DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 154

Réunion du mardi 9 octobre 2001 à 17 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau

Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'avenir de l'Union européenne (audition ouverte à l'ensemble des députés, à la presse et au public)

Après avoir remercié le ministre des affaires étrangères pour avoir maintenu sa participation à cette audition des « Mardis de l'Europe », malgré un agenda très chargé en raison de l'actualité internationale, le Président Alain Barrau a rappelé le principe de ces auditions publiques, dont l'ambition est de permettre à des personnalités françaises et européennes d'exposer leur vision de l'architecture future de l'Union élargie.

M. Hubert Védrine a salué l'excellente initiative que constituent ces « Mardis de l'Europe » qui permettent d'ouvrir la discussion publique sur l'Europe au-delà du cercle restreint des spécialistes et, à ce titre, s'inscrivent dans le grand débat national lancé par le Président de la République et par le Premier ministre. Si chaque Etat membre de l'Union européenne organise son propre débat public, la France a sans doute pris un peu d'avance dans ce domaine puisque douze forums se sont déjà tenus dans différentes régions françaises. Il faut toutefois regretter que ce débat démocratique ne mobilise pour l'instant que des personnes très favorables à l'Europe et intègre insuffisamment la « majorité silencieuse » des citoyens. Si les gens sont globalement favorables à l'Europe, ils en attendent des projets concrets dans des domaines comme la sécurité, l'environnement, le service public ou la protection sociale mais sont peu intéressés par des réflexions institutionnelles qui leur paraissent trop abstraites. Même s'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions des premiers forums, on voit déjà apparaître une contradiction entre un besoin de plus d'Europe et une hostilité contre un excès de réglementation communautaire.

Abordant la Déclaration de Laecken qui sera adoptée par les chefs d'Etat et de Gouvernement au Conseil européen de décembre, M. Hubert Védrine a indiqué que les Quinze s'en entretiendront une première fois lors du Conseil européen informel de Gand, le 19 octobre. Cette Déclaration doit fixer la méthode qui permettra de poursuivre la réflexion au niveau européen et de préparer la nouvelle CIG prévue en 2004. A ce stade, une convergence apparaît entre Etats membres sur les éléments de méthode suivants :

- le principe d'une Convention est à peu près accepté par tout le monde. Cette Convention serait chargée, non pas de préparer un texte unique, mais de proposer des options en vue de la Conférence intergouvernementale (CIG) de 2004. Elle serait convoquée au premier semestre 2002 et travaillerait pendant environ un an ;

- la Convention serait composée de 30 représentants des parlements nationaux, de 15 représentants des Gouvernements nationaux, de 16 représentants du Parlement européen et d'un représentant de la Commission européenne ;

- un président de la Convention serait désigné : il serait entouré d'un présidium composé de représentants de chacune des composantes et assisté d'un secrétariat issu du Secrétariat général du Conseil ;

- les pays candidats seraient étroitement associés puisqu'ils pourront désigner des représentants des gouvernements mais aussi de leurs parlements nationaux. Si ces représentants pourront participer aux débats, ils ne devraient pas pouvoir prendre part aux votes. Toutefois, si le rôle de la Convention consiste, non à élaborer un projet de traité unique, mais à présenter les différentes options possibles, alors cette question des votes perdra de son importance ;

- la société civile sera associée à travers un réseau d'organisations européennes et nationales qui pourront être auditionnées par la Convention ;

- enfin, les thèmes confiés à la Convention seraient fondés sur les quatre questions retenues à Nice(1) qui pourraient être explicités ou développés à la lumière des objectifs généraux que sont l'efficacité des institutions et la nécessité de répondre aux attentes des citoyens. La présidence belge travaille actuellement à la rédaction d'un préambule politique à la Déclaration de Laeken, qui portera sur la situation de l'Union et sur ses perspectives.

Le ministre s'est ainsi félicité du consensus qui s'est établi sur une méthode de travail sérieuse qui devrait permettre à la CIG de travailler plus vite et de manière plus efficace tout en associant mieux les parlements nationaux.

Sur le fond, M. Hubert Védrine a estimé qu'après le Conseil européen de Nice, dont chacun réalise qu'il a été injustement critiqué, l'échéance de 2004 n'était pas trop lointaine pour un débat de cette ampleur qui ne doit pas être mené dans la précipitation. Les différentes interventions des dirigeants européens sur l'avenir de l'Union - notamment celles du Président de la République, du Premier ministre et du ministre allemand des affaires étrangères - permettent de faire avancer la réflexion et seront autant de contributions utiles aux travaux de la Convention. Loin d'être figées, ces positions sont d'ailleurs susceptibles d'évoluer.

