DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 167

Réunion du jeudi 22 novembre 2001 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Communication de M. François Loncle, à la suite de sa mission effectuée en Bulgarie (18-20 septembre 2001)

M. François Loncle a rappelé qu'il s'était rendu à Sofia, du 18 au 20 septembre 2001, pour le compte de la Délégation pour l'Union européenne. Ce troisième déplacement en Bulgarie lui a permis de mesurer l'évolution très positive de l'opinion et des responsables du pays vers une perception beaucoup plus géopolitique qu'économique de la candidature et de constater l'intensité des efforts accomplis pour préparer l'entrée dans l'Union. Les élections législatives du printemps ont marqué le renouvellement du paysage politique et le résultat, qui a surpris certains observateurs, de l'élection présidentielle des 11 et 18 novembre. Par ailleurs, le gouvernement bulgare souhaite vivement le renforcement des relations bilatérales avec la France.

Se référant aux propos du ministre des affaires étrangères, M. Solomon Passy, pour qui « nous sommes sur le même bateau et nous devons agir ensemble », M. François Loncle, sans méconnaître les difficultés révélées par les négociations chapitre par chapitre, s'est déclaré en désaccord avec l'idée de l'établissement d'un classement entre Etats candidats, qui peut être à la fois inutilement blessant pour ces pays et source de rigidité dans la poursuite de l'élargissement. Il a estimé préférable d'appréhender le degré d'avancement de chaque candidature en elle-même.

Pour illustrer les handicaps économiques auxquels se heurte la Bulgarie, plus de dix ans après la chute du régime communiste, M. François Loncle, après avoir mentionné le succès spectaculaire enregistré dans la lutte contre l'inflation galopante (passée de 1000 % à 11,4 % en quatre ans), et le maintien de la croissance à un chiffre de 4 %, a insisté sur le niveau très élevé du chômage (18 % selon les chiffres officiels, sans doute plus et avec de fortes disparités), la faiblesse du revenu mensuel par habitant (130 euros environ) et l'ampleur des déficits publics. 60 % des échanges commerciaux bulgares sont réalisés avec les pays de l'Union. La balance commerciale du pays est de plus en plus déficitaire ; le maintien de l'équilibre de la balance des paiements est lié à la reprise des privatisations. 

Un autre handicap de taille est constitué par l'influence persistante des traditions héritées des liens de véritable intégration qui unissaient la Bulgarie à l'ex-Union soviétique, que ce soit dans l'armée ou dans la police.

Evoquant plus particulièrement les services de police, M. François Loncle a indiqué que le mode quasi-militaire d'organisation qui les caractérisait, dans la tradition du bloc de l'Est, était en cours d'abandon, au prix d'une politique déterminée de formation des personnels, à la fois professionnelle et déontologique. Des actions de coopération avec les services français de police et de gendarmerie ont été menées dans le passé et ont laissé un excellent souvenir dans l'administration policière bulgare. La poursuite du processus de préadhésion suppose plus spécialement une intensification de la lutte contre les activités de trafic d'êtres humains et de prostitution, et la prise de mesures propres à assurer l'intégration effective de la Bulgarie dans le système d'information et d'échanges Schengen.

M. François Loncle a poursuivi en décrivant quatre aspects de la négociation de préadhésion : l'agriculture, l'énergie et l'environnement, la reconstitution du tissu administratif, la situation des minorités.

Il a tout d'abord décrit les principaux traits de l'activité de l'agriculture, où les formes d'exploitation sont très contrastées, entre les exploitations céréalières de grande envergure et les fermes d'élevage à vocation essentiellement vivrières. La disparition des grandes coopératives de l'époque socialiste s'est faite dans une certaine confusion, dans la mesure où on a cherché à restituer les terres aux ayants droit des anciens propriétaires. La reconstitution d'exploitations viables est un souci du nouveau gouvernement.

Deuxième point délicat, les questions d'environnement tournent pour une large part autour du règlement du dossier de la centrale nucléaire de Kozloduy, qui produit environ 40 % de l'électricité consommée en Bulgarie. L'accord conclu entre la Bulgarie et la Commission prévoit la fermeture, fin 2002, des tranches 1 et 2, les plus anciennes, et la modernisation des tranches 5 et 6. Mais la discussion subsiste, pour les tranches 3 et 4, à la fois sur l'échéance de la fermeture, que certains en Bulgarie voudraient repousser à 2010, et sur ses contreparties financières. Il est indispensable qu'elle se poursuive dans la transparence.

