ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 septembre 2000. AVIS PRÉSENTÉ AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2001 (n° 2585), TOME VI DÉFENSE PAR M. JEAN-BERNARD RAIMOND, Député -- (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. Voir le numéro 2624 (annexe n° 40) Lois de finances La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Mangin, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Dominique Baudis, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Pierre Brana, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Yves Dauge, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Georges Frêche, M. Michel Fromet, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. André Labarrère, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. François Léotard, M. Pierre Lequiller, M. Alain Le Vern, M. Bernard Madrelle, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jean-Claude Mignon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle SOMMAIRE ___ INTRODUCTION 5 I - LA SITUATION INTERNATIONALE : A - DES ÉVOLUTIONS FAVORABLES 7 B - LES INCERTITUDES DE LA SITUATION DU TIERS MONDE 9 II. L'EUROPE DE LA DÉFENSE : A - LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE 13 B - LES INSUFFISANCES DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE 15 III - LE BUDGET DE LA DÉFENSE : FACE AUX MISSIONS A - LES MISSIONS DES FORCES ARMÉES 16 B - UN BUDGET PRÉOCCUPANT 18 1) Une apparente reconduction des moyens 20 2) Des évolutions physiques qui suscitent de véritables inquiétudes 28 CONCLUSION 31 EXAMEN EN COMMISSION 33 Mesdames, Messieurs, Toute politique de défense impose une triple cohérence : - entre les objectifs que poursuit notre politique étrangère et les moyens militaires qui l'appuient, - entre les missions assignées aux forces armées et les moyens dont elles disposent, - entre les volumes financiers - toujours conséquents - que ces moyens mobilisent et les capacités contributives de la nation. La loi de programmation militaire dont l'objet est d'assurer - dans la durée - l'harmonie entre nos capacités financières, nos moyens militaires et les objectifs de notre diplomatie afin d'aboutir en 2015 à un nouveau modèle d'armée, en constitue l'instrument. Aussi, conformément à la mission assignée à la Commission des Affaires étrangères, le présent avis s'attachera-t-il plus particulièrement à examiner la cohérence entre nos capacités militaires et les objectifs de notre diplomatie à l'issue des quatre premières années d'application de la loi de 1996. Les investigations conduites par le rapporteur de la commission aboutissent à une conclusion assez simple : les inflexions profondes qu'a connues en quatre ans la situation internationale ne remettent en cause ni les missions, ni les capacités des forces armées prévues par la loi de programmation militaire dont le Chef de l'Etat, chef des armées, constitue le garant. La question essentielle est donc de savoir si le budget s'inscrit dans un respect de l'esprit de cette loi de programmation. I - LA SITUATION INTERNATIONALE : DES ÉVOLUTIONS FAVORABLES, MAIS AUSSI DES INCERTITUDES Adoptée sept ans après la chute du mur de Berlin, la loi de programmation militaire de 1996 manifestait une prudence dont une phrase résume assez bien la philosophie : « Si nos frontières sont aujourd'hui en paix, le monde qui nous entoure ne l'est pas. Une attitude vigilante s'impose donc. » Nos frontières sont en paix, en effet, puisque l'effondrement de l'Union Soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie ont mis fin à la division de l'Europe en deux blocs rivaux. La menace militaire massive qui venait de l'Est a disparu. Des progrès sont apparus dans l'élaboration d'instruments de prévention internationale Pourtant - notait à l'époque le législateur - des menaces demeurent en Europe où il existe des tensions liées à des désaccords frontaliers, au statut de certaines minorités, à des rivalités interethniques et hors d'Europe, au Moyen Orient et en Asie, régions dépourvues d'organisations multilatérales, ainsi que dans d'autres zones qui subissent conjointement des ambitions régionales et la diffusion d'armes de destruction massive. Ces risques sont amplifiés par l'émergence de menaces non étatiques, notamment les mouvements nationalistes et terroristes et le crime organisé, les trafics d'armes et de drogue. Face à cet environnement, deux principes guident la diplomatie de la France : - être en phase avec ses partenaires de l'Alliance Atlantique et ses proches voisins européens grâce au renforcement des solidarités européenne et atlantique, - avoir l'aptitude à exercer des responsabilités particulières au plan international, responsabilités résultant de sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, et des engagements particuliers à l'égard de l'Afrique et du Moyen-Orient. On ne saurait contester qu'en Russie, comme en Serbie, des incertitudes demeurent ; mais deux facteurs paraissent particulièrement encourageants : le départ de Milosevic et la fidélité de Vladimir Poutine au processus de désarmement engagé du temps de Gorbatchev. Beaucoup d'observateurs n'ont pas tort de souligner que la péninsule balkanique est la seule à cumuler, en Europe, autant de handicaps. On citera pêle-mêle : les rivalités ethniques et religieuses, le contraste entre la vitalité démographique des albanophones et la contraction de la population slave, le départ des jeunes et des élites, l'absence de toute tradition démocratique, les économies déstructurées par la guerre, l'aide internationale qui, en retour, crée une culture de la dépendance, les risques de nouvelles crises (en Albanie ou au Monténégro par exemple). Mais le départ de Milosevic