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Commission des affaires économiques

Mercredi 11 janvier 2017

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Examen de la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle (n° 4344) (M. Dominique Potier, rapporteur).

La commission a examiné la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle (n° 4344), sur le rapport de M. Dominique Potier.

Mme la présidente Frédérique Massat. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de loi n° 4344 relative à la lutte contre l’accaparement des terres et au développement du biocontrôle. M. Dominique Potier a été nommé rapporteur de ce texte, dont il est également l’auteur.

Cette proposition de loi fait suite à l’annulation par le Conseil constitutionnel des dispositions relatives au foncier agricole introduites dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin II). Le Conseil a estimé en effet que ces articles étaient dépourvus de tout lien avec le texte initial, qu’il s’agissait donc de cavaliers législatifs.

Au regard de l’importance du sujet et d’un certain consensus entre les deux chambres sur le travail du rapporteur, il a été considéré qu’un texte déjà adopté par le Sénat avait toutes les chances de voir le jour avant la fin de la législature.

Je vous informe que vingt-quatre amendements ont été déposés et qu’aucun n’a été retiré ou déclaré irrecevable.

La seconde partie concerne le biocontrôle, sujet sur lequel M. Dominique Potier s’est également beaucoup investi au cours de cette législature.

Le texte sera discuté en séance publique le mercredi 18 janvier, en soirée.

M. Dominique Potier, rapporteur. Tout d’abord, j’adresse à tous mes meilleurs vœux, sous l’auspice de la concorde car je pense que les deux sujets que nous abordons aujourd’hui, le combat pour la régulation du foncier agricole considéré comme un bien commun et non seulement comme une propriété privée, et le biocontrôle en tant qu’arme d’une agroécologie qui restera une marque de ce quinquennat, peuvent nous rassembler très largement.

C’est une proposition de loi déposée en 2013 par le groupe Socialiste, républicain et citoyen (SRC) qui a permis de poser la question d’une nouvelle donne en matière de foncier. La déréglementation intervenue lors des précédentes législatures avait ouvert des brèches : montée d’un certain individualisme, d’une compétition dans le monde agricole, course à l’agrandissement, et, à partir de 2008, arrivée de fonds spéculatifs sur le marché foncier, au-delà même des zones frontalières et des zones à haute valeur ajoutée, comme le vignoble, où ces démarches étaient déjà banalisées. Nous avons ainsi constaté une perte de contrôle dans ce qui a longtemps été un défi national partagé par tous, une logique patrimoniale et social-démocrate permettant d’affecter le foncier à ceux qui en ont le plus besoin plutôt qu’à ceux qui ont les plus grands moyens. C’est cette tradition qui a permis une modernisation équilibrée de notre agriculture.

Face au constat d’une rupture, nous avions déposé une proposition de loi pointant trois limites à dépasser. La première était un cadre de l’installation privilégiant le jeune exploitant de manière excessive, avec une logique du fusil à deux coups : le jeune s’installe sans reconnaître son héritage paternel ou maternel et récupère ensuite cet héritage au nom du droit familial. Cet abus a été corrigé dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

La deuxième limite avait trait au phénomène sociétaire qui nous réunit ce matin. Nous avions fait un premier pas dans la loi d’avenir en matière de transparence et d’information des mouvements fonciers au sein des sociétés et esquissé la possibilité pour les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) d’intervenir en cas de cession de 100 % des parts sociales, mais ce système pouvait être aisément contourné et nous avons donc formulé des propositions dans notre proposition de loi.

Enfin, nous avions évoqué une réflexion à venir sur les abus du travail à façon. De nombreux agriculteurs ne prennent pas leur retraite et continuent d’être exploitants, ou bien ce sont ce que M. Daniel Prieur, de la FNSEA, a baptisé les « agriculteurs contemplatifs », qui, habitant parfois dans une grande ville ou à Paris, gèrent par téléphone une exploitation, bénéficiant des aides de la politique agricole commune (PAC), sans jamais mettre les pieds sur leurs terres ou rarement. Cette question sera réglée par le statut de l’agriculteur, un chantier ouvert dans la loi d’avenir mais encore loin d’être achevé.

Je me réjouis que, dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, le ministre Stéphane Le Foll et le rapporteur Germinal Peiro aient créé un volet foncier s’inspirant de notre proposition de loi : renforcement du pouvoir des SAFER, élargissement de la collégialité de leurs décisions, règlement sur l’installation qui ne priorise pas de manière absolue l’installation des jeunes mais donne à ces derniers à choisir entre le patrimoine familial et l’acquisition nouvelle… C’était un premier pas très important, consacrant après des années de déréglementation un début de retour à la régulation.

Force est de constater, cependant, que nous n’avons pas été assez loin. Au moment de l’affaire de la multinationale chinoise dans l’Indre, le pays a été saisi d’une vague d’émotion. Il peut y avoir dans cette émotion une part de sentiment anti-étranger qui n’est pas le nôtre, mais je ne suis pas choqué de voir le sens commun s’émouvoir que des capitaux étrangers deviennent propriétaires de façon massive de terres céréalières. Le sujet est revenu dans le débat public et a pu être abordé dans le cadre de la loi Sapin II. Je remercie la commission des affaires économiques d’avoir porté dans ce débat des amendements sur le phénomène sociétaire.

Nous avons réuni à deux reprises l’ensemble des forces agricoles – SAFER, Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), Coordination rurale, Confédération paysanne, Jeunes Agriculteurs, FNSEA – et nous avons obtenu un quasi-consensus, mises à part des réserves de la Coordination rurale, sur les propositions que nous avons élaborées à la suite d’échanges fructueux avec l’opposition. Nous avons eu à cœur d’élargir ce consensus au Sénat et je salue la complicité de M. Daniel Gremillet, sénateur des Vosges et rapporteur, qui a abouti aux mêmes conclusions, tout en précisant nos intentions. Sa vigilance a permis d’améliorer le texte. Lors de la commission mixte paritaire (CMP) sur Sapin II, l’accord a été total sur ces questions.

Le Conseil constitutionnel a malheureusement considéré que ces dispositions n’avaient pas leur place dans la loi Sapin II. Il fallait donc agir très vite et je salue la présidence du groupe et celle de la commission qui ont permis le dépôt en huit jours d’une proposition de loi les reprenant très précisément. Je donnerai un avis favorable à quelques amendements d’ordre technique, inspirés par les organisations syndicales. Ce dernier texte agricole de la législature est aussi l’occasion de traiter quelques questions non fondamentales, mais il ne s’agit pas de rouvrir le débat sur ce que nous avons déjà discuté de manière approfondie.

Le Gouvernement nous a par ailleurs demandé de porter des questions ayant trait au biocontrôle. Certains trouveront qu’elles ont un caractère réglementaire ou anecdotique, mais je ne partage pas cette analyse. Les dispositions proposées touchent à la sécurité des personnes, à la simplification de la vie des entreprises et à la promotion du biocontrôle, qui représente un apport majeur. Ce n’est pas M. Antoine Herth, auteur d’un rapport ayant fait autorité et que nous avons repris dans le plan Écophyto 2, qui me contredira. Le biocontrôle représente aujourd’hui environ 5 % des solutions alternatives aux solutions traditionnelles de l’agrochimie et a vocation à monter à 15 %. Dans ce domaine, la France est très bien placée, en matière de recherche et développement, de brevets, de startups.

Le principal intérêt de ce véhicule législatif pour le Gouvernement est de rétablir le certificat d’économie de produits phytosanitaires (CEPP) inspiré des certificats d’économies d’énergie. C’est une des propositions phares du Gouvernement en matière agricole. Il s’agit d’introduire une relation B-to-B (Business to Business) entre entreprises. Les agro-fournisseurs auront des objectifs de réduction des produits phytosanitaires avec leurs clients et ces certificats devront concourir à l’objectif de réduction de 25 % de l’utilisation de ces produits dans les cinq ans. Cette logique était une des originalités du rapport Écophyto 2, que j’ai eu l’honneur de remettre à Manuel Valls, alors Premier ministre.

