DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 109

Réunion du jeudi 4 mai 2000 à 9 heures

Présidence de M. Gérard Fuchs, Vice président,
puis de M. Alain Barrau, Président

I. Entretien avec une délégation de la Commission pour l'intégration européenne de l'Assemblée nationale de la République de Hongrie

M. Gérard Fuchs, vice-président, a souhaité la bienvenue à la délégation de la Commission de l'intégration européenne de l'Assemblée nationale hongroise conduite par son Président, M. Joszef Szajer, et composée en outre de Mmes Katalin Kiszely et Erzebet Gidai et de MM. Imre Karl, Gabor Szalay et Istvan Bebes. Il a rappelé la précédente visite de la délégation conduite par M. Mihaly Bihari, le 20 novembre 1997, à laquelle était associé le Président de la Commission de l'intégration européenne de l'époque, M. Viktor Orban, qui est devenu Premier ministre quelques mois plus tard et la rencontre du 24 juin 1999 avec une délégation conduite par M. Joszef Gyimesi. Se réjouissant de la qualité de ces rencontres, qui s'inscrivent dans le cadre plus large des relations franco-hongroises, dont il a souligné l'excellence, il a évoqué également l'évolution de la nature de l'Union européenne : elle n'est plus seulement un grand marché, dominé par les questions économiques, mais tend à devenir, de plus en plus, une entité politique. Il est donc particulièrement intéressant de connaître le point de vue des élus des pays candidats sur cette évolution.

Le Président Joszef Szajer a remercié la Délégation pour l'Union européenne et son Président d'accueillir à l'Assemblée nationale une délégation de la Commission pour l'intégration européenne composée de représentants de tous les partis politiques hongrois. Il a souligné que l'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne faisait l'objet d'un consensus très large dans l'opinion publique, 68 % de la population étant favorable à l'intégration et seulement 15 % s'y déclarant opposé. Il a souligné que la Hongrie se tiendrait prête à entrer dans l'Union européenne, en dépit de certaines difficultés, à la date qu'elle s'est fixée pour atteindre cet objectif, à savoir le 1er janvier 2002. La Commission pour l'intégration européenne suit avec une grande attention tous les aspects du processus d'intégration et l'ensemble des mesures prises à cet effet. La période de la présidence française de l'Union européenne devrait constituer pour la France une occasion de soutenir l'adhésion de la Hongrie et d'obtenir qu'une date soit fixée, cette demande n'ayant pas jusqu'ici été satisfaite. Si des progrès restent à accomplir dans certains secteurs pour respecter l'acquis communautaire, d'autres dossiers ne sont pas clos faute d'accords entre les Etats membres de l'Union européenne.

Le Président Joszef Szajer a insisté sur le fait que l'adhésion à l'Union européenne n'était pas seulement une affaire économique mais aussi l'adhésion à une entité politique et à des valeurs communes auxquelles il s'est déclaré très attaché. Il a souhaité connaître l'avis des parlementaires français sur les perspectives de la présidence française, sur la Conférence intergouvernementale (CIG) et sur la situation générale de l'Union européenne.

Le Président Alain Barrau a salué le rôle joué par la Commission de l'intégration européenne dans le suivi du processus d'adhésion de la Hongrie et s'est réjoui de cette nouvelle visite de parlementaires hongrois à quelques semaines du début de la présidence française de l'Union européenne.

M. Pierre Brana, évoquant la lutte contre la fraude dans le cadre de l'Union européenne, a demandé à la délégation hongroise quelles mesures la Hongrie avait prises ou envisagées au regard des objectifs poursuivis par Europol et Eurojust. A-t-elle des propositions à formuler à ce sujet ? Est-elle favorable à la création d'un parquet européen ?

Mme Nicole Ameline s'est félicitée de la venue de la délégation hongroise, en précisant que l'adhésion des pays d'Europe centrale s'apparentait, dans son esprit, à la réunification du continent européen. Elle a demandé aux députés hongrois quelles devaient être, selon eux, les priorités de l'Union européenne, avant de s'enquérir de leur position à l'égard de la politique européenne de sécurité et de défense, qui devrait figurer parmi les priorités de la présidence française. Elle leur a enfin demandé l'état de leurs réflexions sur les moyens de mieux associer les parlements nationaux à la construction européenne.

