DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 110

Réunion du jeudi 11 mai 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Audition de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne dans le domaine des transports

Le Président Alain Barrau a replacé l'audition du ministre dans le cadre des travaux de la Délégation sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne, parmi lesquelles figure le renforcement des règles de sécurité du transport maritime. Il a salué les déclarations du Premier ministre et celles du ministre des Transports, selon lesquelles l'Union européenne devrait renforcer son action dans le domaine de la sécurité maritime. Reprenant les conclusions contenues dans son rapport sur les priorités de la présidence française, il s'est demandé si le Gouvernement allait bien préconiser des mesures telles que l'instauration d'un corps de gardes-côtes européen, l'interdiction aux navires de plus de quinze ans de mouiller dans les eaux européennes, la reprise du projet Euros sur le registre communautaire afin de réserver le cabotage communautaire aux seuls navires qui y seraient immatriculés, enfin des négociations rigoureuses avec des pays abritant des pavillons de complaisance.

Evoquant le dossier du transport ferroviaire, qui a également fait l'objet d'un rapport de la Délégation, il a demandé au ministre de rappeler la position du Gouvernement sur l'accord politique du Conseil des ministres de l'Union en date du 10 décembre 1999. Il a souhaité obtenir des éléments de réponse sur les perspectives de financement communautaire de la ligne Béziers-Neussargues-Clermont-Ferrand, qui fait partie des travaux visant à décongestionner le trafic et à irriguer le massif central. Le comité pluraliste, dont il fait partie, constitué pour la défense de cette ligne, est très attentif à l'obtention par la France de ce financement. Il a enfin appelé l'attention du ministre sur les craintes exprimées par les syndicats de contrôleurs aériens face aux risques de remise en cause du service public de la navigation aérienne, du fait de l'intention de la Commission de procéder à sa privatisation, régime déjà pratiqué dans certains Etats membres.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, a indiqué que la présidence française avait fait l'objet d'une intense préparation depuis plusieurs mois, en liaison avec la présidence portugaise. D'ici le 1er juillet, lui-même doit encore rencontrer dix-sept ministres des Etats membres, ainsi que Mme Loyola de Palacio, commissaire européenne en charge des transports. Il a ajouté que, par ses travaux, la Délégation, qui a été à l'origine d'une résolution adoptée par l'Assemblée nationale sur les projets de directives relatives aux chemins de fer communautaires, avait participé à cette préparation.

D'une manière générale, le ministère des transports est tout particulièrement impliqué dans la construction européenne, puisque le domaine des transports fait partie des trois politiques communes originelles de la Communauté et que la politique des réseaux transeuropéens est venue s'y ajouter depuis le traité de Maastricht. Depuis le milieu des années 80, le Conseil « Transports » est l'un des plus actifs par le nombre et la portée des dossiers qui y sont traités. De surcroît, ce secteur est de plus en plus concerné par des questions sensibles telles que l'environnement, le partenariat public-privé, le champ et les conditions d'exercice du service public. Ces questions, déjà fondamentales dans une Europe à quinze, prennent un relief particulier dans la perspective de son élargissement.

Enfin, même si le logement et le tourisme ne font pas partie des compétences communautaires, le ministre, qui leur attache une grande importance, a exprimé la volonté d'encourager une certaine forme de communautarisation.

Face à l'ampleur et à la complexité des problèmes à traiter, la présidence du Conseil des ministres des transports de l'Union européenne est un exercice rendu plus difficile encore par le temps extrêmement court qui lui est imparti - cinq mois utiles -, par le jeu de la procédure de codécision avec le Parlement européen, enfin par les enjeux stratégiques de long terme que revêtent les dossiers relatifs aux transports.

Dans le cadre des priorités de la présidence française, seront sélectionnés les dossiers qui, tout en tenant compte du nécessaire suivi des présidences précédentes, des propositions de la Commission et des orientations dégagées au sein du Parlement européen, tendent à promouvoir une Europe plus proche des citoyens, plus favorable à l'emploi et à l'amélioration des conditions de vie et de travail, plus respectueuse de l'environnement et plus présente sur la scène internationale.

