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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 17 juin 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Réforme ferroviaire

M. Bertrand Pancher

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Intermittents du spectacle

M. Jean-Louis Roumegas

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social

Situation du pays

M. Hervé Gaymard

M. Manuel Valls, Premier ministre

Réforme ferroviaire

M. Emeric Bréhier

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Fiscalité des ménages et des entreprises

M. Yves Blein

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Réforme ferroviaire

M. Antoine Herth

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Fin de vie

M. Olivier Falorni

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Politique du logement

Mme Dominique Nachury

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires

Troisième conférence sociale

Mme Françoise Dumas

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social

Réforme ferroviaire

M. André Chassaigne

M. Manuel Valls, Premier ministre

Réforme du droit de la famille

M. Philippe Gosselin

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie

Assises du tourisme

Mme Pascale Got

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Mesures fiscales

Mme Marie-Christine Dalloz

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Réforme de la politique de la ville

M. Michel Vergnier

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports

Conflit d’intérêts

M. Yannick Moreau

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Suspension et reprise de la séance

2. Maintien d’une administration et de politiques publiques dédiées aux Français rapatriés d’outre-mer

Explications de vote

M. Élie Aboud

M. François Rochebloine

Mme Eva Sas

M. Jean-Jacques Candelier

M. Philippe Nauche

Vote sur la proposition de résolution

Suspension et reprise de la séance

3. Réforme ferroviaire - Nomination des dirigeants de la SNCF

Présentation commune

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

M. Gilles Savary, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Présidence de M. Denis Baupin

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Motion de rejet préalable (projet de loi)

M. Dominique Bussereau

M. Gilles Savary, rapporteur

M. Bertrand Pancher

M. François de Rugy

M. André Chassaigne

M. Rémi Pauvros

Présidence de M. Christophe Sirugue

M. Antoine Herth

Motion de renvoi en commission (projet de loi )

M. Martial Saddier

M. le président

M. Gilles Savary, rapporteur

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. François de Rugy

M. André Chassaigne

M. Philippe Duron

M. Antoine Herth

Discussion générale commune

M. Bertrand Pancher

M. François-Michel Lambert

M. Joël Giraud

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Réforme ferroviaire

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Monsieur le Premier ministre, la grève des cheminots contre la réforme ferroviaire dure depuis maintenant une semaine et devient insupportable. De vraies questions sont posées. Quels financements pour les infrastructures après vos valses hésitations sur la taxe poids lourds ?

M. Jean-Paul Bacquet. Oh ! Quel talent !

M. Bertrand Pancher. Quelle reprise de la dette alors qu’une partie de celle-ci est maintenant prise en compte dans les critères de Maastricht ? Quelle amélioration réelle du système ferroviaire français ?

Cette réforme est pourtant une absolue nécessité pour contenir une dette abyssale qui dépasse déjà les 40 milliards d’euros et pour espérer reconstruire un système ferroviaire à bout de souffle qui ne supporterait pas son report. Nous croyons à la rationalisation de la SNCF. Cette réforme n’est peut-être pas suffisante, mais elle nous semble nécessaire.

Tout au long des débats en commission, le groupe UDI s’est montré ouvert et constructif. Nous aurions souhaité une réforme plus ambitieuse, tant sur la réduction des coûts que sur l’ouverture à la concurrence, mais nous avons obtenu des avancées sur des points fondamentaux – je pense au renforcement des pouvoirs de l’autorité indépendante de contrôle afin d’empêcher de futures dérives. De plus, nous sommes satisfaits des amendements de notre rapporteur visant à éviter, à l’avenir, des investissements disproportionnés.

Nous savons aussi prendre nos responsabilités. Nous sommes prêts à soutenir ce texte si nous avons l’assurance que son architecture ne sera pas dénaturée,…

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Bertrand Pancher. …et si nous sommes plus clairs en matière d’ouverture à la concurrence imposée par le quatrième paquet ferroviaire. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous apporter ces assurances ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, merci, tout d’abord, pour l’hommage que vous rendez au travail parlementaire. Le texte qui sera soumis à l’examen de votre assemblée cet après-midi n’est pas récent. Vous ne le découvrez pas : il est préparé depuis longtemps et a fait l’objet de nombreuses concertations non seulement avec les acteurs du ferroviaire, mais également avec les différents groupes parlementaires.

Il s’agit d’un débat important, et le ton de votre question montre combien la responsabilité nationale doit être engagée autour des enjeux du ferroviaire. Vous avez noté le défi consistant à stabiliser, dans un premier temps, puis à reprendre, dans un second temps, la dette du secteur ferroviaire, au moyen d’une meilleure organisation de celui-ci et non de son éclatement. Ni les enjeux de la modernisation, ni ceux de la régularité, ni ceux de l’aménagement du territoire ne trouvent de réponse dans le cadre d’un système aujourd’hui éclaté entre les acteurs qui gèrent les infrastructures et ceux qui les utilisent. Il est nécessaire de nous mobiliser autour de ce patrimoine national qu’est le patrimoine ferroviaire.

Vous m’interrogez sur la compatibilité européenne de ce projet de loi. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, l’Europe voulait imposer un système unique. La France a fait entendre sa voix : elle a fait valoir que le système ferroviaire était le fruit d’une histoire et de réalités nationales différentes. La réforme que nous présentons est euro-compatible : j’en ai reçu l’engagement du commissaire européen Siim Kallas. Ainsi, nous pouvons adopter une solution 100 % publique, alors même que l’évolution du système ferroviaire européen est en cours.

S’agissant de la dette, nous aurons, lors du débat parlementaire, à apporter des solutions en vue de la stabiliser. À l’avenir, il conviendra de ne pas engager de dépenses ferroviaires… (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC)

M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d’État.

Intermittents du spectacle

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour le groupe écologiste.

M. Jean-Louis Roumegas. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Grève reconduite au Printemps des comédiens à Montpellier, spectacles annulés aux Nuits de Fourvière à Lyon, suspension possible des festivals d’Avignon et d’Aix-en-Provence : le mouvement des intermittents du spectacle et des précaires essaime et se radicalise.

Il y a quelques jours, Jack Lang a exprimé son soutien aux intermittents et appelé le Gouvernement à ne pas agréer un accord social signé dans l’opacité, et par des organisations syndicales très minoritaires dans les professions concernées. Ces intermittents ne sont pas des artistes ou des techniciens privilégiés, profiteurs d’un système généreux, mais des femmes et des hommes qui ont, la plupart du temps, du mal à vivre de leur art.

Le projet de convention qu’ils combattent les précarise un peu plus encore, en augmentant les cotisations sociales et en instaurant un différé de paiement.

« De grands dégâts pour de petites économies ! » Voilà ce que disait déjà Victor Hugo lors du budget rectificatif en 1848 !

Si la mobilisation est aussi forte, c’est que la situation est grave. Ce mouvement ne peut avoir pour simple réponse la nomination d’un médiateur qui serait chargé du service après-vente d’un mauvais accord. Surtout que depuis la crise de 2003, les intermittents eux-mêmes, mais aussi le comité de suivi et des rapports parlementaires ont fait des propositions pour aboutir à un système performant, juste et durable. Elles méritent d’être examinées sérieusement.

Monsieur le Premier ministre, s’entêter serait plus qu’une erreur : ce serait une faute. Monsieur le Premier ministre, renouez le dialogue et suspendez l’agrément de cet accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social.

M. Marc Le Fur. Mme Filippetti est présente. Elle ne peut pas répondre ?

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social. Monsieur le député, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire le 4 juin dernier, lors d’une séance de questions au Gouvernement, en répondant à votre collègue Noël Mamère, les annexes 8 et 10 de la convention de l’UNEDIC qui ont été signées le 22 mars sauvegardent le régime des intermittents, dont l’existence était menacée. Elles garantissent l’essentiel de leurs droits à l’indemnisation et protègent les plus précaires d’entre eux, comme l’a confirmé le rapport qui vient d’être publié par l’UNEDIC.

Cette convention est le résultat du dialogue social, et elle a été signée par la majorité des partenaires sociaux, organisations patronales et syndicales.

M. Jean-Louis Roumegas. Non.

M. François Rebsamen, ministre. Devant les inquiétudes et les angoisses de la profession, le Premier ministre a souhaité nommer un médiateur, votre collègue Jean-Patrick Gille. Celui-ci poursuit son travail de concertation et de dialogue. Vous comprendrez donc que, dans ces conditions, je ne puisse anticiper sur ses préconisations. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Néanmoins, je peux vous préciser deux points. Tout d’abord, dans cette affaire, le Premier ministre, la ministre de la culture et moi-même n’avons qu’un seul et même objectif : rassurer les intermittents et apporter des réponses concrètes à leurs attentes, sans pour autant désavouer un accord majoritaire signé par les partenaires sociaux. Ensuite, monsieur le député, nous savons tous – l’ensemble des parlementaires ici présents le sait – que sans intermittents, il n’y a pas de culture. Leur régime d’indemnisations est déjà en lui-même une partie de l’exception culturelle française, et tant l’exception culturelle française que ce régime doivent être sauvegardés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)



Situation du pays

M. le président. La parole est à M. Hervé Gaymard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Hervé Gaymard. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, mais la réponse peut-elle venir du Gouvernement, de la majorité ou même de l’Élysée ? Face à la situation qu’il a lui même créée, le pouvoir semble perdu, car le pouvoir s’est enfui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Parce qu’elle est républicaine et patriote, l’opposition ne se réjouit pas de voir notre pays tâtonner comme un grand corps malade au bord du gouffre, alors que l’ensemble de la croissance mondiale est reparti.

M. Henri Emmanuelli. Avec General Electric et Mme Gaymard.

M. Hervé Gaymard. Nous sommes tristes et inquiets, mais nous sommes constructifs sans être naïfs.

Au départ, il y a les malentendus : d’abord, l’idée que l’anti-sarkozysme pouvait tenir lieu de programme ; ensuite, l’idée que la crise de 2008, jugulée par Nicolas Sarkozy et François Fillon, ne serait pas durable. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues.

M. Hervé Gaymard. Et puis, il y a les fautes : la relance de la dépense et le matraquage fiscal, qui ont accru le chômage et diminué les recettes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ; la division des Français, en croyant détourner l’attention sur des sujets de société qui n’étaient pas la priorité ;…

Plusieurs députés du groupe UMP. Très juste !

M. Hervé Gaymard. …l’abandon de notre réforme territoriale pour un enlisement dans des textes douteux que personne ne comprend (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ; une politique économique qui oscille entre les vaines rodomontades et la méthode Coué.

Enfin, il y a les erreurs : la politique du logement de Mme Duflot qui a tout arrêté ; les rythmes scolaires dont personne ne veut.

Nous vous avons soutenu sur le Mali et la Centrafrique, mais aujourd’hui, il y a un silence pesant sur ce qui se passe en Irak.

M. Alain Marty. Oui.

M. Hervé Gaymard. Nous sommes dans une triple panne démocratique, économique et générationnelle puisque les jeunes ne croient plus à leur pays.

M. le président. Merci.

M. Hervé Gaymard. Monsieur le Premier ministre, la situation… (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député Gaymard, j’ai compris que vous vouliez interroger le Gouvernement, mais je ne sais pas si vous souhaitiez une réponse. En tout cas, je vais essayer de vous répondre.

Un député du groupe UMP. Pour une fois !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, le pays traverse une crise. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) J’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer, y compris il y a quelques jours devant ma formation politique.

M. Guy Geoffroy. Cela va très mal.

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est une crise économique, sociale, avec un chômage de masse qui dure depuis des années, un endettement et un déficit public. L’honnêteté, monsieur Gaymard, vous qui avez exercé des responsabilités importantes au sein du gouvernement de la France, devrait vous conduire à rappeler qu’entre 2008 et 2012, la dette a explosé (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et que nous avons trouvé un déficit du budget de l’État atteignant 140 milliards ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Pourquoi vous dis-je cela ? Non pour créer une nouvelle fois, de manière factice, l’opposition entre la droite et la gauche. Mais je le répète dans cet hémicycle, ce que les Français ne supportent pas, c’est ce genre d’accusations. Je peux même vous donner raison sur un point, monsieur Gaymard. L’anti-sarkozysme, entre 2007 et 2012, ne pouvait pas suffire à faire une politique. Car les Français attendent autre chose que les oppositions stériles qui mènent précisément le pays dans l’impasse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)



Oui, il y a une crise économique, il y a aussi une crise politique, il y a une crise d’identité. Pour ma part, je suis de ceux qui croient – et je suis convaincu que sur l’immense majorité des bancs, chacun le croit – que nous devons, nous républicains, en tout cas pour ma famille politique, pleinement nous réapproprier la République, la nation, la patrie et la laïcité, que nous avons laissées à d’autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)



Oui, il y a une crise d’identité parce que depuis des années, on n’a pas expliqué aux Français de quoi était fait le monde et où était la place de la France dans l’Europe et dans le monde. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)



M. le président. S’il vous plaît. On écoute la réponse.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, mais cela n’a rien à voir avec le moment où vous avez exercé le pouvoir. Cela vient de plus loin et dure depuis plus longtemps. Et je m’honore d’être aujourd’hui le chef d’un gouvernement où la voix de la France, par l’intermédiaire du chef de l’État et par la voix de Laurent Fabius, pèse dans le monde et cherche à orienter le monde. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Oui, je m’honore d’avoir fait partie d’un gouvernement qui a engagé la France au Mali et en Centrafrique pour combattre le terrorisme et permettre la réconciliation.



Un député du groupe de l’UMP. Et la Syrie ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est cela aussi, la France. Alors, monsieur Gaymard, au lieu d’être en permanence en train de détériorer l’image même de notre pays par des critiques stériles (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), je vous invite, sur ce sujet comme sur d’autres, à nous rassembler sur l’essentiel, le redressement du pays et la place de la France en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Réforme ferroviaire

M. le président. La parole est à M. Emeric Bréhier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Emeric Bréhier. Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, à l’issue des questions au Gouvernement, nous allons débuter l’examen de la réforme ferroviaire. Celle-ci poursuit des objectifs simples et partagés par tous : mieux gérer le réseau ferroviaire, rationaliser la gestion des voies et la commande du matériel. C’est un projet permettant de préparer au mieux l’avenir de la SNCF, de RFF et des agents.

Personne ne doute que nous devons aux Françaises et aux Français plus de sécurité sur le réseau ferroviaire. Le drame de Brétigny-sur-Orge a tristement démontré que des investissements étaient nécessaires sur une grande partie de notre réseau. Aujourd’hui, sur 3 000 kilomètres de voie ferrée, les trains roulent au ralenti. Une meilleure organisation, avec à la tête des deux structures une seule direction, ne peut qu’être plus efficace.

Si nous ne souhaitons pas mettre en place une entreprise publique monopolistique, la réunification ferroviaire se fait néanmoins sous le sceau du service public. Nous devons préparer la modernisation du secteur ferroviaire, véritable savoir-faire industriel.

Alors que le projet de loi permet de préserver le statut des agents, que des discussions ont été conduites très en amont, comme vous le rappeliez, et que celles-ci se poursuivent, les Français espèrent la fin d’un conflit qui perturbe leur vie quotidienne.

Le Gouvernement et les députés ont montré que les portes de la discussion étaient et demeurent ouvertes. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale les objectifs poursuivis par la réforme dont nous allons débattre ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, vous avez souligné l’enjeu de la réforme ferroviaire : apporter légitimement une réponse aux usagers. Nous savons que le système ferroviaire fonctionne mal et que les usagers sont en attente de régularité, de modernité, de sécurité. Les décisions qui ont été prises depuis un certain nombre d’années ont fait peser des risques sur ce système, notamment en ne mettant pas en avant l’attente première des Français : la qualité des transports au quotidien.

Vous avez raison de souligner combien cette réforme est importante. Elle est importante, bien sûr, pour clarifier l’organisation du ferroviaire : d’une gestion éclatée entre RFF, la DCF, la SNCF-Infra, nous allons passer à un pôle public unifié et donner des perspectives à la fois pour les politiques de territoire, les politiques de désenclavement, mais aussi pour l’industrie ferroviaire qui est l’une de nos vitrines industrielles.

Nous devons répondre aux préoccupations qui ont été exprimées – et je les entends – mais souligner aussi que cette réforme ne porte en rien atteinte aux droits existants. Nous avons le souhait – contrairement à ce qui était préconisé par d’autres – de préparer le service public à la concurrence pour le rendre fort et pour éviter que la logique de la privatisation des profits ne l’emporte sur la nationalisation des dettes. Pour cela, nous devons avoir une stratégie, une trajectoire financière solide, qui permettent d’assurer un service public ferroviaire robuste.

Voilà l’enjeu des discussions qui vont s’ouvrir. Je sais que vous serez nombreux à défendre cette réforme et à faire en sorte que le patrimoine national permette d’assurer confiance et perspectives d’avenir dans le secteur ferroviaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Fiscalité des ménages et des entreprises

M. le président. La parole est à M. Yves Blein, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Blein. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Moi, député socialiste, je lutte contre les inégalités, celles dont souffrent nos concitoyens comme celles dont sont victimes nos entreprises.

Soutenir nos entreprises, leur envoyer des messages de confiance, leur donner les moyens de se développer, c’est leur permettre d’investir et de créer de nouveaux emplois. C’est le sens du pacte de responsabilité et de solidarité que le Gouvernement s’attache à mettre en œuvre.

M. Charles de La Verpillière. Il y croit !

M. Yves Blein. Ce message est entendu par les entrepreneurs : l’enquête trimestrielle de l’INSEE, qui pour la première fois a inclus une question sur l’usage fait du CICE, montre que les entreprises mobilisent ces nouveaux moyens…

M. Charles de La Verpillière. Allez, courage !

M. le président. Monsieur de La Verpillière, cela suffit !

M. Yves Blein. …tout d’abord pour l’investissement – donc indirectement l’emploi –, en deuxième lieu pour embaucher et augmenter les salaires, et enfin pour agir sur leurs prix et donc sur le pouvoir d’achat des ménages. Ces tendances exprimées par un panel de 20 000 entreprises montreraient, si elles devaient se confirmer, à quel point le CICE a atteint sa cible.

Au-delà du CICE, les inégalités fiscales que subissent les entreprises françaises en regard de leurs concurrentes européennes et mondiales sont patentes avec un taux nominal d’impôt sur les bénéfices proche de 38 % et des impôts qui pèsent sur la production, comme la C3S.

À ces efforts considérables accomplis en direction des entreprises, dont nous souhaitons que les effets soient régulièrement évalués, répondent des arbitrages tout aussi importants en direction des salariés et des ménages : c’est le sens de l’allégement des cotisations salariales, qui se traduira instantanément par une hausse du salaire net de 500 euros par an pour ceux qui perçoivent 1 500 euros nets par mois ; c’est le sens de l’allégement de l’impôt sur le revenu ; c’est le sens de la revalorisation des petites retraites ; c’est le sens de la revalorisation du RSA.

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous indiquer quels moyens le Gouvernement compte engager pour financer l’ensemble de ces mesures et quel calendrier, à court et moyen terme, sera mis en place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, la France renoue – trop timidement – avec la croissance. (Riresapplaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Elle avait besoin de cette croissance, compte tenu de la situation qu’elle a connue pendant cinq années consécutives, situation que les rires de ce côté-là de l’hémicycle ne devraient pas faire oublier. (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP.) Nous sortons donc de cette période où la politique menée et la crise internationale avaient mis la France dans une situation de régression : régression économique, régression sociale, régression budgétaire avec un déficit qui n’avait cessé d’augmenter.

La France renoue donc avec la croissance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais elle doit accélérer cette croissance. Et pour ce faire, il faut d’abord se tourner vers nos entreprises car c’est dans nos entreprises, grâce à davantage d’investissements, qu’il y aura plus d’emplois et que nous pourrons répondre à l’un des principaux dégâts causés par la crise : le chômage.

Dans le même temps, il faut se tourner vers les plus modestes des Français, ceux qui ont pâti de cette situation sociale et de la crise. Certains d’entre eux, pour des raisons qui tiennent soit à des décisions prises il y a trois ou quatre ans, soit à des décisions plus récentes, se sont mis à devoir payer l’impôt sur le revenu alors que leurs revenus n’augmentaient pas. Comme vous l’avez dit, monsieur le député, nous souhaitons, par une mesure immédiatement applicable dès cet automne, faire en sorte que plus de 1,8 million de ménages ne paient plus l’impôt sur le revenu.

De surcroît, vous disposez de visibilité, vous savez ce qui se fera jusqu’en 2017.

La décision par le débat parlementaire est maintenant entre vos mains : elle permettra de montrer qu’il y a une majorité pour redresser la France. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Réforme ferroviaire

M. le président. La parole est à M. Antoine Herth, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Antoine Herth. Ma question s’adresse au Premier ministre et concerne le projet de réforme ferroviaire. Depuis une semaine, la France est le théâtre d’une double prise d’otage. (Exclamations sur divers bancs du groupe SRC.) Prise d’otage, tout d’abord, des usagers du train : travailleurs, étudiants, retraités, qui souvent n’ont que ce moyen de déplacement. Ils n’en peuvent plus d’attendre des heures sur des quais bondés et de subir, impuissants, la loi d’une minorité de jusqu’au-boutistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Prise d’otage, ensuite, du Gouvernement, qui n’a cessé de donner des gages à la CGT, pour la remercier sans doute de son soutien au candidat Hollande. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe UMP.) À présent, vous êtes pris au piège, un piège que vous avez vous-même construit à force de compromis et de petits arrangements.

Monsieur le Premier ministre, il est temps que cette grève cesse ; il est temps surtout de dire la vérité. Généraliser le statut du cheminot, comme vous le faites, c’est organiser la casse sociale : rien qu’en 2014, ce sont 1 500 emplois que la SNCF va supprimer. Il est temps de sortir de ce cadre social trop rigide. Conforter le monopole de la SNCF, comme le veut votre texte, c’est la mort programmée du rail français. L’avenir de la SNCF est dans l’ouverture à l’Europe et non dans le repli national.

Votre loi est par ailleurs muette sur le rôle des régions. Ce sont elles pourtant qui portent à bout de bras les trains du quotidien. Aussi, au lieu de bricoler à la hâte une réforme territoriale qui mettra la pagaille dans les campagnes, donnez aux régions la liberté tarifaire et les moyens de mieux servir nos concitoyens.

Monsieur le Premier ministre, je n’ai qu’un souhait : retirez votre projet de loi et prenez le temps d’écrire une réforme efficace, qui serve réellement l’intérêt de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député Herth, le débat qui va s’ouvrir devant les représentants de la nation est utile, d’abord parce qu’il vous évitera de développer des contre-vérités ; ensuite, parce qu’il vous mettra face à vos responsabilités ; enfin, parce qu’il vous amènera peut-être à prendre conscience que, lorsqu’il s’agit du sauvetage du secteur ferroviaire, qui est le patrimoine national, alors nous avons besoin de tous – et peut-être d’un peu d’humilité de votre part.

Un député du groupe UMP. Mauvaise réponse !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Vous le savez, le secteur ferroviaire est aujourd’hui lesté de plus de 40 milliards de dette. Et pourquoi ? Parce qu’un certain nombre de décisions politiques ont été prises à crédit, laissant le financement peser, à l’avenir, sur le secteur ferroviaire, alors même que l’État n’a pas pu assumer financièrement les choix politiques qui ont été faits par d’autres majorités. Alors que le secteur ferroviaire ne pouvait supporter l’engagement que d’une seule ligne à grande vitesse tous les six ans, vous avez commandé concomitamment plus de quatre lignes ! De ce fait, le transport du quotidien a été négligé (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste), et notre dette s’est accrue automatiquement de 1,5 à 3 milliards d’euros. Nous sommes aujourd’hui, alors que vous avez passé les commandes, dans l’obligation de payer les additions ferroviaires ! Voilà la situation !

M. Jean Glavany. Eh oui !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Quant au rôle des régions, si vous regardiez d’un peu plus près ce texte, vous constateriez que les régions seront présentes et représentées au sein du conseil de surveillance, qu’elles seront présentes et représentées au sein du conseil d’administration de SNCF Mobilités.

Quant à la discussion, monsieur Herth, permettez-moi de vous dire qu’elle nécessite le sens des responsabilités. Ce n’est pas par l’amalgame, ce n’est pas par la contre-information, ce n’est pas par les contre-vérités que nous rétablirons le dialogue social et la confiance. C’est en effet une question de confiance, et je souhaite pouvoir compter sur l’ensemble de la représentation nationale en cette date importante pour le ferroviaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur divers bancs des groupes écologiste et RRDP.)

Fin de vie

M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Olivier Falorni. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Il y a deux ans, jour pour jour, une nouvelle majorité était élue pour mettre en œuvre les soixante propositions du candidat François Hollande. Parmi celles-ci, la proposition n21 promettait l’assistance médicalisée au décès pour terminer sa vie dans la dignité. Aujourd’hui, cet engagement est celui du Gouvernement, et tout renoncement serait, pour nous, un reniement.

Je sais que certains prétendent encore que la législation actuelle suffit ; or le procès Bonnemaison qui se déroule en ce moment démontre au contraire que la loi de 2005 est insuffisante, tout comme il est insupportable de voir remettre le sort du malheureux Vincent Lambert à la décision, dans quelques jours, du Conseil d’État, faute d’un cadre légal suffisamment clair et précis.

Je sais aussi que certains auraient la tentation de prolonger encore la concertation. Cette concertation dure depuis maintenant plus de deux ans et, du rapport Sicard jusqu’à l’avis du Comité consultatif national d’éthique en passant par celui du jury citoyen, tous concluent que, désormais, le statu quo n’est plus tenable.

Monsieur le Premier ministre, je sais votre engagement comme celui de votre ministre de la santé en faveur du combat pour la dignité de la fin de vie. Aujourd’hui, près de neuf Français sur dix, dans tous les sondages d’opinion, se déclarent favorables à une nouvelle loi.

Plusieurs députés du groupe UMP. Mais non ! C’est faux !

M. Olivier Falorni. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire aujourd’hui que vous êtes prêt à donner à nos compatriotes ce droit pour leur ultime liberté ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député Falorni, je sais que votre groupe et vous-même êtes particulièrement attentifs à la situation de ces hommes et de ces femmes qui sont confrontés à une fin de vie difficile et qui s’interrogent sur la façon dont ils peuvent être accompagnés dans ces moments douloureux. Vous avez vous-même déjà posé des questions et exprimé de façon personnelle votre attachement à ce que la législation évolue.

Je vous l’ai dit, monsieur le député, le statu quo n’est aujourd’hui pas possible. Des hommes, des femmes, confrontés à la douleur, confrontés à la maladie, confrontés à des conditions de fin de vie qui ne répondent pas à leur conception de la dignité, souhaitent que la législation évolue. Aujourd’hui même, des situations font la une des médias ; néanmoins, je veux vous dire, monsieur le député, que l’affaire de Vincent Lambert et celle du docteur Bonnemaison n’ont strictement rien à voir et que nous ne pouvons pas comparer des situations qui sont à ce point différentes.

M. Nicolas Dhuicq. Tout à fait !

M. Bernard Debré. Exact !

Mme Marisol Touraine, ministre. Des rapports ont été commandés, une réflexion citoyenne en particulier a été réalisée. Le rapport du professeur Sicard a proposé des pistes d’évolution et nous sommes dans l’attente des dernières conclusions du rapport que doit remettre le Comité consultatif national d’éthique. Je souhaite que, sur une question comme celle-là, nous puissions avancer à partir d’une réflexion partagée qui nous rassemble et ne nous oppose pas, car c’est ce qu’attendent les Français sur un sujet aussi difficile, aussi douloureux et aussi exigeant que celui-là. (Applaudissements sur divers bancs des groupes SRC et UMP.)

Politique du logement

M. le président. La parole est à Mme Dominique Nachury, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Dominique Nachury. Ma question, à laquelle s’associe mon collègue Christophe Guilloteau, s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, l’activité des entreprises du bâtiment s’est encore ralentie au trimestre dernier, avec des conséquences considérables en termes d’emplois.

Les entreprises du Rhône constataient, à la fin du mois d’avril, une baisse de 26 % du nombre de logements mis en chantier, et de 21 % des logements autorisés, ce qui laisse augurer un avenir particulièrement difficile.

Plusieurs députés du groupe UMP. Duflot !

Mme Dominique Nachury. Il en va de même pour la construction de locaux puisque le nombre de locaux commencés comme autorisés a baissé de 24 % dans le département du Rhône. Les mesures ou orientations gouvernementales prises récemment ne vont pas contribuer à inverser cette tendance.

Les incertitudes sur la nature de vos réformes territoriales ont pour conséquence l’attentisme des collectivités pour réaliser leurs équipements et donc le ralentissement de la commande publique.

Avec votre loi Alur, vous aviez l’ambition de déboucher sur la réalisation de 500 000 logements par an pendant l’intégralité du quinquennat de François Hollande, avec une solution pour compenser l’augmentation de la TVA. Mais en renforçant les contraintes sur le secteur locatif, vous avez réduit d’autant l’appétit des bailleurs à investir.

La loi Alur, combattue par l’opposition lors des débats et entrée en vigueur depuis trois mois, se révèle tellement contre-productive que vous envisagez déjà de revenir dessus. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Nous sommes bien loin des promesses électorales.

Monsieur le Premier ministre, comment comptez-vous respecter vos engagements en matière de construction de logements neufs, et ainsi stopper l’hémorragie d’emplois dans le secteur du BTP ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de l’égalité des territoires.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires. Madame la députée, vous avez raison : la situation du logement mérite la mobilisation de l’ensemble des élus et des acteurs pour répondre à un objectif, celui de l’accès au logement. Si je partage votre constat, il n’en va pas de même du ton polémique que vous avez employé et des insinuations que vous avez faites en posant votre question. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Le Premier ministre a rappelé, dans son discours de politique générale, combien le sujet du logement, de la relance de la construction, était au cœur des priorités de ce Gouvernement.



M. Bernard Deflesselles. C’est raté !

Mme Sylvia Pinel, ministre. C’est la raison pour laquelle nous aurons l’occasion, la semaine prochaine, de présenter un certain nombre de mesures de simplification, notamment pour lever les freins à la construction, pour en limiter les coûts.

M. Guy Geoffroy. Il faut desserrer les freins de la loi Duflot !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Je tiens à vous préciser que la loi Alur a très peu d’application immédiate. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Seules certaines mesures sont d’application immédiate.

M. Michel Herbillon. La loi Duflot est un échec !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Pouvez-vous être contre l’encadrement et l’interdiction des marchands de sommeil ? Êtes-vous contre l’interdiction du mandat exclusif des marchands de liste ? C’est cela qui est aujourd’hui appliqué. Ne cherchez pas à fuir vos responsabilités.

Nous devons inciter les élus municipaux qui retardent les chantiers de logements sociaux, qui freinent les projets, à trouver les leviers pour leur permettre d’agir.

Oui, madame la députée, nous devons prendre des mesures en faveur de la construction. C’est ce que nous ferons à la fois par cette communication de la semaine prochaine et en appliquant les dispositions de la loi Alur qui permettront aux Français de retrouver du pouvoir d’achat. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Troisième conférence sociale

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Françoise Dumas. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social…

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

Mme Françoise Dumas. …depuis notre arrivée aux responsabilités il y a juste deux ans, nous avons eu à cœur de mettre en œuvre une méthodologie de travail rigoureuse, exigeante, efficace en faveur du dialogue social et des réformes structurelles là où la précédente majorité n’a eu de cesse d’affronter et de mépriser les partenaires sociaux.

Cette méthode nous a conduits avec succès vers de nombreux accords nationaux interprofessionnels, rassemblant organisations salariales et patronales – il faut s’en féliciter car cela n’était plus arrivé depuis trop longtemps – et débouchant sur des acquis fondamentaux pour les salariés et les entreprises. Nous croyons donc essentiel de poursuivre dans cette voie et de continuer à organiser ce dialogue fécond.

