DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 170

Réunion du mardi 4 décembre 2001 à 17 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau

Audition de M. Giorgio Napolitano, Président de la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, dans le cadre des « Mardis de l'Europe » (audition ouverte à l'ensemble des députés et à la presse)

Le Président Alain Barrau a tout d'abord remercié M. Giorgio Napolitano, Président de la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, d'avoir répondu à l'invitation de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

Après avoir précisé qu'il s'efforcerait d'exprimer les positions majoritaires du Parlement européen, M. Giorgio Napolitano a tenu à indiquer que la déclaration de Nice était, selon lui, sinon une autocritique, du moins le constat par les Etats membres qu'il aurait fallu aller plus loin dans la réforme des institutions pour répondre effectivement aux exigences de l'élargissement.

Dans le contexte nouveau créé par les événements du 11 septembre dernier, l'Europe a en particulier besoin d'une impulsion nouvelle dans les domaines de la politique étrangère, de la défense et de la sécurité intérieure, pour approfondir son effort d'intégration et s'affirmer sur la scène mondiale. La question centrale est celle de la gouvernance qui exige un engagement affirmé des Etats membres afin que l'Union européenne élargie soit un acteur mondial responsable et parvienne à combiner diversité, unité et efficacité. Le thème d'une meilleure délimitation des compétences - qui figure parmi les quatre sujets de la déclaration de Nice - renvoie à une interrogation existentielle : l'Europe est-elle une confédération ou une fédération ? Une union d'Etats ou une entité fédérale ?

Le concept de fédération des Etats-nations, proposé par M. Jacques Delors, tente de concilier deux éléments a priori contradictoires, mais les débats montrent qu'aucun accord n'a encore été atteint sur la synthèse entre les deux notions ni sur ce que nous voulons faire ensemble. Les discussions autour de l'idée d'une intégration renforcée au sein de l'Union font apparaître les craintes d'émergence d'un « super Etat » européen. Or, un « super Etat » est une cible facile mais imaginaire. Il est en effet inscrit depuis longtemps dans les traités, et au moins depuis l'Acte unique, que se construit une union de plus en plus étroite non seulement entre les Etats mais entre les peuples. A cet égard, les événements du 11 septembre ont fait comprendre à quel point le cadre national était inadéquat et la dimension européenne plus appropriée pour faire face aux défis du temps.

Dans son récent discours de Birmingham, le Premier ministre britannique, M. Tony Blair, a évoqué la nécessité de développer des politiques reposant sur des bases communes, mais la question reste ouverte des méthodes et des instruments à mettre en _uvre. Le point de vue du Parlement européen est qu'il faut éviter tout recul dans l'intégration en poursuivant l'approfondissement de la coopération européenne. Il faut pour cela relancer la méthode communautaire dont les éléments constitutifs sont le rôle de la Commission, le vote à la majorité qualifiée, la co-décision, l'effet direct et la primauté du droit communautaire. Pour relancer la méthode communautaire, il faut parvenir à généraliser le mode de décision à la majorité qualifiée, étendre le champ de la co-décision aux matières constitutionnelles et prévoir l'effet direct et la primauté des décisions prises au titre du troisième pilier.

Un point préoccupant concerne le rôle de la Commission qui a tendance à se réduire au profit de celui du Conseil européen. Il est à craindre que les dispositions du traité de Nice n'aboutissent à réduire l'efficacité de la Commission dans son rôle nécessaire de moteur de l'Union et dans sa capacité à exercer la fonction gouvernementale, même si cette fonction doit faire l'objet d'un certain partage avec le Conseil. Il faut donc remettre en question le traité de Nice et parvenir à une réforme des institutions qui dépasse ce traité.

Le Président de la République fédérale d'Allemagne, M. Johannes Rau, a proposé de réduire le rôle du Conseil à sa seule fonction législative et d'en faire une chambre des Etats. Si ce schéma fédéral n'est guère partagé par les autres Etats membres, il souligne la nécessité de redéfinir le rôle du Conseil européen, qui n'est plus seulement d'impulsion et d'orientation et a pris une définition trop extensive.

Dans une déclaration conjointe sur les grandes priorités européennes en date du 23 novembre dernier, la France et l'Allemagne ont évoqué la nécessité d'élaborer une Constitution européenne qui soit une étape essentielle dans le processus historique d'intégration européenne. Cette Constitution serait le résultat d'une réflexion au sujet d'un « processus de constitutionnalisation des traités et des relations entre les institutions de l'Union, y compris une clarification des fonctions législatives et exécutives ». La France et l'Allemagne souhaitent également l'extension du vote à la majorité qualifiée, le renforcement de la transparence et de la légitimité de la démocratie européenne ainsi que la poursuite de la dynamique d'intégration dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, en appelant à plus de cohérence entre les politiques de l'Union et des Etats membres et à une synergie renforcée entre le Haut représentant pour la PESC et le commissaire chargé des relations extérieures.