La pollution industrielle et les difficultés chroniques de l'approvisionnement en eau sont d'autres soucis d'environnement.

M. François Loncle s'est ensuite interrogé sur les moyens de la nécessaire reconstitution d'une structure administrative cohérente, qui suppose le respect de la transparence dans l'action administrative et des procédures de décision publique et donc la lutte contre la corruption, ambition déclarée, et on doit les en féliciter, des autorités bulgares actuelles.

Citant, parmi les services les plus atteints par les pratiques de corruption, l'administration des douanes, M. François Loncle a ajouté que le gouvernement, après avoir envisagé la privatisation pure et simple des services, avait fait appel, pour l'aider à résoudre ce problème, à la coopération des Etats européens, dont la France.

Le quatrième sujet délicat de la négociation d'adhésion est le problème des minorités, turque et rom. Si, actuellement, l'association au gouvernement marque le retour de la minorité turque à une situation de meilleure intégration, en revanche le statut de la minorité rom (ou tzigane) demeure incertain, malgré les demandes insistantes de la Commission européenne.

M. François Loncle a enfin abordé la participation de la France à la coopération en vue de l'adhésion, en se félicitant de l'attitude d'ouverture manifestée à ce propos par le gouvernement bulgare. Il a mentionné, parmi les initiatives privées de coopération franco-bulgare dans le domaine de la formation, l'Institut de la Francophonie pour l'Administration et la Gestion (IFAG), créé en 1996 pour assurer une formation de haut niveau de cadres des organisations publiques et privées venant de l'ensemble de la zone balkanique.

M. François Loncle a, en conclusion, appelé de ses v_ux la poursuite résolue de la négociation avec la Bulgarie. La réussite de l'adhésion de ce pays à l'Union européenne n'est pas chose facile, les Bulgares sont les premiers à le reconnaître. Leurs réactions à l'espèce de « déclassement » qu'ils ont subi de la part de la Commission lors de la présentation il y a dix jours du dernier bilan des négociations de préadhésion n'ont pas manqué de panache. Il faut que les choses reprennent un cours plus satisfaisant : ne rien brusquer, mais aussi ne rien exclure me paraît la voie de la sagesse. Les déclarations faites par M. Hubert Védrine lors de la conférence de presse qui a suivi, le 19 novembre, la réunion à Bruxelles du Conseil « Affaires générales » sont très positives ; le ministre a eu raison d'appeler à un « big bang » général, car une adhésion de dix pays qui en laisserait deux de côté, la Bulgarie et la Roumanie, affaiblirait la portée politique de l'élargissement, serait très problématique pour leur avenir, et serait injuste, en particulier, pour la Bulgarie qui a consenti un effort très important en vue de l'adhésion.

Le Président Alain Barrau s'est interrogé sur la stratégie du « big bang ». Il a rappelé comment la politique de l'Union européenne sur l'élargissement avait évolué depuis le Conseil européen d'Helsinki, passant d'une approche fondée sur des négociations individualisées à une conception d'intégration globale et simultanée. Il a reconnu l'intérêt politique d'une telle démarche, de même que la proposition récente d'Hubert Védrine sur un « big bang » élargi. Cela dit, celle-ci soulève plusieurs interrogations auxquelles il faudra apporter une réponse : comment serait-elle mise en _uvre dans le temps et dans la méthode ? Quelles seront les limites fixées aux négociations techniques individualisées et à partir de quand se substituera l'approche politique globale ? Ne risque-t-on pas ainsi de retarder en fin de compte le processus d'élargissement ?

Evoquant le distinguo établi par le rapporteur entre la Bulgarie et la Roumanie, M. Pierre Brana a déclaré qu'il n'était pas concevable de faire entrer la Bulgarie dans l'Union en laissant la Roumanie à l'écart, alors que celle-ci est le pays d'Europe centrale et orientale le plus francophile et le plus francophone. On ne peut donc dissocier le traitement réservé à ces deux pays.

