CONFÉRENCE DES PARLEMENTS DE L’UNION EUROPÉENNE CONTRE LE BLANCHIMENT

7 et 8 février 2002

Comptes rendus des réunions du Comité de pilotage

Le Comité de pilotage chargé de l'organisation de cette conférence s'est réuni à deux reprises,
les 3 décembre et 14 janvier (Paris, Assemblée nationale).

Conférence des Parlements
de l’Union Européenne contre le blanchiment
Comité de pilotage
Paris - Assemblée nationale

Lundi 3 décembre 2001
[Réunion du 14 janvier]

Liste des participants :

  1. Parlements représentés
  2. Allemagne Bundestag M. Andreas NOTHELLE, directeur adjoint des affaires interparlementaires

    Belgique Chambre des représentants M. Hugo COVELIERS, président du groupe libéral flamand (VLD)

    Sénat M. Hugo VANDENBERGHE, président de la commission du suivi en matière de criminalité, accompagné de M. T. DEWAELE, secrétaire de la commission

    Espagne

    Congrès des députés Mme Soledad BECERRIL, vice-présidente du Congrès, accompagnée de Mme Silvia MARTI, conseillère juridique

    Sénat M. Alfredo PRADA PRESA, premier vice-président du Sénat, accompagné de M. José-Manuel BRETAL VASQUEZ, conseiller juridique

    France

    Assemblée nationale : M. Vincent PEILLON, président de la mission d’information sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe.

    Sénat : M. Bernard ANGELS, vice-président du Sénat

    Grèce Parlement hellénique

    M. FLOROS, député, accompagné de M. NIKOLOUDIS, procureur général et de Mme Eleni CONSTANTINIDOU, fonctionnaire

    Italie

    Chambre des députés M. Donato BRUNO, président de la commission des affaires Constitutionnelles, accompagné de M. Rodolfo CILLOCO du bureau des rapports avec l’Union européenne

    Sénat : M. Roberto CENTARO, sénateur, accompagné de M. Sebastiano CARDI, conseiller diplomatique du président du Sénat, Mme Chiara CIPRIANI (protocole) et Mme Angela SCARAMUZZI, interprète

    Parlement européen

    Mme Elena Ornella PACIOTTI, députée européenne, accompagnée de M. Emilio de CAPITANI, fonctionnaire à la commission des libertés du Parlement Européen.

  3. Autres experts

M. Alan-Bruce BEVERLY, Commission européenne

M. Robert BIEVER, procureur d’Etat (Luxembourg)

M. Olivier de BAYNAST, magistrat représentant la France à Pro-Eurojust

M. Harlem DESIR, auteur d’un rapport au Parlement européen

M. Dominique GARABIOL, ancien chef de l’inspection du Conseil des marchés financiers

M. Gilles LECLAIR, directeur-adjoint d’Europol

M. Jean de MAILLARD, magistrat au TGI de Blois

M. Jean SPREUTELS, président de la cellule de traitement des informations financières (Belgique)

M. Jean-François THONY, conseiller à la Cour d’appel de Versailles

 

La séance est ouverte à 14 heures 40, sous la présidence de M. Vincent PEILLON.

Vincent PEILLON

Je vous souhaite la bienvenue à ce comité de pilotage de la Conférence des Parlements de l’Union européenne contre le blanchiment. Je voudrais vous remercier très chaleureusement de votre présence. Cette séance a été organisée dans des délais très courts, je sais que vos emplois du temps sont très chargés, et qu’il vous est par conséquent difficile d’y placer une telle réunion. Cela contribue à expliquer que seule une partie des délégations soit représentée aujourd’hui. Pour autant, chacun dispose du texte qui vous a été fourni et qui sera l’objet de nos séances de travail. Arnaud Montebourg m’a d’ailleurs indiqué que le déjeuner avait déjà été l’occasion d’échanger sur ce sujet.

Je voudrais, en quelques mots, rappeler les intentions du Parlement français. Dans le contexte présent, la lutte contre la criminalité financière et le blanchiment est une priorité des institutions multilatérales, de l’Union européenne et de la plupart de nos Gouvernements. Cela est d’autant plus vrai depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001.

Dans ce contexte, il nous a semblé utile que les initiatives gouvernementales, européennes et multilatérales soient accompagnées d’une initiative des Parlements européens, qui puisse solenniser l’engagement des Parlements dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et la délinquance financière. Dans cet état d’esprit, nous avons souhaité que soient associés à une déclaration finale, prévue début février, un certain nombre d’experts et de représentants des Parlements. C’est précisément l’objet de notre premier comité de pilotage, pour lequel un texte vous a été soumis.

Nous nous retrouverons une seconde fois pour débattre de ce texte, le 14 janvier. A la fin de la présente séance, et jusqu’en janvier, nous pourrons travailler efficacement par correspondance, vers l’adoption de cette déclaration. Nous souhaiterions obtenir l’approbation la plus large possible des différents Parlements nationaux sur ce texte, qui propose certains éléments très nouveaux en regard de la situation présente. Cela conférerait à cette initiative une efficacité politique optimale, et une vertu d’exemplarité internationale.

Pour cet après-midi, je vous propose que les différentes délégations présentes fassent part de leur sentiment sur ce texte, ce qui permettra de mettre en évidence les points qui posent difficultés, et qui méritent d’être débattus et affinés. Dans un premier temps, je donnerai la parole aux représentants des Parlements. Ensuite, je laisserai les experts internationaux intervenir sur le sujet.

Je sollicite donc votre réaction sur le texte tel que vous l’avez reçu. Nous procéderons par ordre alphabétique et commencerons par l’Allemagne. La parole est au représentant du Bundestag, Andreas Nothelle, directeur-adjoint des affaires parlementaires.

Andreas NOTHELLE

Je vous remercie. Je n’ai reçu le texte de l’avant-projet que vendredi après-midi. Je n’ai donc pas encore eu la possibilité de l’étudier dans le détail. Pourtant, je l’ai déjà évoqué avec plusieurs experts de ces questions. Il semble que le texte soit acceptable pour nous, à quelques amendements mineurs près. Ceux-ci devront encore être débattus avec les députés concernés, qui n’ont pas encore eu l’opportunité de prendre une connaissance exhaustive du texte, mais je pense que nous pourrons facilement nous associer à ce texte.

Les amendements que nous proposerions concernent notamment le paragraphe 2, qui semble assimiler le blanchiment et le terrorisme. Selon nous, ces deux éléments doivent être dissociés, et c’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer le paragraphe 2. Nous soumettrons également deux amendements mineurs supplémentaires, que je vous transmettrai par écrit.

Vincent PEILLON

Je vous remercie. Si toutes les délégations adoptaient le même point de vue que le vôtre, nous pourrions aller très vite. Je crains cependant que cela ne soit pas le cas. D’un point de vue méthodologique, je vous demande de nous adresser les amendements que nous n’aurions pu évoquer aujourd’hui, de manière à ce que nous puissions les diffuser le plus rapidement possible. Ainsi, chacun pourra suivre l’évolution du texte jusqu’à son terme.

Je passe la parole à Hugo Vandenberghe, pour le Sénat belge.

Hugo VANDENBERGHE

Nous avons effectivement reçu l’avant-projet de déclaration finale dans le courant de la semaine passée. Dans cette mesure, il ne m’a pas encore été possible d’évoquer ce texte avec la commission de suivi sur la criminalité organisée, qui se réunit le mardi matin. Cela sera fait dans les toutes prochaines semaines.

Je voudrais souligner que l’occasion offerte par les événements du 11 septembre doit nous permettre d’agir. En effet, en politique, il convient de savoir saisir les moments propices, et celui que nous vivons semble favorable à la démarche que vous proposez et dont nous soutenons le principe. Comme vous le savez, pendant la législature passée, le Sénat avait organisé une commission d’enquête sur la criminalité organisée. En matière de criminalité économique et financière, celle-ci avait préconisé un certain nombre de mesures, que nous avions votées à l’unanimité et que je souhaite rappeler.

Nous proposons tout d’abord la révision de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, et dont l’article 2.1 prévoit l’exclusion de son application en matière fiscale.

En second lieu, nous proposons de lever le secret bancaire dans les pays où celui-ci peut encore être invoqué à l’encontre des autorités judiciaires en matière de criminalité organisée.

Il avait également été préconisé d’accélérer la réalisation du titre VI du traité de l’Union européenne du 7 février 1992, qui tend à renforcer la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures et ouvre à la lutte anti-fraude de nouvelles possibilités d’action.

Ensuite, nous proposons de poursuivre la mise en œuvre concrète de l’article 209-A du traité sur l’Union européenne. Celui-ci vise à ce que les Etats membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers, en vue de réprimer efficacement, entre autres, les fraudes en matière de subventions, de budget communautaire ou de TVA.

De la même manière, nous préconisons la création d’une nouvelle incrimination d’escroquerie en matière d’impôts, pour les cas où la fraude porte sur un montant d’impôt significatif, et a été commise par l’emploi systématique de manœuvres frauduleuses tendant à dissimuler la réalité, notamment en matière de TVA.

Nous suggérons également de désigner un magistrat fédéral spécialement chargé de la lutte contre le blanchiment.

Par ailleurs, le Sénat belge propose d’élaborer une législation de confiscation. Cela suppose l’introduction d’une distinction entre la recherche de l’auteur et du butin et la constatation de l’avantage illégalement obtenu. Il se pourrait, ainsi, que cette dernière soit séparée de l’affaire principale et nous devrions donc abandonner la règle de l’unité de la peine consacrée en droit belge. Un projet dans ce sens a été proposé par notre ministre de la Justice, il y a quelques semaines.

Nous préconisons aussi d’étudier la possibilité d’introduire la technique de l’asset sharing. Celle-ci permet aux Etats qui ont contribué au démantèlement d’un mécanisme de blanchiment ou à la saisie d’avantages patrimoniaux de se partager les avoirs confisqués.

Nous proposons enfin d’exercer un contrôle strict des marchés publics importants, surtout lorsque le cahier des charges présente un montant sensiblement inférieur à celui que les pouvoirs publics considèrent raisonnable.

J’ajoute que certaines de ces propositions sont en voie d’exécution.

Selon moi, évidemment, les idées et les thèmes proposés par votre texte sont constructifs. Je considère pourtant que pour être effectives, il convient que nos propositions soient concrètes et réalistes. Nous ne devons pas nous contenter d’une déclaration de principe. Nous devons également prévoir des voies de réalisation.

Dans le domaine de la coopération judiciaire et policière, le texte prévoit d’instituer un parquet européen. Cette idée mérite d’être explorée, mais il convient d’en préciser les modalités, les délais de réalisation et l’environnement, ainsi que les conséquences à en attendre en matière judiciaire et sur les compétences de la Cour de Justice. Il est, selon moi, nécessaire que les propositions soient plus précises.

La commission de suivi du Sénat a prévu de débattre de ces questions au mois de janvier. A cette occasion, nous pourrons certainement proposer des amendements au texte que vous nous avez soumis.

Vincent PEILLON

La parole est à Hugo Coveliers, pour la Chambre des représentants belge.

Hugo COVELIERS

J’ai également reçu l’avant-projet vendredi dernier. Celui-ci sera examiné prochainement par la commission de la justice de la Chambre des représentants. Je me contenterai donc de vous faire part de quelques impressions.

