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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 16 juillet 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 74

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Présentation du rapport de la mission d’information sur la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin (MM. René Dosière et Daniel Gibbes, rapporteurs)

– Présentation du rapport sur la mise en application de la loi organique n° 2013-402 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux et de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral (M. Pascal Popelin, rapporteur, et M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur)

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine le rapport de la mission d’information sur la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin (MM. René Dosière et Daniel Gibbes, rapporteurs).

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Mes chers collègues, aujourd’hui, notre réunion est d’abord consacrée à la présentation du rapport de la mission d’information sur la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, dont MM. René Dosière et Daniel Gibbs sont les rapporteurs. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de découvrir cette collectivité au cours d’un déplacement effectué voici quelques temps. Je suis donc heureux de prendre connaissance des conclusions des rapporteurs, après la multitude d’auditions auxquelles nos collègues ont procédé tant à Paris qu’à Saint-Martin. La complexité des enjeux que nous avons découverts sur place montre combien était justifiée la demande du groupe UMP de créer cette mission d’information. Avant de leur céder la parole, je tiens donc à féliciter par anticipation les deux rapporteurs pour leur travail.

M. Daniel Gibbs, rapporteur. Je souhaite saisir l’occasion qui m’est donnée pour indiquer qu’il s’agit de ma première mission d’information. À ce titre, je tiens à remercier mon groupe mais aussi le président de la Commission – que j’ai un peu harcelé mais la question était importante à mes yeux et je pense qu’il fallait la porter à la connaissance de nos collègues ici présents. Je remercie également mon collègue René Dosière, qui connaît bien les questions relatives à l’outre-mer. Malgré nos sensibilités politiques différentes, nous avons rédigé ce rapport à l’unisson. C’est bien la preuve que dans certaines circonstances, nous savons faire la part des choses et nous placer au-dessus de ces différences.

Il y a un peu plus de sept ans, le Parlement adoptait une vaste réforme du cadre institutionnel et statutaire de l’outre-mer. Parmi les différentes dispositions de la loi organique du 21 février 2007 figurait l’attribution du statut de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, alors qu’elles étaient auparavant – comme vous le savez – des communes rattachées au département de Guadeloupe.

Les populations de Saint-Martin et Saint-Barthélemy s’étaient prononcées dès décembre 2003 en faveur d’une telle évolution.

La création d’une mission d’information sur la collectivité de Saint-Martin, qui résulte d’une proposition du groupe UMP, ne traduit cependant pas seulement la volonté d’évaluer le cadre statutaire mais aussi celle de prendre en compte les difficultés auxquelles la collectivité est confrontée. Il était également nécessaire d’examiner ses relations avec Sint-Maarten, la partie néerlandaise de l’île – puisque celle-ci est divisée en deux – ainsi que d’évaluer l’impact de son statut de région ultrapériphérique au sein de l’Union européenne.

C’est dans cette perspective d’ensemble que se sont inscrits les travaux de la mission d’information créée le 15 janvier dernier, composée de deux rapporteurs, mon collègue René Dosière et moi-même.

Nous avons procédé à l’audition d’une vingtaine de personnes à Paris et avons effectué un déplacement à Saint-Martin – en votre compagnie, Monsieur le président – qui nous a permis d’entendre l’ensemble des acteurs institutionnels, ainsi que les représentants socio-économiques et les responsables des collectivités et entités voisines (Sint-Maarten, Anguilla et Saint-Barthélemy). Nous nous sommes également rendus à La Haye pour aborder avec les autorités néerlandaises la question des relations avec Sint-Maarten.

Il ressort de nos travaux que le cadre institutionnel et statutaire de Saint-Martin est dans l’ensemble satisfaisant. Il assure en effet le bon fonctionnement des institutions. La collectivité dispose de compétences étendues puisqu’elle s’est substituée à la commune, au département et à la région et peut fixer elle-même les règles dans certains domaines, tels que la fiscalité, le tourisme, la circulation routière, l’urbanisme et l’énergie.

En revanche, nous avons pu constater que la mise en œuvre de ses compétences se heurtait à différentes difficultés.

En effet, la marge d’action de la collectivité en matière de politiques publiques se trouve très limitée en raison d’un déficit budgétaire structurel.

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs :

– la perte de différentes recettes à la suite du changement statutaire : il s’agit de l’octroi de mer et des avances mensuelles sur le produit voté des impositions locales ;

– une évolution exponentielle des dépenses liées au revenu de solidarité active (RSA), qui atteignent actuellement 16 millions d’euros par an ;

– des recettes fiscales insuffisantes, en raison de la suppression de certains impôts ou de la réduction de leurs taux depuis que la collectivité dispose de la compétence fiscale mais aussi des difficultés des opérations d’assiette, de recouvrement et de contrôle qui relèvent toujours de l’État.

Les difficultés financières de Saint-Martin ont conduit à la signature en décembre 2012 d’un protocole d’accompagnement financier entre l’État et la collectivité, prévoyant un prêt de l’Agence française de développement (AFD) de 25 millions d’euros et une avance remboursable de l’État de 18 millions d’euros. La situation reste cependant préoccupante : il nous a été indiqué que le déficit de trésorerie de la collectivité s’élevait, au mois de février dernier, à 35 millions d’euros.

Ces différents constats nous ont amenés à écarter l’hypothèse d’une révision du statut – hormis quelques ajustements visant à renforcer la cohérence de la gouvernance – car celui-ci n’est pas en cause : il s’agit plutôt de créer un cadre propice à l’affirmation d’une stratégie permettant à Saint-Martin de rattraper son retard de développement. Dans cette perspective, nous avons identifié trois axes.

Premier axe : assurer un exercice plus efficace des compétences de la collectivité avec l’appui de l’État

Dans le rapport, nous formulons différentes propositions afin que l’État comme la collectivité assument pleinement leurs responsabilités.

S’agissant de l’État, nous proposons notamment de procéder à un « toilettage » des textes en vigueur à Saint-Martin afin de garantir l’applicabilité des normes, la sécurité juridique des procédures et la précision des compétences transférées à la collectivité ; il conviendrait également de renforcer les effectifs de la préfecture déléguée – on aurait pu aller un peu plus loin et demander un préfet de plein exercice.

Il nous paraît également essentiel d’améliorer la collaboration entre l’État et la collectivité dans le domaine fiscal, afin de résoudre les difficultés des opérations d’assiette, de recouvrement et de contrôle.

Nous proposons aussi différentes mesures pour développer l’attractivité de la fonction publique et la formation des agents de la collectivité.

