Assises sur l'avenir de l’Europe
7 et 8 novembre 2001
à l'Assemblée nationale

Comptes rendus provisoires des débats

1. - Séance d'ouverture

Allocution de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale, à l'ouverture des Assises, le 7 novembre 2001

Allocution de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes

Allocution de M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne

2. - Forum : "Quel contenu pour l'Union européenne ?"

3. - Forum : "Quelle architecture institutionnelle pour une Union élargie ?"

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Pierre MOSCOVICI, Ministre délégué chargé des Affaires européennes

C’est un très grand plaisir pour moi d’être ici pour participer à ce grand débat sur l’Europe, lancé conjointement par le Premier ministre et par le Président de la République. Ce débat doit associer à nos yeux toutes les composantes de la société civile. Ma plus grande satisfaction réside d’ailleurs dans le fait que c’est de toute évidence en France, au sein de l’Europe, que le débat aura été le plus nourri et le plus structuré, notamment au travers des forums qui se sont déroulés dans toute le pays depuis le mois de juillet dernier. Y ayant participé, la première leçon que j’en retire est qu’il ne faut pas se fier aux idées reçues, concernant l’Europe : celle-ci intéresse et fait apparaître une grande diversité de points de vue.

Je souhaiterais insister en quelques mots sur le caractère historique du processus lancé à Nice. En effet, la réflexion sur l’avenir de l’Europe que nous y avons engagée se distingue nombreux des débats précédents pour des raisons de fond et de forme : d’une part, nous sommes à la veille d’un élargissement de l’Union qui marquera la réunification historique du continent. D’autre part, cette imminence va de pair avec des avancées sans précédent dans la construction européenne. Je pense notamment à l’euro, à la défense européenne ou aux affaires de justice et de sécurité européenne, qui connaissent une véritable révolution, notamment sous la pression des évènements du 11 septembre dernier. Dans le même temps, les attentes de nos concitoyens sont de plus en plus fortes et diverses. Les défis auxquels est confrontée l’Europe sont donc considérables et se résument en une question : quelle Europe souhaitons-nous faire ensemble ?

Pour y répondre, il était à l’évidence indispensable d’interroger les citoyens. C’est le sens même de la méthode que nous avons définie à Nice, et qui constitue une première dans l’histoire constitutionnelle européenne. La refonte des institutions sera en effet la conclusion d’un processus en trois temps : le débat public, la synthèse de ces débats au niveau européen et la tenue d’une nouvelle conférence inter-gouvernementale (CIG), dont le Conseil de Laeken de décembre prochain devra notamment préciser l’enceinte qui sera chargée de la préparer. Par ailleurs, un consensus s’est dégagé sur la nécessité de mettre en place une nouvelle convention. Nous étions dès l’origine favorables à cette formule. La composition de la future convention devrait ainsi réunir des représentants des Etats, des parlements nationaux, du Parlement européen et de la Commission.

Lorsque le débat sera lancé et formalisé dans le cadre de la convention, il sera important que le dialogue se poursuive au sein de toutes les composantes de la société civile, qui pourra y être représentée par des représentants d’associations, par exemple, dont les contributions seront versées au débat. La convention devrait engager ses travaux le plus rapidement possible, au cours du premier semestre 2002, sous la présidence espagnole. Un consensus s’est formé pour qu’elle débouche sur la formulation d’orientations, qui constitueraient autant d’options. Le moment donné, c’est la CIG qui devra décider, à l’unanimité, des modifications de la Constitution à mettre en œuvre, qui devront alors être approuvées par les peuples.

Une question demeure : celle du mandat de la convention. Une large convergence de vues se dessine, là aussi, sur la proposition belge consistant à suivre la trame des quatre thèmes proposés lors du sommet de Nice, en associant les citoyens le plus largement possible à ce processus. Cette démarche me paraît précisément la plus pertinente et la plus respectueuse des attentes des citoyens. C’est d’ailleurs celle qui va structurer la discussion au cours de ces Assises.

Alain BARRAU,  Président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne

Nous commençons une réunion qui va se dérouler sur deux jours, à l’Assemblée nationale. Je voudrais tout d’abord remercier Raymond Forni d’avoir non seulement accepté, mais aussi porté cette idée au sein de notre Assemblée. Je souhaite également remercier Pierre Moscovici, d’abord parce qu’il est toujours disponible pour participer à un dialogue entre le gouvernement et le parlement sur ces questions européennes, mais également parce qu’il a bien voulu faire en sorte qu’un rassemblement national, point d’orgue des forums régionaux, puisse se tenir ici à l’Assemblée. Cela me paraît un symbole très fort des valeurs démocratiques qui nous unissent.

En effet, le fait de favoriser l’expression des citoyens sur leur conception, leur vision, leurs attentes en matière d’Europe n’allait pas de soi. Longtemps, l’Europe a avancé. Depuis quelques années, elle continuait à avancer, mais en se demandant quelle direction elle devait suivre. Depuis Nice, en particulier, elle a choisi de se donner un temps de respiration démocratique. C’est pourquoi il est si important que cette réunion se tienne aujourd’hui et demain à l’Assemblée nationale.

Il y a quelque temps, nous avons conduit un travail comparable, quoique de moindre ampleur, à propos de la conférence de Doha, qui va débuter dans quelques jours. Là encore, les questions de commerce international ne sauraient être traitées comme si Seattle n’avaient jamais eu lieu : les citoyens souhaitent s’exprimer et il est de notre devoir de les écouter. L’Assemblée nationale doit être le lieu où une forme nouvelle de démocratie participative puisse s’élaborer. Cela n’empêche nullement les institutions représentatives et les ONG de s’exprimer : bien au contraire, elles tiennent toute cette place dans ce débat. Mais il serait pour le moins paradoxal que les parlementaires, qui sont élus pour représenter le peuple français, se tiennent à l’écart d’un tel débat. Si chacun d’entre nous, en prenant son café le matin, parlait de l’Europe, la démocratie y gagnerait sans doute beaucoup.

Si nous voulons donner une nouvelle ouverture à la construction européenne, si nous voulons entrer dans une ère véritablement nouvelle, il convient de prendre en compte les aspirations des uns et des autres. Le travail que nous conduisons au sein de la délégation de l’Assemblée nationale, les rendez-vous réguliers des " mardis de l’Europe ", ces Assises elles-mêmes ont tous en commun cette volonté d’associer au débat sur l’Europe de demain tous ceux qui souhaitent s’exprimer. Les Assises sur l’avenir de l’Europe n’ont pas d’autre objectif. Certes, de grands témoins, des experts seront là pour planter le décor en ouverture des six tables rondes qui émailleront cette journée. Mais c’est bien votre participation à tous qui est importante.

De la même façon, lors de la prochaine convention, nous entendons tenir compte de l’avis des représentants des exécutifs et des parlements des pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne. Nous avons souhaité préparé ce débat, dans notre pays, par des forums régionaux. La France, grâce à la décision prise en commun par le président de la République et le Premier ministre, est sans doute l’un des Etats membres où le débat a été le plus large et le plus ouvert. Un groupe de travail, animé par Guy Braibant, a été chargé de tirer une synthèse de toutes ces contributions.

Je le répète, l’objectif des tables rondes est bien de susciter les interactions et les échanges, même si nous avons prévu quelques interventions introductives. Je vous invite à en profiter pour vous exprimer aussi librement que possible. C’est le moment ! Je vous demande instamment de ne pas considérer cet appel comme une simple formule de convenance. Croyez bien que nous aurions été très capables d’organiser un colloque fermé si nous l’avions voulu… Mais ce n’est pas du tout l’esprit dans lequel nous avons conçu ces Assises, qui se veulent avant tout un forum, un espace de libre expression.

Forum – Salle Victor Hugo

Quel contenu pour l’Union européenne ?

Compétences et priorités d’une Union européenne élargie

Alain LAMASSOURE, Député européen

Je suis naturellement déçu de l’impossibilité de Jacques Delors d’être parmi nous aujourd’hui, d’autant plus que j’avais prévu de défendre une vision différente de la sienne. Je vais en tout cas tenter de vous présenter comment, à mes yeux, se pose aujourd’hui la question de la répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres, sujet qui n’a pas été abordé dans le cadre des instances de l’Union depuis 1957. Il est surprenant de constater que, durant longtemps, de nombreux beaux esprits ont en effet estimé qu’il était inopportun d’en débattre et que l’établissement d’une liste de compétences était de toute façon impossible. Je prétends le contraire. Ce sera d’ailleurs la tâche principale du Conseil de Laeken qui se tiendra au mois de décembre prochain et cette question occupera probablement la plus large part de l’agenda européen durant les dix-huit prochains mois.

Pourquoi un nouveau partage des compétences ?

Ceci est souhaitable, pour plusieurs raisons. En premier lieu, les textes européens actuels sont incompréhensibles pour les citoyens. En outre, après quarante années de construction européenne et de nombreux traités qui ont sans cesse ajouté des compétences à l’Union sans engager cette tâche, le besoin d’une mise à jour de ces compétences est clairement ressenti. En 1957, les promoteurs du Marché commun avaient en effet déjà en tête la perspective d’une union politique de l’Europe. Mais, dans le contexte de l’époque, ils ont engagé ce processus par ce qui semblait alors le plus facile à promouvoir : le commerce. Ce n’est aujourd’hui que nous envisageons de confier à l’Union des compétences centrales, telles que la monnaie – ce qui est déjà fait –, la défense ou les questions de politique extérieure. Dès lors, on peut se demander, parmi les questions d’actualité, si des sujets de préoccupation qui apparaissent aujourd’hui " secondaires ", doivent rester dans le champ des compétences de l’Europe.

Par ailleurs, il paraît de plus en plus nécessaire et légitime de donner voix au chapitre à des acteurs de la société qui n’ont pu suffisamment s’exprimer jusqu’à aujourd’hui. Ceci concerne en particulier trois catégories d’acteurs à mes yeux : les Etats d’Europe centrale et orientale, les régions et les citoyens. La perspective d’élargissement de l’Union appelle en effet une attention plus grande portée aux attentes des pays qui pourraient nous rejoindre très prochainement. Les régions, quant à elles, ont, dans de nombreux Etats européens, des pouvoirs législatifs, mais dont l’étendue a pu se restreindre, au fur et à mesure de l’extension des compétences de l’Union dans les mêmes domaines. Enfin, vous toutes et vous tous, les citoyens, doivent être écoutés davantage dans la poursuite de la construction européenne.

Les attentes des citoyens seront désormais mieux connues, grâce au débat engagé depuis six mois en France. Mais nous en avons déjà une certaine connaissance depuis plusieurs années, avec les " euro-baromètres ", qui permettent de prendre régulièrement le pouls de l’opinion en France. Or il apparaît que nos concitoyens ont des idées très claires sur les compétences qui doivent demeurer celles de l’Union : la politique monétaire, la politique étrangère et de défense et la lutte contre la criminalité organisée (même avant les attentats du 11 septembre) sont clairement rangées dans cette catégorie. En revanche, la politique régionale, l’agriculture, l’enseignement ou encore la sécurité sociale devraient, à leurs yeux, rester de la compétence des Etats nationaux. Il serait bon de tenir compte de ces attentes.

Propositions

Trois catégories de compétences

Dès lors, nous devons nous orienter vers une clarification et une simplification de la répartition des compétences contenues dans le Traité. Je propose, pour ma part, de distinguer trois catégories de compétences :

Elles seront très peu nombreuses, essentiellement la politique commerciale commune et la politique monétaire.

Cette deuxième catégorie sera elle aussi très limitée : droit de la nationalité, pouvoir fiscal

De fait, désormais, nous avons mis en place un système où la plus grande partie des compétences sont partagées. On pourrait introduire ici une distinction entre les compétences partagées proprement dites et les compétences complémentaires, comme l’éducation, la santé ou le tourisme, où l’intervention de l’Union européenne ne peut être que complémentaire de celle des Etats membres.

Subsidiarité verticale et horizontale

Il convient également de mettre en place une hiérarchie des normes juridiques et d’appliquer le principe de subsidiarité aussi bien de façon horizontale que de façon verticale. Le principe de subsidiarité veut en effet que la décision soit prise à l’échelon politique le plus proche possible des citoyens. Mais il faut aussi distinguer entre les décisions qui relèvent des instances politiques et celles qui relèvent des autorités techniques. A l’heure actuelle, les instances politiques européennes sont conduites à se prononcer sur des normes techniques de sécurité ou de santé, qui devraient clairement relever d’une autorité technique commune, par exemple une agence européenne.

Création d’une Cour suprême

La sanction du respect de ce système de partage de compétences n’a pas été très satisfaisante jusqu’à présent. La Cour européenne de justice a en effet défendu davantage les compétences de l’Union que le principe de subsidiarité. Peut-être faudra-t-il, pour ce faire, envisager la création d’une Cour suprême.

Création d’un statut de région partenaire

J’aimerais, pour terminer, évoquer le rôle des régions. Celui-ci n’est pas évoqué dans le traité de Nice, qui postule que chaque Etat membre décide de sa propre organisation territoriale. Pourtant, d’ores et déjà les régions jouent un rôle très important dans l’organisation communautaire. Dans de nombreux pays, les régions sont dotées de compétences législatives : il apparaît logique qu’elles aient leur mot à dire lorsque leurs compétences doivent être transférées vers l’Union. C’est un problème qui ne peut pas se régler par le seul dialogue avec les Etats nationaux. De surcroît, il faut s’interroger sur ce qui va se passer lorsque, dans un avenir proche, de nombreux micro-Etats, tels que Malte, Chypre ou l’Estonie, vont intégrer l’Union. Ils seront alors représentés dans toutes les instances de l’Union, alors que leur population est inférieure à celle du seul Land de Bavière ou à celle de l’Ecosse. Aussi est-il temps de reconnaître, dans les traités, le statut de région partenaire de l’Union, en laissant les Etats membres libres du mode de désignation de ces régions partenaires.

Georges de RIVAS, président de la Maison de l’Europe, Ile-de-France

J’aimerais être davantage convaincu de la nécessité d’établir une meilleure répartition des compétences. Je croyais que l’Europe se voulait un espace où l’on supprimait les barrières. Or j’ai le sentiment que la nouvelle répartition des compétences que vous appelez de vos vœux revient à remplacer les fiefs territoriaux par des fiefs bureaucratiques. Et c’est le citoyen qui fera les frais de ces conflits entre différentes coteries et qui devra faire la synthèse de ces différentes cultures.

Monsieur TOULEMONT

Il est une raison manifeste qui s’oppose à la mise en place des propositions de Monsieur Lamassoure : c’est la résistance des Etats nations, dont la France. Pourra-t-on concilier les cultures politiques très différentes des uns et des autres ?

Monsieur HAOCAS, président d’association, étudiant

Parmi les compétences partagées, je suppose que Monsieur Lamassoure inclut la politique étrangère et la défense. Or nous en sommes encore à mille lieues ! Envisage-t-il une période de transition ? Par ailleurs, une instance indépendante, similaire à la Commission, me paraît absolument nécessaire en matière de politique étrangère, comme un élément de cohérence, d’impulsion et de représentation à l’extérieur.

De la salle

Vous avez évoqué les régions. Mais qu’en serait-il des TOM, comme la Nouvelle-Calédonie ?

Alain LAMASSOURE

Je ne crois pas du tout que la répartition des compétences dégénère en querelles de boutiquiers. Prenons l’exemple de la politique étrangère et de sécurité commune : après les attentats du 11 septembre, nous sommes quasiment en état de guerre. Dans ces circonstances, il est vital pour le citoyen européen de savoir qui doit s’exprimer au nom de l’Union ! Doit-on laisser perdurer la situation actuelle, et laisser chaque pays jouer sa partition personnelle ? Souhaite-t-on voir se répéter le spectacle lamentable du récent dîner chez Tony Blair ou bien, comme le souhaitent 80 % des citoyens européens, mettre en place une véritable politique étrangère commune ? Il est d’ailleurs paradoxal que la politique étrangère ne soit toujours pas une compétence commune, dans la mesure où c’est sans doute la compétence la plus évidente, la plus facile à mettre en place, et celle qui correspond le plus largement au souhait des citoyens européens.

En matière de défense, la situation n’est guère meilleure. La France s’enorgueillit d’un unique porte-avions, tout comme l’Italie et l’Espagne. Le Royaume-Uni, de son côté, possède quelques petits bâtiments porte-avions, pour mettre en œuvre ses avions à décollage vertical Harrier, et envisage d’en commander deux nouveaux, plus gros que le Charles-de-Gaulle, qui entreraient en service dans une quinzaine d’années… Tout cela est ridicule. Je crains fort que ce soit seulement sous la contrainte d’événements extérieurs dramatiques que nos gouvernants acceptent la nécessité de faire un saut qualitatif.

A propos de la Nouvelle-Calédonie, je propose qu’il soit confirmé que l’Union européenne est une union d’Etats, mais d’ajouter que cette Union travaille aussi avec des partenaires, siégeant dans un organe tel qu’un comité des régions rénové, et dotés de quatre ou cinq droits ou pouvoirs essentiels reconnus par l’Union. Je propose également que l’on laisse les Etats membres libres de désigner ces régions partenaires. En Allemagne, tous les Länder paraissent éligibles. En Espagne, il y aurait au moins les communautés autonomes. Le Portugal se contenterait de désigner ses îles. La France, à tout le moins, désignerait ses TOM, et peut-être d’autres. Je crois que cette formule, tout en respectant la subsidiarité et les prérogatives des Etats, permettrait de donner aux régions européennes une visibilité auxquelles elles aspirent légitimement.

Jean VIDAL, Secrétaire général du SGCI

Je suis en charge de questions européennes depuis près de trente ans maintenant, ce qui m’offre un point de vue personnel sur les modalités de la construction européenne. C’est d’ailleurs à titre personnel que je m’exprimerai pour porter la contradiction à Monsieur Lamassoure. Deux questions me semblent constamment posées à propos de l’Europe : pour quoi faire et qui fait quoi en Europe, posant respectivement la question du contenu et celle des compétences. Nous voyons que la question des contenus est variable dans le temps, comme l’a illustré M. Lamassoure : la demande d’Europe s’est peu à peu étendue à partir du secteur du commerce et cette évolution dans le temps a pour corollaire le risque de figer les compétences de l’Union dans le temps, si l’on souhaite les définir par trop précisément, à travers des textes ayant vocation à s’appliquer dans le long terme.

La situation actuelle est très complexe, sur le plan de la répartition des compétences entre l’Union et ses Etats membres. Certaines sont exclusivement portées par l’Union (le commerce, l’agriculture ou la monnaie). D’autres sont partagées, comme le domaine social ou les questions environnementales, pour lesquelles l’Union fixe des normes minimales auxquelles doivent se conformer les Etats. Enfin, il existe le domaine intergouvernemental, qui constitue un champ de coopération des Etats à leur plus haut niveau exécutif. La clarification des compétences, dans ce cadre, ne me semble ni possible ni opportune. Elle me paraît en effet impossible car la construction européenne est toujours en devenir : si la France peut répartir les compétences de ses institutions nationales, il n’en va pas de même au niveau de l’Union, en raison du fait que l’Europe se bâtit jour après jour.

La règle du jeu ne peut donc être que provisoire et doit perpétuellement s’adapter à l’évolution de cette construction. Pourquoi devrait-on définir une fois pour toutes une répartition des compétences pour répondre à un contenu qui est toujours en évolution ? En outre, la complexité des textes européens pose de nombreuses difficultés mais semble difficilement évitable. Le risque de figer la construction européenne à un moment donné et que l’on entrave son développement futur existe donc bel et bien. D’ailleurs, si l’on en fait l’expérience de pensée, l’actualisation des compétences de l’Europe, il y a dix ou quinze ans, nous aurait sans doute conduits à placer la monnaie parmi les compétences nationales.

Pour conclure, j’aimerais vous livrer une prévision tirée de mon expérience. Le thème de la répartition des compétences va être débattu lors de la prochaine CIG et donnera probablement lieu à de riches débats. Néanmoins, ceux-ci peuvent comporter un risque de régression : il est en effet vraisemblable qu’une partie des participants demande que l’on revienne sur certaines compétences allouées à l’Union, par exemple dans le domaine agricole ou dans celui de la chasse. Des oppositions fortes pourraient donc se faire jour, non seulement au sein des Etats mais aussi entre les Etats membres. Finalement, il pourrait résulter dans le texte qui résultera de ces débats un simple " habillage " sous la forme d’un texte clair et compréhensible, qui ne pourra toutefois nous dispenser d’un Traité complémentaire ultérieur, qui serait alors certainement tout aussi complexe que ceux que nous connaissons, compte tenu de la complexité du droit. Enfin, il me paraît important de conserver la souplesse quant à un élargissement futur des compétences de l’Union à des domaines qui ne paraissent pas aujourd’hui relever des attentes du citoyen : cette appréciation peut toujours évoluer.

Jean-Pierre GOOZY, directeur politique de la revue L’Europe en formation

Je crois que Monsieur Vidal a très bien exprimé les réserves d’un Etat nation qui ne souhaite pas perdre ses prérogatives. Pourtant, le débat constitutionnel, sous-jacent dans les institutions européennes, ne pourra être évité et il pose inévitablement la question des compétences.

Javier ELORZA-CAVENGT, ambassadeur d’Espagne en France

Il est vrai que les conclusions du sommet de Nice posent de nouvelles questions à l’Union, par exemple dans le domaine de la défense ou dans celui de la justice. Mais de tout cela il n’y a pas la moindre trace dans le débat actuel. Singulièrement, la conférence inter-gouvernementale qui est en préparation n’est pas orientée dans cette direction, puisqu’elle vise l’élaboration d’un traité cadre délimitant les compétences de l’Union. Or tracer des frontières ne peut générer qu’une limitation, là où nous avons besoin d’une vision plus large.

Monsieur CARDOT, ministère de la Défense, chargé de mission Europe

Je serai moins catégorique que Jean Vidal sur la question de la répartition des compétences. En France, nous avons voté cette année, au niveau local, à travers les élections municipales. Ceci nous a fourni l’occasion de réfléchir à l’articulation des compétences entre la commune, les communautés de communes et les agglomérations. A cet égard, le projet de loi de M. Chevènement posait clairement la question de la répartition des compétences, en distinguant les compétences facultatives des compétences obligatoires. Il me semble intéressant de souligner la capacité dont nous avons ainsi fait preuve à aborder ce thème au niveau national. Nous pouvons dès lors nous demander pourquoi nous paraissons incapables de traiter de la même question au plan européen. Y a-t-il là une contradiction et quelles en sont les raisons ?

Marianne COWDY, étudiante

Pour ma part, je trouve presque choquant que Jean Vidal nous alerte quant aux risques d’un débat sur la répartition des compétences, qui résideraient dans une possible remise en cause de ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui : cette remise en question n’est-elle pas légitime si elle émane des citoyens ?

Jean VIDAL

Pour répondre à la question posée précédemment, la différence entre une situation nationale et le contexte européen réside notamment, à mes yeux, dans le fait que les nations sont des entités enracinées dans l’Histoire depuis longtemps et sont en quelque sorte des constructions " achevées " pour cette raison. Il n’en va pas de même pour l’Union européenne, qui va sans doute, par la nature même de cette construction, encore fortement évoluer dans les décennies qui viennent.

