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Commission des lois constitutionnelles de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 13 janvier 2016

Séance de 21 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Vice-Président

– Suite de l’examen du projet de loi pour une République numérique (n° 3318) (M. Luc Belot, rapporteur)

La séance est ouverte à 21 heures 35.

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président.

La Commission poursuit, sur le rapport de M. Luc Belot, l’examen du projet de loi pour une République numérique (n° 3318).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Nous avons déjà examiné 176 amendements ; il en reste 432. Au rythme auquel nous avons travaillé, il nous faudrait encore environ quinze heures trente pour achever l’examen du texte. Vous avez certes l’éternité devant vous, mais celle-ci pourrait commencer avec les réunions supplémentaires de la commission qui ont été prévues demain matin et demain après-midi… Et elles risquent fort de ne pas suffire. Je ne puis donc que vous suggérer d’en tirer les conséquences et d’accélérer le rythme, sans que la pertinence de nos échanges n’en souffre pour autant.

Après l’article 17

La commission examine, en discussion commune, les amendements CL84 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet et CL463 de M. Christian Paul.

M. Lionel Tardy. L’amendement CL84 vise à favoriser la circulation des données au sein de la communauté de la recherche. La capitalisation du travail de curation et de formatage des données, ce qu’on appelle le prétraitement ou la normalisation, est fondamentale pour les chercheurs. Il s’agit d’une demande forte de la communauté de la recherche. Il apparaît important de pouvoir mutualiser ce travail pour fournir un matériau directement exploitable par d’autres chercheurs. Le présent texte doit prévoir la conservation et la diffusion des jeux de données au terme de la recherche.

M. Christian Paul. L’amendement CL463 vise à favoriser l’exploitation des données à des fins de recherche publique. Un certain nombre de possibilités sont déjà inscrites dans notre droit mais, d’une effectivité très relative, sans commune mesure avec les besoins de la recherche. Il faut, on l’a souligné par ailleurs, manier des quantités considérables de données, à l’aide d’algorithmes ; bref, ces procédés de data mining, de fouille des données correspondent à une demande très forte en France. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont pris une avance importante ; c’est un enjeu essentiel pour la recherche française.

M. Luc Belot, rapporteur. La fouille de données est toujours possible, c’est la fouille de textes qui ne l’est pas, par le fait qu’elle impose de copier le texte en question, ce qui pose le problème du droit d’auteur. Ce dossier est en cours de discussion au niveau européen ; la Commission européenne de M. Junker a émis le souhait de « réviser les règles de l’Union afin de permettre aux chercheurs d’utiliser plus facilement les techniques de fouille dites data mining et de text mining pour analyser de grandes séries de données. L’éducation – poursuit la Commission – constitue une autre priorité. Je vous propose par conséquent de ne pas nous mettre en infraction avec le droit en vigueur et d’attendre l’évolution du cadre juridique européen. Je vous suggère donc de retirer vos amendements.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements. En l’état actuel du droit, aucune des exceptions prévues par la directive européenne sur les droits d’auteur ne concerne l’exploration de textes, même si la Commission européenne a annoncé, le 9 décembre dernier, qu’elle ferait des propositions sur le sujet dès le printemps 2016. Dans ces conditions, il serait compliqué pour la France d’anticiper le cours des négociations prévues. Néanmoins, le Gouvernement a bien conscience de l’enjeu et notamment de l’importance pour la recherche française de conserver son attrait et donc ses moyens, en particulier ses moyens technologiques et numériques.

C’est pourquoi le Premier ministre a confié au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi qu’au ministère de la culture et de la communication une mission destinée à faire converger tous les acteurs impliqués, notamment les éditeurs, afin d’aboutir à un accord. Ce dialogue est indispensable compte tenu du caractère très technique et très juridique de la question, et de la nécessité de mettre au point un dispositif qui apporte toutes les garanties nécessaires pour faire face au risque de dissémination des fichiers.

J’ajoute que le Royaume-Uni est le seul pays d’Europe à avoir mis en place une telle disposition qui entre en contravention avec le droit communautaire en vigueur. Du reste, une discussion est engagée au sein même du Parlement britannique sur les éventuels abus d’exploitation commerciale, au-delà des objectifs de recherche initialement affichés de ces pratiques.

Il est donc sans doute prématuré, à ce stade, je le répète, d’introduire une telle disposition dans le texte.

M. Christian Paul. J’entends les arguments avancés par la secrétaire d’État et je connais, comme chacun ici, l’état du droit européen et les exceptions à la directive de 2001. Cependant, il serait intéressant qu’à l’occasion du débat en séance publique, le Gouvernement, dans le cadre de la préparation de la révision des textes européens et moyennant, bien sûr, les précautions nécessaires, s’engage plus fermement à défendre cette exception. Je veux bien retirer mon amendement mais dans la perspective de le déposer de nouveau afin que nous ayons sur le sujet un débat public le plus dense, le plus précis possible.

L’amendement CL463 est retiré.

La commission rejette l’amendement CL84.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL30 de M. Lionel Tardy et CL88 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, et les amendements CL462 de M. Christophe Premat et CL615 de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, également identiques.

M. Lionel Tardy. Nous retrouvons la question de la « liberté de panorama ». En 2011, j’avais proposé de l’introduire dans la loi, ce qui m’avait été refusé. Or nous sommes de plus en plus nombreux, et sur tous les bancs, à défendre cette position. Il en était question dans l’avant-projet de loi qui a fuité au cours de l’été ; depuis, plus rien ! Pourtant, la secrétaire d’État chargée du numérique s’est rendu compte, à la suite de la publication d’un tweet avec la photographie de la Tour Eiffel, qu’il était absurde de ne pas pouvoir légalement photographier les monuments situés dans des lieux publics et de ne pas pouvoir diffuser ces photographies.

Je rappelle que l’exception au droit d’auteur est en vigueur dans de nombreux pays européens et qu’en interdisant la publication de photographies, si une œuvre architecturale ou artistique protégée par le droit d’auteur apparaissait sur un site, ce dernier encourrait le risque de poursuites en contrefaçon. Certes, ce genre de poursuites n’est, à ma connaissance, jamais engagé, mais nous sommes là pour améliorer la loi, pour l’adapter aux évolutions techniques de la diffusion artistique. En d’autres termes, refuser cette exception ne servirait à rien.

En toute honnêteté, je ne vois pas l’intérêt qu’il y a à repousser sans cesse ce débat, sachant que la liberté de panorama a davantage sa place, vous en conviendrez, dans ce projet de loi dit de « liberté de création ». Une éventuelle opposition à tous les amendements concernant la liberté de panorama, une opposition au principe lui-même, serait incompréhensible et purement dogmatique. Il est temps de nous prononcer ensemble en faveur de son inscription dans la loi.

M. Patrice Martin-Lalande. Compte tenu de l’argumentation insurpassable de Lionel Tardy, je me bornerai à préciser qu’avec Nathalie Kosciusko-Morizet, nous poursuivons le même objectif avec l’amendement CL88…

M. Émeric Bréhier, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation qui l’a adopté, je défends l’amendement CL615 qui participe de la même logique de liberté de panorama, tout en précisant que j’y suis, à titre personnel, défavorable. C’est pourquoi je préférerais qu’un des signataires de l’amendement prenne la parole.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Tout cela est très simple…

M. Christian Paul. Extrêmement simple. Le rapporteur pour avis a parfaitement expliqué la démarche de la commission des affaires culturelles, tout aussi attachée au droit d’auteur que la commission des lois. Nous savons toutefois que la directive de 2001 prévoit de possibles exceptions – parmi lesquelles la liberté de panorama. Si nous avons adopté cet amendement, après un débat qui a duré en France pendant de nombreuses années, c’est parce que la situation nous paraît assez mûre pour que le législateur puisse ainsi en disposer. Il s’agit de la reproduction d’œuvres architecturales ou plastiques placées de façon permanente dans le domaine public.

Or l’absence de liberté de panorama s’apparente depuis très longtemps à une forme de privatisation de l’espace public ; aussi considérons-nous qu’il faudrait trouver un meilleur équilibre afin de ne pas pénaliser cette activité d’intérêt général qu’est la photographie urbaine, sans parler des usages privés qui peuvent en être faits sur les réseaux sociaux, même si les plaintes, il est vrai, sont rares. N’oublions pas non plus que la photographie urbaine offre, pour des œuvres d’architectes ou de plasticiens, l’occasion d’être plus largement diffusées.

M. le rapporteur. S’il est possible pour les États de transposer en droit national cette exception au droit d’auteur, effectivement prévue dans la directive 2001/29/CE, force est de constater que ce texte est précisément en cours de révision. Ce débat est fort ancien, vous le savez, et le dispositif envisagé compte autant de partisans farouches que de détracteurs qui ne le sont pas moins, et leurs échanges ne sont pas toujours un modèle de rationalité… Et même si ce n’est pas le cas des propos tenus par les uns et par les autres ce soir, qui restent mesurés parce qu’animés par la volonté d’avancer, je me dois de vous rappeler que la France a souligné avec constance quel pouvait être l’impact de la liberté de panorama.

On cite toujours le scintillement de la Tour Eiffel dont on peut faire un vine afin de le poster sur Facebook. Reste que, ce faisant, l’on prive de revenus certains artistes, revenus qui contribuent par ailleurs au financement de la culture ; c’est là une réalité objective. Cette pratique permet en outre une utilisation lucrative des œuvres par toute personne, sans demander leur autorisation aux auteurs ni les rémunérer. Or les artistes peuvent d’ores et déjà permettre l’utilisation gratuite de leurs œuvres.

J’entends les arguments de Christian Paul et Lionel Tardy sur l’usage de cette exception par les particuliers. Ne pourrons-nous pas profiter du temps qui nous sépare de l’examen du texte en séance pour préciser la rédaction de vos amendements sur ce point particulier, de façon à éviter les enjeux commerciaux ?

Mme la secrétaire d’État. Dans le monde numérique, l’écart est parfois très important entre les usages qui se développent chez les particuliers et le droit en vigueur ; c’est le cas ici. Néanmoins, il ne faut pas s’empêcher de réfléchir à l’opportunité d’avancer sur le sujet – je parle d’opportunité car nous savons que la question est inscrite à l’ordre du jour des discussions au niveau européen, et c’est davantage pour des raisons tactiques que le Gouvernement est défavorable au dispositif proposé. Je vous invite en effet à relire L’art de la guerre : il ne faut pas dévoiler ses positions avant d’avoir entamé les négociations. L’enjeu peut être grand pour certaines professions : les architectes, les photographes… Il s’agit d’être pleinement conscient de l’impact potentiel de l’introduction – qui nous semble donc prématurée – d’une telle mesure.

M. Lionel Tardy. L’argumentation du rapporteur et de la secrétaire d’État ne tient pas : on verra plus loin que nous allons prendre des décisions sur de nombreux sujets alors même qu’ils sont en discussion au niveau européen. Encore une fois, il s’agit d’une des exceptions optionnelles d’ores déjà prévue, mais que la France n’a pas encore transposée, alors que nombre d’autres pays européens l’ont fait sans qu’aucun préjudice pour les ayants droit des œuvres concernées ait pu être constaté. Ensuite, je constate que ce refus nuit au rayonnement du patrimoine français – plus de 3 milliards d’internautes sont tout de même concernés. Enfin, parmi les amendements en discussion, je préfère ma rédaction qui utilise le terme de « lieux publics » quand celui de la commission des affaires culturelle parle d’« extérieurs publics ».

M. Philippe Gosselin. Cette question est importante en ce qu’elle touche au respect du droit d’auteur. La France a été précurseur en la matière depuis la Révolution, depuis les lois votées en 1848, en 1857, etc. Nous avons toujours eu le plus profond respect de l’auteur.

Pour ma part, je souscrirais à cette exception de panorama si elle s’appliquait à la photographie du particulier avec un monument en fond de décor – un joli selfie, par exemple : toi, moi, je t’aime, à la vie, à la mort, avec la Tour Eiffel derrière… Qu’il n’y ait pas de méprise, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ce n’est pas à vous que je m’adressais ! (Sourires.)

