deux secteurs prioritaires précédemment évoqués (Institut national de la santé et de la recherche médicale, et Institut national de recherche en informatique et en automatique). De plus, même si elle reste en retrait de celle des autorisations de programme, la hausse des crédits de paiement est réelle (+ 6,9 %).

Tableau 2 :

BCRD 2001 - Autorisations de programmes et crédits de paiement des EPST

 

Autorisations de programme

Crédits de paiement

 

LFI 2000

PLF 2001

% 2001/2000

LFI 2000

PLF 2001

% 2001/2000

INRA

535,00

583,20

9,0 %

540,80

572,58

5,9 %

CEMAGREF

28,36

40,36

42,3 %

28,36

39,16

38,1 %

INRETS

41,60

44,10

6,0 %

41,02

44,02

7,3 %

LCPC

47,90

48,90

2,1 %

45,52

48,80

7,2 %

INRIA

169,60

189,60

11,8 %

169,30

184,80

9,2 %

CNRS

2 576,90

2 802,90

8,8 %

2 566,48

2 695,14

5,0 %

INSERM

637,00

738,02

15,9 %

635,90

723,91

13,8 %

INED

23,91

26,11

9,2 %

23,91

25,69

7,4 %

IRD

184,11

195,61

6,2 %

184,25

192,61

4,5 %

Total

4 244,38

4 668,80

10,0 %

4 235,54

4 526,71

6,9 %

                    (en millions de francs)

La croissance est tout aussi significative s'agissant des moyens des laboratoires universitaires puisque la hausse de cette année est supérieure aux maigres efforts des trois exercices antérieurs cumulés.

· L'aide à l'innovation et à la recherche industrielle

On ne peut que noter avec satisfaction la progression des crédits venant à l'appui des projets de recherche et de développement des entreprises et contribuant à une meilleure synergie entre celles-ci et les laboratoires publics. Ces soutiens à la recherche industrielle s'élèvent en effet à 6 milliards, soit une hausse de 9 %. Il convient cependant de relever que figurent parmi eux des crédits de l'ANVAR et du Fonds de la recherche et de la technologie (FRT). Cette reprise de hausse de crédits figurant à d'autres titres dans la présentation budgétaire dans des objectifs divers crée une certaine confusion entre les différents agrégats.

Même s'il n'est pas illégitime que certaines dotations participent d'objectifs différents, il ne faut pas par cette comptabilisation donner le sentiment d'une profonde inflexion des crédits destinés à la recherche. Force est de rappeler que les crédits de la recherche dans leur ensemble ne progressent que de 2,2 % en francs courants.

· Les thèmes prioritaires

Une autre illustration de cette technique de présentation est la hausse affichée en faveur des sciences de la vie et des NTIC.

Les sciences du vivant représentent un quart du BCRD (soit 13,8 milliards de francs), soit une augmentation de 5,3 % en 2000. En dehors de la recherche médicale en hausse de 8,8 %, les sciences de la vie représentent 11,3 % du BCRD et progressent de 8 %, en particulier du fait des moyens consacrés aux groupements d'intérêt public créés (centre national de séquençage et centre national de génotypage).

De même, avec 4,4 milliards de francs, les sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC) auront bénéficié en 2000 d'une hausse de 5,5 % en crédits.

Le rapporteur salue les priorités ainsi dégagées ainsi que la hausse des crédits qui leur est accordée, mais souligne que ceux-ci ne sont pas entièrement nouveaux. Ils procèdent pour l'essentiel de redéploiements d'équipes ou de moyens, de leur « fléchage » en faveur des deux priorités évoquées. Soucieux du niveau des prélèvements obligatoires et de la modération des dépenses publique, le rapporteur ne peut qu'approuver ce recentrage des moyens sur des priorités mieux identifiées. Toutefois, dans un souci de transparence, on peut regretter que n'apparaissent pas clairement les objectifs antérieurs devenus moins prioritaires, en quelque sorte une liste des victimes de ces redéploiements afin d'en apprécier la pertinence.

