15 mai 1998

COMPTE RENDU N° 41

Réunion du jeudi 14 mai 1998 à 9 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau, Vice-Président

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    Examen du rapport d'information de M. Alain Barrau sur la stratégie européenne pour l'emploi

M. Alain Barrau a indiqué que son rapport faisait le point sur les initiatives communautaires précédemment prises et sur l'inflexion de la Communauté en faveur de l'emploi depuis les Conseils européens d'Amsterdam, des 16 et 17 juin 1997, et de Luxembourg, des 20 et 21 novembre dernier, avant d'analyser les plans nationaux d'action pour l'emploi présentés par les Etats membres en vue du Conseil de Cardiff des 15 et 16 juin prochain. Il a exprimé le souhait que la Délégation se prononce en faveur d'une proposition de résolution, laquelle pourrait alimenter un débat en séance publique sur l'Europe et l'emploi, et permettre à l'Assemblée de se prononcer sur un texte, préalablement au Conseil de Cardiff.

Présentant les grandes lignes de ce rapport, il a rappelé que le chômage demeurait le talon d'Achille de l'Europe, puisqu'il touche actuellement 18 millions de personnes et se trouve à l'origine d'inquiétants phénomènes de paupérisation et d'exclusion. Certes, l'Union européenne s'efforce depuis longtemps de lutter contre le chômage, notamment par le biais des fonds structurels ; de nombreuses initiatives, comme le livre blanc « croissance, compétitivité, emploi » de M. Jacques Delors, ont été lancées en faveur d'une Europe de l'emploi, mais elles n'ont pu aboutir faute de volonté politique. Globalement, les efforts de la Communauté se sont plus traduits par des déclarations que par des actes. C'est pourquoi la stratégie communautaire lancée par le Conseil européen de Luxembourg marque un véritable tournant : il s'agit désormais de consacrer à la lutte contre le chômage les mêmes efforts que ceux déployés pour le passage à la monnaie unique.

Cette stratégie repose sur une coordination des politiques nationales de l'emploi des Etats membres, le Conseil n'étant habilité qu'à définir les lignes directrices devant guider la mise en oeuvre de ces politiques et à examiner, tous les ans, les résultats des mesures adoptées. Il s'agit donc d'une politique commune tout à fait spécifique, combinant avec pertinence coopération inter-étatique et actions communautaires.

Il a rappelé les trois étapes majeures de cette procédure de coopération : la définition chaque année de lignes directrices par le Conseil européen, l'insertion de ces lignes directrices dans des plans nationaux d'action pour l'emploi élaborés au niveau des Etats membres et, enfin, l'examen des mesures nationales de nature à mettre en oeuvre les lignes directrices et la redéfinition de ces dernières.

Pour 1998, le Conseil européen de Luxembourg a retenu dix-neuf lignes directrices, parmi lesquelles trois priorités essentielles se dessinent : la prévention du chômage des jeunes , la lutte contre le chômage de longue durée et la priorité donnée à la formation professionnelle, destinée à améliorer la capacité d'insertion des chômeurs sur le marché du travail. Il a également relevé que les lignes directrices pour 1998 indiquaient clairement que la réduction du temps de travail pouvait être conçue comme un outil de modernisation des entreprises, contribuant ainsi à améliorer leur compétitivité et à lutter contre le chômage.

La stratégie communautaire définie à Luxembourg paraît de nature à enclencher une nouvelle dynamique en faveur de l'emploi. Certes, cette stratégie ne peut éradiquer le chômage du jour au lendemain, mais, sur le modèle de la convergence des politiques économiques réalisée pour le passage à la monnaie unique, elle devrait imposer aux Etats membres « un stress de la convergence », garantissant ainsi que des mesures effectives seront appliquées. Par ailleurs, la méthode retenue n'impose aux Etats membres aucune stratégie uniforme, mais les invite à élaborer leur propre remède au chômage tout en s'inspirant des politiques menées dans les autres Etats membres.

