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Document E4026
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs.


E4026 déposé le 17 octobre 2008 distribué le 17 octobre 2008 (13ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2008) 0614 final du 8 octobre 2008, transmis au Conseil de l'Union européenne le 9 octobre 2008)

Ce document a été présenté par Mme Marietta KARAMANLI , rapporteure, au cours de la réunion de la Commission du 5 mai 2009.

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La proposition de directive relative aux droits des consommateurs, présentée par la Commission européenne le 8 octobre 2009, concerne des enjeux essentiels, à plusieurs titres.

D’abord, alors que le droit européen de la consommation est actuellement et pour l’essentiel, réparti sur plusieurs textes d’harmonisation dite minimale qui permettent aux Etats membres de prévoir le cas échéant, comme c’est le cas pour la France, des règles plus protectrices, elle vise à établir, par ce texte d’harmonisation complète s’imposant à tous les Etats membres, sans leur donner la faculté d’intervenir dans les domaines traités, le futur du socle commun à cette matière, en le centrant sur les principales questions : les définitions, les informations précontractuelles données par le professionnel au consommateur, le droit de rétractation, les garanties et les clauses abusives. Il s’agit donc de légiférer sur l’essentiel pour les deux voire les trois prochaines décennies et, par conséquent, d’établir un texte qui résiste au temps.

Ensuite, sur le fond, l’objectif ne doit pas se limiter à harmoniser ainsi qu’à moderniser, adapter, simplifier, coordonner et rendre plus accessibles, et plus claires, les règles actuellement applicables. Il est, en effet, impératif de répondre à l’intérêt des consommateurs et de leur offrir des perspectives de progrès, ou tout au moins pour ceux qui bénéficient de droits les plus protecteurs, de stabilité, dans le niveau de leur protection.

C’est d’autant plus essentiel que nous connaissons une crise économique aux conséquences sociales sans précédent depuis 1945. Selon l’expression tout à fait juste de notre collègue député européen, M. Jacques Toubon, le droit de la consommation constitue un « pare-choc » social, un élément du modèle social européen. Il offre, en effet, une protection pour les plus modestes, en garantissant leurs achats.

De plus, un droit de la consommation protecteur est l’intérêt de tous, notamment des entreprises européennes, et s’inscrit par conséquent dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Il ne joue donc pas les consommateurs contre les entreprises, au contraire. L’histoire le montre. Les trois plus grandes puissances économiques et industrielles actuelles, ayant une certaine ancienneté, les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne, se sont construites sur des entreprises qui ont misé sur la qualité, la recherche et le développement, en résumé sur de meilleurs produits et des brevets.

Enfin, pour l’Europe, l’enjeu juridique est très fort, car il est une étape dans la perspective de la création d’un Cadre commun de référence pour le droit des contrats. Celle-ci a été ouverte dès 2001, par la communication de la Commission européenne du 11 juillet 2001 sur le droit européen des contrats (COM (2001) 398 final). Plusieurs étapes sont ensuite intervenues. Il a été décidé de se consacrer d’abord au droit des consommateurs. C’est ainsi que la Commission européenne a publié, en février 2007, le Livre vert sur la révision l’acquis en matière de protection des consommateurs, consultation dont la présente proposition est la suite directe. Cette dernière représente donc d’une certaine manière un « ballon d’essai » pour ce futur cadre de référence, « boîte à outil » commune pour le droit des contrats.

En dépit de l’importance de ces enjeux et de l’ampleur de ces travaux préparatoires, la proposition de la Commission européenne ne répond pas aux attentes que l’on a pu placer en elle. L’écart n’est pas seulement d’ordre technique, mais concerne d’une manière beaucoup plus significative, et politique, sa conception comme son architecture d’ensemble. Nous sommes donc face à un texte qui doit faire l’objet d’une attention et d’une vigilance constantes, de manière à le faire évoluer et à bien suivre ses changements.

Par conséquent, notre Commission doit adopter une démarche en deux temps. Cette première communication d’étape permet d’acter certaines orientations et les premières conclusions. Ensuite, c’est au vu de la manière dont le contenu de cette proposition sera modifié, qu’un rapport permettra de déboucher sur une proposition de résolution. Ce sera nécessairement après les élections européennes et la nomination de la prochaine Commission européenne.