Hier encore, à Matignon, vous avez réuni syndicats et patronat pour préparer la troisième conférence sociale des 7 et 8 juillet prochains. Je me réjouis de l’état d’esprit affiché par les différents acteurs à l’issue de cet échange : concentrés, responsables, prêts au dialogue et à la négociation. Une preuve s’il en fallait encore que le pays et ses forces vives ne sont hostiles ni à la réforme ni au changement.

Je suis satisfaite également de la nouvelle formule de cette conférence et du choix des thématiques, puisque les enjeux sociaux et les enjeux économiques seront étroitement reliés – tout particulièrement la première et la deuxième table ronde seront clairement orientées vers l’avenir de la jeunesse. Ces choix démontrent notre volonté de réformer avec une plus grande efficacité nos politiques publiques.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser comment vous envisagez de maintenir et d’approfondir ce dialogue constructif avec nos partenaires sociaux, quels en sont les objectifs et comment ses conclusions se traduiront en résultats visibles pour tous les Français ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social. Madame la députée, je vous remercie de votre question. Effectivement, comme vous l’avez rappelé, hier étaient réunis autour du Premier ministre l’ensemble des partenaires sociaux qui préparaient la grande conférence sociale qui se tiendra les 7 et 8 juillet prochains. Tous les participants ont souhaité marquer la même priorité, l’emploi, en réaffirmant ce thème comme titre de la conférence elle-même.

Cette grande conférence s’articulera en trois temps.

Le premier temps, assez traditionnel, s’opèrera autour du Président de la République.

Le deuxième temps sera celui des sept tables rondes qui ont été arrêtées hier. La première, que je présiderai, tournera autour de l’amplification des actions en faveur de l’emploi, et notamment de l’emploi des jeunes, comme vous l’avez indiqué. La deuxième sera centrée autour du lien entre l’école, l’éducation et l’insertion professionnelle des jeunes. Le pouvoir d’achat, les rémunérations, l’épargne salariale seront l’objet d’une troisième table ronde. La quatrième table ronde, présidée par Marisol Touraine, sera consacrée à la rénovation de notre politique de santé. La cinquième table ronde traitera de l’évolution du service public, tandis que la sixième travaillera à l’élaboration d’un agenda économique et social pour la croissance en Europe. Enfin, une septième table ronde travaillera sur les moyens d’accélérer le retour de la croissance par l’investissement.

Le troisième temps sera celui de la restitution des conclusions de la projection vers la mise en œuvre de la feuille de route sociale qui sera présentée par le Premier ministre.

M. Pierre Lellouche. C’est une politique ou un colloque ?

M. François Rebsamen, ministre. Je peux dire à la représentation nationale que ces conclusions seront pleinement tournées vers l’emploi, l’emploi des jeunes et celui des seniors qui nous préoccupe au plus haut point. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Réforme ferroviaire

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le Premier ministre, je voudrais revenir sur la question de la réforme ferroviaire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Il y a aujourd’hui, alors que cette réforme arrive en discussion dans cet hémicycle, une grève qui est conduite par des organisations syndicales, CGT et Sud-Rail, qui sont majoritaires chez les cheminots.



M. Étienne Blanc. Une grève irresponsable !

M. André Chassaigne. Je voudrais d’abord dire avec solennité que les mises en cause du droit de grève qui peuvent s’élever chez certains sont contraires à un droit constitutionnel et que le droit de grève dans notre pays doit être respecté, parce qu’il s’agit de nos valeurs républicaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Paul Bacquet. On n’est pas obligé de s’en prendre aux locaux du PS !

M. André Chassaigne. Mais je voudrais dire aussi qu’il ne s’agit pas de diaboliser les revendications qui sont portées par les organisations syndicales. Elles ne répondent pas à un intérêt corporatiste, elles répondent à l’intérêt général. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Elles répondent à l’intérêt général, par exemple, quand elles disent qu’il faut dans notre pays un service public ferroviaire unifié et que le texte de loi, tel qu’il est aujourd’hui, ne permet pas de garantir ce service public unifié. Il faut que ce texte puisse évoluer, pour que des verrous empêchent, demain, l’éclatement de ce service public unifié.



Le deuxième point très important qui est d’intérêt général, c’est celui de la dette. Est-ce qu’on peut concevoir une réforme ferroviaire en donnant à la SNCF une dette de plus de 40 milliards ? C’est en fait une dette d’État, qui est le résultat de choix politiques, en particulier le développement du TGV.



Les conséquences de cette dette, ce seront les conflits à la SNCF. Les usagers seront les premières victimes des dysfonctionnements, ainsi que les cheminots, s’agissant de leurs conditions de travail, mais aussi les investissements.



Monsieur le Premier ministre, est-ce que vous vous engagez à ce qu’il puisse y avoir, durant cette discussion, des avancées qui permettent de faire en sorte que nous disposions d’un service public du fer capable de combattre les dysfonctionnements et de répondre aux besoins des usagers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)



M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Chassaigne, la réforme ferroviaire est nécessaire. Elle est indispensable et ne peut pas attendre. L’irresponsabilité – vous ne l’avez pas demandé – serait de différer ce texte. Le débat commencera donc aujourd’hui à l’Assemblée : c’est la responsabilité du Gouvernement et de la majorité que de mener cette réforme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Elle est attendue par une immense majorité, d’abord, des cheminots. Il s’agit de renforcer, de moderniser notre système ferroviaire, en créant un grand groupe public ferroviaire réunissant la SNCF et RFF.



Cette réforme est au service de la SNCF et de ses agents, mais avant tout du service public et de ses usagers. Oui, bien sûr, il faut avoir une gouvernance claire, un contrôle public fort. Oui, il faut plus d’efficacité, pour une meilleure qualité de service et une baisse des coûts.



La SNCF est un grand service public. Le lien, je veux le rappeler dans ces périodes de commémoration, entre les Français et les cheminots, c’est quelque chose d’important. Il ne faut pas abîmer ce lien. C’est pour cela que la grève, qui, vous avez raison de le rappeler, est un droit légitime, ne doit pas être utilisée sans revendication véritable, sans que les Français en comprennent même le sens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)



Et je veux saluer ici tous ceux qui, parmi les cheminots, ont permis que le service public fonctionne. Je veux saluer les personnels de l’éducation nationale, mais aussi ceux de la SNCF, qui ont permis que le bac puisse se passer dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)



Et je veux enfin, de la manière la plus claire, monsieur Chassaigne, condamner les violences inacceptables qui ont eu lieu en marge de ces grèves. Si le droit de grève est un droit constitutionnel, la violence n’est pas acceptable. Nous la condamnons, elle donnera lieu à des poursuites devant la justice de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP, ainsi que sur les bancs des groupes UMP et UDI.)



La porte du Gouvernement a toujours été ouverte. Elle le reste et elle le restera. Cela fait dix-huit mois que le Gouvernement, avec Jean-Marc Ayrault et sous ma responsabilité aujourd’hui, travaille. Je veux rendre hommage ici à Frédéric Cuvillier pour son engagement et sa ténacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)



Ce ministre, homme du Pas-de-Calais et de la terre ouvrière, sait plus que quiconque ce que nous devons au service public et je sais qu’avec lui, ce grand service public sera préservé. Je l’engage avec confiance à continuer le travail qui est le sien, au nom du Gouvernement, pour faire aboutir cette réforme avec la majorité, et, je l’espère, avec vous, monsieur Chassaigne, parce que je connais votre sens des responsabilités.



Il y a bien sûr des inquiétudes, et elles sont légitimes. Nous y avons été très attentifs. Des garanties ont été apportées sur le terrain social, avec un accord signé vendredi par plusieurs organisations représentatives, accord qui répondait aussi aux demandes d’au moins un syndicat qui est aujourd’hui en grève, et vous le savez, monsieur Chassaigne. Ces demandes feront l’objet d’amendements et de discussions tout au long du débat sur ce texte qui débute cet après-midi.



Ces avancées, monsieur Chassaigne, sont le fruit du dialogue mené depuis des mois avec les organisations syndicales, afin d’apporter les garanties demandées par les cheminots sur la pérennité du service public ferroviaire et sur le renforcement de l’intégration économique et sociale du nouveau groupe ferroviaire public.



Avec cette réforme, non seulement le Gouvernement préserve l’avenir, mais il renforce le service public. Sans mise en œuvre de la réforme, la dérive inéluctable de la dette ferroviaire, vous l’avez dit, pose la question de la pérennité même du système. Elle passerait ainsi de 44 milliards en 2013, Frédéric Cuvillier l’a rappelé, à plus de 80 milliards en 2025. Nous avons trouvé cette situation en arrivant. C’est pourquoi, compte tenu de ce que le Gouvernement a engagé, je considère comme irresponsables certaines – pas toutes – des prises de position de l’opposition, comme celles que nous avons entendues à l’instant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)



M. Antoine Herth. On le rappellera !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est de notre responsabilité que d’aller jusqu’au bout, parce que nous ne pouvons pas laisser cette situation se pérenniser.

Oui, il faut conforter la SNCF et je souhaite que le Parlement soit pleinement informé des différentes solutions envisageables à moyen terme pour le traitement de cette dette insupportable. C’est pourquoi nous proposerons qu’un rapport remis au Parlement vienne éclairer la décision qui pourra être prise par l’État pour garantir la pérennité de notre système ferroviaire.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement est ouvert au dialogue. Il pense que cette réforme est indispensable. Il considère que les Français ont droit à un service public qui fonctionne. Il considère que le droit de grève est un droit constitutionnel, mais qui ne peut s’exercer dans des conditions qui aujourd’hui sont incompréhensibles pour une grande majorité de nos concitoyens. Et en tout cas, vous l’avez compris, il est ferme, déterminé, à faire en sorte que cette réforme puisse aboutir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Réforme du droit de la famille

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Gosselin. Ma question s’adresse au Premier ministre, à qui je rappelle que si le droit de grève est constitutionnel, la continuité du service public ne l’est pas moins. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Décidément, ce gouvernement et cette majorité ont bien du mal avec la réforme du droit de la famille. C’est l’enlisement, pourrait-on même dire. Cette nuit encore, il a fallu se rendre à l’évidence : le texte sera une nouvelle fois renvoyé sine die.

Oh, remarquez, il reviendra peut-être, si la majorité est déterminée. Nous avons déjà eu un premier retrait de la « grande loi » au lendemain d’une nouvelle Manif pour tous : c’était en février. Vous vous étiez engagés à la reprendre sous forme de petites propositions de loi : une sorte de vente à la découpe. S’ensuivra un deuxième échec, il y a trois semaines : le texte n’avait alors été examiné que partiellement. Sans doute grâce à l’opposition, mais aussi, il faut le dire, grâce au talent de cette majorité qui soutient si mollement le texte. Chez vous, ils sont nombreux aussi à voir un nid à contentieux dans ce nouveau droit de la famille.

Cette nuit encore, une troisième claque, forme d’amateurisme qui ne laisse pas de nous étonner, a été donnée. Vous vous voulez pragmatiques, mais en fait, vous restez dogmatiques. Vous voulez jouer avec les symboles, ils vous rattrapent. Vous affirmez ne pas vouloir inclure la PMA dans le texte : très bien ! Dont acte. Pourquoi, alors, la secrétaire d’État chargée de la famille dit-elle quasiment le contraire dans Le Figaro le matin même, quelques heures avant la reprise des débats ? Sans doute pour calmer nos inquiétudes ! Vous jouez avec le feu et vous vous brûlez les doigts.

La société évolue ? Oui. Des familles recomposées attendent des réponses ? Oui. Le droit peut et doit s’adapter ? Sans doute. Mais pourquoi cette volonté de déconstruire, de casser la famille, cellule de base de notre société, cellule de solidarité aussi ? Il y a donc tant d’éléments qui fonctionnent si bien dans notre pays qu’il faille aussi casser celui-ci ?

Alors, monsieur le Premier ministre, après trois camouflets, allez-vous persévérer, montrer votre entêtement, ou allez-vous comprendre que, décidément, ces évolutions, sous cette forme en tous cas, nous n’en voulons pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le député Gosselin, en effet, nous ne sommes pas d’accord : pour nous, la famille n’est pas un concept, c’est une réalité humaine. Si elle a su si bien, à travers les siècles, être une institution dont la permanence n’a jamais faibli, c’est à la fois parce qu’elle est un lieu de solidarité, parce qu’elle est le premier lieu de construction de l’attachement, le lieu où les individus échangent amour et affection, mais c’est aussi parce qu’elle ne s’est jamais figée, qu’elle est plastique, qu’elle sait évoluer, qu’elle s’adapte aux évolutions des individus et de la société.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la famille française s’est adaptée, ce qui permet à notre pays d’être celui où le taux de natalité est l’un des plus élevés d’Europe, où le taux d’activité professionnelle des femmes est l’un des plus élevés d’Europe. C’est une famille dans laquelle on a su concilier vie familiale et vie professionnelle.

C’est ce que nous continuons de faire avec cette proposition de loi. Elle adapte la famille en prenant acte des évolutions et en particulier du fait que les séparations augmentent. Aujourd’hui, près de quatre millions d’enfants vivent dans des familles monoparentales ou recomposées. C’est pour eux que nous légiférons : pour instituer la médiation familiale, afin que les parents se parlent autour des questions d’autorité parentale, pour créer un mandat d’éducation quotidienne pour les beaux-parents, pour supprimer cet archaïque droit de visite et d’hébergement qui discrimine les pères.

Toutes ces évolutions-là, nous les avons choisies. Mais vous, vous avez choisi l’obstruction. Pourtant, monsieur le député, cette loi sera adoptée. Elle le sera parce qu’elle correspond à ce qu’attendent les familles, parce qu’elle est soutenue par les Français, parce qu’il y a une majorité dans cette assemblée pour l’adopter. En manœuvrant comme vous le faites, vous ne rendez service ni aux enfants, ni aux parents, ni à la démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Assises du tourisme

M. le président. La parole est à Mme Pascale Got, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Pascale Got. Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, le secteur du tourisme a longtemps été le parent pauvre des politiques de développement économique et de compétitivité.

Nous avons cru trop longtemps, à tort, à une sorte de leadership naturel reposant essentiellement sur le fait que la France est la première destination mondiale. Résultat : ce secteur économique à fort potentiel est en perte de vitesse quant au chiffre d’affaires et subit une forte concurrence européenne et mondiale.

C’est une incohérence alors que de nombreux rapports ont fléché les corrections à apporter en termes d’accueil, de législation du travail, de formation, de numérique. C’est une incohérence, aussi, car nous avons tous les atouts pour réussir, à condition bien sûr de créer une véritable filière industrielle et innovante autour du tourisme.

Monsieur le ministre, le tourisme de cueillette doit être résolument derrière nous.

Notre majorité s’est saisie de ce problème en déclarant que le tourisme était une priorité nationale et en lançant une vaste concertation à travers des assises nationales. Jeudi prochain, vous en présenterez les conclusions avec Mme Fleur Pellerin et M. Arnaud Montebourg.

Sans présager des annonces que vous ferez, pouvez-vous nous faire part de vos principaux points d’actions ? Procéderez-vous au réveil touristique de la France ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la députée, en tant que présidente du groupe d’études sur le tourisme à l’Assemblée nationale, vous connaissez très bien ces sujets et votre question contient les principaux éléments de réponse.

Il est vrai que la France dispose d’atouts extraordinaires en matière de tourisme, mais qui ne sont pas encore suffisamment exploités. Je ne vais pas abuser de chiffres que, de surcroît, vous connaissez. Le tourisme est en plein développement mondial : en 1950, l’on dénombrait 25 millions de touristes ; on en compte aujourd’hui 1 milliard et il y en aura deux fois plus en 2030.

D’un point de vue économique, toute la question consiste, pour nous, à parvenir à capter le maximum de touristes étrangers et à faire en sorte que le plus de Français possible puissent prendre leurs vacances en France. Cela est très important pour l’activité économique puisque ce secteur représente 7 % de notre richesse nationale et emploie 2 millions de personnes.

En fonction des différents éléments que vous avez rappelés – accueil, formation, internet… – Mme Pinel, à qui je rends hommage, a mis en place des assises du tourisme. Le temps est maintenant venu de conclure celles-ci et j’aurai l’occasion, jeudi matin – vous serez parmi nous, avec M. Montebourg, Mme Pellerin, Mme Delga – après les arbitrages rendus par le Premier ministre, de faire part du plan de route que nous fixons pour ce que le Président de la République a appelé à juste titre « une grande cause nationale ».

Le tourisme est une activité centrale en France, il faut que les Français en aient bien conscience et il faut que nous soyons beaucoup plus accueillants à l’égard des touristes étrangers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pierre Lellouche. Alors, il faut ouvrir les magasins le dimanche et la nuit !

Mesures fiscales

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Après les multiples annonces de votre Gouvernement, force est de reconnaître, monsieur le Premier ministre, que vous avez de réelles aptitudes pour communiquer. Mais vient maintenant le temps – plus difficile – de l’action, d’autant que le poids des réalités se fait sentir. Quelles sont ces réalités ?

Première réalité : après les hausses massives d’impôts que vous avez adoptées dans le PLFR 2012 et les PLF 2013 et 2014, vous annoncez aujourd’hui une baisse d’impôts au profit de 3,7 millions de foyers dans le PLFR qui sera prochainement discuté.

Parallèlement, en 2014, les contribuables français subiront de nouvelles hausses d’impôts à travers quatre mesures dont l’impact sera considérable : l’effet, en année pleine, de la fiscalité des heures supplémentaires ; la fiscalisation de la majoration des 10 % pour les retraités qui ont eu trois enfants ; la fiscalisation de l’abondement des complémentaires santé et, enfin, la baisse du quotient familial.

Deuxième réalité à laquelle vous êtes confrontés : la baisse d’impôts que vous avez promise ne concernera que les plus bas et les très faibles revenus. Elle sera donc très limitée, ce qui contribuera encore à fragiliser les classes moyennes.

M. Nicolas Dhuicq. Absolument !

Mme Marie-Christine Dalloz. Or, ce n’est pas juste !

Troisième réalité : l’exécution budgétaire. Ce sont 15 milliards de rentrées fiscales qui manquaient à votre budget 2013 et 5 milliards de recettes en moins qui sont annoncées par rapport à vos attentes en 2014, ce qui constitue un net recul.

Enfin, dernière réalité, et non la moindre : la Cour des comptes vient de rendre un rapport sur les prévisions budgétaires de 2014. Le Premier président pointe du doigt un dérapage du déficit public à 4 %. Quelles mesures de correction adopterez-vous pour redresser enfin une trajectoire qui dérive ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Je vous remercie, madame la députée, d’avoir ainsi souligné ce que sont les sujets d’actualité, ceux que nous traitons, ceux dont nous vous proposons de débattre. Puisque vous souhaitez que les choses aillent mieux, je compte évidemment sur vos propositions et votre participation aux votes afin de soutenir ce qui me semble aller dans le bon sens.

Premièrement : oui, nous souhaitons faire en sorte que des Français qui sont rentrés dans l’impôt sur le revenu alors que leurs revenus n’ont pas augmenté au cours des années 2012 et 2013, à cause de mesures votées par les uns – vous-mêmes – et par les autres, puissent bénéficier d’une situation plus juste. Si les revenus n’ont pas augmenté, il n’y a aucune raison de payer l’impôt sur le revenu. C’est pourquoi nous vous proposerons une mesure – que, je l’espère, vous voterez – permettant à plus de 1,9 million de foyers de ne pas payer d’impôt sur le revenu.

Vous dites, madame, que les classes moyennes ne sont pas concernées. Mais lorsque 50% de Français ne paient pas d’impôt sur le revenu, un certain nombre d’entre eux appartiennent aussi à la classe moyenne, comme vous dites, ou alors, je ne vois pas très bien où commence celle-ci et je crains qu’elle ne se termine vraiment très haut dans votre esprit.

Deuxièmement : l’année prochaine, la baisse des cotisations salariales permettra de donner plus de pouvoir d’achat aux salariés français en leur faisant gagner environ 500 euros supplémentaires par an, ce qui est considérable.

Enfin, dès maintenant, nous prenons des mesures d’économie de 4 milliards afin de respecter notre trajectoire, conformément à nos engagements.

C’est là une politique de sagesse que vous pouvez parfaitement partager et qu’il vous appartient également de soutenir ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Réforme de la politique de la ville

M. le président. La parole est à M. Michel Vergnier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Michel Vergnier. Madame la ministre chargée de la politique de la ville, le Gouvernement vient d’annoncer la nouvelle carte des quartiers prioritaires pour la politique de la ville, et vous vous inscrivez ainsi dans la continuité de votre prédécesseur, ce que je salue.

Il s’agit d’une réforme profonde du dispositif, puisque cent nouvelles communes y entrent, issues de territoires ruraux ou urbains très fragilisés. C’est par exemple le cas de Guéret, dans la Creuse, dont je suis le maire.

Répartir équitablement les aides sur tout le territoire national, tel est le principe de votre nouvelle politique. Je ne peux que féliciter le Gouvernement pour cette mesure de justice. L’État apporte ainsi une reconnaissance bienvenue aux actions de soutien que de nombreuses communes mènent depuis des années pour lutter contre l’appauvrissement de certains quartiers, et contre celui de leurs habitants. Je rappelle que le revenu moyen des habitants des quartiers ciblés représente moins de 12 000 euros par an. Reconnaissons que c’est fort peu.

La mise en place de partenariats simplifiés avec l’État les aidera à améliorer leurs conditions de vie. Cela passera par la rénovation de l’habitat, le développement de la formation professionnelle et l’insertion par l’économie. Vous annoncez ainsi la création de 15 000 emplois d’avenir supplémentaires, ainsi que des renforts dans les agences Pôle Emploi. Ces progrès convergent vers un même but : développer et renforcer la cohésion sociale, si nécessaire dans ces quartiers.

Madame la ministre, ma question est simple : quel sera votre calendrier, et avec quels partenariats ? Si vous pouvez nous dire, en outre, quels moyens seront dégagés par l’État, cela sera parfait. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Vergnier, je me réjouis de mettre en œuvre cette réforme de la politique de la ville, que vous avez adoptée à une large majorité lorsqu’elle vous a été présentée par mon prédécesseur, François Lamy, à qui je veux rendre hommage. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.) Vous l’avez adoptée à une large majorité, parce que, sur les bancs de cette assemblée, quand il s’agit de politique de la ville, vous savez généralement trouver un consensus autour de la nécessité qu’il y a à sortir de leurs difficultés les quartiers les plus éloignés de l’emploi, de la croissance, du logement et d’un cadre de vie confortable.

Alors que l’on fête peu ou prou les dix ans de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, je veux également rendre hommage à Jean-Louis Borloo, qui m’a fait le plaisir d’assister tout à l’heure aux journées sur la rénovation urbaine, et que je sais si attaché à cette politique de la ville. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs des groupes SRC et UMP.)

En quoi consiste, en quelques mots, la réforme que nous sommes en train de mettre en œuvre ? Elle vient corriger les errements de la politique de la ville des dernières années, que tout le monde connaît bien : trop de territoires concernés, trop de saupoudrage, trop de zones diverses et variées, sans réelle cohérence, ni lisibilité. Nous remplaçons tout cela par 1 300 territoires, les plus pauvres de France, situés aussi bien dans la périphérie des grandes agglomérations qu’en ville moyenne, parfois même au centre-ville. Dans ces territoires, on trouve les habitants qui ont le plus faible niveau de revenus.

Quelle réponse leur apporte-t-on ? À la place des actions qui étaient menées, les unes par l’État, les autres par les collectivités locales, et qui s’enchevêtraient sans grande cohérence par le passé, nous aurons désormais un contrat de ville unique, signé par l’État, les collectivités locales, les services publics, Pôle Emploi, les bailleurs sociaux, la Caisse d’allocation familiale, bref par tous les acteurs capables de répondre aux problématiques des habitants.

Au-delà de la rénovation du bâti et de la qualité de vie, il faut aussi du développement économique : nous mettons le paquet sur ce sujet. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Conflit d’intérêts

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Yannick Moreau. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

« Moi, Président de la République, je ferai fonctionner la justice de manière indépendante. » Deux ans après, les mots se sont envolés, et la République exemplaire avec. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le Premier ministre, le 29 janvier dernier, j’interrogeais ici même la garde des sceaux sur le conflit d’intérêts qu’elle a délibérément créé en nommant conseiller spécial à son cabinet un homme qui, tout en étant le premier conseiller de la ministre de la justice, poursuivait son activité d’avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État, quitte à plaider contre l’État quand l’intérêt de ses clients le commandait.

Mme Taubira, par quelques effets de manche, avait alors esquivé cette question et feint l’indignation. Cinq mois plus tard, sous la pression, notamment celle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique, qui a expressément pointé ce conflit d’intérêts, le conseiller spécial de la garde des sceaux a démissionné. Une démission qui résonne dans cet hémicycle comme un aveu.

Monsieur le Premier ministre, cet aveu ne met pas fin au trouble provoqué par la persistance de ce conflit d’intérêts pendant deux longues années, au cœur de la Chancellerie. Je vous poserai donc trois questions. Ce conflit d’intérêts, aujourd’hui éteint, a-t-il, de quelque manière que ce soit, porté atteinte à l’indépendance de notre institution judiciaire ? La présence, au cœur du cabinet de la garde des sceaux, d’un avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État a-elle eu, de quelque manière que ce soit, une incidence sur le bon fonctionnement de notre justice ? Enfin, monsieur le Premier ministre, considérez-vous que les conditions de sérénité et d’indépendance sont réunies pour permettre à Mme Taubira de poursuivre l’exercice de sa mission de bonne administration de la justice de notre pays ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, je ne pensais que vous auriez le culot de poser cette question, vu la situation actuelle de votre formation politique. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je veux vous rappeler que cette assemblée a voté il y a six mois – je ne sais pas si vous les avez vous-mêmes votées – des lois relatives à la transparence de la vie politique,…

M. Michel Herbillon. Les lois Cahuzac !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. …qui constituent effectivement un progrès irréversible dans la vie de notre démocratie. En instaurant une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, nous avons mis en place un dispositif qui répond à une exigence majeure des Français, celle d’une moralisation de notre vie politique.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas la question !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Cette exigence, que nous défendons tous ici, permettra, je l’espère, de mettre fin aux scandales qui animent trop souvent la vie politique.

Cette Haute Autorité a fait son travail, monsieur le député : elle a notamment analysé les déclarations d’intérêts des membres du Gouvernement et des cabinets ministériels. Elle entend toutes les personnes qu’elle souhaite entendre et formule les observations qu’elle juge utiles. Elle jette peu à peu, et fermement, les bases d’une morale politique renouvelée.

M. Philippe Le Ray. Vous ne répondez pas à la question !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Plutôt que de jeter en pâture à l’opinion publique tel ou tel nom, au risque de fragiliser encore plus la confiance des Français dans notre fonctionnement démocratique, vous devriez vous féliciter de l’efficacité de cette Haute Autorité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Étienne Blanc. Tricheur !

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Maintien d’une administration et de politiques publiques dédiées aux Français rapatriés d’outre-mer

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble de la proposition de résolution relative au maintien d’une administration et de politiques publiques dédiées aux Français rapatriés d’outre-mer pour prendre en compte leurs ultimes et légitimes attentes (n1878).

Explications de vote

M. le président. Dans le cadre des explications de vote, la parole est à M. Élie Aboud, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Élie Aboud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, mes chers collègues, l’histoire entre la France et l’Algérie est unique. Elle est riche et très complexe. Souvent la passion le dispute à la raison, et les deux s’entremêlent. Au-delà de cette histoire partagée et de nos richesses culturelles, la Méditerranée demeure un enjeu économique de première importance pour les pays qui l’entourent.

La période française en Afrique du nord, et particulièrement pendant 132 années en Algérie, a permis de brasser des peuples, des cultures et des langues, et par la suite de tisser des relations indissolubles. Cette situation est une force et non une faiblesse. Il nous appartient d’en développer le potentiel.

Si l’on additionne tous les apports humains provenant de l’autre côté de la Méditerranée, notamment les pieds noirs, les harkis, les binationaux, cette population est supérieure à cinq millions de personnes. En Algérie, après tant d’années de présence française, soit l’équivalent de cinq ou six générations, le départ d’un million de Français, de toutes origines, a été particulièrement douloureux et, vous le savez, pour le plus grand nombre, précipité. Ce n’est pas falsifier l’histoire ou contredire le passé, ni compromettre l’avenir que de le reconnaître. Dans cette histoire mouvementée, il ne nous faut oublier personne, c’est notre devoir, monsieur le secrétaire d’État.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Élie Aboud. Or chers collègues, dans le souci, dit-on, de rationaliser les structures administratives, les deux supports de l’action publique en faveur des rapatriés ont déjà ou vont disparaître. Pourtant, bien des dossiers demeurent en suspens : l’insertion sociale et professionnelle des familles de harkis ; la situation des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, artisanale ou agricole, souvent en état de détresse sociale ; le bilan critique et inachevé de l’indemnisation des biens. Dans le même temps, que constatons-nous ? La loi de finances pour 2014 a supprimé l’Agence nationale pour l’indemnisation des Français d’outre-mer – l’ANIFOM –, établissement public d’État, en transférant ses compétences à l’Office national des anciens combattants – l’ONAC. Parallèlement, le Gouvernement prépare un décret mettant fin à la mission interministérielle aux rapatriés, la MIR, service du Premier ministre qui a succédé à d’autres organes ministériels ou administratifs. La MIR assure depuis 1962 la conduite nationale des politiques en faveur des Français rapatriés d’outre-mer.

Nous ne pouvons ignorer l’inquiétude des rapatriés plus longtemps. Comme président du groupe d’études sur les rapatriés, je relaye bien évidemment, et avec conviction, leurs deux préoccupations principales : d’une part, on ne saurait se satisfaire seulement de ce que l’ONAC reprenne la gestion des affaires relatives aux rapatriés car en effet, et ce point est capital, ni le nom, ni la gouvernance de cet établissement public ne sont modifiés du fait des nouvelles compétences qu’il détient désormais ; d’autre part, les rapatriés n’entendent pas devenir des ressortissants clandestins de l’ONAC, ni être exclus de son conseil d’administration.

Mes chers collègues, le renouveau des relations avec l’Algérie est indispensable. Les rapatriés ont une connaissance intime de ce pays, de sa culture, de ses potentialités économiques et humaines. Lorsque eux ou leurs enfants se rendent en Algérie, ils rencontrent un accueil chaleureux de la part de ses habitants. En leur nom, mesdames, messieurs les députés de tous les bancs, dont certains furent occupés hier par des députés des départements français d’Algérie, je vous demande d’adopter cette proposition de résolution. L’avenir, monsieur le secrétaire d’État, appartient aux ouvriers du bon sens. À travers cette initiative, nous allons y contribuer. Cette vision appelle un esprit de concorde, tant en France, en Algérie, qu’entre la France et l’Algérie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun ici mesure combien les liens entre les Français de la métropole et les Français rapatriés d’outre-mer, en particulier d’Algérie, sont étroits ; au-delà des drames, au-delà des violences qui ont meurtri les peuples, ce sont des liens historiques et humains qui nous unissent encore aujourd’hui. La décolonisation, les changements profonds qui se sont accomplis dans les pays autrefois placés sous l’autorité de la France, ont fait du rapatriement un phénomène majeur dans notre pays : au total et sur une courte période, il aura concerné près de 1 500 000 personnes, contraintes de retourner en France après avoir vécu, pour certaines d’entre elles, de véritables tragédies. Derrière ce chiffre, il y a surtout la souffrance de certains rapatriés, notamment des harkis, qui, en proie au déracinement, se sont séparés, dans des conditions dramatiques, de la terre qui les avait vu naître et n’ont pas toujours pu trouver la réparation de leur engagement pour la France.

La proposition de résolution est l’occasion de rappeler combien il est important de préserver ces liens. Au-delà, ce sont des enjeux économiques qui unissent tout particulièrement la France et l’Algérie. Nous pouvons faire, ainsi que l’a souligné l’auteur de la proposition de résolution, de l’axe Paris-Alger un moteur de « l’édification d’un espace méditerranéen de prospérité partagée, de paix, de sécurité et de démocratie ».

