DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 84

Réunion du jeudi 1er juillet 1999 à 9 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau

I. Rapport d'information sur les négociations entre l'Union européenne et les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique en vue d'un partenariat pour le développement (Rapporteur : M. Yves Dauge)

Le Rapporteur a rappelé le calendrier des négociations sur le futur partenariat entre l'Union européenne et les pays ACP, ouvertes fin septembre 1998 poursuivies au cours de réunions ministérielles en février 1999 à Dakar, en juillet à Bruxelles, à la fin de l'année à Helsinki et qui doivent être conclues dans un pays africain avant l'expiration de la Convention de Lomé en février 2000. Il a souligné que la Convention de Lomé avait permis à l'Europe de développer une vision globale du développement, originale par rapport à d'autres approches, sans empêcher toutefois la marginalisation des pays ACP face à la mondialisation, ce qui a failli menacer la pérennité d'un partenariat qui dure depuis quarante ans. La Commission européenne, qui a présenté différentes options, dans son remarquable Livre vert du 20 novembre 1996, a sauvé la Convention, avec l'aide du Parlement européen, en réussissant à faire adopter par le Conseil un projet très ambitieux de revitalisation du partenariat entre l'Union européenne et les pays ACP.

Ce projet comporte un approfondissement du dialogue politique et met l'accent sur la bonne gestion des affaires publiques et la prévention des conflits. La solution des problèmes de sécurité en Afrique constituera en effet un préalable à l'édification des autres volets du nouveau partenariat. L'ouverture de celui-ci à de nouveaux acteurs non gouvernementaux et un renforcement de l'appui à l'intégration régionale constituent deux autres orientations majeures. Le volet commercial affermit cette orientation en proposant que l'Union négocie des accords régionaux de libre échange avec des unions douanières régionales formées par les pays ACP, au cours d'une période de transition de cinq années (2000-2005), pendant laquelle les préférences en vigueur seraient maintenues. Les accords ne prévoiraient pas une application effective du libre échange avant 2015 et comporteraient plusieurs éléments d'adaptation, relatifs à la durée de la période de transition pour leur mise en _uvre après 2005, à la possibilité de protéger les industries naissantes pour des produits sensibles et à l'introduction d'une certaine asymétrie dans le processus du démantèlement tarifaire des ACP par rapport à celui de l'Union. L'intérêt de ces accords est non seulement d'écarter le risque d'incompatibilité des préférences avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce, mais aussi de préparer les ACP à affronter progressivement la concurrence du marché mondial. Du fait de la diminution généralisée des droits de douane et de l'érosion des préférences commerciales, le développement de leurs échanges dépendra de moins en moins de l'octroi de privilèges tarifaires, et davantage de leur capacité à produire et commercialiser des biens et services répondant aux normes et aux exigences des marchés développés.

Le projet prévoit d'autres options, ce qui lui donne une certaine souplesse : d'une part, un système de préférences généralisées qui prendrait en compte les intérêts des ACP ne faisant pas partie des pays les moins avancés (PMA) et qui ne seraient pas en mesure d'entrer dans une zone de libre échange ; d'autre part, un accès libre au marché de l'Union européenne couvrant « essentiellement » les produits des PMA non intégrés à une zone de libre échange. Le rapporteur a cependant jugé souhaitable que les PMA puissent intégrer les zones de libre échange pour être « tirées vers le haut » par les pays à revenus intermédiaires qui en constitueront le pôle de développement.

Le troisième volet relatif à la gestion de la coopération financière crée deux enveloppes distinctes pour rationaliser et simplifier les instruments : le développement à long terme regrouperait l'aide programmable, l'ajustement structurel, le Stabex et le Sysmin, l'aide d'urgence, tandis que la facilité d'investissement regrouperait les capitaux à risque et les bonifications d'intérêts. Dans le nouveau mécanisme de compensation du Stabex et du Sysmin, seules les fluctuations temporaires des recettes d'exportation seraient prises en compte et les ressources ainsi libérées seraient réaffectées au soutien de l'ajustement et des réformes. La facilité d'investissement gérée par la Banque européenne d'investissement aurait pour objectif de promouvoir le développement du secteur privé dans le cadre de stratégies définies avec les autorités de chaque pays en concertation avec les acteurs concernés.

