DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 78

Réunion du jeudi 20 mai 1999 à 9 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau

I. Rapport d'information sur les propositions de directives relatives aux chemins de fer communautaires (E 1163) (Rapporteur : M. Didier Boulaud)

Présentant les propositions de directive - désignées sous le terme de « paquet infrastructures » - qui ont pour objet, selon la Commission, de revitaliser le rail, le Rapporteur a montré que ces textes avaient en réalité pour objet la libéralisation totale des chemins de fer - qu'il récuse  - comparable à celle intervenue dans les transports routier, aérien et maritime ou les télécommunications.

Avant d'exposer les motifs de son opposition à cette réforme, le Rapporteur a évoqué le contexte dans lequel elle prend place. Il s'agit en premier lieu du déclin du rail, marqué par la diminution continue, au profit de la route, de ses parts de marché dans le transport de voyageurs et de marchandises. Le trafic voyageurs stagne, tandis que l'écart entre le fret routier et ferroviaire n'a cessé de s'accroître : en 1995, le premier représente 1,388 milliard de tonnes, le second 125,5 millions ; avec des parts de marché de 23 % environ pour le fret ferroviaire, la France enregistre toutefois l'un des taux les plus élevés d'Europe.

Le rail a souffert de la crise des charbonnages et de la sidérurgie, clients traditionnels du fret ferroviaire, ainsi que d'une politique très favorable au transport routier, qui s'est imposé comme le mode de transport dominant ; tandis que l'on construit des autoroutes, on ferme des lignes ferroviaires. De surcroît, les progrès de productivité réalisés par le transport routier lui ont permis de baisser ses prix et de capter une part du trafic des produits manufacturés. La part du transport postal effectué par la route a ainsi presque doublé entre 1975 et 1997, alors que celle du transport par chemin de fer a été ramenée de 48 % à 1,3 %.

Les entreprises ferroviaires, de leur côté, ne semblent pas avoir employé tous les moyens pour enrayer le déclin du rail. Car, malgré l'invention du TGV et de l'ICE, les entreprises ferroviaires n'ont pas su développer une coopération comparable à celle réalisée dans le cadre d'Airbus ni promouvoir l'interopérabilité des réseaux.

Le deuxième élément du contexte est celui du consensus en faveur du rail, fondé sur des raisons tenant à la fois à la sécurité, à la protection de l'environnement et aux atouts économiques du train pour le transport de voyageurs sur moyenne et longue distance - en particulier grâce au TGV - le transport suburbain de voyageurs dans le cadre de la desserte de grandes agglomérations et le transport de marchandises entre les zones industrielles et portuaires.

Face à cette situation, la Commission européenne préconise des mesures qui tendent à ouvrir totalement les entreprises ferroviaires à la concurrence.

La Commission a estimé que le cadre fixé par l'article 10 de la directive 91/440 ne permettait pas à lui seul de favoriser une telle concurrence, même s'il a ouvert une brèche dans le monopole en reconnaissant des droits d'accès et de transit aux regroupements d'entreprises ferroviaires effectuant des services de transport internationaux ou exploitant des services de transports combinés internationaux de marchandises. Dans une communication de juillet 1995, elle préconisait déjà d'étendre les droits d'accès à tous les services de fret, aussi bien nationaux qu'internationaux et aux services de transport de personnes internationaux, alors même que de nombreux Etats membres n'avaient pas entamé le processus de transposition de la directive 91/440 et que le Conseil venait tout juste d'adopter les deux textes d'application de cette directive, à savoir la directive 95/18 relative aux licences des entreprises ferroviaires et la directive 95/19 concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la perception de redevances d'utilisation de l'infrastructure.

Il est vrai que plusieurs Etats membres ont décidé d'aller au-delà de la directive 91/440, en ouvrant leurs transports régionaux à la concurrence : c'est le cas en Allemagne, où les Länder assurent la gestion de ces transports et reçoivent une subvention annuelle qui atteint actuellement 15 milliards de DM, soit environ 50 milliards de francs ; dans le cadre de leurs nouvelles compétences, les Länder ont la possibilité de confier l'organisation du transport soit à la Deutsche Bahn, soit à un autre opérateur sélectionné à l'issue d'un appel d'offres. Aux Pays-Bas également, la gestion de lignes de proximité a été confiée à des opérateurs privés, tels que Lovairs Rail, filiale du groupe Vivendi, tandis que l'exploitation des grandes lignes et des lignes déficitaires relève de la compagnie nationale.