Conformément à ces priorités, la présidence française s'efforcera de donner une impulsion forte et d'infléchir, dans certains cas, les politiques communautaires dans le sens d'une plus grande efficacité, à la fois économique et sociale, et d'une meilleure prise en compte du développement durable. Ces orientations générales s'ordonnent autour de quatre grands axes, pour lesquels une évolution de la politique communautaire apparaît à la fois nécessaire, urgente et possible : l'harmonisation dans le domaine technique et surtout social ; la sécurité des transports et la protection de l'environnement ; le développement des réseaux et des services de transports et la promotion du service public ; l'amélioration du fonctionnement du marché intérieur et la protection du consommateur.

L'harmonisation sociale dans les transports routiers mobilisera les efforts de la présidence française, qui avait appelé, dès son mémorandum du 19 novembre 1997, à une relance des travaux communautaires afin de sortir de l'immobilisme : la France propose une approche globale et progressive, qui pourrait faire l'objet de conclusions politiques dès le Conseil « Transports » du 2 octobre et déboucher sur l'adoption de textes à celui de décembre 2000.

L'harmonisation technique concerne prioritairement l'interopérabilité du système ferroviaire classique : la France poursuivra ses efforts pour un règlement rapide de ce dossier majeur pour la compétitivité du transport ferroviaire. Face à la pression très forte qu'exerce en ce domaine le libéralisme, le ministre a souligné qu'il avait développé une stratégie consistant à promouvoir la construction d'un réseau ferré européen de fret, et à obtenir - au sein d'un cadre communautaire garantissant la sécurité, la qualité du service rendu et l'égal accès de tous aux prestations - la liberté de choix des Etats membres quant aux modes de gestion, la France choisissant pour sa part de développer les coopérations et de garantir le service public. Pour compléter ce dispositif, a été proposée la création d'un observatoire permettant de mesurer les résultats obtenus par les Etats membres, tandis que la Commission a accepté d'intégrer dans ses projets la faculté pour les Etats membres de moduler la tarification et les péages.

La France entend apporter une contribution forte à l'amélioration de la sécurité des transports, à la protection de l'environnement et au développement durable.

La présidence française mettra notamment à l'ordre du jour la lutte contre les navires « sous-normes » et l'amélioration du régime de responsabilité de l'ensemble des acteurs de la chaîne de transport, dont le récent naufrage de l'Erika a rappelé la nécessité et pour lesquels la Communauté européenne constitue, avec l'OMI, un niveau pertinent d'action. La France s'efforcera d'améliorer les dispositions communautaires sur les sociétés de classification et le contrôle par l'Etat du port et d'accélérer l'élimination des pétroliers à simple coque. Dans le même temps, elle initiera la réflexion communautaire sur l'amélioration de l'information en matière de qualité du transport maritime (renforcement du système EQUASIS mis en _uvre au printemps 2000) et du signalement des navires, sur le contrôle et la responsabilité des acteurs du transport maritime. Elle exprimera très clairement sa volonté de changer la donne, sans attendre une initiative de l'organisation maritime internationale : les mémorandums français adressés au FIPOL, à l'OMI et à la Commission en témoignent.

Dans le domaine de la sécurité aérienne, la France agira pour la mise en place d'une autorité européenne compétente en ce domaine. Elle s'efforcera de faire progresser la réflexion et les décisions en ce qui concerne la sécurité dans les tunnels, afin de tirer les enseignements des tragiques accidents dans les tunnels du Mont-Blanc et du Tauern (Autriche). A cet égard, elle a proposé trois catégories d'actions : l'amélioration de la sécurité de l'exploitation des tunnels ; la limitation des réservoirs de carburant des poids lourds ; le contrôle des transports de matières dangereuses dans les pays de l'Union européenne. La France amplifiera les efforts de la Communauté en s'appuyant notamment sur la récente communication de la Commission et en proposant des campagnes européennes sur ce thème.

