DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 100

Réunion du jeudi 10 février 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Décision relative au dépôt d'une proposition de résolution sur la proposition de règlement modifiant l'organisation commune du marché dans le secteur de la banane (E 1353)

Résumant le contenu du rapport qu'il a présenté à la Délégation lors de sa précédente réunion, M. Camille Darsières a rappelé que la Communauté européenne avait créé en 1993 une organisation commune du marché de la banane fondée sur un contingentement des importations, pour tenir compte de la situation des producteurs communautaires et de ceux des pays ACP. Ce régime prend en compte les distorsions de concurrence, la compétitivité des producteurs de la zone dollar étant largement liée aux différences de conditions de travail, de salaires et de protection sociale. De surcroît, les modifications successives du régime initial ont pénalisé les producteurs antillais. En avril 1999, l'OCM-banane ayant été à nouveau invalidée par l'Organe de Règlement des Différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce, la Commission européenne a proposé que le régime d'importation soit fondé, au plus tard à partir de 2006, sur un système purement tarifaire. Or, cette proposition excède ce qui est demandé par l'ORD, laquelle n'a pas condamné explicitement le système contingentaire, ni les mesures de soutien aux producteurs communautaires.

Face à cette situation, la proposition de résolution exclut l'automaticité du passage à un système purement tarifaire et demande que le régime contingentaire soit maintenu pendant une durée minimale de dix années, au terme de laquelle la situation serait réexaminée. Elle demande une réforme substantielle de l'aide compensatoire, afin de prendre en compte les préjudices subis par les producteurs communautaires et les handicaps structurels des producteurs des Antilles par rapport aux producteurs des Canaries.

M. Pierre Brana, en accord avec les conclusions du Rapporteur, a souhaité que la résolution souligne les différences de législation sociale entre les producteurs de la zone dollar et les autres. Comparant les mérites respectifs de la méthode de l'examen simultané - qui lui semble convenir le mieux aux producteurs communautaires mais qui a peu de chances d'être retenue - et de la méthode des opérateurs traditionnels, il s'est demandé si celle-ci pouvait être prise en considération à titre de position de repli.

M. Gérard Fuchs a souhaité que les distorsions de concurrence résultant des différences de salaires, de protection sociale et de préservation de l'environnement figurent dans le dispositif de la proposition de résolution. Par ailleurs, le maintien de droits de douane et de contingents s'avérant de plus en plus difficile, un système d'aides directes aux producteurs devrait être envisagé et tenir compte de leur apport à l'emploi et à l'environnement ; à cet effet, le système des contrats territoriaux d'exploitation pourrait être utilisé, tandis que l'aide destinée aux départements périphériques devrait être plus élevée.

M. Jean-Claude Lefort a soutenu le dispositif de la proposition de résolution et insisté à nouveau sur le déséquilibre entre les multinationales américaines - qui bénéficient des subventions versées à leurs filiales implantées dans les DOM et les pays ACP - et les filiales des entreprises européennes, qui ne sont pas éligibles aux subventions américaines. Il a par ailleurs déploré le fait que la reprise des négociations de l'OMC ne soit envisagée que pour les services et l'agriculture.

Après les réponses du rapporteur, qui a notamment approuvé l'insertion d'une disposition soulignant les inégalités sociales des différents producteurs et les distorsions de concurrence qui en résultent et jugé difficile de déterminer, à ce stade, le choix d'une méthode d'attribution des licences d'importation, la Délégation a abordé l'examen du dispositif de la proposition de résolution. Elle a introduit dans un considérant une référence au renouvellement de la Convention entre l'Union européenne et les pays ACP avant d'adopter un amendement de M. Gérard Fuchs précisant que l'OCM devait tenir compte des différences de législation sociale entre les différents producteurs et refuser un nivellement par le bas. S'agissant du complément d'aide aux producteurs communautaires de Guadeloupe, Madère et Martinique au titre de 1999, la Délégation a écarté l'idée d'une référence aux contrats territoriaux d'exploitation, qui relèvent d'une logique nationale, et a précisé que ce complément se justifiait par l'engagement pris par le Conseil, le 29 juin 1999, de compenser les effets des réformes subies par l'OCM.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté la proposition de résolution dans le texte suivant :