Mais on ne peut reprocher à la France de ne pas avoir mis en _uvre de tels objectifs, qui vont au-delà de la directive 91/440, texte que la France a transposé correctement. De surcroît, la séparation de la S.N.C.F. et de R.F.F. en deux entités distinctes excède la simple séparation comptable exigée par ladite directive entre l'exploitant et le gestionnaire de l'infrastructure. En outre, la France est moins protectionniste que certains de ses partenaires, puisque la S.N.C.F. accepte que les conducteurs de train italiens aillent jusqu'à Ambérieu, alors que l'Italie refuse que ceux de la S.N.C.F. aillent jusqu'à Turin.

Quoi qu'il en soit, la Commission se fonde sur l'incapacité du cadre instauré par la directive 91/440 à susciter une réelle concurrence pour proposer un véritable bouleversement de l'organisation des entreprises ferroviaires. En vue de garantir, selon elle, un traitement équitable et non discriminatoire de toutes les entreprises ferroviaires, elle introduit la notion de « candidat autorisé » : il s'agirait d'entreprises ferroviaires, de chargeurs, et même de collectivités territoriales pour des services publics de transport local ou régional. Or, ces candidats autorisés auront désormais la possibilité d'accéder aux sillons, faculté aujourd'hui réservée aux entreprises ferroviaires détentrices d'une licence et exercée dans le cadre des droits d'accès et de transit prévus à l'article 10 de la directive 91/440. En revanche, le droit de faire circuler des trains demeurerait du ressort exclusif des entreprises ferroviaires, en raison des contraintes techniques et de sécurité qu'elles sont seules à pouvoir maîtriser.

Le dispositif ainsi proposé aboutirait, selon le Rapporteur, à une libéralisation complète du marché ferroviaire. En effet, tous les sillons seraient accessibles à tous les demandeurs autorisés, dans les secteurs fret et voyageurs, pour des trains nationaux ou internationaux. Quant aux entreprises ferroviaires, elles seraient très vraisemblablement contraintes de fournir les prestations de transport aux candidats autorisés, sauf à commettre un abus de position dominante.

La Commission propose divers mécanismes de régulation - pour la sécurité, l'octroi des licences et l'attribution des capacités d'infrastructures - destinés à garantir le fonctionnement équitable et non discriminatoire des entreprises ferroviaires, mais qui risquent, en réalité, d'entraîner une fragmentation de leur organisation.

La Commission fonde une utilisation efficace et compétitive de l'infrastructure sur un encadrement de l'attribution des sillons et la tarification au coût marginal. Toutefois, le dispositif proposé par la Commission est très complexe et ne traite pas le problème fondamental des distorsions de concurrence entre le rail et la route.

Opposé à la logique défendue par la Commission, le Rapporteur a montré que celle-ci n'avait pas démontré la validité du postulat selon lequel la revitalisation du rail serait subordonnée à l'ouverture totale de la concurrence intramodale. Le rail est confronté depuis longtemps à des distorsions de concurrence avec la route, sans que des mesures d'harmonisation ne soient intervenues pour y porter remède. Cette libéralisation sans harmonisation est d'autant plus contestable que les exigences de privatisation du rail ont conduit à des dérives, comme le montre notamment l'exemple de la Grande-Bretagne.

Au surplus, le « paquet infrastructures », élaboré sans bilan préalable de l'application de la directive 91/440, ne tient pas compte des expériences nationales, ne s'inscrit pas dans une perspective intermodale et risque de compromettre à la fois la coopération entre les entreprises ferroviaires et le redressement financier qu'elles ont entamé. La seule concurrence entre les entreprises ferroviaires n'aura pas pour effet de permettre le transfert d'une part significative du fret de la route vers le rail et le transport routier continuera de capter une part importante du transport de marchandises dans les 25 ans à venir.

Pour toutes ces raisons, le Rapporteur a conclu au rejet de textes qu'il a jugés contraires aux intérêts de l'Europe ferroviaire et à l'avènement du service public ferroviaire européen qu'il appelle de ses v_ux.