M. le rapporteur. Quand on sait votre amour du mariage pour tous…

M. Philippe Gosselin. Précisément : de la même façon, je doute du panorama pour tous.

Pour en revenir au droit d’auteur, le principe de mettre tel ou tel monument en fond d’écran, y compris un monument contemporain dès lors qu’il se trouve dans l’espace public, pourquoi pas, dans la mesure où ce n’est pas le monument en question qui est le point essentiel pour le particulier ? En revanche, si je lis bien les amendements, ils concernent également, et c’est ce qui me pose problème, les usages commerciaux : cartes postales, magnets, objets publicitaires… Je ne vois pas au nom de quoi quelqu’un qui vendrait ces objets à Montmartre, au Mont-Saint-Michel ou ailleurs, priverait, le cas échéant, les sculpteurs, les artistes de leurs droits imprescriptibles. C’est en tout cas à la loi de garantir ce droit de propriété. Aussi la piste évoquée par le rapporteur d’envisager un distinguo entre l’utilisation privée et l’utilisation commerciale peut-elle constituer un élément de réflexion intéressant. En l’état actuel, le dispositif proposé me paraît ouvrir une brèche dans un droit à mes yeux essentiel.

Mme Isabelle Attard. Au sein de l’Union européenne, seules l’Italie, la France et la Belgique n’ont pas adopté la liberté de panorama. Dans les pays où elle est en vigueur aussi, il y a des architectes, des plasticiens qui ont réalisé des œuvres grandioses photographiées par des millions de touristes chaque année ; on ne me fera pas croire que ces pays ne se soient pas inquiétés d’un possible risque d’une perte de revenus lié à l’exercice de cette liberté. Je rejoins Lionel Tardy et Christian Paul sur le fait qu’il y va également de la renommée de notre patrimoine.

M. Philippe Gosselin. Mais il faut distinguer l’usage privé de l’usage commercial.

Mme Isabelle Attard. On peut en effet opérer une distinction, mais aujourd’hui les autres pays européens ne la font pas tous. Je ne pense pas qu’il soit possible de légiférer œuvre par œuvre, ce serait même aberrant : imaginez-vous un touriste devant consulter les textes pour savoir s’il peut ou non se faire photographier devant tel ou tel monument ?

Quoi qu’il en soit, l’absence de liberté de panorama pose problème : certains qui se sont fait photographier devant la petite sirène de Copenhague ont été obligés de retirer le cliché de leur page Facebook ! On ne peut pas non plus se faire photographier devant le viaduc de Millau et le poster sur les réseaux sociaux. C’est comme si je photographiais n’importe quelle couverture de livre sans pouvoir la poster sur ma page Facebook, à moins de verser des droits à l’auteur !

M. Christian Paul. Chacun sent bien, après cet échange, que le droit français est trop à l’étroit pour prendre en compte les évolutions de la photographie – je pense à la photographie numérique – mais aussi celles des échanges et des usages sur les réseaux sociaux. C’est pourquoi je souhaite que ce débat se poursuive. On ne peut pas restreindre la liberté de panorama, monsieur le rapporteur, aux particuliers – Wikipédia, par exemple, se situe entre le commercial et le privé. Pour avancer, nous devons réfléchir à l’idée de donner au dispositif une visée non lucrative, même si ce n’est pas ma position. Il y a peut-être là une piste à explorer.

M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Je souscris pour ma part à la proposition du rapporteur.

M. le rapporteur. Il conviendrait de préciser, à la fin de l’amendement : « à l’exclusion de toute exploitation commerciale. » Je soumets cette proposition à votre réflexion.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je vous suggère d’ajouter ces mots à la fin de l’amendement CL30 de M. Tardy qui utilise le terme de « lieux publics ».

M. Philippe Gosselin. La proposition de Christian Paul de distinguer la pratique commerciale de celle qui ne l’est pas est intéressante. Ne pouvons-nous pas profiter des quelques jours qui nous séparent de l’examen du texte en séance pour affiner notre réflexion ? Je ne refuserais pas de voter l’amendement CL30 dans sa nouvelle mouture, mais il conviendrait d’apprécier les conséquences du dispositif ainsi proposé.

Mme Karine Berger. Je prends un exemple pratique pour tâcher de mieux comprendre : imaginons qu’une personne fasse une photographie panorama et que Google l’utilise dans sa page d’appel et qu’on puisse cliquer dessus : cette pratique est-elle considérée comme commerciale ou non ? Pour moi, oui, mais qu’en pense le rapporteur ?

M. le rapporteur. C’est justement un des points que nous devrons préciser. Je propose à chacun de retirer son amendement pour que, dans les deux jours qui viennent et bien avant la limite de dépôt des amendements, je puisse vous proposer une nouvelle rédaction dans l’esprit qui nous anime, afin que nous reprenions sereinement ce débat en séance.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. La base de la discussion en séance serait donc l’ajout à l’amendement CL30 – qui évoque, j’y insiste, des « lieux publics » – des mots proposés par le rapporteur.

M. Lionel Tardy. Je veux bien retirer mon amendement, mais sous réserve que nous trouvions une vraie solution. Je rappelle tout de même qu’il a été adopté à l’unanimité par les membres de la commission des affaires culturelles.

M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Pas à l’unanimité, mon cher collègue !

M. Lionel Tardy. Quasiment… En tout cas il a été voté par des députés de tous les groupes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. La précaution est simple : vous retirez tous vos amendements et les redéposerez si nous ne parvenons pas à régler le problème.

M. le rapporteur. Je vais déposer un amendement suffisamment tôt afin que chacun puisse prendre position.

M. Christian Paul. Soit, mais j’espère que ce procédé ne fera pas jurisprudence pour tous les sujets que nous allons aborder au cours de la soirée.

Les amendements CL30, CL88, CL462 et CL615 sont retirés.

La commission examine l’amendement CL345 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Il s’agit de mettre les livres numériques sur le même pied que les livres imprimés pour ce qui touche à la rémunération des auteurs et des éditeurs par les bibliothèques. Vous savez que pour les livres imprimés, une négociation s’engage à partir d’un catalogue imprimé. Nous proposons le même mécanisme pour les livres numériques. En effet, la négociation s’effectue jusqu’à présent éditeur par éditeur, livre par livre, si bien que seulement 14 % de l’offre numérique se retrouve dans les bibliothèques alors que les livres numériques sont l’avenir et qu’on ne saurait freiner leur utilisation.

M. le rapporteur. Je suis totalement favorable à l’idée que contient cet amendement. Nous avions déjà discuté, vous et moi, de ce type de dispositif. Cela étant, il pose un vrai problème : vous avez expliqué tout à l’heure que lorsque vous vous photographiiez devant un ouvrage vous alliez devoir payer des droits d’auteur ; or dans le cas d’un livre numérique, l’auteur ne toucherait rien… Vous évoquiez par ailleurs l’idée de réunir tous les acteurs du secteur autour du médiateur du livre. Soit le Gouvernement s’engage à lancer une vraie mission destinée à trouver la bonne solution, soit nous tâchons de parvenir à une meilleure rédaction de l’amendement d’ici à l’examen du texte en séance, car la vôtre me paraît en l’état compliquée au regard du droit d’auteur.

Mme la secrétaire d’État. On ne peut qu’encourager le prêt de livres numérique en bibliothèque ; cependant, contrairement à la liberté de panorama, il ne s’agit pas d’une exception au droit d’auteur pour laquelle le droit européen permet de déroger. Ce sujet fera partie des prochaines négociations de la directive relative aux droits d’auteur. Pour l’heure, la pratique consiste à n’autoriser le prêt de livres numériques que dans le seul cadre de licences, qu’il faut négocier.

La comparaison entre le livre numérique et le livre physique est délicate à établir dans la mesure où il s’agit d’un marché émergent, particulièrement en France où l’offre et la demande sont moins pressantes que dans beaucoup d’autres pays voisins. Le Gouvernement a donc préféré retenir le principe de la licence afin de préserver une certaine souplesse en termes de modèle économique et de modalités d’accès ainsi que pour favoriser le développement de ces usages.

À cet égard, une convention a été passée en 2014 avec les associations représentatives de huit professionnels du livre et la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) qui a formulé des recommandations pour une diffusion du livre numérique par les bibliothèques publiques, dans l’attente des négociations européennes qui ne manqueront pas de se dérouler très prochainement.

Mme Isabelle Attard. Je précise que lorsque je parlais tout à l’heure de payer des droits d’auteur sur un livre avec lequel je me serais faite photographier, c’était de l’humour… Il est certain que, compte tenu des freins qui font obstacle à leur consultation, le marché français des livres numériques ne risque pas de se développer très rapidement ! C’est le serpent qui se mord la queue… alors qu’à l’extérieur de nos frontières, il est en pleine expansion, et les éditeurs français de livres numériques le savent parfaitement.

Il s’agit aussi de simplifier la vie des bibliothécaires contraints de négocier livre par livre avec chaque éditeur, chacun imposant ses conditions particulières. Ainsi, certains ouvrages numériques ne peuvent être prêtés que cinq fois, d’autres deux ou trois fois : personne ne peut se sortir d’une situation aussi aberrante !

La Commission rejette l’amendement CL435.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL631 de la commission des affaires économiques.

Mme Corinne Erhel, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires économiques. La commission des affaires économiques avait déposé un amendement prévoyant la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement relatif aux conséquences de la politique d’ouverture d’open access sur le marché de l’édition, même si j’ai bien compris que ce mot est tabou à la commission des lois…

Je persiste à croire que, lorsque les positions sont aussi antagonistes, quel que soit le sujet, il n’est pas inutile de les analyser objectivement ; toutefois, je me rallierai à la position du rapporteur en espérant que l’impact des mesures que nous allons adopter sera étudié, mais aussi qu’une étude prospective sera conduite sur l’accompagnement et l’adaptation des modèles.

Précisons par ailleurs que si nous demandons ces rapports, c’est aussi parce que les études d’impact accompagnant les projets de loi ne sont pas suffisamment documentées – et dans le cas présent, c’est justement ce qui, pour une part, explique la tension constatée entre les acteurs.

M. le rapporteur. Je tiendrai peut-être des propos encore plus sévères que les vôtres au sujet de l’étude d’impact, même si la version que nous avons reçue a été étoffée depuis la présentation du projet de loi devant le Conseil d’État, ce qui est heureux. Cela étant, je constate que les études d’impact proviennent du Gouvernement, ce qui n’est pas sans inconvénient ; il y a peut-être là une piste de travail à explorer dans notre réflexion sur l’amélioration de notre fonctionnement démocratique…

M. Philippe Gosselin. Intéressant !

M. le rapporteur.… quelles que soient la majorité et la législature. Je ne peux donc qu’encourager ma collègue Corine Ehrel à retirer son amendement comme elle l’a laissé entendre, tout en suggérant, en accord avec M. Gosselin, de poursuivre avec elle la réflexion dans le cadre du rapport d’information sur l’application de la loi.

M. Philippe Gosselin. Tout porte à croire que le rapport d’information sur l’application de la loi sera conséquent, monsieur le rapporteur…

L’amendement est retiré.

Article 18 (art. 22, 25, 27 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) : Procédure d’accès à certaines données publiques à des fins statistiques par l’intermédiaire du numéro d’inscription au répertoire (NIR)

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL575 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’amendement de précision CL572 du rapporteur.

La commission est saisie de l’amendement CL605 de la commission des affaires sociales.

Mme Hélène Geoffroy, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires sociales. L’article 18 est intéressant pour la statistique et la recherche publique car il permet de rénover les conditions d’accès au répertoire national d’identification des personnes physiques (NIR) ; c’est une de ses principales avancées. Plusieurs garanties sont toutefois apportées à la protection de la vie privée telle la création d’un tiers de confiance au sein de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), seul habilité à détenir la clé de chiffrement. Un passage est ainsi créé entre le NIR, qui est identifiant, et un code statistique non signifiant qui permet d’appareiller des données.

Au titre de ces garanties figure le renouvellement de l’opération cryptographique qui substitue au NIR ce fameux code statistique non signifiant. Selon l’INSEE, la fréquence de ce renouvellement devrait être fixée entre cinq et dix ans afin de concilier à la fois la protection des identités et la souplesse des procédures.

Cet amendement vise donc à inscrire dans la loi une espérance de vie limitée du code statistique non signifiant tout en laissant au décret prévu par le présent article le soin d’en préciser la durée.

M. le rapporteur. La présentation de votre amendement m’inciterait à émettre un avis favorable ; malheureusement, l’alinéa concerné comporte déjà douze lignes et sa lecture risquerait de s’en trouver alourdie. Je vous propose de le retirer afin que, d’ici à l’examen en séance, nous puissions en reprendre la rédaction dans une phrase spécifique ; je pourrais alors émettre un avis favorable en séance.

