DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 163

Réunion du mardi 6 novembre 2001 à 17 heures 30

Présidence de M. François Loncle,

Audition de M. Janos Martonyi, ministre hongrois des affaires étrangères, dans le cadre des « Mardis de l'Europe » (audition ouverte à l'ensemble des députés et à la presse)

Le Président François Loncle a remercié M. Janos Martonyi d'avoir accepté l'invitation de la Délégation pour l'Union européenne de venir exposer sa conception de l'avenir de l'Europe dans le cadre des « Mardis de l'Europe ».

M. Janos Martonyi a indiqué que l'objectif et le désir d'intégrer l'Union européenne existent depuis longtemps en Hongrie et sont bien antérieurs aux transformations politiques, économiques et sociales que connaît le pays depuis le début des années 1990. Les intellectuels et l'opinion publique hongrois y sont attachés depuis le début de la construction communautaire et si les contraintes historiques ont exclu le pays de ce processus pendant un demi-siècle, il s'en est senti moralement proche, la Hongrie avait le sentiment d'être là, même si elle n'était pas là et c'est une donnée dont il faut se souvenir lorsqu'on parle de l'élargissement.

Le processus de réintégration ou de réunification européenne qui a commencé depuis quelques années a produit d'importants résultats et touche aujourd'hui à son but. A la fin de 2002, la Hongrie devrait avoir pris à son compte la totalité de l'acquis communautaire, qu'il s'agisse des mesures d'harmonisation ou de transposition, ou de la mise à niveau de ses capacités en termes institutionnels ou administratifs.

Concernant les négociations pour l'entrée de son pays dans l'Union, le ministre a fait part d'un sentiment relativement optimiste. Il a rappelé que 22 chapitres sur 31 avaient été clos et s'est dit convaincu que ces négociations devraient être achevées d'ici la fin de 2002. Si tout va bien, la Hongrie pourrait donc - avec d'autres Etats - devenir membre de l'Union le 1er janvier 2004. Cela nécessitera de sa part la signature du traité d'adhésion, une approbation par référendum, sa ratification par le Parlement. La Hongrie se sent particulièrement concernée par l'avenir de l'Europe, dans la mesure où, lorsque la conférence intergouvernementale commencera, en 2004, le pays devrait déjà faire partie de l'Union.

L'Europe ne saurait par ailleurs se réduire à un espace géographique. Elle constitue d'abord une communauté de valeurs et de principes partagés à la fois par ses membres actuels et futurs, mais aussi un modèle économique et social.

S'il est vrai que l'élargissement impose une réforme des institutions communautaires - dans la mesure où l'on ne gouverne pas à vingt-cinq ou trente comme on gouverne à quinze -, d'autres défis la rendent également nécessaire. C'est le cas, en premier lieu, de la mondialisation. En effet, la construction européenne est vis-à-vis de celle-ci à la fois un laboratoire d'essai - comme le montre par exemple la transposition à l'échelle internationale de la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux - et un facteur de protection contre ses effets néfastes, en particulier des risques globaux tels que les risques écologiques ou ceux révélés par les attentats du 11 septembre dernier. A cet égard, cette construction permet de protéger en même temps l'Europe dans son ensemble et les identités nationales. Ainsi, l'identité culturelle de l'Irlande paraît-elle plus forte après son adhésion à la Communauté européenne. Ce rôle protecteur est d'ailleurs appelé à croître dans l'avenir, depuis les événements du 11 septembre 2001.

L'autre défi important est constitué par les défauts actuels de l'Union. Les succès de la construction européenne ont aussi engendré des pièges. En effet, l'Union présente aujourd'hui des dysfonctionnements ainsi qu'une complexité insupportable. Elle est trop peu compréhensible pour les opinions publiques et souffre d'un manque de transparence et d'un déficit démocratique.

Par ailleurs, le défi que constitue l'élargissement appelle des changements à la fois institutionnels et politiques, touchant au contenant comme au contenu. Mais il permet aussi de fédérer des énergies et des capacités nouvelles et de s'enrichir d'expériences historiques différentes. Il existe, à cet égard, un parallèle entre la construction communautaire et les transformations politiques et économiques des pays d'Europe centrale et orientale.

Il conviendra de déterminer les mesures, les moyens et le calendrier d'une telle réforme. Mais trois politiques mériteraient tout particulièrement d'être développées : la convergence des politiques économiques et monétaires incluant éventuellement le volet fiscal, la politique étrangère et de sécurité commune et la politique relative à la justice et aux affaires intérieures. Dans cette perspective, pourraient être envisagées une refonte des trois piliers et une simplification du fonctionnement des institutions.