Tableau 3 : Le BCRD 2000 par grands domaines scientifiques

La question de la réalité des redéploiements ainsi opérés est d'autant plus cruciale qu'aux faibles marges de man_uvre fournies par l'augmentation des crédits s'ajoute la rigidité de certaines dépenses, au premier rang celles liées au personnel.

2) Les dépenses de personnel

Force est de constater que seul un franc sur trois va directement aux activités de recherche proprement dites (17 % pour les interventions, 20 % pour les investissements), le reste étant consacré au fonctionnement pour 10 % et aux dépenses de personnel pour 53 %. Pour un organisme de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), celles-ci représentent plus de 70 % des dépenses.

On ne peut faire de recherche sans chercheurs, c'est une évidence. Toutefois, le rapporteur attire l'attention sur les conséquences de la structure budgétaire actuelle.

Les dépenses de personnel constituent une masse de dépenses quasi-incompressible dont la reconduction réduit d'autant dans la négociation budgétaire la marge de man_uvre des ministères s'agissant des autres crédits qui servent dès lors de variable d'ajustement. Ce poids se fait en outre sentir pendant des décennies dès lors qu'il s'agit d'un emploi de fonctionnaire titulaire. S'ajoute au coût immédiat lié à la création d'un poste budgétaire celui à venir lié aux mesures d'ajustement des rémunérations et des pensions.

A titre d'exemple, le coût des 1 800 créations nettes d'emplois au CNRS entre 1983 et 2000 a représenté 860 millions de francs (actualisés en 2000), tandis que le relèvement des taux des pensions civiles intervenu entre 1989 et 1994 et les mesures de redressement financier des rémunérations entre 1995 et 1997 ont coûté près du double (1 673 millions de francs base 2000).

Dès lors, le rapporteur ne peut avoir qu'un regard critique sur les créations d'emplois prévues au présent budget. Elles sont au nombre de 305, dont 265 dans les EPST et 40 au ministère de la culture pour l'établissement de la carte archéologique. Il est évident que ces créations d'emplois correspondent davantage aux besoins que les 18 inscrites au budget pour 2000. De même, l'idée qui les sous-tend d'anticiper les départs en retraite massifs prévus dans la prochaine décennie n'apparaît pas absurde. Encore faut-il s'interroger sur la nécessité de maintenir autant de postes budgétaires : n'aurait-on pu imaginer des formules plus souples comme le recours à des contractuels embauchés pour la durée d'un projet ? Par ailleurs, leur affectation est déterminante : de ce point de vue, la priorité donnée aux « sciences de la vie » semble aujourd'hui pertinente.

Trois autres mesures relatives au personnel méritent également quelques observations. Si l'intégration des personnels contractuels employés de longue date apparaît humainement opportune, elle pose cependant la question de la bonne gestion de ressources humaines et notamment de l'absence de caractère prévisionnel. Plus critiquable encore, parce qu'elle entame leur capacité d'action, est la faiblesse de la progression des dépenses ordinaires des établissements publics industriels et commerciaux (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, Institut français pour l'exploitation de la mer, Bureau de recherches géologiques et minières, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et du groupement d'intérêt public l'Institut français pour la recherche et la technologie polaire (IFRTP). Leur « progression » de 0,96 % est censée « accompagner l'évolution des rémunérations des personnels et financer la réduction du temps de travail » ! On peut se demander comment les organismes ne bénéficient pas de l'allégement RTT prévu par l'article L. 243-13-1 du code de la sécurité sociale financeront le passage à 35 heures avec des moyens en diminution en francs constants. En revanche, on ne peut que se féliciter du rééquilibrage opéré en faveur des corps techniques de la recherche dans les créations d'emplois.

    C. UN RATTRAPAGE NÉCESSAIRE

La position de la recherche française tend à se dégrader par rapport à celle de ses principaux partenaires. Les dépenses de recherche et développement, après avoir augmenté dans les années 80, ont subi un tassement net dans la première moitié des années 90. Depuis 1995, elles reprennent leur croissance notamment sous l'effet des efforts consentis par les États-Unis et le Japon. La situation de la France peut être appréciée de façon diverse.

