DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 140

Réunion du mercredi 28 mars 2001 à 16 heures 15

Présidence de M. Alain Barrau

I. Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur l'actualité de l'Union européenne et les résultats du Conseil européen de Stockholm

M. Pierre Moscovici a indiqué que le bilan de la présidence française de l'Union ayant donné lieu, le 13 décembre dernier, à une audition conjointe de la Délégation et de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, ainsi qu'à un rapport du Président Alain Barrau - avec lequel il s'est déclaré particulièrement en phase -, il consacrerait son propos aux principaux enseignements du Conseil européen qui s'est tenu à Stockholm les 23 et 24 mars dernier, aux autres grands dossiers traités au cours de la présidence suédoise de l'Union et au débat sur l'avenir de l'Union européenne lancé, à Nice, par les chefs d'Etat et de gouvernement.

Au sujet du Conseil européen de Stockholm, le ministre délégué a rappelé qu'il avait pour objet de faire un premier bilan de la stratégie de Lisbonne, qui fixe un certain nombre d'orientations communes pour bâtir une Europe de la croissance, de l'emploi, de l'innovation et de la cohésion sociale.

Il s'est dit heureux que le Conseil européen lui-même s'empare chaque année de ces sujets. Sans qu'on le dise, l'Union est, selon lui, en passe de se doter d'un gouvernement économique et social. Cela a été particulièrement manifeste à Stockholm, où les sujets traités concernaient la coordination des politiques économiques, l'enrichissement de notre modèle de croissance en emplois, la mise en _uvre de l'agenda social, ou l'élaboration d'une réflexion commune sur les bouleversements entraînés par le vieillissement démographique.

Il a retenu de ce Conseil européen cinq points principaux. En premier lieu, un message général de confiance dans la solidité de la zone euro et, au-delà, de l'ensemble des économies de l'Union. Certes, l'Europe est confrontée au ralentissement de l'activité américaine. Mais le Conseil a considéré unanimement que le dynamisme de la demande intérieure en Europe devrait permettre de compenser largement le fléchissement de la demande américaine. L'euro doit agir comme un bouclier protecteur, comme il l'a fait au moment des crises asiatique, russe ou brésilienne depuis deux ans.

Deuxièmement, la volonté d'accélérer l'unification des marchés de capitaux en Europe : un consensus s'est dégagé, dès le premier jour du Conseil, au niveau des ministres de l'économie et des finances, sur les suites à donner au rapport de M. Lamfalussy. Le compromis du Conseil ménage un équilibre satisfaisant entre la nécessité de disposer d'un comité européen des valeurs mobilières suffisamment réactif pour jouer son rôle de régulation des marchés et la nécessité de préserver les prérogatives des institutions de l'Union
- notamment du Parlement européen et du Conseil - qui ne doivent pas se laisser déposséder de leur rôle de co-législateurs au profit de ce comité essentiellement technique.

Troisièmement, la volonté de renforcer les objectifs de Lisbonne en matière d'emploi, avec des propositions de nouveaux indicateurs sur la qualité de l'emploi et les discriminations hommes/femmes à l'embauche, que le Conseil et la Commission sont chargés d'élaborer avant la fin de l'année.

En quatrième lieu, la volonté de mettre en _uvre l'Agenda social adopté à Nice, sachant que les discussions n'ont pas pu aller très loin à Stockholm, seulement trois mois après l'adoption de cet agenda.

Enfin, l'engagement à poursuivre la libéralisation des services d'intérêt général, notamment pour l'électricité et le gaz, mais à un rythme maîtrisé et dans un cadre qui respecte les attentes des citoyens en matière de sécurité, d'accessibilité ou de respect de l'environnement. Il s'agit là d'un succès pour la délégation française. En effet, comme le souhaitait la France - et contrairement à certaines tentations exprimées ici ou là -, les conclusions ne fixent pas de date d'échéance, mais rappellent que la libéralisation doit s'effectuer dans le cadre politique général de la déclaration adoptée à Nice, qui insiste sur le rôle irremplaçable des services d'intérêt général. A cette occasion, le couple franco-allemand a joué un rôle important et fonctionné de façon cohérente. C'est un des premiers fruits de la démarche de discussion fréquente, informelle et libre engagée par la France et l'Allemagne depuis Nice.

M. Pierre Moscovici a estimé qu'en donnant une impulsion nouvelle à la stratégie de Lisbonne, cette session du Conseil européen a été globalement très utile et n'a pas constitué - comme certains pouvaient le craindre - une étape vers une libéralisation sans conditions du marché européen. Bien au contraire, comme l'a indiqué le Premier ministre lors de la conférence de presse finale qu'il a tenue avec le Président de la République, « l'Europe continue à affirmer sa volonté, sa capacité d'introduire une certaine régulation économique ».