Par goût du débat, j’ai un peu durci ma position, dans le dessein de donner une contradiction plus nette à Alain Lamassoure. Cela dit, je n’ai jamais dit qu’il ne fallait pas débattre de ces questions. Au contraire, il faut débattre de la répartition des compétences, et nous le ferons, au moins jusqu’en 2004. Simplement, les résultats de cette réflexion, selon moi, seront assez peu différents de la situation actuelle. La construction européenne, par nature, est un processus complexe, et il est peu vraisemblable que cela débouche sur une véritable simplification de la répartition des compétences. Ce qui importe davantage, à mes yeux, c’est de trouver la manière de créer ce que le Premier ministre a appelé un " espace politique européen ".

Paul THIBAUD, Ancien directeur de la revue Esprit

Je suis un peu déconcerté, d’abord d’avoir à participer à un débat de spécialistes avertis de la chose européenne, ce que je ne suis pas, ensuite d’avoir affaire à d’autres contradicteurs que ceux qui étaient initialement prévus. D’avance, je vous prie donc d’excuser le décalage des mes propres, tant sur la forme que sur le fond.

Je ne suis donc pas un mécanicien de l’Europe : je ne sais pas s’il faut changer le carburateur ou bien rajouter un cylindre… Je suis néanmoins surpris qu’Alain Lamassoure, après avoir insisté sur la nécessité de clarifier la répartition des compétences, poursuive en indiquant que la plupart d’entre elles seraient partagées. Cela me paraît assez contradictoire.

A mon sens, le problème de l’Europe n’est pas celui de la répartition des compétences, qui n’est finalement qu’une modalité. Le problème de l’Europe, c’est celui du décalage, de la disjonction entre le niveau des valeurs politiques fondamentales, des croyances et des identités, à savoir celui des nations, et le niveau d’exercice du pouvoir. Comment mobiliser les identités nationales au bénéfice d’une construction européenne qui, par certains côtés, les dépassent ? Tel me semble être le principal problème auquel nous sommes confrontés. A mon sens, il ne sera possible de mobiliser les nations que si elles se sentent sécurisées. Comment les nations actuelles consentiraient-elles à s’investir davantage dans le processus européen alors que les fédéralistes annoncent leur mort ? Personne au monde ne saurait consentir à sa propre mort !

Plus que de répartir les compétences, il s’agit donc d’identifier l’objet politique de l’Europe. L’Europe aurait clairement besoin d’un moment socratique de réflexion (connais-toi toi-même). Cela suppose que l’on rompe avec le " continuisme " européen. Selon la Genèse, Dieu a créé le monde en six jours : le septième jour, il s’est arrêté pour considérer sa création et se demander s’il avait bien agi. Les européistes, eux, sont beaucoup plus forts que Dieu, puisqu’ils ne conçoivent pas que la construction européenne puisse s’arrêter, ne serait-ce qu’un instant.

L’Europe, jusqu’ici, a surtout progressé aux dépens de la politique. La construction européenne, contrairement aux idées couramment répandues, s’est faite non pas sous l’impulsion d’un enthousiasme politique pour l’idée européenne, mais par la montée de la défiance vis-à-vis des Etats nations. C’est une culture de la plainte, une culture de la récrimination qui s’est imposée. Nous sommes dans une culture où dominent les instruments de l’individualisme que sont le marché, la demande de droit et l’opinion, que l’on n’ose même plus qualifier de publique. Pour comprendre le paradoxe de la situation actuelle, il suffit de considérer que ceux qui demandent un droit au plan national sont maudits, alors que ceux qui font la même demande au nom d’une minorité sont applaudis.

Les nations sont donc les grandes perdantes de la construction européenne. Jean-Marc Ferry, après son maître Habermas, a évoqué l’émergence d’un patriotisme constitutionnel européen, qui viendrait remplacer les identités nationales pénitentes. Après les attentats du 11 septembre, les Américains ont aussitôt réagi par un regain de patriotisme. Comment s’étonner, dès lors, de l’absence de réaction des Européens, puisque l’Europe s’est justement appliquée à détruire les patriotismes nationaux ? Peu importe, en réalité, que nos gouvernants ne sachent même pas s’entendre sur un plan de table. Le fait est que si l’on s’interrogeait d’abord sur ce que nous avons à faire en tant que Français, et non pas en tant qu’Européens, les énergies politiques seraient sans doute beaucoup plus créatives.

L’Europe est donc un instrument fabriqué avant tout pour les individus, pour leur permettre de se libérer des contraintes étatiques. Dès lors, avant de chercher à aller plus loin, il me paraît essentiel de réconcilier l’Europe avec les nations qui la composent. J’évoquerai simplement quelques pistes allant dans ce sens.

La première, la plus importante à mes yeux, a trait à la dignité institutionnelle des nations. Je suggère que les parlements soient impliqués, de façon beaucoup plus sérieuse, dans la fabrication des directives européennes, quitte à accroître la complexité du système. Nos gouvernants ont déjà beaucoup trop abusé des modes de contournement des institutions démocratiques. La démocratie vaut bien que l’on complique un peu la vie des gouvernants. De plus, j’estime qu’il est temps de rétablir un contrôle de la constitutionnalité des droits nationaux dérivés du droit communautaire. Si le droit européen est considéré comme supérieur à la constitution française, la dignité de la nation française se trouve directement menacée. L’Europe, il faut le rappeler, n’est pas une fédération. Les institutions européennes n’ont pas la légitimité d’une fédération.

En définitive, plutôt qu’une constitution européenne, il faudrait se préoccuper d’élaborer un programme européen. Que voulons-nous faire ensemble ? Quelles sont les contraintes que nous sommes prêts à accepter ? C’est donc dans la restauration de la légitimité des nations que se trouve l’avenir de l’Europe.

Alain BARRAU

J’aimerais réagir sans tarder à ce que vous avez dit : en tant qu’Européen, je ne souhaite pas assumer la responsabilité de quelqu’un qui agirait contre la patrie ou contre la nation. Par ailleurs, dans ma démarche politique, j’ai le souvenir fort de François Mitterrand, devant le Parlement européen, concluant par ces mots : " le nationalisme, c’est la guerre ". A mes yeux, il est vrai que les nations, ont souvent été reléguées au second plan, au profit d’une idéologie qui a utilisé l’Europe pour se développer.

Pour autant, la perspective tracée est claire : nous partons des nations pour construire quelque chose ensemble. Personne ne prétend à l’existence d’une nation européenne. Mais le débat public sur le continent peut redonner de l’espace aux choix nationaux pour l’Europe. Il s’agit à mes yeux d’un enjeu de premier plan. A cet égard, l’utilisation par les gouvernements de moyens de contournement des parlements nationaux, que vous avez évoquée, est également une réalité qu’il faut dénoncer. Mais des mesures ont été prises pour inverser cette tendance et l’on peut espérer que cette situation ne perdure pas trop longtemps.

Il me paraît très important de souligner que si l’Europe a joué le rôle de cache-sexe pour diverses idéologies dénigrant le rôle de l’Etat, l’ensemble de la construction européenne n’est pas pour autant destiné à détruire les nations, les Etats et leur histoire. Il est très important et hautement significatif que des peuples européens qui se sont battus pendant des siècles pour leur souveraineté affirment aussi leur volonté de participer à un processus de construction européenne. Vous venez de dénoncer avec pertinence une certaine utilisation de l’Europe, qui ne doit plus avoir cours. Il nous reste à dire quelle Europe nous voulons construire.

Guillaume HALGAND, étudiant à Paris VI

L’une des raisons pouvant expliquer la distance ressentie entre de nombreux citoyens et l’Europe, réside à mon avis dans le fait que de nombreux de nos concitoyens se sentent citoyens du monde, plus que citoyens d’une nation ou même de l’ensemble européen. L’Europe doit sans doute être pensée avant tout comme un outil, plutôt que comme un ensemble d’Etats européens, qui nous rapprochent nécessairement d’un risque, même lointain, de renfermement sur nous-mêmes et du spectre du fascisme. Par ailleurs, ces Assises me semblent une excellente initiative. Mais l’information sur ce type de manifestations et sur l’Europe d’une façon plus générale me semble encore largement insuffisante dans la population et souvent réservée à un cercle relativement étroit de citoyens.

Jeanne GILLOT, Mouvement européen France (Dijon)

Où en est-on de la ratification du traité de Nice ? Quel est l’avenir de la Charte des droits fondamentaux dans les institutions européennes ?

Traore MOUSSA, dirigeant associatif et étudiant à l’université Paris VIII

La façon dont l’Europe se construit est marquée par un certain nombre de dérives, comme nous en avons eu des illustrations, par exemple à travers la concertation franco-allemande sur des questions touchant l’ensemble de l’Europe, ou à travers le " mini-sommet " qui a eu lieu au 10 Downing Street dimanche dernier. Par ailleurs, la proposition de Gerhard Schröder pour une fédération d’Etats en Europe me paraît intéressante mais semble avoir été délaissée : où en est ce projet ?

Madame STAHAN, présidente de l’association des étudiants croates en France

L’Europe est à mes yeux un pilier de la culture occidentale. Elle ne doit pas perdre son âme, qui réside dans ses valeurs éthiques fondamentales. C’est aussi la raison pour laquelle la clarification des compétences me semble indispensable, lors de chaque pas que fait la construction européenne, afin de ne jamais perdre de vue le nécessaire esprit de responsabilité qui doit l’animer. Je voudrais, pour conclure, souligner que la Croatie fait partie de l’Europe depuis toujours et constitue une pièce indispensable du puzzle européen.

Françoise BELET, conseillère régionale Ile-de-France

Ce débat est extrêmement intéressant et de très haut niveau. Cependant, j’ai le sentiment que l’Europe pèche souvent par manque d’actions concrètes. C’est sans doute l’une des priorités nouvelles qu’elle devrait se fixer. J’aimerais en donner une illustration, à travers les programmes d’échanges et de mobilité de jeunes européens. Ils contribuent, très concrètement, à forger une citoyenneté européenne, sans du tout remettre en cause les identités nationales. Ces programmes sont d’autant plus importants qu’ils concernent aussi bien des étudiants que de jeunes travailleurs et des demandeurs d’emploi.

Par ailleurs, parmi les intervenants de ces Assises, j’ai dénombré 24 hommes et 5 femmes. C’est une répartition que l’on retrouve dans la plupart des colloques consacrés à l’Europe et au niveau des institutions européennes. Pourtant, le principe de l’égalité des femmes et des hommes est inscrit dans la constitution et dans la charte européenne des droits fondamentaux. Pourquoi n’est-il pas mieux respecté ?

Camille DARSIERES, député de Martinique

J’aimerais quant à moi revenir sur la question des DOM. La France, en ratifiant le traité de Rome, a entraîné de fait ses départements d’outre-mer dans l’Union européenne. A l’époque, d’ailleurs, sept parlementaires d’outre-mer sur dix avaient voté contre la ratification. Aujourd’hui, il n’en irait sans doute plus de même. L’article 299.2 du traité d’Amsterdam, en effet, reconnaît aux régions ultrapériphériques, comme les départements français d’outre-mer, un handicap structurel permanent, et donc un droit permanent à un traitement dérogatoire.

Le PNB moyen par tête de l’Union européenne atteint 21 246 dollars. Il n’est déjà plus que de 11 248 dollars pour la Martinique. Mais que dire des pays d’Europe centrale et orientale qui frappent à la porte de l’Union, comme la Pologne, où il est proche de 3 200 dollars, ou la Bulgarie, où il dépasse à grand peine les 1 000 dollars par habitant ? Que va-t-il se produire après l’élargissement ?

Très probablement, les transferts du nord vers le sud de l’Europe, qui étaient la règle jusqu’ici, se déplaceront. La grande masse des transferts se fera désormais de l’ouest vers l’est. Dès lors, quelles garanties peut-on donner aux départements d’outre-mer, dont les craintes m’apparaissent fondées ? Rien n’oblige par exemple à inclure l’outre-mer dans un conseil consultatif de région. De manière générale, il n’existe aucune obligation légale ou constitutionnelle d’assurer la représentation de l’outre-mer. Dans la pratique, les fonctionnaires de Bruxelles ne tiennent pas compte de l’article 299 que j’ai évoqué. C’est pourquoi je suggère la création, dans le prochain traité, d’une instance permanente qui permette de tenir compte de façon beaucoup plus concrète de l’ensemble des régions d’outre mer, bien au-delà des seuls DOM-TOM français.

Alain BARRAU

Permettez-moi de vous donner quelques éléments qui devraient vous rassurer. D’abord, nous avons clairement signifié, dans notre rapport, la nécessité de la solidarité nationale vis-à-vis des départements et territoires d’outre-mer, pour tenir compte de leurs particularités. En deuxième lieu, il me semble nécessaire de modifier le mode de désignation des parlementaires européens, pour introduire au moins une dose de représentation régionale. Tout cela est évidemment essentiel. En revanche, je ne suis pas de ceux qui pensent que cette nécessaire prise en compte des régions ultrapériphériques s’oppose à l’élargissement de l’Union ! A quoi ressemblerait une Europe " réunifiée " dont la République tchèque et la ville de Prague, l’un des symboles de l’Europe, seraient exclues ?

Madame GALABERT-AUGE, association des femmes de l’Europe méridionale

Je voudrais d’abord vous remercier pour le point de vue selon lequel le déséquilibre entre hommes et femmes ne doit pas être seulement évoqué par les femmes : l’inversement de cette tendance doit être le fait d’une société mixte et les appels dans ce sens doivent donc être relayés par des institutions mixtes. Jusqu’à présent, il me semble que les intervenants ont principalement traité des compétences, beaucoup plus que des priorités de l’Europe. Paul Thibaud a évoqué la construction d’une entité qui doit mobiliser et dépasser les Etats. L’idée d’une évolution de la démocratie, en particulier vers une démocratie participative, a également été entendue.

Mais la démocratie doit aussi, à mes yeux, être paritaire. Il est salutaire que, dans la Charte dont l’Europe s’est dotée il y a un an, soit d’ailleurs clairement énoncée le principe d’égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines. Les institutions européennes devront être paritaires et je souhaite que vous pesiez de tout votre poids pour que la convention qui va débattre des options à retenir lors de la CIG représente harmonieusement les hommes et les femmes de l’Union.

Alain BARRAU

Cet objectif est légitime, même s’il sera sans doute difficile à atteindre. Cela dit, la loi sur la parité est déjà entrée en application et ne semble pas fonctionner si mal. Par ailleurs, je voudrais dire un mot de la convention et de la Charte. Celle-ci, proclamée à Nice, constitue un texte de référence au sein de l’Union, reconnu par les Quinze. Il est une base de relations avec d’autres pays candidats. En outre, si un texte constitutionnel devait être élaboré, on peut imaginer que ce texte constitue son introduction. Cela fera sans doute partie des sujets qui seront débattus lors de la convention. Le débat de fond que nous voyons apparaître dans cette discussion illustre bien, plus généralement, la richesse de la période qui s’ouvre et qui nous conduira jusqu’à 2004.

Michel SERGENT, professeur agrégé de lettres en retraite

Un des principaux freins à la progression de l’Europe est constitué, de mon point de vue, par les arrière-pensées entre les souverainistes, qui s’accrochent à la souveraineté nationale, et les " européistes ", qui refusent tout progrès émanant d’une Europe des Nations, en raison d’une volonté exclusive de dispositions ou de mesures supranationales.

Pour diminuer ces freins, les européistes et les souverainistes ne pourraient-ils s’accorder sur un point simple : demander l’incorporation du compromis de Luxembourg dans le futur traité, s’il y en a un ? En effet, cette incorporation permettrait à mes yeux de dissiper nombre des craintes ou des arrière-pensées qui peuvent exister. En outre, elle constituerait une sorte de filet de protection tendu sous la poursuite de la construction des institutions européennes.

Monsieur GLOWINSKI, étudiant

La recherche scientifique ne devrait-elle pas être un domaine de compétence de l’Union européenne ?

Christian RENTZSCH, cabinet de la secrétaire d’Etat au Logement

Je souhaite témoigner des relations européennes au sein du cabinet d’un ministère français, en l’occurrence le cabinet du Secrétariat d’Etat au Logement, au sein duquel j’exerce mes fonctions. Lorsqu’on participe aux réunions avec d’autres pays membres de l’Union, un handicap persistant apparaît souvent : la nécessité de l’unanimité, au sein de l’Union. Sur des questions très concrètes comme le droit au logement en Europe, par exemple, cette obligation empêche évidemment toute avancée réelle, en raison du veto que ne manque pas d’opposer l’un ou l’autre des Etats présents. Je pense donc que le recours à l’unanimité ne devrait plus être une règle incontournable dans le fonctionnement de l’Union.

Michel OTTAWAY, conseiller municipal de Paris

D’un côté, certains semblent avoir du mal à dépasser la notion de souveraineté nationale. De l’autre, j’entends ce jeune homme qui parle de citoyenneté du monde. Mais entre les deux, il y a l’Europe à construire ! Si l’Europe, qui partage nombre de valeurs fondamentales, n’arrive pas à se réorganiser en son sein, il me semble que cela augure mal de la réorganisation du monde. A cet égard, la formule de la fédération d’Etats nations me paraît très prometteuse. Il est évident que l’Union européenne n’a pas actuellement les moyens de devenir une fédération, comparable aux Etats-Unis. En revanche, il me semble que la création d’une fédération d’Etats nations, ayant la volonté de partager leur souveraineté, est à notre portée.

Monsieur MEYER

J’aimerais quant à moi évoquer la question de l’éducation, notamment de l’enseignement des langues. Chacun veut faire l’Europe, mais l’on ne se donne guère les moyens d’encourager le bilinguisme ou le trilinguisme. Même sur Arte, la chaîne franco-allemande, la plupart des programmes diffusés en allemand sont couverts par la traduction simultanée en français. Pourquoi ne pas clairement favoriser la diffusion de programmes sous-titrés, comme le font par exemple les pays nordiques ? Je serais donc personnellement favorable à ce que l’Union européenne s’investisse dans le domaine de l’éducation, tout particulièrement pour favoriser le bilinguisme.

Philippe ROYER, président de l’association Europe Etudiants

Jusqu’à présent, les débats ont été très techniques, quoique très clairs. Il a été surtout question de répartition des compétences. Mais sait-on que les citoyens français, dans leur grande majorité, ne connaissent pas les compétences dévolues respectivement à leurs conseils régionaux et généraux, ou sont incapables de citer les noms des parlementaires européens de leur propre région ?

Paul THIBAUD

Nous avons entendu de très nombreuses remarques, d’essence très différente. Je concentrerai ma réponse sur la première intervention, celle de l’étudiant qui se disait citoyen du monde.

J’observe avec intérêt la hantise, qui est celle de beaucoup de nos concitoyens, d’être " enfermé " dans une identité nationale. Oublie-t-on le monde parce que l’on se proclame d’une nation ? Je ne le crois pas. Le grand anthropologue Louis Dumont avait coutume de dire qu’il existait deux formes politiques primitives de la souveraineté : la tribu et l’empire. L’Europe, de son côté, a inventé un troisième terme : la nation. C’est une particularité, comme la tribu, mais qui n’est pas fermée, où l’on a conscience que la particularité se nourrit aussi des échanges avec ses voisins. Autrement dit, le fait d’être citoyen du monde n’est en rien antinomique avec le fait de se vivre comme le citoyen d’une nation.

Comme vous le savez tous, nous ne sommes pas nés dans un chou ou dans une rose. Nous sommes tous issus d’une famille, d’un quartier ou d’un village, d’une communauté, d’un pays, d’une nation. De ce point de vue, nous portons tous une dette. La montée de l’individualisme fait que l’on ne reconnaît plus cette dette. Pour ma part, je ne suis guère favorable à la charte européenne : je ne crois pas que l’on puisse construire un pays avec un ensemble de droits, qui seront surtout prétexte à de nouvelles plaintes et à de nouvelles récriminations. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est un idéal politique, et non pas un texte qui donne des droits.

Il ne suffit donc pas, pour résoudre un problème, fût-ce celui de l’égalité des hommes et des femmes, d’inscrire un principe dans un texte à portée universelle ! C’est sur les raisons qu’il faut agir. L’idéal de la société mixte et paritaire ne doit pas être confondu avec les moyens de faire vivre cette égalité. De la même façon, énoncer le droit à la santé ne signifie pas pour autant que l’on ait fermé tous les cimetières… En réalité, on confond, sous le nom générique de " droit ", des notions qui ne sont pas comparables.

De même, il faut introduire une distinction entre le niveau de la décision et le niveau de la volonté. Ce n’est pas parce que la décision est prise au niveau européen que la volonté politique, elle, ne peut pas se construire au niveau national. Si l’on continue à entretenir cette confusion, il demeurera difficile, longtemps encore, de faire vivre l’Europe.

Alain LAMASSOURE

A Monsieur Sergent, demandant l’incorporation du compromis de Luxembourg, je répondrai qu’il ne serait pas souhaitable à mes yeux de le conserver, particulièrement lorsque nous serons trente Etats dans l’Union, puisque ce compromis permet à un Etat de refuser l’application de tout accord, dès lors qu’il juge que ses droits fondamentaux sont en jeu. En revanche, la notion de constitution, qui permet de se mettre d’accord sur " qui fait quoi " dans l’Union, me semble d’une grande utilité même si, à l’évidence, on ne légifère jamais pour l’éternité et il faudra prévoir de revoir ce texte périodiquement.

Je suis d’accord avec le participant qui proposait que la recherche scientifique soit un domaine de compétence de l’Europe. Je suis également d’accord avec la proposition selon laquelle il est important de promouvoir un esprit commun et les échanges au sein de l’Union. L’apprentissage de deux langues étrangères me semblerait, à cet égard, salutaire. Il me semble qu’il serait également utile de proposer le rapprochement des enseignements d’histoire proposés à nos enfants.

Pour répondre enfin à Paul Thibaud, je ne sacralise rien, pas même la Nation. Je ne sais pas si la Nation est une invention européenne, même si cela ne me semble pas exclu. Toujours est-il que l’Europe ne se construit pas sur les Nations mais sur les Etats. Or, si ce n’est pas le cas concernant la France, il est fréquent que les Nations et les Etats soient des réalités dissemblables. Ainsi, l’Ecosse est une Nation mais n’est pas un Etat. Les pays d’Europe centrale sont également majoritairement dans ce cas : si la Hongrie est un Etat, par exemple, il ne s’agit certes pas d’une Nation.

Nous bâtissons l’Europe sur des Etats et non sur des Nations. Certes, nous avons du mal à imaginer que nous pouvons construire une institution sur plusieurs identités collectives. Mais pourquoi l’identité collective serait-elle exclusive ? Il me semble que nous mettons en place une société complexe qui ne correspond peut-être qu’à un moment relativement bref de l’histoire, et articulant plusieurs niveaux d’identité collective. Ainsi, si l’on prend l’exemple de la Catalogne, le niveau identitaire est celui de la Nation. Mais le niveau de la solidarité financière, celui de l’Etat, est différent. Et le niveau d’action collective, celui de l’Etat espagnol, est encore différent. Nous devons raisonner de la même façon au sein de l’Europe. D’ailleurs, il m’apparaît que le même raisonnement gagnerait aussi à être appliqué au niveau local dans notre pays. Nous devons pouvoir articuler des niveaux d’intervention et des niveaux d’identité qui sont distincts, allant par exemple de la commune à la région, en passant par l’échelon intercommunal.

