Application de la loi du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle (CMU)

Communication à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales
le 28 juin 2000

Mme Odette GRZEGRZULKA, rapporteure,
Députée de l’Aisne

Introduction

Conformément aux décisions du bureau de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, le suivi de la loi du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle (CMU) est assuré par une mission d’information chargée d’étudier, de manière pragmatique et progressive, les problèmes posés par l’application de cette loi.

La première communication, présentée le 15 mars dernier, était consacrée à la mise en place du dispositif CMU. La deuxième, qui fait l’objet du présent document, a pour objectif d’examiner le panier de soins des bénéficiaires de la CMU afin d’en apprécier le contenu, les conditions d’application et l’estimation de son coût. Le panier de soins est l’ensemble des frais de soins pris en charge par la CMU, c’est-à-dire le ticket modérateur, le forfait journalier en cas d’hospitalisation, les prothèses dentaires et les traitements d’orthopédie dento-faciale.

Avant d’aborder ces questions, il semble opportun d’apprécier les suites données à la première communication. Il est regrettable que plusieurs des propositions présentées alors n’ont pas encore été traduites dans les faits.

La question de l’engagement et de la participation des centres communaux d’action sociale n’est toujours pas résolue ; la relance du partenariat entre les caisses d’assurance maladie et les organismes complémentaires devrait être favorisée par un répertoire de ces derniers dont la complexité ne semble pas correspondre à l’objectif recherché ; des mesures de simplification des dossiers d’inscription n’ont toujours pas été prises.

I.- Le panier de soins : un contenu satisfaisant mais encore perfectible

A. Le panier de soins : un progrès incontestable

1.- L’innovation apportée par la CMU

Les bénéficiaires de la CMU sont dispensés du paiement du ticket modérateur ainsi que du forfait journalier tant qu’ils resteront dans le dispositif. Ils n’ont à effectuer aucune avance de frais.

Le panier de soins comprend donc l’ensemble des soins ambulatoires, tant en médecine générale qu’en médecine spécialisée dans le cadre des tarifs conventionnés. Il comprend également l’ensemble des prestations d’hospitalisation tant dans le cadre des hôpitaux publics que des cliniques conventionnées. Il comprend enfin tous les médicaments remboursés par la sécurité sociale, sans aucune limitation. Ainsi pour les consultations médicales, les soins de ville, les médicaments remboursés par la sécurité sociale, le bénéficiaire n’a-t-il rien à payer. En ce qui concerne les lunettes, les appareils dentaires, et un certain nombre de produits et appareils médicaux, des négociations avec les caisses et les professionnels concernés ou, en cas d’échec, un arrêté fixent le niveau de prise en charge. En effet dans ces domaines les prix sont libres et nettement supérieurs au tarif de remboursement à 100 % de la sécurité sociale.

La régulation des dépenses liées à la CMU ne pouvant par principe reposer sur la limitation des remboursements et les bénéficiaires de la CMU ayant été intégrés au droit commun, il a fallu mettre en place un autre type de principe de contrôle des dépenses. Dans les domaines les moins couverts par la sécurité sociale, il a été alors décidé de recourir à la méthodologie du panier de soins. Les consommations en lunetterie, prothèses dentaires et un certain nombre de biens médicaux ont donc été définies et limitées, après discussions avec les caisses et les professionnels. Il s’agit d’une démarche tout à fait originale dans le système de soins et de protection sociale à la française.

Le processus s’est déroulé en plusieurs temps.

Dans un premier temps, l’extension du principe de la couverture médicale complémentaire a été acquise pour les personnes qui, situées au-dessous d’un certain seuil de ressources et de revenus, ne pouvaient bénéficier d’une telle couverture. Ceci concernait environ 6 millions de personnes.

Dans un deuxième temps, et partant de calculs économiques de dépenses de santé fondées sur les risques encourus et les consommations médicales estimées des populations concernées " a priori " par la CMU, on a estimé à 9 milliards de francs le coût de la CMU pour ces 6 millions de bénéficiaires, soit 1 500 francs par personne.

