DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 134

Réunion du mercredi 13 décembre 2000 à 16 heures 15

Présidence de M. Alain Barrau,
Président de la Délégation pour l'Union européenne,
et de M. François Loncle,
Président de la Commission des Affaires étrangères

Audition commune avec la commission des affaires étrangères de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen de Nice

Saluant la présence de Giacomo Migone, Président de la Commission des affaires étrangères du Sénat italien, le Président François Loncle a tenu tout d'abord à féliciter la délégation française pour son engagement et sa compétence manifestée tout au long du Conseil européen de Nice. Si le projet de Traité a pour principal mérite de permettre la poursuite de ce processus historique que constitue l'élargissement, il reste à savoir dans quelles conditions. Lors de l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam, le Parlement français s'était prononcé en faveur d'une réforme institutionnelle préalable à l'élargissement : il est difficile de dire que ce travail soit achevé. La construction européenne est le fruit d'un long processus auquel tous les gouvernements de la Vème République ont participé et dont nous devons assurer la poursuite. Il est faux de qualifier d'utopistes ou de rêveurs doux ceux qui veulent continuer cette marche en avant, sans s'en tenir au plus petit dénominateur commun.

Le ministre des affaires étrangères a rappelé qu'à l'issue du Conseil européen d'Amsterdam, seuls trois pays - la France, la Belgique et l'Italie - s'étaient prononcés en faveur d'une réforme institutionnelle préalable à l'élargissement, les douze autres estimant qu'il était possible d'élargir sans modifier le fonctionnement et la composition des institutions. Il a fallu convaincre ces Etats de la nécessité de réunir une Conférence intergouvernementale. Cet exercice est vite apparu comme un exercice difficile de lourde responsabilité pour la présidence française. Un travail considérable a été accompli avant le Conseil européen de Nice au cours de 330 à 350 heures de négociation, pour identifier les problèmes, cerner les solutions possibles, mais ce sont les chefs d'Etat et de Gouvernement qui ont eu à définir le contenu définitif de la réforme institutionnelle.

Il est faux de dire que l'accord obtenu traduit la force des « égoïsmes » nationaux. Si la France avait des objections contre le passage de l'article 133, paragraphe 5 (extension de la politique commerciale commune aux services et à la propriété intellectuelle) à la majorité qualifiée, c'est pour défendre des intérêts fondamentaux liés à la préservation de l'identité culturelle européenne. Les autres pays - la Grande-Bretagne pour la fiscalité, l'Allemagne pour l'asile, les visas et l'immigration - avaient chacun leur propre « ligne rouge ». Dans ce contexte, la présidence devait, tout en cherchant à préserver le poids de la France dans une Union élargie, élaborer les compromis possibles entre positions divergentes.

Comme c'est le cas lorsqu'une négociation a été difficile, la présidence a fait figure de bouc émissaire focalisant des critiques infondées qui font resurgir de vieux stéréotypes sur le comportement des peuples (les Français « arrogants »). Ceci ne correspond pas à la réalité : la France a accompli son travail de présidence de l'Union avec dévouement et disponibilité. On en voudra pour preuve qu'aucune autre présidence n'a passé autant de temps pour des débats au Parlement européen.

S'agissant de la Commission, l'idée, qui a toujours été défendue par la France, d'un plafonnement immédiat du nombre de ses membres n'a pas abouti parce que beaucoup de délégations considèrent la présence dans le collège des commissaires d'un de leurs nationaux comme l'expression d'un lien identitaire spécifique. Le principe a toutefois été introduit dans le projet de traité d'un plafonnement et d'une rotation égalitaire des commissaires, à un terme éloigné qui ménage ainsi la possibilité d'une évolution des esprits sur la question.

Des avancées ont été réalisées sur la question du vote à la majorité qualifiée puisque la proportion des décisions relevant de cette procédure passera de 80 à 90 % dans le premier pilier. Des solutions ont ainsi été trouvées pour que le champ de la majorité qualifiée progresse en matière de politique commerciale extérieure : la France a accepté d'évoluer sur ce sujet ce que les autres pays se sont refusés à faire pour d'autres matières. Il reste que l'unanimité n'est pas pour autant forcément synonyme d'impuissance à décider, comme le montrent les progrès réalisés en matière de fiscalité de l'épargne et d'Europe de la défense.