Si nous ressentons toujours le même malaise chaque fois que nous parlons d’Europe, c’est parce que c’est le seul sujet politique sur lequel l’on ne demande jamais à l’électeur de trancher. L’Europe n’est pas un espace de démocratie. C’est un espace constitué de quinze démocraties, chacune exemplaire, mais qui, lorsqu’elles fonctionnent ensemble, le font de manière opaque et peu démocratique. Le traité de Nice a aujourd’hui fort peu de chances d’être ratifié, après son rejet par l’Irlande. A certains égards, je pense que ce refus est salutaire. Il montre que le temps est révolu où les gouvernants acceptaient de donner la parole aux peuples, pourvu qu’ils n’aient pas de pouvoir de décision ! Le texte qui sera issu de la convention, à mon sens, devra forcément être soumis à une consultation démocratique de l’ensemble des peuples européens, et personnellement je m’en félicite.

Quel modèle économique et social pour l’Europe

Alain BARRAU

Je souhaite rappeler en premier lieu que nous avons souhaité que le thème du modèle économique et social de l’Europe, qui est celui de cette table ronde, figure en bonne place sur l’agenda de l’Union européenne. Nous aurons ensuite à recouper les réflexions que nous allons ainsi conduire avec les travaux qui auront été menés sur l’architecture institutionnelle de l’Europe.

Huguette BRUNEL, CFDT

Vous me permettrez un bref détour par les questions institutionnelles. En effet, s’il est clair que la CFDT souhaite voir se renforcer une Europe sociale, nous appelons également de nos vœux une Europe politique. Ceci signifie, à nos yeux, que les institutions doivent être légitimes, démocratiques et efficaces. Nous devrons veiller en particulier à trouver des formes de participation des différentes composantes de la société civile. L’Union européenne, du point de vue de l’efficacité, ne doit pas se laisser dépasser par les effets de nombre. Surtout, elle doit disposer d’une réelle capacité de décision, ce qui pose la question du vote à la majorité qualifiée, pour lequel nous plaidons.

Les domaines où l’intervention de niveau européen est nécessaire sont de plus en plus nombreux et donner à l’Europe les moyens d’agir consiste à lui offrir une nouvelle dynamique. C’est dans le cadre d’un projet global, passant par la construction de l’Europe politique, que nous nous posons la question du modèle économique et social que nous souhaitons. L’intitulé même de la question résume d’ailleurs notre position : une Europe économique et sociale est notre objectif. L’Europe s’est d’abord construite sur l’objectif de la paix durable, puis sur la construction du marché unique et de la monnaie unique. Mais l’économie de marché ne peut à elle seule assurer mécaniquement l’égalité, l’équité et la juste répartition des fruits de la croissance. Nous voulons un modèle de développement pour l’Europe et si l’économie de marché peut y contribuer, le projet européen ne peut se réduire à un espace de libre-échange.

Les principaux fondements du volet social de l’Europe doivent trouver d’abord leur traduction concrète dans la garantie d’une protection sociale de bon niveau pour chacun. Un service public de qualité, réellement accessible par tous, constitue un deuxième objectif sur ce terrain. Mais l’Europe sociale suppose également la reconnaissance d’accords collectifs qui dépassent les intérêts particuliers. La négociation collective doit prendre sa place : celle d’un mécanisme de régulation égal à la loi. Par ailleurs, l’Europe syndicale existe désormais et rassemble les citoyens, au-delà de son rôle initial de lobbying. Le syndicalisme européen a en effet acquis une réelle capacité à négocier et à passer des accords.

Au chapitre de l’emploi, comment construire une action en faveur du plein emploi européen sans une harmonisation des politiques fiscales, qui autorisent les pratiques de dumping ? Enfin, avec la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice, les droits sociaux ont acquis la même reconnaissance que les autres droits et nous ne pouvons que nous en réjouir. Il reste à les inscrire dans les textes constitutifs de l’Union.

Ce modèle économique et social que nous défendons ne peut pas et ne doit pas être un modèle figé. Ce doit être un processus, en permanente évolution. Si nous sommes fidèles à nos objectifs, nous ne devons pas craindre de nous attaquer aux indispensables réformes, qu’il s’agisse de nos systèmes de retraite ou de la modernisation des services publics.

De plus, à travers ce modèle social, notre capacité solidaire doit être mobilisée au maximum, notamment les fonds structurels, pour contribuer à réduire les écarts entre les Quinze et les pays candidats. C’est à ce prix que nous pourrons évacuer cette menace que pourrait faire peser l’élargissement sur l’emploi dans nos pays.

Enfin, le modèle social européen doit permettre à l’Europe de peser en faveur d’une régulation économique et sociale de la mondialisation. L’Union européenne en a les moyens économiques et financiers ; elle pourrait, demain, en avoir la force politique.

Marie-Susie PUNGIER, Secrétaire confédérale de FO

Nous avons été des Européens particulièrement enthousiastes lorsque la construction européenne avait pour but d’assurer la paix. Au fil du temps, nous sommes devenus de plus en plus eurosceptiques, tant la prédominance de l’économie de marché dans l’Union européenne nous paraît constituer une menace pour les droits sociaux des travailleurs, qui nous placent pourtant parmi les sociétés les plus avancées.

Aujourd’hui, il nous paraît pour le moins difficile d’élaborer un projet social ambitieux dans un cadre économique qui laisse peu de place à une meilleure répartition des richesses. Je note que la richesse de l’Europe ne cesse d’augmenter, même dans le contexte économique que nous connaissons à l’heure actuelle. Les Etats membres vont-ils se donner les moyens d’élaborer un volet social sérieux, au service de tous les citoyens ? Au regard des efforts de déréglementation et des contraintes budgétaires qui découlent de la suppression de nos monnaies nationales, quelles marges de manœuvre reste-t-il aujourd’hui pour remédier au déficit social de l’Europe et pour permettre à l’Union européenne de se poser en contrepoids des abus, voire des excès du libre-échange mondialisé, et de participer à la réduction des inégalités entre le nord et le sud ?

La question est plus prégnante encore si on l’examine sous l’angle du thème de ce colloque : l’avenir de l’Union européenne. Ce débat, ô combien capital, reste malheureusement confiné à quelques interlocuteurs privilégiés, alors qu’il intéresse tous les citoyens. Au-delà, l’objectif est bien de dégager une orientation pour mettre en place un organe politique commun à tous les Etats.

Cela ne manque pas de soulever en nous de rudes interrogations quant aux transferts de souveraineté nationale qui risquent de s’opérer. Quelles prérogatives restera-t-il aux Etats pour assurer la liberté et l’égalité des citoyens ? Quel devenir pour les services publics ? Quelle évolution pour le système de protection sociale collective ? Quelles retouches seront apportées aux modes de relations sociales, à la hiérarchie des normes et au paritarisme, qui reste une exception française ? Quelle nouvelle approche de la représentativité des salariés ? La monnaie unique, ajoutée à l’élargissement de l’Union européenne, ne va-t-elle pas servir à la création d’un grand marché du travail mobile, flexible, et dominé par la politique de modération salariale en France ? Voici quelques-unes des questions qui nous tourmentent.

FO, pour sa part, revendique depuis longtemps un véritable modèle social, reposant tout d’abord sur le principe d’égalité, seul garant de la cohésion sociale. Education, santé, droit au travail, droit au logement sont les garanties fondamentales qui doivent permettre d’optimiser la qualité de vie de tous les citoyens de l’Union européenne. Il nous semble que ce modèle social est plus que jamais difficile d’accès, dans la mesure où les Etats se sont dessaisis des leviers qui leur permettaient de déclencher, à tout moment, des ajustements de politique sociale, des remises aux normes, pour adapter leur politique aux besoins évolutifs des citoyens.

A l’heure où l’on nous invite à discuter, à débattre et à réfléchir, il ne reste pour toute alternative qu’un modèle social universel, qui pourrait aboutir à un simple filet de sécurité, caractéristique des pays anglo-saxons, ce qui ferait du XXIème siècle le siècle de la régression sociale. Mais comme nous sommes optimistes, nous pensons qu’il est encore temps de donner un sens à la future Europe sociale. Les Etats-Unis eux-mêmes viennent-ils de s’apercevoir des vertus de l’Etat : il n’est jamais trop tard pour bien faire, c’est-à-dire pour rééquilibrer l’économique et le social.

Alain BARRAU

Je vous propose maintenant de donner la parole à la salle pour quelques réactions.

Henri BOUVET, ancien député

Madame Pungier, représentante de FO, nous a livré un propos très intéressant. Mais je crois qu’une équivoque doit être levée. En effet, il n’est un secret pour personne que FO représente majoritairement les intérêts des salariés du secteur public, tandis que les autres organisations syndicales en France (CFDT, CFTC, CFE-CGC) défendent majoritairement les intérêts des salariés du secteur privé. Ne serait-il pas plus simple de comparer les systèmes publics et privés ? L’éparpillement syndical et le clivage qui existe entre les fonctionnaires et les salariés du secteur privé me semblent devoir être posés clairement dans le débat et clarifiés.

Monsieur KORZENIEWSKI, responsable expert, Le Cercle de l’Entreprise

Je dirige une école d’un millier d’étudiants. J’ai parfaitement conscience que les étudiants travaillent souvent en CDD (contrat à durée déterminée) ou en CDI (contrat à durée indéterminée), selon une distinction révélatrice en elle-même. En fait, les jeunes paient les acquis sociaux de leurs parents. Par ailleurs, les organisations syndicales semblent avoir des difficultés à recruter parmi les jeunes. Comment ces mouvements peuvent-ils exercer une influence importante pour une Europe de jeunes qui paient aujourd’hui les acquis sociaux de leurs parents ?

Monsieur LERALU, chef d’entreprise, association franco-polonaise

Je suis surpris par le discours des syndicats. Le syndicalisme est réputé plus faible en France, au regard du syndicalisme allemand. Mais des discussions sont-elles menées des deux côtés du Rhin pour tenter d’élaborer des positions communes ou construire des unions plus fortes ?

Huguette BRUNEL, CFDT

Il est vrai que nous souffrons en France d’un certain éparpillement syndical. L’union nous donnerait assurément plus de force dans le mouvement syndical. Cela dit, l’ensemble des organisations syndicales françaises font partie de la Confédération européenne des syndicats. Or celle-ci est un peu en avance sur l’Europe en matière de décision, puisqu’elle peut désormais adopter des positions par un vote à la majorité qualifiée. Ainsi, lorsqu’une décision est prise, elle l’est sur la base d’un compromis, de façon démocratique. L’Europe permet donc aussi d’enregistrer des effets positifs dans le domaine du mouvement syndical.

Concernant le syndicalisme français, il est vrai que le taux de syndicalisation est faible, autour de 10 %. Mais les dispositions législatives de notre pays permettent d’étendre à l’ensemble d’une branche un accord de branche qui n’est pas nécessairement signé par l’ensemble des organisations syndicales. La faiblesse du taux de syndicalisation ne signifie donc pas la faiblesse dans l’action des syndicats. Enfin, je ne crois pas que les syndicats soient aussi mal placés que l’a dit un participant vis-à-vis des jeunes.

Marie-Susie PINGIER, FO

L’idée de syndicats défendant, pour les uns les intérêts des salariés du secteur public, pour les autres les intérêts des salariés du secteur privé, ne me paraît pas devoir être défendue. Pour autant, une analyse des services publics de différents pays européens est nécessaire, sur des bases évidemment comparables. La fonction publique française doit pouvoir être évaluée à l’aune des moyens qui y sont consacrés, par les impôts des citoyens, et à l’aune des services qu’elle rend. Une comparaison internationale des différents services publics pourrait donc se révéler tout à fait instructive. Cela dit, il faut garder à l’esprit qu’à la différence des pays d’Europe du Nord, nous ne pratiquons pas en France un syndicalisme de service : nous défendons un syndicalisme revendicatif.

Enfin, ouvrir un débat sur les difficultés rencontrées par les nouvelles générations, eu égard aux acquis sociaux de la génération précédente, serait à mes yeux le meilleur moyen de détruire la solidarité entre les générations, que nous ne cesserons pas de défendre.*

Jacques CREYSSEL, Délégué général du Medef

Je suis très heureux d’avoir maintenu ma participation à ces Assises sur l’avenir de l’Europe : le Medef a toujours été très européen, bien conscient que l’Europe est incontournable. On me demande de donner la position du Medef sur le modèle économique et social de l’Europe. Mais qu’est-ce qu’un modèle ? J’espère que ce modèle n’est pas un patron, comme pour les travaux de couture … Pour nous, un modèle est avant tout un ensemble de bonnes pratiques, validées par l’expérience. A cet égard, le modèle européen nous paraît devoir remplir trois conditions.

Une Europe favorable au développement économique

Nous avons créé l’euro, au moment même où se développaient les outils internet, qui sont en train de révolutionner totalement les modes de travail en Europe. Demain, les entreprises vont changer d’espace : elles ne seront plus en France, mais en Europe. Elles vont aussi changer de concurrents : avec l’euro, les prix seront instantanément comparables, mais aussi le niveau des prélèvements obligatoires, le montant des dépenses publiques… Il est temps d’engager un véritable débat contradictoire sur les données économiques, entre les partenaires sociaux, comme cela se fait ailleurs en Europe.

Cela signifie également qu’il faut aller, en matière économique, au-delà de la monnaie unique. Je pense en particulier à la fiscalité, notamment celle des entreprises, qui aurait grand besoin d’être harmonisée. On parle aussi du brevet européen, de l’harmonisation des normes comptables et financières, de la création du statut de société européenne… Il ne s’agit certes pas de ces grands projets politiques qui sont au centre des conférences de presse d’après sommet européen : ce sont des projets concrets, que nous avons la responsabilité de faire avancer.

Une Europe sociale

En matière sociale, il faut également aller plus loin. Le traité de Maastricht a prévu une procédure particulièrement novatrice, qui permet aux partenaires sociaux de conduire un dialogue approfondi, dans un premier temps sans intervention de l’Etat, puis de voir l’accord éventuellement conclu transformé en directive européenne, s’imposant à tous. Je crois que nous devons utiliser davantage cette arme. Il nous revient de définir un programme de travail, de mettre en place des instruments. Et surtout, n’écoutez pas ceux qui demandent la remise en cause de ce qui a déjà été fait. Quatre accords ont été conclus, dont un concernant le télétravail.

Une nouvelle gouvernance européenne

Il faut que l’Europe soit capable de décider. Dans ce domaine, il est évident que le vote à la majorité doit devenir la règle. Il faut également que l’Europe soit capable de décider vite : il n’est pas normal qu’il faille trois ans entre le moment où l’on prend l’initiative d’une directive et le moment où elle entre en vigueur : c’est beaucoup trop long au regard des cycles économiques.

Il faut également faire en sorte que l’Europe se traduise par des initiatives concrètes et directes. Depuis quelques années, on a le sentiment que le commissaire européen chargé de l’économie a disparu, que l’Eurogroupe se contente de prendre connaissance des évolutions au lieu de les anticiper. La monnaie unique sous-tend pourtant la mise en place d’une politique économique commune : il faut que l’Europe ait le courage d’aller au bout de cette logique. Je note par ailleurs que l’application par les différents pays européens de textes pourtant issus de compromis laborieux peut varier assez significativement.

Au total, nous sommes favorables à une Europe plus simple, plus participative, où tous ceux qui ont un avis à donner peuvent se faire entendre.

Alain BARRAU

Vous avez pointé du doigt l’existence simultanée d’une demande de politiques économiques communes et une demande de moins d’Etat : est-ce réellement conciliable ? Par ailleurs, le vote à la majorité n’est-il pas utilisé comme une sorte d’alibi pour mettre en cause le rôle des entreprises au niveau européen ? Je livre ces réflexions pour le débat qui débutera après les interventions de MM. Lecaillon et Picandet.

Joël DECAILLON, Responsable du secteur Europe, CGT

M. Peyrelevade reconnaissait lui-même récemment qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de politique industrielle en Europe. Il se pose donc globalement un problème relatif aux politiques de relance qui peuvent être menées sur notre continent, tandis que les Etats-Unis ont pris le problème à bras le corps. A l’évidence, les politiques industrielles signifient un retour à plus d’Etat. Mais les Etats-Unis ne se posent pas même la question. Nous sommes en fait confrontés à une méthodologie européenne qui touche à l’idéologie.

Par ailleurs, dans la perspective de l’élargissement, les disparités vont s’accentuer. Les pays qui vont rejoindre l’Union sont en effet caractérisés par de très fortes différences avec les pays industrialisés. Des fonds de cohésion structurels sont nécessaires mais le budget de l’Europe ne fait l’objet d’aucun débat. Nous devons trouver les instruments permettant de parer à ces défis, en particulier au moyen de nouvelles politiques fiscales et par une meilleure maîtrise des flux de capitaux au niveau européen et au plan international.

Enfin, les nouveaux défis de l’Europe actuelle appellent un renforcement de la solidarité, y compris entre pays européens. Mais cet objectif est difficile à poursuivre, en raison du déséquilibre qui s’affirme de plus en plus entre le pouvoir politique et le pouvoir économique, au bénéfice de ce dernier. Les Etats et l’Union peuvent-ils continuer à affronter la puissance des groupes multinationaux, comme nous le voyons dans le domaine pharmaceutique ou dans celui des technologies de l’information ? Les entreprises doivent aussi être rappelées à un objectif démocratique.

La démocratie signifie avant tout le rappel des droits fondamentaux. C’est la raison pour laquelle nous sommes très attachés à l’inscription de la Charte des droits fondamentaux dans les textes de l’Union. En deuxième lieu, la négociation sociale en Europe paraît évidemment souhaitable. Mais cette négociation se fera à trente. Surtout, c’est au niveau patronal que la représentation sera la plus difficile, comme nous le constatons déjà. Enfin, quel type de négociations allons-nous promouvoir ? En Allemagne, la négociation syndicale a lieu au niveau d’un Land et non au niveau d’une entreprise, comme souhaiterait le faire le MEDEF en France. Les territoires sont complémentaires et doivent nous apporter les moyens d’agir. Par ailleurs, nous devons promouvoir la démocratie sociale dans les groupes multinationaux. Il existe aujourd’hui les comités de groupe, difficilement obtenus après vingt ans d’efforts. La lenteur des progrès dans ce domaine, lorsqu’ils existent, signifie-t-elle les citoyens perdent une partie de leur citoyenneté lorsqu’ils entrent dans l’entreprise ?

Enfin, le syndicalisme français est certes en crise. Il a besoin d’une unité. Mais ce sont surtout de nouveaux rapports sociaux qui lui font défaut. A cet égard, la possibilité de voter des accords minoritaires traduit l’existence d’une forme particulière, discutable, de démocratie dans les entreprises. Nous souhaitons qu’il soit revu, tant sur le plan du système de représentativité qu’en matière de négociations. La démocratie est la loi de la majorité. Cela dit, l’Europe sociale est une chance pour les syndicats français, qui trouvent souvent dans ce domaine l’occasion de se rapprocher.

Patrick PICANDET, Chargé de mission à la CFTC

Depuis l’origine, la CFTC s’inscrit dans le projet européen. Mais quel modèle européen ? A la limite, il suffirait de se référer au préambule du traité, qui met l’homme au cœur de l’Union. 100 000 travailleurs passent chaque jour la frontière entre la France et le Luxembourg, où ils vont chercher du travail et/ou un meilleur salaire. Mais ils sont confrontés à des problèmes d’ordre administratif, à des problèmes de reconnaissance de leur qualification ou de leur diplôme. Le traité de 1957 avait pourtant institué la libre circulation des travailleurs sur le territoire de l’Union. Aujourd’hui, à peine 1,5 million de personnes en profitent, soit moins de 1 % de la population active européenne. C’est le signe que l’Europe n’est toujours pas entrée dans la réalité des citoyens.

C’est en lui apportant la sécurité qu’on pourra faire évoluer les habitudes des travailleurs européens. Pourquoi un citoyen européen s’obligerait-il à aller travailler ailleurs en Europe lorsqu’il est confronté à des distorsions de systèmes sociaux, à des niveaux de salaire différents, à des difficultés croissantes d’accès à un emploi stable et à temps plein ? Il ne s’agit pas de procéder à une harmonisation par le bas, en choisissant par exemple le seuil de subsistance légal le plus bas de tous les Etats membres. Il faudrait au contraire faire le choix du mieux-disant social.

Sur le poids du syndicalisme français, je confirme qu’il s’agit d’un syndicalisme militant, au contraire d’autres pays où l’on trouve un syndicalisme de service.

Jean NESTOR, association Notre Europe

J’aimerais demander aux différents intervenants de lever une certaine ambiguïté. Dès le début de la discussion, en effet, on s’est heurté au dilemme suivant. Si l’Europe sociale est en retard, ce que chacun s’accorde à reconnaître, c’est d’une part à cause du processus de décision à l’unanimité, qui permet aux pays les moins-disants de s’opposer aux dispositions progressistes, et parce que le patronat européen, qui décide lui-même à l’unanimité, est paralysé par ses dissensions internes, d’autre part. Aussi chacun s’accorde-t-il à estimer qu’il est temps de passer au vote à la majorité. Mais en sens inverse, ne court-on pas le risque, avec le vote à la majorité qualifiée, d’une certaine régression sociale par rapport à la situation française actuelle ? Par exemple, comment réagiraient les organisations syndicales si la France, après le vote en place du vote à la majorité, se trouvait mise en minorité sur le maintien de ses services publics ?

Gérard LEVY, SUD Télécom

L’Europe économique et sociale a besoin d’un autre terme : la solidarité. Les chaussures de tennis fabriquées par des enfants pour la marque Nike au Pakistan ont entraîné des réactions d’indignation et de protestation internationale qui ont conduit à des mesures limitant l’exploitation des enfants indiens ou pakistanais dans cette production. Mais ceci est le résultat de l’action des ONG (organisations non gouvernementales) et non de celle des Etats. Il me paraît donc urgent de replacer l’éthique et la solidarité au cœur du projet de l’Europe

Gérard SAUTY, militant syndical

Je suis originaire d’une région du Nord de la France, marquée par la tradition minière et sidérurgique. Peut-être pourrions-nous nous inspirer de ces deux exemples, pour imaginer ce que pourrait être la reconversion des territoires, en particulier dans les domaines transfrontaliers. Existe-t-il des moyens permettant d’ identifier des homogénéités économiques ou sociales dans les espaces transfrontaliers, par exemple dans le cadre des fonds structurels ? Une sorte de conseil économique et social transfrontalier ne pourrait-elle constituer une avancée intéressante ?

Rémy DEGOUL, COLISEE (Comité de liaison pour la solidarité avec l’Europe de l’Est)

Il existe un Secrétariat d’Etat à l’économie solidaire. Je regrette qu’il ne soit pas représenté à la tribune. Ce concept est en effet apte à participer à l’élaboration d’un nouveau modèle économique européen. Les peuples des pays candidats souffrent du processus de transition qui leur est imposé. Cette question est-elle débattue au niveau européen ? Le concept d’économie solidaire est-il jugé pertinent par le représentant du MEDEF 

Luc SZCZEPANIAK, OCCE

Je regrette, pour ma part, l’absence d’entrepreneurs du secteur de l’économie solidaire à la tribune. Comment l’Union européenne peut-elle, au lieu d’être promoteur de pensée unique, devenir facilitateur de pensées multiples dans le domaine économique ? Comment la rendre protectrice d’une économie solidaire, plus participative et plus humaine, alors que ce sont là précisément les objectifs affichés de l’Europe ?