Le projet propose également de remplacer l'automaticité des aides, déjà réduite lors de la révision à mi-parcours de Lomé IV, par un système de programmation glissante associé à un nouveau mécanisme d'allocation des ressources par pays, fondé sur une appréciation des besoins et des performances, dont les critères devront être définis préalablement par les deux parties.

La réussite de ce nouveau partenariat sera cruciale pour les ACP. Mais il reste affecté par les incertitudes qui pèsent sur la capacité de ceux-ci à assumer une transformation politique, économique et sociale aussi radicale dans un délai aussi court. Les pays ACP ne semblent pas prêts à vivre brutalement l'aventure du libre échange. L'Union européenne et les pays ACP devraient donc mener une action conjointe à l'OMC pour faire reconnaître la nécessité d'un traitement spécifique en faveur des pays en développement.

Par ailleurs, l'Union européenne dispose d'une expertise incontestable pour intervenir au niveau régional. La bonne gestion des affaires publiques ne devrait pas se limiter à l'application de règles éthiques, mais s'étendre à l'exigence de professionnalisme des équipes dirigeantes. La structuration des États et des administrations devrait donc constituer une priorité de l'aide publique. Les deux partenaires doivent s'efforcer de dépenser mieux et de modifier leurs méthodes de gestion. L'Union devrait ainsi remplacer la gestion centralisée par une déconcentration de la définition des projets au niveau des pays ACP et des régions, et instaurer une coordination opérationnelle sur place entre l'Union européenne, les États membres et les opérateurs publics et privés, un État membre accomplissant éventuellement les fonctions de chef de file. L'Union devrait passer des accords politiques clairs avec les Gouvernements ACP, engageant toute la chaîne d'application des projets. Elle devrait enfin organiser des réseaux de compétence professionnelle entre l'Europe et les pays ACP et favoriser l'investissement des migrants dans leurs pays d'origine.

En conclusion, le renouvellement de la Convention pose des problèmes qui ne tiennent pas tant aux ressources ni aux objectifs, même s'il y a débat sur les options commerciales, qu'aux dysfonctionnements de la coopération. Plutôt que de créer une nouvelle agence de développement pour régler cette difficulté, mieux vaudrait déconcentrer les projets et veiller aux exigences de compétence. La Commission semble prête à entendre ce discours, le Parlement européen pourrait également y être favorable, mais il est toujours à craindre que les négociations s'en tiennent à des généralités.

L'exposé du Rapporteur a donné lieu à un large débat.

M. François Guillaume, après avoir noté la richesse des informations du rapport, en a tiré des conclusions pessimistes, surtout pour les pays africains. Ayant évoqué les raisons pour lesquelles la Convention de Lomé n'avait pu atteindre ses objectifs, il a souligné que la mondialisation avait eu des effets très négatifs, du fait des fluctuations des cours des matières premières et de l'insuffisante qualité des produits manufacturés fabriqués par les pays ACP. Les pays africains ont été incités, de manière hâtive, à privatiser les entreprises et à supprimer des instruments, tels que les caisses de stabilisation, qui jouaient un rôle positif. Compte tenu des grandes difficultés auxquelles sont confrontés les pays ACP, il semble donc nécessaire que leur soit accordé, dans le cadre des futures négociations au sein de l'OMC, le bénéfice de certaines exceptions, de façon qu'ils puissent constituer de grandes zones commerciales protégées. Dans cette perspective, il conviendrait de trouver le moyen de mettre fin aux distorsions monétaires qui, exception faite des pays de la zone franc, présentent des inconvénients majeurs.

Il a interrogé le Rapporteur sur l'avenir des différents protocoles relatifs aux produits, dont certains, en particulier le protocole « banane », sont dans l'impasse, tandis que d'autres, comme celui relatif au sucre, fonctionnent de façon satisfaisante. Il lui a demandé de faire le point sur le mécanisme de stabilisation des recettes d'exportation dans le cadre du Stabex, dont il a rappelé que l'objet n'était pas seulement d'abonder les fonds des caisses de stabilisation mais aussi de financer des projets dans les pays concernés.

Hostile à la conditionnalité politique de l'aide, il s'est en revanche déclaré partisan de la mise en _uvre de relations contractuelles, dans le cadre desquelles l'aide serait subordonnée à la réalisation de projets définis en concertation avec les institutions compétentes. Il a enfin insisté sur l'impératif que représente, pour des raisons économiques, stratégies et géopolitiques, l'aide de l'Union européenne à l'Afrique.

