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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 30 mars 2016

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 66

Présidence de Mme Cécile Untermaier, Vice-présidente, puis de M. Dominique Raimbourg, Président

– Examen, en deuxième lecture, du projet de loi constitutionnelle, modifié par le Sénat, portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (n° 1226) (M. Dominique Raimbourg, rapporteur)

– Examen de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie (n° 3236) (M. Philippe Gomes, rapporteur)

– Communication sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, vice-présidente.

La Commission examine, en deuxième lecture, le projet de loi constitutionnelle, modifié par le Sénat, portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (n° 1226) (M. Dominique Raimbourg, rapporteur).

Mme Cécile Untermaier, présidente. Nous examinons le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). La semaine dernière, la Commission a entendu le garde des sceaux, et chacun a pu s’exprimer.

Six amendements ont été déposés, sur lesquels il nous appartient de nous prononcer aujourd’hui.

M. Georges Fenech. Il me semble – je n’ai pu être présent la semaine dernière pour le dire, et vous prie de m’en excuser – que ce projet de loi sous sa forme actuelle est le fruit d’une confusion entre les rôles du parquet et du siège. Faut-il aller en effet jusqu’à graver dans le marbre de la Constitution la subordination de la nomination des procureurs à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ? Je sais que, dans la pratique, le Gouvernement n’a jamais passé outre les avis non conformes du CSM, mais qu’il en ait la possibilité constitue une soupape de sécurité garantissant que le garde des sceaux, dont la légitimité procède du suffrage universel, pourra défendre sa politique pénale.

Ne doit-on pas craindre, en rapprochant encore le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, de donner naissance – après tout, pourquoi pas ? – à un authentique pouvoir judiciaire qui pourrait s’auto-nommer, s’auto-promouvoir et s’auto-sanctionner sans qu’en contrepartie la responsabilité des juges soit clairement définie ?

Je rappelle, en outre, que les magistrats élus au CSM ont dans leur quasi-totalité été candidats sur des listes syndicales, ce qui signifie que nous assisterions à l’émergence d’une forme de pouvoir syndical, voire – et j’y insiste – de politisation de la justice, ce qui peut être problématique lorsque l’on se souvient que, par le passé, un certain syndicat a appelé à faire battre un candidat à la présidence de la République ; que, plus récemment, il s’est permis de décrier la loi sur l’état d’urgence que nous avions pourtant votée en toute souveraineté ; ou que, dernièrement, il s’en est pris à la réforme du code du travail, autant de prises de position dont on peut contester la légitimité, qui ne procède en rien du suffrage universel.

Le groupe Les Républicains ne peut adopter cette réforme, quand bien même la parité qu’elle instaure au sein du CSM entre « clercs » et « laïcs », entre magistrats et non-magistrats, correspond aux standards européens. Aujourd’hui, le CSM est majoritairement composé de non-magistrats, ce qui permet de limiter les risques de corporatisme.

Si ce projet de loi était adopté en l’état, sans être enrichi d’un volet précisant qui définit et qui conduit la politique pénale du pays, qui en est responsable devant le peuple, nous bouleverserions la Constitution en transformant l’autorité judiciaire en pouvoir judiciaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous modifierions substantiellement l’équilibre de la Constitution si nous touchions à l’article 20, aux termes duquel le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation ». C’est, au sein du Gouvernement, le garde des sceaux qui « conduit la politique pénale », ainsi qu’il est précisé à l’article 30 du code de procédure pénale. Le parquet, quant à lui, conduit l’action publique et exerce les poursuites pénales, ce qui n’est pas la même chose et n’empiète en rien sur les prérogatives du Gouvernement.

Le garde des sceaux, qui ne peut plus donner d’instructions individuelles, adresse désormais au procureur général des instructions générales sur la politique pénale, rendant compte chaque année au ministre de la mise en œuvre de ces orientations.

Ce qui change en revanche, et qui fait tout l’intérêt de ce projet de loi, c’est qu’il accroît l’autonomie institutionnelle du parquet par rapport au Gouvernement, ce qui est conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la plupart des pays démocratiques en matière de justice : celui qui exerce l’action publique ne peut dépendre institutionnellement du pouvoir politique. C’est le sens de cette réforme, que nous approuvons totalement.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Monsieur Fenech, je comprends votre crainte de voir se constituer un gouvernement des juges, mais permettez-moi de vous livrer quelques arguments de nature à la tempérer.

En premier lieu, ce projet de loi ne fait qu’entériner dans la loi ce qui se pratique depuis 2008 en matière de nomination des magistrats du parquet.

En deuxième lieu, la politique pénale est le domaine réservé du garde des sceaux.

En troisième lieu, les magistrats resteront minoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature, ce qui devrait limiter le corporatisme. Par ailleurs, les prises de position syndicales que vous critiquez existent alors même que le parquet n’est pas indépendant, ce qui laisse penser que le statut du parquet n’a guère d’effet en la matière.

Enfin, nous devons, sous peine de nous exposer à des condamnations de plus en plus fermes, nous conformer à la position de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui construit sa jurisprudence à partir d’un « patchwork » des pratiques judiciaires et juridiques en cours dans les différents pays européens et qui nous oblige à garantir l’indépendance des procureurs de la République. De la sorte, nous les sauvons et pouvons leur confier le contrôle de mesures de coercition susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles, comme la garde à vue ou la géolocalisation.