L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de règlement (CE) modifiant le règlement (CEE) n° 404/93 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane,

- Vu le rapport du groupe spécial de l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce du 12 avril 1999 relatif au régime applicable à l'importation, à la vente et à la distribution des bananes,

- Vu le point 39 du compromis adopté le 29 juin 1999 par le Conseil de l'Union européenne selon lequel « la Commission s'engage à suivre les effets des modifications du régime applicable à la banane sur la commercialisation des bananes communautaires et, le cas échéant, à modifier le revenu de référence afin d'en tenir compte »,

Considérant la situation très préoccupante des économies de la Martinique et de la Guadeloupe dont l'avenir dépend en grande partie de la production et du commerce de la banane ;

Considérant les termes du renouvellement de la Convention de Lomé et l'engagement pris par l'Union européenne d'admettre en franchise de droits l'essentiel des produits en provenance des pays les moins avancés ;

Considérant que la Commission européenne a proposé de modifier certaines dispositions de l'OCM-banane afin de les mettre en conformité avec le rapport du groupe spécial de l'OMC ;

Considérant que la proposition de la Commission européenne remet en cause le maintien des contingents et des droits de douane applicables aux importations de bananes en prévoyant que le régime douanier applicable à ces importations soit basé sur un système purement tarifaire à compter du 1er janvier 2006 au plus tard ;

Considérant que les conclusions du groupe spécial de l'OMC ne suggèrent nullement la mise en place d'un système purement tarifaire mais admettent la validité de principe des contingents tarifaires ;

Considérant les risques importants que feraient courir les propositions de la Commission pour la garantie de l'écoulement des productions communautaires et ACP ;

Considérant que les modifications successives de l'OCM-banane ont eu de graves conséquences sur les producteurs communautaires et que ces conséquences ont été insuffisamment compensées par l'Union européenne ;

Invite en conséquence le Gouvernement à subordonner son accord aux conditions suivantes :

1. que le passage à un régime d'importations fondé sur un système purement tarifaire ne soit en aucun cas conçu comme une perspective automatique mais que le règlement soit assorti d'une clause de rendez-vous permettant d'évaluer le nouveau système contingentaire à l'issue d'une période d'expérimentation qui ne serait pas inférieure à dix ans ; qu'une renégociation de sauvegarde soit prévue au cours de cette période en cas de dégradation de la situation des producteurs ;

2. que l'organisation commune du marché de la banane reconnaisse les différences de législations sociales entre les pays producteurs et que sa réforme n'ait pas pour conséquence un alignement de ces conditions sociales vers le bas ;

3. que la Commission européenne définisse un nouveau régime d'attribution des licences d'importation, afin de permettre un accès égal de tous les opérateurs à toutes les sources d'approvisionnement originaires des pays tiers ;

4. qu'un complément d'aide communautaire, conforme au compromis adopté par le Conseil le 29 juin 1999, soit versé aux producteurs de Guadeloupe, Martinique et Madère au titre de l'année 1999 ;

5. que soit obtenue une réforme substantielle des mécanismes d'aide aux producteurs communautaires, avec comme objectifs :

- la prise en compte de la différence des prix de vente entre les producteurs pour le calcul de l'aide compensatoire ;

- la modification du fait générateur de l'aide, qui doit être l'expédition et non la commercialisation ;

- la rapidité du paiement de l'aide ;

- la mise en place d'un système efficace d'aide à la suite de catastrophes naturelles.