Le compromis obtenu sur la repondération permet une échelle de répartition des voix - des 3 à 29 contre de 2 à 10 actuellement - plus favorable aux grands pays. Il est faux de dire que la procédure de décision prévue serait inextricable sous prétexte que l'on aurait instauré trois votes distincts : les délégations continueront à ne voter qu'une fois, mais ont été ajoutées deux clauses dont portée est réduite. En effet, un vote à la majorité qualifiée correspond toujours à une majorité simple d'Etats représentant au minimum 59 % de la population de l'Union : le recours au filet de sécurité démographique - fixé à 62 % de la population - sera donc exceptionnel.

Il ne faut pas oublier que cette négociation institutionnelle aurait fort bien pu échouer. Son résultat doit s'apprécier non par rapport à l'idée d'un saut dans le fédéralisme, mais en fonction de l'échec de la précédente négociation à Amsterdam. On notera d'ailleurs que les critiques émanent essentiellement soit d'institutions qui auraient souhaité élargir le champ de leurs pouvoirs, soit de représentants catégoriels dont le point de vue s'attache à tel ou tel domaine.

Le ministre a souligné que ce projet de traité était en réalité ambitieux et important. La méthode de négociation est parfois critiquée mais il faut bien voir qu'un traité de cette nature ne peut être conclu sans l'accord unanime des gouvernements démocratiques et ne peut entrer en vigueur sans la ratification par chaque pays selon ses procédures propres. La constitution d'une convention sur le modèle de celle chargée d'élaborer le projet de charte pourrait être envisagée lors d'une prochaine réforme des traités, mais seulement pour permettre un débat démocratique préalable sur les enjeux et objectifs.

A la demande en particulier de l'Allemagne, qui répondait ainsi aux revendications des länder, une déclaration sur l'avenir de l'Union a été annexée au projet de traité qui prévoit la convocation en 2004 d'une Conférence intergouvernementale pour examiner les questions de la délimitation des compétences conformément au principe de subsidiarité, du statut de la Charte des droits fondamentaux, de la simplification des traités et du rôle des parlements nationaux dans l'architecture européenne. La date de convocation de cette CIG est assez lointaine pour ne pas laisser l'impression que le projet de traité de Nice serait un mauvais texte devant être aussitôt révisé et complété. La Grande-Bretagne a plaidé avec succès pour un ordre du jour bien délimité.

Le ministre a conclu en soulignant que si les Quinze ne se sont pas mis d'accord à Amsterdam, ils y ont réussi à Nice. La priorité est désormais de ratifier le projet de traité conclu à Nice. Il a insisté sur le fait que la présidence française avait été unie de bout en bout, s'exprimant d'une seule voix pour une seule politique. Le bilan de la présidence française doit être salué car des solutions ont pu être trouvées à une dizaine de dossiers majeurs qui lui avaient été transmis faute d'issue favorable parfois depuis plusieurs années. Si un autre pays avait présidé l'Union à la place de la France, on aurait dit que les résultats étaient spectaculaires.

Le ministre délégué chargé des affaires européennes est ensuite intervenu pour souligner le caractère exceptionnel de la présidence qui s'achève, caractérisée par un ordre du jour très chargé, un niveau d'ambition élevé et des attentes très fortes.

Il a souligné que l'accord institutionnel n'était nullement un « accord au rabais » et que la présidence française avait permis de faire aboutir des dossiers importants. C'est ainsi que la Charte européenne des droits fondamentaux a été proclamée : il s'agit d'un texte lisible et fort qui constitue un excellent référentiel de valeurs. Si on peut regretter que la charte n'ait pas reçu à Nice de portée juridique, la déclaration annexée au projet de traité prévoit que cette question sera réexaminée ultérieurement. La France est en tout état de cause favorable à ce que la Charte prenne sa place dans les traités. Il faut également se féliciter de l'adoption du statut de la société européenne - qui était « en souffrance » depuis 30 ans - et de l'Agenda social européen - qui constitue un programme de travail sur les cinq ans à venir dans des domaines comme la qualité de l'emploi, la lutte contre la pauvreté, et la modernisation des systèmes de protection sociale. Une déclaration a également été adoptée sur les services publics qui réaffirme l'importance de leur rôle et de leurs missions de même qu'un plan en 42 mesures visant à éliminer les obstacles à la mobilité des étudiants et des enseignants.

En ce qui concerne l'Europe du quotidien, la France a obtenu plusieurs résultats significatifs : adoption de mesures pour lutter contre le blanchiment de l'argent et la criminalité financière et pour renforcer la sécurité maritime, impulsion donnée à la création d'une Autorité alimentaire indépendante, interdiction des farines carnées en Europe, déclaration sur la spécificité et les fonctions éducatives et sociales du sport, augmentation de l'enveloppe budgétaire du programme Media-Plus.

