S O M M A I R E
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IV.
des propositions POUR UNE STratégie durable et crédible de létat en Corse
(suite)
B. Un état capable daccompagner efficacement
laction locale pour le développement de lîle *
1. Un état
durgence pour le secteur agricole *
· Un fatalisme à proscrire *
· Les débats actuels autour de
lavenir de lagriculture *
· Les axes prioritaires dune
stratégie globale *
· Premier axe : rompre avec la logique
de lassistance et des plans généraux de désendettement *
· Deuxième axe : sortir du flou en
actualisant, vérifiant et recoupant les données disponibles concernant les agriculteurs
et leurs exploitations *
· Troisième axe : renforcer le
rôle de conseil, de co-gestion comme de contrôle des services déconcentrés de
lÉtat *
· Quatrième axe : rénover les
institutions du monde agricole *
2. Forger les instruments du développement *
a) Quelques principes sains à mettre en oeuvre *
· Moins de centres de décision mais
des intervenants plus efficaces *
· Mettre un terme à la dilution des
responsabilités pour une vision globale des intérêts de la Corse *
· Des élus qui doivent se remobiliser
pour se réapproprier leurs prérogatives légitimes *
b) Des logiques daction à renverser *
· Dune action au coup par coup
à une stratégie de développement *
· Dune logique de saupoudrage à
une logique de ciblage, dune logique dassistance à une logique dappui *
c) Pour un effort de planification courageux *
d) Le nécessaire sauvetage conditionné de la CADEC *
e) Pour laccompagnement du développement : sortir du
problème de lindivision *
3. Cibler les aides en direction des secteurs
porteurs de léconomie *
a) Réexaminer le statut fiscal *
· Lévaluation sans tabou du
statut fiscal dérogatoire est indispensable *
· Lapplication de la zone
franche doit faire lobjet dune grande rigueur *
b) Le tourisme : un bien nécessaire *
· Ni remède miracle pour le
développement, ni menace pour lidentité corse *
· Des atouts à exploiter *
· Définir une véritable stratégie
pour un modèle touristique adapté à lîle *
c) Des filières de production agricole à renforcer et à
rénover *
· Les bons résultats de la filière
viticole et des perspectives de commercialisation assez favorables *
· Des filières fruits et légumes
prometteuses mais largement concurrencées par les pays gros producteurs *
· Des potentialités à développer en
matière de productions animales *
4. La
dépense publique au service du développement : lexemple des transports *
a) La gestion de la continuité territoriale doit être
améliorée pour préparer les échéances communautaires *
· Le redressement de la SNCM doit
être poursuivi *
· Les échéances européennes doivent
être soigneusement préparées *
b) Une réflexion multimodale doit être encouragée *
5. Pour un réexamen sans tabous de la
politique culturelle et de lenseignement *
a) Pour un système éducatif performant *
· Une gestion administrative en voie
damélioration *
· Une académie
" rurale ", de petite taille, mais correctement dotée en personnel
administratif et enseignant *
· Un coût élevé, mais des
résultats scolaires peu satisfaisants en moyenne *
· La continuité incertaine du service
public de lenseignement *
· Trois priorités *
b) Lenseignement en langue corse : une expérience sans
équivalent en France *
· Démythifier et dynamiser *
· Les mesures déjà prises : un
effort conséquent de la part de lEducation nationale *
· Un paradoxe : une langue de moins en
moins parlée au quotidien et de plus en plus soutenue dans le système éducatif *
· Une piste à explorer : développer
lenseignement de la langue corse en priorité dans les classes primaires *
c) Les enjeux de la politique culturelle en Corse *
· Un débat idéologique à
dépolitiser *
· Des compétences culturelles
partagées entre la région et lÉtat *
B. Un état capable daccompagner efficacement
laction locale pour le développement de lîle
Il ne saurait sagir pour lÉtat de se substituer
aux initiatives des acteurs locaux qui doivent être reconnus comme les principaux
responsables du développement économique, social et culturel de lîle. Mais son
action doit consister, plus encore que dans dautres régions, à accompagner et
encourager les démarches constructives, en concertation étroite avec les responsables
élus.
Certaines conditions doivent cependant être réunies et diverses
mesures préalables, parfois douloureuses, simposent. Cest ainsi que la
commission denquête a souhaité établir les grands axes dune refonte globale
des moyens et des modalités dintervention dans le secteur agricole. Dune
manière plus générale, des instruments efficaces du développement restent à définir
ou à améliorer car la Corse, qui ne manque pas datouts, doit être capable
dexploiter davantage ses importantes potentialités de développement. Au lieu de
chercher à soutenir peu ou prou tous les secteurs de léconomie indistinctement, au
gré des demandes et des revendications dune catégorie ou dune autre, il
convient désormais de faire porter leffort public sur ceux de ces secteurs qui sont
susceptibles de provoquer un processus de développement. Lintérêt général de la
Corse doit primer sur la manifestation des intérêts particuliers.
Enfin, le domaine culturel et de léducation ne doivent plus
être considérés par lÉtat avec circonspection, prudence ou méfiance. La
promotion et la diffusion de la culture insulaire constituent, au contraire, lun des
atouts à faire valoir en Corse.
1. Un état
durgence pour le secteur agricole
Au terme de ses travaux, la commission denquête
considère que la situation actuelle du secteur agricole ne peut saméliorer de
façon durable avec des demi mesures ; il convient aujourdhui de prendre en
considération lampleur des difficultés rencontrées et de proposer des solutions
réellement novatrices à la question de lagriculture corse.
· Un fatalisme à proscrire
Lagriculture ne saurait être considérée comme un secteur sinistré ayant
vocation à être constamment assisté par les pouvoirs publics.
Avant den venir aux préconisations de la commission
denquête, il convient détablir un premier point essentiel pour la suite de
la démonstration. Certes, le problème de lendettement agricole constitue une
difficulté que la commission ne sous-estime nullement. Cependant, cette question
qui nest pas insoluble comme le prétendent trop complaisamment certains
professionnels ne doit pas occulter les réelles réussites de
lagriculture insulaire. La valorisation et la modernisation de celle-ci sont
possibles ce secteur pourrait bien devenir lun des atouts de léconomie
insulaire à condition de sappuyer sur des politiques :
- de structuration des productions,
- dorganisation des filières, de regroupement de producteurs,
- de recherche de la qualité,
- de renforcement des entreprises agro-alimentaires,
- et damélioration des actions de commercialisation des produits sur lîle et
à lexportation.
Les obstacles au développement peuvent et doivent être levés.
De nature diverse, ceux-ci ne sauraient être négligés. Le
premier, dordre juridique, est un héritage de lhistoire : il sagit
du problème de lindivision qui na toujours pas trouvé de solution, alors que
cette situation est à lorigine de difficultés importantes pour lagriculture
notamment. Labsence de baux, limpossibilité dapporter des garanties
hypothécaires et les conflits de voisinage créés par la présence danimaux
divaguants, suscitent des tensions et entravent le processus de modernisation du secteur
agricole. Des développements sont consacrés à la question de lindivision plus
loin.
La deuxième série de causes tient dans la nature des organisations de
producteurs et la personnalité de certains de leurs dirigeants. Certaines organisations
manquent manifestement d'efficacité. L'encadrement technique paraît défaillant ou mal
utilisé, et les dissensions professionnelles se font de plus en plus marquées dans
quelques filières. La commission denquête a recueilli des témoignages
concordants soulignant que le principal problème tient dans la coexistence de deux types
dagriculture : une " agriculture à prime " et
" une agriculture pour vivre ". Selon les propos dun témoin
entendu par la commission, " lagriculture est parasitée par des
personnages qui nexercent dailleurs pas toujours eux-mêmes des activités
agricoles, mais gèrent de véritables rentes de situation et prétendent exprimer
lopinion de la profession tout entière. " Les nombreux éleveurs et
agriculteurs sérieux et compétents pâtissent en effet de limage véhiculée par
ceux minoritaires dont la motivation essentielle est dobtenir des
primes et aides en tous genres.
Le troisième facteur consiste dans lincapacité de la plupart
des agriculteurs corses à faire connaître leurs produits en dehors de lîle et à
commercialiser de façon efficace et rentable une production pourtant diversifiée et
riche.
En quatrième lieu, on doit relever linadaptation de certains
projets dinvestissements qui apparaissent souvent disproportionnés tant pour les
exploitations que pour les organismes coopératifs.
Face à cette situation préoccupante sans être calamiteuse, les
différents acteurs du monde agricole se sont récemment largement exprimés dans les
media, la presse corse en particulier. La commission denquête a souhaité entendre
diverses personnalités à ce sujet.
· Les débats actuels autour de
lavenir de lagriculture
Des divergences dappréciation notables entre les divers acteurs
Selon les interlocuteurs entendus, les diagnostics
réalisés et les solutions préconisées sont largement divergents :
- Les
responsables de loffice du développement agricole et rural de la Corse
(ODARC) plaident pour un renforcement de leur organisme et éventuellement pour une
refonte de la composition de leur conseil dadministration (en faveur des membres
élus qui pourraient ainsi devenir majoritaires au détriment des professionnels agricoles
aujourdhui en grand nombre).
- Plusieurs responsables syndicaux agricoles
ont estimé devant le rapporteur de la
commission denquête que, contrairement à une idée largement répandue, les
professionnels ne disposaient daucun pouvoir de décision au sein de lODARC,
critiqué pour son caractère bureaucratique et inefficace. La commission a noté à cette
occasion à quel point les luttes pour le pouvoir au sein des instances du monde agricole
restaient présentes et complexes. Les rivalités semblent sêtre dailleurs
exacerbées à la suite des récentes accusations portées sur la gestion de la caisse
régionale de Crédit agricole. Les mêmes personnalités ont déclaré que les
compétences actuellement dévolues à lODARC pourraient être opportunément
assumées directement par la profession, en dehors des organes de la Collectivité
territoriale.
- Lidée dune fusion des deux Chambres de Haute-Corse et de
Corse-du-Sud afin de mettre en place une structure unique compétente pour
lensemble du territoire corse a également été évoquée.
- Certains responsables administratifs des services déconcentrés de lagriculture
rencontrés par la commission denquête au cours de ses déplacements ont indiqué
ne pas être en mesure de contrôler avec la rigueur nécessaire lutilisation des
nombreuses aides publiques distribuées aux exploitants. Ces subventions sont octroyées
sans que les services de lÉtat ne disposent de fichiers réellement fiables et à
jour des données. Interrogés à ce propos, les fonctionnaires concernés ont expliqué
que les seuls fichiers disponibles étaient ceux de la caisse de Mutualité sociale
agricole dont la commission denquête a, par ailleurs, pu constater les carences. En
outre, les informations détenues par la caisse régionale de Crédit agricole sur ses
clients ne sont pas accessibles aux services déconcentrés de lÉtat. La commission
a ainsi eu le sentiment que les agents de lÉtat nétaient pas dotés des
moyens daccomplir correctement leurs missions à légard dun secteur qui
mériterait, précisément, un déploiement de moyens quantitatifs et qualitatifs
particuliers.
- Concernant le problème de la dette
, la responsabilité du désastre est tour à
tour renvoyée à la caisse régionale de Crédit agricole (pour sa gestion laxiste), à
la caisse nationale (pour navoir pas suffisamment contrôlé la première), à
lÉtat (pour avoir laissé faire), aux agriculteurs (montrés dans les media soit
comme des profiteurs du système soit au contraire comme des victimes).
La commission a pris note de cette diversité dopinions qui
illustre les divisions du monde agricole ou plus précisément les luttes entre ceux qui
prétendent le représenter. Elle a relevé combien était répandue la pratique
consistant, pour ses différents acteurs, à " se renvoyer la balle ".
Les enjeux
Lagriculture tient incontestablement une place
importante dans la société insulaire et son rôle dans laménagement du territoire
ne saurait être négligé. Cependant, au fil du temps, elle est devenue un enjeu qui
dépasse largement son impact réel sur léconomie corse. Dans leurs rapports,
les préfets évoquent régulièrement la situation de lagriculture comme un des
problèmes parmi les plus sensibles dans lîle. Par exemple, dans son rapport
trimestriel transmis au ministre de lIntérieur le 2 avril 1996, le préfet de
Haute-Corse écrivait : " lagriculture est inégalement touchée : la
viticulture se maintient dans une situation favorable, mais doit faire face à un lourd
endettement ; larboriculture, également endettée, doit trouver sa place sur un
marché très concurrencé par les agrumes espagnols, voire marocains. Le maraîchage est
affecté par la crise économique qui ralentit la consommation locale liée par ailleurs
à lactivité touristique. Lélevage, enfin, ne sort pas de ses difficultés
structurelles : pas dabattoir en Haute-Corse, mauvaise organisation de la filière,
rentabilité insuffisante ou réduite à la seule collecte des primes ".
Plus loin, il ajoutait : " (...) la modernisation des filières constitue le
volet positif dune action qui sera marquée par une gestion plus rigoureuse des
prêts à lagriculture. Nos partenaires se rendront compte progressivement que
lintervention de lÉtat sera limitée aux seules bonifications
dintérêt. Il ne sera donc pas possible déviter la liquidation
dentreprises agricoles. Même si lon écarte la constitution dun front
commun des agriculteurs en difficulté et si lon veille au traitement individuel des
dossiers, on ne saura empêcher que les discussions avec la profession ne soient
tendues. "
Les dérives ont été favorisées par des réseaux organisés. Un
témoin entendu par la commission denquête a estimé que lunivers agricole
était " celui de toutes les dérives " et cité un exemple de
pratiques abusives : des agriculteurs, ou des personnes se prétendant telles, ayant
bénéficié de primes pour planter des arbres, si possible en zone inondable pour pouvoir
le cas échéant recevoir les aides au titre des calamités agricoles, ont ensuite
sollicité des primes darrachage.
Une personnalité en contact avec le monde agricole a déclaré devant
la commission " avoir progressivement découvert la force et la
solidarité dun groupe dirigeant qui a géré à son profit les institutions du
monde agricole. MSA, CRCA, ODARC, Chambre d'agriculture de Haute-Corse sont dirigés par
les mêmes hommes. Leurs oppositions ne sont que des jeux de rôle. Leur solidarité est
totale pour exiger de lÉtat de nouvelles mesures daide. Derrière les
discours apparents sur lagriculture, des hommes ont bâti un système étranger à
lagriculture, visant à profiter des aides publiques en les détournant de leur
objet. "
· Les axes prioritaires dune
stratégie globale
La remise à plat de lensemble du système
agricole lattribution des aides, le fonctionnement des organismes et des
services compétents en la matière, les modalités de remboursement des dettes
devrait permettre la rénovation en profondeur de ce secteur : cette question est
dimportance pour la population qui est, à juste titre, attachée au maintien
dactivités agricoles dans lîle. Elle concerne également lÉtat qui
peut avoir un rôle dimpulsion dans ce domaine en sassurant, en liaison avec
la Collectivité territoriale, que les moyens financiers destinés à lagriculture
sont utilisés de façon optimale. Les prochaines négociations relatives au futur
contrat de plan devraient permettre dengager en toute franchise le dialogue avec les
responsables insulaires : il ne saurait sagir de dépenser toujours plus pour
lagriculture mais de dépenser mieux.
Au terme de ses travaux, la commission préconise la mise en place
dun véritable plan durgence pour le secteur agricole, qui sarticulerait
autour de quatre priorités :
- Premier axe : Rompre avec la logique de lassistanat et des plans généraux de
désendettement,
- Deuxième axe : Sortir du flou en actualisant, vérifiant et recoupant les données
disponibles concernant les agriculteurs et leurs exploitations,
- Troisième axe : Renforcer le rôle de conseil, de co-gestion comme de contrôle
des services déconcentrés de lÉtat,
- Quatrième axe : Rénover les institutions du monde agricole
· Premier axe : rompre avec la
logique de lassistance et des plans généraux de désendettement
Au cours de ses travaux, la commission denquête a
entendu les arguments plaidant en faveur dune aide toujours plus forte en direction
de lagriculture corse, parfois présentée comme le centre névralgique de
léconomie et de la société corse, encore très rurale. Elle souligne un point
essentiel : les sollicitudes et tolérances des dernières années à légard
du secteur agricole nont pourtant pas permis à celui-ci dassurer son
redressement. La commission denquête est pour sa part fermement convaincue que la
logique de lassistanat doit être combattue avec la plus grande force pour deux
raisons :
- La méthode suivie dans le domaine agricole par tous les gouvernements depuis près de
vingt ans doit être condamnée tout dabord sur le plan des principes.
Il
nest pas sain que lÉtat se substitue en permanence et de façon
généralisée à la profession agricole, ni quil ferme les yeux sur les dérives
qui se sont multipliées dans lattribution des aides.
- Les mesures gouvernementales se sont, en outre, caractérisées par leur inefficacité.
Lagriculture corse continue de se débattre dans des problèmes dorganisation
des filières de production et dans la question de lendettement, sans que les
différents plans aient permis de résoudre les difficultés rencontrées.
Ni saines, ni efficientes, ces méthodes doivent être repensées en
profondeur.
Il est essentiel aujourdhui dannoncer publiquement avec
la plus grande fermeté que la solution à ce problème délicat ne peut passer pas un
nouveau plan de désendettement général. Il faut que lexpérience des vingt
dernières années permette aux pouvoirs publics de ne pas reproduire indéfiniment les
mêmes erreurs, dautant que celles-ci se sont soldées dans le passé par des coûts
parfois très élevés.
La succession des différentes mesures doit être définitivement
rompue au nom de la santé des exploitations et de lavenir de lagriculture
corse elle-même. Ce message, qui fut déjà tenu avec fermeté par le préfet Claude
Erignac, est aujourdhui repris avec force par le préfet Bernard Bonnet. Toute aide
ou subvention devra désormais être subordonnée à des perspectives de développement
viables au sein dune filière organisée, ainsi que le ministère de
lagriculture la indiqué dès juillet 1997. Cette position na pas varié
depuis. La commission denquête considère, pour sa part, que cette attitude doit
rester inflexible.
Une fois affirmé le principe selon lequel lÉtat ne devra pas se
substituer une nouvelle fois aux carences de la profession (il ne saurait y avoir de 13ème
plan en faveur de lagriculture corse), il convient de définir des propositions
concrètes et efficaces.
La difficulté est réelle : le revenu brut dexploitation de
lagriculture corse sest élevé à environ 445 millions de francs en
1997. Or les dettes agricoles atteignent au total environ 1,9 milliard de francs (880
millions au titre de la Mutualité sociale agricole, environ un milliard pour la caisse
régionale de Crédit agricole et 56 millions dimpayés à loffice
hydraulique).
Faut-il continuer coûte que coûte à soutenir certaines
structures dont chacun sait quelles sont à terme condamnées à disparaître ?
Il est certain que la question de la dette agricole est devenue particulièrement sensible
à la fois politiquement et médiatiquement depuis la remise du rapport détape de
lInspection générale des finances sur la caisse régionale de Crédit agricole en
avril 1998. Lannée précédente, la caisse avait déjà décidé de réduire ses
prêts à lagriculture de façon drastique. En matière de recouvrement,
plusieurs témoins ont affirmé devant la commission que la caisse régionale de Crédit
agricole tentait depuis quelques mois de pratiquer la " politique du
pire ". Un haut fonctionnaire en poste dans lîle a déclaré devant
une délégation de la commission denquête : " Alors que des
prêts dun montant important ont pu encore récemment être accordés dans des
conditions douteuses ou contestables, les caisses locales se sont lancées dans des
actions fortes pour des découverts de 500 francs ! Le but est clair : il
sagit de provoquer un grondement dans la population, de tenter de solidariser les
Corses avec les difficultés actuelles de la caisse régionale et dattiser un
éventuel mécontentement vis-à-vis de la politique dassainissement actuellement
menée dans lîle ".
Mais la caisse régionale nest pas la seule à se lancer dans
une telle politique de recouvrement inconnue durant ces dernières années. Ainsi, fin
juillet 1998, le président de la MSA de Corse, Louis Sémidei, déclarait lors de son
allocution devant lassemblée générale de la caisse : " le seul
reproche que lon puisse me faire et que nous impose aujourdhui un plan
draconien, cest, à lépoque et compte tenu du marasme agricole existant de
navoir pas engagé jusquà son terme la procédure de recouvrement de la dette
sociale. Nous ne voulions pas accroître le nombre des agriculteurs sans couverture
sociale. Maintenant, nous allons y être contraints et ceci sur un tissu économique et
social dégradé ".
La commission denquête regrette ces tentatives erratiques.
Le reflux des prêts était nécessaire du point de vue de la gestion économique. Il
est regrettable quil ait fallu attendre une telle dégradation de la situation.
Cela étant , nul ne saurait ignorer lampleur des
difficultés financières rencontrées par de nombreux agriculteurs. On la vu, le
problème de la dette agricole est concentré sur 1/4 à 2/3 des exploitations.
La modernisation et la création des exploitations exigent aujourdhui la
mobilisation de capitaux importants. Par ailleurs, les agriculteurs corses font, pour la
majorité dentre eux, figure de victimes de la politique de
" cavalerie " mise en uvre par la caisse régionale de Crédit
agricole.
La " mesure Juppé " permettant un examen au cas
par cas de la situation des exploitations représente la voie à poursuivre. Les
exploitations, qui ne " tiennent " depuis de nombreuses années
quà coup daides, de prêts non remboursés, de factures deau non
payées et de subventions et primes diverses, représentent sans doute un nombre non
négligeable, même sil fait lobjet de débats : la commission a
recueilli selon les témoins des chiffres allant de 250 à 600, voire 800. Mais au-delà
de ces estimations, ce qui importe cest de sauver le maximum dexploitations
viables. Quant aux agriculteurs dont la situation relève plus dun traitement social
que du pseudo-traitement économique qui leur a été réservé jusquà présent,
là encore, la solution passe vraisemblablement par une étude au cas par cas des dossiers
individuels selon des critères préalablement définis. Un plan social savère
donc nécessaire, à terme, pour atténuer les effets sociaux des restructurations des
exploitations en difficulté et, dans certains cas extrêmes, des liquidations de celles
qui napparaissent plus viables. Il y va de la consolidation dune agriculture
performante en Corse (tournée vers lexportation de la production viticole, la
consommation locale des produits laitiers et de la viande, la production des
agrumes
).
En tout état de cause, cette nouvelle donne suppose une refonte
complète des mécanismes dintervention dans le secteur agricole et devrait
saccompagner dune répartition plus équitable des moyens financiers en faveur
de ce secteur.
La restructuration complète des organismes publics (ODARC et
Chambres dagriculture en premier lieu), la concentration des services de
lÉtat, lévaluation et la réforme des systèmes daides de la
Collectivité territoriale font partie des points majeurs de laction à
entreprendre.
· Deuxième axe : sortir du flou en
actualisant, vérifiant et recoupant les données disponibles concernant les agriculteurs
et leurs exploitations
Une des priorités des pouvoirs publics et de
ladministration déconcentrée du ministère de lagriculture est dêtre
capables de distinguer les vrais agriculteurs des profiteurs.
* Une amorce de contrôle en 1996
Celle-ci a été entreprise à loccasion de la mesure Juppé,
la dernière en faveur de lagriculture corse. Novatrice, cette mesure reposait sur
un examen au cas par cas et une aide proportionnée à la situation de lagriculteur
et à sa capacité de remboursement. Elle distinguait le rôle des organisations agricoles
consultées sur léconomie générale du dispositif au sein du " comité
1 " de lexamen des dossiers et de la préparation des décisions confiés
aux représentants de la DRAF et du Crédit agricole au sein du " comité
2 ". Les organisations professionnelles se trouvèrent ainsi privées de tout
pouvoir de blocage et les services de lÉtat purent avoir accès à diverses
informations de la caisse régionale de Crédit agricole pour la première fois. Il semble
que le président de la Chambre régionale dagriculture de lépoque,
M. Michel Valentini, ait compris toutes les implications de cette méthode
puisquil la boycottée en tentant sans succès de mobiliser derrière lui
lensemble du monde agricole.
* Une question étrangement délicate : combien y a-t-il
dagriculteurs en Corse ?
Au cours de ses travaux, la commission denquête a été
surprise de ne pouvoir obtenir de chiffres réellement précis et fiables concernant le
nombre exact dagriculteurs en Corse. Les estimations recueillies de personnalités
différentes ne se recoupent quimparfaitement. Certes, la difficulté
dévaluer le nombre de personnes exerçant à titre principal ou secondaire une
activité agricole peut se rencontrer dans dautres régions françaises. Cependant,
le flou entourant ce type de statistiques paraît particulièrement important en Corse.
Les définitions permettant de calculer le nombre des agriculteurs
varient. Toutefois, le chiffre de 3.500 exploitations semble, après recoupements, une
bonne estimation de la réalité. Il recouvre à la fois des exploitations économiquement
solides et des structures plus fragiles dont la pérennité paraît cependant
indispensable pour assurer une occupation de lespace correcte en Corse et éviter
ainsi le phénomène de désertification rurale. Au 31 décembre 1997, la caisse de MSA de
Corse comptait 3.800 exploitants actifs immatriculés employeurs ou non de main
duvre. La surestimation de ce nombre nest pas à exclure, compte tenu du
laxisme ayant manifestement présidé au moment des opérations dimmatriculation.
Selon la direction régionale de lagriculture et de la forêt, il y aurait environ
800 exploitations agricoles de taille très modeste et / ou dont le chef
dexploitation est retraité ou travaille à temps partiel. Ladministration de
lagriculture estime que les exploitants à titre principal se situent aux alentours
de 2.500. Notons que, lors de son audition devant la mission dinformation sur la
Corse, le directeur de lODARC évoquait le chiffre de 2.500 à 3.000 en février
1997.
Un des problèmes essentiels de limmatriculation à la
Mutualité sociale agricole est quune fois laffilié inscrit dans les fichiers
de la caisse, il est considéré comme étant agriculteur, et donc comme étant éligible
aux aides nationales, régionales et communautaires en faveur de lagriculture.
Il peut, en outre, contracter des prêts au Crédit agricole et bénéficier des mesures
dallégement de la dette ou de prise en charge des annuités que lÉtat a
mises en place pendant près de vingt ans.
Etant donné que ni les directions départementales de
lagriculture ni la caisse régionale de Crédit agricole nont eu à ce jour
les moyens (ou la volonté) de vérifier de manière systématique la qualité
dagriculteur dun particulier, son immatriculation à la caisse de MSA était
fréquemment la seule pièce demandée pour justifier dune activité agricole.
Or, sétant rendue en juin 1998 à la caisse de MSA
dAjaccio, la commission denquête a constaté que les règles
daffiliation appliquées pêchaient par leur total manque de rigueur et que peu de
contrôles étaient réellement effectués par les agents de la caisse afin de
sassurer que les informations détenues dans leurs fichiers étaient fiables et
correspondaient dun point de vue matériel à la réalité des exploitations et des
élevages annoncées (cf développements en deuxième partie du présent rapport).
La commission denquête formule une proposition quelle
juge particulièrement urgente à mettre en uvre dans la situation actuelle. Il est
impératif de confronter les listes de la caisse de Mutualité sociale agricole,
des directions départementales et régionale de lagriculture, des services fiscaux
et de lINSEE. La commission a acquis la conviction que les données ne sont pas
cohérentes entre elles aujourdhui. Les surfaces déclarées ne sont pas identiques
selon les déclarations. Or, les immatriculations à la caisse de MSA ont une grande
importance puisquelles conditionnent largement léligibilité à de nombreuses
aides nationales ou communautaires. Ce problème, qui dépasse les difficultés de gestion
de la caisse de MSA, doit être dès à présent pris en compte et faire lobjet
dune politique déterminée de la part des pouvoirs publics aujourdhui
engagés dans une vaste opération de remise à plat.
Une fois définies, les règles
daffiliation à la MSA doivent être appliquées avec la rigueur nécessaire. Pour
autant ces règles ne doivent pas conduire, par méconnaissance de la situation réelle,
à rejeter dans léconomie souterraine et en dehors de toute protection sociale,
certains petits exploitants.
· Troisième axe : renforcer le rôle de conseil, de
co-gestion comme de contrôle des services déconcentrés de lÉtat
Un travail considérable reste à faire pour déterminer
les pistes davenir de ce secteur, assurer le suivi des projets de développement de
même que le contrôle de lutilisation des crédits publics. Les services de
lÉtat sont susceptibles de jouer dans ces domaines un rôle plus actif en liaison
avec les professionnels agricoles et les élus désireux de contribuer à cet effort,
lobjectif commun devant être de favoriser lorganisation de filières
rentables et le développement local.
Un témoin entendu par la commission denquête a considéré que " dans
le système actuel, lÉtat est totalement démuni pour mener une politique agricole
dans lîle. La Collectivité territoriale et la profession sont seules en mesure
dans les faits de la conduire, mais ils ne le font pas. " A lheure
actuelle, ces services déconcentrés paraissent en effet quelque peu marginalisés et
ce qui est préoccupant sous-informés face à la profession agricole. Ils
doivent redevenir des partenaires du développement agricole.
Le ministère de lagriculture sest dores et déjà
engagé dans cette voie en prévoyant un recentrage du travail de la direction régionale
sur les relations avec la Collectivité territoriale et le suivi des projets de
développement agricole. Des instructions nouvelles ont été données aux offices
nationaux pour quils associent davantage les DDAF et DRAF à leurs actions en Corse.
Il convient, par ailleurs, de réintégrer au maximum les services
déconcentrés de lÉtat dans linstruction des dossiers daide. Tous les
dossiers instruits par lODARC impliquant des financements de lÉtat et de
lUnion européenne doivent désormais passer en comité régional de programmation
(qui est la fusion du comité régional des aides et du comité de programmation). Cette
mesure devrait permettre aux représentants de lÉtat dêtre mieux informés
des conditions dattribution des subventions publiques.
Des missions axées sur le conseil et lappui technique pourraient
être développées par les directions départementales de lagriculture qui doivent
être dotées de services étoffés et structurés regroupant les meilleurs éléments de
cette administration, afin notamment de favoriser et daccompagner
lorganisation des filières et daider les différents acteurs qui le
souhaiteront à initier des démarches de qualité. Des antennes déconcentrées, par
exemple pour la Haute-Corse, à Corte et Ghisonaccia, pourraient par ailleurs être
créées pour assurer un meilleur suivi des opérations menées dans ces zones.
En outre, la notion de contrat territorial dexploitation prévue
par la loi dorientation agricole pourrait trouver un champ dexpérimentation
en Corse : létablissement de relations contractuelles entre
lagriculteur, lÉtat et les partenaires insulaires concernés devrait
permettre dimpulser, au travers un cahier de charges, des démarches collectives
efficaces et porteuses davenir.
· Quatrième axe : rénover les
institutions du monde agricole
Un dernier axe du plan pour lagriculture corse
doit porter sur la refonte courageuse de divers organismes dont lefficacité est
aujourdhui sujette à caution. A moyens constants, le secteur agricole peut être
modernisé. Le coût des aides directes et des plans de désendettement est important.
Des économies peuvent et doivent être réalisées par lODARC notamment. Cet office
doit, soit se restructurer en profondeur en faisant porter ses efforts sur des actions
dexpertise et de conseil aux exploitations, soit, comme le propose la commission
denquête, disparaître en tant quétablissement industriel et commercial.
Pour une révision complète du système actuel de lODARC
La commission préconise un recentrage des compétences de
lODARC dont les actions manquent de lisibilité et ne semblent suivre aucune
politique préalablement définie.
A titre dexemple, lorsquelle a demandé aux responsables de
loffice davoir accès aux dossiers dinstruction ayant servi à
lattribution daides parfois très importantes, la commission a constaté que
la plupart dentre eux se caractérisaient par une étonnante minceur. Les aides
semblent accordées aux exploitations au gré des sollicitations, sans quil soit
procédé en amont à une étude sérieuse et rigoureuse des effets économiques
escomptés de tel ou tel projet et sans que les contrôles nécessaires de suivi des
opérations ne soient menés en aval par les services de loffice.
Une vraie politique agricole doit être définie en Corse.
Jusquà présent, la multiplicité des institutions impliquées
dans ce domaine, contrairement à ce que lon pourrait espérer, na pas
favorisé un dialogue constructif ; à linverse elle a alourdi et obscurci le
processus de décision. Il ne saurait cependant être question, pour la commission, de
revenir sur les compétences dévolues à la Collectivité territoriale dans le statut de
1991, mais plutôt de donner aux élus les moyens de les exercer dans leur plénitude.
LODARC na jamais réussi à concevoir, puis à mettre en
uvre, une action cohérente et ciblée. Selon des témoins entendus par la
commission denquête, lODARC cherche " à contenter tous les
agriculteurs ". Or déterminer une politique, cest faire des choix et
mécontenter parfois certaines catégories. Le développement des filières davenir
impose un ciblage préalable des aides et des subventions. Actuellement, les actions
financées se caractérisent par leur grand nombre et parfois par leur aspect mineur.
Cette multitude de subventions ne permet pas dobtenir des résultats identifiables.
Plus les aides saccumulent, moins il semble que leurs effets réels sur
lagriculture sont perceptibles ou positifs.
Tirer les conséquences de ces défaillances en supprimant
lODARC ne pourrait, selon la commission, que clarifier les responsabilités de
chacun. Il appartient aux seuls élus de définir la politique agricole quils
entendent mener, après concertation, bien évidemment, avec les professionnels
concernés et en lien avec lÉtat, lui-même important pourvoyeur de fonds notamment
dans le cadre du contrat de plan et garant de la bonne utilisation des fonds européens
vis-à-vis des instances communautaires.
Les missions assignées à lODARC pourraient être assumées par
les services de la Collectivité territoriale à qui reviendrait la charge de déterminer
et de mettre en place une véritable stratégie agricole.
Pour une remise et ordre et une rationalisation des Chambres dagriculture
Il convient manifestement de remettre de lordre dans
les comptes et les méthodes des Chambres départementales et régionale de
lagriculture. Certes, ces Chambres sont comme tout établissement public de
lÉtat, en principe soumises à son contrôle. Si le fonctionnement de la Chambre de
Corse-du-Sud a suscité diverses réserves de la part de la tutelle au cours des
dernières années, celle de Haute-Corse présente quant à elle des dysfonctionnements
extrêmement graves.
Il faut rappeler que cest M. Michel Valentini qui fut
jusquà une date récente, président de cette Chambre départementale et de la
Chambre régionale. La Chambre départementale, qui est dune taille largement
inférieure à la moyenne des Chambres dagriculture métropolitaines, enregistre
cependant des dépenses de personnel (59 personnes daprès des informations datant
de mai 1998) plus lourdes que dans la plupart des autres Chambres et des recettes fiscales
particulièrement faibles, alors que le produit des ventes de service tient une place
très limitée dans ses ressources.
Comme pour la Chambre de Corse-du-Sud, on doit déplorer
dimportants retards dans les transmissions des documents comptables au préfet.
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
BP |
BM |
CF |
BP |
BM |
CF |
BP |
BM |
BP |
Date dadoption par la Chambre |
29/12/94 |
9/11/95 |
30/09/96 |
25/01/96 |
30/09/96 |
30/09/97 |
10/01/97 |
30/09/97 |
29/01/98 |
Date de réception par le préfet |
31/01/95 |
17/11/95 |
11/07/97 |
12/02/96 |
|
27/11/97 |
20/02/97 |
3/03/97 |
27/02/98 |
BP = budget primitif
BM = budget modificatif
CF = compte financier
On constate que les budgets primitifs de la Chambre sont soumis
de plus en plus tard à lapprobation du préfet, malgré ses rappels réguliers au
respect des délais. Plus encore que pour ses budgets, la Chambre ne respecte pas la date
de transmission au préfet de ses comptes financés, fixée au 30 juin de
lannée suivant lexercice auquel ils se rapportent. Ainsi les comptes
financiers de lexercice 1995 furent adoptés par la Chambre le 30 septembre 1996 et
transmis au préfet le 11 juillet 1997, après de nombreuses demandes de sa part. Les
comptes pour 1996 furent adoptés le 30 septembre 1997 et transmis le 27 novembre 1997.
En outre, les comptes financiers, qui ne sont pas établis dans le
strict respect des règles comptables applicables aux établissements publics de
lÉtat, apparaissent difficilement lisibles et présentent de nombreuses lacunes et
erreurs. Le préfet fut dailleurs amené à refuser dapprouver les comptes
1994, 1995 et 1996. La Chambre régionale des comptes a même infligé des amendes à
lagent comptable pour non production au juge des comptes dans les délais
réglementaires des comptes financiers de lorganisme.
La situation financière de cette Chambre semble, par ailleurs, se
détériorer de façon préoccupante. Les budgets primitifs adoptés par elle sont
régulièrement présentés en très léger excédent (1,465 francs pour 1998) ;
mais les résultats, tels quils peuvent être appréciés au vu des comptes
financiers, adoptés par la Chambre, mais non approuvés par le préfet, sont en très
forte dégradation : important excédent de 2,5 millions en 1994, équilibre en 1995
(excédent de 13.684 francs), fort déficit de 2,5 millions en 1996.
Il semble que le strict respect des procédures nentre pas dans
la " culture " de cette Chambre. A titre dexemple, une réunion
du 30 septembre 1997 sest tenue dans des conditions irrégulières. En effet,
larticle R.511-55 du code rural précise que " si au jour fixé par la
convocation la Chambre dagriculture ne réunit pas plus de la moitié de ses
membres, la session est renvoyée de plein droit à huitaine ; une convocation
spéciale est faite durgence par le président ; les délibérations sont alors
valables quel que soit le nombre de membres présents ". Or le procès-verbal de
cette session indique la présence de seulement 22 membres élus. Le nombre réglementaire
de membres élus de la Chambre étant de 44, le quorum est de 23. La session aurait donc
dû être renvoyée à huitaine. En outre, le procès-verbal fait état de la présence de
" membres cooptés ". Aucune disposition du code rural ou de tout
autre texte applicable ne mentionne cette catégorie de membres. Leur existence, qui
nest prévue par aucun texte, résulte dune initiative pour le moins
contestable de M. Valentini. Notons également que, de 1991 à 1998, le directeur
général de la Chambre, M. de Casalta, exerçait parallèlement les fonctions de
directeur de la SAFER, ce qui était illégal.
Selon des informations fournies fin août 1998 à la commission
denquête, la Chambre dagriculture de Haute-Corse se trouverait
aujourdhui en situation de quasi cessation de paiement. Lexamen des
comptes de la Chambre fait apparaître des dysfonctionnements graves. La séparation de
lordonnateur et du comptable nest pas assurée et la confusion entre ces deux
fonctions paraît préoccupante. Des titres de recettes sont émis en labsence de
pièces justificatives correspondantes. Certaines dépenses obligatoires ne sont pas
prises en compte par la Chambre : la TVA collectée nest pas intégralement
reversée et certaines taxes sur salaires ne sont pas payées. Pendant plus de dix ans, de
1987 à 1998, le président et le directeur général de la Chambre ont disposé de
procurations sur des comptes de la Chambre au Crédit agricole, alors quen principe,
ce type de prérogatives nest attribué quà lagent comptable.
Le désordre de la comptabilité de lorganisme a atteint des
niveaux difficilement explicables : le comptable a géré parallèlement plusieurs
exercices budgétaires. Ainsi, lexercice portant sur lannée 1995 ne fut
arrêté quen juillet 1997 et, jusquà cette date, des écritures ont été
passées, ce qui apparaît totalement contraire aux principes les plus élémentaires de
bonne gestion et de la régularité comptable. Par ailleurs, la création dune
association loi 1901 présidée par M. Michel Valentini, a permis à la Chambre de
mettre en place diverses opérations financées par des fonds publics, ce qui constitue un
démembrement tel que les juridictions financières les condamnent. Des opérations
pouvaient ainsi se réaliser sans lintervention de lagent comptable et en
dehors du contrôle de la Chambre régionale des comptes.
Du point de vue de la gestion financière, il apparaît notamment que
les prestations pour les agriculteurs effectuées par la Chambre font lobjet
dune sous-tarification manifeste, tandis que les sommes dues, déjà
sous-évaluées, ne sont que faiblement recouvrées. Lancien président de la
Chambre, M. Michel Valentini, adoptait volontiers une conception
" personnalisée " du recouvrement en appliquant une politique au cas
par cas. Dune manière générale, il semble que le pouvoir ait été pendant de
nombreuses années concentré autour du président et du directeur général de la Chambre
qui prirent lhabitude de sintéresser aux moindres aspects des activités de
celle-ci. Daprès les chiffres communiqués à la commission, les frais de
représentation de lancien président de la Chambre auraient atteint un total
supérieur à 700.000 francs sur la période 1996-1997.
Les personnels de la Chambre sont, selon des informations fournies à
la commission denquête, la plupart du temps livrés à eux-mêmes et les activités
des techniciens ne font, semble-t-il, jamais lobjet de contrôles.
Quant à la Chambre régionale, elle est aujourdhui
" mourante " comme la indiqué un témoin entendu par la
commission.
Face à cette situation préoccupante, plusieurs mesures de court
terme simposent : il convient de mettre un terme à la confusion entre
lordonnateur et le comptable qui caractérise la gestion de la caisse,
dinciter la Chambre à recouvrer ses créances dans des délais raisonnables, à
réaliser des efforts de rationalisation de ses activités et damélioration de
lemploi de son personnel ; enfin, un plan de maîtrise des coûts savère
indispensable.
Dans un deuxième temps, on peut se demander sil ne serait pas
souhaitable de supprimer les deux Chambres dagriculture départementales, pour
recentrer leurs compétences autour dune seule structure couvrant lensemble de
lîle. Les deux Chambres correspondent, il est vrai, à deux types
dagriculture différents : celle du sud sintéresse aux problèmes des
éleveurs, celle de Haute-Corse couvre la plaine orientale et la Balagne qui ont une forte
identité. Mais lexistence de ces deux organismes a jusquà présent induit
des coûts de gestion importants et a sans doute contribué à exacerber les divergences
entre les agriculteurs insulaires. Le faible nombre dexploitations milite également
en faveur dun regroupement des efforts visant à faire la synthèse en un seul lieu
de décision entre les diverses catégories dagriculteurs. Ceci est possible et
souhaitable à condition de faire en sorte que les intérêts de tous les agriculteurs y
soient représentés. Certes, dans un tel cas de figure, la question du siège de la
Chambre unique risquerait de se poser avec une certaine acuité, compte tenu des relations
difficiles que les représentants agricoles des deux départements ont parfois entretenues
dans le passé. Cet aspect, qui ne constitue pas un problème en soi, devrait être
dépassé pour permettre une meilleure efficacité et une plus grande équité de
lattribution des aides destinées à lagriculture corse.
Pour la reprise en mains de la caisse de Mutualité sociale agricole
Face aux carences de la caisse, certains nhésitent
pas à proposer son rattachement à celle de la région PACA. Cette solution est supposée
engendrer des effets déconomies et impliquer une plus grande rigueur dans la
gestion. Les réseaux ne fonctionneraient plus, ou moins, et les
" arrangements " ou " tolérances " de situations
anormales seraient moins fréquents. La commission denquête estime, pour sa part,
que cette solution ne constitue quune option de dernier recours et quelle
présenterait linconvénient de déresponsabiliser les responsables de ce secteur,
alors que lobjectif consiste aujourdhui à atteindre le résultat inverse.
La commission denquête établit quant à elle trois
propositions :
1°) Elle constate et déplore que la caisse na pas
encore mené daction forte en direction de ceux de ses débiteurs institutionnels ou
exercent des responsabilités particulières dans le domaine agricole. Il nest pas
normal et acceptable que des responsables syndicaux aient des dettes importantes et
continuent de ne rien régler à la caisse. Celle-ci doit sengager dans une action
de recouvrement ciblée en premier lieu sur les cas les plus choquants, et donc notamment
à lencontre des mauvais payeurs institutionnels.
2°) En matière de prestations, la commission propose
dorganiser des visites de médecins systématiques afin de mieux contrôler la
réalité des maladies et des problèmes de santé. Il sagit de limiter le
phénomène trop répandu des arrêts maladie de convenance et du laxisme dans les
attributions de pensions dinvalidité. De même, des contrôles doivent
impérativement être réalisés en matière dattribution de pensions
dinvalidité et dallocations aux adultes handicapés. Des médecins
pourquoi pas des praticiens du continent ? pourraient
temporairement pratiquer des visites de contrôle dans trois directions : les contrôles
de la réalité médicale des maux, des contrôles " des vivants " et
des contrôles de vraisemblance.
3°) En ce qui concerne les immatriculations, la commission
denquête rappelle que chaque dossier doit contenir toutes les pièces
justificatives demandées. Il ne devrait plus être possible à la caisse de Corse
daccepter des dossiers sans baux en bonne et due forme, sans contrôle de la nature
des terres et de la réalité des activités dexploitant. Lors de sa visite sur
place en juin 1998, la commission a pu se faire une idée précise sur létat de la
tenue des dossiers par la caisse : la plus grande rigueur doit désormais être de mise.
Il est indispensable dopérer un contrôle de grande ampleur sur les dossiers
individuels de la caisse. Une récente mission de lInspection générale des
finances sest attachée à vérifier une partie des fichiers et a déjà constaté,
après une dizaine de jours de contrôle que bon nombre de dossiers nétaient pas
tenus de façon correcte, ce qui corrobore parfaitement les constats établis en deuxième
partie du rapport sur les règles daffiliation à la MSA.
Les quatre priorités définies plus haut supposent la mise en place de
réformes, parfois douloureuses, mais indispensables, selon la commission, si lon
veut aujourdhui donner les moyens à la Corse de développer un secteur agricole
performant. Cest la voie à emprunter pour maintenir en activité de façon durable
le plus grand nombre possible dexploitations.
2. Forger les instruments du développement
La Corse souffre à la fois dune pléthore de
décideurs et dune absence de véritables décisions. Elle dispose en principe de
nombreux mécanismes daide au développement et le décollage économique tarde en
fait à se produire.
Forger les instruments du développement de la Corse suppose en premier
lieu une clarification des modes des décision et la définition dune véritable
stratégie comportant des lignes daction précises, lisibles par la population. Cela
étant, la question du financement de léconomie reste posée, notamment du fait de
léchec de la CADEC.
Enfin, pour laccompagnement du développement, il importe
maintenant de trouver une solution au problème spécifique de lindivision.
a) Quelques principes sains à mettre en oeuvre
· Moins de centres de décision
mais des intervenants plus efficaces
Avec la loi du 13 mai 1991, la Collectivité
territoriale, qui sest vue conférer un rôle accru dans le domaine du
développement économique, a été dotée dinstruments dintervention nouveaux
en matière de planification et daménagement du territoire, dorganisation des
transports, denvironnement et de tourisme. Comme le notait lInspection
générale des finances dans un rapport daudit du dispositif de promotion du
développement économique de la Corse en date de juillet 1994, " cette
multiplicité dinstruments sest traduite depuis 1991 par un foisonnement
institutionnel, alors que par ailleurs le régime juridique de lintervention de la
Collectivité territoriale en faveur des entreprises restait mal défini ".
Ce constat, établi trois ans après ladoption du statut
particulier de la Corse, est toujours dactualité. Malgré les outils créés à cet
effet
ADEC, CADEC, ODARC, ATC notamment les voies du développement
économique de la Corse semblent toujours incertaines.
Sont-ce les instruments qui sont par eux-mêmes inefficaces et
défaillants ? Ou est-ce la pratique de ces outils qui nen a pas permis une
utilisation adéquate ?
La commission denquête a, au cours de ses travaux, acquis la
conviction que ces instruments, nombreux, nont pas été réellement maîtrisés par
la Collectivité territoriale.
· Mettre un terme à la dilution
des responsabilités pour une vision globale des intérêts de la Corse
Lors de son audition en février 1997 par la mission
dinformation sur la Corse, le directeur régional de la Banque de France concluait
son exposé en ces termes : " Les idées sur ce quil faudrait
faire pour redresser la situation, pour ramener léconomie corse sur des rails
porteurs foisonnent. La difficulté consiste à réunir un consensus sur des lignes
daction précises qui privilégient lintérêt général. "
Cette difficulté est probablement favorisée par la multiplication des
centres de décision. Dans un système à tendance clanique, plus nombreuses sont les
structures, plus il y a de lieux susceptibles de favoriser lexercice de la
solidarité du clan, et plus grande est la proximité du responsable habilité à prendre
les décisions avec ceux qui réclament son aide ou son intervention. Plus forte
également est la probabilité que les décisions se prennent sans lien avec une
stratégie globale, définie pour lensemble de la Corse dans lintérêt de son
développement densemble.
La dilution des responsabilités engendrée par la démultiplication
des lieux de pouvoirs doit être combattue. Ce que lon appelle communément le
" clientélisme " trouverait un terrain beaucoup moins favorable si
les centres de décisions étaient moins nombreux et placés sous le contrôle
démocratique. Il importe donc que les lieux de décision et les lieux de
responsabilité politique coïncident davantage.
· Des élus qui doivent se
remobiliser pour se réapproprier leurs prérogatives légitimes
Les élus corses doivent être les responsables au premier
chef de la politique de développement de lîle. Il est inacceptable que des
socio-professionnels, sans légitimité démocratique, puissent au sein des offices et
agences notamment, imposer leurs points de vue, parfois au détriment des intérêts de la
Collectivité territoriale elle-même. Certes, lexpertise détenue par ces
professionnels est utile dans le processus de prise de décision et les élus ne sont pas
supposés détenir les mêmes connaissances techniques que les spécialistes dans tous les
domaines dintervention possibles. Si la consultation de ces derniers, voire une
concertation régulière entre les élus et ces derniers peut être souhaitable, le
partage qui savère parfois même inégal au profit des
socio-professionnels des compétences dévolues au politique ne saurait être
considéré comme un bon principe de gestion.
Dans le système actuel, les élus se trouvent dans certains cas en
minorité au sein des conseils dadministration détablissements qui gèrent
parfois des sommes considérables sans faire de facto lobjet de contrôle (ni
de la part de la Collectivité territoriale ni de celle des services de lÉtat).
Loffice de développement agricole et rural de la Corse sest souvent fait
ainsi le reflet des revendications de la profession agricole ; loffice
déquipement hydraulique de la Corse a longtemps " fermé les
yeux " sur les factures deau impayées des agriculteurs ;
lagence de développement économique de la Corse a montré à ce jour son
incapacité à définir, en collaboration avec la Collectivité territoriale, une
stratégie cohérente et réfléchie dattribution des aides économiques.
Les témoins auditionnés par la commission denquête ont convenu
que le système, tel quil a été mis en place et quil est aujourdhui
" vécu ", ne favorisait pas la définition dune politique
claire et la détermination dobjectifs préalablement ciblés.
Quant à eux, les élus ont parfois tendance à se réfugier
derrière cette situation complexe pour éviter dendosser publiquement la
responsabilité de décisions impopulaires. Certains dentre eux navaient
pas hésité à expliquer, devant la mission dinformation sur la Corse,
quaucun élu ne pouvait se permettre daller à lencontre dune
demande émanant des socio-professionnels.
Lors de son audition en date du 11 décembre 1996, M. Jean
Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse avait fort bien décrit ce
phénomène :
M. Jean Baggioni : (...) Le président du Conseil
exécutif na que le pouvoir de nommer les présidents (des offices et agences). Les
politiques des différents offices sont définies par leur conseil dadministration.
Dès lors quils ne sont pas responsables devant le suffrage universel, ces conseils
dadministration sont laxistes. Leur demande est infinie, mais elle remonte au
Conseil exécutif et je dois assumer la responsabilité publique et politique, car on me
dit que ce sont les conseillers que jai nommés qui président. Cest bien
vrai, mais ils président des assemblées dont ils ne sont pas les patrons. Si ces
conseils étaient élus, un pouvoir politique sexercerait à travers la majorité
politique mais, en loccurrence, il y a une majorité qui appartient à un monde
autre que le monde élu.
M. le président : Autrement dit, on vous
demande de participer à une politique que vous navez pas définie ?
M. Jean Baggioni : Exactement ".
Les témoignages concordants établis devant la commission
denquête à propos des offices la conduisent dailleurs à préconiser une
amélioration du système, exposée plus loin. Le principe général qui guide ces
préconisations consiste à faire supporter la responsabilité des décisions, notamment
lorsquelles impliquent lengagement de largent public national, européen
ou régional, par ceux qui, de par le suffrage démocratique, sont en charge du
développement et des intérêts de leur région.
b) Des logiques daction à renverser
Au cours de ses investigations, la commission
denquête a constaté que les logiques présidant à loctroi de certaines
aides ne permettaient pas den assurer lefficacité sur le plan économique.
· Dune action au coup par
coup à une stratégie de développement
Lorsque la commission sest rendue dans les locaux
de lADEC, puis dans ceux de lODARC, elle a constaté le même type de défaut
dans la conception des dispositifs daides, alors même que lobjet, les
clientèles et les pouvoirs des deux offices diffèrent profondément. Dans les deux cas,
le manque de stratégie pénalise durement lefficacité des actions menées. Plus
exactement, étant donné quaucun objectif nest préalablement fixé, il est
difficile, voire impossible, dapprécier si telles ou telles actions ont porté
leurs fruits.
Les rapports dactivités annuels que la commission a demandés à
chacun des six offices et agences depuis 1994 en témoignent. Se présentant comme des
documents administratifs, ceux-ci sont irréprochables quant à leur forme ; ils
comprennent en général des séries de chiffres indiquant combien de milliers, ou parfois
combien de millions, de francs ont été consacrés telle année à une action
définie selon un terme générique parfois très vague ou non explicite.
Par exemple, dans son rapport dactivités pour 1997 transmis en
juillet 1998 à la commission, lODARC note : " la Commission
technique permanente sest réunie cinq fois au cours de lannée 1997. Elle a
examiné 683 dossiers de demandes dintervention pour un montant de subvention de
82,9 millions de francs. Elle a accepté 661 dossiers pour un montant de subvention
de 81,05 millions de francs qui se répartissent en 204 opérations de modernisation
et déquipement des exploitations agricoles, 31 dossiers de réfection de clôtures
emportées par les crues, 44 dotations régionales dinstallation jeune agriculteur,
124 dossiers de restructuration du vignoble, 48 dossiers concernant les industries
agro-alimentaires, 43 dossiers de restructuration de larboriculture fruitière, 51
aides au transport du vin, 8 dossiers damélioration de la qualité du lait, 22
bénéficiaires dappuis techniques et de promotion, 33 dossiers forestiers
châtaigneraie, 59 dossiers forestiers oliveraie, 2 dossiers de financement des points
infos et répertoire à linstallation. "
Ce rapport denviron cent pages ne permet pas de
déterminer véritablement si les actions entreprises correspondent bien à un besoin des
exploitations ainsi aidées, ni si un travail de suivi a été effectué par les agents de
lODARC, et dans laffirmative, si les actions menées ont finalement été
bénéfiques à lexploitation. Le rapport nindique pas plus si ce sont
toujours les mêmes agriculteurs qui bénéficient des aides ou si lensemble de la
profession est concerné par ces dispositifs.
La commission denquête a, par ailleurs, eu loccasion de
sétonner devant les responsables de loffice quun nombre si conséquent
de dossiers puisse être passé en revue en seulement cinq réunions, pour permettre in
fine le paiement de plus de 81 millions de francs.
Mais lexemple de lODARC nest pas le seul intéressant
de ce point de vue, même sil concentre plusieurs défauts caractéristiques
dautres établissements. Premièrement, son conseil dadministration est
composé majoritairement de professionnels agricoles et minoritairement délus.
Deuxièmement, ses prérogatives apparaissent très importantes cest par
lODARC que les dossiers daides agricoles transitent, que les fonds concernés
soient dorigine nationale, européenne ou régionale et les contrôles
qui sexercent sur lui sont faibles, voire inexistants. Troisièmement, aucune ligne
directrice nest définie préalablement à lattribution des aides. Toutes les
filières, toutes les activités, tous les éleveurs et les exploitants, tous les porteurs
de projets quels quils soient, sont susceptibles dêtre retenus par
lODARC. Rappelons quen 1997, sur 683 dossiers examinés, 661 ont été
acceptés, ce qui traduit un taux dacceptation très élevé et manifeste la très
faible sélectivité de loffice.
· Dune logique de saupoudrage
à une logique de ciblage, dune logique dassistance à une logique
dappui
La commission denquête considère quavant
de distribuer la moindre aide publique, les offices et agences de la Collectivité
territoriale ou les services de cette dernière doivent impérativement avoir défini des
critères déligibilité beaucoup plus stricts.
La commission a eu le sentiment, en se rendant dans les locaux de
lADEC, que pour les responsables de cette agence, le fait pour une entreprise
davoir sollicité son aide constituait un premier pas très positif à prendre en
considération, lobtention dune subvention semblant ensuite presque aller de
soi. Le montant de laide peut, certes, varier selon les projets et les besoins
de lentreprise, mais il ne semble pas dans la culture de lADEC de dire
" non " ou de conditionner ses aides au respect de critères
sévères.
La logique de ciblage qui simpose paraît antinomique avec cette
approche générale. Elle est pourtant la seule qui permette dobtenir de bons
résultats en privilégiant des secteurs porteurs et en focalisant les efforts financiers
et de conseil vers ces domaines. La commission a acquis la conviction quen
répartissant les mêmes sommes de subventions suivant cette méthode de ciblage, les
créations de richesses et demplois seraient sans commune mesure avec les résultats
obtenus aujourdhui.
Le développement des actions de conseils et de formation des chefs
dentreprise pourrait être organisé dans le cadre et sous légide de
lADEC qui devrait, selon la commission, se réorienter vers des opérations
dingénierie et dinformation. Des propositions en ce sens sont développées
dans la partie consacrée aux améliorations institutionnelles.
c) Pour un effort de planification courageux
Rappelons que la Collectivité territoriale de Corse
doit, daprès les lois du 2 mars 1982 et 13 mai 1991, élaborer un plan déterminant
les objectifs à moyen terme du développement économique, social et culturel de
lîle ainsi que les moyens pour atteindre ces objectifs. Sur la base des
orientations définies dans le plan de développement, elle établit un schéma
daménagement fixant les principes directeurs de laménagement de la Corse et
contenant notamment des règles daménagement spatial. " Ce plan fixe
les orientations sur la base desquelles doit être approuvé le schéma
daménagement de la Collectivité territoriale. Ce schéma doit être approuvé dans
un délai de deux ans suivant ladoption du premier plan de développement. Ce plan
doit être établi dans un délai dun an à compter de linstallation de
lAssemblée de Corse. "
A ce jour, le plan de développement régional adopté en 1993 par
lAssemblée de Corse, qui aurait pu constituer la charte des actions entreprises au
nom du développement, na guère été suivi deffets. Un ancien ministre
auditionné par la commission denquête a fait les commentaires suivants à ce
sujet :
" Le travail de préparation du plan fut conduit
pendant lété 1993 sous limpulsion de la Collectivité territoriale de Corse.
Elle mit au point un plan de développement régional adopté avec labstention des
mouvements nationalistes qui avaient toutefois largement participé au débat et à la
définition du projet. Cette action a suscité, comme souvent en Corse, un espoir aussi
puissant quéphémère. Il nen reste pas moins que le projet défini était de
nature à rassembler tous les éléments actifs de la population corse. (...) Le plan de
développement est un bon plan. Il avait ceci doriginal et dimportant
quil avait été défini par les Corses eux-mêmes. Cétait la première fois
que cela arrivait. Jusqualors, on leur avait toujours imposé ou dit ce quil
fallait faire. Cette fois, on les avait réunis en conclave et on leur avait demandé ce
quils voulaient. Ils avaient défini entre eux les lignes de leur propre
développement. "
A ce propos, un haut fonctionnaire en poste en Corse a devant
la commission denquête estimé que cest parce quil se voulait si
consensuel que le plan de développement apparaît aujourdhui comme un
" document de plus ", intéressant dans son principe mais sans grande
valeur opératoire. Selon ce responsable, " il faut se méfier de ce qui
apparaît comme très consensuel en Corse ! ".
Après ce plan de 1993, suivirent le contrat de plan
État-Collectivité territoriale de Corse et le Document unique de programmation (Docup)
conclu dans le cadre de lUnion européenne. La Corse ne souffre donc pas dun
manque de projets publiés sur papier glacé. Divers témoins ont dailleurs indiqué
à la commission que ces types de contrats étaient toujours " formellement
parfaits " et présentaient indiscutablement une allure de
" sérieux " contrastant cruellement avec leur peu deffets
concrets sur létat de léconomie de lîle.
Quant à elle, la commission denquête juge hautement
souhaitable que soit menée, en amont de tout effort de planification, y compris avant
dentamer les discussions sur le prochain contrat de plan, une réflexion collective
et courageuse sur les secteurs devant faire lobjet dune attention urgente,
ceux devant être traités dans un deuxième temps, et enfin, ceux ne présentant pas le
même caractère impératif et /ou durgence.
On rappellera à cet égard que le schéma daménagement qui,
selon le statut de 1991, devait suivre dans le délai dun an ladoption du plan
de développement, reste à définir.
d) Le nécessaire sauvetage conditionné de la CADEC
Au cours de ses travaux, la commission denquête
sest interrogée sur lévolution souhaitable de la CADEC qui se trouve, comme
on la vu précédemment, dans une situation désespérée que seule une
recapitalisation pourrait améliorer. Préalablement à toute autre, il convient de
répondre à cette question centrale : larrêt de lactivité de la CADEC
est-il souhaitable ? Cet organisme, assez largement discrédité, peut-il renaître
de ses cendres ?
Daprès certains témoins bien informés de ce dossier, la
liquidation de la caisse présenterait deux types dinconvénients :
elle nest officiellement souhaitée ni par la
Collectivité territoriale de Corse ni par les représentants socio-économiques de
lîle. Une telle décision pourrait, en outre, apparaître comme un signe que
lÉtat renonce à doter la Corse dun instrument de développement économique.
elle se traduirait par un coût élevé pour les finances
publiques. Lannonce dune liquidation serait susceptible de provoquer une forte
croissance des taux dimpayés de la part des clients de la caisse misant sur la
couverture des pertes par la puissance publique. Ce comportement pourrait, dans le
scénario le plus pessimiste, avoir des répercussions néfastes sur la totalité de la
place bancaire et ainsi créer un effet domino désastreux pour lensemble de
léconomie. Selon les indications recueillies par la commission, mais dont il est
difficile de vérifier la fiabilité, le coût dune liquidation judiciaire
sélèverait à 500 millions de francs, voire davantage.
Les engagements volontaristes réalisés dans le passé ont, pour
bon nombre dentre eux, résulté derreurs dappréciation majeures et
parfois difficilement compréhensibles. Léchec est patent, mais on doit relever que
la CADEC a tout du moins tenté de contribuer, par ses activités prêteuses, au
développement de secteurs économiques naissants.
Selon la commission, il ne saurait être question, pour la caisse,
de remettre en cause le principe de larrêt de ses activités prêteuses. En se
concentrant uniquement sur le recouvrement des créances, la caisse peut faire en sorte de
résorber progressivement le risque bancaire quelle assume. La politique de
recouvrement contentieux peut sans doute être menée de façon plus dynamique afin
daméliorer les taux de " récupération " des actifs
concernés. Mais, même si la caisse ne fait que recouvrer ses créances, son avenir
demeure hypothéqué par ses problèmes comptables (décrits en deuxième partie du
rapport).
Une recapitalisation doit impérativement intervenir pour assurer la
viabilité financière de cet organisme.
Les négociations entre les deux actionnaires, lÉtat et la
Collectivité territoriale, restent difficiles. Rappelons que lactuel
gouvernement a demandé, par la voix du ministre de lEconomie et des finances,
dengager une nouvelle recapitalisation pour tenter de maintenir lactivité de
la caisse en matière de recouvrement et éviter ainsi sa liquidation judiciaire. Une
demande a été adressée par le ministre au président du Conseil exécutif, M. Jean
Baggioni, tendant à ce que la Collectivité territoriale apporte sa contribution. Or il
faut relever que la précédente Assemblée de Corse avait voté à la quasi-unanimité
une délibération prévoyant que désormais elle ne participerait plus à aucune
recapitalisation.
A cet égard, plusieurs témoins ont considéré devant la commission
denquête que lAssemblée de Corse ne pourrait sen tenir à une position
aussi stricte et serait certainement conduite à prendre ses responsabilités :
" on trouvera nécessairement un terrain dentente " a dit
lun deux.
La situation demeure aujourdhui dans une impasse financière,
économique et politique. Seule la concertation entre les deux actionnaires les plus
importants de la caisse pourrait permettre de trouver une solution satisfaisante
ou la moins insatisfaisante possible à ce dossier délicat.
Au moment de la rédaction de ce rapport, lAssemblée nouvellement élue
navait toujours pas donné son aval à la recapitalisation.
Face à ce blocage, certains ont suggéré des solutions
intermédiaires, ou parallèles, à la question de la recapitalisation. La création
dun institut de participation a ainsi été envisagée. Cet institut pourrait, soit
être doté de la personnalité juridique, soit se présenter comme un fonds de
participation sans personnalité morale. Notons quun étude préalable fut
réalisée par lADEC et transmise pour avis en avril 1997 à la DATAR, à la
direction générale des collectivités locales et à la direction du Trésor.
La commission denquête considère, pour sa part, quil ne
saurait être question de recréer une autre CADEC avec les mêmes équipes dirigeantes et
les mêmes principes dactions. Sil était créé, ce nouvel établissement
risquerait fort de se heurter aux mêmes obstacles que ceux rencontrés par la caisse, à
moins que des précautions particulières ne soient prises et quune politique
réellement sélective de prêts soit déterminée. Selon un témoin entendu par la
commission, lidée de cet institut de participation nest " pour
linstant quun concept. "
La commission nignore pas lenjeu qui entoure la
création dun nouvel opérateur qui pourrait intervenir dans le financement de
léconomie insulaire par des prises de participation. Le calcul du risque bancaire
classique sapplique mal à la Corse. Pour autant, si un tel organisme était
installé, les processus de décision et de contrôle devraient aller bien au-delà des
modes de gestion et de tutelle appliqués à la CADEC.
En résumé, lamorce dun processus de développement
passe par la mise en uvre de quelques principes de bonne gestion, par le
renversement de certaines logiques daction, par un effort de planification courageux
et par le sauvetage sous certaines conditions de la CADEC. Parallèlement à ces
préconisations, la commission attache une grande importance à la question de
lindivision qui constitue, de lavis de nombreux témoins, un frein non
négligeable au développement.
e) Pour laccompagnement du développement : sortir du
problème de lindivision
La persistance du problème de lindivision trouve
en partie son origine dans les structures psychologiques et sociales de lîle. De ce
fait et au vu du délai déjà écoulé depuis les travaux de la commission Badinter, on
peut craindre quil ne puisse être rapidement résolu. Il nen a pas moins des
conséquences dommageables sur le développement économique de lîle.
Daprès les informations recueillies par la commission
denquête, le problème de lindivision nest ni fiscal ni
juridique : il est avant tout financier.
En effet, contrairement à ce qui peut être dit ici ou là, il ne
sagit pas dun problème de nature fiscale généré par les arrêtés Miot.
Labsence de déclaration dune succession nempêche ni le partage des
biens entre les cohéritiers ni les mutations cadastrales opérées sur une attestation de
propriété ou sur la base dune décision de justice. A linverse, la
déclaration dune succession nengendre pas une obligation de partage.
Ce nest pas non plus un problème juridique. Le code civil offre
un corps de règles suffisant pour permettre la gestion ou le partage des indivisions.
Cest avant tout un problème financier. En raison de
labsence fréquente de titres de propriété en Corse, les procédures sont
généralement longues et complexes et nécessitent souvent le recours à un expert
foncier. Dès lors, le coût de la procédure est, bien souvent, sans commune mesure avec
la valeur des biens indivis. Il en résulte que, sauf en cas de nécessité absolue ou
denjeu économique important, les familles nenvisagent pas de procéder au
partage des biens ou y renoncent.
Le notariat en Corse a imaginé un dispositif pour aider à la sortie
de lindivision, ou plutôt à la création de titres de propriété. Il sagit
de létablissement devant notaire dun acte de notoriété constatant la
possession trentenaire du demandeur, dressé devant deux témoins et faisant lobjet
de mesures de publicité dans la presse régionale et à la mairie. En labsence de
contestation dans un délai dun mois, lacte est publié à la conservation des
hypothèques. Ce dispositif a permis la création denviron 1.500 titres de
propriétés depuis 1989, soit daprès certaines estimations, le quart de ce qui
serait nécessaire.
Cependant, cet acte est fragile car il sagit dun acte
déclaratif qui na aucune valeur probante. Cest pourquoi, la commission
établie en 1983 avait suggéré une modification législative du code civil prévoyant
une procédure dérogatoire dhomologation par le tribunal de grande instance,
homologation qui, après publicité, fermerait toute possibilité de recours à
lissue dun délai de trois ans.
Cette proposition a jusquà maintenant été jugée injustifiée
par la Chancellerie. Elle est en outre contestée par les avocats et les experts
qui y perdraient une clientèle potentielle et par les magistrats
qui seraient réduits à enregistrer un acte sur lequel ils nauraient
aucun pouvoir de contrôle. Surtout, elle apparaît peut-être excessivement favorable à
un seul des héritiers, celui qui sest comporté en propriétaire exclusif.
En tout état de cause, il apparaît urgent quune solution
soit trouvée et que celle-ci soit à la fois efficace et acceptable pour tous.
La proposition de la commission de 1983 peut constituer une base de
discussion. Mais peut également être explorée une solution analogue à celle mise
en uvre en Polynésie française par la loi du 5 juillet 1996 portant diverses
dispositions relatives à loutre-mer. Celle-ci institue, en effet, une commission de
conciliation obligatoire en cas de litige en matière dactions réelles
immobilières ou dactions relatives à lindivision. Présidée par un
magistrat ou un avocat et composée en outre de deux personnes choisies pour leurs
compétences, cette commission peut se livrer à tout acte dinstruction des
dossiers. En cas déchec de la conciliation, les parties peuvent saisir la justice.
En cas de conciliation, même partielle, laccord peut se voir attribuer par le juge
force exécutoire.
3. Cibler les aides en direction des secteurs porteurs de
léconomie
Le tourisme est, à lévidence, la première activité
économique de lîle. Rappelons que ce secteur représente 9,5 % du PIB de la
Corse et quil est très fortement créateur demplois, comme cela a déjà
été indiqué en première partie du rapport.
Sil peut être décrit, selon une formule aujourdhui
largement acceptée, comme le moteur du développement de lîle, le tourisme ne
saurait toutefois être considéré comme lunique atout de la Corse, qui peut aussi
développer une agriculture performante sous certaines conditions et sengager dans
des voies nouvelles pour diversifier ses activités. La préparation du prochain contrat
de plan constitue à cet égard une opportunité à saisir. Il importe que les axes à
privilégier soient déterminés clairement en concertation avec la région et en évitant
un saupoudrage aussi coûteux quinefficace, " la politique du
millefeuilles ", pour reprendre les termes du président du Conseil
exécutif, M. Jean Baggioni.
Par ailleurs, il convient dexaminer la contribution réelle
quapporte au développement de lîle son statut fiscal spécifique, ce qui
suppose de se livrer à un examen de leur efficacité.
a) Réexaminer le statut fiscal
Les mesures fiscales dérogatoires dont bénéficie la
Corse et ses habitants sont, on la vu, nombreuses et pour certaines fort anciennes.
Alors que les plus récentes ont été justifiées par le souci de contribuer au
développement économique de lîle, il apparaît que leurs effets nont jamais
fait lobjet dun examen approfondi. Tout indique que cette sédimentation
sest plutôt réalisée parfois sans réflexion préalable ou par octroi de
" grain à moudre " concédé à des interlocuteurs insatiables, sans
analyse poussée des effets attendus et sans confrontation avec les résultats constatés.
· Lévaluation sans tabou du
statut fiscal dérogatoire est indispensable
Le fait que la Corse est friande de dispositions
fiscales dérogatoires et est sentimentalement très attachée à certaines des plus
anciennes dentre elles ne saurait empêcher la communauté nationale de se livrer à
lanalyse précise des effets des atteintes au principe dégalité des citoyens
devant les charges publiques quelle a admises au profit de lîle et de ses
habitants.
Lévaluation nest à ce jour pas systématique. Cependant,
diverses données laissent à penser que certains éléments de ce statut fiscal
particulier sont loin davoir atteint leur but.
La fiscalité indirecte dérogatoire nempêche pas un haut niveau des prix
Ainsi, lexistence de taux particuliers de TVA et
dune réfaction sur la taxe intérieure sur les produits pétroliers sont sans
incidence sur le niveau du coût de la vie constaté en Corse.
Ainsi, le mensuel de lUnion fédérale des consommateurs a
publié les résultats dune enquête nationale sur les niveaux de prix constatés
pour 145 produits de consommation courante dans les hypermarchés et les supermarchés. Il
apparaît que ce niveau est particulièrement élevé en Corse : par exemple Ajaccio,
ville la plus chère de France, se classant au dernier rang des 132 villes visitées par
les enquêteurs de lunion.
Comme lexpliquait devant la mission dinformation sur la
Corse, le directeur général de la concurrence, de la consommation et la répression des
fraudes, " les marges sur les produits sont souvent plus élevées en Corse
que sur le continent.(
) Les analyses que nous avons faites montrent bien quil
existe un surcoût lié au transport tout à fait évident. Celui-ci nexplique
cependant pas lécart de prix enregistré dune manière générale chez le
consommateur. Une marge est donc prélevée au passage, vraisemblablement en deux ou trois
stades, avant la vente finale au consommateur, et au cours des phases intermédiaires ".
Il nest pas sûr que leffort non négligeable que
consentent lensemble des contribuables français en matière de taux de TVA - qui
représente, rappelons-le un coût annuel de 450 millions de francs doive
servir à arrondir les marges de quelques intermédiaires sans profiter au consommateur
final.
Est-on sûr également que la fixation du droit de consommation sur les
tabacs à un niveau permettant leur vente à des prix largement inférieurs à ceux
observés sur le continent soit opportune, ne serait-ce quau regard des objectifs de
santé publique ?
Les premiers enseignements de la zone franche ne sont pas encourageants
Lévaluation des effets de la zone franche doit
également être menée aussi rapidement que possible. Certes, les enseignements tirés
dune évaluation partielle dun dispositif destiné à sappliquer pendant
cinq ans peuvent être délicats à tirer. Mais il importe que lefficacité
dun dispositif qui représente aujourdhui le tiers de leffort fiscal
consenti en faveur de lîle soit régulièrement appréciée.
Daprès une brève étude transmise à la commission
denquête par la direction générale des impôts, les premiers éléments
dinformation laissent dubitatif. En effet, ils font apparaître que " la
zone franche a entraîné des allégements de charges significatifs qui, dans
limmédiat, ont surtout eu pour conséquence daméliorer la trésorerie des
entreprises ". Létude montre, en effet, que " la
situation des entreprises semble sêtre améliorée et avoir facilité le paiement
de la TVA. En effet, les recouvrements de TVA ont augmenté de 21,9% par rapport à 1996
alors que le chiffre daffaires déclaré restait, dans lensemble, stagnant.
Par ailleurs, le total des dépôts à vue et des dépôts rémunérés dans les banques a
progressé de 9% entre le troisième trimestre 1996 et le troisième trimestre 1997. "
La Cour des comptes doit se voir confier une mission dévaluation
Cette évaluation doit être systématique et concerner
lensemble des dispositions dérogatoires, même les plus anciennes et quels que
soient les impôts concernés.
Largument du " maintien des droits acquis "
nest pas recevable sans examen approfondi. Les habitants de lîle ont, au
contraire, tout à gagner dun retour à la normalité fiscale, assortie des seules
dispositions dérogatoires dont lefficacité à légard de la compensation des
handicaps liés à linsularité et à légard du développement économique
durable de la Corse est avérée et contrôlée.
Il ne sagit, rien de moins, que de revenir au fondement qui
justifie le statut fiscal particulier, tel quil est défini au premier alinéa de
larticle 1er de la loi du 27 décembre 1994 portant statut fiscal de la
Corse.
· Lapplication de la zone
franche doit faire lobjet dune grande rigueur
Les dispositions relatives à la zone franche ne sont
pas, loin de là, exemptes de critiques. Sil ne convient sans doute pas de revenir
sur le texte voté, il importe en tout cas de réaffirmer avec force son caractère
temporaire et dannoncer quil ne saurait être question de maintenir sans
inventaire ni bilan, après 2002, un ensemble de dispositions aussi onéreuses et aussi
peu ciblées et dont beaucoup ne constituent que des effets daubaine pour leurs
bénéficiaires.
Il convient aussi, pour la période dapplication de la zone
franche, de faire preuve de la plus grande rigueur.
Il a été fait état devant la commission de denquête cas de
transferts de sièges sociaux fictifs en Corse. La presse locale sen est également
faite lécho.
Pourtant, dans lun des quotidiens corses, un agent des impôts
souhaitant garder lanonymat estimait que ce nétait pas seulement
lexonération des bénéfices à hauteur de 400.000 francs qui pouvait susciter
de telles dérives, mais aussi le désir " déchapper à un contrôle
fiscal. Elles pensent, parfois à tort, mais aussi à raison, quelles ne feront
lobjet daucune tracasserie de la part des services fiscaux. Cest un
effet pervers de lambiance qui règne en Corse ! Elles pensent que le laxisme
des contrôles allait continuer ". Et le journal de citer quelques exemples
troublants, dont certains antérieurs à la mise en place de la zone franche :
- une société dimport-export de fleurs entre la France et lAmérique du Sud,
SARL au capital de 50.000 francs basée à Besançon et dont le siège social est
situé à Monticello ; encore sagit-il dune résidence secondaire fermée
la plus grande partie de lannée dans laquelle le numéro de téléphone
naboutit quà un répondeur indiquant quil sagit bien du siège
social et demandant de laisser un message,
- une grande entreprise (au capital de 600.000 francs) de construction métallique
qui possède plusieurs locaux en Isère et a transféré son siège social dabord
dans le Niolu puis à lIle-Rousse en avril 1997 ; le bureau indiqué est
toujours fermé et personne ne répond au téléphone,
- une clinique du continent a installé son siège à Feliceto en 1995,
- une société de confection, dont le magasin est à Grenoble, a installé son siège à
Monticello.
Ces faits troublants doivent à lévidence faire lobjet
dune attention très rigoureuse de la part des services fiscaux de lîle,
dautant que la loi exclut les exonérations dans ces cas.
Une autre des difficultés dapplication de la zone franche est
sans doute plus lourde de portée. Il sagit de la détermination de la part des
bénéfices des entrepreneurs individuels qui ouvre droit à exonération. Aux termes de
la loi, seule est exonérée, en effet, la part " maintenue dans
lexploitation ". Il a été dit devant la commission denquête
que le contrôle du respect de cette condition pourrait savérer très difficile.
Comme le soulignait le SNUI lors de sa conférence de presse : " certains
contribuables ont sûrement la tentation de faire apparaître dans leurs déclarations,
comme étant demeurés dans lentreprise, des bénéfices quils ont en
réalité appréhendés. Une augmentation de la part du bénéfice non distribué par
rapport aux années précédentes pourra être considérée comme un indice de fraude ".
Il importe donc, comme le plaidait ce syndicat, de multiplier les
contrôles de comptabilité. Cette rigueur des contrôles est également indispensable du
point de vue de léquité fiscale. Plusieurs témoins entendus par la commission
denquête ont souligné ce que cette exonération partielle des bénéfices pouvait
avoir de socialement injuste si lon comparait le sort respectif de
lentrepreneur individuel exonéré jusquà hauteur de
400.000 francs et ses salariés imposés sur lintégralité de
leurs salaires.
La commission denquête considère que cette inégalité
flagrante des citoyens devant limpôt revêt un caractère particulièrement
choquant et mérite dêtre corrigée.
De même, il apparaît indispensable, dans un évident souci de
moralisation, de ne faire profiter des avantages consentis par la zone franche que les
entrepreneurs individuels et les entreprises qui rempliraient normalement leurs
obligations déclaratives et seraient à jour de leurs dettes fiscale et sociale.
b) Le tourisme : un bien nécessaire
Le tourisme a longtemps constitué un sujet de conflits,
une activité mal acceptée tant par une grande partie de la population que par certains
opérateurs économiques. Il est pourtant un bien nécessaire.
· Ni remède miracle pour le
développement, ni menace pour lidentité corse
La mission dinformation sur la Corse, avait
évoqué cette question avec différents représentants de la profession. M. Charles
Colonna dIstria, président du conseil régional des professionnels du tourisme
corse et vice-président de la coordination des industries touristiques de la Corse avait
décrit en ces termes la situation : " le tourisme a toujours été
mal considéré, sans doute parce que les éléments nationalistes lavaient
stigmatisé comme quelque chose qui pouvait demain abîmer lidentité corse, voire
détruire ses sites, etc. Nous étions considérés, nous acteurs du tourisme, comme des
gens extrêmement dangereux. Cette idéologie sest développée ailleurs, mais
ci (en Corse), elle était extrêmement active ; nos élus, pris dans ce système, ont
essayé de ménager la chèvre et le chou, mais léconomie est passée au second
plan et on a favorisé ceux qui voyaient léconomie comme quelque chose
détranger à ce qui a toujours fait notre île, cest-à-dire le
fonctionnariat, ou même lagriculture qui apparaissait comme sympathique et
valorisante à une certaine époque. "
La commission denquête a cherché, à son tour, à
comprendre comment le tourisme était désormais considéré et vécu en Corse. Lors de
son audition, un haut responsable en poste dans lîle a indiqué : " Localement,
on a eu une perception longtemps hostile ou ambiguë vis-à-vis du développement
touristique. Aujourdhui, certes, tout le monde saccorde à considérer que
le tourisme est le moteur du développement, mais il a fallu deux crises pour
quon lon saperçoive que le tourisme faisait fonctionner
léconomie. Progressivement, on est passé dun tourisme considéré comme
la maladie honteuse de la Corse, à première crise un tourisme
perçu comme un mal nécessaire, puis à deuxième crise - un
tourisme moteur du développement. La prise de conscience est à la fois tardive et
ambiguë. "
Notons quen 1993, le plan de développement sest
attaché à préciser les principes de base ainsi que léthique du tourisme en
Corse. Le tourisme nest donc plus un sujet tabou, même sil nest pas
sûr que chacun en ait la même conception. Il fait, au contraire, lobjet dune
attention nouvelle et positive et semble de plus en plus perçu comme une priorité
régionale.
Le tourisme est devenu un secteur prioritaire et occupe une place non
négligeable dans le contrat de plan et le plan de développement régional. Au fil du
temps, ce thème est devenu de plus en plus présent dans les discours des hommes
politiques corses. Lors de la dernière campagne pour les élections régionales en 1998,
chacun a développé dans son programme une conception du modèle touristique adapté à
lîle. Il existe aujourdhui, semble-t-il, un accord de principe pour affirmer
que ce secteur est un moteur essentiel du développement économique insulaire. La
commission denquête sinscrit résolument dans cette optique : le
tourisme représente une chance que lîle doit être capable de tourner à son
avantage. Il doit constituer un des piliers de la relance économique, compte tenu
notamment des retombées positives quil peut avoir sur de nombreuses activités
insulaires connexes : artisanat, agriculture et commerce. Ceux qui dans le passé
récent ont tenté de diaboliser les activités touristiques jugées néfastes pour
lidentité corse paraissent aujourdhui minoritaires.
· Des atouts à exploiter
Au sein dun espace méditerranéen fortement
urbanisé, un des atouts du tourisme en Corse tient au capital
" nature " de lîle qualifiée communément
d" île de Beauté " ou d" île verte au
soleil ". La commission denquête, qui sest rendue à plusieurs
missions dans lîle, a pu constater quelle est restée largement préservée,
et offre de vastes ensembles naturels, notamment littoraux, non urbanisés. Il sagit
dun des derniers espaces en Méditerranée à se trouver dans cette situation.
Un autre atout essentiel consiste dans le contraste et la diversité
des sites et des paysages. La Corse est une île plurielle : la mer, la montagne, la
ruralité y sont présentes, alors que dautres destinations sont loin doffrir
une palette aussi riche de possibilités. La Corse se situe donc dans la catégorie des
destinations pluridimensionnelles (et non unidimensionnelles qui nont à proposer
que la mer et le soleil ...).
La Corse constitue donc une destination typée présentant une forte
attractivité pour la clientèle nationale. En revanche, lîle reste encore
largement méconnue auprès des pays européens, alors quelle bénéficie de la
proximité dimportants marchés émetteurs tels que lItalie du nord ou Munich.
Bastia et Ajaccio sont plus proches de Munich environ une heure de
vol et de Rome une demi-heure de vol que de Paris.
Lîle bénéficie dun réseau dense dinfrastructures
portuaires assez exceptionnel en Méditerranée. Rappelons lexistence de sept ports
de commerce et de quatre aéroports (Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari).
Enfin, loffre touristique est significative, avec une capacité
daccueil de 390.000 lits, ce qui est supérieur à des destinations comparables en
Méditerranée.
· Définir une véritable
stratégie pour un modèle touristique adapté à lîle
Intégrer les
activités touristiques dans le développement global de lîle
Un tourisme de qualité intégré dans
lenvironnement corse, maîtrisé et mieux réparti à la fois dans le temps et
lespace, valorisant le potentiel naturel et culturel de lîle pourrait être
un atout primordial pour le développement durable et équilibré de la Corse.
Lîle doit être capable de garder la maîtrise de son développement touristique.
Les outils juridiques existent pour cela. Le " tout tourisme " serait
aussi néfaste pour elle que le refus des activités touristiques. Les actions
touristiques doivent, en outre, sintégrer dans un effort de programmation
dopérations structurantes qui dépassent le seul secteur du tourisme pour
sinsérer dans un projet global de développement insulaire.
Pour un tourisme respectueux
de lenvironnement
La commission denquête a, lors dun déplacement
dans le sud de lîle, rencontré des responsables dassociations de protection
de lenvironnement. Elle a pu constater que celles-ci faisaient preuve de la plus
grande vigilance en la matière, même si, dans leurs batailles en faveur dun
meilleur respect du droit de lurbanisme par exemple, les rapports de force leur sont
souvent défavorables dans le contexte local eu égard à limportance des enjeux
économiques.
Pour un tourisme résolument
diversifié
La commission denquête plaide pour que les aides
économiques sadressent en priorité aux entreprises touristiques et notamment
hôtelières ayant fait le pari de la qualité et de la modernité. Il convient
daider les opérateurs porteurs de véritables projets. Ceux-ci ont jusquici
fait cruellement défaut, alors même que la demande touristique sest modifiée et
se tourne aujourdhui vers des types de tourisme diversifié. Le tourisme vert, le
tourisme rural, le tourisme sportif, le tourisme culturel représentent autant de pistes
qui pourraient être développées en Corse, sans que les paysages de lîle
nen soient dailleurs aucunement altérés. La clientèle recherche de moins en
moins des produits " secs " et de plus en plus des activités
danimation aussi bien sportives que culturelles et de loisirs. Loffre
actuellement proposée ne peut satisfaire ceux des touristes, de plus en plus nombreux,
qui recherchent des produits de pleine nature avec un hébergement adapté.
Pour une meilleure action de
communication
De même, une des pistes de réflexion consiste à élaborer
des projets destinés à élargir la saison touristique au-delà des seuls mois de juillet
et daoût afin que la fréquentation touristique puisse être
" lissée " de mai à septembre. Laction de communication semble
encore insuffisante. Lagence du tourisme de Corse (ATC) devrait pouvoir lancer des
actions de diffusion de linformation systématiques afin dattirer une
clientèle plus diversifiée au cours dune période plus étendue.
Comme le soulignait récemment le préfet Bernard Bonnet, " trois
grands marchés insulaires sont insuffisamment développés : le tourisme de luxe,
intégré à un environnement de qualité, celui qui est dévolu au troisième âge et
celui qui draîne une clientèle de congrès. "
Développer
lingénierie et le conseil aux entreprises touristiques
Il faut également sattacher à développer le
conseil, lassistance et le soutien techniques. Il sagit dactions qui ne
sont pas nécessairement très onéreuses, mais qui doivent se poursuivre dans le temps.
Le plan concerté dactions touristiques représente à cet égard une voie à
explorer.
Créer et renforcer les
structures intercommunales
Il faut, enfin, faire prendre conscience aux responsables
corses que le tourisme se soucie peu des divisions administratives et / ou
politiques. Les bassins daccueil touristiques ne coïncident pas, la plupart du
temps, avec des découpages communaux. La faiblesse en Corse des structures
intercommunales ne facilite nullement des actions touristiques concertées. Un effort de
regroupement de certaines petites communes tant sur le littoral quà
lintérieur serait certainement bénéfique et aurait des retombées touristiques,
et donc économiques et en termes demplois, quil ne faut pas négliger.
Mieux adapter loffre
touristique à la demande
Cette capacité daccueil est cependant
déséquilibrée par limportance prise par lhébergement non professionnel.
Or, ce type dhébergement, qui répond parfois à la demande, notamment dans le
domaine du locatif et dans le cas des résidences secondaires, est encore mal mis en
marché. Ainsi loffre ne rencontre la demande que durant la haute saison, ce qui
contribue à la saisonnalité de lactivité touristique et napporte pas de
très importantes retombées en termes de création demplois. Au sein de
lhébergement professionnel, qui représente 127.000 lits, le camping est
lhébergement dominant. La taille moyenne des établissements est assez proche et
même supérieure à celle de la moyenne nationale. En France, les hôtels comptent en
moyenne vingt-quatre Chambres. En Corse, ils en comptent trente-et-une.
En revanche, il nexiste pas dans lîle de très gros
établissements et il ny a pratiquement pas dhôtels de chaînes. La seule
différence notable avec loffre touristique nationale moyenne est limportance
prise en Corse par les villages de vacances dans la part de lhébergement
marchand : 19 % en Corse contre 4,7 % au plan national. La part dans
lhébergement total atteint 6,18 % en Corse et seulement 1,4 % en moyenne
nationale. Notons la subsistance dun déséquilibre dans la capacité daccueil
entre le littoral et lintérieur, doublé dune concentration sur quelques
secteurs du littoral seulement. Ces carences pourraient être comblées grâce à une
action de planification associant les différents partenaires du secteur touristique.
Un effort de planification
à poursuivre
* Labsence de document opérationnel est
préjudiciable au développement harmonieux du secteur touristique.
Certains professionnels considèrent aujourdhui que le plan
de développement de 1993 sest borné à déterminer les principes de base et les
objectifs généraux les plus consensuels. Il manque à lévidence un véritable
document opérationnel densemble définissant une stratégie de développement et
constituant un cadre de référence pour les professionnels. Par exemple, alors que le
constat nest pas nouveau, les retards structurels en matière déquipements
danimation et de loisirs ne sont toujours pas comblés. Labsence de politique
cohérente de développement touristique explique que le tourisme nait pu exploiter
les opportunités de financement national ou européen en matière déquipements
touristiques structurants. Les réalisations en ce domaine comme le Palais des congrès à
Ajaccio se font en dehors des interventions publiques.
Un professionnel en charge du tourisme en Corse a estimé devant la
commission denquête, " le plan de développement de la Corse mentionne
la nécessité détablir un schéma daménagement et de développement du
tourisme et des loisirs, mais ce document fait défaut et il manque un chaînon entre
le plan de développement de la Corse et les dispositifs daide. Or, cest ce
chaînon manquant qui, à mon avis, est important. "
* Il convient de remédier à la sous-consommation des
crédits publics destinés au tourisme.
Le contrat de plan État-Collectivité territoriale en cours
dexécution prévoit un total de crédits de 38,3 millions de francs pour le
tourisme. Au 31 décembre 1997, ces crédits navaient été utilisés quà
raison de 13,3 millions de francs (soit 34,64 %). Certaines actions
navaient pas ou peu été mises en oeuvre. Au 31 décembre 1997, les opérations en
matière dhôtellerie de caractère navaient pas du tout été entamées, les
crédits pour les circuits touristiques avaient été consommés à hauteur de 13,9 % et
ceux pour les auberges rurales à hauteur de 13,3 %.
La sous-utilisation des crédits est donc manifeste et sexplique
en partie par la lourdeur et la complexité des procédures administratives.
* Il faut faire le pari de la qualité.
Pour tenter de répondre aux besoins du tourisme en Corse, un
programme concerté dactions touristiques a été signé le 23 avril 1997 par le
préfet de Corse et le président du Conseil exécutif de Corse. Son enveloppe
sélève à 47,6 millions de francs sur trois ans financé à raison de 15,7
millions par lÉtat et 15,7 millions par la Collectivité territoriale, le reste
étant apporté par les crédits européens (6,25 millions de francs), les
collectivités locales et les Chambres de commerce. Lélaboration de ce programme
est issue dune démarche parteneuriale qui sest voulue exemplaire entre la
délégation régionale au tourisme, lagence du tourisme, lADEC, les Chambres
de commerce notamment.
Ce programme vise à compléter et amplifier les dispositions du
contrat de plan État-Collectivité territoriale en cours dexécution, en mettant
laccent sur le soutien des outils modernes de léconomie touristique et en
associant le plus étroitement possible les partenaires publics et les professionnels
concernés.
Il se présente comme un véritable instrument de développement des
entreprises touristiques ainsi que dorganisation de loffre et de sa mise en
marché. Il est moins un catalogue daides quune tentative de valorisation dans
le cadre dun partenariat suivi des mesures de soutien technique aux industries
touristiques. Celles-ci doivent sinsérer dans une démarche dentreprise.
Alors que le contrat de plan est réservé à tous ceux qui entreprennent une action dans
le secteur du tourisme sur la base de priorités régionales, le programme concerté
dactions touristiques répond à une démarche individuelle de qualité.
Deux types de contrats ont été proposés dans ce cadre : les
contrats de développement des entreprises touristiques, et tout particulièrement celles
relevant du secteur hôtelier et les contrats de développement territorial qui traitent
de la dimension touristique au plan des espaces et notamment des bassins daccueils
et des plans de gestion des sites.
Quant aux programmes européens, ils sont au nombre de quatre. Le
Document unique de programmation (Docup) intervient en soutien des mesures principales du
contrat de plan État-Collectivité territoriale de Corse, selon le principe de
subsidiarité. Son aide représente 64,76 millions de francs au titre du FEDER. Les
trois autres grandes actions de lUnion européenne se traduisent par des opérations
financées par le PIC LEADER, par le PIC Interreg associant la Haute-Corse et le province
de Livourne, et par le PIC Interreg II, qui concerne la Corse-du-Sud et la province de
Sassari.
Un professionnel du tourisme interrogé par la commission
denquête a expliqué, " le contrat de plan est destiné à aider celui
qui a des difficultés ou tout pétitionnaire qui présente un projet et qui remplit les
conditions. Le programme concerté dactions touristiques est une procédure
contractuelle de développement et de recherche de lexcellence. Pour caricaturer,
avec ce programme, on aide les bons, on tire le tourisme vers le haut. Pour ce faire, on
met en place un dispositif de diagnostic-action dans les différents secteurs en matière
de formation, on développe un contrat de développement des entreprises, précédé
dun audit. Le chef dentreprise sengage à réaliser un certain nombre
dactions en contrepartie desquelles il obtient des soutiens financiers mais aussi et
surtout techniques. Il a une stratégie dentreprise. "
La commission denquête considère que la démarche qui
avait été initiée avec la signature du programme concerté dactions touristiques
doit être poursuivie et approfondie. Cest en recherchant des actions de partenariat
entre les acteurs publics et les opérateurs privés, en privilégiant la qualité et en
visant lexcellence, que le secteur du tourisme pourra entraîner léconomie
insulaire dans un cercle vertueux.
c) Des filières de production agricole à renforcer et à
rénover
La situation des filières de production a fait
récemment lobjet dun rapport, qui en dresse un " état de
lieux " et suggère un certain nombre dorientations. Pour sa part, la
commission denquête a noté au cours de ses travaux que la filière viticole était
la plus fréquemment citée par de nombreux interlocuteurs comme étant la plus
prometteuse dans lîle. En outre, les filières animales et celle des agrumes
connaissent des sorts divers et recouvrent des situations très différentes.
· Les bons résultats de la
filière viticole et des perspectives de commercialisation assez favorables
La vigne fait partie du patrimoine culturel et
économique de lîle. Dès la fin du XVIII ème siècle, elle occupait 9.800
hectares pour atteindre 19.600 hectares en 1879. Dans les années 1960-1976, avec
larrivée des rapatriés dAfrique du Nord, le vignoble a connu une extension
très importante, avec la plantation de 20.000 hectares remplaçant des friches et du
maquis, notamment dans la plaine orientale. Des unités de productions de taille
significative sont alors apparues, et ont cherché à obtenir des rendements très
élevés à partir de cépages extérieurs, et en recourant de façon systématique à la
chaptalisation. Trois facteurs ont contribué au décroissement quantitatif du
vignoble : la suppression de la chaptalisation en 1972, la restructuration vers la
qualité du vignoble en Languedoc-Roussillon et le déclin de la demande des vins de
coupage. Les stocks devinrent très importants. Les arrachages primés firent disparaître
plus de 22.000 hectares entre 1976 et 1989, dont 75 % sont, depuis, retournés à la
jachère ou à la friche.
Fort heureusement, cette chute des surfaces et des exploitations
sest accompagnée dune restructuration du vignoble vers la qualité grâce à
une réorientation variétale importante, à la modernisation des unités de vinification
et à la promotion des vins dappellation dorigine contrôlée et des vins de
pays de lîle de Beauté.
Aujourdhui, le vignoble occupe une superficie de lordre de
7.500 hectares dont 7.030 hectares en production. La majeure partie du vignoble se situe
en Haute-Corse principalement dans la plaine orientale. La production a été, en 1996, de
371.400 hectolitres pour 455 déclarants dont 88.900 hl dAOC (24 %), 160.500 hl
de vins de pays de lIle de Beauté (43 %), et 122.000 hl de vin de table
(33 %). Les neuf appellations dorigine contrôlée de Corse ont représenté,
pour le millésime 1996, 88.900 hectolitres agréés, dont 11 % de vins blancs,
34 % de vins rosés, 53 % de vins rouges et 2 % de muscat. 43 % de ce
volume a été vinifié en caves particulières et 57 % au sein de structures
coopératives.
La Corse, qui représente moins de 1 % de la production nationale,
ne risque donc pas de compromettre léquilibre du marché français. En revanche,
les vins sont dune importance vitale pour lagriculture de lîle :
ils procurent un tiers des livraisons totales de lagriculture régionale et la
moitié des livraisons du secteur végétal.
La viticulture corse possède des atouts indéniables. Des terrains à
vocation viticole facilitent lobtention de productions de qualité. La richesse de
cépages locaux permet une forte typicité et donne dexcellents vins. La tradition
de la culture de la vigne est fortement ancrée dans la patrimoine culturel. Le vignoble a
été restructuré à 61 % dans le sens de la production de vins de qualité. Des
outils de vinification ont été modernisés et sont techniquement performants. Le marché
local, important, est rémunérateur. Les unités de commercialisation ont une taille
adéquate.
En revanche, ce secteur doit faire face à des handicaps réels liés
notamment à la faiblesse des rendements moyens ce qui rend nécessaire une
bonne valorisation , à la faible notoriété des vins corses et à
léloignement des marchés de consommation. Le marché local absorbe 40 % de la
production totale et 60 % de la production AOC. Mais ces résultats demeurent très
dépendants de la réussite des saisons touristiques, les touristes de visite dans
lîle consommant ces productions.
Les réorientations à mettre en oeuvre dans ce secteur consistent dans
la poursuite les restructurations du vignoble, le maintien du potentiel actuel de
production, enfin, la modernisation des caves individuelles et des coopératives.
Le marché continental souvre progressivement aux vins corses.
Cependant, la concurrence y est très forte, notamment dans les régions de production
viticole. La coordination de laction commerciale entre les caves individuelles et
les coopératives savère nécessaire et doit être également recherchée sur le
plan des transports. Il faut en effet que les viticulteurs privilégient les transports
par groupage qui permettent de diminuer les coûts. De même, il convient de mettre en
place des possibilités de stockage importantes sur le continent. Un entreposage dans de
bonnes conditions constitue un argument commercial essentiel.
Les actions promotionnelles actuellement assez limitées pourraient
certainement être développées.
· Des filières fruits et légumes
prometteuses mais largement concurrencées par les pays gros producteurs
La filière fruits et légumes de Corse occupe une place
très importante dans lensemble de lagriculture insulaire. Elle représentait,
en 1996, une production de 73.000 tonnes pour une superficie de 8.300 hectares. La
production agricole correspondante est de 254,5 millions de francs soit 30 %
environ de la production finale. A côté des légumes, qui représentent 20.000 tonnes
par an, la production de fruits comprend essentiellement des agrumes (25.000 tonnes) et
des kiwis (12.600 tonnes), ou des amandes et des prunes dEnte (14.500 tonnes).
Il faut cependant noter que la filière des clémentines corses
connaît actuellement une situation très difficile du fait notamment de la concurrence
principalement espagnole. Le rapport de production reste très défavorable. En effet, la
production corse ne représente que 10 % de la production espagnole, et les coûts de
production et de mise en marché restent élevés dans lîle. En outre, la demande
du consommateur a évolué dans le sens dune qualité accrue tant pour laspect
extérieur des fruits que celui du goût. Les deux dernières campagnes 1996/1997 et
1997/1998 se sont déroulées dans de mauvaises conditions, ce qui a entraîné un certain
découragement des producteurs.
Les points faibles de cette filière tiennent tout dabord à la
modicité du volume (25.000 tonnes), à comparer aux productions espagnoles, marocaines ou
italiennes. Dailleurs, la clémentine corse ne représente que 8 % de la
consommation française. Les producteurs sont insuffisamment informés, tandis que les
opérateurs paraissent trop nombreux pour la mise en marché. En dautres termes, la
clémentine corse se fait concurrence à elle-même. De plus, les contraintes liées à la
position insulaire gênent le développement de la commercialisation. Il est devenu
primordial que loffre corse vise un haut niveau de qualité.
Pour dynamiser cette filière, il convient de développer des
variétés adaptées sur des arbres sains. Daprès des estimations récentes, un
millier dhectares de vergers de variétés inadaptées serait à rénover. Il faut
par ailleurs détablir un cahier des charges de la qualité et le faire respecter.
Aujourdhui, les opérations dagréage restent sommaires : les vergers
ainsi que le travail qui y est effectué sont traités de manière indifférenciée. La
qualité de la clémentine corse est, pour lheure, simplement définie par une
échelle de diamètres sur laquelle est basé le paiement des producteurs-apporteurs. Les
opérations de promotion doivent également se développer pour améliorer limage de
la clémentine corse auprès des opérateurs et du consommateur final.
Quant aux vergers damandes, ils recouvrent aujourdhui 665
hectares et devraient représenter à terme 40 % de la superficie totale française
organisée. Des investissements importants ont été réalisés dans ce secteur (halls de
conditionnement, Chambres froides, chaînes de conditionnement). Toutefois des dissensions
sont apparues au sein de la COREPAC, le groupement de producteurs créé en 1991. Les
querelles au sein de cette filière ont sans doute ralenti son développement, tandis que
la situation du marché mondial dominé par les États-Unis et lEspagne (85 %
et 13 % respectivement des parts de marché) est fortement concurrentiel. La France
produit 1.300 tonnes de coques pour 60.000 tonnes dimportation, ce qui peut
constituer un atout pour la Corse, si elle parvient à orienter sa production vers des
créneaux porteurs sur le marché français : les amandons en divers
conditionnements, la pâte damande, la crème damandons.
Notons également les perspectives des filières oléicole (huile
dolive), voire de la châtaigne.
· Des potentialités à développer
en matière de productions animales
La filière bovine nest pas dépourvue
datouts. Avec 64.000 bêtes (2/3 en Haute-Corse et 1/3 en Corse du Sud), dont 44.000
vaches allaitantes, regroupées dans 1.172 élevages, le troupeau bovin a connu une
extension spectaculaire depuis le début des années 1970 (les effectifs ont été
multipliés par deux). Il est certain que la mise en place dun système de primes à
lanimal na pas été étranger à cette évolution. Depuis la publication du
rapport Jacquot, un effort didentification animale bovine a été entrepris en
Corse. La poursuite de cet effort paraît indispensable.
Une des difficultés actuellement rencontrées par cette filière tient
dans linsuffisance de fourrages et daliments complémentaires produits sur
place. 11.000 à 14.000 tonnes de fourrages sont importées chaque année du continent. Il
serait opportun dassurer une production suffisante au niveau local. En outre, le
réseau des abattoirs doit être développé de façon urgente.
Quant à lorganisation collective des éleveurs, elle est
structurée autour de deux associations départementales. Dans le rapport déjà cité sur
la situation des filières de production, il est indiqué que les efforts doivent porter,
à lavenir, sur lappui technique aux producteurs qui doivent se montrer " plus
autonomes et davantage responsabilisés sur leurs choix économiques ".
Quant à elle, la filière porcine peut encore se développer. La
Corse dispose en effet dun élevage porcin modeste rapporté à la surface de la
région. La finalité principale de cet élevage est de produire une charcuterie corse de
grande qualité selon des procédés souvent ancestraux. Cette production ne rencontre
dailleurs aucun problème de débouchés malgré des niveaux de cours élevés. La
filière comporte des atouts réels. Le marché de la charcuterie apparaît porteur. Les
techniques de fabrication traditionnelles sont parfaitement maîtrisées et la production
permet une bonne occupation de lespace. Néanmoins, plusieurs facteurs constituent
des freins au développement de ce secteur. La mésentente professionnelle entre le Nord
et le Sud a perduré. Le rapport de mai 1998 sur la situation des filières de production
note : " la situation actuelle est marquée dans cette filière par
des antagonismes vivaces entre les deux départements, au niveau des organismes
consulaires, quant à la vision du développement à envisager. Ceci se traduit sur le
terrain par des actions parfois divergentes voire par une inaction néfaste à
lensemble des producteurs ". De plus, lindivision, dont il a
déjà été question dans des développements antérieurs, entrave la délimitation
parcellaire clôturée des terrains. Les élevages souffrent dun manque de suivi
sanitaire patent. Enfin, les éleveurs ont toujours une réticence à diriger les animaux
vers un abattoir, notamment en Haute-Corse.
Elevage traditionnel de lîle, en déclin depuis le début du
siècle, la filière ovine et caprine sest redressée à partir des années 70,
grâce à la présence dun fort noyau déleveurs professionnels, à
limpulsion donnée à la production fromagère par la fabrication de Roquefort et
aux fabrications typiques de lîle (corsica, tomme corse, brocciu) et aux produits
méditerranéens comme la fêta. Mais, dans le domaine de lélevage, des faiblesses
notoires apparaissent en matière de sélection, didentification et de suivi des
troupeaux.
Cet aperçu rapide des principales filières de lagriculture
corse montre que cette dernière nest nullement dépourvue datouts. Si elle ne
constitue pas un secteur économiquement très significatif (rappelons que
lagriculture ne contribue quà hauteur de 2 % au PIB de la Corse), elle
peut néanmoins devenir plus compétitive à une double condition : que les
exploitations viables sengagent dans des opérations de modernisation et que les
producteurs et les éleveurs sorganisent et se regroupent de façon plus efficace
quaujourdhui.

Les discours sur létat de léconomie insulaire se
focalisent, la plupart du temps, autour des secteurs de lagriculture et du
tourisme ; pourtant ceux-ci ne représentent pas les deux seules voies possibles de
développement. Certaines entreprises de nouvelles technologies pourraient
simplanter en Corse. De même, lîle pourrait devenir le cadre
dactivités de recherches universitaires au niveau européen et international.
Un ancien préfet de Corse entendu par la commission denquête
sexclamait : "Il faut offrir de la hauteur. Je pense que cest par
les sommets que lavenir se dessine, en particulier pour la jeunesse qui est,
là-bas, désoeuvrée et en attente. Il faut miser sur lintelligence, (
) un
développement économique, les technologies avancées, des activités universitaires, de
grandes recherches internationales valorisant les grands centres de recherche européens
(
), lEurope en Méditerranée, la politique de lenvironnement,
lart de construire, lart de vivre. "
Un ancien ministre de lIntérieur auditionné par la
commission a développé le point de vue suivant : " le problème de
fond est de savoir quelles sont les perspectives de développement économique de la
Corse. Sil ny en avait pas, je ne dirais pas que je suis optimiste. Mais il y
en a une et demi : le tourisme et linformatique, qui permet la localisation
dactivités intellectuelles à peu près nimporte où, en particulier dans les
endroits agréables. Or, la Corse est un territoire vierge.(
) Pour ce qui est des
activités intellectuelles, lorsquon voit ce qui se passe dans certaines régions
des États-Unis où les gens sinstallent dans un endroit pour travailler
parce quils y sont bien , on peut penser que la Corse a aussi un
avenir : le jour où la population et les élus corses prendront conscience que la
Corse peut, avec les chances que lui offre son retard historique, choisir un nouveau type
de développement qui correspond à des aspirations considérables (
). Par sa
proximité, soffrent à la Corse des perspectives formidables. "
4.
La dépense publique au service du développement : lexemple des
transports
La dotation de continuité territoriale revêt, on la
vu, une grande importance tant en raison de son montant que de ses incidences sur la vie
économique et sociale de la Corse. Pour autant, il semble que cest trop souvent à
sa gestion et aux critiques quelle peut susciter que se résume, dans lîle,
le débat sur les transports. Pourtant, lamélioration des transports intérieurs et
une analyse plus multimodale de la question savère indispensable.
a) La gestion de la continuité territoriale doit être
améliorée pour préparer les échéances communautaires
Au cours des tous prochains mois, cest le
transport maritime qui, du fait des échéances européennes, va vraisemblablement
susciter les débats les plus vifs. Malgré les critiques, pas toujours fondées, du
dispositif actuel, il convient de reconnaître quil a largement rempli ses
objectifs. Il nen demeure pas moins que les échéances communautaires devront être
préparées avec attention, cette préparation passant dabord par la poursuite du
redressement de la SNCM
· Le redressement de la SNCM doit
être poursuivi
La SNCM, qui assure lessentiel du transport
maritime entre le continent et la Corse, traverse une phase difficile, marquée par de
lourdes pertes constatées en 1995 et 1996.
Un nouveau président a été nommé en février 1998. Dans la lettre
de mission quils lui ont adressé, MM. Dominique Strauss-Kahn et Jean-Claude Gayssot
lui assignent comme mission essentielle de faire en sorte que la SNCM " soit
en mesure de concourir et de remporter lappel doffres communautaire, afin de
poursuivre par ce moyen la mise en uvre de la mission de service public de
continuité territoriale ". Pour ce faire, ils lui confient la mission
délaborer dans les meilleurs délais le plan dentreprise de la société, en
concertation avec les personnels et ses représentants et donc de " proposer
(
) et de mettre en uvre les conditions du redressement de la SNCM "
Ce plan dentreprise est en cours délaboration et devrait
être soumis au comité dentreprise de la compagnie à la rentrée. Lambition
de ce plan est triple : être retenue à lissue de lappel doffres
de 2001, développer ses activités en Méditerranée et préserver lemploi des
personnels en place. Sur ce dernier point, lamélioration de la productivité
interne, qui est reconnue comme indispensable, sera recherchée sans recourir aux départs
autoritaires de personnels, quils soient sédentaires ou navigants.
Même en labsence déchéances européennes majeures, le
redressement de la SNCM est impératif, une entreprise publique nayant pas vocation
à rester durablement déficitaire. Mais, les échéances européennes le rendent encore
plus pressant, puisquil apparaît que le temps est compté à la compagnie.
· Les échéances européennes
doivent être soigneusement préparées
Les conditions de la desserte maritime de la Corse vont
être au cours des toutes prochaines années profondément bouleversées par deux
échéance majeures dictées par le règlement communautaire du 7 décembre 1992
concernant lapplication du principe de la libre circulation des services aux
transports maritimes à lintérieur des États membres (cabotage maritime).
La première est très proche puisque, à partir du 1er
janvier 1999, les liaisons maritimes avec les îles de la Méditerranée, qui
bénéficiaient depuis 1993 dune dérogation, seront libéralisées. Cela signifie
que, dès lannée prochaine, des compagnies battant pavillon communautaire pourront
proposer des services entre le continent et la Corse, à condition de respecter les
règles déquipage françaises, sans pouvoir cependant prétendre à une quelconque
subvention.
La seconde interviendra au 31 décembre 2001, date à laquelle les
actuelles concessions de service public conclues en 1976 arriveront à expiration. Ainsi,
toute compagnie battant pavillon communautaire, mais respectant les règles
déquipage françaises, pourra être candidate pour participer au service public tel
quil sera défini par la Collectivité territoriale de Corse.
Contrairement au transport aérien, la réglementation communautaire
relative à la desserte maritime des îles apparaît imprécise quant aux modalités
pratiques de mise en uvre du service public. La seule obligation impérative est
quun État, qui souhaite conclure des contrats de service public ou se contenter
dimposer des obligations de service public, doit le faire sur des " bases
non discriminatoires à légard de tous les armateurs communautaires ".
Le principe de mise en concurrence est donc affirmée. De toute façon,
il découlerait en droit français de lapplication de la loi du 29 janvier 1993
relative à la prévention de la corruption et à la transparence des procédures
économiques qui impose une mise en concurrence préalable avant toute décision
doctroi dune concession de service public.
Cette mise en concurrence nest pas que théorique. Comme
lexpliquait un responsable de la SNCM devant la commission denquête :
" Compte tenu de lapparition du Trans-Manche, des Européens du nord
sont capables damener sur cette destination, pour trois ou cinq ans, des ferries
largement amortis mais en très mauvais état. Ils nauront pas lobligation
dinvestir, contrairement à nous qui opérons sur une longue période. Des
sociétés arrivant avec des bateaux amortis peuvent très bien travailler au coût
marginal. "
Louverture à la concurrence pose dès lors deux problèmes qui
ne sont, à ce jour, pas réglés.
Le problème des règles déquipage qui seront appliquées
Le premier concerne les règles déquipage qui seront
appliquées à léventuel armateur communautaire qui proposerait ses services.
Actuellement, le règlement de 1992 prévoit que ce seront les règles de lÉtat
daccueil, en loccurrence la France. Cependant, la pression des armateurs de la
mer du Nord est très forte et la Commission européenne propose de revenir au droit
commun du cabotage communautaire, à savoir les règles déquipage de lÉtat
dimmatriculation des navires, pour le transport de marchandises et pour les lignes
régulières de passagers et de transbordeurs. Lenjeu est considérable puisque,
dans ce dernier cas, seul un pourcentage minimum de marins communautaires pourrait être
imposé. Les conditions de la concurrence auxquelles seraient soumises les compagnies
françaises, obligées naturellement de respecter les règles déquipage
françaises, en seraient gravement bouleversées.
Il importe donc que le gouvernement soit attentif au déroulement de la
négociation communautaire et plaide pour le maintien de la référence aux règles de
lÉtat daccueil.
Le problème de la consistance du service public
Le second problème est celui de la consistance exacte du
service public qui fera lobjet dune concession à partir de 2002.
Les responsables insulaires ont réclamé, au cours des dernières
années, une modification de certains articles de la loi du 13 mai 1991, revendications
qui avaient reçu un accueil favorable des précédents gouvernements mais qui ont été
abandonnées devant la pression des compagnies concessionnaires.
La principale modification demandée portait sur larticle 73 de
la loi qui est interprété comme intégrant dans le service public lintégralité
des liaisons maritimes telles quelles figurent dans les conventions de 1976. La
modification aurait eu pour objet de donner à la Collectivité territoriale de Corse une
plus grande liberté dans la définition de la consistance du service public. Dans un
entretien à un journal local, M. François Piazza-Alessandrini, président de
loffice des transports, expliquait ainsi " quil nest pas
déraisonnable de penser à lavenir à un service correspondant à la stricte
satisfaction des besoins vitaux de la communauté insulaire, les flux estivaux relevant
alors de la libre concurrence ".
Même sil semblerait que les dispositions législatives
existantes laissent déjà à la Collectivité territoriale de Corse une grande latitude
pour déterminer les lignes ou les périodes de lannée qui seront englobées dans
le service public, ce choix ne serait pas neutre comme lexpliquait un responsable de
la SNCM : " Il convient dabord de connaître le contenu de
lappel doffres. Sil sagit dun appel doffres global
recouvrant à la fois le fret et le transport de passager, et pour ce dernier, en toutes
saisons, la société est bien placée pour lemporter. En revanche, si, comme le
souhaitent certains, il sagit dun appel doffres par secteur, pour trois
ou cinq ans, excluant les lignes et les périodes les plus rentables, cest très
mauvais pour nous. Il est clair quun certain nombre dentreprises, ayant pour
seul objectif le profit à court terme, se placeront avec des bateaux amortis. Elles
écrémeront le trafic et, lorsquelles auront réalisé des profits, partiront. La
puissance publique devra alors ensuite subventionner les lignes déficitaires. Lancer des
appels doffres ligne par ligne et période par période peut présenter un
intérêt, mais à moyen terme et globalement, cela posera un problème. Nous sommes tout
à fait daccord pour être mis en concurrence, nous sommes actuellement
aiguillonnés par Corsica Ferries et cela nous fait du bien mais si cela
devait aller plus loin, si les secteurs les plus intéressants étaient exclus de la
continuité territoriale, de sorte que nous ne puissions plus réaliser lété des
bénéfices nous permettant de combler les périodes creuses, cela pourrait conduire à la
catastrophe. "
Dès lors, la plus grande prudence est de mise dans la
détermination de ces choix fondamentaux. La Collectivité territoriale de Corse doit
être consciente que le sort des compagnies maritimes aujourdhui concessionnaires ne
concerne pas que la Corse.
En effet, la SNCM est, avec 1.400 navigants, le premier employeur
maritime français. Son activité comme celle de la CMN
dailleurs nest pas cantonnée à la desserte de la Corse, même si
celle-ci représente une part importante de son chiffre daffaires. Elle a aussi des
retombées à lautre extrémité des liaisons Corse-continent, cest-à-dire en
région Provence-Alpes-Côte dAzur. Enfin, lÉtat, qui est son seul
actionnaire, ne peut se désintéresser de sa santé financière largement tributaire de
la mise en uvre de la continuité territoriale.
b) Une réflexion multimodale doit être encouragée
Le dernier chapitre du rapport du Sénateur Oudin avait
été opportunément intitulé " de lobsession de la continuité
territoriale à la primauté du développement économique ". Cétait
souligner que le développement de lîle exigeait aussi une réflexion globale sur
lorganisation des transports, tous modes confondus, qui dépasse le seul problème
des liaisons entre la Corse et le continent.
Seule une telle approche permettrait aujourdhui dunifier la
Corse et de mieux linsérer dans son environnement géographique naturel, qui
intègre aussi la Toscane et la Sardaigne. A cet égard, lamélioration des liaisons
entre Bastia et Ajaccio (éventuellement par le percement dun tunnel) et la mise en
place dun axe nord-sud dans la plaine orientale sont quelques unes des grandes
infrastructures suggérées, en attendant peut-être un pont entre la Corse et la
Sardaigne séparées par seulement une dizaine de kilomètres.
Comme le soulignait le rapport du Sénateur Oudin, " multimodalité
et dispersion des structures sont antinomiques ". Lorganisation et la
coordination des flux de transports nest, en effet, possible que si ceux-ci
atteignent une certaine importance, qui ne peut être atteinte que par leur concentration,
dans une île aussi petite et aussi peu peuplée, sur une ou deux plates-formes ou un ou
deux axes seulement.
Rien nempêchait les responsables insulaires dengager cette
réflexion multimodale. La lenteur dexécution du schéma directeur des routes
nationales de Corse et le tabou observé sur la multiplicité des ports et aéroports
montrent que cette réflexion na jamais été ébauchée.
Les orientations prévues par le projet de loi dorientation pour
laménagement et le développement durable du territoire constituent une
opportunité à saisir. En effet, ce projet de loi assigne à chaque région, et donc à
la Corse, le soin délaborer un " schéma régional des transports "
qui devra avoir " pour objectif prioritaire doptimiser
lutilisation des réseaux et équipements existants et de favoriser la
complémentarité entre les modes de transport et la coopération entre les opérateurs en
prévoyant, lorsque nécessaire, la réalisation dinfrastructures nouvelles ".
Cet encouragement à la réflexion multimodale ne doit pas pourtant
être loccasion de revenir sur lune des revendications récurrentes de la
Collectivité territoriale, à savoir la " déspécialisation " de la
dotation de continuité territoriale. Cette revendication consiste, en effet, à faire de
cette dotation une ressource ordinaire de la Collectivité et délargir son
affectation à tous les modes de transport sont notamment visés les
investissements routiers ou toute opération à caractère économique.
Sauf à ce que lÉtat accepte daugmenter la dotation de
continuité territoriale, on imagine mal comment un élargissement de son objet ne se
traduirait pas par une diminution des subventions versées aux compagnies
concessionnaires. Dès lors, cette diminution risquerait dentraîner une
détérioration de leur situation financière, puisque les contraintes nées du service
public seraient moins bien compensées, à charge pour leurs actionnaires de les
recapitaliser un jour ou lautre. Au contraire, si les compagnies parviennent grâce
à leurs efforts de productivité à supporter cette diminution, cela signifierait que la
Collectivité territoriale de Corse serait la bénéficiaire exclusive defforts
auxquels elle naurait pris aucune part.
Les moyens financiers qui pourraient être rendus nécessaires par le
futur schéma multimodal trouveraient, au contraire, tout naturellement leur place dans le
futur contrat de plan ou la prochaine programmation communautaire.
5. Pour un réexamen sans tabous de la politique
culturelle et de lenseignement
Diversifiée et profonde, la culture corse recèle certains
aspects dune richesse exceptionnelle qui force ladmiration. Elle est le
substrat de lidentité corse et ne saurait être considérée comme un danger pour
la République. Lopinion de la commission denquête est quau contraire,
cette dernière doit faciliter lexpression et les manifestations de cette culture
vivante et généreuse. Parallèlement, un effort important doit être accompli afin
doptimiser un système éducatif qui reste encore largement perfectible.
a) Pour un système éducatif performant
Avant dévoquer les spécificités de
lacadémie de Corse, il convient de relever que celle-ci semble aujourdhui
sortir dune période relativement incertaine.
· Une gestion administrative en
voie damélioration
LInspection générale de ladministration de
léducation nationale indique, dans un rapport établi à la suite dune
mission effectuée en Corse du 3 au 5 mars 1998, que " ladministration
de lEducation nationale en Corse fonctionne correctement nonobstant des points à
encore améliorer ". Les inspecteurs ont en effet considéré que la place
et le rôle du rectorat et des deux inspections dacadémie étaient correctement
tenus.
En 1991, un précédent rapport de cette inspection générale sur le
fonctionnement des services académiques en Corse avait fait état dune situation
générale préoccupante, comme en témoigne cet extrait issu de la première page
dintroduction : " tous les membres du groupe qui ont contribué à
la mission sont revenus de Corse avec un sentiment de malaise face à une réalité
impalpable ; parfois également une appréhension diffuse devant les dérives
dangereuses. (...) Ce rapport donnera peut-être limpression parfois de verser dans
la notation subjective, mais il est impossible de contrôler la gestion des moyens ou la
politique dorientation sans prendre en compte ce que lon appelle pudiquement
des " pratiques locales ".
Il ne sagit certes pas de sombrer dans de vaines alarmes, le
système public déducation remplit ses missions et des fonctionnaires sy
consacrent avec dévouement. Mais à quel prix ? Et jusquà
quand ? "
Plus loin, dans la partie du rapport consacrée au fonctionnement
des services de léducation nationale, lInspection avait par ailleurs relevé,
" limpression qui domine est que chaque service sest constitué
en féodalité autonome soucieuse daccaparer le maximum dattributions
porteuses de pouvoir ou de prestige, mais on ne peut relever aucune trace dobjectifs
ni de directives explicites et cohérentes. "
Dans leur rapport de mars 1998, les inspecteurs constatent que la
situation sest nettement améliorée, même si le rectorat se trouve encore dans une
phase de réorganisation.
· Une académie
" rurale ", de petite taille, mais correctement dotée en personnel
administratif et enseignant
52.000 élèves sont actuellement scolarisés dans le
premier degré et 23.000 dans le secondaire. Quant à luniversité de Corte, elle
compte aujourdhui entre 3.400 et 3.500 étudiants. Pour accueillir cette population,
lacadémie emploie 5.300 personnes dont 1.500 instituteurs, 2.400 professeurs du
secondaire et 200 universitaires de Corte. Petite en taille, lacadémie semble
disposer des moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Dailleurs, lors de son
audition devant la mission dinformation sur la Corse, le 2 avril 1997, le recteur
alors en fonction, M. Marc Debène, avait relevé quen Corse, le nombre
dheures par élèves H/E était supérieur au H/E national
et que cet indicateur avait tendance à augmenter au collège, au lycée et au lycée
professionnel.
Cependant, la commission denquête a entendu que lacadémie
souffrait dun manque danimation pédagogique. Très peu
dinspecteurs pédagogiques régionaux sont résidents en Corse. Ils sont au nombre
de quatre auxquels il faut ajouter un autre inspecteur compétent pour lévaluation
de lenseignement en langue corse.
Lacadémie de Corse est lune des plus rurales de France. En
Corse-du-Sud, beaucoup décoles ont une ou deux classes. 40 % des écoles de ce
département ne scolarisent que 10 % des effectifs. Ces chiffres sont le reflet
dune implantation démographique qui, à part les deux villes importantes, Bastia et
Ajaccio, implique une multitude de petites écoles parfois à très faible effectif (six
à huit élèves). Cette situation ne contribue dailleurs pas à lefficacité
du système éducatif.
· Un coût élevé, mais des
résultats scolaires peu satisfaisants en moyenne
Lécole en Corse est coûteuse. Chaque élève
coûte environ 24.000 francs par an, la moyenne métropolitaine sétablissant
à 20.000 francs. La Corse se situe au premier rang pour le coût des académies
métropolitaines.
Ce surcoût ne se traduit pas par des résultats particulièrement
satisfaisants. Lévaluation à laquelle tous les élèves sont soumis en classe
de sixième montre que leurs performances sont nettement inférieures à celles des
élèves des autres académies : six points de moins (sur cent) par rapport à la
moyenne nationale en français, douze points de moins en mathématiques. Dans la suite du
cursus scolaire, le différentiel reste élevé : six points en moins de réussite au
niveau du brevet des collèges, sept points en moins pour le baccalauréat, voire neuf
points de moins pour lannée 1995. Le pourcentage délèves sortant du
système scolaire corse sans aucune qualification reste très élevé : 27 % en
1995 et 13 % en 1996. Selon les chiffres fournis à la commission denquête, la
moitié des bacheliers reste en Corse : 35 à 40 % vont à luniversité de
Corte et quelques-uns préparent des BTS, tandis quune partie des autres partent
étudier sur le continent.
Selon les chiffres de lINSEE, un peu plus de 2.000 candidats se
sont présentés en Corse aux épreuves du baccalauréat lors de la session 1996. Le taux
de réussite sest établi à 70 %, ce qui témoignerait dune
amélioration, puisque ce taux atteignait 65 % lors de la session précédente. Il
demeurait cependant inférieur à la moyenne française (75 % en 1996). Notons que
lécart entre la Corse et lensemble de la France est plus faible pour les
résultats au baccalauréat professionnel (même si toutes les filières ne sont pas
proposées dans lîle) : parmi les 300 candidats inscrits à cet examen en
1996, plus des trois quarts ont réussi.
En 1996, presque toutes les séries ont progressé par rapport aux
résultats obtenus lannée précédente, mais des disparités existent. Ainsi ce
sont dans les spécialités littéraires que les scores sont les meilleurs en Corse. Pour
les filières axées sur les matières économiques, le résultat de lacadémie de
Corse, assez faible, sapproche de ceux constatés dans les académies
dAix-Marseille, de Montpellier, de Nice ou de Paris. Dans la série scientifique,
les écarts se creusent en revanche, avec des résultats en Corse de 10 points inférieurs
à ceux de la moyenne nationale.
En 1998, sur lensemble du territoire, les taux de réussite des
séries générales et technologiques ont atteint, avec 78,8 % (contre 77,3 % en
1997), leur plus haut niveau depuis 1968. Ces taux ont connu une augmentation dans la
plupart des académies, à lexception de Paris (en légère baisse de 0,3 %) et
surtout de la Corse, dont le taux de réussite a chuté de 5,6 points pour sétablir
à 71,3 %. Les écarts de réussite ont même atteint 19 points en série
scientifique entre lacadémie la meilleure (Rennes avec 84,7 %) et la moins
bonne (la Corse avec 65,9 %). Dans la filière technologique, alors que les meilleurs
scores de réussite sont supérieurs à 80 % (les académies de Nantes, Clermont et
Rennes avec des taux respectifs de 85,8 %, 84,9 % et 84,6 %),
lacadémie de Corse enregistre un score de 73,1 %.
Comment expliquer ce phénomène ? Une des causes de cette
situation tient sans doute dans la perception de lécole en Corse. Un haut
fonctionnaire de ladministration de lEducation nationale sexprimait en
ces termes devant la commission denquête : " si, en Corse,
lenfant est traditionnellement important pour les familles, actuellement, pour
celles-ci, lécole na plus la même importance que par le passé.
Labsentéisme (...) nest pas seulement le fait des enseignants et des
personnels, mais aussi celui des enfants, dans un contexte difficile, car cette société
présente quand même des différences culturelles avec lensemble de la société
française, qui font que, probablement, les valeurs véhiculées par lhistoire de
notre pays nont pas tout à fait la même résonance là-bas, ce qui est important
pour le rôle de lécole et en matière déducation. "
On peut, par ailleurs, constater que le système éducatif en Corse
naccueille pratiquement aucun enfant à deux ans. Le taux denfants qui, à
trois ans, ne fréquentent pas lécole est de 6 % alors que, sur le continent,
les enfants sont quasiment tous scolarisés à cet âge. De la même façon, on observe
une fuite des élèves au cours du temps qui fait quà dix-huit ans, seuls 65 %
des élèves sont encore scolarisés. Lacadémie de Corse se situe en la matière au
dernier rang des académies françaises.
Le taux délèves étrangers, principalement marocains, atteint
17 %, ce qui constitue lun des pourcentages les plus élevés en France. Dans
les écoles classées en zone déducation prioritaires (ZEP), ce taux sélève
à 27 % et dans certains secteurs, à 40 %. Selon le fonctionnaire déjà cité,
" il y a un racisme rampant lié à cela, qui se traduit par des
positionnements de communautés et qui se manifeste peu au niveau individuel, bien
quil y ait eu des cas précis. " Ce témoin déplorait la tendance à
diriger trop systématiquement ces élèves vers des sections qui, au niveau du collège,
sadressent aux enfants en difficulté, y compris dans des cas pour lesquels ce type
dorientation aurait pu être évité.
· La continuité incertaine du
service public de lenseignement
Labsentéisme des enseignants du premier degré, et
plus généralement de lensemble des premier et second degrés, est le plus élevé
au niveau national. En 1996-1997, en dépit de moyens de remplacement supérieurs à
la moyenne nationale, treize classes tous les jours de lannée nont pas eu de
remplaçant, ce qui veut dire que 300 enfants nont pas été scolarisés en moyenne
tous les jours au cours de cette année scolaire.
Un responsable de ladministration de lEducation nationale a
expliqué devant la commission denquête : " cette année
(1997-1998), nous avons abordé le problème dune autre façon, en essayant de
mettre dans le coup le conseil de lordre des médecins et des médecins scolaires de
façon à accompagner les enseignants. Il y a des congés de longue durée mais surtout de
nombreux petits congés et malgré les moyens de remplacement importants dont nous
disposons, nous narrivons pas à couvrir. On " détourne " si je
puis dire des moyens qui sont liés à la formation continue pour couvrir des absences
liées aux maladies. Mais nous avons encore du mal à y arriver.
Je ne peux pas expliquer ce phénomène, mais il existe une tradition
qui fait que lon sabsente beaucoup. Redresser la situation va exiger du temps
(...). nous sommes là devant un fait de société. Cest malheureux à dire, mais
cest une habitude qui a été prise. Il y a des certificats médicaux. des
contrôles sont faits, bien sûr, mais lon ne peut pas faire contrôler tout le
monde. "
· Trois priorités
Lutter contre
labsentéisme des professeurs et des élèves
La commission denquête a, au cours de ses travaux,
recueilli des témoignages concordants et inquiétants quant aux habitudes prises en la
matière. Le changement des mentalités dans le corps professoral, mais également parmi
les élèves et même leurs parents, prendra sans doute du temps. LEducation
nationale doit cependant tout mettre en uvre pour sensibiliser les intéressés à
ce problème. Limage de lécole en général doit être revalorisée et les
chefs détablissements devraient dans la mesure de leurs compétences tenter de
remobiliser ceux des professeurs qui enregistrent des taux anormaux dabsence chaque
année et de motiver lensemble des élèves.
Etablir un partenariat
rénové entre le recteur et lexécutif de Corse
La commission a fait le constat suivant : le recteur
voit en Corse ses compétences réduites et se trouve concurrencé par les pouvoirs
dévolus à la Collectivité territoriale de Corse en matière déducation, sans que
les relations de travail entre celui-ci et cette dernière naient été clairement
établies au préalable.
Certes, la loi dorientation de 1989 sur léducation
nationale est applicable en Corse, mais cette académie présente une particularité
essentielle qui tient au statut de 1991. Elle doit être gérée en accord avec la
Collectivité territoriale qui, dans les domaines de léducation et de la culture,
possède des compétences propres très importantes. Une spécificité est que,
contrairement aux autres académies, les établissements publics locaux
denseignement ne relèvent que dune seule collectivité : la
Collectivité territoriale qui est en effet compétente à la fois pour les lycées, les
lycées professionnels et les collèges.
En outre, le recteur na pas les mêmes pouvoirs que dans les
autres académies. Il ne répartit pas les emplois entre les établissements publics
locaux denseignement. Il propose une répartition au président du Conseil exécutif
de Corse qui, en règle générale, laccepte. Sur proposition du préfet, et après
consultation des départements et des communes intéressées ainsi que du Conseil
économique, social et culturel, lAssemblée de Corse arrête la carte scolaire des
établissements (collèges, lycées et lycées professionnels), le schéma prévisionnel
des formations (préparé par les services de lacadémie) et le programme
prévisionnel des investissements correspondant à ce schéma pour les différents
établissements. Depuis la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à
lemploi et à la formation professionnelle, elle est, comme les autres régions,
chargée délaborer un plan régional de développement de la formation
professionnelle des jeunes. Après consultation du Conseil économique, social et culture,
lAssemblée établit également la carte des formations supérieures et des
activités de recherche universitaire, qui ne devient définitive quavec
lintervention dune convention entre la Collectivité territoriale,
lÉtat et luniversité de Corte. Enfin, lAssemblée a adopté, en
septembre 1993, un plan de développement qui comporte une partie consacrée à
léducation et à la formation, à lenseignement supérieur et à la
recherche.
Un haut fonctionnaire de ladministration de lEducation
nationale entendu par la commission denquête a relevé : " mon
impression est que les deux partenaires, lÉtat et la Collectivité territoriale,
nont pas encore complètement pris en compte cette particularité et le
fonctionnement est encore expérimental. Cela crée des difficultés, en tout cas pour
le recteur et pour ladministration de lEducation nationale, en ce sens que le
recteur, en tant que représentant du ministre de lEducation nationale et donc de
lÉtat, doit instruire des dossiers, mais il napplique pas alors seulement la
politique de lÉtat : il met en application le résultat dune
négociation entre lÉtat et la Collectivité territoriale. Faire du recteur à la
fois le négociateur, lévaluateur et celui qui met en pratique le résultat des
négociations donne au dispositif un manque de clarté. "
Les relations entre le recteur et le président du Conseil
exécutif de Corse savèrent ainsi parfois délicates. Les exemples suivants ont
été évoqués devant la commission : " un collège de Bastia a jugé,
après le comité technique paritaire du mois de janvier ou février, que ses moyens
étaient insuffisants. Cela a donné lieu à une grève qui a duré assez longtemps et au
cours de laquelle le recteur a été mis en cause parce quil navait pas pris
en compte les particularités de létablissement. Je sais bien que lon était
pendant la campagne électorale, mais ce mouvement a reçu le soutien du président du
Conseil exécutif de Corse, qui était alors tête dune des listes, par une lettre
écrite pour défendre publiquement les enseignants de ce collège dans leurs
revendications contre le recteur. "
" Un des collèges de Bastia aurait dû être fermé. Il y a
une perte de substance à lintérieur de la ville au profit de la
périphérie ; les effectifs en élèves des écoles et des collèges diminuent. Il
avait donc été demandé (par le rectorat) de fermer lun des collèges de Bastia.
Non seulement, il na pas été fermé, mais il a été rénové. Ce qui fait
quaujourdhui, il y a moins délèves dans le collège (
) et (le
collège) se met en grève parce quon ne lui donne pas les mêmes moyens que
lannée dernière, moyens que lon ne peut lui accorder puisquil a moins
délèves. "
De son côté, le président de la Collectivité territoriale de
Corse a également souligné dans un courrier adressé à la commission denquête
les inconvénients que suscitent à ses yeux les règles actuellement en vigueur :
" dans le domaine de léducation, la Collectivité territoriale est
compétente en matière de lycées et collèges ; mais cest lÉtat qui a
autorité pour la création des postes (exemple : lAssemblée de Corse a
décidé de limplantation dun nouveau lycée sur la plaine orientale, mais
lÉtat na pas proposé de création de postes). Concernant la carte scolaire,
lAssemblée de Corse ne peut décider que sur proposition de lÉtat. Cela
limite tout pouvoir dinitiative de la Collectivité territoriale. Le déficit en
personnel de surveillance et dATOS accroît les charges de la Collectivité
territoriale en matière dentretien des bâtiments, de maintenance, des moyens de
lutte contre linsécurité. Il faut noter également le désengagement de
lÉtat en matière de crédits déquipements pour les EPLE. Dans le secteur de
lenseignement supérieur, cest lAssemblée de Corse qui adopte la carte
des formations universitaires. De ce fait, il existe des risques de blocage si
lÉtat nhabilite pas les filières proposées et sil naffecte pas
les postes correspondants. "
Peu de chefs détablissements viennent du continent. Beaucoup ont
fait toute leur carrière dans lîle. Selon un témoin entendu par la commission, " linconscient
collectif des chefs détablissement fait que la Collectivité territoriale a un
poids considérable et que parfois, ils ne respectent pas la voie hiérarchique,
préférant sadresser directement aux services de la Collectivité territoriale
puisque celle-ci est responsable des collèges et des lycées, sans passer par le recteur.
Il faut combattre cette tendance préjudiciable. Dans un nombre de cas non négligeables,
des chefs détablissements ont été nommés dans des conditions un peu discutables.
Par ailleurs, ils ne sont pas toujours dans leur rôle de représentants de lÉtat,
mais adoptent plutôt les positions de leur conseil dadministration. "
La commission denquête déplore que le recteur de
lAcadémie de Corse se trouve parfois dans une situation inconfortable pour mener
ses fonctions. Selon elle, un partenariat rénové doit être conclu afin de codifier et
de faciliter les relations de travail entre celui-ci et lexécutif de Corse. Sans
remettre aucunement en cause les prérogatives dévolues en matière déducation à
la Collectivité territoriale, il convient de faciliter le dialogue entre ces deux pôles
de compétences dans le respect des prérogatives de chacun et dans le souci
dassurer à la Corse le meilleur système éducatif possible.
Luniversité de
Corte : un pôle universitaire à ouvrir sur lextérieur et lEurope
La commission denquête sest intéressée au
cours de ses travaux à la situation de luniversité de Corte. Certains témoins
sont allés jusquà mettre fortement en doute, voire contester lutilité même
de cette université qui, selon eux, présente en outre linconvénient majeur
dêtre située dans une ville aux infrastructures notoirement insuffisantes.
Un ancien préfet de Corse a développé le point de vue suivant devant
la commission denquête : " la chute démographique est
importante. Beaucoup sont partis. Il y a une absence de tropisme. Depuis lEmpire et
lOutre-mer, il ny a pas dobjectif pour les meilleurs. Luniversité
de Corte a été une erreur, car le niveau est dégradé. (...) Je pense que cest
par les sommets que lavenir se dessine, en particulier pour la jeunesse qui est,
là-bas, désuvrée et en attente. Il faut miser sur lintelligence, faire
lever les yeux des Corses pour quils lèvent la tête, un développement
économique, le higt tech, des activités universitaires, de grandes recherches
internationales valorisant les grands centres de recherche européens (
),
lEurope en Méditerranée, la politique de lenvironnement, lart de
construire, lart de vivre. (...)
La Corse doit faire lobjet dun brassage dans la
République. Que les étudiants corses aillent à Strasbourg ou ailleurs et que lon
installe en Corse nos meilleurs instituts de recherche de haut niveau sur le plan
européen ! "
Les divers témoignages et informations recueillis par la
commission lui permettent détablir les points suivants :
1 *Si la création dune université en Corse était en
soi une idée positive, force est de constater que celle-ci na pas encore trouvé
ses marques ni sa voie. Il convient aujourdhui den faire un outil puissant de
développement économique, culturel et intellectuel pour lîle. Cette
perspective est réalisable moyennant quelques aménagements dans la conception de la
scolarité à Corte et à condition de procéder à une réflexion sans tabous sur les
filières qui y sont proposées.
2 * La commission a noté que les jeunes diplômés
rencontraient parfois des difficultés réelles, à la sortie de luniversité, pour
trouver dans lîle des emplois correspondant à leurs formations.
Il convient de proposer de réelles perspectives davenir à ces
étudiants qui ont fait le choix de suivre des études supérieures en Corse. A cet
égard, la commission considère que luniversité pourrait utilement sorienter
vers des filières plus directement et concrètement axées vers le monde des entreprises.
La Corse, qui ne manque pas de compétences, compte encore peu dentrepreneurs et de
porteurs de projets innovants. Les idées ne manquent sans doute pas ; mais il est
clair que luniversité a ici un rôle essentiel à jouer. En offrant par exemple aux
jeunes des formations commerciales et scientifiques de haut niveau, elle pourrait
concourir à leur meilleure insertion professionnelle et aussi à animer la vie
économique locale.
Un témoin entendu par la commission a donné lexemple
sans doute un exemple parmi bien dautres dun jeune
homme de son village qui, après avoir obtenu une maîtrise de sciences et techniques à
Corte, avait dû rabaisser ses ambitions et commercialisait finalement quelques produits
aux touristes de passage. Cette occupation est, certes, parfaitement honorable mais elle
ne correspondait pas aux aspirations de ce jeune diplômé. Selon ce témoin, " le
système de formation supérieure en Corse nest pas adapté aux nécessités du
développement. Il ne faudra pas sétonner si ce jeune homme adopte dans quelques
années des positions radicales et se tourne vers les extrémistes. Il aura en effet une
frustration à vivre en Corse et nous en sommes tous responsables. Cela nous renvoie aux
insuffisances des orientations supérieures proposées à Corte. "
3 *La commission a acquis la conviction que
luniversité de Corte aurait tout à gagner à souvrir davantage sur
lextérieur.
Isolée géographiquement, celle-ci doit sortir du vase clos où,
il faut bien ladmettre, elle sest confortée au fil des ans. Il devrait être
courant, aisé et valorisé, pour tout étudiant de cette université, deffectuer un
premier cycle dans une faculté du continent pour revenir ensuite à Corte poursuivre et
approfondir un cursus déterminé. Les échanges entre universités françaises du
continent ou dans le cadre européen avec les universités italiennes, par exemple,
devraient se multiplier afin de sortir luniversité de Corte dun isolement
nécessairement préjudiciable à louverture desprit et à la qualité de
lenseignement dispensé. Dans lintérêt des étudiants, luniversité
devrait mettre en place des programmes leur permettant de bénéficier plus fréquemment
et plus facilement déchanges universitaires. Ces expériences diversifiées (en
partant étudier une année ou deux dans une autre faculté française ou étrangère, ou
en accueillant à Corte plus détudiants étrangers et de chercheurs dans diverses
disciplines) constituent une des clés essentielles pour assurer à la Corse le meilleur
système détudes supérieures possible.
Un témoin auditionné par la commission denquête a
indiqué : " le recrutement des universitaires sest fait
forcément au départ à partir duniversitaires venant du continent.
Aujourdhui, après la soutenance de nombreuses thèses, on pourrait craindre une
certaine endogamie de recrutements. "
La question, essentielle pour les orientations futures de cette
faculté, doit être posée dès à présent. Il convient, dans le domaine de
léducation comme dans dautres, de tenter danticiper les évolutions
futures afin de ne pas, dans plusieurs années constater lorsquil sera
trop tard que luniversité sest repliée sur elle-même, a servi
à reproduire à lidentique certains profils détudiants et de professeurs,
sans apporter de réponse crédible et satisfaisante aux besoins en formation.
Dune manière générale, luniversité de Corte doit viser
lexcellence afin dattirer à elle les meilleurs éléments et les étudiants
les plus prometteurs. Si elle ne se remet pas en cause, le risque est que les jeunes
générations désireuses dacquérir une bonne formation, reconnue et complète,
sorientent de plus en plus vers des universités ou des écoles du continent, puis
une fois sur place, cherchent un emploi sans plus revenir en Corse que pour des vacances.
Ce scénario nest évidemment pas celui qui permettra à la Corse de redresser son
économie.
4 * Enfin, la commission estime que la vie étudiante à
Corte doit également faire lobjet dune réflexion en profondeur.
Il faut rappeler que la ville compte 5.000 personnes, alors que la
population des étudiants sélève à environ 3.400 à 3.500. Cette présence
universitaire a, certes, créé un effet de dynamisme économique dans certains domaines,
comme la location de logements pour les étudiants et le maintien dun tissu
commerçant développé. Mais, comme la souligné un témoin devant la commission
denquête, " on voit bien quelle est la difficulté. Peu à peu,
contrairement à ce qui a été fait au début où lon avait essayé de lui donner
une originalité en offrant des formations professionnalisantes, luniversité se
reconstruit sur un modèle classique basé sur des filières générales. De ce fait, elle
ne gagne pas détudiants : environ 50 % des bacheliers quittent
lîle pour aller vers lenseignement supérieur continental et les effectifs
stagnent. Lobjectif ambitieux de 5.000 étudiants au début des années 2000 ne sera
pas tenu. Actuellement, nous observons non seulement une stagnation, mais peut-être même
une baisse des effectifs. (...)
Le site universitaire présente des contraintes particulières qui
freinent son développement - les infrastructures de transport sont insuffisantes,
les conditions de logement difficiles, la vie associative et culturelle particulièrement
pauvre, le nombre de boursiers très élevé. Il existe un problème de vie étudiante à
Corte : problèmes dalcoolisme, nombre élevé de tentatives de suicides.
Cest un terreau qui facilite toutes les dérives possibles. Le développement de
cette université na pas été accompagné du point de vue de la vie
étudiante. "
Selon des informations recueillies par la commission
denquête, les politiques municipales et universitaires parviendraient difficilement
à coexister : la coordination serait malaisée entre le conseil municipal de Corte
et le conseil dadministration de luniversité ou les syndicats
étudiants dont les propositions sur le développement universitaire,
empiéteraient sur les prérogatives municipales.
M. Michel Bornancin, ancien recteur de lacadémie de Corse
en poste de septembre 1997 à juin 1998, a dailleurs adressé le 29 avril 1998 un
courrier en ce sens au cabinet du Premier ministre :
Extrait dune lettre adressée au cabinet du Premier ministre
par le précédent recteur de Corse à propos de Corte
(...) Une stratégie dynamique de lÉtat
manifestant sa présence de façon positive dans le cadre dune politique
interministérielle, me paraît être seule de nature à créer une synergie entre les
acteurs locaux : université, Collectivité territoriale de Corse, ville de Corte.
Cest seulement ainsi que lon pourra faire véritablement de Corte une ville
universitaire ouverte sur son environnement proche et lointain et linstrument
dun développement global. "
Dans la perspective de lélaboration du XIIème
contrat de plan État-Collectivité territoriale, il apparaît souhaitable à la
commission denquête que lÉtat définisse une véritable stratégie avec les
acteurs locaux afin de conforter lenseignement supérieur fragilisé en Corse par
lérosion des effectifs et lisolement du principal site universitaire.
Le développement de luniversité et sa capacité
daccroître son rayonnement et dattirer ainsi de nouveaux étudiants sont
largement dépendants des aménagements permettant daméliorer la vie quotidienne à
Corte. De ce fait, la commission denquête considère quil faudrait mettre en
place un projet prenant en compte les conditions de vie des étudiants à Corte, en
améliorant les transports, en installant des locaux nouveaux afin de créer les bases
dune vie universitaire minimum. Ce plan, qui prendrait en compte tous les aspects de
la vie à Corte, dépasserait à lévidence par ses implications le seul champ de
compétence de lEducation nationale et aurait une dimension interministérielle.
Enfin, certains éléments fournis à la commission denquête la conduisent à
préconiser un examen approfondi de la gestion du CROUS de luniversité de Corte. Il
semble, en effet, que celui-ci soit devenu un enjeu de pouvoir pour certains syndicats
détudiants.
La gestion du CROUS de Corte
La commission denquête a entendu à ce sujet que, " même
sil existe de nombreux logements cest la plus forte proportion de
logements offerts pour une université ce CROUS a une vie difficile. Il a subi
de nombreux attentats, dont un encore au mois de décembre dernier. Les syndicats
étudiants nationalistes le considèrent comme un enjeu parce quil permet de
contrôler laccès aux logements et aux aides. La direction actuelle, qui devrait
être renouvelée dans quelques mois, a géré dans une grande proximité avec les
étudiants. Cétait difficilement évitable. Il nempêche quelle
na peut-être pas toujours eu le recul nécessaire. Cela fait partie de la
difficulté de vivre à Corte. "
Il est essentiel de renforcer le fonctionnement normal des
institutions de luniversité, et notamment du CROUS, qui pourrait faire lobjet
dun audit financier. Selon un témoin bien informé de cette question, " il
faut éviter la présence de personnes extérieures, les allées et venues, le psychodrame
permanent, et redéfinir le rôle de la direction. Ne doivent siéger dans les conseils
dadministration que ceux qui y sont élus. Il est important de casser un système
où dix à vingt étudiants dictent leur loi à plus de 3.000 : blocage des cours contre
lavis dune majorité détudiants, gestion des Chambres universitaires
par un seul syndicat en cheville avec la direction du CROUS. "
Ouvrir luniversité, développer les possibilités
déchanges avec les universités du continent ou étrangères, aménager le site de
Corte, contrôler la gestion du CROUS, tels sont les axes essentiels pour faire de
luniversité de Corse un lieu de rayonnement culturel et intellectuel de lîle
et un atout pour son développement.
b) Lenseignement en langue corse : une expérience sans
équivalent en France
Depuis le mouvement de décentralisation poussée
qua connu la Corse, la langue corse bénéficie dun statut particulier qui
na pas déquivalent sur le territoire national. Nul ne saurait de bonne foi
prétendre que le système éducatif français na pas pris en compte les exigences
de lenseignement en langue corse. Certes, la commission denquête a entendu
certains témoins déplorer que les cours soient parfois programmés à des horaires peu
pratiques pour les élèves et les étudiants. Des aménagements horaires restent
peut-être à prévoir, mais dune manière générale, les actions entreprises pour
promouvoir cet enseignement doivent être saluées et appréciées à leur juste valeur.
La période de quasi suspicion envers les langues régionales et
ceux qui les parlaient est révolue. La langue corse a sans doute plus que toute autre
bénéficié de cette nouvelle approche. Comme lindique un récent rapport sur
les langues et cultures régionales, " nos langues et cultures régionales
sont aussi notre patrimoine commun (...) Aujourdhui, la République ne respecterait
pas ses propres principes si elle nétait pas attentive aux demandes, aux attentes,
à la vie de ces langues et cultures qui existent sur notre territoire, en métropole
comme outre-mer. "
· Démythifier et dynamiser
La commission denquête estime que cette question
doit être traitée sans excès ni préjugés selon un principe essentiel. La
République ne doit aucunement craindre la manifestation de cette identité particulière
qui sexprime à travers lutilisation dune langue régionale.
La commission a relevé les propos tenus devant elle par un
témoin : " Il ne faut pas que la langue corse soit enfermée dans un
ghetto, insérée dans quelques heures de programmes de cours par semaine pour les
élèves du secondaire. Dans la rue, il est fréquent dentendre une conversation
commencer en langue corse et se poursuivre en français ou linverse, ce qui
déplaît dailleurs à certains puristes de la langue corse. Je crois que nous
devons vivre normalement la pratique de notre langue dans lîle et plaider pour un
usage résolument mixte du français et du corse. Mais il est vrai que cette question a
été " déverrouillée " il y a vingt-cinq ans seulement. "
Un des principes retenus par le rapport déjà cité de
M. Bernard Poignant est ainsi défini : " La République française doit
reconnaître quil existe sur son territoire des langues et cultures régionales
auxquelles elle confère des droits par la loi ou le règlement. Celles-ci ne portent pas
atteinte à lidentité nationale. Elles lenrichissent dès lors quelles
sont elles-mêmes cultures douverture et non de repli, daccueil et non
dexclusion. ". Le principe n°7 est ainsi rédigé : " Apprendre
plusieurs langues est une richesse. Au XXIème siècle, chaque personne devra
si possible connaître plusieurs langues. (...) Le bilinguisme est une richesse. Il faut
déjà parler de plurilinguisme dès lors quune langue régionale vient
sajouter. Et cette dernière, comme les autres, contribue au développement de
lintelligence des personnes. " Selon le principe n°9, lÉtat
doit sengager " à assurer la continuité dapprentissage
dune langue régionale ".
Dans sa formulation même, ce document témoigne du véritable
changement dappréciation qui sest progressivement opéré dans notre pays en
faveur des langues régionales. Notons que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a
chargé en juillet 1998 le juriste Guy Carcassonne dune expertise juridique
préalable à léventuelle signature par la France de la Charte européenne des
langues régionales.
Il faut relever que la langue corse sest déjà vue conférer
depuis plusieurs années une place reconnue et institutionnalisée au sein du système
éducatif de lîle.
· Les mesures déjà prises : un
effort conséquent de la part de lEducation nationale
Des efforts plus que
symboliques
Désormais, un enseignement de trois heures de langue corse
par semaine est proposé notamment dans les classes du secondaire. Dans un rapport établi
à lattention du ministre de lEducation nationale et de la ministre
déléguée chargée de lEnseignement scolaire, le précédent recteur de
lacadémie, M. Bornancin, notait : " lengagement de
lÉtat à la demande de la CTC doffrir, dans le primaire et le secondaire, 3
heures denseignement de langue corse aux familles qui le demandent, est réalisé
dans le second degré. Des freins existent par manque dengagement de
responsables à divers niveaux hiérarchiques de linstitution (chefs
détablissements, inspecteurs de lEducation nationale, conseillers
pédagogiques, directeurs décoles). Des difficultés sont présentes dans le
premier degré dans la mesure où cette discipline ne peut être imposée aux enseignants,
que certains dentre eux ne sont pas corsophones, et que dautres nosent
enseigner une discipline quils ne maîtrisent pas complètement. Pour la
première fois, au mouvement 1997 des instituteurs et professeurs des écoles, des postes
ont été étiquetés postes bilingues et attribués en fonction de la capacité des
postulants à pratiquer lenseignement bilingue, indépendamment de tout barème de
mutation. Dans le second degré si loffre est faite, les effectifs ne sont pas à la
mesure des moyens que lÉtat a mis à la disposition de lacadémie dans le
cadre de laccord entre la Collectivité territoriale et lÉtat ".
Le 27 mars 1996, le gouvernement de M. Alain Juppé annonçait
plusieurs mesures dimportance : louverture de plusieurs sites
bilingues, la prise en compte de la préparation à lenseignement du corse en
formation initiale, le renforcement des moyens en formation continue, la
généralisation des sections méditerranéennes du second degré. Créées en 1994,
celles-ci permettent aux élèves du secondaire détudier à la fois le corse, le
latin et une autre langue romane, comme lespagnol ou litalien. Ces sections
sont implantées au collège du Finsello à Ajaccio (classes de 6ème, 5ème,
4ème et 3ème), au collège de Sartène (6ème, 5ème
et 4ème) et au collège de Casinac (6ème). Quant aux
" parcours langues romanes ", ils concernent des élèves choisissant
le corse, le latin et une langue romane en langue vivante 1 ou 2.
Notons, en outre, quà luniversité, le cursus des études
corses est complet du DEUG aux thèses de doctorat. Le corse est obligatoirement présent
dans toutes les filières : 1 heure ou 1 heure 30 par semaine sont en général prévues.
Lenseignement est désormais offert dans tous les
établissements secondaires sans exception grâce à une dotation de 83 postes
(rentrée 1998). En 1997, il y avait 73 professeurs certifiés en langue corse
nenseignant que cette discipline, ainsi que des professeurs et des maîtres de
conférence en langue corse à luniversité de Corte. Chaque année, lÉtat
dépense environ 28 millions de francs pour cet enseignement. Sept sessions de CAPES
ont déjà eu lieu, et en 1998, 80 professeurs furent ainsi recrutés. Ce CAPES, tout à
fait spécifique, constitue une section à part, distincte de lensemble des
" langues régionales ". La commission denquête considère que
son existence même a marqué la reconnaissance officielle de la langue corse et permet de
garantir la qualité de son enseignement.
Des résultats satisfaisants
Le nombre des élèves concernés par cet enseignement est
significatif, comme le montrent les chiffres figurant dans le tableau ci-dessous.
Langue corse dans le premier degré
en septembre 1997 (hors sites bilingues) dans le système
éducatif public
|
Nombre
décoles |
Temps
denseignement |
Nombre
délèves |
MAT |
ELEM |
Nombre
de maîtres |
Intervenants |
Haute-Corse |
|
|
|
|
|
|
|
Calvi
|
45 |
1 H à 3 H |
1.466 |
579 |
887 |
86 |
2 |
Corte
|
20 |
1 H à 3 H |
1.537 |
602 |
935 |
65 |
1 |
Bastia I Nord
|
24 |
1 H à 3 H |
2.526 |
825 |
1.701 |
107 |
8 |
Bastia II Sud
|
60 |
1 H à 3 H |
3.200 |
1.200 |
2.000 |
140 |
0 |
Total Haute-Corse |
149 |
1 H à 3 H |
8.729 |
3.206 |
5.523 |
398 |
11 |
Corse-du-Sud |
|
|
|
|
|
|
|
Sartène
|
38 |
1 H |
1.950 |
350 |
1.600 |
80 |
|
Ajaccio I
Ajaccio II
|
129 |
1 H à 3 H |
9.665 |
2.919 |
6.746 |
414 |
|
Total Corse-du-sud |
167 |
* |
11.615 |
3.269 |
8.346 |
494 |
0 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Académie |
316 |
* |
20.344 |
6.475 |
13.869 |
892 |
11 |
Source :
Rectorat de Corse. |
|
|
|
|
|
Dans le rapport détape sur les langues régionales quelle
remit au Premier ministre en février 1998, Mme Nicole Péry avait relevé que les
enseignements en langue corse (soit un enseignement bilingue, soit des cours
dapprentissage ou de sensibilisation) touchaient 85 % des élèves de
lenseignement primaire.
Dans lenseignement secondaire public, le corse dispose
dhoraires définis et de professeurs spécialisés. Depuis 1982, la progression a
été forte : 1485 élèves étaient concernés en 1982-1983, 3319 en 1986-1987, 5905 en
1997-1998. Les effectifs apparaissent donc en forte hausse sur lensemble de la
période, avec une stabilisation sur les deux dernières années scolaires.
Progression des effectifs en cours de langue corse
depuis 1982 dans le secondaire
Année |
Effectif |
1982-1983 |
1.485 |
1983-1984 |
2.111 |
1984-1985 |
2.710 |
1985-1986 |
3.142 |
1986-1986 |
3.319 |
1987-1988 |
2.952 |
1988-1989 |
3.294 |
1989-1990 |
3.927 |
1990-1991 |
4.737 |
1991-1992 |
5.105 |
1992-1993 |
5.177 |
1993-1994 |
5.604 |
1994-1995 |
6.340 |
1995-1996 |
6.126 |
1996-1997 |
6.165 |
1997-1998 |
5.905 |
Source : Rectorat de Corse. |
|
Il convient de remarquer que les élèves suivant un enseignement
normal de langue corse de trois heures, très minoritaires au début, sont
aujourdhui majoritaires : 4.334 en 1997-1998 pour 729 en 19931994. Le nombre
dheures-élèves sélève à 15.447 en 1997-1998 pour 7.075 en 19931994.
Élèves suivant un enseignement de corse en 1997-1998
Collèges |
4.388 |
33,89 % |
Lycées |
680 |
12,98 % |
Lycées
professionnels |
837 |
29,99 % |
Académie |
5.905 |
28,67 % |
Source : Rectorat de
Corse. |
|
A lheure actuelle, 45 % des élèves environ étudient le
corse en classes de 6ème et de 5ème. La proportion diminue
ensuite, à mesure quintervient la concurrence avec dautres options, avec une
légère remontée en terminale lors de la préparation du baccalauréat. Au
baccalauréat, un tiers des candidats environ (433 en 1997) passe une épreuve de corse en
langue vivante obligatoire à lécrit ou à loral, ou en option facultative.
Depuis un arrêté de juin 1991, les candidats aux BEP et CAP peuvent aussi se soumettre
à une épreuve facultative de corse. Le corse fait également lobjet dune
épreuve facultative au B.T.S.
· Un paradoxe : une langue de moins
en moins parlée au quotidien et de plus en plus soutenue dans le système éducatif
Il est paradoxal de constater que le bilinguisme
naturel (cest-à-dire la pratique de la langue à la maison du corse et du
français) a beaucoup diminué, tandis que les efforts pour diffuser la langue corse à
lécole nont jamais été aussi importants. La pratique quotidienne de
celle-ci a reculé nettement : 60 % environ de la population corse parle cette langue
contre 80 % en 1977. A cet égard, certains observateurs font aujourdhui valoir
que le rôle de lEducation nationale ne peut être un rôle de conservatoire.
La commission denquête a, lors de ses travaux, relevé que,
curieusement, il y avait peu ou pas dassociations en faveur de la langue corse dans
lîle, alors que les regroupements sont plus nombreux ou paraissent plus mobilisés
et motivés dans des régions comme le pays basque ou la Bretagne. Il semble que plus les
mesures prévues en faveur de lenseignement du corse sont conséquentes et lourdes
à mettre en place, moins les Corses dans leur ensemble se mobilisent, au quotidien, pour
faire vivre et développer la connaissance de leur langue, son expression et son
développement.
· Une piste à explorer :
développer lenseignement de la langue corse en priorité dans les classes primaires
La commission denquête a acquis la conviction que
lenseignement de la langue corse gagnerait à être renforcé dès les classes de
primaire, ce qui présenterait plusieurs avantages. Dune part, un apprentissage
plus systématique débutant dans les classes primaires permettrait de donner aux élèves
des bases solides dès leur plus jeune âge. Dautre part, du fait de la
concentration des efforts sur le secondaire, ceux des élèves qui sinscrivent à
ces cours sont la plupart du temps sensibilisés de par leur environnement familial à la
question de la langue. Selon un témoin entendu par la commission, ces élèves sont " déjà
familialement mobilisés, alors que dautres qui le sont moins ne vont pas
nécessairement faire la démarche de suivre ces cours, ce qui est dommage ".
Focaliser les efforts sur les élèves moins âgés permettrait de rendre cet enseignement
plus accessible à tous dans les faits et constituerait une liberté laissée aux familles
et aux jeunes de sinitier à la langue corse. Les jeunes pourraient ainsi en
comprendre rapidement les rudiments. Une fois cet investissement réalisé, seuls ceux
qui, pour dautres raisons, souhaitent approfondir leurs connaissances, pourraient
continuer à bénéficier dun enseignement de qualité dans le secondaire et à
luniversité de Corte. Mais la commission préconise quen aucun cas, cet
enseignement ne revête un caractère obligatoire. Celui-ci doit se concevoir comme une
opportunité offerte à tous ceux qui le souhaitent, et non comme un apprentissage
contraignant.
c) Les enjeux de la politique culturelle en Corse
La culture et la reconnaissance dune spécificité
corse en la matière sont indéniablement devenues des enjeux dans lîle, depuis ces
vingt dernières années surtout, y compris pour la très grande majorité de ceux de ses
habitants qui ne se réclament nullement de la mouvance nationaliste. Selon la commission
denquête, un des préalables indispensables pour mettre en place une politique
culturelle cohérente est de parvenir à dépassionner cette question qui a trop souvent
servi de catalyseur de frustrations.
· Un débat idéologique à
dépolitiser
Les malentendus
passés
La commission a noté la confusion qui existe parfois
entre la notion de revendication ou daspiration identitaire et celle de
revendication nationaliste. La beauté naturelle des paysages corses, mais également
la richesse de son patrimoine architectural et la profondeur de sa culture vivante
symbolisée notamment par les polyphonies constituent de très légitimes motifs de
fierté : la Corse offre à notre culture nationale et européenne une contribution
d'une qualité exceptionnelle. On peut être Corse, fier de lêtre, désireux de
développer sa culture et sa langue, et ne pas souscrire pour autant aux thèses
nationalistes. Cette évidence a parfois été perdue de vue. Pendant des années, comme
un témoin auditionné par la commission denquête la dit, " on a
laissé le champ libre aux nationalistes sur cette question. Ils ont alors occupé le
terrain de façon violente et ont été les seuls, ou presque, à parler en Corse de
culture et de préservation du patrimoine. ".
Il est vrai que, par le passé, les revendications identitaires
culturelles ont été souvent mal perçues ou mal comprises par les responsables
politiques nationaux qui la voyaient comme une menace pour le caractère un et indivisible
de la République. Un ancien ministre de lIntérieur auditionné par la commission
denquête a noté à cet égard : " cette idée de la France une
et indivisible fait que lon oublie tout ce qui est différent ou que lon ne
veut pas trop y penser. ".
Cette réticence à accepter et comprendre lexpression de
manifestations culturelles explique en partie que, pendant longtemps, lEducation
nationale ait refusé que les élèves utilisent et parlent le Corse dans lenceinte
des écoles. Cette attitude nest plus de mise et le système éducatif traite
aujourdhui avec bienveillance la langue corse grâce à la programmation de cours
dispensés par des professeurs rémunérés, comme tous leurs collègues, par
lÉtat.
Riche et diversifiée, la culture corse appartient à tous les Corses
qui en sont légitimement fiers. Elle ne saurait être la propriété de ses promoteurs
les plus radicaux.
Une culture vivante à
promouvoir
Certains artistes corses sont aujourdhui reconnus pour
leur talent, y compris hors de lîle. Le fait que, par exemple, le groupe de
polyphonies " I Muvrini " attire, sur le continent comme en
Corse, des foules damateurs prouve, sil en était besoin, que la culture et le
chant corses sont vivants et appréciés à leur juste valeur.
Louverture depuis juin 1997 dun musée de la Corse à Corte
le premier musée régional anthropologique de France financé
grâce à des crédits de la Collectivité territoriale, de lÉtat et de
lUnion européenne, est un autre témoignage du nouveau dynamisme culturel qui
sexprime dans lîle. Notons, à cet égard, que les grands choix budgétaires
sont allés manifestement vers le patrimoine (musée à Corte, cinémathèque à
Porto-Vecchio), ce qui a conduit certains observateurs à considérer que la culture de
mémoire était parfois privilégiée par rapport à la culture
" vivante ".
Dune manière générale, la carence des infrastructures reste à
combler : il manque des salles de concert, dexpositions et de cinéma dans
lîle. Il nexiste aucun théâtre important hormis celui de Bastia. Durant
lété, de nombreuses manifestations ont lieu en plein air, mais le manque
détablissements et de lieux daccueil reste préoccupant pendant les mois
dhiver.
· Des compétences culturelles
partagées entre la région et lÉtat
A lheure actuelle, le budget de la direction
régionale des affaires culturelles de Corse (DRAC) est compris entre 15 et 16 millions
de francs et celui de la Collectivité territoriale est denviron 60 millions
de francs, dont 34 proviennent du ministère de la Culture dans le cadre de la
dotation globale de décentralisation. Ainsi, le statut de 1991 sest traduit par une
hausse des moyens accordés à la Corse dans le domaine culturel et par une chute très
sensible de ceux alloués aux services déconcentrés du ministère de la Culture.
Une DRAC affaiblie en moyens
financiers et humains depuis ladoption du statut de 1991
Avant 1991, la direction régionale des affaires culturelles
de Corse était comparable, dans ses moyens et ses missions, aux autres DRAC de France
continentale, avec un volume financier à gérer important (plus de 30 millions
de francs par an) couvrant à la fois les investissements et les subventions de
fonctionnement.
Selon un témoin entendu par la commission, " la
déconcentration au bénéfice du préfet de région rend pratiquement nulle
lautonomie du directeur régional des affaires culturelles en Corse. (...) Compte
tenu du contexte nouveau statut particulier, déconcentration et
de lenvironnement général de la Corse, le service déconcentré du ministère de
la Culture en Corse nest quune émanation du préfet, la DRAC ayant pour
tâches essentielles dêtre une force de proposition et dinstruire les
dossiers que les opérateurs locaux lui remettent, mais elle na point
aujourdhui la décision dattribution financière qui relève du
préfet. "
De même, a été déploré devant la commission le manque de
personnel de la DRAC : " Cest la seule DRAC où un seul
conservateur soit à la fois conservateur régional de larchéologie et conservateur
régional des monuments historiques, ce qui est une aberration. Arlequin serviteur de deux
maîtres, cest bien chez Goldoni, mais pas à la DRAC de Corse ! (...) Nous
navons pas de documentaliste-recenseur, fonction essentielle au sein dun
conservatoire régional des monuments historiques pour instruire les dossiers de
protection. Or nous touchons là à une mission régalienne de lÉtat qui nest
pas assurée comme elle devrait lêtre. Pour le reste, nous avons un seul conseiller
technique, qui assure à la fois les fonctions de conseiller technique pour le théâtre,
la danse, les arts vivants, la musique et le cinéma. Nous navons pas de conseiller
en matière darts plastiques, nous navons pas de conseiller pour les musées,
nous navons pas de conseiller pour le livre et la lecture, ni pour la langue, ni
pour les enseignements artistiques. "
Malgré ces carences, la DRAC accomplit ses missions de façon
normale en Corse. Les dossiers sont, comme ailleurs, instruits par les conseillers
sectoriels, cest-à-dire que la direction remplit une fonction de conseil à
légard des porteurs de projets, de vérification de lintérêt artistique et
de léligibilité des projets. Le rôle de ses services consiste également à
appliquer une politique orientée et définie visant à soutenir certains projets
intéressants. Comme cela a été dit à la commission, depuis 1997, la liste des
projets sélectionnés à ce stade est proposée directement au préfet de Corse qui
signifie en retour les accords, ordres de priorité ou demandes de compléments
dinformation. Selon un témoin, " il appartient au DRAC de
défendre ses dossiers devant le préfet. Il nest pas interdit de penser que le
préfet, par sa meilleure connaissance du terrain ou des nécessités, puisse également
orienter certains dossiers ou demander que certaines associations ou certains projets
soient soutenus. "
Une redistribution des rôles
qui a rendu le dispositif densemble plutôt complexe
La loi du 13 mai 1991 portant statut particulier de
lîle a redistribué les rôles grâce à un nouveau partage des compétences, qui a
entraîné parallèlement une baisse des moyens financiers accordés à la DRAC, une
amplification de ceux attribués globalement au secteur de la culture en Corse. La
Collectivité territoriale de Corse sest vue conférer une responsabilité
générale dans le domaine culturel.
En 1993, elle a reçu de lÉtat 27,8 millions de francs dans
le cadre de la dotation générale de décentralisation au titre des actions culturelles.
En 1997, une revalorisation de cette dotation de lÉtat est intervenue et cette
somme avoisine désormais les 34 millions de francs par an. En 1993, le transfert de
crédits sest accompagné dun transfert dagents qui sont ainsi passés
des services de la DRAC à ceux de la Collectivité territoriale. Selon un témoin entendu
par la commission denquête, la Collectivité territoriale reste, à linstar
de la DRAC, insuffisamment dotée en personnels pour laccomplissement de ses tâches
dans le domaine culturel.
Par ailleurs, un fonctionnaire de la DRAC de Corse a souligné devant
la commission : " aujourdhui, les porteurs de projets, qui peuvent
être des associations, font remonter les dossiers à la fois auprès de la Collectivité
territoriale et auprès de la DRAC. De ce fait, nous mettons trois fois plus de temps à
instruire un dossier, par suite de lobligation de partenariat due à la
contractualisation de la politique que nous avons à mettre en uvre. (...)
Quand la DRAC traite seule un dossier, elle na à gérer que la
complexité de sa propre administration. Quand un dossier fait appel à quatre, voire à
cinq intervenants, on assiste à un empilement de notre complexité, de celle de la
Collectivité territoriale et de celle du conseil général de Haute-Corse ou de
Corse-du-Sud ou des municipalités dAjaccio, de Bastia, de Propriano ou de
Calvi."
La commission souscrit à lanalyse faite par un responsable
de la DRAC selon laquelle " il est apparu, à la lumière de
lexpérience, que leffort de redéfinition et de précision des missions et
des orientations nouvelles de la DRAC na pas été réalisé en même temps que le
partage des moyens et des compétences. Or nous arrivons à un moment où il conviendrait
de redéfinir et de préciser les missions de la DRAC. "
Il convient de remédier à la sous-dotation en personnels de la
DRAC et de déterminer en partenariat avec les élus de lîle les priorités
culturelles des prochaines années.
Un rapport accusateur
qui a suscité lindignation des acteurs culturels locaux
La culture est un enjeu important pour la vie de
lîle, ce qui explique pourquoi le rapport du précédent directeur régional des
affaires culturelles de Corse, parti en juillet 1997 à la suite dune crise qui
la opposé au milieu culturel de lîle, a suscité tant de remous en Corse.
Dans ce rapport dactivités pour 1996, lancien directeur en poste depuis 1994
fustigeait la " nébuleuse identitaire " qui faisait confondre, selon
lui, " civilisation ", " culture ",
" loisir " et " folklore ". Il
écrivait également que les acteurs culturels formaient en Corse de véritables
" réseaux ", ce qui leur permettrait de bénéficier
d" extravagantes subventions ". Lauteur du rapport a même
parlé de médiocrité, dimposture et de lassitude. Il sinquiétait de la
survie tenace dune vision romantique et caricaturale de lîle dont le " berger-bandit-chanteur "
serait le symbole.
La virulence du rapport explique quil ait été fort mal
accueilli dans le milieu culturel corse. Un témoin entendu par la commission
denquête a estimé que lancien directeur régional des affaires culturelles, " Corse
lui-même, a dû être aux prises avec quelques partenaires locaux. Il a conduit une
politique très orientée et très personnelle, en particulier dans le domaine des arts
plastiques. Ses écrits ont parfois dépassé sa pensée. "
Une politique de plus en plus
contractualisée
La politique culturelle de lÉtat sexerce de
façon croissante dans le cadre dune politique généralisée de contractualisation
des moyens. Dailleurs, les moyens dont dispose aujourdhui la direction
régionale des affaires culturelles sont pratiquement tous contractualisés dans le cadre
du contrat de plan et de la charte culturelle signée le 4 décembre 1997 par la ministre
de la Culture et le président du Conseil exécutif de Corse.
Cette charte culturelle se présente comme une nouvelle mesure
daccompagnement de la loi de 1991. Afin de " conserver, développer et
diffuser le patrimoine culturel de la Corse, la Charte élaborée en étroite
collaboration avec la Collectivité territoriale de Corse prévoit des engagements
réciproques en matière 1°) darchives, 2°) dinventaire du
patrimoine architectural et mobilier, 3°) darchéologie, 4°) de
promotion et de diffusion de spectacles vivants et en priorité ceux en langue
corse ".
La commission considère que la poursuite de cette démarche de
contractualisation doit permettre à la Collectivité territoriale, en partenariat avec
lÉtat, de déterminer des lignes directrices en matière culturelle. Dans ce cadre,
une implication des responsables politiques locaux à la hauteur des enjeux est
indispensable.
La mobilisation des élus
insulaires en matière culturelle
Selon un témoin auditionné par la commission
denquête, " le problème est que des phénomènes comme le succès
fabuleux du groupe " I Muvrini " ne sont pas appréciés à leur juste
valeur par les élus de la région. Ceux-ci ne comprennent pas toujours
lextraordinaire modernité de ces groupes et le talent de ces artistes. Or ceux-ci
sont devenus de véritables ambassadeurs de la Corse sur le territoire national et à
létranger. Pourtant, cette notoriété nest pas relayée par les politiques
corses. Il est vrai que le groupe " I Muvrini " na jamais
directement sollicité de subvention publique. Ces artistes, qui ne doivent leur succès
quà eux-mêmes, ne sont pas suffisamment mis en valeur par les élus corses
eux-mêmes alors quen termes dimage, leur réussite est extraordinaire.
Souvent, jai constaté que les responsables politiques sollicitaient ce que
jappellerais des " sous-groupes culturels " pour leur caractère
" folklorique ", ce qui à mon avis a pour effet de déconsidérer la
valeur de la culture corse."
Etant donné le caractère incontestablement
" politique " des questions culturelles en Corse, liées à la quête
identitaire, les élus insulaires doivent se mobiliser sans doute plus fortement sur ces
questions que dans dautres régions du continent.
Poursuivre la promotion de la langue corse dans lenseignement
public, contractualiser davantage encore la politique culturelle, cibler quelques
priorités et les " urgences " culturelles dans loptique de la
négociation du prochain contrat de plan, redéfinir plus précisément les rôles
respectifs de la DRAC, du préfet de région et de lexécutif de Corse en ce
domaine, enfin, associer le plus étroitement possible les élus à cette démarche
constituent les bases essentielles dun renouveau des actions culturelles dans
lîle. Il ne faut pas sous-estimer la contribution que le secteur culturel peut
apporter au développement de lîle : compte tenu de la force du sentiment
identitaire et de la qualité de ses expressions artistiques, il est évident que les
acteurs culturels ont un rôle éminent à jouer en ce sens.
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Partie IV-C , annoncée ci-dessous.
C. Démocratiser et rationaliser les institutions
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