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* *

II. Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes

Evoquant les conditions d'information de la représentation nationale sur la préparation et le déroulement de la présidence française de l'Union européenne, le Président Alain Barrau a indiqué que le ministre délégué chargé des Affaires européennes sera entendu par la Délégation selon une périodicité mensuelle, le cas échéant de manière conjointe avec la Commission des Affaires étrangères. Il a ajouté qu'un débat en séance publique sur la préparation de la présidence française aurait lieu en mai, et que des débats de cette nature seraient organisés au cours du second semestre à l'occasion des deux Conseils européens qui auront lieu sous la présidence française. Dans le même esprit, la Délégation a prévu d'organiser une journée de débat sur les institutions et la défense européennes, le 28 mars, ainsi que trois forums consacrés respectivement à la charte des droits fondamentaux, à l'emploi et au sport.

Le Président a exprimé le souhait que la situation politique de l'Autriche, dont le gouvernement est formé pour moitié de membres appartenant à un parti d'extrême droite, fasse l'objet d'un débat. A cet effet, comme l'a suggéré la Conférence des Présidents, la Délégation pour l'Union européenne et la Commission des Affaires étrangères pourraient procéder à l'audition conjointe du ministre des Affaires étrangères et du ministre délégué chargé des Affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué, chargé des Affaires européennes, ayant salué, à titre liminaire, le travail de synthèse et de propositions réalisé par le Président Barrau dans son rapport d'information sur les priorités de la présidence française, a évoqué la situation politique de l'Autriche, avant d'aborder la Conférence intergouvernementale.

· Le Premier Ministre a exprimé avec beaucoup de force devant l'Assemblée nationale, le 1er février, le sentiment de réprobation que lui inspirait la participation au gouvernement des membres d'un parti d'extrême droite. Depuis lors, le parti de M. Haider a effectivement été appelé au gouvernement autrichien, dont il dispose de la moitié des portefeuilles ministériels. L'Union européenne doit à présent affronter - et non pas gérer - cette situation, qui est en totale contradiction avec les valeurs fondatrices de l'Union et dont il n'est pas question de s'accommoder.

On ne saurait être dupe à l'égard du ralliement tardif et précipité de M. Haider à une déclaration dans laquelle l'Autriche reconnaît sa part de responsabilité dans les crimes commis par le nazisme et où le nouveau gouvernement réaffirme son attachement aux valeurs fondatrices de l'Union. Ce ralliement est en totale contradiction avec les propos qu'il a tenus jusqu'ici ; ses dernières provocations ont montré, si besoin en était, ce que sont les vraies « valeurs » du gouverneur de Carinthie.

Il appartiendra aux quatorze autres Etats membres de rester solidaires et de montrer jour après jour qu'ils n'acceptent pas la situation ainsi créée. C'est le sens du « code de conduite » préparé par la présidence portugaise, que la France approuve totalement après avoir activement contribué à son élaboration, qui doit être mis en _uvre dès à présent et auquel notre pays ne s'interdit pas d'ajouter des mesures complémentaires.

L'Union sera confrontée rapidement à des difficultés très concrètes : lors de la prochaine réunion informelle des ministres des Affaires sociales et de l'emploi, les 11 et 12 février à Lisbonne, la présidence a décidé de ne pas retirer l'invitation adressée à la ministre autrichienne, qui appartient au parti de M. Haider ; il appartient donc aux quatorze autres ministres de saisir cette occasion pour marquer leur totale opposition aux idées défendues par ce parti.

Pour les prochaines sessions du Conseil des ministres de l'Union européenne, le Gouvernement cherche le moyen d'éviter la banalisation de cette situation et de faire en sorte que la présidence française de l'Union, au second semestre, démontre que l'Union ne s'accoutume pas à l'inacceptable. La présidence française ne sera pas flexible.

Cette attitude ne vise pas à pénaliser le peuple autrichien, dont l'immense majorité n'adhère pas aux idées de Haider. A cet égard, il faut saluer la décision, aussi courageuse que symbolique, de l'ancien Chancelier, M. Vranitzky - premier dirigeant autrichien à reconnaître, en 1991, la responsabilité de son pays dans les horreurs du nazisme - qui a démissionné de ses fonctions de représentant du gouvernement autrichien à la Convention chargée d'élaborer le projet de charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

· Le ministre délégué a présenté les positions de la France au sein de la Conférence intergouvernementale, qui sera officiellement ouverte le 14 février, à Bruxelles, à la suite du conseil restreint qui s'est tenu le mercredi 9 février autour du Président de la République.