Après avoir fait l’objet d’une habilitation dans la loi d’avenir, le CEPP a été attaqué par certaines organisations, sur des problèmes relevant plus de la forme que du fond. Je continue de penser que le Gouvernement a conduit un travail de consultation publique de qualité, mais le Conseil d’État a rendu sa décision sur l’ordonnance et nous n’avons pas à la commenter. La présente PPL sera l’occasion de reprendre sous la forme d’un amendement du Gouvernement en séance le CEPP, qui, une fois inscrit dans la loi, ne sera plus contestable. Le monde syndical, en partie réticent au départ, s’est mis en mouvement : des coopératives et des opérateurs privés se sont déjà inscrits dans la dynamique et nous demandent que cette disposition ne soit pas remise en cause.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Hervé Pellois. Je suis ravi que nous puissions dès aujourd’hui examiner la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, déposée par notre collègue Dominique Potier le 21 décembre dernier. Je tiens à l’en remercier. Devant l’urgence mais également l’ampleur de la situation, M. Dominique Potier a su rassembler les forces syndicales dans leur diversité, en lien avec le Gouvernement et le Sénat.

Les agriculteurs mais aussi la société civile dénoncent avec force « l’affaire des investisseurs chinois » dans l’Indre. Ce n’est hélas pas le seul exemple en la matière. Dans le contexte d’une multiplication des contournements observés dans les cessions foncières par le biais de certains montages sociétaires, il s’agit de donner des capacités d’installation nouvelles à de jeunes agriculteurs et de permettre aux SAFER d’exercer complètement le contrôle des transactions.

Comme cela a été rappelé, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi Sapin II concernant le renforcement du pouvoir des SAFER. Or ces nouveaux outils devaient permettre d’instaurer une meilleure transparence des acquisitions foncières. C’est pourquoi ces dispositions ont été reprises et renforcées.

La proposition de loi que nous examinons est composée de onze articles, répartis en trois titres.

Le titre Ier vise à préserver les terres agricoles. L’article 1er prévoit qu’en dehors des groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC), des exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) et des sociétés ou associations dont l’objet est par nature la propriété agricole, toute acquisition de foncier agricole se fera par l’intermédiaire d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole.

L’article 2 permet aux SAFER d’acquérir des parts de groupements fonciers agricoles (GFA), au-delà de la limite actuelle des 30 % du capital et jusqu’à 100 %. En accord avec le groupe et notre rapporteur, j’ai déposé un amendement visant à supprimer une disposition renvoyant l’application des mesures relatives au GFA à un décret en Conseil d’État ; la loi est suffisamment explicite pour ne pas rendre nécessaire un décret de ce type.

L’article 3 donne aux SAFER un pouvoir de préemption en cas de cession partielle d’une société dont l’objet aurait pour résultat de conférer à l’acquéreur la majorité des parts ou une minorité de blocage.

L’article 4 oblige à conserver cinq années les droits sociaux correspondant aux apports réalisés sur les biens immobiliers agricoles.

L’article 5 permet aux SAFER de maintenir durant cinq années leur participation aux sociétés de personnes dans le cas d’une opération de rétrocession des droits sociaux acquis.

L’article 6 supprime le répertoire de la valeur des terres agricoles, prévu dans le code rural et de la pêche maritime, mais jamais utilisé. Il confirme ainsi la légalité de l’utilisation du barème indicatif de la valeur vénale des terres agricoles.

L’article 7 assouplit la durée de préavis d’un an avant la fin de concession, pour lever certains freins à la concession de terres agricoles par certaines collectivités. J’ai, en accord avec le groupe et notre rapporteur, déposé un amendement sur la gestion du foncier agricole, la détermination des prix à la location et les améliorations sur le fonds donné à bail. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a mis fin aux élections des assesseurs dans les tribunaux paritaires des baux ruraux, ce qui a entraîné par extension une réforme des modes de désignation des représentants fermiers et bailleurs dans les commissions départementales des baux ruraux, nécessitant l’adoption d’un décret avant le 1er janvier 2018. L’adoption de cet amendement permettra au même décret de tenir compte de ces deux ajustements, tout en procédant à une simplification administrative.

Le titre II vise à développer le biocontrôle. L’article 8 élargit l’exemption d’agrément pour les applicateurs professionnels de produits de biocontrôle à l’ensemble des produits de biocontrôle, exception faite de ceux soumis à un étiquetage comportant une mention de danger. Cela facilitera l’usage des produits de biocontrôle reconnus dans la loi d’avenir du
13 octobre 2014.

L’article 9 exempte de l’obligation de Certiphyto les salariés temporaires qui disposent les diffuseurs passifs de certains produits de biocontrôle de type médiateurs chimiques, comme les phéromones ou les kairomones. L’article 10 ratifie l’ordonnance relative au dispositif expérimental de CEPP.

Le titre III traite de dispositions diverses. L’article 11 gage les charges éventuelles, liées aux mesures de la proposition de loi, sur l’instauration d’une taxe additionnelle sur les activités commerciales.

Je vous invite à voter unanimement cette proposition de loi, dans l’objectif d’éviter l’accaparement et la financiarisation des terres agricoles par des sociétés d’investissement au détriment du renouvellement des générations en agriculture.

M. Antoine Herth. J’adresse tout d’abord à toutes et à tous mes meilleurs vœux en ce début d’année 2017. Je suis moins convaincu que vous, Monsieur le rapporteur, sur l’intérêt de ce texte. Tout d’abord, il s’agit d’une séance de rattrapage. L’opposition n’a pas été assez précise dans ses questions, au moment du débat sur Sapin II, pour permettre de lever les lièvres au sein de ces dispositifs. La mise en œuvre du texte, le régime fiscal et juridique des sociétés à créer, la remise en cause de certaines fonctions des SAFER posent en effet de nombreuses questions. Nous pouvons être d’accord avec l’objectif d’éviter l’accaparement des terres, ainsi que sur le rôle incontournable des SAFER, mais nous resterons très vigilants sur les mesures votées par le Parlement en matière de foncier agricole.

Vous indiquez avoir obtenu le consensus de quatre organisations agricoles, mais ce n’est pas suffisant. Le débat ne concerne pas seulement les exploitants de terres agricoles mais aussi des propriétaires de terres agricoles qui ne sont pas forcément exploitants. Il vous manque donc une moitié du quorum, si j’ose dire, pour conduire valablement ce débat.

Vos dispositions sont fragiles et vous pêchez par excès d’optimisme quant à leur portée réelle. Je suis d’accord qu’il faudra une loi sur le foncier, notamment pour savoir comment mobiliser de l’argent. Ici, vous essayez d’éviter que de l’argent n’entre pour l’achat de terres ; il faut en même temps se poser la question de savoir qui acceptera demain de financer des terres agricoles, parce que les agriculteurs ne pourront plus mobiliser les financements à eux seuls : ils en ont besoin pour mettre aux normes, moderniser, rendre plus écologiques leurs équipements. Il faut donc trouver des véhicules qui permettent de préserver la liberté d’exploitation tout en délestant les exploitants de la charge de porter la propriété du foncier.

L’article 10 est caduc. Vous avez indiqué qu’il serait remplacé par un amendement du Gouvernement qui remettra en vigueur une disposition par ailleurs controversée. Je regrette cette manière de procéder. Autant le consensus est entier sur les articles 8 et 9, autant le débat n’est pas clos sur les CEPP, contrairement à ce que vous prétendez.