Intervenant après l'exposé du Rapporteur, dont il a déclaré partager l'analyse, M. Daniel Paul a souligné que la réforme proposée par la Commission européenne met en jeu un choix de société : il s'agit de questions ayant des incidences non seulement sur les transports, mais aussi sur l'environnement et les conditions du travail. L'écart de développement entre le transport ferroviaire et le transport routier résulte de choix politiques antérieurs, notamment en faveur des autoroutes. Il a approuvé les conclusions tendant au rejet de la réforme et à l'établissement d'un bilan de l'application de la directive de 1991.

M. Gérard Fuchs a observé que, si une politique communautaire était souhaitable en ce domaine, elle ne devait pas consister en une dérégulation assortie d'une simple mise en concurrence. La conception libérale de la Commission a montré ses limites. Au-delà de la dimension économique, il convient de prendre en compte deux impératifs : celui de l'aménagement du territoire, qui suppose une politique à moyen et long terme des schémas de réseaux et d'investissements à l'échelle de l'Europe, que seule l'Union peut conduire ; celui du service public, afin de garantir l'égal accès des citoyens au transport et une tarification égale. Cette réforme constitue l'occasion de départager deux conceptions de la politique communautaire : une approche marchande et dérégulatrice, d'une part, une approche organisatrice, qui seule peut pallier les lacunes du marché. Il a donc soutenu la demande de rejet présentée par le Rapporteur.

M. Maurice Ligot a indiqué que le projet conduisait à faire trois choix essentiels. D'abord, un choix économique : la situation déficitaire de la S.N.C.F. montre qu'on ne saurait se contenter du statu quo ; dès lors, on ne peut rejeter la solution proposée par la Commission, consistant à supprimer les monopoles publics. Deuxièmement, un choix d'aménagement du territoire européen : la question se pose plus particulièrement pour le transport des marchandises, celui des personnes étant principalement assuré par le transport aérien en dehors des trajets de courte distance. Enfin, un choix écologique : l'environnement serait sans doute mieux préservé si le fret de longue distance était davantage assuré par le rail ; mais celui-ci ne devrait pas pour autant échapper aux règles de la concurrence. Telles sont les raisons pour lesquelles il a déclaré ne pas partager les conclusions du Rapporteur.

M. Yves Dauge a précisé que la notion de déficit était difficile à apprécier, car elle dépend de la façon dont on le calcule, et que le transfert au secteur privé pouvait se traduire par le maintien d'un déficit pour la collectivité, comme le montre l'exemple britannique. Pour lui, on ne saurait isoler le transport ferroviaire des autres modes de transport, ni séparer la politique des transports de celle d'aménagement du territoire : l'engorgement de villes ou d'autoroutes, comme le tronçon Paris-Lille-Bruxelles, appelle un effort d'anticipation des risques par les pouvoirs publics, qui fait défaut dans le projet de la Commission. On ne peut, en outre, régler des situations aussi diverses que celles de la France, de la Grèce ou de l'Espagne, par exemple, avec une directive unique : la réglementation européenne devrait au contraire s'adapter à cette diversité.

M. Yves Fromion a douté que la S.N.C.F puisse, dans les conditions actuelles, remédier à l'engorgement des routes et autoroutes, le nombre des sillons étant insuffisant pour satisfaire la demande. De manière plus générale, les insuffisances d'infrastructures posent le problème de l'Etat actionnaire : l'Etat est-il en mesure d'apporter les capitaux nécessaires pour permettre aux entreprises publiques de relever les défis auxquels elles sont confrontées. La question n'est donc pas de savoir si une solution de caractère libéral, comme celle que propose la Commission européenne, est adéquate ou non : la seule question est celle des moyens que l'on est disposé à mettre en _uvre. Il ne faut pas non plus mésestimer l'incidence sur le transport ferroviaire des conflits sociaux, notamment des grèves à répétition.

Il a rappelé en outre que les conventions passées entre les régions et la S.N.C.F., notamment celle de la région Centre, avaient permis des progrès considérables, en termes d'accueil des usagers, d'organisation des horaires, d'investissements, lesquels ont entraîné une nette augmentation de la fréquentation. Sans adhérer à l'objectif de déréglementation totale, il n'a pas approuvé non plus la position du Rapporteur. M. Yves Fromion a enfin demandé si les implications de la S.N.C.F. dans le transport routier, à travers ses filiales spécialisées, étaient évoquées dans ce rapport et, citant l'exemple des chemins de fer suisses, a indiqué que leurs agents exerçaient des métiers polyvalents.