La stratégie élaborée à Luxembourg est désormais en marche : au cours du mois d'avril, les Etats membres, même les plus réticents à la notion même de ligne directrice en ce domaine, ont présenté leur plans nationaux d'action pour l'emploi et la Commission procède à un premier examen de leur contenu. Cette stratégie n'en était qu'à ses débuts et n'a de chance d'aboutir que si les parlements nationaux se saisissent de cette question.

C'est pourquoi le Rapporteur a tenu à analyser, dans son rapport, les méthodes de lutte contre le chômage préconisées dans les lignes directrices et à étudier les mesures retenues par les Etats membres dans le cadre de la préparation de leurs plans nationaux d'action pour l'emploi. Il a souligné que deux plans - celui de la France et celui de la Finlande - avaient été salués par la Commission pour leur caractère complet et novateur.

Un large débat a suivi l'exposé du Rapporteur.

S'étant félicité des pistes de réflexion, riches et nombreuses, contenues dans le rapport, M. Gérard Fuchs a fait part des réserves que lui inspire un paragraphe de la proposition de résolution, selon lequel la croissance ne saurait, à elle seule, réduire substantiellement le niveau du chômage. Pour lui, cette logique doit être inversée, car la politique de l'emploi est d'abord une politique de croissance, d'autant plus que l'Europe dispose de nouvelles marges de croissance. Dans le contexte actuel où il n'existe pas d'institution chargée de la coordination des politiques économiques, il conviendrait de la confier au Conseil de l'Euro, ce qui permettrait de mettre en oeuvre une politique de croissance en faveur de l'emploi.

M. Pierre Brana a souligné le désintérêt manifesté par les chômeurs et les travailleurs en situation de précarité à l'égard d'une Europe qui, selon eux, les oublie, les néglige, voire les méprise. Il est urgent que l'Union européenne mette en oeuvre une stratégie en faveur de l'emploi, à défaut de laquelle une partie de la population - notamment celle des régions défavorisées - restera indifférente ou hostile envers l'Union européenne.

Tout en approuvant la nécessité de faire reposer la politique de l'emploi sur une politique de croissance, il a insisté pour que l'on mette l'accent sur la formation continue, source d'adéquation entre l'offre et la demande d'emplois. Il s'est enfin demandé si les organisations syndicales européennes avaient formulé des propositions.

M. Christian Jacob, partageant sur ce point l'analyse de M. Fuchs, a insisté sur l'approche économique de la lutte contre le chômage : pour lui, c'est une action de promotion des produits industriels européens sur les marchés extérieurs qu'il faudrait conduire pour contribuer à la création d'emplois. Une ouverture réciproque des marchés devrait être organisée entre l'Europe, les Etats-Unis et le Japon, compte tenu de normes équitables en matière d'emploi, de protection sociale et d'environnement. Il convient donc de formuler des contre-propositions face aux demandes formulées par les Etats-Unis en faveur de l'ouverture des marchés.

Mme Nicole Ameline a estimé que l'examen de la proposition de résolution était, d'emblée, faussée par le décalage entre le souci de coordonner les politiques nationales de l'emploi et l'absence de cohérence des choix économiques, lesquels relèvent de la responsabilité des Etats : à ses yeux, les choix du Gouvernement en matière d'organisation du travail et de dépenses publiques risquent, en isolant la France, de compromettre cette coordination.

M. Maurice Ligot a convenu d'un changement d'attitude de nos partenaires sur le problème de l'emploi, tout en l'estimant largement lié au retour de la croissance, qui permet d'envisager des mesures en faveur de l'emploi.

Déclarant partager l'analyse de M. Fuchs sur le rôle moteur de la croissance en matière d'emploi, il a approuvé les développements consacrés par le Rapporteur à l'abaissement des charges sociales et fiscales pour soutenir la croissance, tout en relevant, comme le fait celui-ci, que de telles mesures ont été prises par le précédent Gouvernement.

Réservé à l'égard des critiques formulées par le Rapporteur à l'encontre de la politique suivie en Grande-Bretagne - dont il a, au contraire, fait ressortir les succès - M. Maurice Ligot a rappelé que, si la Commission européenne avait salué la qualité du document français, elle avait néanmoins jugé inadéquate la politique de la France en matière de durée du travail.