Sur les autres aspects, notamment internationaux, qui ont été évoqués à Stockholm, le ministre délégué a souhaité que l'on ne multiplie pas les exercices de rencontres avec des hôtes étrangers afin de ne pas occulter les travaux du Conseil. Il s'est, en revanche, félicité que les Quinze aient adopté une déclaration forte, qui condamne avec la plus grande fermeté les actions violentes des groupes extrémistes albanais dans le nord de la Macédoine. Ils rappellent ainsi, notamment, leur attachement aux principes de l'inviolabilité des frontières et de la souveraineté territoriale des pays de la région. De fait, ces actions constituent, pour l'Union européenne et l'OTAN, un vrai sujet de préoccupation, en raison des risques qu'elles font peser sur la stabilité de la Macédoine. Ce signal était, selon le ministre délégué, indispensable : chacun sait que la communauté internationale conduit avec persévérance une action dans cette région, et qu'il faut, comme l'ont indiqué le Président de la République et le Premier ministre, « empêcher un nouveau cycle de violence ».

M. Pierre Moscovici a par ailleurs mentionné l'adoption par le Conseil européen
- en des termes plus fermes que ne l'auraient voulu spontanément certains partenaires européens - d'une déclaration qui marque la préoccupation de la France face à la remise en cause du protocole de Kyoto sur les changements climatiques. Il a précisé que cette déclaration exhortait toutes les parties à la négociation, afin de parvenir à un accord sur les modalités de mise en _uvre de ce protocole en vue de son entrée en vigueur d'ici 2002.

Le ministre délégué a ensuite abordé les autres grands dossiers de la présidence suédoise.

Concernant l'élargissement de l'Union - qui n'a pas été à proprement parler évoqué par le Conseil de Stockholm -, le ministre délégué a rappelé que la présidence suédoise a décidé de lui accorder une importance toute particulière. Conformément à la feuille de route que la présidence française avait fait adopter par le Conseil à la fin de son mandat, les négociations d'adhésion sont entrées dans une phase cruciale, au cours de laquelle les sujets les plus complexes doivent être abordés : la libre circulation des personnes aujourd'hui, mais aussi, bientôt, la politique agricole commune, la politique régionale et l'environnement.

Il a précisé que le chapitre qui viendrait prochainement en discussion était la libre circulation des personnes, particulièrement sensible pour l'Allemagne et l'Autriche, qui craignent un afflux de main-d'_uvre en provenance des futurs nouveaux membres, notamment la Pologne. Mais la problématique se présente sans doute, pour la France, en des termes différents : elle n'a pas les mêmes raisons de craindre un tel afflux. La préoccupation du Gouvernement est, en fait, d'une autre nature : elle porte sur la capacité des futurs Etats membres à contrôler leurs frontières, qui seront bientôt les frontières extérieures de l'Union
- sachant que les pays candidats sont encore trop vulnérables par rapport aux flux d'immigration irrégulière, en provenance de l'Asie notamment.

Il a rappelé que cette question s'inscrivait dans le cadre de l'objectif global réaffirmé par les chefs d'Etat et de gouvernement à Tampere, en octobre 1998, d'accélérer la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Elle a pris un relief particulier sous la présidence française, juste après le drame de Douvres ; celle-ci a proposé trois projets de textes - deux directives et une décision-cadre - relatifs à la lutte contre les transporteurs, d'une part, et contre les passeurs, de l'autre.

La recherche d'un accord sur ces textes n'est pas simple, malgré la gravité des problèmes qu'ils visent à résoudre, parce que l'harmonisation des législations et des pratiques dans un domaine où elles sont très hétérogènes prend du temps. La présidence française n'avait pas voulu aboutir à un accord au rabais. Les travaux se poursuivent donc. Ils devraient aboutir au prochain Conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures, en mai. Parallèlement, les travaux se poursuivent sur l'harmonisation des conditions d'accueil des réfugiés, qui est un autre volet important de cette problématique. En effet, si les émigrés de Douvres étaient des émigrés économiques, les Kurdes de l'East-Sea qui ont débarqué à Saint-Raphël, en revanche, semblaient a priori éligibles au statut de réfugiés politiques.

M. Pierre Moscovici a estimé que la France disposait, depuis 1998, de lois équilibrés sur l'asile et l'immigration, qui se révèlent, en pratique, beaucoup plus satisfaisantes que les législations en vigueur dans d'autres Etats membres. Il considère qu'elle a donc tout intérêt à les faire connaître à ses partenaires ainsi qu'aux pays candidats. C'est dans ce contexte que le ministre de l'intérieur, M. Daniel Vaillant, se rendra les 4 et 5 avril prochain à Bratislava, afin de participer à un séminaire sur Schengen dans le cadre de la Conférence européenne.