Traore MOUSSA, Etudiant à Paris VIII, Président de l’association " Monde des cultures "

Les grands discours sur l’universalisme, le modèle social et sur la tradition d’accueil de l’Europe se heurtent quotidiennement à des obstacles que sont ses frontières, particulièrement entre le Nord et le Sud. Or ceci me semble même pouvoir constituer un phénomène menaçant dans les années qui viennent, si l’Europe n’y prend pas garde.

Le renforcement récent des mesures en matière de police, dans de nombreux pays, me semble par ailleurs constituer une menace pour les libertés individuelles. N’y a-t-il pas non assistance à personnes en danger, enfin, dans les exemples que nous avons vus en Afrique du Sud à propos de l’interdiction faite à ces pays de recourir aux médicaments des grands laboratoires, pour des raisons strictement économiques ?

Alain BARRAU

La question du modèle économique et social européen a pour corollaire, à mes yeux, la dimension Nord-Sud. Du moins les deux questions doivent-elles être envisagées conjointement. L’exemple du Pakistan qui a été cité est compliqué et a suscité de nombreux débats. La proposition de Pascal Lamy intervient en particulier à un moment qui n’est pas anodin, compte tenu des évènements récents aux Etats-Unis et de la place que peut occuper le Pakistan dans la coalition qui s’est formée depuis. En outre, rappelons que le textile est précisément l’un des produits que les pays du Sud peuvent le plus facilement exporter.

Joël DECAILLON, CGT

Que l’on puisse envisager de prendre une décision de ce type sans même avoir pris la peine d’examiner ses conséquences sociales me paraît inconcevable. Si certains considèrent que la politique textile de l’Europe doit évoluer, il faut entrer dans un véritable processus de négociation.

Jean-Michel CHARPIN

Je me propose d’examiner la liaison complexe entre l’Europe sociale et le modèle social européen. Le modèle social européen existe bien, malgré des disparités assez importantes d’un pays à l’autre. Mais il s’est forgé indépendamment des mécanismes de la construction européenne. Il préexistait, d’ailleurs, pour sa plus grande partie, sur les institutions européennes.

Il faut bien comprendre que toutes les compétences, en matière sociale, n’ont pas vocation à être transférées à Bruxelles. Cela peut poser des problèmes de démocratie, mais aussi des problèmes d’efficacité. Lorsqu’il s’agit de droit du travail, de protection sociale, ou même de rémunération, le niveau national est sans doute mieux adapté que le niveau européen. De ce point de vue, l’Europe a sans doute franchi un grand pas en 1997, avec le dispositif dit de Luxembourg pour l’emploi, qui permet aux Etats de traiter en commun de problèmes d’emploi, sans avoir besoin de transférer leurs compétences à l’Union.

Cela dit, pourra-t-on réaliser l’Europe sociale simplement en améliorant les dispositifs existants et en étendant à tous les pays les meilleures pratiques constatées ici ou là ? Je ne le crois pas. Je suis au contraire convaincu qu’il va nous falloir innover. Nous sommes certains, par exemple, que le plein emploi de demain ne sera pas le plein emploi d’hier. Depuis les années 50, la vie économique et sociale a beaucoup évolué : le plein emploi de demain devra être pleinement compatible avec les changements d’emploi au cours de la vie professionnelle, avec l’alternance des périodes d’emploi et de formation, voire avec des périodes de chômage. Dès lors, il faudra trouver les solutions innovantes qui permettent d’assurer la sécurité des travailleurs, malgré ces parcours professionnels plus chaotiques que par le passé.

Jacques CREYSSEL

Jean Nestor estime un peu contradictoire que nous réclamions à la fois plus d’Europe et moins d’Etat. Il n’en est évidemment rien. Ce dont nous avons besoin, c’est de règles du jeu communes, et l’Europe est évidemment mieux placée que les Etats pour les édicter. Je ne prétends pas que cela soit simple. Il est vrai que la construction de l’Europe passe par des transferts de pouvoirs et de compétences. Mais n’est-ce pas ce que nous avons décidé, démocratiquement, à travers le traité de Maastricht ? D’ores et déjà, 70 % des lois adoptées par l’Assemblée nationale sont directement ou indirectement dérivées du droit européen. Le budget de l’Etat, qui doit être adopté prochainement, est désormais largement encadré par des contraintes européennes. Je ne crois pas qu’il faille le regretter.

Il ne faut pas opposer Etat et politique économique, pas plus d’ailleurs qu’il ne faut opposer Etat et politique sociale. Les grands principes du droit du travail relèvent même de la constitution. En revanche, il n’y a souvent qu’un faible intérêt à ce que l’Etat s’immisce dans la négociation dans les entreprises et dans les branches.

Alain BARRAU

A partir de quand peut-on définir une politique économique légitime si elle n’est ni mise en œuvre par les Etats ni contrôlée par le Parlement ? A mes yeux, une légitimité est indispensable à chaque étape de la construction.

Jacques CREYSSEL

Pour autant, lorsque Laurent Fabius, représentant notre gouvernement, participe à une négociation, sa légitimité ne me paraît pas faire de doute. Ceci pose sans doute des questions quant à la façon dont doit être nommée par la Commission. Mais on ne peut pas dire que le Parlement européen et le Conseil des ministres européen ne soient pas légitimes, tandis que leurs pendants nationaux le seraient.

Alain BARRAU

Ce n’est d’ailleurs pas ce que j’ai dit. Mais de quelle légitimité, autre que démocratique, peut-on formuler une politique économique et sociale qui représente les intérêts du peuple ? Le Traité de Maastricht ne peut seul constituer un blanc-seing donné pour les dix ou vingt années qui suivent.

Joël DECAILLON

Nous sommes également favorables à l’utilisation de la majorité qualifiée. Mais ceci ne règle rien. La directive " information et consultation des salariés ", née des évènements de Renault-Vilvoorde en 1997, peut être adoptée à la majorité qualifiée. Mais elle ne l’est pas encore, car chaque Etat ne peut " imposer ", indirectement, à un autre pays, des mesures en la matière. La question du courage politique doit donc également être posée. Une illustration s’en trouve dans le paradoxe en vertu duquel les questions sociales ont été écartées dès le départ des discussions qui vont avoir lieu dans les jours prochains à Doha.

En matière de propriété intellectuelle, le problème, de taille, réside dans la capacité que nous laisserions aux grandes entreprises de détenir l’ exclusivité de progrès essentiels pour l’humanité.

Alain BARRAU

Cela dit, concernant l’Afrique du Sud, le résultat de l’intervention internationale, à laquelle ont contribué la France et l’Europe, fut indéniablement une avancée. A propos de Doha, toutefois, il n’est pas exact de dire que la dimension sociale ne fasse pas partie du mandat de la délégation européenne. Mais il est vrai qu’une possible coalition entre les Etats-Unis et les pays du Sud sur ce point, peut faire naître quelques scepticisme quant à la réelle prise en compte des questions sociales lors de ce sommet.

Patrick PICANDET

Je rejoins tout à fait la proposition de conseils économiques et sociaux transfrontaliers. Les " meilleures pratiques " qu’il faut inventer ont par ailleurs été évoquées. Néanmoins, appliquer ce qui existe me semblerait encore préférable. Par ailleurs, il ne fait pas de doute que le plein emploi de demain, dans la présentation que l’on nous en fait (différent, car constitué de périodes différentes, notamment de périodes de chômage, de périodes d’activité sous diverses formes de contrat, etc.), traduit à mes yeux une ambition un peu pauvre pour l’Europe. J’espère que les jeunes qui sont dans cette salle en ont une vision différente.

Christine BOUTIN

En juin 2000, à Genève, la communauté internationale a fixé comme un objectif prioritaire la diminution de moitié, d’ici 2015, du nombre de personnes touchées par la pauvreté, qui passerait de 1,2 milliard à 600 millions. Je pense qu’il est temps de mener une politique de lutte sans merci contre la pauvreté. La pauvreté est la grande absente des politiques communautaires. Je propose pour ma part que la France suggère d’ajouter aux quatre critères de convergence économique du traité de Maastricht un cinquième critère, axé sur la pauvreté, basé sur les données du PNUD. Dans cette perspective, j’ai l’intention de proposer la création d’un groupe d’étude de l’Assemblée nationale pour étudier la faisabilité de cette mesure.

Jean-Michel CHARPIN

Je partage la revendication de sécurité exprimée par Monsieur Picandet. Elle me paraît tout à fait légitime. Néanmoins, je ne suis pas certain que les jeunes souhaitent aujourd’hui faire la totalité de leur carrière dans une même entreprise, comme beaucoup de leurs aînés l’ont fait. Si nous souhaitons assurer cette sécurité que nous appelons de nos vœux, nous allons donc devoir adopter un ensemble de mesures nouvelles. Faute de quoi la seule alternative serait le modèle américain, qui ne correspond ni à nos traditions, ni à nos souhaits.

Alain BARRAU résume la teneur des débats à l’intention d’Elisabeth Guigou, qui vient de rejoindre la tribune.

Elisabeth GUIGOU, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité

Je veux tout d’abord saluer l’initiative qui a été prise par l’Assemblée nationale d’organiser ces Assises. L’Europe sociale est sans doute l’une des deux ou trois questions fondamentales pour l’avenir politique de l’Europe, avec la sécurité notamment.

Du point de vue de l’Europe sociale, nous ne partons pas de zéro. La charte des droits fondamentaux, adoptée à Nice, constitue ainsi un acquis très important. Selon moi, elle a vocation à devenir le préambule d’une future constitution européenne.

Le fait que nous ayons consacré le caractère indivisible de l’économique et du social est également un acquis important. Auparavant, on avait tendance à considérer que le progrès social découlait du progrès économique. Le retard pris par l’Europe en la matière n’est pas encore comblé, mais nous avons maintenant les moyens de progresser, à travers des mécanismes institutionnels puissants. Désormais, en effet, un sommet de chefs d’Etat et de gouvernement est consacré, chaque printemps, à ces questions sociales.

Dans la perspective de l’élargissement de 2004, nous devons nous demander comment tirer les droits des travailleurs vers le haut, comment renforcer les droits syndicaux, comment mieux traiter les conséquences des restructurations, comment garantir un haut niveau de protection sociale. De ce point de vue, nous pouvons très bien préserver nos systèmes nationaux, sans négliger de nous fixer des objectifs de convergence, notamment en matière de rémunération.

Il y a aussi la question de l’équilibre entre la loi et le contrat. Le traité d’Amsterdam a confirmé l’importance du dialogue social. Mais force est de constater que celui-ci ne progresse guère, malgré les initiatives prises par la CES. Aussi aurons-nous toujours besoin d’un système d’intervention étatique, à travers les directives européennes. Nous avons en réalité besoin des deux. J’ai souvent l’occasion de dialoguer avec mon homologue allemand, ancien dirigeant d’IG Metall. Très marqué par la culture du consensus à l’allemande, il a du mal à envisager que l’on puisse progresser autrement, et a donc tendance à minorer l’importance des directives. Par exemple, il ne mesure pas le saut représenté par l’adoption de la directive Vilvoorde à la majorité qualifiée. Cette réflexion institutionnelle est donc absolument essentielle. Il nous faut conduire un travail sur la place respective de la négociation et de la normalisation, au plan français mais aussi au plan européen.

La place des parlements, qu’il s’agisse du Parlement européen ou des parlements nationaux, est un autre enjeu essentiel de démocratie. De la même façon qu’il me paraît difficile de procéder uniquement par le dialogue social et de se passer des directives, il me paraît difficile de laisser le contrôle démocratique de nos institutions aux seuls parlements nationaux.

Quant au renforcement de la lutte contre l’exclusion, c’est sans doute ce qu’il y a de plus facile à faire. C’est plus facile d’abord grâce à l’accord européen obtenu par Martine Aubry et qui a débouché, en France, sur le programme national de lutte contre les exclusions. Ce l’est aussi parce que pour certains de nos partenaires, lutter contre l’exclusion constitue un excellent prétexte pour ne pas faire autre chose…

Monsieur VIALY, vice-président du Comité pauvreté et politique

Je souhaite rappeler à l’intention de Madame Boutin que, lorsque nous avons consulté les partis politiques pour l’introduction du cinquième critère de convergence au Traité de Maastricht, nous avons eu une réponse positive du parti socialiste, de l’UDF, du RPR, des Verts et du parti communiste, pour ne citer que ceux-là.

Gabriel PORTE, chef d’entreprise

Je suis chef d’entreprise et je crois que notre culture apparaît également dans notre manière de faire du commerce. Or je préfère qu’elle soit ouverte et solidaire comme elle l’est, plutôt que colonialiste comme c’est le cas dans certains pays du Sud.

Sébastien JARRY, étudiant, Cergy

Les meilleures pratiques sociales ont été évoquées. Mais qui les choisira ?

Elisabeth GUIGOU

L’Europe est un processus de convergence. Rien ne nous oblige donc à uniformiser nos pratiques sociales. L’important est que nous veillons à assurer une convergence, en termes de résultats et d’objectifs dans les différents pays européens. Nous devrons donc définir ce qui doit absolument être décidé au niveau européen et ce qui doit être décidé au niveau national. Il s’agit d’ailleurs là d’une des questions démocratiques majeures des années qui viennent, dans de nombreux domaines.

Pour ma part, il me semble que tout ce qui touche à l’organisation du travail, au dumping social et à la santé au travail, par exemple, dessine un champ prioritaire. En matière de politiques sociales, nous pouvons également définir des objectifs. Mais la convergence doit être notre finalité, et non l’uniformisation.

Quelle diplomatie et quelle défense pour l’Europe ?

Alain BARRAU

La diplomatie et la défense constituent, pour l’Europe, des sujets centraux depuis plusieurs années, mais plus encore depuis plusieurs mois et a fortiori depuis les évènements du 11 septembre dernier. Je vous propose que Loïc Hennekine soit le premier à nous livrer ses réflexions dans ce domaine.

Loïc HENNEKINE, Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères

Un retour en arrière me semble utile, afin de mettre en perspective le champ de la diplomatie européenne actuelle. Dans les années 60 n’existait aucune politique étrangère européenne : ses premiers balbutiements ont été constatés dans les années 70. Mais aujourd’hui se dessinent les contours d’une diplomatie commune et l’Europe tente de définir les moyens de son action dans ce domaine. Certes, le rythme de progression de ce chantier peut paraître lent. Il ne l’est pas tant, au regard d’autres domaines comme la coopération policière ou judiciaire. En outre, rappelons qu’après l’échec traumatisant de la CED, la diplomatie est restée longtemps à l’écart de l’agenda européen, pour ne réapparaître timidement que vers 1969 ou 1970. De plus, la diplomatie touche au cœur de la souveraineté des Etats membres et semble donc avoir vocation à " coiffer " la construction européenne plutôt qu’à constituer un des premiers champs de ses avancées.

La coopération politique paraissait même incongrue dans le champ européen, dans ses premières heures. Mais peu à peu elle a pris son essor, particulièrement à la fin de la guerre froide, sous l’impulsion d’initiatives franco-allemandes ou du Traité de Maastricht, notamment. Les progrès ont été réguliers, notamment avec le recul, même timide, de la règle de l’unanimité ou avec la mise en place de stratégies communes. Un pas supplémentaire important a été franchi après le sommet franco-britannique de Saint-Malo, à la fin de l’année 1999. L’agrégation de plusieurs Etats membres aux réflexions qui y avaient été conduites a en effet permis de constituer l’ébauche d’une politique européenne en matière de sécurité et de défense.

Quel est le bilan pratique de ces évolutions constatées au cours des trente dernières années ? La diplomatie européenne a-t-elle gagné ses lettres de noblesse ? Il est de bon ton, aujourd’hui encore, de critiquer l’apathie de l’Europe sur la scène internationale. Néanmoins, l’Union européenne a pris des positions visibles et marquantes sur certains grands dossiers. Ainsi, dès 1980, à Venise, les Etats membres adoptaient une déclaration très importante sur le Proche-Orient. De la même manière, aux Nations Unies, l’Europe a le plus souvent adopté une position commune dès les années 80. Dans les années 90, pendant la crise des Balkans, alors que l’Union européenne avait commencé par afficher ses divergences, elle a finalement joué un rôle majeur à la fin de la crise, notamment sous l’impulsion de Javier Solana. L’Europe était également très présente au sommet de Charm El Cheikh.

Cela dit, il est évident que ce processus de construction d’une politique extérieure commune, s’il n’est plus embryonnaire, est loin d’être achevé. Tout d’abord, le dispositif bruxellois en matière de politique étrangère est extrêmement complexe, et les compétences des uns et des autres y sont très enchevêtrées. Il est également indéniable que les quinze Etats membres poursuivent, en parallèle, leur propre politique étrangère, et que la règle de l’unanimité, toujours en vigueur en la matière, ne favorise certainement pas l’émergence de positions communes, sinon de compromis qui ne sont que le " plus petit dénominateur commun ". Au-delà de ces raisons politiques, il n’existe pas encore de consensus clair sur ce que doit être le rôle de la diplomatie européenne, entre les tenants d’une Europe présentant un front diplomatique uni face aux autres blocs et ceux qui conçoivent la diplomatie européenne comme un simple adjuvant de la diplomatie américaine.

Une dimension militaire a récemment été ajoutée à la diplomatie. Ceci était indispensable, car une diplomatie sans appui militaire ne peut réellement jouer son rôle. Naturellement orientée vers la gestion des cries, cette dimension militaire a conduit à un effort de définition, par les Etats membres, des moyens civils et militaires nécessaires à de telles interventions. Des progrès importants ont déjà été réalisés, puisque l’ensemble des organes nécessaires à la conduite de cette politique existent aujourd’hui.

La diplomatie européenne est un processus évolutif, inabouti, mais dont on peut tirer un bilan positif et que l’on peut envisager de façon favorable également. Elle relève d’une double nécessité : en interne, parachever la construction européenne ; en externe, offrir un pôle stable, démocratique et crédible, qui puisse jouer son rôle pour assurer la multipolarité pour laquelle nous plaidons.

Alain BARRAU

Je vous propose de donner la parole à la salle.

Charles ALESSANDRI, Mouvement européen

Je serai moins pessimiste sur la lenteur de l’émergence d’une politique de diplomatie européenne : n’est-ce pas l’un des domaines les plus formidablement difficiles pour une construction commune ? Par ailleurs, des pays comme l’Allemagne et la France ont des traditions diplomatiques très différentes : la politique étrangère de la première n’a pour ainsi dire jamais eu de visée mondiale, à la différence de la France ou de la Grande-Bretagne, selon une tradition très ancienne.

Henri MENUDIER, professeur à la Sorbonne Paris III

Le sommet à trois qui avait eu lieu à Gand ou le mini-sommet de dimanche dernier ont été très critiqués : quelle réaction vous inspire ce type de réunions de concertation ?

Pervenche BERES, députée européenne

Pour ma part, je souhaite attirer votre attention, M. Hennekine, sur une proposition qui consisterait à rattacher M. Javier Solana, secrétaire général de l’OTAN, à la Commission européenne : quelle est votre réaction à l’égard de cette proposition ?

Par ailleurs, en complément des avancées réelles qui ont été enregistrées en matière de politiques de sécurité et de défense communes, quel rôle peut jouer la capacité à partager les analyses et l’anticipation des questions en amont, à l’échelon européen ?

Gérard LEVY, Les Verts, commission paix et désarmement

Dans les prochains jours, les Etats-Unis devraient ratifier l’application du traité international interdisant les armes chimiques et bactériologiques. Il sera sans doute de la plus haute importance d’envisager des moratoires dans ce domaine, afin de parer au risque de manipulations dangereuses par un " savant fou ", quelque part dans le monde.

Loïc HENNEKINE

Je ne suis sans doute pas remonté suffisamment loin dans le temps, en effet, tant il est vrai que nous devons avoir de la mémoire en matière de politique étrangère. Mais il est vrai qu’il s’agit d’un sujet extraordinairement difficile, car nos sensibilités et nos traditions ne sont pas les mêmes. Je le constate régulièrement en discutant avec mes collègues européens. Nous trouverons sans doute peu à peu une analyse commune en amont, qui est en effet nécessaire. Par ailleurs, je ne suis pas aussi convaincu que le participant qui est intervenu sur ce thème d’une différence d’approche diplomatique telle que celle qu’il a décrite entre l’Allemagne et la France. Il y eut en effet des époques où la diplomatie allemande avait des visées qui allaient bien au-delà du Rhin.

Enfin, concernant les sommets à trois, il est vrai que la tenue d’une réunion à Gand et, plus récemment, à Londres, suscitent moult réactions ou polémiques. Cela dit, une situation de crise appelle une concertation des pays qui sont prêts à mettre en œuvre des moyens militaires, dans un cercle restreint. D’ailleurs, un des aspects fondamentaux de la lutte contre le terrorisme sera de plus en plus la coopération en matière de police et de renseignement. Or, dans ce domaine, l’action sera possible au travers de réseaux bilatéraux, et non autour d’une table comprenant les représentants de vingt ou vingt-cinq pays différents. Les décisions relatives à l’utilisation des forces armées doivent en effet être prises au niveau national et ceci devrait perdurer encore pendant de nombreuses années.

Les Américains sont les premiers à ressentir cette nécessité : ils se gardent bien, depuis le début de la crise, de vouloir la gérer au niveau de l’OTAN comme ce fut le cas lors de la crise au Kosovo. Ils ont compris en effet que la possibilité d’échanger des informations pouvait être utile avec l’un ou l’autre de leurs alliés, mais non avec l’ensemble d’une coalition.

Lorsque les Etats membres ont décidé de créer le poste de Haut Représentant de l’Union européenne, il a paru évident qu’il devait être rattaché au Conseil, et je ne pense pas qu’il soit question de transférer cette responsabilité à la Commission. Il est vrai que ce dispositif rend nécessaire une forte coordination entre le Conseil, le Haut Représentant, la Commission et le Parlement européen : il y a d’ailleurs là un gisement de progrès assez considérable.

A propos de la deuxième question de Pervenche Beres, le maillage des réseaux est évidemment tout à fait souhaitable. Pour l’heure, les Etats membres ne tirent pas tous les fruits du travail des groupes spécialisés qu’ils ont mis en place. Ainsi, le groupe Asie n’avait pas clairement anticipé la menace que constituait l’évolution d’un pays comme l’Afghanistan. Force est de constater que le travail d’analyse conduit depuis près de 20 ans sur ce pays au sein de l’Union européenne n’était sans doute pas tout à fait pertinent. Souhaitons que la mise en place d’une structure spécialisée permettra d’améliorer rapidement la situation, en particulier en améliorant les transferts d’informations entre les Etats membres.

Quant aux instruments juridiques internationaux destinés à contrer les nouvelles menaces, il convient de souligner que ces conventions n’ont pas toutes été signées ou ratifiées par l’ensemble des Etats. Après les attentats du 11 septembre, néanmoins, on peut penser que l’intérêt des Américains pour ces instruments multilatéraux sera renforcé.

Nicole GNESOTTO, Directrice de l’Institut d’études et de sécurité de l’Union européenne

Permettez-moi de faire deux remarques préliminaires. Je veux tout d’abord dire que je partage le constat fait par Loïc Hennekinne des immenses progrès réalisés par la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), en particulier depuis Saint-Malo. Pour autant, il reste beaucoup à faire.