M. Jacques Myard a estimé que l'aide multilatérale ne devait pas systématiquement prévaloir sur l'aide bilatérale, la coopération étant un élément de la politique étrangère. Il lui paraît donc opportun de veiller à la coordination des initiatives entre les États membres.

Pour lui, le problème fondamental de l'Afrique est celui de la croissance démographique, qui annihile tout effort de développement : la population du continent africain est passée en cinquante ans de 250 millions d'habitants à près d'un milliard et continue à s'accroître au rythme de 3 à 4 % par an. La maîtrise de la croissance démographique constitue donc le premier objectif à prendre en considération. A défaut, les sommes, mêmes très importantes, versées au titre de l'aide ne pourraient guère que colmater quelques brèches. En outre, comme le montre le conflit du Rwanda, la pression démographique croissante crée des risques considérables de guerre pour l'ensemble du continent.

M. Maurice Ligot ayant estimé que les conflits n'étaient pas liés uniquement à la croissance démographique mais aussi à des oppositions de caractère ethnique, a jugé intéressante l'idée d'un dispositif d'intervention en cas d'hostilité latente. Il s'est toutefois interrogé sur les suites qui seraient données à la détection d'une situation conflictuelle. Abordant la question du professionnalisme, il a noté que nombre de secteurs d'activité, notamment celui de la santé, reposent sur la coopération française, les pays africains ne disposant pas des compétences professionnelles adaptées à leurs besoins. Les étudiants formés à l'étranger, notamment en France, sont peu nombreux à revenir exercer leurs compétences dans leur pays d'origine, de sorte que la plupart des États africains seraient dans l'incapacité de fonctionner s'ils ne pouvaient bénéficier de coopérants. En dépit de cette situation, les pays africains sont soucieux de réaffirmer leur volonté d'indépendance et veulent pouvoir compter sur la formation de leur propre population. La France doit continuer à se faire l'interprète des besoins de l'Afrique auprès de ses partenaires européens.

Mme Béatrice Marre, ayant salué la qualité du travail du Rapporteur, a souhaité que les coopérations qui lient l'Union européenne et ses États membres aux pays ACP soient intégrées dans les négociations multilatérales de l'OMC et que soit préservé le traitement particulier des ACP et des autres pays connaissant de très importants retards de développement. Evoquant le problème démographique, qui touche nombre de pays africains, elle a jugé difficile d'imposer, de l'extérieur, une politique adaptée, qui ne peut venir que d'eux-mêmes. Dès lors que ce problème est en partie lié à l'absence de structures étatiques solides, il conviendrait d'aider les pays qui y sont confrontés à se doter de telles structures.

Mme Michèle Rivasi a rappelé que la France s'est attachée à promouvoir l'État de droit dans le cadre de la coopération bilatérale. Il serait en revanche inadéquat d'imposer une politique de maîtrise démographique, d'autant plus que certains pays tels que le Congo ou le Gabon ne sont pas confrontés à une vive augmentation de leur population. Elle a exprimé des réserves à l'égard de la logique de privatisation que développe la Banque mondiale ou le FMI à l'égard des pays africains, la jugeant contraire au libéralisme social que l'on tente d'y développer. Elle a exprimé son accord avec la proposition du Rapporteur consistant à confier à un État membre de l'Union européenne le soin de coordonner un projet ou un programme d'aide au développement. Insistant sur l'importance que revêt l'accueil des étudiants de pays en développement en France, notamment au regard de la francophonie, elle a regretté les difficultés que rencontrent ces étudiants pour obtenir des visas, ce qui les incite à aller étudier dans d'autres pays, notamment aux États-Unis.

M. Jean-Marie Bockel a souligné que la coopération avec les pays en développement devrait être préservée dans ce qu'elle a réussi. Evoquant les initiatives des collectivités locales en faveur de l'aide au développement, il a estimé que celles-ci, au prix de quelques erreurs ou tâtonnements, participent aujourd'hui d'un état d'esprit consistant à redonner du souffle à une grande relation Nord-Sud.