M. Gérard Fuchs, évoquant la Conférence intergouvernementale et la priorité que constitue la réforme institutionnelle, a souhaité connaître la position des parlementaires hongrois à l'égard de celle-ci.

M. Pierre Lequiller a estimé souhaitable que, à l'issue de la présidence française, une échéance soit fixée pour l'entrée d'un premier groupe de pays - dont la Hongrie - dans l'Union européenne. Il a jugé utile que les pays candidats réfléchissent à la réforme des institutions communautaires, dans la mesure où l'Union européenne à laquelle ils adhéreront sera fort différente selon que cette réforme aura réussi ou échoué.

Le Président Joszef Szajer a remercié les députés de leur accueil, avant de revenir sur les points abordés au cours de leurs interventions. Il s'est félicité de constater que, s'agissant de la Hongrie, chacun s'accordait à penser que la question n'était plus de savoir si elle devait entrer dans l'Union européenne, mais à quelle date elle devrait adhérer. Evoquant la visite du Premier ministre français en Hongrie, il a estimé que les relations franco-hongroises n'avaient jamais été aussi étroites qu'au cours des dix dernières années.

Pour la Hongrie, la coopération européenne dans les domaines de la justice et des affaires intérieures revêt un caractère essentiel dans la mesure où elle entend adhérer à une Europe qui garantisse la sécurité intérieure. La démocratie ne se limite pas à la proclamation de droits et de libertés, elle passe aussi par la préservation de la sécurité face à l'accroissement de la criminalité et par la maîtrise des mouvements migratoires. La Hongrie est prête à rejoindre, à cet effet, d'autres instances européennes, notamment le Conseil de l'Europe. La lutte contre la fraude et la prévention de la corruption doivent naturellement faire l'objet d'une réglementation européenne.

Pour la Hongrie, située dans une zone qui a connu de nombreux conflits, la politique européenne de défense constitue un enjeu majeur. Les derniers événements survenus dans la région montrent que l'Europe peut encore gagner en rapidité et en efficacité. La Hongrie considère que son entrée dans l'OTAN a constitué un facteur essentiel de sa sécurité ; elle n'a d'ailleurs pas manqué de faciliter son action.

S'agissant de la réforme des institutions communautaires, la Hongrie devrait faire connaître son point de vue et ses propositions. La réforme ne doit pas retarder l'entrée des pays candidats dans l'Union européenne. Les petits pays doivent avoir leur place dans l'Union, même s'il est vrai qu'une repondération des voix devrait être effectuée.

La fixation d'une date, ou du moins celle d'un calendrier, devrait être décidée, afin d'éclairer le processus d'adhésion. A défaut, les pays candidats seraient dans la situation de coureurs auxquels la longueur de la course n'a pas été indiquée avant le départ : comment, dans ces conditions, organiser l'effort demandé ?

Mme Katalin Kiszely a indiqué que le gouvernement hongrois, après les observations du rapport annuel de la Commission pour 1998 sur la corruption, avait révisé le droit pénal hongrois, notamment dans le domaine des délits économiques et financiers ; alors que cette révision est en voie d'achèvement, le rapport de la Commission pour 1999 ne mentionne plus ces questions. Elle a enfin demandé quelle était l'appréciation de la Délégation sur la situation en Autriche et ses répercussions sur le processus d'adhésion des pays d'Europe centrale.

M. Gabor Szalay a souligné que la corruption était un phénomène mondial et que l'on pouvait craindre que la mondialisation de la criminalité ne progresse plus vite que l'harmonisation de la riposte politique ; les efforts doivent donc s'intensifier. L'existence des paradis fiscaux, qui servent au blanchiment de l'argent sale et favorisent donc la corruption, devrait être combattue plus fermement.

Mme Erzebet Gidai a souhaité connaître l'appréciation des députés français sur le rôle des minorités hongroises à l'étranger, notamment en Autriche et en Allemagne. Evoquant par ailleurs le souci de la Hongrie de protéger son agriculture, elle s'est enquis de l'avis de la Délégation sur cette préoccupation.