Compte tenu de la situation préoccupante de Saint-Martin dans ce domaine, il convient de renforcer la politique de lutte contre la délinquance, notamment par l’augmentation des crédits de la politique de prévention et des moyens de la justice.

Enfin, sous réserve de la décision attendue du tribunal administratif de Paris, saisi par la collectivité, nous sommes favorables à un réexamen de l’évaluation et de la compensation des charges transférées à la collectivité, cette évaluation ayant conduit à la fixation en 2011 d’une dotation globale de compensation négative, de l’ordre de 600 000 euros, qui pèse sur le budget de la collectivité.

S’agissant maintenant de la collectivité, nous recommandons l’établissement d’une véritable stratégie de développement, s’appuyant notamment sur une évolution de la gouvernance en matière d’action économique (par la création d’une agence de développement), sur une évaluation systématique de l’impact des mesures fiscales et sur une meilleure utilisation des possibilités d’adaptation des normes.

Le deuxième axe, c’est bâtir un véritable partenariat de co-développement avec Sint-Maarten.

La coexistence avec Sint-Maarten ne va pas sans difficultés, du fait des différences de normes, de monnaie, de système de protection sociale ou encore de statut européen entre deux territoires très interdépendants – notamment parce qu’en pratique aucune frontière matérialisée ne les sépare. De ce point de vue, nous étions et nous sommes l’Europe avant l’Europe !

Certes, il existe une coopération entre les deux parties de l’île, qui trouve notamment sa traduction dans des accords entre la France et les Pays-Bas, mais celle-ci rencontre des obstacles, comme en témoignent les délais nécessaires à la ratification de certains de ces accords – en matière de coopération policière par exemple – ou le manque d’effectivité d’accords déjà ratifiés – par exemple, en matière douanière.

La mission propose donc différentes initiatives visant à relancer cette coopération, en particulier la mise en œuvre d’un échange d’informations pour lutter contre les fraudes relatives à la perception du RSA par des résidents de Saint-Martin employés à Sint-Maarten.

Au plan institutionnel, nous recommandons la création d’un « Congrès de Saint-Martin » – que j'appellerai également « United Congress French and Dutch Saint-Martin » parce que nous sommes une île sur laquelle l’anglais est parlé de chaque côté, cette institution devant réunir les représentants des deux collectivités pour exercer conjointement certaines compétences dans des domaines utiles à la coopération.

Troisième et dernier axe : nouer avec l’Union européenne des relations compatibles avec l’exigence d’une meilleure insertion régionale.

Actuellement, le statut européen de Saint-Martin est celui d’une région ultrapériphérique (ou RUP), intégrée à l’Union européenne. À ce titre, Saint-Martin bénéficie de crédits des fonds structurels européens (près de 70 millions d’euros, tous fonds confondus, sont prévus pour la programmation 2014-2020). Elle doit par ailleurs appliquer l’ensemble des normes européennes, ce qui peut se révéler problématique par rapport à Sint-Maarten, qui a un statut de pays et territoire d’outre-mer (plus communément appelé PTOM), associé à l’Union européenne sans y être intégré.

Nous estimons que l’exploitation des possibilités de dérogations aux normes européennes existant en faveur des RUP permettrait d’ores et déjà une meilleure prise en compte des spécificités de Saint-Martin.

Au-delà, nous pensons qu’une réflexion devrait être menée sur les avantages et les inconvénients d’un passage au statut de PTOM afin que la collectivité puisse arrêter un choix en 2018, compte tenu de l’ouverture d’une nouvelle période de programmation des fonds européens en 2021.

L’avenir de Saint-Martin est ouvert, et nous souhaitons que cet avenir lui permette d’affirmer pleinement sa singularité.

M. René Dosière, rapporteur. Je tiens tout d’abord à saluer l’important travail accompli par M. Daniel Gibbes sur le territoire dont il est l’élu et qui constitue une collectivité française présentant plusieurs singularités.

En premier lieu, l’île de Saint-Martin se présente comme un territoire unique, avec une langue unique, l’anglais. Ce territoire se caractérise par la libre circulation des personnes et des biens et par une faible fiscalité, dans une zone où les mouvements migratoires sont intenses et où existent d’importants trafics de drogue. Sur ce territoire unique s’appliquent deux législations différentes, française d’un côté, néerlandaise de l’autre avec des particularités tenant à la très large autonomie de Sint-Maarten. Les immigrés arrivent principalement par la partie néerlandaise, dans laquelle les contrôles sont souples. Ils gagnent ensuite la partie française, où les prestations sociales et le système de santé sont plus attractifs ; à titre d’exemple, l’hôpital de Saint-Martin accorde, conformément à la pratique médicale française, la priorité aux soins avant de demander au malade le paiement de ces soins, alors que l’hôpital néerlandais vérifie d’abord la solvabilité des personnes.

Au plan économique, il existe de nombreuses distorsions de concurrence entre les deux parties de l’île, en raison des différences de normes applicables, qu’il s’agisse du droit interne – les niveaux de salaire minimum par exemple – ou du droit européen. Ces normes étant peu contraignantes du côté néerlandais, les prix et les services y sont beaucoup plus attractifs. Les deux parties de l’île se situent également dans des zones monétaires différentes : la zone euro pour Saint-Martin et la zone dollar pour Sint-Maarten. La quasi-totalité des sommes versées en euros côté français – salaires, prestations sociales – sont immédiatement converties en dollars et dépensées à Sint-Maarten ce qui, du fait du taux de change, permet de bénéficier de 30 % de pouvoir d’achat supplémentaires.

Par ailleurs, le développement de la délinquance du côté français est préoccupant. En raison de la faiblesse de la coopération avec la partie néerlandaise, il n’y a pas de droit de suite effectif.

On assiste à un appauvrissement réel et régulier de Saint-Martin, parallèlement à l’enrichissement de Sint-Maarten, dont les autorités ne semblent pas en outre très vigilantes à l’égard de l’origine de l’argent – 13 casinos y sont implantés. Tous les transferts en provenance de métropole – traitements ou prestations – financent de fait la partie hollandaise. Il n’existe pas de coopération au-delà des déclarations d’intention, la partie hollandaise n’ayant aucun intérêt à voir évoluer cette situation. Il est particulièrement regrettable que les financements de la partie française ne puissent pas être utilisés pour son développement économique. Cette situation n’est pas tenable et se situe à l’opposé du modèle européen qu’il faudrait construire.