Observant que le débat avait surtout porté sur la coopération avec l'Afrique, le Président Alain Barrau s'est interrogé sur l'articulation entre la coopération bilatérale mise en _uvre par la France et celle relevant de l'Union européenne. S'agissant de cette dernière, il a souhaité savoir si elle était sous-tendue par une logique de « retours » et au profit de quels États membres. Il s'est ensuite interrogé sur les implications du consensus autour de la nécessité d'asseoir l'aide au développement sur des structures étatiques solides : cela suppose-t-il de transposer les structures étatiques des pays occidentaux ? Quelle sécurité régionale peut-on envisager et quel y serait le rôle de l'ONU ? Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité pour les États ACP d'être les alliés de l'Europe dans les négociations multilatérales de l'OMC.

En réponse aux intervenants, M. Yves Dauge a tout d'abord tenu à préciser que les négociations ouvertes depuis septembre 1998 pour poursuivre la relation entre l'Union européenne et les États ACP se déroulent dans un contexte marqué par l'érosion des préférences commerciales, certains se fondant sur leurs résultats décevants pour demander la suppression de toute protection. Il y a lieu au contraire de combattre cette position dans les négociations multilatérales de l'OMC et de changer les méthodes du partenariat, en particulier pour supprimer l'automaticité des garanties et des dépenses.

Il a indiqué que lors de la conférence ministérielle de Dakar en février dernier, le Royaume-Uni s'était quelque peu dissocié du mandat défini par l'Union européenne sur le futur régime commercial, pour soutenir l'option SPG (schéma des préférences généralisées) plutôt que celle de la création progressive de zones de libre-échange, qui a la faveur de la plupart des États membres dont la France. L'option SPG, rejetée par les pays ACP, n'offre en effet aucune perspective à long terme du fait de l'érosion des préférences commerciales résultant de la libéralisation progressive des échanges. Il a souligné par ailleurs que la France contribuait pour 24,3 % aux dépenses du FED, et que ce pourcentage serait moins élevé si celles-ci étaient intégrées au budget communautaire.

Les problèmes démographiques, certes réels, peuvent être abordés par le biais des politiques de santé et des actions de lutte contre la mortalité infantile. L'Europe pourrait développer des programmes beaucoup plus efficaces en s'appuyant notamment sur la coopération française et en s'inspirant de certaines opérations de coopération décentralisée, comme celle menée par le CHU de Poitiers avec un hôpital tchadien. Face à la croissance démographique, il faudrait que les économies des pays africains aient un taux de croissance de 5% par an pour tenir les équilibres, et non de 3% comme actuellement.

C'est surtout à l'Europe, plus qu'à l'Afrique, de faire preuve de professionnalisme dans la coopération, et d'améliorer ses méthodes. Le thème de l'ingérence doit être dépassé; il s'agit en effet de définir les règles de bonne gestion des aides, de structurer le bloc Union européenne-États ACP et de rapprocher les positions des États membres de l'Union.

La coopération française, qui devrait disposer des moyens budgétaires de son ambition, doit rester un pivot dans les États ACP. Plutôt que de laisser l'Europe, la France et d'autres États membres mener des politiques parallèles, il serait préférable de mettre en place une déconcentration des fonds européens, sous l'autorité de pays-chefs de file et selon des procédures qui pourraient s'inspirer de celles mises en _uvre pour la gestion des fonds structurels.

Il a insisté sur l'importance des infrastructures interrégionales, notamment celles des transports ferroviaires, ainsi que sur la décentralisation de la coopération, les financements européens devant favoriser la mise en place des partenariats avec des villes. Il a indiqué qu'une évaluation de la coopération décentralisée était en cours et qu'il faudrait améliorer la coordination des actions menées dans ce cadre, afin d'éviter les doublons, ce que souhaitent du reste les collectivités locales. Il a souhaité qu'un souffle nouveau soit redonné aux relations Nord-Sud, notamment par la mise en place d'un grand programme européen de jeunes volontaires qui seraient envoyés en Afrique, ainsi qu'une meilleure articulation des politiques française et européenne de coopération, permettant de clarifier le rôle de chacun. La France devrait ainsi faire des propositions pour désigner des chefs de file et tenir compte des critiques émanant des acteurs de terrain qui jugent la coopération trop cloisonnée et trop administrative et souhaitent disposer d'une aide pour monter un dossier éligible aux aides communautaires. Il serait à ce titre souhaitable que le ministère de la coopération spécialise l'un de ses bureaux dans le conseil en élaboration de dossiers.