En ce qui concerne les autres dossiers lourds de l'élargissement de l'Union - notamment de la politique agricole commune, mais aussi de la politique régionale -, il a indiqué que les propositions de la Commission européenne viendraient à leur heure et qu'il conviendra sur ces sujets de définir - en parfaite harmonie avec la représentation nationale - les positions de négociation françaises.

S'agissant tout particulièrement de la PAC, il a précisé que le débat était arrivé un peu plus tôt que prévu, sous l'effet des rebondissements de la crise de l'ESB et de la fièvre aphteuse. S'il n'est pas question, selon lui, d'anticiper ce débat de fond, qui aura lieu en 2002/2003 - comme le prévoit la clause de réexamen qui figure dans l'accord sur l'Agenda 2000 -, il a déclaré partager les propos courageux exprimés récemment par le ministre de l'agriculture, M. Jean Glavany. En effet, ce rendez-vous devrait être l'occasion de « donner des signaux politiques forts, montrant qu'on a tiré les leçons des crises et reçu le message de l'opinion ».

Au sujet des travaux relatifs à l'après-Nice, M. Pierre Moscovici a indiqué que le Gouvernement souhaitait voir ratifier dans les meilleurs délais le traité de Nice.

Il a précisé que le projet de loi de ratification devrait être transmis, cette semaine, au Conseil d'Etat, qui devrait rendre son avis dans un délai d'un mois. Le Gouvernement pourrait l'adopter, si tout se passe bien, fin avril ou, au plus tard, début mai, et le déposer ensuite sur le bureau de l'Assemblée nationale. En tout état de cause, le Gouvernement entend bien laisser aux assemblées, et en particulier aux commissions compétentes, tout le temps nécessaire pour examiner le projet de loi, qui pourrait ainsi faire, selon lui, l'objet d'une première lecture à l'Assemblée nationale avant les vacances d'été.

Il a rappelé que la contrainte qui pesait sur cette ratification en termes de calendrier était le lien qui avait été établi entre son achèvement et le déroulement du processus d'élargissement. En effet, les Etats membres devraient avoir achevé cette procédure de ratification en 2002, afin que - selon les conclusions du Conseil européen de Nice - les premières adhésions puissent avoir lieu, pour les Etats candidats qui seront prêts, dès le 1er janvier 2003.

Cela dit, rien n'empêcherait, théoriquement, que l'on mène les procédures de ratification du traité de Nice et des traités d'adhésion de manière parallèle. Il est également souhaitable de prévoir un calendrier court, car il serait difficile d'expliquer à nos partenaires que nous soyons les derniers à ratifier un traité négocié sous notre présidence. Mais il serait plus simple et plus clair, selon lui, de pouvoir le faire de manière consécutive. Au demeurant, hormis l'Irlande, aucun de nos partenaires n'envisage de procéder à une ratification par voie référendaire : le processus devrait donc pouvoir aller assez vite.

S'agissant de la France, il convient également de tenir compte des contraintes internes qui pèsent sur le calendrier parlementaire. Il pourrait être souhaitable, dans cette perspective, de terminer cette procédure assez rapidement. Cela permettrait de se consacrer à la réflexion qui va s'engager sur l'avenir de l'Europe.

M. Pierre Moscovici a rappelé qu'aux termes de la Déclaration sur l'avenir de l'Union, annexée au traité de Nice, cette réflexion devrait aboutir en 2004, date à laquelle une nouvelle Conférence intergouvernementale devrait être convoquée. La France dispose donc d'un temps mesuré, qu'elle doit notamment employer, dès cette année, pour engager la réflexion au niveau national, avant de la porter, au cours de l'année prochaine, au niveau européen.

Il a déclaré que le Président de la République et le Premier ministre étaient d'accord sur le principe selon lequel un débat très large devait s'engager d'abord à un niveau décentralisé, afin que toutes les composantes de la nation puissent y prendre pleinement part, notamment les élus, les partenaires sociaux, les milieux économiques et universitaires et les associations.

A cet égard, il a considéré que la participation des parlementaires, tant au niveau local que national, serait un enjeu de toute première importance. Il a indiqué que les modalités concrètes d'organisation de ce débat, notamment au niveau des régions, étaient en cours d'élaboration et que la représentation nationale serait informée du schéma qui serait proposé. Les débats en région pourraient être organisés par les préfets.