M. Jean-Bernard Raimond a marqué son accord avec le point de vue exprimé par le Président Alain Barrau. Si le « big bang » présente un avantage politique, il ne faudrait pas non plus retarder l'entrée d'Etats qui remplissent déjà les conditions pour cela. En outre, cette entrée pourrait renforcer la dynamique de l'élargissement et profiter aux autres pays candidats. L'élargissement progressif et l'élargissement global et simultané ont donc chacun des avantages politiques. Il a par ailleurs indiqué qu'il convenait de se garder de toute arrière-pensée politique au sujet de la position allemande sur la question.

M. Joseph Parrenin a estimé que si l'on ne pouvait faire attendre les Etats qui sont prêts à intégrer l'Union, on ne pouvait pas non ne pas donner d'échéance précise aux autres Etats, sauf à courir le risque de les désespérer.

M. Maurice Ligot a considéré qu'on ne pouvait faire deux poids et deux mesures entre les pays candidats en fonction de critères purement économiques, alors que la réunification de l'Europe est avant tout un problème politique. Quant à la Roumanie, il n'est pas envisageable de la reléguer en dernier alors qu'elle est le pays le plus francophone et le plus francophile de la zone. Il faut donc faire un saut politique, qui dépasse les considérations exclusivement économiques : c'est l'intérêt de ces pays comme de l'Union européenne.

Après avoir observé que la géographie fait l'histoire, M. François Loncle a qualifié que la réunification de l'Europe de « devoir historique ». Cette perspective est positive pour les pays candidats, ainsi que pour l'Union. Cela dit, la définition d'un calendrier d'entrée des candidats dans l'Union est problématique. Il est cependant possible de clarifier l'exercice en indiquant ce qu'il ne faut pas faire. D'une part, la « globalisation » des adhésions ne doit pas pénaliser les pays les plus proches de l'intégration, c'est-à-dire ceux qui respectent quasiment tous les critères d'adhésion. La Slovénie, la Hongrie, la République tchèque, mais aussi Chypre, dont l'adhésion est possible sur le plan économique mais se heurte à des obstacles politiques, sont presque sur la ligne d'arrivée. Ces pays ont le sentiment d'être freinés par les autres. D'autre part, M. François Loncle a considéré que l'entrée de 11 pays, la Roumanie étant exclue, serait une grave erreur politique, ce pays ayant en outre de fortes attaches avec la France. M. François Loncle a noté par ailleurs que le Conseil d'Helsinki avait mis fin à la séparation des candidats en deux groupes, deux « divisions » en quelque sorte. Les propos du ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, sur une adhésion globale des 12 candidats sont courageux et logiques : l'effort doit être, en effet, poussé à son terme, en mettant fin à la séparation entre les 10 et la Bulgarie et la Roumanie. Le ministre a observé en outre que les rapports de la Commission sur les progrès individuels des pays candidats indiquent nettement que la plupart d'entre eux sont loin de satisfaire les critères d'adhésion. Or, tout va dans le sens d'une adhésion des pays ne respectant pas l'intégralité des critères, afin de privilégier la démarche politique de l'adhésion par rapport à son aspect économique. M. François Loncle a conclu son propos en insistant sur le fait que la clef du problème du calendrier de l'adhésion se situe dans le choix entre une intégration politique visant à réunifier le continent et une intégration « technique » respectant les critères.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Alain Barrau, la Délégation a examiné plusieurs textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Elle a étudié en premier lieu la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CEE) n°404/93 portant organisation commune du marché de la banane (document E 1812). Le Président Alain Barrau a indiqué que ce texte a pour objet de transcrire dans le droit communautaire les termes de l'accord conclu le 11 avril 2001 entre Pascal Lamy, le commissaire européen en charge du commerce, et Robert Zoellick, le représentant américain du commerce, qui règle le « conflit de la banane » opposant les Etats-Unis à la Communauté européenne.

Cet accord a permis la levée, le 1er juillet dernier, de sanctions commerciales américaines d'une valeur de 191 millions de dollars sur les exportations communautaires, sanctions prises en avril 1999 à la suite de la condamnation du régime d'importations de l'Organisation commune du marché de la banane par l'OMC, à l'initiative des Américains.

Après deux années de négociations, l'accord du 11 avril constitue un compromis acceptable, qui ne bouleverse pas l'équilibre du nouveau régime d'importations de la banane validé par le Conseil « Agriculture » du 19 décembre 2000.