En toute hypothèse, il me semble qu’il faille être bien plus concret. En effet, la lutte contre le blanchiment ne se gagnera pas dans un seul pays, à plus forte raison si ce dernier est petit. En revanche, l’Europe semble être en mesure d’agir. Pourtant, même dans cette perspective, certaines questions se posent.

Il convient tout d’abord de se mettre d’accord sur les définitions sur lesquelles nous nous basons. Le premier thème de l’avant-projet propose par exemple d’harmoniser les procédures de levée du secret professionnel. A mon sens, chacun s’accorde à penser que le rôle du secret professionnel n’est pas de favoriser le blanchiment, et de nombreux parlementaires, en Belgique et ailleurs pourraient s’opposer à cette mesure, si nous n’en précisons pas l’objet et si nous ne précisons pas notre dessein. Nous souhaitons empêcher que de l’argent sale, provenant notamment de la criminalité, soit introduit dans le système officiel et pour y faire émerger ou y favoriser une certaine forme de pouvoir. Par conséquent, lorsque nous indiquons que nous souhaitons harmoniser les mesures de levée du secret professionnel, il convient de préciser ce contre quoi une telle mesure nous permettrait de nous prémunir, et la manière dont nous comptons y parvenir. Si nous ne faisons pas cela, nous risquons de provoquer des débats symboliques, et de créer des oppositions dont nous pourrions nous dispenser.

De la même manière, le texte prévoit de restreindre ou d’interdire les opérations avec les établissements situés dans les territoires non coopératifs. Je suis d’accord avec l’esprit de cette proposition, mais je me demande si celle-ci implique des sanctions comparables à celles qui frappent les Etats qui soutiennent le terrorisme, et que ceux-ci trouvent toujours le moyen de contourner. Nous devons être plus concrets, indiquer spécifiquement les mesures que nous prendrons à l’encontre de ceux qui ne respectent pas les règles, et préciser comment nous comptons interdire les opérations avec les territoires non coopératifs. Chacun sait que les banques sont très puissantes. Comment allons nous faire pour les contraindre à respecter les règles ?

Comme Hugo Vandenberghe l’a souligné, et bien que je sois un défenseur du parquet européen, je considère nécessaire de préciser ses prérogatives. Nous avons déjà créé Europol, qui, je le souhaite, deviendra un service efficace de police européenne. Nous avons également créé pro-Eurojust, ainsi qu’une réunion des procureurs généraux des pays de l’Union. Madame Delmas-Marty a également proposé un corpus juris limité à la fraude sur les subsides européens. S’agit-il d’agglomérer toutes ces entités autour d’un procureur général européen et d’un adjoint pour chacun des pays de l’Union ? Ces derniers seront-ils simplement compétents sur les aspects européens ou également sur les questions domestiques ? Ces questions me semblent d’autant plus importantes que les ministères publics nationaux rencontrent souvent des difficultés dans leurs rapports avec les services que nous créons à l’échelle européenne. Il convient donc d’élaborer des protocoles précisant les compétences et les attributions de chacun des services, ainsi que les relations qu’ils doivent entretenir entre eux.

Je suis d’accord pour rajouter les délits financiers, parmi lesquels le blanchiment, sur la liste des crimes et délits qui permettent l’établissement d’un mandat d’arrêt européen. Dans ce dessein, il convient pourtant que nous soyons tous d’accord sur la définition des délits financiers. J’insiste sur ce point. Les définitions doivent être précisées de manière à éviter toutes les équivoques.

En résumé, je souhaite vous féliciter pour cette initiative, Monsieur le président. Il est important que les Parlements nationaux et le Parlement européen agissent contre le blanchiment. En effet, les capitaux mal acquis constituent déjà un problème. Lorsqu’en outre, ces capitaux sont blanchis et servent à acheter une certaine forme de pouvoir, les difficultés s’accroissent jusqu’à représenter un danger pour la démocratie. Il apparaît donc nécessaire d’agir sur le plan européen. Dans ce dessein, nous devons éviter de nous opposer certains obstacles à nous-mêmes. Ainsi, pour nous soustraire aux critiques de certaines ONG, qui ont tôt fait de juger nos mesures liberticides, il convient que nous définissions précisément nos mesures, ainsi que les buts qu’elles permettent d’atteindre. Je souscris, par exemple, à l’idée de parquet européen, mais il faut, avant de le mettre en place, en définir précisément les relations avec les parquets nationaux.

Vincent PEILLON

Nous reviendrons sur le problème que vous posez. Il existe effectivement une véritable difficulté dans la définition de notre objet. Il faudra effectivement que nous ne nous limitions pas à des affirmations de principes, mais que nous en circonvenions également les champs. Dans ce dessein, il conviendra de trouver un équilibre, ce qui ne sera pas aisé.

Je donne la parole à Soledad Becerril, vice-présidente du Congrès des députés espagnol.

Soledad BECERRIL

Dans la mesure où j’ai pris connaissance de l’avant-projet dans sa version anglaise, je m’exprimerai dans cette dernière langue.

Cet avant-projet constitue une contribution importante au cadre législatif européen sur la délinquance financière. A mon sens, il est destiné à devenir un document de référence sur ce sujet, qui émeut l’opinion publique. Mon intervention portera sur les quatre thèmes que vous avez proposés.

D’une façon générale, nous souscrivons pleinement à la teneur de l’introduction. En revanche, nous nous opposons à l’idée émise par l’un des délégués présents, selon laquelle il faudrait supprimer le deuxième paragraphe. Nous estimons que le financement du terrorisme constitue une menace pour nos démocraties. En outre, il fait appel aux mêmes mécanismes que tout type de crime organisé. Aussi sommes-nous favorables à ce que ce paragraphe soit retenu.

Sur les quatre thèmes abordés, le premier mérite une attention particulière. Il prévoit la mise en place de mesures porteuses pour prévenir les abus de mécanismes professionnels dans le blanchiment de capitaux. Il est important d’encourager, au sein de nos gouvernements et des organismes de l’Union européenne, toute initiative contre le blanchiment de capitaux par des mécanismes professionnels.

En ce qui concerne le deuxième thème, il existe un consensus fort pour soutenir le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) en persuadant les territoires non coopératifs de respecter ces recommandations dans ce domaine. A cet égard, les contre-mesures rigoureuses adoptées à l’endroit de ces territoires risquent d’être indispensables.

Relativement au troisième thème, il nous semble évident que, dans un contexte où le crime s’internationalise, il faut renforcer la coopération internationale. Pour évoquer brièvement le quatrième thème, nous devons nous assurer que tous les acteurs effectuant des transferts de capitaux sont bien enregistrés et font l’objet d’un contrôle adéquat. Enfin, j’aimerais attirer votre attention sur le financement du terrorisme. A mon sens, la mise en œuvre des recommandations exceptionnelles du GAFI sur le financement du terrorisme constitueront un outil clé dans la prévention des activités terroristes.

L’avant-projet de déclaration pourrait donner une nouvelle impulsion politique, dont l’importance serait cruciale, dans la lutte contre l’argent du crime organisé et du terrorisme.

Vincent PEILLON

Votre accord de principe nous touche, dans la mesure où il manifeste une vive détermination. La liste de nos propositions a été élaborée sur la base des travaux que cette Assemblée a menés depuis trois ans. Pour autant, nous ne considérons en aucune manière que ces propositions soient limitatives. Ainsi, jusqu’à l’adoption de ce texte, toutes les propositions supplémentaires qui pourraient être formulées seraient les bienvenues.

Je donne la parole à Alfredo Prada Presa.

Alfredo PRADA PRESA

Depuis le 11 septembre, le terrorisme n’est plus l’apanage de certains pays. Il est devenu un problème pour chacun. Dans cette mesure, je propose que notre texte affirme que le financement du terrorisme sera traité de la même façon que la délinquance financière et le blanchiment.

Vincent PEILLON

Une fois encore, j’indique que nous aurons l’occasion de revenir sur cette question préoccupante. Il convient effectivement que ces deux sujets soient liés, sans doute d’une façon plus déterminée, mais également de manière plus précise que nous l’avons fait jusqu’à présent.

La parole est à Bernard Angels, vice-président du Sénat.

Bernard ANGELS

Le Sénat dispose de la même vision générale sur le texte que celle qui a été exprimée jusqu’à présent. Les travaux du Sénat se trouvent dans la même veine que ce qui nous est présenté aujourd’hui. Je me permettrai seulement de vous livrer quelques réflexions sur ce texte. Je rejoins, en particulier, nos amis belges, pour dire que nous pourrons juger notre travail fructueux si nos réflexions donnent lieu, outre à la rédaction d’un texte, à la prise de mesures concrètes nous permettant de faire avancer notre action au niveau européen. Selon moi, il s’agit véritablement d’un but que nous devons poursuivre.

Sur le texte lui-même, je voudrais aborder quelques points de questionnement qui pourront alimenter nos réflexions.

Au titre du thème 1, une déclaration systématique auprès de l’unité du renseignement financier est prévue. Il convient de se demander si sur la dotation effective de tous les pays européens disposant d’un système comparable au tracfin français. Je sais notamment que l’Allemagne est en train de se doter d’un tel outil. Si tel n’est pas le cas de tous les pays de l’Union, ces derniers devront créer des structures de renseignement financier, sur la base d’une réflexion qu’il nous faudra conduire.

Une réflexion semble également nécessaire dans le domaine des sanctions, dans le sens de l’harmonisation. Il me semble qu’un consensus pourrait être trouvé sur ce point, ce qui permettrait à l’Europe entière de parler le même langage.

Le thème 3 propose une harmonisation des sanctions pour les contrevenants, mais pas pour les déclarants. Je m’interroge sur la logique de cette mesure. Il me semble que nous pourrions aller plus loin, de manière à punir la commission de fausses déclarations.

Dans le domaine de la coopération judiciaire et financière, Eurojust est souvent cité. Il est pourtant clair qu’Eurojust n’est pas le seul organisme de lutte contre la délinquance financière. L’office de lutte anti-fraude (OLAF) n’est pas évoqué. Il doit également être cité, lui qui a vu de nouveau moyens mis à sa disposition cette année. Je souhaite donc que le rôle de cet organisme soit réaffirmé.

Pour terminer, et parce que l’intervention d’Alfredo Prada Presa m’y fait penser, alors que les travaux de l’Assemblée nationale se sont essentiellement focalisés sur la criminalité financière et le blanchiment, j’indique que les événements du 11 septembre nous invitent à élargir notre réflexion à " l’argent noir ". Je pense notamment à l’argent qui, sans être indûment gagné, sert à la déstabilisation de notre planète.

Vincent PEILLON

Afin d’être tout à fait clair, je précise que les sanctions que vous évoquiez s’appliqueraient aux déclarants qui ne respecteraient pas leurs obligations de diligence, et pas aux territoires non coopératifs. Il est vrai que dans ce domaine, les législations sont très différentes d’un pays européen à l’autre. Il est également vrai qu’en la matière, la France ne figure pas aux meilleures places.

Je voudrais passer la parole à nos amis grecs.

Monsieur FLOROS

Dans le contexte international que nous connaissons, j’accueille à bras ouverts cette conférence de même que toutes les initiatives européennes contre le blanchiment et le terrorisme. En Europe de l’Est, des preuves concluantes relient ces deux activités illicites. J’aimerais signifier notre accord de principe avec toutes les propositions avancées. Certaines réserves ont été émises  et seront explicitées par notre procureur général. Il n’en reste pas moins que cet avant-projet semble constituer un bon complément aux huit nouvelles recommandations du GAFI, avancées à Washington en octobre 2001.