Il a précisé que les grandes questions de ce débat - la répartition des compétences, le rôle des parlements nationaux, la constitutionnalisation des traités, le statut de la Charte des droits fondamentaux - ont commencé à faire l'objet de discussions.

Il a estimé que le débat sur la répartition des compétences méritait notamment une attention toute particulière. Ce n'est pas une question nouvelle : les réflexions récurrentes sur le contenu de la notion de subsidiarité en témoignent. C'est par ailleurs une question complexe, précisément parce que la spécificité de la Communauté depuis les origines est ce mélange - variable selon les secteurs, mais toujours très subtil - de compétences partagées. Il faudra donc éviter, selon lui, que le débat qui va s'engager ne conduise à modifier les équilibres, ou, pire, à revenir en arrière. Le risque serait alors de perdre justement ce qui a fait jusqu'ici la force des politiques communes. Ce débat devrait être, au contraire, l'occasion, tout en clarifiant les choses, de conforter les lignes de force de l'architecture de l'Union.

Le traité de Nice permet partiellement d'améliorer et de rehausser le triangle institutionnel, qui est le fondement même de l'Union : la Commission, force de proposition de l'Union, sera plafonnée ; elle conservera son caractère collégial et son Président, nommé à la majorité qualifiée, aura des pouvoirs accrus ; le Conseil verra sa capacité de décider - et donc d'agir - facilitée grâce à l'extension significative du champ du vote à la majorité qualifiée ; enfin, le Parlement européen se voit conforté dans son rôle de co-législateur.

Mais il faudra aussi, selon M. Pierre Moscovici, tenter de définir, pour cette Union élargie et plus hétérogène, les modalités d'une véritable gouvernance, afin que l'Europe puisse jouer le rôle qui doit être le sien sur la scène internationale.

Il a estimé, en outre, qu'au-delà des quatre sujets inscrits dans la déclaration adoptée à Nice à l'ordre du jour de ce débat sur l'avenir de l'Europe, on ne doit pas s'interdire d'élargir la réflexion. En effet, comment parler de clarification des compétences sans se demander ce qui fait, dans chaque domaine, la valeur ajoutée européenne et ce qui, en revanche, doit permettre aux Etats-nations de préserver leur spécificité historique ? Il convient, comme l'a dit le Premier ministre lors de la visite qu'il a rendue à la Commission, la semaine dernière, de se mettre d'accord sur un projet politique commun. Cela suppose de s'interroger aussi sur la finalité de l'Europe élargie et sur le contenu des concepts de « fédération d'Etats-nations » ou de constitution. Ce n'est que sur ce fondement que l'on pourra repenser de façon plus globale l'architecture institutionnelle qui sera la mieux à même de servir ce projet.

M. François Guillaume s'est étonné que l'idée d'une réforme de la politique agricole commune soit défendue par certains membres du Gouvernement, alors que la PAC risque déjà d'être à terme affaiblie avec l'entrée dans l'Union de nouveaux pays dont les structures agricoles sont très différentes de celles des actuels Etats membres. La clause de rendez-vous pour la révision de certaines dispositions de la PAC en 2002 doit être mise à profit pour renforcer la production européenne en oléo-protéagineux : une plus grande indépendance de l'Europe en matières de protéines végétales est en effet nécessaire depuis l'interdiction d'utiliser les farines animales.

Tout en se déclarant à titre personnel favorable à des mesures de vaccination contre l'épidémie de fièvre aphteuse, M. François Guillaume a estimé qu'il fallait laisser aux Etats membres le soin de décider s'il faut ou non vacciner leur cheptel. Il s'est étonné de la décision prise par la Commission de maintenir l'embargo sur les exportations françaises vers les pays tiers ainsi que de la décision prise par la Belgique de fermer ses frontières aux exportations agro-alimentaires françaises. Après avoir critiqué l'interdiction par certains pays tiers de l'importation de produits en provenance de pays pratiquant la vaccination - qui n'est pas exempte selon lui d'arrière-pensées commerciales - M. François Guillaume a souligné la nécessité de revoir l'ensemble des pratiques sanitaires et des interdits commerciaux.

M. Pierre Lequiller a souhaité savoir pourquoi certains Etats membres étaient réticents aux propositions françaises relatives à la libre circulation. Exprimant le souhait que la prochaine CIG soit précédée d'un comité des sages, il a demandé au ministre quelles propositions le Gouvernement entendait faire pour améliorer le contrôle au niveau européen du principe de subsidiarité. Estimant que le prochain exercice de révision des traités devait poser le problème de la présidence de l'Europe, il a estimé nécessaire d'engager dès à présent une réflexion pour revoir le système actuel de rotation semestrielle de la présidence de l'Union.