Ce nouveau régime repose sur un système contingentaire transitoire, applicable jusqu'au 1er janvier 2006, qui cédera ensuite la place à un système purement tarifaire. Ce système prévoit trois contingents : un contingent A de 2,2 millions de tonnes, assujetti à un droit de douane de 75 euros par tonne ; un contingent B de 453 000 tonnes, qui est augmenté de 100 000 tonnes transférées du contingent C (les contingents A et B sont ouverts à tous les pays tiers) et un contingent C exclusivement réservé aux pays ACP.

D'une manière générale, la présente proposition et la réforme de l'Organisation commune du marché de la banane validée par le Conseil « Agriculture » du 19 décembre répondent aux attentes de la France. Toutefois, la France a rappelé à la Commission qu'elle s'était engagée, lors du Conseil « Agriculture » du 19 décembre 2000, à améliorer le volet interne de l'OCM banane sur trois aspects : le versement des avances aux producteurs communautaires - la France a obtenu satisfaction sur ce point - ; l'examen de la situation des producteurs communautaires et l'institution d'un mécanisme de distribution des licences d'importation aux producteurs communautaires victimes de catastrophes naturelles, afin que ceux-ci puissent compenser la perte de revenus en vendant ces licences à des opérateurs. Sur ces deux derniers points, la France n'a pas encore obtenu satisfaction. Après des observations de M. Pierre Brana, la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur le document E 1812, tout en rappelant à la Commission qu'elle doit mettre en _uvre les engagements pris en décembre 2000.

_ La Délégation a ensuite levé la réserve d'examen parlementaire sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n°1255/96 portant suspension temporaire des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels, agricoles et de la pêche (document E 1854).

_ Elle a également levé la réserve d'examen parlementaire sur la proposition de décision du Conseil portant approbation de la conclusion, par la Commission, de l'accord entre la Communauté européenne de l'énergie atomique et l'Organisation pour le développement énergétique de la péninsule coréenne (KEDO) (document E 1855). Cette proposition à pour objet de renouveler - pour une durée de cinq années - l'adhésion de la Communauté à la KEDO, organisation contribuant à la lutte contre la prolifération nucléaire en Corée du Nord par la fourniture et le financement de deux réacteurs à eau ordinaire pour ce pays, en échange de l'adhésion de celui-ci au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et à un accord de garanties avec l'Agence internationale de l'énergie atomique.

_ Présentant la proposition de directive relative à la formation des conducteurs professionnels de marchandises ou de voyageurs par route (document E 1699), le rapporteur a indiqué que - s'inspirant de dispositions que la France avait envisagées de soumettre à discussion, lorsqu'elle avait exercé la présidence de l'Union européenne l'an dernier - ce texte visait à instaurer une formation initiale et une formation continue obligatoires, qui n'existent, jusqu'à présent, qu'en France et aux Pays-Bas.

La Délégation a décidé de lever la réserve d'examen parlementaire sur ce texte.

_ Le rapporteur a ensuite présenté la proposition de règlement du Conseil relatif à la mise en _uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (document E 1570). Il a fait observer que la proposition de règlement visait à remplacer l'actuel système centralisé de contrôle a priori des accords entre entreprises, par un contrôle a posteriori et décentralisé, afin de permettre à la Commission et aux Etats membres de concentrer leurs efforts sur la répression des ententes et des abus de position dominante qui affectent gravement le marché commun.

La Délégation a décidé de lever la réserve d'examen parlementaire sur ce texte.

_ S'agissant de deux propositions de décisions visant à accélérer la réalisation de l'espace européen de la recherche (document E 1703), le rapporteur a indiqué que l'une était relative aux actions de recherche, de développement technologique et de démonstration visant à aider à la réalisation de l'espace européen de la recherche, et l'autre concernait plus particulièrement le secteur de l'énergie atomique.

Après que le rapporteur eut souligné l'importance de ces programmes-cadres pluriannuels pour les années 2002 à 2006, la Délégation a décidé de lever la réserve d'examen parlementaire sur ces deux textes.

