29 mai 1998

COMPTE RENDU N° 43

Réunion du jeudi 28 mai 1998 à 9 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau, Vice-Président

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    Examen de propositions d'actes communautaires soumises par le Gouvernement au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. Jean-Bernard Raimond, rapporteur d'information sur l'élargissement de l'Union européenne, a exposé le contenu des documents E 1051 et E 1069, qui sont relatifs à des propositions de règlement créant respectivement une aide communautaire à des mesures de pré-adhésion en faveur de l'agriculture et du développement rural dans les pays candidats d'Europe centrale et orientale (PECO) et un instrument structurel de pré-adhésion en leur faveur.

Le Rapporteur a indiqué que la Commission avait, en réalité, présenté trois projets de règlements au Conseil, formant un ensemble cohérent, le troisième tendant à coordonner les interventions des différents instruments financiers, à savoir le programme PHARE, l'aide à l'agriculture et l'instrument structurel.

Or, curieusement, le Gouvernement n'en a soumis que deux au Parlement au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Il en résulte que l'Assemblée nationale ne pourra examiner une proposition de résolution sur l'ensemble que constituent ces trois textes et ne pourra donc faire connaître sa position au Gouvernement. Renouvelant l'erreur commise au début de l'année en ne soumettant pas au Parlement les propositions de règlement du Conseil relatives aux partenariats pour l'adhésion, le Gouvernement a suivi un avis contestable du Conseil d'Etat qui estime que le règlement relatif à la coordination des instruments financiers ne relève pas de l'article 88-4 de la Constitution alors qu'il est indissociable des deux textes précités.

M. Jean-Bernard Raimond a indiqué que ces textes concernent les dix pays d'Europe centrale et orientale candidats mais pourront inclure, ultérieurement, Chypre et que le total de l'aide de pré-adhésion pour la période 2000-2006 devrait s'élever à 21 milliards d'écus (aux prix de 1997), se répartissant ainsi : programme PHARE : 10,5 milliards ; aide à l'agriculture : 3,5 milliards ; instrument structurel : 7 milliards.

Cette aide de pré-adhésion d'un montant global de trois milliards d'écus par an représente plus qu'un doublement du montant des aides disponibles en 1999 dans le cadre du programme PHARE.

Le Rapporteur a exposé les grandes lignes des trois propositions de règlement.

En premier lieu, l'instrument structurel de pré-adhésion (I.S.P.A.), calqué sur le Fonds de cohésion, s'applique exclusivement au financement des investissements dans les domaines de l'environnement et des transports ; il se limite aux exigences de l'acquis communautaire et aux objectifs des partenariats pour l'adhésion.

Il comporte l'obligation d'un cofinancement, qui peut être issu de la Banque européenne d'investissement (B.E.I.), de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (B.E.R.D.) et de la banque mondiale ; il prévoit, auprès de la Commission, un comité représentant les Etats membres, doté d'attributions purement consultatives. Enfin, il comporte une répartition des ressources entre les pays bénéficiaires sur la base des critères de population, de superficie, de P.I.B. par habitant en termes de pouvoir d'achat, et tient compte des déficiences spécifiques d'un pays en matière de transport et d'environnement ainsi que, en cours de période, de l'efficacité constatée dans la réalisation des projets.

En second lieu, le Fonds d'aide de pré-adhésion en faveur de l'agriculture et du développement rural a pour but, d'une part, de résoudre les problèmes prioritaires d'adaptation à long terme du secteur de l'agriculture et des zones rurales des pays candidats, d'autre part, de contribuer à la mise en oeuvre de l'acquis communautaire concernant la politique agricole commune et les politiques connexes. Il comporte une répartition de l'aide en fonction de la population agricole, de la superficie agricole, du produit intérieur brut en parité de pouvoir d'achat et de la situation territoriale spécifique ; il finance jusqu'à 75 % des dépenses publiques qui, en ce qui concerne les investissements générateurs de recettes, ne dépassent pas 50 % du coût total éligible. En aucun cas, la contribution du FEOGA ne dépasse les plafonds fixés pour les aides d'Etat concernant le taux d'aide et les cumuls. Il prévoit, auprès de la Commission, des comités de gestion représentant les Etats membres et dotés d'un pouvoir de contrôle.