Simultanément, notre pays recherchera tous les moyens de réaliser des avancées significatives pour la protection de l'environnement et le développement durable en activant les suites à donner au Livre Blanc de la Commission sur « les redevances équitables pour l'utilisation des infrastructures » : il s'agit d'« internaliser » les coûts induits par le transport routier, qui sont actuellement considérés comme des coûts externes. Cette tâche, extrêmement importante, n'a pas encore été entreprise. La France déterminera également les réflexions à mener dans le cadre de l'élaboration du nouveau Livre Blanc sur les perspectives de la politique commune des transports, ainsi que sur la réduction des nuisances dans les transports aériens, où la Communauté a un rôle important à jouer, sous réserve d'une bonne articulation avec l'OACI, forte de sa compétence technique et de sa légitimité internationale.

S'agissant du développement équilibré des transports et de la promotion du service public, la présidence française s'attachera à mieux mobiliser les instruments dont s'est dotée l'Union européenne pour promouvoir un développement équilibré de tous les modes de transport en faveur de l'ensemble des citoyens européens. La revitalisation du transport ferroviaire, en premier lieu du fret international, joue un rôle essentiel dans cette perspective. La France propose une démarche pragmatique et globale, fondée sur la coopération des réseaux et débouchant sur un plan d'action communautaire de suppression des obstacles techniques et réglementaires à une circulation internationale des trains de fret et sur la définition d'un réseau européen de fret.

Dans le même sens, et sous réserve de l'aboutissement des travaux de la Commission sur la révision de la décision du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 1996, les réseaux transeuropéens de transport pourraient faire l'objet d'un débat au Conseil.

La France veillera à mettre au service de l'ensemble des acteurs du transport et des citoyens de l'Union les progrès technologiques améliorant la sécurité des déplacements et l'efficacité des transports. Dans ce cadre, le projet GALILEO, qui doit permettre à l'Europe de disposer dès 2008 d'un système de navigation et de positionnement par satellite indépendant, mais interopérable avec les systèmes déjà existants, constitue une priorité pour la présidence française. Ce projet, qui relève de la compétence du ministre des transports, est destiné à se substituer au système américain (GPS) dont nous dépendons aujourd'hui, situation qui n'est pas satisfaisante.

La présidence française doit également être mise à profit pour promouvoir une meilleure prise en compte de la problématique du développement urbain et de la lutte contre la ségrégation spatiale et sociale dans les politiques communautaires et pour promouvoir une nouvelle approche du contenu et de l'organisation des services publics de transport.

Enfin, la France _uvrera, dans le cadre de la réflexion sur la charte des droits fondamentaux, à l'inclusion de l'accès au logement et du droit au transport, afin de donner un contenu concret dans ces domaines aux dispositions introduites par le traité d'Amsterdam sur les services d'intérêt général. Dans ce contexte, la mise à disposition de moyens de transport accessibles à l'ensemble de la population, y compris les personnes à mobilité réduite, constitue un élément important de ce service public, ainsi qu'un enjeu de justice sociale et d'amélioration des conditions de vie. La présidence française sera très attentive à l'avancement de ces dossiers, tout comme à celui de la protection du consommateur.

M. Pierre Brana, ayant évoqué un rapport parlementaire récent qui préconise une série de mesures destinées à mieux garantir la sécurité dans les tunnels, a demandé si elles étaient susceptibles de réunir un consensus à l'échelle communautaire. Il a souhaité savoir quelle était la politique relative à la lutte contre la pollution à proximité des aéroports, qu'il s'agisse de la pollution phonique - pour laquelle les progrès réalisés ne lui paraissent concerner que les grands aéroports - ou de la pollution atmosphérique. Qu'en est-il également du projet de taxe communautaire sur le kérosène ?