Analysant enfin la situation internationale actuelle et son impact sur les affaires européennes, M. Hubert Védrine a déclaré qu'il n'existait pas, selon lui, de conséquences directes des attentats du 11 septembre sur le débat sur l'avenir de l'Union. S'agissant en revanche des conséquences importantes sur le pilier Justice/affaires intérieures (JAI), il a déclaré que de nombreux obstacles allaient enfin être surmontés et a envisagé la concrétisation, à court terme, des projets tels que la création d'un mandat d'arrêt européen et d'un parquet européen. Il n'a toutefois pas souhaité que les événements internationaux conduisent à une accélération du débat sur l'avenir de l'Union qui, pour être pleinement démocratique, demande nécessairement du temps.

Il a ensuite souligné le bon fonctionnement du système institutionnel européen en cette période de crise internationale. Chacune des institutions a trouvé sa place : le Conseil européen, la Commission, le Conseil « Affaires générales » - qui a, à cette occasion, remarquablement bien joué son rôle de coordination -, les Conseils des ministres spécialisés, le Parlement européen et les parlements nationaux.

M. Hubert Védrine a ensuite estimé nécessaire d'analyser la situation internationale avec sang froid et lucidité et s'est déclaré ne pas faire partie de ceux qui considèrent qu'après les attentats du 11 septembre, « rien ne sera plus comme avant ». Rappelant que les problèmes de l'avant 11 septembre subsistent, il s'est aussi interrogé sur les bouleversements géopolitiques qu'allaient entraîner la riposte légitime des Américains. Cela concerne notamment la situation en Asie centrale, au Moyen-Orient mais aussi les relations entre les Etats-Unis et la Russie. M. Hubert Védrine a considéré que l'Europe - facteur de paix, de sécurité, d'équilibre et d'humanisation de la mondialisation - devait prendre toute sa part dans la lutte contre le terrorisme mais que cette action ne devait pas pour autant se substituer aux multiples défis qui se posent aujourd'hui à la construction européenne.

M. Gérard Fuchs a demandé au ministre si les événements récents ne conduiraient pas, non seulement à un renforcement de la coopération dans le domaine des affaires intérieures et de justice, mais aussi à un renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune et à une accélération, par ailleurs souhaitable, du calendrier de réformes institutionnelles, ensuite, s'agissant de la Convention, si la multiplicité des options ne risquait pas d'aboutir à un catalogue des v_ux de chacun qui ne serait qu'une addition de refus et, enfin, si l'impératif de démocratisation et de participation des citoyens ne devait pas conduire à développer les capacités de décision collective à la majorité qualifiée et à aller au-delà des quatre points de Nice.

Le ministre a répondu que la pression des événements ne devait pas conduire pour autant à envisager une modification du calendrier de la Conférence intergouvernementale prévue en 2004, car il faut prendre du temps pour associer le grand public à la discussion et répondre aux exigences d'un véritable débat démocratique. Il s'est par ailleurs déclaré optimiste sur l'évolution de la P.E.S.C. qui se renforce non par le biais de procédures institutionnelles mais du fait d'une convergence accrue entre les politiques étrangères des Etats membres. Ces progrès, manifestes par exemple au Proche-Orient, ne sont pas le fruit d'une réforme institutionnelle, mais des centaines d'heures de discussions entre les ministres des affaires étrangères des Quinze, qui ont abouti à un rapprochement des mentalités, productif et prometteur pour la suite, et ont indirectement fortifié le dispositif institutionnel.

La Convention devra se limiter à un nombre raisonnable d'options, cinq ou six par exemple - en allant du maintien du statu quo jusqu'à une option fédéraliste : il ne s'agit évidemment pas de faire un catalogue.

Personne ne s'oppose à aller au-delà de l'agenda de Nice mais ces quatre thèmes sont déjà plus compliqués que ceux qui ont été traités à Nice et il n'est pas besoin d'ajouter dès maintenant des thèmes qui apparaîtront naturellement au cours des débats.

M. Jacques Myard a déclaré que les auteurs des traités d'Amsterdam et de Nice auraient démontré leur ambition démocratique s'ils les avaient soumis à référendum et que la Convention ne permettra pas de résoudre un problème de fond par un pseudo-problème de méthode. Face à l'épuisement de la méthode communautaire et d'une machine omniprésente, il faut avoir le courage de sabrer une partie de l'acquis communautaire, comme le propose d'ailleurs M. Jacques Delors, et de s'en tenir à l'essentiel dans un système européen élargi.

Le ministre a répondu que la Convention était une méthode incontestable, dans la mesure où, d'une part, elle permet d'alimenter un vrai débat démocratique sans détourner la procédure, puisqu'elle ne met pas la Conférence intergouvernementale devant le fait accompli, et où, d'autre part, elle autorise un débat de fond dans les conditions les plus claires, y compris sur la critique radicale des institutions communautaires qui constitue l'une des options possibles.

M. Léonce Desprez s'est étonné que, contrairement à ce que ressent le citoyen, les responsables politiques ne voient pas dans le drame du terrorisme une raison d'accélérer la construction de l'Europe, en particulier sur le plan politique et militaire. Ainsi le Premier ministre du Royaume-Uni peut-il parler au non de l'Europe auprès des Etats arabes alors qu'on attendait que l'Union européenne s'exprime en tant que telle. Il y a donc, selon lui, un déphasage complet entre les attentes de l'opinion et les lenteurs de la marche vers l'Europe.