M. Gérard Fuchs a jugé nécessaire d'étendre le débat sur l'avenir de l'Union au-delà des quatre thèmes évoqués par la déclaration de Nice : une discussion sur le concept d'avant garde - et la possibilité d'utiliser les dispositions nouvelles en matière de coopérations renforcées pour parvenir à la constitution d'un tel noyau dur - est inévitable.

Il a également estimé que, si la constitution d'un groupe de sages peut être un moyen d'effectuer un bon travail de réflexion et de proposition en amont, il reste que c'est la conférence intergouvernementale qui conclura l'exercice de révision des traités. S'agissant de la ratification du Traité de Nice, il a jugé important que la France aille vite, afin que les pays candidats comprennent que notre insistance à réformer les institutions avant l'élargissement relevait du souci exclusif d'améliorer le fonctionnement de l'Union.

Il a estimé qu'une nouvelle réforme de la politique agricole commune était inévitable, la seule question étant de savoir sur quelles bases cette réforme sera définie et par quels acteurs. Il a enfin émis le souhait que sous présidence belge, des efforts soient accomplis, sur la base de l'article 16 du traité, à travers la Charte des droits fondamentaux ou un projet de directive-cadre, pour définir des mécanismes permettant de prendre en compte les objectifs de justice sociale et d'occupation des territoires dans la libéralisation des marchés.

Après avoir demandé comment le revirement de l'administration Bush sur la question des émissions de gaz à effet de serre avait été perçu par les Etats membres, M. Pierre Brana a souhaité avoir des précisions sur la fin de non-recevoir opposé par le Président Poutine à Stockholm aux demandes de l'Union sur la situation en Tchétchénie et sur le degré de préparation de la France à l'euro. Il a également souhaité savoir si le Conseil européen de Stockholm avait permis d'avancer sur les conditions de libéralisation du secteur de l'énergie, la France ayant obtenu la suppression de la date butoir de 2005.

M. François Loncle a jugé souhaitable que la France soit le premier Etat membre à ratifier le traité de Nice et ce le plus rapidement possible.

Il a considéré que, pour élaborer l'architecture institutionnelle de l'Europe élargie, il serait opportun de s'inspirer de l'expérience de la Charte des droits fondamentaux et de mettre en place une Convention qui associerait les représentants des parlements nationaux, du Parlement européen et des Gouvernements, car seule une telle formule serait de nature à permettre des débats transparents et à mobiliser l'opinion publique.

Enfin, il a insisté sur la nécessité pour les pouvoirs publics de favoriser une très large diffusion de la Charte des Droits fondamentaux, laquelle est désormais accessible à tout citoyen. Citant l'Italie, qui l'a popularisée par le truchement des écoles et des services publics, il a plaidé en faveur d'un effort de communication auprès de nos concitoyens pour les convaincre que la construction européenne ne se réduit pas à la seule mise en place de l'euro, mais qu'elle comporte, également, une dimension politique dont la Charte illustre le progrès.

M. Maurice Ligot, tout en souhaitant connaître la position du Gouvernement sur l'idée d'une Convention préconisée par M. François Loncle, le Parlement européen et certains Etats membres, s'est interrogé sur son adéquation aux enjeux de l'élargissement. Observant que le Parlement européen pourrait y occuper une place importante, il a émis la crainte qu'il ne soit à la fois juge et partie. Il a souhaité que la composition et les attributions de cet organe soient précisées dans le cas où cette idée serait retenue.

M. Jacques Myard a estimé que, hormis la décision de ne pas procéder à la libéralisation du marché de l'électricité et du gaz en 2005, le Conseil européen de Stockholm n'avait pas abouti à des résultats significatifs.

Il a contesté les propos du ministre selon lesquels l'euro permettait à l'Union européenne d'être préservée de la crise boursière américaine.

Evoquant la méthode de la réflexion à mener sur l'avenir de l'Europe, il a jugé nécessaire que la ratification du traité de Nice soit autorisée par un référendum, ce qui permettrait de rapprocher l'Europe des citoyens. La construction européenne doit être un processus lisible et ne pas s'enliser dans les dérives actuelles.

M. Jean-Claude Lefort, contestant l'appréciation optimiste portée par le ministre sur les conclusions concernant les services d'intérêt économique général, a considéré que le Conseil européen de Stockholm n'avait pas remis en cause le principe de la libéralisation du marché de l'électricité et du gaz mais seulement décidé de ne pas en fixer l'échéance.

Evoquant le document relatif au dialogue transatlantique, qui a été soumis au Conseil européen de Stockholm par les commissaires européens Chris Patten et Pascal Lamy, il s'est étonné que la Commission puisse mener des négociations commerciales avec les Etats-Unis, alors que cette matière relève de la procédure de co-décision.