Ce texte me semble être un bricolage de fin de législature. À titre personnel, je ne peux m’inscrire pas dans une telle démarche.

M. Thierry Benoit. Il s’agit d’une loi d’ajustement, après la décision du Conseil constitutionnel. La régulation du foncier agricole est un sujet de préoccupation majeur. La France est un grand pays agricole ; c’est d’ailleurs indiqué dans l’exposé des motifs du texte. Nos 28 millions d’hectares de surface agricole utile, c’est 40 % de plus que cet autre grand pays agricole qu’est l’Allemagne.

Dans l’affaire de l’Indre, l’accaparement de 1 700 hectares – la taille d’une grande commune agricole en France –, peu importe d’ailleurs par qui, Chinois ou autres, suscite une grande inquiétude. La France doit demeurer le premier pays agricole en Europe. Quand nous parlons des terres agricoles, nous parlons aussi de la souveraineté des agriculteurs, de celles et ceux qui vivent des fruits de leur travail en cultivant la terre pour nourrir la population. Tout ne peut être spéculation. Jusqu’à présent, le phénomène d’accaparement s’observait dans des pays vulnérables, par exemple en Afrique en vue d’exploiter le sous-sol. Il convient de formuler des propositions pour que l’arsenal juridique français nous donne la possibilité de mettre le holà lorsque quelqu’un, qui que ce soit, cherche à accaparer des terres à des fins de domination et de spéculation.

Puisque le Conseil constitutionnel a considéré que de telles mesures n’étaient pas à leur place, il est bon de corriger le tir avant la fin de la législature. Cela ne me pose pas de problème.

En ce qui concerne le biocontrôle, je suis un fervent défenseur de l’agroécologie, qui, je le rappelle, n’est autre que le prolongement de ce que nos agriculteurs pratiquent depuis déjà une quinzaine d’années, à savoir l’agriculture écologiquement intensive. L’agroécologie est aujourd’hui intégrée par tous les esprits et non plus seulement par ceux qui étaient, il y a trente ou quarante ans, partisans d’une agriculture exclusivement bio. Tous les agriculteurs souhaitent concilier l’urgence économique et l’urgence écologique et environnementale.

Les articles 8 et 9 ne posent pas de problème. En revanche, comme M. Antoine Herth, je m’interroge sur l’article 10. Le Conseil d’État a annulé l’ordonnance d’octobre 2015 et vous essayez de rendre une légitimité à cet acte en l’intégrant dans une proposition de loi.

À titre personnel, je ne m’opposerai pas en commission à cette proposition de loi. Le groupe Union des démocrates et indépendants (UDI) présentera plusieurs mesures d’ici à la discussion du texte dans l’hémicycle.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je donne à présent la parole aux autres intervenants.

Mme Marie-Lou Marcel. Je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi qui fait suite à la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions sur l’accaparement des terres agricoles incluses dans la loi Sapin 2. Cette censure ayant rendu incertaine la situation des SAFER, il était nécessaire, au regard de l’importance des enjeux, de présenter un dispositif législatif adapté qui reprenne l’ensemble de ces dispositions.

Avec les SAFER, notre pays dispose d’un système unique en matière de gestion du foncier agricole. Ce système doit être renforcé. Les SAFER doivent avoir les moyens d’intervenir afin d’éviter toute concentration d’exploitations et tout accaparement de terres au sein d’une même société de holding. Récemment, 1 700 hectares de terres céréalières ont été achetés par un fonds de gestion chinois basé à Hong Kong sans que les SAFER n’aient été mises au courant de cette transaction.

La présente proposition de loi permettra d’assurer une meilleure transparence des cessions de parts ou des actions de sociétés détenant du foncier agricole, et les SAFER pourront intervenir afin de préserver notre agriculture familiale, qui pourrait être menacée par des concentrations abusives.

M. Philippe Armand Martin. L’article 1er de la proposition de loi reprend l’article 90 de la loi Sapin II, que le Conseil constitutionnel a censuré. À ce sujet, le groupe Les Républicains a posé la question majeure du droit de propriété et de la liberté contractuelle, puisque les sociétés qui achètent des terres agricoles seraient obligées de les rétrocéder à une société spécifique dont l’objet principal serait la propriété agricole. Chacun est conscient que la protection des terres agricoles est absolument nécessaire pour les besoins de la production, qui doit répondre à une demande toujours plus importante compte tenu de l’augmentation de la population. Cependant, l’ouverture d’une telle brèche dans le droit de propriété est dangereuse, alors même que la protection des terres agricoles n’est pas parfaitement assurée. De plus, l’extension du droit de préemption des SAFER proposée à l’article 3 ne risque-t-elle pas de déborder rapidement de ses limites ?

La faille de notre droit foncier a récemment été révélée par des affaires d’acquisition de larges surfaces de terres agricoles par des acheteurs étrangers, notamment chinois. Même si ces transactions sont encore limitées, il est à craindre qu’elles aient été réalisées au détriment, à court terme, de nos terres agricoles ; en effet, nul ne connaît précisément les projets des acheteurs. Si le dispositif prévu dans la proposition de loi tend à empêcher ce type de transactions, qu’en est-il en revanche des achats en cours ? Les SAFER peuvent-elles en avoir connaissance avant la fin des procédures de vente ? Alors que les agriculteurs français sont soumis à une législation et à une réglementation tatillonnes qui les contraint quotidiennement, comment seront traitées les sociétés étrangères déjà propriétaires dont le siège social serait situé hors de nos frontières ?

Mme Brigitte Allain. Tout d’abord, j’adresse à toutes et à tous mes meilleurs vœux. Cette proposition de loi est bienvenue tant il est urgent d’agir pour sauver nos territoires ruraux des risques liés aux tentations d’une agro-industrie spéculative et démesurée dont nous commençons tout juste à percevoir les limites économiques et le coût social et environnemental.

Nous sommes face à un défi social considérable pour nos territoires ruraux, qui devrait concerner un grand nombre de producteurs puisqu’il s’accompagne d’un défi économique. En effet, le développement de l’agroécologie dépend d’un accompagnement législatif dont la maîtrise et la gestion des structures agricoles sont l’une des clefs de voûte. Oui, la lutte contre l’accaparement des terres est bien l’un des outils indispensables à la mise en œuvre de l’agro-écologie pour assurer la souveraineté alimentaire du pays. Si chacun convient aujourd’hui de la nécessité de réguler nos productions en fonction de notre besoin alimentaire et, surtout, pour mieux y répondre, peu de nos concitoyens, en particulier agriculteurs, ont intégré cette dimension humaine, sociale et sociétale que renforce l’évolution actuelle vers une économie agricole plus territorialisée. La répartition du foncier agricole entre agriculteurs et la définition du statut de l’actif agricole sont tout aussi importantes pour une agriculture durable que la préservation des terres agricoles, naturelles et forestières.

De même, le titre II de la proposition de loi consiste en une reconnaissance de notre capacité et de notre responsabilité collective à privilégier les systèmes d’agriculture et d’élevage respectueux de la nature. En effet, l’utilisation des produits de biocontrôle telle qu’elle est définie dans la loi d’avenir de 2014 doit être encouragée et accompagnée. De ce point de vue, j’ai un regret : les préparations naturelles peu préoccupantes devraient bénéficier du même regard que les produits de biocontrôle car comme eux, elles ne nécessitent ni plus, ni moins qu’une bonne connaissance du milieu naturel et de son équilibre.

Enfin, pour assurer une réduction concrète et efficace de l’usage des phytosanitaires, nous n’avons pas réussi à imposer la différenciation dans la loi entre les conseillers prescripteurs et les commerciaux. Pour que l’agroécologie devienne réellement le mode de développement agricole rural dans une dynamique de projets, nous devons nous appuyer sur des agents de développement indépendants de l’agrochimie.