Mme la secrétaire d’État. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

Mme Hélène Geoffroy. Je retire mon amendement sur la foi des propos du rapporteur en rappelant que la commission des affaires sociales a été sensible au fait que le NIR comprend le numéro de sécurité sociale des personnes et que la protection de ce type de données est un enjeu indispensable.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL573 et CL574 du rapporteur et CL604 de la commission des affaires sociales.

Mme Hélène Geoffroy. Mon amendement CL573 est de clarification rédactionnelle, la rédaction proposée étant obscure. Il s’agit de circonscrire le traitement des données au seul service de la statistique, ce qui n’est ni l’objet ni la conséquence de l’opération cryptographique ; cela doit être précisé.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Monsieur le rapporteur, les trois amendements concourent à la suppression d’une redondance : quel est votre choix ?

M. le rapporteur. La combinaison de mes amendements CL573 et CL574 satisfait l’amendement CL604 dont je demande le retrait.

Mme Hélène Geoffroy. Soit, mais vous remarquerez que je parvenais au même objectif en un seul amendement, ayant cru comprendre que la concision était une tradition de la commission des Lois…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Voilà une courageuse perfidie en ce lieu ! Mais vous avez raison de vous défendre…

L’amendement CL604 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL573.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL574 du rapporteur.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL545 du rapporteur.

La Commission étudie ensuite l’amendement CL546 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’article 18 prévoit actuellement d’exclure du régime simplifié d’autorisation les traitements comportant certaines données sensibles.

L’étude réalisée en 2014 par le Conseil d’État recommandait que la loi soumette à une procédure d’accès sur autorisation les traitements qui utilisent des données sensibles. Dans la mesure où les traitements mentionnés dans le II de cet article font l’objet d’une procédure d’accès sur autorisation de la CNIL, il n’est dès lors pas nécessaire d’exclure les données mentionnées au I de l’article 8 ou à l’article 9 du champ de la recherche scientifique et historique.

Grâce à cette modification, les travaux de recherche utilisant le NIR et des données sensibles mentionnées au I de l’article 8 ou à l’article 9 pourront être autorisés grâce à l’une ou l’autre de ces deux procédures. S’ils ont recours au chiffrement du NIR prévu par le présent article, ils devront obtenir l’autorisation de la CNIL prévue au I de l’article 25 – dans le cas contraire, s’ils ne souhaitent pas avoir recours au chiffrement du NIR, ils conserveront la possibilité de demander l’autorisation par décret en Conseil d’État. C’est une simplification du dispositif.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable.

Mme Delphine Batho. J’émets les plus grandes réserves sur cette dérogation aux principes fondateurs énoncés par l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, qui a pris naissance à la suite d’un projet de grand fichier interconnecté. J’étudierai la question plus avant dans la perspective du débat en séance publique. Faisons très attention : la dérogation donnée ici pourrait valoir pour d’autres données sensibles.

M. Philippe Gosselin. J’entends le rappel aux conditions historiques qui ont présidé à l’adoption de la loi du 6 janvier 1978 ; d’ores et déjà, un certain nombre d’exceptions sont autorisées et très encadrées par cette loi, et la rédaction proposée me paraît apporter toutes les garanties.

Mme la secrétaire d’État. Je souhaite souligner que les données concernées – données fiscales ou relatives à la santé – sont déjà soumises à une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Il n’est pas question de revenir sur ce principe et le droit commun, qui est celui de la loi informatique et libertés de 1978, continue de s’appliquer. En revanche, l’intérêt pour les chercheurs de la possibilité de croiser ces données est indéniable ; j’en veux pour preuve l’engagement pris par M. Thomas Piketty lors de la consultation publique, qui a témoigné de l’utilité pour les chercheurs français du recours à ce type de procédure qui leur permet de mener des travaux de recherche plus objectifs sans pour autant menacer la protection de la vie privée et des données personnelles.

Mme Delphine Batho. Je demeure vigilante, car toutes les données mentionnées au I de l’article 8 sont visées ; il ne faudrait pas verser dans des regroupements de données – des statistiques ethniques, par exemple – dont nous n’aurions pas mesuré la portée.

La Commission adopte l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL 548 rectifié du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement de conséquence permet la mise en œuvre de dispositions que nous venons d’adopter : le recours au décret pour la CNIL ayant été supprimé, il faut aussi supprimer le décret prévu pour les opérations cryptographiques.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement de précision CL544 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 18 modifié.

Après l’article 18

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL341 et CL342 de Mme Isabelle Attard, CL460 de M. Christian Paul, CL117 de Mme Delphine Batho, CL616 de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, et CL617 de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Mme Isabelle Attard. Le domaine public, ou domaine commun informationnel, ne concerne en rien le droit d’auteur, lequel dispose que, soixante-dix ans après la mort de l’auteur, l’œuvre tombe dans le domaine public et peut-être réutilisée par des auteurs contemporains qui créent ainsi de nouvelles ressources, y compris économiques. Au-delà de ces questions, ces biens appartiennent à l’humanité entière.

Nous avons besoin d’une définition positive parce qu’aujourd’hui, elle fait défaut ; le domaine public est de plus en plus attaqué par d’autres droits, comme le droit des marques. Ainsi, les ayants droit de Sir Arthur Conan Doyle, qui est mort depuis bien longtemps, ont déposé une marque, ce qui fait qu’aujourd’hui aucune production ayant trait à Sherlock Holmes, livre, film, pièce de théâtre, etc., ne peut être réalisée sans l’accord des ayants droit. C’est de telles situations que résulte la nécessité de définir ce qu’est le domaine commun, non informationnel, non plus en creux comme c’est le cas aujourd’hui, mais bien de façon positive.

Une autre pratique se répand également, celle du copyfraud – fausse déclaration de droit d’auteur qui consiste à faire acquitter des droits de façon abusive alors que l’œuvre concernée appartient déjà au domaine public. Notre législation ne prévoit aucun recours contre ces pratiques. Je peux en témoigner : sur les ordres de ma hiérarchie, à l’époque, j’ai été conduite à faire payer des droits d’utilisation pour des images numérisées appartenant au domaine public depuis plus de mille ans. Les exemples abondent : le département de la Dordogne a exigé des droits d’auteur pour des reproductions de peintures de la grotte de Lascaux – dix-sept mille ans après la disparition de ses créateurs ! La Bibliothèque nationale de France (BNF) impose des licences d’utilisation commerciale pour des œuvres remontant à plusieurs siècles.

Nous devons adopter un texte fiable, limitant les recours contentieux devant les tribunaux qui sont engorgés par des débats portant sur la notion d’appartenance ou non au domaine public. Par ailleurs, notre législation ne permet pas aujourd’hui à un auteur de déposer de façon volontaire ses œuvres dans le domaine public ; il n’y a pas d’autre ressource que le recours aux licences creative commons, ce qui revient à contourner une carence législative.

Mon amendement CL342 est de repli : il ne propose pas la possibilité du dépôt d’une œuvre dans le domaine public du vivant de son auteur.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. L’amendement CL616 a été adopté par la commission des affaires culturelles, sur la proposition de Christian Paul notamment, mais contre mon avis. Toutefois, j’estime qu’il doit être possible de trouver, d’ici à l’examen du texte en séance, une rédaction susceptible de franchir une étape dans la mise en place de ce droit positif.

M. Christian Paul. Mon amendement CL460 a le même but, nos motivations sont inscrites dans la révolution numérique depuis de nombreuses années : la problématique des biens communs informationnels a ainsi été totalement renouvelée par la révolution numérique, et l’apparition des logiciels libres comme la mise à disposition d’œuvres de l’esprit de toute nature sous licence creative commons procède de ces évolutions.

Mon amendement veut fonder la reconnaissance en droit positif des biens communs informationnels qui constituent des œuvres nouvelles ; à la commission des affaires culturelles, j’entendais hier une inquiétude relative à des œuvres physiques comme les tableaux des musées : elles ne sont pas visées. Le domaine public informationnel concerne des œuvres relevant de trois catégories : les œuvres non appropriables, les œuvres dont les droits patrimoniaux sont échus, celles enfin pour lesquelles les auteurs ont donné des droits de copie ou autre.

Cette définition du domaine public informationnel ne crée aucune spoliation, elle ne contrarie pas le droit d’auteur ; nous voulons donner au droit positif une notion qui n’existe aujourd’hui qu’en creux. Il faut en effet protéger ce domaine des revendications indues de droits, illustrées par la pratique du copyfraud, par exemple.

Nous présenterons également un amendement sur les licences ouvertes qui permettent à des auteurs de définir librement les droits dont ils souhaitent entourer leurs œuvres dans des conditions adaptées aux réalités d’aujourd’hui. La révolution numérique permet des progrès, sans que cela soit au détriment des auteurs.

Mme Delphine Batho. La rédaction proposée – excellente – de mon amendement CL117 est directement issue de l’avant-projet de loi. Le concept de biens communs informationnels se fonde sur la logique de l’article 714 du code civil qui dispose qu’« il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». Je m’interroge sur les raisons pour lesquelles cette disposition intelligente a été retirée du texte que nous examinons aujourd’hui : elle était attendue dans la mesure où elle marque un réel progrès au regard de la notion de biens communs.

M. le rapporteur. J’observe que les biens communs informationnels font l’objet de débats nourris depuis des années et que les protagonistes sont incapables d’échanges de qualité. Les avis émis par des commissions, des conseils supérieurs de propriété littéraire et artistique, susceptibles de varier en fonction des circonstances, ne font que bloquer ce dialogue qui piétine. Je laisserai le soin à Mme la ministre de répondre à Delphine Batho, car ce n’est pas à moi que sa question s’adressait… Je suppose toutefois qu’entre la version initiale du texte et ce retrait, le constat a probablement été le même que le mien — et que celui d’Emeric Bréhier lorsqu’il s’est penché sur la question : un vrai travail de fond reste à mener par-delà les oppositions rencontrées.

L’ensemble des arguments avancés doit être analysé, y compris ceux de Christian Paul. Bien des notions gagneraient à être précisées au sujet du droit de propriété intellectuelle ; les arguments formulés il y a peu par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) doivent aussi être pris en compte. La référence à l’article 714 du code civil revient à abolir la propriété sur les œuvres, et sur leur support matériel quand il est indissociable. Vous considériez tout à l’heure que les tableaux des musées n’étaient pas concernés, mais l’échéance du droit patrimonial n’éteint pas pour autant le droit moral.

Je ne proposerai pas un rapport — j’en ai refusé beaucoup —, mais si je suis convaincu qu’un vrai travail, en sortant des ornières d’un dialogue de sourds, doit être mené, je ne pense pas pour autant qu’une telle réflexion soit susceptible d’aboutir à temps, même pour la première lecture au Sénat. Dans ces conditions, je demande le retrait de l’ensemble de ces amendements, faute de quoi mon avis sera défavorable ; mais je demande, Mme la ministre, qu’un vrai travail soit conduit par-delà des points de vue qui resteront à jamais inconciliables.

Mme la secrétaire d’État. Je partage le constat établi par le rapporteur : les prises de position relatives au domaine commun informationnel sont souvent radicales, et ne s’accompagnent pas d’une volonté de rejoindre le point de vue des parties en présence. Je comprends néanmoins les préoccupations exprimées par les porteurs de ces amendements ; j’ai effectivement eu connaissance de la rédaction proposée puisqu’elle figurait dans les avant-projets du texte examiné aujourd’hui. C’était la seule disposition à inclure une telle mention, son maintien dépendait de la conclusion satisfaisante susceptible d’être obtenue sur le plan juridique, alors même que la définition — y compris celle proposée par les amendements — demeurait relativement vague : il s’agit de modifier le code civil et elle ne met personne d’accord, ni les juristes appuyant les ayants droit, ni ceux qui défendent le principe des biens communs. Reste que jamais ce sujet n’avait été à ce point porté sur la place publique, ce qui, en soi, me paraît bon et sain.

Ce débat doit également nous conduire à observer ce qui se passe en dehors de nos frontières : il a aussi cours en Amérique latine, en Italie, au Royaume-Uni, où il n’a pas davantage abouti. La consigne donnée par le Premier ministre a été de poursuivre le travail, jusqu’à trouver la formulation juridique à même de couvrir le domaine commun informationnel ; comme le rapporteur, je doute que cette définition puisse être trouvée avant l’examen du texte en séance publique. Le Gouvernement s’est engagé à mener à bien une réflexion objective, probablement en confiant une mission à un tiers qui serait aussi neutre et impartial que possible ; il me paraît urgent de sortir d’une certaine hystérie sur ce sujet.