devrait inaugurer un développement radicalement différent de celui du passé. Jadis au même rang - ou se voulant telle - que les Etats-Unis, la Russie demeure, certes, un grand pays par son histoire, sa culture, son étendue, ses richesses minières. Elle n'en subit pas moins une crise existentielle due à sa difficile transition d'un Etat totalitaire et multinational à un Etat qui, dépourvu de toute tradition démocratique, entend participer néanmoins au concert des grandes nations, sur lequel pèse le poids d'administrations héritées tant du tsarisme que du stalinisme, minées par la corruption, tenues en échec par l'essor du régionalisme. Or, la situation économique désastreuse qu'elle subit présentement - sa richesse nationale n'est guère plus élevée que celle des Pays Bas -, sa démographie en déclin ne sont pas à même de constituer le socle sur lequel ses dirigeants sont susceptibles de s'arc-bouter. De fait, la Russie ne conserve son statut de grande puissance que grâce à un arsenal nucléaire qui demeure surabondant et à des forces armées qui, malgré l'état de désorganisation qui les caractérise, sont l'instrument d'opérations répressives. On assiste cependant à un progressif ralliement aux idéaux des démocraties libérales. Qui ne se satisferait pas du départ, avec Milosevic, du dernier néo-stalinien au pouvoir, de l'arrivée au pouvoir d'un président légitimement élu, de la fin des combats à la suite de dix années de guerre ? Quant à la Russie, les experts considèrent que ses dépenses militaires ont diminué de moitié par rapport à celles de la défunte Union Soviétique et force est de constater que Vladimir Poutine - sur lequel chacun s'interroge - n'aura cessé, depuis son arrivée au pouvoir, de suivre la voie empruntée par Mikhaïl Gorbatchev en s'engageant réellement pour le désarmement, notamment en ratifiant le traité START II et en envisageant un START III. Les Etats-Unis dominent le monde au point de pouvoir supporter, tantôt seuls, tantôt dans le cadre d'une coalition, le poids de tout engagement quel qu'il soit. Quoiqu'affecté par une baisse significative, leur effort de défense surclasse celui de tous les autres pays en valeur absolue et, bien souvent, en pourcentage du Produit intérieur brut. Il en résulte des capacités militaires si considérables que l'introduction des technologies les plus avancées, dans le domaine des communications notamment, ne leur est guère nécessaire puisqu'il aboutirait à remplacer des matériels parfaitement opérationnels, par une nouvelle génération qui n'accroîtrait pas de façon significative leur aptitude à surclasser l'adversaire. Les moyens ainsi mis en _uvre leur permettront de maintenir un contingent non négligeable de personnels et de matériels en Europe non sans continuer à peser sur les concepts d'emploi de l'Alliance atlantique. Les Etats-Unis, sans se désintéresser ni de l'Europe occidentale, ni des pays de l'Europe centrale qui ont rejoint l'OTAN, ni des pays qui leur sont liés par le Partenariat pour la paix, auront tendance à se retourner vers le rivage de l'Océan Pacifique opposé au leur. C'est en cet endroit qu'ils rencontreront les immenses potentialités de développement de la Chine dont on ne sait encore s'il s'agira d'un partenaire ou d'un adversaire même si le regain d'intérêt des Etats-Unis en faveur d'un bouclier anti-missiles se place dans le cadre de la deuxième hypothèse. Car la Chine est source d'inquiétudes nées de la poursuite de ses programmes nucléaires et balistiques, sa propension à acquérir auprès de la Russie - qui s'en débarrasse - les matériels militaires propices à une projection de puissance, laissant craindre l'émergence d'un conflit militaire majeur qui pourrait mettre en jeu les intérêts économiques de l'Union Européenne dont l'Asie représente aujourd'hui le quart des exportations. B - Les incertitudes de la situation du Tiers monde Divers facteurs sont à la source de l'instabilité chronique du Tiers monde: - les fondements des sociétés traditionnelles sont remis en cause par la diffusion des techniques et des habitudes occidentales, - leurs écosystèmes sont fragilisés, - les rapports humains sont bouleversés par des migrations internes qui se traduisent par une urbanisation qui n'est certes pas un phénomène nouveau mais qui ne cesse de croître. Cette instabilité a pour effet l'émergence de réactions identitaires à base de nationalisme, de fondamentalisme, voire de tribalisme ainsi que de flux illégaux et de transactions économiques que dirigent des associations criminelles. Cette situation comporte des risques - que ni notre diplomatie, ni nos forces armées ne peuvent négliger - sur nos ressortissants en poste à l'étranger, de terrorisme sur notre territoire, dans le domaine informatique dont les réseaux peuvent être aisément perturbés sans grands moyens matériels. Par ailleurs, les risques d'agression existent, d'une puissance régionale à l'encontre d'un de ses voisins, appuyée par des armes de destruction massive délivrée par des vecteurs à moyenne portée. Ces risques sont la conséquence d'une prolifération nucléaire qui est une tendance lourde depuis la fin de la guerre froide, de la maîtrise sans cesse accrue par ces pays des moyens balistiques, et du possible recours à des missiles de croisière rudimentaires, d'armes biologiques qui bénéficient, elles aussi, de progrès techniques rapides. Chacune des zones concernées appelle des analyses spécifiques et nuancées. C'est ainsi que le Maghreb connaît une évolution positive mais dont les conséquences à long terme demeurent incertaines. Le Moyen-Orient est de nouveau un champ d'affrontements, de deuils et de douleurs. Disposant d'une population de faible ampleur - 5 % de la population