L’équilibre du dispositif repose donc sur le fait que le coût de chaque bénéficiaire ne dépasse pas les 1 500 francs estimés. D’où la démarche qui a été entreprise de définition d’un panier de soins qui détermine le périmètre des dépenses médicales prises en charge au titre de la CMU.

2.- Le contenu réglementaire du panier CMU

La loi a défini le panier de soins, c’est-à-dire les frais de soins pris en charge par la CMU (art. L. 861-3, L. 165-1 et L. 162-9 du code de la sécurité sociale). Il s’agit :
- du ticket modérateur et du forfait journalier, en cas d’hospitalisation ;
- des prothèses dentaires et des traitements d’orthopédie dento-faciales ;
- des dispositifs médicaux.

Ce panier de soins a été négocié avec les professionnels de santé. En novembre 1999, le Gouvernement a fait connaître son accord avec la " philosophie générale " des propositions faites par la CNAMTS, les mutuelles et les assureurs privés. Mme Martine Aubry a reconnu " la nécessité d’un plafond individuel de prestations, pour l’optique comme pour les soins dentaires ". En ce qui concerne l’optique, la ministre a avalisé l’ordre de grandeur des prix des lunettes soumis à la profession (358 F pour les corrections courantes et 700 F pour les autres) à raison d’une paire de qualité par an au maximum. Pour les prothèses dentaires, la ministre a entériné la nécessité d’un plafond de prestations et accepté la proposition de cumuler les prestations sur deux ans. Mais il n’a pas été trouvé à ce jour d’accord sur le montant du plafond.

Le Gouvernement a décidé de prendre des arrêtés de substitution afin de permettre la mise en place de la CMU dès le 1er janvier 2000.

Trois arrêtés en date du 31 décembre 1999 fixent ainsi :
- la liste des biens et services médicaux remboursables au titre de la protection complémentaire santé ;
- les montants maximum pris en charge, en sus des tarifs de responsabilité ;
- les prix de vente maximum que doivent proposer les distributeurs aux bénéficiaires de la CMU complémentaire.

 l’optique

Les montants pris en charge correspondent à des prix de vente d’un montant limité à 358 F pour des équipements complets (verres simple foyer, sphériques) et à 900 F pour des équipements complets avec verres progressifs. La prise en charge est limitée à une paire de lunettes de qualité et d’esthétique satisfaisantes par an. Ne sont pas prises en charge selon les garanties offertes par la CMU, les lentilles de contact.

A titre d’exemple, le prix maximum auquel un opticien est tenu de proposer à un bénéficiaire de la CMU une paire de lunettes permettant la correction la plus simple et la plus légère est fixé à 358 F et le montant maximum pris en charge par la CMU complémentaire en sus du tarif de responsabilité est de 309,35 F, ce qui permet le remboursement intégral de cette paire de lunettes.

Une circulaire du 27 avril 2000 a apporté des précisions sur les modalités de prise en charge des frais d’optique. Elle précise notamment les conditions dans lesquelles des éléments de paires de lunettes, tels qu’un verre seul ou une monture seule peuvent être pris en charge.

• la dentisterie

Pour les soins dentaires la prise en charge ne peut excéder un plafond fixé à 2 600 F par bénéficiaire, par période de deux ans. Ce plafond n’est pas applicable lorsque les frais engagés correspondent à des prothèses amovibles d’au moins dix dents et à des traitements d’orthopédie dento-faciale. Il ne l’est pas non plus en cas " d’impérieuse nécessité médicale " constatée par le service du contrôle médical de la caisse d’assurance maladie.

A titre d’exemple, le tarif de remboursement de la couronne dentaire métallique par le régime obligatoire est de 705 F, le dépassement maximum autorisé au-delà du tarif est de 595 F, le montant maximum pris en charge par la CMU complémentaire est de 595 F et le prix maximum de la couronne métallique est de 705 F + 595 F = 1 300 F.

La circulaire précitée du 27 avril 2000 donne le détail des modalités de mise en œuvre du plafond.

• les dispositifs médicaux

Les dispositifs médicaux (produits et appareils inscrits au TIPS) pris en charge par la CMU sont des dispositifs remboursables par les régimes obligatoires et qui figurent sur la liste fixée par l’arrêté du 31 décembre 1999.