La seule issue est celle d’une véritable coopération franco-néerlandaise. Il est cependant très probable qu’une telle coopération n’aboutisse pas, en l’absence d’une volonté politique de la France et des Pays-Bas et d’un intérêt de Sint-Maarten à coopérer. C’est pourquoi nous sommes favorables, si les mesures concrètes de coopération que nous proposons ne sont pas mises en œuvre dans un délai d’un an, à une dénonciation par la France du traité de Concordia signé par les deux pays en 1648 car aucune autre solution ne serait alors possible.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. J’ai eu la chance d’accompagner les deux rapporteurs à Saint-Martin, qui se trouve dans une situation tout à fait particulière en tant que collectivité d’outre-mer – puisqu’elle est à la fois commune, département et région. Nous sommes en train d’examiner le projet de loi sur la réforme territoriale. Je ne dis pas que j’y ai trouvé une source d’inspiration mais il y a là des éléments tout à fait singuliers, notamment sur le plan social, qui m’ont assez inquiété et sur lequel je souhaiterais interroger les rapporteurs.

Vous le montrez dans le rapport : il y a un nombre considérable d’allocataires et de bénéficiaires de prestations sociales sur l’île, en comparaison de ce que l’on peut observer dans les collectivités voisines – je pense notamment à la Guadeloupe. Si l’on reprend les chiffres, en 2013, le nombre d’allocataires du RSA s’élevait à 3 325. Cela signifie qu’en deux ans, on a enregistré une augmentation de 33,95 %. C’est une hausse relativement spectaculaire que l’on ne trouve pas dans les départements voisins. Il faut mettre ces chiffres en rapport avec les déclarations des foyers fiscaux. Si l’on reprend les données communiquées par la direction régionale des finances publiques de la Guadeloupe, 66 % des foyers fiscaux déclarent percevoir des revenus annuels inférieurs à 9 400 euros. Dans le département voisin de la Guadeloupe, ce taux est nettement plus faible. Aussi se pose une question que René Dosière évoquait : dès lors qu’il y a deux États et que nous ne disposons pas des moyens légaux de rapprocher les informations, est-il absurde d’imaginer qu’une partie de la population travaille dans la partie néerlandaise et perçoit le RSA côté français, sans doute dans l’ignorance de la législation ? Compte tenu de la parité évoquée entre le dollar et l’euro, il est de plus probable que les salaires et les allocations, versées en euros en France, sont immédiatement convertis en dollars pour être dépensés à Sint-Maarten. Si je voulais me montrer extrêmement provocateur – mais chacun aura remarqué le caractère manichéen de ma question – est-ce que la France finance le développement économique de Sint-Maarten ?

M. René Dosière, rapporteur. Effectivement mon exposé, Monsieur le Président, montre bien que c’est la France qui finance en partie le développement de Sint-Maarten. Vous avez pris l’exemple des allocataires du RSA. Il n’existe pas en effet de concordance entre le fichier des allocataires côté français et le fichier des salariés côté néerlandais. Il semblerait que la comparaison des deux fichiers soulève des problèmes qui relèvent des ministères des Affaires étrangères puisque cela concerne deux États différents. Il n’y a pas de volonté de coopération sur ce point. Mais au-delà des seules prestations sociales, les rémunérations même des fonctionnaires – certains d’entre eux sont bien payés puisqu’ils bénéficient d’une surrémunération dans la plupart des collectivités d’outre-mer – sont converties en dollars et ce, peut-être à l’exception de quelques hauts fonctionnaires qui ne peuvent se permettre cette conversion. On se trouve vraiment dans une situation où on accumule les contradictions.

Pourquoi une telle augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA ? Il faut d’abord souligner que les statistiques sont très aléatoires et que l’on ne peut pas préjuger de leur validité. Saint-Martin était une commune ; on n’établissait pas de statistiques pour la commune mais pour la Guadeloupe. Pour autant, ce n’est pas parce que la commune est devenue collectivité que l’on va créer un institut régional de la statistique. La collectivité a cependant quelques difficultés à disposer de ces données, notamment en ce qui concerne l’assiette fiscale – ou l’adresse des gens puisqu’il n’y a pratiquement pas de cadastre.

Il semblerait qu’un certain nombre d’immigrés, qui arrivent dans la partie néerlandaise en situation irrégulière du point de vue français, parviendraient à obtenir un titre de séjour et donc la possibilité de bénéficier du RSA et continueraient à travailler dans la partie néerlandaise. Côté français, malgré les enquêtes que l’on mène, il est impossible de savoir si les gens ont un travail côté néerlandais – la législation y étant très souple, on peut commencer à y travailler puis s’arrêter de manière très simple. Nous sommes – je l’ai dit – dans une situation intenable pour les finances publiques françaises, à commencer par celles de la collectivité.

M. Daniel Gibbs, rapporteur. C’est pour toutes ces raisons qu’il serait opportun de faire de Saint-Martin un laboratoire, à titre expérimental. Nous l’avons dit, c’est un petit territoire – 90 kilomètres carrés si l’on ajoute les petites dépendances. Nous pourrions y expérimenter certaines solutions afin d’éviter ce que j’appelle « l’évasion sociale », qui est un véritable problème sur notre territoire, avec une libre circulation des biens, des personnes et des marchandises. On arrive d’un côté de l’île comme de l’autre sans qu’il y ait de barrière ou de frontières et il est difficile de réguler tous ces flux. Il existe des solutions – certaines d’entre elles pouvant être plus ou moins constitutionnelles. En tous cas, il faut se pencher sur cette problématique.

M. Bernard Lesterlin. Je m’interroge sur la situation de l’emploi à Saint-Martin : comment les acteurs économiques de la partie française font-ils pour recruter des salariés ?

M. René Dosière, rapporteur. Les responsables économiques que nous avons rencontrés nous ont fait part de leurs préoccupations devant l'appauvrissement du secteur des services. Alors que l'économie de l'île repose essentiellement sur le tourisme, la plupart des dépenses touristiques se font dans la partie hollandaise, ce qui incite ces responsables à y créer une annexe de leur activité qui, avec le temps, prospère et pousse à la fermeture du lieu initial de l'activité au profit du territoire hollandais. Ce problème est d'autant plus important que, face à la densification croissante de l’espace dans la partie hollandaise, sous l'effet notamment de l'implantation de casinos et de lieux de loisirs pour les touristes nord-américains – 1,5 million de croisiéristes débarqueraient côté hollandais – la partie française dispose encore de zones à exploiter mais il manque des ressources pour le faire, la construction par quelques-uns de villas ne pouvant suffire à elle seule à son développement. Nous avons là un vrai problème.

