DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 156

Réunion du mardi 16 octobre 2001 à 17 heures 45

Présidence de M. Alain Barrau

Audition de M. Jan Kavan, ministre tchèque des affaires étrangères, sur l'avenir de l'Union européenne (audition ouverte à l'ensemble des députés, à la presse et au public)

Souhaitant la bienvenue à M. Jan Kavan, le Président Alain Barrau a indiqué qu'il était la première personnalité politique des pays candidats à être entendue à l'Assemblée nationale française, dans le cadre des « Mardis de l'Europe ». Il s'est félicité que, bien qu'il maîtrisât parfaitement la langue anglaise, le ministre ait choisi de s'exprimer en tchèque, manifestant ainsi sa contribution à la diversité linguistique de l'Union.

Après s'être déclaré très honoré d'intervenir à l'Assemblée nationale, le Vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères de la République tchèque a indiqué que les travaux de la Délégation pour l'Union européenne étaient vivement appréciés à Prague car ils contribuent à exercer une pression auprès des dirigeants politiques français afin qu'à aucun moment ils ne perdent de vue la nécessité proclamée de procéder à l'élargissement de l'Union. De même, l'intérêt que porte la Délégation à l'association des pays candidats à la Convention qui devrait être mise en place afin de recueillir les projets concernant la future forme de l'Union est connue. Le ministre s'est félicité de l'occasion qui lui est donnée d'informer les députés des projets du gouvernement tchèque quant aux négociations d'adhésion de la République tchèque et de quelques réflexions concernant l'avenir de l'intégration européenne.

· S'agissant des négociations d'adhésion à l'Union européenne, M. Jan Kavan a rappelé que la République tchèque était parvenu à clore 19 chapitres de l'acquis sur un total de 31. L'objectif du gouvernement tchèque est de clore provisoirement les chapitres de la fiscalité, de la politique des transports, de l'énergie, du contrôle financier, de la politique de la concurrence économique et de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures. Son ambition est de terminer les négociations d'adhésion à l'Union européenne avant la fin de la présidence espagnole, afin que la République tchèque puisse rejoindre l'Union en 2003. Des efforts importants sont accomplis afin de remédier aux insuffisances et au retard pris dans la préparation à l'adhésion. Cet effort a été reconnu par la Commission européenne dans le rapport régulier sur la République tchèque pour l'an 2000 : il faut espérer que le prochain rapport régulier confirmera cette tendance.

Le ministre a rappelé que pour une grande partie de la société tchèque, l'accession à l'Union européenne termine une période de son histoire marquée par l'incertitude, les craintes de ne pas pouvoir garantir la sécurité du pays et le traumatisme provoqué par la perte de son indépendance. L'Union européenne a ainsi ouvert un nouveau chapitre de l'histoire européenne, celui d'une évolution pacifique, de sécurité et de prospérité. Mais l'accession à l'Union européenne représentera également l'aboutissement logique de l'évolution entreprise avec la chute du régime communiste et l'achèvement d'une transformation délicate marquée par des difficultés sociales pour une partie importante de la population. La République tchèque souhaite être membre d'une Union de citoyens libres et de régions coopérantes qui se développe de façon dynamique, juste sur le plan social, sensible à la protection de l'environnement et politiquement unie.

C'est pour cette raison, a indiqué le ministre, que le gouvernement tchèque a insisté auprès de l'Union européenne pour qu'elle s'exprime clairement sur la date prévue à laquelle les négociations d'adhésion devraient être closes avec les pays candidats les mieux préparés, dont fait partie la République tchèque. Une indication nette à ce sujet constitue l'impulsion nécessaire pour intensifier les préparatifs à l'adhésion, mais aussi une contribution au débat politique interne. Les adversaires de l'adhésion de la République tchèque utilisent les incertitudes dans la position des Quinze afin de semer le doute sur la sincérité de leur politique d'élargissement. La différence entre les discours et les actes peut engendrer un scepticisme croissant et un nationalisme égocentrique. C'est pourquoi les conclusions des Conseils européens de Nice et de Göteborg - qui promettent aux pays candidats les mieux préparés de pouvoir participer, en tant que membres à part entière, aux élections au Parlement européen ainsi qu`à la conférence intergouvernementale sur l'avenir de l'UE dès 2004 - ont été très appréciées. La République tchèque veut parvenir à un traité d'adhésion à l'Union qui garantisse des conditions négociées de qualité plutôt qu'à une clôture rapide des chapitres. Nous ne voulons pas adhérer à l'Europe « les mains vides », a poursuivi le ministre, car notre objectif est de contribuer au renforcement du potentiel économique de l'Union.