Si le renforcement des structures étatiques résultera d'actions menées sur plusieurs dizaines d'années, quelques principes peuvent d'ores et déjà être fixés, comme l'intangibilité des frontières, l'intérêt des approches sous-régionales ou la nécessité pour l'Europe de mener une politique cohérente avec celle de l'ONU et de l'OUA.

Dans l'examen des conclusions du rapporteur, M. François Guillaume, insistant sur la nécessité de faire bénéficier les pays ACP d'un cadre commercial protecteur de nature à favoriser leur développement, a suggéré à la Délégation, qui l'a suivi, d'introduire un paragraphe invitant l'Union européenne à obtenir une exception commerciale pour ces pays lors des prochaines négociations dans le cadre de l'OMC. A l'initiative de M. Jacques Myard, soucieux d'affirmer l'importance d'une organisation étatique stable dans le processus de développement des pays ACP, la Délégation a ajouté, dans le point relatif à la gestion des affaires publiques, une référence à une bonne organisation des pouvoirs publics.

Après les interventions de MM. François Guillaume, du rapporteur et du Président Alain Barrau, la Délégation a décidé, sur la suggestion de Mme Michèle Rivasi, d'introduire un paragraphe insistant sur la nécessité d'encourager les jeunes des pays ACP à venir étudier dans l'Union européenne et de les inciter à exercer leur profession dans leur pays d'origine. Elle a enfin complété les conclusions à la demande de M. Jacques Myard, par une disposition proposant de mettre en place des plans d'épargne-investissement facilitant le retour des migrants installés en Europe.

La Délégation a ensuite adopté l'ensemble des conclusions dans le texte suivant :

« La Délégation,

Vu le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 179, paragraphe 3,

Vu la quatrième convention signée à Lomé le 15 décembre 1989 par les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, ci-après dénommés États A.C.P., et l'Union européenne, conclue pour une durée de dix ans à compter du 1er mars 1990 et révisée par l'accord signé à Maurice le 4 novembre 1995,

Vu le Livre vert sur les relations entre l'Union européenne et les pays A.C.P à l'aube du vingt-et-unième siècle, présenté par la Commission européenne le 20 novembre 1996 [COM(96) 570 final],

Vu les positions définies par les deux parties pour la négociation, ouverte le 30 septembre 1998, d'un nouvel accord de partenariat,

Vu la résolution (n° 268) adoptée le 17 mars 1999 par l'Assemblée nationale sur l'établissement de nouvelles perspectives financières pour la période 2000-2006 [COM(1998) 164 final n° E 1049] et sur le projet d'accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire [SEC(1998) 698 final n° E 1128], notamment son point 14,

Considérant que l'impuissance de la Convention de Lomé, modèle le plus approfondi de partenariat entre des pays développés et des pays en développement, à empêcher la marginalisation des pays A.C.P. lors du mouvement de mondialisation de la dernière décennie a failli menacer la pérennité d'un partenariat de près de quarante ans ;

Considérant que, sous l'impulsion de la Commission et du Parlement européen, l'Union européenne a pris conscience de l'importance des enjeux et a proposé un projet ambitieux en vue d'instaurer un partenariat plus équilibré, plus exigeant et plus dynamique ;

Considérant que ce projet de réforme assigne trois objectifs au partenariat - lutte contre la pauvreté, développement durable, insertion dans l'économie mondiale - et propose de les atteindre en suivant cinq orientations : un approfondissement du dialogue politique, mettant l'accent sur la bonne gestion des affaires publiques et la prévention des conflits ; une différenciation du régime commercial, fondée principalement sur la conclusion à terme d'accords régionaux de libre-échange ; une amélioration de la gestion de l'aide publique au développement ; une ouverture du partenariat à de nouveaux acteurs non gouvernementaux ; un renforcement de l'appui à l'intégration régionale ;

Considérant que ce projet, dont les principes et les objectifs sont clairs, mais les méthodes et les moyens pour les mettre en _uvre sont encore vagues, soulèvent trois incertitudes majeures, d'abord sur la volonté et la capacité politiques de certains pays A.C.P. de maîtriser leurs conflits et de transformer l'État de manière à assurer la pleine participation de la société civile à la gestion des affaires publiques, ensuite sur la capacité économique des pays A.C.P. d'affronter le choc de la concurrence internationale tout en surmontant les défis de la pauvreté dans un délai relativement court, enfin sur la volonté des États membres de l'Union européenne d'assumer un effort de solidarité à la mesure des bouleversements qu'ils proposent aux pays A.C.P. ;