M. Bernard Lesterlin. Qu’en est-il de l’hôtellerie ?

M. René Dosière, rapporteur. L’hôtellerie française éprouve beaucoup de difficultés. Elle en a connu il y a quelques années parce qu'elle avait été dopée par la défiscalisation de la loi dite « Pons » dont la suppression a conduit à une chute progressive de son activité. Si elle a depuis légèrement redémarré, son développement est encore fragile. Au demeurant, tous les chiffres sur le développement économique de Saint-Martin – nombre d'entreprises, nombre de chambres d'hôtels – sont sujets à question. Ce qui explique d’ailleurs que l’assiette fiscale et la taxe de séjour ont un produit sans rapport avec le nombre d’hôtels ou, pour le dire autrement, que le nombre d'hôtels est sans commune mesure avec le montant de la taxe de séjour. Hormis ceux qui restent quelques jours dans la partie française, la plupart des croisiéristes restent une journée à Saint-Martin et ne passent que deux heures côté français, éventuellement pour bénéficier de la restauration.

M. Daniel Gibbes, rapporteur. Saint-Martin vit essentiellement du tourisme, qui représente 90 % de son économie, mais l'île a connu un cycle. Une première vague a conduit au développement de Sint-Maarten, où se trouvaient le port et l'aéroport, suivie d’une deuxième qui a permis au côté français de prendre le dessus, grâce aux années de la défiscalisation – notamment avec la loi dite « Pons » – propice au développement des infrastructures hôtelières. Après la suppression de la défiscalisation, le parc hôtelier est passé de 4 500 chambres à moins de 1 200 aujourd’hui. Depuis, un rattrapage est en cours mais des efforts restent à faire du côté français afin de développer l'infrastructure touristique.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. J'en viens à la question de la sécurité sur l'île confrontée à la juxtaposition de deux législations sur le même territoire. Des négociations entre les deux pays sur un traité de coopération policière ont été engagées depuis longtemps mais sa ratification a pris du retard en raison notamment – suivant ceux que nous avons rencontrés – du démantèlement des Antilles néerlandaises et de la nécessité d'intégrer Sint-Maarten au statut de pays autonome, ce qui fut fait en 2010. Depuis cette date, un texte a été adopté en Conseil des ministres et le Gouvernement devrait prochainement l'inscrire à l'ordre du jour de l’Assemblée. En sait-on plus sur les intentions du Gouvernement néerlandais ?

M. René Dosière, rapporteur. Lorsqu'on interroge aussi bien les autorités de Sint-Maarten que celles de La Haye sur ce sujet, nous obtenons des réponses toujours apaisantes et gentilles mais jamais concrètes. Et lorsque des textes sont signés, ils ne sont pas réellement mis en œuvre. Ce rapport, souhaité par Daniel Gibbes, fait apparaître que l'île, qui compte il est vrai peu d'habitants, environ 40 000 à Saint-Martin et autant à Sint-Maarten, est un territoire dont la situation, au sein de notre République, est particulièrement délicate et difficile à gérer en raison de la coexistence de deux législations de pays différents, européens de surcroît. Il est pour le moins curieux qu'aucune solution européenne ne soit trouvée, dans le sens d'une Europe à construire et non d'une Europe des législations différentes et de la concurrence dévoyée.

M. Bernard Lesterlin. Vous voulez peut-être parler d’un condominium, nous avons déjà connu ça !

M. René Dosière, rapporteur. L'utilité de notre rapport sera d'alerter nos collègues et les autorités françaises sur cette singularité : plus on donnera d'argent à Saint-Martin, plus on favorisera le développement de la partie hollandaise.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il faut souligner, à l'attention de ceux qui regarderont notre réunion à Saint-Martin, que la partie française a pris toute sa part dans la négociation du traité de coopération policière. Sur l'insistance de Daniel Gibbes, nous avons veillé à ce que le calendrier de sa ratification soit accéléré. Le Gouvernement a inscrit ce texte au Conseil des ministres. À ma connaissance et contrairement au sentiment que l'on peut avoir sur place, l'immobilisme de la partie hollandaise vient plutôt de la mauvaise volonté mise par le Gouvernement local de Sint-Maarten à transmettre certains éléments au Conseil d'État des Pays-Bas qui l'a interrogé avant que le Parlement néerlandais ne se prononce pas. Il faut dire clairement que s'il n'y a pas de ratification du traité aujourd'hui, c'est parce que le Gouvernement de Sint-Maarten ne fournit pas les éléments qui lui sont réclamés par les autorités centrales des Pays-Bas.

S'il n'y a pas d'autres interventions, je veux, pour conclure, remercier ceux qui nous ont accueillis là-bas : d'abord le préfet délégué auprès du représentant de l'État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, Philippe Chopin, qui a fait en sorte que la mission puisse interroger tous les interlocuteurs qu'elle souhaitait ; et puis l'ensemble des fonctionnaires de l'État, tous services confondus, pour leur disponibilité. Vous savez enfin, Daniel Gibbes, tout le bien que nous avons pensé de la qualité de l'accueil dont vous avez fait preuve à notre égard, vous et vos collaborateurs.

Il s’agit pour la Commission d’une première pierre. Nous pourrons exercer un droit de suite, éventuellement quand le texte autorisant la ratification de l’accord sur la coopération policière sera examiné. Il serait peut-être intéressant que vous en soyez le rapporteur, Monsieur le député. Je l’évoquerai avec Mme Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères.

La Commission, à l’unanimité, autorise le dépôt du rapport de la mission d’information sur la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, en vue de sa publication.

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Puis, la Commission examine le rapport sur la mise en application de la loi organique n° 2013-402 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux et de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, présenté en application de l’article 145-7 du Règlement (M. Pascal Popelin, rapporteur, et M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur).

M. Pascal Popelin, rapporteur. Le cadre juridique régissant les élections locales a été profondément modifié par la loi organique et la loi du 17 mai 2013.

Un peu plus d’une année après la promulgation de ces deux textes, sur la suggestion de notre collègue Guillaume Larrivé, co-rapporteur pour la mise en application, nous nous sommes attachés à contrôler et à évaluer les conditions de leur mise en œuvre, en application de l’article 145-7 du Règlement de notre Assemblée.

Notre premier élément d’évaluation a concerné la publication des décrets d’application prévus. En dehors des décrets relatifs au redécoupage des cantons, qui ont tous été publiés avant le 1er mars 2014 et sur lesquels je reviendrai, ces deux lois n’appelaient qu’un seul décret d’application : il s’agit du décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013. Toutes les mesures réglementaires d’application des lois du 17 mai 2013 ont donc bien été prises.