· Abordant la question de l'avenir de l'Union européenne, M. Jan Kavan a estimé que l'attaque terroriste contre les Etats-Unis aura un impact sur la politique des différents Etats comme sur l'activité des organisations internationales, l'Union européenne ne faisant pas exception. Pour affronter les nouveaux risques et menaces, dont le terrorisme international fait partie, il est plus efficace d'agir en commun. Face à ce défi, il apparaît clairement que nous avons et que nous aurons besoin plutôt de plus et que de moins d'Europe, a souligné le ministre. La réaction rapide, unique et concrète de l'Europe face aux événements tragiques du 11 septembre a illustré les avantages d'une politique internationale et de sécurité commune.

Le ministre a rappelé que le gouvernement tchèque se félicite du débat lancé par le Conseil européen de Nice sur l'avenir de l'Europe et du fait que les pays candidats y seront associés. Les conclusions du Conseil « Affaires générales » du 8 octobre dernier constituent, à ce sujet, un pas dans la bonne direction. Il est important que les parlements nationaux puissent participer à cette convention et voient leur rôle renforcé dans l'architecture institutionnelle de l'Union. Le ministre a marqué, à ce sujet, sa conviction que l`élargissement de l`Union ne mènera à aucune dilution ou ralentissement de l`intégration car nous voyons, a t'il dit, dans l'élargissement de l'Union européenne le gage de la paix, de la sécurité et de la prospérité du continent européen.

Présentant sa vision de la future Union européenne élargie, M.  Jan Kavan a estimé que celle-ci devrait fonctionner comme un système ouvert et flexible qui ait régulièrement recours, pour atteindre ses objectifs, à l'approche communautaire de l'intégration. Là où cela sera souhaitable et efficace, elle devrait continuer à se servir également d'une approche intergouvernementale qui peut, cependant, en cas de nécessité, progressivement évoluer vers le système communautaire. L'Union européenne doit continuer à se développer en tant que système fondé sur la démocratie et la cohésion sociale, au sein duquel les citoyens adhèrent à l'identité européenne à travers leur identité nationale, régionale et locale. Elle doit se diriger vers une unité de plus en plus renforcée, tout en respectant la diversité parmi ses pays membres. En tant que structure dotée d'instances supranationales, auxquelles il incombe de faire prévaloir l'intérêt européen sur les intérêts particuliers des Etats membres, l'Union a permis de trouver une solution appropriée aux relations entre grands, moyens et petits pays et elle a évité que les équilibres de pouvoir ne débouchent, comme par le passé, sur des conflits et des éclats de guerre entre pays européens.

Estimant nécessaire de préciser les objectifs de l'Union, le ministre a cité à ce sujet la volonté d'être avant 2010 la zone économique la plus compétitive au monde, ce qui implique le développement d'une société de la connaissance, la création d`opportunités professionnelles supplémentaires, un combat efficace contre la violence dans les rues, la criminalité organisée et le blanchiment de l`argent sale. Il convient également de progresser vers une meilleure protection de l`environnement et un plus grand respect des droits des minorités. L`Union doit jouer un rôle fondamental dans la lutte contre les formes extrêmes de l`intolérance qui peuvent servir de terrain au terrorisme. La politique étrangère et de sécurité commune ainsi que la politique européenne de sécurité et de défense commune connaissent un développement accéléré suite à la guerre au Kosovo. La zone de liberté, de sécurité et de justice qui se met en place s'avère particulièrement souhaitable et nécessaire.

Le ministre a salué l'importance des coopérations renforcées, sous réserve que chaque synergie s'opère sur la base des instances européennes actuelles, afin de ne pas bouleverser la cohésion interne de l'Union et qu'elles demeurent accessibles à tout Etat membre, aussi bien les anciens que les nouveaux. Il a déclaré concevoir que la République tchèque puisse s`intégrer plus rapidement dans certains domaines plutôt que dans d`autres, pour lesquels elle ne remplit pas pour l'instant les conditions nécessaires.

M. Jan Kavan a également déclaré faire partie des partisans de la Charte des droits fondamentaux des citoyens de l'Union européenne qui doit acquérir une importance accrue, en tant que document d'une portée juridique réelle et contraignante. La Charte pourrait aider à persuader les populations que l`Union n'est pas une notion abstraite ou bien l'affaire d'une élite à Bruxelles mais qu'elle offre aux gens la possibilité d'améliorer la qualité de leur vie, que l'Europe est là où elle doit être, là pour le peuple.

Concluant son propos, le ministre a indiqué que ce seront les citoyens qui auront le dernier mot à dire et qui décideront si, et dans quelle mesure, nous arriverons à accomplir le projet ambitieux d'une Europe unifiée.