Enfin, le règlement de coordination précise le champ des trois instruments financiers et rappelle que le programme Phare se concentre sur deux priorités essentielles liées à la reprise de l'acquis communautaire : d'une part, le renforcement de la capacité administrative et institutionnelle des pays candidats à l'adhésion, d'autre part les investissements, à l'exception de ceux financés par les deux fonds d'assistance agricole et structurel.

Toutefois, afin d'éviter qu'une répartition trop rigide ne bloque les décisions, les investissements liés à l'environnement et aux transports, indispensables à la réalisation de programmes intégrés de restructuration industrielle et de développement régional et rural, pourront également être financés par le programme Phare.

La Commission est assistée par un comité de coordination composé de représentants des Etats membres, qui n'a qu'un rôle consultatif.

Pour le Rapporteur, le dispositif proposé appelle une clarification des questions précédemment évoquées par la Délégation sur l'appréciation des besoins des pays d'Europe centrale et orientale dans la perspective de l'élargissement et l'adaptation des moyens prévus par l'Union pour les aider à combler l'écart. A cet effet, M. Jean-Bernard Raimond a formulé trois questions.

Première question : l'aide de pré-adhésion est-elle globalement suffisante pour répondre aux besoins de l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale ?

Il a, en effet, rappelé les chiffres suivants :

- le P.I.B. par habitant représente, dans l'ensemble des dix pays d'Europe centrale et orientale, 32 % de la moyenne de l'Union européenne ;

- les quatre Etats membres bénéficiant du fonds de cohésion (Espagne, Portugal, Irlande, Grèce) se situent entre 93 % et 66 % de la moyenne de l'Union. Pour la période 1994-1999, le fonds de cohésion s'est élevé à 15 milliards d'écus et la Commission propose, pour la période 2000-2006, de maintenir ces quatre Etats éligibles au fonds de cohésion, qui serait doté de 20 milliards d'écus, sachant que les actions seront étendues aux nouveaux bénéficiaires au fur et à mesure de leur adhésion ;

- les besoins des pays d'Europe centrale et orientale en investissements structurels sont très approximativement évalués par la Commission à un montant compris entre 150 et 190 milliards d'écus, dans les seuls domaines de l'environnement et des transports et en vue d'une simple reprise de l'acquis communautaire.

M. Jean-Bernard Raimond a souligné que son rapport n'avait pas pour objet de prendre parti sur la légitimité et le montant des aides de cohésion aux quatre Etats membres, mais seulement de souligner l'insuffisance de l'aide de pré-adhésion par rapport aux besoins des pays d'Europe centrale et orientale, que révèle notamment le décalage de la dotation de l'I.S.P.A. en comparaison de celle du fonds de cohésion.

Comment peut-on raisonnablement penser qu'il est suffisant de consacrer 7 milliards d'écus à l'environnement et aux transports dans dix pays d'Europe centrale et orientale dont le P.I.B. représente 32 % de la moyenne de celui de l'Union, pour des besoins minimaux de 150 à 190 milliards d'écus, alors que la Commission propose de consacrer près de 20 milliards d'écus aux quatre Etats membres de la cohésion, dont le P.I.B. représente pourtant 66 à 93 % de celui de la moyenne communautaire ?

L'agriculture soulève les mêmes interrogations. Ce secteur représente 2,4 % de la valeur ajoutée totale et 5,3 % de l'emploi dans l'Union européenne, contre 8,6 % et 22,5 % dans l'ensemble des dix pays d'Europe centrale et orientale, tandis que la population active agricole des PECO s'élève encore à 9,5 millions de personnes.

L'ampleur des écarts en ce domaine et celle des efforts de restructuration à accomplir incitent à penser que les 3,5 milliards d'écus d'aide à l'agriculture pour 2000-2006 ne sont pas beaucoup plus qu'une goutte d'eau face à l'océan des besoins.

Deuxième question : la réorientation de l'aide de pré-adhésion vers la reprise de l'acquis communautaire ne conduit-elle pas à négliger d'autres besoins essentiels, relevant ou non des politiques communautaires ?

Le programme Phare ne pourra prendre en charge le secteur des ressources humaines et du renforcement de la formation et de la qualification de la main d'oeuvre, puisqu'il est concentré sur la reprise de l'acquis communautaire et que les droits sociaux et la politique de l'emploi en sont absents.