Monsieur NIKOLOUDIS

Je comprends la nécessité de relier terrorisme et blanchiment. Cependant, la logique de cette association n’est pas évidente. Dans le cas le plus fréquent, le blanchiment consiste à transformer des fonds illicites en les réinvestissant dans des activités légales. Or le terrorisme semble faire le chemin inverse : des fonds licites sont utilisés à des fins illicites. Il est important d’apporter une réponse légale et juste à ces phénomènes. En ce qui concerne l’idée d’un procureur public européen, nous en reconnaissons l’utilité, tout en émettant des doutes quant à son efficacité. A notre sens, une personne ne peut, à elle seule, faire avancer l’idée d’un ministère public européen.

Enfin, au sujet du deuxième thème, nous soutenons pleinement le principe des sanctions lourdes. Cela étant, pour que celles-ci ne soient pas abusives, il nous semble qu’elles ne doivent être appliquées qu’à l’issue d’une enquête objective et juste.

Vincent PEILLON

Nous reviendrons sur la question des sanctions. En effet, une première décision semble se profiler pour le GAFI.

Nous nous trouvons, a priori, dans le processus d’adoption d’une déclaration de principes politiques par des Parlements nationaux. La question du degré de précision de cette dernière est posée. L’affirmation de principes, que nous déclinerons au sein de nos Parlements nationaux, est en soi un progrès. C’est notamment le cas sur la levée du secret professionnel. Chacun de nous connaît le contexte récent qui a entouré cette question, notamment dans le cadre de la révision de la directive. Nous pourrions ensuite être conduits à nous interroger sur la manière dont nous pourrions être plus précis, notamment sur les questions de l’évaluation, des sanctions, et donc des critères qu’il faudrait prendre en compte dans ce dessein. L’usage du conditionnel indique mon doute quant à la simplicité de cette solution.

Je donne la parole à la délégation italienne.

Roberto CENTARO

Tout d’abord, j’aimerais vous remercier d’avoir lancé cette initiative, qui est extrêmement importante. Aujourd’hui, le crime organisé fait de plus en plus souvent appel aux technologies modernes. Par conséquent, les parlements et les Etats se trouvent distancés. Il est donc essentiel que cette initiative conduise à la formulation de propositions concrètes.

Je m’intéresserai au préambule, avant d’ajouter un cinquième thème à votre liste. Premièrement, je ne suis pas favorable à la suppression du deuxième paragraphe du préambule. Le blanchiment peut contribuer au financement du terrorisme ainsi qu’à d’autres activités criminelles. Ce paragraphe a donc toute sa place dans le préambule. Même en Italie, un lien incontestable a été constaté entre le crime organisé et le terrorisme.

Dans le troisième paragraphe, je parlerais d’action mondiale et non de " mobilisation ". A cet égard, tous les pays devront jouer leur rôle. A mon sens, le quatrième paragraphe du préambule devrait être supprimé. En effet, ce document étant de nature politique, les magistrats n’ont aucun rôle à jouer dans son élaboration. Ceux-ci sont employés par les Etats pour appliquer leurs lois nationales.

J’aimerais également proposer une observation concernant le sixième paragraphe du préambule. Au lieu de nous attarder à décrire des mécanismes juridiques ou de décrire des trous noirs financiers, il me semble plus important d’évoquer les lacunes législatives. Les parlements ont, en effet, tendance à privilégier certains types d’actions. Par ailleurs, je préfère le terme " Etats ", à celui de " territoires ". Je décrirai le cinquième thème à la fin de mon intervention.

Sur le Thème 1, à mon sens, il est essentiel que tous les Etats membres de l’Union européenne se concertent pour définir une législation commune sur la fiscalité, la criminalité et la finance. Les incriminations doivent être rigoureusement identiques. Aujourd’hui, certains pays ne font pas la distinction entre les crimes " ordinaires " et ceux d’origine mafieuse. Il est également essentiel de définir une réglementation commune à l’endroit des ayant droits financiers, comme au sujet du secret professionnel. Dans ces domaines où les sanctions risquent d’être lourdes, il est indispensable que les Etats soient d’accord entre eux.

Au sujet du deuxième thème, je conviens de la nécessité de nommer les pays non-coopératifs. J’estime également qu’il faut mettre en place des sanctions criminelles lourdes, pour les particuliers comme pour les organismes. Cependant, à mon sens, l’Union européenne ne peut interdire à ces Etats membres d’ouvrir des filiales dans les pays non-coopératifs. Les critères appliqués par l’Union européenne s’appuient sur le principe de la loi en vigueur au sein de l’Union. Enfin, comme certains intervenants, j’estime qu’il faut mettre en place des sanctions contre les pays non-coopératifs.

Quant au troisième thème, il me semble que l’appel de Genève n’a pas à apparaître. Je remplacerais ce rappel par un paragraphe sur l’expérience de l’Union européenne en matière judiciaire. Il nous semble que l’existence d’Eurojust rend caduque la nécessité du parquet européen. Quelles seraient les attributions de ce dernier ? A mon sens, il pourrait servir à faciliter l’échange d’informations sur les enquêtes en cours au sein des pays européens. Cependant, à moins que la vaste législation de tous les Etats membres ne soit harmonisée, la coopération restera du domaine de l’illusoire.

En 1998, l’Italie a signé un accord avec la Suisse. Depuis sa ratification par le Parlement italien, il a suscité plusieurs déclarations controversées. Malheureusement, cette controverse est née principalement de l’ignorance. Néanmoins, l’accord permettra de mener des enquêtes conjointes avec les juges, magistrats et policiers. Nous disposons par ailleurs de la possibilité de suivre des auditions par téléconférence et d’extrader des détenus entre nos deux pays lorsque la situation l’exige. Les mesures prévus dans l’accord ont donné naissance à une puissante machine législative. L’accord de coopération s’étend également à la documentation et aux enquêtes. Ce type d’exemple devrait figurer dans le document.

Pour finir, j’aimerais rappeler l’importance des comités mixtes. En Italie, nous avons créé un comité mixte contre la mafia, composé de personnes représentant les deux assemblées législatives. Ce type d’initiative pourrait, à mon sens, inspirer d’autres Etats membres, étant un outil efficace contre toute lacune judiciaire au niveau national. Rappelons-nous que les ressources financières très importantes dont disposent les organisations criminelles constituent une menace grave pour les pays européens. Il est donc essentiel de prévoir des sanctions contre le blanchiment de capitaux et leur réinvestissement.

Vincent PEILLON

Pouvez-vous revenir sur le cinquième thème, que vous avez évoqué, mais sur lequel vous n’avez pas eu l’occasion de conclure ?

Roberto CENTARO

Le cinquième thème concerne la nécessité d’élaborer une législation homogène sur la criminalité au sein de l’Union, et de prévoir les sanctions afférentes. J’ajouterai qu’il convient de reconnaître le crime par association.

Donato BRUNO

Je partage l’avis des intervenants qui se sont exprimés jusqu’à présent. Je suis, en particulier, favorable à l’introduction d’un cinquième thème. Bien que l’information financière soit un sujet essentiel, elle n’apparaît pas dans le texte. J’aimerais conclure en rappelant mon soutien pour ce type d’initiative. Il se peut néanmoins que nous proposions certains amendements, une fois que nous aurons eu l’occasion d’examiner ce texte en compagnie de nos collègues parlementaires italiens.

Vincent PEILLON

L’introduction éventuelle d’un cinquième thème nous ramène à la meilleure harmonisation des incriminations. Si nous entrons dans cette discussion et si nous souhaitons être précis, nous risquons de devoir nous confronter aux travaux d’Hercule. Il est possible que nous soyons contraints de le faire.

Je voudrais donner la parole à Robert Biever, qui est procureur d’Etat au Luxembourg, mais qui a été désigné par les autorités luxembourgeoises.

Robert BIEVER

Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens cependant à souligner qu’en aucun cas, je n’ai été désigné par la Chambre des députés.

Vincent PEILLON

Une telle confusion des pouvoirs me surprenait.

Robert BIEVER

Cela m’a également surpris à la lecture de votre liste des participants.

Vincent PEILLON

Dans ce cas, je vous redonnerai la parole au titre des experts.

Je passe donc la parole à Elena Ornella Paccioti, députée européenne.

Elena Ornella PACCIOTI

Je vous remercie d’avoir associé le Parlement européen à vos travaux. Nous sommes également très engagés dans la définition du cadre législatif européen. Je viens de remettre au secrétariat le texte de la modification de la directive 91. Je m’engage à vous soumettre une note écrite faisant état des débats et des textes en examen par le Parlement de Strasbourg.

Nous souhaiterions acquérir une meilleure connaissance des différents cadres législatifs nationaux, afin de percevoir les différences qu’ils présentent avec le cadre européen. Si vous le souhaitez, Emilio de Capitani pourra vous présenter un état des instruments qui existent actuellement au niveau européen.

Vincent PEILLON

Nous allons maintenant donner la parole aux experts qui ont accepté notre invitation, afin qu’ils nous présentent leurs points de vue et réagissent à nos propos. Certains d’entre eux, comme Robert Biever, représentent des Etats, et d’autres appartiennent à des institutions européennes. Harlem Désir, parlementaire européen, s’est intéressé, depuis longtemps, au sujet qui nous préoccupe. D’autres encore sont des fonctionnaires, qui travaillent au sein d’instances comme Europol et Eurojust, sur lesquels nous avons déjà eu l’occasion de nous prononcer.

Je rends la parole à Robert Biever.

Robert BIEVER

Je vous remercie de votre invitation. Je suis d’accord avec tous les points de votre texte, mais, encore une fois, en disant cela, je n’engage en rien la Chambre des députés luxembourgeoise.

Aucun point ne me semble propre à donner lieu à un désaccord. Force est pourtant de constater que, ces cinq dernières années, les parlementaires ont émis un grand nombre de textes, conventions, directives ou règlements, qui n’ont pas toujours été transposés dans les législations nationales. Dès lors, ne serait-il pas indiqué que les Parlements s’astreignent à être plus vigilants sur ce point ?

En outre, il me semble qu’il ne suffit pas d’élaborer des textes. Il convient également que ces textes soient cohérents et intelligibles. Par surcroît, il faut que les services puissent disposer de personnels assez nombreux et compétents pour pouvoir mettre en œuvre les textes. Le cas contraire fournit aux gouvernements un alibi facile pour leur carence dans ln des textes, alors même qu’ils les ont ratifiés.

Le financement du terrorisme a été longuement abordé. On constate, à ce propos, qu’un même problème peut présenter un nombre important de facettes. Certes, le terrorisme peut être financé par une collecte illégale de fonds, reposant sur le racket, notamment. Dans un tel cas, nous nous trouvons face à une affaire de blanchiment ordinaire. De nombreux mécanismes ont été imaginés dans le dessein de se prémunir des mouvements de fonds assez importants mais exempts de base économique réelle. Pourtant, depuis le 11 septembre, nous avons constaté qu’un nombre important de terroristes avaient reçu des fonds très limités : ces derniers étaient financés comme des étudiants le sont par leurs parents. Les mécanismes qui permettent de détecter le blanchiment ne sont évidemment pas conçus pour détecter de tels financements.