Entre le monde asiatique et le monde américain, nous voulons croire qu’il y a aussi une place pour un monde méditerranéen, à la convergence de toutes les cultures, de toutes les religions et de toutes les origines ; bref, un monde méditerranéen qui regarde à la fois vers l’Europe et vers l’Afrique.

Parce que l’avenir de la France se trouve aussi en Méditerranée, nous devons nous tourner résolument vers ces pays, renforcer nos liens, et mettre en œuvre des partenariats novateurs. Ces avancées ne pourront se faire que dans un esprit d’apaisement, lequel implique la reconnaissance de notre histoire mutuelle et de ses conséquences.

Au fil des années, un travail important de reconnaissance a été entrepris. Pourtant, ainsi que l’a souligné l’auteur de la proposition de résolution, de nombreux dossiers demeurent en suspens : l’insertion sociale et professionnelle des familles de harkis, la situation de nombreux rapatriés, en état de détresse sociale, et le bilan critique de l’indemnisation des biens. En effet, selon l’Agence nationale pour l’indemnisation des Français d’outre-mer, l’ANIFOM, les mesures successives de solidarité nationale n’ont compensé, en moyenne, que 58% des préjudices subis.

C’est dans ce contexte que les deux supports de l’action publique en faveur des rapatriés ont disparu ou vont disparaître : les compétences de, l’ANIFOM ont été transférées à l’Office national des anciens combattants l’ONAC ; parallèlement, le Gouvernement prépare un décret mettant fin à la mission interministérielle aux rapatriés, la MIR.

Une juste réparation est pourtant nécessaire si nous voulons, cinquante-deux ans après la fin de la Guerre d’Algérie, clôturer le dossier de l’indemnisation et ainsi insuffler le renouveau des relations franco-algériennes. Elle est aussi indispensable à la promotion d’une véritable intégration des descendants d’immigrés dans la France actuelle.

La proposition de résolution s’inscrit ainsi dans une double perspective de reconnaissance et d’aide sociale : d’abord en proposant la création d’un collège ou d’un sous-collège représentant les Français rapatriés d’outre-mer au sein du futur Office national des anciens combattants, des victimes de guerre et des Français rapatriés d’outre-mer ; ensuite en appelant à poursuivre l’action sociale destinée aux harkis et à l’étendre aux réinstallés dans une profession non salariée en situation sociale difficile. Il est en effet légitime que ces combattants des anciennes colonies françaises et leurs enfants, longtemps relégués au rang de victimes oubliées de l’histoire, puissent obtenir la reconnaissance qu’ils sont en droit d’attendre.

En définitive, cette proposition de résolution ne fait que renforcer la reconnaissance de la Nation à l’endroit des Français rapatriés d’outre-mer, une reconnaissance qui doit être à jamais gravée dans notre mémoire collective.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les députés du groupe UDI voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDIUMP.)

M. le président. Sur l’ensemble de la proposition de résolution, je suis saisi d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.

Mme Eva Sas. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui part d’un constat que nous partageons : la prise en compte des attentes légitimes exprimées par les Français rapatriés d’outre-mer et leurs enfants est une condition de la réussite du dialogue renouvelé entre la France et l’Algérie, et même plus largement de tout partenariat avec les pays du Maghreb.

Oui, monsieur Aboud, vous avez raison : qu’il s’agisse des mesures indemnitaires à destination des rapatriés ou de l’expression de la solidarité et de la fraternité envers les harkis et leur famille, ces problèmes n’ont malheureusement toujours pas trouvé de solution définitive.

Mais se pencher sur des problèmes réels ne signifie pas poser de bonnes questions. La proposition que vous formulez, qui consiste principalement à transformer l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre en Office national des anciens combattants, des victimes de guerre et des Français rapatriés d’outre-mer, est-elle en mesure de régler concrètement les difficultés matérielles qui demeurent à résoudre ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Qu’il nous soit permis d’en douter.

M. Guy Geoffroy. Pourquoi ?

Mme Eva Sas. Que changerait cette dénomination, en effet, alors même que, depuis le 1er janvier – et le débat en séance a justement été l’occasion de le rappeler –, toutes les structures chargées des rapatriés et des harkis, issues de la Mission interministérielle aux rapatriés et de l’Agence nationale pour l’indemnisation des français d’outre-mer, sont déjà adossées à l’ONAC ?

Chacun sait parfaitement que la situation matérielle des personnes concernées – qu’il s’agisse des indemnisations de biens pour les rapatriés ou de l’insertion sociale et professionnelle des harkis et de leurs descendants – dépend de mécanismes et de dispositifs qui ne relèvent pas de l’action de l’office, mais des rapports intergouvernementaux avec l’Algérie et de la politique sociale de l’État. Je salue au passage l’action entreprise par le secrétaire d’État pour réduire les lenteurs et pallier les insuffisances qui demeurent en ces domaines, ainsi que la lucidité dont il a fait preuve.

En termes concrets, votre proposition n’est en rien de nature à modifier la situation.

Les défenseurs de ce texte nous disent par ailleurs qu’il constitue une mesure de « reconnaissance » de la situation des rapatriés.

Qu’il soit nécessaire de reconnaître la situation particulière des rapatriés, nous le soutenons comme vous, mais que vous le fassiez par ce texte, permettez-moi, à nouveau, d’en douter.

En effet, en associant ainsi, dans la même dénomination, des situations qui sont par essence différentes, celle des anciens combattants et celle des rapatriés, on n’apporte aucune reconnaissance à ces derniers, dont la situation est bien spécifique.

Monsieur le rapporteur, je me refuse à faire le procès de vos intentions ou à chercher dans votre démarche des arrière-pensées électoralistes (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI), non seulement parce que cela ne servirait à rien, mais parce que, encore une fois – et je le mesure de façon intime et personnelle, étant moi-même fille de rapatriés d’Algérie –, les problèmes que vous abordez sont de vrais problèmes.

Avec les membres de mon groupe nous nous sommes interrogés simplement : la question, telle que vous la posez, est-elle la bonne ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Est-ce vraiment la bonne façon de répondre à la question des rapatriés ? Nous pensons en conscience que ce n’est pas le cas. Et c’est parce que nous pensons que la question n’est pas la bonne que nous n’y répondrons pas, et ne participerons pas à ce vote.

M. Maurice Leroy. C’est courageux !

Mme Eva Sas. Nous enjoignons en revanche le Gouvernement de prendre ce problème à bras-le-corps et d’y apporter des solutions, car elles n’ont que trop tardé. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, notre débat de jeudi a été éclairant : nous avons rappelé la responsabilité écrasante des gouvernements de droite dans le désarroi des harkis et de leurs familles.

C’est en effet le gouvernement en place en 1962 qui les a désarmés et les a laissés se faire massacrer par les partisans du nouveau pouvoir algérien ; c’est Louis Joxe qui donna l’ordre d’éviter leur venue en métropole ; ce sont les gouvernements de droite qui les ont relégués dans des camps et qui, pendant vingt ans, ont refusé de satisfaire leurs revendications matérielles en matière d’indemnités, d’aides à l’emploi et au logement.

S’agissant des rapatriés, si certains sont effectivement en situation de détresse sociale, il a été rappelé que, depuis 1961, plus de 38 milliards d’euros ont été dépensés en leur faveur, dont 17,53 milliards pour les accueillir et favoriser leur réinstallation.

Il n’est donc pas juste, plus de cinquante ans après, de laisser penser que la France ne leur a pas offert de nombreux droits et de nombreuses possibilités de se refaire et de se reconstruire dans leur pays – eux, leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrière-petits-enfants. Il nous semble également maladroit d’invoquer la décolonisation pour expliquer la situation sociale des rapatriés non salariés. C’est à se demander si droite et extrême droite ont quelque chose à dire sur la misère sociale que subissent des millions de retraités et de personnes âgées en France !

Pour nous, les choses sont claires : il s’agit de vivre dignement quand on a travaillé toute sa vie ; il s’agit de répartir justement les richesses créées par le travail, quand les nantis et le grand capital se taillent la part du lion.

Cette résolution est largement passéiste et orientée.

Passéiste, car nous avons rappelé les dispositifs de réparations matérielles et morales qui existent pour les harkis, les rapatriés et pour leurs familles. Personne ne songe à les remettre en cause. M. le secrétaire d’état aux anciens combattants et à la mémoire a fait également toute la transparence au sujet des efforts conjoints accomplis par la France et de l’Algérie sur la question des disparus.

Orientée, car cette proposition de résolution se nourrit des idées les plus à droite. Monsieur Aboud, je vous le dis cordialement, je vous ai compris ! Si nous avons apprécié votre exposé, calme et apaisant, excellent sur la forme, …

M. Élie Aboud. Merci !

M. Jean-Jacques Candelier. …celle-ci n’occulte pas pour autant le fond ! Et sur le fond, cette proposition de résolution est inacceptable, puisqu’il s’agit principalement, plus de cinquante ans après, de demander des réparations à l’Algérie, pourtant victime de la colonisation !

M. Élie Aboud. Nous n’avons jamais demandé cela !

M. Jean-Jacques Candelier. Une telle demande serait pour le moins maladroite de la part des anciens colons que nous avons été. Le mot « colons » n’est pas une insulte, c’est une réalité que certains ont encore du mal aujourd’hui à appréhender.

M. Élie Aboud. C’est faux !

M. Jean-Jacques Candelier. Nous le disons à tous les républicains, il faut rejeter catégoriquement les provocations et tentatives de division des Français, et prôner l’amitié entre les peuples.

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’est pas négociable, c’est une leçon du Général de Gaulle. Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre. Il faut regarder lucidement le passé colonial, mais aussi toutes les nouvelles formes de colonialisme – notamment économique –, et de négationnisme qui pervertissent les esprits : soutien à des dictatures, poursuite du pillage des richesses naturelles des anciennes colonies, engagement de nos soldats dans de lointains conflits, réhabilitation de l’OAS par une frange dure de la droite. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Boyer. C’est scandaleux !

M. Thierry Mariani. Caricatures !

M. Jean-Jacques Candelier. Parce qu’il n’aspire qu’au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le vrai patriotisme suppose le respect des autres patries et s’oppose au colonialisme, au grand capital apatride et à l’impérialisme.

Même si cela ne plaît pas à l’extrême droite dans cet hémicycle, nous continuerons à être intransigeants contre les défouloirs idéologiques que sont le colonialisme, le racisme et la xénophobie ! Nous condamnons ces valeurs et ces choix politiques qui conduisent à la haine de l’autre, et souvent, à la guerre.

L’Algérie est un État souverain et ami. Il y a tout lieu d’éviter les mises en cause blessantes et les sous-entendus arrogants. Nous voterons donc contre ce texte et profitons de l’occasion pour souhaiter que notre proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de la République française dans le massacre du 17 octobre 1961 – jour où plusieurs centaines de travailleurs algériens manifestant pacifiquement furent froidement tués –, soit inscrite à l’ordre du jour et votée.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Nauche, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Nauche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la guerre d’Algérie est l’un des épisodes douloureux de l’histoire française. Elle aura marqué durablement notre société. Le bilan humain est terriblement lourd pour les Français comme pour les Algériens, pour les civils comme pour les militaires. Cette guerre aura également été un drame personnel pour un million de rapatriés et de harkis, arrachés à leur sol natal pour arriver, parfois dans le dénuement le plus total, dans un pays inconnu, où leur sort se heurte à l’incompréhension, voire à l’hostilité d’une partie de la population.

Leur souffrance est d’autant plus grande qu’elle est étouffée sous une chape de plomb : il faudra attendre la loi du 18 octobre 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin, pour que les événements d’Algérie soient enfin officiellement reconnus comme étant une véritable guerre.

Certains ont réussi à faire la paix avec leur passé, d’autres n’arrivent pas à le dépasser. Si les députés socialistes comprennent parfaitement les souffrances endurées par les populations, ils considèrent que leur rôle de législateur est de faire la part entre ce qui relève de l’émotion légitime et ce qui relève du rationnel nécessaire.

Malgré les apparences, la proposition de résolution qui va être soumise au vote dans quelques instants refuse de prendre le moindre recul quant à la question des rapatriés et reprend à son compte les craintes et les revendications des uns et des autres au lieu de tenter d’y répondre avec honnêteté.

Elle s’inscrit dans une démarche qui pourrait apparaître un peu électoraliste, et propose un contenu purement politicien.

M. Maurice Leroy. Il n’y a pas d’élections en vue !

M. Philippe Nauche. Politicienne, cette proposition l’est dans la mesure où l’ensemble des dispositions mises en place depuis 2012 sont considérées comme non avenues. Ses signataires font comme s’il ne se passait rien en ce domaine.

Certes, la MIR et l’ANIFOM sont désormais intégrées à l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, mais l’opération n’a pour objectif que de rationaliser, de simplifier et surtout de pérenniser leur politique. J’en veux pour preuve la nouvelle action budgétaire en faveur des rapatriés, qui représente 17,8 millions d’euros en 2014 ; le maintien du service central des rapatriés, qui devient un pôle spécialisé de l’ONACVG, mais continue d’instruire les dossiers et de verser les mêmes aides, tout en offrant les avantages de la simplification et du guichet unique ; la réflexion menée par le Gouvernement avec l’Office pour examiner les moyens d’associer davantage les rapatriés et les harkis au fonctionnement de l’établissement.

Vous exigez, par ailleurs, la poursuite de l’action sociale de l’ONACVG à destination des harkis en tant qu’anciens combattants ou de leurs veuves, et qu’un effort de même nature soit entrepris en direction des réinstallés dans une profession non salariée en situation de détresse sociale. C’est nier que, depuis sa prise de fonction, la politique menée par Kader Arif sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre vise trois priorités : un effort renouvelé en faveur de l’histoire et de la mémoire des harkis et des rapatriés, la mise en place d’instruments de solidarité favorisant la réussite des harkis et de leurs enfants, la consolidation d’un dialogue plus efficace, plus transparent avec les pouvoirs publics. Contrairement à ce qu’insinue la proposition de résolution, il n’a jamais été question de remettre ces aides en cause, bien au contraire.

En ce qui concerne la poursuite par l’État de ses actions en faveur des enfants d’anciens supplétifs à la recherche d’un emploi stable ou d’une formation, je ne reprendrai pas l’ensemble des actions en cours.

En ce qui concerne la facilitation des recherches de personnes d’origine européenne portées disparues en Algérie, surtout en 1962, et présumées décédées, je rappelle qu’au cours de la visite d’État de François Hollande à Alger, les 19 et 20 décembre, les deux chefs d’État ont signé la déclaration d’Alger sur la coopération entre l’Algérie et la France. La question de la mémoire commune et, notamment, l’échange d’informations pour la localisation de sépultures de disparus pendant la guerre figurent parmi les objectifs énoncés. Les autorités françaises, notamment les consulats en Algérie, travaillent par ailleurs de concert avec les autorités algériennes pour recenser, regrouper et rénover les sépultures civiles françaises en Algérie.

Le cinquième point concerne la réparation intégrale du préjudice subi. Selon le rapport de la Cour des comptes, pour l’année 2009, l’ANIFOM a compensé 58 % du montant des biens perdus il y a cinquante ans.

Derrière ce vœu, le message de prise en considération et d’indemnisation de la totalité des biens perdus par les rapatriés est à mettre en lien avec le dernier point de la proposition de résolution. En clair, l’Algérie doit payer. Vous dites, en effet, dans votre sixième et dernier point, rechercher avec l’Algérie des moyens de clôturer le dossier de l’indemnisation. Les associations de rapatriés considèrent que la totalité des indemnisations auraient dû être le fait de l’Algérie. L’idée de fond de cette proposition de résolution est que l’ancienne colonie doit rendre à la France ce qu’elle aurait injustement gardé. Le débat de triste mémoire de 2005 sur le rôle positif de la colonisation résonne encore. On souhaiterait raviver une fracture coloniale entre la France et l’Algérie mais aussi au sein de la population française que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

Le vote d’une telle disposition serait, j’en suis convaincu, paradoxalement un sérieux coup porté au renouveau des relations franco-algériennes louées dans l’exposé des motifs. Ce serait d’autant moins opportun que l’Algérie est devenue aujourd’hui un partenaire incontournable de la France dans la lutte contre le terrorisme dans la zone sahélo-saharienne.

Pour toutes ces raisons, le groupe SRC ne peut voter cette proposition de résolution. Il votera donc contre. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vote sur la proposition de résolution

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix la proposition de résolution.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants421
Nombre de suffrages exprimés418
Majorité absolue210
Pour l’adoption196
contre222

(La proposition de résolution n’est pas adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Réforme ferroviaire

-

Nomination des dirigeants de la SNCF

Discussion d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique (discussion générale commune)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant réforme ferroviaire (nos 1468, 1990, 1965) et de la proposition de loi organique de MM. Jean-Paul Chanteguet, Jean-Jacques Urvoas et Gilles Savary et plusieurs de leurs collègues relative à la nomination des dirigeants de la SNCF (nos 1877, 1999, 1991).

La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Présentation commune

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le 30 octobre 2012, alors que la SNCF célébrait ses 75 ans d’existence, le constat que nous faisions était celui d’un système ferroviaire en crise, tant dans le fonctionnement entre SNCF et RFF qu’en termes financiers, constat aussi fait par nos concitoyens. J’annonçais alors la nécessité d’une vaste réforme du système ferroviaire lui redonnant du souffle, de la clarté et de l’efficacité.

De nombreuses discussions ont alors été lancées. À M. Jean-Louis Bianco fut confié un rapport sur le système ferroviaire, au président Jacques Auxiette un rapport relatif à la place des régions dans l’organisation et la gestion du système. Fruit d’une large concertation avec l’ensemble des parties prenantes, le projet de loi fut présenté en conseil des ministres le 16 octobre dernier.

Aujourd’hui, la représentation nationale est saisie de ce projet. Je souhaite que ce débat, parce qu’il doit redonner confiance en notre système ferroviaire, espoir en son avenir, n’ouvre pas une bataille parlementaire du rail mais nous permette de dessiner un projet ambitieux pour notre pays et ses territoires.

Ambitieux, parce qu’il exige de la nation qu’elle s’empare de l’enjeu ferroviaire, qu’elle se réapproprie les enjeux d’aménagement du territoire, de cohésion sociale et de développement économique et industriel. C’est aussi cela notre patrimoine ferroviaire national.

Ambitieux, parce qu’en prenant appui sur notre ancienne et belle histoire du rail français, ce projet de réforme souhaite ouvrir une ère nouvelle, une ère de confiance où le service public ferroviaire, mis à l’honneur, sera renforcé, au bénéfice de tous les usagers et de toute la famille cheminote.

Cette réforme peut paraître technique, mais elle n’en est pas moins porteuse de progrès et de modernité, ce que j’assume. Elle est articulée autour de cinq objectifs.

Premier objectif, l’affirmation d’un service public renforcé, mieux piloté, avec un État qui impulse et qui agit, sous le contrôle de la nation et de ses représentants.

Deuxième objectif, la création d’un groupe public industriel intégré, la nouvelle SNCF, qui sera un acteur majeur et puissant du ferroviaire, en Europe et dans le monde, et une véritable vitrine du savoir-faire industriel du ferroviaire français.

Troisième objectif, la mise en place d’un pacte national pour assurer l’avenir financier de ce service public.

Quatrième objectif, la construction d’un cadre social commun à l’ensemble des acteurs du secteur ferroviaire, en maintenant le statut des cheminots et en unifiant la famille cheminote. Nous devons aussi avoir aujourd’hui à l’esprit que plus d’une dizaine d’opérateurs agit dans le ferroviaire et qu’il ne saurait plus y avoir de règles disparates, synonymes d’une concurrence déloyale et faussée.

Cinquième objectif, le renforcement du régulateur, afin de garantir l’impartialité de l’accès au réseau.

Concernant le premier axe de la réforme, à savoir le renforcement du service public, que propose le Gouvernement à travers le projet de loi soumis à votre examen ?

Il s’agit, tout d’abord, de redonner du contenu à la notion même de service public ferroviaire, car, dans ce domaine, le paysage a beaucoup évolué. Le service public ne saurait consister seulement dans l’exécution des conventions de service public. Ce que nos concitoyens attendent, ce sont aussi – et surtout – la sécurité, la sûreté, la qualité et la continuité du service public.

Faire respecter par tous les exigences de ce service public ferroviaire, c’est favoriser la coordination entre les autorités organisatrices, à savoir l’État et les régions ; veiller à la qualité du service, à la sécurité et à l’efficacité de tous les acteurs du ferroviaire.

Il faut redonner une stratégie ferroviaire à notre pays, en finir avec des décisions d’opportunité dictées par une vision à court terme.

Le projet de loi crée plusieurs outils visant à mettre en œuvre cette stratégie, laquelle illustrera le retour de l’État et, plus largement, de la puissance publique. Ce sera la fonction du Haut comité du ferroviaire. En effet, un tel établissement n’existe pas aujourd’hui et il fait vraiment défaut. Associant les élus, les régions, les entreprises et les organisations syndicales, il est indispensable pour structurer et construire les orientations pour l’avenir de notre système ferroviaire.

M. Patrick Hetzel et M. Dominique Bussereau. Encore un « machin » !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Ce n’est pas au seul groupe SNCF, même s’il s’agit du groupe historique, qu’il revient de déterminer, pour la nation tout entière, les enjeux dans le domaine du ferroviaire. Remettons les enjeux d’efficacité économique, d’équité territoriale et de puissance industrielle, qui sont stratégiques pour le pays, au cœur même des lieux de décision.

Le Parlement, trop longtemps tenu à distance, pourra aussi se saisir, s’il le souhaite, de ces défis d’avenir. C’est pourquoi il doit pouvoir être amené à prendre position régulièrement sur les enjeux financiers, mais aussi sur l’aménagement du territoire, les défis environnementaux et sociaux auxquels le système ferroviaire doit faire face.

L’État, enfin, fixera les objectifs du groupe public créé – j’y reviendrai dans quelques instants – à travers des contrats qu’il lui assignera. C’est l’État qui dessinera les perspectives et impulsera la dynamique.

Le deuxième axe de la réforme consiste dans la création d’un groupe public industriel intégré, qui permettra la réunification de la famille cheminote.

Atomisation des fonctions, éclatement des structures, des missions et des rôles : aujourd’hui, l’acteur historique manque de lisibilité et d’efficacité. Le constat est là : le dialogue existe peu, voire n’existe plus ; les synergies doivent être recréées, dans un contexte où la concurrence est susceptible d’intervenir en fonction des combats qui restent à mener au niveau européen. Il est indispensable que la France dispose d’un acteur public majeur sur le plan national, mais aussi au niveau européen et mondial.

Nous allons créer un groupe public puissant, rassemblant en son sein, d’une part, les fonctions liées à l’infrastructure, réunies au sein de SNCF Réseau, et, d’autre part, les missions liées à l’exploitation, dévolues à SNCF Mobilités.

Il s’agira, comme je le disais, d’un groupe intégré. En effet, il faut que les différentes composantes de la famille cheminote poursuivent les mêmes objectifs, associent leurs forces, leurs ambitions et leurs volontés. Nous voulons en finir avec le séparatisme stérile et pénalisant. L’intégration permettra d’avoir un même cap et surtout une plus grande efficacité : efficacité technique et technologique, mais aussi efficacité des investissements et mutualisation des coûts.

Il reviendra à l’établissement public de tête d’impulser la dynamique. En effet, il assurera le contrôle et le pilotage stratégique, économique et industriel du groupe et désignera une partie importante des membres du conseil d’administration du transporteur – SNCF Mobilités – et du gestionnaire d’infrastructure, à savoir SNCF Réseau.

M. Martial Saddier. Autrement dit, il aura la mainmise sur l’ensemble !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Ce groupe public sera contrôlé par l’État. Plus précisément, l’État reprendra la place qui doit être la sienne dans une stratégie nationale.

M. Jean Glavany. Très bien ! Il était temps !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. La SNCF sera dirigée par un directoire composé du président de SNCF Réseau et du président de SNCF Mobilités. Ces deux présidents seront nommés par l’État et placés sous l’autorité d’un conseil de surveillance dont le président sera lui aussi choisi par l’État.

Parce que le ferroviaire est une œuvre collective, chacun y aura sa place. Outre l’État, d’autres acteurs y seront donc représentés. Je pense notamment aux régions, dont le rôle est consacré, s’agissant du transport de proximité, par ce texte que vous ne manquerez pas de soutenir et de voter. Les salariés seront eux aussi associés. Cela dit, l’État doit reprendre la main face aux défis que représente le ferroviaire pour notre nation.

M. Jean-Luc Laurent. Il était temps, grand temps !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Signal fort pour l’efficacité économique et industrielle, SNCF Réseau, gestionnaire de l’infrastructure, sera enfin unifié. Aujourd’hui, les agents de la Direction de la circulation ferroviaire, ou DCF, mais aussi de la SNCF Infra, ou encore de Réseau ferré de France – RFF –, sont tous chargés, chacun dans leur entité, de la gestion de l’infrastructure. Ils sont séparés ; ils ont été opposés.

M. Dominique Bussereau. Mais non ! C’est vous qui les opposez les uns aux autres !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Comment serait-il possible d’expliquer aux Français, voire aux acteurs du ferroviaire eux-mêmes, que c’est en séparant ceux qui doivent travailler ensemble, ceux qui gèrent l’infrastructure et ceux qui l’utilisent, que nous pouvons garantir une plus grande efficacité ?

M. Jean Glavany. Eh oui ! C’est cela qui explique les trains trop larges ! (Sourires.)

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Comme je le disais, l’entreprise que nous proposons de créer sera un groupe unifié, ce qui permettra de mobiliser toutes les énergies, de faciliter les mobilités internes. Ainsi, quand nous déciderons d’investir quelque part, ce sera en cohérence avec le service que nous souhaitons rendre aux usagers et à la nation.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Le troisième axe de la réforme consiste à conclure un pacte national pour sauver, en garantissant sa pérennité financière, ce qui constitue pour nous un modèle de service public ferroviaire national.

Aujourd’hui, chaque année et de manière automatique, 1,5 milliard d’euros de dettes nouvelles sont générés et même, en réalité, pas loin de 3 milliards, si l’on inclut la construction actuelle de quatre lignes à grande vitesse financées, non par l’État, mais par RFF, en recourant à l’emprunt, ce qui revient à faire construire ces lignes en gageant l’avenir du ferroviaire.

M. Michel Issindou. C’est insupportable !

M. Jean Glavany. Quelle irresponsabilité ! Et la promesse de Sarkozy ?

M. le président. Monsieur Glavany, s’il vous plaît !

M. Jean Glavany. Je ne faisais que rappeler une vérité, monsieur le président !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Le Gouvernement propose, à travers ce projet de loi, de réduire le fardeau des intérêts de la dette. Pour ce faire, plusieurs dispositions nécessiteront la contribution de tous et l’engagement de la nation dans le temps.

Il faut d’abord cesser – contrairement à ce qu’ont fait ceux qui, aujourd’hui, souhaitent nous donner des leçons – de faire financer les grands travaux à crédit par RFF. Ces dernières années, l’État s’est en effet déchargé sur RFF du financement des LGV. Quelle en est la conséquence ? De moindres financements pour l’entretien et pour la modernisation de nos lignes de train du quotidien,…

M. Jean-Luc Laurent. Eh oui ! Malheureusement !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …que souhaitent pourtant nos concitoyens.

Or notre patrimoine national doit être, non seulement préservé, mais aussi développé et modernisé. Arrêtons cette politique de la fuite en avant, affranchie de toute obligation de financement et qui a laissé porter aux générations futures une dette aujourd’hui lestée de plus de 40 milliards d’euros. Et nous devrions aujourd’hui remercier les représentants de la précédente majorité pour ce lourd héritage que les générations futures auront à assumer ?

M. Martial Saddier. Vous fuyez vos propres responsabilités !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous aurions dû dire, à notre arrivée aux responsabilités : « sous bénéfice d’inventaire » !

M. Laurent Furst. De votre côté, vous préférez mettre la France à l’arrêt !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Depuis deux ans, à la demande de Jean-Marc Ayrault puis de Manuel Valls, j’ai tenu à redéfinir clairement les priorités en matière de politique de transports. Dorénavant, la priorité est donnée aux transports du quotidien.

Citons deux exemples de mesures prises. Il y a, d’abord – vous le savez pour y avoir contribué de belle manière avec le rapport Duron –, la redéfinition du Schéma national des infrastructures de transport. Ensuite, nous avons mis en place un plan ambitieux de modernisation du réseau ferroviaire, qui n’a d’ailleurs de sens que si nous avons une vision d’ensemble, c’est-à-dire si nous considérons l’efficacité économique et la stratégie d’investissement de l’ensemble du système.

Nous devons également optimiser le savoir-faire, les capacités et les compétences. Nous devons faire en sorte que l’ingénierie, les compétences en matière de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre des agents de RFF et de la SNCF soient réunies, coordonnées et optimisées, afin de permettre à la famille cheminote de retrouver sa fierté.

M. Michel Issindou. Beau programme !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Par ailleurs, l’État contribuera à cet effort financier. Imaginez qu’aujourd’hui l’État reçoit des dividendes sur le ferroviaire, alors même que celui-ci est endetté à hauteur de plus de 40 milliards d’euros.

Je vous propose, mesdames, messieurs les députés, de remettre de la logique dans cette organisation et de devenir responsables.

M. Jean Glavany. Il faut remettre le train sur les rails ! (Sourires.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine et Mme Fanny Dombre Coste. Très beau !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Remettons, en effet, sur la bonne voie le système ferroviaire.

Nous proposons donc de reverser les dividendes du transporteur vers le gestionnaire d’infrastructures et d’établir, au sein du groupe, une compensation fiscale entre les excédents et les déficits.

Le transporteur et le gestionnaire d’infrastructures participeront à cet effort à travers des mesures d’optimisation découlant d’une meilleure organisation du travail ; nous y reviendrons au cours de nos débats.

Enfin, nous proposons d’établir une règle visant à rétablir les équilibres financiers et faisant l’objet d’un contrat avec l’État. Ce pacte national n’a ni pour objectif ni pour effet, comme je l’entends parfois, de dégrader les conditions de travail et de salaire des cheminots. Il a au contraire pour ambition de protéger, préserver et développer le patrimoine de la nation, en associant chacun à ce grand dessein.

Quatrième axe de la réforme, le volet social. J’ai conscience des inquiétudes – certains essaient d’ailleurs d’en attribuer la responsabilité à ce texte de loi –, mais la France ne peut s’engager dans une bataille sociale du rail sans en encourir les conséquences.

Depuis deux ans, c’est l’esprit de dialogue – avec les organisations syndicales et avec l’ensemble des groupes parlementaires – qui a animé mon travail et celui de toute mon équipe, avec pour objectif la réussite du transport ferroviaire français du quotidien.

Ce dialogue, nous le poursuivons ici, car c’est devant les représentants de la nation que les grands enjeux du système ferroviaire doivent être débattus.

Le volet social est important, car l’avenir du service public ne peut se construire sans un cadre social commun à l’ensemble du secteur du ferroviaire.

M. Michel Issindou. Cela va de soi !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. En effet, nous sommes face à un secteur ferroviaire aujourd’hui ouvert à la concurrence dans le fret. Pourtant, ceux qui ont été les promoteurs de cette ouverture à la concurrence n’ont pas pris la précaution de mettre en place les conditions d’une concurrence non faussée, c’est-à-dire des règles sociales communes, ne laissant pas les charges au secteur public et les profits au secteur privé.

M. Jean Glavany. Quel scandale ! Quels irresponsables !

M. Dominique Bussereau. Ce n’est pas vrai !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Faudrait-il, après cette malheureuse et douloureuse expérience, renouveler les mêmes erreurs ?

Faudrait-il laisser place à la libre concurrence,…

M. Dominique Bussereau. Oui !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …peut-être même la devancer,…

M. Martial Saddier. L’anticiper !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …sans permettre à l’entreprise nationale d’être compétitive et efficace sur ce marché, comme le souhaitent ceux qui n’ont pas tiré les conséquences de leurs errements ?