III. Audition de Mme Danuta Hübner, secrétaire d'Etat au ministère des affaires étrangères de Pologne, dans le cadre des auditions sur l'avenir de l'Europe (audition ouverte à l'ensemble des députés et à la presse)

Le Président Alain Barrau, souhaitant la bienvenue à Mme Danuta Hübner et à M. Jan Tombinski, ambassadeur de Pologne en France, a rappelé qu'il était extrêmement utile que les représentants des pays candidats puissent participer à la réflexion engagée par la Délégation sur l'architecture de l'Europe en 2004. Ceci apparaît d'autant plus indispensable que les pays candidats pourront déléguer des représentants de l'exécutif et du Parlement à la Convention qui se réunira après le Conseil européen de Laeken.

Mme Danuta Hübner a remercié le Président Alain Barrau de cette invitation, intervenant un mois après la formation du nouveau gouvernement polonais, qui a jugé prioritaire l'adhésion de la Pologne à la Communauté européenne et a élaboré, la semaine dernière, une stratégie destinée à permettre que cette adhésion ait lieu en 2004.

La nouvelle stratégie européenne du gouvernement polonais se fonde sur la conviction que la Pologne doit faire partie du premier groupe de pays adhérents et achever les négociations à la fin de 2002, tant avec l'Union européenne qu'avec les Etats membres. Elle signifie également que la Pologne doit être préparée pour devenir un membre à part entière de l'Union européenne et participer ainsi aux réflexions sur l'avenir de l'Union européenne.

La secrétaire d'Etat a alors rappelé que la négociation en cours avait permis de clore 18 chapitres sur 29 et que, parmi les 11 chapitres restant à négocier, figuraient trois thèmes parmi les plus difficiles, l'agriculture, les fonds structurels et les aspects budgétaires. La nécessité d'accélérer le processus d'adhésion est vivement ressentie en Pologne, qui ne souhaite pas être perçue comme un pays retardant le processus général d'adhésion et est au contraire convaincue que le déroulement de la négociation joue un rôle dynamique sur les institutions européennes elles-mêmes.

La préparation de l'administration polonaise constitue également une priorité. A cet égard, Mme Danuta Hübner s'est félicitée de la coopération avec la France pour la préparation de l'administration polonaise et elle a souligné la nécessité de poursuivre cette aide. Elle a alors regretté que le dialogue avec la société polonaise au cours des dix dernières années sur les questions européennes n'ait pas été plus important. Selon les enquêtes d'opinion, l'intérêt du citoyen polonais à l'égard de l'Union européenne a baissé de 80 % en 1997 à un peu plus de 50 % aujourd'hui. Ce désintérêt ne doit pas être négligé face à l'échéance du référendum qui devrait avoir lieu en 2003 sur l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne. C'est pourquoi l'expérience française de débat national sur l'avenir de l'Union est un modèle pour la Pologne, qui souhaite préparer des Assises similaires aux niveaux régional et local. La coopération entre les parlements français et polonais pourrait également jouer un rôle dans la préparation de ce débat national.

La secrétaire d'Etat a ensuite relevé les difficultés de la situation économique en Pologne, qui rendaient plus difficile l'intégration dans l'Union. Le gouvernement polonais a présenté un budget de restriction pour 2002 afin de diminuer les dépenses publiques, limiter le déficit et stimuler l'économie. Il est bien évident qu'il serait plus facile de préparer la société polonaise à l'intégration avec une croissance économique forte, un chômage en réduction et une opinion plus favorable. Au contraire, le gouvernement est tenu de prendre des décisions difficiles, alors que de nombreuses catégories de Polonais ne voient pas leur avenir dans l'Union et que les dernières élections législatives ont amené au parlement des partis politiques conservateurs plutôt défavorables à l'adhésion de la Pologne. Cette situation, qui permet à ces partis de disposer d'un forum pour contrer l'adhésion de la Pologne, conduit le gouvernement à renforcer sa politique de discussion ouverte avec les forces politiques.

Mme Danuta Hübner a souligné l'importance de la souplesse et de l'ouverture face aux propositions de l'Union européenne, notamment sur des questions sensibles comme la libre circulation des travailleurs et des capitaux. Elle a fait observer que la Pologne acceptait le mécanisme transitoire de deux ans, pouvant être prolongé de trois ans, et a rappelé que les contacts bilatéraux de la Pologne avec quatre Etats membres avaient montré une bonne compréhension réciproque. La libre circulation des personnes reste une question sensible en Pologne, de même que les questions relatives à l'achat de terres par des étrangers.