Pour l’instant, il convient de rappeler en quoi le texte de la Commission européenne est très critiqué, ainsi que de dégager déjà quelques pistes d’évolution, notamment l’opportunité d’opter pour le principe d’une harmonisation ciblée.

I. Un texte ambitieux, car d’harmonisation maximale sur un champ large, mais qui ne permet pas, en l’état, d’envisager un accord, en raison de l’ampleur des interrogations et critiques qu’il suscite

A. L’objectif de la Commission européenne : des droits des consommateurs uniformément harmonisés dans toute l’Union européenne, dans une perspective de décloisonnement du marché intérieur

La proposition de la Commission européenne vise à franchir une nouvelle étape dans l’harmonisation du droit des consommateurs.

Actuellement, l’essentiel des directives sont, comme on l’a vu, d’harmonisation minimale et permettent ainsi aux Etats membres de prévoir des dispositions plus protectrices.

La tendance récente a été cependant l’harmonisation maximale ou complète, avec la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, ou encore l’harmonisation maximale ciblée avec la directive 2008/48/CEE du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédits aux consommateurs.

La Commission européenne considère que cette coexistence actuelle de 27 droits différents porte préjudice non seulement aux entreprises, mais aussi au consommateur, parce que celles-ci répercutent sur les prix les coûts de mise en conformité juridique qu’elles supportent et que la concurrence est moindre. Elle estime ainsi que les coûts administratifs de vente à distance pour une entreprise pourraient passer de 70.526 euros à 2.153 euros. Les règles prévues par le système dit de Rome I et II pour le droit du consommateur, sont que le droit applicable est celui du pays où se trouve celui-ci.

La Commission européenne se donne donc pour objectif de décloisonner le marché intérieur, ce qui conduit à ce texte d’harmonisation totale et à vocation horizontale qui :

- d’une part, remplacerait 4 directives : la directive 85/577/CEE concernant les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, la directive 97/7/CEE concernant les contrats à distance et la directive 1999/44/CE sur la vente et les garanties de biens de consommation ;

- d’autre part, affecterait par certaines de ses dispositions 6 autres directives : la directive 90/134/CEE sur les voyages, vacances et circuits à forfait ; la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique ; la directive 2002/65/CE sur les services financiers à distance ; la directive 2006/123/CE sur les services ; la directive précitée 2008/48/CEE sur les crédits aux consommateurs; la directive 2008/122/CE sur les biens à temps partagé («  time share  »).

Même si l’ampleur de cette ambition a été réduite, puisque la fusion devait à l’origine concerner huit directives et qu’elle n’en concerne directement plus que quatre, celle-ci n’en reste pas moins encore très importante.

Le champ de l’harmonisation totale proposée est très vaste.

Il concerne, en effet, les définitions, avec notamment celles de consommateur et de professionnel, et un champ particulièrement large. La Commission européenne veut couvrir toutes les transactions entre professionnels et particuliers, qu’il s’agisse des biens ou de services, et qu’il s’agisse des biens mobiliers comme des biens immobiliers sous certains aspects.

En outre, la proposition de directive vise à fixer l’ensemble des informations précontractuelles délivrées au consommateur, ainsi que des modalités harmonisées pour le droit de rétractation, applicable aux contrats à distance et aux contrats hors établissement, avec un délai unique de 14 jours et des règles communes d’exercice.

Enfin, elle tend à définir des nouvelles règles sur la livraison et le transfert de risque du professionnel au consommateur, ainsi que les garanties, notamment avec une durée maximale de 2 ans pour la garantie légale de conformité. Elle propose également de fixer de manière harmonisée des listes de clauses abusives, avec deux listes : une liste « noire » de clauses abusives interdites en toutes circonstances et une liste « grise » de clauses présumées abusives, pour lesquelles il appartient au professionnel d’apporter la preuve contraire.