Ensuite, on ne peut pas parler de l’avenir de l’Europe sans prendre en compte ce qui s’est passé le 11 septembre dernier. Nous sommes aujourd’hui dans une situation stratégique totalement différente de celle qui prévalait au temps des traités de Maastricht et d’Amsterdam.

Quels doivent être les objectifs d’une PESC ? Tout d’abord, au moment de l’élaborer, il ne faut pas se tromper de guerre, en privilégiant la résolution de crises du type de celle des Balkans, alors que le contexte international a manifestement évolué ces dernières semaines. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue l’objectif essentiel d’efficacité, sans lequel la PESC ne trouverait pas sa légitimité aux yeux des Européens. L’Union européenne dispose d’une excellente culture juridique pour traiter les questions du temps de paix. Il lui manque encore la culture politique qui lui permettra de gérer les crises et les conflits les plus durs.

Trois critères me paraissent devoir être respectés plus particulièrement.

La politique de défense doit être au service de la politique étrangère

D’énormes progrès ont été accomplis, depuis trois ans, en matière de défense européenne commune. En revanche, en matière de politique étrangère commune, c’est le statu quo absolu. A quoi servira la force européenne de 60 000 hommes qui sera mise en place en 2003 si elle n’est pas mise au service d’une politique extérieure commune ?

Les institutions doivent être au service de l’émergence de la PESC, et non pas lui faire obstacle

C’est tout le problème du lien entre les souverainetés nationales et les délégations de pouvoir à consentir par les Etats en matière de politique étrangère. On navigue aujourd’hui entre deux extrêmes, l’un comme l’autre inacceptables : d’un côté la solution du directoire, qui n’est pas légitime, de l’autre la formule de la décision à l’unanimité, qui est inefficace. C’est entre ces deux extrêmes qu’il faudra trouver, d’ici 2004, une solution pour décider en commun d’une politique étrangère européenne. J’évoquerai simplement ici quelques pistes :

La politique de défense de l’Union doit servir les intérêts de sécurité de l’Union

C’est en ce sens qu’il est indispensable d’intégrer dans la réflexion les conséquences du 11 septembre. En l’état actuel de la PEDC, l’Union disposera en 2003 d’une capacité de projection extérieure minimale, qui lui permettra d’intervenir sur des crises extérieures. Au départ, on pensait que son champ d’intervention privilégié serait celui des Balkans. Cette capacité de projection, si elle est toujours nécessaire, est aujourd’hui clairement insuffisante : il faut aussi se doter d’une capacité de protection intérieure des citoyens de l’Union. Il serait dommageable que les responsables européens ne prennent pas en compte le sentiment d’insécurité qui prévaut aujourd’hui dans l’Union.

Je reprendrai, en guise de conclusion, le débat classique de la subsidiarité, appliqué à la sécurité : la sécurité doit-elle être assurée dans le cadre atlantique, dans le cadre européen ou dans le cadre national ? Après le 11 septembre, il est évident que le cadre atlantique n’est pas l’instrument idéal d’une politique de protection et de dissuasion contre les nouvelles menaces de nature terroriste. Le cadre national, s’il peut être utile, perd de sa pertinence lorsqu’il s’agit de traquer le crime organisé, les organisations mafieuses ou terroristes internationales. C’est donc bien le cadre européen qui apparaît le plus pertinent pour élaborer la nouvelle stratégie de sécurité : il reste encore énormément de progrès à réaliser, de ce point de vue, d’ici 2004.

François LONCLE, Président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale

Je ne suis pas en désaccord, pour le moins, avec les deux interventions précédentes. Il est vrai que durant longtemps, à l’instar de l’Allemagne fédérale, on disait que l’Europe était un géant économique et un nain politique. Ce n’est plus vrai : elle est devenue un acteur important des relations internationales. Deux éléments font avancer l’Europe sur ce terrain. Le premier est la puissance des évènements, tels la chute du Mur de Berlin, la guerre sur le territoire même de l’Europe, en Yougoslavie, ou les évènements du 11 septembre dernier. Mais, sans volonté politique derrière les évènements, rien n’est possible. Souvenons-nous comment François Mitterrand, Helmut Kohl ou Jacques Delors ont été décisifs à plusieurs égards.

La diplomatie commune correspond réellement à une volonté française, affirmée par Jean Monnet, en substance, en particulier dans son plaidoyer pour un rapprochement atlantique. Pour autant, la diplomatie européenne en est encore à ses débuts. Ainsi, en octobre 2000, l’Allemagne et la Grande-Bretagne annonçaient reconnaître la Corée du Nord, sans en informer la France, qui présidait alors l’Union. Le sommet de Gand, parfois qualifié de " Directoire à trois ", constitue un autre contre-exemple. L’improvisation de la réunion tenue au 10 Downing Street, dimanche dernier, s’inscrit également au chapitre de ces déconvenues, d’autant plus fâcheux qu’une position commune avait pu être trouvée à la suite des évènements du 11 septembre.

Rappelons que la diplomatie européenne a vu le jour en 1970, avec le rapport Davignon. Puis, après le sommet d’Helsinki, l’Europe a adopté une position commune au sujet du conflit israélo-palestinien. Nous avons multiplié, au plan ministériel comme au plan parlementaire, les missions au Proche Orient. Le tournant de Maastricht, qui a donné lieu à cinq innovations importantes, parmi lesquelles l’association continuelle du Parlement européen et de la Commission, a également été rappelé. Mais c’est au moment de la guerre en Yougoslavie que la nécessité d’une politique étrangère commune s’est sans doute fait le plus fortement ressentir pour la première fois. On peut, en l’occurrence, parler d’un échec, puisque ce conflit déboucha sur le sommet de Dayton, aux Etats-Unis.

L’image de la diplomatie européenne apparaît encore brouillée, notamment en raison de la multiplicité de ses visages. Ainsi, la " troïka " européenne est une notion confuse, qui laisse planer le doute quant aux trois représentants qui doivent constituer un tel attelage, toujours incertain. Plus largement, il convient de préciser les compétences en matière de diplomatie et de défense au sein de l’Union européenne. Joschka Fischer s’est prononcé pour un renforcement du poste de Javier  Solana et de la PESC. Nous devons, chaque fois que nous le pouvons, nous donner les moyens de trouver une position commune, ce qui ne signifie pas une position unique. Ceci paraît d’autant plus souhaitable que les partenaires de l’Europe appellent également une telle évolution de leurs vœux.

Il faut donc sans tarder imaginer des mécanismes fonctionnels pour qu’une Union à 27 membres continue à exister sur la scène mondiale, sans que cela ne tourne à la cacophonie. Les parlementaires peuvent sans doute y contribuer, tant il s’est développé ces dernières années une sorte de démocratie parlementaire active et non concurrentielle. En matière de sécurité, l’articulation entre l’Union européenne et l’OTAN demeure une préoccupation importante. Mais, comme l’a rappelé Alain Richard, Ministre de la Défense, l’Union européenne se pose en premier facteur d’équilibre mondial. La diplomatie européenne doit être à cette image. Elle ne se fera pas sans volonté politique.

Thierry LEROY, président du conseil de l’IHEDN

L’IHEDN a pour rôle de travailler aux liens entre la Défense et l’opinion. Sa présence au Parlement est donc tout à fait naturelle. Face au défi que constitue l’Europe de la Défense, on se penche souvent sur la question du " comment ", mais beaucoup plus rarement sur le " pourquoi ". Dans le domaine de l’Europe de la police, nous sommes dans une situation exactement inverse : chacun s’accorde à reconnaître la nécessité d’accroître la coopération entre les polices européennes, mais les difficultés de mise en œuvre pratiques sont en revanche très difficiles à surmonter. Les différences culturelles et de modes opératoires sont en effet très importantes. Pour l’Europe de la Défense, en revanche, je rejoins pleinement le point de vue développé par Nicole Gnesotto, selon lequel une politique de défense commune n’a de sens que si elle est mise au service d’une politique étrangère commune. A cet égard, j’avoue ne pas avoir été pleinement convaincu par Loïc Hennekinne de l’existence d’une telle politique.

Robert TOULEMON, association française d’études pour l’Union européenne

L’utilité d’une instance indépendante de proposition et d’impulsion est plus évidente encore en politique étrangère qu’en politique économique. En matière de politique économique, en effet, il est des contraintes qui s’imposent à tous les Etats : le gouvernement français en a fait l’amère expérience en 1983. La politique étrangère est quant à elle un domaine plus subjectif, où les réflexes culturels sont plus prégnants. Le rattachement éventuel du Haut Représentant à la Commission ne me paraît donc être qu’un aspect mineur du problème. L’essentiel est de mettre en place les mécanismes qui permettront de faire des questions de PEDC une responsabilité de plein exercice de l’Union. Un directoire, composé non pas de représentants d’Etats mais de personnalités qualifiées, me paraît de ce point la solution incontournable.

Par ailleurs, comment imaginer une défense européenne commune d’un poids suffisant si celle-ci ne dispose pas des budgets de recherche militaire et d’équipement correspondants ? Actuellement, les Etats membres consacrent à la Défense des budgets représentant 60 à 70 % de ceux des Etats-Unis, pour des forces opérationnelles 10 fois inférieures…

Il faut enfin trouver le moyen de combiner la nécessaire souplesse des institutions et des mécanismes de décision avec le respect des souverainetés nationales. Pour ce faire, il suffit d’étendre à la défense le concept d’abstention constructive, déjà mis en pratique avec la monnaie unique. Les Etats qui ne souhaiteraient pas participer à telle ou telle opération commune devraient pouvoir s’en abstenir sans pour autant empêcher la majorité d’agir. Après tout, l’Europe des Quinze n’a-t-elle pas réalisé l’union monétaire à douze ?

Monsieur FUCHS, Mouvement européen (Basse-Normandie)

Nous parlons de sujets qui appellent une réaction très rapide et des ébauches de solution ont déjà été avancées, telle la proposition d’un représentant de l’Union européenne, capable de s’exprimer en son nom. Nous aurions pu évoquer la durée de son mandat. Mais si, lors de ce Forum, les intervenants ont su proposer des solutions concrètes, serait-il possible de faire admettre des solutions de cette nature au niveau de l’Union européenne, alors que les esprits ne semblent pas toujours prêts pour cela ?

Monsieur GODIN, auditeur IHEDN

L’Europe pourrait-elle apporter une réponse à la menace balistique, en étendant les moyens des pays membres qui disposent d’une force dans ce domaine ou en apportant un appui aux Américains comme ceux-ci le proposent ?

Jean NESTOR

Force est de constater que la PESC est encore largement étrangère aux préoccupations des citoyens. Il y a peu de domaines où l’écart entre le mot et la chose soit aussi grand. L’on peut parler de processus progressif, comme l’a fait Loïc Hennekine. Madame Gnesotto a évoqué le fait que l’Europe disposera bientôt d’une force de projection de 60 000 hommes à l’intérieur de ses frontières. Mais la politique que de telles interventions devront servir n’est pas encore ébauchée et la gouvernance de telles forces n’est guère plus définie. Ce constat ne me paraît pas rassurant.

Si nous arrêtions de faire semblant de disposer d’une politique étrangère commune ? Autrement, dit, demandons-nous dans quel domaine l’action commune de l’Europe pourrait être visible et reconnue comme utile ? La gestion des crises, l’environnement ou l’aide au développement ne pourraient-ils figurer parmi ces domaines d’intervention légitimes et pertinents ? Par ailleurs, ne nous sommes-nous pas trompés, en souhaitant disposer d’une armée, à l’image des Etats Nations ? La coopération en matière de police et de justice, plus simplement, ne correspondrait-elle pas mieux à la vocation de l’Europe dans le règlement de ces questions ?

Alain BARRAU

Pour autant, je suis frappé que nombre de nos concitoyens nous fassent observer que les Britanniques semblent retrouver leur solidarité traditionnelle avec les Américains et s’en étonnent, voire s’en inquiètent, pour le projet européen.

Par ailleurs, l’objectif d’une politique de défense résidait, comme Madame Gnesotto l’a souligné, dans la capacité de déployer 60 000 hommes sur le territoire européen : il n’a jamais été question de constituer une telle force de projection pour des interventions hors d’Europe. A ce sujet, les enjeux d’armement, liés au matériel, sont également importants, car la domination de l’industrie américaine peut déjà être jugée préoccupante.

On ne peut donc pas faire comme si cette question était lointaine et n’intéressait pas nos concitoyens : les problèmes de sécurité, de défense et de diplomatie sont centraux. La répartition des compétences entre les Etats et l’Union européenne est une question tout aussi déterminante. Nous devons nous donner les moyens de la faire aboutir et ainsi franchir une étape certainement bien plus importante encore que l’euro.

Jean NESTOR

Je persiste et je signe : les sujets de défense et de diplomatie ont été évoqués lors des forums de Brest ou à Marseille, de façon ponctuelle. Mais, de façon générale, les citoyens qui ont participé à ces rencontres n’ont pas témoigné, loin de là, d’un intérêt, sur le IIème ou le IIIème Pilier, comparable à celui dont ils ont fait preuve sur les questions sociales, en particulier.

François LONCLE

Je voulais quant à moi évoquer le retour de la politique étrangère. Si l’on additionne la mondialisation, la construction européenne, la lutte contre le terrorisme international et les crises régionales, comment pourrait-il en être autrement ? Comment nos concitoyens ne s’apercevraient-ils pas que la politique étrangère les concerne en réalité de très près ? Nous parlons ici de diplomatie et de sécurité, mais l’on pourrait aussi parler des répercussions des discussions à l’OMC sur la sécurité alimentaire.

Du strict point de vue de l’efficacité, un deuxième porte-avions ne pourra être qu’européen, et certainement pas financé par la France seule.

S’il est un domaine qui n’entre pas dans les critères de Maastricht mais où l’on pourrait, dès maintenant, associer les pays candidats, c’est bien celui de la politique étrangère, me semble-t-il. Pour cela, il convient de prendre quelques précautions, liées à leur culture et à leur histoire. Par exemple, il ne faut pas parler d’Europe puissance : ce vocabulaire les fait immanquablement penser à l’Union soviétique. Pour le reste, ils adhèrent au projet politique européen, ils ne considèrent plus l’Europe comme un simple espace économique et commercial.

Nicole GNESOTTO

Je partage votre point de vue selon lequel les opinions publiques européennes sont beaucoup plus sensibles aux questions de politique étrangère qu’on ne le croit généralement. La préservation de la paix et de la sécurité est d’ailleurs citée comme le premier objectif de l’Union par les répondants au questionnaire électronique mis en ligne par l’Assemblée à l’occasion de ces Assises.

En matière de relations internationales, il existe des règles simples. En particulier, lorsqu’un Etat s’effondre, ce n’est pas la démocratie qui émerge, mais les mafias. C’est vrai partout dans le monde, et notamment dans les Balkans. Partant, il est nécessaire de disposer d’une force de projection. Mais je prétends que cette force doit aussi constituer une force de protection.

Devons-nous veiller à nous protéger contre la menace balistique ? Je ne le crois pas. En revanche, ce qui me paraît d’actualité, c’est l’élaboration d’une analyse commune des menaces qui pèsent sur l’Union. Or c’est encore un sujet tabou, bien que cela ne remette nullement en cause les souverainetés nationales.

Je partage le point de vue de Monsieur Toulemont sur la nécessité de trouver des mécanismes suffisamment flexibles, même si je ne suis pas d’accord avec les modalités qu’il propose. En matière de défense comme dans les autres domaines, les transferts de compétences sont toujours très progressifs : inutile d’effrayer les Etats membres avec des projets trop hardis. Mieux vaut compter sur une sorte de " bruxellisation " progressive de la défense.

Sur le " pourquoi " de la politique de défense commune, je peux apporter des éléments de réponse. En premier lieu, dans 90 % des cas, le niveau national est insuffisant. Même les Etats-Unis, pour intervenir, ont besoin de monter une coalition. Pour le reste, il s’agit de s’accorder sur les objectifs de la politique de défense commune. Rien ne dit, après tout, qu’aucune force européenne n’ira jamais en Afghanistan, par exemple sous l’égide de l’ONU. Mais il convient au préalable que les Quinze s’accordent sur une vision politique commune de l’avenir de ce pays.

Loïc HENNEKINNE

Je n’ai jamais prétendu en effet que l’Europe soit déjà dotée d’objectifs précis sur tous les sujets, en matière de politique étrangère. Le monde était plus simple avant 1989 : les enjeux sont aujourd’hui plus diffus et plus divers en même temps, ce qui nous impose d’être plus pragmatiques, sujet par sujet. Nous avons pris des initiatives en matière de politique étrangère commune et de défense. Mais nous ne cessons de nous poser la question des raisons d’une telle démarche et du contenu qu’elle doit avoir.

Ainsi, lors de la crise en Macédoine, les Américains ne souhaitaient pas intervenir mais ne souhaitaient pas davantage une intervention européenne. Les Européens auraient pu le faire néanmoins. Mais ils n’ont su répondre à la question " pourquoi ? ". La question de l’opportunité d’une diplomatie " soft ", plutôt qu’une politique extérieure commune, a également été posée par Jean Nestor. La politique étrangère européenne ne doit pas se restreindre à la gestion des crises : elle englobe une multitude de sujets.

Enfin, l’Europe-puissance a été évoquée par François Loncle. Au-delà du débat sémantique, il s’agit de savoir si l’Europe doit apparaître comme un pôle autonome, dans un monde multipolaire. Les Quinze doivent apporter une réponse à cette question, de même que les pays candidats à l’entrée dans l’Union. N’ayons pas peur des mots. Ne nous interdisons pas d’utiliser des concepts que nous autorisons d’autres, singulièrement les Etats-Unis, à manier.

Alain BARRAU

Merci à tous d’avoir participé à cette journée sur l’avenir de l’Europe. Nous vous donnons rendez-vous demain, dans l’Hémicycle, pour la poursuite et la conclusion de ces travaux.

Présidents de séance : Gérard Fuchs, vice-président de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne

Philippe Lemaître, journaliste, rapporteur du Groupe " Débat sur l’avenir de l’Europe "

Modérateur : Marc Drouet, journaliste

Forum - Salle Lamartine

Quelle architecture institutionnelle pour une union élargie ?

Présidents de séance : Gérard Fuchs, vice-président de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne

Philippe Lemaître, journaliste, rapporteur du Groupe " Débat sur l’avenir de l’Europe "

Modérateur : Marc Drouet, journaliste

Introduction

Gérard FUCHS

Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui. Les présidents Barreau et Forni vous ont déjà salués. Je remercie les invités de cette table ronde qui nous ont tous fait l’honneur de répondre à notre invitation.

Ce forum sera plus spécifiquement l’occasion de discuter des institutions de l’Union européenne. Je ne me livrerai pas ici à un débat sur politique et institutions. Avoir de bonnes institutions permet de disposer d’une bonne capacité de décision. L’efficacité dans la prise de décision est une question cruciale.

Nous nous pencherons également sur la notion de contrôle par les citoyens. Je pense qu’il est important dans nos Etats démocratiques que l’on puisse contrôler des instances, dès lors qu’elles sont efficaces et qu’elles possèdent une réelle capacité de décision.

Cette journée de discussion s’articulera autour de trois tables rondes. La première d’entre elles pose la question de la nécessité d’une Constitution européenne. Le thème de la deuxième sera le type de gouvernement dont l’Europe doit se doter. La troisième table ronde aura pour sujets l’amélioration des conditions de la démocratie en Europe ainsi que le rôle des citoyens et des Parlements nationaux.

Marc Drouet sera le modérateur de nos débats. Comme vous le savez, il connaît particulièrement bien les questions européennes.

Je n’évoquerai pas le déroulement du débat que vous présentera Marc Drouet. Je souhaite toutefois, avant que nous n’entrions dans le vif du sujet, vous exposer rapidement les résultats de notre questionnaire sur Internet. Les chiffres exacts vous sont communiqués dans le dossier que nous vous avons remis. 800 personnes interrogées se sont déclarées en faveur d’une constitution européenne. Les opposants à cette constitution évoquent principalement le principe de l’indivisibilité de la nation. Les partisans d’une constitution estiment qu’elle permettrait d’affirmer les droits des citoyens européens et les objectifs de l’Union, de définir clairement " qui fait quoi " dans l’Union, de favoriser la participation des citoyens et de leurs représentants à la définition des règles de fonctionnement de l’Europe ou encore d’améliorer la lisibilité et la transparence des textes fondateurs.

Marc DROUET

Pour que nous puissions favoriser les échanges, je vous propose que nous entendions nos grands témoins sur chacun des thèmes que nous aborderons. Vous pourrez ensuite poser des questions portant directement sur l’exposé. Le débat de fond, quant à lui, arrivera naturellement en fin de journée, une fois nos trois tables rondes achevées. D’un point de vue pratique, vous aurez la possibilité de poser vos questions par oral ou par écrit.

Faut-il une Constitution européenne ?

Témoins : Hubert Haenel, président de la Délégation du Sénat pour l’Union européenne

Nicole Catala, vice-président de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne

Dominique Latrounerie, Conseiller d’Etat

Jean-Luc Sauron, professeur à l’Université Robert Schuman

Hubert HAENEL

D’emblée, je tiens à vous indiquer que la Délégation du Sénat pour l’Union européenne s’est déjà penchée sur le sujet de cette première table ronde. Aujourd’hui, le mot Constitution n’est plus tabou. Cette notion a été à nouveau mise en avant pendant la Présidence française de l’Union européenne.

Qu’entendons-nous réellement par le mot Constitution ? Nous pensons inévitablement à des textes constituants, similaires à ceux qui sont en vigueur en France ou aux Etats-Unis. La Constitution européenne suppose-t-elle que nous voulions donner une pleine souveraineté à l’Union ? L’Europe forme-t-elle un seul peuple ? Ce sont des questions que nous pouvons légitimement nous poser. En réalité, la majorité des pays se sont prononcés en faveur d’un texte qui soit le fruit de la concertation permanente qui existe entre les différents pays membres de l’Union. Le mot Constitution serait alors appliqué à un texte dont la portée serait moindre que celle de nos traditionnelles constitutions nationales. En ce sens, l’on peut penser que l’Union dispose d’ores et déjà d’une Constitution, puisque les traités européens ont été qualifiés de charte constitutionnelle. A mon sens, la Constitution européenne ne saurait prendre d’autre forme. Il existe une approche moins ambitieuse qui se traduirait par une simplification des traités de l’Union : la Constitution européenne prendrait alors la forme d’un traité fondamental.

Comme vous pouvez le constater, l’on peut donner plusieurs sens au terme Union. Il serait souhaitable que tous les protagonistes s’entendent sur le sens du mot. Pour ma part, je suis favorable à toute démarche pouvant rapprocher les Etats membres. Je me félicite d’ailleurs que le Président et le Premier Ministre se soient prononcés en faveur d’une constitution européenne. Toutefois, nous devons avoir conscience qu’une Constitution européenne pourrait affaiblir les politiques communes. C’est d’ailleurs la thèse que défend Gerard Schroeder, qui a présenté un projet largement inspiré par le fédéralisme.