Il a souhaité connaître la position du ministre sur les informations selon lesquelles le système de cryptage de la Commission était espionné par le réseau Echelon, géré par la NSA, l'Agence américaine de sécurité.

Enfin, il a jugé paradoxal que les citoyens puissent être écartés du débat sur la ratification du traité de Nice, alors que ce texte engage l'avenir de l'Europe, bien au-delà de la seule question de l'élargissement. Il a estimé qu'il conviendrait, comme c'est le cas en Irlande, de procéder à un référendum, afin de rapprocher davantage les citoyens de l'Europe.

Le Président Alain Barrau a déclaré que le Gouvernement ne lui donnait pas l'impression de rejeter le principe d'un large débat sur la ratification du traité de Nice, dont il a souhaité que la France soit le premier Etat membre à y procéder. Tout en observant qu'un tel débat pourra avoir lieu au Parlement, il a souhaité que l'ordre du jour des assemblées soit réaménagé pour leur permettre d'examiner plus régulièrement les questions européennes.

Evoquant la suggestion formulée par M. François Loncle de réunir une Convention, il a observé que le Parlement européen, à travers sa très active commission constitutionnelle, donne un peu l'impression de mettre la main sur ce thème, alors que, sans développer une revendication corporatiste, cette formule, qui a très bien fonctionné pour l'élaboration de la Charte, devrait ménager un meilleur équilibre entre les gouvernements, le Parlement européen et les parlements nationaux, surtout quand l'un des sujets concerne le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne.

Enfin, la France doit continuer à s'appuyer sur les apports du traité de Nice pour valoriser son effort en faveur de l'élargissement auprès des pays candidats.

Le ministre délégué a fourni les réponses suivantes :

- le choix de la voie parlementaire ou du référendum pour ratifier le traité de Nice n'a pas encore été évoqué, mais il est un peu facile de se servir de la complexité nécessaire des textes pour tenter de discréditer l'Union européenne ;

- quelle que soit la voie choisie, un débat sur l'avenir de l'Europe va s'ouvrir, pas seulement en France, pour aboutir en 2004, et personne ne peut refuser qu'il ait lieu, dans une première étape, de manière décentralisée, devant les Français. Les préfets l'organiseront selon des modalités ouvertes à la participation de toutes les composantes de la société civile et politique, en vue de présenter une synthèse en fin d'année avant le Conseil européen de Laeken ;

- dans le débat sur l'avenir de l'Europe, le Parlement européen a parfois tendance à juger les progrès de l'Union européenne à l'aune de la croissance de ses pouvoirs et de son autodéveloppement. A titre personnel, le ministre a estimé que la Convention avait été une réussite pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux et qu'elle méritait d'être expérimentée, selon une formule identique ou non, pour aboutir à une Conférence intergouvernementale la plus courte possible, ce qui implique donc qu'elle soit maîtrisée. L'échec d'une convention conduirait à un débat plus dur en CIG ;

- les parlements nationaux devraient consacrer plus de temps aux débats européens, notamment selon la formule retenue par le Sénat qui consacre une question orale avec débat tous les deux mois à l'occasion de ses séances réservées. Les questions au Gouvernement sur les sujets européens offrent par ailleurs une possibilité de réaliser un objectif pédagogique auprès de l'opinion à condition que tout le monde joue le jeu et ne s'en serve pas pour faire passer des « cavaliers » ;

- le rendez-vous sur la PAC en 2002-2003 procédera au réexamen programmé des règles relatives à certains produits et à une réflexion sur les évolutions futures, mais le Président de la République et le Premier ministre ont déclaré qu'il n'était pas question de toucher au cadre financier arrêté à Berlin jusqu'à 2006 ni de revenir à une tentative de renationalisation par le biais de cofinancements. En revanche d'autres réformes sont possibles, notamment sur la qualité des aliments et les questions sanitaires ;

- en matière de libre circulation des personnes, des initiatives françaises devraient pouvoir être adoptées sous présidence suédoise, en particulier l'accord sur le trafic des êtres humains ;

- le débat sur la répartition des compétences devra clarifier la question de la subsidiarité et le débat sur la gouvernance abordera nécessairement la réforme du Conseil et la question des présidences tournantes ;

- le comité des Sages que la France avait proposé au Conseil européen de Berlin pour préparer celui de Nice aurait été bien utile, mais il a été rejeté par certains Etats ;

- le ministre des affaires étrangères et le ministre délégué aux affaires européennes iront dans tous les pays candidats avant la fin de l'année, en commençant par la Pologne et la République tchèque, afin de renforcer l'image de la France dans son effort en faveur de l'élargissement, souvent présenté de manière injuste ;