B. Les premières réactions : un texte qui n’apparaît pas, en l’état, satisfaisant, ni pour les consommateurs, ni pour les Etats membres, et notamment les parlementaires, européens ou nationaux, ni pour les Gouvernements

En dépit de son caractère séduisant, qui tient à l’ambition qui le sous-tend, le texte de la Commission européenne suscite les réserves tant des consommateurs que des Etats membres, notamment des parlementaires.

Pour ce qui concerne les associations de consommateurs, tant le BEUC que les associations françaises, jugent que la proposition n’est pas acceptable, en l’état.

En effet, le niveau de protection qu’elle offre n’est pas suffisant. Ce n’est pas le niveau le plus élevé en Europe, mais un niveau intermédiaire. Etant d’harmonisation complète ou maximale, elle menace donc la pérennité des mécanismes plus protecteurs en vigueur dans plusieurs Etats membres. Les associations de consommateur s’estiment donc déçues et rappellent que si le texte définitif n’est pas satisfaisant, ce sera un échec pour l’Europe : le consommateur restera dans son pays d’origine. En outre, elles insistent sur le fait que le principal obstacle au commerce transfrontalier est davantage la langue que le droit.

Les parlementaires européens et nationaux font un constat similaire.

Lors de la rencontre interparlementaire organisée le 2 avril dernier à Bruxelles, par la Commission IMCO du Parlement européen, les réserves exprimées ont été nombreuses et ont émané d’un grand nombre de parlementaires des Etats membres, notamment d’Allemagne, de Suède, du Royaume-Uni, d’Autriche, de Slovénie, d’Irlande et de Lettonie.

Venant en appui de mon intervention qui faisait part d’une nécessaire vigilance, en raison des ambiguïtés du texte, des doutes que suscite le régime complexe des exceptions et exemptions prévues, avec des portées différentes, pour certains articles ou certains chapitres, et qui insistait sur la nécessité de prévoir le maintien de nos dispositifs de droit civil telle que la garantie du vice caché comme du niveau de protection prévu par nos règles relatives aux clauses abusives, notre collègue député européen, M. Jacques Toubon, a en outre estimé nécessaire, de manière justifiée, que la Commission européenne fournisse une étude précise sur l’impact de sa proposition sur le droit de la consommation interne des différents Etats membres, afin d’y voir clair.

De même, les travaux préparatoires au Conseil, au sein du groupe de travail montrent que les Gouvernements ne sont pas dans l’ensemble favorables à la mouture actuelle.

Enfin, il faut mentionner les critiques des universitaires, tels que M. Hans-Wolfgang Micklitz, professeur à l’Institut européen de Florence, Mme Judith Rochfeld, Professeure à l’Université de Paris I, Mme Carole Aubert de Vincelles, Professeure à l’Université Jean Moulin (Lyon III) ou encore M. Gilles Paisant, Professeur à l’Université de Savoie, et M. Peter Rott, Professeur à l’Université de Brême.

Les réserves et critiques sont donc nombreuses.

Certaines d’entre elles visent des interrogations restées sans réponse satisfaisante de la part de la Commission européenne.

Face à un texte aussi complexe, il est normal que des doutes, incertitudes et donc craintes naissent. Néanmoins, les réponses de la Commission européenne n’ont pas apporté, faute de traduction écrite, les clarifications nécessaires. Les assurances orales plus ou moins appuyées sont en la matière insuffisantes.

La défiance s’est même très récemment accrue avec l’intervention du récent arrêt de la Cour de Justice du 23 avril dernier, VTB-VAB (affaire C261/07) qui sanctionne le régime belge d’interdiction des ventes liées, car non-conforme à la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, directive d’harmonisation maximale avec un régime communautaire unique remplaçant les différents systèmes nationaux antérieurs. Dans cette affaire, la société VTB poursuivait Total Belgique pour son offre de dépannage gratuite aux titulaires d’une carte Total . De son côté, la société Galatea poursuivait le magazine Flair pour son offre de réduction dans certains magasins de lingerie. Deux pratiques interdites par l’article 54 de la loi belge sur les pratiques de commerce, et que la Cour a jugées contraires à la directive. Dans le champ couvert par une telle harmonisation, les éventuels dispositifs nationaux ayant le même objet n’ont plus lieu d’être.

D’autres critiques concernent le fond.

Deux d’entre elles, qui sont générales, sont significatives.

La première concerne les droits du consommateur pour faire jouer la garantie légale en cas de défaut de conformité du produit. Alors que l’actuelle directive 1999/44/CE offre au consommateur le choix entre la réparation et le remplacement sans frais du produit, la proposition de directive prévoit qu’un tel choix incombera dorénavant au professionnel. C’est un recul pour le particulier.

La seconde concerne les clauses abusives. Le dispositif proposé de définition harmonisée avec des listes européennes, modifiables par comitologie avec un comité des clauses abusives saisi après notification par les Etats membres, par l’intermédiaire de la Commission européenne, des clauses jugées abusives à leur niveau, encourt deux critiques. D’une part, les listes prévues avec 5 clauses interdites et 12 clauses suspectes ne correspondent pas à l’état du droit dans les Etats membres. L’Espagne a ainsi 32 clauses interdites et la France 12. D’autre part, même si les Etats membres conservent une certaine faculté d’appréciation en cas de déséquilibre des droits et obligations résultant d’une clause contractuelle, cette faculté se fera, de manière assez accentuée, sous le contrôle de la Cour de justice.

Dans l’ensemble, un tel mécanisme de liste européenne est donc plus rigide que l’actuel et moins susceptible de répondre avec souplesse et réactivité aux besoins dans une matière où les spécificités nationales sont nombreuses. Les professeurs de droit auditionnés ont bien insisté sur ce point, le rôle du niveau national est essentiel. Le risque de moindre protection par rapport aux mécanismes actuels est donc indéniable.

Enfin, certaines critiques sont plus virulentes et mettent en cause le fond de la démarche de la Commission européenne.

D’abord, remarquant que le décloisonnement du marché intérieur dans de telles circonstances bénéficie aux entreprises, qui voient leur marché potentiel accru et leurs charges réduites, et non aux consommateurs, qui voient dans grand nombre d’Etats leurs droits rognés, certains en concluent qu’il s’agit d’un texte pour les entreprises, plus spécifiquement adressé aux PME.

C’est une critique très forte, car, philosophiquement, le droit de la consommation est d’inspiration humaniste : il vise à protéger la partie faible dans une relation contractuelle qui est jugée déséquilibrée.

Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, on doit regretter que l’article 2 de la proposition de directive définisse un consommateur comme toute personne physique qui, dans les contrats relevant de son champ, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et non, plus simplement, toute personne agissant hors de son activité professionnelle.

Ensuite, on observe que l’enjeu réel sur lequel portent les modifications proposées est en définitive faible. En effet, le décloisonnement du marché intérieur signifie pour le consommateur le développement du commerce transfrontalier, c'est-à-dire concrètement du commerce électronique. Or, celui ci ne concerne pour l’instant que 7% des transactions, soit une part infime de la consommation. Comme il se heurtera toujours à la barrière linguistique, il restera toujours minoritaire. Faut-il en conséquence modifier tant le droit de la consommation pour si peu ? L’argument supplémentaire d’un droit harmonisé qui concerne également, et au-delà, les touristes et tous les autres déplacements temporaires, ainsi que les changements de domicile d’un Etats membre à l’autre, ne modifie pas substantiellement ce constat.

C. Du point de vue de la France : de nombreuses questions sans réponse et une inadaptation d’un grand nombre des dispositions de la proposition de directive

Sans entrer dans l’exhaustivité de ses dispositions, plusieurs éléments de la proposition de directive suscitent interrogations, incompréhension, réserves ou oppositions.

Il s’agit, en premier lieu, de la partie relative aux informations au consommateur.

D’abord, celle-ci s’appliquerait au champ de la future directive, lequel est très large et couvre toutes les ventes et les prestations de services, y compris des transactions de la vie quotidienne comme l’achat du pain, des provisions, des journaux, ou encore les prestations de coiffure et les prestations médicales. Des habitudes règlementaires d’affichage des prix qui ne concernent en rien le marché intérieur seraient ainsi mises en cause, les Etats membres perdant toute faculté d’intervention.

Ensuite, ces dispositions présentent certains reculs par rapport au droit français. Notamment, elles n’obligent pas explicitement un numéro de téléphone où l’on peut effectivement joindre le professionnel.

Enfin, la proposition de directive ne prévoit pas l’obligation de contrat écrit. Elle exige seulement un support durable, ce qui n’est pas la même chose. Le consommateur devrait au moins avoir la faculté de demander un tel support.

En deuxième lieu, sur le droit de rétractation, la Commission européenne propose, outre un allongement du délai qui passerait de 7 à 14 jour en France pour les ventes hors établissements commerciaux (mais pas pour les ventes à distance, pour lesquelles le délai européen de 14 jours s’applique déjà), une modification majeure : la possibilité d’exécuter le contrat pendant ce délai, à savoir la possibilité de payer et de livrer le bien, ce qui n’est pas actuellement possible.

En troisième lieu, en matière de garantie, le texte proposé n’est pas clair et, en dépit des assurances orales de la Commission européenne, il ne semble pas assurer de manière certaine la pérennité de deux mécanismes de responsabilité auxquels nous sommes très attachés : d’une part, la responsabilité décennale pour les travaux ; d’autre part, le point de départ de la garantie contre les vices cachés, qui court à compter de leur découverte.

En quatrième lieu, en matière de clauses abusives, la proposition induit, comme on l’a vu, avec une liste « noire » de clauses présumées abusives en toutes circonstances et une liste « grise » de clauses présumées abusives, listes modifiées par comitologie, une rigidité trop forte. Ainsi, le dispositif récent du décret n° 2009-302 du 19 mars dernier, qui prévoit de telles listes deviendrait caduque et il n’est pas certains que celles qui seraient accepté au niveau européen couvrent tous nos cas actuels.

En conséquence, le processus d’adoption de cette proposition de directive sera long et sera entre les mains de la future Commission européenne et du futur Parlement européen.

Il n’est donc pas nécessaire de définir dès maintenant de détail de la position de notre assemblée. Il convient d’attendre encore un peu. Seules à ce stade quelques orientations s’esquissent.

II. Des perspectives d’amélioration autour d’un texte d’harmonisation maximale ciblée et recentrée sur l’essentiel des dispositions permettant au consommateur de tirer effectivement partie du marché intérieur

A. Le précédent de la directive sur les crédits aux consommateurs

L’exemple de la directive précitée 2008/48/CE sur les crédits aux consommateurs montre qu’une telle situation de blocage et d’incompréhension, pour des raisons similaires, n’est pas sans issue.

En effet, déposée en septembre 2002, la proposition initiale de la Commission européenne était d’harmonisation maximale, avec l’ambition de viser en la matière un niveau de protection particulièrement élevé.

En raison de l’opposition initiale tant des Etats membres que du Parlement européen, qui souhaitait une harmonisation minimale permettant aux Etats membres d’intervenir dans les matières concernées, la Commission a dû présenter à la fin de l’année 2005 une proposition révisée.

Finalement, après cinq ans et demi de travaux, la procédure a abouti. Le texte n’est plus d’harmonisation maximale que pour certaines de ses dispositions. Celle-ci est ciblée. Certaines souplesses ont été introduites.

Ce précédent montre la pertinence d’une telle approche pragmatique.

B. L’opportunité d’une harmonisation maximale ciblée, plus protectrice pour les consommateurs et laissant plus de flexibilité aux Etats membres, selon le principe de subsidiarité

En l’état, les débats montrent qu’il n’y a pas de perspective d’accord sur la proposition de la Commission européenne.

Néanmoins, sans être exagérément optimiste, il est d’ores et déjà possible, sans entrer dans le détail des modifications concrètes à prévoir, de concevoir les principales orientations d’un texte acceptable.

D’une part, le champ de l’harmonisation complète devra être restreint. Comme pour la directive relative aux crédits aux consommateurs, c’est sur la notion d’harmonisation ciblée avec un choix plus réduit et précis des éléments sur lesquels l’harmonisation sera maximale. Ce choix est d’ailleurs celui du BEUC.

D’autre part, et dans cette même ligne, il est nécessaire de faire davantage jouer la subsidiarité en faveur des Etats membres.

L’une des demandes de la France est d’inscrire explicitement dans le futur texte la faculté de faire bénéficier de la protection des consommateurs des organismes se trouvant dans une situation comparable, comme les associations. La réponse orale de la Commission européenne disant qu’un tel ajout n’est pas nécessaire n’est pas suffisante. Il convient d’apporter en la matière plus de clarté et plus de sécurité juridique à une question sensible.

Une autre demande concerne les informations aux consommateurs. Plusieurs Etats membres souhaitent conserver en raison des habitudes locales, leurs règles générales sur l’affichage des prix, notamment pour ce qui nous concerne, pour les artisans tels que les coiffeurs.

Enfin, une troisième évolution vise à recentrer le texte sur un point d’équilibre plus favorable aux consommateurs.

Pour répondre à ces enjeux, il convient de s’assurer que les dispositions d’harmonisation complète prévues permettront au consommateur de tirer bénéfice du marché intérieur.

Sur le fond, il doit être clair que le champ de l’harmonisation totale pourrait prioritairement porter, à conditions que des modifications y soient apportées et sous réserve que nos équilibres nationaux soient préservés, sur les définitions ainsi que certaines des informations précontractuelles et certains aspects du droit de rétractation comme, le cas échéant, des garanties.

En revanche, un domaine comme les clauses abusives doit rester plus largement que proposé de la compétence des Etats membres.

Par ailleurs, il ne faut pas à l’opposer écarter d’emblée l’idée de faire coexister pour le commerce électronique deux régimes juridiques possibles selon le choix du consommateur : d’une part, celui de son Etat membre, comme c’est déjà le cas ; d’autre part, celui qui serait défini au niveau européen, dans le cadre d’un contrat commun à tous les Etats membres.

Cette dernière hypothèse, d’un contrat européen pour le commerce électronique ou blue button (un bouton bleu permettrait d’opter sur Internet pour ce contrat), est a priori séduisante. Néanmoins, il faut s’assurer au préalable qu’elle ne crée pas pour le consommateur, même le plus averti, une complexité et une source de confusion insurmontables.

C. Un champ d’application à clarifier

L’un des enjeux majeurs de la proposition de directive concerne la clarification de son champ d’application. Les ambiguïtés sont actuellement réelles.

D’une part, certaines de ses dispositions visent sous certains aspects non seulement les biens mobiliers et les services, mais également les biens immobiliers, à travers la notion de « produit ». L’impact d’une telle insertion est très difficile à saisir.

D’autre part, des précisions doivent être apportées par rapport au champ d’application des autres directives. Tel est notamment le cas pour les services : comment les dispositions prévues pour les informations précontractuelles, qui concernent les services et sont prévues pour être d’harmonisation complète, peuvent-elles s’articuler avec l’article 22 de la directive « services » précitée 2006/123/CE sur l’information des consommateurs sur les prix, qui laisse des facultés d’intervention aux Etats membres ?

Enfin, la proposition de directive appelle aussi des clarifications pour certaines questions sectorielles. C’est par exemple le cas des ventes aux enchères. Les dispositions qu’elle prévoit ne sont pas nécessairement adaptées et, en outre, ne répondent notamment pas à la question des règles qui doivent s’appliquer pour définir et régir les « hébergeurs » d’enchères sur Internet , suivant la qualification que s’applique par exemple e-bay . C’est un sujet sur lequel une réflexion approfondie doit intervenir.

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L’exposé de Mme Marietta KARAMANLI , rapporteure, a été suivi d’un débat.

« M. Jacques MYARD . Je partage les orientations proposées par la rapporteure car le risque est celui d’un accord sur le plus petit dénominateur commun. Il faut se méfier de la machine européenne qui tend à tout uniformiser, comme cela a déjà été le cas en matière de commerce. Le droit européen étant très lourd, il est ensuite difficile de revenir en arrière. S’il s’avérait nécessaire de renforcer au plan national la protection des consommateurs pour quelque raison que ce soit, la directive proposée pourrait être un obstacle et finalement se retourner contre les consommateurs. Il faut se montrer d’autant plus prudent qu’il est particulièrement difficile de prévoir l’évolution des conditions de vente, comme l’a récemment montré le développement du commerce électronique. Il convient de se limiter à des principes généraux et de laisser une grande latitude aux Etats membres.

M. Marc LAFFINEUR . Je tiens à féliciter la rapporteure pour son travail. Je rejoins mon collègue Jacques MYARD , bien que je sois un grand Européen. J’estime en effet qu’il faut respecter les spécificités nationales en matière de droit de la consommation. Les cultures et les préoccupations des consommateurs étant très différentes, il est essentiel d’appliquer le principe de subsidiarité. Il est d’autant plus important de le dire que le traité de Lisbonne prévoit de donner de nouveaux pouvoirs aux parlements nationaux en la matière. Beaucoup d’Etats membres ont exprimé des réticences sur la proposition de directive. Il faut espérer que la commissaire européenne responsable de la protection des consommateurs ne se montrera pas trop intégriste.

M. Jérôme LAMBERT . Je félicite également la rapporteure. L’Union européenne n’en est encore qu’à une phase de proposition mais celle-ci semble mal engagée. Il est vrai que certaines formes de consommation et de commerce, comme le commerce électronique, ont une dimension supranationale et que l’intervention communautaire peut être justifiée.

M. Jacques MYARD . Le droit international privé s’applique : le droit du contrat est celui du pays du consommateur.

M. Jérôme LAMBERT . Les habitudes de consommation et de commercialisation dépendent des cultures nationales. Je ne peux imaginer un monde où tout serait harmonisé. Je suis favorable à un droit protecteur mais pas forcément exclusivement européen. Il est nécessaire de suivre l’évolution des discussions.

Mme Marietta KARAMANLI , rapporteure. Lors des auditions, j’ai été étonnée de l’ampleur des critiques exprimées par mes interlocuteurs, universitaires, représentants d’associations de consommateurs, parlementaires européens, opposés à l’harmonisation complète et qui considèrent que la proposition ne défend pas les consommateurs mais plutôt les professionnels. De plus, il existe des incohérences dans la rédaction du texte. La rencontre interparlementaire du 2 avril a montré que la France n’était pas isolée. Des parlementaires de nombreux autres Etats membres ont exprimé des réticences, ce qui est important dans les discussions avec la Commission européenne. Il est essentiel de respecter les spécificités de chaque Etat. Il convient de procéder à une harmonisation ciblée, par le haut et non vers le bas. Le commerce électronique ne représentant que 7 % du commerce total, une harmonisation générale n’est pas justifiée. Il faut garder la possibilité de maintenir le droit national s’il est en avance.

M. Gérard VOISIN . Lorsque je lis, dans votre communication, que « les trois plus grandes puissances économiques industrielles actuelles, ayant une certaine ancienneté, les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne, se sont construites sur des entreprises qui ont misé sur la qualité, la recherche et le développement, en résumé sur de meilleurs produits et brevets », je m’interroge sur la prise en compte par la proposition des spécificités liées à l’importance de la grande distribution. Celle-ci est particulièrement forte en France et elle engendre des inégalités.

Mme Marietta KARAMANLI , rapporteure. La proposition ne contient pas de dispositions spécifiques sur la grande distribution. Elle se place du point de vue du consommateur, sans d’ailleurs forcément défendre ses droits.

M. Jacques MYARD . Le consommateur est-il mieux protégé vis-à-vis des grandes surfaces ?

M. Marc LAFFINEUR . La spécificité de la France en matière de grande distribution invite à se montrer encore plus prudent sur la proposition de directive.

M. Jacques MYARD . Pour la première fois, notre Commission acte le principe de subsidiarité, je souscris donc aux orientations proposées par la rapporteure. »

Sur proposition de la rapporteure, la Commission a ensuite approuvé les conclusions demandant, à ce stade, une modification du texte sur la base des trois principes suivants : une harmonisation ciblée ; une plus grande souplesse en faveur des Etats membres, dans le sens du principe de subsidiarité ; une protection accrue pour le consommateur .