M. Alain Tourret. Les deux positions défendues sont parfaitement respectables. Si l’on veut les concilier et concéder au procureur général et aux procureurs de la République autant de pouvoirs ainsi que toute la légitimité requise pour les exercer, il n’y a qu’une solution : l’élection.

M. Patrice Verchère. Monsieur le rapporteur, ce projet de loi constitutionnelle a-t-il selon vous des chances d’aboutir, ou pensez-vous que nous travaillons pour rien ?

M. le rapporteur. La prudence s’impose et nous ne devons pas trop travailler, donc ne pas trop traîner sur l’examen de ce texte...

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er (article 64 de la Constitution) : Mission du Conseil supérieur de la magistrature

La Commission adopte l’article 1er sans modification.

Article 2 (article 65 de la Constitution) : Compétences du CSM

La Commission examine les amendements CL1, CL2, CL3 et CL4 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. L’amendement CL1 reprend en partie les dispositions envisagées par l’Assemblée en première lecture et tend à établir la parité entre magistrats et non-magistrats au sein du CSM.

L’amendement CL2 aligne le mode de nomination des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège.

L’amendement CL3 vise à instaurer la parité dans chacune des formations du CSM – parquet, siège et formation plénière.

L’amendement CL4, enfin, consiste à permettre à tout magistrat de saisir le Conseil supérieur de la magistrature et de lui permettre de se saisir d’office, comme le souhaitait l’Assemblée en première lecture.

M. le rapporteur. Avis défavorable à l’ensemble de ces amendements. Nous souhaitons en effet un vote conforme du texte pour favoriser l’aboutissement de la révision.

M. Sébastien Huyghe. Deux éléments plaident selon moi contre l’indépendance des magistrats du parquet, au premier rang desquels la défense de notre système juridique et de ses spécificités. Il est regrettable en effet que l’Europe s’inspire de plus en plus du droit anglo-saxon, bien moins protecteur des citoyens que ne l’est notre tradition juridique.

Par ailleurs, les Français ont élu des représentants à l’Assemblée nationale et, à travers eux, désigné un Gouvernement responsable du bon fonctionnement de la justice et de la politique pénale menée dans notre pays. Dans ces conditions, si les magistrats du parquet acquièrent la même indépendance que les magistrats du siège, l’exécutif n’aura plus aucun moyen de mener cette politique pénale. On coupe, ce faisant, le lien existant entre les citoyens et leur justice.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l’article 2 sans modification.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement CL5 de M. Sergio Coronado. 

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à donner une valeur constitutionnelle à la défense de tout justiciable par un avocat.

M. le rapporteur. Avis défavorable, pour les raisons indiquées précédemment.

M. Bernard Gérard. Je soutiens cet amendement, qui reprend une proposition que Pierre Morel-A-L’Huissier et moi-même avions faite. C’est une mesure similaire qui a valu à la Tunisie d’obtenir le prix Nobel de la paix, et ce serait l’honneur de notre pays que de consacrer le fait que toute personne a droit à l’assistance d’un avocat libre et indépendant.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi constitutionnelle modifié.

*

* *

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président de la Commission

La Commission en vient à l’examen de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie (n° 3236) (M. Philippe Gomes, rapporteur).

M. Philippe Gomes, rapporteur. Nous examinons aujourd’hui un texte identique à celui autour duquel nous nous étions réunis il y a quelques mois. Mme Catherine Tasca et un certain nombre de ses collègues sénateurs ont déposé une proposition de loi organique visant à modifier le régime des incompatibilités auquel sont soumises les autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie. Cette proposition a été adoptée le 18 novembre dernier. Elle est semblable à celle que j’ai déposée avec Philippe Gosselin et quelques autres députés sur le même sujet, laquelle a également été adoptée à l’unanimité par notre assemblée, le 26 novembre.

Pour éviter le croisement de ces deux textes identiques dans la navette parlementaire, le Gouvernement a décidé d’inscrire la proposition de loi de Mme Tasca à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ; elle devrait être examinée en séance publique le 7 avril prochain, et son adoption permettra la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie.

En effet, la Nouvelle-Calédonie ne disposait pas jusqu’à présent de cette capacité, alors même que la situation de l’économie calédonienne, marquée dans certains secteurs de l’économie par une très forte concentration des acteurs, justifierait que soit mise en place une autorité de la concurrence.

C’est dans ce cadre que les signataires de l’accord de Nouméa, qui se réunissent annuellement sous la présidence du Premier ministre pour vérifier la mise en œuvre de l’accord, ont estimé, de manière consensuelle, que la loi organique devait être modifiée, afin que la Nouvelle-Calédonie puisse créer des autorités administratives indépendantes. Ce fut fait par la loi organique n° 2013-1027 du 15 novembre 2013.

Toutefois, le régime des incompatibilités est trop strict, et il n’est guère possible pour un membre de l’une de ces autorités administratives de cumuler son mandat avec un emploi public. Si cela n’est pas problématique pour le président ou pour le rapporteur général, qui occupent des emplois à temps plein, cela l’est davantage pour les autres membres, qui n’effectuent au sein de l’autorité que des vacations. C’est la raison pour laquelle ma proposition de loi et celle de Mme Tasca partagent l’objectif d’assouplir ce régime d’incompatibilités.