M. Istvan Bebes a précisé que la Hongrie avait demandé une dérogation pour les seules terres agricoles, qui ne pourraient être acquises par des non-nationaux qu'à l'expiration d'une période transitoire de dix ans. Cette demande se distingue donc de celle de la Pologne ou de la République tchèque, qui ne se limitent pas aux terres agricoles.

Le Président Joszef Szajer a souhaité connaître le pronostic de la Délégation sur les chances du succès de la Conférence intergouvernementale d'ici la fin de la présidence française.

Le Président Alain Barrau a évoqué, à propos de la situation délicate de l'Autriche, la position unanime des quatorze Etats membres, ainsi que l'identité de vue sur ce point entre le Président de la République et le Premier ministre français. La vigilance de l'Union et les sanctions qu'elle a prises à l'encontre d'un gouvernement auquel participent plusieurs membres d'un parti d'extrême droite ne doivent pas être interprétées comme une mise au ban du peuple autrichien. Mais cette question ne peut être considérée comme une question étrangère : c'est une question intérieure à l'Union européenne, qui est une entité politique, qui élabore une charte des droits fondamentaux et construit une politique de sécurité commune.

Si le gouvernement autrichien prend des mesures contraires à l'acquis communautaire, l'Union européenne mettra en _uvre la procédure prévue par l'article 7 du Traité sur l'Union européenne. La riposte est moins simple si ce gouvernement se limite à des déclarations contraires aux valeurs communes ou au processus d'élargissement. La position prise par l'Union suscite des réactions diverses en Autriche : le gouvernement autrichien l'exploite, mais une partie croissante de l'opinion autrichienne se mobilise dans le bon sens, comme l'a montré notamment la manifestation du 1er mai, qui a connu cette année un succès sans précédent.

Le gouvernement autrichien prendrait un grand risque s'il menaçait de bloquer la présidence française au motif que la France serait la principale instigatrice de la politique de l'Union à l'égard de l'Autriche. Même si la France a été parmi les premiers à réagir, les Quatorze sont sur la même ligne et il est peu probable que la présidence suédoise ait une attitude très différente de la présidence française.

Le risque que l'Autriche perturbe l'élargissement en ralentissant la CIG est préoccupant. L'opinion française, pour qui l'élargissement est politiquement logique, humainement et culturellement souhaitable, mais économiquement difficile, pourrait tirer de cet incident l'idée que l'élargissement est une affaire trop compliquée. On peut aussi s'inquiéter des pressions que le gouvernement autrichien pourrait exercer sur les pays candidats. Toutefois, la position prise par la République tchèque, qui s'est alignée sans hésiter sur celle des quatorze, a revêtu une portée significative.

Personne ne peut dire aujourd'hui si la CIG réussira là où la précédente a échoué. L'idée d'une « refondation » de l'Europe autour d'un petit nombre d'Etats, bien que non réalisable à court terme, pèse néanmoins sur la Conférence.

M. Jean-Bernard Raimond a salué les propos du Président Szajer sur la nature politique de l'Union européenne et la communauté de valeurs qu'elle constitue : ils sont de nature à encourager et à consolider le processus difficile de l'élargissement, qui constitue un devoir pour l'Europe.

Abordant les perspectives de la CIG, il a estimé urgent qu'elle débouche sur un bon accord. Plus que l'extension de la majorité qualifiée et la taille de la Commission, c'est la pondération des voix qui revêt la plus grande importance, dans la mesure où elle conditionne le fonctionnement équilibré du Conseil des ministre : il convient de donner aux grands pays la place qui doit être la leur au sein de cette institution.

M. Jacques Myard a exprimé son désaccord avec les propos du Président Alain Barrau sur la situation politique de l'Autriche. Pour lui, la position de la France est exagérée et intenable. S'il va de soi qu'on ne saurait tolérer aucune atteinte aux droits de l'homme, les quatorze n'auraient pas dû traiter l'Autriche comme ils l'ont fait. L'Union européenne doit sortir rapidement de l'impasse diplomatique dans laquelle elle s'est mise.