En ce qui concerne le domaine commun volontaire, il s’agit de donner la possibilité de se déposséder volontairement de ses droits et de laisser d’autres personnes en disposer librement ; or l’état actuel du droit permet à chaque auteur d’autoriser l’utilisation de ses œuvres par l’établissement d’un contrat. Il me semble que, dans ce domaine, il est essentiel de laisser toute liberté à la volonté contractuelle des parties par le truchement d’un accord susceptible d’aménagement ou par le recours à un contrat type. Par ailleurs, une incertitude juridique plane encore sur ce domaine commun volontaire puisque nous ne maîtrisons pas complètement les conséquences d’un éventuel abandon des droits : qu’adviendra-t-il des droits des tiers bénéficiaires, si, par exemple, l’auteur décide de reprendre les siens ?

Je ne peux dans ces conditions qu’encourager les parlementaires à poursuivre leur réflexion sur ces questions passionnantes qui témoignent certainement d’une tendance nouvelle, liée aux usages du numérique, mais qui ne sont pas encore suffisamment mûres pour figurer dans un texte de loi.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Ne souhaitant pas prolonger ce vaste débat inutilement, car je pressens que toute solution de convergence ne serait qu’une très malencontreuse improvisation, je me bornerai à demander aux auteurs des amendements s’ils les retirent, et nous passerons ensuite au vote.

Mme Isabelle Attard. Mes amendements CL341 et CL342 sont maintenus.

Mme Delphine Batho. Je maintiens mon amendement CL117, en attendant qu’on avance.

M. Christian Paul. Je maintiens également mon amendement CL460. Ce débat dure depuis au moins dix ans à l’Assemblée nationale, il n’est donc pas récent. Nous ne sommes pas non plus en train de préparer la signature d’un contrat entre les uns et les autres : nous écrivons la loi, c’est une question de courage politique, il faut trancher sur ces sujets qui ont fait l’objet de thèses de juristes universitaires, de part et d’autre. Il appartient à présent au Parlement d’écrire la loi sur les biens communs informationnels.

M. Émeric Bréhier, rapporteur pour avis. Quel que soit mon avis personnel, je ne peux retirer un amendement adopté par ma commission.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL480 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nos concitoyens utilisent couramment les outils numériques et l’internet, et tout se fait en auto-apprentissage. L’auto-apprentissage est bien sûr quelque chose de formidable, mais ce n’est pas un facteur de progrès pour notre société. Et surtout, cela ne permet pas de créer de la valeur ajoutée derrière, alors que nous n’avons de cesse de consommer la valeur ajoutée créée par les autres : j’en veux pour preuve que les GAFA, les géants du Web, sont tous des entreprises américaines, dont les sièges se trouvent en Irlande.

Je propose, par cet amendement, qu’une formation aux langages et aux usages des outils numériques et de l’internet soit apportée aux élèves et étudiants de tous les établissements d’éducation, en fonction de leur âge et de leur maturité. Appuyée sur l’utilisation comme sur l’élaboration desdits langages et outils numériques, leur intégration dans les autres disciplines enseignées est facilitée par les programmes officiels et par les équipements matériels et logiciels mis à disposition des élèves. Une partie des apprentissages ainsi permis est valorisée par la délivrance d’un titre délivré à l’élève ou à l’étudiant à chaque fin de cycle.

M. le rapporteur. Vous prêchez un convaincu : la quasi-intégralité de ma réserve parlementaire est dédiée à l’équipement numérique des écoles de ma circonscription… Nous avons déjà évoqué ce point à l’occasion d’un amendement de Mme Coutelle et j’ai rappelé que ces éléments sont très largement pris en considération dans le cadre de la refondation de l’école et des nouveaux programmes, y compris au niveau de la formation initiale et continue des enseignants, ce qui n’était pas toujours le cas. Je pense que votre souci est satisfait.

Mme la secrétaire d’État. Jamais l’enjeu du numérique à l’école n’a été soutenu avec autant de volonté politique au plus haut niveau de l’État, ni avec autant de moyens dédiés – je pense au plan numérique à l’école lancé cette année par le Président de la République, mais on pourrait aussi parler de l’apprentissage du code informatique à l’école ou encore des appels à projets lancés dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Il n’y a pas besoin d’une loi pour avancer sur le sujet ; le niveau normatif s’impose d’autant moins que ces objectifs sont déjà inscrits dans la loi pour la refondation de l’école et celle relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. L’amendement pourrait donc être retiré au bénéfice de ces actions très concrètes.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je vais le retirer, mais je considère qu’il ne faut pas restreindre ce qui concerne la jeunesse au ministère chargé de l’éducation. Inscrire dans une loi sur le numérique que notre jeunesse a vocation à être formée permettrait de graver l’objectif dans le marbre, ce qui lui éviterait de disparaître un jour sans que personne s’en aperçoive…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je vous emmènerai dans mes écoles primaires, où le numérique est entré depuis longtemps. Le problème n’est pas là où il est déjà entré, mais là où il ne peut entrer.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je suis bien d’accord. La région Languedoc-Roussillon a financé à hauteur de 15 millions d’euros par an l’achat d’ordinateurs portables et de logiciels associés pour tous les élèves de tous les lycées de la région.

M. Philippe Gosselin. Il existe déjà le brevet informatique et internet, qui est une attestation de compétence.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Mes trois enfants l’ont tous eu. Ce n’est pas le niveau dont nous avons besoin aujourd’hui.

Cet amendement est retiré.

Article 19 (art. L. 32-1, L. 32-4, L. 33-1, L.36-8, L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques) : Définition du principe de neutralité de l’internet

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL576 de M. le rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL416 de M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Parmi les mesures importantes de ce texte figure l’inscription en droit français du principe de neutralité de l’internet, que nous sommes nombreux à défendre. Certains d’entre nous l’ont fait par le biais de propositions de loi il y a quelques années. C’est une cause commune d’intérêt général.

Ce principe clé peut être inscrit dans notre droit de deux façons. Le Gouvernement propose de le faire par référence au droit européen, qui a progressé au cours des dernières années, voire des derniers mois. La seconde façon serait de proposer une définition plus explicite de la neutralité en indiquant quels sont les droits et devoirs des fournisseurs de services de communication en matière de gestion du trafic, afin de garantir une réelle transparence et l’éviter un internet à deux vitesses en fonction de la nature des contenus.

Cet amendement présente une définition plus précise et détaillée qu’une simple référence au droit européen. On m’opposera peut-être qu’il est difficile d’être exhaustif dans une telle définition, mais je maintiens que le droit français sera beaucoup plus fort si nous forgeons nous-mêmes notre définition. L’amendement CL416 est évidemment compatible avec le droit européen.

M. le rapporteur. Notre collègue pressentait déjà l’avis défavorable du rapporteur… L’article 19 renvoie au règlement sur le marché unique des communications électroniques, qui définit précisément l’accès à un internet ouvert à son article 3 et les mesures qui le garantissent à l’article 4, et est d’ailleurs bien plus exhaustif que ce que vous proposez. Il n’est pas utile d’en rajouter dans le code des postes et des communications électroniques, le règlement étant d’application directe dans l’ordre interne.

Mme la secrétaire d’État. Défavorable. Le règlement européen du 25 novembre 2015 a été adopté notamment grâce à l’activisme qu’a déployé le Gouvernement français pour avancer sur la neutralité de l’internet et le roaming. Ce règlement est d’applicabilité directe et s’applique sur notre territoire aujourd’hui. Il définit la neutralité de l’internet à peu près dans les mêmes termes que l’amendement. La tentation peut être grande d’introduire des nuances, par exemple sur les services spécialisés ou le zero rating, mais qui serait juge de la compatibilité de ces termes avec le droit européen ? Ce ne serait ni le Gouvernement ni le législateur français, mais bien le juge européen. Nous avons décidé de nous conformer strictement au texte de l’accord européen, et ce pour une raison économique également, à savoir la volonté de construire un marché européen des télécommunications et de faire émerger des acteurs capables de peser dans la concurrence internationale. Notons que le seul pays européen à avoir introduit sa propre définition de la neutralité de l’internet, les Pays-Bas, a finalement décidé, tout récemment, de se remettre en conformité avec le règlement.

La Commission rejette cet amendement.

Elle en vient à l’amendement CL243 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement propose de préciser la définition de la notion de neutralité afin de parer à toute éventuelle interprétation restrictive de ce principe. J’ai compris que le Gouvernement souhaitait se conformer strictement au texte du règlement européen. Nous verrons comment cela se passe en séance. Nous ne sommes pas aussi optimistes que Mme la secrétaire d’État quant à la création d’un espace européen des télécommunications.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL410 de M. Christian Paul.

M. Christian Paul. L’amendement CL410 vise les services « gérés », également appelés services optimisés ou propriétaires. Je reconnais que les textes européens, largement inspirés par la France, ouvrent la voie à des progrès de régulation des réseaux numériques. Il faut, dans ce cadre, trouver des formes de régulation des services gérés, qui peuvent se développer au détriment de l’internet ouvert. Rien ne serait pire que de constater a posteriori qu’un internet confisqué par des services spécialisés aurait supplanté un internet d’intérêt général devenu résiduel, un peu comme si les services gérés confisquaient l’autoroute en ne laissant plus que la bande d’arrêt d’urgence… Mon amendement vise à limiter la mise en place de ces services, de façon proportionnée et dans des cas précis.

M. le rapporteur. Le règlement du 25 novembre 2015 impose déjà à l’autorité de régulation de veiller à ce que les fournisseurs de communications électroniques au public, y compris les fournisseurs de services d’accès à l’internet, ne puissent proposer ou faciliter ce type de services que si les capacités du réseau sont suffisantes pour les fournir en plus de tous services d’accès à l’internet fournis. Il précise en outre : « Ces services ne sont pas utilisables comme services d’accès à l’internet ni proposés en remplacement de ces derniers, et ils ne sont pas proposés au détriment de la disponibilité ou de la qualité générale des services d’accès à l’internet pour les utilisateurs finaux ». D’application directe, ce règlement satisfait votre préoccupation. J’ai par ailleurs déposé un amendement qui renforce les pouvoirs de l’ARCEP.

Mme la secrétaire d’État. Défavorable. L’amendement propose une reprise partielle du règlement sur le sujet des services spécialisés. L’objectif est bien poursuivi par le Gouvernement français, qui l’a défendu à Bruxelles lors de la négociation du règlement européen.

La stratégie européenne du Gouvernement dans la discussion sur les sujets numériques consiste à ne jamais entrer en contradiction avec le droit européen et à ne jamais revenir sur ce qui a fait l’objet d’un accord. Ou bien nous anticipons des dispositions qui s’appliqueront très certainement en droit national, par exemple sur la question du droit à l’oubli, ou bien nous nous engouffrons dans la brèche du renvoi au droit national, comme sur la mort numérique, où des marges de manœuvre sont autorisées, ou bien encore nous considérons que la réflexion et l’action n’avancent pas assez vite au niveau européen – je parle souvent du lobby de l’impuissance publique, parce que les délais de prise de décision s’étendent sur plusieurs années –, auquel cas nous nous décidons à introduire certaines mesures a minima. Aller au-delà du règlement européen en matière de marché des télécommunications n’entre dans aucun de ces cas de figure.

Mme Karine Berger. Cet amendement est très important. Que ferons-nous lorsqu’il sera trop tard ? Aux États-Unis, les trois quarts des capacités d’internet sont occupées par YouTube et Netflix, et ce sont là des chiffres qui remontent déjà à un an et demi. Que se passera-t-il si nous ne sommes pas capables de stopper le mouvement de saturation par quelques opérateurs de cet espace public qu’est internet ? Cette évolution totalement incontrôlée mérite plus qu’une réflexion sur les échanges avec nos partenaires européens.

La Commission rejette cet amendement.

Elle en vient à l’amendement CL409 de M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Cet amendement vise à permettre à l’autorité de régulation d’encadrer les pratiques en matière de tarification de services proposés au public. Certains fournisseurs d’accès incluent dans leurs offres mobiles des services d’écoute de musique en streaming, dont le trafic n’est pas décompté du plafond mensuel de transfert de données généralement prévu. Ces services, qui ont parfois des relations économiques très étroites avec les fournisseurs d’accès, sont ainsi favorisés, sans que cette discrimination puisse être justifiée par une quelconque facilité de transport sur les ondes hertziennes. Nous souhaitons prévoir un moyen de lutter contre ces discriminations qui représentent autant d’atteintes à la neutralité de l’internet.