La proposition de loi organique qui vous est présentée aujourd’hui, si elle ne revient ni sur l’interdiction du cumul entre un mandat au sein d’une autorité administrative indépendante et un mandat électif, ni sur l’incompatibilité entre ce mandat et la détention – directe ou indirecte – d’intérêts des entreprises du secteur régulé, ouvre en revanche la possibilité pour des fonctionnaires d’État en poste en Nouvelle-Calédonie – un magistrat financier ou un professeur d’économie à l’Université, par exemple – d’être membres d’une autorité administrative.

Cette modification permettra de créer en Nouvelle-Calédonie des autorités administratives indépendantes, et notamment une autorité de la concurrence.

Je précise en conclusion qu’une erreur matérielle s’était glissée dans le rapport que j’avais rendu à l’automne sur ma proposition de loi : il n’y a pas d’incompatibilité entre un emploi public exercé hors de la Nouvelle-Calédonie et un mandat dans une autorité administrative indépendante.

M. René Dosière. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen, est naturellement favorable à l’adoption de cette proposition de loi organique, et je salue l’obstination et le travail de Philippe Gomes, qui vont permettre de faire aboutir le long processus de révision de la loi de 2013, sans doute trop rigoureuse sur ce point. Ce texte, identique à la virgule près à la proposition de loi qu’avait déposée M. Philippe Gomes, et adopté à l’unanimité par le Sénat à l’initiative de Catherine Tasca, doit être voté conforme par notre assemblée.

Le dispositif retenu est le suivant : la fonction de président de l’autorité est incompatible avec l’exercice de tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie ; les membres de l’autorité ne peuvent exercer d’emploi public de la Nouvelle-Calédonie, des provinces de ses communes ou de leurs établissements publics, ce qui signifie a contrario que des fonctionnaires métropolitains exerçant en Nouvelle-Calédonie mais ne dépendant pas d’elle peuvent, eux, être membres de l’autorité, étant précisé que cette fonction n’est pas permanente.

Enfin, un délai de carence de trois ans est mis en place pour les autres incompatibilités, puisqu’il est précisé que nul ne peut être désigné président ou membre d’une autorité administrative indépendante si, au cours des trois années précédant sa désignation, il a exercé un mandat électif ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec cette fonction, disposition qui s’inspire de l’avis rendu par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie sur la proposition de loi.

Il s’agit d’un texte d’autant plus important que, sur un territoire insulaire et relativement peu peuplé comme la Nouvelle-Calédonie, la concurrence est forcément limitée. La création d’une autorité de la concurrence permettra donc d’éviter les situations de monopole – lesquelles ont d’ailleurs été pointées par un rapport de l’Autorité de la concurrence. Ces situations contribuent à la cherté de la vie, tout comme la surrémunération des fonctionnaires nationaux et locaux, qui est la cause et non la conséquence de la vie chère mais qu’il sera évidemment beaucoup plus difficile de remettre en question, d’autant que les instances locales n’y sont pas favorables. Quoi qu’il en soit, c’est un autre sujet, dont on parle depuis trente ans et dont on risque de parler encore pendant un certain temps, ce qui est regrettable pour le développement de la Nouvelle-Calédonie.

M. Philippe Gosselin. Il s’agirait en effet d’une mesure beaucoup moins consensuelle !

M. Dominique Bussereau. Je m’exprime ici en tant que président de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, pour apporter mon soutien à ce texte.

À l’issue du voyage que doit effectuer fin avril le Premier ministre en Nouvelle-Calédonie, je souhaiterais que notre mission puisse recevoir les parlementaires de la Nouvelle-Calédonie, afin que nous les interrogions sur les conséquences politiques de ce déplacement à leurs yeux.

M. Philippe Gosselin. Je salue le progrès que ce texte, adopté à l’automne à l’unanimité par le Sénat, représente pour la Nouvelle-Calédonie. Il devrait connaître le même sort dans notre Assemblée et permettre de lever les difficultés empêchant la mise en place d’autorités administratives indépendantes et, en particulier, d’une autorité de la concurrence.

L’insularité pèse sur le coût de la vie, en Nouvelle-Calédonie comme dans tous nos territoires iliens, ainsi que l’ont montré les graves manifestations qui ont eu lieu aux Antilles il y a quelques années. Il est donc primordial qu’une autorité puisse veiller au bon développement de la concurrence dans ces territoires, ce qui ne manquera d’ailleurs pas d’influer sur les scrutins à venir. Le groupe Les Républicains apporte son plein soutien à cette proposition de loi organique.

La commission adopte, à l’unanimité, l’article unique de la proposition de loi organique sans modification. En conséquence, la proposition de loi organique est adoptée ainsi rédigée.

*

* *

La Commission en vient ensuite à la communication du président sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence.

M. le président Dominique Raimbourg. Nous en venons à présent à la communication d’étape sur le contrôle de l’état d’urgence.