mondiale - mais jeune (plus de 40 % de la population a moins de 20 ans) et en forte croissance (appelée à croître d'un tiers au cours du prochain quart de siècle), souffrant d'un régime climatique qui la prive de cette denrée essentielle à la vie qu'est l'eau (1 % des réserves mondiales) mais en possession de 65 % des réserves mondiales d'hydrocarbures, soumis à des régimes culturellement autoritaires assis sur une économie de rente mais soumis à la pression d'une jeunesse qui a bénéficié d'un système éducatif moderne et aspire en une libéralisation de leurs régimes, les pays du Golfe arabo-persique mènent de front libéralisation intérieure et achats d'armement (leur marché représente 30 % des exportations des pays producteurs), fermeté et faiblesse à l'égard des pressions intégristes. Pour leur part, les pays de tradition musulmane issus de l'ancienne U.R.S.S. reposent tous sur des structures fragiles et sont susceptibles de faire face à des conflits de type afghan. L'Extrême-Orient où réside 55 % de la population mondiale ne dispose d'aucun système de sécurité collective. Ses dépenses militaires sont équivalentes à celles de l'Union Européenne. Trois pays - la Chine déjà citée, le Pakistan et l'Inde - sont des puissances nucléaires. A l'exemple du Moyen-Orient, l'Extrême-Orient importe quantité de matériels militaires (25 % des exportations mondiales). L'Afrique noire, dont la démographie est difficilement maîtrisée est submergée par de graves épidémies, des déficiences économiques chroniques, la fragilité d'Etats qui ne contiennent plus les rivalités ethniques et les migrations qui en résultent. II. L'EUROPE DE LA DÉFENSE : L'Europe se trouve dans une situation paradoxale. Elle vient de subir pendant dix ans, dans les Balkans, un conflit qu'on croyait d'un autre âge et que ni sa diplomatie, ni ses armes n'ont réussi, seules, à maîtriser. En contrepartie, la volonté de construire l'Europe de la Défense, en liaison avec les Etats-Unis mais sans leur tutelle, idée ancienne que la France n'avait pu faire partager par ses partenaires européens, a rencontré un écho qui, aux yeux de beaucoup d'observateurs, est irréversible. Trois facteurs ont principalement joué : - l'habitude prise par les Français, les Britanniques, les Italiens, les Espagnols et enfin les Allemands de travailler ensemble dans les Balkans, - les échanges entre armées européennes, - la pression de la mondialisation qui rapproche les industries nationales d'armement. L'ensemble a largement contribué à l'émergence d'une idée inscrite au sein du Traité de Maastricht et dont les drames de la Bosnie et du Kosovo auront démontré l'urgente nécessité. Au surplus, s'il y a une supériorité technologique des Etats-Unis, l'Europe a le sentiment que celle-ci n'est pas de nature à s'imposer de façon irréversible dès lors que l'Union européenne saura être vigilante dans des domaines aussi novateurs que les biotechnologies, le génie génétique, les micro systèmes et les nano technologies. A - les étapes de la construction de l'Europe de la Défense Rappelons brièvement les étapes qui viennent d'être franchies avec une rapidité inattendue. Le Traité de Maastricht est l'acte fondateur dès lors que c'est la première fois que l'Union Européenne décide de conduire des actions communes dans le domaine de la défense sans que les pays renoncent pour autant à leur souveraineté : ce sera la politique étrangère et de sécurité commune (la PESC). La même année, en 1992, le sommet de Petersberg conçoit une gamme de missions qui va de l'action humanitaire (telle la mission Alba) à des opérations de gestion de crise plus importantes (tels l'I.F.O.R. ou la KFOR) confiées à l'UEO désormais dotée d'un Etat-Major de planification opérationnelle. Cinq ans plus tard, en juin 1997, le Traité d'Amsterdam, qui complète celui de Maastricht, décide que le Conseil de l'Union Européenne disposera désormais d'un conseiller en matière de défense. Les Etats entendent élaborer des stratégies communes et conduire des actions communes. L'UEO demeure encore le bras armé de l'Union Européenne. Puis, en décembre 1998, le sommet franco-britannique de Saint-Malo, anticipant sur les conclusions des opérations au Kosovo (où les européens n'auraient pu agir sans l'appui des américains) conclut à la nécessité pour l'Europe de disposer d'une plus grande part dans le processus de décision. La Grande-Bretagne et la France, étant alors rejointes par l'Allemagne, proposent que l'Union Européenne soit en mesure de conduire des opérations militaires, soit avec l'aide de l'OTAN, soit seule. En juin 1999, au sommet de Cologne, le Conseil européen : - estime que l'Union doit disposer d'une capacité d'action militaire commune lui permettant d'assumer ses responsabilités, notamment pour remplir les actions de Petersberg, - s'engage à améliorer l'efficacité des moyens militaires européens, - nomme l'ancien Secrétaire général de l'OTAN, M. Javier Solana, Haut représentant pour la PESC, c'est-à-dire notamment conseiller du Conseil pour les affaires militaires. En décembre 1999, au sommet d'Helsinki, le Conseil fixe à 2003 la date à laquelle l'Europe devra être dotée des moyens lui permettant de décider de façon autonome et de conduire des opérations militaires. D'ici la fin de l'année, le sommet de Nice devrait se traduire par des engagements fermes. Au "catalogue" des forces susceptibles, le cas échéant, d'être mises par les Etats à la disposition d'une intervention sous commandement interallié devrait se substituer des engagements fermes sous la forme d'unités équipées, structurées, prêtes à partir sans délai ; ce que les armées françaises, allemandes, britanniques et italiennes sont d'ailleurs déjà aptes à faire à