Le Président Alain Barrau a souligné que la position défendue par M. Jacques Myard était très minoritaire en France. M. Joseph Parrenin a ajouté qu'une réaction rapide et forte était préférable, compte tenu de l'histoire, à une absence de réaction face à une situation comme celle de l'Autriche.

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II. Rapport d'information de M. François Guillaume sur les biocarburants dans l'Union européenne

En présence des députés hongrois, la Délégation a examiné le rapport d'information de M. François Guillaume sur les biocarburants dans l'Union européenne.

M. François Guillaume, rapporteur, a souligné que la question des biocarburants se trouvait au confluent de plusieurs objectifs communautaires, sans pour autant faire l'objet d'un traitement satisfaisant à l'échelle de l'Union européenne. Il a donc souhaité explorer les voies d'une amélioration de l'encadrement communautaire de ces produits après avoir replacé cette question dans son contexte économique et juridique.

Il a évoqué au préalable les contacts qu'il avait pris, dans le cadre de l'élaboration de son rapport, avec les professionnels des filières blé, betterave et oléagineux, ainsi qu'avec les pétroliers et les constructeurs de véhicules, avec les représentants des institutions communautaires et ceux de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, avec les ambassadeurs des Etats membres de l'Union européenne, enfin avec des conseillers du Premier ministre et des ministres concernés.

La production de biocarburants dans la Communauté (éthanol et ester méthylique) a considérablement augmenté depuis le début des années 90. Toutefois, elle représente moins d'un million de tonnes, soit à peine 5,9 % de la production mondiale estimée à 17 millions de tonnes et moins de 1 % des carburants utilisés dans le secteur routier. L'Europe se situe loin derrière le Brésil et les Etats-Unis. La France fait figure de leader communautaire, car elle représente la part la plus importante de la production de l'Union, tant pour les esters méthyliques d'huile végétale que pour l'éthanol, qu'elle transforme en éthyl-tertiobutyl-éther (ETBE).

Dans l'Union européenne, la production communautaire d'ester à partir de colza et de tournesol est passée de 55 000 à 470 000 tonnes de 1992 à 1999. La France, avec 246 484 tonnes, représente 58 % de cette production. Dans le domaine des transports, elle utilise l'ester méthylique d'huile végétale en mélange au gazole. Jusqu'à 5 %, taux homologué par les pouvoirs publics, il est distribué à la pompe de façon banalisée. Entre 5 % et 30 %, il s'emploie pour les flottes urbaines captives, sans que des adaptations techniques sur les véhicules soient nécessaires.

Plus ancienne, la filière éthanol-ETBE connaît aussi un fort développement. Quatre Etats membres sont engagés dans un programme de développement de la production d'éthanol : la France, l'Espagne, les Pays-Bas et la Suède. Dans tous les pays producteurs, le coût des biocarburants est deux à quatre fois supérieur à celui des carburants fossiles et leur développement repose donc sur un allégement de la fiscalité. En France, une exonération partielle de la TIPP a été introduite dès 1992 pour les esters méthyliques d'huile végétale et pour l'éthanol, puis reconduite d'année en année. Elle s'élève à 2,3 francs par litre pour les esters méthyliques d'huile végétale et 3,29 francs pour l'éthanol. De tous les pays producteurs, seule la Belgique ne prévoit pas d'exonération fiscale ; sa production est exportée dans des Etats membres, Allemagne et Italie, où elle peut bénéficier de dispositifs d'exonération fiscale.

Les biocarburants peuvent contribuer à la politique communautaire d'amélioration de la qualité de l'air et de réduction de l'effet de serre. Ils sont souvent attaqués en raison de leur origine agricole : ils seraient le symbole d'une intensification des cultures et leur potentiel en matière de réduction des émissions polluantes des véhicules serait annihilé par la pollution que leurs cultures engendrent. Cette assertion ne résiste pas à l'analyse, le bilan environnemental global des biocarburants étant positif : ils permettent de diminuer certaines émissions polluantes des véhicules et apportent aussi de l'oxygène qui améliore la combustion et entraîne moins d'hydrocarbures imbrûlés et de monoxyde de carbone.

Deux utilisations différentes des biocarburants peuvent être envisagées à l'échelle communautaire : un usage banalisé à faible taux dans le cadre des nouvelles spécifications communautaires sur les carburants et des concentrations plus élevées pour les zones sensibles et les flottes captives.