S'agissant de la CIG, le ministre délégué a indiqué que ce projet de traité avait pour premier mérite d'exister : l'impossibilité de conclure à Nice aurait constitué en effet un échec considérable pour les Quinze. L'accord obtenu permet à l'Union de s'élargir mais aussi d'améliorer le fonctionnement de ses institutions. La présidence a à la fois rempli ses objectifs - une Commission resserrée, une extension du champ de la majorité qualifiée et une pondération des voix plus équilibrée - et sauvegardé ses intérêts - en évitant un système de double majorité qui aurait modifié l'équilibre entre pays et en préservant la règle de l'unanimité pour l'extension de la politique commerciale commune aux services culturels.

M. Pierre Moscovici a conclu en soulignant que la présidence française pouvait avoir le sentiment d'avoir accompli sa mission quelles que soient les critiques stéréotypées empreintes d'idées reçues dont notre pays fait l'objet.

Le Président Alain Barrau a observé que le traitement médiatique du Conseil européen de Nice avait été surprenant. Il a estimé, pour sa part, que le résultat obtenu par la présidence française, qui a parlé d'une seule voix, était inespéré. Mais l'attention de l'opinion était trop focalisée sur la CIG, alors même que l'Europe des citoyens avait enregistré des progrès importants. Cette fixation sur la CIG résulte d'une erreur de communication, commise par tous les responsables politiques. La proclamation de la Charte des droits fondamentaux constitue cependant une avancée majeure, qui aidera les Européens à gérer une situation comme celle de la crise autrichienne. S'agissant de l'Europe sociale, l'attente était très forte. Le Président Alain Barrau, tout en regrettant certains débordements, a salué la manifestation organisée par la Confédération européenne des syndicats. Un article rédigé récemment par le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, exprimait d'ailleurs cette exigence d'Europe sociale.

S'agissant des résultats de la CIG, ils contribueront à faciliter l'élargissement dans de bonnes conditions. Ils ont également confirmé le fait que la vocation de l'Europe n'était pas d'être une zone de libre-échange. Le Président Alain Barrau a ensuite fait part de sa surprise quant à la teneur de certains commentaires sur le poids des intérêts nationaux dans les négociations de la CIG. A l'heure où la France s'apprête à entériner une évolution institutionnelle délicate en Corse, il faut toujours garder à l'esprit qu'une négociation au niveau européen ne peut ignorer les réalités historiques propres à chaque pays. Sur le maintien de l'unanimité, on ne peut réclamer une démocratisation des institutions européennes, tout en demandant le passage à la majorité qualifiée sur le commerce des services, qui supprimerait le contrôle exercé par les parlements nationaux sur la politique culturelle. Il ne faut pas confondre les registres : le débat sur l'élaboration d'une Constitution européenne est utile, mais il n'avait pas à être réglé par la présidence française. La construction européenne s'est toujours faite pas à pas, et il faut éviter toute démagogie ou confusion des genres.

M. Hervé de Charette, tout en se déclarant prêt à faire, le cas échéant, l'éloge du traité de Nice qui est pourtant l'objet de critiques partout ailleurs, s'est refusé à faire preuve d'autosatisfaction et a estimé que nombre de questions restaient posées. Il a ainsi tout d'abord souhaité savoir quand serait disponible le texte définitif du traité et selon quel calendrier et quelle procédure il serait ratifié. Sur le volet institutionnel de l'accord, il a demandé à M. Pierre Moscovici quelles raisons fondaient la satisfaction qu'il exprimait. S'agissant de la Commission, on peut en effet s'interroger sur le progrès que représente une Commission prétendument « resserrée » passant de 20 à un maximum de 27 membres et on doit constater le phénomène inquiétant que constitue la nationalisation des commissaires. De même, en ce qui concerne le Conseil des ministres, en quoi la triple majorité décidée à Nice est-elle une moins mauvaise solution que la double majorité considérée comme la pire des choses par le ministre délégué ? En quoi constitue-t-elle un progrès par rapport au statu quo ? M. Hervé de Charette a par ailleurs souhaité connaître les perspectives de discussion d'une Constitution européenne. Il a enfin demandé à M. Moscovici s'il partageait le sentiment selon lequel l'avancée de la construction européenne supposerait qu'un petit groupe de pays reprennent le flambeau de l'idée européenne, quelque peu mise à mal ces derniers temps.