Mme Annick Le Loch. Je me réjouis de cette proposition de loi qui vise à lutter contre l’accaparement des terres agricoles et à favoriser le développement du biocontrôle, deux sujets importants pour l’économie et l’environnement de notre pays.

Les SAFER jouent un rôle majeur pour assurer la transparence du marché du foncier et la régulation des prix de vente de ce foncier. Sans le contrôle qu’elles exercent, l’hectare de terre aurait certainement dépassé le prix auquel il se négocie aujourd’hui. En Bretagne, par exemple, l’hectare de terre se vend à des prix compris entre 4 000 et 10 000 euros selon les lieux ; sans le contrôle des SAFER, il se négocierait sans doute entre 20 000 et 30 000 euros. C’est dire l’importance de ce mode de gestion qui n’existe pas en Europe du Nord, par exemple. Les appétits grandissants d’investisseurs étrangers s’expliquent en partie par le faible coût de la terre en France.

Lors de son assemblée générale à Brest, la fédération nationale des SAFER a réclamé le droit d’avoir accès aux ventes réalisées sous couvert de structures sociétaires, qui lui échappent jusqu’à présent ; ce texte lui en donnera les moyens. Outre les aspects de gestion de l’espace, d’environnement et de régulation des prix du marché du foncier rural, qui sont essentiels dans les décisions des SAFER, il faut aussi privilégier le renouvellement des générations en agriculture et l’installation dans toutes ses formes. Chacun a entendu parler des difficultés d’accès rencontrées par tel ou tel porteur de projet.

Ce texte aura-t-il un impact sur l’accès au foncier dans toutes les formes d’agriculture, qu’elle soit conventionnelle, biologique, biodynamique ou expérimentale ? Permettra-t-il à tous les porteurs de projets agricoles de s’installer ?

M. Éric Straumann. « Le monde aura besoin de toutes les agricultures du monde pour nourrir le monde » : vous rappelez cette citation d’Edgar Pisani dans votre exposé des motifs, Monsieur le rapporteur. Encore faut-il que les agriculteurs puissent vivre de leurs productions, ce qui est aujourd’hui difficile en France. Je pense en particulier aux agriculteurs retraités : le foncier constitue souvent une forme de retraite complémentaire, le niveau des pensions agricoles étant extrêmement faible. Sans doute faudrait-il donc réfléchir au lien entre le foncier et la retraite agricole, car les conditions de cession seront rendues plus compliquées pour les anciens agriculteurs, étant donné qu’ils ne pourront pas libérer le capital d’assurance-vie que représente pour eux le foncier.

Mme Isabelle Attard. Certes tardive, cette proposition de loi, loin d’être du rafistolage, arrive au bon moment et répond très à propos à de nombreuses inquiétudes existant non seulement dans les circonscriptions rurales mais aussi ailleurs. Ce sujet a donné lieu à de nombreuses discussions lorsque j’ai traversé ma circonscription à pied en avril. Ces inquiétudes ne sont pas infondées et vous avez raison de vous y attaquer maintenant : aujourd’hui, les investisseurs chinois – ou américains, voire suédois en Afrique – menacent en effet la sécurité alimentaire. N’oublions pas que les SAFER avaient pour mission essentielle de réguler les achats des terres et de permettre que « les projets agricoles soient en cohérence avec les politiques locales et répondent à l’intérêt général ».

Nous sommes aujourd’hui très loin de cette mission essentielle. Les sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA) et les groupements fonciers agricoles sont complètement aspirés. Or, ces investissements ne sont pas le fait d’investisseurs anonymes. Le magazine Reflets Info a accompli un travail énorme et précis en la matière, et j’invite mes collègues à lire ses deux articles qui révèlent que ces multinationales ont un nom : Hongyang et Beijing Reward International Trade. Un Français, toujours le même, est à la manœuvre : M. Marc Fressange. Nul ne sera insensible au fait que ces opérations financières sont ciblées sur notre territoire, et ce non pas seulement dans l’Indre : les déménagements en Normandie du siège social des sociétés créées lors de ces acquisitions font craindre des achats beaucoup plus importants de terres agricoles, au point que les 1 700 hectares achetés dans l’Indre ne seraient que l’arbre qui cache la forêt d’autres rachats. Je me réjouis donc que nous puissions, même en fin de mandat, examiner ce problème en urgence.

M. Philippe Le Ray. Je partage certains des grands points de cette proposition de loi mais elle a ses limites, déjà soulevées lors du débat sur la loi d’avenir pour l’agriculture et sur la loi Sapin II.

Avant de parler d’outils et de moyens, il faut définir précisément la notion d’exploitant agricole. Chacun conviendra qu’il est d’abord un producteur. Que les producteurs soient ou non propriétaires de leurs terres, de leur cheptel voire de leurs bâtiments et de leur matériel, nous devons défendre cette définition du producteur et de l’accès au foncier.

La SAFER, qui joue un rôle très important, ne couvre qu’une petite partie de cette dimension foncière. La principale question tient aux autorisations d’exploiter, qui demeurent la base de la transmission et de l’agrandissement des exploitations agricoles en France. Dans ce texte comme à l’avenir, nous devrons veiller avec la plus grande attention à conserver un lien assez sain entre propriétaire et locataire.

D’autre part, nous devons définir avec beaucoup plus de précision la notion de propriété et d’usage de la propriété, ce qui ne semble pas être le cas dans cette proposition de loi. Il nous faut aussi revoir une partie de la fiscalité agricole et la notion de risque de patrimoine en agriculture.

Il existe plusieurs leviers, mentionnés dans le texte. La politique agricole commune, tout d’abord, est sans doute le meilleur d’entre eux. Il existe aussi des outils d’urbanisme susceptibles de protéger la destination des terres. Sans doute aurait-on pu évoquer le sujet de la bourse foncière destinée aux jeunes agriculteurs.

Enfin, si certains faits divers suscitent parfois quelque animosité, il ne faut pas avoir peur des investisseurs et des personnes qui ont de l’argent, qu’ils viennent ou non de l’extérieur. Nous devons plutôt légiférer intelligemment, et surtout pas de manière précipitée.

M. Paul Molac. Je regrette l’absence de consensus, ce texte me semblant aller dans le sens de l’intérêt général et reprenant des dispositions dont nous avons déjà discuté – et dont nous ne serions pas saisis une nouvelle fois sans le Conseil constitutionnel. De surcroît, les organismes tels que l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture et la fédération nationale des SAFER ainsi que les différents syndicats nous ont expressément demandé de légiférer sur ce sujet, car ils craignent que la finance s’immisce dans l’agriculture et qu’elle achète des terres. Cela poserait plusieurs problèmes, en effet : ce sont les propriétaires qui décident de ce qu’ils planteront sur leurs terres. Il pourrait donc survenir des agriculteurs contemplatifs qui seront des hauts dirigeants de banques, comme la Bank of China par exemple. Notre souveraineté alimentaire s’en trouverait mise en cause : quelles productions pour quels marchés ? Nos agriculteurs, quant à eux, seraient en porte-à-faux car ils ne seraient plus souverains.

Je suis très attaché à l’agriculture familiale. On peut certes être sociétaire, dès lors que tout sociétaire est un agriculteur qui travaille dans la société en question. Je mets en garde contre les systèmes intégratifs où l’agriculteur n’est plus qu’un tâcheron sur lequel retombent toutes les difficultés : en cas de maladie, c’est son salaire qui est retenu mais, en cas de bénéfices, il ne touche rien, n’étant propriétaire ni des bâtiments, ni du cheptel, ni de la terre. Au contraire, l’agriculture familiale est résiliente et adaptable, et c’est grâce à elle que l’agriculture française est si diverse de toutes ses appellations d’origine. C’est aussi elle qui nourrit la dynamique de nos territoires ruraux.