Notre deuxième élément d’évaluation a porté sur l’application des nouvelles règles prévues pour les élections municipales, à partir des enseignements que les élections des 23 et 30 mars derniers ont permis de tirer.

Dans 59 % des 6 465 communes comptant de 1 000 à 3 499 habitants, dans lesquelles le scrutin majoritaire de liste paritaire avec représentation proportionnelle a remplacé l’ancien système majoritaire plurinominal avec possibilité de panachage, les élections de mars 2014 ont vu concourir au moins deux listes. Une seule commune, Gironde-sur-Dropt, commune comptant 1 136 habitants en Gironde, a été confrontée à l’absence de liste. Toutefois, l’organisation d’une élection partielle le 5 mai 2014 a finalement suscité des vocations, avec le dépôt de trois listes ayant permis l’élection d’un conseil municipal. Au total, 21 186 listes ont été enregistrées dans les 9 734 communes de plus de 1 000 habitants, chiffre en progression par rapport à 2008, ce qui représente 926 068 candidatures enregistrées.

Au-delà de l’intérêt des Français pour la démocratie locale et de la vitalité de l’engagement citoyen dont ces chiffres attestent, il me semble donc possible d’affirmer, à la lueur de ces éléments, que les craintes exprimées par certains de nos collègues lors des débats, s’agissant de la capacité à former des listes paritaires, ou du risque de politisation d’un scrutin qui n’a pas forcément cette dimension dans les communes peu peuplées, ne se sont pas avérées fondées.

Nous nous sommes aussi intéressés au bilan de l’élection, pour la première fois au suffrage universel direct, des conseillers communautaires. Il s’agissait en effet là d’une des autres innovations importantes des lois du 17 mai 2013.

Si le nouveau mécanisme du fléchage ne semble pas avoir posé de difficulté particulière, il apparaît nécessaire que certaines précisions soient apportées sur deux sujets connexes.

L’article 22 de la loi a en effet rationalisé la définition des fonctions de direction au sein d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dont les titulaires sont, de ce fait, inéligibles aux élections municipales organisées dans leur ressort. Cependant, selon divers témoignages portés à notre connaissance, l’élargissement du champ des inéligibilités semble avoir parfois fait l’objet d’une interprétation très extensive de la part de l’autorité préfectorale. Ainsi, certains agents publics occupant des fonctions non explicitement ciblées par ces dispositions auraient été contraints de renoncer à leur engagement citoyen à l’occasion de la séquence électorale de mars 2014. Le rapport préconise donc la publication d’une circulaire rappelant et déclinant ces principes, pour contribuer à leur application homogène sur l’ensemble du territoire de la République.

Les modalités de remplacement des conseillers communautaires uniques élus dans les communes de plus de 1 000 habitants doivent aussi être clarifiées. L’article L. 273-10 du code électoral qui prévoit les modalités de remplacement en cas de vacance d’un siège de conseiller communautaire, modifié à l’initiative du Sénat, vient en effet contredire l’article L. 273-9 du même code. Si cela ne soulève pas de difficultés pratiques, cette forme d’incohérence aboutit à un résultat inverse aux objectifs de parité recherchés. Aussi, à l’initiative de son rapporteur, notre collègue Sébastien Denaja, un article additionnel a-t-il été inséré dans le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, actuellement en cours d’examen, afin de prévoir que, lorsqu’un seul siège de conseiller communautaire est attribué à la commune, le remplaçant du conseiller communautaire démissionnaire est le suivant de liste, nécessairement de sexe différent. Cet amendement permet d’en revenir à l’intention qui nous avait alors animés.

Pour conclure sur la mise en œuvre du volet communal et intercommunal de ces lois, le rapport précise que le contentieux des scrutins des 23 et 30 mars derniers est demeuré stable, comparativement aux précédentes élections municipales : 4 853 recours ont été déposés devant les tribunaux administratifs.

J’en viens maintenant au volet départemental des lois du 17 mai 2013. Comme chacun peut aisément en comprendre les raisons, notre évaluation n’a pu porter que sur les modalités de mise en œuvre du nouveau découpage cantonal.

L’article 46 de la loi a fixé les règles applicables à cette opération de redécoupage. La délimitation des cantons doit respecter trois exigences : la continuité territoriale, l’insertion dans un seul et même canton de toute commune de moins de 3 500 habitants et la définition du territoire de chaque canton « sur des bases essentiellement démographiques ». Il prévoit toutefois qu’il peut être apporté à ces trois règles « des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d’autres impératifs d’intérêt général ». Au cours des débats parlementaires, beaucoup de nos collègues se sont essayés à préciser et élargir ces possibles tempéraments apportés à la stricte logique démographique. Comme je l’avais pressenti à l’époque lors de nos échanges, le Conseil constitutionnel a déclaré tous ces ajouts contraires à la Constitution dans sa décision du 16 mai 2013.

L’ensemble des décrets en Conseil d’État portant nouvelle délimitation des cantons ont été publiés avant le 1er mars 2014. Postérieurement, deux décrets, l’un du 19 mars, l’autre du 13 mai, ont corrigé certaines erreurs matérielles.

Conformément à l’article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, les conseils généraux ont été consultés sur les projets de décret portant nouvelle délimitation des cantons. Sur les 98 conseils généraux, 41 ont émis un avis favorable, tandis que 57 ont rendu un avis défavorable. Les projets de décret ont ensuite été soumis pour avis au Conseil d’État, en formation consultative. Sur les 98 projets, 66 ont fait l’objet de propositions de modification du Conseil d’État, qui ont systématiquement été suivies par le gouvernement.

Sur les 2 054 cantons ainsi découpés, seuls 29 (soit 1,4 %) sont en « exception démographique », c’est-à-dire que leur population excède l’écart de plus ou moins 20 % par rapport à la population moyenne des cantons du département. Je rappelle que cet écart à la moyenne, qui a lui aussi fait l’objet de nombreux débats lors de l’examen de ces textes, ne figure pas dans la version finale de la loi. Il s’agit néanmoins d’une contrainte constante de la jurisprudence constitutionnelle en la matière, réaffirmée avec de plus en plus de fermeté depuis plus de 25 ans.

Les décrets en Conseil d’État portant délimitation des cantons ont fait l’objet d’une importante série de recours. Le ministère de l’Intérieur a reçu plus d’un millier de recours gracieux. Au 18 juin 2014, aucun n’avait donné lieu à une suite favorable aux requérants. Au 9 juillet 2014, le Conseil d’État a, quant à lui, enregistré 2 558 recours contentieux. Les principales critiques émises portent sur le caractère estimé partisan du nouveau découpage, ainsi que sur les atteintes qui seraient portées à la ruralité, en raison de la très vaste superficie de certains cantons et du grand nombre de communes dans certains d’entre eux.

