COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL
Extraits
SÉANCE DU MERCREDI 4 MARS 1998
RÉFORME DE LA JUSTICE
Mme Catherine Tasca - Même si la justice fait souvent la une des médias, les Français qui ont affaire à elle dans leur vie quotidienne sont désemparés par sa lenteur et sa complexité. Ils ont besoin d’être rassurés sur la qualité de la formation des magistrats, l’indépendance de la magistrature, les moyens des tribunaux et plus encore sur le respect des droits de la personne et de la présomption d’innocence. Le 15 janvier, Madame la ministre, vous avez présenté les grandes lignes de la réforme de la justice. Elles ont été largement approuvées. Mais depuis quelques semaines, peut-être parce que s’approche la date du renouvellement du Conseil supérieur de la magistrature, la presse fait état de supputations quant au degré d’avancement de vos projets. Sur quels textes travaillez-vous ? Selon quel calendrier ? Dans quel ordre comptez-vous les soumettre au Parlement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - D’abord, je vous confirme que la réforme de la justice, présentée en conseil des ministres le 29 octobre, sera menée à bien et que le calendrier que j’ai annoncé le 15 janvier sera tenu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) C’est la première réforme de cette envergure depuis celle de Michel Debré en 1958 et elle vise à résoudre des problèmes concrets. Il est en effet inadmissible que dans certaines juridictions, on attende quatre ans pour obtenir un jugement sur un licenciement, ou deux ans pour que l’on tranche une affaire mettant en jeu une garde d’enfant. La justice doit redevenir un vrai service public.
La réforme doit aussi mieux préserver la liberté et la dignité de tout citoyen qui, tant qu’il n’est pas condamné, est réputé innocent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Elle clarifiera les rapports entre la Chancellerie et les procureurs afin qu’on ne puisse plus soupçonner le pouvoir politique de manipuler la justice.
Depuis le 15 janvier nous avons travaillé. Les textes seront prêts à la fin de mars. Il y a un projet de loi constitutionnelle, deux projets de loi organique sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et sur le statut des magistrats, et plusieurs projets de loi portant sur 200 articles du code de procédure pénale et du code civil. Je les soumettrai à l’avis du Conseil d’Etat en avril, au conseil des ministres fin avril ou début mai. Nous en commencerons l’examen au Parlement ce même mois, avec d’abord un texte sur l’accès au droit, qui est un préalable absolu.
Il est vrai que l’approche du renouvellement du Conseil supérieur de la magistrature, dont le mandat expire en juin, a donné lieu à certaines supputations. On peut soit procéder à de nouvelles élections, soit -c’est la solution qui a la préférence du Gouvernement- proroger le Conseil actuel pour éviter une nouvelle élection dès la réforme. La décision sera prise dans les prochains jours. Mais quelle qu’elle soit, elle n’aura aucun effet sur la réforme, qui est de la responsabilité du Gouvernement.
Le Premier ministre avait affirmé dans son discours de politique générale que la justice est une priorité du Gouvernement. Depuis neuf mois, tous nos actes ont confirmé cette priorité, que ce soit dans le budget 1998, par les mesures de recrutement d’urgence, la réforme des tribunaux de commerce ou la création, à Paris, d’un pôle de lutte contre la délinquance financière, qui sera suivi d’autres à Aix-Marseille et à Lyon.
Encore une fois, la réforme est en marche et le calendrier sera respecté. Le Gouvernement honorera ses engagements, parce que la réforme de la justice est indispensable à la moralisation de la vie publique. On ne doit plus pouvoir dire que les Français ne sont pas jugés de la même manière selon qu’ils sont puissants ou misérables. C’est une exigence démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).
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2ème SÉANCE DU MERCREDI 12 NOVEMBRE 1997
RÉFORME DE LA JUSTICE
M. Yann Galut - (Interruptions sur les bancs du groupe UDF) L’ambitieuse réforme de la justice annoncée par Mme la garde des Sceaux, et qui comporte l’indépendance du parquet, des garanties renforcées pour les justiciables et le rapprochement entre la justice et les citoyens, recueille notre approbation. (Brouhaha sur les bancs du groupe UDF).
M. le Président - Mes chers collègues, il n’y a jamais eu de rappel au Règlement pendant les questions au Gouvernement, point à la ligne. ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste ; la quasi-totalité des membres du groupe UDF quittent l’hémicycle).
M. Yann Galut - Pour réussir, cette réforme doit cependant être accompagnée d’un effort budgétaire important, car nos concitoyens souffrent du coût et de la longueur des procédures. La grève des avocats a mis en évidence, le 6 novembre, la situation critique de nombreuses juridictions, comme la cour d’appel de Bourges, qui dispose d’un seul juge des enfants pour 320 000 habitants. Mme la garde des Sceaux peut-elle nous dire de quels moyens financiers la réforme sera dotée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).
Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, ministre de la justice - Vous avez raison de souligner que nous devons apporter une réponse aux problèmes que connaît la justice dans notre pays : lenteur, complexité, méthodes parfois vieillottes. Vous avez raison aussi de dire que nous ne ferons pas cette réforme sans moyens, et je l’ai souligné moi-même dans la communication que j’ai faite au Conseil des ministres.
Le Gouvernement a décidé, dès sa constitution, de revenir sur les gels de crédits et d’emplois arrêtés par son prédécesseur, et fait de la justice l’une des toutes premières priorités du budget 1998 : ses crédits progressent de 4 %, soit trois fois plus que l’ensemble des dépenses de l’Etat, et 760 emplois supplémentaires sont créés. Enfin, des recrutements exceptionnels ont été autorisés par le Premier ministre, sans attendre le budget 1998. Pour faire face à l’encombrement, on accélérera le recrutement de conseillers de Cour d’appel en service extraordinaire -possibilité qu’avait prévue le gouvernement précédent, mais qu’il n’avait pas exploitée. En outre, une loi organique vous sera soumise au début de l’an prochain, en vue de recruter 120 magistrats. Le nombre des postes de greffiers offerts aux concours sera porté de 140 à 270, et celui des fonctionnaires de greffes de 150 à 300.