Une des premières tâches qui reviendra à la présidence française sera de mener à bien la Conférence intergouvernementale. L'ordre du jour arrêté à Helsinki met l'accent sur les trois points non réglés à Amsterdam et les questions immédiatement connexes, tout en laissant la porte ouverte à une possible extension, lors du Conseil européen de juin prochain. Cette orientation ouvre la voie à une CIG à la fois ambitieuse et réaliste : ambitieuse, parce qu'au delà des trois questions essentielles, la CIG traitera le plus grand nombre de questions immédiatement connexes, notamment l'amélioration du mécanisme des coopérations renforcées - la France y est prête pour sa part - question importante dans la perspective d'une Europe à vingt-cinq ou à trente membres ; réaliste, parce que la révision institutionnelle devrait être achevée à la fin de l'année 2000.

Comme l'a souligné le Président Alain Barrau, il n'y a pas une obligation absolue de conclure en décembre, mais il faut tout faire pour y parvenir, non seulement pour ne pas retarder l'élargissement, mais aussi pour assurer le fonctionnement même de l'Union. S'agissant de la composition de la Commission, une tendance se dessine en faveur de la solution consistant à désigner un commissaire par Etat membre. La position française de départ, partagée par l'Allemagne, est plutôt favorable à un plafonnement du nombre de commissaires. Mais, dans l'hypothèse d'un nombre de commissaires inférieur au nombre d'Etats membres, des règles de rotation devront être fixées. Or un système purement mécanique et égalitaire, comme celui que propose la Commission, ne saurait être satisfaisant, car il aurait pour effet de priver la France de commissaire dans deux Collèges sur sept, alors qu'elle aurait déjà fait le sacrifice de renoncer à son deuxième commissaire. En tout état de cause, elle ne pourrait renoncer sans contrepartie à l'un de ses deux commissaires.

C'est pour cette raison que les trois points en discussion sont intimement liés. Ainsi, sur le deuxième point, la France est favorable à une véritable repondération des voix au Conseil, seule manière de rééquilibrer la représentation des Etats membres tout en conservant un système de vote simple et efficace. Toutefois, la double majorité a les faveurs de plusieurs de nos partenaires et il faudra examiner avec soin toutes les propositions, notamment celle proposée par la Commission dans l'avis qu'elle a rendu tout récemment sur la CIG.

Enfin, l'extension du vote à la majorité qualifiée devrait être retenue comme principe général pour toutes les politiques communes. En revanche, la PESC et la coopération policière et judiciaire en matière pénale, de même que les dispositions relatives à la justice et aux affaires intérieures transférées dans le premier pilier par le traité d'Amsterdam ne devraient pas être concernées. De surcroît, des exceptions à la règle de la majorité qualifiée sont à prévoir dans le premier pilier : les décisions à caractère intergouvernemental, celles qui impliquent une ratification par les parlements nationaux et celles qui dérogent au droit communautaire. Une interrogation subsiste pour les questions fiscales, qui sont au c_ur de la souveraineté nationale et des compétences des parlements nationaux. C'est pourquoi le gouvernement souhaiterait avoir l'avis de la Délégation ainsi que des commissions compétentes du Parlement sur ce point.

S'agissant des questions connexes, la France est disposée à en examiner le plus grand nombre, à condition qu'elles soient véritablement liées aux trois questions centrales. La première est celle de l'extension de la codécision, qui s'appliquera sans doute dans la plupart des domaines où l'on passera à la majorité qualifiée. En revanche, son application rétroactive à des domaines déjà régis par la majorité qualifiée - en particulier la politique agricole commune - n'est pas souhaitable. La responsabilité individuelle des commissaires pourrait également être examinée, à condition qu'elle soit mise en jeu devant le seul Président de la Commission, et non devant le Parlement européen. De même, la nécessaire « réallocation » du nombre des députés par Etat membre pour respecter le plafond de 700 est réalisable sans retarder l'aboutissement de la CIG. Enfin, la question de la réforme de la Cour de justice est déjà étudiée par un groupe ad hoc au sein de la Commission et du Conseil, auquel la France transmettra un mémorandum.