M. François Loncle, après s'être félicité de l'ambition du programme dans le domaine des transports, a souhaité savoir pourquoi l'actuel président de la société du Tunnel du Mont-Blanc avait été maintenu dans ses fonctions après la catastrophe de l'année dernière ; il s'est élevé contre la protection dont il semble bénéficier.

M. François Guillaume s'est inquiété de l'état d'avancement des quatorze grands projets arrêtés au Conseil européen d'Essen et du projet de couloir ferroviaire Nord-Sud qui doit se substituer au projet de canal Rhin-Rhône. Il a critiqué les options retenues pour le tracé du TGV-Est, qu'il a qualifié de « TGV allemand » dans la mesure où il délaisserait des villes comme Bar-le-Duc, Nancy et Metz au profit de Forbach, Sarrebrück et Mannheim. Il s'est enfin étonné que le ministre des transports ait décidé, malgré le vote du Conseil régional de Lorraine, la construction de l'autoroute à péage A 32, qui doit doubler une autoroute gratuite.

M. Maurice Ligot, estimant que la question des transversales européennes routières et ferroviaires n'était pas bien traitée par la Communauté, a jugé souhaitable une initiative de la présidence française en faveur de l'émission d'un emprunt communautaire pour financer ces transversales. Il a regretté que, du fait de l'immobilisme du ministère de l'équipement, le projet de route Centre Europe Atlantique reliant la vallée du Rhône et la côte Atlantique n'ait été réalisé que sur un tronçon modeste.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Claude Gayssot a apporté les éléments d'information suivants :

- le projet de TGV-Est a fait l'objet de décisions importantes tranchant avec les atermoiements précédents et qui ont recueilli un large soutien des élus régionaux. Le Conseil régional de Lorraine participe à son financement, la contribution du Gouvernement a été doublée, passant de 3,9 milliards de francs à 8 milliards et la Communauté européenne effectuera un versement égal à 10 % du montant total. Il traversera plusieurs régions françaises et se prolongera vers la Rhénanie et la Bavière, et Strasbourg ne sera pas tenue à l'écart ;

- le projet de l'autoroute A 32 n'a pas été arrêté mais il a été retenu, à titre de mesure de précaution, dans le cadre du schéma de service, car l'autoroute A 31 est saturée et confrontée à un problème de sécurité routière ;

- après l'abandon du canal à grand gabarit Rhin-Rhône, la réalisation du TGV Rhin-Rhône a été décidée ; ce projet sera engagé avant l'achèvement du TGV-Est, dans le souci d'assurer la liaison Mulhouse-Belfort-Dijon-Paris et de réaliser une branche sud. Cela permettra de dégager des sillons et d'acheminer par voie ferroviaire un fret beaucoup plus important que celui qu'aurait pu prendre en charge le canal ;

- les crédits consacrés à la route Centre Europe Atlantique sont bien supérieurs à ceux qui ont été prévus dans le passé ;

- le Gouvernement est déterminé à faire avancer la réflexion européenne sur les problèmes posés par la traversée en tunnel des Alpes et des Pyrénées ;

- la modification éventuelle du régime fiscal du kérosène relève de la compétence du conseil Ecofin et non du Conseil « Transports » ; il faut veiller à la compatibilité d'éventuelles décisions européennes avec les règles de l'Organisation de l'aviation civile internationale. D'autres solutions au problème de la pollution par le trafic aérien peuvent être recherchées, à savoir l'incitation à l'accroissement du taux d'occupation des avions ou la substitution du transport ferroviaire à grande vitesse au transport aérien là où cela est pertinent ;

- aucune prise de position officielle sur les responsabilités encourues du fait de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc n'interviendra tant que la procédure judiciaire n'a pas pris fin ; pour l'avenir, la France et l'Italie ont arrêté le principe d'une gestion commune de l'exploitation du tunnel, après la réalisation en commun des travaux de mise en sécurité ; les responsables de cette gestion commune seront exclusivement choisis en raison de leur compétence.

M. Jacques Myard a rappelé que la politique des transports était un domaine transnational par nature, comme l'illustre d'ailleurs l'ancienneté de la coopération internationale en ce domaine. Dans ces conditions, la définition de mesures communautaires peut apparaître utile, mais elles seront dépassées par la mondialisation, d'autant plus que l'Europe constitue un alibi commode à l'inaction, alors même que la convention sur le droit de la mer donne aux Etats pleine compétence pour intervenir dans la zone des 200 milles marins pour prévenir les risques liés à la présence de navires ne présentant pas les garanties de sécurité suffisantes. En matière de transports aériens, il lui paraît nécessaire de mettre un frein au développement des navettes, excessif par rapport aux besoins,.

M. Jean-Claude Lefort a félicité le ministre pour la volonté d'engagement dont il fait preuve à l'approche de la présidence française. Evoquant les perspectives de la réforme des institutions, il a souligné que l'extension de la majorité qualifiée à la politique des transports suscitait des réserves de sa part. Pour lui, l'action engagée en faveur de la sécurité maritime doit être encouragée et étendue à Chypre et Malte, pays candidats à l'Union européenne. Face à la difficulté de parvenir à un accord international en raison de l'attitude des Etats-Unis et du Japon, la création d'un espace maritime européen, souhaitée par la Délégation dans ses conclusions sur les priorités de la présidence française, ne serait-elle pas de nature à créer la dynamique nécessaire ? Enfin, dans la perspective du prochain sommet Euro-méditerranée, quelles sont les intentions du Gouvernement à propos de la reprise des vols d'Air France vers l'Algérie ?

M. Bernard Derosier a souhaité une clarification de la position du ministre sur le doublement éventuel de l'autoroute A 1 permettant d'alléger la contrainte résultant du transit des poids lourds par la métropole lilloise et sur la réalisation de l'autoroute A 24 vers Amiens.

M. Gabriel Montcharmont, après avoir rappelé que le transport de marchandises par route avait doublé en quinze ans, a demandé au ministre s'il entendait encourager la mise au point de solutions alternatives à l'écoulement de ce trafic par le sillon séquano-rhodanien. Il a également souhaité savoir quelle était la position du ministre sur l'internalisation des coûts du transport routier.

Le Président Alain Barrau, relevant l'existence d'une volonté politique en faveur de la création d'un espace maritime européen, a souhaité qu'une vive impulsion lui soit donnée, la Communauté disposant à la fois des moyens financiers et des capacités de réglementation nécessaires. Rappelant les grands projets d'investissement retenus par le Conseil européen d'Essen en 1994, il a suggéré que les ressources d'un emprunt européen puissent s'ajouter à celles de la politique régionale. Il a enfin demandé quelle était la réaction du Gouvernement face aux risques de mise en cause du statut public des contrôleurs aériens.

En réponse, le ministre a apporté les nouvelles précisions suivantes :

- le Gouvernement ne cédera pas sur le statut des contrôleurs aériens ; mais il estime nécessaire d'intensifier la coopération dans le domaine du contrôle aérien ;

- pour réduire les goulets d'étranglement, une somme de 300 millions d'euros a été dégagée. Un emprunt européen est une bonne solution, mais il ne suffit pas que la France y soit favorable ; des ressources supplémentaires devront également être mobilisées. Lorsque le taux d'intérêt du livret A a été diminué, le ministre a obtenu qu'une partie des fonds collectés soit affectée au financement des infrastructures de transports ;

- tout reste à faire dans le domaine de l'internalisation des coûts induits par le transport routier, même si une phrase a été introduite à ce sujet dans les conclusions adoptées sous présidence allemande ;

- l'Union européenne n'est pas dépassée par la mondialisation : elle peut réaliser un espace maritime européen, comme le suggère le rapport d'Alain Barrau. Il convient d'admettre l'intervention de l'Etat du port au même titre que celle de l'Etat du pavillon ; actuellement, les règles applicables à la zone économique exclusive des 200 milles marins ne permettent pas à l'Etat du port d'agir pour des motifs liés à une atteinte à l'environnement. A la suite de la catastrophe de l'Erika, le ministre a demandé officiellement un aménagement en ce sens des règles en vigueur pour que tout Etat puisse bannir de ses ports les navires qui ne présentent pas les garanties suffisantes de sécurité, ce que font déjà les Etats-Unis. Encore faut-il que les mesures de contrôle puissent être appliquées effectivement : c'est pourquoi il a été décidé de renforcer les moyens des corps de contrôle, qui étaient tout à fait insuffisants. Le souci du Gouvernement est de promouvoir l'amélioration de la sécurité par une responsabilisation effective des armateurs, des affréteurs et des sociétés de classification, et aussi par l'harmonisation à un niveau élevé des conditions de travail sur les navires, par référence aux normes du Bureau international du travail ;

- le Gouvernement est disposé à ce que la reprise des vols d'Air France vers l'Algérie soit effectuée le plus rapidement possible, dans des conditions de sécurité acceptées par les personnels navigants de la compagnie ; des discussions bilatérales sont en cours à ce sujet ;

- il n'est pas question d'une politique qui se contenterait de résoudre les problèmes de transport par un doublement des autoroutes existantes, mais le ministère est disposé à étudier la réalisation de la liaison A 24 Amiens-Lille, qui permettrait de dévier une partie du trafic de l'A 1 et d'améliorer la gestion des flux dans les deux régions concernées ;

- il est frappant de constater, dans les discussions sur la politique européenne des transports, combien les situations géographiques respectives des pays de transit et des pays périphériques déterminent leur position, quels que soient les changements de majorité politique. Pour assumer le doublement du trafic ferroviaire et développer le ferroutage dans les pays de transit, dont la France fait partie, 120 milliards de francs d'investissements ont été dégagés pour une période de dix ans. Pour autant, l'attention du Gouvernement à l'égard des problèmes du transport routier ne faiblira pas : face au dumping social, les mesures de contrôle seront renforcées.

*

* *

II. Entretien avec une délégation de la Grande Commission du parlement de Finlande

Le Président Alain Barrau a souhaité la bienvenue à une délégation de la Grande Commission du parlement finlandais, conduite par M. Karl Uotila (parti de l'Union de la gauche) et composée en outre de Mme Riitta Korhonen (parti conservateur), Mme Irina Krohn (parti vert), M. Risto Kuisma (parti indépendant) et M. Markku Markkulla (parti conservateur).

Après avoir évoqué les excellentes conditions dans lesquelles s'était déroulée, à Helsinki, la dernière réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), le Président Alain Barrau a salué les initiatives prises par la présidence finlandaise lors du Conseil européen de Tampere consacré à l'espace judiciaire européen, ainsi que l'impulsion donnée par la Finlande à la parité hommes-femmes, comme en témoignent à la fois le nombre d'élues au parlement finlandais et l'élection de femmes à la présidence de la République, Mme Tarja Halonen, et à la présidence du parlement, Mme Riita Uosukainen. Il a souligné que la Finlande était l'un des Etats membres où le parlement avait le plus d'influence sur la politique européenne, les députés étant associés à la détermination de la position du gouvernement au Conseil de l'Union européenne.

Le Président a évoqué, dans ses grandes lignes, les compétences et les méthodes de travail de la Délégation, ainsi que ses travaux sur les priorités de la présidence française. La France, qui a pris avec les autres Etats membres une position ferme sur la question autrichienne, mettra l'accent sur quatre priorités : la croissance et l'emploi ; la réforme des institutions ; la réponse aux grandes préoccupations des citoyens ; la place de l'Europe dans un monde multipolaire.

La première de ces priorités exigerait que l'on y consacre la même énergie que celle déployée en faveur de la création de l'euro, ainsi que le financement de grands travaux par recours éventuel à l'emprunt. La deuxième priorité passe par le traitement des trois questions laissées en suspens à Amsterdam et l'assouplissement des coopérations renforcées. Le thème de l'Europe des citoyens, troisième priorité, se situe en grande partie dans la suite des impulsions données à Tampere et concerne tant les jugements en matière matrimoniale que le droit pénal, l'immigration, la sécurité alimentaire et la sécurité des transports maritimes. La dernière priorité est essentielle dans le cadre des négociations au sein de l'OMC et en matière de sécurité et de défense.

Le Président Alain Barrau a salué le rôle joué à l'automne 1999 par M. Martti Ahtisaari, alors Président de la République finlandaise, pour le règlement du conflit des Balkans, et s'est félicité de l'avancée qu'il avait ainsi permis de réaliser dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune.

M. Karl Uotila, chef de la délégation de la Grande Commission, a exprimé sa satisfaction d'être accueilli par l'Assemblée nationale. Il a rappelé que la Grande Commission était issue d'un compromis réalisé au début du siècle entre les partisans et adversaires du bicaméralisme. Son rôle s'est naturellement accru depuis l'adhésion à l'Union européenne, puisqu'elle traite, par délégation du parlement, toutes les questions relatives à celle-ci, à l'exception de celles de la PESC, qui relèvent de la Commission des affaires étrangères. La Grande Commission répartit les dossiers dont elle est saisie entre les commissions spécialisées du parlement, qui émettent un avis à leur sujet, le plus souvent partagé par la Grande Commission. Cette dernière est par ailleurs chargée de définir la position du parlement finlandais au sein des Conseils européens et des Conseils des ministres de l'Union. Tous les vendredis, les ministres devant se rendre à Bruxelles pour participer aux réunions du Conseil exposent la position du gouvernement à la Grande Commission, qui fait part de son avis et oppose, le cas échéant, une réserve d'examen. Au retour de Bruxelles, le ministre lui rend compte du déroulement des discussions du Conseil et des incidences des décisions prises. Avant chaque présidence de l'Union, des membres de la Grande Commission ont pris l'habitude de rencontrer des membres du parlement concerné.

La réforme des institutions constitue un dossier prioritaire : elle a donné lieu à plusieurs rapports, respectivement du gouvernement, de la Grande Commission et de la commission spécialisée dans les affaires institutionnelles. A l'égard du projet de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Grande Commission a exprimé une position réservée : elle estime qu'il suffirait, pour atteindre l'objectif recherché, que l'Union ratifie la convention des droits de l'homme du Conseil de l'Europe. Tout en reconnaissant l'utilité d'une démarche en faveur de l'Europe des citoyens, notamment dans la perspective de l'élargissement, elle considère que la charte devrait avoir une simple valeur déclarative. S'agissant de la politique étrangère et de sécurité, une majorité de Finlandais ne souhaite pas participer à une défense communautaire ; la Finlande est en revanche favorable à une capacité communautaire de prévention et de gestion civile des crises. Enfin, la priorité attachée à la croissance et à l'emploi est pleinement justifiée, le chômage, en particulier celui de longue durée, demeurant un problème crucial pour la Finlande.

M. Jean-Claude Lefort a salué le rôle de pionnier joué par la Finlande, non seulement pour la parité, mais aussi dans les relations équilibrées entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif en matière européenne. Il a posé plusieurs questions à la délégation finlandaise : quelles sont les règles de composition de la Grande Commission et comment a-t-elle fonctionné lorsque la Finlande assurait la présidence de l'Union ? Quelles sont les raisons expliquant la réticence de l'opinion finlandaise à l'égard d'une défense commune et quelles solutions alternatives peut-on retenir ? Quelle est la position de la Grande Commission sur l'extension de la majorité qualifiée au Conseil ?

M. Karl Uotila a précisé que la Grande Commission était composée de 25 membres, 13 suppléants et un représentant des îles Aland. Elle comprend des représentants de tous les groupes parlementaires. Dès 1997, la Grande Commission a commencé à travailler sur les grandes orientations de la présidence de l'Union, que la Finlande devait exercer au second semestre de 1999.

Si le champ de la majorité qualifiée peut être étendu, son extension au domaine fiscal et social suscite des réserves. Quant au système de vote, il doit être clair, condition que ne remplit pas le principe de la double majorité. La pondération des voix au sein du Conseil doit préserver la situation des petits Etats, de même que la modification des règles de composition de la Commission.

Le plafonnement des membres du Parlement européen doit préserver un nombre suffisant de représentants des petits Etats pour qui les citoyens continuent d'accorder leur confiance à cette institution ; les listes transnationales comportent un risque d'affaiblissement de la représentation des petits Etats. S'agissant de la défense, la Finlande a une tradition d'Etat neutre non aligné ; l'Union doit tenir compte des différences de statut des Etats membres dans ce domaine. Toutefois, une réforme législative en cours d'examen tend à lever les obstacles à une participation de la Finlande à des opérations autorisées par le parlement.

M. Maurice Ligot a estimé que le système finlandais fournissait un exemple intéressant d'association étroite du parlement aux affaires communautaires, dont le Parlement français devrait s'inspirer, tout particulièrement au cours de la présidence française de l'Union. Il s'est demandé ce qu'il advenait si le Conseil des ministres tendait à prendre une position contraire au mandat défini entre le gouvernement et la Grande Commission : le ministre doit-il opposer son veto ou peut-il accepter un compromis ? S'agissant de la réforme des institutions, s'il est favorable à un renforcement de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), il s'est déclaré opposé à la réduction du nombre de commissaires, mais favorable à l'existence de commissaires jouant le rôle de chef de file, dont les fonctions ne seraient d'ailleurs pas nécessairement exercées par ceux des grands pays. S'agissant de la majorité qualifiée, il a estimé qu'il n'était pas choquant de retenir la règle de la double majorité - de la population et des Etats membres - car la réunion de ces deux conditions pouvait satisfaire à la fois les grands et les petits Etats.

M. Karl Uotila a souligné qu'il existait fort peu de conflits entre le gouvernement et la Grande Commission, non seulement en raison de la représentativité de celle-ci, mais aussi du fait de la culture du consensus : sur les dossiers difficiles, le consensus est systématiquement recherché. Il arrive aussi que le mandat de négociation soit caractérisé par une certaine souplesse. Il est également des cas où l'avis du parlement n'ayant pas encore été donné, le ministre oppose la réserve d'examen parlementaire. Favorable à l'idée de mieux associer les parlements nationaux par un renforcement de la COSAC, il s'est demandé comment développer les travaux de celle-ci.

Après les observations de M. Markku Markkula sur la transparence des travaux du parlement à l'égard des citoyens grâce à l'internet, M. Risto Kuisma a précisé que les antagonismes entre le gouvernement et l'opposition étaient beaucoup plus rares dans les questions européennes que dans les autres domaines. De surcroît, le président de la Grande Commission est traditionnellement un membre de l'opposition, ce qui n'a pas entravé la coopération étroite entre le gouvernement et le parlement, à la grande satisfaction des citoyens, qui constatent que la Finlande parle d'une seule voix dans les instances communautaires. Quant au mandat donné aux ministres, il comporte une marge, car il est rare que la situation de blocage soit jugée préférable à un compromis ; il est également rare qu'un ministre subisse des critiques à son retour, dans la mesure où le gouvernement évite d'agir de manière contraire à la position de la Grande Commission.

Souhaitant toutefois nuancer ce tableau, M. Karl Uotila a fait état d'un aspect plus contestable des travaux de la Grande Commission : lorsque celle-ci se prononce, la négociation a déjà bien avancé, si bien qu'elle a souvent l'impression d'être mise devant le fait accompli. C'est donc sur ce point que la Grande Commission devrait faire porter ses efforts à l'avenir.

____________