Entrer dans la logique d’une Constitution au sens plein conduirait à modifier les règles du jeu et ne serait pas nécessairement favorable à l’Europe. Dans le modèle proposé par Gerard Schroeder, le Parlement s’apparenterait au Bundesrat allemand. En tout état de cause, nous ne devons pas aborder ce débat avec réticence. Toutefois, prenons garde à ne pas céder à la tentation de vouloir appliquer à tout prix les schémas que nous connaissons dans nos différents pays. Ce débat prendra toute son ampleur dans la Convention qui fera suite au Sommet de Laeken. La conférence intergouvernementale décidera ensuite du sens que nous devrons donner au texte auquel nous aboutirons.

Gérard FUCHS

N’avez-vous pas le sentiment que, dans d’autres pays de l’Union, la notion de Constitution peut effrayer les citoyens et que le débat que nous avons risque d’être très franco-français ?

Hubert HAENEL

Il est vrai que le débat restera pour l’heure franco-français. Toutefois, je ne pense pas que les Britanniques, par exemple, soient fondamentalement opposés à l’élaboration d’une Charte des traités fondamentaux.

De la salle

Il me semble que l’on ne peut pas se prononcer sur l’opportunité ou non d’élaborer une Constitution européenne dès lors que les différents protagonistes ne se sont pas encore entendus sur le contenu du texte.

Hubert HAENEL

Je reconnais que cette remarque est pleine de bon sens. Néanmoins, je ne doute pas que nous aurons l’occasion de développer ces aspects lors de cette journée. Je pense que nous aurons également le loisir d’aborder la question de la Charte des traités fondamentaux. En tout état de cause, il va de soi que nous ne saurions faire l’économie de débats institutionnels à ce sujet.

Gérard FUCHS

Il me semble que, pour l’heure, l’Union est avant tout est économique. A mon sens, le seul fait d’utiliser le mot Constitution est déjà un grand pas en avant.

De la salle

Hubert Haenel a tout à fait raison de prétendre que les Britanniques ne sont pas totalement opposés au principe d’une Constitution européenne. Néanmoins, l’on peut craindre qu’elle induise un certain nombre de blocages, notamment au niveau de son évolution future.

Hubert HAENEL

Il est vrai que la rédaction d’une Constitution figerait les fonctionnements de l’Union. Dans ces conditions, nul doute que nous aurions quelques difficultés à faire face à certains défis, comme ceux qu’ont soulevés les récents attentats aux Etats-Unis.

Nicole CATALA

Je constate, tout d’abord, que l’idée d’une Constitution européenne a fait beaucoup de chemin depuis quelque temps. Pour autant, je ne suis pas persuadée que pareil texte soit adapté à la réalité de l’Union européenne. En effet, une constitution est l’instrument juridique qu’adopte un peuple pour exercer et contrôler le pouvoir politique sur son sol. En règle générale, il s’agit de l’acte juridique fondamental sur laquelle repose un Etat.

Il y a donc, à mon sens, une distorsion quant à l’emploi du terme de Constitution. Il me semble qu’une Constitution européenne ne serait rien d’autre qu’une sorte de " constitution Canada dry ".

Par ailleurs, établir une véritable Constitution européenne supposerait que l’on surmonte deux obstacles :

Pour ces différentes raisons, je reste hostile à l’emploi du terme de Constitution pour l’Union européenne. Pour que cette constitution ait un réel sens, il faudrait constituer un Etat fédéral européen qui dicte les différentes politiques, qu’elles soient financières ou sociales. Pour ma part, je doute que la majorité des pays membres, et encore plus particulièrement les pays qui aspirent à rejoindre l’Union, soient disposés à accepter que leur nation soit chapeautée par une entité fédérale.

En outre, le problème de la subsidiarité ne pourrait être évacué que via un transfert au pouvoir supranational de la compétence de la nation. Force est de constater que c’est toujours le cadre national qui définit la démocratie. J’en déduis que les Etats nations continuent d’être nécessaires aux peuples.

Enfin, il serait difficile d’élaborer une Constitution européenne. Tout porte à penser que cette problématique serait figée et retirerait à l’Union sa flexibilité, son adaptabilité et sa plasticité. Je crois donc qu’il importe de répudier un terme juridique que nombre de personnes emploient à tort et à travers. Il nous faut penser l’Europe, ainsi que le rappelait un éminent juriste, autrement que sous la forme d’un Etat. Il s’agit d’une collectivité nouvelle non-territoriale au sens juridique du terme.

Pour ma part, je préférerais que l’on retienne le terme, certes plus flou juridiquement mais plus adapté, de Charte des Etats de l’Union européenne, qui seule peut rendre compte de la diversité européenne. Il serait donc souhaitable de simplifier les traités européens dont nous disposons déjà. Toutefois, avant de les qualifier de Charte, il convient que nous répartissions clairement et durablement les compétences entre les Etats et l’Union. C’est à cette condition que nous pourrons valablement évoquer le concept de Charte.

De la salle

Vous avez indiqué qu’il n’existait pas de peuple européen. Je me demande ce qui vous autorise à affirmer pareille chose. En effet, du haut de mon jeune âge, je me sens européen même si je ne renie pas mon appartenance à la nation française.

Nicole CATALA

La notion de peuple pourrait donner lieu à moult débats. En effet, les différents pays de l’Union ont des conceptions bien différentes de ce terme. Par exemple, les Allemands en ont une approche ethnique, alors que les Français ont une conception plus ouverte. Par ailleurs, l’histoire a souvent dressé les différents peuples européens les uns contre les autres. Nous ne pouvons nier cette réalité même si la paix est revenue. En tout état de cause, je ne nie pas l’existence d’une culture européenne.

Gérard FUCHS

Pour ma part, je pense que l’on peut tout à la fois se sentir Alsacien et Français, alors pourquoi pas Européen voire citoyen du monde ?

De la salle

N’existe-t-il pas une contradiction entre le refus d’une Constitution européenne et l’élaboration d’une Charte ?

Nicole CATALA

A mon sens, il n’y a pas de contradiction. Le terme de Charte permet selon moi de demeurer dans un cadre plus évolutif, tout en permettant de clarifier les rouages institutionnels de l’Union. Néanmoins, nous devrons tenir compte d’un obstacle que nous évoquons trop rarement, à savoir le problème des langues, qui peut représenter un frein au fonctionnement des institutions européennes.

De la salle

Dans le cadre de l’élaboration d’une Constitution européenne, ne peut-on pas craindre qu’un pays comme l’Allemagne n’impose sa conception d’une Europe fédérale basée sur une acception ethnique du concept de peuple ?

Nicole CATALA

La reconnaissance des minorités au sein du peuple n’est pas intrinsèque à l’histoire française. Je tiens également à préciser que Gerard Schroeder n’est en aucun opposé à ce que son pays soit chapeauté par une surprastructure. Il n’en demeure pas moins que nombre de citoyens, et pas seulement les Britanniques, ne sont pas prêts à renoncer à leur appartenance nationale.

De la salle

Je partage la conclusion de Nicole Catala. Les concepts juridiques doivent laisser la place à la nécessaire évolution des sociétés. Durant les dernières décennies, l’Union s’est mise en place pas à pas, avec le consentement des peuples des Etats membres. Par ailleurs, rien ne nous dit que le contenu d’une éventuelle Constitution européenne s’apparenterait par exemple aux textes fondateurs des Etats-Unis. Pour ma part, je pense que le concept de Constitution ne saurait être réservé qu’aux Etats.

Nicole CATALA

J’émets quelques réserves quant à vos propos. Pour ma part, je n’ai souvenir d’aucune entité, dotée d’une constitution, qui ne soit pas un Etat. Encore une fois, j’estime que l’utilisation du terme de Constitution européenne témoigne de notre manque de créativité. Je crains que cela ne nous entraîne plus loin que là où certains européens souhaitent aller.

Dominique LATOURNERIE

Il ne me paraît pas opportun de diaboliser certains mots comme Nicole Catala vient de le faire. Depuis trois ans, je me suis penché sur l’élaboration d’un avant-projet de Constitution pour l’Europe, et ce pour deux principales raisons. Il me semble tout d’abord que, pendant longtemps, l’opposition des termes fédéralisme et nation a contribué à un enlisement du débat. D’autre part, nous avons pu constater, au cours des dernières décennies, le manque de réactivité et de coordination européennes, que l’on pense à la vache folle, à la catastrophe de l’Erika, etc. Bref, l’Europe est encore impuissante dans bon nombre de domaines.

Incontestablement, les citoyens n’ont pas droit à la parole en Europe, si bien qu’ils ne peuvent se sentir en phase avec ce que l’on décide pour eux. Par ailleurs, force est de constater qu’il existe des rapports conflictuels entre les institutions européennes et les institutions nationales. Je pense que nous pouvons trouver des solutions pour bâtir un projet.

Nous avons, sur ces bases, élaboré une première esquisse.

Dans notre réflexion, nous ne saurions négliger les Etats. Pour éviter les conflits entre institutions nationales et communes, nous proposons la création d’une deuxième Chambre au niveau européen. Se pose alors le problème de l’élection des membres de ladite Chambre. Une première solution consisterait à élire des membres des Parlements nationaux. Reste à savoir si nous devons prévoir un nombre défini de représentants par Etat. Une deuxième mesure consisterait à mettre en place des organismes de contrôle de la subsidiarité – principe né des réflexions de Saint-Thomas, si l’on en croit Daniel Cohn-Bendit. La troisième mesure a trait à la répartition des compétences, laquelle n’est pas une mince affaire. Nous nous sommes appuyés sur l’article 34 de notre Constitution. Nous suggérons de définir trois niveaux de compétences :

Actuellement, les traités ne prévoient pas qu’un Etat membre puisse se retirer de l’Union. Pour ma part, je pense que nous devrions instituer une possibilité de retrait volontaire. En outre, il nous semble judicieux de prévoir des rendez-vous législatifs périodiques, afin de favoriser la cohérence des textes.

De la salle

Afin de garantir les droits des Etats membres, vous proposez la création d’une Chambre des nations. Ne pensez-vous pas que cela fait redondance avec le Conseil européen ?

Dominique LATOURNERIE

Votre remarque nous a déjà été soumise à réflexion. Je pense qu’il serait plus judicieux de créer cette troisième instance.

De la salle

Quels moyens sont envisagés pour que les citoyens aient une possibilité d’intervention concrète au niveau des institutions européennes ?

Dominique LATOURNERIE

Le document que nous préparons, comportant une cinquantaine d’articles seulement, serait un premier outil très utile pour permettre aux citoyens d’y voir plus clair dans les institutions européennes. J’ai par ailleurs évoqué d’autres procédés, comme l’introduction d’élus nationaux au sein de la deuxième Chambre du Parlement européen.

De la salle

Dans votre projet, prévoyez-vous d’accorder une place particulière aux régions, lesquelles ont un rôle politique indiscutable ?

Dominique LATOURNERIE

Votre question rejoint les préoccupations de nos voisins de l’Est. Ainsi, en ex-DRA, les citoyens craignent que les compétences des Länder soient amoindries au profit des instances européennes. A mon sens, le plus important est de favoriser les bonnes relations entre les Etats et l’Europe. Toutefois, je ne doute pas que les régions trouveront toute leur place dans le schéma que nous proposons.

De la salle

J’aimerais avoir quelques explications supplémentaires quant à la deuxième Chambre dont vous proposez la création ?

Dominique LATOURNERIE

Dans mon schéma, le Conseil des ministres verrait son importance réduite au profit de la Chambre des nations, qui serait l’instance de représentation des Parlements nationaux.

Nicole CATALA

A l’inverse de Dominique Latournerie, je suis très attachée au Conseil des ministres. Sa suppression induirait sans nul doute des tensions accrues. En revanche, je suis très favorable à la création d’une seconde Chambre, qui devrait être la traduction de l’association directe entre les Parlements nationaux à l’Union. Je pense qu’il serait judicieux de prévoir d’élire, lors des législatives dans chaque Etat membre, entre 20 et 50 députés qui seraient titulaires d’un double mandat national et européen mais qui n’auraient pas la charge d’une circonscription nationale.

Jean-Luc SAURON

Je compte au nombre de ceux qui estiment que nous disposons déjà d’une Constitution européenne. Tout ce qui aboutirait à modifier le triangle institutionnel actuel se ferait au détriment des Etats membres ou de l’Union. J’ai le sentiment que la création de la deuxième Chambre se traduirait par un amoindrissement du contrôle parlementaire national.

A mon sens, l’intérêt majeur de la Constitution réside dans la clarification de la répartition des compétences respectives des différentes institutions, car ce sont bien les compétences qui font les institutions et non l’inverse. Depuis quarante ans, la construction communautaire était une modalité de la guerre froide. Aujourd’hui, nous héritons d’un mécanisme qui comporte encore des dysfonctionnements depuis la chute du Mur de Berlin. Depuis, nous avons du mal à percevoir ce vers quoi nous souhaitons évoluer. Les Français tiennent la Constitution pour une sorte de " Meccano " institutionnel. Le chancelier Schroeder, dans son projet, souhaite remettre en cause la PAC et les politiques régionales, car l’Allemagne a tiré les leçons de l’échec de sa réunification. Par ailleurs, la répartition des compétences doit être rapprochée des modalités d’adhésion.

L’exigence de lisibilité et d’adhésion suppose un ancrage réel des citoyens dans l’Union. En d’autres termes, il importe d’associer les citoyens à la réflexion quant à la réforme de nos institutions nationales. Il convient pour cela que nous élargissions le spectre de collecte de l’information auprès de nos concitoyens, avant de remonter ladite information auprès du Gouvernement.

Il me semble également nécessaire de définir clairement qui doit être l’interlocuteur politique représentant l’Europe aux yeux des citoyens.

En conclusion, je pense que nous devons bâtir des institutions européennes traduisant l’adhésion des citoyens à la construction de l’Europe. Je dois vous avouer que je ne peux comprendre comment nous pourrons disposer d’une Europe forte sans Etat.

De la salle

Il me semble que l’opinion publique est relativement familiarisée avec la notion de Constitution. D’ailleurs, 60 % des citoyens de l’Union se sont prononcés en faveur de ce projet. La notion de Constitution pour nos concitoyens serait la concrétisation d’une Europe politique.

De la salle

Le dernier sondage réalisé auprès des jeunes européens quant à leur sentiment d’appartenance nous permet de constater que près de 70 % d’entre eux se définissent en premier lieu par leur appartenance à la nation, le sentiment d’appartenance à l’Europe venant bien derrière, même après l’appartenance à la commune.

Par ailleurs, s’agissant de la possibilité de sortie d’un pays membre de l’Union, je tiens à préciser que dans le système américain, les Etats ne peuvent quitter la Fédération qu’avec l’accord des autres Etats. Enfin, j’aimerais savoir quelle est votre position par rapport à la possibilité d’un référendum d’initiative populaire européen, tel qu’il se pratique en Suisse.

Gérard FUCHS

Avant de se poser la question du retrait, je pense que nous devons nous pencher sur la problématique de l’entrée de nouveaux Etats dans l’Union. J’ajoute que le droit de sortie, présent dans les textes des Etats fédéraux, n’a pour l’heure jamais été utilisé. En ce qui me concerne, je suis favorable à ce qu’un nouveau traité entre en vigueur dès lors que les principaux Etats membres l’auront signé. Certes, pareille disposition s’apparente à la formation d’un noyau dur. Pour autant, cela me semble nécessaire pour avancer. En tout état de cause, l’adhésion ultérieure au traité sera libre.

Hubert HAENEL

J’abonde en votre sens. L’application du traité devra être effective au plus vite à la suite de l’élargissement de l’Union.

Dominique LATOURNERIE

S’agissant de la dernière question, je ne saurais être défavorable à l’utilisation du référendum qui me semble constituer une garantie d’adhésion des citoyens à l’Union. N’oublions pas toutefois que cela supposera des modifications institutionnelles au sein des Etats nations.

De la salle

Que répondraient les partisans de la Constitution européenne à ceux qui s’interrogent encore sur ce que nous voulons entreprendre ensemble ?

Dominique LATOURNERIE

Cette question me semble particulièrement pertinente. Je vous rappelle d’ailleurs que nous avions organisé au Sénat, il y a quelque temps, un colloque portant sur ce sujet.

Nicole CATALA

Ce point me semble capital. Pour ma part, je ne pense pas que les Européens soient mûrs pour une Europe puissante. Il me semble, pour l’heure, plus judicieux de travailler au bon fonctionnement des négociations commerciales et économiques au sein de l’Union. S’agissant de la politique, je ne peux que constater que chaque situation de tension internationale génère un repli national. En effet, chaque Etat souhaite exister par et pour lui-même sur la scène internationale. Les " petits " Etats pourraient en quelque sorte se trouver décapités si nous mettions en place une instance supranationale.

Gérard FUCHS

Prenons l’exemple du conflit des Balkans. L’Europe ne s’est entendue et ne s’est investie dans ce conflit qu’une fois les Américains présents sur le terrain. Une fois l’intervention américaine lancée, l’Europe a su défendre le droit international. En tout état de cause, je suis convaincu que la souveraineté de l’Europe ne saurait être réelle : elle sera toujours, quoi qu’il arrive, virtuelle.

Hubert HAENEL

Pour ma part, je pense que l’évolution du comportement de l’Europe dans le conflit des Balkans s’est faite sous la pression de l’union publique.

S’agissant de la création d’une seconde Chambre, c'est-à-dire d’un Sénat européen, il importe que les représentants qui la constitueront soient des représentants nationaux. Au cours de l’année 2002, il convient que nous réfléchissions plus avant à cette question. En effet, en associant davantage les parlementaires et sénateurs nationaux au débat européen, nous associerons davantage nos citoyens. Nous pourrions, par ailleurs, envisager que cette seconde Chambre puisse exercer un contrôle du respect du principe de subsidiarité. Enfin, la création d’une seconde Chambre permettrait à mon sens de faire contrepoids au Parlement européen.

Jean-Luc SAURON

La répartition des compétences me semble constituer l’élément clef de l’éventuelle rédaction d’une Constitution européenne. Les Allemands, notamment sous la pression des Länder, travaillent en profondeur sur cette question. Par ailleurs, je pense que seuls les Etats qui signeraient effectivement un contrat d’adhésion pourraient devenir membres de l’Union. Pour ma part, j’ai le sentiment que l’adhésion consensuelle n’a, à ce jour, pas fait ses preuves.

Hubert HAENEL

Les pays qui aspirent à intégrer l’Union ne sont pas suffisamment informés. En effet, ils ignorent souvent que les pays membres partages des valeurs communes. Il importe que les candidats à l’adhésion se reconnaissent dans lesdites valeurs. Il serait inopportun que ces pays rejoignent l’Union uniquement pour des raisons économiques. Si tel est leur ambition, il peuvent encore patienter.

De la salle

La seconde Chambre, que l’on a largement évoquée, ne pourrait-elle pas s’apparenter au Sénat américain ? Par ailleurs, ne peut-on pas réfléchir plus avant sur le contrôle des compétences par la Cour de justice européenne ?

Nicole CATALA

Pour ma part – mais le temps m’a manqué pour exposer ce point – je suis favorable à un double contrôle du principe de subsidiarité : un contrôle politique en amont via la seconde Chambre et un contrôle juridictionnel en aval.

Dominique LATOURNERIE

En ce qui me concerne, je conçois la seconde Chambre européenne comme une gardienne du principe de subsidiarité. En effet, cette instance aura un véritable rôle politique. En cas de violation du principe de subsidiarité, la Chambre pourra soit agir par elle-même, soit saisir la Cour de Justice européenne, à laquelle nous ne reconnaissons toutefois pas le droit de trancher.

Gérard FUCHS

Chacun semble s’accorder sur la nécessité de créer une Chambre des Etats et sur le rôle politique qu’elle devra jouer. Cette affirmation nous entraîne inéluctablement sur le thème de notre seconde table ronde, à savoir quel gouvernement pour l’Europe ? En tout état de cause, je suis convaincu que nous devons préserver le triangle institutionnel. Avant de définir clairement ce que sera la seconde Chambre, nous devrons nous interroger sur l’instance qui exercera la fonction gouvernementale.

Hubert HAENEL

La question du rôle de la Cour de Justice européenne se posera nécessairement dans les années à venir. S’agissant de la seconde Chambre, notre groupe de réflexion préconise que chaque pays dispose d’un même nombre de représentants. Cette Chambre aurait pouvoir de saisir la Cour suprême que deviendrait la Cour du Luxembourg.

De la salle

Je souhaite revenir sur les propos de Nicole Catala, selon laquelle les petits Etats seraient " décapités " par la création d’une Union politique supranationale. Pour ma part, j’estime que ces petits Etats – si tant est que nous pouvons les qualifier ainsi – sont aujourd’hui très peu présents sur la scène internationale. Je pense donc que leur adhésion à une Union politique leur garantirait une meilleure représentation au niveau mondial.

Par ailleurs, je dois vous faire part aujourd’hui d’une grande déception. En effet, il est tout à fait regrettable que l’Europe ne sache, à l’heure actuelle, pas encore parler d’une seule voix.

Enfin, il me semble important que la Constitution européenne ne se fasse pas au détriment des spécificités de chaque pays. Il serait donc judicieux que les pays membres conservent en interne certaines compétences qu’on leur demande aujourd’hui d’abandonner, comme le droit de battre monnaie.

Nicole CATALA

S’agissant des petits Etats et de leur représentation sur la scène internationale, je souhaite préciser que la personne que nous venons d’entendre a vraisemblablement compris le contraire de ce que j’avançais.

De la salle

Ne pensez-vous pas qu’il serait judicieux de donner le pouvoir constituant permanent à la Commission ?

Dominique LATOURNERIE

La Constitution doit être stable. Toutefois, nous devons prévoir des possibilités d’évolution pour prévenir les révolutions. Il serait alors, dans certaines circonstances, utile de prévoir une procédure lourde, à savoir la révision constitutionnelle.

Dans le projet que nous avons élaboré, nous avons prévu de faire de la Commission européenne un organe gouvernemental, composé par secteurs et non par Etat. Le Conseil des Chefs d’Etat et de Gouvernements en désignerait le Président, lequel constituerait lui-même son équipe.

Gérard FUCHS

Je propose que nous réservions les questions sur ce sujet à notre prochaine table ronde qui aura trait au gouvernement de l’Europe.

De la salle

Je me demande si la question de la création de la deuxième Chambre n’est pas une préoccupation franco-française, née des dysfonctionnements du contrôle du Parlement français sur l’exécutif dans les négociations communautaires. Il me semble que nous devrions, avant toute chose, régler ce problème dans notre pays, avant de nous pencher sur la répartition des compétences au sein de l’Europe.

Gérard FUCHS

Votre remarque est extrêmement pertinente. Je partage votre point de vue : si des progrès étaient accomplis au niveau national, la situation s’en trouverait sans doute simplifiée et les Français seraient moins crispés quant à la création d’une seconde Chambre.

Hubert HAENEL

Sachez que des progrès ont d’ores et déjà été réalisés. Par ailleurs, je tiens à préciser que la Chambre des Nations n’aura pas pour seule vocation de contrôler l’exécutif.

Nicole CATALA

Nombre de pays européens nous ont déjà reproché de nous étendre sur des débats franco-français. Il est évident que nous ne pourrons faire l’économie d’une révision constitutionnelle en France. Il appartient désormais à l’exécutif de faire le premier pas.

Dominique LATOURNERIE

Je pense qu’il convient de réinsérer les Parlements nationaux dans les instances européennes et que nous devons privilégier un exécutif européen fort qui garantisse la solidité de l’Europe.