Les attentats commis le 13 novembre 2015 sur de multiples sites à Paris et à Saint-Denis ont entraîné la mort de 130 personnes et fait plus de 350 blessés. Déclaré à la suite de ces attaques, l’état d’urgence a été, depuis, prorogé deux fois, et le contrôle parlementaire des mesures prises par le pouvoir exécutif, fondé sur une veille continue, des auditions et des déplacements, a mécaniquement suivi cette prolongation, afin de vous tenir autant informés que possible des conséquences de cet état d’exception au quotidien.

Jean-Frédéric Poisson, qui ne peut être parmi nous ce matin et vous prie d’excuser son absence, et moi-même, vous proposons ainsi de vous livrer pour la troisième fois un bilan intermédiaire de notre contrôle, articulé autour de trois points : le bilan de l’état d’urgence avant le 26 février 2016 ; la prorogation de l’état d’urgence après le 26 février ; les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016.

Sur le premier point, les données brutes sont les suivantes : au 26 février dernier, le Gouvernement avait procédé à 3 397 perquisitions administratives et 400 assignations à résidence. Au 1er janvier 2016, toutes les personnes assignées durant l’état d’urgence l’avaient été et 98 % des perquisitions avaient déjà été conduites, ce qui signifie que ces mesures ont principalement été concentrées dans la première prorogation de l’état d’urgence.

Le contrôle parlementaire des perquisitions administratives est assez difficile, car nous ne disposons que de peu d’éléments sur ces opérations, qui obéissent à un régime dérogatoire par rapport aux perquisitions judiciaires. Le rapporteur Jean-Frédéric Poisson et moi-même souhaitons, dans ces conditions, que les recommandations faites, entre autres, par le Défenseur des droits soient suivies d’effet, c’est-à-dire : qu’un récépissé de perquisition soit systématiquement remis aux intéressés ; que les formalités d’indemnisation des bris de portes ou de fenêtres occasionnés lors de perquisitions soient allégées, de façon à ce que l’indemnisation puisse être rapide en cas de perquisition infructueuse ; que lors de ces perquisitions, enfin, les mineurs présents soient rapidement mis à l’écart par des fonctionnaires non cagoulés, de façon à éviter qu’ils ne soient trop impressionnés.

En ce qui concerne le ciblage des perquisitions, nous avons constaté, lors de nos déplacements en préfectures, la coordination de grande qualité entre les services de renseignement et de sécurité sous l’autorité des préfets.

Schématiquement, la moitié des perquisitions ont été conduites à l’initiative des services de renseignement : 18 % pour la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et 32 % pour le service central du renseignement territorial (SCRT). La seconde moitié a été initiée à la demande des autres services de la sécurité publique ou de la gendarmerie nationale.

Le 27 février 2016, 583 perquisitions, soit 17 %, avaient débouché sur une action judiciaire, principalement pour des infractions à la législation sur les armes ou à celle sur les stupéfiants.

Les perquisitions demandées par les services de renseignement sont les seules à avoir nécessité la mobilisation des forces spéciales d’intervention. Ces perquisitions n’ont que très marginalement abouti à la découverte d’infractions de droit commun – 12 % d’entre elles seulement ont conduit à découvrir des armes ou des stupéfiants, contre 15 % en moyenne –, ce qui conforte l’idée que les services de renseignement ont bien ciblé les personnes soupçonnées de radicalisation. Il faut également souligner que les découvertes d’infractions lors des perquisitions ont été encore davantage concentrées dans le temps que les perquisitions elles-mêmes.

L’incidence des perquisitions sur le nombre de poursuites est assez faible ; on peut en revanche penser qu’elles ont constitué un choc, particulièrement vigoureux dans les premières semaines, pour une mouvance difficile à caractériser comme strictement délinquante ou strictement radicalisée mais qui peut apparaître comme un terreau favorable à l’accueil et au soutien éventuel de réseaux terroristes. À ce titre, on peut espérer que ces perquisitions auront permis d’affiner la connaissance de cette mouvance, tout en luttant contre la criminalité de droit commun.

Pour autant, préfets et procureurs ont veillé, depuis le début de l’état d’urgence, à ne pas nuire à une procédure judiciaire par des mesures de police administrative. Cette précaution générale de bon sens est particulièrement justifiée en matière de lutte contre le terrorisme. Sur ce point, vos rapporteurs estiment utile de prévenir les risques de confusion : les affaires les plus médiatisées concernant des réseaux terroristes, à Saint-Denis le 18 novembre ou à Boulogne-Billancourt et Argenteuil la semaine passée, sont exclusivement le fruit d’enquêtes et de procédures judiciaires.

Entre le 14 novembre 2015 et le 25 février 2016, 563 personnes ont fait l’objet d’une proposition d’assignation adressée à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), délégataire du ministre de l’Intérieur sur ce sujet.

La DLPAJ en a rejeté 76 dans le cadre de la COP21 pour n’en garder finalement que 27, dont 15 n’ont pu être notifiées par les services. Ces assignations particulières sont arrivées à échéance le 12 décembre.