La France a jusque récemment réussi à maintenir son rang s'agissant de la part du PIB consacrée aux dépenses de recherche-développement : au 6ème rang des pays industrialisés vers 1981, au 5ème en 1991, elle conserve ce rang selon les dernières données collectées par l'OCDE pour 1998. Le problème est qu'elle pas épousé le mouvement de reprise de l'effort de recherche lancé par ses partenaires ces trois dernières années. La France est seule à subir une baisse de la part du PIB consacrée à la recherche entre 1997 et 1998. La croissance du BCRD de 2,2 % bien inférieure à celle du PIB est à ce titre peu encourageante.

Tableau 4 : Part de la dépense intérieure de recherche développement (DIRD) dans le produit intérieur brut en %

Pays

1981

1991

1997

1998

États-Unis

2,42

2,81

2,71

2,74

Japon

2,13

2,82

2,89

3,03

Allemagne

2,43

2,54

2,29

2,29

France

1,93

2,37

2,21

2,18

Royaume-Uni

2,39

2,08

1,84

1,83

Italie

0,88

1,23

0,99

1,02

Canada

1,24

1,53

1,61

1,64

Pays-Bas

1,85

2,05

2,04

NC

Suède

2,29

2,89

3,70

NC

Toutefois, le problème de la France n'est pas celui de la hauteur de l'effort public consenti puisque la France détient de longue date le premier rang au sein des pays industrialisés s'agissant de la part des financements d'origine budgétaire consacrés à la recherche par rapport au PIB.

Tableau 5 : Crédits budgétaires de recherche et développement

(en pourcentage du PIB)

 

1992

1998

États-Unis

1,13

0,89

Japon

0,45

0,61

Allemagne

0,99

0,83

France

1,26

0,99

Royaume-Uni

0,84

0,67

Italie

0,80

0,58

Le problème n'est pas non plus jusqu'à présent celui du nombre des chercheurs : avec six chercheurs pour mille actifs, la France se situe certes en-deçà des États-Unis, du Japon et de la Suède, mais reste dans le peloton de tête.

Le risque dénoncé par l'Académie des Sciences dans le rapport remis au ministère de la Recherche le 24 octobre 2000 est celui de la marginalisation de la recherche française sous le double impact du faible attrait des filières scientifiques pour les chercheurs - que ne saurait compenser la création d'emplois publics - et de l'insuffisance des moyens consacrés à la recherche par la nation : « les crédits consacrés à la science et à la technique ont atteint aujourd'hui un niveau dangereux pour maintenir la place de la France en Europe dans les compétitions avec les États-Unis et le Japon. »

Le ministère répond que la différence avec nos partenaires provient pour l'essentiel de l'insuffisance des financements privés. Le rapporteur partage assez largement cet avis. Mais ne faut-il pas aller jusqu'au bout de la logique et se demander si l'action publique joue le rôle d'entraînement qui devrait être le sien, si son impact a l'effet multiplicateur que l'on est en droit d'attendre, bref si la dépense publique est suffisamment efficiente et si les autres sources de financement sont suffisamment mises en valeur ?

Ce budget traduit une continuité regrettable avec les précédents sur le plan des masses budgétaires. N'est-il pas possible de trouver a contrario des éléments de rupture dans l'usage fait de celles-ci ?

II.- VERS UNE RECHERCHE PLUS EFFICIENTE ?

Pour optimiser l'usage des crédits consacrés à la recherche, il importe tout d'abord d'assouplir les règles juridiques et comptables applicables à la dépense publique en matière de recherche afin de tenir compte de leur spécificité. Il convient en second lieu d'améliorer les synergies entre les dépenses budgétaires et les autres actions, d'encourager celles-ci. Enfin, il est essentiel d'accroître la cohérence de l'ensemble des actions de recherche quels qu'en soient les vecteurs.

    A. UN CORSET RÉGLEMENTAIRE À DESSERRER

La dépense publique présente des traits originaux qui s'accommodent mal des règles de droit commun applicables à la dépense publique : elles sont le fait de structures variées, relevant de régimes juridiques différents y compris sur des projets communs : EPST, établissements publics industriels et commerciaux, universités, entreprises, groupements d'intérêt public.