Il a enfin exprimé le souhait, compte tenu de l'importance du rapport et de la proposition de résolution, que l'examen de celle-ci puisse être poursuivi lors d'une réunion ultérieure de la Délégation.

M. Yves Dauge a évoqué une communication récente de Mme Edith Cresson sur la politique des Etats membres en matière d'innovation, de recherche et de brevets, qui souligne la difficulté qu'éprouvent les Européens à articuler recherche et création d'emplois.

Pour lui, l'accent doit être mis sur cette question parmi les mesures envisagées, tandis que l'Europe doit faciliter le dépôt des brevets, dont le coût est encore dix fois plus élevé qu'aux Etats-Unis.

Dans ses réponses aux intervenants, le Rapporteur a exprimé à nouveau le souci de faire en sorte que la Délégation dispose du temps nécessaire pour se prononcer sur le rapport et la proposition de résolution, le texte de celle-ci ayant été adressé aux membres de la Délégation avant la réunion. Mais, compte tenu de son ordre du jour et de l'hypothèse d'un débat en séance publique, il leur semble préférable que la Délégation statue dès aujourd'hui. Enfin, le thème sera évoqué régulièrement par la Délégation, et, en tout état de cause, à l'occasion du Conseil européen de Vienne.

Soulignant sa divergence avec Mme Nicole Ameline sur l'analyse de la politique gouvernementale en matière d'emploi, M. Alain Barrau s'est dit convaincu que celle-ci n'aura pas pour effet d'isoler la France de ses partenaires européens, notre pays étant pleinement en mesure de participer de façon active aux nouvelles orientations communautaires.

Exprimant son accord avec les observations présentées par MM. Gérard Fuchs, Christian Jacob et Maurice Ligot sur le rôle moteur de la croissance dans la relance de l'emploi et sur une modification de la proposition de résolution en ce sens, M. Alain Barrau a jugé également indispensable, au regard de l'importance que revêtent aujourd'hui dans les Etats membres les phénomènes de chômage des jeunes et de chômage de longue durée, la conduite d'une politique sociale active et spécifique.

Après avoir souscrit aux observations de M. Pierre Brana sur l'importance de la formation, dont il a rappelé qu'elle figure parmi les lignes directrices pour l'emploi pour 1998 et estimé que le dispositif de la proposition de résolution pourrait être renforcé en ce sens, M. Alain Barrau a proposé aux membres de la Délégation aborder l'examen du contenu de celle-ci.

M. Christian Jacob a exprimé des réserves sur la proposition de résolution, estimant qu'elle consistait surtout à donner un satisfecit à l'action gouvernementale en matière d'emploi et se limitait à une approche sociale de la lutte contre le chômage sans évoquer la nécessité pour l'Europe de conquérir des part de marchés nouvelles.

A l'issue d'un large débat auquel ont participé Mmes Michèle Alliot-Marie et Béatrice Marre, MM. Gérard Fuchs, Pierre Brana, François Guillaume, Christian Jacob, Maurice Ligot et le Rapporteur , la Délégation a modifié le dispositif proposé par celui-ci.

A l'initiative de M. Gérard Fuchs, la cohérence du texte a été renforcée et une référence expresse au rôle du Conseil de l'Euro a été introduite. A la demande de M. Maurice Ligot et de Mme Michèle Alliot-Marie, le texte évoque l'aménagement et la réorganisation du travail plutôt que la réduction de sa durée. En outre, le dispositif de la proposition a été simplifié sur la suggestion de Mme Béatrice Marre et de M. Maurice Ligot.