Ce n’est pas ma méthode. C’est notamment pour cette raison que le présent projet de loi n’a pas pour objet, comme le voudraient certains esprits pétris du dogme libéral, d’anticiper la libéralisation…

M. Dominique Bussereau. Certes, il est rétrograde !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …et les échéances que je veux négocier pied à pied au niveau européen, comme je le fais depuis deux ans.

Je veux des règles protectrices appliquées par tous. Nous proposons de construire un cadre social commun, portant sur l’organisation du travail et compatible avec le maintien du statut des cheminots. Nous devons saisir ces enjeux majeurs, ne pas laisser place aux partisans d’un libéralisme européen, ne pas sacrifier 1’enjeu de l’équilibre des territoires à des logiques purement financières.

Nous avons mené ce combat au niveau européen. Alors même que le projet de loi n’était pas encore rédigé, je me souviens que l’on m’objectait qu’il ne serait pas eurocompatible…

M. Dominique Bussereau. Et il ne l’est pas !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …car il contreviendrait aux principes du fameux quatrième paquet ferroviaire. Et vous persistez, monsieur Bussereau, à nous dire qu’il contreviendrait à ces règles, alors que le commissaire européen des transports, M. Kallas,…

M. Dominique Bussereau. Il s’en va !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …m’a adressé une lettre indiquant que ce quatrième paquet ferroviaire n’était pas encore adopté.

M. Dominique Bussereau. Hélas !

M. Nicolas Sansu. Il ne faut pas l’adopter !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Ainsi, non seulement vous anticipez des règles qui n’existent pas encore, mais vous affirmez également que notre projet de loi serait lui-même contraint par des débats que nous n’avons pas engagés.

M. Martial Saddier. Il va falloir refaire le travail !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Tel est précisément le rôle de la France, depuis deux ans. Il s’agit d’être présent sur la scène européenne, de créer les conditions d’une alliance avec des partenaires, et de ne pas nous satisfaire de dogmes qui auraient été établis par le commissaire Kallas, qui, malgré tout le respect que je lui dois et les bonnes relations que j’entretiens avec lui, ne peut pas imposer un système d’organisation unique à l’ensemble des vingt-huit États membres.

Notre histoire, notre patrimoine, le respect des racines de l’organisation ferroviaire requièrent pour le moins une forme de subsidiarité dans la gouvernance du ferroviaire. (« Très bien ! »sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

La bataille du rail est désormais économique et se joue au niveau européen. Ce projet de loi est, je le dis et l’assume, une avancée contre un libéralisme débridé, contre les velléités de concurrence déchaînée. C’est une arme de protection,…

M. Martial Saddier. De destruction massive !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …c’est un renforcement, c’est l’armature d’un édifice public sécurisé et prêt à affronter les défis de l’avenir.

Ce volet social se double, pour le groupe public, d’une réunification de la famille cheminote, qui doit avoir pour bénéfice une gestion désormais coordonnée des parcours.

Il est important de faire savoir à celles et ceux qui expriment aujourd’hui leurs inquiétudes que le projet de loi vise à assurer la mobilité au sein de ce grand groupe public. Il s’agit d’ouvrir à chaque cheminot des perspectives de carrière, une découverte d’autres métiers, une progression, une formation aux métiers de demain. Il s’agit d’accompagner l’ambition collective du groupe public SNCF aussi bien que les aspirations légitimes de chacun de ses salariés.

Dernier point, nous aurons à garantir l’application du cadre de la régulation, notamment grâce à un régulateur extérieur, indépendant, renforcé, qui assurera l’accès au réseau dans des conditions transparentes.

Pour terminer mon propos, je tiens à dire que je suis conscient de mon rôle ; j’ai la responsabilité devant vous, non seulement de défendre notre héritage commun, celui de la grande histoire du ferroviaire, mais aussi de donner des perspectives partagées et de permettre que cette grande histoire du ferroviaire français puisse se poursuivre, s’amplifier.

Il y a, dans notre histoire, une symbolique très forte du ferroviaire : celle du progrès initiée dans la première moitié du dix-neuvième siècle. Mais nous ne sommes plus au temps des fondations ; incontestablement, pour le ferroviaire, l’heure est à une refondation, à l’aune du contexte européen, mondialisé, et de l’importance des nouveaux enjeux – mobilité nouvelle, engagement vers le transport durable, extension des liens d’échanges transfrontaliers.

Ne mettons pas notre système ferroviaire en dehors de son temps. Faisons face, au contraire, avec conviction et détermination, aux défis de l’avenir, et expliquons à ceux qui aujourd’hui n’ont pour seule vision qu’un modèle avec des règles uniques, souvent destructrices, que nous croyons que notre responsabilité, en France, est de dire qu’il existe une autre voie ; que nous ne nous soumettons pas à un modèle qui s’affranchit de la réalité, de notre histoire, mais que nous pouvons conjuguer compétitivité, réalité économique, filière industrielle, et offrir une autre voie au ferroviaire européen.

La France a été trop longtemps absente de ces enjeux ces dernières années ; elle retrouve désormais toute sa place. Ce message politique, je tiens à le défendre devant la représentation nationale.

Refonder, c’est redonner force, vigueur, vertu, mais aussi confiance, au service public, tout en s’inscrivant dans les pas des pionniers ; c’est continuer de tracer des perspectives de progrès et de justice qui sont l’identité même de la France. Telles sont les attentes de nos concitoyens et l’ambition du texte que j’ai l’honneur de vous présenter. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Michel Issindou. Très bon projet de loi !

M. le président. La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi portant réforme ferroviaire et rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF.

M. Gilles Savary, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je vais effectivement m’exprimer à ces deux titres. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, cher Frédéric Cuvillier, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur de la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, l’histoire de nos chemins de fer, depuis l’inauguration de la première ligne française Lyon - Saint-Étienne en 1833, a été marquée par un petit nombre de séquences, toutes commandées par des mutations profondes de nos sociétés.

Le rail est l’enfant naturel de la révolution industrielle des XVIIIe et XIXsiècles. Il est né avec le fret, pour l’approvisionnement des grandes manufactures industrielles, avant de devenir le vecteur épique de la conquête de l’ouest américain, mais aussi celui des grands empires coloniaux et de leurs liaisons aux comptoirs maritimes.

Dès la fin du XIXsiècle, puis pendant les trois premiers quarts du XXsiècle le chemin de fer a connu un âge d’or, inégalé depuis, avec le grand éveil de la mobilité des personnes : celle des soldats de la grande guerre d’abord, où il gagnera ses galons d’industrie stratégique, dont il nous reste aujourd’hui de tenaces frontières techniques, puis celle des ménages, à compter du Front populaire et de l’avènement des loisirs de masse avec les congés payés.

Entre le chemin de fer des origines, celui de la grande industrie, et le chemin de fer de la démocratisation de la mobilité, les pouvoirs publics ont déjà dû accompagner ces évolutions d’une grande réforme : celle de la nationalisation des multiples compagnies privées des origines par la loi du 31 août 1937. C’est ainsi que fut créée, sous statut de société d’État, la Société nationale des chemins de fer français, attributaire de l’ensemble des réseaux privés, intégrés en une unique entreprise ferroviaire.

L’après-guerre et la fin du XXsiècle ont été marqués à la fois par la progressive déprise de l’industrie lourde, le grand exode rural et son corollaire, la concentration urbaine, et par une augmentation du pouvoir d’achat des ménages, qui s’est traduite par une croissance progressive mais spectaculaire du taux d’équipement en automobile – 83 % des ménages aujourd’hui contre 21 % en 1953.

Ces évolutions lourdes de la société française ont peu à peu bouleversé les usages et les besoins de mobilité, dont la principale réponse ferroviaire a consisté en France à développer les performances techniques des trains de voyageurs, à travers notamment la très grande vitesse ferroviaire. Le rail bouleversait spectaculairement la carte des isochrones, la géographie des déplacements et les hiérarchies territoriales.

À compter des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la construction européenne, dont la liberté de circulation des biens et des personnes est l’un des grands principes, s’est employée à effacer progressivement les frontières par la disparition des postes frontières routiers, la libéralisation du trafic poids lourds, puis celle du trafic aérien.

Cette progressive construction de l’Europe des transports, inachevée à ce jour, notamment dans le secteur ferroviaire, qui y est techniquement le plus rebelle, s’est déployée à travers une série de directives européennes, suivie par les trois « paquets » législatifs successifs de 2001, 2004 et 2007, l’ultime devant être le quatrième paquet ferroviaire, en cours de discussion à Bruxelles.

Mais l’événement majeur de la période est, non pas l’ouverture européenne du rail, mais une mutation spectaculaire des mobilités, qui expose désormais le rail à des concurrences autrement redoutables que celle des compagnies ferroviaires entre elles : celle de la route triomphante d’abord, dont la part modale écrasante, 85 %, résiste de façon extrêmement robuste à toutes les incitations dans tous les pays du monde, celle de la voie d’eau, celle, redoutable, des compagnies aériennes low cost sur longue et moyenne distance, avec des prix et des coûts difficilement soutenables, et celle des nouveaux usages de mobilité, comme le covoiturage, qui déplace déjà chaque jour en France un demi-million de personnes.

Comme dans le secteur de l’énergie, il est probable que le XXIsiècle sera marqué par le recours à des bouquets de mobilités, sans autre exclusive pour le chemin de fer que le développement des trains cadencés d’agglomération, dont le succès des TER, depuis leur demi-régionalisation de 2002, préfigure probablement une tendance durable.

La France, en ayant trop longtemps obstinément campé sur des politiques modales séparées et découplées les unes des autres, n’a pas pris le virage de la mobilité moderne et de l’intermodalité.

Elle s’est par ailleurs montrée d’un zèle douteux en séparant totalement RFF de la SNCF par la loi du 13 février 1997, et en inventant l’extravagante procédure du gestionnaire d’infrastructure délégué, qui revient pour RFF à confier la gestion des circulations et de l’infrastructure à la SNCF, au prix d’un invraisemblable imbroglio de contrats et de facturations croisées, d’incohérences opérationnelles et de surcoûts de transaction et de coordination extravagants.

Par ailleurs, elle a fait le choix des records technologiques de prestige et de la très grande vitesse, aux dépens de son réseau historique, dont les audits en 2005 et 2012 de l’École polytechnique fédérale de Lausanne ont révélé au grand public un degré de vieillissement alarmant.

Le précédent gouvernement a tardé à prendre la mesure de cette situation. Il a certes augmenté le budget de l’État consacré à la remise en état du réseau, mais trop timidement pour en infléchir l’inéluctable dégradation. Il n’a eu conscience que très tardivement du naufrage dans lequel s’engageait notre système ferroviaire, si nous n’y réagissions pas.

À cet égard, la lucidité et l’exhaustivité du diagnostic des assises du ferroviaire, organisées de septembre à décembre 2011, en présence déjà de tous les partenaires sociaux, n’ont eu d’égale que leur absence totale de débouché politique.

Les assises ont permis de faire le constat de l’impasse d’un système qui s’endettait de 1,5 milliard d’euros supplémentaire par an, mais aussi de la nécessité du regroupement de RFF et SNCF ou encore de l’insoutenabilité financière du « tout TGV ». Sans suite.

L’équation ferroviaire dont a hérité le gouvernement Ayrault s’énonce en chiffres édifiants : plus de 40 milliards de dette, qui atteindront mécaniquement entre 60 et 80 milliards en 2025, en raison du financement des quatre « coups partis » du TGV. Cela représente aujourd’hui 1,7 milliard de remboursements annuels d’intérêts d’emprunts, et environ 3 milliards dans les années qui viennent.

La clientèle des TGV a constamment baissé depuis 2008 et l’on prévoit déjà 100 millions de déficit annuel dès l’ouverture de la future ligne Tours-Bordeaux en 2016.

Le fret ferroviaire est passé de 55 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 à 33 milliards aujourd’hui, malgré quatre plans de relance successifs et un déficit annuel de l’ordre de 300 millions pour Fret SNCF. Les trains d’équilibre du territoire ont un déficit de l’ordre de 300 millions d’euros par an.

Seuls les TER, au prix d’efforts considérables des régions – près de 6 milliards d’euros annuels –, connaissent un développement spectaculaire du trafic, mais avec un taux d’occupation de 29 % seulement. Ajoutons à cela une quasi-saturation du réseau d’Île-de-France et une dégradation continue de la qualité de service des lignes A et B du RER. On mesure à quel point l’héritage que vous avez reçu est empoisonné, monsieur le secrétaire d’État !

Pour faire face à cette situation, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et son ministre des transports, Frédéric Cuvillier, ont décidé de mettre en chantier la grande réforme dont notre système ferroviaire, le dernier à ne pas avoir été remanié en Europe, a désormais impérativement besoin. Frédéric Cuvillier en a présenté les orientations politiques essentielles lors de son discours à la Halle Freyssinet le 30 octobre 2012 et a précisé aujourd’hui les orientations de la réforme.

Par ailleurs, il s’est courageusement attaqué au délicat problème de la programmation des investissements en mettant en place la commission Mobilité 21, laquelle a été remarquablement animée par notre collègue Philippe Duron. Mais c’est au plan européen que Frédéric Cuvillier a obtenu le succès le plus remarquable, parce que le plus improbable, face à la préférence entêtée et idéologique de la Commission européenne pour une « dé-intégration » et un démantèlement des compagnies historiques au profit d’un modèle séparé dont la France venait d’épuiser les charmes après plus de quinze ans d’exercice.

En effet, tous les grands réseaux du monde – celui du Japon, de l’Allemagne, de la Suisse, le fret américain – qui font aujourd’hui référence sont des réseaux intégrés. Ce n’est qu’après une rude partie de bras de fer avec la Commission européenne et grâce à un axe franco-allemand solide que Frédéric Cuvillier a réussi à infléchir sa position…

M. Michel Issindou. Il a bien travaillé !

M. Gilles Savary, rapporteur. …t à lui faire accepter des groupes ferroviaires intégrés que l’on nomme, dans le jargon du quatrième paquet ferroviaire, les entreprises verticalement intégrées.

M. Michel Issindou. Cela peut marcher !

M. Gilles Savary, rapporteur. Ce qui est ainsi proposé est donc eurocompatible grâce au volontarisme politique de Frédéric Cuvillier et de son collègue Ramsauer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

La réforme ferroviaire qui nous est présentée comporte trois grands volets. Il y aura, premier axe, la reconstitution d’un groupe public unifié au sein d’une holding publique SNCF, comportant deux grandes filiales : SNCF Réseau qui regroupe tous les métiers de l’infrastructure, et SNCF Mobilités qui conserve tous les métiers des services ferroviaires ainsi que les technocentres. Deuxième axe, une règle d’assainissement financier de SNCF Réseau sera établie pour éviter, à compter de 2020 et des nouveaux projets de LGV, de tricoter une nouvelle pelote de dettes.

Cette règle prudentielle a été considérablement renforcée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et j’en remercie mes collègues, sur la base du principe selon lequel SNCF Réseau sera systématiquement relayé par l’État ou les collectivités locales s’agissant du financement des investissements découlant de choix politiques susceptibles de peser indûment sur les finances du système ferroviaire, donc d’empêcher ses développements ou simplement, comme ces dernières années, le maintien, l’entretien, la maintenance et la régénération du réseau.

Enfin, le troisième axe de la réforme consiste à poser les bases juridiques de la négociation paritaire d’une convention collective de branche. Le statut des cheminots est préservé, les recrutements également, mais il s’agit de prévenir tout risque de dumping social, comme celui que l’on observe sur la route, soit par les nouveaux entrants, qui sont déjà une trentaine en France, soit par les 950 filiales de droit privé que compte le groupe SNCF lui-même.

D’ores et déjà, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie au fond, a très significativement amélioré le texte proposé le 16 octobre 2013 par le Gouvernement en réaffirmant le rôle et les prérogatives de l’État stratège dans la définition et le pilotage de la politique des transports et en confortant le pouvoir de contrôle du Parlement ; en consolidant les missions de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires en matière de surveillance économique et de règlement des conflits d’accès à l’infrastructure et, surtout, d’avis conforme sur les tarifs ; en reformatant le Haut comité du ferroviaire, proposé et présidé par le ministre des transports, en conseil stratégique et législatif composé de toutes les parties prenantes au système ferroviaire ; en instaurant un Comité des opérateurs du réseau auprès de SNCF Réseau pour élaborer une charte du réseau, véritable code des droits et devoirs des uns et des autres sur le réseau : régions, entreprises ferroviaires, candidats autorisés, opérateurs de fret de proximité, concessionnaires de lignes nouvelles ; en précisant et en renforçant la règle prudentielle de financement, comme je l’ai précédemment évoqué ; en précisant les compétences et les missions de l’EPIC de tête pour consolider l’effet de groupe.

Nous avons, oui, pris ce parti : nous voulons garder un groupe industriel puissant, monsieur Bussereau ! Nous ne voulons pas d’une industrie démantelée, écartelée et séparée.

M. Dominique Bussereau. Vous démantelez !

M. Gilles Savary, rapporteur. Nos nouveaux concurrents sont des groupes géants et nous serons encore trop petits quand les Chinois ou les Coréens viendront chez nous ! Nous avons donc fait ce choix, lequel est non seulement eurocompatible,…

M. Dominique Bussereau. Non !

M. Gilles Savary, rapporteur. …mais est également un parti industriel, le même que celui de l’Allemagne – la Deutsche Bahn – qui, aujourd’hui, domine l’Europe.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Remarquable !

M. Laurent Furst. Avec des coûts inférieurs !

M. Gilles Savary, rapporteur. Mes chers collègues, j’ai entendu comme vous les attentes qui s’expriment par une grève des personnels de la SNCF depuis désormais une semaine, et ce à l’appel de deux syndicats. Quoi que l’on pense des motifs et des mots d’ordre qui ont mobilisé jusqu’à 27 % des salariés de la SNCF, toute grève est symptomatique. Il faut entendre les inquiétudes et la peur de l’avenir des cheminots. Ils n’ignorent rien de la situation financière de notre système ferroviaire, de l’état du réseau, des concurrences et des succès implacables de la route et de l’aérien, de l’impasse du tout TGV, de la nécessité de négocier une convention collective non seulement pour éviter une concurrence sociale déloyale, mais aussi pour se prémunir des filiales concurrentes du groupe SNCF.

Mais c’est précisément pour y apporter des garde-fous et pour remettre notre système ferroviaire en état d’affronter sereinement l’avenir, dans un environnement profondément bouleversé, que cette réforme a une raison d’être. Je ne suis pas personnellement un fétichiste de la réforme. L’absence d’une réforme n’en fait cependant pas disparaître la nécessité. Elle se traduit alors le plus souvent par des adaptations chaotiques, désordonnées, infiniment plus violentes qu’une réforme en bon ordre. L’alternative se situe entre la mesure de la réforme et la brutalité du darwinisme.

En tout cas, mes chers collègues, j’ai personnellement la conviction que toute tentation de renoncement à cette réforme laisserait notre système ferroviaire comme un bateau ivre, sans cap, ni gouvernail et constituerait une occasion perdue pour la France, pour le rail et pour nos cheminots. Cette loi n’est pas qu’une loi de gouvernance. Elle est une loi de réunification de notre entreprise ferroviaire au sein d’un groupe de service public. C’est une loi de rationalisation des choix d’investissement et d’assainissement financier progressif de trois EPIC et, en particulier, de RFF. C’est, enfin, une loi de protection des travailleurs du rail, afin de prévenir le dumping social que l’on observe sur la route !

J’ai entendu de toutes parts, à droite comme à gauche, des demandes de retrait de cette réforme pour gagner du temps, pour les uns, comme pour les autres, mais sans doute avec des intentions contraires, pour en rester à la structure séparée d’aujourd’hui, pour s’exposer sans peser au quatrième paquet ferroviaire européen, pour continuer à gonfler la dette sans réagir, pour laisser s’installer une jungle sociale autour d’un statut à la dérive. Cette option serait celle de la fuite, de l’abandon, d’une inacceptable régression.

Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de vous remercier pour votre fermeté pendant ces jours difficiles, mais aussi pour votre sens du dialogue, car je sais que vous avez toujours été disponible. Permettez-moi également de remercier ici les commissaires de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, quels que soient leurs bancs, qui travaillent sur ce texte depuis plusieurs mois et l’ont déjà profondément amendé. C’est à l’honneur de notre assemblée. J’aborde nos débats avec un sens aigu de la responsabilité qui nous incombe et une grande confiance dans notre capacité collective à apporter une pierre décisive à l’avenir de nos chemins de fer. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

(M. Denis Baupin remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, cher Frédéric Cuvillier, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, cher Gilles Savary, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui deux textes : non pas seulement le projet de loi portant réforme ferroviaire, mais aussi une proposition de loi organique présentée par MM. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable, Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois et Gilles Savary, rapporteur.

Cette proposition de loi organique vise à tirer les conséquences de la future réforme ferroviaire sur le contrôle qu’exerce le Parlement sur la nomination des dirigeants de la SNCF. Plus précisément, elle tend à définir les fonctions qui, au sein du nouveau groupe public ferroviaire, feront l’objet de la procédure d’avis public des commissions parlementaires, préalable aux nominations par le Président de la République. Cette procédure, comme vous le savez, chers collègues, est prévue par l’article 13, alinéa 5, de la Constitution.

Elle donne compétence au législateur organique pour déterminer « les emplois ou fonctions [… ] pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée ». C’est actuellement la loi organique du 23 juillet 2010 qui fixe la liste de la cinquantaine de fonctions concernées par cette procédure.

Le Gouvernement n’a pas pris lui-même l’initiative de déposer un projet de loi organique, en plus du projet de loi ordinaire portant réforme ferroviaire. Faut-il s’en étonner ? Déjà, en 2012, une proposition de loi émanant des présidents des commissions avait fixé les modalités de nomination du directeur général de la BPI. L’Assemblée est-elle en train de créer une nouvelle forme d’examen de la loi organique ? L’initiative parlementaire nous permet de régler la nécessaire adaptation de la loi organique aux conséquences de la loi adoptée. Sur le fond, je ne vous rappellerai pas le contenu même de la réforme ferroviaire, qui vient d’être largement présenté tant par M. le secrétaire d’État que par M. Gilles Savary.

Toutefois, pour comprendre la façon dont le Parlement sera associé à la nomination des dirigeants de la future SNCF, je me bornerai à rappeler que le nouveau groupe ferroviaire sera composé de trois établissements publics industriels et commerciaux : un gestionnaire d’infrastructure qui sera désormais unifié, dénommé SNCF Réseau, prenant la suite de Réseau ferré de France ;…

M. Dominique Bussereau. C’est une erreur !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. …une SNCF rebaptisée SNCF Mobilités, recentrée sur ses seules activités de transport ; enfin, un établissement « de tête », dénommé SNCF, chargé d’assurer le contrôle et le pilotage stratégiques du nouveau groupe public.

Ce troisième établissement – la SNCF – sera gouverné par un directoire de deux membres et un conseil de surveillance. Les deux membres du directoire seront nommés par décret du Président de la République, sur proposition du conseil de surveillance. Ils seront placés de plein droit à la tête des deux autres établissements. Autrement dit le président du directoire de la SNCF sera aussi le président du conseil d’administration de SNCF Mobilités et le vice-président du directoire de la SNCF sera également le président du conseil d’administration de SNCF Réseau. C’est clair et cela fournit un puissant instrument décisionnel.

M. Michel Issindou. Exactement !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Le président du conseil de surveillance de la SNCF sera, quant à lui, nommé par décret du Président de la République, parmi les membres et sur proposition de ce conseil. Sa fonction sera éminemment importante, puisqu’il pourra avoir un rôle de départiteur en cas de divergence entre les deux membres du directoire : il pourra, en quelque sorte, gérer une éventuelle confusion et assurer la cohérence de leurs engagements.

Ce sont ces trois personnalités – le président du conseil de surveillance et les deux membres du directoire – que la proposition de loi organique vise à soumettre à la procédure d’audition et d’avis public prévue à l’article 13 de la Constitution. Au premier abord, on pourrait être surpris que trois fonctions à la tête d’un même organisme soient concernées. En effet, comme vous le savez, pour chaque organisme entrant aujourd’hui dans le champ du dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, seule une fonction – celle de président, de président-directeur général ou autre – fait l’objet de la procédure de contrôle par les commissions parlementaires. Il suffit de lire le tableau figurant dans la loi organique du 23 juillet 2010 pour en faire le constat.

Mais la création d’un groupe de trois établissements publics ayant elle-même un caractère inédit, il n’est pas étonnant que le législateur organique soit conduit à innover pour s’adapter à cette nouvelle gouvernance. Plus précisément, le choix opéré dans cette proposition de loi organique se justifie par le fait que, de plein droit, le président du directoire de la SNCF sera le président de SNCF Mobilités, tandis que le vice-président sera à la tête de SNCF Réseau.

En conséquence, de ce point de vue, les dispositions organiques proposées n’aboutissent finalement qu’à faire perdurer, mutatis mutandis, le dispositif actuel d’avis parlementaire portant sur les nominations à la présidence de la SNCF et à celle de Réseau ferré de France qui sont supprimées. Une nouveauté importante doit par ailleurs être signalée : l’Autorité de régulation des activités ferroviaires – ARAF – devra donner un avis conforme sur la nomination à la vice-présidence du directoire de la SNCF et donc à la présidence de SNCF Réseau.

Cela ne pose aucune difficulté juridique. Une telle coexistence entre avis conforme d’une autorité administrative indépendante et avis des commissions parlementaires a déjà été admise par le Conseil constitutionnel en 2009 à propos des nominations à la tête des sociétés de l’audiovisuel public, dans le système antérieur à la réforme de 2013. Il s’agissait alors du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Autre élément de cette proposition de loi organique pouvant paraître inhabituel, l’avis préalable des commissions parlementaires porterait non pas seulement sur les deux membres du directoire, mais aussi sur le président du conseil de surveillance de la nouvelle SNCF. Or, actuellement, pour les entreprises publiques dont les dirigeants sont soumis à la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, seuls des présidents de conseil d’administration ou de directoire font l’objet d’un avis public des commissions parlementaires.

Là encore, cette particularité se justifie parfaitement. D’une part, c’est au conseil de surveillance de la SNCF qu’il appartiendra de prendre toutes les grandes orientations stratégiques, économiques, sociales et techniques du futur groupe ferroviaire. D’autre part, le président du conseil de surveillance aura, je l’ai indiqué, un rôle de départiteur entre les deux membres du directoire. Si le Parlement doit donner son avis sur la nomination des membres du directoire, il est donc nécessaire et légitime qu’il se prononce aussi sur la nomination de celui qui, en cas de désaccord au sein du directoire, devra trancher in fine. De ce point de vue, le président du conseil de surveillance apparaît de facto comme une sorte de troisième membre du directoire.

Pour terminer, je précise que c’est au législateur ordinaire qu’il revient de préciser quelles sont les commissions parlementaires compétentes pour se prononcer sur les futures nominations à la tête de la SNCF. Il n’y aura guère d’hésitation : ce sont les commissions du développement durable de l’Assemblée et du Sénat, dès lors qu’elles sont compétentes en matière de transports, qui auditionneront les personnalités pressenties et voteront sur ces nominations. Un amendement en ce sens, présenté par Gilles Savary, a été adopté par la commission du développement durable, c’est l’actuel article 9 bis du projet de loi.

En conclusion, mes chers collègues, je vous demande donc, à l’instar de notre commission des lois, d’adopter cette proposition de loi organique, qui, accompagnant la loi ordinaire, permettra de conforter la fonction de contrôle de nos assemblées parlementaires sur ce dispositif. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Faure, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, sur le projet de loi portant réforme ferroviaire.

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de la réforme qui nous occupe aujourd’hui se déroule dans un contexte social particulier, celui d’un mouvement à la SNCF qui entre dans sa deuxième semaine. Au-delà de ces murs, il est nécessaire de nous faire entendre de nos concitoyens, qui s’interrogent sur le sens d’une grève et donc sur le sens de ce projet.

Quel est le sens de cette réforme ? Il s’agit d’abord revenir sur la loi Pons de 1997, qui fut conçue pour cantonner la dette ferroviaire hors des comptes de l’État mais qui a accompli cet exploit de ne réussir ni à contenir la dette ni à donner au système ferroviaire français les moyens de répondre à ses besoins.

Le résultat, c’est, au plan financier, un déficit annuel moyen de 1,5 milliard d’euros et une dette de plus de 40 milliards.

Le résultat, c’est, au plan opérationnel, un gestionnaire d’infrastructures indépendant, RFF, qui délègue ses attributions à un gestionnaire d’infrastructures délégué, SNCF Infra, qui lui refacture ses services ; en retour, RFF se finance en facturant des péages à la SNCF. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…

Le résultat, ce sont des doublons, des concurrences, voire des conflits entre deux entités qui cogèrent les infrastructures, des coûts inutiles de transaction, des retards dans les projets, des procédures indéchiffrables pour les autorités organisatrices de transport, un morcellement des responsabilités, qui conduit à prévoir l’achat de trains ne correspondant pas forcément aux quais.

Aujourd’hui, c’est vrai, tout le monde semble partager la nécessité de refonder ce système proprement kafkaïen. Dix-sept ans plus tard, il n’y a plus dans cet hémicycle, même à droite, de défenseur de la loi Pons. Mais ce serait trop simple si, à partir d’un constat commun, nous défendions tous la même réforme pour sauver notre système ferroviaire.

À l’UMP, le remède préconisé est connu, puisqu’il est proposé de l’administrer indifféremment à tous les maux. La pharmacopée de l’UMP, sans mauvais jeu de mots, se limite à une seule potion magique : l’ouverture à la concurrence. Ainsi, le projet qui nous est soumis serait une occasion manquée d’aller au bout de la logique concurrentielle. Pour cela, il suffirait de se limiter à réunifier la gestion de l’infrastructure. Le parti qui vient de réhabiliter le triumvirat nous dit qu’un directoire à deux est une erreur. La création d’un EPIC de tête serait une faute parce que la reconstitution d’un groupe public fort est contraire aux dogmes libéraux.

Pourtant, au même moment, à propos du même projet de loi, des mêmes articles, les cheminots grévistes croient au contraire pouvoir déceler l’organisation d’une vente à la découpe du système ferroviaire.

La confusion atteint son paroxysme lorsque, d’une même voix, Sud Rail, la CGT, et l’UMP, par l’intermédiaire de son nouveau secrétaire général, Luc Chatel, exigent le retrait du projet, mais pour des raisons diamétralement opposées.

M. Dominique Bussereau. Absolument !

M. Michel Issindou. Que d’erreurs !

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. Cette improbable coalition, c’est celle qui, depuis trop longtemps, conduit à l’immobilisme.

M. Laurent Furst. Cela va faire plaisir à la CGT !

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. La solution la plus simple, monsieur le secrétaire d’État, c’eût été de faire comme vos prédécesseurs, c’est-à-dire rien. La position est confortable, elle peut même être populaire. Il suffit de laisser se creuser les déficits et de regarder ailleurs. La dette, ce sera pour les suivants, ou peut-être même les suivants des suivants.

Cet immobilisme, c’est celui qui conduit irrémédiablement au pire, c’est-à-dire au démantèlement de notre système de transports publics, qui est une composante à part entière du modèle social français.

Je sais que, de la gauche de cet hémicycle, on me répondra dans quelques instants que la réforme est nécessaire, mais pas celle-là, que trois EPIC, même 100 % publics, cela ne vaut pas un seul et unique EPIC.

La vérité, et le président Chassaigne le sait mieux que quiconque, c’est que cette réforme est le fruit d’un patient travail de dix-huit mois au cours desquels tout a été mis sur la table pour reconstituer un grand groupe public en veillant à l’eurocompatibilité du projet. La vérité, c’est qu’ajourner la discussion de ce texte nous conduirait à attendre l’adoption du quatrième paquet ferroviaire au Parlement européen et à prendre le risque de nous voir imposer des contraintes qui n’existent pas aujourd’hui. La vérité, c’est qu’en adoptant ce projet maintenant, nous serons le mètre-étalon et que, si nous remettons à plus tard, nous passerons sous une toise qui nous interdira peut-être la reconstitution d’un grand groupe public.