Nicole CATALA

Je tiens à réitérer mon attachement à la sémantique : je ne suis pas favorable à une Constitution mais à une Charte. Je rappelle également qu’il nous faudra rapidement régler le problème des langues qui, pour l’heure, est une source de blocage. Enfin, il importe que les parlementaires nationaux participent davantage au fonctionnement des instances européennes.

Hubert HAENEL

Lors de la prochaine Convention, la France sera représentée par un membre du Sénat, un membre de l’Assemblée et un représentant de l’exécutif. Je crois que nous devons poursuivre notre réflexion sur la problématique qui nous était soumise aujourd’hui.

Jean-Luc SAURON

Le Parlement national, qui s’est trouvé bousculé par la montée des instances communautaires, a retrouvé une position de force face à notre exécutif français. Cela me semble pour le moins essentiel.

Gérard FUCHS

Nous voici parvenus au terme de nos débats. Je constate que personne n’a remis en cause le principe de rédaction d’un texte communautaire fort qui donne à l’Europe une réelle portée politique. Sur cette brève conclusion, je vous invite à rejoindre à l’Hôtel Lassay où un déjeuner vous sera servi.

 

Quel gouvernement pour l’Europe ?

Témoins : Alain JUPPE, ancien Premier ministre

Pervenche BERES, députée européenne

Laurent COHEN-TANUGI, avocat

Marc DROUET

Nous sommes à nouveau réunis, après notre première table ronde, pour aborder notre second thème : quel gouvernement pour l’Europe ? Comme vous pouvez le constater, cette question est d’ores et déjà orientée.

Gérard FUCHS

Je souhaite la bienvenue à celles et ceux qui n’étaient pas parmi nous ce matin. Je vous propose de fonctionner selon les mêmes modalités que celles que nous avions adoptées pour notre première table ronde. Lors de notre première table ronde, nous avions déjà quelque peu défloré le sujet qui doit nous occuper cet après-midi.

Sur les 1 400 réponses qu’a générées l’enquête en ligne de l’Assemblée nationale sur l’avenir de l’Europe, 75 % des personnes ayant répondu se sont prononcées en faveur de l’instauration d’un gouvernement européen. En revanche, lorsqu’il s’est agi de déterminer qui devrait assurer la fonction de l’exécutif européen, les réponses se sont réparties entre la Commission européenne, constituée de membres nommés par les Etats, le Conseil des ministres, composé de représentants des gouvernements nationaux, et le Conseil européen, qui comprend les chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’Union.

Laurent COHEN-TANUGI

Quel gouvernement pour l’Europe ? la question renvoie à la carence principale de l’Union européenne aujourd’hui, à savoir l’absence d’un gouvernement. Aujourd’hui, l’Europe dispose d’un pouvoir législatif, judiciaire, économique, etc. mais il lui manque encore un gouvernement. Cette lacune est d’autant plus prégnante dans le contexte actuel, à la suite des événements du 11 septembre, contexte dans lequel l’Europe politique a un rôle à jouer.

Avant toute chose, je tiens à signaler que le terme de gouvernement n’est pas systématiquement synonyme d’exécutif, ainsi que l’on peut le constater au regard de l’acception américaine, par exemple.

Pour autant, un gouvernement présente trois caractéristiques essentielles :

A ce jour, l’Europe compte une multiplicité d’institutions. Cependant aucune d’entre elles, pas davantage que leur conjonction, ne répond aux trois exigences susmentionnées. Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il importe de partir de l’existant. Pour ma part, j’ai distingué deux modèles.

  1. la Commission comme gouvernement de l’Europe
  2. Cette proposition correspond grosso modo aux schémas présentés par les Allemands. Dans cette perspective, le Président constitue son gouvernement et le Conseil des ministres devient en quelque sorte une Chambre des Etats. Ce modèle a le mérite de la cohérence mais me semble peu cohérent à court terme.

    Avant d’aborder le second modèle, je me dois de citer la proposition présentée par Alain Juppé, qui suggérait d’instaurer un gouvernement européen nommé par le Conseil européen. Parallèlement, une Chambre des Etats représenterait les différents Etats membres. Pour ma part, je pense qu’il est peu judicieux de supprimer les deux institutions fondamentales que sont la Commission et le Conseil des Ministres.

  3. la conjonction du Conseil des ministres et du Conseil européen comme gouvernement

Ce modèle a la préférence des Français et transparaît d’ailleurs dans les discours de Lionel Jospin. Ce modèle se traduirait par un renforcement de l’actuel Conseil des ministres des Affaires étrangères. Ceux-ci seraient remplacés par des " super-ministres " des Affaires européennes. Ce schéma, comme vous le constater, est beaucoup plus intergouvernemental.

Pour ma part, je ne suis pas favorable à cette seconde solution. C’est pourquoi je privilégie le renforcement de l’organisation telle qu’elle existe à ce jour. Dans cette perspective, le Conseil et la Commission seraient restructurés de manière parallèle. S’agissant des restructurations internes au Conseil, la proposition de Jacques Delors, qui suggère la mise en place de super-ministres des Affaires européennes, me semble très pertinente. En ce qui concerne la Commission, nous devons aller vers une présidentialisation et vers un renforcement de ses compétences en matière juridique et de sécurité. Au-dessus de ces deux entités se trouverait le Conseil européen.

Cette voie me paraît réaliste, dans la mesure où elle s’inscrit dans le prolongement de l’existant et des réformes récentes. Pour autant, le sommet de Nice n’a pas réglé la question du gouvernement de l’Europe, bien au contraire. Il s’agit d’un problème clef sur lequel nous devons nous pencher plus avant, notamment eu égard aux évènements du 11 septembre dernier.

De la salle

Si j’ai bien compris votre schéma, vous souhaitez que la Commission conserve un commissaire par Etat. A Nice, nous avons constaté combien tous les Etats sont attachés à ce principe. Pour ma part, je crains qu’en persistant dans cette voie, nous n’aboutissions à une Commission encore plus ingouvernable.

Laurent COHEN-TANUGI

Dans un schéma idéal, la Commission est un collège restreint dont les membres seraient nommés par le Président. Toutefois, je dois reconnaître – ainsi que vous l’avez souligné – que les pays ne sont pas encore disposés à renoncer au principe d’un commissaire par Etat. Il nous faut donc trouver un compromis, par exemple en organisant la Commission par portefeuilles ministériels en quelque sorte. Dans ces conditions, chacun des pays serait représenté.

Philippe LEMAITRE

En ce qui concerne le renforcement des pouvoirs de la Commission, ne craignez-vous pas que son actuel déclin ne rende difficile la réalisation de ce projet, d’autant que travailler à 15 n’est pas toujours chose aisée ? J’estime, en outre, que la question de la confiance entre les Etats membres est primordiale.

Laurent COHEN-TANUGI

La Commission monte en puissance dans son rôle d’aiguillon diplomatique, financier, etc. En ce qui me concerne, je suis convaincu que la Commission a été délibérément affaiblie, suite aux accords de Maastricht. Toutefois, il n’est impossible de lui donner un nouvel élan. Votre dernière remarque nous renvoie à la problématique de la géométrie de l’Europe. Si les pays membres souhaitent aller de l’avant, ils n’auront d’autre choix que de décider des attributions et des rôles de chacun. Les Etats qui ne désirent qu’intégrer le marché unique ne doivent en aucun cas empêcher l’Union d’évoluer vers une dimension plus politique.

De la salle

Votre exposé était très clair. Cependant, j’aimerais que vous nous précisiez votre conception de la Présidence du gouvernement européen.

Laurent COHEN-TANUGI

Le sujet est effectivement complexe. Soit le Président de la Commission devient Président du Gouvernement européen, dans le cadre du premier schéma que je vous ai présenté, soit le Conseil européen élit lui-même son Président. Pour ma part, je suis convaincu que le Conseil européen pourrait jouer le rôle d’un chef d’Etat collectif, tout en conservant le système des présidences tournantes.

Marc DROUET

Alain Juppé, vous êtes député maire de Bordeaux et ancien Premier ministre, mais vous êtes également président de l’association France moderne, qui est à l’origine d’un projet de Constitution européenne. Comme vos prédécesseurs, nous souhaiterions entendre votre opinion quant au gouvernement européen.

Alain JUPPE

A ce jour, pour relever les défis auxquels l’Union européenne est confrontées, nous ne pouvons faire fi de l’approche institutionnelle. En effet, nombre de blocages sont le fruit de dysfonctionnements des institutions. Par ailleurs, l’approche institutionnelle nous permet de répondre à des questions d’ordre constitutionnel qui se posent depuis la construction de l’Europe.

A ce jour, il convient que le rôle du Conseil des ministres soit précisé et qu’il n’assure plus simultanément une fonction exécutive et une fonction législative. L’exécutif sera divisé en deux niveaux. Dans la fédération d’Etats nations que nous souhaitons bâtir, le Conseil européen fixera les grandes orientations de la politique européenne, nommerait le chef du gouvernement européen et assurerait la représentation du pouvoir exécutif avec un mandat rallongé.

La Commission jouerait le rôle d’un gouvernement, avec à sa tête un chef nommé par le Conseil et des commissaires assimilables à des ministres rattachés à des portefeuilles. Ce schéma permet d’évacuer le problème du nombre de commissaires.

Par ailleurs, nous proposons de bicaméraliser l’exécutif. La première chambre, le Parlement, serait composée de députés élus non plus au scrutin proportionnel, mais par un scrutin uninominal, avec des circonscriptions infra-nationales qui permettraient de créer un lien entre le député et sa base électorale, ce que ne permet pas le scrutin proportionnel. La deuxième chambre serait une Chambre des Nations, comportant un nombre de représentants des Parlements nationaux égal pour chaque pays de l’Union.

Dans le cadre de notre groupe de réflexion, nous avons évoqué d’autres aspects, comme la problématique juridique ou les possibilités de sortie de l’Union européenne. Il nous semble en effet nécessaire de prévoir les modalités de sortie de l’Union dans le cas où un Etat n’adhérerait plus à la vision politique commune qui doit prévaloir au sein de l’Union.

De la salle

Dans la construction que vous avez exposée, quel rôle attribueriez-vous à la Cour de Justice ?

Alain JUPPE

Nous n’apportons pas de modification majeure à l’existant en ce qui concerne le pouvoir judiciaire. Le débat concernant une cour européenne constitutionnelle reste cependant ouvert.

De la salle

Comment pensez-vous que les parlementaires nationaux puissent tout à la fois assumer leur rôle de parlementaires européens sans contradiction aucune ?

Alain JUPPE

Il est vrai que le cumul des mandats est spécifique à la France. Quoi qu’il en soit, il me semble important de rapprocher les parlementaires nationaux du Parlement européen. Pour notre part, nous sommes favorables à ce que la Chambre des Etats soit garante du respect du principe de subsidiarité. Le cas échéant, il lui sera toujours possible de saisir la Cour de Justice.

De la salle

Ne pensez-vous pas que le Conseil européen manque d’une certaine légitimité démocratique ?

Alain JUPPE

La légitimité du Conseil n’est pas moindre que celle des chefs d’Etats et de gouvernements. En outre, le Parlement européen est plutôt l’expression de la Fédération, tandis que le Conseil européen s’apparente davantage à l’exécutif. Ainsi, le Conseil européen pourrait selon nous dissoudre le Parlement.

De la salle

Quel est votre avis sur les propositions du chancelier allemand Gerard Schroeder et de son ministre Fischer ?

Alain JUPPE

Nous avons travaillé avec des collègues allemands de la CDU-CSU. Nous avons certes des points de convergence mais également des sujets de divergences. Ainsi, nos amis allemands tendent à définir la Chambre des Etats sur un modèle qui s’apparente au Bundesrat. Par ailleurs, ils sont davantage en faveur d’une Commission qui demeure telle qu’elle est aujourd’hui. En tout état de cause, c’est souvent des divergences que naît la lumière…

Pervenche BERES

Nous avons souvent entendu, ces dernières années, des thèses qui préconisaient la remise du pouvoir aux mains des ministres des finances et de l’économie. Je ne pense pas que cette solution soit la plus adaptée.

La problématique d’un gouvernement pour l’Europe ne saurait être abordée sans que nous ayons préalablement réglé quelques dysfonctionnements au niveau national. Pour ma part, je suis particulièrement inquiète vis-à-vis de la structuration en piliers de notre Europe communautaire. Selon que l’on considère l’Union européenne sous un angle économique ou sous un angle politique, les questions que nous devons nous poser ne sont plus les mêmes.

La question : quel gouvernement pour l’Europe ? évoque inéluctablement le dilemme entre Commission et Conseil. Pour ma part, j’estime ce dilemme stérile. Je pense qu’il faut refuser ce dilemme Commission / Conseil car cette confrontation n’est pas féconde pour dégager des pistes d’évolution. Certaines propositions actuelles sont intéressantes mais n’ont pas été suffisamment débattues en France. Ainsi, l’idée de fusionner les deux organes peut constituer une piste de réflexion intéressante. Pour autant, la piste la plus intéressante est selon moi celle qui repose sur le renforcement de l’ensemble des pôles qui forment le triangle institutionnel communautaire.

L’élection de la Commission au suffrage universel n’est pas réaliste. Mais la Commission pourrait émaner de la majorité issue des élections européennes. Jena Monnet prévoyait que la Commission soit indépendante des Etat membres mais cela n’exclut pas qu’elle défende une certaine politique.

En ce qui concerne le Conseil, il faut envisager de disjoindre ses compétences en matière de politique étrangère et de sécurité commune d’avec son rôle de coordination des affaires générales. Le Conseil européen pourrait exercer le rôle de coordination politique. Il faut en outre différencier les fonctions exécutives et les fonctions législatives du Conseil, pour éliminer le problème de la transparence des travaux du Conseil en tant que législateur.

L’idée d’une seconde chambre me semble peu réaliste.

L’idée d’élire la Commission au suffrage universel ne me semble pas pertinente. En revanche, je conçois parfaitement qu’elle puisse émaner du vote des élus européens. S’agissant du Conseil, il convient de distinguer ce qui relève des fonctions exécutives et ce qui relève des fonctions législatives. Chaque Etat membre pourrait alors définir son degré de participation lorsque le Conseil exerce sa fonction législative.

Dans ce schéma, la Commission aurait pour mission d’orienter les grands axes politiques de l’Union.

Par ailleurs, l’idée de mettre en place une seconde Chambre me paraît irréaliste. D’autres pistes méritent d’être étudiées, notamment celle d’un rapprochement des parlementaires nationaux du Parlement européen.

Pour conclure, je tiens à souligner que nous devrons, lors de notre prochaine Convention à Laeken, produire un texte qui ne fasse pas fi des différentes pistes que j’ai évoquées.

De la salle

Je souscris aux propos de Pervenche Beres, qui me semble défendre une vision citoyenne. Pour ma part, je proposerai même que le Président de l’Union soit élu par l’ensemble des citoyens d’Europe.

Pervenche BERES

C’est effectivement une idée séduisante. Néanmoins, elle ne me semble pas réaliste. En effet, je m’imagine mal faire campagne, dans mon pays, pour un candidat à la présidence de la Commission européenne, qui ne soit pas Français. Ne vous leurrez pas : lorsque les députés européens ont à se prononcer sur la nomination de personnes à tel ou tel poste, ils n’arrivent pas à faire abstraction de leurs réflexes nationaux, ce qui est somme toute logique et compréhensible. Pour ma part, je pense qu’une révision des modes de scrutin apparaît comme la solution la plus simple et la plus logique.

Alain JUPPE

Je partage totalement l’avis de Pervenche Beres. Par ailleurs, j’estime que les citoyens européens ne sont pas encore mûrs pour l’élection d’un Président européen au suffrage universel.

Gérard FUCHS

Je souhaite aborder le thème de l’alternance, lequel ne saurait être oublié dans une perspective démocratique. Nombre de nos concitoyens ont le sentiment que l’Union ne défend qu’une position et qu’il n’existe qu’une réponse à un problème donné. Cela est totalement faux : l’alternance existe dans chacun des pays européens. Il nous faut donc favoriser son introduction dans le système communautaire. Aujourd’hui, chaque Etat membre impose un ou deux commissaires, tant et si bien que nous obtenons une Commission politiquement incolore. A mon sens, il serait plus judicieux que les gouvernements nationaux proposent des commissaires issus de leur famille politique. Il appartiendra ensuite au Président de la Commission de se prononcer. Ainsi, nous obtiendrions une instance d’où l’alternance ne serait pas absente. C’est, à mon sens, une condition d’adhésion des citoyens au projet européen.

Laurent COHEN-TANUGI

Je partage globalement votre position. Cependant, il me semble dangereux de dupliquer au sein de l’Europe des clivages politiques qui seraient sans rapport avec les problématiques qui sont les siennes. Par ailleurs, bien que les modifications institutionnelles s’effectuent lentement, il me semble que ne se font pas sans tenir compte de l’alternance. En d’autres termes, les choses vont dans le bon sens.

Alain JUPPE

J’avoue être tout à fait séduit par la proposition de Gérard Fuchs. Nous sommes aujourd’hui face à une alternative simple : renforcer ce qui existe ou faire preuve de créativité.

Pervenche BERES

Le souci de clarté n’interdit pas un certain byzantinisme ! Il serait regrettable de court-circuiter le rôle législatif des membres du Conseil. S’agissant de la proposition de Gérard Fuchs, je me permettrais de poursuivre le raisonnement. En effet, à mon sens, il faut que nous procédions à la re-politisation du Parlement européen. Nous sommes là confrontés à une interrogation face à laquelle je n’ai malheureusement pas de réponse. Si nous souhaitons évoluer dans ce sens, nous devons nous interroger sur les modalités visant à faire accepter les normes élaborées par le Parlement par la majorité des citoyens des Etats membres.

De la salle

Comment envisagez-vous la répartition des compétences entre les Etats nations et l’Union européenne ?

Alain JUPPE

Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question. En tout état de cause, il importe que nous évitions les glissements successifs liés aux dysfonctionnements actuels. Pour ma part, je plaiderais en faveur d’un renforcement de l’existant. Il s’agit donc de distinguer ce qui relève explicitement des Etats membres de ce qui relève de l’Union et des compétences partagées.

De la salle

Quid du calendrier de mise en place des nouvelles institutions européennes ? Estimez-vous souhaitable d’anticiper les initiatives dans ce domaine, compte tenu des événements du 11 septembre ?

Laurent COHEN-TANUGI

Je me suis exprimé dans Le Monde hier à ce sujet. Il convient que nous nous penchions plus avant sur la construction des piliers de la Communauté. Je pense que nous devons avant tout relever des défis vitaux, notamment en matière d’économie et de défense, avant de nous préoccuper d’un quelconque calendrier.

Gérard FUCHS

L’accélération du rythme de la prise de décisions depuis quelque temps constitue une ébauche de réponse à votre interrogation. Les évènements conduisent à une accélération à laquelle nous devrons nous préparer. Au niveau institutionnel à proprement parler, je suis convaincu qu’en France, nous ne saurions faire l’économie d’une ratification par référendum des accords modifiant les institutions. En tout état de cause, la mutation doit se faire avec l’accord de la majorité des citoyens et de leurs représentants. Nous devons tous, à notre niveau, nous tourner vers les Français pour leur expliquer les enjeux exacts de cette mutation. Si nous devons pour cela perdre un peu de temps à court terme, cela sera autant de temps de gagné à l’échelle de l’Histoire.

Pervenche BERES

Les évènements du 11 septembre ne bouleversent en rien le calendrier européen. L’échéance de 2004 sera pour nous l’occasion de tirer les conclusions de la dynamique des politiques communes qui s’élaborent actuellement. Aujourd’hui, nous sommes face à de nouveaux chantiers que nous saurons mener à bien à l’échéance prévue.

Je constate que nous n’avons, au cours de cette table ronde, jamais abordé la question des coopérations renforcées. Il conviendra que nous nous penchions davantage sur cet aspect.

Philippe LEMAITRE

J’estime quant à moi que les évènements du 11 septembre ont totalement changé la donne. L’Union européenne ne fonctionne pas, à ce jour, en tant que telle. C’est pourquoi la problématique des coopérations renforcées se pose de manière plus prégnante.

De la salle

Vous accordez un rôle important aux ONG – si j’ai bien compris vos propos – pour promouvoir la démocratie en Europe. Je suis très sensible à cette réflexion. Ne pensez-vous pas que les partis politiques existants pouvaient assumer ce rôle de courroie de transmission ? Je trouverais regrettable que les associations soient, dans ce processus, animées par les mêmes motivations que les partis politiques. Peut-être serait-il souhaitable de faire davantage confiance à des associations qui travaillent au plus près du terrain, notamment dans des pays qui souhaitent intégrer l’Europe ? Elles auraient alors pour mission d’aider ces pays à construire leur société civile.

Pervenche BERES

L’expérience récente a montré que nous ne devons pas nous priver de la richesse que représentent les réseaux d’ONG. Les discussions en cours, sur l’organisation de la prochaine Convention, me semblent raisonnables. En effet, il n’eut pas été souhaitable que les associations participent à cette Convention, ce qui ne signifie pour autant pas qu’elles n’aient rien à apporter aux politiques.

L’abstention croissante des électeurs aux scrutins a parfois conduit à s’interroger sur la légitimité des élus, ce qui me semble infondé. A ce jour, je ne connais aucune autre légitimité que celle décernée par les urnes.

De la salle

Pourriez-vous nous apporter quelques précisions quant à la distinction des fonctions législative et exécutive du Conseil européen ?

Pervenche BERES

Cette proposition a pour ambition de clarifier le rôle même du Conseil, notamment dans le cadre de ses discussions avec le Parlement européen. Prenons l’exemple des débats sur le chocolat qui se sont tenus au niveau européen, bien que le sujet puisse paraître anecdotique. Le Parlement avait défendu la thèse qui privilégiait un chocolat à haute teneur en cacao. Cependant, en raison de blocages au niveau du Conseil, cette décision a été invalidée. Et tout cela s’est passé dans la plus grande opacité. Il convient que nous mettions fin à pareils procédés.

De la salle

Le premier pas vers une politique de défense sérieuse consisterait à disposer d’un budget commun, ce qui n’est pour l’heure pas le cas. Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’élection de l’exécutif européen au suffrage universel. Les arguments des opposants à cette proposition sont tout à fait pertinents. Cependant, peut-être existe-t-il un moyen de pallier ces obstacles en élisant une Présidence collégiale, par exemple sous la forme d’un Directoire.

De la salle

Ne pensez-vous pas que la problématique de l’autonomie régionale doive rester du ressort des Etats membres ?

Gérard FUCHS

Il est clair que les compétences des Länder, par exemple, ne sauraient être décidées au niveau supranational.

De la salle

Dans la perspective d’une Europe communautaire, le niveau national est dépouillé de ses principaux pouvoirs. Comment coordonner cette réalité avec les compétences des régions ?

Gérard FUCHS

Cher Monsieur, je vous retourne la question !

De la salle

Estimez-vous que nous nous dirigions vers un schéma unique supposant la refondation des trois piliers actuels en un seul ? Je ne le pense pas. En effet, tout ne saurait être aussi simple : nous verrons l’apparition de cercles de pouvoir concentriques s’opposant à une vision fédérale de l’Union européenne.