Ces structures bénéficient déjà pour certaines d'entre elles d'un régime plus souple du fait de leur statut d'établissement public. Elles n'en demeurent pas moins largement contraintes par l'annualité de la dépense publique qui entrave le caractère pluriannuel des projets de recherche. Les ressources manquent ainsi tant de lisibilité que de flexibilité : il arrive fréquemment qu'un projet de recherche ne se déroule pas conformément au rythme initialement prévu.

La difficulté est encore accrue par l'existence de nombreux laboratoires décentralisés, de petite taille, qui ne peuvent que difficilement s'accommoder des règles lourdes, applicables par exemple en matière de marchés publics.

Le rapporteur tient donc à relever la pertinence de l'action menée par le Gouvernement sur ce point : un premier décret adaptant la procédure des marchés publics aux exigences de la recherche a été publié en 1999, un second devrait suivre dans les semaines à venir.

Il faudra naturellement que la réflexion annoncée sur la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances intègre les difficultés propres à la recherche. Indispensables dans l'organisation actuelle, les 36 comptables du CNRS occupent cependant des emplois budgétaires qui pourraient en grande partie être réaffectés aux activités de recherche.

De manière générale, la liberté de pensée et les spécificités des activités de recherche sont difficiles à concilier avec une tutelle administrative lourde.

La démarche qui inspire le décret relatif à l'organisation du CNRS adopté par le Conseil des ministres le 25 octobre dernier va de ce point de vue dans le bon sens : elle devrait être étendue à d'autres EPST et prolongée. Est-il bien nécessaire par exemple que le CNRS doive s'en remettre à son administration de tutelle et à celle, plus officieuse et draconienne, du ministère de l'économie et des finances pour décider de la création ou de la suppression de postes en son nom ? L'autonomie de l'établissement peut-elle être autre chose qu'une coquille aux deux tiers vide dès lors que moins de 30 % de ses ressources sont librement utilisables et que leur fongibilité est extrêmement réduite ? En quoi les EPST sont-ils intéressés à des économies sur les crédits de personnel alors que celles-ci ne sont pas recyclables et que lesdits crédits bénéficient d'une présomption de reconductibilité ? Il en irait différemment si les dépenses de personnel constituaient une catégorie de dépenses fongibles au sein d'une enveloppe globale ; elles contribueraient ainsi à la responsabilisation des organismes de recherche.

    B. LA MISE EN VALEUR DES RESSOURCES AUTRES QUE BUDGÉTAIRES

Les financements budgétaires ne sauraient suffire - en particulier quand ils stagnent - à répondre aux besoins en matière de recherche. La preuve en est que la recherche française tend à décliner d'après le rapport de l'Académie des sciences précité.

Celle-ci relève ainsi le passage de la France du deuxième au cinquième rang mondial pour la diffusion des médicaments, la carence en bio-informaticiens particulièrement préjudiciable dans la science du génome, la faiblesse de la recherche en statistique ou encore la désaffection pour ce qui fut de nos pôles d'excellence, le nucléaire.

Les crédits budgétaires doivent le plus souvent possible venir en appui d'autres sources de financement afin que leur effet multiplicateur joue pleinement. Sur ce plan, plusieurs indicateurs ne laissent pas d'être préoccupants :

- le nombre de contrats de recherche devrait stagner autour de 8 000 cette année ;

- le nombre d'accords de partenariat conclus avec l'étranger a régressé de 840 en 1997 à 780 en 1999 ;

- le montant des contrats de recherche conclus avec l'Union européenne a reculé en 1999 à 774 millions de francs contre 805 millions en 1998.

Une attention particulière doit être prêtée au taux de retour en faveur de la recherche française des crédits mobilisés au titre du cinquième programme cadre de recherche et développement.

Le développement des partenariats avec le secteur privé doit constituer une priorité forte de l'action publique de même que l'encouragement de la recherche privée.

L'avance de nos concurrents américains ou japonais résulte du dynamisme de leur recherche privée. En 1999, la part de la dépense intérieure de recherche et développement réalisée par les entreprises s'est élevée à 120 milliards de francs, les entreprises assurant 63 % des travaux de recherche et développement. Cette proportion n'a cessé de croître depuis le retournement intervenu en 1995, première année où l'effort des entreprises a dépassé celui des administrations. Il convient de conforter ce dynamisme.