Quant aux assignations pour radicalisation violente, la DLPAJ a rejeté 86 demandes, pour en garder au total 374 sur l’ensemble de la période. Au soir du 25 février, cependant, seules 268 d’entre elles étaient en vigueur. Cette différence s’explique par le fait que 13 assignations ont été suspendues en référé, deux annulées par les juges administratifs, 61 abrogées en cours de période, 25 bloquées avant même leur notification ; cinq, enfin, n’ont pas être notifiées aux intéressés, l’un d’entre eux se trouvant d’ailleurs déjà incarcéré.

La prorogation de l’état d’urgence a eu un effet important sur les assignations à résidence. À la date du 25 février 2016, correspondant à la fin de la première prorogation, 268 mesures d’assignation à résidence étaient en vigueur sur le territoire national. Au terme de la procédure de réexamen individuel des dossiers, 69 assignations ont été renouvelées ; une nouvelle assignation a été décidée ; 199 assignations n’ont pas fait l’objet d’un renouvellement.

Sur les 199 assignations non renouvelées, 32 individus ont fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire (IST) tandis que 13 dossiers d’IST sont en cours d’instruction ; deux individus ont été expulsés et trois dossiers d’expulsion sont en cours d’instruction. À notre connaissance, 149 dossiers ne font l’objet d’aucune mesure à ce jour : nous nous efforcerons de savoir ce qu’il en est lorsque nous rédigerons le rapport final.

J’en viens à la question de la censure, par le Conseil constitutionnel, des dispositions relatives à l’enregistrement de données informatiques lors des perquisitions administratives. Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 18 janvier 2016 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Ligue des droits de l’homme sur la conformité à la Constitution du régime de la perquisition administrative prévu par l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, et en particulier de la possibilité, dans ce cadre, de copier des données stockées dans un système informatique.

Par sa décision du 19 février, le Conseil constitutionnel a validé trois aspects de la perquisition administrative : d’abord, le principe même d’une perquisition administrative ; ensuite, le fait que la perquisition puisse être réalisée en dehors de la direction et du contrôle de l’autorité judiciaire ; enfin, le régime contentieux de la perquisition administrative. En revanche, le Conseil a jugé que les copies de données informatiques portaient atteinte de manière excessive à la vie privée, estimant que « le législateur n’a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée ».

Le ministère de l’Intérieur a tiré les conséquences de cette décision en ordonnant aux services de police et de gendarmerie concernés – selon des modalités et des délais différents – la destruction des données déjà collectées. Il conviendra que nous nous penchions sur la question de la validation des saisies informatiques, une procédure pouvant nécessiter l’intervention d’un juge.

J’insiste sur l’importance du contrôle parlementaire exercé sur l’état d’urgence, et je salue la collaboration du ministère de l’Intérieur, qui a fourni aux administrateurs chargés de ce dossier les renseignements qui leur étaient nécessaires.

Comme nous l’avions déjà relevé lors de la présentation du rapport rédigé par mon prédécesseur Jean-Jacques Urvoas, l’état d’urgence perd de sa pertinence au fur et à mesure que le temps passe : les mesures de perquisition et d’assignation à résidence sont de moins en moins nombreuses, comme le montrent les graphiques joints au dossier qui vous a été remis.

La décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016 a pour conséquence d’affaiblir l’intérêt qu’il y a à proroger l’état d’urgence, puisque cette décision oblige en pratique à retourner au dispositif de droit commun, qui soumet à l’autorisation du juge judiciaire la possibilité de procéder aux perquisitions administratives.

Tels sont les éléments d’information que nous souhaitions vous communiquer dans le cadre de ce rapport d’étape sur le contrôle de l’état d’urgence.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Puisque vous considérez, alors même que l’on entend dire que le niveau de risque reste élevé, que l’état d’urgence a vocation à être suspendu ou levé, êtes-vous en mesure de nous confirmer que tous les quartiers sensibles, les quartiers dits de non-droit, ont été traités comme il se doit, que l’on a fouillé tout ce qu’il y avait à fouiller, et interpellé toutes les personnes qui devaient l’être ?

M. Guy Geoffroy. Nous avons tous conscience – et les chiffres relatifs aux assignations à résidence et aux perquisitions le confirment – qu’au fil du temps l’efficacité de l’état d’urgence s’est estompée, ce qui est normal. Vous avez conclu, monsieur le président, en soulignant que, depuis le renouvellement de l’état d’urgence et la décision du Conseil constitutionnel de février dernier, l’état d’urgence avait perdu de sa substance, c’est-à-dire de sa capacité à permettre de recourir à des dispositifs exorbitants du droit commun, porteurs de résultats garantissant la sécurité de nos concitoyens.

Les Français s’interrogent sur ce que va devenir l’État de droit si l’état d’urgence est levé, en particulier à l’approche de ce grand rendez-vous populaire qu’est l’Euro 2016, que les pouvoirs publics ont eu raison de maintenir. Savez-vous quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ? Va-t-il maintenir l’état d’urgence pour rassurer la population, ou tirer les conséquences du fait que cette mesure ne produira plus aucun effet tangible et prendre, en y mettant fin, le risque d’être mal compris par une partie de nos concitoyens ? C’est là une question sensible, sur laquelle j’avoue ne pas avoir de certitude ; c’est pourquoi je souhaite connaître les éléments d’information que vous êtes certainement en mesure de nous communiquer.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, je vous remercie pour le travail que vous avez effectué avec Jean-Frédéric Poisson, dans la continuité de ce qu’avait entrepris le président Urvoas.