l'image de la brigade internationale de la KFOR. De fait, estime le commandement français, l'Europe de la défense est déjà réalisée sur le terrain par le considérable brassage des cadres et des hommes, y compris les contingents russes et ukrainiens agissant sous le commandement de l'OTAN : ainsi au Kosovo où la zone Nord comprend, sous commandement français, sept contingents de nationalités différentes. B - Les insuffisances de l'Europe de la Défense Pour autant la défense européenne n'en comprend pas moins de préoccupantes lacunes qui fragilisent chacune des trois phases par laquelle passe toute opération : - une insuffisante aptitude à apprécier la situation faute de disposer des moyens de renseignement et d'exploitation, ce qui retire aux européens toute autonomie à l'égard des Etats-Unis, - des moyens de transport trop souvent inadaptés à des opérations de projection, - des lacunes, une fois les unités déployées sur le terrain, en moyens de commandement. Il semble impératif, de ce point de vue, que nos partenaires se hissent au niveau des efforts de la France en participant de façon significative notamment à la mise en place du réseau satellitaire, ce que les allemands sont en voie d'entreprendre par la mise au point d'un satellite radar qui complétera utilement les performances françaises dans le domaine des satellites optiques. De même, une harmonisation des structures des unités de combat ne serait-elle pas inutile - l'ébauche de l'Etat-Major européen y travaille d'ailleurs - mais sans que l'hétérogénéité actuelle porte réellement préjudice à l'efficacité de l'ensemble. De fait, dans le domaine militaire comme dans celui des institutions, on n'empêchera guère l'apparition d'une Europe à plusieurs vitesses, la France ayant, dans ce domaine, d'autant plus de crédibilité qu'elle a jusqu'à présent largement contribué à cette cause commune, secondée peu à peu par les Allemands qui ont tenu à rattraper leur retard en moyens de commandement et les Britanniques qui ont fini par y croire eux aussi. III - LE BUDGET DE LA DÉFENSE : FACE AUX MISSIONS A - Les missions des forces armées La loi fixe aux forces armées deux missions : - garantir la protection des intérêts vitaux de la France qu'il appartient au Chef de l'Etat de définir selon les circonstances et parmi lesquels figure, en tout état de cause, la sécurité du territoire et de sa population, - assurer le respect de ses engagements internationaux. Ces missions se traduisent par quatre grandes fonctions opérationnelles : la dissuasion, la prévention, la projection, la protection. La dissuasion est synonyme de stratégie nucléaire. Strictement défensive, elle ne saurait être un instrument de coercition. Elle doit prendre en compte la solidarité européenne du fait de l'imbrication croissante des intérêts vitaux par le jeu d'une dissuasion "concertée" se traduisant : - avec les Britanniques par une concertation renforcée, - avec l'Allemagne, par un dialogue approfondi, - avec les autres pays européens par la mise en _uvre de la défense commune prévue par le Traité sur l'Union Européenne. Elle implique un dialogue au sein de l'Alliance et doit répondre aux principes de suffisance et de crédibilité. Les missions et les capacités des forces ne sont pas remises en cause par l'évolution de la situation internationale même si elles demandent une nécessaire adaptation doctrinale. Le risque de prolifération nucléaire légitime la poursuite d'une mise à niveau de notre potentiel dissuasif lequel a connu une forte rétraction quantitative. L'émergence de crises périphériques impose le développement de nos moyens d'investigation dans la profondeur, grâce notamment à un réseau satellitaire gage de la prévention comme de la conduite des crises. La nécessité de juguler les foyers de tension justifie des capacités de projection rapide. La menace de rétorsion sur notre sol par des actes terroristes conduit à maintenir un haut niveau de protection. Pour autant, même si les grands objectifs demeurent, il importe d'approfondir la réflexion sur les conditions d'engagement de nos forces afin d'adapter autant que de besoin les moyens aux missions. C'est ce à quoi s'emploie notamment le Commandement de la Doctrine de l'armée de terre dont on s'attachera à rappeler l'état des réflexions, lesquelles sont au c_ur des relations entre l'action diplomatique et l'action militaire. Celles-ci confirment les impératifs que constituent la maîtrise de l'information, celles de la multinationalité, de la violence et de l'action coercitive. La maîtrise de l'information est un impératif. Il importe à nos forces de comprendre et de faire comprendre le sens de leur mission et à la chaîne hiérarchique de disposer de la supériorité qui lui permette de commander. Nos forces, mises au service de notre diplomatie, ont désormais pour mission de mettre fin à la violence chez autrui. Elles doivent disposer de la vision la plus claire possible de la situation au sein de laquelle elles agissent. Elles doivent aussi faire comprendre à leur environnement (populations concernées, médias) le sens de la mission que le Chef de l'Etat et le Gouvernement leur ont confiée. A ce titre, cinq principes ont été retenus : - le respect de la liberté de pensée et d'expression : nos forces n'imposent pas les vues de la France mais tentent de convaincre leurs interlocuteurs ; la véracité qui exclut la diffusion d'informations erronées ; la crédibilité grâce à un discours étayé ; la distanciation afin de ne pas s'impliquer au delà du mandat reçu ; l'adaptabilité du langage en fonction des situations. Le commandement suppose d'abord la maîtrise de l'information, c'est-à-dire aujourd'hui la sélection au sein des flux des renseignements. Cette