La directive du 13 octobre 1998 concernant la qualité de l'essence et des carburants diesel a pour objet de maîtriser les paramètres qui, dans la composition de l'essence et du gazole, ont un effet sur les rejets dans l'atmosphère. Elle a introduit des valeurs limites pour 2000 et 2005 et interdit l'essence au plomb à partir du 1er janvier 2000. Les biocarburants, utilisés en faible mélange comme en France, s'inscrivent dans le cadre des nouvelles spécifications communautaires. En dehors d'un usage banalisé dans le cadre des nouvelles spécifications communautaires, l'utilisation de biocarburants à des taux élevés, en mélange aux carburants conventionnels peut s'appliquer dans des zones particulièrement sensibles au regard de la qualité de l'air et sur certaines flottes captives. Avec le gaz de pétrole liquéfié (GPL), le gaz naturel véhicule (GNV), ils sont des éléments de lutte contre la pollution. Leur avantage réside dans le fait que, en mélange avec les carburants traditionnels et même à des taux élevés, ils n'impliquent aucune adaptation des moteurs et des systèmes d'injection. Ils présentent de surcroît toutes les garanties de sécurité.

Les biocarburants peuvent être aussi un facteur important dans la stratégie de lutte contre l'effet de serre. Dans le cadre du protocole adopté à l'issue de la conférence de Kyoto en décembre 1997, l'Union européenne s'est engagée sur un objectif ambitieux de réduction de 8 % de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 d'ici 2008-2012. La Commission estime que, si aucune mesure n'est prise, l'Union européenne connaîtra une hausse de près de 8 % du total des émissions de gaz à effet de serre en 2010 par rapport au niveau de 1990. En particulier, la part des émissions de dioxyde de carbone dues aux transports est en constante augmentation ; ainsi, une limitation importante de l'utilisation des combustibles fossiles dans le domaine des transports s'avère nécessaire. Pour l'instant, la Communauté a ébauché une stratégie visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone des voitures particulières, qui passe essentiellement par la réduction de la consommation des véhicules. Cette stratégie est insuffisante et l'usage des biocarburants reste une solution à exploiter. Le bilan des biocarburants en matière de lutte contre l'effet de serre est bien meilleur que celui des carburants conventionnels et alternatifs de type GPL et GNV.

    Les biocarburants offrent aussi une réponse a l'évolution de la politique agricole commune. Le développement des biocarburants permet de desserrer la contrainte des débouchés alimentaires à laquelle doit faire face la politique agricole commune depuis les années 1980 et de maintenir l'emploi agricole. Il contribue également à diminuer la dépendance de l'Union européenne en matière de protéines végétales.

En instaurant l'obligation de gel des terres, la réforme de 1992 a favorisé le développement de la production des biocarburants : elle a autorisé les agriculteurs à utiliser les terres « gelées » pour cultiver des plantes non alimentaires tout en leur maintenant le paiement compensatoire pour gel des terres, sauf pour les betteraves à sucre. Par ailleurs, en rapprochant les prix communautaires des cours mondiaux, la réforme a certainement facilité l'accès aux matières premières agricoles à des prix plus compétitifs pour des usages non alimentaires.

La dernière réforme de la politique agricole commune a confirmé l'orientation prise en 1992. Elle s'est traduite, dans le secteur des grandes cultures, par une nouvelle baisse des prix d'intervention et le maintien de l'obligation de gel des terres à 10 % à partir de la campagne 2000-2001 jusqu'à la campagne 2006. Les cultures non alimentaires continuent de répondre à la contrainte de limitation des débouchés alimentaires, le système de la jachère industrielle qui permet aux agriculteurs d'avoir un revenu fondé sur une production nouvelle étant nettement préférable au principe de la jachère nue et d'un soutien direct destiné à les empêcher de produire.

    La production de biocarburants permet aussi de diminuer l'important déficit communautaire en protéines végétales. En effet, cette production se traduit par des coproduits - tourteaux pour les esters méthyliques d'huile végétale et drèches pour l'éthanol de blé - à forte teneur en protéine végétale et qui sont utilisés dans l'alimentation animale.

Les biocarburants s'inscrivent enfin dans la stratégie communautaire de développement des énergies renouvelables. Dans sa communication « Energie pour l'avenir : les sources d'énergie renouvelables -  Livre blanc établissant une stratégie et un plan d'action communautaire » (1997), la Commission européenne a appelé de ses v_ux le doublement de la part des sources d'énergie renouvelables de 6 % à 12 % à l'horizon 2010. Elle a ensuite précisé sa stratégie dans sa communication « Campagne pour le décollage des sources d'énergie renouvelables ». La Commission a estimé qu'un objectif de 5 millions de tonnes de biocarburants liquides pour 2003 pourrait être atteint ; cela représente 2 % des carburants consommés. Pour 2010, elle a envisagé la production de 18 millions de tonnes équivalent pétrole de biocarburants.

Le bilan énergétique des biocarburants, qui représente leur capacité à économiser et à se substituer à l'énergie fossile est favorable : ils peuvent contribuer à la réduction de la dépendance énergétique de l'Union européenne ; à plus long terme, ils constituent une réponse à l'épuisement des réserves de pétrole.

Si le développement des biocarburants répond aux objectifs de l'Union européenne, des mesures doivent être prises pour l'encourager.

Il convient en premier lieu de pérenniser les actions de soutien direct qui ont été entreprises. La Communauté a soutenu des actions de recherche, de démonstration et des projets pilotes concernant les biocarburants dans le cadre d'une multiplicité de programmes de recherche et du programme Altener en faveur des énergies renouvelables. Les recherches ont porté sur l'utilisation de nouvelles matières premières pour produire des biocarburants, les procédés de fabrication et leur usage. Ainsi, l'utilisation de l'éthanol pour les piles à combustible a donné lieu à des projets de recherche cofinancés par l'Union européenne. Ces actions doivent être poursuivies, car d'importants progrès peuvent être encore faits, mais dans un cadre et selon des modalités qui devraient être simplifiés. Surtout, il est nécessaire de rendre le cadre réglementaire et fiscal plus incitatif.

    Sur ce point, il est souhaitable d'instaurer un système d'exonération communautaire ou d'autoriser les Etats membres à pratiquer des exonérations fiscales sans limitation de volume. Le cadre fiscal en vigueur est en effet trop restreint. La possibilité pour les Etats membres d'alléger la fiscalité des biocarburants est actuellement prévue par la directive de 1992 concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales. Son article 8, paragraphe 2 (d), autorise des exonérations fiscales pour les biocarburants dans le cadre de projets pilotes. Son article  8-4 pourrait aussi être utilisé, mais la procédure prévue est lourde et requiert l'unanimité au Conseil.

Dans son livre blanc sur les énergies renouvelables, la Commission européenne a estimé qu'une part de 2 % du marché des carburants pouvait être considérée comme une phase pilote. Toutefois, l'interprétation de la Commission mériterait d'être confirmée. Elle fait l'objet d'une contestation indirecte par la société BP Chemicals Limited, qui produit de l'éthanol synthétique. Cette société a introduit devant le Tribunal de première instance des Communautés, en 1997, un recours en annulation de la décision de la Commission approuvant le système français de défiscalisation des biocarburants. En tout état de cause, la notion de projet pilote n'apparaît pas adaptée au développement des biocarburants, puisqu'il doit s'agir d'une exploitation industrielle.

Le rapporteur s'est donc dit favorable à l'instauration d'un cadre communautaire d'exonération fiscale sur le modèle de la « proposition Scrivener » de 1992. Ce texte avait prévu que les taux d'accises applicables aux biocarburants ne pourraient excéder, dans chaque Etat membre, 10 % des taux appliqués dans cet Etat au carburant qu'ils remplaçaient (essence ou gazole). Un tel système présenterait deux avantages : en premier lieu, chaque projet de développement ne serait plus conditionné à une décision de chaque Etat membre, ce qui permettrait de raccourcir la procédure de décision d'investissement ; en second lieu, les pétroliers seraient incités à utiliser les biocarburants, car ils pourraient les mettre en distribution dans tous les Etats membres en bénéficiant d'un avantage fiscal. La proposition Scrivener n'a pas fait l'objet d'une position commune au Conseil en raison de l'opposition du Royaume Uni. Une solution similaire risque de ne pas réunir la majorité au Conseil.

A défaut d'un tel système, l'adoption de la proposition de directive restructurant le cadre communautaire de la taxation des produits énergétiques constituerait déjà une avancée significative. Elle autorise en effet des exonérations totales ou partielles de taxation des biocarburants sans limitation de volume. Cette proposition de directive résulte de l'échec des tentatives de la Commission européenne d'instaurer une taxe sur le dioxyde de carbone et sur l'énergie. Elle envisage l'extension à toutes les formes d'énergie de taux minima communautaires d'accises. Plusieurs Etats y sont désormais favorables, dont la France qui veut faire de son examen une des priorités de sa présidence.

    Sur le plan réglementaire, le rapporteur s'est prononcé en faveur de l'instauration d'une obligation d'incorporation de biocarburants à l'échelle communautaire. Elle paraît préférable à l'oxygénation obligatoire : d'une part, il n'existe pas de consensus sur le taux d'incorporation d'oxygène souhaitable, d'autre part, une telle obligation ne refléterait qu'une partie de la plus-value apportée par les biocarburants. Elle ne rendrait pas compte de leur vertu en matière d'effet de serre. Donc, l'incorporation obligatoire de biocarburants semble être la meilleure solution pour faciliter le développement des biocarburants et reconnaître leur valeur ; a priori, la directive de 1998 relative à la qualité de l'essence et des carburants diesel ne l'empêche pas au niveau de chaque Etat membre. Son article 6 permet la commercialisation de carburants ayant des spécifications environnementales plus strictes pour l'ensemble ou une partie du parc de véhicules. Toutefois, la procédure prévue est lourde et dissuasive. Une incorporation obligatoire de biocarburants à l'échelle communautaire serait plus favorable.

Le rapporteur a enfin proposé de créer un statut spécifique pour les cultures non alimentaires. La possibilité de pratiquer des cultures non alimentaires au titre du gel des terres constitue une opportunité pour le secteur des cultures alimentaires. Mais il ne constitue pas un instrument approprié pour leur développement : il dépend en effet pour partie du taux de jachère, qui peut varier chaque année en fonction de la situation du marché des denrées alimentaires. L'introduction d'une aide permanente spécifique aux cultures non alimentaires de cent euros par hectare serait une bonne solution, compatible avec les règles de l'OMC.

M. François Guillaume a proposé à la Délégation de se prononcer sur des conclusions reprenant ses principales propositions.

M. Pierre Brana a constaté que l'analyse du rapporteur sur les points faibles des biocarburants, notamment l'émission d'aldéhydes et de dioxyde d'azote, et sur les espoirs offerts par l'évolution technologique pour les régler, était identique à celle qu'il avait développée en 1989 dans un rapport au Premier ministre sur la maîtrise de l'énergie. Il s'est déclaré plus optimiste sur les progrès de la filière éthanol que sur ceux de la filière de l'ester méthylique d'huile végétale.

Evoquant, en second lieu, la suggestion du rapporteur d'utiliser l'éthanol directement, sans transformation en ETBE, pour les flottes captives, il a souhaité savoir quels étaient les investissements qui devraient en résulter en termes de capacité de stockage et de réseaux de distribution.

Il a également demandé au rapporteur les raisons pour lesquelles la proposition de directive du Conseil concernant le taux d'accises applicable aux carburants pour les moteurs d'origine agricole, dite « proposition Scrivener » n'avait pu être adoptée.

Mme Erzebet Gidai, soulignant l'importance que le biodiesel revêt pour l'agriculture hongroise, s'est interrogée sur le rôle des avantages fiscaux évoqués par le rapporteur ; la Hongrie pourrait y recourir, s'ils s'avèrent moins coûteux que les subventions versées aux agriculteurs.

M. Jacques Myard, tout en plaidant en faveur du développement des énergies nouvelles dont les biocarburants, a estimé que le principe de subsidiarité s'opposait à ce que la Communauté prenne l'initiative d'encourager leur développement, notamment par le biais de la fiscalité. Cette tâche relève des Etats eux-mêmes.

Le Président Joszef Szajer a fait valoir que l'Union européenne pourrait tirer profit de l'expérience de la Hongrie et éviter les écueils auxquels celle-ci a été confrontée depuis le début des années 90 du fait des fraudes résultant de l'application de deux tarifs distincts.

M. Gabor Szalay a estimé que les avantages fiscaux entraînaient un manque à gagner pour l'Etat et des distorsions de concurrence dans certains secteurs. Il a regretté l'absence de données chiffrées précises permettant d'évaluer le montant de la défiscalisation nécessaire pour assurer la compétitivité des biocarburants.

M. Imre Karl, tout en reconnaissant l'importance du problème de la pollution, a estimé qu'il n'était pas souhaitable d'imposer aux Etats membres des obligations uniformes pour l'utilisation des biocarburants, dont le rapport de M. François Guillaume présente au demeurant une image séduisante. Le coût d'utilisation de telles sources d'énergie sur des économies aux potentialités très diverses ne doit pas être méconnu, pas plus que l'écart entre pays du Nord et pays du Sud en termes de rentabilité. C'est pourquoi les biocarburants ne doivent pas être envisagés comme une solution de remplacement mais comme un complément aux sources d'énergie existantes. Si elle constitue pour les finances publiques une dépense fiscale importante, l'incitation à l'utilisation des biocarburants est aussi une forme opportune de soutien à l'activité agricole. Mais il ne faut pas en surestimer l'importance.

En réponse aux intervenants, M. François Guillaume a apporté les précisions suivantes.

Si l'on veut vraiment lutter contre la pollution atmosphérique et contre l'effet de serre, alors il faut recourir aux biocarburants. Les normes que l'Union européenne a fixées pour les émissions des véhicules ne peuvent être respectées si l'on n'utilise pas d'autres ressources que les carburants fossiles.

L'emploi des ressources pétrolières immédiatement disponibles est une solution de facilité, que l'on ne remet en cause qu'en temps de crise ou en cas de choc pétrolier. L'épuisement des ressources fossiles à échéance de quarante ans devrait être une préoccupation des gouvernements en place. Les Etats-Unis ont beau disposer de ressources pétrolières importantes, ils ont pourtant développé leur production de biocarburants et sont le deuxième producteur mondial d'éthanol. Leur effort de production est motivé par le souci de réduire la pollution atmosphérique ; ce souci a d'ailleurs conduit à rendre obligatoire, dans certaines régions, l'utilisation de produits oxygénés.

Les Etats-Unis utilisent l'éthanol en mélange direct dans l'essence à hauteur de 10 % sans le transformer en ETBE, en raison des caractéristiques de leur système de distribution de carburants. Il est différent du système européen : le transport des carburants se fait par camions et non par des canalisations. Il permet ainsi de réaliser le mélange d'éthanol et d'essence à la pompe, ce qui prémunit contre le risque de démixtion, c'est-à-dire la séparation, en présence de faibles quantités d'eau, du mélange éthanol-essence et la migration de l'éthanol vers l'eau.

Les pétroliers ne sont pas favorables au développement de la production de biocarburants, tout en étant les premiers à en reconnaître l'intérêt technique. L'ester méthylique d'huile de colza est un bon additif au gazole, dans la mesure où il a des propriétés lubrifiantes et où sa teneur en soufre est faible. L'utilisation de l'ester est beaucoup plus économique que l'emploi de procédés industriels de désulfurisation, dont le coût croît à mesure que diminue la proportion de soufre à éliminer. La contestation par British Petroleum du dispositif français de défiscalisation incite à rechercher un cadre fiscal communautaire plus favorable que le cadre actuel, qui est trop restreint

En France, la fraude est difficile : l'administration des douanes exerce un contrôle vigilant sur la production de biocarburants bénéficiant de la défiscalisation et sur sa destination. Par ailleurs, si les primes à la jachère sont également octroyées aux agriculteurs qui affectent leurs terres gelées à des productions agricoles industrielles, l'emploi final de ces productions est contrôlé.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions élaborées par le rapporteur.

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