Or, les rattrapages dans les domaines social et de la formation professionnelle ne sont pas moins importants que dans les secteurs de l'environnement et des transports, si l'on veut éviter de voir les nouveaux adhérents se spécialiser en zones de travail peu qualifié à bas salaires, propices aux délocalisations. Il n'est pas interdit de se demander pourquoi la Commission propose de créer, dans le domaine de l'environnement et des transports, un instrument distinct du programme Phare, dont l'objet est précisément le financement des investissements liés à la reprise de ces acquis : on aurait mieux compris la création d'un instrument spécifique pour l'aide au renforcement de la qualification de la main-d'oeuvre.

S'agissant de l'environnement, le chiffrage des besoins à 100 milliards d'écus ne se rapporte qu'aux investissements nécessaires au respect de l'acquis communautaire, mais ne couvre pas les améliorations de l'environnement non soumises à une législation communautaire.

Les instruments financiers semblent se faire concurrence sur la reprise de l'acquis, tandis que d'autres besoins ne sont traités par aucun d'entre eux.

Par ailleurs, il ne faudra guère compter sur un cofinancement de ces investissements par les institutions financières internationales, comme le montre le débat au sein de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (B.E.R.D.), entre les Européens et les autres actionnaires, Américains en tête, sur le point de savoir si l'institution doit ou non se désengager progressivement des PECO et réorienter ses interventions vers les nouveaux Etats indépendants.

Troisième question : l'aide de pré-adhésion sera-t-elle bien orientée, pour éviter toute contradiction avec les politiques communes ?

Cette question se pose particulièrement dans le secteur de l'agriculture : le projet de règlement sur l'aide en faveur de l'agriculture couvre un champ très vaste, allant des actions de renforcement institutionnel aux investissements, en concurrence avec le programme Phare, mais il ne précise pas les actions de développement rural à financer, ni le type d'investissements à soutenir en priorité.

Il est donc à craindre qu'une définition trop extensive du développement rural n'amène le fonds d'aide agricole à prendre en charge des dépenses sans lien avec l'agriculture et qui devraient relever du programme général Phare. Il serait également préoccupant que le soutien des investissements soit orienté vers le développement des capacités de production dans les PECO, alors qu'elles sont très encadrées dans l'Union, et que ces pays soient soumis à des incitations contradictoires avant et après l'adhésion.

Le Gouvernement propose de définir de façon précise le type d'investissements éligibles aux financements et, s'agissant des investissements dans les exploitations agricoles, de veiller à la cohérence des actions menées dans ce cadre avec les grands principes de la politique agricole commune. En particulier, les investissements autorisés aux PECO ne devront pas entraîner de distorsions de concurrence, grâce à une définition et à un encadrement de ces aides.

Le Rapporteur a enfin souligné la nécessité d'améliorer les procédures et les modalités techniques et de prévoir, en particulier : la mise en place de comités de gestion, au lieu de comités consultatifs, pour la coordination et les aides structurelles ; la présentation au comité de coordination d'un programme indicatif annuel par pays pour que les Etats membres puissent contrôler l'affectation des crédits entre les trois instruments ; une définition plus précise des taux de la contribution communautaire en matière agricole ; une imputation du financement des aides de pré-adhésion sur le budget communautaire qui, quelle que soit la solution adoptée, doit respecter le principe de double programmation financière pour distinguer clairement les crédits consacrés aux Etats membres et les dotations prévues pour les pays candidats.

M. Jean-Bernard Raimond a soumis à la Délégation des conclusions reprenant l'essentiel de ses observations.

L'exposé du Rapporteur a été suivi d'un large débat.

M. Alain Barrau a déploré, comme le Rapporteur, que la Délégation se trouve à nouveau dans l'impossibilité de déposer une proposition de résolution sur des propositions d'actes communautaires revêtant une importance aussi grande. Il a jugé cette situation d'autant plus absurde que le Parlement est appelé à intervenir tout au long du processus d'élargissement.

M. François Guillaume a approuvé les conclusions proposées par le Rapporteur. S'il est vrai que l'existence de trois structures d'aide financière n'est pas de nature à faciliter les choses et nécessite une coordination, le programme PHARE ne répond sans doute pas aux attentes de nos partenaires et ne bénéficie pas de financements appropriés. La question essentielle demeure néanmoins celle de l'insuffisance des crédits de pré-adhésion dans un contexte où plusieurs Etats membres refusent d'accroître leur contribution budgétaire.