Ces positions avancées rejoignent pour une part celles adoptées à une très large majorité par le Parlement européen (80 % de votes favorables en plénière et 90 % au sein de la Commission des affaires constitutionnelles) dans une résolution sur l'avenir de l'Union. Les députés européens souhaitent une parlementarisation accrue de l'Union, reposant sur deux piliers : le Parlement européen, d'une part, les parlements nationaux, d'autre part. Le Parlement européen ne saurait être le seul représentant parlementaire de l'Union, mais, inversement, les parlements nationaux ne peuvent prétendre être le seul cadre démocratique de représentation des citoyens. Nous devons donc concevoir un système parlementaire européen sui generis, qui concilie ces deux impératifs. La Convention peut être l'instrument d'affirmation de ce double pouvoir parlementaire. Cette Convention ne sera pas une assemblée constituante, puisque l'article 48 du traité réserve aux Etats membres la révision des traités fondateurs. Le Parlement européen ne souhaite pas non plus « ravir » aux gouvernements le pouvoir constituant, même si cette tentation a pu exister dans le passé. Il faut simplement remettre en cause ce monopole du pouvoir constituant des gouvernements pour qu'ils partagent ce pouvoir avec les parlements dans le cadre de la prochaine Convention.

Après avoir remercié M. Giorgio Napolitano pour la qualité de son exposé, le Président Alain Barrau a jugé que les rivalités entre institutions parlementaires étaient des stratégies nocives pour l'Europe et s'est réjoui que la future Convention offre l'occasion d'une collaboration étroite entre les parlementaires européens et les parlementaires nationaux, à l'image de celle qui s'est déjà instaurée entre la Commission constitutionnelle du Parlement européen et la Délégation. Il l'a ensuite interrogé sur deux points : comment la Convention va-t-elle fonctionner et en particulier voter si, comme le demande le Parlement européen, elle est amenée à adopter un seul texte ? Dans quelle mesure la Convention doit-elle, au-delà des questions institutionnelles, s'attacher au contenu de l'action communautaire ?

Concernant la méthode de travail de la Convention, M. Giorgio Napolitano a indiqué que la résolution du Parlement européen envisage un consensus sur un texte entre les quatre composantes. La composition très diversifiée de la Convention n'empêche pas en effet un tel consensus car il est possible de vérifier celui-ci au sein de chaque composante. Ainsi, à la fin de la Convention sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il a suffi de constater que treize représentants du Parlement européen sur seize avaient adopté le texte pour considérer que le Parlement européen l'avait approuvé. Il conviendra donc d'adopter une méthode identique, même si la future Convention sera confrontée à un exercice plus compliqué puisqu'elle devra proposer un texte à droit non constant. Il faut, par ailleurs, pour que la Convention élabore un texte cohérent, qu'elle ne propose qu'une seule option. A défaut, la possibilité d'établir un inventaire presque illimité des solutions possibles risque d'affaiblir le mandat de la Convention, de retarder le travail de la Conférence intergouvernementale et d'aboutir, in fine, à un texte probablement moins ambitieux. Rien n'empêche cependant la Convention de présenter, à côté du texte ayant recueilli un consensus, des propositions minoritaires qui auraient un certain poids. Les chefs d'Etat et de gouvernement vont accomplir à Laeken un grand geste de confiance et de respect pour le rôle du Parlement européen et des parlements nationaux et il faut espérer que, dans le mandat qu'ils confieront à la Convention, ils ne manifesteront aucune crainte de ce qu'elle pourrait être amenée à proposer.

Il a, d'autre part, estimé souhaitable d'examiner les questions touchant au contenu de l'action communautaire, en particulier depuis les événements du 11 septembre dernier, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité commune, de politique de défense et d'affaires de justice et de sécurité. La résolution du Parlement demande notamment que soient examinées l'inclusion de la PESC dans le pilier communautaire et l'attribution de la personnalité juridique à l'Union européenne.

M. Robert Toulemon, Président de l'Association française des études européennes (AFEUR), a souhaité savoir si la remise en cause du compromis de Nice relatif à la Commission européenne évoquée par M. Giorgio Napolitano portait sur son rôle dans les piliers intergouvernementaux ou sur sa composition. Il a considéré que la décision consistant à prévoir un commissaire par Etat membre n'est pas de nature à encourager les gouvernements des grands Etats de l'Union à octroyer des pouvoirs accrus à la Commission.