- le gouvernement français s'efforcera d'alimenter la réflexion sur les services d'intérêt général lors de la présidence belge ;

- la préparation de l'euro a fait l'objet d'un appel du Conseil européen pour accélérer les préparatifs, notamment en faisant circuler une information sur les meilleures pratiques, même si la présidence suédoise est un peu en retrait sur ce dossier pour des raisons compréhensibles ;

- le ministre des affaires étrangères vient d'exprimer aux dirigeants des Etats-Unis la stupéfaction de l'Union européenne devant la décision tout à fait contestable du Président Bush de ne pas ratifier le protocole de Kyoto et le Chancelier allemand aura l'occasion de leur répéter les termes de cette déclaration de l'Union européenne lors de sa prochaine visite ;

- la suggestion du Président François Loncle de populariser la Charte des droits fondamentaux, parallèlement à la mise en place de l'euro et au lancement du débat national sur l'avenir de l'Europe auprès de l'opinion publique française, est excellente et pourrait être retenue par le Gouvernement.

Le ministre délégué s'est ensuite réjoui de constater que l'appréciation portée sur la présidence suédoise revienne à réhabiliter a contrario la présidence française dont on s'apercevra de plus en plus, avec le recul, qu'elle a fourni un travail considérable.

S'agissant des services d'intérêt général, les conclusions du Conseil européen de Stockholm ne parlent pas de libéralisation du marché mais d'ouverture réciproque. On ne saurait oublier qu'EDF se développe en Allemagne et en Espagne, que de nombreuses concessions ont été accordées à des entreprises françaises sur les marchés de l'eau et de la téléphonie au Royaume-Uni et que GDF est appelé à gagner des parts de marché à l'exportation. Certains de nos partenaires estimant que certaines entreprises ont un caractère monopolistique et menaçant de fermeture leur marché, il est apparu opportun de prendre davantage de temps et de rendre la défense des services d'intérêt général compatible avec le développement du marché intérieur.

Les problèmes soulevés par la mise en _uvre du programme Echelon sont évoqués devant la commission d'enquête du Parlement européen et devant le Conseil. Le ministre français des affaires étrangères souhaite d'ailleurs que MM. Romano Prodi et Chris Patten s'en ouvrent devant le prochain Conseil « Affaires générales ».

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

La Délégation a examiné, sur le rapport du Président Alain Barrau, plusieurs textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution.

¬ Commerce extérieur

Elle a d'abord levé la réserve d'examen parlementaire sur la proposition de règlement du Conseil portant mode de gestion de contingents tarifaires communautaires avec douze pays méditerranéens, le Président Alain Barrau ayant précisé que la proposition de règlement avait pour objet de refondre et de simplifier les règlements (CE) n° 1981/94 et 934/95 (document E 1674).

Le Président Alain Barrau a indiqué à la Délégation que la proposition de règlement du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1334/2000 sur les biens et technologies à double usage destinés à l'exportation avait fait l'objet d'une demande d'examen en urgence par lettre du ministre délégué chargé des affaires européennes en date du 26 février 2001, à laquelle il avait répondu le même jour en levant la réserve d'examen parlementaire (document E 1677).

La Délégation a ensuite levé la réserve d'examen parlementaire sur :

la proposition de règlement relatif aux procédures prévues pour faciliter la délivrance des certificats de circulation des marchandises (document E 1690). Cette proposition de règlement vise, d'une part à permettre à l'exportateur d'utiliser la déclaration du fournisseur comme élément de preuve de l'origine communautaire du produit, d'autre part à donner une base juridique au statut d'exportateur agréé ;

la proposition de règlement portant ouverture d'un contingent tarifaire communautaire pour l'orge de brasserie en provenance des Etats-Unis (document E 1693).

Le Président Alain Barrau a précisé que cette mesure constituait l'un des points d'un accord conclu entre l'Union européenne et les Etats-Unis en 1995, afin d'éviter que les Etats-Unis ne demandent la constitution d'un panel à l'OMC portant sur le régime d'importation communautaire des céréales, mais que le Gouvernement français entendait s'opposer, comme les années précédentes, à la reconduction de la mesure, compte tenu notamment de la situation excédentaire du marché de l'orge dans la Communauté. La levée de la réserve s'accompagne donc d'un soutien à la position du Gouvernement français.