En ce qui concerne le fonds de cohésion, on peut se demander s'il correspond à l'objectif qui lui a été fixé, dès lors qu'un pays comme la Grèce, membre de la Communauté depuis 1981, atteint seulement 66 % de la moyenne du P.I.B. communautaire. Quant à l'Irlande, dont le P.I.B. a atteint 93 % de cette moyenne, ne devrait-elle pas être exclue du bénéfice du Fonds ? Soulignant que ces Etats semblent privilégiés par rapport aux pays candidats, M. François Guillaume a souhaité que ce « partage de la pénurie » soit évoqué dans les conclusions.

Mme Nicole Ameline, après avoir exprimé le souhait que les parlements nationaux puissent jouer pleinement leur rôle sur un sujet aussi central, a estimé que ce débat porte en réalité sur la mise en oeuvre du « paquet Santer » : les Quinze n'échapperont pas à l'épreuve de vérité sur le degré réel de solidarité qu'ils marqueront envers les pays d'Europe centrale et orientale. Le paquet Santer relève de la quadrature du cercle, puisqu'il envisage de tout faire à budget constant ; cette approche ne pourra être maintenue, les pays candidats ne pourront rejoindre que progressivement le niveau de développement de l'Union européenne et il conviendra de faire preuve de vigilance quant à la nature des aides et à l'affectation des crédits, qui doivent être une incitation à l'investissement.

A propos du programme PHARE, Mme Nicole Ameline a regretté que la France ne semble pas avoir défini, à la différence de l'Allemagne, de politique d'ensemble en matière d'aide à la capacité administrative et institutionnelle des Etats candidats, mais se borne à réaliser des actions ponctuelles.

M. Gérard Fuchs a jugé que l'élargissement ne pourra se dérouler au rythme prévu, pour des raisons de caractère technique, économique et financier. Etablissant une comparaison avec l'intégration des Länder de l'est, il a rappelé que la situation réelle de la R.D.A. était plus mauvaise qu'on ne l'imaginait au moment de la réunification allemande et que les sommes qui lui ont été consacrées sont sans commune mesure avec celles prévues pour les pays candidats. En outre, le débat politique sur l'élargissement s'ordonnera autour de la question de la réforme institutionnelle : si la France parvient à entraîner ses partenaires sur la voie d'une réforme substantielle avant l'élargissement, les discussions techniques auront des chances d'aboutir ; dans le cas contraire, les solutions à apporter seront beaucoup plus étalées dans le temps.

M. Jean-Bernard Raimond a souligné, pour relativiser la comparaison avec la réunification allemande, que celle-ci a reposé sur des décisions qu'il a qualifiées de géniales, du Chancelier Kohl, comme celle de la parité entre la monnaie est-allemande et le deutschemark, dont les aspects politiques l'emportaient sur toute autre considération. Mais il est vrai que cette réunification a constitué le premier élargissement. Il est exact que la réforme institutionnelle est le problème fondamental, qui conditionne tout le reste, et que l'Europe ne saurait continuer sur la voie engagée en 1995 et poursuivie avec le Traité d'Amsterdam.

M. Maurice Ligot a estimé que, si l'écart entre les aides de pré-adhésion et les aides aux Etats membres actuels peut, à première vue, sembler choquant, cette contradiction n'est cependant pas dépourvue de toute justification : il faut tenir compte de la faible capacité d'absorption de financements externes par des pays à bas niveau de vie, car l'octroi d'une masse énorme de crédits créerait tout sorte de problèmes politiques et économiques ; les aides actuelles, même si elles sont insuffisantes par rapport aux besoins, correspondent à cette capacité d'absorption. De surcroît, il ne faut pas perdre de vue les exigences résultant du principe de l'additionnalité des crédits, surtout dans un contexte où la B.E.R.D. envisage de ne plus aider les pays d'Europe centrale et orientale.

S'agissant de l'application de l'article 88-4 de la Constitution, il a jugé surprenante la discrimination opérée par le Gouvernement entre des textes constituant un dispositif homogène.

M. Pierre Lequiller a souligné, quant à lui, que l'effort envisagé pour la pré-adhésion était très largement en deçà de ce qu'il faudrait faire ; une éventuelle réorientation vers les PECO des aides actuellement accordées aux quatre Etats membres dits de la cohésion n'y suffirait pas non plus.

M. François Loncle a également estimé que le problème essentiel était de nature budgétaire : on ne peut à la fois s'accrocher au plafond des ressources propres de 1,27 % du P.I.B. et poursuivre l'objectif de l'Europe-puissance, par opposition à l'Europe-espace, qui se limiterait à une zone de libre-échange ouverte aux Etats-Unis et à la mondialisation. Il s'est prononcé clairement en faveur d'une Europe-puissance, ce qui exige une réforme des institution et la mise en oeuvre d'une véritable politique étrangère et de sécurité communes. Ces choix doivent être clairement indiqués aux pays candidats.