Même si elle n’a sans doute pas l’ampleur du statut du fermage de 1946, adopté à l’initiative de François Tanguy-Prigent – un autre Breton bien connu –, cette proposition va donc dans le bon sens et favorise l’agriculture familiale ; je la voterai naturellement.

Mme Sophie Errante. Ce texte important prend toute sa place dans la diversification de l’agriculture – de ce point de vue, nous partageons les préoccupations exprimées. Cependant, nous devons envisager la question du contrôle de l’usage des terres : aux propriétaires exploitants, en effet, s’ajoutent des surfaces agricoles utiles qui ne sont pas exploitées. Je sais que ce combat, que je mène depuis longtemps, est difficile, mais nous ne pourrons pas éviter le débat. Ce phénomène crée des friches et empêche le développement de certaines productions ; de plus, les collectivités ont toutes les peines à gérer ces surfaces, dont les propriétaires ne résident souvent plus sur nos territoires et n’entretiennent plus leurs terres, parfois même parce qu’ils ont l’intention de les transformer en terrains constructibles. Surtout, ils refusent les baux agricoles. Outre le problème de propriété agricole, il existe donc un problème d’usage concernant les surfaces agricoles dites utiles et pourtant inutilisées.

Mme Michèle Bonneton. Cette proposition de loi reprend des dispositions annulées par le Conseil constitutionnel pour des raisons non pas de fond, mais de forme. En septembre dernier à Bruxelles, les SAFER et les structures équivalentes des autres pays de l’Union européenne ont tenu un colloque lors duquel elles ont toutes demandé davantage de régulation concernant l’achat des terres agricoles, car l’accaparement des terres est un réel problème dans tous les pays de l’Union. J’ai constaté à cette occasion que dans certains pays, les prix des terres agricoles connaissent une hausse considérable et très rapide : en Belgique, par exemple, le prix au mètre carré des terrains agricoles est souvent dix à vingt fois plus élevé qu’en France. Cet écart énorme illustre bien les appétits qui naissent dans ce domaine, et les investisseurs se tourneront rapidement vers la France si nous n’érigeons aucune barrière.

En maîtrisant le foncier agricole, il s’agit tout simplement de garantir la souveraineté des agriculteurs sur leurs terres et sur leur métier. La liberté de choix des agriculteurs est fondamentale. Je suis donc tout à fait favorable à cette proposition de loi.

Quant au biocontrôle, c’est une chance à la fois pour l’agroécologie et pour nos entreprises, qui ont de beaux atouts dans ce domaine. Il y a dans ma circonscription de nombreuses expérimentations en ce sens et nous devons utiliser massivement des traitements qui ne sont pas trop chimiques. Enfin, je suis favorable au rétablissement, à l’article 10, des dispositions de l’ordonnance annulée par le Conseil d’État, même s’il faut nous rappeler que des ambitions bien plus importantes en matière de phytosanitaires n’ont jamais été réalisées.

M. Lionel Tardy. Le contrôle des cessions foncières est une spécificité française qu’il faut naturellement consolider dans l’intérêt de notre agriculture. Le dispositif proposé ne doit pas pour autant être fragile et nous devons nous poser plusieurs questions. Avons-nous suffisamment de recul concernant les nouveaux pouvoirs accordés aux SAFER dans la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014 ? De même, pourquoi l’affaire des investisseurs chinois dans l’Indre a-t-elle échappé aux radars ? En mai dernier, M. Stéphane Le Foll disait que la loi de 2014 était suffisamment équipée avec un décret d’application, mais force est de constater que ce n’est pas le cas. Enfin et surtout, les SAFER disposeront-elles des moyens suffisants pour exercer leurs missions ? M. Antoine Herth avait d’ailleurs déjà posé cette question légitime lors de la présentation de son rapport sur la mise en application de la loi précitée, à la fin décembre.

M. le rapporteur. Ce tour de table était édifiant. Je remercie ceux d’entre vous qui ont apporté leur appui sur le fond à cette proposition de loi en rappelant les enjeux qui prévalent sur leurs territoires. Fort naïvement, j’ai annoncé dans mon propos liminaire que le sujet suscitait la concorde entre nous ; ce n’est pas le cas. Je remercie donc tous ceux qui, à droite, ont défendu la propriété foncière en critiquant ce texte car, dans un moment où nous pourrions être saisis par le doute, ils renforcent considérablement ma motivation dans le combat de l’élection présidentielle. Et pour cause : décidément, nous ne parlons pas du même monde et n’avons pas les mêmes valeurs. Je le dis à regret, car il me semblait qu’un socle républicain, une maison commune pouvaient nous rassembler autour de la vision d’une certaine civilisation rurale, d’acquis de l’après-guerre qui me paraissaient solidement enracinés et d’une mémoire syndicale qui, je l’espère, vous habite encore, Monsieur Antoine Herth. En clair, j’espérais un relatif consensus. J’avais cru en voir le signe lorsque M. Daniel Gremillet, sénateur des Vosges – qui n'est pas un gauchiste – a déposé une proposition de loi formulée dans des termes identiques pour signifier son accord total sur le sujet. Je suis donc quelque peu déconcerté. Sans doute le sujet est-il en discussion chez vous, à droite, mais je décèle des propos fort inquiétants dont j’aimerais débattre.

L’accusation de bricolage n’est guère fondée : cette proposition de loi vise très simplement à reprendre des dispositifs qui ont été contrés pour les uns – le certificat phytosanitaire – par le Conseil d’État et pour les autres par le Conseil constitutionnel, qui ne jugeait pas opportun de les placer dans la loi Sapin II, quoi qu’on en pense sur le fond. Faire ce reproche reviendrait à assimiler à du bricolage les réunions interprofessionnelles approfondies – et saluées par toute la profession – que nous avons tenues, mais aussi les travaux de notre commission et le débat que nous avons eu avec Mme Catherine Vautrin, dont nous avons retenu certains des amendements pour parvenir au consensus, et même tout le travail de réflexion que nous menons depuis quatre ans sur les enjeux fonciers. Je récuse donc l’accusation de bricolage : cette proposition de loi vise certes à un rattrapage, à la suite de l’arrêt du Conseil d’État et à la décision du Conseil constitutionnel, mais c’est la marche législative normale.

Sur le fond, j’entends les arguments exposés par les députés de droite sur la propriété foncière. Ils sont vieux comme le monde ! Certains reprennent le débat philosophique de La Terre, d’Émile Zola ; d’autres celui qui, avant-guerre, a opposé les propriétaires terriens aux forces émergentes des jeunesses agricoles chrétiennes. Je constate surtout un retour en arrière par rapport au consensus national établi sous Edgar Pisani, c’est-à-dire un accord entre le monde du travail et le monde de la propriété qui place clairement le patrimoine foncier au service de la dynamique entrepreneuriale, de la souveraineté alimentaire, de la conquête des marchés agro-alimentaires et d’une agriculture familiale, coopérative ou encore associative, et qui contraint la propriété foncière par des lois sur le fermage et grâce à la création des SAFER. Autrement dit, la puissance publique régule et évite toute démesure tout en permettant aux exploitations de grandir et de se moderniser en respectant l’équilibre entre les uns et les autres. Ce consensus n’a été brisé que par quelques dispositions de « simplification » adoptées en son temps par la majorité précédente ; j’ignore si elles l’ont été de manière innocente ou calculée, mais elles ont eu des effets délétères sur le terrain.