De ce point de vue, l'action du Gouvernement, notamment par le biais du présent budget et les mesures adoptées dans le cadre de la loi relative à l'innovation et à la recherche, va plutôt dans le bon sens :

- le crédit d'impôt-recherche, outre qu'il a été reconduit jusqu'en 2003, a fait l'objet d'améliorations visant à le rendre plus incitatif et constitue un indéniable succès (3 033 entreprises bénéficiaires d'un montant cumulé de 2,9 milliards de francs en 1999) ;

- la loi sur l'innovation et la recherche a assoupli le critère d'éligibilité des sociétés aux fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) qui permettent de renforcer les fonds propres des entreprises innovantes non cotées comptant moins de 500 salariés ;

- des fonds d'amorçage visant à accompagner les créateurs d'entreprises lors de la phase dite d' « incitation » ont été créés et dotés de 150 millions de francs ;

- des fonds publics ont été mis en place ou vont l'être afin d'augmenter l'offre de capitaux à risque au profit de jeunes entreprises innovantes, fonds provenant notamment de la cession de parts de France Télécom (600 millions de francs) et d'un apport d'un milliard de francs financé à hauteur d'un tiers par l'Etat ;

- les dispositifs d'aides directes, sous forme de subventions ou d'avances remboursables, sont maintenus ;

- il en va de même des aides à la formation pour la recherche destinées à faciliter l'entrée de jeunes diplômés dans les entreprises, en particulier les PME.

Sur ce dernier point, le rapporteur regrette que les aides restent au même niveau dans le présent budget et que la démarche consistant à associer pour une durée déterminée un chercheur à un laboratoire public avec la perspective, à l'échéance du projet et du contrat, d'une embauche dans le secteur privé ne soit pas mieux soutenue. L'avenir va moins à la création d'emplois publics de chercheurs qu'à la mobilité, le temps d'un projet, entre laboratoires publics et privés.

    C. UNE PLUS GRANDE COHÉRENCE DES ACTIONS DE RECHERCHE

La multiplicité des intervenants, le croisement des financements, la difficulté de l'interdisciplinarité, une spécialisation croissante des connaissances constituent autant de causes de doublons, de recherches parallèles, de méconnaissance de résultats utiles à d'autres projets, bref de gaspillage tant des deniers publics que des efforts humains.

L'évaluation revêt dans ce contexte une importance considérable qui ne semble pas être parfaitement appréhendée puisque le nombre d'évaluations d'équipes de recherche a décru en 1999 par rapport à 1998. La démarche d'évaluation doit être une priorité.

Elle ne doit d'ailleurs pas intervenir uniquement en aval des projets, mais à différents stades de ceux-ci et faire pleinement partie de l'arbitrage entre les divers projets et priorités.

Cette responsabilité incombe en premier lieu aux organismes de recherche eux-mêmes. Le rapporteur ne peut que saluer le caractère exemplaire de la démarche initiée par le CNRS en la matière, rendue particulièrement nécessaire par la forte interdisciplinarité de ses travaux. On ne peut par exemple qu'être sensible à la nécessité d'examiner l'opportunité d'un projet en fonction de sa valeur intrinsèque mais aussi de sa valeur relative. Un projet de recherche peut être utile dans l'absolu, mais s'avérer inopportun du fait de l'existence de projets parallèles susceptibles d'aboutir au même résultat dans de meilleures conditions.

La responsabilité de l'arbitrage relève également du ministère de la recherche. Les instruments en sont multiples : la direction de la recherche et de la technologie, le fonds national de la science (FNS), le fonds de la recherche et la technologie (FRT).

Le FRT est l'instrument privilégié d'incitation au partenariat entre recherche publique et recherche privée. Les autorisations de programme ont sensiblement augmenté puisqu'elles sont passées de 467 millions de francs en 1997 à plus d'un milliard pour 2001.