M. Yves Dauge a reconnu l'importance des problèmes budgétaires dans les prochains élargissements, et admis que l'on devait être vigilant sur le montant et la nature des investissements, soulignant les gaspillages auxquels avait donné lieu le programme MEDA. Il s'est interrogé sur le type de développement que l'Europe voulait promouvoir dans les pays d'Europe centrale et orientale. M. Yves Dauge s'est prononcé en faveur d'une démarche en deux temps consistant à admettre le cadrage budgétaire actuel pendant cinq ans - sur lequel il serait en effet très difficile de revenir - et à demander un « changement de vitesse » au delà de cette période.

M. Alain Barrau, partageant le point de vue de M. François Loncle, a souligné le choix politique considérable qui doit être fait entre une Europe-puissance et l'acceptation d'une mondialisation dans laquelle l'Europe ne serait qu'une zone de libre-échange. Il lui paraît donc nécessaire que l'Europe réaffirme, étape après étape, son identité, ses références, ses politiques, son budget et ses institutions. Il a jugé irréaliste l'exercice consistant à vouloir simultanément maintenir les politiques communes, en développer de nouvelles, notamment en faveur de l'emploi, réaliser l'élargissement et rester dans la limite du plafond des ressources propres de 1,27 % du P.I.B., limite qui lui paraît, en tout état de cause, incompatible avec la réalisation d'une Europe-puissance.

M. Jacques Myard a fait ressortir les incidences sur la construction européenne de l'élargissement et de la mondialisation. Les règles de l'Organisation mondiale du commerce sont directement contraires aux politiques communautaires, situation aggravée par les attaques incessantes des Etats-Unis contre la politique agricole commune. Minoritaire sur ces questions au sein du Conseil, la France va se trouver dans une situation très inconfortable. Quant à l'élargissement, les problèmes qu'il suscitera ne lui paraissent pas résider principalement dans

la répartition des fonds structurels mais plutôt dans le domaine de l'environnement.

M. Maurice Ligot a souligné que l'existence même d'un prélèvement dans le budget des Etats membres en faveur du budget communautaire, qui permet de financer les politiques communes, était le signe que l'Union européenne ne pouvait être réduite à une zone de libre échange. Au surplus, ce prélèvement, étant fixé en fonction du P.I.B. communautaire, augmentera en proportion de celui-ci : une croissance économique de 3 % par an pendant cinq ans procurera un surcroît de ressources de l'ordre de 20 % au budget communautaire. Il a récusé l'argument selon lequel les opposants au dépassement du plafond de 1,27 % seraient des partisans de la transformation de l'Union européenne en zone de libre échange.

Il a enfin souhaité que l'élargissement de l'Union européenne n'entraîne pas une aggravation des prélèvements fiscaux, qui casserait la reprise de la croissance des Etats membres.

M. Pierre Lequiller a estimé que les conclusions présentées par la Délégation devaient souligner le caractère manifestement sous-évalué des besoins générés par l'élargissement et de l'aide apportée par l'Union européenne.

M. François Guillaume a exprimé son accord avec cette position, estimant par ailleurs nécessaire que les conclusions évoquent le redéploiement des fonds structurels au profit des PECO pour pallier l'insuffisance des crédits qui leurs sont destinés.

M. Jean-Bernard Raimond s'est déclaré sensible à la crainte exprimée par M. Maurice Ligot qu'une augmentation trop forte de l'aide en faveur des pays candidats ne puisse être aisément absorbée, dans un premier temps, par ceux-ci et n'aboutisse à d'éventuels gaspillages.

M. Gérard Fuchs a admis que la reprise de la croissance permettrait de dégager de recettes supplémentaires en faveur du budget communautaire, tout en précisant que ces nouvelles marges de manoeuvre seraient insuffisantes : on sait qu'une somme représentant 0,4 % ou 0,5 % du P.I.B. communautaire serait nécessaire pour obtenir un effet macro-économique ; or, l'augmentation de la marge résultant de la croissance représente tout au plus 0,1 %.

A l'issue de ce débat, les conclusions suivantes ont été adoptées :

« La Délégation (...)