Laurent COHEN-TANUGI

Pour conclure, je dois avouer que je suis toujours aussi sceptique quant à la pertinence d’une politisation des problématiques européennes. Par ailleurs, à un moment ou un autre, il faudra bien que les pays qui ne souhaitent pas adhérer à l’Europe politique se mettent en retrait et se cantonnent à la dimension économique de l’Union.

Philippe LEMAITRE

En ce qui me concerne, je ne conçois pas que la Commission puisse, à court terme, endosser le rôle d’un gouvernement qui serait compétent dans des domaines aussi importants que celui de la défense et qui aurait à décider de la guerre ou de la paix. Nous voyons bien que l’Union en matière de défense ne fonctionne pas et que la différenciation, pourtant indispensable, ne saurait aller d’elle-même.

Pervenche BERES

Avant toute chose, je tiens à faire part de mon désaccord avec l’appréciation de Laurent Cohen-Tanugi. Nous n’avons aucun intérêt à nier l’existence de débats politiques d’obédience opposées au niveau européen.

La Convention, qui se tiendra d’ici peu, se devra de mettre en place des mécanismes qui s’appliqueront à tous les Etats membres. Par ailleurs, je ne doute pas que lesdits mécanismes seront ambitieux et audacieux. La dynamique des projets qui vont se mettre en place et la magie de la convention vont jouer un rôle moteur dans le renforcement de l’Union.

Gérard FUCHS

Pour ma part, je plaide pour l’entrée en vigueur du prochain traité européen dès lors que trois quarts des Etats membres l’auront ratifié.

Comment améliorer les conditions de la démocratie en Europe :
 le rôle des citoyens et des Parlements nationaux

Témoins : Maurice LIGOT, vice-président de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne

Olivier DUHAMEL, député européen

Georges Berthu, député européen

Marc DROUET

La présidence de cette dernière table ronde sera assurée par Philippe Lemaître.

Philippe LEMAITRE

Cette dernière table ronde de la journée sera consacrée à la démocratie et aux moyens de la renforcer dans l’Union. Je vous ferai grâce des modalités de fonctionnement que nous avons adoptées depuis ce matin et laisse immédiatement la parole au premier de nos intervenants, Maurice Ligot.

Maurice LIGOT

Comme vous le savez, l’Union européenne se veut une grande démocratie constituée par 15 Etats démocratiques. D’ailleurs, l’Espagne, le Portugal et la Grèce n’ont pu intégrer la Communauté qu’une fois leurs régimes dictatoriaux abolis.

Le Conseil des ministres européen est une institution démocratique, dans la mesure où il est issu des gouvernements eux-mêmes issus d’élections nationales. Toutefois, il possède une fonction législative et une fonction exécutive et il n’existe, en son sein, aucune opposition. Le Conseil européen est donc représentatif des partis politiques qui présentent des listes soumises aux votes des citoyens. Le Parlement est élu au suffrage universel direct mais ne dispose pas de pouvoir véritable. La Commission, pour sa part, avec des commissaires qui sont nommés, est bien loin des principes démocratiques. Force est donc de constater que les institutions européennes ne sont pas à proprement parler démocratiques.

Les règlements européens résultent d’une sorte de compromis entre les différents gouvernements des Etats membres, si bien qu’ils peuvent s’apparenter à des décisions démocratiques. Les directives, pour leur part, sont décidées au niveau européen mais doivent être transposées dans les législations nationales par les élus. A première vue, ce système semble formidable. Pour autant, je ne suis pas certain que la transposition des directives soit en soi un processus démocratique. Enfin, le principe de subsidiarité, bien qu’affirmé dans les textes européens, est loin d’être appliqué. En effet, il est rare que l’on assiste au niveau européen à des débats ouverts aux citoyens. En outre, aucune instance de contrôle des pratiques démocratiques et du principe de subsidiarité n’existe à ce jour.

Cette situation est-elle critiquable ? Je ne le pense pas, dans la mesure où elle résulte d’un héritage historique. Toutefois, il convient que nous contribuions à faire évoluer, dans une perspective plus démocratique, l’organisation de l’Union. Je ne reviendrai pas, à proprement parler, sur les institutions. Je signale toutefois que le Conseil des ministres ne saurait endosser le rôle d’un gouvernement. Auprès du Parlement européen – qui devrait disposer d’une compétence législative – il serait souhaitable, pour affirmer la présence des Etats membres et suppléer la fonction législative du Conseil des Ministres, d’instituer une Chambre des Etats. Aujourd’hui, la COSAC constitue déjà une amorce de cette ambition. Il est indispensable que les oppositions soient représentés dans cette seconde Chambre.

D’aucuns prétendent que la création d’une seconde Chambre se traduirait par un alourdissement des procédures. Personnellement, je ne partage pas cette opinion. D’autres opposants à ce projet font valoir le fait que des parlementaires français ne pourraient assister aux sessions du Parlement européen. Alain Juppé nous a précédemment démontré que cela n’était en aucun cas impossible.

Quoi qu’il en soit, nous n’avons d’autre choix, à ce jour, que de nous orienter vers le bicamérisme pour pallier le caractère peu ambitieux et – nous devons bien l’avouer – quelque peu craintif des gouvernements des Etats membres.

S’agissant des décisions, il importe, pour que chacun puisse y voir plus clair, que les compétences de chaque institution soient clairement définies. Par ailleurs, en ce qui concerne les directives, la transposition ne saurait être systématique : les directives doivent pouvoir s’adapter aux réalités des différents Etats.

Aujourd’hui, l’Europe fonctionne en vertu de traités quelque peu obscurs et abscons pour les citoyens. Ces derniers se retrouveront davantage dans un texte fondamental et accessible à tout un chacun, comme une Constitution. Dans le cas contraire, l’Europe pourra certes continuer à fonctionner mais sans remporter l’adhésion des citoyens, lesquels sont pourtant les premiers concernés.

De la salle

L’idée d’une deuxième Chambre me pose problème. En effet, il me semble que nous aboutirions à une forme de schizophrénie politique, dans la mesure où les intérêts que défendent les députés sur le plan national ne sont pas toujours compatibles avec les intérêts dits " communautaires ". A nouveau, je crains que nous ne nous égarions à nouveau dans un débat franco-français. Il me semblerait plus judicieux que le contrôle démocratique s’effectue d’abord au niveau national, par une intervention accrue du parlement auprès du gouvernement sur les questions européennes, avant de s’exercer à Bruxelles.

Maurice LIGOT

Je ne pense pas, s’agissant de votre première remarque, que l’on puisse parler de schizophrénie. Un parlementaire français peut tout à fait assumer une fonction au niveau européen. En ce qui concerne le contrôle auquel vous avez fait allusion, je vous rappelle qu’il est assuré par une délégation qui a les mêmes attributions qu’une commission parlementaire permanente et qui est d’ailleurs composée de parlementaires. Pour ma part, je pense qu’un certain nombre de dysfonctionnements ne sont pas uniquement imputables à la Délégation et sont souvent le fait du gouvernement.

Philippe LEMAITRE

Je souhaite rappeler que notre débat doit également se pencher sur la problématique de la démocratie participative.

Georges BERTHU

Si nous décidons de la création d’une seconde Chambre au niveau européen, il importe que cette nouvelle instance présente un réel intérêt. L’on prétend que cette Chambre aurait vocation à représenter les différents Parlements nationaux. Mais cette fonction est déjà assurée par le Parlement européen. La seconde Chambre s’avèrerait intéressante si les pays pouvaient y exercer un droit de veto. Je crains que cette seconde Chambre ne constitue, contrairement aux aspirations de ses partisans, un véritable piège pour les Parlements nationaux.

De la salle

Tout le monde reconnaît que la citoyenneté s’exerce au niveau collectif. Pourtant, à l’heure actuelle, la France ne reconnaît pas aux résidents d’origine étrangère le droit de participer aux scrutins. D’autres pays ont, de leur côté, fait des avancées en la matière. J’aimerais avoir votre sentiment sur cette question primordiale.

Philippe LEMAITRE

Chaque pays a sa propre interprétation de la citoyenneté. Dans certains pays, comme en Allemagne, la citoyenneté est régie par le droit du sang, tandis que dans d’autres, comme en France, le droit du sol définit la citoyenneté des individus. A mon sens, il est difficile d’envisager une législation européenne sur cette question. En revanche, chaque citoyen d’un pays européen résidant dans un autre pays de l’Union peut participer aux votes municipaux et européens.

De la salle

Dans le système que vous proposez, quel serait le rôle que vous laisseriez à la Commission ? Par ailleurs, pensez-vous que ce schéma soit viable dans une Europe à 27 ?

Maurice LIGOT

Je ne reviendrai pas plus avant sur votre question dont nous avons déjà largement débattu lors des deux précédentes tables rondes. Je me suis contenté d’évoquer le degré de démocratie prévalant au sein des institutions européennes et présidant aux décisions prises.

De la salle

Si je suis votre raisonnement, le Conseil des ministres deviendrait, en quelque sorte, le gouvernement européen.

Maurice LIGOT

Je ne vous ferai pas d’autre réponse que celle que j’ai déjà apportée. Le Conseil des ministres ne peut continuer à assurer à la fois des fonctions législative et exécutive.

De la salle

Il convient donc d’améliorer la démocratie au sein des institutions européennes en désignant, par exemple, le Président de la Commission à l’issue des élections du Parlement européen. Votre modèle me pose problème, dans la mesure où il suppose la disparition de la Commission qui pourtant est la seule instance véritablement moteur dans la construction européenne.

Maurice LIGOT

La solution que vous proposez ne serait guère plus satisfaisante puisqu’elle équivaudrait à nier le rôle du Conseil des ministres !

De la salle

Pour améliorer la démocratie en Europe, il me semble que nous devons nous pencher plus avant sur les conditions d’émergence d’une société politique européenne. On peut regretter à ce titre l’absence flagrante de tout ce qui a trait aux questions européennes dans les médias, notamment à la télévision. Par ailleurs, je plaide en faveur d’une révision des modes de fonctionnement de nos Parlements. Il y a peu, l’on a enfin défini un statut pour les sociétés anonymes européennes. A quand une réflexion identique pour les associations transnationales qui pour l’heure sont régies par le droit belge ? Faisons donc preuve de créativité !

Philippe LEMAITRE

Dans notre pays, le Président de la République et le Gouvernement ont d’ores et déjà posé les jalons d’un pareil débat.

Maurice LIGOT

Vous affirmez que les questions européennes ne sont pas suffisamment évoquées dans les médias. Pour ma part, je doute qu’il soit opportun d’exposer à nos concitoyens tous les dysfonctionnements de l’Union européenne, d’autant qu’à ce jour, nous ne comptons plus d’homme moteur susceptible de plaider en faveur de l’Europe dans les médias. Je suis persuadé que si nous disposions d’une Constitution européenne, les citoyens comprendraient plus aisément la complexité du fonctionnement des institutions européennes. En d’autres termes, je crois aux vertus pédagogiques d’une Constitution.

Olivier DUHAMEL

La question qui nous est posée dans cette table ronde me semble remarquablement formulée, dans la mesure où elle comporte la double dimension d’une démocratie participative et d’une démocratie représentative.

Pour ma part, je souhaite insister sur deux idées essentielles:

Simplifier le système européen

A ce jour, les citoyens n’entendent rien au système européen. Cette réalité est en grande partie imputable aux médias qui ne se font pas l’écho des problématiques européennes.

L’heure est venue de simplifier les mots et les choses. En effet, les mots de l’Europe (PCRD, COSAC, etc) sont inintelligibles pour le commun des citoyens. On parle de commission au sein du Parlement européen et de la Commission européenne… Le terme commissaire pour désigner les membres de cette commission est, à lui seul, porteur d’ambiguïté : qui pourrait reprocher à un citoyen lambda de confondre un membre de la Commission avec le responsable du commissariat de police de son quartier ? Par ailleurs, l’Europe n’a pas encore réussi à se doter d’un mode de gouvernement légitime. Quant à la législation européenne, elle est trop lourde, trop méticuleuse, trop difficile d’abord. Il est donc urgent de remédier à cette situation.

Impliquer les citoyens

Peut-être pouvons-nous commencer par déterminer ce qu’il serait opportun de ne plus faire ? Une prise de conscience semble enfin naître sur la nécessité d’associer les parlementaires nationaux et européens au débat constituant. Mais il en va de même pour les citoyens. Je regrette toutefois qu’en France, les différents colloques destinés à impliquer davantage les citoyens aient été placés sous l’égide des Préfets. En effet, ils ne me semblent pas représentatifs de l’ensemble de nos concitoyens. Il convient donc que nous nous adressions en premier lieu aux citoyens actifs. Par exemple, j’aurais aimé que le gouvernement désigne les collégiens et les lycéens comme vecteurs du passage à l’euro. Donnons-nous enfin les moyens d’offrir à nos citoyens les cadeaux que nous leur promettons ! Bref, il est temps : réveillons-nous !

Marc DROUET

Olivier Duhamell, vous avez indiqué dans votre intervention que les médias ne se faisaient pas l’écho des problématiques européennes. Pourtant, ces derniers jours, l’on a largement évoqué l’Europe, suite au blocus des ports bretons par des marins pêcheurs excédés par les directives européennes.

Olivier DUHAMEL

Certes, mais vous conviendrez que l’Europe n’est évoquée qu’en cas d’incident de ce type. A mon sens, il ne fait aucun doute que les médias véhiculent le degré zéro de l’information. Ainsi, lors du sommet de Nice, l’on s’est davantage intéressé aux faits divers entourant la réunion et à l’absence de trublions dans les rues de la ville qu’aux thèmes pourtant essentiels qui y ont été débattus.

De la salle

Aujourd’hui, force est de constater qu’il existe une réelle distance entre les citoyens et leurs élus européens. Par ailleurs, Maurice Ligot a évoqué, précédemment, le référendum de Maastricht : certes, le traité a recueilli 51 % de votes favorables. Il n’en demeure pas mois que le taux d’abstention a atteint des sommets rarement égalés. A mon sens, le manque d’information n’y est pas étranger. Il convient donc d’informer davantage le citoyen, par exemple, en refondant les programmes d’histoire au collège et au lycée en les élargissant à l’Europe. C’est à cette condition que nous formerons de futurs citoyens européens.

Philippe LEMAITRE

J’ai assisté aux forums auxquels Olivier Duhamel faisait allusion. Pour ma part, j’estime que l’organisation de ces rencontres par des Préfets était une solution satisfaisante, notamment parce qu’elle permis de toucher plus de 25 000 personnes. D’ailleurs, je dois signaler que certaines associations contestataires, conviées à ces forums, n’ont pas souhaité répondre favorablement à cette invitation. Or, pour que le débat ait lieu, il importe que plusieurs parties soient présentes et défendent chacune leurs arguments.

De la salle

Pour associer les citoyens aux débats concernant l’Europe, il serait peut-être opportun de s’appuyer sur des médias de grande portée, comme Internet à l’image de ce qui s’est fait au Luxembourg, où l’ensemble des foyers a été sondé sur des questions européennes.

Philippe LEMAITRE

Cette solution me semble plus aisée à gérer au Luxembourg qu’en France !

Olivier DUHAMEL

Je ne reviendrai pas plus avant sur la qualité des forums dont nous avons déjà largement débattu. Toutefois, il importe que nous retirions de cette expérience le maximum d’enseignements pour préparer de manière optimale la Convention à venir. En tout état de cause, nous devons faire sorte que le " petit monde " des décideurs européens se rapproche du " grand monde " des citoyens. Il importe donc que nous trouvions les moyens d’associer davantage les citoyens à cette grande aventure européenne. Si l’on organisait au préalable un référendum sur la rédaction d’une Constitution européenne, je pense que les citoyens se sentiraient réellement associés à la construction de l’Union européenne politique.

De la salle

En tant qu’enseignant, j’estime que l’Education nationale a un rôle à jouer pour développer le sentiment européen de nos élèves. En Allemagne, chaque écolier se rend une fois au moins pendant sa scolarité à Berlin pour les sensibiliser à la réunification de l’Allemagne à la suite du mur. Peut-être serait-il bon que nos écoliers se rendent au moins une fois à Strasbourg ou à Bruxelles durant leur scolarité pour être sensibilisés à la réalité européenne.

Georges BERTHU

Je remercie les organisateurs de ces Assises de m’avoir convié aujourd’hui. La manière dont la question qui nous occupe a été posée me semble excellente. En effet, avant de connaître le rôle des Parlements nationaux au niveau européen, il importe de se pencher plus avant sur les conditions de la démocratie en Europe.

La démocratie parlementaire en Europe s’est développée dans le cadre d’Etats nations disposant d’une langue et une culture communes, de corps intermédiaires forts, ce qui n’existe pas au niveau de l’Europe. Je crains qu’en transférant des pouvoirs nationaux à l’Union européenne nous ne parvenions pas à créer une démocratie européenne dont la qualité égalerait celle qui prévaut dans nos Etats nations.

Les raisons techniques ne sont pas seules à bloquer le développement d’une démocratie européenne : il existe également une explication politique, à savoir le manque de légitimité des instances européennes dont les compétences ont été pourtant constamment élargies. Ce faisant, les partisans de l’Europe ont récolté le contraire de ce qu’ils escomptaient : une désaffection accrue des citoyens au projet européen. J’observe aujourd’hui un certain retour des nations dans le processus de décision européennes. C’est pourquoi, je plaide en faveur d’un contrat entre Etats plutôt que d’une Constitution européenne et d’un exécutif " prestataire de services ". Ce faisant, nous aboutirions à une Europe en réseaux qui s’articule autour de cinq axes que je vais vous présenter brièvement mais qui sont détaillés dans les documents qui vous ont été remis.

Donner à chaque Parlement national le droit de s’opposer à une décision du Parlement européen

L’extension de la majorité qualifiée au Conseil a rompu les rapports fructueux entre Parlements nationaux et le Parlement européen. Je suis convaincu que nous pouvons améliorer cette situation en donnant le droit à chaque gouvernement national, appuyé par son Parlement, de s’opposer à une décision européenne.

Confier aux Parlements nationaux le contrôle de la subsidiarité

A l’heure actuelle, les limites des compétences européennes en termes de subsidiarité sont définies par la Cour de Justice européenne. Or ces compétences sont au cœur des préoccupations nationales. Il importe donc que le contrôle en revienne aux Parlements nationaux.

Créer des assemblées sectorielles formées de parlementaires nationaux au niveau européen

Je souhaite que les Parlements nationaux acquièrent davantage de pouvoir dans le processus de décision européen. Chaque Conseil européen devrait, dans cette optique, s’accompagner d’une assemblée sectorielle qui reporterait aux Parlements nationaux.

Développer les relations horizontales

Ces relations doivent être privilégiées par rapport aux relations verticales que nous connaissons aujourd’hui. On pourrait ainsi envisager un fonctionnement en réseau.

Donner le droit aux Parlements nationaux de participer, dès le début, au processus de décision européen

Je plaide donc en faveur de la constitution d’un pilier intergouvernemental qui favoriserait le développement de la démocratie à l’échelle européenne.

De la salle

Il est vrai qu’il existe une défiance des citoyens vis-à-vis de l’Europe. Toutefois, ce problème n’est pas propre à l’Europe : en France, les citoyens se méfient de plus en plus des hommes politiques.

Maurice LIGOT

A mon sens, il existe un lien fort entre patriotisme et citoyenneté. J’en veux pour preuve la floraison de drapeaux américains sur les voitures ou sur les vitrines aux Etats-Unis, suite aux attentats du 11 septembre.

Marc DROUET

Est-ce à dire qu’il faille attendre une catastrophe de ce type pour voir s’opérer une prise de conscience citoyenne ?

De la salle

La démocratie est l’affaire des citoyens – je n’en disconviens pas – mais elle également celle des citoyennes. C’est pourquoi, si l’on souhaite améliorer la démocratie en Europe, il serait judicieux d’appliquer l’article 23 de la Charte européenne, afin que les femmes soient partie prenante du grand projet européen.

De la salle

Je m’étonne que nous ne réfléchissions pas plus avant sur les modalités de nous ouvrir davantage aux autres pays. Par exemple, lorsque nous votons une loi en France, pourquoi ne nous renseignons-nous pas davantage sur les dispositions existant dans les pays voisins ? Il serait souhaitable que nous rompions avec cette tentation qui nous conduit à débattre de l’Europe dans un cadre strictement franco-français. En d’autres termes, je crains que des débats tels que ceux auxquels nous avons assisté ce jour ne soient quelque peu stériles et fort éloignés des préoccupations des citoyens. Il serait peut-être utile, pour favoriser davantage les relations entre pays européens, de s’appuyer davantage sur les jumelages entre communes européennes, lesquels existent depuis plusieurs décennies.

De la salle

La démocratie en Europe ne pourra se développer que si les différents membres, institutions et individus, adhèrent à des valeurs communes qu’il nous appartient de promouvoir.

Maurice LIGOT

Il ne faut pas généraliser la prétendue indifférence des citoyens vis-à-vis de l’Europe. Il existe en France de très nombreux secteurs qui bénéficient des politiques sectorielles européennes. J’en veux pour preuve les relations qu’entretiennent les agriculteurs avec l’Europe : les rapports sont parfois tendus mais c’est également cette même Europe contre laquelle ils s’érigent qui leur permet de subsister. De même, les chefs d’entreprise ont tout intérêt à s’intéresser à l’Europe.

Georges BERTHU

Les deux dernières questions de la salle ont insisté sur la nécessité que les pays européens s’ouvrent les uns aux autres. C’est exactement ce que j’entendais lorsque j’évoquais précédemment la notion de relations horizontales entre les Etats membres. Je crois aux vertus d’une configuration européenne en réseau. Pour autant, je suis convaincu que nombre de dysfonctionnements que l’on impute à l’Europe sont induits par les dysfonctionnements de nos démocraties nationales. Je profite également de l’occasion qui m’est donnée pour indiquer combien je regrette que la signature du traité de Nice ait été évacuée par les médias. Cela me semble particulièrement révélateur des dysfonctionnements de nos démocraties. Enfin, contrairement à ce qu’affirmait Olivier Duhamel, les Français font de moins en moins confiance aux institutions européennes.

Olivier DUHAMEL

Je crains que vous ne m’ayez mal compris. Je ne nie en aucun cas la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions européennes. Je prétends simplement que cette défiance est plus importante encore au niveau national. Je vous soupçonne, Monsieur Berthu, de vouloir casser la dynamique européenne et de favoriser le retour à une concentration nationale ce que nul ne peut souhaiter.

Maurice LIGOT

La démocratie ne trouvera sa place au sein de l’Europe que par le biais de l’élaboration d’une Constitution européenne où les compétences de chacun seraient clairement définies. Les Parlements nationaux pourraient, ainsi que le suggérait Georges Berthu, être garants du respect du principe de subsidiarité.

Georges BERTHU

Je ne souhaite pas un repli des Etats nations sur eux-mêmes. Néanmoins, je ne conçois pas le développement d’une Europe qui se couperait des pays et des populations qui les composent.

Olivier DUHAMEL

Produire du dissensus pour favoriser le débat public m’apparaît nécessaire pour parvenir à un consensus, car nous devons élaborer un texte qui soit consensuel.

Marc DROUET

Je vous remercie pour votre participation et vous souhaite une excellente fin de soirée.

Synthèse réalisée en temps réel par Ubiqus Reporting (ex-Hors Ligne) – 01 44 14 15 00

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