Pour les dispositifs figurant sur cette liste, les frais exposés en sus des tarifs de responsabilité sont entièrement pris en charge, dans la limite des prix limite de vente fixés par l’arrêté du 31 décembre 1999. La liste de produits remboursables pris en charge par la CMU complémentaire a été établie après consultation d’experts médicaux, en concertation avec les caisses nationales et après contacts informels auprès des organismes complémentaires et des professionnels, ainsi que des associations intervenant auprès des populations défavorisées. L’objectif essentiel poursuivi en établissant cette liste était de répondre aux besoins médicaux les plus fréquents (optique, pansements et compresses, produits pour diabétiques) ou à des besoins médicaux plus rares mais particulièrement importants (appareils pour stomisés, vêtements compressifs pour grands brûlés). Aucune demande de révision de la liste n’a été transmise à ce jour au ministère.

A titre d’exemple, pour les prothèses auditives, le forfait est fixé à 1 600 F par période de deux ans.

Tous ces prix fixés par arrêtés ne sont applicables qu’aux bénéficiaires de la CMU complémentaire, sur présentation de l’attestation de leurs droits.

B. Des améliorations encore possibles et souhaitables

On constate - et il faut les déplorer - plusieurs inadaptations qui engendrent des situations humainement difficiles pour les bénéficiaires et juridiquement complexes pour les caisses d’assurance maladie ou les professionnels de santé. Il apparaît à l’usage que les textes fixant le contenu du panier, présentés dans le paragraphe précédent, sont source en effet d’un certain nombre de difficultés, comme le montrent les quelques exemples suivants :

- Les dispositifs médicaux lourds telles que les chaises roulantes, ne font pas partie du panier CMU ; ceci découle du choix volontaire consistant à concentrer le panier sur des biens de grande consommation et sur les soins les plus urgents, au premier rang desquels la lunetterie et la dentisterie.

- Les textes réglementaires - à l’exception de la circulaire du 27 avril 2000 - prévoient le remplacement de deux verres optiques et jamais d’un seul ; dans l’attente d’une modification de l’arrêté du 31 décembre 1999, les bénéficiaires de la CMU sont donc contraints d’entamer leur plafond de dépenses lunetterie comme pour le remplacement complet de leurs lunettes ; au même chapitre, il faut regretter l’exclusion du panier des lentilles de contact tandis que les verres progressifs, qui coûtent 700 à 1 400 francs par unité, ne font pas l’objet d’un tarif particulier dans le panier et grèvent donc considérablement le plafond annuel de dépenses imposé aux bénéficiaires.

- Les soins dentaires et plus particulièrement prothétiques sont sans conteste les soins qui posent le plus de problème, d’autant plus qu’à l’inverse des autres soins, l’hôpital ne peut servir de dernier recours. Les règles fixées pour le panier semblent parfois absurdes comme l’ont constaté les associations caritatives (UNIOPSS). Ainsi en est-il de la possibilité de dépasser le plafond annuel de dépenses, admise lorsqu’il faut remplacer au minimum dix dents, ces dernières devant se trouver sur le même maxillaire. Il n’est donc pas permis de déroger au plafond si ces dix dents se trouvent sur les deux maxillaires !

Les problèmes sont d’autant plus aigus qu’il existait hier, dans certains départements, des prises en charge beaucoup plus généreuses. Ainsi dans les Hauts-de-Seine, le département assurait à un titulaire de l’aide médicale pour une couronne en céramique un remboursement maximum de 2 200 francs, ce qui permet de couvrir en moyenne le coût total demandé par les praticiens. Aujourd’hui, le panier CMU rembourse seulement pour ce même soin 1200 francs. La question est donc posée de l’action des départements pour compléter le dispositif CMU, au moins pour les cas les plus urgents d’autant qu’ils ont conservé 5 % de la dotation pour l’aide médicale.

D’autres problèmes s’ajoutent à cette liste mais qui ne sont pas liés au dispositif CMU lui-même. Ainsi en est-il des prothèses auditives dont l’assurance maladie n’assure le remboursement que pour une unité par personne et par an. Cette règle, fixée par la nomenclature, vaut hélas pour tous les assurés.