M. Jacques Myard, ayant salué la qualité du travail réalisé par le Rapporteur, a rappelé que la politique européenne du transport ferroviaire n'avait pas attendu l'intervention de la Commission pour exister et pour faire ses preuves, en dépit de dysfonctionnements. Favorable à la transparence des coûts, attaché au bon fonctionnement du service public du transport ferroviaire, qui joue un rôle-clé dans l'aménagement du territoire et entraîne moins de nuisances que les autres formes de transport, il a considéré que la réforme du transport ferroviaire s'accomplirait naturellement, sans qu'il soit besoin d'une directive communautaire, génératrice de carcans. Pour lui, le seul monopole à combattre en Europe est celui de la Commission européenne.

Après avoir souligné que des aménagements peu coûteux pourraient démultiplier les capacités de transport de nombreux sillons, M. Joseph Parrenin a considéré que la décision de restaurer le rail parmi les modes de transport est un choix de société et qu'il serait opportun de rappeler dans une directive le rôle que la puissance publique doit jouer dans l'organisation des transports.

M. Jean-Claude Lefort s'est félicité du travail du Rapporteur, inspiré par le souci de l'intérêt général, contrairement à celui de la Commission européenne, fondé sur un parti pris idéologique. Prenant l'exemple du chemin de fer japonais, très lourdement endetté, il a rappelé que les compagnies issues de la privatisation ont amélioré la qualité du service et dégagé des profits grâce à des opérations immobilières et des placements, sans pour autant participer à la résorption du déficit, lequel s'est accru. D'une manière générale, les services répondant à l'intérêt général ne peuvent se passer d'une intervention de l'Etat. Parmi les distorsions de concurrence dont souffre le rail, celles résultant de la lenteur du fret lui paraissent imputables à des obstacles juridiques et techniques - subis lors du franchissement des frontières - sur lesquels la Communauté n'intervient pas. Enfin, on devrait relativiser le déficit purement comptable du transport ferroviaire si l'on tenait compte du coût global du transport routier : coût en vies humaines, coût social, coût environnemental.

Le Président Alain Barrau a jugé opportun que la Délégation se prononce en temps utile sur un sujet qui intéresse directement nos concitoyens, d'autant plus que la Commission propose une dérégulation dont les Etats membres sont appelés à assumer les conséquences sociales et politiques. Depuis des années, la route est privilégiée par rapport au rail, en dépit des problèmes de sécurité et d'environnement qui en résultent ; le fer serait sans doute plus compétitif s'il avait bénéficié d'investissements comparables à ceux réalisés au profit du réseau routier. Avant de présenter de nouvelles propositions de directives en matière de transport ferroviaire, la Commission aurait dû procéder à une évaluation précise des directives en vigueur, de telle sorte que ce bilan puisse être discuté dans les Etats membres et au Parlement européen. Le recours à un emprunt communautaire, pour financer notamment le réseau ferroviaire, sera l'un des sujets abordés au Conseil européen de Cologne, les 3 et 4 juin ; il permettrait de résorber une part du retard d'investissement dont souffre le rail par rapport à la route.

M. Jacques Myard a soutenu, au contraire, que chaque Etat de l'Union européenne pouvait émettre un emprunt pour financer ses dépenses d'investissement ferroviaire, sans qu'il soit nécessaire d'instituer un emprunt européen, et que les systèmes ferroviaires nationaux peuvent se coordonner sans avoir besoin d'une directive.

M. Gérard Fuchs, sans contester l'utilité d'un emprunt national, a souligné que l'intérêt d'une intervention communautaire résidait aussi dans l'établissement d'un schéma européen des transports.