Mme Yvette Roudy s'est déclarée surprise de l'avalanche de critiques dont a fait l'objet le Conseil européen de Nice, alors même que ses résultats n'étaient pas connus. Ceci s'explique, selon elle, par un déficit de communication mais aussi par les pressions exercées par ceux, au premier rang desquels les Américains, qui n'ont pas intérêt à ce que l'Europe progresse. Elle a estimé qu'il fallait donc faire un effort particulier d'explication, notamment sur les points suivants : la Charte des droits fondamentaux, qui a abouti dans des délais étonnamment brefs et qui pourrait constituer l'embryon d'une Constitution européenne ; l'Europe sociale ; enfin, la sécurité militaire et la mise en place d'une force européenne de 60 000 hommes. Elle a souhaité disposer d'indications sur l'état d'esprit des responsables du Royaume-Uni sur ces trois dossiers.

Mme Nicole Catala a interrogé M. Moscovici sur cinq points. Dans quelle mesure la Charte des droits fondamentaux s'impose-t-elle aujourd'hui aux Etats, aux citoyens et aux juges, et rend-elle caduque la Charte des droits sociaux adoptée en 1989 et annexée au traité de Maastricht ? Combien de clauses dérogatoires ont-elles été consenties, sur quels points et à quels Etats ? Quelle a été la définition donnée au concept de sécurité sociale, cette matière ayant été écartée des sujets pouvant être traités à la majorité qualifiée ? Que désigne exactement la notion d'« exception culturelle » ? Enfin, pour quelles raisons l'Allemagne s'est-elle opposée à ce que les questions relatives à l'immigration puissent être traitées à la majorité qualifiée ?

M. François Léotard, rappelant la déception, les regrets et les interrogations suscitées par le Conseil européen de Nice, a toutefois estimé que des avancées intéressantes avaient été enregistrées sur les dossiers autres que les institutions. S'agissant de ces dernières, il a considéré que des résultats meilleurs auraient pu être obtenus si les rapports franco-allemands n'avaient pas connu dernièrement une dégradation sensible, voire si la présidence avait été assurée par un autre pays. Selon lui, l'adoption de la règle de la double majorité aurait constitué un progrès, dans la mesure où elle aurait permis de contrecarrer les égoïsmes nationaux. Notant qu'il existe une vision allemande de la construction européenne, M. Léotard a interrogé M. Moscovici sur celle des responsables français. Enfin, il a souhaité obtenir des indications sur les modalités de ratification du traité de Nice.

M. Pierre Brana a interrogé le ministre délégué sur les modalités de la mise en _uvre du plafonnement du nombre de commissaires européens, se demandant en particulier si un autre traité serait nécessaire pour permettre l'application du principe arrêté à Nice. Se félicitant ensuite que le nombre de sujets soumis à la règle de la majorité qualifiée soit en augmentation, il a néanmoins déploré que les plus délicats et les plus importants restent soumis à celle de l'unanimité. Estimant par ailleurs très positive la méthode suivie pour l'élaboration de la Charte européenne des droits de l'homme, il s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable de s'en inspirer dans d'autres domaines. Enfin, il a souhaité des informations sur les avancées éventuellement réalisées sur l'espace judiciaire européen.

M. Georges Hage a qualifié le sommet de grand événement diplomatique démontrant que, contrairement à ce que pensait Engels, ce n'est pas seulement la force qui est accoucheuse de l'Histoire. Faisant état des inquiétudes qui s'expriment au sujet de l'Europe sociale, il a estimé qu'elles témoignent de l'espérance humaniste de la pensée syndicale mais qu'elles traduisent aussi la crainte que l'Europe se construit sur la base de conceptions capitalistiques et se dote d'institutions en conséquence.

M. Jean-Marie Bockel s'est demandé s'il existait encore un leadership franco-allemand. Rappelant le rôle moteur joué jusqu'à présent par la France et l'Allemagne dans la construction européenne, il s'est inquiété des effets d'un relâchement du lien entre ces deux pays. Il a demandé à M. Moscovici son sentiment sur la possibilité de donner un sens renouvelé à la relation franco-allemande dans l'Union européenne.