M. le rapporteur. Le règlement européen impose déjà à l’autorité de régulation de veiller à l’ensemble de ces éléments : je ne reviens pas sur ce que j’ai déjà indiqué. En revanche, l’encadrement des tarifs par l’ARCEP n’est pas prévu par le règlement et serait contraire au droit européen.

Mme la secrétaire d’État. Défavorable. Il nous est apparu urgent, dès l’adoption du règlement européen, de confier au régulateur national, l’ARCEP, le soin de contrôler l’application de ce règlement par l’ensemble des acteurs économiques. Cela concerne la neutralité du net au sens de la gestion du trafic mais n’inclut pas directement l’offre tarifaire. Le règlement n’interdit pas a priori les pratiques de tarification différenciées, c’est vrai, mais il appartient aux régulateurs nationaux d’examiner au cas par cas l’existence ou non d’atteintes au principe de neutralité.

Il a été décidé par l’ensemble des États membres qu’une mise en œuvre harmonisée des dispositions prévues par le règlement interviendrait sous l’égide de l’organe des régulateurs européens, le BEREC, qui a lancé ses travaux à la fin de 2015 et doit les rendre au cours de l’été 2016. À l’issue de ces travaux, qui traiteront en particulier du zero rating, il appartiendra aux régulateurs nationaux de mettre en œuvre les préconisations retenues, et je ne doute pas que l’ARCEP se montrera très vigilante. Le Gouvernement est conscient que la problématique de la tarification fait partie de la question de la neutralité de l’internet ; c’est seulement une question de temps avant que des pouvoirs appropriés soient confiés au régulateur national.

La Commission rejette cet amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL297 du rapporteur.

Puis, elle examine l’amendement CL31 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. J’ai du mal à comprendre les alinéas 17 et 18. Une mise en demeure par l’ARCEP est déjà prévue pour les cas où l’obligation n’est pas respectée à l’échéance fixée. Or ce nouvel alinéa 17 viendrait créer une sorte de mise en demeure préventive assez étrange dans la mesure où elle se base sur la seule suspicion que l’obligation ne sera pas remplie et où elle s’ajoute à la première mise en demeure qui a le même objet, à savoir le respect de l’obligation, à la même date.

M. le rapporteur. Cette nouvelle possibilité est justifiée lorsque l’ARCEP connaît le calendrier de déploiement des obligations des opérateurs et qu’elle se rend compte, à la première ou à la deuxième échéance, qu’elles ne pourront être respectées. Une mise en demeure anticipée permettra de rappeler à l’ordre au plus vite l’opérateur. Cette possibilité a déjà été consacrée par la jurisprudence du Conseil d’État au bénéfice du CSA, comme je l’indique dans mon rapport qui sera rendu public en fin de semaine. Je vous suggère de retirer votre amendement.

Cet amendement est retiré.

La Commission adopte ensuite l’amendement d’harmonisation rédactionnelle CL577 du rapporteur.

Par conséquent, l’amendement CL137 de M. Lionel Tardy tombe.

La Commission adopte l’article 19 modifié.

Article 20 (art. L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques) : Auto-hébergement de ses données

La Commission se saisit de trois amendements de suppression, CL352 de Mme Laure de La Raudière, CL466 de M. Patrice Martin-Lalande et CL638 de la commission des affaires économiques.

Mme Laure de La Raudière. Vous disiez vous-même il y a quelques instants, madame la secrétaire d’État, qu’il ne fallait pas sur-transposer le règlement européen. Le BEREC a été chargé de préciser quelle doit être l’étendue du règlement européen, et ses préconisations seront reprises par l’ensemble des autorités de régulation. Or cet article 20 me paraît justement constituer une sur-transposition : pourquoi le faire ici, alors que vous le refusez ailleurs ? N’y a-t-il pas là deux poids et deux mesures ? Vise-t-il vraiment à résoudre le blocage par certains opérateurs de l’auto-hébergement ? Le Gouvernement ne devrait-il pas travailler plutôt sur l’adressage IP, et notamment sur le protocole IPv6 ?

M. Patrice Martin-Lalande. L’article 20 inscrit dans la loi certaines parties du règlement européen, pourtant d’application directe. Il ne s’agit donc que de gagner deux ans, puisque le règlement s’appliquera en 2018. Or nous ignorons quelles pourraient être les conséquences, positives comme négatives, d’une telle application anticipée : les opérateurs français ne risquent-ils pas d’être mis en difficulté vis-à-vis de leurs concurrents européens ?

La France a joué un rôle moteur dans l’adoption de ce règlement, vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État. Dès lors, n’est-il pas discourtois vis-à-vis de nos partenaires européens de ne pas attendre la fin de la procédure d’ajustement ? Les deux années de délai entre l’adoption du règlement et sa mise en œuvre doivent permettre de s’assurer de la cohérence de l’application du texte dans chacun des pays. On reproche souvent à la France son comportement solitaire : est-il correct d’inscrire ces mesures dans la loi sans attendre la fin du processus européen ?

Mme Corinne Erhel, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires économiques. Notre amendement CL638 est un amendement d’appel : je souhaiterais en effet quelques explications sur l’article 20. Comment s’articule-t-il avec l’article 19, qui pose le principe du respect de la neutralité de l’internet ?

L’article 3 du règlement européen ne me semble pas comporter de disposition qui permette d’interdire ou de brider l’auto-hébergement au motif de l’atteinte à la sûreté ou à l’intégrité du réseau. Pour l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), que j’ai auditionnée, il n’y a d’ailleurs pas là de risque d’atteinte majeure au réseau. L’application stricte du règlement rend donc inutile, à mon sens, la précision apportée par cet article.

J’ai donc l’impression que l’on mélange ici différentes notions. L’application du principe de neutralité du net me paraît suffisante.

M. le rapporteur. Ces amendements suscitent de ma part bien des interrogations. Il y a là en effet plusieurs sujets. Aujourd’hui, les opérateurs peuvent bloquer l’auto-hébergement, mais chacun peut faire une demande pour rendre l’opération possible : il suffit d’avoir chez soi deux adolescents qui hébergent des serveurs de jeux vidéo pour comprendre que c’est quelque chose d’assez facile à faire, même pour des non-spécialistes.

Je ne pense pas que cet article procède à une sur-transposition du règlement, dont l’article 3 prévoit le droit pour les utilisateurs finaux « d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’internet ».

Cela n’exclut nullement le débat sur l’adressage IP et le protocole IPv6. Nous voyons bien que les uns et les autres ne se précipitent pas pour avancer sur cette question, tout en pestant contre le trop grand nombre d’adresses qui leur sont demandées… En fait, on assiste à une forme d’auto-alimentation des adresses IP disponibles, alors même que l’application du protocole IPv6 apporterait des solutions.

J’émets donc un avis défavorable à ces amendements. Mais je souhaite prolonger la discussion avec vous sur les points soulevés. Pour l’heure, je ne suis pas sûr de ce que sera ma position en séance publique.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. Il faut à mon sens maintenir cet article, pour des raisons qui se résument en deux mots : confiance et liberté, confiance des utilisateurs et liberté de choix de ces mêmes utilisateurs.

L’auto-hébergement est une question d’apparence très technique. Mais il faut souligner que c’est simplement ce qu’a fait Hillary Clinton, qui a auto-hébergé sa propre messagerie électronique – ce qui lui a été reproché par la suite… On peut considérer que c’est une forme de prolongation, finalement, de la neutralité de l’internet, mais cette question n’entre absolument pas dans le champ du règlement européen. L’auto-hébergement en effet ne pose pas de problème d’intégrité ou de sécurité du réseau ; il est déjà autorisé par un certain nombre d’opérateurs de télécommunications, même si d’autres – en France, un seul – le refusent.

Il ne s’agit vraiment que d’utiliser son propre serveur, chez soi, pour éviter qu’un opérateur ou un fournisseur d’accès à internet n’empêche l’accès à certains types de contenu, pour disposer de son propre serveur de messagerie ou de son propre cloud, c’est-à-dire de son propre nuage pour stocker ses données…

Si certains opérateurs refusent ces usages, c’est pour des raisons louables : ils considèrent qu’ils ne peuvent plus alors garantir la même sécurité que pour leur propre réseau, et protéger ces utilisateurs des virus et des spams. Mais peut-être peut-on estimer que les usagers qui souhaitent installer leur propre réseau ont conscience de ces risques et sont prêts à les assumer. Certains opérateurs préfèrent néanmoins interdire ces pratiques, mais encore une fois, c’est loin d’être le cas général.

Nous sommes là face à un usage émergent, mais qui va sans doute se développer fortement avec le déploiement de la fibre : il est en effet nécessaire que les débits entrants et sortants soient symétriques.

Certains opérateurs arguent enfin du coût pour refuser l’auto-hébergement. Mais ce n’est pas à mon sens un argument pertinent : c’est une pratique qui se fait sur demande d’un utilisateur, il n’est pas question de la généraliser ou de l’imposer à tous.

Quant au problème de l’adressage IP, faciliter le recours à l’auto-hébergement obligera, à terme, à constater les limites du système actuel, et incitera par le fait à accélérer le passage à l’IPv6.

L’auto-hébergement permet donc de promouvoir un internet libre et ouvert. C’est finalement une application du principe de souveraineté numérique.

Mme Laure de La Raudière. Je maintiens néanmoins mon amendement.

M. Patrice Martin-Lalande. Je le maintiens également, d’autant que je n’ai pas entendu de réponse sur les conséquences possibles d’une application anticipée du règlement par la loi française.

Mme Corinne Erhel, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires économiques. Je maintiens également notre amendement CL638. Je ne nie nullement l’intérêt de l’auto-hébergement, bien au contraire. Ma question porte sur l’application du règlement et sur son articulation avec la loi française : le règlement suffit, à mon sens, à interdire aux opérateurs d’empêcher ou de restreindre l’auto-hébergement. Cet article me semble donc superflu, d’autant que nous allons renforcer les pouvoirs d’enquête et de sanction de l’ARCEP.

La Commission rejette les amendements de suppression.

Puis elle se saisit de l’amendement CL290 de Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. J’entends les arguments qu’a exposés à l’instant Mme la secrétaire d’État. Toutefois, la formulation proposée par le projet de loi est ambiguë : il est d’ores et déjà possible pour tout utilisateur qui le souhaite d’accéder à ses données personnelles à condition de disposer d’une adresse IP fixe.

La solution technique la plus efficace semble être l’IPv6, nouvelle version du protocole Internet, qui permet de doter chaque équipement d’une adresse fixe, ce qui offre plus de flexibilité et d’efficacité.

Je vous propose donc d’adopter un calendrier contraint, en inscrivant dans la loi la date du 1er janvier 2017. L’idée est d’encourager les opérateurs historiques à proposer des adresses IP fixes à leurs utilisateurs.

M. le rapporteur. Je précise d’abord que les objets connectés utilisent souvent d’autres protocoles, même s’ils ont besoin ensuite de recommuniquer avec le reste du réseau. Les besoins ne sont pas tout à fait les mêmes.

Madame la secrétaire d’État, ne pourriez-vous pas confier à l’ARCEP la mission de favoriser le passage à l’IPv6 ? C’est une question sur laquelle il faut avancer vivement.

Je suggère le retrait de l’amendement.

Mme la secrétaire d’État. La rédaction actuelle de l’article 20 se place du point de vue des obligations imposées aux opérateurs ; votre amendement, madame Capdevielle, se place plutôt du point de vue des droits des utilisateurs.

Il me semble que les opérateurs ne pourront pas empêcher un usage déjà établi en arguant des limitations techniques. L’auto-hébergement est déjà parfaitement possible et ne pose pas de difficultés opérationnelles notables. La nécessité d’imposer une date d’entrée en vigueur ne m’apparaît pas utile non plus.

Je partage en revanche votre souhait d’un recours à l’IPv6. J’ai même, monsieur le rapporteur, envoyé très récemment une lettre de mission au président de l’ARCEP pour lui demander d’avancer sur ce sujet, que nous voulions introduire dans la loi, mais on m’a répondu que cela ne relevait pas de la norme et que cela ne saurait du coup être traité par une disposition à caractère législatif ou même réglementaire.

Il faut donc disjoindre la question de l’auto-hébergement de celle du passage au nouveau protocole.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL549 de M. le rapporteur.

Elle adopte alors l’article 20 modifié.