En réponse aux intervenants, M. Didier Boulaud a apporté les précisions suivantes :

- dans la mesure où les investissements ferroviaires portent sur des lignes transfrontalières, leur financement par un emprunt européen s'impose. De surcroît, les Néerlandais, les Allemands et les Anglais sont en retard par rapport à la France pour les trains à grande vitesse ;

- ceux qui contestent l'existence d'un monopole public jugent-ils préférable le monopole privé issu de la privatisation ? En Grande-Bretagne, le transport ferroviaire, partagé aujourd'hui entre vingt compagnies, qui sont parfois en concurrence sur une même ligne, est appelé, à l'issue du prochain appel d'offres en 2002, à se réduire à deux ou trois compagnies, comme c'est déjà le cas pour le fret ;

- le chemin de fer est une activité toujours déficitaire, donc toujours subventionnée ; l'Etat allemand apporte un concours financier aux Länder pour exploiter des lignes, tout comme l'Etat britannique finance les concessions privées et l'Etat néerlandais les lignes non rentables. Une ligne régionale comme Carhaix-Paimpol, exploitée par une filiale du groupe Vivendi, contribue utilement à enrayer la dévitalisation de la région, tout en étant financée à 80 % par les collectivités locales ;

- il est difficile pour une directive communautaire de régir des situations aussi différentes, au regard du transport ferroviaire, que celles qui caractérisent les Etats membres de l'Union européenne. Seuls sont concernés les quelques pays de transit, qui risquent d'être mis en minorité par les pays périphériques, que la directive ne gêne pas.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution (E 1240, E 1246, E 1247, E 1250, E 1254 et E 1255)

La Délégation a examiné, sur le rapport du Président Alain Barrau, six propositions d'actes communautaires.

Elle a estimé que le document E 1240 (conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et la République d'Islande), ayant pour objet de rapprocher le régime d'importation des produits agricoles transformés en provenance d'Islande de celui en vigueur pour la Norvège, n'appelait pas d'examen plus approfondi.

Elle a pris acte d'une décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord avec la République d'Islande et le Royaume de Norvège sur l'association de ces deux Etats à la mise en _uvre, à l'application et au développement de l'acquis de Schengen (document E 1250). M. François Loncle a déploré, à cette occasion, la tendance de certains Etats à vouloir profiter de l'Europe « à la carte », en demandant à être associés aux dispositifs dont ils estiment pouvoir tirer un avantage, sans supporter aucune des contraintes de l'Union ni participer aux solidarités financières qui lient ses membres. Aussi a-t-il estimé que l'Union européenne devrait faire preuve d'une plus grande fermeté vis-à-vis de ces Etats, en les incitant à s'orienter vers une véritable intégration à l'Union. M. Jacques Myard s'est déclaré au contraire favorable au maintien d'une certaine diversité, dénonçant le carcan imposé à l'ensemble des Etats membres par une Commission soucieuse de faire appliquer des normes identiques sur l'ensemble du territoire européen.

La Délégation a estimé que la proposition de règlement du Conseil établissant certaines mesures de contrôle afin d'assurer le respect des mesures adoptées par la convention internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (E 1246), n'appelait pas d'examen plus approfondi.

Présentant la proposition de directive concernant l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée (E 1247), le Président Alain Barrau a souligné qu'elle avait pour objet d'incorporer dans le droit communautaire l'accord conclu par les partenaires sociaux sur les garanties minimales applicables au travail à durée déterminée. Après avoir évoqué les grandes lignes de l'accord et de la proposition de directive, il a regretté que ce texte, qui constitue une avancée sociale, soit destiné à être adopté par le Conseil à peine trois semaines après sa transmission à l'Assemblée nationale.

M. Gérard Fuchs a salué l'intérêt de ce texte, les directives en matière sociale étant fort rares. Il a souhaité obtenir un état des législations des Etats membres en ce domaine, faisant apparaître pour chacun d'entre eux les points sur lesquels la directive apportera une amélioration.

M. Jacques Myard a exprimé son scepticisme sur l'utilité d'une directive en la matière, un accord entre partenaires sociaux étant selon lui suffisant. Sans nier l'intérêt d'une amélioration des conditions du travail à durée déterminée, il a réaffirmé sa préférence pour une Europe de la diversité, par opposition à l'« Europe carcan ».

M. Jean-Claude Lefort a souligné au contraire l'intérêt particulier du texte, les accords conclus au niveau européen étant peu nombreux et l'Union européenne se préoccupant trop rarement de politique sociale. Après avoir déploré que les conditions de sa saisine mettent la Délégation devant le fait accompli, le COREPER ayant déjà statué, il a approuvé le texte de la proposition de directive.