Que l’on soit de droite ou de gauche, libéral, socialiste ou écologiste, nous pouvons tous faire le constat suivant : il y a aujourd’hui deux poids deux mesures entre les sociétés coopératives et les individus, qui sont sous le radar des SAFER et du contrôle des structures, et des « boîtes noires » qui passent à travers la loi et ses principes. Nous ne faisons qu’adapter le cadre juridique à ces sociétés, qui doivent être traitées de la même manière que les autres. Comment expliquer que sur un territoire donné, le cumul ou le dépassement des structures soit décrété pour un agriculteur possédant seul cent hectares alors qu’une société composée de deux actionnaires anonymes peut s’agrandir en tout impunité ?

Le présent texte contient des mesures de spécialisation de la propriété foncière, de notification – qui, si le décret avait pu être pris à temps, auraient permis de rendre visible l’opération de la multinationale chinoise dans l’Indre – et de transparence qui visent tout simplement à mettre les sociétés à égalité avec les autres propriétaires. Il ne s’agit pas de remettre en cause la propriété, mais de remettre au goût du jour l’accord national entre la propriété et le travail, qui était détourné, afin de l’adapter à la réalité des montages spéculatifs à l’œuvre sur le terrain, qu’ils soient gaulois ou chinois – je ne cesse de le répéter pour éviter de donner le sentiment d’une stigmatisation de l’étranger, qui rejoindrait des combats par ailleurs nauséabonds. Je suis donc très étonné par vos propos qui m’inquiètent.

Certes, au-delà des dispositions prises dans la loi d’avenir, dans la loi Sapin II et dans cette proposition de loi, il faudra une grande loi foncière. Nous savons en effet que l’augmentation de 4 pour 1 000 du stockage de carbone dans l’humus aura une incidence sur le changement climatique. Nous savons aussi, comme l’a établi la Cour pénale internationale de La Haye en septembre 2016, que l’accaparement des terres à Madagascar, au Mozambique ou en Tunisie suscite désormais plus de violence et de misère que les guerres dans le monde. Ce problème émergent en Europe est mortifère dans les économies rurales et menace la souveraineté alimentaire de plusieurs régions du monde. C’est un sujet colossal. Est-ce à la loi de l’argent de réguler la propriété foncière, qui était à la fois social-démocrate et patrimoniale ? Le capitalisme financier cassera-t-il cette logique, qui a certes ses défauts et ses insuffisances mais qui appartient globalement à un socle civilisationnel auquel nous sommes attachés ?

Je dis ceci aux partisans de la « liberté » : vous pouvez défendre la propriété foncière, mais je crois qu’elle doit plutôt répondre à la logique du livret A qu’à celle du CAC40. C’est un choix politique : on ne saurait défendre la retraite des mondes paysans par la spéculation sur les coûts du foncier tout en demandant la relève des générations du monde agricole. Le moment viendra où il faudra choisir son camp. La retraite agricole, comme le sait bien M. Germinal Peiro, relève d’une autre dynamique que celle de la spéculation sur un bien immobilier hérité ; ne mélangeons pas tout, au risque de créer une confusion totale. Il faut à l’évidence faire un choix politique et un choix de civilisation ; je ne partage pas le vôtre. Si le choix de la liberté était fait, je défendrais celle d’entreprendre. En ce qui me concerne, j’ai trois associés qui ne viennent pas du monde agricole : sans des lois protectrices comme celle-ci, ils n’auraient jamais pu accéder au métier d’agriculteur. Je défends un modèle où tous ceux qui ont la vocation peuvent entreprendre, car nous partageons les droits à produire, mais je ne défends pas un modèle de la propriété et de la spéculation. Il faudra bien choisir dans quel camp et en faveur de quelle perspective politique nous sommes. Vous me motivez donc profondément pour le combat de l’élection présidentielle et j’en suis heureux, car si ces débats ne sont pas tranchés chez vous, j’ignore quel avenir du milieu rural se dessine. Je rappelle simplement que le prix du foncier agricole, qui reste maîtrisé en France, est un extraordinaire élément de compétitivité de nos exploitations et que toute dérive en la matière aura un effet délétère sur notre capacité à conquérir des marchés, voire à conserver le marché agricole intérieur.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

TITRE Ier
Préservation des terres agricoles

Article 1er (article L. 143-15-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Limitation de l’acquisition de foncier agricole aux sociétés dont l’objet principal est la propriété agricole

La commission adopte l’article 1er sans modification.

Article 2 (articles L. 322-2 et L. 322-22 du code rural et de la pêche maritime) : Possibilité d’acquisition, pour les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, de plus de 30 % des parts de groupements fonciers agricoles ou ruraux

La commission examine les amendements identiques CE7 de M. Dino Cinieri, CE9 de M. Jean-Claude Bouchet, CE14 de M. Thierry Benoit et CE23 de M. Fabrice Verdier.

M. Éric Straumann. L’amendement CE7 est défendu.

M. Antoine Herth. L’amendement CE9 vise à améliorer les dispositions concernant les regroupements fonciers agricoles.

Je saisis cette occasion pour répondre à M. le rapporteur, qui s’emballe dans des considérations idéologiques en invoquant les circonstances de la campagne électorale. Vous feriez bien de relire mes déclarations dans le compte rendu de notre séance et de les comparer aux vôtres à tête reposée : vous constaterez alors que j’ai simplement posé des questions de bon sens. Je ne suis aucunement opposé à imposer aux sociétés privées le même niveau de contrôle qu’aux groupements fonciers agricoles. Je ne fais que soulever le problème de la transmission du foncier. Si vous voulez à l’avenir proposer une grande loi agricole, il vous faudra discuter avec l’ensemble des parties prenantes et vous poser la question de nouveaux véhicules. Le groupement foncier agricole a son rôle à jouer mais il n’a hélas pas pu résoudre le problème dans son ensemble.

J’aimerais que vous entendiez, Monsieur Dominique Potier, qu’être en désaccord avec vous ne revient pas forcément à adopter une posture idéologique. Je ne fais pas d’idéologie ; je pose des questions et tâche d’examiner les problèmes en toute lucidité pour imaginer des solutions innovantes, car il n’est pas certain que des outils datant du milieu du XXe siècle puissent apporter des réponses aux problèmes du XXIe siècle. C’est tout ce que je dis, et je n’aime guère votre ton, ni la manière dont vous essayez d’emballer le sujet. Nous aurons des explications dans l’hémicycle le 18 janvier, et je poserai de nombreuses questions au ministre en espérant recevoir enfin des réponses claires et précises ; ceci est un avertissement.

M. Thierry Benoit. Dans le prolongement du propos que vient de tenir M. Antoine Herth, l’amendement CE14 vise à adapter les modalités de modulation des surfaces concernant les groupements fonciers agricoles, notamment la référence à la surface minimum d’installation, supprimée en 2014.

M. Fabrice Verdier. L’amendement CE23 est défendu.

M. le rapporteur. J’ai dialogué avec toutes les parties prenantes, y compris celles qui ont inspiré ces amendements. Ils ne me semblent pas opportuns, car la loi d’avenir établit la régulation au niveau régional. Je propose de renvoyer au domaine réglementaire les modifications relatives à la surface minimum d’installation et à la prise en compte des régions naturelles. Ne créons pas de la confusion – comme en conviennent les promoteurs de l’amendement eux-mêmes – en substituant au schéma régional un schéma départemental. Le problème existe, mais la solution proposée ne me semble pas opportune. Je suggère aux auteurs des amendements de les retirer, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable. Nous pourrons éventuellement interroger le ministre en séance sur la manière de trouver une solution intelligente à l’inadéquation entre les régions naturelles et administratives dans la délimitation surfacique ; en l’espèce, je crains que la solution proposée ne crée de la complexité là où nous avons besoin de limpidité.