La question des coopérations renforcées est essentielle pour donner à l'Union les moyens de fonctionner avec vingt-cinq ou trente Etats membres ; le mécanisme actuel pourrait être assoupli, en particulier par la suppression de la clause d'appel au Conseil européen et l'abaissement sensible du nombre minimal d'Etats requis pour engager une telle coopération. Dans quels domaines pourront-elles être instituées ? Comme l'a souligné le Président Barrau, il convient de prendre garde à ne pas mettre en danger les politiques communes ; les conditions déjà fixées par le traité constituent des garde-fous utiles, mais il ne faut pas en déduire que les coopérations renforcées devraient se limiter aux matières régies par l'unanimité : ce serait priver le mécanisme d'une grande partie de son intérêt.

Les questions relatives à la Défense, ainsi que la Charte des droits fondamentaux continueront d'être traitées parallèlement à la CIG, dans des enceintes ad hoc. Le moment venu, au vu des résultats de ces travaux, et si le Conseil européen en décide ainsi, les dispositions élargies seront insérées, comme les résultats de la CIG, dans le corps du nouveau traité.

Les autres sujets évoqués par le Président Barrau dans son rapport constitueront les principales priorités de la Présidence française de l'Union. Celle-ci assurera un suivi dynamique des négociations d'adhésion en cours avec les six premiers candidats et celles qui vont commencer, le 15 février prochain, avec les six autres. Pour la croissance et l'emploi, la présidence française sera l'occasion de consacrer les efforts que le Gouvernement a accomplis, depuis bientôt trois ans, pour placer cette thématique au c_ur des préoccupations du Conseil et du Conseil européen. On y ajoutera le renforcement de la coordination des politiques économiques dans le cadre de l'Euro 11, le renforcement du Pacte européen pour l'emploi et, à la suite du Conseil européen extraordinaire de Lisbonne des 23 et 24 mars prochain, le développement de l'Europe de la connaissance et du savoir, afin d'encourager la formation des personnes, grâce notamment, à une plus grande mobilité des étudiants et des chercheurs en Europe.

Seront également abordés les autres thèmes évoqués par le rapport du Président Barrau, à savoir : l'approfondissement de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice ; la défense européenne ; l'émergence d'un monde multipolaire encadré par des règles universelles, grâce notamment à la réforme du Fonds monétaire international, à la révision des règles de fonctionnement de l'OMC et au développement des relations avec certains pays ou groupes de pays avec lesquels des rencontres sont prévues lors de la présidence française.

En conclusion, le ministre délégué a évoqué les conditions dans lesquelles la Délégation serait informée du déroulement de la CIG et de la présidence française. Saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Gouvernement a décidé de transmettre à la Délégation les documents officiels de la Conférence, dans le cadre de l'information générale du Parlement et non au titre de l'article 88-4, car il n'y aurait guère de sens à envisager l'adoption de résolutions parlementaires dans le cadre de cette négociation intergouvernementale et, qui plus est, très évolutive. Seront également communiqués par la Représentation permanente, dès la semaine prochaine, les télégrammes de compte-rendu des réunions ministérielles de la CIG, tout comme sont déjà transmis les comptes-rendus des Conseils des ministres.

Après l'exposé du ministre délégué, M. Pierre Brana s'est félicité de la grande fermeté des autorités françaises à l'égard de l'Autriche. Evoquant l'approche - à son sens plus souple - exprimée la veille, à l'Assemblée nationale, par le président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, il a demandé si la position de la France était partagée par les autres Etats membres. Il a également souhaité connaître la position des pays candidats à l'adhésion, qui sont restés très discrets.

M. Pierre Lequiller a fait part de son accord sur la position de fermeté exprimée par la France. Pertinente à long terme, cette attitude lui paraît cependant présenter, à court terme, le risque de renforcer le parti de M. Haider, lequel pourrait apparaître, aux yeux de l'opinion autrichienne, comme une victime. La France et l'Allemagne se concertent-elles pour arrêter leur position en ce domaine ?

S'agissant de la repondération des voix au sein du Conseil, qui est selon lui la question la plus difficile à résoudre, il a souhaité obtenir des précisions sur la ligne défendue par la France et sur le degré de convergence avec l'Allemagne sur ce point. Il a exprimé sa réticence à l'égard d'une extension de la règle de la majorité qualifiée en matière fiscale, en raison des disparités économiques, sociales et réglementaires qui subsistent entre les pays de l'Union. Avec la mise en place de l'euro, la variable d'ajustement monétaire a disparu ; dès lors, le maintien de l'unanimité en matière fiscale constitue une soupape utile permettant d'absorber ces différences.

Evoquant le rapport présenté récemment par le Président Alain Barrau sur des propositions pour la présidence française de l'Union, il a souligné l'importance particulière que la Délégation attache à la question de l'élargissement. Devant l'impatience exprimée par les pays candidats, ne conviendrait-il pas de leur envoyer un signal politique consistant à indiquer une date butoir pour l'intégration d'un premier ensemble de pays, sous réserve qu'ils satisfassent aux critères d'adhésion ? Cette mesure exercerait en outre une pression sur l'Union pour l'inciter à achever plus rapidement la réforme de ses institutions. En revanche, l'octroi à la Turquie du statut de candidat constitue une double erreur : l'intégration de ce pays transformerait le paysage de l'Europe et de son avenir ; au surplus, cette décision est en contradiction avec la fermeté exprimée aujourd'hui à l'égard de l'Autriche. Déplorant que la représentation nationale n'ait pas été consultée sur cette question, il a demandé si le Gouvernement était disposé à lui consacrer un débat au Parlement.

M. Gérard Fuchs, ayant approuvé la position de la France vis-à-vis de l'Autriche, a abordé les questions relatives à la réforme des institutions.

S'agissant du nombre de commissaires européens, il a soutenu l'idée d'un commissaire permanent par grand pays et d'une rotation pour les petits pays, sans méconnaître la réticence de ceux-ci à l'égard d'une telle réforme. Dès lors, pourrait être envisagée une hiérarchisation entre les commissaires pour tenir compte de l'importance respective des Etats. S'agissant de la pondération des voix au Conseil, la règle de la double majorité - des Etats et de la population - lui paraît la meilleure : cette règle a le mérite d'être claire, de s'adapter aux élargissements successifs et de refléter la double nature de l'Union européenne qui est à la fois une union des peuples et des Etats. Si l'application de la règle de la majorité qualifiée doit s'étendre à la fiscalité, c'est dans le but de parvenir à la fixation de taux minima, pour la TVA comme pour la fiscalité de l'épargne. Il ne s'agit donc pas d'une harmonisation, terme qui suscite, en ce domaine, incompréhension et blocage ; mais il est clair que le maintien de la règle de l'unanimité continuerait à paralyser les réformes en cours. Si le passage à la majorité qualifiée était présenté comme un moyen, non d'uniformiser les réglementations nationales, mais seulement de les encadrer, la réticence des pays opposés à cette mesure pourrait être surmontée.

Les règles applicables à la coopération renforcée devraient être assouplies et l'utilisation du compromis de Luxembourg devrait être surbordonnée à la présentation d'une solide motivation. La présidence française devrait mettre en place un groupe de travail destiné à élaborer, pour les dix ans à venir, des grands projets de société et quelques grands programmes dans le domaine de la recherche et de la technologie. Cela permettrait à la Communauté de faire contrepoids à la puissance américaine, de renforcer l'identité européenne et d'accroître la place de l'Union sur la scène internationale.

Pour M. Jacques Myard, l'Union est aux prises avec ses contradictions : se mêlant de tout et se voulant omnipotente, elle est incapable de se réformer. Face à cette situation, la subsidiarité - notion absente de l'exposé du ministre délégué - constitue la planche de salut. Si la limitation du nombre des membres de la Commission est nécessaire, il est impensable qu'un membre français n'y participe pas en permanence. S'agissant de la pondération des voix au Conseil, il a déclaré partager les analyses de M. Gérard Fuchs. Quant à l'extension du vote à la majorité qualifiée, elle risque de fragiliser l'Union en la faisant apparaître comme une « Europe de la contrainte ». De surcroît, appliquer la majorité qualifiée à la PAC permettrait aux Etats qui y sont hostiles de la démanteler.

Sous l'effet des coopérations renforcées et de l'élargissement, l'Union européenne s'oriente vers une construction totalement différente de celle prévue par le traité de Rome. Loin de contribuer à l'avènement d'un monde multipolaire, la construction européenne tend plutôt à reconstituer des blocs ; c'est d'ailleurs l'affrontement entre le bloc européen et le bloc américain qui a fait échouer la Conférence de Seattle. Le projet de charte des droits fondamentaux européens ne peut qu'aboutir à un plagiat des textes en vigueur, notamment ceux élaborés sous les auspices de l'ONU et du Conseil de l'Europe. Il serait donc préférable de veiller à l'application de tous les droits reconnus plutôt que de créer une nouvelle charte.

Mme Béatrice Marre a déclaré partager la position très ferme exprimée par le ministre délégué au sujet de l'Autriche, tout en notant les interrogations suscitées par l'invitation d'une ministre autrichienne - appartenant au parti de M. Haider- à la prochaine rencontre informelle des ministres des affaires sociales. Face à un risque de découragement, perceptible dans l'opinion publique des pays candidats, un échéancier devrait être annoncé afin de les rassurer et de donner un sens aux efforts considérables qu'ils ont consentis. La réforme des institutions s'en trouverait, du même coup, accélérée.

M. Jean-Claude Lefort a estimé que la politique tendant à isoler le gouvernement de l'Autriche ferait prendre conscience au peuple autrichien de la nécessité pour ses dirigeants de respecter les droits et libertés, seul moyen pour ce pays de se réinsérer dans la communauté internationale. Les dispositions de l'article 7 du traité sur l'Union européenne permettant de suspendre certains droits d'un Etat membre en cas de violation des principes fondateurs de l'Union devraient être mises en application.

En proposant de reconnaître la candidature de la Turquie, la Commission a mis les Etats membres devant le fait accompli et le Conseil européen d'Helsinki a donné le statut de candidat à un pays qui peut être considéré comme violant « de manière grave et persistante » les principes fondamentaux énoncés à l'article 6 du traité sur l'Union européenne, puisque - sans qu'il soit besoin d'évoquer la question kurde - la Turquie occupe par la force, depuis 1974, près de la moitié du territoire de Chypre.

L'extension de la majorité qualifiée ne suscite pas de sa part une hostilité de principe, mais elle ne doit pas être appliquée à l'ensemble des matières du premier pilier. Pareille extension marquerait le début d'un processus d'élaboration d'une constitution de l'Union européenne, contraire aux engagements pris par le Premier ministre qui s'était dit soucieux, lors de la campagne des élections législatives de préserver l'équilibre entre les Nations et l'Union européenne. L'extension du vote à la majorité qualifiée à l'ensemble du champ couvert par le premier pilier aurait d'ailleurs empêché l'adoption de la législation relative aux 35 heures et rendu possible la conclusion de l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI). Elle ne pourrait, au surplus, que compliquer le processus d'élargissement.

M. Joseph Parrenin a observé que les conditions exigées de la Turquie étaient les mêmes que celles prévues pour tous Etats candidats. Dès lors, la candidature de la Turquie ne présente pas un danger particulier. Le respect des critères relatifs aux droits de l'homme constitue un préalable.

Favorable à l'élargissement et favorable à la repondération des voix au Conseil, M. Jean-Bernard Raimond a souligné que les deux questions étaient liées : les pays candidats veulent entrer dans une Europe en état de marche. Il est d'ailleurs plus facile de convaincre les Polonais que les Luxembourgeois de la nécessité de cette réforme. Quant à la reconnaissance de la candidature turque, elle est le fruit de l'histoire : la Turquie, comme la Grèce, sont devenus, depuis la doctrine Truman, des alliés du camp occidental pendant la guerre froide.

Dans ses réponses aux intervenants, le ministre délégué a apporté les précisions suivantes :

- la France demeurera inflexible à l'égard de l'Autriche. Une position très ferme a été prise par les autres Etats membres, même si certains d'entre eux se sont montrés plus explicites. Il importe de s'assurer de la solidité du front ainsi constitué, car une telle politique fera prendre conscience aux Autrichiens - dont 73 % n'ont pas voté pour M. Haider - le prix élevé de l'isolement que subit leur pays du fait d'une coalition contre nature et formée contre la volonté d'une grande majorité d'électeurs. Quant aux Etats candidats, M. Haider en a menacés clairement certains d'utiliser le veto de l'Autriche à l'encontre de leur adhésion. La Pologne et la République tchèque se rapprochent néanmoins des positions de l'Union européenne ;

- s'agissant de la réforme des institutions, certains Etats membres sont favorables à l'instauration de la double majorité. L'examen de cette question s'inscrit dans la logique d'une négociation globale sur les processus décisionnels. L'extension de la majorité qualifiée au domaine de la fiscalité doit continuer à faire l'objet de réflexions approfondies ; le Gouvernement, qui partage l'analyse de M. Gérard Fuchs, sera attentif aux travaux du Parlement ;

- le compromis de Luxembourg ne figure pas dans les traités en vigueur, mais il peut être invoqué pour faire face à une difficulté grave. En revanche, la clause d'appel au Conseil européen figure dans les dispositions du traité relatives à la coopération renforcée et peut donc constituer une cause de blocage ;

- la Turquie est seulement candidate à l'Union européenne ; la décision prise par le Conseil européen d'Helsinki s'inscrit dans la continuité historique évoquée par M. Jean-Bernard Raimond. Conformément à cette décision, la candidature de la Turquie ne donnera lieu à l'ouverture de négociations en vue de son adhésion que lorsqu'elle aura progressé dans la démocratie et évolué à l'égard des Kurdes et aussi de Chypre, dont la responsabilité de la situation actuelle est d'ailleurs partagée. La reconnaissance de la candidature de la Turquie doit donc être considérée comme un levier favorisant les réformes nécessaires dans ce pays. Le moment venu, le processus de ratification donnera aux Parlements des Etats membres l'occasion de se prononcer.

- il existe une cohérence entre la position des Etats membres sur la candidature de la Turquie et la fermeté qu'ils expriment à l'égard de l'Autriche : il est en effet logique de vouloir à la fois l'application de sanctions contre un Etat membre qui violerait de manière grave et persistante les principes fondamentaux de l'Union et à subordonner au respect de ceux-ci l'entrée d'un pays candidat. En l'absence de cette fermeté, l'Union se serait privée de tout levier pour s'opposer à l'adhésion de la Turquie ;

- un groupe de travail chargé d'étudier les grands projets technologiques et de société pourrait être créé sous la présidence française ; le Gouvernement y réfléchit ;

- la fixation d'une date pour les premières adhésions doit être envisagée avec prudence. C'est une question que la présidence française aura à prendre en considération.

III. Informations relatives à la Délégation

La Délégation a nommé rapporteurs d'information :

- Dans le cadre du suivi des travaux de l'OMC :

- Mme Béatrice Marre, sur la réforme de l'OMC et son lien avec l'architecture des organisations internationales ;

- M. Jean-Claude Lefort, sur la place des pays en développement dans les relations commerciales multilatérales et particulièrement dans le cadre de l'OMC ;

- Mme Marie-Hélène Aubert, sur la proposition de directive relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.

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