D’un point de vue quantitatif, le nombre de perquisitions et d’assignations à résidence est effectivement en décrue, ce qui s’explique par la durée de l’état d’urgence et par le fait que le « stock » initial de personnes et d’affaires à traiter diminue régulièrement. Cela dit, sommes-nous sûrs que toutes les personnes susceptibles d’être assignées à résidence l’ont été ?

La décision du Conseil constitutionnel du 19 février dernier met à mal une partie du dispositif mis en place fin 2015. Certes, la vie privée et les données personnelles doivent être protégées, mais nous sommes dans un contexte très particulier qui ne saurait durer : il appartient au Gouvernement de prendre des mesures fortes, éventuellement sous la forme d’un projet de loi – l’initiative peut également venir du Parlement –, car nous ne pouvons rester au milieu du gué, avec un dispositif inopérant en pratique.

M. Pascal Popelin. Je salue votre travail, celui de Jean-Frédéric Poisson et de l’ensemble des administrateurs qui y concourent. Le contrôle de l’état d’urgence, décidé sous l’impulsion de Jean-Jacques Urvoas, a donné lieu à un travail inédit du Parlement, qui contribue à la préservation de l’État de droit dans des circonstances tout à fait particulières.

Ayant été le rapporteur du texte proposant la prorogation de l’état d’urgence pour trois mois, je suis de ceux qui considèrent que, même si les mesures prises dans ce cadre diminuent quantitativement, le travail qui continue d’être mené par les différents services de police et de gendarmerie contribue efficacement à assurer la sécurité de nos compatriotes.

La sortie de l’état d’urgence, évoquée par Guy Geoffroy, est une vraie question, déjà abordée au moment de voter la prorogation. Nous devons considérer que l’état d’urgence n’a pas vocation à durer indéfiniment, et nous avons œuvré pour donner à l’autorité judiciaire et à nos services de sécurité, en dehors de l’état d’urgence, des moyens particuliers qui se trouvaient jusqu’alors dans les angles morts de notre droit. Je pense au projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, dont Colette Capdevielle et moi-même sommes les rapporteurs : adopté en première lecture à une large majorité, ce texte vient d’être voté par le Sénat avec certaines modifications, et une commission mixte paritaire (CMP) va prochainement se réunir. Je forme le vœu que cette CMP soit l’occasion de trouver tous les points d’équilibre nécessaires – le travail de rapprochement avec les positions de nos collègues sénateurs ne me paraît pas insurmontable –, afin que le texte puisse être promulgué avant le 26 mai prochain. Nous disposerions ainsi dans le droit commun, non pas de dispositions analogues à celles de l’état d’urgence, mais de mesures conférant à nos services de sécurité et à l’autorité judiciaire une force nouvelle permettant à notre pays de faire face aux menaces auxquelles il est confronté.

Mme Colette Capdevielle. Je me joins aux félicitations de mes collègues pour le travail que vous avez accompli avec M. Poisson, monsieur le président, et qui nous permet de suivre quotidiennement l’évolution de l’état d’urgence.

La banalisation de l’état d’urgence, résultant de son inscription sur une longue période, est un problème en ce qu’elle diminue son efficacité. Dès lors, il faut se demander comment en sortir. Il y aura toujours un événement justifiant que l’on s’interroge sur la nécessité de maintenir ce dispositif : après l’Euro de football, ce sera le Tour de France cycliste, puis les manifestations du 14 juillet, et ainsi de suite. Comme l’a dit M. Popelin, nous avons déjà intégré au droit commun des dispositions donnant plus d’efficacité aux services de sécurité et à l’autorité judiciaire. Le plus important, ce sont les personnes assignées à résidence. De ce point de vue, le texte que nous avons voté et qui est en cours d’examen au Sénat sera de nature, une fois devenu définitif, à permettre de mettre fin dans des conditions raisonnables à un état d’urgence dont la poursuite sur une trop longue durée compromettrait gravement l’efficacité.

Je suis très attentive au sort des trois observations formulées par le Défenseur des droits, à savoir qu’un récépissé de perquisition administrative doit être systématiquement remis à l’intéressé afin de lui permettre de faire valoir ses droits ; que les formalités d’indemnisation des bris de portes ou de fenêtres occasionnés lors de perquisitions s’étant révélées juridiquement non fondées soient facilitées et rendues plus rapides ; enfin, que des mesures particulières doivent être prises dans le cas de la présence de mineurs sur les lieux d’une perquisition administrative. Je souhaite, monsieur le président, que vous interrogiez le Gouvernement sur ces trois points.

Nos concitoyens peuvent être rassurés, car les récentes affaires très médiatisées relèvent en fait du droit pénal commun. Nous avons voté des mesures constituant un véritable arsenal législatif, et je pense que l’aggravation des sanctions prévues par le code pénal, ainsi que la multiplication des possibilités offertes par le code de procédure pénale, assurent à nos concitoyens une grande sécurité juridique, les affaires les plus graves relevant du droit commun.

M. François Vannson. Je vous félicite également, monsieur le président, pour la qualité de ce rapport, en soulignant l’étroitesse de votre marge de manœuvre eu égard à la spécificité de l’état d’urgence, qui ne facilite pas l’action de contrôle.