Je voudrais également aborder la question du parquet européen. A mon sens, nous pourrions consacrer une journée entière à cette seule question. Pour l’heure, nous demeurons dans la philosophie d’Eurojust. En d’autres termes, nous tentons d’assurer une meilleure collaboration entre les différents services nationaux. Pour procéder à un véritable saut qualitatif, il faudrait charger le parquet européen de la mise en mouvement de l’action publique. Or pour ce faire, un parquet ne suffit pas. D’évidence, il faut doter ce dernier d’une juridiction. En outre, je ne vous apprendrai pas que dans tous nos pays, les pouvoirs de parquets sont contrebalancés par le contrôle que la juridiction exerce à leur endroit.

Ma dernière remarque concerne le thème 4. Dans ce domaine, il conviendra de veiller à l’harmonisation des sanctions des pays de l’Union et de celles qui sont prononcées par le GAFI. Si tel n’était pas le cas, nous risquerions une confusion considérable. Dans ce domaine, encore une fois, des choix politiques doivent être faits.

Vincent PEILLON

Je passe la parole à Alan-Bruce Beverly de la Commission européenne, qui a participé à la révision de la directive.

Alan-Bruce BEVERLY

Je vous remercie d’avoir associé la Commission européenne à cette séance de travail importante et louable. Je mesure bien les difficultés de cet exercice, qui consiste à élaborer un document équilibré, à partir d’une déclaration parlementaire et d’un texte législatif. A mon sens, il convient tout à fait de faire référence au terrorisme. Le moment est, sans conteste, propice.

En ce qui concerne le sixième paragraphe, je suis consterné par le nombre d’Etats non-coopératifs que compte l’Europe élargie. D’après le travail du GAFI, aucun des 29 Etats membres n’est irréprochable. Certains territoires se montrent coopératifs sur la criminalité, sans que cela s’étende à la fiscalité. Au vu de cela, il convient peut-être de mettre en cause l’efficacité d’une législation contre le blanchiment dans la lutte contre la fraude fiscale.

Pour évoquer le Thème 1, je souscris pleinement à la façon dont la problématique est décrite. En revanche, les solutions nécessiteront sans doute des débats plus amples. Je ne suis pas persuadé que les unités d’information financière se réjouiront de cette nouvelle responsabilité de déclaration systématique. Par ailleurs, en ce qui concerne une législation sur les consortium financiers, je connais peu de pays ayant mis en place un registre central.

A la lumière de mon travail sur le texte de la récente directive, je ne suis pas certain qu’il soit possible d’harmoniser les méthodes touchant à la levée du secret professionnel. Depuis la mise à jour de la recommandation du GAFI, la question de l’identification du payeur est à l’ordre du jour. Au sujet du deuxième thème, je ne suis pas persuadé que la déclaration systématique aux unités d’informations financière soit une chose désirable. Ce dispositif serait peut-être mieux adapté aux investissements offshore. Lors d’une récente réunion, les Ministres des finances de l’Union européenne ont décidé d’appliquer les contre-mesures proposées par le GAFI.

Je n’ai pas de remarque particulière au sujet du troisième thème, si ce n’est que nous avons réalisé d’importants progrès sur le troisième pilier. Les Ministres de la Justice et de l’Intérieur prévoient de se réunir prochainement afin de parvenir à un accord. Quant au quatrième thème, de nombreux groupes prônent aujourd’hui l’examen de la question des mouvements de capitaux, officiels ou officieux. A mon sens, les créateurs d’entreprise ou les prestataires de services aux entreprises ou aux consortiums doivent être soumis à un contrôle. Il s’agit là de quelques observations préliminaires. Il conviendra d’étudier chaque recommandation en détail ultérieurement.

Olivier de BAYNAST

Je suis membre de pro-Eurojust, qui a déjà été évoqué. Le " pro " signifie provisoire et nous espérons que l’unité définitive sera adoptée avant la fin de l’année.

Les experts et les praticiens attendent de ce genre de déclarations qu’elles donnent une impulsion permettant de dépasser l’existant. Cet exercice est redoutable, car si le sujet que nous évoquons est à la mode, il n’en est pas moins crucial. A mon sens, il faudrait que votre déclaration appelle à une cohérence supplémentaire, dans l’empilement, qui a souvent été rappelé, de conventions et de textes divers, entre lesquels les praticiens ont souvent du mal à s’y retrouver. Cela me permet également de souligner l’importance de la ratification de ces textes, qui ont souvent été débattus pendant fort longtemps. A ce propos, et à votre attention, je me suis livré à une étude de l’ensemble des textes qui concernent le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui. J’ai notamment indiqué si ces textes étaient ratifiés, et rappelé leur contenu. Je pense que cela vous sera utile.

On constate, en effet, que certains textes sont adoptés, mais qu’ils ne sont pas ratifiés. D’autres textes sont ratifiés, mais ne sont pas appliqués. Certaines institutions sont mises en place, mais elles ne collaborent pas entre elles. Il conviendrait d’appeler les organisations qui sont déjà en place à travailler ensemble. Si ces dernières ont indubitablement un rôle a jouer, elles ne pourront le tenir que si elles travaillent ensemble. Bernard Angels a évoqué OLAF. Il est nécessaire que cette institution collabore avec Eurojust, comme il est indispensable qu’Europol travaille avec Eurojust. Toutes ces institutions font partie d’un ensemble.

Comme le précisait Robert Biever, le parquet européen et Eurojust sont deux éléments tout à fait distincts. En effet, ce dernier se trouve dans une logique intergouvernementale et de coopération. Si elle appelait à la création d’un parquet européen, votre déclaration devrait clairement indiquer que la proposition d’une formule plus exigeante ne dispense aucunement de jouer le jeu des institutions existantes. En effet, il m’a été donné de constater que certains appels à des dispositifs très intégrés étaient des prétextes masquant un manque de volonté d’utiliser les dispositifs existants.

Il faudra également que la déclaration prenne en compte l’actualité de la négociation. En effet, le mandat d’arrêt européen sera adopté, je l’espère, avant la fin de l’année. Lorsque cela sera fait, il sera trop tard pour y requérir un ajout. Il conviendra de déterminer ce que le mandat permet de faire, même en dehors de la liste. Dans cet esprit, je vous propose de vous apporter mon concours pour trouver une formulation qui permette de suggérer une utilisation optimale. Pourtant, dans la mesure où nous nous trouvons encore en période d’adoption du mandat d’arrêt européen, j’invite chaque délégation à vérifier les positions qui sont tenues par son propre pays dans ces négociations. En effet, parmi les pays qui sont représentés aujourd’hui figurent des Etats qui se montrent foncièrement opposés à l’introduction des délits financiers dans le champ du mandat d’arrêt européen. J’ajoute qu’une telle position aurait des effets dévastateurs sur les opinions publiques, dans la mesure où elle semblerait indiquer que la lutte contre la délinquance en col blanc ne figure pas parmi les priorités de l’Europe, contrairement aux positions politiques affichées, à droite comme à gauche.

Vincent PEILLON

Nous vous sommes reconnaissants d’avoir préparé une étude à notre attention.

Harlem DESIR

Sur le thème 1, et d’une manière générale, se pose la question de l’articulation entre la législation européenne et sa transposition ou sa ratification dans les droits nationaux. La directive 91-308 a maintenant une dizaine d’années d’existence, et, lorsque nous avons été confrontés à des cas concrets de blanchiment d’argent, elle n’a pas donné pleinement satisfaction. Cela ne tient pas seulement aux lacunes de sa rédaction, ou au contenu même de la législation que cette directive implique dans chacun des Etats membres, mais également aux difficultés de sa mise en œuvre. Ainsi, le 2 mai 2001, sur le cas de la chambre de compensation Clearstream, la Commission européenne a répondu qu’elle se contentait de veiller à ce que la transposition ait été mise en œuvre et appliquée au Luxembourg, dans le pays concerné. Selon Bruxelles, le contrôle de la mise en œuvre de la directive par les établissements financiers du pays relève strictement de la compétence de l’Etat concerné. Or la directive impose aux établissements financiers et aux chambres de compensation de procéder à des déclarations systématiques des mouvements de capitaux qui leur semblent pouvoir relever du blanchiment, la directive définissant également le blanchiment de capitaux de manière très large, mais également univoque.

Cet exemple m’incite à proposer que nous examinions la question de la création d’un organe de supervision européen. Cette entité de contrôle pourrait jouir d’un accès direct aux organismes financiers et à leurs opérations. Cette notion est, d’ailleurs, déjà présente implicitement dans l’idée d’un procureur européen.

Après le 11 septembre, la lutte contre le terrorisme a impliqué la prise rapide de mesures contre certains établissements et certains individus. A mon sens, il convenait de réagir. Cela indique que lorsque la volonté existe, il est possible de trouver des instruments juridiques permettant de restreindre ou d’interdire les opérations avec certains établissements. Je voudrais rapprocher cet exemple de la déclaration d’intention concernant la restriction ou l’interdiction des opérations avec les établissements situés dans les territoires non coopératifs, même s’il existe une gradation des priorités. Dans ce cas, par exemple, la surtaxe mériterait d’être envisagée afin de limiter l’attrait des placements offshore.

Sur le thème 3, comme cela a été dit par le représentant de pro-Eurojust, il faut souhaiter qu’Eurojust soit mis en œuvre, car cet instrument nous permettra de nous diriger le plus concrètement et le plus rapidement possible vers le parquet européen.

Pour ce qui est du mandat européen, je rappelle que le Parlement européen s’est exprimé sur ce sujet, lors du vote du 29 novembre. Sur le rapport de Monsieur Watson, la proposition de mise en place d’un mandat d’arrêt européen a été adoptée.

Gilles LECLAIR

Je représente Europol, mais aussi un certain nombre de praticiens de la police et de la justice. Nos sorts respectifs sont intimement liés.

Je voudrais aborder les enquêtes de blanchiment en termes généraux. Il est peu probable que ces types d’enquêtes évoluent sensiblement dans le temps. Certaines de celles-ci sont conduites à partir de transactions suspectes, et nous imposent de remonter des flux financiers afin de prouver que ces transactions proviennent d’infractions. Il est donc nécessaire, cela a été dit, que chacun soit d’accord sur la définition de l’infraction.

Il est également possible de partir des infractions principales pour s’interroger sur l’environnement financier des individus et des sociétés qui ont participé à ces infractions, afin de tenter d’identifier les réinvestissements qui ont été effectués.

Certaines enquêtes peuvent également naître de la surveillance des intermédiaires financiers, qui est une véritable gageure. Enfin, il convient de mentionner la surveillance de l’utilisation de l’argent propre réinvesti dans des activités noires.

Tous ces cas nous imposent une coopération sans faille entre les services de police et de justice et les institutions financières, sur une base nationale comme européenne. Dans ce domaine, nous décelons une des premières lacunes du système. Les résultats obtenus, eu égard au nombre de textes qui ont été adoptés, semblent bien pauvres. Peu d’enquêtes positives ont effectivement pu être conduites dans le domaine du blanchiment d’argent. Il semble difficile d’affirmer que cela tient au caractère préventif des textes adoptés. Il semblerait plutôt que ces dispositifs aient créé une certaine forme de confusion. Cela mérite d’être souligné.