Le Président Alain Barrau a rappelé que la proposition de directive permettrait d'éviter les distorsions de concurrence résultant de législations différentes et de garantir aux salariés concernés un minimum de droits, chaque Etat membre étant libre de prévoir des dispositions plus favorables. Il a donc souligné que ce texte ne portait pas atteinte à la diversité et n'imposait pas d'uniformisation.

A l'issue de ce débat, la Délégation a pris acte de la transmission du texte.

La Délégation a examiné en urgence deux propositions de règlement du Conseil tendant à renforcer les sanctions économiques et financières à l'encontre de la République fédérale de Serbie, s'ajoutant à l'embargo sur la vente et la livraison de produits pétroliers adopté le 29 avril dernier.

La première proposition de règlement (E 1254) a pour objet d'interdire tous les vols entre le territoire de la Communauté européenne et celui de la RFY, en élargissant la portée de l'interdiction déjà édictée en 1998 à l'égard des seuls vols effectués par des transporteurs yougoslaves. Désormais sont également interdits tous les vols effectués par des transporteurs de la Communauté, les deux seules exceptions concernant les atterrissages d'urgence et les vols à but strictement humanitaire.

La seconde proposition de règlement (E 1255) concerne le gel des capitaux et l'interdiction des investissements. Ce texte étend la portée des dispositions déjà arrêtées en la matière par l'Union européenne en 1998, en élargissant la définition des avoirs concernés ainsi que le champ des personnes visées par l'interdiction. De même, l'interdiction des investissements est édictée de façon extrêmement large. L'extension ainsi réalisée des dispositifs existants conduit à prévoir une possibilité de dérogation pour préserver les intérêts des Etats membres.

M. François Loncle a exprimé des réserves à l'égard des deux textes, qui interviennent à un moment où se déroule un processus diplomatique tendant vers un accord politique.

M. Jean-Claude Lefort a lui aussi fait part de ses réserves, les mesures proposées n'atteignant pas seulement les dirigeants de la RFY mais le peuple serbe dans son ensemble.

Sans s'opposer à la levée de la réserve d'examen parlementaire - décision dont il a reconnu qu'elle aurait peu d'effet - le Président Alain Barrau a également exprimé des réticences à l'égard de ces textes.

La Délégation a accepté la levée de la réserve d'examen parlementaire sur ces deux textes.

III. Décision relative au dépôt d'une proposition de résolution (programme d'assistance économique aux nouveaux Etats indépendants - E 1204)

Poursuivant l'examen de la proposition de règlement du Conseil relatif à la fourniture d'une assistance en faveur de la réforme et du redressement de l'économie des nouveaux Etats indépendants et de la Mongolie (document E 1204), la Délégation a adopté sur le rapport du Président Alain Barrau, le texte de la proposition de résolution, dans les termes suivants :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement (Euratom, CE) du Conseil relatif à la fourniture d'une assistance en faveur de la réforme et du redressement de l'économie des nouveaux Etats indépendants et de la Mongolie (COM[98] 0753 final / n° E 1204),

Considérant que la Commission s'efforce de prendre en compte les critiques adressées au système actuel, sans toutefois préciser les moyens en personnel ni les modes de gestion adaptés aux nouveaux objectifs du futur programme d'assistance,

Considérant que le succès du programme dépendra en premier lieu des améliorations techniques apportées au dispositif et d'une transformation profonde des modes de gestion de la Commission, mais aussi de la volonté et de la capacité des pays partenaires à coopérer et à mettre en _uvre les réformes nécessaires à la poursuite des efforts accomplis vers la démocratie et l'économie de marché,

Considérant qu'après l'ébranlement provoqué par la crise russe, il est du plus haut intérêt politique pour l'Union européenne d'approfondir la relation de partenariat et de coopération qu'elle a engagée avec la Russie et l'ensemble des pays de la région et de soutenir la poursuite des réformes grâce à un programme d'aide mieux adapté au contexte actuel,