Certains ont, par ailleurs, mis en cause la double compétence – à la fois consultative et contentieuse – du Conseil d’État à l’égard des décrets délimitant les cantons, au motif qu’elle pourrait être de nature à faire douter de son impartialité, notamment au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient toutefois de signaler que le Conseil d’État a rejeté le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) formée à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre un décret délimitant les cantons de la Gironde, qui contestait la constitutionnalité de cette double compétence.

Au 9 juillet 2014, 981 requêtes avaient déjà été traitées et toutes rejetées, 58 sous forme de décisions rendues par des formations collégiales et 923 sous forme d’ordonnances découlant d’une décision prise sur le fond.

À ce stade, je veux simplement mentionner plusieurs décisions significatives du Conseil d’État.

En premier lieu, dans la décision « Hyest » du 21 mai 2014, le Conseil d’État juge que le nouveau découpage cantonal n’est pas tenu de coïncider avec les périmètres d’autres circonscriptions électorales ou de subdivisions administratives. Nous n’avions effectivement pas inscrit ces contraintes dans la loi.

En deuxième lieu, dans la décision « Aserdel » du 26 mai 2014, le Conseil d’État rejette un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 6 février 2014, qui a prévu que le découpage cantonal s’appuie sur les chiffres de population authentifiés fin 2012.

En troisième lieu, dans une décision « Commune de Dieuze » du 4 juin 2014, relative au département de la Moselle, le Conseil d’État apporte des précisions quant à l’intensité de son contrôle des décrets délimitant les cantons : le rattachement d’une commune à un canton plutôt qu’à un autre fait l’objet d’un contrôle restreint, consistant à vérifier l’absence d’ « erreur manifeste d’appréciation » ; le moyen tiré d’un écart important entre la population d’un nouveau canton et la population moyenne du département, alors même qu’il est inférieur à 20 % – en l’espèce, plus de 19 % –, est examiné par le Conseil d’État, qui contrôle les justifications de cet écart et vérifie que celles-ci ne revêtent pas un « caractère arbitraire ».

Enfin, dans une décision du 27 juin 2014, le Conseil d’État considère que la règle législative selon laquelle aucun redécoupage des circonscriptions électorales ne peut avoir lieu dans l’année précédant le scrutin n’entache pas d’illégalité un nouveau décret de délimitation des cantons, rendu nécessaire par l’éventuelle annulation contentieuse d’un premier décret par le Conseil d’État.

Ainsi, sans présumer de l’issue de l’ensemble des contentieux restant à traiter, il ne semble pas imprudent de considérer que peu d’entre eux sont voués à prospérer.

Pour terminer cette présentation d’un rapport qui se veut essentiellement factuel, puisque tel est l’objet de ce type de travail, je rappellerai que le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi qui prévoyait de laisser vacant jusqu’au prochain renouvellement général du conseil départemental un siège qui ne pourrait plus être pourvu ni par le titulaire élu, ni par son suppléant de même sexe. L’article 9 du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, en cours de discussion dans l’hémicycle dès aujourd’hui, a pour objet de proposer un dispositif de nature à régler cette difficulté, en prévoyant que le siège vacant sera pourvu grâce à l’organisation d’une élection départementale partielle, qui se déroulera alors au scrutin uninominal et sera ouverte aux candidats des deux sexes.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur d’application. Les lois du 17 mai 2013 s’inscrivent dans la longue liste des lois électorales votées hier, débattues aujourd’hui ou préparées demain par l’actuelle majorité.

Au-delà des aspects techniques de l’application de la loi que le rapporteur a exposés, je ferai deux séries de remarques.

Quelques mots, d’abord, sur l’application des dispositions relatives aux élections des conseils municipaux et des conseils communautaires. Je souhaite vous faire part d’une interrogation, s’agissant des modalités d’élection des exécutifs des communes et des intercommunalités.

Ces lois de 2013, d’une part, n’ont pas modifié le mode d’élection du maire, qui est élu, comme chacun le sait ici, par les conseillers municipaux et non pas par les électeurs eux-mêmes, contrairement à ce que nos concitoyens croient le plus souvent.

Les lois de 2013, d’autre part, ont entendu permettre aux citoyens de choisir un peu plus directement que par le passé les élus siégeant au sein des intercommunalités ; mais elle ne leur donne pas le droit de choisir eux-mêmes le président de l’intercommunalité, qui est élu par les conseillers communautaires. Certains observateurs ont pu noter, en avril dernier, que ce mode de désignation laisse une certaine part à des tractations de couloirs et à des échanges sur l’attribution de vice-présidences permettant parfois l’obtention d’indemnités. C’est une réalité qui a parfois pu aboutir, dans certaines communautés urbaines ou certaines communautés d’agglomération, à l’élection d’un président dont la sensibilité politique ne semble pas être celle de la majorité des électeurs de l’intercommunalité.

Il me semble qu’il serait plus démocratique, c’est-à-dire plus lisible, plus clair, plus transparent, que les maires et les présidents d’intercommunalité soient élus, demain ou après-demain, au suffrage universel direct. Cette préconisation vaut également pour Paris : contrairement au mode de scrutin actuel, les Parisiens devraient pouvoir élire directement leur maire.

C’est une première réflexion que je souhaitais, très librement, soumettre à notre Commission.

J’en viens maintenant aux dispositions applicables aux régions et aux départements, c’est-à-dire au cœur des lois du 17 mai 2013. Disons les choses comme elles sont : ces lois sont mort-nées.

Je ferai, à cet égard, trois observations.

Premièrement, la modification du calendrier électoral, décidée par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, est déjà caduque puisque le Gouvernement propose, dans un projet de loi débattu cette semaine dans l’hémicycle, de reporter à décembre 2015 les élections départementales et régionales qui avaient déjà été reportées de mars 2014 à mars 2015.

Je regrette, pour ma part, cet ajustement permanent du calendrier électoral, décidé par la majorité du moment, qui fixe les dates des élections à sa guise.

D’autres majorités l’ont fait dans le passé, je le sais, mais il me semble que, dans une démocratie avancée, de telles pratiques devraient être évitées. Il conviendrait de prévoir qu’une modification du calendrier électoral nécessite une approbation à la majorité qualifiée, par exemple une majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée nationale.