La coopération internationale est également indispensable, mais il s’agit précisément d’une seconde faiblesse du dispositif. La définition des Etats non coopératifs doit être claire, mais il convient avant tout de citer ces Etats. En tant que praticien, au sein même de l’Union européenne, nous avons tous été confrontés à des écueils dans l’exécution de nos commissions rogatoires internationales. Il est donc urgent que les Etats s’accordent sur une conception unique de l’expression " Etat non coopératif ". Dans le même temps, il convient de se défier de la certification des Etats, telle qu’elle a pu être effectuée aux Etats Unis, notamment en matière de drogue.

La position affichée en matière de protection des secrets, professionnels ou bancaire, mérite d’être saluée.

Pour ce qui est du parquet européen, à mon sens, pour être concret, il convient d’être plus volontaire. Il faut tout d’abord définir ce parquet, ainsi que la procédure pénale qu’il emploiera et la police à laquelle il donnera ses instructions. Cette question est ouverte.

La centralisation des poursuites au niveau des Etats et la centralisation des structures policières spécifiques me semblent éminemment souhaitables. L’éclatement des structures policières, douanières ou de la gendarmerie est souvent un obstacle à la bonne conduite des enquêtes.

Le renversement de la charge de la preuve, bien qu’il n’ait pas été mis en avant, est déjà prévu par un certain nombre de conventions. A mon sens, il est regrettable que cet élément ne soit plus évoqué, alors qu’il est particulièrement utile dans la recherche de l’origine des flux illicites.

Comme vous le savez, Europol est une jeune organisation policière intergouvernementale, donc sans pouvoir d’enquête propre. Nous n’avons, outre une fonction de renseignement, qu’un rôle de support technique et opérationnel. En novembre 2000, nous avons obtenu la possibilité de travailler sur le blanchiment sous toutes ses formes, ce qui me conduit à souligner l’importance du partage des renseignements entre tous les services nationaux. Il s’agit également d’une gageure.

Je souhaite également formuler une suggestion sur le financement du terrorisme, sujet sensible, mais pourtant à la marge du blanchiment, puisque faisant appel à toutes sortes de techniques, dont certaines sont légales. Il pourrait être bon d’élaborer une fiche spécifique, se concentrant sur les aspects particuliers du terrorisme.

Dominique GARABIOL

Je suis banquier d’origine, et j’ai travaillé longuement avec les autorités administratives de contrôle des banques et des marchés financiers. J’ai également activement collaboré avec les services de police judiciaire.

Je ferai trois remarques générales. En premier lieu, il me semble que le document introductif gagnerait à proposer des voies de clarification. Votre débat montre qu’il n’existe aucune vision claire de l’objectif du dispositif exceptionnel à mettre en place pour combattre l’argent du crime organisé ou du terrorisme. La délinquance financière est constituée d’un spectre entier de crimes et de délits. Pour qu’un consensus s’instaure entre les tous les pays et tous les acteurs, il est donc important de définir clairement un objectif. A mon sens, les Parlements nationaux pourraient jouer un rôle utile dans ce dessein.

Ensuite le thème 1 pose la question cruciale du secret professionnel. L’opposabilité de celui-ci au sein même des professions concernées est souvent méconnue des autorités politiques et administrative. Les professionnels évoquent un secret professionnel partagé. Ce concept est très important, car nous disposons de dispositifs ambitieux de vigilance, qui sont inopérants dès lors que n’importe quel agent criminel fait intervenir plusieurs banques, et que ces banques sont dans une situation d’impossibilité, au moins théorique, de communiquer entre elles. Il semblerait donc qu’il faille instaurer une reconnaissance, au sein de l’Union européenne, du secret professionnel partagé. Cela permettrait aux banquiers et aux avocats d’échanger des informations entre praticiens. Les barrières qui existent aujourd’hui rendent cela impossible et fragilisent considérablement les dispositifs de vigilance.

Enfin, je tiens à évoquer les moyens d’investigation. Je considère que tous les points qui sont évoqués dans le thème 3 sont essentiellement d’ordre criminel ou pénal. Je pense qu’il ne faut pas sous estimer l’importance des moyens d’investigation qui sont conférés aux forces policières. Certaines études montrent que la très grande majorité des affaires de blanchiment qui aboutissent à des condamnations proviennent d’enquêtes policières criminelles. Les dispositifs de surveillance apportent rarement des éléments d’information. A cet égard, je me permets de faire référence à la convention de Palerme, signée en décembre dernier, et qui contient une série d’éléments très importants et utiles. Si cette convention de Palerme pouvait être transposée dans le nombre de pays nécessaire afin qu’elle rentre en application, cela provoquerait un saut qualitatif crucial dans la lutte contre l’argent du terrorisme et du crime organisé.

Jean de MAILLARD

Je voudrais faire quelques observations générales en m’appuyant sur les interventions des différents orateurs.

Il apparaît que les problèmes liés au terrorisme opposent un certain nombre de limites aux tentatives de définition du blanchiment. En effet, certaines pratiques ne semblent pas pouvoir être identifiées à celles du crime organisé. Cela ne doit pas nous conduire à tenter de faire rentrer de force un certain nombre de problèmes nouvellement apparus dans une définition qui n’a pas été conçue dans ce dessein. Les différents pays européens disposent désormais d’une définition du délit de blanchiment comparable, sinon similaire. Le terrorisme met directement en cause le fonctionnement du système économique et financier. Le financement du terrorisme peut se produire de manière tout à fait différente du blanchiment classique, et pourtant mettre en péril le système économique et financier de la même manière. Il est donc important de prendre ce point de vue en compte dans toute tentative d’amélioration de la situation. Ainsi, si nous ne nous préoccupons pas d’introduire des règles de bonne gouvernance dans le système économique et financier, nous ne ferons jamais mieux. Or il me semble que nous devons faire mieux, plutôt que de faire plus.

 

Dans ce dessein, il me semble qu’une meilleure surveillance des personnes et des flux de capitaux est requise. Harlem Désir a soulevé, à juste titre, le problème des chambres de compensation, et plus particulièrement celui de Clearstream, qui est actuellement sous instruction au Luxembourg. Ces faits démontrent l’absence préjudiciable de supervision du système économique et financier. A mon sens, si nous introduisions des règles de bonne gouvernance sous une supervision européenne, les acteurs économiques et financiers seraient contraints de coopérer, bien davantage qu’il ne le font actuellement, avec les autorités, notamment en matière de prévention et de contrôle des opérations de blanchiment. Le système suisse d’autorégulation, qui avait fait naître un grand espoir, montre qu’il ne suffit pas de disposer de bons textes. En effet, à défaut de volonté politique, ce système a montré ses limites. Les améliorations législatives doivent donc s’accompagner de la mise en œuvre de moyens. Le renversement de la charge de la preuve, évoqué par Gille Leclair, ne sera possible que si des incriminations spéciales sont mises en place, comme elles existent déjà dans certains pays, comme le Royaume-Uni. Dans ce pays, les banquiers doivent rendre compte de leur non-respect des règles prudentielles. Il semble désormais inacceptable de s’entendre dire par des banquiers qu’ils ne savent pas comment les organisations criminelles ou terroristes pratiquent le blanchiment.

Pour ce qui est du parquet européen, je considère qu’il existe deux logiques. La première concerne le premier pilier, et la seconde concerne le troisième pilier. Il existe donc une logique communautaire et une logique intergouvernementale. Pro-Eurojust se trouve dans une logique de coopération judiciaire intergouvernementale. C’est une bonne chose, mais cela ne semble pas suffisant, lorsque chacun constate que les grandes fraudes impliquent plusieurs Etats membres de l’Union. C’est la raison pour laquelle la création d’un parquet européen me semble indispensable. En effet, celui-ci ne fera pas double emploi. Son périmètre d’action demeure toutefois à préciser. A mon sens, il conviendrait de commencer par le charger de la fraude européenne, de façon à tester et à roder le mécanisme qui a été élaboré, sur le plan technique, par le corpus juris. Il est donc possible, techniquement, de mettre en œuvre le parquet européen, sans qu’il soit nécessaire de créer des juridictions européennes : une des originalités du corpus juris c’est justement de le permettre. Ce système me paraît déjà opérationnel.

Vincent PEILLON

La parole est à Jean Spreutels, le seul représentant présent d’un organisme de contrôle.

Jean SPREUTELS

Je suis effectivement président de la cellule de traitement des informations financières, qui est l’unité de renseignement financier belge. J’ai également été président du GAFI, ainsi que du groupe ad hoc du GAFI sur les pays et territoires non-coopératifs. Je suis également le chef actuel de la délégation belge au sein du GAFI.

On ne peut que se réjouir de l’initiative de l’Assemblée nationale. En effet, il convient de donner une impulsion politique claire, et de donner un message politique fort à destinations des diverses enceintes, nationales et internationales, qui sont confrontées au problème du blanchiment.

Dans chacun des pays de l’Union, il existe une unité de renseignement financier. Cela est notamment le résultat d’une décision cadre du 16 octobre 2000, qui a été adoptée sous présidence française de l’Union, et qui constitue un texte de base en matière de lutte contre le blanchiment. Le 12 octobre dernier, les 15 unités de renseignement financier ont été réunies à Bruxelles, suite aux événements du 11 septembre, de manière à améliorer encore notre coopération dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Certaines de mes propositions proviennent donc des travaux conduits au cours de cette réunion. Si vous le souhaitez, je pourrai d’ailleurs vous en remettre le compte-rendu officiel.

Je crois également qu’il convient de dépasser les distinctions académiques entre le financement du terrorisme et le blanchiment provenant des infractions liées au terrorisme. Cette distinction est dépassée non seulement par les événements, mais également par les instruments internationaux qui ont été adoptés tant par les Nations Unies, que par le GAFI et l’Union européenne. J’ajoute d’ailleurs que les recommandations du GAFI impliquent l’incrimination pénale, par les Etats, du financement du terrorisme, ainsi que l’inclusion de cette incrimination parmi les délits de base du blanchiment. Le lien entre les deux phénomènes est donc clairement établi. J’indique également, sur le plan pratique et pour montrer l’efficacité du dispositif anti-blanchiment dans la lutte contre le terrorisme, que depuis le 11 septembre, en Belgique, nous avons déjà pu transmettre 24 dossiers liés au terrorisme ou à son financement. Je ne partage donc pas le pessimisme exprimé par certains quant à l’efficacité de ces mécanismes, dans la mesure où, toujours en Belgique, nous avons prononcé quelque 400 condamnations judiciaires à partir des seules déclarations de soupçons émanant des organismes financiers. De source policière, il apparaît, en outre, que 90 % des dossiers judiciaire de blanchiment proviennent de déclarations de soupçons. Les approches doivent donc être complémentaires.

Si vous le souhaitez, je pourrai vous faire parvenir un document présentant certaines suggestions que je vais vous livrer rapidement.

Dans le préambule, il pourrait être précisé que nous sommes essentiellement intéressés par le blanchiment de capitaux d’origine criminelle, ainsi que par la grande délinquance économique et financière.

Ensuite, si nous devons évoquer les enquêteurs et les services répressifs, il convient également d’étendre notre réflexion aux autorités chargées de la prévention de ces phénomènes. Cette lutte comporte effectivement un volet préventif et un volet répressif. Il est donc normal de les évoquer l’un et l’autre.