Voilà quelles décisions nous avons prises en cinq mois. Et nous ferons face, bien sûr, aux besoins de la réforme pendant trois ans. Mais les moyens ne sont pas tout : le Gouvernement souhaite aussi simplifier les procédures et rénover les méthodes de travail. J’ai constaté ce matin qu’au tribunal de grande instance d’Arras, la durée moyenne d’un jugement était de sept mois au lieu de neuf pour la moyenne nationale, et cela grâce à la mobilisation de l’ensemble des magistrats et du personnel, en décloisonnant des fonctions, au dialogue social, aux contrats de procédure avec les avocats...
M. Pierre Mazeaud - Et l’indépendance de la justice ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Voilà ce que nous allons généraliser. Plus de moyens, certes, mais aussi la mobilisation de tous les professionnels de la justice -plus je les vois, plus j’ai confiance dans leur mobilisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
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2ème SÉANCE DU MERCREDI 29 OCTOBRE 1997
SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE
Mme Catherine Tasca - La vie en société suscite de nombreux litiges. Aussi est-il essentiel que les citoyens sachent qu’existe un lien où les conflits peuvent trouver une solution. Ce lien, c’est la Justice, partie intégrante de la République. Pour cela, il faut que les citoyens aient confiance dans la Justice.
Or, depuis longtemps, ils sont déçus par la Justice, ils ne croient pas à son indépendance, elle leur paraît partiale, lointaine et inefficace. De plus, trop d’affaires ont donné l’impression que la Justice était liée aux intérêts économiques et au pouvoir politique, et que l’égalité des citoyens devant la Justice n’était pas assurée. Le soupçon pèse sur l’institution judiciaire.
La défiance a été aggravée par des violations trop fréquentes de la présomption d’innocence, l’abus de détentions provisoires et une médiatisation qui fait le procès avant tout jugement. Surtout nos concitoyens sont déçus par le service public de la Justice, trop lent et trop onéreux. La Justice ne leur paraît garantir ni les libertés ni la défense des plus faibles. Les Français attendent donc que la Justice fonctionne mieux. Il est urgent que les citoyens retrouvent confiance dans la justice. Il faut leur en fournir des raisons. Ce matin, vous avez présenté une communication au conseil des ministres. Quelles sont les réformes essentielles que vous envisagez, quels en sont le calendrier et les moyens, que peuvent en attendre nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez raison, il existe une profonde crise de confiance dans la Justice, qui appelle une réforme elle-même profonde et globale. Le Premier ministre en a pris l’engagement dans sa déclaration de politique générale. Cette préoccupation rejoint celle exprimée au début de l’année par le Président de la République, qui a confié à une commission présidée par M. Pierre Touche, le soin de réfléchir sur la détention provisoire et la présomption d’innocence.
La réforme dont j’ai présenté les grandes lignes tend d’abord à rapprocher la Justice des citoyens, et en particulier des plus démunis. Pour que la Justice soit plus rapide, des contrats de procédure seront passés entre avocats et procureurs. La société bouge, la Justice doit évoluer aussi, comme elle doit devenir plus actuelle et répondre à l’importante demande de sécurité de nos concitoyens, en luttant contre la grande criminalité financière et en garantissant la sécurité dans nos quartiers en liaison avec la police et la gendarmerie.
En second lieu, la Justice doit protéger davantage les libertés, et mieux faire respecter la présomption d’innocence. Ainsi il ne doit plus y avoir de garde à vue sans avocat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) La détention provisoire sera réformée par la séparation entre le juge qui instrumente et celui qui met en détention. Il ne sera plus permis de montrer des images d’hommes menottés ou entravés ; quelqu’un qui aura été mis en cause pourra se défendre de façon contradictoire en audience publique. Protéger la liberté, c’est aussi s’attaquer aux écoutes sauvages et se soucier d’Internet, qui doit respecter notre droit.
Enfin, vous avez raison, la crédibilité de la Justice a été minée ces dernières années par les interventions du pouvoir politique auprès des magistrats du Parquet. Désormais, ces instructions particulières seront interdites. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et certains bancs du groupe communiste) Il convient cependant que le Gouvernement puisse exprimer sa politique judiciaire et pénale. Aussi, en toute transparence, le Garde des sceaux pourra avoir une action propre, introduire un recours ou demander l’engagement de poursuites.
L’indépendance des magistrats sera assurée par leur mode de nomination par le Conseil supérieur de la magistrature. Ils seront aussi plus responsables car cette instance aura un pouvoir disciplinaire élargi, les citoyens pourront déposer un recours contre le classement des poursuites devant des commissions auprès des cours d’appel, ainsi que des réclamations, qui devront être filtrées, à propos de la responsabilité disciplinaire d’un magistrat.
La réforme vise à respecter l’équilibre entre l’indépendance des magistrats, les possibilités de recours des citoyens et la mise en oeuvre par le Garde des Sceaux de sa politique pénale. Ce matin, le Premier ministre a souhaité qu’un débat s’engage sur les grandes orientations de la Justice. Il sera organisé aussi vite que possible... Les textes seront étudiés avec les professionnels et les parlementaires qui le désirent. Nous aurons ainsi une Justice plus proche des citoyens, qui fonctionne comme un véritable service public, et dont on saura que l’indépendance et l’impartialité sont garanties. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).
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