sélection suppose : - un ensemble informatisé apte à fournir aux autorités politiques et militaires l'ensemble des informations leur permettant de planifier les actions prévisibles, de les mettre en _uvre, de les diriger et de les contrôler, - la supériorité nécessaire pour gagner la guerre informatique, forme renouvelée de la guerre électronique en protégeant nos réseaux tout en étant en mesure d'altérer ou de détruire les capacités adverses, - le recours à la simulation qui permet d'anticiper les événements et de précéder la man_uvre des forces adverses, - si nécessaire, la destruction des sites adverses tant militaires que civils (réseaux télévisés ou téléphoniques). La maîtrise de la multinationalité est une nouvelle composante essentielle. La mission de projection s'effectue désormais dans un cadre multinational qui a pour socle la convergence des analyses politiques, la volonté conjointe des Etats à intervenir sur un théâtre d'opérations déterminé, qui peut se traduire soit dans des structures politico-militaires pérennes telles que le Corps européen, l'Eurofor, la brigade franco-allemande, soit dans des structures de circonstance. La maîtrise de la multinationalité repose sur quatre principes : - l'interopérabilité des forces qui suppose la compatibilité des matériels tout autant que la convergence de l'analyse politico-stratégique et des objectifs poursuivis, - le respect d'approches culturelles différentes : tandis que les forces françaises cherchent à provoquer avec un minimum de moyens un effet majeur qui sera obtenu grâce à la liberté d'action laissée au responsable de l'opération, les forces américaines procèdent à une planification rigoureuse de moyens surabondants par rapport à l'effet recherché, - l'affirmation concrète, au niveau des forces, de l'identité européenne de défense par l'engagement de la division multinationale sud-est (DMNSE) au sein de l'IFOR, la SFOR, - la formation des officiers à la maîtrise d'un commandement opérationnel multinational par l'apprentissage des langues et des procédures, la participation à des exercices conjoints et aux opérations extérieures elles-mêmes. La maîtrise de la violence est au centre des réflexions. Nos forces se trouvent désormais dans une situation singulière où elles agissent, sous mandat international, aux côtés d'alliés mais sans avoir face à elles d'ennemis proprement dits sinon la violence qu'engendrent des formations antagonistes qu'il convient de séparer. Le budget du ministère de la Défense s'insère dans un double contexte : - celui qui caractérise l'environnement économique et financier, - celui qu'exige la loi de programmation militaire. L'environnement économique se caractérise, selon les estimations du Gouvernement, par un Produit Intérieur Brut qui, en valeur, pourrait progresser de près de 5%. Evolution estimative du Produit Intérieur Brut de 2000 à 2001 En milliers de francs
L'environnement financier se caractérise, pour sa part, par un freinage des dépenses publiques : - la progression des crédits inscrits au sein de la loi de finances n'est que de 1,7 % ; - le pourcentage du Budget de l'Etat rapporté au P.I.B. descend, par voie de conséquence, en dessous de la barre des 27 %. Evolution du Budget de l'Etat de 2000 à 2001 En milliers de francs
Evolution du pourcentage du budget de l'Etat de 2000 à 2001 par rapport au P.I.B.
Les crédits du ministère de la défense participent largement à ce freinage puisqu'ils restent pratiquement au même niveau qu'en 2000 soit 188 milliards de francs. Evolution du budget de la Défense de 2000 à 2001 En milliers de francs
Aussi bien, en pourcentage, - leur part dans le P.I.B. descend-il en dessous de la barre des 2 %, - par contre, leur part au sein du budget de l'Etat s'érode à peine (7,3 % en loi de finances initiale en 2001 contre 7,4 % en 2000). Evolution du pourcentage du Budget du ministère de la défense de 2000 à 2001 par rapport au P.I.B. En %
Evolution du pourcentage du Budget du ministère de la défense de 2000 à 2001 par rapport au Budget de l'Etat En %
1) Une apparente reconduction des moyens D'une façon générale, ce budget est un budget de simple reconduction qui, comme tel, porte la marque d'une très grande stabilité. Le rapport entre les dépenses ordinaires du Titre III - 105 milliards de francs - et les dépenses en capital - 83,4 milliards de francs - reste identique : près de 56 % pour les premières, un peu plus de 44 % pour les secondes. En leur sein, les dépenses ordinaires ressentent la charge prééminente (laquelle a tendance à s'accroître encore), des rémunérations et des charges sociales (84, 7 milliards de francs ; près de 45 % de l'ensemble des crédits militaires) tandis que les crédits destinés au fonctionnement des services et à l'entraînement des forces demeurent sensiblement au même niveau qu'en l'an 2000 (aux alentours de 18, 4 milliards de francs). L'enveloppe accordée aux dépenses en capital connaît, par contre, des mouvements plus contrastés que caractérisent : - l'éminente priorité donnée aux équipements conventionnels (30,6 milliards de francs ; + 5,5 % d'une année sur l'autre ; 16,2 % des crédits militaires pour 2001), - un certain affermissement des crédits destinés à l'espace et à la dissuasion (23 milliards de francs, 12, 2 % des crédits militaires pour 2001) ; - la stabilité des études (hors nucléaire), 3, 1 milliards de francs, et de l'infrastructure, 7,7 milliards de francs, - le tout gagé, au sein d'une enveloppe qui demeure quasi constante, par la forte baisse (- 8,2 %) des crédits destinés au soutien des forces (16 milliards de francs ; 8, 4 % des crédits militaires). Les autorisations de programme qui, sont, en principe le gage de l'avenir (à moins que