On me dira encore que ce projet est fragile parce qu’il suffira que, demain, l’alternance joue – et elle interviendra forcément un jour, même si le plus tard sera le mieux – pour que le nouveau pouvoir se contente de supprimer l’EPIC de tête pour démanteler le nouveau groupe.

M. Dominique Bussereau. Exactement !

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. Outre le fait qu’il n’est aucune loi qu’une autre loi ne puisse défaire, cette hypothèse de décapitation de l’EPIC de tête n’est pas la plus vraisemblable, d’abord, parce que, avec Gilles Savary, Rémi Pauvros et l’ensemble du groupe socialiste, nous souhaitons avancer par nos amendements dans la voie d’une harmonisation du cadre social qui renforcera l’intégration du groupe, ensuite, parce que les flux financiers qui proviendront de la future SNCF Mobilités pour alimenter la future SNCF Réseau nécessitent le maintien d’une EPIC mère coiffant les deux EPIC filles. Qui pourrait y renoncer ?

M. Dominique Bussereau. Nous changerons la loi, nous n’y renoncerons pas !

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. Je suis convaincu que, si nous faisons front commun pour que cette réforme aboutisse, puis soit mise en œuvre loyalement, nous aurons créé les conditions du redressement d’un système aujourd’hui à bout de souffle.

Les réformes structurelles, chacun les appelle de ses vœux, mais, lorsque nous passons aux travaux pratiques, lorsqu’il faut faire preuve d’innovation pour dépasser l’existant, les soutiens s’étiolent.

Ce projet n’est pas une baguette magique, il n’en existe pas, mais il répond au besoin de stabiliser la dette, comme à la nécessité d’établir une nouvelle gouvernance, en reconstituant un grand groupe public, tout en anticipant l’ouverture après 2020 de l’ouverture du marché voyageurs à la concurrence.

C’est beaucoup, ce n’est sans doute pas encore assez, et nos débats doivent permettre de progresser encore, en renforçant la règle d’or, c’est-à-dire en mettant fin à la facilité qui a conduit à lancer des projets de nouvelles lignes sans financements assurés, et en traitant le stock de dette, au-delà de la stabilisation des déficits.

Sur le premier point, il n’a échappé à personne que la règle d’or qui existe depuis 1997 n’a pas empêché la dette de RFF de croître. Le biais est toujours le même. Une ligne nouvelle est envisagée. Les prévisions de trafic et donc de péages futurs sont surévaluées, ce qui amène RFF à accepter des investissements supérieurs à ce qui correspond à un strict amortissement et, au final, la dérive financière s’accentue. Pour éviter cela, des amendements de la commission saisie au fond, dont je salue le travail, ont considérablement renforcé la règle d’or.

Enfin, il faut traiter le stock de dette, qui finira à terme par être requalifié en dette publique si on ne fait rien. Je souhaite l’ouverture d’un débat visant à la création d’une caisse d’amortissement qui pourrait en porter tout ou partie et pour laquelle il serait prévu un financement pérenne à l’image de la CADES pour la dette sociale. La création d’une telle caisse aurait en outre l’avantage de faire baisser les charges financières supportées par le gestionnaire d’infrastructures – 1,3 milliard d’euros – et permettrait de ce fait d’arriver réellement à l’équilibre financier du système.

Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, ce qui se joue aujourd’hui, c’est tout simplement l’avenir du système ferroviaire français, l’avenir du système public des transports. Vous savez que nous sommes à vos côtés pour servir cette grande et belle ambition. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, en qualité de président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie au fond, je me félicite que s’ouvrent enfin aujourd’hui les débats sur le projet de loi portant réforme ferroviaire. L’examen de ce texte déposé par le Gouvernement le 16 octobre 2013 a été en effet différé à plusieurs reprises pour de multiples raisons. Je souhaite que la procédure parlementaire puisse s’achever d’ici à la fin de la session extraordinaire annoncée pour juillet.

Nos débats en commission ont traité de questions essentielles pour l’avenir du système ferroviaire de notre pays. Elles ont été parfaitement et complètement exposées par notre rapporteur Gilles Savary, dont nous avons tous noté qu’il maîtrise parfaitement le dossier.

M. Dominique Bussereau. Tout à fait !

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. En des termes peut-être un peu différents de ceux qu’il a utilisés, je souhaiterais revenir sur ces questions, sur ces interrogations. Comment préparons-nous le système ferroviaire de notre pays aux enjeux de la prochaine décennie afin qu’il s’adapte aux préconisations du quatrième paquet ferroviaire de l’Union européenne ? Voulons-nous mettre fin à la dérive que connaît aujourd’hui le fret ferroviaire de marchandises ? Acceptons-nous de reconnaître que la réforme de 1997 n’a pas abouti aux résultats escomptés et que la répartition des compétences entre SNCF et RFF a au contraire engendré des dysfonctionnements, voire des effets pervers de gouvernance ? Allons-nous refuser au système ferroviaire les moyens lui permettant de faire face au défi de son financement et de la gestion de sa dette ? Sommes-nous prêts à renforcer les compétences de l’autorité de régulation, l’ARAF, et à la doter de tous les moyens juridiques et humains pour remplir ses missions essentielles, sans toutefois la transformer en une autorité qui priverait l’État de ses prérogatives, par exemple mais pas seulement en situation de crise, et de son rôle de stratège du système ferroviaire ? Souhaitons-nous clarifier le rôle et les missions des régions en tant qu’autorités organisatrices de transports dans la mesure où la part qu’elles consacrent au financement des transports est croissante ?

C’est bien dans ce cadre que le projet de loi vise, d’un côté, à réunifier les métiers directement liés aux infrastructures ferroviaires en créant un gestionnaire d’infrastructures unifié, la future SNCF Réseau et, de l’autre côté, à créer un groupe public intégré avec à sa tête un EPIC mère de deux autres EPIC, SNCF Réseau, propriétaire de l’infrastructure, et SNCF Mobilités, opérateur de transport.

Le texte présenté par le Gouvernement est ambitieux. Il est nécessaire sur un double plan, national et européen. Nos travaux en commission ont soutenu et accentué cette ambition et nous avons souvent suivi les propositions de notre rapporteur pour les conforter et prolonger les dispositions initiales, et c’est à une grande majorité que ce projet de loi a été adopté.

Toutes les interrogations soulevées lors de nos débats en commission, tant par Gilles Savary que par d’autres commissaires, n’ont pas trouvé de réponse. Je souhaite d’autant plus que l’examen en séance publique de ce texte soit l’occasion de le compléter et de le renforcer.

Je dirai également un mot sur la proposition de loi organique que j’ai déposée avec Jean-Jacques Urvoas et Gilles Savary sur la nomination des dirigeants de la SNCF.

L’ensemble de trois entités, juridiquement et économiquement coordonnées, que crée le projet de loi viendra remplacer les deux établissements publics industriels et commerciaux actuels. Les travaux préparatoires de notre rapporteur ont permis de relever une lacune dans le projet gouvernemental, qui n’a pas pris en compte le mécanisme institué par l’article 13 de la Constitution et ses textes d’application pour la nomination des dirigeants de la Société nationale des chemins de fer français et de Réseau ferré de France. Ainsi, la réforme aboutirait à la disparition du contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants du nouvel ensemble.

Enfin, afin que les commissions compétentes en matière de transport, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, conservent leurs prérogatives au regard des trois établissements publics issus de la réforme, il convient de modifier non seulement la loi du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, mais également la loi organique du même jour, qui fixe la liste des emplois ou des fonctions concernés.

La modification de la loi organique suppose une procédure particulière, d’où le dépôt d’un second texte et la saisine au fond de la commission des lois. La proposition de loi organique vise à coordonner le droit existant avec les ambitions de la réforme ferroviaire. Elle prend en compte le mécanisme selon lequel « la nomination en qualité de président du directoire emporte nomination au sein du conseil d’administration de SNCF Mobilités et désignation en qualité de président de ce conseil d’administration », tandis que « la nomination en qualité de vice-président du directoire emporte nomination au sein du conseil d’administration de SNCF Réseau et désignation en qualité de président de ce conseil d’administration ». Elle tire également les conséquences de la nouvelle architecture, qui institue un conseil de surveillance de la SNCF et qui dote son président de pouvoirs exécutifs. Un contrôle parlementaire de sa nomination nous est donc apparu cohérent.

Tels sont les raisons pour lesquelles, à mon tour, je demande à l’Assemblée d’adopter ces deux textes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Motion de rejet préalable (projet de loi)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement sur le projet de loi portant réforme ferroviaire.

La parole est à M. Dominique Bussereau.

M. Dominique Bussereau. Je voudrais tout d’abord m’adresser à M. le secrétaire d’État Frédéric Cuvillier, pour lequel j’ai beaucoup de sympathie car je connais la difficulté de sa tâche, et lui dire que j’ai apprécié qu’il soit soutenu par son Premier ministre à un moment difficile ; cela a dû lui donner un peu plus de cœur à l’ouvrage.

Mes collègues de la commission du développement durable – je siège pour ma part à la commission des lois – ont par ailleurs beaucoup apprécié le travail de Gilles Savary, que je tiens à remercier à nouveau pour le travail qu’il a fait au Parlement européen. J’ai en effet eu l’occasion, lorsque j’étais aux affaires, de pouvoir m’appuyer sur lui. Il œuvrait alors avec d’autant plus de talent qu’il venait soutenir les positions d’un gouvernement que par ailleurs il ne soutenait pas, et ce, au nom de l’intérêt du pays.

J’en viens au cœur du sujet, en commençant par la grève qui navre les Français et qui s’accompagne d’un cortège de réactions brutales et de violences, comme ce fut le cas tout à l’heure autour du Palais Bourbon et sur les voies de la gare Montparnasse, ou encore avec ce train circulant entre Paris et Laon dont le système de freinage a été saboté. Cette grève, naturellement, pénalise les Français les plus modestes, car ceux qui disposent d’un chauffeur ou qui ont les moyens de circuler convenablement ne sont pas touchés. En général, la grève gêne ceux qui n’ont pas d’autres moyens de se déplacer que les transports publics – le TER, le Transilien –, et constitue un moment extrêmement difficile pour les plus modestes de notre société, ou pour les élèves, lycéens et étudiants.

Le président de la SNCF Guillaume Pepy a d’ores et déjà donné des éléments quant au coût de cette grève. J’espère que vous pourrez préciser au cours de la discussion de ce texte le coût estimé de cette grève, monsieur le secrétaire d’État, et la façon dont il sera supporté par la SNCF, dont la situation n’est pas si brillante. Les dividendes de la société, contrairement à ce que pense Olivier Faure, sont fort modestes et nul doute que, pour l’exercice en cours, le coût de cette grève les a déjà fortement entamés.

Monsieur le secrétaire d’État, j’espère qu’au cours de la discussion vous n’offrirez pas de cadeaux aux mauvais joueurs syndicaux. J’ai entendu parler d’un comité central unique, ce qui serait naturellement censuré par le Conseil constitutionnel du fait de la nature même de ce texte. J’espère que les concessions que vous avez dû habilement préparer – je fais confiance pour cela à votre sens politique – ne tendront pas à dénaturer un texte que nous aurions alors encore plus à cœur de combattre.

Cette réforme restera certainement dans les annales des universités politiques d’été – je pense à celle qui se tient dans mon beau département, à La Rochelle – ou des écoles de journalisme comme ce qu’un gouvernement ne devrait pas faire : le texte devait faire plaisir à la gauche de la gauche syndicale, et il l’a immédiatement mise dans la rue et sur les rails. C’est un cas politique intéressant.

J’ai vécu des grèves comme vous, douloureusement – ce sont des moments difficiles pour un ministre –, mais cela valait la peine, car il s’agissait de mettre en place le service minimum, une mesure importante et qui changeait la nature des choses. En l’occurrence, la grève actuelle a été déclenchée contre un texte qui aurait dû enthousiasmer M. Lepaon, le secrétaire général de la CGT. On a même vu ressortir M. Le Reste de sa retraite pour venir s’exprimer ce matin sur les ondes d’Europe 1. C’est un cas unique dans la vie publique : vous faites une réforme pour leur faire plaisir, ils se mettent en grève pour la combattre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Yves Albarello. Il n’y a que les socialistes pour faire cela !

M. Dominique Bussereau. Ce fait étonnant s’ajoute au malheureux rapport de notre collègue Philippe Duron,…

M. Pascal Deguilhem. Un excellent rapport !

M. Dominique Bussereau. …grand spécialiste des questions d’aménagement du territoire, qui développe une conception décliniste et prône un retour en arrière sur les grands investissements et les grandes infrastructures. Ce sont pourtant des éléments clés de l’attractivité du pays, un thème d’ailleurs mis en avant par le Premier ministre. Le rapport Duron retarde ainsi tous les projets. D’ailleurs, même sans cela, puisqu’il n’y a pas d’écotaxe, il n’y aura de toute façon pas de quoi les financer.

À présent, vous proposez un texte complètement antieuropéen ; vous verrez comme la Cour de justice de l’Union européenne va se régaler, comme la DG MOVE, la direction générale Mobilité et transports de la Commission européenne, que Gilles Savary, vous, monsieur le secrétaire d’État, et moi-même connaissons bien, et son futur commissaire vont se régaler, puisque M. Kallas, avec lequel j’ai moi aussi eu le plaisir de travailler, quitte malheureusement son poste.

Ce texte est également totalement anticoncurrentiel. Gilles Savary citait tout à l’heure à juste titre les mauvais chiffres du fret. Permettez-moi de vous dire que si la concurrence n’avait pas été instaurée en France sur le fret, la baisse du trafic fret aurait été encore plus importante.

M. Nicolas Sansu. Elle a été divisée par deux ! Quel joli résultat !

M. André Chassaigne. Incroyable !

M. Dominique Bussereau. Heureusement qu’il y a les opérateurs privés et les opérateurs ferroviaires de proximité, notamment les filiales de la SNCF, pour faire 30 % du fret ! Si la concurrence ne leur avait pas permis de faire du fret ferroviaire, celui-ci aurait été divisé non pas par deux, mais par trois ou quatre.

M. Nicolas Sansu. Oui, bien sûr !

M. Dominique Bussereau. La concurrence a donc permis de limiter cette baisse, malgré le fait que la SNCF ait tout fait pour saboter le travail des opérateurs ferroviaires privés, en particulier les opérateurs de proximité ; j’y reviendrai dans un instant.

Nous avons cinq raisons de nous opposer à ce texte, raisons que mes collègues Martial Saddier, Antoine Herth et d’autres développeront au cours de ce débat : l’établissement public industriel et commercial de tête ; en dépit des amendements de Gilles Savary, le rôle de l’ARAF, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires ; ce que vous faites, ou plutôt ne faites pas pour les gares et régions ; le décret socle ; votre acception de la dette.

Premièrement, s’agissant de l’EPIC de tête, dont les missions et les pouvoirs ne sont pas précisément définis – il devait au départ réunir 100 personnes, aujourd’hui il est question de 10 000 personnes, à la fin du débat ce sera probablement 20 000 ou 30 000 –, il est anticoncurrentiel, anticonstitutionnel, antieuropéen. Cette entité consiste à mettre sous tutelle de la SNCF le gestionnaire de réseau. Quelle est la répartition des rôles entre les EPIC ? Quelles sont les fonctions communes ? Quelles sont les relations entre ces différents établissements ? Rien de cela n’est clair. Du fait de l’imprécision de ses missions, la création de cet EPIC de tête empêche toute clarification. Et s’il est prévu un directoire à deux têtes, on sait où sera la tête et où seront les jambes, ce qui ne nous rassure pas sur son avenir.

Cet EPIC de tête nous apparaît nuisible, monsieur le secrétaire d’État. Examinons ce que cela donnerait dans le transport aérien, un secteur qui est également sous votre responsabilité. Air France serait le propriétaire, unique actionnaire et décideur d’ADP, Aéroports de Paris, et aurait en outre sous sa coupe la direction des services de la navigation aérienne, qui elle-même dépend de la DGAC, la Direction générale de l’aviation civile. Dans ces conditions, le trafic à Orly et à Roissy serait diminué par deux et tout ce qui a contribué à démocratiser le transport aérien en en faisant baisser le prix – les Ryan Air, Easyjet, Emirates, Lufthansa, Swiss, etc. – n’existerait pas.

On voit déjà comment, au sein du corps qui donne les créneaux, la compagnie majeure de notre pays, magnifique compagnie, essaie toujours d’empêcher certaines compagnies d’obtenir des créneaux d’atterrissage ou de décollage dans les aéroports. On voit comment elle essaie d’empêcher Emirates, entre autres, de venir. Il est compliqué pour le ministre de gérer cette situation, dans la mesure où Airbus vend des avions à Emirates ou à Qatar Airways. Si la même règle que celle que vous voulez appliquer dans le ferroviaire s’était appliquée dans l’aérien, le transport aérien français ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, et la compagnie Air France n’aurait pas connu le même développement.

M. Alain Gest. Belle analyse !

M. Dominique Bussereau. Vous nous dites que le dispositif du texte est européen. Or, je vois bien que la SNCF ne cesse d’envoyer des plaintes contre la DB – la Deutsche Bahn. Vous avez évoqué M. Ramsauer, ancien ministre allemand des transports. Sachez toutefois que le rapprochement entre M. Pepy et M. Grube est assez conjoncturel. C’est le rapprochement opportuniste de deux conservatismes qui s’étaient battus comme des chiens pendant des années, la DB et la SNCF étant les deux principaux opérateurs ferroviaires en Europe. Ils ne se sont rassemblés que par conservatisme, pour sauvegarder les systèmes français et allemand, deux mammouths ferroviaires en Europe appelés à disparaître sous la pression des directives européennes du quatrième paquet ferroviaire et des autres opérateurs européens.

Par ailleurs, l’Allemagne, elle, a su ouvrir son réseau dans ses länder, ce qui a permis à la SNCF et à Keolis, ainsi qu’à Véolia puis à Transdev, même s’il se retire du marché allemand, de faire de très bonnes affaires sur le réseau allemand.

Tout cela permettra-t-il de faire des économies ? Il est peut-être possible de mettre en place une meilleure politique d’achats communs. Cependant, RFF avait pour effet de booster la SNCF. La présence, à côté de la SNCF, d’une autre expertise venant de personnes connaissant bien le système ferroviaire a permis de réaliser des économies. Quand vous allez rassembler tout ce petit monde dans une même structure, cela générera non pas des économies, mais des frais supplémentaires. Quant aux économies de 1,5 milliard d’euros que vous avez prévues, j’aimerais que vous nous expliquiez comment elles pourront être réalisées, et j’espère que vous serez encore là dans un an pour le faire.

M. Laurent Furst. Non ! Il y aura une alternance !

M. Dominique Bussereau. Nous proposerons d’ailleurs un amendement pour qu’un rapport soit rendu sur le sujet, un de plus que l’Assemblée n’aura jamais… Je pense que cette opération coûtera plus cher que le système actuel et que d’économies, il n’y en aura point.

J’en viens à la deuxième raison de notre opposition à ce texte : l’Autorité de régulation des activités ferroviaires.

N’étant pas membre de la commission du développement durable, je ne sais pas quels amendements de Gilles Savary ont pu être adoptés par votre commission, monsieur Chanteguet. En tout cas, le texte original visait à diminuer les pouvoirs du régulateur, puisque l’avis conforme n’était requis que dans le domaine de la régulation et pas dans celui de la tarification. J’ai donc bien senti que cette autorité que j’avais avec la majorité précédente mise sur les rails, pour reprendre l’expression phare de ce débat, était considérée comme gênante. La SNCF ne l’a jamais aimée, et M. Cardo, son président, a une personnalité forte qui sait s’imposer en dépit de toute pression. Plusieurs dispositions de ce texte – Martial Saddier et Antoine Herth y reviendront – visent à affaiblir le rôle de l’ARAF.

Le troisième point sur lequel nous sommes en complet désaccord avec vous est la gestion des gares. Dans un système moderne ouvert à la concurrence, les gares doivent être gérées par le gestionnaire d’infrastructures. J’entends par gares notamment les gares de fret, qui doivent être ouvertes à tous les opérateurs de fret, lesquels représentent aujourd’hui 30 % du trafic et bientôt 40 %, et à tous les autres opérateurs de façon neutre.

Les ingénieurs de la SNCF, les grands architectes, les Duthilleul, toutes ces personnalités que nous connaissons bien, ont toujours une vision très technicienne de la gare. À leurs yeux, une gare est un lieu fait pour les trains, et non pas pour les voyageurs. Avec Sophie Boissard, sous l’autorité de Guillaume Pepy, une nouvelle direction a été prise : la gare de Strasbourg est devenue un lieu de convivialité, la gare Saint-Lazare a été modernisée, des projets sont en cours de réalisation à la gare Montparnasse et à la gare de Lyon. Il faut cependant chaque fois se battre pour que la gare soit un lieu ouvert à la population,…

M. Alain Gest. C’est juste !

M. Dominique Bussereau. …qu’elle dispose de crèches, de services publics, de médecins et de magasins ouverts le dimanche, à l’instar des gares allemandes où l’on peut faire ses courses toute la semaine, toute l’année, à n’importe quelle heure. Pour cela, il faudrait que les gares soient gérées par le gestionnaire d’infrastructures et que les collectivités locales soient associées à leur gestion.

M. Alain Gest. Tout à fait !

M. Martial Saddier. Absolument !

M. Dominique Bussereau. En effet, nous, élus locaux, sommes les cochons qui payons !

Aujourd’hui, les gares intermodales font intervenir l’autorité organisatrice de transport urbain pour le tramway, le bus, le vélo et tous les moyens de transport urbain ; le département, qui existe donc bien, pour les lignes départementales et suburbaines de cars ; la région pour les TER. Ce sont eux qui paient et décident de l’avenir de la gare. Cinq projets de gares intermodales sont en cours dans mon département et j’estime que les élus locaux devraient être associés à ces acteurs, par le biais d’un conseil d’administration ou d’un comité de gare. Or vous ne prévoyez rien en ce sens, puisque votre texte est assez centralisateur, tout comme votre réforme territoriale.

Concernant le gestionnaire de réseau, je remercie M. Savary d’avoir rappelé que le gouvernement précédent, sous l’impulsion de Dominique Perben, avait fait doubler les travaux de rénovation des lignes du réseau classique. RFF a bien fait son travail et supprimer cette entité ne me semble pas une bonne idée. J’ai d’ailleurs conseillé à Jacques Rapoport de conserver toutes les banderoles, les textes et autres papiers à lettres qui pourront servir en 2017, en cas d’alternance. Tout englober sous le nom de SNCF, c’est revenir loin en arrière.

Monsieur le secrétaire d’État, mes collègues et moi-même sommes inquiets. Nous signons actuellement avec les préfets de région le volet mobilité des contrats de plan État-région, mais on nous dit qu’il n’y a pas d’argent. C’est le cas cette année déjà ; ne parlons pas de l’an prochain, avec la disparition de l’écotaxe qui, je l’espère, reviendra. J’approuve pleinement l’excellent travail mené sous l’autorité de Jean-Paul Chanteguet, mais sans écotaxe, tous les contrats de plan et tout ce que RFF peut apporter à la modernisation du réseau ferroviaire disparaîtront ; or cette question n’est pas réglée par votre texte.

Un aspect du projet de loi est très étonnant : le « décret socle », qui, comble du comble, consiste à faire en sorte que ce qui fonctionne bien fonctionne plus mal. La SNCF est embarrassée par la question du statut. Guillaume Pepy a tenté de faire en sorte que les nouveaux entrants ne bénéficient pas du statut, mais depuis que vous êtes au pouvoir tout le monde en bénéficie – il n’est pas question de prévoir des recrutements hors statut. Et là vous voulez imposer les contraintes du statut à ce qui fonctionne bien, y compris aux filiales de la SNCF comme VFLI. Vous voulez appliquer à ce qui ne marche pas bien, parce que ce n’est pas productif ou que cela coûte trop cher, les mêmes règles sociales qu’à ce qui marche bien. Si vous voulez tuer le développement du fret avec les opérateurs ferroviaires de proximité,…

M. Laurent Furst. C’est ce qu’ils veulent !

M. Dominique Bussereau. …les futurs Keolis, Transdev, les chemins de fer suisses ou allemands qui viendront dans nos régions exploiter des étoiles, des lignes ou des réseaux, imposez le « décret socle » ! Vous condamnerez tout le monde à la même médiocrité et aux mêmes difficultés. Appliquer ce décret, c’est tuer la concurrence, tuer l’évolution, tuer la baisse des prix souhaitée par les présidents de région et faire l’inverse de ce qui s’est passé en Allemagne, où l’ouverture dans les régions a permis d’augmenter le nombre de kilomètres de lignes ferroviaires, celui des gares, des lignes ainsi que la qualité du service et de faire baisser les coûts pour les Länder. Nous sommes tout à fait opposés au « décret socle » sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

S’agissant de la dette, vous avez raison de dire qu’elle est énorme. Toutefois, elle correspond au financement par la France de la modernisation de ses infrastructures. Quand nous avons créé RFF, nous y avons logé la dette pour qu’elle ne soit plus portée par le budget de l’État, afin de répondre au défi posé par Maastricht. Nous ne nous en sommes pas cachés.

D’ailleurs, si vous relisez les débats parlementaires de l’époque, vous verrez que j’étais intervenu sur ce texte présenté par Bernard Pons et Anne-Marie Idrac. Est-ce qu’une dette créée pour moderniser nos infrastructures ferroviaires est une mauvaise dette ? J’ai entendu tout à l’heure, à l’occasion des questions au Gouvernement, M. Emmanuelli parler de tous les projets fous lancés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Sachez, monsieur le secrétaire d’État, que je tiens à votre disposition toutes les lettres reçues quand j’exerçais vos fonctions, dans lesquelles des personnalités socialistes me reprochaient de ne pas faire commencer plus tôt tel ou tel projet de TGV.

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Dominique Bussereau. M. Ries, par exemple, demandait au gouvernement Fillon d’accélérer le prolongement de la LGV entre la Lorraine et Strasbourg.

Plusieurs députés du groupe UMP. Bien sûr !

M. Dominique Bussereau. Les maires socialistes de Poitiers et d’Angoulême demandaient l’accélération du projet Tours-Bordeaux.

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. Ils n’avaient pas le pouvoir : c’est le jeu des élus locaux !

M. Dominique Bussereau. Alain Savary connaît l’engagement d’Alain Rousset sur ce projet. Quant à Martin Malvy, il s’est bien fait avoir, puisqu’il a dû payer le Tours-Bordeaux et que le projet toulousain a été stoppé. Henri Emmanuelli, qui semblait très énervé tout à l’heure et hurlait parce que le projet vers l’Espagne n’allait pas vers les Landes, reprochait au gouvernement Fillon de ne pas mettre en œuvre simultanément les travaux de la ligne Tours-Bordeaux et ceux de Tours-Espagne. Je pourrais vous retrouver les lettres de tous les maires PS de Bretagne qui nous ont reproché de ne pas lancer plus tôt le projet d’une ligne Le Mans-Rennes ; le courrier des maires socialistes de Montpellier, y compris celui de Georges Frêche, demandant que l’on construise une ligne Montpellier-Nîmes ; celui de M. Fabius nous sommant de construire le TGV normand et bas-normand et nous reprochant d’être des incapables parce que nous n’allions pas plus vite.

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. Mais c’est absurde ! Il n’avait pas le choix, puisqu’il n’était pas au pouvoir !

M. Dominique Bussereau. M. Duron voulait quant à lui qu’une branche passe par Caen. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je pourrais également retrouver toutes les prises de position du président Vauzelle. Nous sommes, nous, sortis du tout TGV et de la construction d’un TGV par quinquennat. Nous nous sommes souvenus de l’accord que le président Mitterrand avait signé en 1992 avec le chancelier Kohl sur le passage d’une ligne en Lorraine. Nous avons pensé que celle reliant Tours, Bordeaux et Toulouse, qui est la quatrième ville de France, était importante pour l’aménagement du territoire ; nous avons pensé qu’il fallait tenir nos engagements avec le gouvernement espagnol, ce que vous ne faites pas concernant la ligne vers l’Espagne et le Montpellier-Nîmes ; nous avons pensé que la Bretagne, que nous avons beaucoup entendue, si ce n’est trop parfois, sur le dossier de l’écotaxe, avait besoin de la ligne Le Mans-Rennes, comme elle nous le demandait. Nous nous honorons d’avoir lancé ces chantiers, sans lesquels aujourd’hui le taux de chômage dans les travaux publics, qui est déjà énorme, serait encore supérieur et qui donneront demain à notre pays des infrastructures.

Quant à la dette, une fois que les gouvernements successifs auront réussi à diminuer les déficits publics, il faudra faire ce qu’a fait l’Allemagne fédérale au moment de sa réunification, à savoir que l’État la reprenne progressivement. Cela peut passer par le biais d’une caisse d’amortissement ou d’autres outils, mais il est certain que RFF n’a pas vocation à porter une dette de l’État qui devra être résorbée. Toujours est-il que nous nous honorons d’avoir lancé les projets que je citais plus tôt : ils sont importants pour l’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Nous vous reprochons d’avoir mis fin, par le rapport Duron, à cette période et d’avoir pris le chemin du déclinisme.

Naturellement, nous souhaitons que notre motion de rejet préalable soit adoptée ; mais, au vu de la composition de notre hémicycle, j’en doute. C’est pourquoi Martial Saddier présentera ensuite une motion de renvoi en commission et nos orateurs défendront des amendements. Connaissant les difficultés que vous avez, monsieur le secrétaire d’État, avec la gauche de votre gauche, la CGT et Sud, comme le disait le président de notre groupe, Christian Jacob, nous n’exagérerons pas le nombre de nos amendements, de sorte que nous ne retarderons pas le retour à la normale que nous souhaitons le plus rapide possible. Nous n’en présenterons ainsi que quarante, quand la majorité présidentielle en a déposé 360.

M. Antoine Herth. Tout à fait !

M. Dominique Bussereau. Chacun pourra voir où sont les gens responsables et ceux qui le sont un peu moins. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je ne mets pas en cause les excellents amendements de Gilles Savary, qui ont un peu modernisé un texte poussiéreux sans aller chercher suffisamment loin la poussière accumulée sous l’armoire.

Tout à l’heure, Olivier Faure disait avec talent que nous ne pourrions pas remettre en cause la situation, mais je veux vous dire très clairement ce que nous ferons si les électeurs vont jusqu’au bout de la logique qui s’est révélée aux élections municipales et européennes.

M. Rémi Pauvros. Ne rêvez pas !

M. Dominique Bussereau. Nous garderons les gens de l’Infra à RFF. J’ai toujours voulu le faire et Guillaume Pépy m’a toujours expliqué que c’était impossible et que cela provoquerait une révolution : c’est pourquoi je m’étais abstenu, et j’ai peut-être eu tort. Nous garderons SNCF Réseau, qui s’appellera de nouveau Réseau Ferré de France, car nous croyons à la France plus qu’à la SNCF, et nous déferons l’ÉPIC de tête. Vous avancez des mouvements financiers, mais ceux-ci sont hélas très faibles. Ce n’est pas la faiblesse des dividendes de la SNCF, aggravée par les pertes de ces jours de grève, qui permettra de résorber la dette et d’alimenter le gestionnaire d’infrastructure. En cas d’alternance, nous conserverons certaines dispositions de cette réforme, mais nous ne voulons pas de l’ÉPIC de tête, qui est une absurdité et une vraie régression. Nous croyons à la SNCF de demain, à un pays développant ses infrastructures, mais nous ne voulons pas de la SNCF de papa et de grand-papa – et je sais ce que je dis puisque que mon grand-père, mon père et ma mère étaient cheminots. Nous voulons une SNCF et un système ferroviaire modernes. Nous regrettons, monsieur le secrétaire d’État, et ce d’autant que je vous sais passionné par ce que vous faites et que vous y mettez beaucoup de savoir-faire, que vous nous présentiez un projet conservateur et passéiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gilles Savary, rapporteur. Le discours de Dominique Bussereau, qui est lui aussi un expert en la matière, était très complet.