En réponse aux questions posées, le ministre délégué chargé des affaires européennes a apporté les précisions suivantes :

- le sentiment d'avoir accompli sa mission est une réaction humaine naturelle qui n'empêche pas toutefois d'être lucide. Si le traité de Nice n'est pas celui qui était souhaité au départ, il est dans tous les cas le meilleur possible dans l'état actuel de l'Union européenne. Etant prête à voir le vote à la majorité qualifiée appliqué à tous les domaines, même si elle avait des intérêts à faire valoir en matière commerciale, la France est le seul Etat de l'Union européenne à n'avoir jamais invoqué une ligne rouge qu'il convenait de ne pas franchir ;

- la taille de la Commission sera resserrée. Si le choix d'un commissaire par Etat est retenu jusqu'à 27 Etats membres, c'est un plafonnement du nombre de commissaires avec une rotation égalitaire, qui sera appliqué au-dessus de ce seuil. Ce résultat doit être apprécié au regard de l'échec de la réunion de Noordwijk en mai 1997, où l'Union européenne n'avait pu se mettre d'accord sur une Commission de 12 membres. Par conséquent, le Conseil européen de Nice aura eu le mérite d'empêcher une inflation du nombre de commissaires ;

- on ne saurait soutenir que le mécanisme de repondération des voix exige une triple majorité. Le filet démographique doit être simplement perçu comme une voie de recours, qui s'avérera être en réalité une simple vérification, puisqu'elle n'est pas appelée à jouer dans 99 % des cas. Si ce choix n'avait pas été opéré, les décisions des grands Etats auraient pu être bloquées par les petits Etats. La grille de pondération correspondra aux critères de la majorité des Etats et au filet démographique ;

- le texte définitif du traité de Nice devrait être prêt dans quelques jours. Le calendrier et la procédure de ratification ne sont pas encore définis. M. Charles Pasqua a indiqué qu'il souhaitait que cette ratification soit autorisée par voie référendaire, lors de la présentation des conclusions du Conseil européen de Nice par le Chef de l'Etat devant le Parlement européen. La signature de ce traité en février 2001, dans la perspective d'une ratification avant l'été, est souhaitable pour ne pas renouveler l'expérience de la ratification tardive du traité d'Amsterdam ;

- la question de l'Europe à deux vitesses est posée. En tous les cas, il est souhaitable que le débat européen soit au c_ur des prochaines campagnes électorales de 2002, la politique intérieure ne pouvant être dissociée de la politique européenne. Il est incontestable que la relation franco-allemande a toute sa place dans ce débat ;

- si d'aucuns soutiennent que d'autres Etats auraient fait mieux que la France, on peut observer que les négociations ont échoué sur ces sujets sous présidences hollandaise et portugaise, alors même que les premiers ministres de ces deux pays assumant la présidence de l'Union européenne étaient des personnalités remarquables ;

- le couple franco-allemand a connu certainement des jours meilleurs. Si des divergences pouvaient déjà être relevées à Amsterdam, les responsabilités de cette situation sont partagées, ces tensions pouvant s'expliquer par la difficulté à nouer des relations de travail entre les deux partenaires. Le Conseil européen de Nice a été l'occasion de débattre en toute franchise. Si le ministre allemand des affaires étrangères a sa propre vision de la construction européenne, il ne faut pas oublier qu'il appartient à un parti minoritaire de la coalition gouvernementale et que le Chancelier ne partage pas forcément les mêmes vues. Il n'existe pas toutefois d'alternative au couple franco-allemand, qui constitue un moteur indispensable pour l'Europe. Il serait donc souhaitable d'organiser un débat entre la France et l'Allemagne où chacun pourrait s'exprimer très franchement ;

- la proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne rend pas caduque la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Il convient de mettre à l'actif du traité de Nice l'absence de clauses dérogatoires. Les questions de sécurité sociale n'ont pas été intégrées dans les thèmes relevant du vote à la majorité qualifiée, en raison de l'opposition du Royaume-Uni. L'opposition de l'Allemagne au passage des questions d'asile et d'immigration à la majorité qualifiée s'explique par la structure fédérale de cet Etat. Le résultat auquel est parvenu le Conseil européen de Nice n'est pas contradictoire avec les dispositions du titre IV du traité instituant la Communauté européenne, le Conseil ne s'étant prononcé que sur le passage à la majorité qualifiée, avant les échéances fixées par le traité d'Amsterdam ;

- il n'est pas sûr que la méthode suivie pour élaborer la Charte des droits fondamentaux soit transposable à d'autres sujets. En tout état de cause, s'agissant d'une réforme institutionnelle, il ne semble pas possible de faire l'économie d'une procédure de décision intergouvernementale ;

- l'Europe est incontestablement un dépassement de l'histoire mais elle ne fait pas disparaître pour autant les rapports de force. S'il y a eu de bonnes manifestations à Nice comme celles organisées par la Conférence européenne des Syndicats en faveur d'une affirmation plus forte des droits sociaux dans la Charte, il en est d'autres qui n'étaient pas justifiées. Cependant, les responsables européens ont su éviter que Nice ne soit un nouveau « Seattle ».