Le Président de la République a annoncé lors du Congrès de Versailles qu’il allait créer des postes de gendarmes et de policiers – mais former des personnels des forces de sécurité prend du temps. Il a également fait part de sa volonté de voir mobiliser les réservistes, ce qui me paraît une très bonne idée compte tenu de la nécessité de faire intervenir rapidement des forces sur le terrain : pouvez-vous nous faire part de votre avis et des éléments d’information dont vous disposez sur ce point ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le président, je vous félicite également pour le travail accompli, dont on ne soulignera jamais assez l’aspect novateur.

Je voudrais d’abord souligner fermement que l’État de droit s’est bien tenu durant l’état d’urgence, grâce à l’activité de contrôle du Parlement, à l’intervention d’un juge administratif très protecteur, absent dans de nombreux pays, ainsi qu’à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, même si, comme cela a été dit, celle-ci peut avoir pour effet de gêner l’action entreprise dans le cadre de l’état d’urgence – ce qui risque de conduire à ce que le renseignement prenne éventuellement le relais pour mener à bien certaines actions qui ont dû être abandonnées.

Vous avez souligné que le nombre de perquisitions et d’assignations à résidence avait décru au fil du temps, ce qui montre bien que l’état d’urgence n’est pas si nocif. Au demeurant, il me semble que l’état d’urgence n’empêche pas nos concitoyens de manifester dans les rues comme ils l’ont toujours fait. Je me trouvais à la gare du Nord deux jours après les horribles attentats de Bruxelles, lorsque j’ai vu passer durant une demi-heure, le long d’un train Thalys retardé en raison d’un incident mécanique, une manifestation d’étudiants et de lycéens contre la réforme du droit du travail. Loin de moi l’idée de blâmer cette manifestation, mais force est de constater qu’elle se déroulait librement au milieu de l’une des gares les plus exposées, donc les plus surveillées de France, sans que cela semble choquer qui que ce soit – surtout pas les Britanniques, très habitués aux manifestations, qui attendaient pour prendre leur train. Si je souligne cela, c’est que je suis parfois choquée des prises de position de certaines associations.

J’ai été un peu étonnée par la question de M. Morel-A-L’Huissier, qui se demandait si l’on avait bien fouillé tous les quartiers sensibles. Mais qu’est-ce qu’un quartier sensible, cher collègue ? En êtes-vous encore à croire que le radicalisme djihadiste ne se rencontre que dans ce que l’on appelait autrefois les banlieues, alors que chacun sait que le terrorisme trouve aussi bien sa source en Bretagne ou en Ariège, y compris dans des zones rurales ou dans des quartiers aisés ? Votre question est d’autant plus étonnante que nous n’en serions pas là aujourd’hui si votre majorité n’avait pas, en son temps, supprimé la police de proximité dans ce que vous appelez les quartiers sensibles : la maintenir aurait permis de continuer à surveiller la montée du radicalisme – et il en est de même du renseignement territorial, réduit à zéro durant le quinquennat précédent, alors que 32 % des perquisitions effectuées dans le cadre de l’état d’urgence ont été conduites à l’initiative de ses services.

J’approuve l’idée de remettre un récépissé de perquisition administrative aux intéressés, évoquée par Colette Capdevielle ; j’ajoute que, pour moi, ce document devrait comporter les observations de l’intéressé.

Enfin, je ne partage pas les inquiétudes qui ont été exprimées au sujet de la durée de l’état d’urgence, l’État de droit me paraissant protégé de manière satisfaisante. À mes yeux, il n’y a pas de banalisation de l’état d’urgence : nous nous trouvons plutôt dans un état sociologiquement intermédiaire que je qualifierai d’état de vigilance.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le président, je vous félicite pour le travail mené par vous-même, ainsi que par Jean-Frédéric Poisson et les administrateurs de la commission.

Il ressortait du premier point d’étape sur l’état d’urgence que les assignations à résidence étaient effectuées selon des modalités standards. J’aimerais savoir si les choses ont évolué du fait des observations que nous avions formulées à l’époque, ou si les personnes assignées à résidence sont toujours soumises au même rythme et aux mêmes modalités d’assignation.

Je souscris pleinement aux trois questions que vous formulez au sujet des assignations à résidence, mais je me demande tout de même si nous ne pourrions pas obtenir davantage d’informations sur la judiciarisation éventuelle des situations et des personnes concernées.

Pourrez-vous nous préciser aussi ce qu’il advient des assignations à résidence qui ne sont pas notifiées à leur destinataire, faute de pouvoir localiser cette personne ? Cela déclenche-t-il une alarme et la mise en place d’une procédure particulière, ou prend-on simplement acte du fait que la personne est introuvable ? Cette question revêt une certaine importance, compte tenu du nombre d’assignations à résidence non notifiées.