la gestion antérieure, à l'excès précautionneuse, ne les ait accumulées), donnent du budget un aspect moins flatteur puisque, avec une dotation de 84,7 milliards de francs, elles baissent de 2,7 milliards de francs (-3,1 % ). Cette baisse qui affecte d'abord les engagements de dépense destinés à l'espace et à la dissuasion (20,3 milliards ; - 18,8 %) est pour partie compensée par la nette croissance (+ 12 %) des engagements consentis aux équipements conventionnels des forces (35 milliards de francs) qui renforcent encore leur part (plus de 41 % des engagements de dépense du ministère de la défense). Il est de tradition de considérer aussi, et peut-être surtout, les crédits militaires par armée (beaucoup ayant jadis la fâcheuse habitude de regarder ce que « l'autre » armée percevait par rapport à elle-même). On ne se dérobera pas à cet exercice même si l'étrange répartition des crédits destinés à l'espace et à la dissuasion lui retire une partie de sa signification. La section dite "commune" regroupe en effet tant les satellites que les fusées et les têtes nucléaires mais non les S.N.L.E (lesquels sont financés sur le budget de la marine) ou les avions porteurs de l'A.S.M.P. (lesquels sont financés par l'armée de l'air) tandis qu'elle comprend, par contre, les crédits du service de santé ou ceux destinés à l'administration centrale. Il en résulte un immense "réservoir" dotée de 48,5 milliards de francs dont autant pour le Titre III que pour le Titre V. Des trois armées, l'armée de terre est, en apparence, la mieux dotée avec 48,7 milliards de francs du fait de ses effectifs plus nombreux tandis que l'armée de l'air et la marine en perçoivent, avec 34,5 milliards pour la première, 33 milliards pour la seconde un tiers de moins. Pour autant les dépenses d'équipement de chaque armée sont quasiment identiques : - 20 milliards pour la marine qui finance, il est vrai, les S.N.L.E., - 18,8 milliards pour l'armée de l'air, - presque autant - à un milliard près - pour l'armée de terre : 17,8 milliards de francs. Evolution du Budget du Ministère de la Défense de 2000 à 2001 par postes Crédits de paiement (en milliers de francs)
Répartition en pourcentage des crédits
Autorisations de programme des Titres V et VI (en milliers de francs)
(en structure)
La répartition des crédits par armée
Cette approche ne tient pas compte, il est vrai, d'un certain nombre de facteurs qui, selon le ministère de la défense, accordent aux armées des moyens plus conséquents que ne l'exprime le bleu budgétaire. Cette situation financière est-elle, pour autant conforme à la loi de programmation ultérieurement révisée par ce que le Gouvernement a appelé la revue des programmes ? La réponse est d'autant plus délicate que la loi de 1996 - il convient de le reconnaître - ne comporte qu'un engagement global (assurer aux armées une ressource de 185 milliards de francs valeur 1995), que nul organisme, au ministère de la défense, n'est en mesure de fournir la répartition prévisionnelle en grandes masses et la répartition effective pour l'annuité considérée. En tout état de cause, le rapport d'exécution pour l'année 2000 élaboré sous le timbre du Gouvernement fait apparaître que des écarts significatifs existent entre les montants prévisionnels globaux que le Parlement a approuvé en 1996 et les crédits : - soit consommés (années 1997 à 1999), - soit en cours de consommation (2000), - soit qu'on lui demande présentement d'approuver au titre de l'année 2001. Ces écarts se chiffrent, en effet à : - 45,2 milliards de francs valeur 2000 au cours des cinq premières années (si l'on s'en tient a la loi adoptée en 1996), - 32,6 milliards de francs si l'on prend comme référence la revue des programmes de 1999. Montant des écarts entre la loi de programmation et les budgets annuels en Titre V En milliards de francs valeur 2000
Montant des écarts entre la loi de programmation, compte tenu de la revue des programmes, et les budgets annuels en Titre V En milliards de francs valeur 2000
Dès lors, et même si cette réflexion se situe à la marge des préoccupations de la Commission des Affaires étrangères, il convient - au moment où l'actuel Gouvernement prépare la prochaine loi de programmation militaire - de se soucier de la présentation d'un projet de loi qui devra, par année et par grande fonction, indiquer les masses financières susceptibles d'être attribuées aux forces armées. Exemple de l'échéancier des crédits militaires susceptible de figurer dans la loi de programmation militaire 2002/2007 en francs 2001
2) Des évolutions physiques qui suscitent de véritables inquiétudes Faute de pouvoir conduire au plus près un contrôle financier, force est de s'en remettre à l'évolution des effectifs (et des dépenses qui leur sont liées au sein d'une armée qui achève sa professionalisation) et à l'exécution physique des programmes. Sans doute s'agit-il d'ailleurs de l'approche la plus pertinente dans la mesure où il importe infiniment plus, pour nos unités déployées sur le terrain, de disposer de combattants entraînés et équipés que de constater que les crédits de tel chapitre sont au niveau prévu par la loi de programmation ! Renvoyant sur ce point aux travaux des commissions des finances et de la défense nationale, le rapporteur de la commission des affaires étrangères se contentera de rappeler les principales évolutions que caractérisent le projet de loi de finances pour 2001. S'agissant des personnels, les évolutions apparaissent strictement conformes aux échéanciers prévus, justifiant ainsi le choix du Chef de l'Etat de professionnaliser nos armées. Sous réserve d'un ajustement portant sur 0, 4 % des effectifs issus du contingent, celles-ci devraient subir, comme prévu, une diminution de près de 40 000 appelés et de 2 500 officiers et sous officiers d'active et bénéficier de la création de plus de 14 000 postes de militaires du rang (dont il est vrai près de la moitié aura le statut de volontaires, ce qui incite à une certaine prudence quant à la certitude de recruter un tel volume d'hommes et de femmes) et de 3 000 postes de personnels civils titulaires (dont l'expérience prouve que le recrutement s'effectue lui aussi avec parcimonie). Le tableau ci-dessous retrace ces évolutions. Evolution des personnels du ministère de la Défense