Le Président Alain Barrau a remercié le ministre pour son exposé très complet qui souligne la convergence entre les positions française et tchèque sur l'avenir de l'Union européenne. Il a rappelé que la France avait beaucoup milité pour que le Conseil européen de Nice soit un succès afin de ne pas freiner le processus d'élargissement. Il a alors demandé M. Jan Kavan quels étaient, en l'état actuel des négociations d'adhésion, les chapitres les plus délicats, susceptibles de poser des difficultés pour la République tchèque.

Le ministre a répondu qu'aucun chapitre ne représentait un obstacle insurmontable dans les négociations en cours, reconnaissant toutefois la complexité des discussions et des sujets traités. Il a déclaré que son pays respecterait le calendrier établi et que certains dossiers pourraient même être traités plus rapidement que prévu. Il a néanmoins fait état de difficultés psychologiques dans certains domaines, tel que la liberté de circulation des travailleurs. Les citoyens tchèques peuvent, à certains égards, éprouver le sentiment d'être traités comme des citoyens de « seconde catégorie » en raison des restrictions qui sont apportées à leur mobilité au sein de l'espace européen. Il a cependant insisté sur le fait qu'il s'agissait là d'un problème essentiellement psychologique. S'exprimant sur le dossier de l'énergie, M. Jan Kavan a regretté l'attitude autrichienne qui vise à freiner la conclusion des négociations, en raison de l'hostilité de ce pays à l'énergie nucléaire. L'Autriche considère que la centrale nucléaire de Temellin est une réplique de Tchernobyl alors même qu'elle est parmi les plus modernes d'Europe. Il a déploré que l'Autriche souhaite en réalité imposer aux européens des mesures très contraignantes qui ne correspondent pas aux souhaits exprimés par la majorité des Etats de l'Union.

Le Président Alain Barrau a ensuite interrogé le ministre tchèque sur la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), qui préfigure une nouvelle étape politique dans la construction européenne en permettant aux Etats membres - à moyen terme - de choisir leurs moyens d'intervention sur le territoire européen.

M. Jan Kavan a déclaré que la République tchèque soutenait pleinement le processus de Saint-Malo initié par la France et par la Grande-Bretagne. Il a souhaité que son pays, même s'il n'est pas encore membre de l'Union européenne, puisse prendre part à cette politique européenne de sécurité et de défense qui s'inscrit dans le processus d'intégration d'une Europe politique. Il a estimé que l'Europe devrait prendre plus de responsabilités dans la défense de son propre territoire, ce qui nécessite une volonté politique.

Revenant sur les conséquences des attentats terroristes du 11 septembre, le Président Alain Barrau a ensuite demandé à M. Jan Kavan quel jugement il portait sur les règles de contrôle aux frontières extérieures de l'Europe, établies afin de préserver l'équilibre intérieur de l'Union.

M. Jan Kavan a estimé que les événements du 11 septembre justifiaient un contrôle plus important aux frontières extérieures de l'Union. Il a toutefois souhaité que la pression actuelle ne conduise pas à développer un sentiment de xénophobie qui constituerait une nouvelle conséquence tragique des actes terroristes. Tout en soutenant les règles applicables aux frontières extérieures de l'espace Schengen, il a indiqué qu'il fallait aussi lutter contre l'insécurité à l'intérieur du territoire européen. Il a ensuite fait part de la situation particulière de son pays, qui sera membre de l'Union européenne avant de rejoindre l'espace Schengen. Faisant état de contrôles très souples depuis 1993 - pour des raisons historiques - à la frontière entre son pays et la Slovaquie, il a souhaité que l'entrée dans l'Union ne provoque pas un durcissement des contrôles à la frontière slovaque. Il a reconnu que ce problème allait se poser et qu'une solution serait que la Slovaquie rejoigne l'Union européenne en même temps que la République tchèque.

Le Président Alain Barrau a enfin interrogé M. Jan Kavan sur sa perception de la notion de souveraineté. Rappelant que la République tchèque s'était longtemps battue pour sa liberté et pour sa souveraineté, il lui a demandé s'il partageait la conception française qui consiste à prôner la perspective d'une Europe politique qui suppose des éléments de fédéralisme, tout en marquant son attachement aux valeurs de la souveraineté.

M. Jan Kavan a alors rappelé le long combat mené par la République tchèque pour conquérir la souveraineté qu'elle exerce depuis le 1er janvier 1993. Il a néanmoins déclaré que cette souveraineté pouvait se partager avec d'autres Etats, dans la défense de valeurs communes. Estimant nécessaire le dialogue entre les Etats, il a fermement rejeté les arguments défendus par l'opposition tchèque qui considère que l'adhésion à l'Union européenne va dissoudre la souveraineté tchèque « comme un sucre dans une tasse de café bouillant ».