Après l’article 20

La Commission examine l’amendement CL245 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à ne pas faire de l’internet une cause aggravante pour les délits de harcèlement et d’apologie du terrorisme. Ce n’est pas la technologie qui fait le délit, qui reste tout aussi grave si l’internet n’est pas utilisé ! Personne n’avait, à l’époque, considéré l’utilisation du Minitel comme une circonstance aggravante. Mais, depuis quelques années, le numérique est devenu une sorte de bouc émissaire facile.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Nous sommes aux limites du projet de loi, dont le champ est pourtant assez large. Il convient à mon sens de maintenir ces dispositions pénales.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. Le Gouvernement a toujours été clair sur le fait que ce texte ne devait pas être l’occasion de revenir sur ces dispositions récemment votées. Le contexte actuel nous oblige plus encore à renforcer l’arsenal dont nous disposons, en particulier pour réprimer l’apologie du terrorisme.

M. Sergio Coronado. Je salue le sens de la solidarité gouvernementale de Mme la secrétaire d’État, qui ne disait pas la même chose lorsqu’elle n’était que commissaire aux lois…

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CL247 de M. Sergio Coronado.

Mme Isabelle Attard. Un internaute a été condamné pour avoir accédé à des documents qui étaient librement disponibles en ligne. Qui peut accéder à quel type de données ? C’est une question cruciale. Peut-on vraiment punir un internaute qui a obtenu des données accessibles et dont il ignorait qu’elles étaient protégées ?

Le cas est précis : le journaliste Bluetouff a été condamné pour s’être maintenu dans un extranet non sécurisé de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). L’extranet était mal sécurisé, et l’ensemble des fichiers étaient accessibles, simplement, depuis un moteur de recherche. Le journaliste avait été relaxé en avril 2013 par le tribunal correctionnel de Créteil, qui estimait que l’ANSES avait manifestement mal sécurisé son réseau. La cour d’appel de Paris a pourtant condamné le journaliste, puis la Cour de cassation a rejeté son pourvoi.

Les juges ont à cette occasion renversée la jurisprudence Kitetoa – cour d’appel de Paris, 30 octobre 2002 – qui mettait à la charge du responsable de traitement une obligation de sécurisation minimale de son site. Sinon, comment peut-on savoir que l’on entre dans un endroit interdit ?

C’est pourquoi mon amendement CL247 vise à consacrer dans la loi cette jurisprudence : le responsable du traitement ne peut reprocher à un utilisateur d’accéder à un système de traitement automatisé de données s’il ne l’a pas a minima sécurisé. Cet amendement vise donc à renverser la récente jurisprudence.

M. le rapporteur. J’entends ces arguments, mais si vous laissez la porte de votre bureau ouverte, et que je vais y consulter des documents, je n’aurai certes commis aucune infraction, mais vous n’apprécieriez sans doute pas pour autant ma visite… Il en va de même pour les sites, fussent-ils insuffisamment sécurisés.

Il revient surtout au juge de fixer des limites entre le simple accès à un extranet mal sécurisé et un travail de fouille, de recherche, même s’il y a des failles de sécurité. Avis défavorable.

Mme la secrétaire d’État. Il s’agit d’une disposition lourde, puisqu’elle modifie le code pénal. Ma première réaction serait de vous répondre que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude… Toutefois, votre amendement souligne un problème bien réel. Une expertise juridique et une consultation de la chancellerie me paraissent nécessaires. Je ne peux pas me prononcer à ce stade. Je demande donc le retrait de l’amendement.

Mme Isabelle Attard. Je retire cet amendement, et je le représenterai en séance. Je veux préciser d’ores et déjà que, dans le cas que j’évoquais, c’est Google qui a mis ces données à disposition. Lorsque vous consultez Google, vous demandez-vous si vous avez le droit de lire ce que vous lisez ? Imaginez un magasin où aucune limite claire ne marquerait la distinction entre les espaces ouverts aux clients et les réserves. Un visiteur serait-il condamnable s’il se retrouvait dans ces réserves ? Voilà l’exemple qu’il faut prendre. Entre le couloir et mon bureau, la différence est nette ; dans le cas présent, nous parlons de données mises en libre accès par Google. Punir un internaute qui les a utilisées, c’est quelque chose qui ne doit plus arriver. Et c’est un cas que les tribunaux vont retrouver très souvent.

L’amendement est retiré.

La Commission examine alors l’amendement CL552, deuxième rectification, de M. le rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement mérite que je prenne un peu de temps pour le présenter. Dans le contexte de l’extension des missions de l’ARCEP, chargée de veiller au respect de la neutralité du net, il vise à moderniser et à renforcer ses pouvoirs d’enquête, qui pourraient se révéler plus nécessaires qu’auparavant dans la mesure où le secteur des télécoms dans son ensemble n’a pas intérêt à transmettre spontanément de l’information au régulateur et que certains comportements occultes pourraient donc prospérer.

L’amendement CL552, deuxième rectification, vise à conforter la réalité du pouvoir d’enquête de l’ARCEP, par l’adoption de dispositions similaires à celles qui sont déjà prévues pour l’Autorité de la concurrence ou la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et qui sont plus récentes. Il précise notamment les conditions dans lesquelles les enquêteurs peuvent intervenir dans les locaux professionnels des opérateurs. Il clarifie également les cas dans lesquels une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention est obligatoire, notamment lorsque les lieux sont affectés au domicile privé ou lorsqu’il est procédé à une saisie de documents.

En cohérence avec l’esprit de la République numérique, nous devons donner aux autorités de régulation les moyens de travailler, tout en apportant aux citoyens les garanties nécessaires.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable. Nous confions à l’ARCEP des pouvoirs plus importants qu’auparavant, par exemple sur la neutralité : il faut qu’elle puisse enquêter dans les réseaux des opérateurs. Le Gouvernement approuve ce rapprochement avec les règles qui régissent l’action de l’Autorité de la concurrence ou de la CNIL ; vous avez eu raison de prévoir un strict contrôle du juge des libertés et de la détention.

Il est toutefois possible que nous vous proposions quelques modifications techniques en séance publique.

M. Lionel Tardy. Cet amendement, qui étend de façon considérable les pouvoirs de l’ARCEP, est très lourd. Je comprends les arguments avancés, mais j’aimerais des précisions. Quels moyens supplémentaires, notamment en personnel, seront attribués à l’ARCEP ?

La commission des affaires économiques attribue très souvent des missions à la DGCCRF, mais sans moyens supplémentaires, cela ne sert absolument à rien. Sans moyens nouveaux, l’ARCEP ne pourra tout simplement pas exercer ces nouvelles missions. Cela fera rire tout le monde !

M. Philippe Gosselin. Je n’ai pas d’objection sur le fond, mais je m’étonne de la façon dont ces pouvoirs sont proposés. Bien sûr, je ne nie pas au rapporteur le pouvoir de proposer des amendements, mais la modification qu’il propose est très substantielle. Renforcer ainsi les pouvoirs de l’ARCEP, au détour d’un amendement, alors qu’il faudrait une expertise juridique très approfondie, à tout le moins quelques éléments d’étude d’impact, me paraît une façon de faire étonnante et fâcheuse.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Le rapporteur a parfaitement le droit de proposer un amendement substantiel : cela fait même partie du travail normal de la Commission. Ce n’est pas l’une des situations anormales qu’il nous arrive de déplorer en séance publique.

M. Philippe Gosselin. Reconnaissez, monsieur le président, qu’il s’agit là d’un amendement très conséquent.

M. le rapporteur. Monsieur Tardy, il n’est pas question de moyens nouveaux attachés à une compétence nouvelle. C’est pour mener les missions qui sont déjà les siennes que nous proposons de donner à l’ARCEP des méthodes et des outils spécifiques, auxquels elle n’a pas accès aujourd’hui.

Il est toujours possible de considérer que les agents de l’ARCEP ne sont pas assez nombreux pour remplir les missions qui sont aujourd’hui les leurs, mais l’objet de cet amendement est de leur donner tous les outils pour mener sereinement les enquêtes. Nous adaptons donc plutôt les pouvoirs d’enquête et les outils qui leur sont associés aux compétences spécifiques de l’ARCEP.

Je vous renvoie au commentaire que je fais de cet article dans mon rapport ; nous pourrons en discuter à nouveau en séance.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’examen de l’amendement CL427 de M. Bertrand Pancher.

Mme Maina Sage. Cet amendement vise à interdire le « zero rating » qui permet à des opérateurs de proposer des services illimités, comme Youtube, sur certains forfaits mobiles.

M. le rapporteur. Le « zero rating » a fait l’objet de nombreux débats au niveau européen, et de nombreux amendements au règlement européen avaient été déposés pour interdire cette pratique qui consiste à ne pas décompter du forfait data des abonnés l’utilisation de certains services, bien souvent à destination du jeune public autour de vidéos ou d’applications très spécifiques. Toutefois, ces amendements n’ont pas été adoptés. Interdire le « zéro rating » constituerait donc une violation du règlement européen.

En revanche, je tiens à conforter l’idée que l’ARCEP vérifiera que les pratiques des opérateurs sont « transparentes, non discriminatoires et proportionnées » et « ne peuvent être maintenues plus longtemps que nécessaire ». Je fais donc confiance au régulateur pour qu’il veille à l’absence de telles pratiques. Je vous propose de retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement CL551 de M. le rapporteur.

M. le rapporteur. L’Assemblée nationale et le Sénat ont formé une Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques. Je vous propose d’élargir son champ de compétence pour y inclure la neutralité du net.

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cet amendement. Certes, cette commission est une instance fort utile, mais elle dispose de moyens réduits. Si l’argument du manque de moyens a été opposé à l’ARCEP, il est plus facile encore de l’opposer à cette instance…

Au demeurant, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas d’ores et déjà se prononcer sur ce sujet, et cet amendement ne m’apparaît donc pas nécessaire. Mais si les députés estiment que l’inscrire dans la loi est utile, le Gouvernement se rangera à leur point de vue.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL550 du rapporteur, CL244 rectifié de M. Sergio Coronado et CL637 de la commission des affaires économiques.

M. le rapporteur. Cet amendement a simplement pour objet d’inscrire dans la loi que l’ARCEP est une autorité administrative indépendante, comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel dans une décision du 23 juillet 1996, et aussi faire en sorte que le collège des membres de l’ARCEP respecte le principe de parité entre les hommes et les femmes, ce qui est d’ailleurs actuellement le cas sans que la loi ne l’impose.

Mme Isabelle Attard. Mon amendement CL244 rectifié est en partie identique à celui du rapporteur, je le retire donc au profit du sien.

L’amendement CL244 rectifié est retiré.

Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Je suis également prête à retirer mon amendement CL637 au profit de celui du rapporteur.

Mme la secrétaire d’État. Je m’apprêtais à demander à la rapporteure pour avis de ne pas retirer son amendement, le Gouvernement y est favorable !

L’amendement CL550, du rapporteur, mélange deux sujets qui ne sont pas directement liés : le statut d’autorité administrative indépendante de l’ARCEP et la question de la parité du collège.

Si l’objectif recherché est véritablement d’instaurer une obligation juridique de parité, alors l’amendement de la commission des affaires économiques suffit parfaitement. Le statut d’autorité administrative indépendante a été reconnu par le Conseil constitutionnel et une proposition de loi sur le sujet est en cours d’élaboration. C’est un autre débat qu’il ne me semble pas utile d’ouvrir ici.

M. le rapporteur. Je suis disposé à me rallier à l’amendement de la commission des affaires économiques, mais je tiens à garder la mention du statut d’autorité administrative indépendante, qui n’y figure pas, ainsi que le 3°, qui prévoit des dispositions de coordination. Dans ces conditions, je maintiens mon amendement. Peut-être sera-t-il possible de combiner, avant la séance, la rédaction proposée par la commission des affaires économiques à celle que je défends ?

La Commission adopte l’amendement CL550.

En conséquence, l’amendement CL637 tombe.

La Commission passe à l’examen de l’amendement CL246 de M. Sergio Coronado.

Mme Isabelle Attard. L’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique a pour effet de transférer aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet la responsabilité de juger de la licéité des contenus publiés.

Le Conseil national du numérique et la Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique ont élaboré plusieurs propositions pour adapter cet article, qui sont reprises dans le présent amendement.

Tout d’abord, il semble nécessaire de remplacer la notion de « manifestement illicite » par celle, plus objective, de « manifestement illégale ». Ensuite, l’amendement CL246 propose que la personne qui a produit le contenu soit informée du signalement et du retrait si l’on dispose de ses coordonnées, et qu’elle soit en capacité de formuler des observations avant le retrait.

Par ailleurs, la montée en puissance de la plateforme PHAROS permet la mise en place d’un double signalement. Cette plateforme doit être capable de demander le rétablissement d’un contenu qui ne serait pas manifestement illégal, afin que l’hébergeur ne soit plus le seul juge de la nécessité de retirer le contenu.