Des compétences communautaires ne sont pas justifiées dans certains domaines, comme le droit civil ou ceux relevant des traditions culturelles spécifiques à chaque Etat membre, et il est souhaitable de fixer des limites plus claires aux compétences de l'Union européenne, sur la base des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Après s'être prononcé pour une approche équilibrée de l'évolution des institutions européennes et le maintien de la méthode communautaire et du triangle institutionnel avec certaines adaptations, le ministre, tout en constatant la difficulté d'anticiper les débats de la future Convention, a formulé les propositions suivantes :

- il est nécessaire de renforcer la légitimité des institutions communautaires et le poids politique du Parlement européen, afin de réduire le déficit démocratique de l'Union ;

- l'élection directe du président de la Commission s'imposera à terme, même si ses compétences ne doivent pas forcément être accrues ;

- une ligne de partage claire mais évolutive entre les compétences communautaires et celles des Etats membres doit permettre d'éviter un accroissement des interventions de l'Union européenne.

En conclusion, le ministre a considéré que l'Europe devait se rapprocher des citoyens et confirmé que la Hongrie souhaitait participer au débat relatif à l'avenir de l'Union dans le cadre d'un élargissement qui conduirait à la réunification de l'Europe. Il a enfin estimé que l'avenir n'était pas aux Etats-nations mais à une Communauté des Communautés qui préserverait les valeurs culturelles et linguistiques et les identités nationales.

Le Président François Loncle a constaté que l'exposé de M. Martonyi confirmait que les pays candidats étaient porteurs d'idées nouvelles pour la construction de l'Europe, à l'approche de la Convention. Il a recommandé, à titre personnel, que les pays candidats puissent participer à cette Convention, et même être associés à la PESC sans plus attendre.

M. Lionnel Luca a approuvé l'idée selon laquelle la Hongrie, grâce à l'élargissement, pourrait réintégrer l'Europe après une longue parenthèse ouverte par les accidents de l'histoire. Il a toutefois douté que les actuels Etats membres soient des partisans de l'intégration aussi enthousiastes que le ministre et qu'en particulier l'Union européenne permette de préserver les identités culturelles nationales, comme le montre l'exemple de la fabrication de l'huile d'olive et des fromages. Il s'est étonné de l'analyse selon laquelle l'Union européenne aurait aidé l'Irlande à affirmer son identité nationale, même si son apport financier a été incontestable. Rappelant le souvenir peut-être encore vivace du traité de Trianon et l'importance du problème des minorités hongroises en Roumanie, il s'est inquiété de l'idée selon laquelle la notion de « Communauté de Communautés » aurait plus d'avenir que celle d'Etat-nation.

M. Martonyi a souhaité que l'Union européenne permette de conserver les traditions culturelles nationales, par exemple en matière alimentaire, et n'a pas nié que le marché unique constituait un risque à cet égard, devant conduire à une délimitation précise mais évolutive des compétences entre l'Union et les Etats. Il a toutefois réaffirmé que les identités nationales étaient défendues des influences extérieures par l'Union européenne, comme cela a été le cas pour l'Irlande vis-à-vis de la Grande-Bretagne, et observé une diversité et un équilibre des influences extérieures en Hongrie, en particulier dans le secteur si important des investissements où aucun pays n'est dominant. Il a estimé que l'homogénéité des nations fondée sur le territoire depuis les traités de Westphalie était un principe de plus en plus fragile selon une tendance mondiale et que les risques majeurs, comme le terrorisme ou la pollution, étaient largement déterritorialisés. Il a affirmé que les idées du 21ème siècle ne pouvaient plus être celles des siècles précédents, mais qu'il fallait favoriser la constitution d'une Union où les identités linguistiques et culturelles pourraient continuer à s'épanouir tout en aidant les anciens conflits de l'Europe à se démoder.

Le Président François Loncle a demandé si la Hongrie préférait un processus d'adhésion commençant avec un groupe de quelques pays ou comprenant huit ou dix pays en bloc sous la forme d'un « big-bang », étant entendu que la Hongrie figure depuis le début parmi les pays les plus avancés dans leur préparation et qu'elle sera dans le peloton de tête quelle que soit la formule adoptée.

M. Janos Martonyi a répondu qu'il serait ravi que dix pays candidats deviennent membres de l'Union européenne le 1er janvier 2004 et que le big-bang est la meilleure solution à condition qu'il marche. Sinon, il serait injuste d'attendre et de stopper tout le processus. Au cas où des risques existeraient avec certains pays candidats, il ne faudrait surtout pas céder à la tentation de ralentir le processus avec ceux qui progressent le plus vite, afin de créer les conditions objectives du big-bang.