Considérant que les deux premiers textes créent deux instruments financiers spécifiques pour l'agriculture et les interventions structurelles, afin de compléter les aides de pré-adhésion du programme PHARE ; que, sur une enveloppe globale de 21 milliards d'écus prévue pour la période 2000-2006, l'instrument agricole serait doté de 3,5 milliards d'écus pour aider à la restructuration d'une agriculture comptant 9,5 millions de personnes actives et représentant 22,5 % de l'emploi dans les dix pays candidats d'Europe centrale et orientale, et l'instrument structurel serait doté de 7 milliards d'écus pour financer des projets d'investissement en matière d'environnement et d'infrastructures de transport dans ces pays, dont le P.I.B. représente 32 % de la moyenne de celui de l'Union européenne, pour des besoins minimaux se situant entre 150 et 190 milliards d'écus dans ces deux domaines ;

Considérant que le troisième texte a pour objet d'organiser la coordination des interventions entre les trois instruments financiers mentionnés ci-dessus afin d'assurer leur cohérence et d'éviter les doubles emplois ;

Considérant que ces propositions ne sont pas détachables et forment un ensemble justifiant un examen conjoint ;

Considérant que la création de ces dispositifs nécessite le recours à la procédure d'extension des compétences communautaires prévue par l'article 235 du Traité instituant la Communauté européenne, exigeant une décision du Conseil à l'unanimité après consultation du Parlement européen ;

Considérant que, dans ses conclusions adoptées le 5 mars 1998, la Délégation a regretté la décision du Gouvernement de ne pas soumettre au Parlement, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, les textes relatifs aux partenariats pour l'adhésion et lui a demandé de mettre en oeuvre, à l'avenir, l'engagement pris par le ministre délégué chargé des affaires européennes, devant la Délégation, le 20 novembre 1997, de lui communiquer, conformément à la Constitution, l'ensemble des propositions de textes qui faisaient suite à la communication « Agenda 2000 » ;

Considérant qu'il apparaît mal fondé que le Parlement soit déclaré incompétent pour examiner un texte relatif à la coordination de dispositifs devant constituer le pivot de la stratégie de pré-adhésion pour la décennie à venir ;

1. Regrette que ni les commissions permanentes ni l'Assemblée nationale n'aient pu débattre, sur la base d'une proposition de résolution juridiquement incontestable, de la stratégie de pré-adhésion renforcée en faveur de onze pays candidats et de 105 millions d'Européens, parce qu'à deux reprises le Gouvernement a adopté, sur ce sujet fondamental, une vision réductrice de l'article 88-4 de la Constitution ;

2. S'inquiète de la sous-évaluation manifeste des besoins et doute que l'aide de pré-adhésion soit globalement suffisante pour répondre aux besoins d'un élargissement à terme rapproché, en dépit de son augmentation substantielle à compter de l'an 2000 ;

3. Craint qu'une réorientation trop exclusive de l'aide de pré-adhésion vers la reprise de l'acquis communautaire ne conduise à négliger d'autres besoins essentiels, relevant ou non des politiques communautaires ;

4. S'interroge sur l'utilité de créer un instrument structurel pour aider les pays candidats à intégrer l'acquis communautaire dans les secteurs des transports et de l'environnement, alors que le programme PHARE a pour objet de financer les investissements liés à la reprise de ces acquis ;

5. Constate, en revanche, que les droits sociaux et la politique de l'emploi et de la formation professionnelle ne pourront être pris en compte, comme ne faisant pas partie des acquis communautaires, et souligne que la création d'un instrument spécifique pour l'aide au renforcement de la qualification de la main d'oeuvre aurait été très utile pour éviter le risque de spécialisation des pays candidats en zones de travail peu qualifié à bas salaire, propices aux délocalisations ;

6. Souhaite que l'aide de pré-adhésion soit bien orientée, pour ne pas entrer en contradiction avec les politiques communes que les pays candidats devront appliquer après leur adhésion ;

7. Demande en particulier que le règlement de pré-adhésion agricole définisse le type d'investissements éligibles aux financements, de façon à assurer la cohérence des aides avec les grands principes de la politique agricole commune et à éviter des distorsions de concurrence au niveau des exploitations, et précise la notion de développement rural, pour qu'elle ne s'étende pas à des dépenses sans aucun lien avec l'agriculture ;