¬ Justice et affaires intérieures

Le Président Alain Barrau a indiqué que l'initiative du Royaume de Suède en vue de l'adoption de l'acte du Conseil modifiant le statut du personnel d'Europol (document E 1638 rectifié avait fait l'objet d'une demande d'examen en urgence par lettre du ministre délégué chargé des affaires européennes en date du 6 mars 2001, à laquelle il avait répondu le même jour en levant la réserve d'examen parlementaire. Après que M. Maurice Ligot eut demandé des précisions sur le statut des personnels, le Président Alain Barrau a précisé que l'objectif du texte était d'harmoniser le statut des personnels détachés des administrations nationales et de porter à six ans la période maximale de leur détachement auprès d'Europol.

Puis la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur :

la proposition de règlement du Conseil concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales (document E 1655) ;

la proposition de règlement du Conseil concernant les critères et les mécanismes permettant de déterminer l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans un Etat membre, en Islande ou en Norvège (document E 1681). Ce texte a fait l'objet d'une demande d'examen en urgence par le ministre délégué chargé des affaires européennes le 6 mars 2001, auquel il a été répondu le même jour.

¬ PESC et relations extérieures

· Le Président Alain Barrau a indiqué aux membres de la Délégation que la proposition de règlement étendant la date d'application du règlement (CEE) n° 3621/92 et du règlement (CE) n°527/96 (document E 1642) et la proposition de règlement relatif à l'application des dispositions du droit communautaire aux îles Canaries (document E 1686) avaient fait l'objet d'une demande d'examen en urgence par lettre du ministre délégué chargé des affaires européennes en date du 6 mars 2001, à laquelle il avait répondu en levant la réserve d'examen parlementaire le 9 mars 2001. Ces textes ont pour objet d'assurer la continuité du régime du tarif douanier et du cadre juridique régissant les activités des opérateurs économiques des îles Canaries.

· Le Président Alain Barrau a également indiqué aux membres de la Délégation qu'il avait levé la réserve d'examen parlementaire, dans le cadre de la procédure d'urgence, sur la proposition de décision prorogeant la décision 91/482/CEE relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté européenne (document E 1678).

¬ Questions budgétaires et fiscales

· Le Président Alain Barrau a indiqué aux membres de la Délégation que le projet de recommandation du Conseil sur la décharge à donner à la Commission sur l'exécution du budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1999 (document E 1682) avait fait l'objet d'une demande d'examen en urgence du ministre délégué chargé des affaires européennes, par lettre en date du 6 mars 2001, à laquelle il avait répondu en levant la réserve d'examen parlementaire le 9 mars 2001. Il a observé que le solde positif d'exécution du budget de 1999 s'élevait à 3 220 millions d'euros, en augmentation relativement faible (+ 3,2 %) par rapport à l'année précédente.

M. Maurice Ligot ayant demandé si ces résultats étaient imputables, pour partie, à la faible consommation des crédits affectés aux actions structurelles, le Président Alain Barrau a remarqué que la sous-consommation des crédits engagés constituait un problème récurrent de la politique budgétaire communautaire.

· La Délégation a ensuite levé la réserve d'examen parlementaire sur deux lettres de la Commission relatives chacune à une demande de dérogation présentée par l'Allemagne, en application de la directive du 17 mai 1977 en matière de TVA (documents E 1688 et E 1689).

Ces demandes de l'Allemagne ont pour objet de soumettre les livraisons de biens et prestations de service destinées à la construction et/ou à l'entretien d'un pont transfrontalier avec la République tchèque, d'une part, et la Pologne, d'autre part, au régime fiscal du pays candidat à l'adhésion.

¬ Questions diverses

Le Président Alain Barrau a indiqué aux membres de la Délégation qu'il avait levé la réserve d'examen parlementaire, dans le cadre de la procédure d'urgence sur le projet de décision du Conseil (document E 1683), ce texte élargissant les possibilités d'accès des citoyens aux documents administratifs.

III. Informations relatives à la Délégation

Le Président Alain Barrau a proposé aux membres de la Délégation de constituer un groupe de travail présidé par lui-même et composé de représentants de la majorité et de l'opposition, pour réfléchir aux thèmes de l'après-Nice. Dans ce cadre plusieurs rapporteurs d'information seront désignés.

Il a également annoncé qu'un déplacement était prévu le 17 mai prochain à Bruxelles pour des réunions de travail à la Commission européenne et à la Représentation permanente. D'autres contacts seront ultérieurement organisés avec la Chambre des communes britannique et les Chambres des députés italienne et espagnole.

Une coopération parlementaire renforcée sera également mise en place avec le Bundestag, notamment par l'intermédiaire de la Délégation et de la Commission des affaires européennes de cette assemblée, afin de rechercher des positions communes en ce qui concerne le débat sur l'avenir de l'Union.

Enfin, les contacts seront poursuivis avec les commissions compétentes des parlements des pays candidats à l'adhésion.