En conclusion, la secrétaire d'Etat a assuré de la détermination pragmatique de la Pologne et a attiré l'attention sur l'importance des négociations sur le plan politique interne ainsi que sur le fait que ces négociations étaient menées dans une situation économique difficile.

Après avoir remercié Mme Danuta Hubner pour la sincérité de ses propos, le Président Alain Barrau a insisté sur l'importance de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne et de son rôle dans le processus de réunification de l'Europe aux yeux de l'opinion publique française : la Pologne et la France ont des liens historiques et culturels forts et anciens. De nombreux travailleurs polonais ont émigré vers la France où ils sont désormais parfaitement intégrés, contribuant à conforter ces liens.

La situation actuelle du processus d'adhésion de la Pologne soulève plusieurs questions :

- Comment convaincre, en Pologne même, une partie de la population dont l'opinion a évolué et qui se déclare moins favorable à l'adhésion ? Cette situation appelle, de la part du gouvernement, un débat clair et ouvert sur les enjeux de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne.

- Le processus d'adhésion achoppe sur des sujets plus techniques tels que l'agriculture. La France et la Pologne sont toutes deux de grands pays agricoles avec une sociologie économique identique. Elles sont donc des alliées naturelles, alors que l'Union européenne a besoin d'une agriculture forte.

- Le principe d'une adhésion rapide des pays candidats est désormais acquis ; cette adhésion interviendra-t-elle au terme d'une négociation individualisée, reposant sur la volonté croisée des pays candidats d'adhérer et de celle de l'Union européenne de les accueillir, ou faut-il privilégier une démarche politique et globale ?

Le Président Alain Barrau a considéré, pour sa part, que la Pologne, en tant que plus grand des pays candidats, doit intégrer rapidement et faire partie du premier groupe, quelles que soient les difficultés politiques et techniques.

Mme Danuta Hübner a expliqué la baisse des opinions favorables de la population polonaise à l'adhésion à l'Union européenne, passées de 80 % avant l'entrée de la Pologne dans l'OTAN à 56 % aujourd'hui, en observant que l'opinion avait dans les années quatre-vingts l'intuition qu'il était indispensable d'entrer dans la famille européenne, mais que le doute s'est insinué lorsqu'elle a rationalisé son approche et commencé à comprendre les exigences d'une entrée dans l'Union. L'évolution du monde et la détérioration de la situation économique polonaise ont également influencé une opinion insuffisamment informée des conséquences positives de l'adhésion à l'Union européenne.

Le gouvernement polonais est déterminé à mener une campagne d'information intense dans les deux prochaines années pour transformer ce doute en certitude, sans éviter les questions les plus difficiles, à l'exemple des débats publics qui ont été menés en Allemagne, en Autriche et en France, et préparer ainsi le référendum.

Mais repousser la date d'adhésion ne serait pas positif. Certes des déclarations politiques peu responsables ont été émises sur ce sujet, comme lorsque la France a déclaré en 1996 que la Pologne ne serait pas membre de l'Union européenne en l'an 2000, et il ne faudrait pas donner l'impression à la société polonaise, qui les a entendues, que la date d'adhésion pourrait être repoussée sans cesse.

Les débats sur le choix entre le « big-bang », un mini-élargissement ou un élargissement à plusieurs étapes sont perçus de manière négative par les Polonais. Il est pour eux fondamental de figurer dans le premier groupe d'adhésion. En même temps, ils ne veulent pas d'un élargissement à des pays qui ne seraient pas prêts, mais d'une adhésion de leurs pays préparée sur des bases solides.

L'élargissement implique une décision dont le caractère politique ne doit cependant pas être diminué. A cet égard, la Pologne interprète la récente déclaration de M. Hubert Védrine comme n'étant pas orientée contre son adhésion, mais seulement en faveur de celles de la Bulgarie et de la Roumanie.

Des questions techniques revêtent également une forte dimension politique. La Pologne sera l'un des grands Etats membres de l'Union européenne et dispose, comme la France, d'un grand secteur agricole qui compte beaucoup dans ses déclarations et ses actions politiques. Ces deux grands pays agricoles n'ont jusqu'à présent pas suffisamment discuté des possibilités de collaboration sur la base de leurs complémentarités et c'est un aspect qu'il faudrait développer après l'adhésion de la Pologne.

L'Union européenne devra tenir compte de Doha et changer d'attitude envers l'agriculture. La Pologne est prête à discuter sur le plan bilatéral de l'évolution nécessaire de la politique agricole commune avec les pays qui ont un grand secteur agricole et ne peuvent pas tout bouleverser du jour au lendemain. L'agriculture représente la question la plus importante pour la Pologne qui attend les positions de la Commission et du Conseil pour en débattre dans les six prochains mois, en étant bien consciente qu'on ne peut pas s'en tenir au statu quo.

Le processus d'élargissement ne doit en tous cas pas se présenter comme une alternative entre une adhésion selon une démarche purement politique et une différenciation selon les mérites de chaque candidat de caractère purement technique. Il résultera sans doute d'un compromis dans lequel les questions politiques seront à prendre en compte mais ne devront pas conduire à négliger des aspects techniques, qui conditionnent aussi les aspects positifs de l'élargissement pour les pays candidats. C'est la raison pour laquelle la Pologne va se préparer le mieux possible, car si l'on n'imagine pas qu'elle ne soit pas dans le premier groupe, l'opinion publique attend qu'elle soit capable de tenir toute sa place dans l'Union élargie.

M. Jean-Bernard Raimond a remercié Mme Hübner pour la clarté de ses réponses et a souligné la conviction très partagée selon laquelle la Pologne devait faire partie de la première vague d'adhésion. Il a par ailleurs noté que la Pologne, en devenant membre de l'Union européenne, contribuera au développement des relations de l'Union avec les pays d'Europe de l'Est. Il a ensuite interrogé la secrétaire d'Etat sur l'action actuelle du parlement polonais dans le cadre de la préparation à l'adhésion, évoquant le rôle, qu'il a jugé remarquable, joué sous la précédente législature par la commission chargée de l'intégration de l'acquis communautaire, que présidait M. Geremek.

Mme Danuta Hübner a indiqué que la commission des affaires européennes du parlement polonais participait très activement au processus préparation à l'adhésion. Elle a précisé que l'acquis communautaire avait été déjà largement intégré dans les textes - bien que 90 lois et 800 décrets doivent encore être adoptés - mais qu'il s'agissait surtout de mettre à présent en _uvre cet acquis, ce qui représentait une tâche plus difficile pour laquelle l'année à venir sera très importante. Elle a estimé que la tâche serait encore lourde, mais qu'un soutien communautaire y contribuera, et que, par ailleurs, certains Etats membres eux-mêmes connaissaient des difficultés de mise en _uvre de la législation communautaire.

Le Président Alain Barrau a souligné que pour aucun Etat membre la question de la transposition des actes communautaires ne constituait un sujet facile. Evoquant le cas de la France, il a rappelé que ce n'est que très récemment que le Parlement avait obtenu un droit de suivi de la transposition des directives, notant qu'il avait fallu une loi d'habilitation pour permettre la transposition par ordonnances d'un nombre très important de directives anciennes qui n'avaient pas été transposées, pour certaines depuis plus de 10 ans.

M. Joseph Parrenin a interrogé la secrétaire d'Etat, d'une part, sur les raisons des réticences actuelles d'une partie des Polonais vis-à-vis de l'adhésion à l'Union et, d'autre part, sur la position du gouvernement polonais en ce qui concerne la question de la libéralisation des échanges internationaux dans le domaine agricole.

Mme Danuta Hübner a indiqué que les préoccupations actuelles des Polonais par rapport à l'adhésion étaient d'abord liées à des craintes de limitation de souveraineté, reprises par les partis nationalistes, qui s'expliquent notamment par l'histoire du pays, qui a souvent été marquée par des pertes de souveraineté. Elle a ajouté que les réticences actuelles étaient également issues du secteur des petites et moyennes entreprises qui craignent d'avoir à affronter une concurrence pour laquelle elles ne seraient pas armées et à introduire de nouvelles normes qui représenteront un coût important. Sur le plan sectoriel, elle a souligné, qu'outre certains secteurs industriels comme la sidérurgie ou la pharmacie, c'est essentiellement le secteur agricole qui est marqué par de fortes préoccupations, alors même que c'est sans doute celui qui bénéficierait le plus de l'adhésion. Elle a indiqué que les débats actuels au sein de l'agriculture polonaise mêlaient dans une certaine confusion la question des restructurations, certains plaidant pour maintenir les structures existantes, et la préparation à l'adhésion. Elle a précisé que des préoccupations s'exprimaient quant aux interdictions de consommer des produits régionaux, que certains évoquent comme une conséquence de l'adhésion. Elle a estimé qu'il convenait d'utiliser au mieux le temps restant avant l'adhésion pour poursuivre les réformes au sein de l'agriculture polonaise.

S'agissant de la question relative à la libéralisation du commerce international, elle a indiqué que la Pologne était actuellement strictement en phase avec les positions de l'Union européenne.

Mme Dabrowska, journaliste au mensuel polonais « Teczka » a ensuite interrogé Mme Danuta Hübner sur les points suivants :

- Quels sont les quatre pays les plus coopératifs avec la Pologne dans la perspective de l'élargissement ?

- Pourquoi le nouveau gouvernement a-t-il décidé de rompre le contrat de fourniture de gaz qui liait la Pologne à la Norvège ?

- Quelle politique les autorités polonaises entendent-elles mener pour préserver l'agriculture familiale ?

Dans le prolongement de cette question, M. Rémy Degoul, président du Comité de liaison pour la solidarité avec l'Europe de l'Est (COLISEE) a demandé des précisions à Mme Danuta Hübner sur les mesures à prendre pour favoriser le développement de l'agriculture biologique dont il a rappelé qu'elle concernait dans les pays nordiques près de 10 % des exploitations agricoles. Il a également interrogé Mme Danuta Hübner sur le transfert des aides directes dans le cadre de la PAC et a enfin insisté sur la nécessité - au-delà de la reprise de l'acquis communautaire - d'encourager les échanges culturels entre les peuples pour réussir l'élargissement.

En réponse, Mme Danuta Hübner a cité le Danemark, la Suède, l'Irlande et les Pays-Bas qui se sont engagés à ne pas restreindre la liberté de circulation à leurs frontières après l'élargissement. Elle a aussi mentionné la signature prochaine d'un accord bilatéral avec l'Espagne qui prévoit qu'à l'issue d'une période transitoire de deux ans, les Polonais pourront travailler librement sur le sol espagnol ; un accord est également prévu avec l'Allemagne. De même, la Grande-Bretagne devrait abandonner les restrictions à la libre circulation au-delà de la période transitoire de deux ans et un accord avec la France prévoit d'encourager la libre circulation des étudiants et des travailleurs saisonniers.

En ce qui concerne le contrat de fourniture de gaz avec la Norvège, elle a rappelé la légitimité pour un nouveau gouvernement d'examiner les contrats en cours, mais a déclaré ne pas disposer d'éléments d'information particuliers sur ce contrat précis.

Mme Danuta Hübner a ensuite abordé le chapitre agricole et a déclaré que le développement de l'agriculture familiale avait été plus ou moins favorisé selon les gouvernements. Elle a insisté sur la priorité du nouveau gouvernement qui entend encourager la diversification de l'agriculture polonaise. Elle a affirmé que l'agriculture biologique constituait une véritable opportunité pour les Polonais, et s'est référé à la Hongrie qui a su développer des produits écologiques qui sont exportés vers l'Union européenne.

En ce qui concerne la PAC et le transfert des aides directes, Mme Hübner a déclaré que la position polonaise, transmise à Bruxelles, était celle d'une PAC identique pour tous les Etats membres ; la Commission devrait définir sa position en janvier prochain et les négociations vont s'intensifier jusqu'à la fin de l'année 2002.

Elle a enfin remercié M. Degoul pour avoir souligné l'importance des liens culturels dans la perspective de l'élargissement. Alors que les adversaires à l'adhésion affirment que l'Union européenne va provoquer une dilution de l'identité polonaise, elle s'est déclarée convaincue que l'adhésion provoquera au contraire un enrichissement de l'identité culturelle.

En conclusion, le Président Alain Barrau a souhaité rappeler que le gouvernement français avait particulièrement _uvré pour qu'un compromis acceptable pour les pays candidats soit trouvé sur le sujet délicat de la liberté de circulation. Il s'est en effet déclaré attaché à ce que l'élargissement ne se traduise pas par des restrictions même provisoires sur tel ou tel sujet.