M. Giorgio Napolitano a précisé que ses propos faisaient référence à la nécessaire remise en cause de la composition de la Commission prévue à Nice, car elle ne donne pas à celle-ci les moyens d'exercer le rôle moteur qui doit être le sien dans le processus d'intégration. Contrairement au compromis de Nice selon lequel la Commission peut s'élargir à un commissaire par Etat membre jusqu'à vingt-six Etats membres, il a estimé qu'il convenait de rouvrir ce sujet sans tarder et qu'il serait sans doute possible de traiter objectivement de cette question avec les pays candidats à l'adhésion. Il serait souhaitable de faire valoir à ces pays, dont on peut comprendre le fort attachement à disposer d'un commissaire par pays, qu'ils n'ont pas intérêt à ce que l'Union soit paralysée par des institutions ingérables et que ce qu'ils considèrent comme une marque de reconnaissance de leur souveraineté récemment recouvrée aboutirait en réalité à une diminution de leur souveraineté partagée au sein d'une union affaiblie.

M. Pierre Bordeaux-Groult, Président du Comité d'action pour l'Union européenne, a estimé que l'opinion exprimée par le président Napolitano selon laquelle la dimension nationale est inadéquate dans de nombreux domaines, s'appliquait particulièrement au domaine de la PESC. Il a considéré que l'absence de politique extérieure commune effective constituait une honte pour l'Europe, et a évoqué la nécessité, compte tenu de l'élargissement, de mettre en place dans ce domaine les conditions d'un noyau dur, ou d'un « peloton de tête », dans la mesure où une diplomatie unique à vingt-cinq est irréaliste. Jugeant que cette question était cruciale pour le devenir de l'Europe-puissance et qu'il fallait l'aborder sans attendre l'échéance de 2004 prévue pour la future Conférence intergouvernementale, il a souhaité connaître la position de la Commission institutionnelle du Parlement européen sur ce point.

Mme Danièle Mauduit, Présidente du Mouvement européen du Cher, a demandé si la remarquable proposition de constitution européenne présentée jadis par M. Spinelli avait encore servi de référence au Parlement européen pour définir sa position sur la prochaine réforme de l'Union.

M. Maurice Braud a souhaité connaître la position du Parlement européen sur la participation des pays candidats à la future Convention.

Mme Françoise Blarez s'est déclarée sceptique quant aux possibilités d'un renforcement de la Commission européenne sans sa démocratisation préalable et a interrogé M. Napolitano sur l'éventualité d'une élection au suffrage universel direct du Président de la Commission.

En réponse, M. Giorgio Napolitano a apporté les précisions suivantes :

- l'organisation d'un vote de confiance du Parlement européen lors de la mise en place de la Commission Prodi, désignée par les chefs d'Etat et de gouvernement, témoigne d'une volonté de renforcer progressivement le contrôle démocratique sur la Commission. La Commission des affaires institutionnelles du Parlement européen souhaite que le Président de la Commission européenne soit élu par le Parlement européen, selon des modalités à préciser, et qu'il reflète ainsi la majorité politique européenne dans une perspective de politisation de la Commission et de son Président ;

- le projet de traité Spinelli, voté le 15 février 1984 à une très large majorité par le Parlement européen, ne pouvait entrer en vigueur qu'avec l'accord des gouvernements et a été introduit graduellement dans beaucoup des dispositions de l'Acte unique, du traité de Maastricht et du traité d'Amsterdam, selon la méthode de la Conférence intergouvernementale aujourd'hui dépassée par la méthode de la Convention plus proche des conceptions de Spinelli ;

- le Parlement européen ne doit pas avoir à lui seul le pouvoir constituant. La méthode de la Convention, qui associe les parlements nationaux au Parlement européen, est la plus adaptée pour l'élaboration d'une constitution ou d'un traité constitutionnel, texte qui sera peut-être soumis à l'approbation des citoyens par référendum ;

- le Parlement européen n'a pas rejeté l'idée d'une avant-garde et est favorable à une coopération renforcée incluant la défense. Il est difficile de fixer des limites strictes à cette avant-garde, qui doit demeurer ouverte et évolutive, comme c'est le cas pour la zone Schengen ou la zone euro ;

- l'idée d'un traité particulier pour l'avant-garde présenterait néanmoins le grave défaut de marquer la fin d'un cadre institutionnel unitaire. Le Parlement européen n'a toutefois pas arrêté sa position sur ce point. En tout état de cause, une avant-garde ne saurait être centrée uniquement sur l'Europe du Nord et de l'Est et devrait demeurer attentive à l'Europe méditerranéenne.