8. Demande une amélioration des procédures et des modalités techniques, en particulier : la mise en place de comités de gestion, au lieu de comités consultatifs, pour la coordination et les aides structurelles ; la présentation au comité de coordination d'un programme indicatif annuel par pays ; une définition plus précise des taux de la contribution communautaire en matière agricole ; une imputation du financement des aides de pré-adhésion sur le budget communautaire qui, quelle que soit la solution adoptée, doit respecter le principe de double programmation financière pour distinguer clairement les crédits consacrés aux Etats membres et les dotations prévues pour les pays candidats. »

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Sur le rapport de M. Alain Barrau, la Délégation a décidé que les documents suivants n'appelaient pas, en l'état actuel de ses informations, un examen plus approfondi : E 979 (proposition de directive du Conseil relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l'intérieur de l'Union européenne) ; E 1059 (proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide financière exceptionnelle à l'Azerbaïdjan) ; E 1060 (diverses mesures relatives au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers) ; E 1064 (modifications de la liste des produits dont l'importation s'effectue à droit nul ou réduit) ; E 1066 (modifications de la liste des suspensions tarifaires pour certains produits qui ne sont plus fabriqués dans la Communauté européenne).

Le Rapporteur a présenté le document E 1067 (proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales). Ce texte comporte un ensemble de mesures s'appliquant aux transactions commerciales entre entreprises et entre celles-ci et le secteur public ; elle fixe un cadre juridique tendant à dissuader le paiement hors délais, à permettre une indemnisation adéquate des créanciers lorsqu'ils sont payés tardivement et à mettre en place des procédures accélérées de recouvrement de créances ; des mesures spécifiques sont par ailleurs prévues pour améliorer les pratiques des administrations publiques. Sur proposition du Rapporteur, la Délégation a décidé de réserver sa position dans l'attente d'un stade plus avancé de l'examen de ce texte et des résultats de la concertation lancée par le ministre le l'économie et des finances auprès de l'observatoire des délais de paiement.

La Délégation a ensuite pris acte de la transmission du document E 1070 (recommandation de la Commission relative à une recommandation du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en Grèce).

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Suppléant M. Jean-Claude Lefort, rapporteur d'information sur les relations économiques entre l'Union européenne et les Etats-Unis, M. Alain Barrau a présenté les documents E 920 et E 1058, relatifs à des projets d'accords entre les Communautés européennes et le Gouvernement des Etats-Unis, traitant respectivement de la mise en oeuvre de principes de courtoisie active dans l'application de leurs règles de concurrence et de la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité.

S'agissant d'abord du document E 920, le Rapporteur a rappelé qu'il avait fait l'objet d'un premier examen le 18 septembre 1997, à la suite duquel la Délégation avait décidé de confier à M. Jean-Claude Lefort le soin d'approfondir son information sur le thème plus général des « relations économiques entre l'Union européenne et les Etats-Unis ».

Or, la proposition de décision doit être examinée par le COREPER le 28 mai 1998 en vue de son adoption par le Conseil le 29 mai et de la conclusion de l'accord le 4 juin 1998. Pour cette raison, la Délégation doit prendre position sur ce texte sans attendre la présentation du rapport d'information.

La « courtoisie active » consiste à permettre à une partie affectée par un acte anticoncurrentiel commis sur le territoire de l'autre partie de demander aux autorités de la concurrence de cette dernière de prendre les mesures appropriées. Ce principe, qui a été introduit dans les relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis par l'article V de l'accord du 23 septembre 1991, est renforcé par le projet d'accord, pour la négociation duquel la Commission a reçu un mandat du Conseil le 25 octobre 1996.

Ce projet est regardé par la Commission comme « un grand progrès » par rapport à l'accord de 1991. En effet, non seulement il précise la procédure d'examen des demandes de courtoisie active, mais il suppose aussi que, sous certaines conditions, les parties ajournent ou suspendent leurs propres mesures d'application. La Commission estime que, par ce biais, ce projet d'accord constitue un engagement politique de la part des Etats-Unis de coopérer avec elle plutôt que de chercher à procéder à l'application extraterritoriale de leur législation antitrusts.

Après avoir indiqué que la France était favorable à ce texte, qui présente l'avantage d'obliger les Etats-Unis de demander à la Commission de faire cesser des pratiques anticoncurrentielles plutôt que de procéder directement à des enquêtes en France, le Rapporteur en a souligné les limites ; les concentrations sont exclues du champ d'application du projet d'accord ; celui-ci ne règle qu'une infime partie des problèmes économiques transatlantiques. Ainsi est-il douteux que ce projet d'accord incite les Etats-Unis à se départir de leur propension à édicter des législations extraterritoriales. Enfin, il est surprenant que la conclusion d'un tel accord puisse avoir lieu à un moment où un groupe de travail de l'O.M.C. réfléchit sur la multilatéralisation des règles de concurrence.