Le rapporteur ne peut que s'en réjouir ainsi que de la réorientation des fonds vers les PME tout en invitant le Gouvernement à poursuivre et amplifier l'effort entamé.

Le FNS constitue un autre vecteur d'arbitrage important puisqu'il consiste en un chapitre d'intervention destiné à renforcer les moyens d'incitation en faveur de la recherche fondamentale. Là encore, la montée en charge du fonds (500 millions de francs en 1999, 700 millions de francs en 2000, 885  millions de francs pour 2001) est satisfaisante et doit être poursuivie.

L'emploi de ces fonds doit être l'occasion d'un examen minutieux de la cohérence des actions de recherche dans le respect des orientations définies par le Gouvernement.

Ce dernier point est essentiel : il est nécessaire que le politique s'implique dans la définition des orientations de la recherche. Dans cet esprit, l'élévation de la recherche au rang de ministère de plein exercice constitue davantage qu'un symbole. De même, la décision finale d'implantation du synchrotron en région parisienne, mûrement réfléchie, témoigne d'un véritable engagement du Gouvernement et de la possibilité de voir enfin émerger une politique de recherche, qui, tout en tenant compte de considérations importantes telles l'aménagement du territoire, les remettent à leur place secondaire au regard de l'objectif central qui doit constituer le progrès de la recherche.

En raison de ces signes de la possible émergence d'une véritable volonté politique dans le domaine de la recherche et des mesures - encore timides - adoptées pour rendre plus efficace la dépense publique, le rapporteur s'en remet à la sagesse de la commission quant à l'adoption d'un budget de la recherche encore bien atone.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Pierre Foucher, les crédits de la recherche pour 2001 au cours de sa séance du 26 octobre 2000.

Après l'exposé du rapporteur, M. Pierre Lasbordes s'est félicité de l'inflexion donnée par le ministre de la recherche à la politique de la recherche en France. Cependant, il s'est interrogé sur deux points :

- La baisse des moyens en matière de formation par la recherche. Les allocations de thèses n'ont pas été revalorisées depuis huit ans.

- Le fonctionnement des établissements publics : l'accroissement des fonds transversaux ne se fait-il pas au détriment des moyens propres aux laboratoires ?

Le rapporteur pour avis a indiqué que si les allocations de thèses n'ont effectivement pas été revalorisées, le nombre d'allocations a lui augmenté.

M. Edouard Landrain a signalé que certaines collectivités territoriales aidaient financièrement les chercheurs par le biais de prix.

Le rapporteur pour avis a déploré les conditions d'accueil fait des thésards étrangers en France : par exemple les chercheurs étrangers affectés à Paris XI sont logés à la cité universitaire d'Antony dans des conditions qui ne sont pas convenables.

M. Edouard Landrain a regretté que les thèses soutenues en France soient rédigées en anglais et le départ de nombreux thésards français vers les Etats-Unis.

M. Patrick Bloche a également constaté que dans les domaines scientifique et médical toutes les thèses sont rédigées en anglais.

M. Gérard Terrier a fait observer que toutes les publications scientifiques sont en anglais et que les étudiants partent aux Etats-Unis et au Canada afin de se familiariser le plus possible avec cette langue.

M. Edouard Landrain a observé que lors d'un congrès d'obstétrique organisé en France, seul un participant ivoirien avait demandé à s'exprimer en français. Dans le même esprit, les cours de grandes écoles, comme l'école centrale de Nantes, sont dispensés en anglais.

Le rapporteur pour avis a noté que lors d'un congrès scientifique en France, il avait noté qu'aucun intervenant ne s'était exprimé en français et que la traduction était quasi inexistante.

M. Patrick Bloche a indiqué que la France a des difficultés pour devenir un pays traducteur car les Français restent attachés à la défense de la rédaction primaire en français. Il faut contourner la domination de l'anglais en développant la traduction en France.

Le président Jean Le Garrec a également regretté ce blocage vis-à-vis de la traduction que n'ont pas par exemple les Allemands.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la recherche pour 2001.

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N° 2625.- Avis de M. Jean-Pierre Foucher, au nom de la commission des affaires culturelles, sur le projet de loi de finances pour 2001.- Tome VII : recherche.

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