M. Thierry Benoit. Attentif aux explications de M. le rapporteur, je retire mon amendement.

M. Fabrice Verdier. Je fais de même.

Les amendements CE14 et CE23 sont retirés.

La commission rejette les amendements CE7 et CE9.

Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement CE18 du rapporteur et les amendements identiques CE5 de M. Lionel Tardy, CE8 de M. Dino Cinieri, CE10 de
M. Jean-Claude Bouchet, CE20 de M. Hervé Pellois et CE24 de M. Fabrice Verdier.

M. le rapporteur. Nous souhaitons tous ici saisir l’occasion de cette proposition de loi pour toiletter certaines dispositions législatives devenues inutiles. C’est ce que propose l’amendement CE18 qui vise à abroger un article du code rural et de la pêche maritime prévoyant qu’un décret doit être pris pour appliquer le chapitre sur les groupements fonciers agricoles. Ce décret n'a jamais été pris et l’article en question est sans objet.

J’approuve tous les amendements identiques qui suivent, mais je propose à leurs auteurs de les retirer au profit de l’amendement CE18 qui en reprend le contenu en ajoutant une disposition de coordination légistique qui manquerait autrement dans le code général des impôts.

M. Lionel Tardy. L’article L.322-24 du code rural et de la pêche maritime prévoyait en effet un décret d’application des mesures relatives aux groupements fonciers agricoles qui n’a jamais été pris, et qui ne semble donc pas nécessaire. Je me rallie à l’amendement de
M. le rapporteur, semblable à l’amendement CE5 que je retire.

M. Éric Straumann. L’amendement CE8 est défendu.

M. Antoine Herth. L’amendement CE10 l’est également.

M. Hervé Pellois. Je me rallie à la position du rapporteur et retire l’amendement CE20.

M. Fabrice Verdier. Je retire également l’amendement CE24, satisfait par celui de M. le rapporteur.

Les amendements CE5, CE20 et CE24 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CE18.

En conséquence, les amendements CE8 et CE10 tombent.

La commission adopte l’article 2 modifié.

Article 3 (article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime) : Droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural en cas de cession partielle de parts ou actions de sociétés agricoles

La commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 (article L. 143-5 du code rural et de la pêche maritime) : Obligation de conserver cinq ans les droits sociaux reçus en contrepartie d’un apport en société de terres agricoles

La commission adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 (article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime) : Possibilité, pour les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, de maintenir leur participation au capital d’une société de personnes jusqu’à cinq ans, pour rétrocéder ensuite les droits acquis

La commission adopte l’article 5 sans modification.

Article 6 (articles L. 312-3 et L. 312-4 du code rural et de la pêche maritime) : Publication annuelle d’un barème de la valeur vénale des terres agricoles

La commission adopte l’article 6 sans modification.

Article 7 (article L. 221-2 du code de l’urbanisme) : Assouplissement du régime de concession temporaire de terres à usage agricole

La commission adopte l’article 7 sans modification.

Après l’article 7 (articles L. 411-11 et L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime) : Suppression de la commission paritaire nationale des baux ruraux et du comité technique départemental

La commission examine les amendements identiques CE17 du rapporteur, CE3 de M. Lionel Tardy, CE6 de M. Dino Cinieri, CE15 de M. Thierry Benoit, CE19 de M. Hervé Pellois et CE22 de M. Fabrice Verdier.

M. le rapporteur. Il s’agit d’un sujet qui a été évoqué tout à l’heure par M. Hervé Pellois.

La disposition proposée vise à conformer la loi à la pratique. Il faut en effet que la loi dise ce qui se fait réellement, et vous êtes nombreux à le demander. Désormais, c’est la commission départementale des baux ruraux qui pourrait assurer les missions du comité technique départemental.

M. Lionel Tardy. Vous connaissez mon attachement à la simplification par la suppression de certains comités.

L’amendement CE3 vise précisément à supprimer la base légale de deux instances : la commission paritaire nationale des baux ruraux, qui n’est plus constituée depuis plusieurs années et est devenue inutile en matière de procédure de détermination des barèmes des fermages ; le comité technique départemental relatif à l’autorisation de certains travaux d’amélioration du bien loué dans le cadre du statut du fermage. Ce comité n’est pas constitué dans une majorité de départements. Il est donc proposé de le fusionner avec la commission départementale des baux ruraux.

M. Éric Straumann. L’amendement CE6 est défendu.

M. Thierry Benoit. L’amendement CE15 est défendu.

M. Hervé Pellois. L’amendement CE19 est défendu.

M. Fabrice Verdier. L’amendement CE22 est défendu.

La commission adopte les amendements identiques.

TITRE II
Développement du biocontrôle

Article 8 (article L. 254-1 du code rural et de la pêche maritime) : Élargissement de la dispense d’agrément aux produits de biocontrôle

La commission adopte d’abord l’amendement rédactionnel CE1 du rapporteur.

Puis elle en vient à l’amendement CE11 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement de bon sens devrait ravir Mme Brigitte Allain et M. Germinal Peiro qui sont deux ardents défenseurs des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), sujet qui a fait l’objet de discussions passionnées avec le ministre Stéphane Le Foll, lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, tout comme le loup et les boissons alcoolisées.

La dérogation accordée au biocontrôle doit s’étendre aux PNPP. Le Certiphyto n’est pas nécessaire en effet pour utiliser les PNPP qui participent de la sagesse paysanne et des solutions de bon sens que le terrain et la mémoire collective savent inventer.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 8 modifié.

Article 9 (article L. 254-3 du code rural et de la pêche maritime) : Exemption de Certiphyto pour les salariés temporaires disposant des diffuseurs passifs de certains produits de biocontrôle

La commission est saisie de l’amendement CE12 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à étendre la dispense de Certiphyto aux PNPP.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

La commission examine l’amendement CE16 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour vos amendements concernant les préparations naturelles peu préoccupantes.

L’amendement CE16 s’inscrit dans la logique de l’article 9 qui exempte de l’obligation de Certiphyto les salariés temporaires qui interviennent sur les exploitations agricoles pour disposer des diffuseurs passifs de certains produits de biocontrôle.

Je propose d’étendre cette mesure aux aidants familiaux. Ceux-ci sont bien définis dans le code rural et de la pêche maritime. Ce sont les descendants, frères, sœurs ou alliés, au même degré du chef d’exploitation agricole, ou de son conjoint. Comme ils n’ont pas accès à la formation Certiphyto, ils ne peuvent donc pas se voir attribuer ce certificat.

M. le rapporteur. Madame Michèle Bonneton, je suis défavorable à votre amendement, mais je salue le fait que Certiphyto constitue pour vous une garantie de sécurité. Ce certificat est une belle invention issue du Grenelle de l’environnement et de la majorité précédente qui l’a installé dans le plan Ecophyto I. 200 000 agriculteurs ont été formés avec les fonds VIVEA. La profession agricole a fait preuve d’une grande réactivité par rapport à d’autres secteurs d’activité où des capacités ont été demandées, et elle a été remarquable dans la mise en œuvre de ce Certiphyto. Le rapport d’évaluation du plan Ecophyto I que j’ai effectué a montré que si des progrès restent à accomplir ici ou là en termes de qualité et que des cycles de mise à jour doivent être organisés, le Certiphyto est plutôt plébiscité. Les aidants familiaux qui n’ont pas vocation à utiliser les produits phytosanitaires en ont été dispensés. Comme un fils, un père, un conjoint qui travaille ponctuellement sur l’exploitation n’a pas vocation à utiliser tout matériel servant à la pulvérisation des produits phytosanitaires, il est a priori dispensé de l’obtention du certificat. La mesure que vous proposez paraît donc excessive.