1. Souhaite que le champ et les objectifs du nouveau programme soient mieux délimités et qu'en particulier :

- l'articulation entre les accords de partenariat et de coopération, le programme d'assistance et, le cas échéant, les stratégies communes pour la Russie et l'Ukraine soit suffisamment précise pour que les priorités et les domaines de coopération définis par les divers dispositifs ne se contredisent pas ;

- la promotion de l'investissement absorbe une part inférieure à 25 % de l'enveloppe budgétaire, afin que le programme se consacre principalement aux domaines de l'assistance technique et de l'intervention institutionnelle, dans lesquels les besoins sont prioritaires ;

- la création d'un programme spécial de crise ne soit pas retenue, dans la mesure où cette action relève d'autres dispositifs communautaires et pourrait justifier leur réexamen, ou qu'à tout le moins l'utilisation de cette possibilité soit encadrée par un examen systématique du Conseil pour en limiter la portée ;

- le programme s'étende à la formation initiale et professionnelle et à l'adaptation aux nouveaux métiers ainsi qu'à l'amélioration de la production et de la transformation dans le développement de l'économie rurale, introduise par ailleurs le domaine de la justice et des affaires intérieures dans les coopérations transfrontalières et enfin élève l'assistance sur site dans les centrales nucléaires au rang de priorité ;

2. Approuve le principe de concentration des programmes sur un nombre limité d'initiatives à plus grande échelle, à condition qu'il s'applique avec souplesse à quatre domaines de coopération au lieu de trois et que les seuils déterminant la taille minimale des projets soient réduits et n'éliminent pas toute possibilité d'action dans des secteurs où les projets de petite dimension s'avèrent nécessaires, comme l'agriculture ;

3. Approuve le principe de différenciation des priorités selon les pays mais rejette leur classement artificiel en trois zones, risquant d'apparaître aux pays partenaires comme relevant d'une conception quelque peu autoritaire du partenariat ;

4. Estime qu'il serait paradoxal de réduire le rôle des Etats membres dans le contrôle de la programmation, au moment où l'assistance technique doit s'intégrer dans une coopération globale formalisée par les accords de partenariat et de coopération et s'appuyer sur un dialogue politique et des stratégies communes, et se prononce, en conséquence, en faveur du maintien de la formule actuelle du comité de réglementation ;

5. Considère que, avant de se prononcer sur la proposition de règlement, le Conseil doit exiger que la Commission lui présente une évaluation précise des moyens en personnel nécessaires et des modes de gestion auxquels elle envisage de recourir pour assurer la pleine efficacité du nouveau dispositif ;

6. Propose d'inciter les nouveaux Etats indépendants à améliorer la qualité de l'ensemble des projets, en généralisant progressivement l'application des critères de sélection prévus pour l'enveloppe concurrentielle aux enveloppes nationales dont le reliquat des sommes non engagées resterait à la disposition de chaque pays pendant toute la durée du programme ;

7. Propose d'inciter les nouveaux Etats indépendants à accomplir les réformes indispensables au succès de la transition, en prévoyant une répartition de la dotation globale du futur programme moins élevée en début de période et plus élevée à la fin par rapport aux propositions de la Commission et en subordonnant l'attribution du surplus, par rapport à la dotation annuelle moyenne, à l'évaluation des efforts de réforme réalisés par les nouveaux Etats indépendants à mi-parcours du programme. »

IV. Informations relatives à la Délégation

- Le Président Alain Barrau a suggéré que le suivi du processus d'élargissement de l'Union européenne aux Etats candidats d'Europe centrale et orientale et à Chypre fasse l'objet d'un examen pays par pays, confié à onze membres de la Délégation. Il a donc appelé ses collègues à se porter candidat.

- Ont ensuite été nommés rapporteurs d'information :

· M. Alain Barrau, sur la mise en place des aides prévues dans le cadre du nouvel objectif 2 des fonds structurels ;

· M. François Loncle, sur les dispositions du titre IV du Traité instituant la Communauté européenne (visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes) ;

· Mme Nicole Catala, sur l'Europe et les réfugiés ;

· Mme Nicole Ameline, sur les questions relevant du IIIème pilier de l'Union européenne (coopération policière et coopération judiciaire en matière pénale) et celles relatives à Europol ;

· M. Jean-Claude Lefort, sur les contentieux entre l'Union européenne et les Etats-Unis ;

· M. Alain Barrau, sur l'Union européenne et le sport.