M. le rapporteur. Je suis favorable à l’emploi des termes « manifestement illégale » plutôt que « manifestement illicite ». En revanche, les services du Premier ministre m’ont confirmé que la plateforme PHAROS n’était pas en mesure d’assurer ce double contrôle.

Je vous invite donc à retirer votre amendement, ou à le modifier afin de supprimer le 3°, auquel cas je donnerai un avis favorable.

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Ce sujet est traité au niveau européen, le droit applicable est la transposition de la directive sur l’e-commerce qui va être renégociée à partir de l’année prochaine.

Mais surtout, je ne suis pas convaincue que cette plateforme PHAROS, en tant que service de l’État rattaché aux forces de l’ordre, soit l’interlocuteur le mieux placé pour organiser une telle procédure contradictoire entre un internaute, un utilisateur et un fournisseur d’accès à internet. Il me semble que le débat mérite d’être approfondi ; cette mesure n’est pas anodine en ce qu’elle implique des moyens nouveaux confiés à la plateforme PHAROS. Je ne suis donc pas favorable, à ce stade, à l’introduction d’une telle disposition.

Mme Isabelle Attard. Puisque le rapporteur et le Gouvernement sont gênés par la référence à la plateforme PHAROS, je me range à leur avis. Je maintiens les deux premiers points de cet amendement et je retire le troisième.

La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié.

Article 21 (art. L. 121 – 120, L. 121 – 121, L. 121 – 122, L. 121 – 123, L. 121 – 124, L. 121 – 125 [nouveaux] du code de la consommation) : Récupération et portabilité des données

La Commission examine les amendements identiques CL32 de M. Lionel Tardy et CL353 Mme Laure de La Raudière.

M. Lionel Tardy. Nous commençons l’examen d’une série de trois ou quatre articles qui nous feraient commettre une sérieuse erreur consistant à anticiper une future réglementation européenne – ce que précisément vous nous reprochiez tout à l’heure. C’est notamment le cas de cet article 21 sur la portabilité, puisque le règlement européen doit être finalisé au cours du mois. Il ira moins loin et prévoira une période d’adaptation de deux ans.

À part pénaliser les éditeurs français, je ne comprends pas l’intérêt de cet article, d’autant qu’un règlement, contrairement à une directive, est d’application directe. Une fois de plus, la loi française n’est pas faite pour envoyer un quelconque signal à Bruxelles, ni pour faire du zèle, surtout quand ce zèle va créer un déséquilibre entre les contraintes françaises et celles des autres pays européens. Tout cela, très honnêtement, est vain et contre-productif. Nous vous invitons donc à supprimer cet article en attendant l’application de la réglementation européenne.

Mme Laure de La Raudière. Il n’y a pas encore de position commune des chefs d’État sur le projet de règlement sur la protection des données. Il est donc dangereux de légiférer en avance car nous allons imposer à nos acteurs une nouvelle réglementation, donc une charge administrative, des coûts et des tracas avant même l’adoption du règlement européen qui imposera de nouvelles normes. Nous allons donc leur imposer deux réglementations différentes en deux ans.

Si nous n’examinions pas ce projet de loi en procédure accélérée, je pourrais comprendre que l’on cherche à envoyer un signal à Bruxelles en première lecture, puis que l’on attende l’adoption du règlement européen avant d’adopter le texte final en seconde lecture. Cela ne me semble pas idéal, mais je comprendrais la logique. Mais puisque nous sommes en procédure accélérée, nous allons adopter le projet de loi avant la finalisation du règlement européen sur les données personnelles. C’est une très mauvaise façon de faire, et le Conseil d’État l’a d’ailleurs souligné dans son avis.

M. le rapporteur. J’entends le souci des auteurs de ces deux amendements, mais les champs d’application du règlement européen et du projet de loi portent sur deux aspects différents. Le règlement européen porte sur la protection des données personnelles, afin de renforcer la capacité des individus à exercer une maîtrise effective de l’usage des informations identifiantes. Le projet de loi, lui, porte sur le droit de la consommation qui vise à offrir des droits nouveaux au consommateur – personne physique ou morale – et sur le droit de la concurrence, qui cherche à réduire la viscosité du marché.

Je souhaite donc le maintien de cet article, afin que le débat puisse porter sur l’ensemble des éléments, y compris les services fournis aux professionnels prévus à l’alinéa 21 du présent article.

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement tient beaucoup à cet article. Il faut bien comprendre qu’il ne poursuit pas le même objectif que l’article du règlement européen sur la portabilité.

L’objectif poursuivi par cet article est essentiellement économique et concurrentiel ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est très soutenu par l’écosystème des start-up. Ces dernières considèrent qu’il y a trop de barrières à l’entrée sur le marché, et que des écosystèmes fermés, prônés par certains géants de l’internet, les empêchent de se distinguer par l’offre de services innovants qu’ils sont capables de fournir.

L’article 21 ne mentionne pas uniquement les données personnelles, mais les données tout court ce qui soulève la question du champ des données concernées par l’article. En l’occurrence, le règlement européen sur les données personnelles n’interdit absolument pas d’aller au-delà du champ des données personnelles. Nous sommes donc pleinement dans la stratégie européenne du Gouvernement français, que j’ai décrite tout à l’heure, qui consiste à ne jamais entrer en contradiction avec les textes adoptés ou en négociation à Bruxelles.

Prenons l’exemple d’un utilisateur qui a créé des playlists – des préférences musicales – pendant plusieurs années. Il pourrait souhaiter récupérer, non pas le contenu des fichiers musicaux, mais uniquement le résultat de ses préférences. En l’état, ce n’est pas forcément couvert par le règlement européen. Il en va de même pour l’historique des relevés bancaires.

La portabilité des téléphones mobiles avait été très discutée avant que l’on admette qu’elle a permis une plus grande concurrence ; de même, la portabilité des courriers électroniques et des données stockées dans l’informatique en nuage – le cloud – doit permettre une plus grande fluidité du marché des données, au bénéfice des plus petits acteurs qui ont aujourd’hui du mal à se positionner.

M. Lionel Tardy. Dans le cas de la liberté de panorama, l’Europe nous permet de faire exception, comme beaucoup d’autres pays, mais nous ne le faisons pas. Maintenant, vous proposez l’inverse : dans l’attente d’une future norme européenne, nous passons outre pour faire notre propre réglementation… Nous aurons l’occasion d’y revenir en débattant des différents amendements.

M. Philippe Gosselin. Nous avons été nombreux à dénoncer le syndrome du village gaulois : nous sommes en train de décider de règles franco-françaises. Ce texte arrive soit trop tard, soit trop tôt. Le règlement européen tant attendu prend corps, nous ne sommes plus qu’à quelques encablures du port, et j’ai le sentiment que nous allons créer un droit franco-français alors que nous devrions envisager un cadre beaucoup plus large. Les arguments de la ministre ne m’ont pas convaincu, et cette question se posait dans les mêmes termes à l’article 20 et il en ira de même à l’article 22.

La Commission rejette ces amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL639 de la commission des affaires économiques.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL248 rectifié de M. Sergio Coronado.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement tend à préciser que la récupération des données peut se faire de manière partielle et intégrale. Il s’agit d’éviter une interprétation restrictive de ce droit, par laquelle l’utilisateur se verrait contraint de récupérer, un à un, l’ensemble de ses messages.

Si une plateforme peu conciliante ne souhaite pas remplir cette obligation, il faut que la récupération des données puisse se faire en bloc, ou avoir la possibilité de récupérer quelques-unes de ces données sans forcément tout prendre.

Cette flexibilité dans la portabilité est importante pour ne pas se retrouver prisonnier d’une plateforme.

M. le rapporteur. Je partage l’objectif de cet amendement. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement CL313 de Mme Laure de La Raudière et l’amendement CL640 de la commission des affaires économiques.

Mme Laure de La Raudière. Je propose de supprimer le mot « directement », dans la mesure où le transfert des mails d’un fournisseur à un autre n’est pas forcément facile à faire de manière directe.

De plus, je propose d’ajouter que le standard des contacts doit être compatible avec l’ancien service de messagerie pour permettre le transfert. En effet, il n’existe pas actuellement de standard pour transférer les contacts, à l’image du standard IMAP. Cette absence de standard n’empêche toutefois pas certains opérateurs de proposer un format pour transférer les contacts, accepté par certains fournisseurs de mail.

M. le rapporteur. Je suis parfaitement d’accord avec la première partie de votre amendement, mais moins avec la seconde, car la rédaction que vous proposez donne l’impression que ce sont les adresses électroniques, et non les contacts, qui doivent être compatibles. Je vous propose donc de retirer cet amendement et de vous rallier à l’amendement CL640 de la commission des affaires économiques.

Mme Laure de La Raudière. Soit. Je verrai pour la deuxième partie s’il est nécessaire de déposer un amendement en séance.

L’amendement CL313 est retiré.

Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Comme l’a expliqué Mme de La Raudière, le transfert des courriers électroniques n’étant pas facile à faire, il est proposé de ne pas imposer qu’il puisse se faire directement.

L’amendement CL640 est adopté.

La Commission en vient à l’examen de l’amendement CL650 de M. Sergio Coronado.

Mme Isabelle Attard. Il s’agit simplement de mettre l’alinéa 8 en cohérence, comme nous l’avons fait pour l’alinéa 5 de cet article, en intégrant les mots « partiellement et intégralement » afin que la récupération des données puisse se faire une par une, ou de façon globale.

M. le rapporteur. Avis favorable. J’en profite pour remercier les uns et les autres : Mmes Attard, Erhel, de La Raudière et M. Tardy pour tous ces amendements rédactionnels de bon sens.

L’amendement est adopté.

La Commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL492, du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CL319 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Je propose de compléter l’alinéa 8 pour nous assurer qu’il est applicable pratiquement par les opérateurs de messagerie.

M. le rapporteur. Je me suis également beaucoup questionné sur cette partie de l’article 21. J’ai interrogé le Gouvernement, qui m’a donné la réponse écrite suivante : « Hormis certains cas particuliers, les données concernées ne sont pas volumineuses. Pour les courriers électroniques, il existe déjà des protocoles, assez répandus, permettant la récupération et le chargement de messages depuis un service de courrier électronique. De même un certain nombre de services permettent la récupération individuelle de fichiers (mais pas toujours la récupération groupée, en une seule opération) : dans ce cas il s’agit d’un élargissement de possibilités existantes. Ainsi, la mise en œuvre de la portabilité ne doit pas poser de problèmes techniques majeurs. Des start-up spécialisées dans ce domaine ont également confirmé cette analyse ».

Je vous propose donc de retirer cet amendement.

Mme Laure de La Raudière. Puisque mon amendement ne pose aucune difficulté et que nous sommes assurés qu’il n’exige pas l’impossible, mais que la presque totalité des acteurs répondront à ce principe, vous auriez plutôt intérêt à l’accepter.

Mme la secrétaire d’État. Cet amendement n’est pas totalement anodin, parce qu’il limite la portée du principe de portabilité aux standards applicables. Certains standards comme le protocole IMAP sont en effet, de facto, applicables. Je ne pense pas pour autant qu’il faille en faire une obligation. L’alinéa 8 de l’article 21 limite déjà l’obligation de portabilité aux capacités de stockage du nouveau service vers lequel le consommateur veut se tourner.

Cette précision m’apparaît donc inutile, et de surcroît plus contraignante.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les deux amendements identiques CL106 de M. Lionel Tardy et CL428 de M. Michel Zumkeller.

M. Lionel Tardy. L’alinéa 11, qui prévoit de laisser la boîte mail accessible six mois après sa fermeture, n’a pas un grand intérêt puisque cette obligation existe déjà pour les fournisseurs d’accès à internet : quand vous fermez votre boîte mail liée à votre abonnement, les fournisseurs d’accès doivent vous laisser y accéder. C’est plutôt logique puisque la boîte mail dépend d’un autre service, en l’occurrence un forfait. C’est la raison pour laquelle nous proposons, par l’amendement CL106, de supprimer cette disposition.

Mme Maina Sage. Cet alinéa risque de créer une nouvelle contrainte pour les services de messagerie. D’où notre amendement de suppression CL428.

M. le rapporteur. En pratique, les fournisseurs de service de courrier électronique laissent déjà cet accès ouvert dans la plupart des cas. Je vous propose de retirer ces deux amendements car on pourrait très bien imaginer à l’avenir que le service de messagerie clôture le compte quand l’internaute demande la portabilité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Les arguments que vous invoquez pour supprimer l’alinéa 11 correspondent en fait à la pratique qui est déjà suivie par les opérateurs et les gestionnaires. Je préférerais garder cet alinéa 11.