II.- L’application du panier de soins

A. une mise en place réussie...

1.- Des règles simples

Les distributeurs sont libres soit de pratiquer un tarif CMU pour tous les assurés, soit de mettre en place un système de double-prix, l’un en faveur des bénéficiaires de la CMU et l’autre pour les autres assurés. Dans ce dernier cas, le bénéficiaire de la CMU doit se faire identifier au moyen de son attestation pour que lui soit appliqué le tarif CMU. Ceci est contraire à l’esprit de la loi qui veut que le bénéficiaire de la CMU relève du droit commun et soit traité comme tout assuré social.

Le tiers-payant est appliqué dans tous les cas, ce qui évite l’avance de frais et présente sans conteste un avantage considérable pour des populations aux ressources très modestes. Le 16 juin, a été publié l’arrêté fixant le contenu de la carte papier remise aux bénéficiaires de la CMU qui ouvre droit au bénéfice du tiers-payant. Ce document papier est établi dans l’attente de la mise en œuvre des mécanismes de mise à jour de la carte électronique Vitale qui devraient intervenir au plus tard le 31 décembre 2001.

Il peut être dérogé aux règles fixant pour certains soins ou biens médicaux des plafonds de dépenses annuels par assuré dans le cas de " circonstances exceptionnelles " qui peuvent justifier des dépassements. Les règles ne sont donc pas totalement rigides.

2.- Des professionnels de santé en général de bonne volonté

L’Ordre national des médecins, par une initiative qu’il convient de saluer, a condamné très fermement les cas de refus de soins et a rappelé que de tels agissements sont passibles de poursuites disciplinaires et contraires au code de déontologie médicale, pour les articles suivants :

" Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité (article 2) ;

" Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée […] Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser sers soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. […] S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins (article 47) ;

Certains médecins ont soutenu que ces dispositions leur permettaient de refuser leurs soins aux bénéficiaires de la protection complémentaire. Bien au contraire, cet article rappelle le médecin à ses devoirs et il ne peut être admis que la situation sociale du patient figure parmi les raisons qu’un médecin peut invoquer pour refuser ses soins.

- " Le médecin doit, sans céder à aucune demande abusive, faciliter l’obtention par le patient des avantages sociaux auxquels son état lui donne droit " (article 50).

La très grande majorité des médecins libéraux semblent accepter spontanément les bénéficiaires de la CMU. Si la CMU apparaît comme un progrès indiscutable pour les patients, elle apporte aussi un avantage concret aux praticiens. Avec l’ancienne aide médicale gratuite (AMG), les délais de paiement pouvaient atteindre cinq ou six mois. Auparavant, certains généralistes installés dans des quartiers difficiles pouvaient avoir un découvert de trésorerie de l’ordre de 70 000 francs à cause de l’aide médicale gratuite.

Avec la CMU, la trésorerie des généralistes qui télétransmettent a été améliorée. En moyenne, ils sont remboursés au plus tard au bout d’une semaine. Certes, on ne compte encore que 25 % de médecins ayant adopté les feuilles de soins électroniques. Il semble que les partisans de la CMU manifestent moins de réticences que certains de leurs confrères face à la télétransmission.

Cette réelle participation d’une bonne partie des médecins de terrain à la CMU apparaît rassurante pour l’avenir de ce dispositif indispensable à l’égal accès aux soins.

3.-La création du fonds de financement

La loi a créé un fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie. Par similitude avec le fonds de solidarité vieillesse (FSV), il s’agit d’un établissement public à caractère administratif.

Les dépenses du fonds sont :
- un versement aux organismes de sécurité sociale d’un montant équivalent à la charge que représente, pour eux, la couverture complémentaire. Il s’agira donc d’un calcul forfaitaire tenant compte du coût moyen que représente un affilié multiplié par le nombre de personnes prises en charge ;
- un versement aux mutuelles et aux assurances des sommes qui leur sont dues ;
- les frais de gestion administrative du fonds.

Les recettes du fonds sont :
- un versement dû par les mutuelles et les assurances : une contribution de 1,75 % de leur chiffre d’affaires santé.
- une dotation d’équilibre de l’Etat.