Pour ces raisons, le Rapporteur a exprimé des réserves sur l'opportunité pour la Communauté européenne de conclure, en l'état, un tel accord avec les Etats-Unis et a proposé à la Délégation d'adopter un texte demandant au Gouvernement le report de la conclusion de l'accord.

Présentant ensuite le document E 1058, dont l'adoption devrait intervenir lors de l'un des premiers Conseils du mois de juin, le Rapporteur a rappelé que la Commission et le gouvernement américain avaient paraphé, en juin 1997, un accord de reconnaissance mutuelle (A.R.M.) en matière d'évaluation de la conformité, qui vise non pas à une harmonisation des normes mais seulement à une reconnaissance des procédures de certification. Grâce à l'A.R.M., un produit testé et approuvé en Europe comme étant conforme aux normes de qualité et de sécurité communautaires sera automatiquement présenté à la vente aux Etats-Unis sans devoir subir les procédures de certification américaines. Cet accord permettra de réduire sensiblement les délais nécessaires au lancement de nouveaux produits (téléphones mobiles, ordinateurs, médicaments, systèmes de tomographie, etc ...). Réciproquement, les entreprises américaines pourront vendre directement sur le marché européen les produits conformes à ces exigences de sécurité et de qualité.

Un accord similaire a également été paraphé avec le Canada, en juin 1997, qui couvre les mêmes secteurs que l'accord avec les Etats-Unis et représente des échanges bilatéraux d'environ 5 milliards de dollars, contre 40 milliards de dollars dans le cas de l'accord euro-américain. Les négociations avec les Etats-Unis et le Canada ont duré près de trois ans.

Le Rapporteur a fait observer que, tout en reconnaissant que l'A.R.M. négocié avec les Etats-Unis est incomplet et à certains égards déséquilibré, le Gouvernement avait néanmoins conclu à son acceptation. Il a relevé, en particulier que l'Union européenne n'avait pas réussi à faire reconnaître par le projet d'accord les exigences des associations privées américaines de certification alors que celles-ci exercent, dans certains cas, un contrôle de conformité.

Les Gouvernements des autres Etats membres sont favorables au principe de cet accord car il rééquilibre, même partiellement, les procédures de part et d'autre de l'Atlantique. Les industriels européens connaîtront sans doute moins de difficulté à exporter sur le marché américain dans les cas où il pourront faire reconnaître la certification communautaire de leurs produits.

En conclusion, le Rapporteur a insisté sur le caractère partiel et relatif de cet accord et sur la nécessité, pour la Commission, de se départir de cette attitude de « meilleur élève de la classe » désireux, vis-à-vis des Etats-Unis, de donner l'exemple, alors que l'Europe est engagée dans une sorte de guerre économique. Compte tenu de ces observations, il a proposé à la Délégation d'adopter les conclusions communes aux documents E 920 et E 1058 tendant au report de la conclusion de ces accords.

A l'issue d'un débat auquel ont participé Mme Michèle Alliot-Marie et MM. Jacques Myard, Gérard Fuchs et Maurice Ligot, les conclusions suivantes ont été adoptées :

« La Délégation,

1.  Regrette, s'agissant de la proposition d'acte communautaire n° E 920, que, tout en contribuant au renforcement de la coopération entre l'Union européenne et les Etats-Unis, dans leur lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, le projet d'accord exclue les concentrations de son champ d'application (article II § 4) ;

2. Estime que la portée réelle de ces projets d'accords ne peut être appréciée que dans le contexte plus général des relations économiques transatlantiques, qui demeurent caractérisées à la fois par la propension des Etats-Unis à édicter des mesures extraterritoriales et par un net déséquilibre, dans plusieurs domaines, en défaveur de l'Union européenne ;

3. Constate que la conclusion de ces accords risque d'intervenir avant même que ne soient achevées les réflexions sur l'opportunité d'instituer la multilatéralisation des règles de concurrence ;

4. Demande au Gouvernement de se prononcer en faveur du report de la décision du Conseil sur ces deux projets d'accords, dont l'équilibre est essentiel aux relations économiques entre l'Union européenne et les Etats-Unis, jusqu'au terme de ces réflexions. »

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