Deuxièmement, en abrogeant les dispositions de la loi du 16 décembre 2010 qui créaient les conseillers territoriaux, la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 a eu pour principal objet de mettre fin au rapprochement des régions et des départements, qui aurait dû intervenir dès mars 2014.

Cette loi a entendu rétablir, ainsi, une sorte d’étanchéité institutionnelle entre les régions et les départements. Le Gouvernement nous invite pourtant, désormais, à voter des textes organisant l’absorption progressive des départements par les régions. La cohérence de cette orientation nouvelle avec celle retenue voici quelques mois par la loi de 2013 n’apparaît pas spontanément à l’esprit : vue de Sirius, la logique d’ensemble n’est pas évidente à percevoir ; il est à craindre qu’il en aille de même pour nos concitoyens.

Troisièmement, les lois du 17 mai 2013 organisent un scrutin départemental qui ne peut qu’aggraver la défiance de nos concitoyens à l’endroit de la vie politique.

La mise en place du nouveau mode de scrutin binominal paritaire et le redécoupage suscitent une opposition très vive dans nos territoires. 57 des 98 conseils généraux concernés par une nouvelle délimitation des cantons, soit 58 % d’entre eux, ont voté contre la proposition de redécoupage présentée par le Gouvernement – dont 39 conseils généraux de droite et 18 conseils généraux de gauche.

Les décrets de redécoupage sont massivement contestés : plus d’un millier de recours gracieux ont été reçus par le Gouvernement, qui y a répondu de façon extrêmement succincte, et 2 558 recours contentieux ont été adressés au Conseil d’État. Ce dernier a choisi de procéder très rapidement à l’examen de ces recours, ce dont témoigne le grand nombre de décisions rendues sous forme d’ordonnance ou par une sous-section jugeant seule : on est parfois proche d’une forme d’ « abattage », qui ne permet pas réellement d’aller au fond des sujets.

En outre, la loi de 2013, telle qu’elle a été promulguée après son passage au Conseil constitutionnel, a laissé au Gouvernement une très large marge de manœuvre pour procéder à ce redécoupage selon des considérations d’opportunité qui échappent à tout contrôle juridictionnel effectif dès lors que les équilibres démographiques sont, en apparence, respectés.

Une analyse des écarts à la moyenne départementale dans différents départements démontre en effet que, lorsque c’était possible, le Gouvernement a cherché à augmenter le nombre des cantons susceptibles de voter à gauche, qu’il s’agisse de cantons urbains ou de cantons ruraux, comme l’a excellemment démontré l’étude publiée en mars dernier par notre collègue François Sauvadet, député bourguignon, sous le titre Livre noir sur le redécoupage des cantons de France ou encore les travaux réalisés par nos collègues Pierre Morel-A-L’Huissier et Dominique Bussereau.

Je ne prendrai qu’un seul exemple, en comparant le Gard (dont le président du conseil général est membre du Parti socialiste (PS)) et le Morbihan (dont le président du conseil général est membre de l’Union pour un mouvement populaire (UMP)). Le Gouvernement y a fait des choix d’écarts à la moyenne contraire : la préservation des zones rurales ne l’a préoccupé que lorsque celles-ci lui sont supposées favorables.

Ainsi, la majorité des cantons ruraux du Gard, majoritairement à gauche, ont un écart à la moyenne de – 15 %. À l’inverse, les cantons ruraux du Morbihan, qui sont majoritairement à droite, ont un écart qui dépasse de 10 % la moyenne départementale.

Autre « heureux hasard », les cantons urbains de Nîmes, majoritairement à droite, dépassent tous la moyenne départementale d’environ + 15 %, tandis que ceux de Lorient, majoritairement à gauche, sont inférieurs de – 13 % à la moyenne.

On pourrait citer à l’envi d’autres exemples de redécoupages de ce type, favorables à l’actuelle majorité.

Cet exercice de redécoupage est d’autant plus contestable qu’il aboutira à faire élire des assemblées départementales dont le rôle doit être « dévitalisé », ainsi que l’a annoncé M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la Réforme territoriale.

Je conclurai ces quelques remarques en partageant avec vous ce que le sénateur socialiste de la Haute-Saône, Yves Krattinger a déclaré lors de son audition : « la réforme votée en 2013 n’a plus aucun sens. Les candidats au conseil départemental, en 2015, pourront dire : "je n’ai pas de programme puisque mon programme c’est d’être un syndic de liquidation." C’est une impasse. L’opinion publique est désorientée. Qui ira voter ? »

Cette remarque, en forme de réquisitoire, me semble un excellent résumé de ces lois mal pensées, mal appliquées et, au total, mort-nées.

M. Patrick Devedjian. Est-ce que les deux co-rapporteurs ont vérifié si des membres du Conseil d’État ayant participé à la formation administrative ayant rendu l’avis sur l’un des projets de décrets litigieux ont ensuite siégé au contentieux pour participer au jugement des recours dirigés contre l’acte en cause ? Si oui, combien de membres sont-ils dans cette situation ?

Par ailleurs, quelle est votre appréciation sur l’intérêt du redécoupage des cantons et des départements alors que le Gouvernement a annoncé la suppression des départements en 2020 ou 2021 ?

M. Pascal Popelin. La seconde question me paraît appeler plutôt à des débats dans l’hémicycle, tout à l’heure, lors de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, qu’à une réponse dans le cadre de l’examen de ce rapport d’information.

Sur la première question, je laisserai M. Guillaume Larrivé – qui connaît bien cette institution – répondre. Les formations administratives et contentieuses du Conseil d’État fonctionnent dans une totale étanchéité.

M. Guillaume Larrivé. Le cumul des deux fonctions, consultative et juridictionnelle, du Conseil d’État, appelle à une réflexion. Celle-ci est menée depuis de nombreuses années, dans la lignée de la revue Commentaire notamment. Le constituant a apporté une réponse claire s’agissant de la constitutionnalité de ce cumul, puisque, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la Constitution confie ces deux missions au Conseil d’État.

Au sein du Conseil d’État, la manière dont ces deux fonctions sont exercées a évolué, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – mais aussi d’une prise de conscience de l’institution. Jusqu’à une période relativement récente, les textes n’interdisaient pas expressément aux membres d’une formation consultative de siéger au contentieux lors du jugement d’un acte pris après leur avis. Aujourd’hui, les membres du Conseil d’État qui participent au jugement des recours dirigés contre des actes pris après avis de celui-ci ne peuvent même pas prendre connaissance de ces avis, dès lors qu’ils n’ont pas été rendus publics, ni des dossiers des formations consultatives relatifs à ces avis. Il y a désormais une réelle étanchéité entre les formations consultatives et juridictionnelles. Le Conseil d’État a pris les mesures qui devaient l’être pour séparer, organiquement, les deux fonctions, comme l’imposait la jurisprudence européenne.