Le financement est donc assuré par la contribution des organismes complémentaires de 1,75 % de leur chiffre d’affaires santé, c’est-à-dire 1,8 milliard de francs et la subvention de l’Etat pour 7 milliards de francs (chapitre 46-82 du budget de la santé). Les organismes complémentaires bénéficieront d’un crédit d’impôt de 1 500 francs par bénéficiaire inscrit chez eux.

Le coût final pour l’Etat est modéré puisque la CMU a provoqué une diminution de dépenses : 9,1 milliards de francs au titre de la DGD (dotation globale de décentralisation) et 0,4 milliard de francs au titre des économies d’aide médicale. La charge nette pour l’Etat est donc de 1,7 milliard de francs.

La rapporteure déplore l’attitude de certains organismes complémentaires (mutuelles, assurances) qui ont présenté l’augmentation de leur cotisation en 2000 comme la conséquence directe de leur participation au financement de la CMU, augmentation qui s’élève parfois à 5 %.

Le fonds a été mis en place par le décret n° 99-1028 du 9 décembre 1999. Le conseil d’administration du fonds de financement a été installé le 6 juin 2000. Ce conseil doit approuver les conventions financières qui doivent lier ce fonds à l’Etat, à l’ACOSS et aux régimes. Le directeur a été nommé. Les locaux sont installés 10 rue Vandrezanne 75013 Paris. Le personnel est en cours de recrutement. Les premières opérations financières ont été exécutées dans le courant du mois de juin.

B. ... Malgré des obstacles sérieux

1.- Des refus de soins inacceptables

La ministre de l’emploi et de la solidarité, Mme Martine Aubry, a regretté publiquement le 30 mai dernier que certains dentistes et opticiens refusent d’accueillir les bénéficiaires de la CMU. Il existe en effet des cas de refus de soins aux bénéficiaires de la CMU.

Dans la première communication, la rapporteure avait indiqué sa crainte de tels refus, pour deux raisons :
- le règlement tardif des consultations par les caisses d’assurance maladie ; les caisses doivent donc s’engager fermement pour un paiement rapide des professionnels de santé qui ne télétransmettent pas encore leurs feuilles de soins afin de rendre effectif le tiers-payant accordé automatiquement aux bénéficiaires de la CMU. Il faudrait également accélérer la mise en place des procédures de tiers-payant avec les organismes complémentaires ;
- le niveau insuffisant de remboursement de certains biens ou services faisant partie du panier de soins CMU fixés par arrêté interministériel qui ne correspondent pas, selon certains professionnels de santé, à la réalité de l’offre surtout en matière de soins dentaires prothétiques.

De différentes sources –associations caritatives, services déconcentrés, caisses, particuliers – remontent des informations sur les difficultés que rencontrent certains bénéficiaires de la CMU pour obtenir des soins ou des produits médicaux.

Certains chirurgiens-dentistes et, plus souvent, des orthodontistes, refuseraient de dispenser des soins à ces personnes, hors cas d’urgence. Les motifs invoqués vont de l’impossibilité matérielle (agenda complet) au refus de principe de recevoir des bénéficiaires de la CMU à cause des limites de dépassements tarifaires imposées par l’arrêté du 31 décembre. Selon les professionnels, l’application de ces limites les conduirait à travailler à perte. Dans certaines villes, comme à Perpignan, c’est l’ensemble des orthodontistes de la ville qui opposeraient un refus systématique à toute demande de traitement d’un enfant. Dans une commune des Vosges, les trois orthodontistes libéraux renvoient les bénéficiaires de la CMU vers la faculté dentaire de Nancy distante de 50 km. De la même façon, le conseil départemental des Hauts-de-Seine de l’ordre national des chirurgiens-dentistes communique aux confrères les adresses des centres de médecine sociale sur lesquels diriger les bénéficiaires de la CMU " au cas où les contraintes économiques seraient incompatibles avec les règles de la CMU ". D’autres professionnels ne respecteraient pas les limites de dépassement d’honoraires applicables aux bénéficiaires de la CMU, fixées par arrêté du 31 décembre 1999.

Plus rarement, des opticiens et des pharmaciens opposent des refus de vente à des bénéficiaires de la CMU ou refusent de respecter leurs obligations en matière de prix prévues par l’arrêté du 31 décembre 1999, là encore au motif que l’application de la réglementation les conduirait à vendre à perte.