1. Approuve l'orientation générale de la rénovation du partenariat proposée par l'Union européenne, mais estime que son succès dépendra d'un renouvellement des méthodes, d'un renforcement des moyens, d'une bonne adaptation de sa mise en _uvre aux réalités diverses des pays A.C.P. et du maintien d'un cadre protecteur ;

2. Propose, en ce qui concerne la démocratie, les droits de l'homme, l'État de droit et la bonne gestion des affaires publiques, de distinguer les règles fondamentales universelles ne souffrant aucune discussion et leur adaptation à la réalité des m_urs et des mentalités de chaque pays, qui doit être admise à condition de ne pas remettre en cause les principes eux-mêmes ;

3. Considère que la bonne gestion des affaires publiques ne doit pas se réduire à une obligation d'intégrité morale, mais s'étendre à l'exigence de professionnalisme, reposant non seulement sur la compétence technique mais aussi sur la capacité des décideurs à définir une politique et à faire appliquer les engagements pris, garantie par une bonne organisation des pouvoirs publics;

4. Souhaite que la procédure de la clause de non-exécution soit améliorée par l'enclenchement plus précoce du mécanisme de consultation et par l'établissement d'un dialogue préventif impliquant notamment des fonctionnaires et des acteurs de la société civile, en marge de la conférence ministérielle et selon des modalités plus souples ;

5. Considère que la future convention devrait intégrer un certain nombre de principes et d'objectifs en matière de prévention des conflits et de sécurité, concernant en particulier : la lutte contre le trafic illicite des armes conventionnelles ; l'aide au déminage, à l'élaboration d'une cartographie de la localisation des mines et à la formation des enfants aux risques encourus ; la sanction en cas de croissance des budgets militaires suggérant une posture agressive vis-à-vis des voisins ; la création d'observatoires régionaux des tensions et discriminations ethniques, linguistiques ou religieuses et d'un système permanent régionalisé de médiation ; la création d'une force interafricaine d'interposition à état-major permanent et pouvant agir à la demande de l'Organisation de l'Unité africaine en accord avec la charte des Nations Unies ; l'inclusion de formations spéciales à des codes de bonne conduite pour toute personne habilitée à porter une arme ;

6. Demande que le processus de différenciation du régime commercial soit conduit de manière à ne pas créer de tensions entre pays A.C.P., et s'interroge à cet égard sur :

- la synchronisation des efforts pour la constitution de sous-ensembles régionaux ;

    - l'hétérogénéité des règles de flexibilité que l'Union européenne serait prête à consentir aux différentes zones de libre-échange ;

- l'articulation entre les trois régimes commerciaux susceptibles de coexister dans une même région après 2005 ;

    - l'articulation entre les accords régionaux de libre-échange et les dispositifs d'allocation de l'aide, notamment les programmes indicatifs régionaux ;

    - la situation des pays et territoires d'outre-mer et des régions ultra-périphériques de l'Union européenne dont font partie les départements d'outre-mer, par rapport à ces accords ;

- la compatibilité des protocoles-produits avec la création de zones de libre-échange ;

7. Demande que la Commission étaye les propositions de l'Union européenne par une étude sur les conséquences économiques pour les pays A.C.P. d'un choix en faveur de la libéralisation réciproque des échanges avec l'Union ;

8. Demande que l'Union européenne définisse avec la plus grande souplesse les trois adaptations qu'elle propose pour la création de zones de libre-échange, tant en ce qui concerne la durée de la période de transition et la prise en compte de la sensibilité de certains produits pour protéger les industries naissantes des pays A.C.P. que l'asymétrie dans le démantèlement tarifaire ;

9. Demande que l'Union européenne défende, lors des prochaines négociations de l'Organisation mondiale du comerce, une exception commerciale pour l'Afrique, qui permettrait aux marchés communs à constituer de créer ou de maintenir un tarif extérieur commun, tout en revendiquant la possibilité d'exporter à droit zéro vers les pays industrialisés ;

10. Invite l'Union européenne et les pays A.C.P. à agir de concert pour faire reconnaître par l'Organisation mondiale du commerce la nécessité d'un traitement spécifique en faveur des pays en développement, au moins dans une période de transition suffisamment longue pour leur permettre d'atteindre l'objectif d'insertion dans l'économie mondiale sans sacrifier ceux de développement durable et de lutte contre la pauvreté ;