Puisque le Groupe d’Action Financière y est évoqué, le préambule pourrait également aborder le Groupe Egmont, qui a jeté les bases de la coopération opérationnelle entre les unités de renseignement financier dans le monde.

Quelques éléments supplémentaires pourraient, à mon sens, être rajoutés à la réflexion sur le premier thème. Nous pourrions notamment créer, dans chacun de nos Etats, un registre central des comptes bancaires ou des titulaires de comptes bancaires, comme c’est le cas en France, notamment. L’Allemagne et les Pays-Bas envisagent déjà cette solution.

Nous pourrions également limiter les paiements en espèces au-delà d’un certain montant. La encore, cette restriction existe déjà au sein de certains Etats membres. Cette réflexion semble d’actualité dans la mesure où nous allons devoir transposer la nouvelle directive européenne, qui englobe les marchands de biens de grande valeur, pour tous les paiements en espèces qui dépassent 15 000 euros. Selon moi, cette profession sera difficile à contrôler, et il serait peut-être plus facile de supprimer les paiements en espèces au-delà de 15 000 euros.

Les unités de renseignement financier pourraient également être dotées d’un accès direct aux informations détenues par les organismes financiers. Cela est déjà le cas en France et en Belgique. Certains de mes collègues m’ont fait part des difficultés qu’ils rencontraient faute de cet accès. Il conviendrait également prévoir des sanctions, notamment administratives, à l’encontre des établissements financiers qui ne se soumettent pas à leurs obligations en la matière.

Enfin, nous nous préoccupons, de manière croissante, de l’utilisation d’Internet, dans le cadre des paiements internationaux. Nous pourrions également songer à imposer aux fournisseurs d’accès d’identifier les auteurs de transactions financières réalisées sur Internet.

Sur le thème 2, dans le cadre des contre-mesures qui sont énumérées, nous pourrions rajouter des prescriptions plus rigoureuses pour l’identification par les organismes financiers de l’ayant droit économique avant d’établir des relations avec les particuliers ou des sociétés émanant des territoires non-coopératifs. Cette contre-mesure est d’ailleurs prévue par le GAFI.

Comme Alan-Bruce Beverly l’évoquait, il convient d’éviter de noyer les unités de renseignement financier sous une masse d’informations inutiles. Dans ce dessein, nous pourrions renforcer les mécanismes de déclaration, avant éventuellement, de prévoir des déclarations systématiques. Une certaine liberté serait ainsi laissée, en fonction des particularités locales.

Sur le thème 3, Bernard Angels a eu raison de signaler OLAF. De manière plus générale, nous pourrions également étendre notre réflexion à la coopération administrative. Pour être efficace, il convient d’améliorer la coopération judiciaire, la coopération policière, et la coopération administrative. Ainsi, nous pourrions rappeler l’importante du renversement, ou de l’aménagement du fardeau de la preuve.

J’observe qu’il existe des points communs entre le thème 1 et le thème 4. Une certaine ventilation mériterait donc d’être prévue. En outre, je m’interroge sur l’organisation internationale d’un contrôle prudentiel de certaines activités, comme les chambres de compensation. Ceci pourrait être un objectif à long terme, mais il convient d’éviter qu’une initiative à long terme serve d’alibi pour l’inaction à court terme. A court terme, à mon sens, il convient de s’assurer que ces organismes sont contrôlés par une instance nationale compétente. S’il existe véritablement, il faut en outre renforcer ce contrôle. Ainsi, Euroclear dispose d’un statut d’établissement financier en Belgique, ce qui permet à la Commission bancaire et financière et la cellule de traitement des informations financières de la contrôler, en bonne coopération.

Avant d’envisager une nouvelle machinerie européenne, il convient, à mon sens, d’améliorer ce qui existe.

Vincent PEILLON

Pour la dernière intervention, après laquelle je me livrerai à une synthèse, je passe la parole à Jean-François Thony.

Jean-François THONY

Après ces débats très riches, je me contenterai de formuler trois remarques générales.

En premier lieu, sans rentrer dans un débat sémantique, je voudrais préciser qu’à mon sens, le mot " blanchiment " fait l’objet d’une utilisation erronée. En effet, la lutte contre le blanchiment est un moyen de la lutte contre l’argent du crime organisé. Actuellement, à la lumière de nos débats, il me semble que le moyen est devenu l’objectif. Dans cette mesure, il paraît difficile d’assimiler le financement du terrorisme à la lutte contre le blanchiment. C’est la raison pour laquelle je vous propose de bannir le mot " blanchiment " de notre vocabulaire, et de le remplacer par l’expression " circuits financiers du crime ". En effet, ainsi, la lutte contre le financement du terrorisme s’inscrirait naturellement dans le contexte qui nous préoccupe.

Mon deuxième point concerne la question des sanctions contre les Etats voyous. Si je suis d’accord pour exercer des sanctions contre les pays qui violent ouvertement les règles morales des transactions financières, je ne suis pas favorable à l’élaboration d’une liste de pays voyous par un groupe de pays qui n’ont pas été mandatés par la communauté internationale. En effet, il est confortable de figurer au sein du groupe des pays qui établit la liste, mais si l’on en est exclu, il semble difficile d’accepter le jugement d’une autorité dont on ne reconnaît pas la légitimité. Je respecte l’excellent travail effectué par le GAFI, mais on connaît les facteurs politiques qui prévalent parfois sur les facteurs techniques dans l’élaboration des listes. La liste existante des pays non coopératifs n’est d’ailleurs pas tout à fait conforme à la carte géopolitique du blanchiment. J’émets donc des réserves sur ce point. Je pense donc que la déclaration devrait formuler un appel à l’élaboration d’une liste selon des principes objectifs, ce qui est d’ailleurs particulièrement complexe.

Je remarque enfin qu’il n’existe pas, au niveau international, de texte qui permette de regrouper sous un corpus juris unique tous les moyens de la coopération judiciaire, si ce n’est la convention de Strasbourg du Conseil de l’Europe. Cette convention fait l’objet d’un projet de protocole pour sa mise à jour. Ce pourrait être l’occasion d’un appel pour une véritable convention sur la prévention et la répression du blanchiment.

Vincent PEILLON

Je voudrais insister sur l’objectif que nous nous sommes fixé. Cet acte des Parlements nationaux a une grande importance politique, comme cela a été souligné par ceux de nos collègues européens qui ont travaillé sur les conventions internationales dans le cadre européen ou celui de l’ONU.

Nous savons tous qu’il existe des difficultés dans la transposition des textes déjà existants. Cela est vrai pour les questions de blanchiment comme pour les questions liées au terrorisme. En effet, nous savons que certaines mesure concernant le gel et la confiscation des avoirs d’Oussama Ben Laden avaient été prises avant le mois de septembre 2001, sans qu’elles aient été mises en œuvre.

Cela souligne que notre texte doit faire référence à ces nécessaires transpositions, mais il convient également de mesurer que dans un monde conduit par l’intergouvernemental et par l’européen, les Parlements nationaux demeurent absolument déterminants. Le fait que ces Parlements se saisissent des problèmes de blanchiment a donc une signification politique très forte.

Il convient de trouver un équilibre afin que cette déclaration soit adoptées par les Parlements, toutes familles politiques confondues. Cela suppose que notre texte, pour être offensif, ne soit pas une circulaire administrative d’application. Il doit s’agir d’un engagement politique des Parlements nationaux, ce qui supposera de trouver un équilibre entre l’affirmation de principe et les règles de faisabilité ou de précision.

Malgré la réserve qui a été formulée, je considère que le terrorisme doit figurer dans notre texte, mais avec davantage de précisions, et d’articulations par rapport au financement des activités criminelles.

La question du parquet européen a été souvent abordée. Je ne crois pourtant pas qu’il faille lui attribuer une importance trop grande. En effet, si nous souhaitons être efficaces, il convient, à mon sens de revenir sur cette affirmation qui, pour être forte, est considérée comme indéterminée par un grand nombre d’entre vous.

En revanche, il faudra que nous soyons plus précis sur la nature des incriminations et sur leur harmonisation juridique. Nous devrons faire des propositions sur ce point.

Sur la base de vos interventions, nous allons pouvoir rajouter un certain nombre d’éléments à notre proposition. Nous vous les ferons parvenir très rapidement dans le dessein de réécrire le texte le plus rapidement possible. Je pense notamment aux fichiers concernant les comptes bancaires, qui existent déjà dans un certain nombre de pays de l’Union et qui sont des instruments utiles, ou bien à un mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve.

Au nom du président de l’Assemblée nationale, M. Raymond Forni, qui nous rejoindra au fur et à mesure de nos travaux, je voudrais vous proposer la méthode de travail la plus transparente. Ainsi, les débats qui nous ont occupés seront transcrits, et cette transcription sera diffusée rapidement, notamment auprès de tous ceux de nos collègues qui n’ont pas pu être présents avec nous aujourd’hui. En outre, sur la base des propositions et des réserves formulées aujourd’hui, nous tenterons d’élaborer rapidement une seconde mouture de ce texte, dont vous pourrez débattre dans vos Parlements respectifs.

Il me reste à vous remercier très chaleureusement de votre présence. Nous sommes au commencement d’un processus plutôt qu’à son terme et nous espérons qu’avant notre prochaine rencontre, en janvier, nous aurons l’occasion, par voie écrite de communiquer entre nous.

La séance est levée à 17 heures 10.

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Conférence des Parlements
de l’Union Européenne contre le blanchiment
Comité de pilotage
Paris - Assemblée nationale

Lundi 14 janvier 2002

Liste des participants :

  1. Parlements représentés
  2. Allemagne

    Dr Hans-Peter UHL, parlementaire, accompagné de M. Andreas NOTHELLE, fonctionnaire

    Bundesrat

    Dr Marcus WENIG, représentant du Brandebourg à Bruxelles

    Belgique

    Chambre des représentants

    M. Hugo COVELIERS, président du groupe libéral flamand (VLD)

    Sénat

    M. T. DEWAELE, fonctionnaire

    Espagne

    Congrès des députés

    Mme Soledad BECERRIL, vice-présidente du Congrès

    Sénat

    M. Alfredo PRADA PRESA, premier vice-président du Sénat, accompagné de M. José-Manuel BRETAL VASQUEZ, conseiller juridique

    France

    Assemblée nationale

    M. Vincent PEILLON, président de la mission d’information sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe.

    Sénat

    M. Bernard ANGELS, vice-président du Sénat, accompagné de M. Christian OUDIN, fonctionnaire

    Grèce

    Parlement hellénique

    Mme Maria ARSENIS, députée, et Mme Eleni CONSTANTINIDOU, fonctionnaire

    Italie

    Chambre des députés

    M. Donato BRUNO, président de la commission des affaires Constitutionnelles, accompagné de M. Rodolfo CILLOCO et de M. Fabrizio CASTALDI, fonctionnaires

    Sénat

    M. Roberto CENTARO, Président de la Commission d’enquête sur la mafia, accompagné de M. Sebastiano CARDI, conseiller diplomatique du président du Sénat et de Mme Laura BOEZIO, fonctionnaire

    Luxembourg

    M. Laurent MOSAR, député

    Royaume-Uni

    Chambre des Communes

    M. John McFALL, président du Treasury Select Committee, accompagné du Dr Christopher WARD, administrateur

     