M. Alain Gest. Il était surtout excellent !

M. Gilles Savary, rapporteur. Je garde d’ailleurs quelques bons souvenirs de notre travail européen. Je pourrai lui apporter des réponses précises, puisqu’il s’interroge sur l’eurocompatibilité du texte de Frédéric Cuvillier, étant donné que j’ai également travaillé pendant trois ans pour la Commission européenne et que je peux donc faire quelques comparatifs. Ne nous le cachons pas, il existe deux philosophies. La première correspond à ce qui était jusqu’à une date récente l’orthodoxie de la Commission de Bruxelles, qui en réalité voulait démanteler les grandes entreprises ferroviaires, croyant naïvement que nous sommes dans un monde concurrentiel de Bisounours, celui que l’on étudie dans les écoles de sciences économiques qui nous expliquent que le monde est parfait, parce qu’il y a une atomicité du marché et que les petites entreprises font l’équilibre général de Léon Walras.

Cela ne s’est jamais passé ainsi : le capitalisme spontané a toujours créé des monstres, des oligopoles et des monopoles. Prenons l’exemple d’un pays où il est en train de démarrer : en Chine, tous les jours, les grandes entreprises dans tous les domaines prennent un tour de taille supplémentaire au point qu’Alstom, que l’on prenait pour un géant mondial, se révèle tout petit et incapable de se battre sur les marchés mondiaux. Le même clivage existe en Europe entre ceux qui pensent que plus on casse la grande entreprise – à condition qu’elle soit publique, puisque l’on ne casse pas les entreprises privées – plus le système est efficace et ceux qui considèrent, comme les Allemands, qu’au contraire, il faut des groupes dimensionnés.

La SNCF fait partie des grands historiques. Elle est le deuxième groupe le plus important, à défaut d’être le plus efficace des groupes de chemins de fer, j’en conviens. Les Anglais étaient en troisième position, mais ils ont préféré casser leur monopole historique. Leur chemin de fer intérieur ne fonctionne pas si mal, avec un modèle nouveau ; mais il n’existe plus sur le plan international et les Anglais seront incapables de faire face à la bagarre mondiale alors que la SNCF réalise 23 % de son chiffre d’affaires avec des marchés à l’étranger qui lui rapporteront de l’argent qui ne sera pas uniquement public, récupéré là où la mobilité se développe. Ces marchés sont considérables. Ce sont des milliards d’êtres humains qui s’éveillent tout juste à la mobilité et l’on voudrait leur envoyer une SNCF démembrée, cassée, en culotte courte, face au géant Deutsche Bahn qui a même racheté Arriva, l’un des plus gros opérateurs d’Europe centrale, et qui nous encercle aujourd’hui en Europe sur le fret ferroviaire, puisqu’il le possède de la Hollande jusqu’à l’Espagne. Nous avons attendu trop longtemps pour mener une stratégie européenne.

M. Dominique Bussereau. Eh oui !

M. Gilles Savary, rapporteur. Notre vision n’est pas obsessionnellement figée sur le groupe public. Nous ne voudrions pas démanteler sous prétexte qu’il s’agit du service public ni démanteler le statut pour faire baisser les salaires et faire du dumping social effréné. Ce n’est pas du tout cela ! Notre approche est une approche industrielle. Nous pensons que la SNCF a plus que de beaux restes, malgré les difficultés du rail, et que son savoir-faire, son expérience accumulée, sa capacité à faire rouler les trains et à les faire arriver à l’heure et son formidable corps social, dont on a pu voir lors des grandes tempêtes avec quelle extraordinaire rapidité il pouvait restaurer un réseau difficile, sont des atouts. Nous avons préféré faire groupe plutôt que de démanteler, casser et tronçonner les compétences de la SNCF pour des raisons idéologiques.

Cet établissement ne fait pas suffisamment groupe en matière industrielle, alors que ce serait un atout pour la France : il faut donc l’y préparer.

Cette réforme est-elle euro-compatible ? Certes, je ne connais pas les rapports que le secrétaire d’État entretient aujourd’hui avec Bruxelles, mais nous avons auditionné des représentants de la Commission européenne, avec lesquels nous avons travaillé constamment. La réforme est d’autant plus euro-compatible que le bras de la Commission a été tordu et que le quatrième paquet ferroviaire permet de choisir entre deux options : soit des entités séparées, soit des entités verticalement intégrées.

Le système que nous mettons en place avec trois EPIC est moins intégré que celui que nous aurions pu créer « à l’allemande » avec des SA. La Deutsche Bahn et les chemins de fer suisses sont, en effet, les plus intégrés en Europe, parce qu’ils ont choisi le statut de SA. Le groupe Deutsche Bahn prend beaucoup moins de précautions, par rapport à ce que prévoit ce projet de loi, quant à l’indépendance des fonctions essentielles. Par ailleurs, il ponctionne de l’argent sur les nouveaux entrants, auxquels il vend l’énergie à un prix beaucoup plus élevé ; les dividendes remontent à la filiale réseau, DB Netz, ce qui permet à la société d’acheter d’autres compagnies dans le cadre d’un développement externe. Ce fonctionnement a été contesté, mais n’a jamais été invalidé par la Cour de justice.

Je vous rassure : avant le quatrième paquet ferroviaire, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu, au grand dam de la SNCF, qu’un groupe de type Deutsche Bahn, plus intégré que le nôtre, était euro-compatible.

M. Dominique Bussereau. D’autres procédures sont en cours, monsieur le rapporteur.

M. Gilles Savary, rapporteur. Il y a d’autres procédures, en effet, mais celle-ci a été perdue par la SNCF devant la Cour alors même qu’aucune base juridique n’autorisait la constitution d’un tel groupe. Or cette base juridique existera bientôt, puisque le Parlement européen a renforcé, en première lecture des textes constituant le quatrième paquet ferroviaire, l’hypothèse de groupes verticalement intégrés. La question de l’euro-compatibilité de la réforme ne me semble donc pas dirimante : c’est un mauvais prétexte.

J’en viens à l’autre mauvais exemple que vous avez cité, monsieur Bussereau : celui d’Aéroports de Paris et d’Air France. Je suis de ceux qui pensent que l’Europe nous a fait faire de graves bêtises en demandant de séparer à ce point des groupes intégrés. Aujourd’hui, Air France va mal parce que l’entreprise voit sa valeur pompée par le groupe Aéroports de Paris qui, lui, est plantureux. Air France achète des avions aux deux membres d’un oligopole, Boeing et Airbus : dans la chaîne, il est donc dominé à la fois en amont, par les constructeurs, et en aval, par les aéroports, qui réalisent des recettes commerciales considérables pendant que les compagnies aériennes historiques meurent. Voilà ce que la « dé-intégration » est en train de donner en Europe : Alitalia et Iberia sont en difficulté…

M. Dominique Bussereau. Cela a toujours été comme cela !

M. Gilles Savary, rapporteur. Oui, mais ce qui est nouveau, monsieur Bussereau, c’est qu’il existe des groupes internationaux intégrés comme Emirates, ou Fly,…

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Eh oui !

M. Gilles Savary, rapporteur. …qui possèdent les hôtels et les aéroports, baissent le prix des péages chez eux et, ainsi, mettent aujourd’hui en difficulté le modèle européen.

M. Dominique Bussereau. C’est leur État qui paie !

M. Gilles Savary, rapporteur. Pas simplement leur État : ce sont surtout les pétrodollars qui paient !

M. Dominique Bussereau et M. Laurent Furst. Eh oui !

M. Gilles Savary, rapporteur. Mais leur réussite tient aussi à l’intégration, dans le même modèle économique, des compagnies, des aéroports et des groupes hôteliers. On est loin de la fragilité du modèle européen, qui se caractérise par une naïveté absolue. Nous avons isolé nos compagnies, que nous voyons tomber les unes après les autres : il n’existe plus que trois groupes flageolants – Air France-KLM, British Airways qui a fusionné avec Iberia, et Lufthansa qui s’est rapproché d’Alitalia –, qui essaient de se poser quelque part, avant qu’il n’y en ait plus qu’un.

Ainsi, monsieur Bussereau, votre modèle ultralibéral orthodoxe est en œuvre.

Plusieurs députés du groupe UMP. Mais non !

M. Gilles Savary, rapporteur. Si, on le voit bien ! Il est en œuvre dans le secteur ferroviaire, où il triomphe, et dans le secteur aérien.

Je ne vais pas beaucoup plus loin, car nous aurons l’occasion de répondre point par point à vos objections. S’agissant de la garantie d’indépendance des fonctions essentielles, c’est-à-dire l’euro-compatibilité, vous reprochez à cette réforme d’instaurer une tutelle de SNCF Mobilités sur SNCF Réseau.

M. Dominique Bussereau. C’est évident !

M. Gilles Savary, rapporteur. C’est totalement faux : rien ne peut vous permettre d’affirmer cela. En revanche, c’est votre modèle qui instaure une tutelle,…

M. Dominique Bussereau. Pas du tout !

M. Gilles Savary, rapporteur. …puisque l’organigramme de la SNCF inclut une direction des circulations ferroviaires, située à l’étage inférieur de M. Pepy, assurant un rôle de gestionnaire d’infrastructure délégué et des fonctions essentielles.

M. Dominique Bussereau. Elle est indépendante, et son directeur est nommé en conseil des ministres !

M. Gilles Savary, rapporteur. Nous mettons un terme à tout cela, monsieur Bussereau. Notre modèle est évidemment beaucoup plus euro-compatible.

Enfin, nous avons fait en sorte que l’ARAF donne des avis conformes sur un périmètre beaucoup plus étendu, comportant l’accès à l’ensemble des infrastructures ainsi que la surveillance générale. Nous créons également une commission des sanctions, qui n’existait pas.

L’ARAF jouera donc un rôle infiniment plus efficace en matière de régulation du système ferroviaire, de suivi des trajectoires budgétaires et de suivi des projets.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons voter votre motion de rejet préalable, monsieur Bussereau. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Bertrand Pancher. Ce débat est passionnant. Je partage l’opinion exprimée par Gilles Savary : il existe non pas un modèle ferroviaire unique, mais autant de modèles ferroviaires que de grands pays européens. En matière ferroviaire comme en matière énergétique, nous menons des grandes politiques industrielles qui reflètent notre culture, notre histoire et notre savoir-faire.

J’ai beaucoup apprécié l’intervention de Dominique Bussereau, qui est un ami (Exclamations sur divers bancs), mais je ne partage pas complètement son analyse. (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme Catherine Quéré. Il faut toujours se méfier de ses amis ! (Sourires.)

M. Bertrand Pancher. Il considère qu’il faut à tout prix s’orienter vers des entités totalement séparées. Ce n’est peut-être pas exactement ce qu’il voulait dire, car je connais bien le modèle de la Deutsche Bahn. Ce groupe connaissait la même situation que la SNCF il y a vingt ans. Sa dette a été reprise par l’État, comme cela sera vraisemblablement le cas en France à un moment ou un autre, peut-être le jour où une nouvelle majorité arrivera au pouvoir – c’est en tout cas ce que j’espère. Le modèle allemand se caractérise aussi par deux orientations, qu’il faudra affirmer dans le cadre de la discussion de ce projet de loi : d’une part, l’évolution du modèle social ; d’autre part, l’ouverture à la concurrence, qui a évidemment accéléré cette évolution.

La Deutsche Bahn s’est donc engagée dans la direction d’un modèle très intégré. Vingt ans après, on constate qu’elle est restée la grande entreprise allemande, puisque le secteur privé ne représente que 25 % de parts de marché en Allemagne.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Pancher.

M. Bertrand Pancher. D’ailleurs, que ce soit à la Deutsche Bahn ou dans les entreprises privées, tout le monde se réjouit du modèle qui s’est progressivement mis en place.

Nous ne voterons pas cette motion de rejet préalable, car nous voulons poursuivre la discussion.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Dominique Bussereau a évoqué de nombreux sujets. Je dirai d’abord quelques mots sur la dette : il est évident que ce n’est pas la réforme dont nous discutons – ni aucune réforme de gouvernance, d’ailleurs – qui réglera ce problème.

Permettez-moi cependant d’appeler votre attention sur un point, monsieur Bussereau. Imaginez un seul instant que l’on ait appliqué au réseau routier les règles qui régissent le système ferroviaire.

M. Dominique Bussereau. Nous avons mis en place des concessions.

M. François de Rugy. Je ne sais pas quel établissement public ou quelle SA serait capable de porter la dette contractée pour financer tout ce qui a été investi depuis des décennies, avec des fonds à 100 % publics, sur le réseau routier en France. Si nous avions fait la même chose sur le réseau ferroviaire, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

Cher collègue Bussereau, je vous invite à faire preuve d’un peu d’humilité. Vous avez été ministre des transports dans plusieurs gouvernements.

M. Alain Gest. Excellent ministre !

M. François de Rugy. On ne peut pas dire que beaucoup de réformes aient été menées, entre 2002 et 2012, pour améliorer le réseau ferroviaire, qui a pourtant bien besoin d’une modernisation. On ne peut pas dire non plus que la dette ait été très allégée ou que vous ayez mobilisé des fonds pour ce faire. Par exemple, lorsque vous avez privatisé les autoroutes, il aurait été intéressant de consacrer les recettes correspondantes à l’allégement de la dette ; cela n’a évidemment pas été fait.

Votre intervention a quand même le mérite de la clarté. Vous défendez une ligne extrêmement stricte – si je me permettais, je dirais même que vous avez tendance à filer à l’anglaise. (Sourires.) Vous voulez séparer totalement le réseau des exploitants – je dis « des » exploitants, car vous préparez évidemment l’arrivée de concurrents de la SNCF.

La réforme qui nous est présentée a pour principal but et pour principal mérite de restaurer l’efficacité du système ferroviaire. Notre première préoccupation, à nous écologistes, est de développer l’offre de transports en commun en général, et de transports ferroviaires en particulier. Ce développement doit concerner aussi bien le fret, malheureusement un peu sinistré, que le transport de voyageurs, à tous les niveaux, qu’il s’agisse des liaisons internationales, nationales, interrégionales, régionales ou même locales, puisqu’il existe aujourd’hui des offres de ce type – je pense aux trams-trains, par exemple.

Des dysfonctionnements et des problèmes ont été identifiés depuis longtemps : il faut les régler. Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler à de nombreuses reprises. Bien sûr, nous avons évoqué cette affaire rocambolesque des trains trop larges – à moins que ce ne soient les quais ! –, dont la résolution coûtera a priori plusieurs centaines de millions d’euros. Mais il existe bien d’autres dysfonctionnements de ce type. Ainsi, dans ma région, un beau projet a été mené à bien : je veux parler du tram-train Nantes-Chateaubriand. Mais on oublie souvent de dire que sa réalisation a pris plus de dix ans, en raison de conflits entre RFF, la SNCF et l’État.

M. Dominique Bussereau. Il s’agissait de conflits locaux !

M. François de Rugy. On ne savait pas qui pilotait quoi. Il faut donc nous donner les moyens de disposer d’un système ferroviaire où les rôles soient clarifiés, où chacun des intervenants soit responsabilisé, et où les actions soient coordonnées : c’est le but de cette réforme, que nous soutenons.

C’est pourquoi nous souhaitons passer sans plus attendre à l’examen des articles et des amendements, qui permettra d’ailleurs de répondre à certaines inquiétudes. Nous ne voulons pas que la discussion de ce texte s’arrête ici, par l’adoption de la motion de rejet préalable défendue par M. Bussereau. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Ce matin, dans la presse, des personnalités proches de ma sensibilité ont signé un appel à reporter ou à suspendre l’examen de ce projet de loi. Pour autant, sans aucune ambiguïté, je ne soutiendrai pas cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Martial Saddier. Quelle déception !

M. Lionel Tardy. C’est le monde à l’envers !

M. André Chassaigne. Dans sa forme comme dans son contenu, cette motion est détestable. Elle est détestable, d’abord, du fait des arguments avancés, qui tiennent du populisme.

M. Guy Teissier. Ça, vous n’en avez jamais fait !

M. André Chassaigne. Monsieur Bussereau, vous vous êtes permis de pleurer sur le sort des usagers, qui sont en difficulté – c’est une réalité. Mais allez donc voir quelles sont les conséquences de la politique que vous avez mise en œuvre sur des territoires aujourd’hui complètement désertifiés, complètement oubliés par le système ferroviaire, parce que vous ne retenez que la notion de rentabilité et que les usagers vous intéressent uniquement quand vous pouvez les instrumentaliser. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Laurent Furst. M. Chassaigne a du talent !

M. André Chassaigne. Ensuite, vous avancez des arguments qui relèvent de la démagogie et de l’inconséquence. J’en citerai deux. Quand vous faites allusion à la dette, comment pouvez-vous souhaiter que celle-ci devienne publique alors même que, dans tous vos discours, vous affirmez qu’il faut réduire les dépenses publiques et le déficit ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. François de Rugy. Tout à fait !

M. André Chassaigne. Comment pouvez-vous tenir ce discours qui est à l’opposé de tout ce que vous dites toujours dans cet hémicycle ?

M. Dominique Bussereau. Il n’y a rien dans la réforme !

M. André Chassaigne. Pour ma part, je suis favorable à ce que l’État reprenne la dette, mais je tiens un discours politique différent. Voilà ce qui nous distingue, monsieur Bussereau ! Le discours que vous tenez aujourd’hui ne s’accorde pas à vos propos habituels : c’est de la démagogie et de l’inconséquence !

Il en est de même concernant le rapport Duron, que vous mettez en cause. M. Duron a travaillé avec des personnes de sensibilités différentes : j’y étais, et j’en suis fier.

M. Dominique Bussereau. Il n’y a pas de quoi !

M. André Chassaigne. Mais il s’agissait tout simplement de prendre à bras-le-corps la question des infrastructures de transport dans notre pays, parce que vous aviez fait n’importe quoi, sans jamais assurer les financements nécessaires. Vous n’avez jamais voulu prévoir les recettes permettant de développer les infrastructures terrestres de transport dans notre pays. Là aussi, c’est de l’inconséquence et de la démagogie !

Mais surtout, votre intervention, monsieur Bussereau, s’apparentait à une sorte d’almanach d’un libéralisme sans limite. J’en ai retenu deux points. D’abord, selon vous, l’EPIC de tête serait nuisible. On sait que, pour vous, le service public est nuisible. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je rappelle qu’à la Libération, lors des jours heureux du Conseil national de la Résistance, on ne disait pas que les services publics étaient nuisibles ! On entendait un discours complètement différent porté notamment par le Général De Gaulle.

M. Guy Teissier. On a aussi vu les limites du service public ailleurs.

M. André Chassaigne. Ensuite, vous avez eu le culot – et je pèse mes mots –, de dire qu’il ne fallait aucun statut au motif qu’il casserait la concurrence. Cela montre la considération que vous avez pour les salariés et les cheminots ! Oui, les cheminots ont besoin d’un statut et l’on peut en être fier ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. Guy Teissier. Quel clientélisme !

M. le président. La parole est à M. Rémi Pauvros, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Rémi Pauvros. Monsieur Bussereau, j’ai un seul point d’accord avec vous : nous ne voterons pas votre motion de rejet préalable.

M. Dominique Bussereau. Je le regrette.

M. Rémi Pauvros. Nous vous avons écouté avec beaucoup d’attention et je rejoins le propos du président Chassaigne. En ce début de débat, une ligne de partage est en train de s’opérer faisant clairement apparaître deux positionnements distincts. Le vôtre consiste à vouloir casser la cohérence de ce grand service public du ferroviaire que nous proposons pour faire place à une politique très ouverte sur la concurrence et laisser partir à vau-l’eau l’héritage que vous avez évoqué au plan personnel, mais également l’héritage collectif des Français, à savoir ce grand service du ferroviaire. Cette ligne de partage s’accentuera sans nul doute au cours du débat et de l’examen des amendements.

Vous avez évoqué ce que vous avez fait en matière de LGV et de TGV, mais la reconnaissance de l’action que vous avez menée ne cache pas l’état actuel du secteur ferroviaire et de la SNCF. Elle ne cache pas la réalité, à savoir que notre réseau est dans un état lamentable.

M. Dominique Bussereau. Non !

M. Rémi Pauvros. Le réseau de proximité est dans une situation d’urgence. Lorsqu’on a du matériel qui date de vingt-cinq ou de trente-cinq ans, on peut s’interroger sur notre capacité, aux uns et aux autres, de répondre à l’attente légitime de nos concitoyens et de faire en sorte que le secteur ferroviaire soit au rendez-vous du 21ème siècle.

Oui, il y a une situation d’urgence en raison de la dette, mais vous avez rappelé qu’en 1997, Bernard Pons prévoyait déjà qu’elle soit reprise par l’État. Vous ne l’avez pas fait alors que vous aviez beaucoup plus de possibilités à l’époque !

On peut s’interroger sur votre refus d’un texte qui permettra d’avancer au lieu de faire peser une dette de plus de 40 milliards d’euros uniquement sur la SNCF et RFF.

Je salue celles et ceux de nos collègues qui sont prêts au débat, qui sont prêts à améliorer le texte par le biais d’amendements que nous étudierons. Mais permettez-moi de dire que votre positionnement n’a d’autre objectif que de casser le système ferroviaire français. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) C’est la raison pour laquelle nous rejetterons cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(M. Christophe Sirugue remplace M. Denis Baupin au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La parole est à M. Antoine Herth, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Antoine Herth. Le groupe UMP votera avec enthousiasme la motion de rejet préalable présentée par Dominique Bussereau dont les arguments ont été autrement plus objectifs que ceux délivrés par le Gouvernement.

Le tableau est différent de ce que vous avez décrit, monsieur le secrétaire d’État, et l’on comprend mieux la réalité du transport ferroviaire qu’il s’agisse de la dimension européenne ou de la problématique des réseaux, de l’aménagement du territoire et des demandes des uns et des autres, y compris sur les bancs de gauche, en matière d’investissement. Telle est la réalité du ferroviaire.

Quant au décret socle, Dominique Bussereau a raison de dire qu’il va geler les termes de la concurrence. Pis, la question du statut tue déjà l’emploi aujourd’hui au sein de la SNCF.

M. Laurent Furst. En effet.

M. Antoine Herth. J’ai mentionné les 1 500 postes que la SNCF va supprimer cette année. Depuis 2009, 6 500 postes de cheminots ont été supprimés. C’est cela la réalité, et la conséquence d’une crispation sur le statut de cheminot. Il faut en sortir. Regardez les chiffres, monsieur Savary : ils sont tout à fait officiels.

S’agissant de la concurrence, qui semble vous tétaniser, quelle est la réalité ? Quel est le premier concurrent du fret ferroviaire ? Les camions mis en place par la SNCF elle-même ! Quel est le concurrent que la SNCF prépare ? Keolis, filiale de la SNCF ! Que direz-vous, monsieur le secrétaire d’État, vous qui parlez du rôle du Gouvernement et de la puissance publique, lorsque Transdev s’invitera dans le jeu, Transdev qui est une entreprise détenue par la Caisse des dépôts et consignations, autrement dit l’argent des livrets A ?

Comment expliquerez-vous l’ambiguïté de la position du Gouvernement ?

M. Patrick Hetzel. Excellent !

M. Antoine Herth. Telle est la réalité du marché du ferroviaire. Ce texte ne correspond ni à ce que nous souhaitons ni à ce qui est nécessaire et bon pour la France. Il ne s’inscrit pas dans le mouvement ; c’est un éloge de l’immobilisme. Voilà pourquoi nous vous proposons d’adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission (projet de loi )

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi portant réforme ferroviaire.

La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, que je remercie pour sa présence assidue en commission, monsieur le président de la commission, que je remercie d’avoir laissé libre cours au débat – même si je vais faire la démonstration que nous n’en avons pas fini –, monsieur le rapporteur, dont je salue les compétences et la connaissance du dossier, mes chers collègues, permettez-moi de saluer M. le ministre Bussereau et, au nom de mes collègues de l’UMP, de le féliciter pour l’excellent travail qu’il a effectué à la tête du ministère des transports pendant de longues années.

M. Laurent Furst. Absolument.

M. Martial Saddier. Je tiens également à remercier mes collègues de l’UMP membres de la commission du développement durable ainsi qu’Antoine Herth, membre de la commission des affaires économiques.

Près de huit mois quasiment jour pour jour après que le Gouvernement a mis sur les rails sa réforme du ferroviaire en la déposant, le 16 octobre 2013, sur le bureau de notre assemblée, nous voilà enfin tous réunis aujourd’hui pour l’examen de ce texte en séance publique.

Annoncé dans un premier temps au printemps 2014, l’examen du projet de loi portant réforme ferroviaire n’a, en effet, cessé d’être repoussé, d’abord après les élections municipales avec un examen prévu initialement au sein de la commission du développement durable le 6 mai dernier, pour être à nouveau décalé au 27 mai dernier.

Et voilà que maintenant, le Gouvernement, après de nombreuses tergiversations quant au bon calendrier parlementaire, décide de nous imposer un débat législatif à très grande vitesse en engageant, le 22 mai dernier, une nouvelle fois la procédure accélérée. Après avoir fait traîner son inscription à l’ordre du jour pendant plusieurs mois, on nous presse maintenant d’adopter le plus rapidement possible – mais comme l’a indiqué notre collègue Bussereau, nous jouerons le jeu sans faire d’obstruction – un texte très technique et particulièrement complexe, même pour les spécialistes des questions ferroviaires, pour qu’il puisse entrer en vigueur dès le 1er janvier 2015.

Nous n’avons donc pas intérêt à rater le train de la réforme – si vous me permettez cette expression – car nous n’aurons malheureusement pas droit à une deuxième lecture du projet de loi au sein de notre assemblée. Pour une réforme de cette envergure, et qui selon vos dires, monsieur le secrétaire d’État, a pour objectif de « moderniser et renforcer le secteur public du ferroviaire », il aurait été indispensable que nous puissions débattre sereinement et que la navette parlementaire vienne enrichir un texte qui n’est, nous vous l’avons déjà répété à de multiples reprises en commission, pas du tout satisfaisant en l’état.

Au vu de la technicité des dispositions inscrites dans ce projet de loi, recourir à la procédure accélérée ne présage pas vraiment un travail parlementaire sérieux, de qualité et de fond. Avec mes collègues du groupe UMP, nous aurions souhaité que le Gouvernement ne se presse pas et qu’il laisse à l’Assemblée nationale puis au Sénat le temps de débattre dans des conditions optimales sur une réforme qui aura des répercussions sur notre marché ferroviaire pour de nombreuses années à venir – je pense aux échéances de 2019.

J’ai bien peur, monsieur le secrétaire d’État, que votre texte ne connaisse au final le même sort que s’apprête à connaître la loi ALUR, adoptée en temps législatif programmé et en un temps record pour un des textes les plus complexes de cette législature, et dont le Premier ministre a annoncé vendredi qu’elle subirait prochainement un certain nombre de modifications en raison des effets négatifs qu’elle pourrait entraîner sur la construction de logements, ce que nous constatons déjà. Et ce n’était pas faute de vous l’avoir répété, avec mes collègues du groupe UMP, dans cet hémicycle. C’est pourquoi, il est impératif que nous retournions immédiatement travailler en commission.

Nous devons d’autant plus retravailler ce texte que – nous en sommes tous conscients sur les bancs de cet hémicycle – la nécessité de réformer notre système ferroviaire est désormais impérative. Depuis quelques années déjà, celui-ci ne répond plus aux attentes des voyageurs en termes de qualité, d’efficacité et d’efficience. Le fret ferroviaire est, lui aussi, en grande difficulté. Mais surtout, notre marché ferroviaire présente une situation financière inquiétante. Sa dette atteint, en effet, un niveau historique, s’élevant à plus de 43 milliards d’euros. Cette situation très dégradée plombe dangereusement l’investissement et pourrait conduire à une stagnation et à une contraction du réseau. En l’état actuel, et si aucune réforme n’aboutissait, le déficit de RFF s’alourdirait et se creuserait d’environ 1,5 milliard d’euros, voire 2 milliards d’euros.

Par ailleurs, l’activité ferroviaire de SNCF Geodis est également en chute de moitié. Je ne parle pas de l’absence à ce stade de dispositions concernant l’association des collectivités territoriales – je pense aux gares, aux dessertes des territoires ruraux, des territoires du littoral, de montagne. Nous pensons que ce texte n’est pas à la hauteur de l’enjeu, celui d’inscrire la France dans un grand réseau compatible à l’échelle de l’Union européenne.

Consciente que la séparation entre le gestionnaire d’infrastructure et l’entreprise ferroviaire introduite par la loi de 1997 portant création de RFF en vue du renouveau du transport ferroviaire n’a pas permis de réduire la dette et a, en pratique, révélé de multiples dysfonctionnements, notre majorité a mis en place, dès 2011, les assises du ferroviaire. Lancées par Nathalie Kosciusko-Morizet et Thierry Mariani, ces assises, auxquelles j’ai pris part en tant que membre de la commission travaillant sur la filière ferroviaire française, ont été indéniablement le fait générateur de la réflexion vers une profonde réforme de notre système ferroviaire.

À l’issue des travaux des quatre commissions en décembre 2011, l’idée d’un projet opérationnel d’unification du gestionnaire du Réseau ferré national, grand gestionnaire d’infrastructure, rassemblant tout ou partie des fonctions exercées par RFF, l’ensemble de la DCF et de SNCF Infra a été avancée. Les assises ont également conclu à la nécessité d’un système ferroviaire où l’État exerce un rôle de stratège, avec un régulateur fort, mais indépendant.

Malheureusement, les dispositions que vous nous présentez aujourd’hui, bien qu’elles aient subi quelques avancées en commission, n’atteindront pas ces objectifs. Vous partagerez, j’en suis sûr, mes chers collègues, mon point de vue, à la fin de cette motion de renvoi en commission, que vous voterez, je n’en doute pas une seconde.

Permettez-moi tout d’abord de commencer par une touche positive car les douze heures et les quatre réunions intenses de débats en commission du développement durable ont eu tout de même le mérite d’avoir permis d’améliorer sensiblement le projet de loi initial du Gouvernement sur de nombreux points – je pense à l’ARAF notamment. Permettez-moi d’y associer les députés UMP parce que nous avons pris toute notre part à ces avancées.

Lors des assises du ferroviaire, notre majorité avait proposé la mise en place d’une gouvernance publique claire et forte reposant sur un État stratège pour faciliter l’ouverture à la concurrence. Nous saluons donc les améliorations apportées à l’issue des travaux de la commission du développement durable sur ce point. Désormais, le projet de loi prévoit de nouvelles missions pour l’État. Ce dernier devra assurer la programmation des investissements d’infrastructures. Il est également chargé du développement du fret et du transport modal. Enfin, en tant qu’élu d’un territoire rural et de montagne, je salue la nouvelle rédaction de l’article 1er qui prévoit désormais que l’État assure la complémentarité entre les lignes à grande vitesse, les lignes d’équilibre du territoire et les lignes régionales. Cette nouvelle disposition permettra ainsi de garantir le développement équilibré de l’ensemble de nos territoires.

Autre avancée majeure et qui a suscité d’importants débats en commission : le renforcement du rôle de l’ARAF. Les dispositions initiales du projet de loi réduisaient considérablement les pouvoirs de ce régulateur. Alors qu’auparavant, l’ARAF pouvait émettre des avis conformes dans le domaine de la régulation, et de la tarification, le projet de loi initial ne retenait que la possibilité pour cette instance de donner un avis simple en matière de tarification, avis qui n’a qu’une portée indicative. Or un avis conforme est nécessaire pour donner plus de légitimité et ainsi éviter la multiplication de la contestation des tarifs par les opérateurs. L’Autorité ne disposait pas non plus de pouvoirs contraignants s’agissant de la surveillance du personnel et des questions financières. De telles dispositions allaient à l’encontre des mesures prévues dans le quatrième paquet ferroviaire qui préconise l’existence de régulateurs forts pour parvenir à l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire.