Pour ce qui est des perquisitions, nous devons prendre acte de la censure du Conseil constitutionnel relative à la copie de données informatiques, qui rend impossible un examen approfondi des données saisies. Certes, on peut difficilement conserver en masse les données saisies dans le cadre de l’état d’urgence, ce qui montre que l’outil juridique dont nous nous étions dotés n’était manifestement pas adapté : nous devons donc engager une réflexion en consultant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et l’ensemble des acteurs concernés, afin de trouver une solution équilibrée permettant à la fois de fournir des garanties quant à la protection de la vie privée et d’exploiter les données obtenues grâce aux perquisitions, qui constituent sans nul doute une source d’informations utiles à la lutte contre le terrorisme.

Mme Cécile Untermaier. Je souligne, moi aussi, la qualité du travail effectué et l’importance du contrôle parlementaire de l’état d’urgence.

J’aimerais savoir s’il est prévu d’analyser précisément, a posteriori, le fait déclencheur des perquisitions, surtout dans les cas où celles-ci n’ont pas abouti au résultat attendu. Le bilan que nous pourrions établir permettrait sans doute d’affiner le dispositif pour le rendre plus efficace.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Puisque Mme Bechtel a cru bon de m’interpeller au sujet de la question que j’avais posée – j’apprécie à sa juste valeur cette marque de sympathie à mon endroit –, je précise que, lorsque les perquisitions administratives ont été autorisées, les préfets ont utilisé tous les moyens de renseignement dont ils disposaient, notamment dans les quartiers sensibles. On a ainsi traité le « stock » dans les zones de non-droit où les gendarmes et les policiers n’osaient plus mettre les pieds. Le sens de ma question est le suivant : à l’heure actuelle, tous les quartiers sensibles ont-ils été traités, ou existe-t-il des poches de résistance ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il ne fallait pas supprimer l’îlotage !

M. le président Dominique Raimbourg. Je commencerai par souligner, en leur rendant hommage, l’implication des services de police et de gendarmerie ainsi que la qualité du travail fourni à l’initiative des préfectures, des états-majors de sécurité et des services centraux.

Comme l’ont dit Colette Capdevielle et Pascal Popelin, il est important que nous votions le texte sur la procédure pénale, qui pourra ainsi prendre le relais des dispositifs sur lesquels nous nous appuyons dans le cadre de l’état d’urgence.

Le droit commun ne nous laisse toutefois pas totalement démunis, puisque nous avons adopté un certain nombre de textes : après les lois antiterroristes du 21 décembre 2012 et du 13 novembre 2014 et la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015, nous sommes en train d’examiner une loi renforçant la lutte contre le crime organisé.

Je n’ai pas d’informations particulières au sujet des réservistes, mais je vais me renseigner.

En réponse à Mme Mazetier, je veux dire que la personnalisation des assignations à résidence s’est affinée, notamment en ce qui concerne les horaires de pointage.

Pour ce qui est de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, il paraît difficile de mettre en œuvre dans les deux mois qui restent une procédure particulière au sein de l’état d’urgence, permettant de procéder aux saisies informatiques – c’est d’autant moins pertinent que le nombre de perquisitions et d’assignations à résidence a beaucoup diminué.

J’ai le sentiment que tout ce qui était « en stock », pour reprendre l’expression de M. Morel-A-L’Huissier, a été traité, et que les perquisitions ont eu lieu partout où elles devaient être effectuées, sans que cela occasionne de grandes difficultés si l’on se réfère au nombre assez limité d’interventions des unités spéciales d’intervention dans ce cadre – ce qui est plutôt rassurant.

Si l’état d’urgence prend fin, nous ne serons pas pour autant démunis, le droit commun permettant de lutter contre la délinquance, la radicalisation et le terrorisme. Ainsi, 140 perquisitions administratives ont eu lieu dans le Val-d’Oise, dont 23 à Argenteuil, mais la découverte de la cache de Reda Kriket, arrêté à Boulogne-Billancourt, s’est faite dans le cadre d’une perquisition judiciaire classique. Je ne suis ni policier, ni sociologue, mais j’émets l’hypothèse selon laquelle l’état d’urgence aurait servi à intervenir dans un « bas de spectre », tandis que les dispositifs judiciaires de droit commun intervenaient dans un « haut de spectre ».

Telles sont les réponses que je peux apporter à l’heure actuelle aux questions que vous m’avez posées.

M. Jean-Luc Warsmann. Je vous félicite pour votre travail, monsieur le président, et suis tout à fait d’accord avec ce que vous venez de dire. Quand les services ont disposé du nouvel outil que constituait le droit d’effectuer des perquisitions, ils l’ont immédiatement utilisé en des lieux où des indices laissaient penser qu’ils étaient en lien avec des infractions, alors qu’en temps normal le même travail aurait pris plusieurs mois : nous avons pêché en eaux troubles, et fait quelques prises intéressantes ayant donné lieu à des suites judiciaires. Les critiques relatives à un taux de suites judiciaires jugé insuffisant me paraissent injustifiées, car l’objectif consistant à pouvoir agir dans les lieux où nous n’avions que des soupçons a été atteint.

M. le président Dominique Raimbourg. Mes chers collègues, je vous remercie pour votre présence et vos interventions.

La séance est levée à 11 heures 30.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Gilles Bourdouleix, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, M. Carlos Da Silva, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Joaquim Pueyo, M. Dominique Raimbourg, Mme Sophie Rohfritsch, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Goujon, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Dominique Bussereau, M. Dino Cinieri, M. Mathieu Hanotin