  3. Autres experts
  4. M. Olivier de BAYNAST, magistrat représentant la France à Pro-Eurojust

    M. Paolo BERNASCONI, professeur d’université, avocat

    M. Harlem DESIR, auteur d’un rapport au Parlement européen

    M. Dominique GARABIOL, ancien chef de l’inspection du Conseil des marchés financiers

    M. Gilles LECLAIR, directeur-adjoint d’Europol

    M. Jean de MAILLARD, magistrat au TGI de Blois

    M. Jean SPREUTELS, président de la cellule de traitement des informations financières (Belgique)

    M. Jean-François THONY, conseiller à la Cour d’appel de Versailles

     

     

  5. Observateurs des pays candidats et de la Russie
  6. Bulgarie

    M. Nicolay TRIFONOV, premier secrétaire

    Estonie

    Mme Gita KALMET, chargée d’affaires

    Hongrie

    M. Jozsef OROSZ, conseiller

    Lettonie

    Mme Agnija RASA, premier secrétaire

    Lituanie

    Mme Ramune PETRAUSKAITE, deuxième secrétaire

    Malte

    Pr Salvino BUSUTTIL, ambassadeur

    Pologne

    M. Slawomir CZARLEWSKI, ministre plénipotentiaire

    République tchèque

    M. Bremslav KALUSEK, conseiller commercial et économique

    Russie

    M. Nicolas BROUSNIKINE, député, accompagné de M. GRICHANKOV, député, de M. Wladimir MATCHABELLI, sofarus, et de M. Vladimir OUSTINOV, fonctionnaire

     

    Slovaquie

    M. Stanislav VALLO, chargé d’affaires a. i.

    Slovénie

    Mme Darja GOLEZ, premier secrétaire

    Turquie

    Mme Ayse SEZGIN, conseiller, accompagnée de Mme Sebnem CENK, premier secrétaire

     

  7. Observateurs des Etats de l’Union
  8. Autriche

    M. Bernhardt FAUSTENHAMMER, deuxième secrétaire

    Belgique

    M. Bart OUVRY, Ministre conseiller

    Luxembourg

    M. Jérôme HAMILIUS, premier secrétaire

    Pays-Bas

    Mme Alida VAN EE, Conseiller financier

  9. Autres observateurs

M. Michel BEAUSSIER, avocat

M. Laurent ETTORI, de la Commission bancaire

M. Bertrand de MAZIERES, secrétaire général du Conseil des marchés financiers

M. David PEYRON, Chef de la section financière du Parquet de Paris

 

 

 

La séance est ouverte à 14 heures 45, sous la présidence de M. Vincent PEILLON.

Vincent PEILLON

Je voudrais apporter quelques précisions liminaires sur le processus d’élaboration de la déclaration que nous souhaitons pouvoir adopter le 8 février prochain. Le Comité de pilotage s’est déjà réuni le 3 décembre dernier, sur la base d’un texte que nous vous avions transmis dans des délais relativement brefs. Durant cette réunion, nous avons systématiquement recueilli les observations des différentes délégations parlementaires et des experts. Le texte dont vous disposez aujourd’hui intègre ces corrections en les identifiant par un dispositif de soulignage afin que chacun puisse les retrouver. Nous allons aujourd’hui procéder à une seconde lecture.

Je suis heureux d’accueillir parmi nous des délégations qui n’avaient pu être présentes le 3 décembre : le Bundestag allemand, la Chambre des Communes britannique et la Chambre des députés luxembourgeoise. De même, certains experts nous ont rejoints. Enfin, un certain nombre de pays candidats à l’adhésion européenne sont représentés, non pour participer directement aux travaux mais à titre d’observateurs. La Douma russe sera également présente en qualité d’observateur jusqu’à la fin de nos travaux le 8 février.

Notre objectif est de conclure les 7 et 8 février. L’adoption de cette déclaration devrait avoir lieu, au meilleur niveau de représentation possible, sur l’invitation de Raymond Forni, président de l’Assemblée nationale française, le 8 au matin. La journée du 7 sera consacrée à une dernière séance de travail qui durera toute la journée. Puisque nous avons travaillé jusqu’à présent dans la plus grande confidentialité, nous souhaitons également profiter de cette journée pour réaliser un travail pédagogique. Nous souhaitons que cette journée, même si des ajustements seront certainement encore nécessaires, puisse être ouverte à des personnalités de la société civile qui s’intéressent à ces sujets ainsi qu’à la presse nationale et internationale. Les participants au Comité de pilotage seront conviés dans les prochains jours à participer à des tables rondes qui correspondront aux quatre thèmes de la déclaration et qui nous permettront de poursuivre nos échanges sur un mode plus convivial.

Evidemment, notre capacité d’expliciter publiquement nos choix, lors de cette journée, sera absolument décisive pour la crédibilité de notre démarche. Nous mesurons bien la façon dont la lutte contre la criminalité financière, la criminalité transnationale et le blanchiment préoccupent aujourd’hui de nombreuses instances internationales dans lesquelles les représentants des pays dont nous faisons partie sont présents. Nous constatons que, très souvent, les parlements nationaux sont moins engagés dans ces questions internationales que les fonctionnaires ou les représentants des pouvoirs exécutifs qui se rencontrent dans le cadre des conseils européens, du G7 ou de l’OCDE. Les souverainetés relevant encore des parlements nationaux, il est important de montrer que ces derniers ne sont pas en retard et partagent les volontés de ces instances. C’est pourquoi le président Forni accorde une grande importance aux conclusions que nous adopterons.

Nous sommes plus nombreux que la dernière fois. Je vous propose, par correction, de donner la parole en priorité aux délégations parlementaires qui n’étaient pas présentes lors du premier Comité de pilotage afin qu’elles puissent exprimer publiquement leurs positions de départ. Ensuite, s’inscriront dans le débat tous ceux qui le souhaiteront.

Je vais maintenant vous exposer les principales modifications apportées au texte à la suite de notre réunion du 3 décembre.

Dans le préambule de la déclaration, plusieurs délégations, notamment la délégation espagnole, nous avaient demandé de mieux préciser l’articulation existant entre les problématiques du blanchiment et du financement du terrorisme. Nous avons apporté ces précisions en soulignant que la multitude des instruments favorisant le blanchiment et le financement du terrorisme est souvent commune, tout en distinguant les deux phénomènes. Nous avons donc à la fois souligné notre préoccupation commune et les différences existant entre ces mécanismes.

Au premier thème, relatif à la transparence des mouvements de capitaux, nous avons ajouté une condition à l’obligation de déclaration systématique des opérations réalisées avec les fonds fiduciaires, en prévoyant que cette déclaration ne pourra s’imposer que lorsqu’il est impossible d’identifier l’ayant-droit économique. Par rapport à une détermination qui semblait trop générale, nous avons ajouté trois propositions : premièrement la généralisation de l’accès des unités de renseignement financier, prévue par les lois anti-blanchiment, aux informations détenues par les établissements financiers, ce qui pose souvent problème, deuxièmement la création d’un registre central des comptes bancaires et troisièmement l’identification, par les fournisseurs d’accès, des auteurs de transactions financières sur Internet. Les ajouts sont soulignés dans le texte mais ne sont pas attribués aux différentes délégations les ayant formulés.

Le deuxième thème concerne en particulier les sanctions contre les territoires non-coopératifs. Nous avons élargi la gamme des sanctions en évoquant le renforcement des obligations d’identification de l’ayant-droit économique, la surtaxation des opérations avec ces territoires ou l’interdiction d’établissement dans l’Union européenne d’entités dont le siège social est implanté dans ces territoires.

Sur le troisième thème, celui de la coopération policière et judiciaire, nous avons ajouté la coopération administrative qui manquait largement dans notre réflexion et constitue évidemment une forme indispensable de la coopération. Nous avons insisté sur la nécessité de renforcer la cohérence des conventions internationales de coopération judiciaire qui se sont multipliées ces derniers temps. Enfin, en nous inspirant de l’exemple italien, nous avons proposé d’instituer un aménagement de la charge de la preuve de l’origine criminelle des capitaux, sans toutefois aller jusqu’à marquer le délit d’appartenance à une organisation criminelle, sujet sur lequel nous avons eu de nombreux débats. Nous avons également ajouté l’harmonisation des incriminations ainsi que l’institution d’un mécanisme de partage des avoirs confisqués à l’issue d’une coopération internationale. Nous avions eu une discussion sur le Parquet européen dont un certain nombre d’entre vous, pour des raisons parfois opposées, aviez regretté la présentation laconique et imprécise. Nous avons précisé ses compétences en adoptant une approche pragmatique, tenant compte des discussions récentes dans le cadre européen. Ne voyant pas la nécessité de doubler Eurojust, nous avons souhaité que ce Parquet soit compétent, dans un premier temps, sur des questions de fraude communautaire, en particulier de TVA intracommunautaire, des questions entrant déjà dans le champ du mandat d’arrêt européen qui comprend notamment la délinquance financière.

Sur le quatrième thème, celui des règles prudentielles, nous avons introduit une pénalisation du manquement à leurs obligations de vigilance des professions qui y sont soumises, disposition qui existe dans d’autres pays européens mais pas en France, par exemple. Les discussions sont actuellement vives, en France, sur ce sujet puisque de nombreux hauts responsables de grands établissements bancaires ont été mis en examen pour blanchiment aggravé et qu’ils contestent l’intentionnalité du délit.

Il n’est jamais aisé d’intégrer les réflexions émises la fois précédente, tout en respectant l’équilibre général du texte et les orientations, parfois contradictoires, exprimées par les uns et les autres. Je souhaite que nous ouvrions la discussion sur la base de ce texte, soit pour revenir sur certains points que nous aurions insuffisamment pris en considération, soit pour ajouter de nouvelles propositions.

Hans-Peter UHL

Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer. Je me contenterais de quelques remarques qui, selon nos experts en blanchiment, semblent importantes. Concernant le premier thème, la première proposition évoque une déclaration systématique auprès des unités de renseignement financier des opérations réalisées avec des fonds fiduciaires en cas d’impossibilité d’identifier l’ayant-droit économique. La réserve limitant l’obligation de déclaration systématique ne paraît pas réaliste à nos experts qui considèrent qu’il serait préférable d’y renoncer. La déclaration devrait être systématique et non limitée à l’impossibilité d’identification de l’ayant-droit.

En matière de coopération judiciaire, policière et administrative, il s’agit de savoir à quelle unité sont déclarés les soupçons. Généralement, ceux-ci n’arrivent pas au commissariat. Les premières alertes viennent des établissements bancaires. Autrement dit, la police dépend entièrement de l’information fournie par ces établissements, la poursuite n’étant possible qu’une fois l’alerte donnée par les banques. Normalement, c’est la police qui devrait avoir des informations lui permettant de s’adresser aux établissements bancaires. Existe-t-il un retard en matière de coopération judiciaire et policière par rapport à la coopération administrative ? En Allemagne, nous considérons qu’il est très important d’éviter un tel retard. Ce seraient plutôt les unités de renseignement financier qui posent problème. Nos experts soulignent ce point.

Dans le quatrième thème, la déclaration évoque l’intention d’interdire les paiements en espèces au-delà d’un certain montant. Du point de vue du renseignement, cette intention est évidemment souhaitable mais, pour nos experts, elle n’est pas réaliste. Une telle interdiction ne peut être mise en œuvre. En outre, le montant n’est pas fixé. L’application légale serait ardue et les sanctions sont difficiles à imaginer. Nous estimons qu’il serait préférable de renoncer à cette mesure qui, de toute manière, ne pourra pas être mise en œuvre.