11. Demande que toute précaution soit prise pour que le rééquilibrage entre les aides programmables et la garantie automatique de compensation des recettes d'exportation, par le plafonnement de celle-ci, ne crée pas un déséquilibre économique et social dans les pays A.C.P. qui ont réussi à exporter dans le cadre des dispositions actuelles ;

12. Considère que la nomination de la nouvelle Commission devrait être l'occasion de simplifier les structures politiques et administratives chargées de la coopération, de donner la primauté aux préoccupations politiques sur les considérations de procédure et d'organisation dans l'élaboration des grandes orientations, de remplacer la gestion centralisée de l'aide par une gestion déconcentrée au niveau des délégations de la Commission et de substituer à un contrôle sur les moyens un contrôle sur les résultats, fondé sur la définition et l'évaluation d'objectifs mesurables ;

13. Souligne la nécessité de veiller à ce que la coexistence du Haut représentant pour la P.E.S.C. et d'un ou plusieurs Commissaires chargés de la coopération ne dilue pas l'originalité de la politique communautaire de développement dans des considérations de politique extérieure et de sécurité, ni n'aggrave les difficultés de coordination des différentes politiques de l'Union ;

14. Propose de déconcentrer la définition des projets au niveau des pays A.C.P. et des régions et d'instaurer une coordination opérationnelle sur place entre les représentants de l'Union européenne, des États membres et des opérateurs publics et privés, par la création de conférences européennes des acteurs du partenariat ;

15. Propose que la conférence européenne des acteurs du partenariat, constituée au niveau régional ou national, soit composée du chef de la délégation de la Commission qui en assurerait la présidence et des représentants des États membres, ainsi que de membres permanents ou associés en tant que de besoin, comprenant la Banque européenne d'investissement, les agences nationales de coopération des États membres, les opérateurs publics ou privés gérant de grands réseaux d'infrastructure, les collectivités locales participant à des jumelages ou à des projets, les organisations non gouvernementales également impliquées. La coordination s'exercerait dans les conditions suivantes :

    - conformément aux orientations fixées par les autorités politiques communautaires et celles des États membres, le chef de délégation et les représentants des États membres définissent une doctrine commune pour la mise en cohérence des projets ;

- ils identifient les domaines où l'aide au développement de chaque membre - Union européenne et États membres - apporte respectivement la plus grande valeur ajoutée par rapport aux autres ;

    - la répartition des domaines, des secteurs, des programmes et des projets entre l'Union européenne et chaque État membre peut comporter l'organisation d'opérations menées en commun, entre l'Union européenne et les États membres ou entre État membres seuls. L'Union européenne est chef de file sur les opérations communes U.E.-États membres, mais un État membre peut être désigné chef de file par consensus pour tout ou partie d'un programme ou d'un projet. Les opérations communes associant plusieurs États membres peuvent également comporter la désignation par consensus d'un État membre chef de file ;

- les membres permanents identifient lors de l'élaboration des programmes et projets les opérateurs appropriés pour les associer, dans un cadre contractuel, à la négociation avec le partenaire A.C.P. dès son commencement ;

    - les opérateurs associés à la négociation s'engagent à favoriser la constitution de réseaux de P.M.E. locales sous-traitantes lors de la réalisation du marché, dont ils seraient d'abord les tuteurs puis les partenaires ;

    - tous les projets communautaires élaborés et négociés selon cette procédure sont soumis pour décision finale aux services centraux des autorités communautaires ;

16. Souligne la nécessité de passer des accords politiques clairs entre l'Union européenne et les gouvernements des pays A.C.P., engageant toute la chaîne d'application, et de ne pas entreprendre une opération ou de l'interrompre lorsque cette garantie des autorités politiques fait défaut ;

17. Souligne les risques d'éviction d'un système bancaire local embryonnaire par la facilité d'investissement et d'incapacité de ce dispositif à financer des micro-entreprises, et propose la création d'une ligne de crédit communautaire sur l'auto-développement, fournissant une garantie aux petites banques et aux initiatives locales et finançant la publicité pour les produits locaux de l'économie populaire ;