La Commission rejette ces deux amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL641 de la commission des affaires économiques.

Mme Claudine Erhel, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Il s’agit d’un amendement de précision, car la rédaction actuelle laisse planer un petit doute sur les fonctionnalités dont pourrait bénéficier l’utilisateur. Il est utile de spécifier qu’il pourra non seulement recevoir, mais aussi envoyer des mails durant cette période.

D’autre part, la rédaction proposée écarte la mention du changement de fournisseur, l’utilisateur n’ayant pas à justifier d’un changement de fournisseur pour désactiver ou résilier son service de messagerie électronique.

M. le rapporteur. Avis favorable. Si cet amendement devait être adopté, il ferait tomber l’amendement suivant, que je souhaitais défendre. Je propose donc à Mme la rapporteure pour avis de modifier son amendement afin d’inclure la précision rédactionnelle proposée par notre amendement CL493.

Mme Claudine Erhel, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. J’accepte volontiers la modification proposée.

Mme la secrétaire d’État. Avis de sagesse. L’amendement irait plus loin que le dispositif actuel en alourdissant les contraintes qui pèsent sur les opérateurs de courrier électronique, ce qui n’est pas forcément l’objectif recherché.

La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié.

En conséquence, l’amendement CL493 tombe.

La Commission en vient à l’amendement CL156 de M. Bernard Gérard.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement concerne la portabilité des données de courrier électronique. Il soulève la question de l’interopérabilité et de son effectivité, qui suppose un format de compatibilité commun entre tous les fournisseurs de service de messagerie, qui n’existe pas aujourd’hui. Nous avons l’impression que nous sommes sur le point de créer des usines à gaz qui imposeront des contraintes impossibles aux fournisseurs.

M. le rapporteur. Je me suis également interrogé sur le caractère opérationnel de cet alinéa 11, et les arguments sont identiques à ceux avancés pour défendre l’alinéa 8. Je ne vais pas vous relire la réponse écrite que m’a adressée le Gouvernement, retenons que cette question ne soulève pas de problème technique majeur. Je vous suggère donc de retirer votre amendement.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable : vous prévoyez une nouvelle exception au principe de portabilité des messageries électroniques. Or, si l’on considère les coûts induits par les opérateurs comme la faisabilité technique, la réalité est que l’investissement n’est pas majeur, la plupart des fournisseurs sont capables de proposer cette option, et beaucoup le font déjà.

Il me semble dommage de limiter la portée de ce principe de portabilité des courriers électroniques, qui est moins contestée que la portabilité des données contenues dans le cloud. À partir du moment où il existe un consensus sur ce sujet, il est dommage de reculer pour une raison qui ne correspond pas à la pratique des opérateurs.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission se saisit de l’amendement CL308 de Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Les alinéas 15 à 18 de l’article 21 précisent quelles données entrent dans le champ de l’obligation de portabilité.

L’amendement CL308 supprime l’alinéa 15 car les fichiers qui y sont mentionnés sont nécessairement des données. L’alinéa 16 soulève, pour sa part, une réelle difficulté, car il inclut les données attachées au compte utilisateur, des données liées au savoir-faire de l’entreprise prestataire, par exemple la catégorie ou le profil de l’utilisateur.

Ainsi la lettre de l’article 21 semble-t-elle contredire la définition de l’obligation de portabilité inscrite à l’article 18 du règlement européen, dont la rédaction a fait l’objet, le 15 décembre dernier, d’un accord de principe entre le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission européenne. En effet, si l’article 18 du règlement européen dispose que l’utilisateur doit pouvoir récupérer toutes les données qu’il a communiquées au responsable de traitement et qui le concernent, ce périmètre exclut les données attachées au compte utilisateur.

Je vous propose ainsi une rédaction nouvelle des alinéas 15 et 16.

M. le rapporteur. La question du champ des données soumises à l’obligation de portabilité se pose depuis le début. D’emblée, nous avons vu que ce point du texte soumis à notre examen devrait être réécrit. Nous y avons beaucoup réfléchi, notamment avec les personnes auditionnées, et j’ai abordé la question avec Corinne Erhel. Pour tout vous dire, aucune des formulations proposées ne me convient parfaitement, ni celle-ci, chère collègue, ni celles des amendements suivants – les miens compris.

Avec Corinne Erhel, nous allons essayer de trouver une solution d’ici à samedi, pour pouvoir déposer un amendement. Je pense que nous sommes sur la bonne piste, mais nous ne sommes pas encore parvenus au but.

En attendant de vous soumettre une nouvelle rédaction, le plus tôt possible, pour que vous puissiez la commenter, la critiquer, la compléter ou la cosigner, je vous propose de retirer vos amendements. Je retirerai moi-même les deux miens.

Mme la secrétaire d’État. Je souhaite également le retrait de cet amendement.

Le champ du principe de portabilité visé par ce projet de loi n’est pas le même que celui du règlement européen mais ce dernier n’interdit pas de retenir un champ plus large. Il n’est pas question des mêmes sujets. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Royaume-Uni s’est permis d’introduire le principe de portabilité dans sa législation nationale, tout en continuant à négocier, comme l’ont fait les autres pays, le règlement européen sur les données personnelles.

Cela dit, je suis tout à fait sensible aux craintes exprimées par certaines entreprises. Leur valeur ajoutée, notamment issue des traitements algorithmiques des données provenant des utilisateurs, n’est-elle pas menacée ? Il est important de définir très précisément le champ des données concernées.

Votre amendement CL308 exclurait le classement des contenus et les statistiques d’utilisation. Cela va trop loin, nous souhaitons quand même que le principe introduit ait une portée effective, notamment du point de vue concurrentiel, mais je me réjouis que le rapporteur se dise prêt à retravailler la définition du champ des données concernées d’ici à l’examen du projet de loi dans l’hémicycle. Je suis assez confiante : toutes les définitions proposées, notamment par les entreprises avec lesquelles nous nous sommes entretenus, nous permettront d’aboutir à une définition satisfaisante pour l’ensemble des acteurs économiques.

Mme Laure de La Raudière. Je comprends la logique défendue, mais je ne retire pas pour autant mon amendement. Et je suis quand même très inquiète : nous sommes quatre ou cinq députés à avoir travaillé avec différents administrateurs de l’Assemblée nationale, Mme la secrétaire d’État a de son côté travaillé sur le texte avec ses services, et nous n’avons toujours pas trouvé la bonne formulation ! Il s’agit tout de même de règles qui s’imposeront aux acteurs de l’économie numérique et s’appliqueront aux données, notamment aux données personnelles. Nous aurons donc deux réglementations différentes, qui s’appliqueront l’une aux données personnelles, l’autre aux autres données. Nous complexifions l’environnement de travail de nos acteurs du numérique, alors que nous pourrions attendre l’adoption du règlement européen pour avoir un débat plus serein.

Je ne retire pas mon amendement, que je crois de bonne facture et qui mérite d’être adopté.

Mme la secrétaire d’État. J’aimerais revenir sur le fond du sujet, parce que ces débats peuvent apparaître assez techniques, voire technocratiques. Nous parlons de la faculté donnée à des usagers, des internautes, de récupérer des informations qui les concernent mais qui ne sont pas considérées au sens du droit comme des données personnelles. Prenons, par exemple, des photos de vacances postées dans un cloud. Est-il légitime de demander au prestataire de services de cloud de fournir ce contenu non à un autre fournisseur mais bel et bien à l’utilisateur, à la personne privée, au particulier ? Cette question n’est pas résolue par le règlement européen, et que l’on attende trois ou six mois n’y changera rien, puisqu’il traite des données personnelles. J’aurais pu donner d’autres exemples, comme celui des playlists.

Les utilisateurs sont quand même très démunis, aujourd’hui, face aux géants de l’internet, qui imposent leurs pratiques. Ce n’est pas par hasard que nous approchons du principe de libre disposition de ces données. L’idée est de redonner une certaine maîtrise à l’usager, au particulier, sur les données qui le concernent, au-delà des seules données personnelles au sens strict. La souveraineté des particuliers sur leurs données est un enjeu majeur, à l’instar de la souveraineté des États.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL643 et CL644, tous deux de la commission des affaires économiques, CL107 de M. Lionel Tardy et CL532.

Mme Corinne Erhel, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Sur cet important sujet, l’objectif, pour la commission des affaires économiques, est d’essayer de trouver le point d’équilibre entre la protection des données personnelles et le niveau plus élevé d’innovation. En l’occurrence, le champ des données soumises à l’obligation de portabilité est extrêmement large. Je respecte ce choix mais, au-delà des données fournies par l’utilisateur, il y a celles qui résultent de l’utilisation du service et les données dites enrichies ou hybrides. Comment ne pas décourager l’innovation, notamment dans les services aux usagers ?

Au nom de la commission des affaires économiques, je propose deux formulations. L’une, objet de l’amendement CL643, vise à exclure les données enrichies ou hybrides du champ de l’article 21 pour protéger les données personnelles tout en maintenant l’innovation au niveau le plus pertinent possible. L’autre « colle » au règlement européen et transpose précisément les dispositions arrêtées, à l’heure actuelle, au niveau européen, pour éviter tout décalage. Il est toujours difficile de se détacher d’une réglementation commune – ce disant, j’exprime également une conviction personnelle.

Bien sûr, je n’ai pas la science infuse, et je vois bien que nous n’arrivons pas à trouver le point d’équilibre sur cette question difficile. J’espère néanmoins que nous y parviendrons.

Je n’évoquerai pas l’exemple de certaines start-up, très jeunes et déjà très célèbres, notamment dans le secteur de la mobilité. Si nous permettons le transfert de ce qu’on appelle les données hybrides, ou enrichies, ce sont les compétences spécifiques d’une entreprise très innovante qui peuvent partir chez un autre concurrent – français ou étranger, peu importe. C’est un vrai risque. Mettons donc à profit les quelques jours qui nous restent pour trouver le bon point d’équilibre. C’est, avec les plateformes, l’un des points sur lesquels nous devons vraiment être vigilants ; les enjeux sont considérables. Je veux bien retirer les amendements CL643 et CL644, mais je tiens vraiment à ce que les données enrichies soient exclues du champ de l’article 21.

M. Lionel Tardy. Je retirerai mon amendement CL107, mais j’aimerais bien qu’on tienne compte de mon amendement de repli CL33 dans le débat. Je comprends de quelle logique procède la portabilité des données que l’utilisateur a lui-même entrées et créées. En revanche, prévoir une portabilité de toutes les données, c’est oublier qu’il y a, derrière tout cela, un site, une entreprise qui apporte une valeur ajoutée aux données. Créer une liste musicale de A à Z et enregistrer une liste musicale générée à la suite de suggestions, par exemple, ce n’est pas la même chose. Dans le premier cas, l’utilisateur peut être tout à fait libre de partir chez le concurrent avec sa liste ; dans le second, il y a de la valeur ajoutée, et tout ne devrait pas être récupérable pour aller chez le concurrent. Par mes amendements CL33 et CL107, je propose donc des rédactions alternatives, qui visent le même objectif : que seuls les classements de contenus réalisés par l’utilisateur entrent dans le champ des données portables. Je suis d’accord avec Corinne Erhel, et je retire cet amendement de repli en espérant qu’une solution soit trouvée d’ici à la séance, qui tienne compte de cette problématique des données récupérables.

M. le rapporteur. Je propose à Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques et à M. Tardy de retirer leurs amendements. Je donne l’exemple en retirant l’amendement CL532.

Les amendements CL643, CL644, CL107 et CL532 sont retirés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Mes chers collègues, 360 amendements restent en discussion. Nous poursuivrons l’examen de ce projet de loi demain, jeudi 14 janvier, à partir de dix heures du matin.

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La séance est levée à 0 heures 45.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Luc Belot, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Sergio Coronado, M. Hugues Fourage, M. Bernard Gérard, M. Philippe Gosselin, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Dominique Raimbourg, Mme Maina Sage, M. Patrice Verchère

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Carlos Da Silva, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jean-Jacques Urvoas

Assistaient également à la réunion. - Mme Isabelle Attard, Mme Delphine Batho, Mme Karine Berger, M. Emeric Bréhier, Mme Corinne Erhel, Mme Hélène Geoffroy, Mme Laure de La Raudière, M. Patrice Martin-Lalande, M. Christian Paul, M. Lionel Tardy