On peut s’en remettre au bon sens et à la capacité humaine à prendre en compte le principe de précaution. Je n’imagine pas qu’un père puisse laisser son fils utiliser un appareil qui nécessite des manipulations dangereuses sans lui transmettre un minimum de précautions qu’il aura acquises par le bon sens ou la formation Certiphyto qui aura été dispensée par la chambre d’agriculture ou la coopérative. Il est important que, dans une famille, celui qui est formé et doit déléguer ponctuellement son travail transmette les mesures de précaution.

La mesure que vous proposez constituerait une complexification et une charge qui paraît disproportionnée par rapport à ce qu’une solidarité familiale peut naturellement prendre en compte.

Si vous avez besoin de précisions, je vous propose d’interroger le ministre de l’agriculture en séance publique – même si ce point relève plus du domaine réglementaire que législatif. Ce débat a fait l’objet d’un discernement avec toutes les parties prenantes. J’avais défendu cet équilibre, en conscience.

Mme Michèle Bonneton. Vous jugez excessive la disposition que je propose. J’avoue ne pas très bien comprendre pourquoi la mesure prévue pour les salariés temporaires ne pourrait pas être étendue aux aidants familiaux. Il s’agit bien de produits de biocontrôle qui ne présentent pas de danger. Il n’y a donc pas d’effet pervers à craindre concernant la dangerosité de ces produits.

M. le rapporteur. Il y a peut-être un malentendu entre nous. Les articles 8 et 9 prévoient une dérogation à l’obligation de Certiphyto pour les jeunes, les voisins, les salariés temporaires, etc. qui utilisent les méthodes de biocontrôle à base de phéromones ou de kairomones qui sont chronophages. La mise en œuvre du biocontrôle par des salariés, des exploitants, ne justifie pas un Certiphyto car, par essence, ces produits, sauf ceux qui sont irritants, ne sont pas dangereux pour la santé. Il n’y a pas de sujet.

Quant aux produits phytosanitaires qui ont un caractère dangereux, on a considéré que si le chef d’exploitation avait le Certiphyto, ceux qui l’aidaient ponctuellement dans cette tâche devraient aussi le détenir.

Mme Michèle Bonneton. Je crois que nous ne nous comprenons pas très bien. Je propose que les aidants familiaux puissent utiliser les produits de biocontrôle sans danger, sans qu’ils aient besoin d’avoir le Certiphyto.

M. le rapporteur. Sur ce point, nous serions totalement d’accord. Toutefois, ce n’est pas ce qui est écrit dans l’exposé sommaire de votre amendement.

Mme la présidente Frédérique Massat. Madame Michèle Bonneton, je vous propose de retirer votre amendement, de le retravailler et de le redéposer en séance publique. Cela permettra peut-être de lever les malentendus.

Mme Michèle Bonneton. Je suis d’accord. Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

Article 10 : Ratification de l’ordonnance n° 2015-1244 du 7 octobre 2015 relative au dispositif expérimental de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques

La commission est saisie des amendements identiques CE2 du rapporteur, CE4 de M. Lionel Tardy et CE13 de M. Antoine Herth.

M. le rapporteur. L’article 10 vise à ratifier une ordonnance. Or, entre-temps, celle-ci a été annulée par le Conseil d’État. Je vous demande donc de supprimer l’article 10. Un amendement gouvernemental reprendra, en toute transparence, l’accord obtenu entre toutes les parties prenantes autour du CEPP pour l’inscrire dans la loi. Le recours déposé par divers opérateurs agricoles, notamment l’industrie phytosanitaire, mais pas par les syndicats, a abouti sur la forme, mais pas sur le fond, à une annulation du Conseil d’État. Je précise que le CEPP a déjà obtenu de bons résultats puisque la dynamique de confiance interentreprises fonctionne. Nous devons parier sur elle pour mieux maîtriser l’utilisation des produits phytosanitaires dans l’avenir.

M. Lionel Tardy. L’ordonnance relative au dispositif expérimental de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques a été annulée par le Conseil d’État le 28 décembre dernier. Ce type d’annulation, qui est rare, est dû à un vice de procédure. La ratification prévue à l’article 10 n’a donc plus d’objet. En tout état de cause, on a le sentiment que le Gouvernement avance à reculons sur cette affaire. Ainsi, c’est une proposition de loi et non un projet de loi qui demandait cette ratification, ce qui est également très rare. Pourtant, le projet de loi n° 277 qui vise à ratifier pas moins de sept ordonnances issues de la loi d’avenir pour l’agriculture, dont celle-ci, était dans les tiroirs du Sénat depuis un an. Quoi qu’il en soit, cet article va donc être supprimé. Nous aimerions savoir ce qu’il va advenir de l’ordonnance annulée, car, je le répète, nous avons du mal à y voir clair dans les intentions du Gouvernement.

M. Antoine Herth. J’aurais déposé cet amendement, même si le Conseil d’État n’avait pas annulé cette ordonnance. Je n’aime pas que les ordonnances soient ratifiées par un article d’une proposition de loi. Il vaut mieux que ce soit le Gouvernement qui en prenne l’initiative, car il a l’obligation d’expliquer pourquoi il demande une ratification, ce qui n’est pas le cas d’une proposition de loi.

La commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, l’article 10 est supprimé.

TITRE III
Dispositions diverses

Article 11 : Gage

La commission adopte l’article 11 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

M. le rapporteur. Je remercie mes collègues d’avoir adopté cette proposition de loi à une large majorité.

Monsieur Antoine Herth, si je me suis emballé c’est que j’ai, comme vous, j’en suis certain, cette passion pour le monde agricole, pour l’espace rural qui ne doit pas être un supermarché. Comme vous, je pense que les formes de propriété doivent évoluer. Nous en débattrons, en séance publique, en pleine responsabilité, sans avertissement, sans menace. J’espère simplement que nous parviendrons à un accord sur un socle de valeurs. Mais j’avoue avoir été troublé en entendant trois ou quatre voix dont la vôtre, défendre des arguments sur la propriété dont nous savons qu’elles sont, par essence, soit libérales, soit conservatrices, qui contrarient un modèle de développement agricole qu’il nous faut faire évoluer, sans renoncer cependant au principe de l’équilibre entre le travail et la liberté d’entreprendre, et celui de la propriété.

Je défends aujourd’hui clairement l’entrée de nouveaux investisseurs en ce qui concerne la propriété foncière. Mais si ces investisseurs sont mus par l’appât du gain plus que par la protection d’un modèle agricole, je défends plutôt Terre de Liens, les GFA citoyens qui sont créés dans notre pays pour permettre de nouvelles installations, une intervention des collectivités territoriales et des établissements publics pour le portage du foncier sur le long terme. Bref, je propose des dispositifs public-privé sur lesquels nous pouvons discuter sereinement. Si nous avons l’illusion que des fonds financiers, nationaux ou internationaux, vont trouver leur intérêt en achetant la propriété foncière, cela signifiera la fin d’un modèle qui a été bâti après-guerre. Certes, celui-ci doit se moderniser mais, pour des raisons de civilisation, de principe, nous y sommes tous extrêmement attachés. En la matière, la loi du marché peut être contraire à la liberté d’entreprendre, à la valeur ajoutée, à l’emploi, à nos paysages et à la biodiversité.

Mme la présidente Frédérique Massat. Monsieur le rapporteur, ne recommençons pas un débat qui aura lieu la semaine prochaine en séance publique.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 11 janvier 2017 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, Mme Karine Daniel, M. Yves Daniel, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Olivier Falorni, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch,
M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Marie Tétart, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, M. Jean-Claude Bouchet, M. Laurent Furst, M. Henri Jibrayel, M. Serge Letchimy, M. Philippe Naillet, M. Thierry Robert, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. – Mme Isabelle Attard, M. Guillaume Chevrollier, M. Paul Molac, M. Paul Salen