Aux termes de la proposition de résolution que la Délégation a décidé de déposer par l'intermédiaire de son Rapporteur, l'Assemblée nationale :

1 - Estime urgent, sans méconnaître l'ensemble des initiatives de la Communauté lancées dans le passé, notamment le Livre Blanc « croissance, compétitivité, emploi » de M. Jacques Delors - que l'Union européenne s'attache, enfin, à lutter efficacement contre le chômage, sauf à voir une partie de nos concitoyens se désintéresser des enjeux de la construction communautaire et l'Europe perdre progressivement sa crédibilité 

2 - Observe que les politiques de stabilité monétaire et d'assainissement des finances publiques menées par les Etats membres ouvrent désormais la voie à une perspective de croissance forte et durable ;

3 - Considère, à cet égard, qu'une meilleure coordination des politiques économiques nationales, pour laquelle le Conseil de l'euro devra jouer un rôle essentiel, permettrait à l'Union européenne de connaître un taux de croissance plus élevé, dont elle a collectivement le potentiel ;

4 - Considère, cependant, que le retour d'une croissance forte et durable ne saurait, à lui seul, réduire suffisamment le niveau du chômage, alors que celui-ci touche désormais 18 millions de personnes en Europe et est à l'origine de phénomènes dramatiques de pauvreté et de précarité ;

5 - Se félicite, en conséquence, que la France ait obtenu, lors du Conseil européen extraordinaire de Luxembourg des 20 et 21 novembre dernier, un infléchissement de la politique communautaire en faveur de l'emploi et de la croissance, des engagements précis de la part des Etats membres - les « objectifs » de Luxembourg - et une procédure de surveillance multilatérale permettant de consacrer à la lutte contre le chômage la même énergie que celle déployée en faveur de la monnaie unique ;

6 - Souligne qu'au travers de l'adoption des lignes directrices pour 1998, se dessine une nouvelle approche du marché du travail, cherchant à concilier l'adaptation aux besoins de souplesse des entreprises avec la sécurité des salariés ;

7 - Note avec intérêt que les lignes directrices pour 1998 insistent sur l'urgence de lutter, de manière préventive, contre le chômage des jeunes et le chômage de longue durée, en favorisant la formation et l'insertion professionnelle, et sur la nécessité de promouvoir l'aménagement et la réorganisation du travail ;

8 - Se félicite de l'élaboration des plans nationaux d'action pour l'emploi ;

9 - Regrette, toutefois, que tous les Etats membres n'aient pas défini des objectifs quantifiés, assortis d'un calendrier précis, sur les trois lignes directrices jugées prioritaires ;

10 - Souligne la démarche constructive adoptée par le Parlement européen et la Banque européenne d'investissement pour redéployer les moyens budgétaires communautaires en faveur de l'emploi, ainsi que des efforts de la Commission européenne pour réorienter les politiques communes en faveur de l'emploi ;

11 - Rappelle que la présentation des plans nationaux d'action pour l'emploi lors du Sommet de Cardiff des 15 et 16 juin prochain ne marquera qu'une première étape dans le processus de coordination des politiques nationales de l'emploi des Etats membres et qu'il conviendra, par la suite, de veiller chaque année à la mise en oeuvre effective de ces plans et pour la première fois lors du Conseil européen de Vienne en décembre prochain ;

12 - Demande au gouvernement français d'obtenir :

_ la poursuite de l'effort entrepris pour donner un rôle dynamique au Conseil de l'euro ;

_ des garanties quant à la pérennité des crédits dégagés, à partir de 1998, par l'accord entre le Conseil et le Parlement européen dans le cadre de « l' initiative pour l'emploi » du Parlement européen ;

_ la présentation par la Commission d'une proposition de directive tendant à autoriser, à titre expérimental et sur une base volontaire, l'application d'un taux de TVA réduit aux services à forte intensité de main-d'oeuvre, tout en limitant cette dérogation, dans un souci d'économie budgétaire, à un nombre limité de secteurs, comprenant notamment les services de proximité ;

_ l'élaboration de textes communautaires reprenant les préceptes prévus par le code de bonne conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises du 1er décembre dernier, afin de lutter contre la concurrence fiscale dommageable ;

_ que la réforme des fonds structurels européens permette effectivement au Fonds social européen de servir de « bras financier » des plans nationaux d'action pour l'emploi des Etats membres, en veillant à ce que l'objectif 3 couvre l'ensemble du territoire national ;

_ la relance des quatorze projets de réseaux transeuropéens de transports jugés prioritaires lors du Conseil européen d'Essen, pour lesquels un calendrier précis, ainsi qu'un plan de financement, devraient être élaborés.