J’ai déjà répondu par anticipation à la seconde question dans mon intervention. La disparition annoncée par le Gouvernement des conseils départementaux rend les élections départementales de 2015 sans objet. Comment peut-on attendre de nos concitoyens qu’ils se mobilisent pour ces élections dans de telles conditions ?

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. J’ai noté des observations intéressantes sur le Conseil d’État  de la part des deux co-rapporteurs : l’un se limitant à rappeler que 2558 recours ont été déposés pour dénoncer l’absence de prise en considération de la problématique de la ruralité, la vaste superficie retenue, et l’autre qui pose la question de l’étanchéité entre la section du contentieux et la section administrative et donc de l’impartialité de la juridiction. J’ai noté que M. Larrivé, bien qu’il ait employé des mots choisis, a néanmoins parlé d’« abattage ». Je pense en effet que l’on ne pourra pas faire l’économie d’une interrogation sur le rôle du Conseil d’État dans ce dossier. Cela va vite : Quid du contradictoire ? Quid du respect des droits de la défense ? Le Conseil d’État a déjà été amené, par le passé, à revoir son mode d’organisation pour respecter le droit à un procès équitable en supprimant par exemple la présence du rapporteur public au délibéré. J’estime que d’autres évolutions sont nécessaires compte tenu de la dualité des missions du Conseil d’État et de ses implications sur ce dossier en particulier. Par conséquent, la Cour européenne des droits de l’homme sera saisie de l’ensemble de ce dossier car nous estimons que l’impartialité n’est pas tout à fait au rendez-vous.

M. Patrick Devedjian. Je souhaite reformuler ma question car il n’y a pas été répondu. M. Guillaume Larrivé nous a indiqué qu’une nouvelle règle avait été instaurée pour faire en sorte qu’un membre de la section administrative qui a eu à connaître d’un dossier ne puisse examiner ce même dossier au sein de la section du contentieux. Mais ma question est la suivante : un membre de la section administrative a-t-il siégé au sein de la section du contentieux dans ce dossier ?

M. Guillaume Larrivé. Nous n’avons pas les pouvoirs d’investigation permettant de faire des enquêtes sur place et sur pièces mais à ma connaissance, et en l’absence de preuve contraire, tel n’est pas le cas.

M. Pascal Popelin. Nous avons auditionné M. Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’État, qui nous a affirmé que cela n’était pas le cas. J’observe simplement qu’une mauvaise habitude se répand au sein du personnel politique depuis quelque temps consistant à critiquer le fonctionnement de la Justice chaque fois qu’une décision qui ne lui convient pas est rendue et je le regrette, mais je reconnais à chacun la possibilité d’émettre une telle opinion.

M. Patrick Devedjian. Si la commission des Lois ne se permet pas de critiquer le fonctionnement de la Justice, qui le fera ?

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Respectez la liberté d’expression !

M. Pascal Popelin. Je respecte votre liberté d’expression mais je fais simplement part de mon point de vue. Sur le fond, nous avons interrogé le président de la section du contentieux pour comprendre la manière dont sont traités ces contentieux et connaître la nature de ces contentieux. Ce qui nous a été expliqué c’est que si dans certains départements, l’on compte un ou deux recours, il existe d’autres départements où l’on dénombre des centaines de contentieux. Dans ce dernier cas, la section du contentieux du Conseil d’État rend un jugement en formation collective sur l’un de ces recours qui est ensuite décliné, par voie d’ordonnances, pour tous les autres recours dans lesquels les mêmes moyens sont soulevés. C’est la raison pour laquelle, dans le rapport, nous nous sommes attachés à traiter quatre éléments marquants des décisions rendues depuis le mois de mai car de ces éléments, vont découler toute une série d’ordonnances qui seront prises. Or, il y a encore quelques points de droit à regarder. Mais pour ma part, je ne considère pas qu’il faille remettre en cause systématiquement l’impartialité de la juridiction administrative. J’avais moi-même déclaré dans la presse, au moment de l’adoption de la loi, que les moyens qui étaient annoncés avaient peu de chances d’aboutir en cas de contentieux contre les décrets. Je constate aujourd’hui, au regard des premières décisions du Conseil d’État, que je n’avais pas tort. De la même manière, le fait d’exciper durant les débats en séance publique de l’inconstitutionnalité des dispositions que nous souhaitions adopter s’est avéré inefficace puisque l’essentiel de la loi a été déclarée conforme à la Constitution. J’observe d’ailleurs que parmi les dispositions qui ont été censurées figurent certaines dispositions introduites par les mêmes que ceux qui ont déposé le recours devant le Conseil constitutionnel.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Si l’on ne peut plus dire ce que l’on pense des procédures juridictionnelles et de contentieux importants au sein de la commission des Lois, où va-t-on ? Je suis très surpris de la manière dont la juridiction administrative a traité ces recours. Je n’ai même pas reçu, par exemple, d’accusé de réception de la requête que j’ai déposée, ce qui est inhabituel. Nous saisirons la Cour européenne des droits de l’homme, car nous ne sommes pas satisfaits de la manière dont le Conseil d’État a examiné ces recours. 

M. Guillaume Larrivé. Selon un adage anglais, « justice must not only be done, but must also be seen to be done ». C’est ce qu’on appelle, en français, la théorie des apparences c’est-à-dire que la justice doit non seulement être rendue mais qu’elle doit sembler l’avoir été manifestement. À cet égard, le Conseil d’État n’a peut-être pas été suffisamment précautionneux, compte tenu de la sensibilité politique de ces dossiers et du nombre très élevé de recours, dans son traitement de ces requêtes. Il aurait sans doute été préférable de les confier à des formations plus élevées que de simples sous-sections jugeant seules et de leur consacrer plus de temps. À la décharge du Conseil d’État, le législateur lui avait imposé un calendrier très contraignant, puisqu’il lui fallait avoir jugé avant mars 2015.

La Commission autorise la publication du rapport.

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La séance est levée à 12 heures.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur sur la mise en application de la loi qui serait issue de l’adoption définitive du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (n° 2110).

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Dominique Bussereau, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, Mme Pascale Crozon, M. Sébastien Denaja, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Daniel Gibbes, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Bernard Lesterlin, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, Mme Cécile Untermaier,
M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. Patrice Verchère, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Sergio Coronado, Mme Françoise Descamps-Crosnier, Mme Laurence Dumont, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg