DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 114

Réunion du jeudi 15 juin 2000 à 10 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau,
Président de la Délégation pour l'Union européenne,
et de M. François Loncle,
Président de la Commission des affaires étrangères

Audition de M. Christopher Patten, membre de la Commission européenne, en charge des relations extérieures

M. Christopher Patten a tout d'abord rappelé qu'après les tentatives avortées des plans Pleven, De Gasperi et Fouchet, l'expérience des vingt années de coopération politique européenne, caractérisée par une multitude de comités et une abondance de déclarations trop tardives pour influencer les événements, devait conduire à l'instauration et au renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) par les traités de Maastricht et d'Amsterdam. Cette politique est née dans un contexte où l'effondrement soviétique conduisait l'Union européenne, géant économique mais nain politique, à ne plus se demander contre quoi elle s'opposait mais pour quoi elle agissait. De plus, le conflit bosniaque s'est traduit pour l'Union par une succession d'humiliations et la PESC s'est heurtée à certaines craintes américaines qu'elle ne distende le lien transatlantique dans une période où les Etats-Unis étaient plus tentés par l'unilatéralisme que par l'isolationnisme.

L'Union européenne, qui a consacré beaucoup de temps à parler des institutions, a mis en place un Haut Représentant pour la PESC et un Commissaire chargé des relations extérieures, domaine confié autrefois à quatre commissaires et même à six dans les années soixante. La PESC est directement liée à l'Etat-nation et la politique étrangère relève des gouvernements élus des Etats membres : la Commission n'a pas de droit d'initiative en la matière et la règle de la majorité qualifiée ne s'y applique pas. Elle ne réduit donc pas la marge de man_uvre des Etats membres. Cependant, l'approche intergouvernementale ne suffit pas car elle conduit à une politique médiocre fondée sur le plus petit commun dénominateur. La création d'une vraie PESC appelle une combinaison de l'approche intergouvernementale avec l'emploi des outils, notamment communautaires, nécessaires à sa mise en _uvre, en matière de politique commerciale, d'aide au développement, de justice et d'affaires intérieures. La politique étrangère et de sécurité commune, et non unique, doit poursuivre un certain nombre de buts précis. Mieux gérer nos relations de voisinage pour stabiliser le pourtour de l'Europe est le premier d'entre eux. Certains hommes politiques américains pensent contenir les dangers du monde moderne en investissant dans la technologie : c'est la question du système de défense anti-missiles national, débattue aux Etats-Unis. Une telle politique suscite quelques doutes et ne peut de toute façon pas être suivie par l'Europe, cernée par l'insécurité. Si les outils et les mesures militaires sont du ressort des Etats membres, l'Union européenne doit projeter sa stabilité à l'extérieur en utilisant les moyens communautaires des politiques commerciales et de l'aide au développement.

Le renforcement de la coopération multilatérale, pour lequel se bat le commissaire Pascal Lamy dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, constitue un autre axe de la politique étrangère de l'Union européenne, en particulier le soutien aux systèmes régionaux qui s'établissent dans le monde entier comme le Mercosur, d'après le modèle européen.

L'Union européenne doit aussi faire contrepoids aux Etats-Unis, sans folie des grandeurs ni volonté de rupture, car les Européens ont de nombreuses raisons d'être reconnaissants pour ce que les Etats-Unis ont fait dans la seconde moitié du XXe siècle. Mais ils n'en constatent pas moins que les Etats-Unis se trompent sur les Nations Unies, sur le non-paiement des arriérés au budget de l'ONU, sur l'approche constamment extraterritoriale dans

le domaine commercial ou encore quant à la politique de l'environnement, tout en faisant preuve d'une certaine névrose quant à ce que les autres disent d'eux comme cela a été le cas lors du débat sur la Cour pénale internationale. Mais nous ne pourrons convaincre les Etats-Unis de leurs erreurs que s'ils prennent plus au sérieux la politique de l'Union européenne.

L'Union doit également préciser ses priorités. Elle doit tout d'abord renforcer son rôle dans la mondialisation et le développement d'un commerce international fondé sur des règles reconnues par tous, comme vient d'y parvenir le commissaire Pascal Lamy dans ses négociations sur l'adhésion de la Chine à l'OMC.

Elle doit se préoccuper de la polarisation technologique qui creuse une division entre ceux qui sont reliés et ceux qui sont isolés, qui accentue l'écart entre riches et pauvres dans le monde. Il faut un mois de salaire pour acheter un ordinateur en Europe, mais huit ans au Bangladesh. Par ailleurs, 174 Africains sur 1000 meurent avant l'âge de cinq ans quand les Européens achètent chaque année pour onze milliards d'euros de glaces.

L'Union européenne doit également améliorer la gestion de son aide au développement. Cette aide considérable, qui représente 55 % de l'aide humanitaire mondiale a vu ses programmes multipliés par trois dans les dix dernières années, accumule les retards de paiement en raison d'un manque criant de personnel. L'Union dispose de 2,7 personnes pour chaque dix millions d'euros dépensés, quand le Royaume-Uni disposait de 6,5 personnes pour gérer le même montant. Il en résulte un retard de quatre ans et demi en moyenne pour dépenser les crédits engagés. Pour les programmes méditerranéens, qui représentent un quart de notre aide au développement, le retard est de huit ans et demi. Si l'Union continue au même rythme, les crédits engagés l'an dernier ne seront dépensés que dans la dernière année d'exercice de la Commission qui suivra celle actuellement en fonction. Il faut sept ans pour régler les crédits engagés sur l'Asie et six ans et demi pour l'Amérique latine.

On comprend que la réforme du système soit devenue une obsession pour la Commission, qui ne cherche pas à étendre ses compétences mais à gérer plus efficacement les engagements pris. Au demeurant, il n'est pas certain que ces engagements considérables reflètent un intérêt stratégique mûrement réfléchi. Ainsi, l'Union a-t-elle engagé deux fois plus de crédits pour l'Egypte que pour la Russie avant la guerre en Tchétchénie, ainsi que plus de cent millions d'euros en Amérique latine puis deux cent cinquante millions, auxquels nous avons ajouté 250 millions pour y traiter les conséquences de l'ouragan Mitch alors que nous n'avons pas commencé à dépenser ces sommes, 70 millions pour l'Asie centrale et le Caucase, qui sont loin de traduire l'importance stratégique de ces deux régions pour l'Union européenne.

La présentation au Conseil de la réforme du système élaborée par la Commission a d'ailleurs été pour les ministres l'occasion d'évoquer pour la première fois ces questions sous cet angle. Sous la présidence française, il faudra examiner comment procéder pour que les dépenses d'aide aux pays tiers reflètent les priorités politiques de l'Union européenne.

S'agissant des Balkans, la proposition faite par le Président Jacques Chirac d'organiser une rencontre au sommet entre l'Union européenne et les pays de l'ex-Yougoslavie est une bonne nouvelle. Des efforts seront nécessaires pour que les financements communautaires soient dépensés de manière plus efficace dans cette région du monde. Le souhait des populations d'un rapprochement avec l'Union européenne constitue le levier principal dont il faut se servir. Les négociations en cours d'accords de stabilisation et d'association avec l'Albanie, la Croatie, la Macédoine sont un moyen d'inciter ces pays à progresser dans la voie des réformes - de même que les concessions commerciales accordées par la Communauté européenne sont utilisées pour favoriser le développement du commerce intra-régional.

Mais c'est la coopération euro-méditerranéenne qui constitue le test le plus important pour la PESD. Il importe de revitaliser le processus de Barcelone en mettant en place dans la région méditerranéenne l'équivalent de ce qu'est l'ALENA outre-Atlantique. Il faut toutefois garder à l'esprit que le libre-échange n'est pas un but en soi mais un moyen de mettre en place une zone de paix et de stabilité, ce qui aurait des conséquences positives en de nombreux domaines.

Comme l'ont indiqué MM. Hubert Védrine et Laurent Fabius dans un courrier récent, l'Union européenne doit aider la Russie à se doter d'institutions fortes car il s'agit là d'une garantie pour la démocratie et la protection des droits des citoyens. Le meilleur moyen d'aider la Russie est en effet de contribuer à la mise en _uvre de ces institutions fortes.

Si la Commission européenne n'a aucune compétence pour intervenir dans la politique européenne de défense, elle a un rôle à jouer en matière de prévention des conflits et de coordination et de renforcement des aspects non militaires de la prévention des crises et de la gestion des conflits. Il est de plus en plus difficile de compartimenter le militaire et le non-militaire. C'est à ce titre que la Commission doit participer à la définition des objectifs non militaires de l'Union européenne.

Le Commissaire européen a conclu en indiquant que l'Union européenne devait réussir à mettre en place la PESD car un échec ruinerait sa crédibilité vis-à-vis des citoyens et des pays tiers.

Evoquant les propos de M. Christopher Patten selon lesquels des « directives » du Conseil « Affaires générales » seraient nécessaires pour préciser les conditions d'utilisation des financements communautaires, le Président Alain Barrau a souhaité savoir quels pourraient être les moyens de rendre le système de distribution de l'aide plus efficace. Il a également interrogé le Commissaire européen sur les pays avec lesquels l'Union européenne pourrait s'allier dans la perspective des prochaines négociations commerciales multilatérales, sur les réformes susceptibles d'être apportées au dispositif d'aide à la reconstruction des Balkans afin de le rendre plus efficace et plus rapide et sur les conséquences de la crise tchétchène sur la mise en _uvre de la stratégie commune entre l'Union européenne et la Russie.

Il a enfin évoqué les difficultés administratives auxquelles se heurte le programme Tacis d'appui au Parlement de la Fédération de Russie mis en _uvre par l'Assemblée nationale en partenariat avec le Bundestag et le Bundesrat : le commissaire européen pourrait-il intervenir pour qu'une solution soit trouvée à ces difficultés ?

M. Christopher Patten a souligné que l'on devait s'assurer que l'utilisation du budget communautaire soit conforme aux objectifs stratégiques de l'Union. Il souhaiterait personnellement pouvoir initier une approche plus réaliste et plus rationnelle : il est plus facile de faire de grandes déclarations et de poser de grands principes que de dégager les ressources correspondantes, c'est pourquoi il serait souhaitable que les questions budgétaires soient abordées au sein du Conseil « Affaires générales » en même temps que l'on y discute des questions politiques ou que l'on prend des engagements, afin que l'on soit assuré que ces derniers pourront être tenus. Ainsi, par exemple, si un accord de paix intervenait au Proche-Orient, l'Union européenne voudrait évidemment le soutenir, mais il faudrait envisager aussitôt les moyens financiers de ce soutien. Le réalisme doit s'imposer dans notre politique étrangère commune.

En dépit des efforts réalisés par le commissaire Pascal Lamy pour convaincre les partenaires de l'Union dans les négociations commerciales multilatérales, de la nécessité de rouvrir les négociations après l'échec de Seattle, il est peu probable qu'un nouveau cycle soit engagé cette année, ne serait-ce qu'à cause des élections présidentielles américaines. M. Pascal Lamy est conscient que les négociations de l'OMC ont besoin de transparence et d'ouverture, afin que les citoyens ne se sentent pas exclus.

En ce qui concerne la reconstruction dans les Balkans, est évoquée la difficulté de dépenser les sommes qui ont été engagées justement à cette fin. M. Christopher Patten a expliqué qu'il aurait souhaité à certains égards « commencer par l'autre bout », par exemple pour l'Agence de reconstruction qui est basée à Thessalonique, qui n'est pas l'endroit le plus approprié. L'Union européenne va dépenser beaucoup en faveur de la reconstruction pour faire face aux besoins de logement, transports, adduction d'eau et d'électricité. Mais il faudrait alléger les procédures pour pouvoir payer rapidement certaines dépenses et non pas attendre deux ans ; il faudrait aussi passer les contrats de marchés publics en début d'année et non pas avant l'hiver, ce qui fait perdre un an pour commencer les travaux.

En ce qui concerne les relations avec la Russie, l'Union a exprimé sa préoccupation quant à l'usage disproportionné de la force et la violation des droits de l'homme, et elle a décidé de concentrer son aide sur les programmes liés au respect des droits de l'homme et sur l'établissement de l'Etat de droit ; c'est pourquoi les programmes Tacis ont été gelés en attendant d'avoir des vues plus claires sur la situation en Tchétchénie. M. Christopher Patten a indiqué qu'il accordera la plus grande attention aux blocages qui touchent actuellement le programme auquel participent l'Assemblée nationale et la Douma d'Etat.

M. François Guillaume a demandé l'avis du commissaire Patten sur les résultats de l'aide apportée aux pays en développement. Il s'est interrogé sur la position que pouvait tenir l'Union européenne dans le cadre de la globalisation croissante de l'économie, qui semble n'avoir pour but que la création d'un vaste supermarché planétaire. Au lieu de verser des aides aux pays en développement, ne serait il pas préférable de payer leurs matières premières à des prix corrects et de les aider à constituer des organisations de défense des producteurs comme c'est le cas pour le café ? L'Union ne devrait-elle pas encourager la formation de grandes zones commerciales régionales ?

Des coopérations renforcées dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité commune sont évoquées, pour contrarier le pouvoir hégémonique des Etats-Unis, disent certains, mais personne ne sait où cela nous conduira. Or l'Europe ne semble avoir qu'une ambition, celle de s'aligner sur la politique américaine. Enfin, quelle est la répartition des rôles entre M. Patten et le Haut-Représentant pour la PESC, M. Javier Solana ? Celui-ci ne prend-il pas l'avantage sur la Commission ?

Evoquant les détournements des aides multilatérales par des sociétés fictives en Côte d'Ivoire, M. Pierre Brana s'est étonné de la lourdeur des procédures et a souhaité des informations sur le contrôle de leur utilisation. Il a observé que l'Union européenne dépensait des sommes élevées pour déminer et a demandé s'il était possible de donner la priorité aux Balkans et notamment à la Bosnie-Herzégovine.

M. Chris Patten a répondu à ces questions.

Il convient d'inciter les pays en développement à commercer entre eux. Encourager le commerce Sud-Sud est l'un des moyens de relancer le processus de Barcelone ; une croissance autonome en Méditerranée est nécessaire. S'agissant du lien entre la mondialisation et l'aide, il a évoqué le cas de l'Asie où, selon lui, le développement est moins le résultat d'un capitalisme débridé que celui des investissements opérés en matière d'éducation et de santé au moment de l'exode rural. Aucun Etat ne peut se replier sur lui-même et éviter les effets des progrès technologiques, notamment en matière de transports et de communications. Ainsi, il a fallu cent ans à l'Europe pour doubler son PNB et seulement dix ou onze pour les pays d'Asie, grâce aux efforts de formation qu'ils ont accomplis et au développement des échanges. Mais tous les pays ne profitent pas de la mondialisation de la même façon et il faut se tourner vers ceux qui en bénéficient le moins.

Si elle doit renforcer la conditionnalité de ses aides, l'Union européenne doit rester généreuse, car la pauvreté est une insulte morale et une menace pour la stabilité politique. Or, il y a un lien entre développement et stabilité politique. L'Union européenne est décidée à réduire la mauvaise utilisation de ses aides à l'étranger, mais il lui faut éviter d'alourdir les procédures d'attribution, car il arrive que trente ou quarante signatures soient nécessaires. Il est nécessaire de mettre en place un système flexible et efficace pour répondre rapidement à une demande, tout en prenant en considération les préoccupations de la Cour des comptes.

Selon lui, on ne peut définir une politique étrangère unique. Dans ce domaine, les Etats-nations sont l'unité politique de base ; mais, dans certains cas, il est logique de travailler en groupe pour être plus efficace et gagner quand on s'oppose aux Etats-Unis. Ses relations avec M. Javier Solana reflètent la structure institutionnelle étrange de l'Union européenne. M. Javier Solana est le Secrétaire général du Conseil, qui a la responsabilité de la définition de la PESC et lui-même, en tant que commissaire, détient les outils de cette politique. Il est possible que le Conseil souhaite changer ce système. Pour l'instant, il appartient à chacun de le faire fonctionner avec plus d'efficacité. Les médias aident parfois à faire vivre cet accord exotique.

L'Union dépense 180 millions d'euros pour le déminage ; elle détient une grande expérience technique en la matière et doit continuer à innover. S'il est utile de déminer les montagnes de Bosnie ou les plaines d'Asie du Sud-Est et d'Afrique, il convient également de s'impliquer dans la destruction des stocks de mines détenus en différents endroits du monde comme en Ukraine ou en Moldavie, sinon ils seront utilisés lors de crises ultérieures ; il faut en outre gérer les conséquences financières et environnementales de leur présence.

Mme Monique Collange s'est inquiétée de l'absence de l'Union européenne dans le processus de paix au Proche-Orient. Cette absence est d'autant plus regrettable que l'Union européenne est le principal bailleur de fonds pour les territoires palestiniens et le premier partenaire commercial d'Israël. Elle a par ailleurs regretté que l'Union ne réagisse pas aux brimades qu'impose Israël au commerce entre les Quinze et les territoires palestiniens.

M. Jean-Bernard Raimond a évoqué l'hypothèse d'un départ de M. Milosevic, de plus en plus souhaité par tous, et s'est interrogé sur la clarification que l'on pourrait attendre de ce départ. Il est revenu ensuite sur le dossier de l'initiative américaine antimissile qui ne fait pas l'unanimité parmi les Européens. Cette initiative est destinée à faire face à la menace des Etats dits «voyous », qui se sont dotés, en marge des accords internationaux, de programmes nucléaires militaires : la Corée du Nord, l'Inde, le Pakistan, l'Iran, l'Irak et Israël. Dès lors elle concerne aussi les Russes, avec lesquels les Américains ont ouvert un dialogue. Dans ce tête-à-tête américano-russe, comment l'Union européenne et la France peuvent-elles défendre leurs intérêts ?

Mme Béatrice Marre a rappelé que si la politique étrangère n'était pas au sens strict une politique commune, il existait une volonté parmi les Quinze de définir des positions communes. Elle a souhaité savoir s'il était envisageable que la Commission européenne apporte son aide aux Etats afin de contribuer à adopter des positions convergentes au sein des institutions internationales comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international. Une telle politique aurait pour avantage de contribuer à une meilleure maîtrise de la mondialisation.

Le Président François Loncle a interrogé M. Patten sur les frontières extrêmes qu'il voyait à l'élargissement de l'Union.

M. Christopher Patten a estimé que, pour le Proche-Orient, il ne lui semblait pas souhaitable que l'Union s'implique dans une compétition diplomatique. En cas d'accord de paix entre Israël et la Syrie, l'Union aura un rôle important à jouer, notamment dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, pour conforter cette paix : aides au développement de la région, accroissement du commerce, levée de fonds pour des infrastructures, qui contribueront à rapprocher les pays de la zone. Un accord intérimaire de commerce a été effectivement signé entre l'Union européenne et les autorités palestiniennes, mais cet accord n'a pas été reconnu par Israël. Il serait souhaitable qu'Israël change sa position sur ce dossier.

La Serbie est actuellement dans un trou noir. Si le départ de M. Milosevic est souhaitable le plus rapidement possible, il importe de ne pas oublier qu'il entraînerait des dépenses importantes pour l'Union européenne. Elle s'est en effet engagée à aider à la reconstruction d'une économie détruite, au rétablissement de l'esprit d'entreprise pour mettre fin à l'esprit mafieux actuellement à l'_uvre. Il faudra utiliser les enseignements des expériences de la Bosnie et du Kosovo.

A propos du projet américain de bouclier anti-missiles (NMD), M. Christopher Patten a redit qu'il n'était pas personnellement convaincu par ce projet, à supposer même qu'il soit techniquement réalisable. Les Européens sont tout à fait en droit de se poser des questions sur ce programme, surtout compte tenu du refus du Sénat de ratifier le traité d'interdiction des essais nucléaires (CTBT). Quelles en seront les conséquences sur la Russie ou la Chine ? Pour lutter contre les prétendues menaces des Etats voyous, il semble plus efficace d'agir pour que ceux-ci ne se comportent pas en Etats voyous. Contribuer au processus de rapprochement dans la péninsule coréenne est utile. De même il est préférable de renforcer la position des modérés en Iran pour améliorer nos relations avec ce pays plutôt que de refuser que le FMI lui alloue des fonds. M. Christopher Patten a indiqué que la lecture des aventures de James Bond corroborait son analyse selon laquelle une éventuelle menace par un Etat voyou ne passerait pas par l'envoi de missiles intercontinentaux, mais plutôt par des actes terroristes tels que l'utilisation de gaz mortels dans le métro.

La nécessité de mieux coordonner les positions de l'Union européenne au sein du FMI ou de la Banque mondiale est réelle, mais les relations avec ces institutions sont très différentes de celles avec l'OMC. Dans les négociations commerciales, le commissaire Lamy a un poids incontestable, alors qu'il paraît très peu probable que les Etats membres de l'Union acceptent d'avoir un seul porte-parole et de ne plus être représentés en tant que tels dans les institutions de Bretton Woods.

L'élargissement de l'Union européenne amène à s'interroger sur les frontières de l'Europe et soulève plusieurs questions. Il faut se souvenir de la rapidité avec laquelle la Communauté a accepté les adhésions de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal lorsqu'ils ont retrouvé la démocratie. A l'époque, on a jugé impossible de différer ces adhésions malgré les difficultés agricoles pourtant réelles qu'elles devaient poser, car il s'agissait d'une responsabilité morale de la Communauté. Un parallèle peut être fait avec la situation actuelle des pays d'Europe centrale et orientale. Des intérêts stratégiques et économiques plaident également pour l'ouverture à l'Est : jusqu'ici, tous les élargissements se sont traduits par un renforcement de la stabilité du continent et par de meilleurs résultats économiques et l'on peut penser qu'il en sera encore ainsi à l'avenir.

L'Europe a pris conscience que Prague, Varsovie ou Bucarest sont des villes européennes et qu'une partie de la famille européenne a été séparée par la guerre froide. Il y a aujourd'hui une occasion historique de rétablir la situation, mais cela impliquera nécessairement de mettre en _uvre des changements institutionnels de grande ampleur : il n'est pas possible de continuer comme si rien n'avait changé lorsque l'Union comptera 28 membres, un simple tour de table au Conseil de l'Union prendrait alors déjà un temps considérable. Ce débat ne doit pas être réservé aux élites politiques car il concerne tous les citoyens, lesquels doivent aussi s'en saisir.

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