À la suite de nos débats fructueux en commission, l’ARAF peut désormais émettre un avis conforme sur la fixation des redevances et de la tarification. Elle dispose également de nouveaux pouvoirs. En plus d’émettre un avis sur les contrats conclus entre la SNCF et l’État mais également entre SNCF Réseau et l’État, l’ARAF pourra fixer les délais relatifs aux demandes d’accès aux infrastructures de services et aux services et elle disposera d’une possibilité de sanctions étendues à l’EPIC de tête. De plus, les rapports d’activité de SNCF et SNCF Réseau lui seront transmis.

Toutefois, bien que le projet de loi ait été amélioré concernant l’ARAF – vous reconnaîtrez, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que j’ai le mérite de le souligner –, de nombreuses interrogations à son sujet demeurent. Quel est exactement le nombre de membres du collège pendant la période transitoire allant de la promulgation de la loi au renouvellement du mandat des membres actuels prévu en 2016 ? Une incohérence réside actuellement dans le projet de loi : l’article 4 fait état de cinq membres dont trois permanents, à savoir le président et deux vice-présidents durant la période provisoire, alors que l’article 17 prévoit, lui, que les sept membres en fonction de l’ARAF exercent leurs mandats jusqu’à leur terme, soit 2016. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, nous apporter des précisions – en commission, bien sûr, puisque nous allons y retourner – quant à la composition exacte du collège de l’ARAF durant la période transitoire ?

Enfin, nos travaux en commission ont permis d’améliorer les relations entre l’EPIC de tête et ses deux filiales en accentuant l’indépendance de SNCF Réseau par rapport à la SNCF et en l’inscrivant clairement dans le projet de loi, ce qui était absolument nécessaire, monsieur le secrétaire d’État.

Malgré les avancées apportées au projet de loi portant réforme ferroviaire, un retour en commission du développement durable s’impose tout de même. Le texte reste pour l’heure décevant sur le fond et nous craignons qu’il n’aille pas du tout dans le sens d’une véritable modernisation et d’une dynamisation de notre marché ferroviaire. Permettez-moi ici, mes chers collègues, de vous en faire la démonstration, laquelle nous conduira inévitablement à retrouver les bancs de notre commission pour y poursuivre nos travaux.

Tout d’abord, le projet de loi prévoit la création d’un grand groupe public ferroviaire composé d’un EPIC de tête appelé SNCF et de deux EPIC « filles » : un gestionnaire d’infrastructure unifié, SNCF Réseau, et un exploitant ferroviaire, SNCF Mobilités. Or, telle qu’elle est prévue dans le texte, cette nouvelle structure nous paraît particulièrement ambiguë. La répartition des rôles entre les trois EPIC, leurs relations et les fonctions qu’ils exercent en commun ne sont pas, à ce stade, clairement définies dans le texte. Un flou entoure également la structure de tête, dont même les promoteurs peinent à définir le contenu et les missions. Avec mes collègues du groupe UMP, nous sommes convaincus qu’elle fait courir le risque d’un effacement de l’État stratège et d’une mise sous tutelle du gestionnaire de réseau par l’opérateur SNCF. Nous craignons en outre qu’elle engendre une multiplication des conflits de fonctionnement et de pouvoir entre l’EPIC et ses deux filiales, entraînant d’importants surcoûts au lieu des économies que vous annoncez, et un certain immobilisme au lieu du dynamisme que nous attendons.

De plus – et cela vaut son pesant de cacahuètes –, avec un directoire à deux têtes composé du président de l’exploitation ferroviaire et du président du gestionnaire d’infrastructures, comment voulez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que les décisions soient opérantes ?

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. Vous avez bien un triumvirat à la tête de l’UMP !

M. Martial Saddier. Quand la décision de l’un des deux présidents est prépondérante, comment dire que la collégialité est respectée ! La mission du président du conseil de surveillance ne devrait, selon nous, en aucun cas être de trancher les conflits entre les membres du directoire. Pourquoi ne pas avoir introduit, dès le départ, un troisième membre ? Mes chers collègues, c’est uniquement en cessant nos débats dans cet hémicycle et en retournant dès à présent en commission que nous pourrons, j’en suis certain, aboutir à des structures claires quant à leur rôle et à leurs missions. Seule la responsabilisation de l’ensemble des acteurs sera en mesure de garantir l’efficacité, la sécurité et le dynamisme du système.

Par ailleurs, le groupe industriel public intégré que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d’État, n’assure pas l’exercice d’une concurrence saine et ouverte du système ferroviaire, notamment en ce qui concerne l’attribution des sillons. Alors que l’ouverture à la concurrence au niveau européen est prévue pour 2019, le système intégré que vous défendez aujourd’hui ne va pas dans le sens des attentes de la Commission européenne. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, cette dernière souhaite une indépendance des gestionnaires de réseaux par rapport aux opérateurs ferroviaires historiques. Elle veille particulièrement à ce que l’indépendance du gestionnaire d’infrastructures soit garantie et soit totalement effective. Alors que le système actuel a déjà été sanctionné pour incompatibilité avec le premier paquet ferroviaire, le système qui sera mis en place à l’issue de la réforme ferroviaire pourrait être déclaré non conforme avec la refonte de la directive sur l’espace ferroviaire unique européen modifiée en 2012.

Ce texte, qui entrera en vigueur en juin 2015, soit peu de temps après la réforme ferroviaire française, oblige à une indépendance juridique, organisationnelle et opérationnelle du gestionnaire d’infrastructures. Pouvez-vous nous indiquer précisément les dispositions de votre réforme qui garantiront cette indépendance car elle n’est pas apparente dans ce projet de loi ? Mais peut-être préférerez-vous enfin avouer ce soir qu’une fois le quatrième paquet ferroviaire entré en vigueur, il faudra revenir dans l’hémicycle pour refaire la loi, parce qu’elle sera non conforme au droit européen.

Bien que des améliorations aient été apportées en commission du développement durable dans le sens d’un renforcement des pouvoirs de l’ARAF, la création d’un comité des opérateurs du réseau ne nous satisfait aucunement. Pouvant être saisie en vue d’une conciliation amiable lorsqu’un différend survient entre les opérateurs sur l’application et l’interprétation du réseau, cette nouvelle instance, introduite lors de nos travaux par voie d’amendement, est composée de représentants des entreprises ferroviaires, des exploitants d’installation de services reliées au réseau ferré national, des autorités organisatrices des transports ferroviaires, des diverses catégories de candidats autorisés, et des personnes visées à certains articles du code des transports. On peut se demander ce qu’il en sera de l’ARAF, pilier de ce projet de réforme ferroviaire censé exercer la fonction de conciliateur en cas de litige, puisqu’il ne siégera pas au sein de ce comité Théodule né en pleine nuit lors d’une réunion de la commission du développement durable. Nous nous interrogeons également sur l’opportunité de créer un Haut comité du ferroviaire dont nous redoutons fortement, monsieur le secrétaire d’État, qu’il n’aboutisse in fine à un contournement pur et simple des prérogatives du régulateur national.

M. Dominique Bussereau. En effet !

M. Martial Saddier. Pourquoi vouloir également instaurer un commissaire du Gouvernement auprès de cette autorité ? Déjà en 2011, un rappel à l’ordre avait été adressé à l’État français par la Commission européenne au moment où ce dernier avait émis le souhait de créer un commissaire du Gouvernement pour l’ARCEP. Si vous vous acharnez dans cette voie, mes chers collègues, vous courrez le risque de voir votre proposition retoquée par la Commission car elle nuirait au bon fonctionnement de l’ARAF et elle remettrait en cause son indépendance, l’État étant à la fois tutelle et unique détenteur de l’opérateur historique et du gestionnaire d’infrastructure.

Sur le volet de la gestion des gares, votre projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, reste en deçà de nos attentes, comme l’a bien montré Dominique Bussereau. Nous ne comprenons pas comment le gestionnaire d’infrastructures pourrait exercer de façon autonome et non discriminatoire ses compétences de gestionnaire indépendant du réseau s’il ne peut pas gérer lui-même directement l’affectation des voies en gare, l’ensemble des équipements et des bâtiments d’accès voyageurs au réseau ferroviaire.

M. Dominique Bussereau. Très juste !

M. Martial Saddier. Nous avons donc proposé en commission – et je défendrai à nouveau des amendements allant dans ce sens tout à l’heure –, que la gestion complète des gares de voyageurs soit transférée de SNCF Mobilités à SNCF Réseau. En séparant juridiquement les gares de voyageurs de SNCF Mobilités, nous limiterons et préviendrons, j’en suis intimement persuadé, tout risque de conflit d’intérêts. Les collectivités territoriales doivent être au cœur de la gestion moderne des gares. Tous les pays modernes se sont engagés dans cette voie, pourquoi la France se refuse-t-elle à le faire, mes chers collègues ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Laurent Furst. Ils ne sont pas modernes !

M. Martial Saddier. En outre, cette proposition nous éviterait le recours à une nouvelle réforme dans quelques mois pour nous mettre en conformité avec le quatrième paquet ferroviaire. Il est, en effet, très probable que les travaux de la Commission européenne aillent dans le sens que j’ai indiqué.

Autre point de désaccord que nous rencontrons avec la vision du système ferroviaire défendue par votre majorité : la disparition de l’appellation RFF au profit de SNCF Réseau.

M. Dominique Bussereau. C’est scandaleux !

M. Martial Saddier. Vécue de façon très négative comme un véritable désaveu et comme une sanction par le personnel actuel de RFF, cette modification leur fait craindre le spectre d’un retour en arrière avec une SNCF toute puissante. Un réel malaise social interne à RFF existe déjà en raison de l’effet « rouleau compresseur » exercé par la SNCF sur le personnel de l’actuel RFF. Il est donc de notre devoir de rassurer l’ensemble des personnels touchés par votre réforme.

Ces derniers jours, nous avons également pu constater, à travers les grèves qui se succèdent à la SNCF depuis une semaine, que votre projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, a été mal expliqué aux salariés des deux entreprises et que le flou qui entoure certaines dispositions relatives à leur situation professionnelle, comme l’a parfaitement souligné Dominique Bussereau, suscite de vives craintes.

Votre texte soumet au même régime l’ensemble des salariés exerçant une activité de transport ferroviaire de marchandises ou de voyageurs, de gestion, d’exploitation ou de maintenance sous exploitation des lignes et installations fixes d’infrastructures ferroviaires. Or, le nouveau régime auquel vous comptez les astreindre va bien au-delà du régime actuellement en vigueur au sein de la SNCF. Il est indispensable que nous ne pénalisions pas l’ensemble de notre système ferroviaire et que le cadre social harmonisé s’applique aux salariés du groupe public ferroviaire et aux salariés d’entreprises exerçant une activité de transport ferroviaire de marchandises ou de voyageurs. Il faudra également veiller à ce que la nouvelle convention relative aux conditions sociales des travailleurs ne constitue pas une barrière à l’ouverture à la concurrence mais, au contraire, l’accompagne. Tout ce que nous défendons, c’est l’avenir et le dynamisme alors que vous vous en tenez à une position conservatrice qui, au lieu de défendre les acquis de l’histoire du système ferroviaire français, va finir par le tuer.

M. Laurent Furst. Eh oui !

M. Martial Saddier. Autre question que nous nous posons depuis le début de l’examen de votre projet de loi : qu’en est-il exactement du financement de la réforme ? Pouvez-vous enfin nous apporter des éléments de réponse sur les économies réalisées grâce à la mise en œuvre de la réforme ferroviaire ? Autant de questions pour lesquelles nous n’avons pas l’ombre d’un commencement de réponse ni de la part des élus de la majorité ni du Gouvernement. C’est pourquoi, en attendant que vous puissiez nous communiquer ces données chiffrées indispensables à un débat et un travail parlementaire pertinents, il nous faut retourner le plus vite possible en commission.

Votre texte, monsieur le secrétaire d’État, prévoit, pour stabiliser la dette du système ferroviaire qui s’élève à 43 milliards d’euros, la création d’un pot commun avec les bénéfices éventuels de SNCF Mobilités et des économies réalisées sur les coûts de production du gestionnaire intégré unifié de 2 % par an pendant cinq ans – sur lesquelles nous n’avons pas non plus le début d’un commencement d’explication –, soit 200 millions d’euros d’économies par an. Quelque chose m’échappe : comment l’équilibre parviendra-t-il à être atteint à moyen terme, mes chers collègues ? Selon mes calculs, qui sont exacts, je vous l’assure, avec un déficit structurel évalué à 1,4 milliard d’euros, la réintégration du résultat net de SNCF Mobilités à hauteur de 400 millions d’euros et les économies potentielles de 200 millions d’euros – dont nous attendons toujours le détail –, nous aboutissons à un déficit structurel d’un montant de 800 millions d’euros pour la première année de fonctionnement des trois EPIC. Qu’en sera-t-il pour les autres années ? Quel sera le montant exact de ces économies dans deux ou dans trois ans, par exemple ? Combien d’années seront nécessaires pour parvenir à résorber efficacement ce déficit ?

Nous attendons ardemment vos réponses à toutes ces questions, monsieur le secrétaire d’État. Hormis vos prévisions plus qu’optimistes, il faut le reconnaître, vous ne nous donnez pour l’instant aucun gage concernant l’équilibre financier du futur groupe intégré SNCF.

De prime abord, la création d’un système intégré regroupant SNCF et RFF peut nous faire croire que des économies seront inévitablement réalisées, du fait de la suppression des doublons entre RFF et SNCF ou de l’instauration d’une politique d’achat commune pour le gestionnaire unifié. En réalité, nous craignons qu’elle n’entraîne, au contraire, d’importants surcoûts et que les gains de performance soient minimes. Comment escompter des économies notables en rapprochant un gestionnaire d’infrastructures et un opérateur qui exercent deux activités différentes ? La création d’un nouvel établissement public et l’incertitude de son fonctionnement ne permettront au mieux que de réaliser des économies marginales et auront, au pire, l’effet inverse en entraînant des coûts multiples et non maîtrisés.

Enfin, qu’en est-il de l’euro-compatibilité de votre réforme ? Des progrès ont été réalisés, nous en convenons, à la suite de nos travaux en commission du développement durable, mais nous craignons vraiment – et certains de mes arguments l’ont déjà démontré – que votre texte ne rentre pas pleinement dans les futurs cadres fixés par l’Union européenne. Rôle du régulateur national, indépendance du gestionnaire d’infrastructure unifié, décret-socle, voilà autant de volets de votre projet de loi, mes chers collègues, qui poseront sans doute un problème de compatibilité avec la législation européenne. S’agissant notamment des questions sociales, il ne faudrait pas que le décret-socle et la convention collective nationale créent des barrières à l’entrée d’autres opérateurs, sous peine de voir votre projet de loi retoqué par la Commission européenne.

Il est impératif, mes chers collègues, que nous anticipions et préparions, dès aujourd’hui, au travers des différentes mesures figurant dans cette réforme, l’ouverture à la concurrence. Sinon, le risque est grand que nous courions droit vers un échec comme cela a été le cas au moment de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, ce secteur s’étant depuis quelques années effondré malgré de nombreux plans de relance.

Un calendrier parlementaire inadapté à l’examen d’un projet de loi d’une trop grande technicité et qui aurait nettement mérité deux lectures au sein de chacune des chambres, un flou entourant les relations et les rôles des trois EPIC ainsi que les économies censées être réalisées à travers la réforme, un manque toujours flagrant d’indépendance entre le gestionnaire d’infrastructures et l’opérateur ferroviaire, un régulateur aux pouvoirs certes renforcés depuis l’examen en commission mais qui ne pourra pas faire figure de régulateur fort, une réforme qui risque, à très court terme, de ne pas être compatible avec la législation européenne pour ce qui regarde notamment la politique sociale pour les cheminots, le rôle du régulateur et l’indépendance du pôle public unifié : voilà, mes chers collègues, autant de raisons pour lesquelles il nous faut maintenant retourner en commission. Nous nous tiendrons à votre disposition, monsieur le président de la commission, toute cette nuit, toute la nuit de demain et toute celle de jeudi, s’il le faut.

M. Antoine Herth. Tant que la grève durera : nous ne pouvons pas rentrer chez nous !

M. Martial Saddier. Si, comme les députés du groupe UMP, vous poursuivez réellement l’objectif de moderniser durablement notre système ferroviaire, de le dynamiser, de lui donner tous les atouts nécessaires pour prendre sa place, toute sa place, dans un grand réseau compatible avec la législation européenne, je vous invite à voter cette motion de renvoi en commission pour approfondir nos travaux et surtout mettre fin aux zones d’ombre qui entourent encore cette réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Quelques mots pour dire à notre collègue Saddier qu’il a fait un balayage assez complet de tout ce qu’il n’a pas forcément soulevé en commission. Je voudrais quand même le rassurer sur un certain nombre de points.

Sur le sujet de la dette, c’est une pelote que l’on pousse en avant ! Mais, pour revenir sur les propos de Dominique Bussereau, la dette est en réalité due – et c’est bien là l’essentiel du dysfonctionnement financier de notre système ferroviaire –, à de mauvais choix publics d’investissements, qui ont plombé le système ferroviaire français,…

M. Laurent Furst. Mais non !

M. Gilles Savary, rapporteur. …et non aux dysfonctionnements de la SNCF. Les dysfonctionnements de la SNCF, s’il y en a, sont anecdotiques à côté du « tout TGV » : nous avons été dominés par la nécessité impérieuse de nous équiper en Formule 1.

M. Dominique Bussereau. Non !

M. Gilles Savary, rapporteur. C’est comme si nous avions équipé Air France uniquement en Concorde ! Or vous savez que ce n’est pas le Concorde…

M. Dominique Bussereau. Merci pour Alstom !

M. Gilles Savary, rapporteur. Je sais, monsieur Bussereau, que vous avez une usine Alstom dans votre circonscription – M. Borloo en avait une aussi –, et ce n’est pas étranger au choix du « tout TGV ».

M. Dominique Bussereau. Votre propos est scandaleux !

M. Gilles Savary, rapporteur. Absolument pas : il faut dire les choses ! Il n’est pas scandaleux de s’occuper de ses usines chez soi ; mais c’est ce qui explique la politique de surinvestissement ferroviaire de la France.

M. Dominique Bussereau. Et M. Borloo n’a pas une usine Alstom, mais Bombardier !

M. Gilles Savary, rapporteur. Vous citiez l’Allemagne tout à l’heure ; or celle-ci a renoncé à la très grande vitesse ferroviaire avec des arguments très simples : c’est hyper-coûteux en investissement et en maintenance et ce n’est pas amortissable. Cela s’est traduit chez nous par 600 millions d’euros d’augmentation en cinq ans des redevances d’infrastructures, avec pour conséquence que même la clientèle du TGV est en train de baisser.

M. Dominique Bussereau. Non, c’est le résultat de la pression des Verts !

M. Gilles Savary, rapporteur. Le TGV qui était rentable sur une seule ligne est aujourd’hui en train de plomber les comptes de la SNCF. Il faut le dire, parce que c’est la vérité ! Au passage, on n’a pas rendu service à Alstom parce qu’on n’a pas de gamme complète, alors que les Allemands ont une gamme complète…

M. Dominique Bussereau. Certes, mais elle ne marche pas : elle est en panne !

M. Gilles Savary, rapporteur. …et des trains qui sont capables, à 280 kilomètres à l’heure, pour infiniment moins de coûts d’infrastructure et de maintenance, de ne perdre que cinq minutes sur un trajet.

Voilà donc ce avec quoi il faut rompre. Si vous avez raison de dire que tout le monde a mordu à l’hameçon, c’est quand même la cause du très grand dysfonctionnement de notre système ferroviaire, qui l’a plombé financièrement. La dette sera-t-elle reprise un jour ? Je l’espère ! Vous avez vu qu’Eurostat a déclassé 10,8 milliards d’euros de dette : c’est une dette sans retour possible, une dette « maastrichtienne », c’est-à-dire de la dette d’État. J’ai donc bon espoir, d’autant qu’un amendement va être déposé afin que le Gouvernement, d’ici un an ou deux, trouve une solution pour que la dette ne pèse plus sur le ferroviaire.

Quoi qu’il en soit, la clause prudentielle que nous avons votée en commission et que nous allons examiner sous une forme plus définitive et plus détaillée en séance devrait normalement éviter que le système ferroviaire pâtisse, à chaque fois que l’État construit un château en Espagne, de projets pharaoniques et non amortissables.

Nous avons sacrifié le système ferroviaire à du « pharaonisme » au cours de ces dernières années, en particulier en ce qui concerne le réseau classique. Vous disiez, monsieur Bussereau, qu’il n’était pas en mauvais état : je vous renvoie aux deux audits successifs de l’Institut polytechnique de Lausanne, lequel fait autorité dans le monde entier.

M. Dominique Bussereau. Nous avons travaillé depuis !

M. Gilles Savary, rapporteur. L’état de notre réseau est dramatique : en mettant 2 milliards d’euros, soit en doublant la mise par rapport à celle que vous aviez vous-même doublée, il n’arrêtera de vieillir qu’en 2018 ! Voilà quel est l’état du réseau ferroviaire français aujourd’hui, et voilà pourquoi la pente est très difficile à remonter !

M. Martial Saddier. Alors renvoyez ce texte en commission !

M. Gilles Savary, rapporteur. Sans vouloir aller trop loin, je voudrais tout de même préciser à M. Saddier que si nous ne mettons pas l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, dans le Haut comité du ferroviaire,…

M. Martial Saddier. C’est parce que vous voulez la contourner !

M. Dominique Bussereau. Vous n’en voulez pas !

M. Gilles Savary, rapporteur. …c’est parce que M. de Montesquieu – j’ai une faiblesse pour lui car il est né dans ma circonscription – nous a enseigné il y a très longtemps la séparation des pouvoirs. La raison pour laquelle l’ARAF n’est pas dans le Haut comité du ferroviaire, qui est un parlement du ferroviaire auprès du ministre, est donc exactement la même que celle qui veut qu’aucun magistrat ne siège ici !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Quelques mots pour répondre à la présentation de la motion de renvoi en commission par Martial Saddier : je veux tout d’abord donner quelques informations sur le travail de la commission car cela me paraît important. Si, dans quelques instants, cette motion de renvoi en commission était adoptée, je pense que ce vote serait considéré un peu comme un désaveu du travail qui a été effectué tant par notre rapporteur que par la commission.

M. Martial Saddier. Pas du tout !

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je voudrais rappeler un certain nombre de faits et de dates qui me paraissent importants : ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, le projet de loi a été déposé le 16 octobre 2013, puis adopté par la commission du développement durable il y a quelques jours, le 28 mai 2014. La commission que j’ai l’honneur de présider a donc organisé un certain nombre d’auditions, que je veux rappeler car il est important que cela figure au compte rendu : audition de Jean-Louis Bianco, chargé par le Gouvernement d’une mission de concertation sur la réforme du système ferroviaire, le 26 mars 2013 ; audition de M. Jacques Rapoport, président de Réseau ferré de France, le 10 juillet 2013 ; audition de M. Pierre Cardo, président de l’ARAF, dont vous avez beaucoup parlé, le 24 juillet 2013 ; audition de M. Guillaume Pépy, bien entendu, président de la SNCF ; audition également de M. Frédéric Cuvillier, que nous avons reçu à deux reprises, le 2 octobre 2013 et le 11 février 2014. De plus, nous avions organisé sur ma proposition une table ronde sur les transports en Île-de-France.

Par ailleurs, Gilles Savary, qui vient à nouveau de s’exprimer, a mené de nombreuses auditions dans le cadre de la mission que nous lui avions confiée en tant que rapporteur de ce projet de loi. Notre collègue Martial Saddier a indiqué que notre commission s’était réunie pendant douze heures : non ! Elle s’est réunie pendant onze heures et quarante-cinq minutes exactement, les mardi 27 et mercredi 28 mai derniers.

M. Sylvain Berrios. Ce n’est pas beaucoup !

M. Élie Aboud. Ce n’est pas suffisant pour un texte comme celui-là !

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Sur les 450 amendements qui ont été déposés, 151 ont été adoptés ; ces amendements ont été présentés par des collègues représentant les différents groupes de cette assemblée. Je pense que nous avons la possibilité dans cet hémicycle de continuer à travailler, à examiner les amendements qui ont été adoptés et, j’en suis convaincu, à faire un excellent travail. C’est pourquoi je vous invite à ne pas voter cette motion de renvoi en commission présentée par notre collègue Saddier.

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur cette motion de renvoi en commission.

La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Je voudrais d’abord noter que notre collègue Saddier a été beaucoup plus constructif que le précédent orateur : il a semblé à plusieurs reprises se situer dans le cadre de la réforme, demandant simplement son retour en commission. Très honnêtement, je crois que l’examen des articles et l’adoption éventuelle d’amendements satisferont en grande partie son souhait d’approfondir le débat.

M. Martial Saddier. Non ! Je suis insatisfait !

M. François de Rugy. Je ne vois pas quel serait l’intérêt de renvoyer le texte en commission, si ce n’est de retarder inutilement les choses.

Je voudrais dire à cette occasion, puisqu’on a reparlé de la dette et que le rapporteur vient de s’exprimer longuement sur ce sujet, que l’on ne peut pas mettre en cause uniquement les investissements internes au secteur ferroviaire français. Celui-ci – la SNCF d’abord, puis la SNCF et RFF – a subi un effet ciseau entre les investissements massifs sur la route et le désinvestissement sur le réseau ferroviaire. Je rappelle qu’on a fermé beaucoup de lignes, et même qu’on en a démantelé beaucoup trop, avec des investissements ferroviaires trop concentrés sur le réseau TGV. De plus, ces dernières années, s’est amorcé un mouvement de réinvestissement sur le réseau classique, le réseau régional, en grande partie d’ailleurs grâce aux régions. Cela fait, je tiens à le souligner, que la SNCF a des atouts : il y a des problèmes à régler mais, dans le même temps, notre système ferroviaire, notamment le groupe SNCF, a des atouts et se trouve présent sur toutes les offres ferroviaires.

M. Antoine Herth. Pas partout !

M. François de Rugy. M. Herth a commis une confusion tout à l’heure : loin d’être un concurrent de la SNCF, Keolis en est une filiale qui agit sur le transport urbain ; ce n’est donc pas du tout un concurrent pour le transport ferroviaire. Il en va autrement pour Geodis, acteur du transport routier.

M. Antoine Herth. Les trains régionaux Geodis font concurrence à la SNCF !

M. François de Rugy. Oui, mais c’est autre chose : il ne faut pas non plus tout mélanger.

Monsieur Saddier, je trouve votre raisonnement un peu étrange sur le « paquet ferroviaire » – c’est ainsi que l’on parle au niveau européen. Vous avez dit qu’il allait être adopté en 2015 et que l’on ne pouvait donc pas adopter de loi en 2014, puisqu’il fallait quasiment anticiper le résultat de la négociation sur le paquet ferroviaire qui sera adopté en 2015 : vous en connaissez donc déjà le résultat ? Je trouve cela un peu étrange comme raisonnement. Je pense au contraire que l’adoption de notre loi permettra de peser dans le débat européen – tout comme les Allemands, en ayant adopté un système beaucoup plus intégré, ont évidemment pesé dans le débat. C’est pourquoi je souhaite que nous puissions passer à l’examen des articles, pour adopter des amendements qui permettront de rassurer les cheminots sur certaines de leurs inquiétudes.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. J’ai écouté avec grand intérêt l’intervention de notre collègue Saddier et j’ai été surpris par une chose : il demande un renvoi en commission alors que toute sa démonstration consiste en fait à dire qu’il faut renvoyer en Commission européenne !

M. Martial Saddier. Les deux !

M. André Chassaigne. Cela revient à considérer que le texte qui nous est proposé n’est pas suffisamment eurocompatible.

M. Dominique Bussereau. C’est vrai !

M. Martial Saddier. C’est bien le problème !

M. André Chassaigne. Quel esprit d’indépendance que d’être ainsi obnubilé par la Commission européenne, qui devrait venir dans notre pays nous dicter tous les textes de lois ! Non seulement ce type de comportement est rejeté par notre peuple – on l’a constaté il y a peu de temps –, mais vous en voulez encore plus ! L’indépendance nationale, l’indépendance du législateur, vous ne pouvez pas la supporter !

De plus, c’est considérer que nous aurions un secrétaire d’État particulièrement naïf. En réalité, et c’est d’ailleurs justement ce que je lui reproche – entre autres choses –, avant de nous présenter ce projet de loi, il est allé chercher, et il ne s’en cache pas, l’aval de la Commission européenne…

M. Martial Saddier. Ah ! Il est comme nous, alors !

M. André Chassaigne. …et du très libéral Siim Kallas. Pourquoi en voulez-vous davantage ? Encore une fois, le secrétaire d’État le dit lui-même, deux conditions sont remplies dans le texte, qui devraient vous satisfaire : il faut, d’une part, que la holding n’empiète pas sur les fonctions dévolues à SNCF Réseau pour la répartition des sillons le moment venu – des garanties ont été prises – et, d’autre part, que l’ARAF soit renforcée pour contrôler l’indépendance de SNCF Réseau. Ce que vous demandez est donc déjà dans le texte mais, pour vous, cela n’est pas suffisant, parce que vous êtes des obsédés !

M. Martial Saddier. Oh ! Fait personnel, monsieur le président ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Vous êtes des obsédés de la concurrence ! Vous ne voulez pas reconnaître que quand dans un pays, on installe la concurrence pour tout, on en constate aussi les résultats ! Vous savez très bien que le jour où les entreprises privées viendront concurrencer l’opérateur historique, elles viendront sur les lignes rentables.

M. Dominique Bussereau. C’est déjà le cas pour le fret !

M. André Chassaigne. Elles prendront ce qui rapporte de l’argent, elles prendront ce qui est profitable.

M. Dominique Bussereau. Elles ont repris à la SNCF le fret qu’elle n’assurait déjà plus !

M. André Chassaigne. Il ne restera plus à l’opérateur historique qu’à répondre à des appels d’offres en baissant les prix, mais il ne pourra pas les obtenir parce que s’il baisse trop les prix, il ne pourra pas maintenir les lignes à faible trafic ! En fait, ce que vous voulez, c’est une zone blanche complète dans notre pays pour le transport ferroviaire !

M. le président. La parole est à M. Philippe Duron, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Duron. Martial Saddier veut incarner l’avenir et le dynamisme – pas moins ! Et pourtant, il nous propose de ralentir le train des réformes. Je crois que nous avons trop attendu pour engager la réforme du système ferroviaire. Il y a eu une réforme incomplète, une réforme inaboutie, une réforme inefficace, nous l’avons tous constaté : c’était la réforme Pons-Idrac de 1997. Pendant ce temps, tous nos voisins engageaient une réforme ferroviaire : les Suédois en 1988,…

M. Dominique Bussereau. Les Anglais ! Et leur réforme marche !

M. Philippe Duron. …les Anglais en 1993-1994, les Allemands en 1994, les Italiens à la fin des années 1990. Et la France ? Elle a attendu. Il est donc temps que nous y allions. Nous connaissons depuis longtemps le diagnostic, nous l’avons même partagé : vous avez rappelé les Assises du ferroviaire, auxquelles ont participé avec moi Martial Saddier et Gilles Savary. Nous avons partagé un grand nombre de conclusions, au nombre desquelles deux faisaient vraiment consensus : la première est qu’il fallait réunifier l’ensemble des personnels travaillant sur l’infrastructure dans la même structure ;…

M. Dominique Bussereau. Erreur !

M. Philippe Duron. …La deuxième est qu’il fallait mettre un terme à l’évolution de la dette liée aux investissements, mais aussi liée au fonctionnement de la SNCF. Le secrétaire d’État en a rappelé les montants : 1,5 milliard d’euros constatés en 2011, et 3 milliards aujourd’hui. Il faut donc stopper cette évolution.

Concernant le travail en commission, le président a rappelé les faits, cher Martial Saddier : vous avez pu, et tous vos collègues avec vous, vous exprimer et défendre vos amendements. Vous vous êtes d’ailleurs réjoui en commission que votre groupe ait obtenu satisfaction sur de nombreux amendements, et même plus que certains groupes de la majorité.