18. Propose que l'Union européenne favorise la constitution de grands réseaux d'échanges de compétence professionnelle entre l'Europe et les pays A.C.P., d'une part avec les acteurs du partenariat - agences de développement, collectivités locales, opérateurs publics et privés - en faveur des personnes ayant bénéficié d'un fort investissement intellectuel dans le cadre des interventions communautaires, d'autre part grâce à la mise en _uvre d'un programme européen de volontaires du progrès pour le développement, organisant l'intervention pour une durée limitée de jeunes européens exerçant des activités utiles au développement et s'appuyant sur l'appartenance à une école, une entreprise ou un réseau ;

19. Souhaite que l'Union européenne encourage les étudiants des pays ACP à venir se former sur son territoire, tout en garantissant leur retour dans leur pays d'origine une fois leurs études accomplies ;

20. Souligne la nécessité de favoriser l'investissement, dans leur pays d'origine, par les migrants installés en Europe, grâce à une mobilisation des réseaux bancaires des deux parties, et de mettre en place des plans d'épargne-investissement pour leur retour ;

21. Invite les quinze États membres à assumer un effort de solidarité à la hauteur des enjeux du nouveau partenariat que l'Union européenne propose aux pays A.C.P. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Alain Barrau, la Délégation a examiné quatre propositions d'actes communautaires, qui n'ont pas suscité d'opposition.

Présentant les propositions de décision relatives à l'accord de commerce, de développement et de coopération entre la communauté européenne et l'Afrique du sud (E 1264), le Rapporteur a souligné qu'il s'agissait du premier accord de libre-échange couvrant l'agriculture conclu par l'Union européenne. Ayant observé que la nature juridique de cet accord donnait encore lieu à débat, il a précisé qu'il serait complété par quatre accords annexes portant sur les vins et spiritueux, la pêche, les questions scientifiques et technologiques et l'adhésion partielle de la République d'Afrique du Sud à la convention de Lomé.

Abordant l'examen de la proposition de règlement suspendant certaines concessions agricoles en faveur de la Turquie (E 1266), le Rapporteur a observé que cette proposition - sans rapport avec le contexte politique actuel de la Turquie - tendait à renforcer les mesures de rétorsion prises par la Communauté européenne en 1998 pour réagir aux obstacles opposés depuis 1996 par la Turquie aux importations de viande bovine en provenance de la Communauté.

En dépit des conditions de sa transmission à l'Assemblée, le document E 1267 (annexes 1 et 2) relatif à l'avant-projet de budget rectificatif et supplémentaire pour 1999 a également été approuvé.

Présentant enfin le document E 1268 concernant le régime d'importation de certains produits textiles originaires de Taïwan, le rapporteur l'a rapproché des documents examinés par la Délégation lors de sa séance du 24 juin 1999, qui portaient sur des accords de commerce de produits textiles avec le Cambodge et le Laos. Il a estimé que ces importations ne pouvaient pas faire l'objet d'accord au coup par coup mais devaient être appréciées dans une perspective globale. Après qu'il ait renouvelé le souhait de voir disposer d'un état récapitulatif des accords textiles et rappelé l'attachement de plusieurs membres de la Délégation à l'élaboration d'un plan textile européen, la levée de la réserve d'examen a été acceptée par la Délégation.

III. Informations relatives à la Délégation

Afin d'assurer l'information de l'Assemblée nationale sur le processus d'élargissement de l'Union européenne, la Délégation a désigné un de ses membres pour suivre chacun des pays candidat. Elle a désigné :

Mme Béatrice Marre, pour la Pologne ;

Mme Nicole Feidt, pour la Hongrie ;

M. Gérard Fuchs, pour la République tchèque ;

M. Jean-Claude Lefort, pour la Slovénie ;

M. Daniel Paul, pour l'Estonie ;

M. Jacques Myard, pour la Lettonie ;

M. Pierre Lequiller, pour la Lituanie ;

M. Maurice Ligot, pour la Roumanie ;

M. François Loncle, pour la Bulgarie ;

Mme Michèle Rivasi, pour la Slovaquie ;

M. Didier Boulaud, pour Chypre.

Le Président Alain Barrau a souligné que M. Jean-Bernard Raimond, rapporteur d'information sur l'élargissement, continuerait à présenter, à échéances régulières, des communications portant sur l'ensemble du processus d'élargissement.

Le Président a enfin indiqué qu'il s'efforcerait de se rendre, avant la présidence française de l'Union européenne, dans chacun des pays candidats.

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