S'agissant des matériels, le privilège accordé aux dépenses spatiales devrait se traduire par : - des capacités améliorées au profit du satellite d'observation Hélios II, - la continuité de nos efforts en matière de télécommunications spatiales en poursuivant, pour l'instant, dans un cadre national, le programme qui succédera à Syracuse II. Dans le domaine de la dissuasion, on donnera acte au gouvernement que la baisse temporaire des crédits ne remet pas en cause les trois programmes majeurs que sont : - la construction du quatrième S.N.L.E. de nouvelle génération qui a été commandé le 28 juillet 2000, - le missile M 51, - l'A.S.M.P. -A. Au profit des forces classiques : ▪ l'armée de terre devrait : commander 15 postes de tir Roland valorisés, 52 chars Leclerc, 1 250 obus à effet dirigé, obtenir la livraison de 20 AMX 10 RC rénovés et de 1 073 postes de transmission PR4G, ▪ l'armée de l'air devrait : - commander 12 Rafale, - obtenir la livraison des 5 derniers Mirage 2000 D, - bénéficier de l'équipement de 7 nouvelles bases en moyens de transmission MTBA, ▪ la Marine devrait ; - commander 8 Rafale et le 3e avion de guet embarqué, - obtenir la livraison de 5 Rafale et de la 5e frégate de type Lafayette. Malgré la modestie du nombre des commandes et des livraisons des matériels conventionnels cité ci-dessus et, faute d'un référentiel qui permette d'affirmer avec précision que le budget 2001 est conforme à l'annuité correspondante de la loi de programmation, donnons acte que les Etats-Majors ont tendance à considérer que le modèle 2015, il est vrai taillé au plus juste, n'est pas pour l'instant remis en cause, que la pertinence des objectifs fixés pour 2015 se vérifie chaque jour au Kosovo. Ainsi la loi de programmation 1997/2002, qui correspond à la phase de professionnalisation de nos armées apparaît-elle, à l'aube de sa cinquième et avant dernière année d'application, sensiblement respectée. La réalisation du modèle 2015 dépendra bientôt de la loi 2003/2008, dont l'élaboration en cours se soucie de consolider la professionnalisation. Une situation internationale qui demeure incertaine, une défense européenne pour laquelle beaucoup demeure à faire et un budget qui suscite, dans ce contexte, de réelles inquiétudes : le Rapporteur de la Commission des Affaires étrangères ne peut, dans ces conditions, que donner un avis défavorable au projet de budget du ministère de la défense pour l'année 2001. Au cours de sa réunion du mardi 24 octobre 2000, la Commission a examiné pour avis les crédits de la Défense pour 2001. M. Jean-Bernard Raimond, rapporteur pour avis, a indiqué que l'avis de la Commission des Affaires étrangères sur le budget de la Défense pour 2001 devait tenir compte de trois données : la situation internationale, l'état des projets dans le domaine de l'Europe de la défense, enfin la loi de programmation de 1996 et la revue de programme de 1998. La situation internationale issue de l'année 1989 est celle de la fin de la guerre froide, marquée par des crises graves dans le tiers monde mais aussi en Europe, et la stratégie définie alors n'a pas lieu d'être remise en cause. Les événements récents en ex-Yougoslavie viennent d'apporter une dernière touche au phénomène de la disparition irréversible du communisme en Europe. La fin du régime de Milosevic, qui avait donné dix ans de retard au pays sur le reste de l'Europe, a bien été constatée, et cela malgré les difficultés que rencontre le nouveau Président Vojislav Kostunica. Ce dernier a d'ailleurs annoncé dans sa première allocution qu'il s'agissait de la fin du communisme en Serbie. Notre Gouvernement a réagi comme il fallait face à cet événement, qui permet aux Balkans de rejoindre l'ensemble pacifique européen en cette année 2000. Le Rapporteur a souligné que la Roumanie et la Hongrie avaient réglé de manière très positive leurs problèmes de minorités et l'on peut espérer une telle évolution dans les Balkans également. Ces événements traduisent la réussite exceptionnelle de l'ambition européenne prônée par les pères fondateurs de l'Europe dans les années 1950. Cette situation justifie donc pleinement la stratégie qui avait été adoptée et notamment la transformation de notre armée en une armée professionnelle. D'autres faits cependant tempèrent l'optimisme que l'on peut avoir, parmi lesquels la prolifération nucléaire (et l'accès à l'arme nucléaire de l'Inde et du Pakistan), la situation en Corée du Nord (dont on ne sait pas encore si elle est en voie de règlement), les Etats dangereux que sont l'Irak et l'Iran, enfin, la Chine et la Russie, pays pour lesquels la dissuasion nucléaire est au c_ur du dispositif de défense. Certaines décisions du Président Vladimir Poutine sont positives : la ratification de START II, l'approbation de l'arrêt complet des essais nucléaires, l'adoption d'une position avancée en vue d'un éventuel START III. Le projet de bouclier anti-missile américain est pour l'instant suspendu, notamment parce que les essais n'ont pas été probants ; néanmoins le problème reste posé, et ce projet de bouclier qui constitue une réponse à la prolifération sera certainement l'enjeu