Le ministre a déclaré avoir fait une description de la situation telle qu'elle est, sans porter un jugement de valeur, en constatant que les récents événements n'ont pas eu un effet d'entraînement immédiat dans d'autres domaines que le secteur de la justice et des affaires intérieures. Pour autant, rien ne permet de dire que l'Union européenne aurait gravement failli récemment. Au contraire, les responsables européens se sont tous exprimés de la même façon sur ces événements dramatiques et la politique à suivre : légitime défense des Etats-Unis, application de l'article 5 de l'OTAN, solidarité pleine avec les Etats-Unis, libre détermination par chacun des moyens par lesquels s'exprimera la solidarité, réactions légitimes ciblées, participation selon la disponibilité des moyens. Il n'y a eu aucun désaccord mais au contraire une formidable identité de vues entre les responsables européens qui augure très bien de la future Convention et de la CIG.

Enfin, personne n'est jaloux de l'activité du Premier ministre britannique, qui ne prétend pas parler au nom de l'Union européenne mais du Royaume-Uni. De plus, il n'exprime pas une position discordante par rapport à ses partenaires européens.

Il faut donc porter une appréciation optimiste sur l'évolution d'une Union européenne, qui a montré beaucoup plus de sang-froid et de cohésion qu'il y a dix ans lors du conflit du Golfe, même s'il n'est pas comparable au conflit actuel. L'évolution des mentalités a beaucoup progressé, sans qu'une réforme institutionnelle soit nécessaire.

Le Président Alain Barrau a souhaité savoir comment il serait possible de faire prendre conscience aux citoyens européens de la réalité que constitue le rapprochement des positions politiques en Europe. Il a également demandé des précisions sur la participation des pays candidats dans le nouveau processus de révision des traités jusqu'en 2004, à travers leurs exécutifs et les représentants de leurs parlements. Enfin, il a interrogé M. Hubert Védrine sur sa conception personnelle de la « fédération d'Etats nations ».

M. Hubert Védrine a tout d'abord souligné que, chaque fois que la cohésion des prises de position politiques se renforçait, la convergence apparaissait clairement aux citoyens européens et qu'aucun mécanisme institutionnel ne pouvait s'y substituer. Il a rappelé que, dans le passé, des désaccords profonds entre pays européens s'étaient manifestés, par exemple sur la question du Proche-Orient, alors que les Etats membres avaient aujourd'hui une position plus cohérente donc plus forte, dont profitent d'ailleurs les mécanismes de la PESC. Il a souligné qu'à cet égard, sur la question du Proche-Orient, il avait l'espoir d'une convergence plus forte entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Il est regrettable que certaines impatiences se manifestent sur les prises de position à quinze alors que de vraies références communes sont en train de se créer après des siècles d'antagonismes et quelques décennies seulement de construction européenne.

S'agissant des pays candidats, ils participeront, comme cela avait d'ailleurs été décidé à Nice, au processus de révision des traités en tant qu'observateurs. Ils seront donc partie prenante au débat et pourront intervenir même s'ils ne pourront pas prendre part à d'éventuels votes.

La formule de « fédération d'Etats nations » constitue une très bonne formule mais qui renvoie les problèmes à plus tard. Elle traduit la volonté que nous avons de concilier deux nécessités. Oui au développement d'un système fédéral dont on a déjà des éléments sur certains points et qui répond à la nécessité de créer les conditions d'une union plus forte entre Etats membre pour régler les problèmes ensemble plutôt que séparément. Cette approche à d'ailleurs été approuvée à plusieurs reprises par les populations, même si elles préféreraient qu'on aille moins vite dans certains domaines. Et oui au maintien de l'identité des nations que personne ne veut remettre en cause et qui constitue le fondement nécessaire de la construction européenne. Dans cette optique, le concept de « fédération d'Etats nations » montre que nous sommes ambitieux mais vigilants. L'Union européenne est déjà dans une situation de souveraineté partagée, qui s'exerce en commun mais qui n'est pas déléguée à des organismes.

En conclusion, M. Hubert Védrine s'est déclaré assuré que les discussions sur l'avenir institutionnel de l'Union européenne verront l'apparition de formules originales et innovantes. Peut-être le concept de fédération des Etats nations pourra-t-il aussi donner naissance à d'autres notions, comme celle de fédéralisme intergouvernemental. L'Europe n'a pas fini de nous surprendre nous-mêmes en créant de nouveaux concepts qui ne seront le duplicata de rien en attendant d'être copiés par d'autres.

1 () Ces thèmes énoncés dans la Déclaration sur l'avenir de l'Union, annexés au traité de Nice sont :

- comment établir, et maintenir ensuite, une délimitation plus précise des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres, qui soit conforme au principe de subsidiarité ;

- le statut de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclamée à Nice, conformément aux conclusions du Conseil européen de Cologne ;

- simplifier les traités afin qu'ils soient plus clairs et mieux compris, sans en changer le sens.