Enfin, quelques médecins du secteur II ont une attitude analogue : refus de recevoir les patients ou violation de l’interdiction de leur appliquer des dépassements tarifaires. A Avignon un généraliste et un ophtalmologue ont même apposé dans leur salle d’attente une affiche précisant que les " CMUistes " n’étaient pas acceptés. En Saône-et-Loire, la caisse primaire a été informée par des assurés du fait que certains généralistes avaient demandé aux bénéficiaires de la CMU une participation de quinze francs pour " instruction de leur dossier " ; cette somme est naturellement non inscrite sur la feuille de soins car elle n’a pas le caractère d’ " honoraires pour soins dispensés ".

Il convient d’abord de souligner que les difficultés actuellement constatées dans les relations entre certains professionnels et des bénéficiaires de la CMU peuvent avoir d’autres origines que le mécontentement lié aux obligations en matière de prix. Les problèmes de mise en place de la procédure du tiers-payant, les difficultés de compréhension et d’interprétation des textes contribuent certainement à alimenter les réticences des professionnels. La publication de la circulaire DSS n° 240 du 27 avril 2000 précisant les modalités de prise en charge par la CMU complémentaire de l’optique et des prothèses dentaires, d’une part, la mise en œuvre effective du tiers-payant, d’autre part, devraient contribuer largement à apaiser les inquiétudes et les mécontentements. Dans ces conditions, ce n’est que dans trois ou quatre mois que l’on pourra savoir s’il existe réellement un noyau dur d’opposition des professionnels.

Du reste, il existe, à l’heure actuelle, un ensemble de dispositifs prévus pour lutter contre ces refus. Les agents des directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF) sont habilités à sanctionner les refus de vente ou les refus de soins (refus de prestations de service) qui sont prohibés par le code de la consommation. Le refus de soins est également une infraction au code de la déontologie, passible de poursuites disciplinaires (de l’avertissement à l’interdiction définitive d’exercer) devant la juridiction disciplinaire de l’Ordre des médecins. Toutefois, la violation de l’interdiction de demander des dépassements tarifaires à des bénéficiaires de la CMU ne peut être contrôlée ou sanctionnée sur la base du code de la consommation. La possibilité d’appliquer des sanctions conventionnelles (sanctions des praticiens en infraction au regard des conventions) est actuellement à l’étude.

2.- Des effets déstabilisants pour certains centres de santé

De nombreux centres de santé sont confrontés, depuis la mise en place de la CMU, à de sérieuses difficultés pouvant aller jusqu’à mettre en cause leur existence face à l’afflux massif des bénéficiaires de la CMU. Ces derniers seraient, semble-t-il, orientés vers les centres par des professionnels de santé libéraux peu enclins à les recevoir. Le Comité national de liaison des centres de santé (CNLCS) estime ainsi, dans un récent courrier à la rapporteure, " qu’une grande partie du secteur libéral, et plus particulièrement dans le domaine dentaire, n’entend pas participer à l’effort national que nécessite la bonne application de la loi (créant la CMU) ", au détriment des centres de santé soumis de ce fait à une surcharge de travail inquiétante et à des déséquilibres financiers majeurs. La plupart de ces centres pratiquent en effet, depuis de nombreuses années, des tarifs relativement bas dont certains ne couvrent pas la totalité des frais engagés et qui peuvent être inférieurs aux tarifs définis par le panier CMU. Tel est le cas de certains soins prothétiques et d’orthopédie dento-faciale. Ainsi, plus le nombre de bénéficiaires de la CMU s’orientant vers les centres augmente, plus s’accroît le déséquilibre financier de ces structures alors même que la loi recherchait l’intégration de ces personnes dans le droit commun du système de soins.

Face à cette situation issue de la politique généreuse des centres de santé, ceux-ci auraient intérêt à aligner leurs tarifs sur ceux de la CMU, quitte à mettre en place un traitement spécial plus favorable en faveur des populations les plus démunies exclues de la CMU.