M. Martial Saddier. Sur certains points, pas sur tous !

M. Philippe Duron. Aujourd’hui, il convient de reprendre ce travail ici et de l’achever, parce qu’il s’agit d’une réforme de cohérence et de clarification qui affirme la volonté de maintenir un service public ferroviaire de haute qualité et le progrès social dans le monde ferroviaire.

Pour toutes ces raisons, le groupe SRC vous invite à rejeter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Herth, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Antoine Herth. Monsieur le président, je tiens à saluer M. Saddier pour son argumentation et remercier le président de la commission du développement durable de m’avoir accueilli dans une enceinte que je n’ai pas l’habitude de fréquenter.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Ce fut un plaisir !

M. Antoine Herth. J’y ai vu un rapporteur qui essaie de faire avancer le texte dans la bonne direction face à un secrétaire d’État qui reste malheureusement fermé comme une huître. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Dominique Bussereau. C’est normal : n’oublions pas qu’il est aussi ministre de la pêche ! (Sourires.)

M. Antoine Herth. Beaucoup de sujets importants n’ont pas obtenu de réponse. Rien sur la question des gares, rien sur le matériel. Les régions achètent à prix d’or du matériel alors que c’est la SNCF qui en est juridiquement la propriétaire. Nous n’avons pas clarifié ce sujet. Rien sur l’entretien de ces matériels ni sur les services en gare alors qu’ils sont d’une importance cruciale. Rien sur la liberté tarifaire sinon que le secrétaire d’État menace de transférer les redevances d’accès et de nous dire : « Débrouillez-vous ! »

Monsieur le secrétaire d’État, pour avoir participé aux travaux de l’Association des régions de France, j’ai regretté qu’en l’absence de M. Rousset, principal cosignataire des amendements de l’ARF, ceux-ci n’aient tout simplement pas été examinés. Voilà, je crois, un argument suffisant pour retourner en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

L’avenir du secteur ferroviaire, ce n’est pas seulement un meccano institutionnel. Il ne s’agit pas seulement de savoir si le statut des cheminots s’appliquera demain à tout le monde. Il s’agit aussi de redonner du mouvement. Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, et ce n’est pas qu’une figure de style, il y a deux locomotives qui tirent l’activité ferroviaire. La première, c’est l’activité grandes lignes. Tout à l’heure, j’ai entendu pour la première fois M. Savary donner son avis sur l’activité grandes lignes. C’est d’elle que dépend en partie l’avenir de la SNCF. La seconde, c’est l’activité TER. Le texte ne comporte aucune clarification en la matière alors que cette activité s’essouffle, qu’elle est en train de mourir. Or c’est un donneur d’ordre essentiel pour l’avenir de cette belle maison SNCF. Ce texte doit trancher ces questions.

Voilà pourquoi je vous propose, mes chers collègues, d’adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à rendre hommage aux agents de la SNCF et à l’ensemble des cheminots. Comme nous tous, je pense à eux aujourd’hui. On a souvent tendance à dire que l’on se souvient des trains qui arrivent en retard mais jamais de ceux qui sont à l’heure. Ce dicton populaire s’adresse évidemment en priorité à la SNCF. Je pense à la formidable aventure industrielle et humaine et à ce beau réseau fiable, envié par tous. C’est une chance pour le développement de ce grand groupe qu’est la SNCF de pouvoir compter sur des cheminots d’une très grande qualité.

À quelques jours de l’anniversaire du Débarquement, je pense aussi à la résistance des cheminots, à la bataille du rail que vous avez évoquée tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État. Lorsque les cheminots s’engagent, ils le font jusqu’au bout.

Je pense aussi à mon oncle, engagé à l’âge de quatorze ans comme apprenti pour alimenter une machine à vapeur, et qui a achevé sa carrière en tant que directeur régional de la SNCF dans une grande région. Ce sont de beaux parcours qu’ont fait et que continuent à faire les agents qui s’engagent à la SNCF.

Je me félicite que l’État puisse avoir – enfin, dirai-je – une stratégie ferroviaire. Ne boudons pas notre plaisir, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout. Je m’interroge sur les raisons de la crise qui justifient qu’une réforme urgente soit nécessaire, même si celle-ci n’est peut-être pas suffisante.

L’histoire du secteur ferroviaire en France, c’est aussi, hélas, celle du train qui est entré dans le tunnel et qui n’en voit pas encore aujourd’hui le bout. Comment en sommes-nous arrivés à 1,5 milliard de déficit annuel – demain à 3 milliards –, et à 40 milliards de dettes ? Qui est responsable ?

Comme beaucoup de grands pans de l’économie nationale, le secteur du transport n’a pas vu l’évolution du monde, l’arrivée de la concurrence. La SNCF, c’est un service qui est en concurrence avec les autres modes de transport comme le covoiturage, le camion, le fret. Comment ne pas être frappé par l’arrivée de la concurrence du privé dans le secteur du transport de marchandises ? En six ans, il a pris 26 % de parts de marchés. Comment ne pas non plus être frappé par l’évolution des techniques et des méthodes qui nous font tous penser que la concurrence est toujours bénéfique, parce qu’elle permet de comparer, de s’adapter et de faire mieux, y compris dans le domaine du transport ?

Personne ne s’est intéressé à la dette parce que l’Union européenne ne s’en préoccupait pas. Dominique Bussereau en a parlé tout à l’heure. On aurait sans doute continué à faire de la dette si l’Union européenne n’avait pas sifflé la fin de la récré en disant que cela rentrait dans le cadre des critères de Maastricht. Chacun a réclamé des grandes infrastructures, chacun voulait sa gare TGV sans se soucier de savoir qui devait payer.

Enfin, comme l’a dit le rapporteur, notre système ferroviaire a baissé les bras face à des missions de bon sens comme le transport de proximité.

Il faut donc réformer, et de manière urgente. Il faut regrouper les métiers, éviter les doublons, poser les bases d’une convention collective évidemment indispensable, organiser l’indépendance du gestionnaire et ses relations par rapport aux opérateurs. Guillaume Pepy et Jacques Rapoport s’engagent à réaliser 1 milliard d’économies par an. Banco ! Nous faisons plutôt confiance en leur diagnostic. Compte tenu du chiffre d’affaires, un tel objectif n’est pas insurmontable. Nous les jugerons sur les actes. M. le secrétaire d’État a parlé tout à l’heure de ce pari de réaliser 500 millions d’économies.

Il reste évidemment beaucoup de questions, qui seront abordées au cours de la discussion. La réforme prévoit la création de trois EPIC. C’est un système complexe. Peut-être eût-il fallu aller plus loin en créant une société anonyme. C’eût été le bon sens. Mais si nous avions été au pouvoir, aurions-nous fait mieux, aurions-nous proposé d’emblée de créer une société anonyme ? Je n’en suis pas certain. C’est sans doute le prochain rendez-vous.

Il faudra que la nouvelle convention collective tienne compte de la réalité du monde d’aujourd’hui. Sur ce point, je suis d’accord avec mes amis et collègues du groupe UMP. C’est la question du décret-socle. Je rappelle qu’en Allemagne, un conducteur de train travaille quarante heures par semaine et explique qu’il est plus facile aujourd’hui de conduire un train qu’un camion, qu’on est formé en six mois. Faisons confiance au bon sens, aux capacités de négociation, mais posons-nous cette question.

Nous continuons à penser qu’il faut réfléchir à une véritable évolution du statut du personnel du groupe public ferroviaire. L’homogénéisation des régimes en matière de durée et de conditions de travail pourrait s’avérer contre-productive, notamment en termes de compétitivité, si elle était mal faite. Sur cette question, je suis d’accord avec l’analyse qu’a faite il y a quelques instants Dominique Bussereau.

Le groupe UDI souhaite obtenir davantage d’informations sur ce sujet car l’objectif n’est pas de continuer à perdre des parts de marchés en matière de transport de marchandises. Nous présenterons des amendements s’agissant de la future convention collective.

La reprise de la dette par l’État est une vraie question. Cela fait d’ailleurs partie des interrogations de bon sens de la CGT. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. On sait que 40 milliards de dettes ont été générés par notre système ferroviaire et que 11 milliards entrent maintenant dans les critères de Maastricht. Il va falloir payer. On se demande pourquoi le Gouvernement n’a pas saisi cette opportunité, car c’était l’une des quatre grandes revendications de la CGT et elle est de bon sens.

Le financement de la politique de transport public en France, après les désastreux loupés de l’écotaxe, est aussi une demande de la CGT. À cet égard, il est dommage que mon ami André Chassaigne ne soit plus là. C’est un sujet sensible. Le Gouvernement est en train de travailler sur des pistes de sortie. Monsieur le secrétaire d’État, vous auriez peut-être pu dire banco, il y a quelques jours, à ces organisations syndicales. Comment allons-nous pouvoir régler le problème ? Deux scénarios sont actuellement envisagés par le Gouvernement. Le rapport que nous avons commis pourrait être privilégié.

L’UDI avait conditionné son soutien à ce texte à deux avancées. La première concerne le renforcement du rôle de l’ARAF, ce qui est fait en grande partie. Le modèle choisi, c’est-à-dire celui des EPIC, pose la question de l’indépendance du gestionnaire par rapport à l’opérateur. En la matière, des amendements ont été adoptés par la commission du développement durable et sur lesquels nous ne souhaitons pas revenir.

M. le président. Monsieur Pancher, il faut conclure.

M. Bertrand Pancher. Rassurez-vous, monsieur le président, je n’utiliserai pas tout mon temps de parole lors de la discussion des articles.

S’agissant de l’ouverture à la concurrence, nous tirons la sonnette d’alarme. Ce texte risque de ne pas être eurocompatible d’ici à quelques années si le Gouvernement s’entête à ne pas préparer l’ouverture à la concurrence. Lorsque l’on discute avec les grands groupes, qu’il s’agisse de la SNCF ou de la Deutsche Bahn, ils nous disent bien que ce n’est pas la concurrence qui nous prendra toutes les parts de marché.

Nous considérons que les régions sont les grandes oubliées de ce projet de loi, ce qui constitue un paradoxe au moment où la grande réforme territoriale est annoncée par le Président de la République.

Nous militons – et nous allons déposer des amendements en ce sens – pour que les régions puissent choisir librement le mode d’attribution de leur contrat de service public. Ce serait une grande avancée supplémentaire. Nous allons voir comment vont se dérouler les débats.

M. le président. Il faut conclure.

M. Bertrand Pancher. Nous commençons avec l’envie de soutenir le Gouvernement et le rapporteur sur ce texte, à condition qu’il n’y ait pas de retour en arrière et qu’il y ait quelques petites avancées supplémentaires sur quelques points qui nous paraissent stratégiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le système ferroviaire actuel est une machine lancée à pleine vitesse vers un gouffre, celui de la dette, et roulant sur des infrastructures dépassées.

Cet état de fait est la conséquence d’un trop long désengagement de la part du politique et du choix fait en 1997 de scinder la SNCF et RFF, qui s’est révélé un échec sur les plans opérationnel et financier.

En effet, trop de dysfonctionnements naissent de la séparation du gestionnaire d’infrastructures et des exploitants. Trop de coûts sont engendrés par la duplication de certaines fonctions entre les deux structures, la difficulté de coordination des différents acteurs de la filière, les chevauchements dans leurs missions.

Le total de la dette de la SNCF et de RFF dépasse les 40 milliards d’euros, nous l’avons déjà tous en tête, et croît de 2 à 3 milliards par an, ne permettant plus d’investir dans la rénovation et la modernisation des lignes existantes.

Les usagers de la SNCF et les régions, comme autorités organisatrices de transport, souffrent depuis trop longtemps de ces dysfonctionnements et de ces incertitudes. Une réforme en profondeur était donc impérative, et il faut saluer l’initiative prise par le Gouvernement. Ce projet de réforme du secteur ferroviaire signe le retour du politique et il est, à bien des égards, une bonne réforme.

L’État reprend toute sa place dans la définition d’une stratégie ferroviaire. Mais j’y reviendrai. La nation aussi doit être présente, par l’intermédiaire du Parlement.

Ce projet de loi tend à créer un groupe public ferroviaire qui sera constitué d’un établissement public de tête, la future SNCF, et de deux établissements publics « filles » : le gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau, et l’exploitant ferroviaire, SNCF Mobilités.

L’établissement « mère », au sein duquel l’État est majoritaire, assurera le contrôle et le pilotage stratégiques, la cohérence économique, l’intégration industrielle et l’unité sociale du groupe public.

C’est donc tout l’inverse d’une privatisation, comme on a pu parfois l’entendre. Ainsi peut-on espérer remédier à l’enchevêtrement des responsabilités, qui rend difficile l’identification de l’interlocuteur pertinent, et simplifier les relations entre l’exploitant et le gestionnaire, tant on sait que les rapports entre SNCF et RFF sont complexes.

Si ce projet de loi ne résout pas le problème de la dette existante, on peut raisonnablement espérer qu’à moyen terme, la rationalisation du système par la création d’une nouvelle gouvernance permettra de la stabiliser. Les régions et les usagers doivent cesser de combler les trous.

Se pose tout de même la question de nouveaux financements et je tiens à rappeler ici toute l’importance de la redevance poids lourd, dont nous demandons fermement une mise en œuvre dès que possible.

Ce texte, on l’a dit, a pour objectif de renforcer le secteur public et donc d’affirmer avec force la position de la France dans le débat européen, notamment dans le cadre de la discussion qui a commencé au Parlement européen sur le quatrième paquet ferroviaire et l’ouverture à la concurrence.

Si nous défendons l’idée, à terme, d’un grand réseau européen de transport, cela ne doit pas faire de nous des dogmatiques et il n’est pas question de nier la particularité de notre réseau, de nos infrastructures, et la qualité du personnel de la SNCF.

On doit se préparer à la concurrence d’une manière solide pour en tirer tous les bénéfices possibles : je pense que ce projet de loi le permet. Car au-delà des usagers, cette question est aussi celle de la situation de milliers d’agents publics, cheminots, collaborateurs des structures. Nous devons être vigilants quant à l’évolution de celle-ci, j’y reviendrai également.

Quoique nous apportions notre soutien à l’initiative de cette réforme, il n’en demeure pas moins qu’en l’état, ce texte comporte des lacunes.

Vous le savez, le groupe écologiste est extrêmement attaché au transport ferroviaire de voyageurs et de fret, qui permet de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais surtout de penser la mobilité durable.

La question ferroviaire est au cœur des politiques de développement durable. L’accès à la mobilité pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire est au centre du projet écologiste, notamment par des tarifs plus mesurés. Il nous faut réfléchir à la mise en place d’un système désirable de transports, qui participe de l’équilibre, de l’égalité et de la cohésion entre les territoires. Un système ferroviaire qui s’attache à ne pas laisser dépérir certaines lignes, mais plutôt à les moderniser. Un système de transport intelligent, dans lequel le transport ferroviaire s’articule et se coordonne pleinement avec les autres modes de mobilités, où les gares sont des centres névralgiques d’échange, de vie et de développement économique pour le territoire.

À l’heure de la décentralisation, les régions comme autorités organisatrices, principaux financeurs du système, et à qui seront bientôt transférées les compétences de transport détenues par les départements, doivent être au cœur d’un réseau piloté par un État stratège.

Il est cependant raisonnablement permis de croire que le travail constructif que nous avons eu entre les différents groupes de la majorité, en relation avec le rapporteur, Gilles Savary, et le Gouvernement, permettra d’aboutir à un texte satisfaisant sur l’ensemble des points suivants.

En premier lieu, l’État est stratège, mais il doit l’être avec la représentation nationale. Le rôle du Parlement doit être impérativement renforcé, car le développement de notre territoire national dépend étroitement de celui du transport ferroviaire.

C’est la raison pour laquelle une majorité d’entre nous demande l’introduction d’une loi d’orientation quinquennale relative au transport et à la mobilité multimodale. Notre amendement n’a malheureusement pas été admis à être discuté en séance, au prétexte que nous ne pourrions prévoir l’ordre du jour de l’Assemblée.

Cette loi d’orientation ne doit pas être abandonnée ou remplacée par un rapport de plus que le Gouvernement remettrait au Parlement.

À cette loi d’orientation, nous souhaitons adosser un schéma national des services de transport ferroviaires, pour que nous puissions avoir une vision claire des priorités nationales. Ce schéma ferroviaire s’articulerait, pour la partie fret, avec le schéma national directeur logistique décidé dans la loi « Transport » de 2013, dont la mise en application est programmée l’année prochaine, si je ne me trompe, monsieur le secrétaire d’État.

Un Parlement pouvant se prononcer sur une orientation globale du développement ferroviaire n’aurait sûrement pas autorisé certains choix en matière d’infrastructures, qui vont littéralement plomber le financement du système ferroviaire pour des années.

Je pense notamment au choix du « tout-TGV », ou à certains projets de lignes à grande vitesse. Pire : le projet de liaison Lyon-Turin, qui à lui seul coûtera plus de 14 milliards d’euros, voire 20 milliards.

M. Dominique Bussereau. Il y a un traité franco-italien !

M. François-Michel Lambert. Il y a un traité franco-italien, mais il y a 14 à 20 milliards d’euros à trouver, cher collègue.

M. Dominique Bussereau. Il y a aussi des vallées alpines.

M. François-Michel Lambert. La moitié de la dette globale du groupe public à venir, pour un projet inutile !

Il est ainsi des projets évidemment inutiles dont on ne comprend pas pourquoi ils sont maintenus. Il en va de même de la ligne nouvelle en PACA : 8 milliards d’euros d’investissement et aucune réponse en matière de fret dans une région de grand transit.

Il faudra aussi se poser la question de ces investissements qui n’apportent pas de réponses à la hauteur des enjeux.

Les régions doivent être davantage valorisées. Nous avons donc proposé, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, en lien avec étroit les élus locaux et l’Association des régions de France, des amendements relatifs à la gouvernance au sein de l’EPIC de tête, la création d’infrastructures d’intérêt régional, le transfert de la propriété de certaines voies.

Malheureusement, les amendements sur la propriété de certaines voies ont été retoqués au titre de l’article 40. C’est extrêmement regrettable, au moment où nous voulons des régions plus responsables.

Il faudra aussi trouver le moyen de garantir le transfert de propriété des voies, des gares et du foncier aux régions, dans la nouvelle loi de décentralisation, tout comme il est primordial de confier aux régions le rôle de chef de file sur l’aménagement des gares, de créer un versement « transport » et de reconnaître la liberté tarifaire aux régions pour les TER.

Il est important, également, de flécher en priorité les financements vers l’aménagement et la rénovation des lignes existantes, plutôt que vers le déploiement de nouvelles lignes.

Enfin, l’autre grand chantier de la réforme est son volet social. Ce groupe public ferroviaire comprendra près de 155 000 cheminots. Au-delà de la grève actuelle, il faut tenir compte des inquiétudes de beaucoup d’entre eux. On ne fait jamais grève par plaisir. Je veux réaffirmer que cette réforme ne remet en question aucun des acquis sociaux auxquels les salariés sont légitimement attachés. Le statut du cheminot est maintenu, de même que sa protection sociale.

Toutefois, il convient d’apporter des garanties supplémentaires aux syndicats et nous saluons l’accord signé entre le gouvernement, la CFDT et l’UNSA, ainsi que votre travail, monsieur le secrétaire d’État.

Plusieurs des amendements écologistes traduisent des mesures de cet accord. Nous les défendons, pour la plupart, avec d’autres groupes de la majorité, soucieux, comme nous, que le cadre social du futur groupe public ferroviaire soit harmonisé.

Entre autres, nos amendements intègrent dans la loi le principe selon lequel le groupe remplit solidairement des missions de transport et de gestion des infrastructures ferroviaires, affirment le caractère non séparable des EPIC, mettent en place une représentativité des organisations syndicales calculée sur le périmètre du groupe, ou encore créent un comité central d’entreprise.

Je crois que le vote de ces amendements sera de nature à apaiser les craintes des salariés et des syndicats et à les assurer de notre volonté farouche de créer un véritable groupe public ferroviaire intégré, ambitieux, qui maintienne une politique sociale élevée.

Nous ne doutons pas que le Gouvernement et nos partenaires de la majorité auront à cœur de faire avancer le texte. Nous aurons, j’en suis certain, un débat riche et passionnant sur l’avenir de notre système ferroviaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à l’heure où nous nous apprêtons à examiner un projet de loi relatif à la réforme de notre système ferroviaire, je voudrais réaffirmer avec force l’attachement des députés du groupe RRDP à l’ensemble du groupe public ferroviaire que représente la SNCF.

Ce groupe public a une belle histoire, une tradition d’excellence, un savoir-faire réputé dans le monde entier, et au nom de mon groupe, je tiens à saluer chaleureusement l’ensemble du monde cheminot pour son travail quotidien, parfois pénible et éloigné du foyer familial.

N’oublions pas que ce travail quotidien, grâce auquel des millions de personnes se déplacent pour des raisons professionnelles ou personnelles, a fait de notre système ferroviaire l’un des meilleurs du monde. Tous les classements internationaux nous placent en deuxième position, ex aequo avec l’Allemagne et derrière la Suisse, qui est par ailleurs championne du monde, y compris – on le dit moins souvent – en termes de contribution publique.

Si nous nous devons de constater les dysfonctionnements et les poches d’inefficacité, afin d’améliorer notre système, nous devons d’abord réaffirmer que nous pouvons être fiers de celui-ci.

Nous n’avons qu’un seul but, améliorer la productivité et la sécurité du système de transport ferroviaire, au meilleur coût pour la collectivité et pour l’usager.

Nous n’avons qu’un seul devoir : nous donner toutes les chances de réussir une réforme ferroviaire pour les cheminots et les groupes qui les emploient, mais aussi et surtout pour les clients que sont les usagers et les autorités organisatrices de transports.

Jusqu’alors, nous n’avons pas été brillants, puisque nous avons réussi à démanteler totalement l’organisation globale du système en séparant l’infrastructure de l’opérateur de transport, tout en fermant notre pays à l’arrivée de concurrents. Et ce, en créant avec Réseau ferré de France une boîte à dettes de 44 milliards qui n’a même pas autorité sur le service chargé des infrastructures de la SNCF, d’où des dysfonctionnements majeurs.

N’oublions pas que le transport ferroviaire n’a jamais été et ne peut pas être performant économiquement ou rentable sans l’aide de fonds publics importants. Partout il est financé aux alentours de 50 % par des capitaux publics. Cette règle se vérifie dans tous les pays du monde, et la chute continue de la part relative du chemin de fer par rapport à ses concurrents depuis le début du XXe siècle en atteste. Le fait que le transport ferroviaire de passager n’existe pas ou quasiment plus aux États-Unis en est une belle illustration.

La concurrence dans le secteur ferroviaire agit aussi comme un révélateur des insuffisances des financements publics, avec une hausse globale des fonds publics comme du coût pour les utilisateurs, ainsi que le montre l’exemple de la Grande-Bretagne, où les billets de train sont désormais réservés aux classes sociales moyennes et supérieures alors même que le contribuable a vu augmenter sa part dans le financement en raison de l’inefficacité globale du système.

Chaque développement du système ferroviaire crée une charge publique supplémentaire. Il est aussi vain qu’inutile de croire que le développement de la concurrence dans un secteur aussi particulier que le secteur du transport ferroviaire apportera des améliorations majeures.

C’est la raison pour laquelle ce texte n’est pas, tant s’en faut, le copier-coller d’une réforme qui avait fixé comme objectif à l’opérateur historique des télécommunications de réduire à 30 % sa part de marché. Nous en sommes bien loin, et c’est heureux.

Cela dit, faut-il pour autant nier des faits incontestables sur les dérives et les inefficacités du système actuel ? Je ne le crois pas.

En économie, nous constatons que les monopoles historiques ferroviaires ont naturellement tendance à jouir de leur position pour développer une bureaucratie lourde, limiter les pouvoirs des régulateurs ou des autorités organisatrices de transport et limiter la productivité.

Nous devons lutter contre ces phénomènes pour optimiser le service rendu aux utilisateurs et aux autorités organisatrices de transports à un coût le moins élevé possible, mais ne rêvons pas sur les effets vertueux que produirait la concurrence dans ce secteur avec de telles spécificités.

Au Royaume-Uni, le constat est sans appel : la libéralisation a abouti à une fragmentation du système entre les structures et les interfaces, produisant des poches d’inefficacité économique et une productivité moindre que dans tous les pays qui ont gardé leurs monopoles.

L’Union européenne nous impose d’organiser un système ouvert à la concurrence pour le transport de voyageurs à l’horizon 2019. Même si nous connaissons les limites de cette doctrine qui projette des paradigmes économiques valables sur une majorité des économies de réseau, nous sommes pleinement engagés dans cette voie et ne comptez pas sur les parlementaires radicaux, fermement attachés à la construction d’un édifice juridique commun, pour renier cet engagement français.

C’est pourquoi je salue l’action conjointe des gouvernements allemands et français, qui ont su négocier un quatrième paquet ferroviaire avec l’Union européenne qui rend l’architecture proposée dans ce texte eurocompatible.

Si la concurrence pourra avoir des effets positifs sur la stimulation de l’innovation, la transparence, l’efficacité et sur le service rendu aux utilisateurs, elle sera de fait limitée et nous devons réorganiser notre système ferroviaire en prenant soin de préserver un opérateur en mesure de remplir l’ensemble des missions de transport avec toutes les contraintes techniques exigées.

Enfin, la concurrence peut jouer et produire ses effets à condition d’éviter la désintégration entre la gestion de l’infrastructure et la production des services de transport.

Comme les exemples allemand ou suisse le montrent, nous pouvons introduire la concurrence sans pénaliser trop lourdement le système global en consolidant un gestionnaire d’infrastructure unifié dans un groupe intégré.

De fait, nous aboutirons inévitablement à une concurrence avec un mastodonte et des entreprises qui, au demeurant, ne cherchent pas à avaler ou à se venger de l’ogre historique. Ces déséquilibres n’impliquent pas nécessairement un mauvais fonctionnement de la concurrence. C’est le rôle majeur du régulateur que de l’organiser, notamment en veillant à la transparence des flux financiers relatifs à l’infrastructure et aux gares. C’est tout le sens de l’article 4 du projet de loi pour lequel nous devons avoir une attention très particulière.

Les Assises du ferroviaire de 2011 ont mis en lumière trois grands dysfonctionnements, auxquels ce projet de loi cherche à répondre.

D’abord, l’éclatement de l’infrastructure entre deux entreprises, une fragmentation d’une seule et unique fonction dans deux entités dont la sociologie des organisations nous enseigne qu’elles ne peuvent pas ne pas aboutir à une confrontation. Il est frappant de constater que nous sommes le seul pays au monde à avoir eu cette idée. C’est bien connu, en France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. Elles ne sont cependant pas toutes brillantes.

Nous savons bien que le volume et la technicité des travaux exigent une collaboration étroite et permanente entre les différentes activités de l’infrastructure et entre l’infrastructure et l’exploitation.

Ensuite, nous sommes favorables à une distinction entre l’infrastructure et le transport, mais pas à une séparation.

Le secteur ferroviaire a des caractéristiques propres, dont nous devons désormais tenir compte : l’infrastructure et le transport sont intimement liés et doivent pouvoir dialoguer facilement pour éviter les incidents comme le Régiolis.

Ces dysfonctionnements ont été une cause importante de la dérive financière du système. Le projet de loi répond à cette problématique par la réunification de l’infrastructure avec un modèle intégré au sein d’une entité globale : c’était de loin la meilleure des solutions pour respecter à la fois nos engagements européens et les caractéristiques du transport ferroviaire. C’est par ailleurs ce que nos amis allemands ont compris quelques années avant nous.

Nous aurons désormais un gestionnaire d’infrastructures unifié intégré au sein d’un groupe sans être une branche de ce groupe. Son statut sera celui d’un EPIC, il sera donc autonome et responsable, avec son propre conseil d’administration, son président, son contrat de performance, son budget et son personnel, et sera sous le contrôle de l’ARAF.

C’est une équation compliquée et subtile mais le projet de loi prévoit bien que le GIU est distinct sans être séparé, au sens où il fait partie du groupe public intégré qui garantit la cohérence et l’unité du système ainsi que la cohésion sociale.

À ce sujet, permettez-moi de souligner l’apport important de l’amendement défendu par le groupe RRDP sur la mobilité des salariés entre les trois EPIC.

Cet amendement, adopté en commission du développement durable, est désormais inscrit à l’alinéa 35 de l’article 1er du projet de loi. Il précise que sans discrimination liée à leur statut d’emploi ou à leur origine professionnelle, les salariés de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités peuvent pourvoir tout emploi ouvert dans l’un des établissements du groupe public ou dans leurs filiales.

C’est une avancée importante pour les cheminots, pour l’unité et la cohésion sociale du groupe public ferroviaire, auxquelles les députés RRDP sont très attachés.

Cela dit, nous savons aussi que nous devons préparer la possibilité d’une ouverture à la concurrence dans le transport voyageur et que le projet de loi doit préserver un des dogmes de la concurrence libre et non faussée, à savoir la possibilité pour un opérateur de transport d’entrer sur le marché.

Nous avons beaucoup avancé sur ce sujet en commission en donnant au régulateur, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, les moyens d’exercer correctement son rôle.

Nous verrons qu’il reste encore quelques ajustements à effectuer, mais je tiens à saluer d’ores et déjà le fait que si nous respecterons nos engagements européens en laissant ouverte la possibilité d’entrée d’un nouvel acteur, par exemple, nous avons donné un avis conforme à l’ARAF sur la tarification – ce qui est important.

La question des pouvoirs du régulateur est complexe et nous comprenons parfaitement qu’il y a de très bons arguments dans chaque camp. Cela dit, globalement, nous pensons que l’ARAF doit être en mesure d’exercer pleinement son rôle de régulateur,…

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Joël Giraud. …mais sans se transformer en gestionnaire des activités ferroviaires – ce qui peut être sa tentation naturelle, contre laquelle nous devons être vigilants. Mais sans un régulateur indépendant et fort, nous ne serons pas en mesure de garantir la concurrence équitable.

M. Martial Saddier. Il a raison. Très bien !

M. Joël Giraud. Pour conclure, je ne reviendrai pas sur la question de la dette car ce projet de loi est un texte sur la gouvernance qui a pour objectif de ne pas l’aggraver en limitant les possibilités de déficits grâce à des mécanismes vertueux.

Reste le stock de la dette. Le Premier ministre s’est exprimé tout à l’heure au cours des questions d’actualité et la proposition d’un rapport remis au Parlement pour éclaircir la décision relative à ce stock constitue une piste intéressante.

Je me contenterai de rappeler ici les améliorations du système ferroviaire que nous souhaitons voir adoptées au cours de nos débats sur les 80 amendements déposés par le groupe RRDP. Parmi eux, plusieurs amendements sont rédactionnels mais d’autres sont importants à nos yeux. Une partie d’entre eux vise à mieux reconnaître la place importante des autorités organisatrices de transport, et notamment des régions, dans le nouveau système ferroviaire que nous sommes en train de bâtir.

S’agissant de l’ARAF, l’Autorité de régulation, je continue à croire qu’il y a de meilleurs arguments pour préférer l’absence d’un commissaire du Gouvernement à sa présence. A ce sujet, nous serions bien inspirés de retenir la leçon de l’ARCEP, car si l’histoire ne se répète pas, il peut lui arriver de bégayer.

Enfin, nous vous présenterons une quinzaine d’amendements pour répondre aux inquiétudes légitimes qui s’expriment aujourd’hui sur la cohésion sociale au sein du groupe, l’intégration et l’unification du groupe ainsi que les conditions de travail des cheminots.

En tout état de cause, le seul grand danger, aujourd’hui, aurait été le statu quo. Je félicite le Gouvernement de ne pas avoir choisi de s’engager dans cette impasse.

C’est pourquoi le groupe RRDP soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite du projet de loi portant réforme ferroviaire ;

Suite de la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron