TOME III (volume 2)
Promodès

Audition de la direction
Audition des syndicats

Annexes

Audition de la direction

Audition de MM. Paul-Louis HALLEY,
Président directeur général de PROMODES

Guillaume GASZTOWTT,
Directeur général administratif et financier,

Jacques TESSIER,
Directeur administratif et

Jean-Jacques VAUGEOIS,
Chef du service études et relations sociales

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 avril 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Paul-Louis Halley, Guillaume Gasztowtt, Jacques Tessier et Jean-Jacques Vaugeois sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Paul-Louis Halley, Guillaume Gasztowtt, Jacques Tessier et Jean-Jacques Vaugeois prêtent serment.

M. Paul-Louis HALLEY : Je commencerai par le rapport de la présentation de notre groupe qui a été établi par votre commission, je le trouve remarquable dans son contenu et dans la pertinence de ces d'observations.

Promodès présente une certaine originalité par rapport aux autres groupes dits de la « grande distribution ». Nous ne sommes pas spécialisés sur un seul format de magasins car, pour des raisons historiques, nous couvrons toute la gamme, depuis le commerce rural de campagne ou de proximité de centre ville jusqu'aux hypermarchés. Par ailleurs, les magasins qui portent l'une de nos enseignes - car chaque surface de vente a une enseigne différente - sont exploités par des entreprises indépendantes - familiales - liées à Promodès par des contrats de franchise. Promodès assume la responsabilité de leur proposer l'offre commerciale, l'organisation des achats, la logistique et la communication auprès des consommateurs.

Cette double caractéristique amène une certaine confusion dans les classements qui peuvent être réalisés. Des observateurs économiques font des comparaisons en prenant comme référence les chiffres d'affaires publiés par les différents groupes, ou enseignes, existant sur le territoire national. Parmi ces groupes, certains sont structurés - c'est-à-dire que toutes les surfaces de vente portant leur enseigne leur appartiennent - et d'autres n'ont que des magasins appartenant à des indépendants comme E. Leclerc, Super U et Intermarché.

La troisième catégorie concerne ceux qui ont à la fois leurs propres magasins et, pour chaque enseigne, un grand nombre de commerces exploités par des indépendants.

Pour établir des comparaisons pertinentes, nous devons examiner le chiffre d'affaires réalisé avec les consommateurs sous les différentes enseignes promues par chacun de ces groupes.

Le chiffre d'affaires de 213 milliards de francs est réalisé pour une moitié en France et le reste à l'étranger. La répartition est la suivante :

- hypermarchés : 44 %,

- supermarchés : 32 %,

- commerces de proximité : 9 %,

- maxi discount : 8 %,

- distribution aux professionnels (restaurants, collectivités, etc. qui ne commercialisent pas les produits) : 7 %.

Notre implantation est essentiellement européenne. Concernant le chiffre d'affaires, le deuxième pays après la France est l'Espagne, suivie par la Belgique, le Portugal, l'Italie, la Grèce. Certaines entreprises commencent à s'implanter dans des pays tels que la Turquie, l'Argentine, l'Indonésie, le Maroc, l'Ile Maurice, etc.

L'année dernière, 98 % de notre chiffre d'affaires ont été réalisés en Europe.

En Europe méditerranéenne, nos parts de marché sont importantes puisque nous sommes leaders en Espagne, au Portugal et en Grèce. Nous ne sommes qu'en troisième position en Italie, et en Turquie notre place est modeste.

Les effectifs ne correspondent pas aux 213 milliards de francs de chiffre d'affaires mais au chiffre d'affaires consolidé - c'est-à-dire réalisé dans les magasins qui appartiennent au groupe Promodès - qui était en 1998 de 126 milliards de francs, hors taxes. Au 31 décembre 1998, les effectifs étaient de 74 000 personnes, dont environ 32 800 en France, soit 44 % du total. Le reste du personnel est essentiellement réparti dans les pays européens et notamment en Espagne qui en représente 42 %.

Concernant la répartition de ces mêmes effectifs, par métier ou par surface de vente, 51 % de nos collaborateurs travaillent dans le secteur des hypermarchés Continent.

Le chiffre d'affaires 1998 consolidé, comparé à celui des quatre années précédentes, marque une progression assez sensible en termes de chiffre d'affaires, de résultats, d'autofinancement ou de résultats nets. Ceci provient notamment d'acquisitions faites au début de l'année 1998 en France, en Espagne et au Portugal.

Notre activité est dite « de proximité » puisque nous sommes des commerçants de détail pour l'essentiel de nos effectifs. Cette activité n'est pas constante en volume selon les jours de la semaine ; les magasins sont davantage fréquentés le samedi, que les autres jours de la semaine. C'est identique pour les autres pays.

Les volumes à traiter, et à gérer, sont différents d'un jour et d'un mois à l'autre. Vous connaissez les aspects saisonniers de certaines de nos villes côtières ou montagnardes, ainsi que ceux dus à notre histoire comme les fêtes de fin d'année, qui dans le domaine alimentaire et des jouets constituent des pointes tout à fait significatives.

Pour faire face à cette grande variation dans les volumes, notre secteur économique emploie beaucoup de personnel à temps partiel. C'est différent selon les magasins. Plus ils sont grands, plus ce besoin est important ; il est par ailleurs plus facile de l'organiser dans un grand magasin que dans une surface qui emploie deux ou trois personnes.

Concernant le travail à temps partiel, nous sommes face à deux catégories de personnel : les personnes qui travaillent à temps partiel par ce que c'est un choix, et celles qui le font en attendant de trouver un emploi à temps complet.

M. Jean-Jacques VAUGEOIS : L'année dernière, les enquêtes de l'INSEE indiquaient 42 % pour le temps partiel contraint et 58 % pour le temps partiel choisi. Concernant les activités propres de Promodès, nous n'avons pas mené d'enquête particulière. Dans nos activités de supermarchés Champion, nous avons 15 % de contrats « étudiants » qui correspondent à des personnels de moins de 25 ans ayant des bases de contrats inférieures ou égales à 10 ou 12 heures. Pour les hypermarchés Continent, cela représente environ 7 %.

Ainsi que M. Halley l'a indiqué, nous avons essayé, au niveau de la branche et de l'entreprise, d'organiser le temps partiel de manière à pouvoir augmenter les bases horaires des contrats de travail dans le courant de l'année. Ainsi, les personnels souhaitant compléter leur contrat, en termes d'horaires, peuvent le faire plus facilement.

M. Paul-Louis HALLEY : Parmi les préoccupations de la Commission, figure le lien entre l'emploi et les aides accordées à ce titre.

Concernant notre entreprise, nous avons étudié les différentes aides auxquelles nous avons accès. Nous n'utilisons pratiquement pas les aides à la restructuration, c'est-à-dire les préretraites ou les conventions du FNE : lors de problèmes d'ajustements d'effectifs ou de relocalisation de certains établissements, comme dans le domaine de la logistique, nous avons développé depuis plusieurs années un système de mutation interne du personnel.

Les aides qui, pour nous, sont les plus importantes sont celles contribuant à baisser le coût du travail.

M. Jean-Jacques VAUGEOIS : Je dois préciser que la gestion des ressources humaines de notre groupe est décentralisée au niveau des entreprises.

L'allégement du coût du travail lié aux salaires qui sont situés entre 100 % et 130 % du SMIC est pour notre groupe la mesure la plus pertinente. Elle correspond pour 1998 à 107 millions de francs d'aides à l'emploi. Pour Continent, cela représente environ 45 millions de francs et pour Champion presque 19 millions. Rapporté à la masse salariale brute hors charges, pour l'effectif des employés et ouvriers, cela équivaut à environ 5 % pour Continent et à environ 8 % pour Champion.

Ces aides sont moins importantes dans les autres activités du groupe notamment pour la logistique.

L'autre mesure susceptible de concerner notre groupe est l'allégement de 30 % sur les charges des contrats à temps partiel. Le groupe emploie en France 33 % de temps partiel sur l'ensemble de ses activités et 40 % dans les hypermarchés Continent. Les représentants du personnel sont habitués, pour les hypermarchés Continent, à un chiffre estimé à 50 % car nous avons adopté une définition interne du temps réduit. Quand nous indiquons 50 %, nous incluons les effectifs compris entre 32 heures et moins de 39 heures. Au sens strict, les hypermarchés Continent sont donc à 40 % de temps partiel et les supermarchés Champion à 43 %.

Compte tenu de ce pourcentage, on pourrait penser que nous faisons appel à ces aides de manière significative, mais ce n'est pas le cas. Pour Continent, cette aide représente environ 10 millions de francs, c'est-à-dire 1% de la masse salariale des employés et ouvriers. En fait la complexité de ce type d'aide, explique que Champion ne reçoive presque pas d'aides relatives à l'abattement temps partiel.

Les aides à l'embauche correspondent à des publics ciblés. Concernant l'activité des hypermarchés, durant l'année 1998, nous avons eu 474 contrats aidés, ce qui a représenté 3,3% de l'effectif total de 14 500 personnes ; pour Champion, nous avons compté 187 contrats aidés, soit 3,6 % de l'effectif.

En termes de flux, l'année dernière, Continent, (en incluant les CDD et les saisonniers), a embauché plus de 2 800 jeunes de moins de 25 ans parmi lesquels figuraient moins de 30 contrats de qualification et d'adaptation. Nous n'utilisons donc pas massivement ce type d'aide.

En revanche, nous avons pris un certain nombre d'initiatives concernant des contrats en alternance. En 1994-1995, le groupe a conclu une convention générale de développement de l'insertion des jeunes portant sur environ 2 000 emplois.

Nous avons mené des actions particulières conduisant à l'embauche d'une personne pour suivre ce type de dossier. Depuis, nous avons adopté des mesures plus qualitatives. Au niveau des enseignes, des partenariats sont développés avec des lycées professionnels ou des centres d'apprentissage pour promouvoir les contrats en alternance notamment pour l'insertion des jeunes souhaitant travailler dans les métiers de « bouche », c'est-à-dire dans les rayons alimentaires des magasins.

Nous préférons avoir une politique qualitative en recherchant des partenariats approfondis et nous veillons à ce que les jeunes sous contrat en alternance bénéficient d'un tutorat efficace. Chez Continent, 270 tuteurs sont spécialement formés pour l'accompagnement des jeunes qui entrent dans nos entreprises.

Le nombre de 150 apprentis peut paraître modeste au regard de l'effectif global, mais il est en développement constant. Dans les magasins Champion, nous prévoyons d'en doubler le nombre, à condition de trouver les jeunes qui souhaitent intégrer les filières d'apprentissage des métiers pour lesquels nous recrutons.

M. Paul-Louis HALLEY : Au travers de vos questions, nous pourrons revenir sur ces aides. La dernière catégorie concerne les aides à l'investissement.

M. Tessier, responsable comptable du groupe, va vous présenter ce que ce dernier a obtenu à ce titre.

M. Jacques TESSIER : Tout récemment nous avons bénéficié d'une aide relativement limitée : dans le cadre du réaménagement de notre organisation administrative, nous avons reçu 3 millions de francs de la DATAR et une somme équivalente de la part des collectivités locales, pour un investissement de 100 millions de francs.

M. le Président : L'aide de 3 millions de francs octroyée par la DATAR a-t-elle exercé une influence sur votre volonté d'investir et sur la nature de l'investissement ?

M. Paul-Louis HALLEY : Cela a eu un impact sur l'ampleur du programme et surtout sur son implantation. Nous avons senti que les collectivités locales qui conditionnaient leur aide à celle de la DATAR attachaient beaucoup d'importance à ce projet puisqu'il s'agissait d'amener dans la région de Caen des créations d'emplois. Au lieu d'effectuer cet investissement dans la région parisienne, qui est le centre géographique de nos activités, nous l'avons réalisé en province. Cela a permis de créer 400 emplois, dont 90 mutations.

M. le Rapporteur : Tous les groupes comme le vôtre, au-delà des implantations nationales diverses, s'installent également dans des pays voisins, voire plus lointains. En même temps, ils mettent en place de grandes plates-formes logistiques - il en existe dans la région havraise dont je suis l'élu - qui, en termes d'emplois, sont des enjeux considérables pour les zones ou les ports qui les accueillent.

J'aimerais savoir quelle est la stratégie de votre groupe dans ce domaine, compte tenu de votre forte présence au sud de l'Europe ? Comment avez-vous envisagé cette question ? Où se trouvent vos plates-formes et de quelle manière sont-elles organisées ?

Comment un industriel ou un producteur peut-il accéder à vos magasins ? Quelles sont les conditions à remplir ?

Vous êtes un groupe d'origine normande, mais dans les différentes régions françaises ou dans les différents pays, faites-vous appel aux produits régionaux, qu'il s'agisse de produits agro-alimentaires ou industriels ? Peut-on parler d'attitude « citoyenne », c'est-à-dire une volonté de promouvoir prioritairement ces produits régionaux ?

Vous montrez-vous compréhensifs avec vos fournisseurs, afin de favoriser les emplois et la qualité de leurs produits ?

M. Paul-Louis HALLEY : Concernant la logistique, nous avons aujourd'hui un réseau très dense en France. C'est l'origine de notre entreprise puisque, lors de sa création en 1961, nous n'étions que des « épiciers en gros ». Notre métier de base a laissé des traces. Nous disposons d'un maillage très dense d'entrepôts et nous approvisionnons nos magasins et nos franchisés à plus de 80 % des volumes achetés.

Au niveau national, l'intégration est poussée et nous nous efforçons de transformer cette logistique au rythme de l'évolution de la technologie afin qu'elle contribue à l'abaissement des coûts du processus de distribution.

Votre question portait, me semble-t-il, sur nos éventuels projets en matière de logistique internationale.

L'une de nos réalisations indirectes concerne l'approvisionnement des DOM-TOM depuis Le Havre. Au départ de la zone portuaire, un établissement nous permet de préparer les containers en partance vers ces zones. Nous n'avons pas de magasins partout, mais nos franchisés occupent des positions importantes à Tahiti - où il y a deux Continent et des Champion -, à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie. Nous « exportons » principalement à partir du Havre mais aussi de Marseille.

Entre nos différents établissements européens, nous n'avons pas pour le moment de logistique intégrée car nous ne gérons pas des flux significatifs de marchandises entre les différents pays. Quand nous achetons des produits Moulinex pour l'Espagne, cette entreprise s'occupe de livrer directement nos entrepôts ; nous ne savons pas si les articles que nous vendons en Espagne ont été fabriqués dans les usines espagnoles ou normandes.

C'est la même chose pour tous nos fournisseurs qui ne sont pas du pays d'origine. Si nous achetons pour l'Italie de la viande en provenance de France, le fournisseur local la livre ; nous n'organisons pas le transport.

Pour le moment, nous importons au niveau national. Si nous commandons des produits d'Extrême-Orient, les produits qui sont destinés à la France arrivent par containers à Marseille et au Havre et ce qui doit aller en Espagne est livré à Barcelone ou à Alicante. Nous n'avons pas encore de flux justifiant la création d'une plate-forme européenne. Si nous adoptions cette solution, le sud de la France serait tout indiqué, notamment en raison de notre implantation sur la côte méditerranéenne en Espagne et en Italie. Nous n'en sommes pas encore à ce stade de gestion intégrée des flux d'importation de nos différents pays d'implantation.

M. le Rapporteur : Vos concurrents - Carrefour, Auchan - ont-ils atteint ce stade ?

M. Paul-Louis HALLEY : Comme nous, ils importent.

Nous nous chargeons du référencement - par exemple auprès de fournisseurs en Asie du sud-est ou au Brésil - mais ensuite chaque pays se charge de son approvisionnement. Nous n'avons pas centralisé les approvisionnements au niveau international.

Vous me demandiez comment les fournisseurs peuvent avoir accès à nos magasins et dans quelles conditions. Cela dépend du type de fournisseurs.

Pour ceux qui ont un caractère national, c'est-à-dire qui travaillent dans plus de deux régions Promodès, la centrale d'achat du groupe négocie avec le fournisseur.

S'il s'agit d'un fournisseur présent dans une seule région, parce qu'il est vraiment très local en raison de son volume de production ou des caractéristiques de son produit, la négociation a lieu au niveau des régions.

Tout fournisseur qui ne travaille pas avec Promodès peut essayer de commencer par une région, même s'il est originaire d'une autre région ; l'important est qu'il puisse entrer dans l'un de nos centres de référencement.

Une enseigne comme Continent doit avoir six ou sept régions, soit autant d'interlocuteurs potentiels pour devenir fournisseur régional. Si ce fournisseur est référencé dans une deuxième région, il passe automatiquement au niveau national et peut avoir accès à toutes les régions.

Les conditions relèvent de la négociation et tous les critères habituels de rapport qualité/prix interviennent dans le débat entre l'offre du fournisseur et les demandes des consommateurs. Nous essayons de trouver le point d'équilibre où l'un est d'accord pour acheter et l'autre pour vendre ; ces négociations sont très classiques.

Concernant notre relation avec les fournisseurs régionaux, notre intérêt tactique est d'essayer d'avoir des fournisseurs les plus nombreux pour pouvoir choisir entre eux dans un contexte de concurrence le plus ouvert possible. Nous nous efforçons - et beaucoup de nos collègues font de même - de ne pas réaliser la totalité de notre chiffre d'affaires avec les fournisseurs dominant au niveau national, et à plus forte raison au niveau international. Nous avons besoin de fournisseurs viables produisant des produits de qualité et compétitifs au niveau national. Il est de notre intérêt que cette concurrence existe et nous nous efforçons de la maintenir.

Le type de rapport que nous devons avoir avec les entreprises de petite taille nous oblige à être très attentifs : nous ne devons pas mettre le fournisseur dans une situation telle qu'une perte éventuelle de volume de nos commandes puisse mettre en cause la viabilité et la pérennité de son entreprise. Si nous devenons le client majeur d'un fournisseur, la négociation complètement ouverte n'est plus adéquate.

Nous devons rechercher une négociation s'appuyant davantage sur des bases contractuelles et ressemblant à ce que fait l'industrie automobile avec ses sous-traitants : nous devons essayer de passer des contrats de moyen et long terme afin que ces fournisseurs puissent gérer dans le temps l'évolution de leur chiffre d'affaires et envisager des investissements techniques ou commerciaux.

A titre d'illustration de cette politique, je me permettrai de citer une opération qui a été complimentée par Mme Lebranchu, secrétaire d'État aux P.M.E., au Commerce et à l'Artisanat. Nous avons créé il y a trois ans une marque collective qui s'appelle « Reflets de France » et regroupe des P.M.E. locales qui ne réalisent que des produits du terroir. Nous avons pensé que les consommateurs attendaient ce type de produit, sans avoir été réellement capables d'en mesurer l'importance. Aujourd'hui, avec trois ans de recul, nous pouvons parler d'un véritable succès puisque 130 ou 140 P.M.E. participent à la marque « Reflets de France » et fabriquent 250 produits. Cette année, le chiffre d'affaires réalisé sous cette marque sera d'environ un milliard de francs.

Ce succès a été repéré par nos concurrents et tous veulent reprendre cette idée car cela représente un volume assez significatif. Au départ du succès de « Reflets de France », nous avons commencé à exporter ce produit. Nous avions un stand « Reflets de France » à la foire de Tokyo qui a été inaugurée par le Président de la République et nous sommes maintenant référencés dans l'une des très grandes chaînes de magasins japonais.

Nous venons d'organiser pour toutes ces P.M.E. un voyage de prospection en Espagne et nous les avons mises en relation avec les acheteurs des différentes entreprises espagnoles. Nous réalisons des tests pour savoir, sur ces 250 produits, combien seraient appréciés par les consommateurs espagnols. Cette opération est en cours. Elle a été réalisée sous le patronage du secrétariat d'État qui a envoyé des observateurs. J'ai reçu une lettre de Mme Lebranchu félicitant l'entreprise et ses collaborateurs pour le travail réalisé dans ce domaine.

Promodès, par son histoire et par un certain nombre d'initiatives de ce genre, essaie dans ses relations avec les P.M.E. - car nous pensons que c'est aussi notre intérêt - de trouver des relations sécurisantes qui les aident à l'amélioration qualitative de leurs produits. Avec les petites entreprises, nous risquons de rencontrer des sautes de qualité, et, avec une marque commune à toutes les P.M.E., le problème sur un produit peut entraîner une désaffection sur toute la gamme.

Nous sommes très attentifs à ce qui se passe sur les produits frais. Nous vendons beaucoup de fromages sous le nom « Reflets de France ». Un incident sur la qualité pourrait avoir un impact sur les autres produits de la marque. Nous essayons de motiver toutes ces entreprises pour qu'elles se sentent collectivement responsables. Nous mettons systématiquement à leur disposition, à l'aide de laboratoires extérieurs, tous les moyens d'analyses pour essayer de garantir la qualité et la sécurité alimentaire.

M. le Rapporteur : Des rumeurs circulent - pas spécifiquement à propos du groupe Promodès d'ailleurs - sur les conditions d'accès qu'imposeraient les hypermarchés pour qu'une entreprise devienne l'un de leurs fournisseurs. Vous parlez de pratiques commerciales, mais nous entendons dire que les conditions sont telles que, si une entreprise n'en a pas les moyens, elle ne peut pas accéder au référencement dans un hypermarché. Les moyens ne sont pas toujours liés à la qualité des produits, quels qu'ils soient, mais sont parfois strictement financiers.

Confirmez-vous qu'il s'agit bien de négociations à caractère traditionnel qui n'ont rien à voir avec ces rumeurs ?

M. Paul-Louis HALLEY : Je souhaite faire deux observations. Dans nos magasins, nous ne pouvons pas offrir aux consommateurs la totalité des produits fabriqués par l'industrie agro-alimentaire. C'est encore plus vrai dans le domaine des marchandises générales comme le textile, le bazar, etc. Il existe des milliers de produits sur le marché : devant nous limiter à ce que nous pouvons faire entrer dans les rayons, nous réalisons une importante sélection car nous ne pouvons pas travailler avec tout le monde. Ce qui est référencé dans nos magasins représente une petite partie de l'offre industrielle et c'est pourquoi nous n'avons pas tous les mêmes articles.

L'intérêt d'un commerçant n'est pas de savoir si l'industriel vend un produit donné à un prix profitable ou pas. Le problème est d'établir s'il le vend au même prix, plus cher ou moins cher qu'à ses concurrents. La concurrence est horizontale et non verticale. Nous sommes en concurrence avec les autres formes de distribution et pas avec nos fournisseurs ou nos clients.

C'est une erreur d'analyse de croire que les fournisseurs sont en concurrence avec nous et que nous leur imposons des conditions insupportables. Si nous quittons un fournisseur pour un autre, c'est la conséquence de la concurrence des industriels entre eux.

Comme nous sommes au bout de la chaîne, le fournisseur qui perd un client rejette la faute sur ce dernier sans voir que c'est simplement un autre fournisseur - l'un de ses concurrents - qui l'a chassé. Vis-à-vis des consommateurs, le résultat est le même. Quand nous perdons un client au profit d'un concurrent, nous devons nous demander quelles en sont les raisons : l'emplacement est peut-être plus facile d'accès ou les prix sont plus intéressants. Le comportement du client est rationnel : il va là où se trouve son intérêt. C'est à nous d'essayer de proposer une offre comparable à celle de notre concurrent.

Nous constituons la partie visible d'un phénomène qui est la conséquence d'une concurrence entre les industriels. Notre décision dépend de ce que font les autres. Nous sommes obligés de proposer les produits que les consommateurs demandent, sinon ils quitteront nos magasins.

Nous pouvons éventuellement changer de produit parce qu'un industriel fournira aux consommateurs un meilleur rapport qualité/prix sur un nouveau produit. La concurrence entre industriels est très forte. Il existe dans l'industrie des groupes très grands et très puissants et des P.M.E., et la concurrence a lieu entre eux.

M. le Rapporteur : Avez-vous l'intention d'augmenter la qualité des services à l'égard de la clientèle, d'améliorer la qualification des personnels, de diversifier et en conséquence d'augmenter le nombre d'emplois ?

Le cadre juridique français actuel ne favorise pas l'extension. On ne s'étend qu'en absorbant tout, ou partie, de l'autre, mais on peut s'attirer une clientèle - et augmenter les résultats - par une meilleure relation à l'égard de la clientèle et une amélioration des produits.

Ce n'est pas propre à Promodès, mais les résultats des grands groupes de la distribution sont excellents. Vous faites partie des derniers groupes que nous auditionnons et vous êtes parmi les plus florissants sur le plan économique et financier.

A quoi sert cette richesse dans un groupe comme le vôtre ? Est-elle utilisée pour vous prémunir contre les groupes plus importants ou équivalents qui pourraient être tentés par ce que vous représentez ? Cela sert-il à rémunérer l'actionnariat ou à « enrichir » cette relation entre vos fournisseurs et vos clients ?

M. Paul-Louis HALLEY : Concernant le service aux consommateurs, vous avez parfaitement raison. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas augmenter la capacité en m2 et le marché est relativement équipé. Nous devons nous moderniser pour améliorer le service. En France, les entreprises n'ont plus de possibilité de développement. Elles sont obligées de prendre des clients à des entreprises comparables et dans la même zone de chalandise car les consommateurs ne font pas beaucoup kilomètres pour effectuer leurs achats.

Des relevés sont effectués par des organismes externes aux entreprises et nous constatons que les différences de prix sont minimes. La loi Galland n'est pas étrangère à ce rétrécissement du niveau des prix. La définition du seuil de vente à perte a été modifiée et tout le monde est amené à s'aligner sur le même prix car les industriels - les grandes marques - en fixent le niveau.

Ne pouvant faire la différence par la capacité matérielle et les prix, nous ne pouvons jouer que sur la qualité du produit et du service. Cela oblige les distributeurs à devenir plus soucieux des consommateurs, alors qu'auparavant ils l'étaient plus des produits.

L'année dernière, un chercheur du CNRS, a démontré dans un rapport que, si la France avait le même nombre de salariés que les États-Unis dans l'hôtellerie, la restauration et le commerce, il y aurait 5,4 millions d'emplois supplémentaires. Même avec une partie de ces emplois à temps partiel, l'écart reste important.

Ce chercheur a essayé de déterminer les causes de cette différence extraordinaire bien connue par les personnes qui voyagent entre les deux pays : dans un supermarché américain, des services sont offerts aux consommateurs ; on va jusqu'à aider le client à emballer ses achats et à les déposer dans le coffre de sa voiture.

Pourquoi les distributeurs français ne le font-ils pas ou ne l'ont-ils pas encore fait ? Pendant de nombreuses années, le consommateur français à été d'abord motivé par le prix : il recherchait le prix le plus faible et la notion de services était secondaire ; de ce fait, il acceptait de faire beaucoup d'efforts personnels, de déplacements, pour obtenir un meilleur prix. Cela a posé des problèmes à des magasins pourtant bien placés et ayant une excellente réputation mais avec un système de distribution trop onéreux.

Aujourd'hui nous essayons d'améliorer le service mais cela a un coût. Pour trouver une demande solvable à cette augmentation de services, le consommateur doit accepter de les payer et il doit estimer y retrouver son compte : entre la légère augmentation de coût et le service rendu, il devra nous dire comment il apprécie cette différence. En France, la réponse positive des consommateurs se heurte à un obstacle important : ces services de proximité ne nécessitent pas une qualification importante - il s'agit souvent de premiers emplois - et les consommateurs estiment certainement que le coût en est trop élevé. C'est l'une des raisons que soulignait le chercheur : quand toutes les charges afférentes à ce type de service sont prises en compte, le consommateur juge que cela lui coûte trop cher.

Il nous reste à savoir ce que les consommateurs sont prêts à payer pour améliorer leur qualité de vie par plus de services.

La deuxième question est d'ordre plus général. Quand une entreprise est prospère, à quoi sert cette prospérité ou cette richesse ?

L'une des caractéristiques du commerce - non seulement en France mais aussi sur le plan international - est d'être un secteur économique vivant parce que l'on s'adresse à des consommateurs qui ont une très grande possibilité de fluidité au départ d'une zone de chalandise déterminée. Le jeu concurrentiel est donc très ouvert.

En examinant ce qui s'est passé en France ces dix dernières années, nous constatons que beaucoup d'entreprises ont disparu. En termes de compétition, le métier est assez sévère et il existe de puissantes entreprises.

Le problème est compliqué par le fait que le même phénomène se produit à l'étranger. Avec beaucoup de retard sur l'industrie agro-alimentaire, le commerce, par nécessité, est en cours de mondialisation. Si nous ne suivons pas cette tendance, nous serons très vite dépassés, notamment dans le domaine des achats. Les fournisseurs s'organisent au niveau européen et certains d'entre eux fabriquent des usines pour un marché de 320 millions d'habitants, comme cela existe aux États-Unis pour 260 millions d'habitants. L'effet de série de commandes importantes génère des baisses de coûts tout à fait considérables. Les fournisseurs savent parfaitement les calculer et sont prêts à faire bénéficier d'une économie de prix ceux qui leur apportent des commandes importantes.

Une entreprise de petite taille sur des produits de grande série risque de payer un prix disqualifiant par rapport à ses concurrents. Pour survivre, il faut garder une taille suffisante ; je crois que c'est l'un des facteurs qui, aujourd'hui, pousse les entreprises à essayer de s'étendre.

Pour ce faire, quel que soit le secteur économique, il faut investir de manière importante. Un groupe comme le nôtre est obligé, pour maintenir sa compétitivité par rapport à ses principaux concurrents, d'investir aujourd'hui beaucoup plus que la marge brute d'autofinancement après impôt qu'il génère chaque année. Nous le faisons en créant des magasins là où c'est possible - à l'étranger - ou en rachetant des entreprises en France et dans certains pays étrangers où nous avons décidé de nous implanter pour ne pas nous trouver complètement distancés au niveau national.

En 1998, Promodès a investi 14 milliards de francs alors qu'il n'a gagné que 4,5 milliards. En un an, nous nous sommes endettés à hauteur de 10 milliards. Cette année, nous investirons encore au-delà de notre marge brute d'autofinancement.

Il y a bien sûr des limites et nous faisons appel au marché pour trouver des capitaux. En un an, nous avons réalisé deux émissions de titres ; nous avons fait appel à nos actionnaires et ceux qui n'ont pas pu suivre ont été remplacés par d'autres. De ce fait, nous augmentons nos capitaux propres afin que nos banquiers considèrent que le risque reste acceptable quand ils nous prêtent de l'argent. C'est pour nous un moyen de continuer à investir.

Nous sommes condamnés à investir beaucoup plus que la richesse que nous créons, et pour ne pas être disqualifiés vis-à-vis du monde bancaire et des épargnants, nous sommes contraints de renforcer nos capitaux propres en faisant appel au public et aux actionnaires. Ces derniers ont jusqu'à ce jour suivi les propositions d'augmentation de capital que nous avons faites, mais ils ne pourront pas continuer si nous maintenons ce rythme.

Les dividendes de Promodès représentent 0,5 % de la valeur de l'action. Nous distribuons relativement peu et nous conservons la quasi-totalité des résultats - 80 % - pour investir. Le rendement de l'action de Promodès figure parmi les plus faibles en France. Ce n'est pas en touchant 0,5 %, avant impôt, de rendement sur une action que l'on peut suivre longtemps des augmentations significatives de capital. Comme le marché des capitaux est de plus en plus institutionnalisé, la part des investisseurs institutionnels dans le capital de Promodès ne cesse de croître.

M. le Rapporteur : La situation financière de Promodès est néanmoins fort saine.

M. Paul-Louis HALLEY : J'espère que nos banquiers et nos fournisseurs partagent votre avis, mais il y a des limites. Nous ne pouvons pas continuer à ce rythme pendant encore trois ou quatre ans.

M. le Rapporteur : Concernant votre actionnariat, j'ai noté que la famille d'origine est de moins en moins majoritaire même si elle est encore largement présente. Par qui est-elle progressivement remplacée ? Vous avez parlé des institutionnels. Une partie de vos titre est-elle détenue par des fonds de pension ?

M. Paul-Louis HALLEY : Nous n'avons pas de fonds de pension générés par l'entreprise mais nous avons des fonds de pensions étrangers. Je vais demander au directeur général financier de nous présenter la composition du capital de Promodès.

M. Guillaume GASZTOWTT : Nous évaluons la part d'actionnariat détenue par des institutionnels à 25 %. Il y a bien évidemment une grande partie de fonds de pension, des SICAV et des fonds communs de placement.

Pour le reste, la famille majoritaire historique et un certain nombre de familles alliées détiennent ensemble un peu plus de 50 % du capital. Les salariés doivent en posséder 2,5 %. La Société Générale et la Banco Bilbao en Espagne - qui est un associé historique de Promodès - détiennent un peu moins de 10 %. Le reste des actions appartient à des actionnaires individuels historiques.

M. Alain COUSIN : Vous avez longuement évoqué l'importance du prix pour le consommateur français. J'ai l'impression que c'est une caractéristique française.

Vous avez parfaitement expliqué vos contraintes : vous êtes au bout de la chaîne, le consommateur veut plus d'emplois, acheter le moins cher possible - quelle que soit la provenance du produit - et vous êtes obligés de répondre à toutes ces demandes. Cette obsession du prix ne se rencontre pas seulement dans le secteur de la grande distribution mais aussi par exemple dans l'achat de véhicules. Il me semble qu'elle est très développée depuis l'apparition de la grande distribution en France. Si c'est le cas, comment peut-on l'expliquer ?

S'agissant de ce type de commerce, vous disiez que le territoire français est suffisamment équipé et qu'il faut désormais envisager une modernisation. Cette évolution passe-t-elle systématiquement par un agrandissement des magasins qui existent ?

M. Paul-Louis HALLEY : Concernant la première question, la réponse est très complexe. Si nous étions certains de la réponse, celle-ci serait connue de tout le monde. Nous nous posons cette question afin de connaître les souhaits des consommateurs en termes de rapport qualité/services/prix. Est-ce exclusivement français ? Il me semble que cela touche l'Europe continentale dans son ensemble car, en Allemagne, une forme de commerce dépouillé - le maxi discount ou le hard discount, avec des enseignes comme ALDI et LIDL - représente 30 % du marché de la distribution des produits alimentaires. C'est considérable par rapport à la France où elle n'atteint que 8 %.

Le problème du prix intéresse les Allemands qui ont pourtant un pouvoir d'achat élevé. C'est moins vrai en Angleterre où les entreprises de distribution ont davantage mis l'accent sur le service aux consommateurs et pas uniquement sur le prix, et ce depuis longtemps.

Quant aux États-Unis, les consommateurs semblent être plus exigeants en matière de prestations de services et intègrent les services d'une manière plus importante que ne le font les Européens continentaux.

En Espagne, le facteur prix est important. Nous avons une affaire de hard discount, dont l'enseigne DIA compte plus de 2 000 magasins, où les taux de croissance sont très supérieurs à ceux de nos hypermarchés parce que nous vendons moins cher. Les magasins sont beaucoup moins intéressants, nous avons peu d'assortiment : dans un hypermarché Continent, 100 000 références sont proposées alors que dans un magasin DIA nous en avons seulement 800. Néanmoins, même dans un magasin comparable, les taux de croissance sont très supérieurs, ce qui prouve que les consommateurs espagnols sont sensibles aux prix surtout quand ce sont des achats à caractère répétitif. S'ils peuvent économiser sur des produits aussi courants que le Coca-Cola, les couches Pampers ou le Nescafé sans que cela ne crée de contraintes, ils le font. Cela représente une forte motivation qui est peut-être culturelle mais n'est pas spécifiquement française.

Concernant la modernisation, l'un des moyens de modifier notre proposition commerciale en termes de services consiste à améliorer le confort d'achat des consommateurs. Si certains d'entre vous sont allés dans un hypermarché un samedi après-midi, ils ont pu constater combien c'est pénible car ce type de magasin n'est pas conçu pour recevoir autant de monde.

Nous n'avons pas le droit de répartir les clients sur les deux jours du week-end. Dans d'autres pays cette solution a été adoptée ; cela améliore considérablement la qualité de l'offre sans nécessiter d'investissement supplémentaire. En France, nous n'avons le droit d'ouvrir 7 jours sur 7 que six fois par an. Pour améliorer le confort des clients, nous devons donc élargir les allées et agrandir les magasins.

La deuxième raison est liée à l'augmentation de l'assortiment. Nous ne pouvons pas présenter tout ce que l'industrie propose au niveau national et encore moins au niveau international. Les clients exigent davantage de choix si bien que nous sommes amenés à proposer 28 modèles de fers à repasser, 40 modèles d'aspirateurs, etc.

Ce problème ne se posera peut-être plus dans quelques années car il n'est pas exclu que des rayons entiers disparaissent, non pas pour des raisons réglementaires, mais parce que ces produits n'existeront plus sous leur forme actuelle. Je pense à tout ce qui concerne l'audiovisuel : les cassettes vierges, les films, les disques compacts, tous les logiciels informatiques, etc. Ces produits qui pourront être commandés et livrés instantanément de manière électronique seront dématérialisés. Je ne suis pas certain que nous ayons encore ce genre de produit en rayon dans quelques années et les surfaces de vente qui leur sont dédiées seront libérées.

De même, nous développons la vente de produits financiers, de voyages, etc. Les clients continueront-ils à se déplacer pour avoir accès à ce type d'offres alors qu'ils pourront les obtenir depuis leur domicile ? Il est prématuré de répondre à cette question mais nous devons nous interroger.

Nous vivons peut-être les dernières années où des commerçants veulent ouvrir des magasins ou agrandir ceux qui existent déjà.

M. Alain COUSIN : Je suppose que vous réfléchissez à l'évolution du commerce liée aux nouvelles techniques de l'information, de la communication et à l'arrivée d'Internet. Demain si le consommateur a la possibilité de commander dans vos magasins à partir de chez lui, imaginez-vous que des « bataillons de chevaux-légers » puissent livrer la marchandise ?

M. Paul-Louis HALLEY : Cela dépend de la nature des produits. En 1998, 100 millions de consommateurs dans le monde ont acheté des produits par l'intermédiaire d'Internet. Ce sont des produits de toute nature, souvent sophistiqués : ordinateurs, livres, etc. Il y a assez peu de produits alimentaires.

En l'an 2000, il est prévu qu'un milliard de consommateurs achète des produits via Internet, chiffre qui aura été multiplié par 10 en moins de deux ans. Nous ne savons pas ce que cela représentera. C'est comme pour le téléphone portable : on disait que la France était en retard, alors qu'elle est passée depuis devant certains pays qui étaient en avance en matière d'équipement.

La France est pour l'heure très en retard en matière de commerce électronique, en particulier vis-à-vis des Anglo-saxons, mais nous ne savons pas si nous n'assisterons pas à un phénomène comparable à celui du téléphone portable. Je ne peux pas répondre à la question mais il ne faut pas exclure cette possibilité. Il nous semble que la menace est suffisamment forte pour que nous ne refermions pas le dossier et que nous essayions d'évaluer le phénomène.

Nous devons observer comment les consommateurs réagissent et ce qu'ils attendent d'une autre forme de commerce. Cela semble suffisamment significatif pour qu'une entreprise comme Promodès s'y intéresse.

Nous commençons avec deux sites de commerce électronique. L'un concerne les vins et est implanté en Normandie. Le second est lié à Continent qui a ouvert un site de commerce électronique auquel tout le monde peut accéder, y compris les personnes qui ne sont pas clientes chez nous.

Concernant l'organisation de la logistique, de la même manière que l'on trouve une grande variété de formats de magasins, nous élaborerons de multiples formules de transfert du produit vers le consommateur. Les spécialistes de la vente par correspondance ont parfaitement bien rodé ce système. Nous pouvons supposer qu'une partie de ce qui se ferait par le commerce électronique se passerait, en termes de logistique, comme aujourd'hui la vente par correspondance. Nous pouvons aussi imaginer des variantes : le consommateur pourrait accepter - si cela représente une économie significative pour lui - de prendre possession de sa commande à un endroit déterminé, près de son lieu de travail ou de son domicile. Dans la livraison, ce qui coûte le plus cher, c'est l'arrêt. Si, avec un camion de 35 tonnes, on peut livrer 400 clients à un point déterminé, ce sera moins onéreux que de livrer toutes ces personnes à domicile.

Le consommateur choisira selon la nature des produits ou son emploi du temps. Il pourra changer sa formule en étant livré à domicile ou dans un point de distribution selon sa convenance. Les coûts seront modulés selon le mode de livraison.

Nous assisterons à beaucoup d'innovations et d'essais ; certaines formules réussiront, d'autres pas. Les ajustements se feront avec le temps.

M. Jean LAUNAY : En termes de gestion, pourquoi avoir réalisé par le passé ces cessions d'activités dites non rentables ? Etait-ce la volonté de recentrer géographiquement une partie des produits ou de l'activité ?

Quelle était la stratégie liée à l'OPA sur Casino ?

M. Paul-Louis HALLEY : Dans les cessions auxquelles nous avons procédé, il ne s'agissait pas toujours d'affaires non rentables. Nous avons cédé notre affaire américaine qui a toujours été profitable parce que nous n'avions pas les ressources nécessaires pour mener dans le même temps une stratégie de développement au niveau européen et aux États-Unis. Il fallait faire un choix d'allocations de ressources et nous avons décidé de nous renforcer en Europe. Nous avons donc cédé notre affaire américaine en 1994 en dégageant une plus-value importante et les capitaux ont été réinvestis en France ainsi que dans d'autres pays européens.

Nous avons aussi pu nous séparer d'activités non rentables, mais à ma connaissance elles étaient très marginales au niveau du groupe. Il s'agissait plutôt de diversifications que nous avions amorcées. Nous avions créé des restaurants, une chaîne de distribution de parfumerie, etc... mais nous avons eu le sentiment de nous disperser et nous avons préféré nous concentrer sur les métiers où il nous était possible d'acquérir une position parmi les leaders.

Un projet en Allemagne faisait partie de notre stratégie mais nous avons été confrontés à une situation de marché que nous n'avions pas imaginée et qui nous imposait de procéder à des acquisitions pour devenir l'un des premiers distributeurs. N'ayant pas eu, à cette époque-là, la possibilité de concrétiser ces opérations, nous avons préféré nous retirer et céder cette affaire.

Concernant Casino, les économies d'échelle confortant la compétitivité des entreprises de distribution s'appliquent essentiellement à trois domaines : les achats, la communication et la logistique. Pour ce qui concerne la communication, faire de l'affichage dans une ville ou de la publicité dans la presse régionale, a le même coût que l'on possède un ou dix magasins. La communication constitue un coût fixe et la part de marché locale est très importante pour l'abaisser. Quant aux coûts de logistique, ils sont corrélés au chiffre d'affaires réalisé au km2 : plus vous réalisez de tonnages au km2, plus les camions peuvent faire de rotations dans la journée et l'équipement est amorti sur des tonnages plus importants. L'augmentation de la part de marché locale présente un intérêt économique évident. Ce qui est vrai au niveau local l'est aussi aux autres niveaux : régional, national, européen et international.

L'OPA sur Casino correspondait à cette logique. Dans le classement français, nous occupons la cinquième ou la sixième place, avec un écart important par rapport au premier. Nous pensions qu'il serait bon, pour nous comme pour casino, d'unir nos forces et nos volumes afin de nous permettre de nous retrouver à la hauteur des premiers. Nous avons essayé de convaincre les actionnaires de casino de cette analyse stratégique sur laquelle il n'existait pas de désaccord entre nous. Le différend a porté sur les modalités et en particulier sur le prix. Après de nombreuses négociations, nous n'avons pas voulu dépasser un certain prix et les actionnaires de Casino ont refusé notre offre.

M. le Rapporteur : Quel est, selon vous, l'avenir des magasins de proximité ? Il semble qu'ils connaissent des difficultés et disparaissent. Il y en a dans votre groupe. Pensez-vous qu'il soit possible d'en augmenter le nombre ?

Vous parliez de modernisation des hypermarchés. Je vous donne un sentiment de client : ne pensez-vous pas qu'une modernisation de la relation à la clientèle serait plus facile dans un magasin de proximité que dans une « usine à vendre » ?

Il est de bon ton de dire - et c'est peut-être vrai - que l'implantation des grandes surfaces, et leur développement depuis une trentaine d'années, a tué l'emploi dans le petit commerce.

Actuellement les pertes d'emplois ont une autre origine. Votre tentative d'union avec Casino a échoué mais d'autres se sont réalisées. Ces opérations de fusion ne se traduisent-elles pas globalement par des suppressions d'emplois ?

En effet, quand nous examinons l'évolution de vos effectifs, nous notons une augmentation depuis que le groupe existe et qu'il a quitté sa fonction d'origine. Mais si nous additionnons ce qu'il représentait en absolu et ce que représentait ce qu'il a absorbé, le chiffre serait bien supérieur à celui de vos effectifs actuels.

M. Paul-Louis HALLEY : En matière de commerce de proximité Promodès est leader en France. Il sera plus difficile de répondre à l'autre question qui est d'ordre plus général. Je m'efforcerai de vous donner ma vision.

Le commerce de proximité, de produits de consommation à base alimentaire - c'est celui que je connais le mieux -, semble stabilisé en France. Nous avons eu une lueur d'espoir en 1998 car, pour la première fois depuis de nombreuses années, il a enregistré une légère croissance en volume alors qu'il perdait régulièrement 2 % par an auparavant. Sa part de marché baissait régulièrement car dans le même temps la consommation des ménages augmentait en volume. Ce type de magasins représente 5 % ou 6 % du commerce de détail français dans le domaine alimentaire. Je ne pense pas qu'il puisse descendre au-dessous de 5 %, mais c'est assez difficile à déterminer. Dans d'autres pays où l'appareil de distribution a connu des évolutions fortes, ces surfaces de proximité restent néanmoins présentes.

Je crois que nous sommes arrivés à un seuil. Néanmoins, je ne pense pas que ce type de commerce augmente de nouveau car les consommateurs décident quels sont les magasins qui doivent fermer et ceux qui doivent se développer. D'autre part, pour des raisons économiques, dans un commerce de proximité et un hypermarché, le même article ne peut pas être vendu au même prix car toute l'organisation logistique est différente. Concernant les Sherpa dans les Alpes ou les Huit à huit et Proxi au c_ur de Paris, les prix payés par Promodès aux fournisseurs sont les mêmes que ceux payés par Continent.

L'écart provient de tout le processus qui va de l'entrepôt jusqu'aux consommateurs : il faut des préparateurs pour les commandes des petits magasins alors que pour les hypermarchés on déplace des palettes entières ; de petits camions sont nécessaires pour livrer en ville, les chauffeurs perdent du temps à cause des encombrements. La productivité d'un 5 tonnes en ville est 7 fois inférieure à celle d'un 35 tonnes en grande périphérie et on ne tient pas compte des embouteillages...

Les emplacements de magasins de proximité coûtent beaucoup plus cher que les emplacements périphériques ; la charge foncière est plus importante. La productivité à l'intérieur du magasin est très différente : dans les hypermarchés on travaille à l'aide de tire-palettes qui transportent et installent des palettes entières de produits, alors que dans les petits magasins tout est déchargé et mis en rayons à la main. Le coût de la main-d'_uvre est très important. Tout cela justifie une différence de prix d'environ 15 % entre un Proxi et un Continent. Cela fait réfléchir le consommateur et malheureusement nous ne savons pas réduire les frais des petits magasins.

Ce problème concerne le choix de la formule. L'une transfère sur le consommateur une partie des charges du travail à faire pour s'approvisionner et l'autre apporte un service qui doit être rémunéré. Nous rejoignons l'une des premières questions qui concerne le coût du travail pour ces services de proximité.

Sur le deuxième volet de la question qui est la relation entre emplois, concentration, gain de productivité, économies d'échelle, etc., ma vision, si nous nous référons aux statistiques de l'INSEE, est que l'ensemble du secteur du commerce a toujours créé des emplois en France depuis 30 ans. Nous ne savons pas combien il y aurait d'emplois en l'absence d'un commerce moderne. Il est difficile de réécrire l'histoire. Nous constatons qu'il n'y a jamais eu de baisse de l'emploi dans le commerce ; je crois d'ailleurs que c'est le secteur qui emploie le plus de monde en France et qui continue à se développer année après année.

Les concentrations ont-elles un impact négatif sur l'emploi ? En examinant intrinsèquement chaque opération, on peut l'affirmer. En examinant plus macro-économiquement cette question, je suis moins certain de la réponse, car cela se traduit généralement par une amélioration de la compétitivité donc une baisse de prix qui augmente le pouvoir d'achat des consommateurs en leur permettant d'acheter plus.

Si le budget alimentaire était le même qu'il y a 35 ans, les consommateurs n'auraient pas les moyens d'acheter des voitures, des logements, etc. Autrefois les achats alimentaires représentaient 50 % du budget alors qu'ils n'en représentent plus que 16 %. Avec la différence, les consommateurs peuvent acheter d'autres biens qui créent de l'emploi dans d'autres secteurs.

Dans un secteur donné, il est possible d'établir une relation entre le gain de productivité et la baisse d'emplois. Toutefois, macro-économiquement cela me paraît beaucoup plus complexe et il faut examiner l'ensemble des éléments : le pouvoir d'achat dégagé est peut-être créateur d'emplois si les consommateurs achètent des services. Ainsi, la productivité liée aux dépenses de santé n'est pas extraordinaire, mais la part du budget des ménages français consacrée à la santé augmente tous les ans. Cela représente un gisement d'emplois formidable, d'autant plus que tout le monde veut vivre plus longtemps et mieux.

M. Jean-Jacques VAUGEOIS : Concernant la proximité, spécialement en zones rurales, dans les documents qui vous ont été remis, vous constaterez que Promodès a pris des initiatives, notamment à travers sa participation à l'opération « 1000 villages » et a créé une enseigne adaptée qui a d'ailleurs évolué et s'appelle maintenant Proxi services. Notre groupe essaie d'en développer 200 par an.

Concernant les aides à l'emploi, les responsables du développement de cette enseigne nous ont fait remarquer que les aides non pérennes ne sont pas adaptées à la revitalisation des zones rurales et au maintien du commerce. Quand l'aide s'arrête, si le magasin n'a pas su - ou pu - trouver son marché, sa rentabilité et son équilibre économique sont mis à mal et il doit fermer. D'autres aides à caractère permanent, comme celles des municipalités qui souhaitent maintenir un commerce dans un village, sont les bienvenues ; la signature de notre enseigne Huit à Huit est d'ailleurs « Au c_ur de la vie ». Dans certaines communes, les commerces disposent d'un local pour un franc symbolique. Cela permet d'abaisser les coûts fixes du magasin et contribue au maintien de cette activité commerciale dans le village.

Sur l'aspect des fusions et concentrations, ce sont souvent les entreprises les plus dynamiques qui absorbent les entreprises qui le sont moins. Elles sauvent des emplois qui auraient pu être perdus en totalité. On dit souvent que les grands groupes industriels détruisent les emplois et que les PME en créent. Statistiquement, c'est en partie vrai, mais je crois que les grands groupes doivent être encouragés dans ce sens car ils ont une politique d'adaptation de l'emploi importante.

Au sein de notre groupe, nous avons connu des plans de restructuration où les taux de reclassement interne allaient de 50 à 100 %. Ce que l'on appelle les « solutions emplois », c'est-à-dire les reclassements externes et d'autres solutions qui évitent aux salariés de s'inscrire à l'ANPE, sont de l'ordre de 80 % et parfois au-delà. Cela apporte des réponses aux aspects économiques.

Un accompagnement social peut être mis en place dans les différentes entreprises - et notamment dans les grands groupes - pour anticiper ces aspects négatifs. Ainsi, nous avions annoncé la fermeture d'un site un an à l'avance. Sur les 70 salariés concernés nous n'avons procédé qu'à un seul licenciement qui d'ailleurs était un cas particulier. Nous devons stimuler la gestion préventive de l'emploi pour obtenir un certain nombre de résultats qui peuvent cohabiter avec le dynamisme de l'économie.

M. le Président : Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur la loi sur les 35 heures qui sera mise en _uvre aussi bien dans le petit commerce que dans l'hypermarché ?

M. Paul-Louis HALLEY : Concernant le commerce, le point important est que nous ne soyons pas disqualifiés par rapport aux autres formes de commerce ou à nos concurrents. En examinant ces aspects du point de vue du commerçant, sans s'occuper du reste de l'économie, il n'y a pas d'opposition de principe.

Si ces conventions collectives sont étendues à la branche, cela ne crée pas de distorsion au niveau concurrentiel et les préoccupations globales me paraissent beaucoup plus importantes. Concernant le commerce, cela pourrait se traduire par une baisse de productivité et un renchérissement du coût de la distribution des produits ; ne retomberait-on alors pas dans un système où le consommateur se focaliserait davantage sur les prix que sur les services ? Le client pourrait être conduit par l'impact sur les prix à privilégier les formes de distribution les plus hautement productives. C'est lui qui fera l'arbitrage et qui nous dira si c'était une bonne ou une mauvaise idée.

En tout état de cause nous appliquerons la loi.

M. Guillaume GASZTOWTT : Logiquement les commerces de hard discount devraient en profiter et les autres magasins en être pénalisés.

M. Jean-Jacques VAUGEOIS : Vous avez posé une question sur le temps partiel et la réduction collective du temps de travail. Vous avez eu raison car notre sentiment est qu'il ne faut pas opposer les deux modes de réduction du temps de travail, et ne pas privilégier l'un par rapport à l'autre.

Au niveau de notre branche professionnelle, comme au niveau de notre entreprise, nous pensons que le temps partiel - dont il faut améliorer les modalités de mise en _uvre - apporte une contribution tout à fait importante à l'économie de l'emploi en France. L'INSEE indique que les mesures d'incitation au développement du temps partiel se sont traduites par un développement de l'ordre de 4 % sur les cinq dernières années. Nous sommes à 18 % de temps partiel, c'est-à-dire très loin de la situation qui peut prévaloir dans d'autres pays, notamment au nord de l'Europe. Nous pensons que cela peut être une manière intéressante de contribuer à l'activité d'un certain nombre de personnes.

Les statistiques indiquent que les personnels travaillant à temps partiel proviennent - pour une part plus importante que celles à temps complet - de l'inactivité et en particulier du chômage. Il ne faut pas jeter l'opprobre sur le travail à temps partiel.

Vous entendrez nos représentants du personnel dont la réflexion porte sur la précarisation, qui ne doit pas être niée ; il faut toutefois examiner un certain nombre d'éléments et constater qu'il ne s'agit pas d'un problème général au temps partiel. De gros efforts ont été réalisés dans notre branche et dans nos entreprises pour revaloriser le temps partiel et pour permettre de mieux l'aménager.

Nous sommes en cours de négociation au niveau de la branche et deux accords ont été passés. Un groupe technique paritaire réfléchira à des propositions en vue de la deuxième loi Aubry. Nous pensons qu'il est indispensable pour notre activité que cette forme de travail soit valorisée et reconnue pour le développement de l'emploi.

La loi Aubry a été précédée par la loi Robien dans la même thématique. A ce jour au sein du groupe nous n'avons pas eu recours aux dispositifs aidés de la réduction collective du temps de travail. Sur les aspects « défensifs », nous avons été sollicités par les partenaires sociaux et nous avons procédé à des réflexions. Dans certains cas, pour sauver un emploi, il faudrait réduire le temps de travail de 6 à 7 personnes, ce serait parfois inopérant. Nous souhaitons faire des plans sociaux adaptés aux problèmes rencontrés ; nous ne nous conformerons pas à une situation qui ne correspond pas à la réalité. Nous préférons chercher des reclassements internes ou externes : quand l'emploi d'un salarié est menacé dans le cadre d'un plan social, nous lui trouvons un reclassement interne - le groupe offre 1 000 postes en interne chaque année - et c'est une solution satisfaisante pour tous.

Je reconnais toutefois que le cadre « défensif » est parfois adapté à la situation. Concernant le volet « offensif », depuis plus d'un an nous avons étudié le passage aux 35 heures. Les négociations sont en cours ou terminées pour certaines entreprises : dans la branche cash & carry un accord a été signé le 13 avril ; il relève plutôt du cadre « offensif », même s'il n'est pas aidé, car il aboutira à la création d'emplois.

Dans les autres branches d'activités, les négociations sont en cours pour un passage aux 35 heures à la fin de l'année. Nous avons essayé de bâtir des accords « équilibrés » avec quelques difficultés. Un tel accord garantit le maintien des salaires - et complète certains aspects de la loi - et assure un gain de productivité pour l'entreprise grâce à une organisation plus efficace du temps de travail. Je pense en particulier à la modulation.

De plus, cet accord comporte éventuellement des avancées pour le personnel, telles que l'aménagement du temps de travail, car il est possible d'organiser la modulation dans un cadre tout à fait acceptable pour les salariés. Nous préférerions être seuls à juger de ce que l'on appelle la flexibilité interne et externe, mais ce n'est pas facile à gérer car c'est un dossier lourd que les salariés ont du mal à appréhender.

Dans notre secteur, des enquêtes réalisées par la CFDT ou la Fédération du Commerce indiquent que les préoccupations des salariés sont, par ordre d'importance, les salaires, les conditions de travail et ensuite l'emploi. L'emploi devient la principale préoccupation quand il est menacé. Il est donc difficile d'aboutir à des négociations équilibrées.

M. le Président : Vous nous avez indiqué qu'aujourd'hui il y a peu de place pour la multiplication des hypermarchés et supermarchés. Il n'a pas été précisé que les agrandissements, pour tenir compte de la loi Raffarin, doivent être soumis aux commissions départementales et nationales des équipements commerciaux.

Vous semble-t-il possible qu'une progression de votre groupe - ou d'autres groupes en activité - puisse passer par un accroissement des surfaces de vente ? La moyenne est actuellement de 7 500 m2 et nous rencontrons des demandes pour des surfaces de 12 000 m2 tenant compte de l'aménagement nécessaire des rayonnages et des allées dont vous avez parlé pour améliorer l'accès des consommateurs.

En termes de stratégie, pouvez-vous nous donner votre avis sur l'encadrement apporté par la loi Raffarin ?

M. Paul-Louis HALLEY : La consommation augmentant de 2 à 3 % par an, - sans améliorer la qualité du service qu'offre l'ensemble des magasins en France aujourd'hui, toutes formes et toutes tailles confondues - il serait logique d'envisager d'augmenter chaque année les surfaces dans la même proportion. Il n'est pas aisé d'agrandir les magasins situés en ville, il est donc évident que la capacité supplémentaire se retrouve davantage sur les périphéries ou dans un tissu urbain permettant des modulations. Nous pouvons toutefois, de temps en temps, réaliser des opérations en centre ville.

Si on prend en compte les magasins de la catégorie des grandes et moyennes surfaces, à productivité constante et tous produits confondus, leur part de marché par rapport aux autres formes de commerce, est d'environ 50 %.

En comptant sur un taux d'augmentation du volume de la consommation des ménages de 3 % par an, il faudrait probablement augmenter de 4,5 % à 5 % par an les surfaces mises à la disposition des consommateurs sans que cela vienne bouleverser le paysage français. Cela peut se faire à l'occasion de demandes d'agrandissements ou de transferts de magasins ; c'est ce que j'appelle la modernisation. Le législateur, les élus et les responsables des commissions nationales apprécient cela très globalement.

Je ne pense pas qu'il soit utile de fixer des objectifs annuels. Il est intéressant de mesurer le tonnage des produits qui passent dans les magasins et le nombre de m2 par rapport à une situation donnée.

M. Jean-Jacques VAUGEOIS : Dans le plaidoyer que j'ai fait sur le travail à temps partiel, il manquait un élément à ma démonstration.

Si vous posez la question aux représentants du personnel, ils seront très surpris. Concernant la rémunération, la précarité du temps partiel dénoncée par les organisations syndicales se réfère à la rémunération générée par les horaires de travail.

Nous avons fait un calcul en prenant l'année 1997 comme référence : pour un employé commercial - ils sont très nombreux dans nos magasins - la participation et l'intéressement collectif pouvaient représenter deux mois de salaires nets, qui s'ajoutent aux 13 mois de rémunération. Ce n'est probablement pas toujours jugé satisfaisant par le personnel, mais cet élément doit être pris en compte dans l'évaluation des revenus du travail. Les personnes qui travaillent à temps partiel perçoivent aussi des revenus indirects qui proviennent de diverses allocations.

M. Paul-Louis HALLEY : Une réflexion pourrait être menée sur ce sujet. Un délai de cinq ans est nécessaire avant que les collaborateurs puissent toucher le fruit de cette épargne.

Il faut probablement que ce ne soit pas immédiat car les salariés doivent savoir que l'entreprise ne vit pas que dans l'instantané. Ils doivent être associés à son développement. Notre entreprise étant cotée en bourse, ils peuvent investir dans les actions de Promodès et bénéficier de la croissance de la valorisation de l'entreprise.

Mais un raccourcissement du délai d'un ou deux ans ne nuirait guère à la perception du caractère différé de cette rémunération.

M. Alain COUSIN : Vous avez évoqué la loi Galland. Au regard de votre expérience de ces dernières années, considérez-vous qu'elle a atteint ses objectifs essentiels ? Quels ont été ses effets positifs et négatifs ? Si cette loi était revue, dans quel sens cela devrait-il se faire ?

M. Paul-Louis HALLEY : La position des distributeurs - y compris la mienne - est assez connue des services de l'administration économique de notre pays. L'ensemble des distributeurs était contre cette loi. Nous avons milité vainement pour éviter que cette loi soit appliquée. Nous n'y étions pas totalement opposés, car il appartient au législateur de réactualiser les règles de la société. Mais nous considérons que certains points de cette loi ne sont positifs ni pour l'économie, ni pour les entreprises de notre secteur.

Je ne sais pas si la loi Galland a eu des effets macro-économiques pervers. Elle a probablement permis aux industriels de mieux contrôler les prix de vente de leurs produits ; c'était une revendication assez forte. Certains utilisent ce pouvoir avec pertinence et cela ne pose aucun problème au titre de l'intérêt général.

Je ne sais pas si d'autres industriels ne profitent pas de leur position de leader pour imposer leurs règles sur le marché.

Plus généralement, je trouve dommage que, dans notre pays, nous ayons recours en permanence à la pénalisation des délits à caractère économique. Cela induit des comportements excessifs, et même difficiles, dans les relations entre les partenaires. Je ne suis pas certain qu'une pénalisation aussi développée dans les relations économiques profite en quoi que ce soit à l'intérêt général.

M. Jean-Jacques VAUGEOIS : Nous avons parlé de l'_uvre législative du Parlement et nous avons évoqué la loi Aubry. Nous avons une position à défendre en vue de la deuxième loi.

Nous exploitons des commerces de proximité via des franchisés et des grands magasins. La problématique d'un petit magasin et celle d'un hypermarché sont totalement différentes.

Concernant la préparation de la deuxième loi, notre préférence va à la négociation de branche ou d'entreprise. Il faut avoir du « sur mesure » pour résoudre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Je sais qu'il existe d'autres impératifs. Nous pouvons essayer de les concilier en prévoyant des principes et des mécanismes, mais vous devez laisser suffisamment de souplesse aux entreprises car l'effet risque d'être totalement contre productif. Nous avons posé des questions car le patron d'un Shopi qui emploie actuellement un boucher ne peut pas en embaucher un deuxième. Nous n'avons toujours pas de réponses.

M. le Rapporteur : Je peux comprendre les inquiétudes d'un chef d'entreprise qui rencontre des difficultés, face à un dispositif de réduction du temps de travail. Mais la situation du groupe Promodès, comme en atteste son chiffre d'affaires, ne justifie pas de telles réticences.

Même si les aides que vous percevez ne sont pas très importantes au regard de votre chiffre d'affaires, nous sommes en droit d'attendre de votre part - compte tenu de la place que vous occupez dans le paysage français - un « effort citoyen ».

M. Jean-Jacques VAUGEOIS : Les 2 500 magasins franchisés sont indépendants et emploient environ 7 000 personnes. Chaque patron est responsable de son affaire et est confronté, même s'il peut compter dans certains cas sur l'aide de Promodès, au bilan économique de toutes les opérations qu'il doit conduire. Pour la mise en place des 35 heures, il n'aura pas de soutien économique de Promodès. Il est un commerçant indépendant et peut choisir d'adhérer à nos centrales d'achats ou de travailler sous nos enseignes, mais aussi d'en changer.

ANNEXES

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Audition des syndicats
Audition de Mme Raymonde BUELENS,
Déléguée syndicale CSL,

MM. Bernard CAUDAL,
Délégué syndical de la CGT

Alain LE BENOIST,
Délégué syndical de la CGC et

Claude LELIEVRE,
Délégué syndical de FGTA-FO

chez PROMODES

* absence de la CFTC ainsi que de la CFDT (M. Louis VAN DER ELST ayant été souffrant)

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 1999)

Présidence de M. Yvon MONTANE, Président d'âge

Mme Raymonde Buelens, MM. Bernard Caudal, Alain Le Benoist et Claude Lelièvre sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Raymonde Buelens, MM. Bernard Caudal, Alain Le Benoist et Claude Lelièvre prêtent serment.

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : 63 % des salariés de l'entreprise travaillent à temps partiel et la situation ne s'améliore cependant pas malgré les aides apportées. Les contrats à temps plein n'augmentent pas et nous avons mensuellement une importante masse d'heures complémentaires et de location d'intérim.

En 1998, alors que 60 millions de francs ont été apportés à la société Continent, ce qui représente 4,2 % de la masse salariale actuelle, la situation des salariés en contrat précaire ne s'est nullement améliorée.

Tout cela nous inquiète et nous espérons qu'une loi nous aidera à accroître les temps partiels et à améliorer le sort des travailleurs.

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Je travaille chez Promodès et je fais partie de la société Continent. Comme vient de le dire ma collègue, nous rencontrons de plus en plus de travail précaire au sein du groupe ; la Direction affirme que les fluctuations de la demande nous imposent une certaine flexibilité, ce dont nous sommes conscients.

Toutefois, je travaille dans la société depuis suffisamment longtemps pour constater actuellement une dégradation de l'emploi. Nos dirigeants perçoivent des aides, mais sur deux ans nous avons eu 24 % d'intérimaires, ce qui constitue une augmentation importante. S'ajoute à cela la précarité des temps partiels : il y a trois ans nous étions à 47 % de salariés à temps partiel et nous atteignons aujourd'hui 63 %. La précarité de l'emploi dans le commerce est bien une réalité.

Les grandes surfaces ne peuvent plus s'étendre en France, aussi Promodès s'implante-t-il en Europe, en Asie et même en Argentine. La création d'emplois ne se fait donc plus à l'intérieur de notre pays.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Le difficile problème du premier collège est traité par mes collègues. Je vais donc me limiter au second, c'est-à-dire à l'encadrement. Nous travaillons dans la même société. Notre syndicat est très inquiet face aux évolutions que connaît le secteur : la mondialisation du commerce, le départ des emplois vers l'étranger, alors que la situation de l'emploi en France demeure fragile.

Le rôle de toutes les entreprises est de réaliser des bénéfices, il n'y a pas de doute sur ce point. Je me fais l'interprète de tous mes collègues cadres pour vous indiquer que, dans l'encadrement, nous souffrons d'un manque de gratitude envers les cadres qui contribue au développement de la société.

Je travaille dans la grande distribution pour la même société depuis 30 ans, et j'ai évolué avec elle ; je me suis formé « sur le tas ». Nous avons participé aux fruits de l'expansion - que je trouve assez considérable pour notre entreprise - mais dans certains domaines nous n'en profitons guère ; c'est surtout vrai pour le premier collège.

Par ailleurs, tous les plans de formation que l'on nous propose ne nous sont pas accessibles faute de temps.

Il est bon d'aider les entreprises et nous reconnaissons que la mondialisation constitue un phénomène inévitable. Mais, dans le système de la grande distribution en particulier, il nous semble nécessaire qu'il soit fait plus grand cas des hommes et des femmes qui permettent l'expansion.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Comme on peut le lire dans la presse spécialisée, les grandes fortunes se font, ou se défont, dans le secteur de la grande distribution. Parmi les dix premières fortunes françaises, figurent les cinq grands groupes d'hypermarchés, et notamment Promodès.

Aujourd'hui, les huit plus grands groupes sur le plan national réalisent 1 000 milliards de francs de chiffre d'affaires, ce qui représente environ 20 % du produit intérieur brut.

La précarité de l'emploi constitue l'une des dominantes de notre secteur, avec le temps partiel et la location de main d'oeuvre d'intérim. Nous nous apercevons que les créations d'emplois ne se font pratiquement plus dans notre secteur puisqu'il y a saturation des hypermarchés avec 1 100 hypermarchés et 6 300 supermarchés en France. Nous sommes le pays où la concentration par m2 et par habitant est la plus forte.

Le développement se fait à l'étranger. Aujourd'hui Promodès est présent dans quinze pays à travers le monde, dont six en Europe ; il représente 220 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel et 74 000 salariés. La majorité des salariés est située en dehors de nos frontières puisque nous ne sommes que 33 000 salariés en France.

Au niveau social, les dominantes du secteur, et plus particulièrement dans le groupe Promodès, sont la précarité de l'emploi, les restructurations, les alliances et les offres publiques d'achat - comme la tentative avortée d'OPA de Promodès sur Casino - avec toutes leurs conséquences, notamment dans la branche logistique, où nous risquons d'assister à des suppressions d'emplois et des restructurations.

L'informatisation de la gestion entraîne la réaffectation des emplois dans d'autres secteurs : les services administratifs sont supprimés. La centralisation des achats et de la gestion a nécessité la mise en place d'un pôle comptable national, si bien que nous n'avons plus de comptables dans les établissements. C'est un déplacement d'effectifs mais, à terme, cela diminue nos capacités de création d'emplois.

Parallèlement à cette précarité, nous assistons à des réorganisations qui vont prochainement concerner l'encadrement.

Nous comptons 63 % de salariés à temps partiel dans la branche hypermarchés avec des maxima à 77 %, notamment dans les derniers établissements créés comme à Marseille et Tours. Dans la logistique, la part des emplois à temps complet est nettement plus élevée.

Nous sommes très inquiets des perspectives de réduction et d'aménagement du temps de travail, car cette loi d'incitation et d'orientation risque - si elle n'est pas bien organisée - d'avoir des conséquences négatives. Les hypermarchés Continent occupent aujourd'hui 12 000 salariés, ce qui correspond à 9 500 équivalents temps plein de 39 heures. La création nette d'emplois sera de 190 à 270 postes à temps complet, au maximum, suivant les cas. Cela représente 2 % de création d'emplois.

Concernant les 35 heures, je parlerai en connaissance de cause car je suis employé dans un établissement dont l'activité est très saisonnière. Nous embauchons 150 jeunes en juillet et août. L'annualisation et la modulation des horaires risquent d'avoir des effets négatifs sur ces embauches de contrats à durée déterminée pendant les périodes de forte activité. Nos semaines de travail sont longues ou courtes, selon le niveau de la clientèle, et des heures complémentaires sont effectuées par les personnes à temps partiel ; cela constitue pour elles un gain supplémentaire et un pouvoir d'achat accru. La suppression de ces heures complémentaires aurait donc des effets négatifs.

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Les 2 % de créations d'emplois liés à la réduction du temps de travail concernent des personnes relevant actuellement d'activités de sous-traitance dans l'entreprise, auxquelles il sera proposé de devenir salariés de Continent. Il y aura une différence entre le traitement de la sous-traitance et l'accès au statut de salarié qui implique un 13ème mois et d'autres avantages sociaux. Les personnes concernées n'accepteront peut-être pas cette nouvelle situation car leur salaire sera inférieur. Selon la proposition qui leur sera faite, même avec des avantages sociaux, un 13ème mois et un intéressement annuel, il n'est pas évident qu'elles ne subiront pas une perte de rémunération.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous me confirmer que les sous-traitants dont vous nous parlez sont bien des personnes qui interviennent en tant que salariés d'autres entreprises au sein groupe Continent et qu'il ne s'agit pas de salariés à temps partiel, ou d'intérimaires ?

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Non, ce sont des personnes déjà présentes à temps plein et payées par une société extérieure. Il faudra transformer leurs contrats pour les faire entrer dans Continent SAS, mais les conditions proposées ne seront pas forcément acceptées. Les salaires, malgré les avantages sociaux, seront inférieurs de ceux qu'ils ont actuellement.

M. le Rapporteur : Ne peut-on pas imaginer que les personnes embauchées - quel qu'en soit le nombre - dans le cadre de la réduction du temps de travail soient des jeunes, jusque là intérimaires ou à temps partiel, dont on augmenterait la durée de travail ?

Les salariés d'un hypermarché Auchan situé dans ma circonscription se sont plaints auprès de moi de l'importance des temps partiels et souhaitent augmenter leur durée de travail en passant de 4 à 6 heures ou de 7 à 8 heures et même parfois au-dessus de 8 heures.

L'application de la loi sur la réduction du temps de travail ne peut-elle pas permettre ce type d'ajustement ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : L'entreprise paie actuellement des heures complémentaires aux salariés à temps partiels. Le contrat de base minimum est de 25 heures. Il existe un contrat à 26 heures annualisées : la semaine lissée sur l'année est de 26 heures, avec une marge de plus ou moins 4 heures récupérées ou payées.

Les types de contrats suivants vont de 28 à 32 heures et prévoient des heures complémentaires qui ne peuvent être supérieures à un tiers du total sur l'année. L'ensemble est lissé sur l'année selon des périodes creuses ou hautes.

M. le Rapporteur : Vous négociez donc la flexibilité.

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Il s'agit d'une annualisation du temps de travail avec des semaines hautes et basses. Mais nous aurons des difficultés à réaliser des semaines basses et à moduler car en fait l'effectif de l'entreprise n'est pas suffisamment cyclique. Nous rencontrerons aussi des problèmes dans les magasins très saisonniers qui travaillent beaucoup en juillet et août. Il leur sera possible d'annualiser le temps de travail, mais ils n'auront pas suffisamment de personnel pour les périodes hautes et seront obligés de continuer à recourir à des C.D.D.

Le plan de réduction du temps de travail prévoit que les 160 vendeurs « loués » par une société seront intégrés dans la masse salariale ; ils auront le salaire, la participation et l'intéressement propres à Continent. Ce ne sont pas des personnes venant de l'extérieur car elles font déjà partie de l'effectif. Nous avons des marchandisers qui remplissent les rayons. Nous réduirons ainsi leur précarité.

190 personnes devraient être embauchées à temps plein à la suite de la négociation sur les 35 heures.

M. le Rapporteur : Avez-vous du personnel intérimaire en permanence ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Oui. 24 % sur un effectif de 11 000 personnes.

M. le Rapporteur : Cela confirme ce qui nous a été dit hier. Si ce personnel est intégré à la suite de la réduction du temps de travail, il ne s'agira donc pas de créations d'emplois nettes.

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : On nous promet 50 embauches, concernant essentiellement d'anciens intérimaires, grâce à la modulation des 35 heures. Je parle de la réduction du temps de travail car dans mon esprit les 35 heures signifient passer de 39 à 35 heures en incluant les pauses. Nous sommes toujours dans le système des 35 heures effectuées, mais les pauses sont payées en plus. J'espère que la prochaine loi pourra nous donner des orientations claires car nous sommes pour l'heure dans l'expectative.

M. le Président : Vous ne semblez pas trouver que c'est une mesure positive...

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Pour les 50 intérimaires, c'est positif.

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Ces embauches portent sur 86 hypermarchés.

M. le Rapporteur : Ces intérimaires sont-ils en permanence dans l'entreprise ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Pas vraiment. A certaines périodes, ils sont nécessaires, comme pendant les congés et à la fin de l'année en raison d'un absentéisme dû à la maladie.

M. le Rapporteur : Dans l'entreprise, y a-t-il du personnel intérimaire présent du 1er janvier au 31 décembre ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Cela dépend des sites et des établissements.

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : C'est le cas pour le personnel qui assure la sécurité de Continent.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Certaines personnes travaillent aussi pour des marques comme Coca-Cola.

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Ce sont des marchandisers. Il ne faut pas les confondre avec les personnes provenant de sociétés d'intérim, qui sont envoyées lors de l'absence de salariés en raison de congés ou de maladie.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Les intérimaires ne sont pas là durant toute l'année. Mais, ils ont été formés ; nous avons souvent besoin d'eux lors des congés ou de maladie des salariés.

M. le Rapporteur : Une entreprise peut souhaiter avoir recours à l'intérim. De cette manière, elle se libère totalement des contraintes du droit social. Parmi d'autres constats, nous avons remarqué que, dans l'industrie, les intérimaires ne sont pas comptabilisés dans les emplois industriels mais dans le secteur des services. C'est surprenant.

Dans un groupe comme le vôtre, on peut avoir la tentation d'utiliser du personnel intérimaire. Cela garantit une plus grande souplesse. Le fait que ces personnels soient intégrés dans l'entreprise au travers de la réduction du temps de travail, je ne sais pas si cela représente une amélioration sur le plan salarial, mais, au niveau statutaire, c'est un progrès, du moins à mon avis.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : C'est incontestable.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Il ne faut pas oublier que les 160 personnes qui font partie d'une autre société et qui vont intégrer notre entreprise y gagneront des avantages sociaux. Dans la situation actuelle, leurs salaires sont élevés à des périodes comme Noël ou la Fête des Mères, mais, certains mois, ils sont beaucoup plus modestes. Certaines personnes ne nous rejoindront pas, mais d'autres seront ravies de le faire.

Vous parlez de 160 emplois, mais il a été précisé dans nos accords salariaux qu'il s'agit de 500 salariés supplémentaires pour Continent.

Le problème, c'est que ces 500 emplois appartiennent au premier collège. Dans le second, il faudra travailler encore davantage. Même si on nous dit le contraire, j'en suis persuadé qu'il en sera ainsi.

Je suis d'accord pour que l'on améliore notre temps de travail, mais la solution serait, non pas les 35 heures, mais le respect de la journée de 8 heures dans la distribution. C'est ainsi que l'on créera des emplois. Les possibilités de dépassement sont si larges que nous travaillons parfois jusqu'à 12 heures par jour.

M. le Rapporteur : Nous avons reçu ici, au tout début de nos auditions, en janvier ou en février, l'intégralité des confédérations syndicales. Leurs appréciations sont nuancées en fonction des secteurs où travaillent les uns ou les autres : la situation est différente selon que l'on est salarié chez Usinor ou chez Promodès. Toutefois, les positions de fond des diverses confédérations étaient claires sur la question de la réduction du temps de travail.

Vous avez parlé de la participation des personnels au bénéfice. Pouvez-vous estimer ce que représente cette participation, par son montant et en nombre de participants ? Cette contribution est-elle obligatoire, notamment pour les cadres ? Le cas échéant, cette obligation est-elle implicite ou explicite  ? Cela existe-t-il dans le premier collège ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Au niveau de l'encadrement, il n'y a aucune obligation dans ce domaine : chacun fait comme il l'entend. Il est plus facile pour nous de déposer un peu d'argent chaque mois sur le fonds commun de placement que pour le premier collège car les salaires ne sont pas les mêmes.

M. le Rapporteur : Il n'y a donc pas d'obligation morale ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : C'est seulement de l'ordre du conseil.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Pour les salariés des échelons les plus bas, il est difficile de placer de l'argent. Il y a dix ans, on considérait que l'emploi dans le commerce était essentiellement féminin et assurait un salaire d'appoint. Aujourd'hui ce n'est plus le cas mais les salariés - y compris les hommes - qui travaillent à mi-temps, à tiers temps ou à trois-quarts de temps gagnent 4 000 ou 5 000 francs par mois. Avec cette somme, ils peuvent difficilement faire vivre une famille et placer de l'argent pour leur entreprise.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Un agent de maîtrise, dont le salaire moyen est de 12 000 francs, doit toucher 16 000 francs par an en ayant placé 3 000 ou 4 000 francs il y a cinq ans. Cela fait partie du salaire mais n'est pas imposable, sauf à la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale.

M. le Rapporteur : Votre Président nous disait hier que cela pouvait représenter jusqu'à deux mois de salaire.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Pour l'employé, cela représente un peu plus d'un mois de salaire, ce qui fait pour l'année un total d'environ 14 mois et demi de salaire.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Cela dépend en fait des parts que chacun détient.

M. le Rapporteur : Dans un groupe comme le vôtre - qui a des moyens importants et environ 75 % de personnel précaire, ou à temps partiel - votre Président nous a dit que la participation était importante. Il ne nous a pas donné de détails et je souhaite examiner cela avec vous.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Les employés reçoivent au total 14 mois de salaire : un salaire sur 12 mois, un 13ème mois et une participation qui est équivalente à un mois de salaire.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Un agent de maîtrise est payé sur 15 mois et un cadre 16 mois.

M. le Rapporteur : Concernant les résultats, nous constatons pour 1997 un chiffre d'affaires d'environ 110 milliards de francs alors que, pour 1998, il atteint plus de 200 milliards. Jusqu'en 1997 l'augmentation était linéaire et régulière. Les chiffres d'affaires hors taxes consolidés étaient de 94 milliards de francs en 1994, 100 en 1995, 103 en 1996, 110 en 1997 et de 128 milliards de francs en 1998.

Le résultat net global en 1994 était de 1 117 millions de francs et passe à 2 113 millions de francs en 1998.

Quelle est la raison de cette augmentation brutale ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Comme M. Lelièvre l'a souligné, nous arrivons à saturation en France en termes d'hypermarchés et supermarchés. La progression de l'activité se fait grâce à des rachats, des alliances, des fusions ou des OPA quand c'est possible. L'essentiel des résultats se situe là. L'inflation est quasiment nulle et la consommation des ménages a augmenté de 3 % l'année dernière.

La seule explication que l'on puisse donner est que cet accroissement provient des rachats et de toutes les alliances à l'étranger : Belgique, Argentine, Asie dont en particulier la Chine.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : En 1997, nous constatons pour la première fois que 51 % des résultats du Groupe Promodès ont été réalisés à l'extérieur.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Cette limitation du nombre de créations d'hypermarchés dans la métropole a un effet positif : cela oblige les grands distributeurs à faire mieux que leurs concurrents, c'est-à-dire à développer le service rendu à la clientèle car c'est le seul moyen pour prendre des parts de marché.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Les chiffres sont impressionnants mais l'argent va toujours à l'argent. Je maintiens que c'est tout à fait normal car nous sommes dans une économie ultra-libérale. Je regrette seulement que, concernant l'aspect relationnel et humain, nous n'en tirions aucun profit.

M. le Rapporteur : N'y a-t-il pas également dans l'entreprise, en même temps que cette politique de regroupement, une recherche de plus grande rentabilité ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : La productivité est à son maximum. Le personnel n'en peut plus mais il faut produire toujours plus.

M. le Rapporteur : Hier, votre président directeur général a souligné que la productivité  présentait annuellement un gain de 2 %. Il y a deux façons de l'accroître encore : soit le niveau de production est maintenu avec des coûts 2 % moindres, soit le même nombre de salariés produit 2 % de plus.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Nous sommes plutôt dans la seconde configuration, ce qui se traduit par une surcharge de travail. Nous avons tous des mandats syndicaux ici, je suis délégué central de l'entreprise Continent. J'ai du travail pour défendre tous mes collègues mais j'y emploie beaucoup de temps pris sur mes loisirs alors que tout serait plus simple si on me laissait des heures libres pour remplir ce rôle.

Dans le cadre de la réduction du temps de travail, l'idéal serait une semaine de 4 jours. C'était une proposition de la C.G.C. et cela semble tout à fait réalisable. Ce système fonctionne sans problème, dans les hôpitaux par exemple. Pourquoi ne pourrions-nous pas l'appliquer ?

M. le Rapporteur : Sentez-vous une accentuation de la difficulté à assumer votre tâche syndicale ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Je vais répondre sincèrement. Il y a quelques années, c'était difficile. Depuis 18 mois, cela a changé ; peut-être est-ce parce que j'ai récemment tapé du poing sur la table. Aujourd'hui, je peux aller voir des collègues dans les autres magasins, en cas de besoin. Il y a deux ans cela n'aurait pas été possible et j'aurais été obligé de le faire durant mes congés.

Quelque chose a changé mais ce n'est pas suffisant. Dans une entreprise, il y a un directeur, un directeur des ressources humaines, un chef d'entretien et un chef de sécurité, mais il faudrait aussi toujours un militant syndical qui reste vigilant. Pour nos patrons, le statut du militant syndical existe au niveau du droit, c'est-à-dire en théorie, mais pas dans l'entreprise.

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Je reviens sur la précarité qui touche surtout les caissiers. J'ai un exemple d'établissement très important, où les besoins sont constants et mensuels, en heures complémentaires comme en heures d'intérim. Dans ce cas, pourquoi ne pas réduire la précarité du personnel ? Nous étions même en infraction avec la loi qui fixait à 120 heures annuelles le seuil de réajustement des contrats, qui doit d'ailleurs être baissé à 90 heures. Par exemple, nous constatons 95 avenants de contrats pour 33 personnes et 643 heures.

M. le Rapporteur : Quand vous interrogez votre Direction, que vous répond-elle ?

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Auparavant, après 8 semaines d'heures complémentaires, les contrats étaient ajustés d'office si les syndicats avaient été alertés.

La position de la loi antérieure était beaucoup plus simple que celle qui existe actuellement. On laisse faire des avenants aux contrats pour pallier les limites de la loi, ce qui entretient la précarité. De plus, le contrôle de ces avenants mensuels n'est pas assuré. On compte 90 avenants en juin pour 31 personnes et 707 heures complémentaires, et je peux vous citer de tels chiffres pour tous les mois de l'année.

M. le Rapporteur : Votre organisation syndicale et les personnels dans cette entreprise se sont-ils adressés à la direction de l'entreprise pour dénoncer cette situation ? En fonction de la réponse de la direction de l'entreprise, avez-vous alerté l'inspection du travail ?

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Oui, nous l'avons fait.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu, dans l'hypermarché concerné, la visite d'un inspecteur du travail ?

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Des cadres ont demandé un contrôle de leur carte de pointage, mais l'Inspection du travail n'estime pas cela réalisable car il lui faudrait deux jours de travail. Pourtant la demande correspond à un besoin réel et urgent. Pourquoi des Administrations ne répondent-elles pas à nos demandes ?

M. le Rapporteur : Nous prenons note du refus d'intervention de l'inspection du travail.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Quand on lui demande d'intervenir, l'inspecteur trouve toujours un prétexte pour ne rien faire, ce que j'ai eu l'occasion de vérifier à maintes reprises. Je me suis adressé tout aussi vainement à la direction départementale du Travail et de l'Emploi de laquelle dépend l'inspecteur du travail. Je n'ose pas penser qu'ils sont de connivence avec nos patrons mais peut-être ne sont-ils pas assez nombreux.

Quand les problèmes deviennent trop importants, ils sont résolus par la négociation, dans un bureau, sans que nous intervenions, et à la satisfaction de la direction de l'entreprise.

On parle souvent des accidentés de la route, mais personne ne s'intéresse aux conséquences de notre métier. On ne parle jamais des ménages brisés en raison des amplitudes horaires et des temps partiels. Pour obtenir du profit, on en arrive à un traitement inhumain.

Le problème d'un cadre ou d'un employé qui est licencié, c'est qu'il se retrouve seul - même s'il est aidé, comme la loi le permet, par un délégué ou une personne de son choix dans l'entreprise - devant le directeur et le directeur des ressources humaines. Ce sont des équipes qui ne font que cela, c'est leur métier. Le mien consiste à acheter et vendre des fruits et légumes et je dois faire mon mandat syndical en plus de cela, alors que nos dirigeants ne font qu'un seul métier. Le rapport de force est ainsi très inégal.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Il y a quelques années, nous sommes intervenus auprès de la direction départementale du Travail et de l'Emploi sur la question des horaires de l'encadrement. La convention collective de la distribution prévoit qu'ils soient forfaitisés à 42 heures par semaine. Ces personnels dépassent largement leurs horaires car ils sont convaincus que, pour progresser dans l'entreprise, ils doivent en faire davantage. Nous avons vu des cas extrêmes dépassant les normes acceptables avec, assez fréquemment, des semaines de 70 heures - notamment lors de la mise en place d'animations telles que des foires aux vins -, des amplitudes horaires non respectées, du travail de nuit ou le matin de très bonne heure, etc.

Les cadres et les agents de maîtrise n'étaient pas entièrement d'accord avec ce type de fonctionnement et d'horaires. Nous étions chargés, en tant qu'organisation syndicale, de nous adresser à l'inspection du travail mais nous avons constaté que, si les intéressés n'allaient pas la voir eux-mêmes, elle rechignait à intervenir dans l'établissement.

M. le Rapporteur : Vous parliez de centralisation de services. La question a été posée hier au niveau des plates-formes logistiques mais nous n'avons pas abordé les autres points communs des différentes implantations, d'hypermarchés ou d'entreprises du groupe. Pourriez vous nous en dire plus sur la centralisation des services au plan national ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Il s'agit de la centralisation de la gestion. Dans un hypermarché, nous avions des secrétaires dans les différents départements divisés entre produits frais, épicerie sèche, bazar lourd et léger. Puis les secrétaires ont été rassemblées dans le secteur comptabilité. Aujourd'hui, ce secteur disparaît pour être informatisé, au niveau national, à Caen, près du siège.

M. le Rapporteur : Comment cela se traduit-il en terme d'emplois ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Diversement. Nous avons vécu un plan social mais aussi créé un pôle comptable national se traduisant par un peu plus de 200 nouveaux emplois. Il y a eu des réaffectations d'emplois depuis plusieurs établissements vers ce pôle comptable. Tous les salariés n'ont pas accepté d'aller à Caen : ils ont été réaffectés à des emplois de services dans le magasin où ils étaient ou ils ont été licenciés avec les primes de licenciement.

M. le Rapporteur : En termes d'emplois, peut-on faire la balance entre suppressions, créations et réaffectations ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Il faudrait reprendre établissement par établissement et voir quelles ont été les créations d'emplois réalisées à Caen pour le pôle comptable national.

M. le Rapporteur : Le groupe a-t-il perçu des aides ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : La municipalité de Mondeville a versé 1 million de francs, mais je ne sais pas à quel titre.

A la suite de cela, nous avons subi une restructuration au niveau des services après-vente. Il en existait dans chaque établissement et maintenant restent trois plates-formes à l'échelon national, auxquelles sont rattachés les différents établissements.

Cela n'a pas constitué un plan social mais un « plan de mobilité ».

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Il a porté sur 150 emplois.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Dans certains établissements, des salariés seront licenciés, notamment à Ormesson-sur-Marne parce qu'ils refusent de se déplacer pour travailler dans ces plates-formes.

Une réorganisation interne touchera l'encadrement et nous n'en connaissons pas encore les conséquences. Notre organisation syndicale a déjà alerté l'ensemble des salariés sur cette question. Nous avons peur que le métier de chef de rayon se réduise et disparaisse peu à peu puisque le système de classement hiérarchique a été modifié : nous ne sommes plus classés à partir de coefficients mais de niveaux ; dans le schéma actuel, un membre de la catégorie 4, celle des employés, peut effectuer le travail d'un chef de rayon, qui perd donc sa spécificité. Nous craignons que ce métier ne disparaisse.

On déplace les pions. Des chefs de rayon - des cadres donc - seront affectés à différents secteurs nationaux comme le textile ou le bazar. On déplace les personnes mais nous ne savons pas, à terme, quel sera le solde de la balance de l'emploi. Nous ne sommes pas en mesure de déterminer le résultat.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Nous avons tous signé une clause de mobilité et la nouvelle restructuration de l'encadrement dans l'entreprise - que j'examine soigneusement - me semble bénéfique. Elle n'est mise en place que depuis trois mois : il faut lui laisser le temps de faire ses preuves. J'ai fait le tour des magasins pour écouter l'avis des salariés. Il y a des ratés, mais le point positif est que l'encadrement va commencer à faire moins d'heures.

Nous avons obtenu une journée de repos dans la semaine. Au niveau de l'encadrement, nous n'avions pas cela dans la grande distribution.

M. le Président : Une journée de repos en plus du dimanche, je suppose ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Oui, dimanche inclus.

M. le Rapporteur : Vous travaillez donc 6 jours par semaine !

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Les employés travaillent aussi 6 jours par semaine !

M. le Rapporteur : Le fait de n'avoir qu'une journée pleine de repos hebdomadaire fait-il partie de l'accord national dans la distribution ou dans le commerce ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : La convention collective de la distribution prévoit une journée ou deux demi-journées dans la semaine, en plus du dimanche.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Nous ne bénéficions jamais des après-midi prévues.

Si nous réussissons à signer cet accord dans les prochains jours, nous aurons une journée de repos dans la semaine ou deux après-midi au sens strict, c'est-à-dire que la demi-journée débutera à midi et non plus à 16 heures. Ce sera une convention propre à Continent.

Quand on est cadre dans la grande distribution, on se trouve dans une situation proche de celle d'un petit entrepreneur, mais on a choisi ce métier. Nous savons qu'il faut faire des efforts, mais nos doutes ont pour origine le fait que nous ne bénéficions guère des fruits de ce travail.

M. le Rapporteur : Les 63 % de temps partiels représentent une moyenne alors que, dans un certain nombre d'établissements, en particulier dans les plus récents, le taux est supérieur, n'est-ce pas ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Les magasins de Tours et de Marseille comptent 75 % de personnes à temps partiel.

L'ensemble de la région parisienne présente beaucoup de temps partiels et le turn-over y est très important. Nous avons eu jusqu'à 100 % de turn-over dans l'année, généré par les conditions de travail et les salaires qui, dans la distribution, ne sont pas élevés.

Chez nous, un professionnel gagne 6 800 francs net par mois en travaillant 39 heures, ce qui est très peu. Les employés de libre-service sont payés 5 800 francs net par mois.

Pour ces raisons, en région parisienne, les personnes partent assez facilement, l'ancienneté moyenne étant de quatre à cinq ans. Dans les magasins de province, l'emploi est plus stable ; les salariés restent car il n'y a pas beaucoup d'autres emplois disponibles.

M. le Rapporteur : Les hypermarchés les plus récents connaissent dès le départ un pourcentage important de temps partiels.

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Je travaille dans la société Continent depuis 26 ans. Autrefois, 80 % d'entre nous étaient à temps plein. Aujourd'hui, dans les nouveaux établissements, le temps partiel touche 75 du personnel.

M. le Rapporteur : Quelle en est l'explication ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Les patrons recherchent la productivité et le temps partiel leur permet plus de flexibilité. La fluctuation de la clientèle est importante en raison de la concurrence et des difficultés économiques. Il faut parfois avoir beaucoup de personnel au même moment et c'est difficile à gérer. En faisant appel au temps partiel c'est plus facile : c'est le propre de la flexibilité.

Nous nous battons toujours avec notre Direction car la part des personnes à temps partiel est passée en quelques années de 54 à 63 % et celle des intérimaires de 14 % à 24 %. Comme nous l'avons dit en Commission économique, il faut rapidement mettre un terme à cette évolution qui, socialement, n'est pas viable.

M. le Rapporteur : Les magasins les plus récents fonctionnent dès leur ouverture avec un pourcentage élevé de temps partiel. Concernant les magasins les plus anciens, note-t-on une augmentation du temps partiel ? Les personnes à temps plein qui quittent l'entreprise sont-elles remplacées par un nombre deux fois supérieur de salariés à temps partiel ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Oui. Longtemps, tous les professionnels - bouchers, boulangers, pâtissiers, etc. - étaient à 39 heures. Aujourd'hui nous en trouvons qui ne travaillent que 30 heures.

M. le Rapporteur : Quelle est la durée moyenne du temps partiel ? Connaissez-vous la part des personnels à moins de 20 heures ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Il en existe dans quelques établissements, où certaines personnes ne travaillent qu'en fin de semaine.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : En 1998, nous avions 385 travailleurs extérieurs et 13 000 travailleurs intérimaires pour une société comptant 11 000 salariés.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Nous avons autant d'intérimaires que d'effectifs stables !

M. Alain LE BENOIST (CGC) : S'ajoute à cela un nombre de stages non rémunérés - 1 252 -, que j'estime très excessif.

Mme Raymonde BUELENS (CSL) : Il y a beaucoup de stagiaires venant des écoles, ce qui ne coûte rien à l'entreprise.

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : La situation dans la distribution subit une dégradation générale. Je suis allé à une réunion de notre fédération où étaient représentés Auchan, Cora et tous les grands groupes. Partout, la productivité est très forte et ne semble plus pouvoir être accrue. Je dis souvent à la Direction que nous ne pouvons pas en faire plus : les cadres et l'encadrement sont bien au-delà de leur temps de travail. Nous ne sommes pas du tout dans le cadre des 35 heures dont tout le monde parle. On ne peut pas obtenir plus de productivité dans les établissements, quelles que soient les enseignes.

M. le Président : Vous dites : « Quelles que soient les enseignes ». Pensez-vous que la concurrence a les mêmes conditions de travail que vous et abuse de même des intérimaires ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Oui. Récemment, tous les délégués syndicaux nous ont fait part d'un phénomène de « ras le bol ». Nous pensons même qu'il serait nécessaire que nous manifestions tous ensemble.

M. le Rapporteur : Les hypermarchés occupent une place dominante sur le marché français...

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Ils progressent toujours.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Les hypermarchés et supermarchés réalisent 75 % du chiffre d'affaires commercial en 1998. Lors de cette réunion de la commission économique, nous avons été surpris par l'évolution de la part de marché des hypermarchés.

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Les hypermarchés connaissent une évolution nette : on y trouve désormais une grande variété de produits, comme par exemple de la parapharmacie, ce qui accroît le nombre de métiers dans une grande surface.

M. le Rapporteur : Etes-vous favorable à cette évolution ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Oui, à condition que des emplois soient créés, car cela en détruit ailleurs. Lors de l'ouverture d'hypermarchés, les emplois perdus dans les commerces avoisinants n'ont pas toujours été réaffectés dans les grandes surfaces qui recherchent la productivité absolue.

Des emplois ont été intégrés, mais nous nous apercevons que le nombre d'emplois dans les grandes surfaces a diminué par rapport à ce qu'il était il y a dix ans : grâce à l'informatique et à de nouveaux modes de gestion humaine, moins d'employés sont nécessaires pour assurer plus de services aux clients.

En offrant par exemple des cartes bancaires, nous empiétons sur une partie de l'activité des banques. Carrefour a des activités extrêmement diversifiées et nous allons suivre son exemple.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Dans la grande distribution, le principe de la centralisation des achats est lourde de conséquences. Dans le domaine que je connais - les fruits et légumes -, je trouve que le groupe fait des efforts pour travailler directement avec des producteurs.

M. le Rapporteur : Sont-ils mis en concurrence ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Oui, c'est la loi du marché. Je regrette qu'en France nous favorisions les grandes exploitations, au risque de tuer le tissu local. Pourtant nous avons réellement besoin des petits producteurs.

M. le Rapporteur : La centrale d'achats de Promodès négocie-t-elle avec les coopératives ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Oui, ou avec de gros producteurs. Je pense que, dans ce système de centralisation, beaucoup de petits producteurs ont le droit d'être présents.

M. le Rapporteur : Comment un producteur qui veut vendre ses produits chez Promodès doit-il procéder ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Il doit réussir à être référencé, ce qui est le résultat de négociations.

M. le Rapporteur : Si plusieurs producteurs sont en concurrence, je suppose qu'il faut baisser les prix. Cela est-il suffisant ?

M. Claude LELIEVRE (FGTA-FO) : Il faut associer la qualité et les bas prix.

M. le Rapporteur : Mais qu'est-ce qui fait in fine la différence ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Comme nous avons prêté serment, nous devons parler du droit d'entrée.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Un référencement se paie...

M. Bernard CAUDAL (CGT) : De même que le mètre de linéaire et la tête de gondole.

M. le Rapporteur : Faut-il aussi payer pour obtenir un rendez-vous ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Non, mais au cours du rendez-vous on paie pour être référencé.

M. le Rapporteur : Comment ce paiement s'effectue-t-il ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : De diverses manières...

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Je comprends le sens de votre question : le paiement s'effectue par chèque et revient en fait dans les comptes de la société. C'est le droit d'entrée.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Il existe une différence de traitement entre les marchandises de qualité, fournies par de petits producteurs, donnant une bonne image de la marque, et les produits de grande consommation, comme l'épicerie sèche. Selon le poids du producteur, les négociations n'auront pas la même teneur et le prix d'achat de la marchandise sera complètement différent.

M. le Rapporteur : Votre patron nous a expliqué que, quand deux producteurs souhaitent faire référencer leurs produits, il leur appartient d'être les meilleurs commerciaux possibles, c'est-à-dire de proposer les meilleurs prix.

Quand le prix ne suffit plus à les départager, d'autres arguments sont-ils utilisés ?

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Voilà des groupes de distribution qui, confrontés à la concurrence entre leurs fournisseurs, peuvent se permettre de faire baisser les prix, mais aussi de faire monter les enchères pour le droit d'entrée.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Il ne faut pas le nier.

M. Bernard CAUDAL (CGT) : Cela permet à Leclerc d'acheter son Coca-Cola en Belgique par exemple : les négociations dépassent les frontières nationales.

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Des opérations déclarées de sponsoring peuvent aussi permettre d'emporter un marché.

M. le Président : Le groupe Promodès dispose-t-il de marques particulières ?

M. Alain LE BENOIST (CGC) : Nous avons la marque Continent pour les produits génériques. La marque « Reflets de France » est une réussite : contrairement à la situation la plus répandue, elle profite aux petits producteurs, mais reste localisée.

M. le Rapporteur : C'est une attitude citoyenne... Mais comme cela concerne le haut de gamme, les marges de l'entreprise sont plus élevées...

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