3.- La difficile mise en place du tiers-payant

L’article L. 861-3 du code de la sécurité sociale a institué une méthode de tiers-payant qui, si elle ne change rien par rapport aux techniques actuelles de tiers-payant pour les assurés, est bien meilleure pour les professionnels de santé. Ceux-ci recevront en effet, pour les bénéficiaires de la CMU, un paiement unique comprenant à la fois la part de base et la part complémentaire. Cette exigence de paiement unique impose, bien entendu, aux organismes de base et aux organismes complémentaires de se " coordonner ".

Le décret n° 99-1079 du 21 décembre 1999 relatif aux modalités d’application de la dispense d’avance de frais de soins de santé et modifiant le code de la sécurité sociale a prévu deux procédures alternatives, au choix de l’organisme complémentaire, pour la mise en œuvre du tiers payant coordonné :
- Procédure A : la caisse d’assurance maladie liquide la part obligatoire (pour son compte) et complémentaire (pour le compte de l’organisme complémentaire) et paie le professionnel de santé ;
- Procédure B : la caisse d’assurance maladie liquide la part obligatoire (pour son compte), transmet " l’image décompte " à l’organisme complémentaire qui liquide sa part ; le paiement du professionnel de santé est effectué pour le compte de ces deux organismes par un organisme financier régi par la loi bancaire, sur ordre de paiement émanant de l’organisme de base.

L’arrêté fixant les délais maximum de paiement des professionnels et annoncé par le décret n° 99-1079 du 21 décembre 1999 relatif aux modalités d’application de la dispense d’avance de frais n’a été publié que le 15 juin. L’arrêté précise d’une part, les conditions dans lesquelles l’organisme complémentaire alimente un compte d’avance en contrepartie du paiement des prestations dues par lui par un organisme obligatoire (procédure A) et d’autre part, les délais maximum de paiement des professionnels de santé, soit 8 jours ouvrés en cas d’utilisation d’une feuille de soins électronique et 21 jours ouvrés, voire 36 jours, en cas d’utilisation d’une feuille de soins papier.

De nombreux organismes complémentaires (MGEN, AXA, MAAF assurances...) ont décidé de ne pas appliquer cette procédure A préférant attendre l’application de la procédure B. Ceci retarde considérablement la mise en place du tiers-payant coordonné, élément essentiel du dispositif CMU.

De nombreux généralistes ont dû faire face à des retards importants de remboursement, notamment en raison du stock croissant de dossiers non traités dans les caisses d’assurance maladie. Certains médecins ont connu jusqu’à deux mois de retard et ont, soit puisé dans leur trésorerie, soit contracté des emprunts ou payé des agios. Dans certains départements, la caisse primaire d’assurance maladie s’est engagée à ce que les médecins soient payés dans les plus brefs délais. Par exemple, dans les Bouches-du-Rhône où aucun refus de soins n’a été signalé, les médecins sont remboursés après quatre à six jours pour des feuilles de soins télétransmises par informatique et dans un délai de dix à douze jours pour les feuilles de soins papier. La caisse fait l’avance de la part complémentaire qu’elle se charge de récupérer ensuite auprès des mutuelles ou du conseil général.

III.- Le coût du panier de soins

A. les difficultés à l’estimer

Selon une première estimation du ministère, le coût sur les trois premiers mois de l’année 2000 d’un bénéficiaire de la CMU serait évalué à 70 francs par personne. Ce chiffre n’a qu’une valeur indicative dans la mesure où il ne prend pas en compte les dépenses hospitalières (délais de facturation très longs) et où tous les bénéficiaires ne sont pas encore entrés dans le dispositif. De surcroît, la consommation médicale des bénéficiaires de la CMU ne pourra pas être évaluée de manière pertinente avant quelques mois.

Pour sa part, la Fédération nationale de la mutualité interprofessionnelle estime à la fin du mois dernier que le risque moyen de dérive par rapport au forfait de 1 500 francs prévus est de l’ordre de 300 francs par bénéficiaire. Ce coût serait accentué dans les régions où se concentrent des besoins de santé dont la satisfaction a été trop longtemps différée du fait de la précarité des situations sociales. De la même façon, la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) estime le surcoût à 25 %.