d'un dialogue russo-américain. Les crédits consacrés à la dissuasion dans le projet de budget 2001, bien qu'ils soient en diminution, correspondent aux besoins actuels, notamment pour les trois programmes majeurs : la construction du 4ème sous-marin de nouvelle génération SNLE, la préparation du missile M 51 et l'inscription du missile ASMP/A - missile air-sol à moyenne portée amélioré. Les progrès accomplis sur le plan politique et institutionnel par l'Europe de la défense ont été spectaculaires, ce que nous devons aussi aux Britanniques depuis le Sommet de Saint-Malo en 1998. D'autres avancées considérables devraient avoir lieu au Conseil européen de Nice. L'essentiel est aujourd'hui de doter l'Union d'une capacité d'action autonome et de décision en matière de gestion des crises. Le corps européen, qui s'est développé depuis longtemps, est devenu le noyau du Quartier Général de la KFOR au Kosovo. La présence du Haut-Représentant de l'Union pour la PESC à la conférence de Charm el-Cheikh est aussi un élément positif. L'Union européenne va se substituer progressivement à l'UEO, laquelle gardera certaines tâches. La décision principale est actuellement celle de conférer à l'Union la capacité de déployer en 60 jours 60 000 hommes pour une durée d'un an. Le problème essentiel des Ministres de la Défense des Quinze est comment engager ou poursuivre l'équipement de nos forces dans cette perspective, car le conflit du Kosovo a montré la disparité entre les capacités américaines et européennes. La crédibilité de la défense européenne exige évidemment le renforcement de nos capacités. Or les crédits d'équipement inscrits dans le projet de budget ne sont pas ceux prévus par la loi de programmation (86 milliards de francs) et même par la revue de programme (85 milliards de francs). Avec 83,4 milliards de francs de crédits de paiement et 84,7 milliards de francs d'autorisations de programmes, un certain retard est pris, regrettable dans l'optique de la contribution à la défense européenne mais aussi de la future loi de programmation 2003-2008. Il est cependant satisfaisant de constater que le NH 90 va entrer en fabrication, que 20 Rafale sont inscrits dans les crédits, ainsi que la livraison des cinq derniers mirages 2000-D. Une grande lacune demeure concernant l'avion de transport européen : un projet européen existe, mais rien n'est prévu dans les crédits, ce qui est une lacune criante étant donné qu'il s'agit du point faible dans les moyens européens de gestion des crises. Pour l'armée de terre, la commande des 52 derniers chars Leclerc est prévue. L'Europe est loin d'être au bon niveau, notamment pour parvenir à une défense autonome, dans le domaine du renseignement, de l'observation et de la communication dans l'espace. L'amélioration du satellite Hélios 2 et la poursuite du projet Syracuse sont prévus, mais ces efforts sont encore loin des besoins. Enfin, la structure de commandement permettant d'entrer en force sur un théâtre d'opérations n'est pas encore au point. En conclusion, le Rapporteur a estimé que le budget présentait une situation stabilisée, ce qui est positif. Reste en revanche préoccupant le déficit par rapport au projets de la défense européenne : alors que les Etats-Unis et la Grande Bretagne amorcent une augmentation des crédits de défense (probablement à cause des enseignements du Kosovo), la France n'est pas dans cette voie. Sans vouloir rivaliser avec les Etats-Unis, la France devrait tenir compte de l'effort britannique. Etant engagé avec d'autres pays européens dans le projet EADS, notre pays doit veiller à ne pas perdre son poids politique et son leadership. C'est pourquoi, à titre d'alerte devant un budget trop stable qui risque de voir la France prendre du retard par rapport à ses partenaires européens, le Rapporteur a recommandé de voter contre le projet de budget. M. Pierre Brana a tout d'abord fait part d'une inflexion de prudence par rapport à la Serbie. Tout en se réjouissant de la chute de Milosevic, il a dit attendre la réaction de M. Vojislav Kostunica par rapport à la relation avec la République serbe de Bosnie et par rapport au Kosovo. Comment va-t-il opérer ? Il faut rester vigilant. Ensuite, M. Pierre Brana a demandé au Rapporteur de bien vouloir apporter un complément sur l'Afrique, continent préoccupant où 34 pays sur 52 sont en conflit et où 20 % de la population se trouvent dans des régions connaissant des luttes armées. Enfin, il a demandé des précisions sur le système d'écoutes américano-anglais que l'on appelle "les grandes oreilles". M. Jean-Bernard Raimond a reconnu être moins prudent que M. Pierre Brana s'agissant de M. Vosjislav Kostunica puisqu'il a été élu et que son succès au premier tour de l'élection présidentielle a été vérifié. C'est un homme élu qui n'a fait que d'excellentes déclarations, qui a un esprit non sectaire et qui est arrivé pacifiquement au pouvoir. Concernant l'Afrique, il faut indéniablement en tenir compte dans l'avis budgétaire. S'agissant du renseignement, M. Jean-Bernard Raimond a précisé qu'il l'entendait dans l'optique d'une opération militaire. En ce sens, les Américains disposent des moyens les plus sophistiqués et ont nettement l'avantage en face d'une Europe qui n'est pas équipée en la matière. Contrairement aux conclusions du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2001. _________ N° 2626.- Avis de M. Jean-Bernard Raymond, au nom de la commission des affaires étrangères, sur le projet de loi de financespour 2001.- Tome VI : Défense. - Cliquer ici pour retourner au sommaire général - Cliquez ici pour retourner à la liste des rapports et avis budgétaires - Cliquez ici pour retourner à la liste des discussions budgétaires
|