M. Jacques Myard a souhaité que l'élargissement inéluctable de l'Union européenne, qui est une chance, introduise en son sein un peu de la raison qu'elle a perdue depuis longtemps. L'Union actuelle ressemble en effet à tout sauf au système ouvert et flexible envisagé par le ministre pour décrire l'Union élargie. Il lui a demandé, d'une part, si l'acquis communautaire produit par la machine « totalitaire » européenne qui se mêle un peu de tout, même si elle est utile par ailleurs, ne lui donnait pas le vertige et, d'autre part, son opinion sur l'euro, alors que la fédération tchécoslovaque a éclaté après soixante quinze ans de vie commune en raison d'une union monétaire conduisant à des transferts de richesse vers la Slovaquie représentant 35 % du PIB de la Tchéquie.

M. Pierre Brana a interrogé le ministre sur sa position à l'égard de l'offre de l'Organisme de lutte contre la fraude au budget communautaire (OLAF) de créer dans les pays candidats des missions pour les aider à mettre en place des structures antifraudes, ainsi que sur l'accélération, depuis le 11 septembre, du processus de développement d'Europol et d'Eurojust, conduisant à l'institution d'un parquet européen avec un corpus juris.

Après s'être réjoui qu'un pays se trouvant au c_ur de l'histoire et de la culture européennes comme la République tchèque puisse entrer rapidement dans l'Union, M. René André a rappelé l'attachement de la France à l'Etat-nation et à la coopération des nations au sein de l'Union européenne et a interrogé le ministre sur la compatibilité entre son affirmation de la valeur de l'Etat souverain et son souhait d'une « Union de citoyens libres et de régions coopérantes ».

Le ministre a répondu qu'il serait très heureux que son pays puisse apporter de la raison à l'Union européenne, mais les discussions avec les Etats membres et les autres pays candidats lui ont montré que personne n'a le monopole de la raison et qu'elles permettent d'approfondir la réflexion sur des questions pour lesquelles il n'y a pas de réponse toute faite. En dépit de son extension et de sa complexité croissantes, l'intégration de l'acquis communautaire ne donne pas le vertige à la République tchèque, même si elle est plus difficile que pour les pays ayant adhéré dans la période avant 1989, où les décisions politiques primaient sur tout le reste. La bureaucratie bruxelloise n'inspire certainement pas un grand enthousiasme, mais elle n'est pas pour autant une machine totalitaire et ne constitue pas l'aspect prédominant de l'Union européenne dans son ensemble. Même si elle n'est pas parfaite, l'Union européenne est un projet unique qu'il convient non pas de rejeter en bloc, mais d'essayer d'améliorer, en particulier pour accroître sa transparence, sa flexibilité et sa compréhension par les citoyens.

La fédération tchécoslovaque n'a pas éclaté pour des raisons monétaires ou de transferts de richesse, même si beaucoup de Slovaques avaient l'impression de financer la fédération et si certains Tchèques croyaient soutenir l'autre partie à bout de bras, mais pour des raisons plus émotionnelles. Une certaine forme de fierté et le comportement autoritaire de certaines personnalités ont convaincu la population qu'il n'y avait pas d'autre solution que la séparation, alors qu'elle n'était pas inéluctable. Le ministre a rappelé que lui-même et M. Kucan, actuel ministre des affaires étrangères de Slovaquie, avaient opté à l'époque tous les deux pour une confédération avec une autonomie renforcée. L'adhésion des deux Etats à l'Union européenne permettra, en fait, d'aboutir au même résultat.

Comme l'ont indiqué les autorités grecques, l'union monétaire constitue une phase nécessaire du processus d'intégration pour des raisons psychologiques, même si elle est contraignante sur le plan économique.

La lutte contre la fraude est l'une des priorités du gouvernement actuel, même si elle n'est pas toujours couronnée de succès. La criminalité économique est un phénomène relativement nouveau pour la République tchèque et la police n'appréhende pas bien le crime organisé qui la devance toujours. Ce pays est donc demandeur d'une aide aux Etats membres de l'Union qui ont plus d'expérience et une meilleure organisation en ce domaine. Il soutient par ailleurs le développement d'organisations supranationales comme Europol et Eurojust.

Enfin, régions et nations ne s'excluent pas. La République tchèque comporte des régions riches, comme celle de Prague dont le PIB par habitant s'élève à 122 % de la moyenne communautaire, et des régions pauvres, au sein desquelles doit s'appliquer le principe de subsidiarité pour situer la décision au niveau le plus bas possible et entre lesquelles doit s'instaurer une coopération. Mais la coopération entre les Etats-nations liés par des valeurs communes est tout aussi nécessaire, à condition de conserver l'identité et l'essence même de la nation.