La CNAMTS estime par ailleurs que le nombre de bénéficiaires pendant l’année 2000 ne devrait pas excéder cinq millions.

B. Une certitude : le tiers-payant n’est pas inflationniste

D’après une étude du Centre de recherche, d’étude et de documentation en économie de la santé (CREDES), de mars 2000, le tiers-payant, règle fondamentale de la CMU, n’est pas inflationniste.

Une ordonnance coûteuse incite l’assuré à passer en tiers-payant. Il serait donc pour le moins abusif d’interpréter une corrélation positive entre le fait d’être pris en charge en tiers-payant et le niveau de dépense. Ce n’est pas seulement parce que l’assuré bénéficie du tiers-payant qu’il occasionne des ordonnances plus chères, mais aussi parce qu’il est confronté à une telle ordonnance qu’il adhère au tiers-payant.

Cela ne signifie pas pour autant que le tiers-payant n’a aucun impact sur la dépense : le patient a aussi pu accepter l’ordonnance coûteuse parce qu’il savait qu’il pourrait profiter du tiers-payant, et l’aurait refusée (ou aurait même renoncé à consulter son médecin) en l’absence de cette possibilité. La question qui se pose alors est de savoir si cet impact supposé est uniforme ou frappe principalement les plus pauvres.

Or, le CREDES a constaté que l’utilisation du tiers-payant ne " pousse pas à la consommation " chez les plus aisés, mais la dépense supplémentaire qu’il génère amène les plus pauvres à la consommation moyenne.

CONCLUSION

Cette communication s’inscrit dans une démarche constructive. La rapporteure souhaite que ses conclusions soient prises en compte par l’ensemble des partenaires afin que la CMU soit appliquée et l’égal accès aux soins assuré dans notre pays.

En matière de panier de soins, quatre recommandations apparaissent assez nettement :

  • Préciser et assouplir le contenu du panier de soins afin qu’il soit tout à fait adapté aux bénéficiaires de la CMU (révision de la nomenclature, combler les " trous " des arrêtés...), notamment aux nouveaux bénéficiaires de la CMU (personnes non bénéficiaires de l’aide médicale gratuite).
  • Faire que la prise en charge par les dentistes des bénéficiaires de la CMU ne soit pas l’exception mais le cas général.
    L’ordre national des chirurgiens-dentistes doit – comme l’Ordre national des médecins l’a fait – condamner les refus de soins qui sont autant d’infractions au code de déontologie médicale passibles de poursuites disciplinaires.
  • Chiffrer dans les plus brefs délais le coût du panier de soins.
    L’absence d’estimation des dépenses hospitalières empêche à ce jour toute estimation du coût du panier de soins. On ne peut que s’étonner du retard pris par les hôpitaux pour transmettre ces informations à la CNAMTS.
  • Sensibiliser les organismes complémentaires au fait que justifier l’augmentation de leur cotisation par le financement de la CMU est tout à fait inacceptable. Les bénéficiaires de la CMU ne doivent pas endosser un rôle de bouc émissaire.

REMERCIEMENTS

  • Cabinet de la ministre de l’emploi et de la solidarité
    - M. Joël DESSAINT, conseiller
  • Administration centrale
    - M. Philippe GEORGES, sous-directeur de l’accès aux soins à la direction de la sécurité sociale
  • Caisses d’assurance maladie
    - Mme Yvette RACT et Mme Bernadette MOREAU, CNAMTS
  • Organismes complémentaires
    - M. Alain FOULON (directeur général adjoint AXA courtage) membre du comité de groupe Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA)
    - M. Christophe RATEAU, directeur général adjoint santé de la Mutualité Française.
    - Mme Christine MEYER, responsable du département assurance maladie à la Mutualité Française
  • Professionnels de santé
    - Dr REGNAULT, président de la Confédération nationale des syndicats dentaires
  • Associations humanitaires
    - M. Bruno GROUES, Conseiller technique, UNIOPSS
    - Mme Cécile SOBJESKI, Croix-Rouge française
    - M. Julien FAURE
    - Mme Nathalie FOUQUES, Médecins du Monde
    - M. Jacques FRANCK, Secours Populaire
    - Mme Michèle MEZART, ATD Quart Monde