L’aménagement de la charge de la preuve, dans le système allemand, se heurte à la présomption d’innocence qui constitue une règle fondamentale de notre constitution. Cet aménagement souhaitable exige la plus grande prudence et pourrait s’avérer difficile à appliquer en Allemagne, sur le plan constitutionnel. A ce propos, la traduction n’est pas tout à fait claire. Le texte anglais évoque un partage de la charge de la preuve tandis que le texte français évoque un aménagement. S’agit-il d’une inversion de la charge de la preuve ?

Vincent PEILLON

Certaines de ces remarques sont liées à des questions de principe, en particulier la dernière concernant le renversement de la charge de la preuve qui pose le problème de la protection des libertés individuelles. D’autres sont davantage liées à des aspects pratiques comme les paiements en espèces. Nous connaissons vos traditions. Il est vrai qu’il est plus facile de les limiter dans d’autres pays, ce qui se pratique déjà. Nous tiendrons évidemment compte de toutes ces remarques.

John McFALL

Le Parlement du Royaume-Uni accueille à bras ouverts l’initiative de Monsieur Forni. Nous souhaitons jouer pleinement notre rôle. Au sujet de la première question, qui concerne la transparence des mouvements de capitaux, nous estimons que la création d’un registre central des comptes bancaires risque d’engendrer des coûts considérables pour le secteur privé comme pour le secteur public. De plus, au Royaume-Uni, nos discussions indiquent qu’une telle mesure pourrait ne générer aucun avantage. Dans ce cas précis, les moyens justifient la fin. Nous estimons que le système actuel, dans lequel les enquêteurs ont accès aux comptes bancaires, fonctionne de manière satisfaisante. Aussi espérons-nous instaurer ce système ciblé au Royaume-Uni. D’après mon expérience en tant que Président du Treasury Select Committee de la Chambre des Communes, et d’après mes discussions avec les banques au Royaume-Uni, il existe une étroite coopération entre les banques et la police. Cette coopération est particulièrement visible depuis le 11 septembre. Jusqu’à présent, le Royaume-Uni a résisté à l’idée d’un registre central des comptes bancaires, car celui-ci ne semblait pas promettre des bénéfices suffisants.

La deuxième question est celle de la coopération juridique, administrative et policière. Nous avions pris note de la recommandation en faveur d’un parquet européen, mais celle-ci a été rejetée par les Etats membres lors de la dernière conférence intergouvernementale. Il nous semble que les différences entre notre système de droit coutumier et les régimes en vigueur en France comme ailleurs sont telles qu’il convient d’attendre des indications plus concluantes avant d’agir. En ce qui concerne les sociétés d’investissement, la loi au Royaume-Uni est particulièrement complexe. Nous estimons que la solution n’est pas d’abolir ces sociétés, chose qui risque de se produire si cette proposition est retenue. Il faut garantir la transparence en accordant suffisamment de moyens aux enquêteurs pour qu’ils puissent surmonter n’importe quel obstacle rencontré au cours d’une enquête individuelle. La solution retenue devra garantir à la police et aux autres l’accès aux outils nécessaires pour transpercer le voile de la confidentialité qui peut exister dans les sociétés d’investissement. Etant donné que la loi britannique dans ce domaine constitue également la base de toute la législation sur la propriété (au lieu d’être un élément isolé), nous préférerions retenir une solution qui accorde davantage de moyens aux enquêteurs.

Il faut également prendre en compte la question des transferts d’information électroniques. Bien évidemment, nous entendons respecter la recommandation numéro 8 du GAFI. Cependant, il nous semble que l’Union européenne doit travailler en coopération avec d’autres partenaires afin que puisse être élaboré un positionnement global unique. Un tel accord permettrait de s’assurer que les dispositifs de l’Union européenne sont compatibles avec ceux qui existent ailleurs. En ce qui concerne les lois prudentielles sur les réseaux de transfert de valeurs mobilières, le Royaume-Uni a introduit l’enregistrement des services financiers et des entreprises. Je réitère que nous estimons que l’enregistrement tel qu’il est proposé à l’échelle européenne pourrait donner lieu à des contraintes disproportionnées, pour peu de bénéfices. Je préconiserais donc la voie que nous avons suivie. Il est évident que tout plafonnement des versements en liquide aurait des conséquences importantes. Cela empêcherait notamment l’acquittement de dettes en liquide. Le contrôle de certains règlements particulièrement importants pourrait se justifier, surtout pour connaître l’identité du payeur et pour signaler les opérations susceptibles d’être liées au blanchiment. Ayant rencontré de nombreux présidents et directeurs de banques, je puis vous assurer qu’ils sont très encouragés par le gouvernement et les agences qui réglementent les services financiers au Royaume-Uni, qui ont l’intention d’accorder toute leur attention à cette question.

En guise de conclusion, il nous semble que certaines propositions doivent encore être précisées avant que nous puissions en évaluer les ramifications. J’attirerais notamment votre attention sur la généralisation de l’accès aux informations détenues par des organismes financiers pour les unités de renseignement financier. Cette proposition, m’a-t-on laissé entendre, risque d’aller à l’encontre du principe de prééminence des tribunaux, si la police demande aux institutions financières de livrer des informations confidentielles. Les conséquences sont multiples et concernent plusieurs libertés individuelles. Depuis le 11 septembre, le gouvernement et le Ministère de l’Intérieur ont introduit une législation antiterroriste. Celle-ci a cependant été critiquée car elle mettait en péril plusieurs libertés. Par exemple, la détention des prévenus et l’éventuelle identification de ceux-ci pourraient aller à l’encontre du principe de habeas corpus. Le gouvernement avait alors exigé que le texte prévoie des mesures spécifiques pour ce cas. Il est important que ce Comité et chacun des Parlements examinent les conséquences de cette loi sur les droits des citoyens. Au vu de nos réalisations à ce jour, il paraît essentiel de parvenir à un consensus au niveau européen si nous voulons avancer. En effet, la finalité est d’envergure mondiale. Le blanchiment de capitaux repose sur un réseau mondial, qui ne connaît pas de frontières. Pour agir de façon déterminante, nous devons concevoir notre objectif à l’échelle mondiale.

Vincent PEILLON

Bien entendu, notre préoccupation dépasse nécessairement les frontières de l’Union européenne. Nous avons tous bien compris que les problèmes de blanchiment ne s’arrêtent pas à nos frontières mais nous savons également que nous serons davantage capables d’entraîner le reste du monde si nous parvenons à adopter, entre nous, des positions cohérentes, unanimes et déterminées. Nous savons bien que nous ne passerons pas des ténèbres à la lumière en une seule fois. Votre préoccupation est présente chez chacun d’entre nous et dans nos opinions publiques. Nous devons trouver un équilibre délicat, dans le respect de nos différentes traditions et souverainetés, entre la volonté d’avancer dans la construction d’un ordre public international et le respect des libertés individuelles. Après les attentats du 11 septembre, les mesures que les différents pays ont pu prendre par rapport au terrorisme, tant sur le volet financier qu’en matière de sécurité, ont donné lieu à des discussions et à la nécessité d’argumenter quant à la protection des libertés individuelles. Gardons présent à l’esprit que la protection des libertés individuelles ne doit pas nous empêcher de relever tout de même, même s’agissant du terrorisme et de ses liens avec les circuits financiers, que nous n’avons peut-être pas toujours fait tout ce qu’il était possible de faire et même ce que l’ONU nous recommandait parfois dans des résolutions que nous ne nous empressions pas de transcrire dans nos législations nationales. Nous devons donc avoir la volonté d’aller au-delà de ce que nous avons fait jusqu’à présent et je crois que le texte nous fournit de la matière.

Laurent MOSAR

Je vous remercie pour m’avoir invité à cette conférence et pour cette initiative d’instituer une conférence des parlements de l’Union européenne contre le blanchiment. La Chambre des députés luxembourgeoise n’ayant malheureusement pas pu assister à la première réunion, il m’est difficile de donner une appréciation détaillée sur tous les points de l’avant-projet de déclaration. Je devrais préalablement en discuter avec la Commission juridique du Parlement luxembourgeois.

Mes collègues anglais ont déjà insisté sur un point essentiel du préambule. Il me paraît important que cette politique de lutte contre le blanchiment soit étendue à tous les pays de l’OCDE. En effet, il est inutile de nous limiter à l’Union européenne ou même aux pays candidats. Je souhaiterais qu’il soit stipulé, dans le préambule, que toutes les mesures proposées devront être adaptées à tous les pays de l’OCDE. Sans cette extension, la lutte sera très difficile. Je souhaite également soulever le problème des territoires de certains pays comme les différentes îles anglaises. Ces dispositions s’appliqueront-elles également à ces territoires ?

Deuxièmement, j’ai l’impression qu’un grand nombre de dispositions très efficaces ont été incluses dans ce texte. En revanche, un certain nombre d’entre elles sont difficiles à mettre en œuvre. En outre, l’une ou l’autre me paraissent contraires aux dispositions communautaires de libre circulation des biens et des services. Nous aurons peut-être la possibilité d’y revenir ultérieurement. Troisièmement, certaines me semblent contraires aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Il faudra donc examiner ces différents aspects parce que nous ferions un mauvais travail parlementaire en adoptant des dispositions qui ne seraient pas conformes aux droits de l’homme.

Vincent PEILLON

Je souhaite que nous puissions débattre rapidement de ces dispositions que vous évoquez, éventuellement par écrit, afin de déterminer celles que nous pourrions conserver et celles que nous devrions retirer. Le calendrier que nous avons choisi nous contraint à avancer rapidement. La journée du 7 février sera une journée de travail ouverte et nous ne souhaitons pas que des désaccords trop importants entre nous soient rendus publics. Tout ce qui permet d’établir un texte commun doit être vu préalablement à notre travail pédagogique, vis-à-vis de l’extérieur. N’hésitez donc pas à revenir sur quelques propositions spécifiquement identifiées qui poseraient des problèmes de principe.

Alfredo PRADA PRESA

La délégation espagnole regrette que la langue espagnole ne soit pas utilisée durant cette séance de travail et nous espérons qu’elle sera retenue pour la prochaine réunion du mois de février. L’Espagne vient de prendre en charge la présidence du Conseil européen. La principale priorité du gouvernement de Monsieur Aznar est la lutte contre le terrorisme. Ce fléau peut affecter tous les pays du monde, comme l’ont montré les événements douloureux du 11 septembre. Une lutte efficace contre le terrorisme exige l’établissement d’un espace judiciaire unique dans lequel, dans le respect des droits et des libertés fondamentales, la coopération judiciaire, policière et administrative dispose d’instruments appropriés pour combattre la criminalité, quelle qu’en soit la forme, ce qui inclut le terrorisme mais aussi le blanchiment.

Le mandat d’arrêt européen, en principe, a été écarté de la déclaration qui nous est présentée, compte tenu des négociations en cours. L’Espagne espère que ce mandat sera adopté car il constitue un instrument très efficace. Nous ne devons pas laisser passer l’opportunité de parler du mandat d’arrêt européen qui devrait permettre, par sa portée et ses caractéristiques, de dépasser les limites du vénérable processus d’extradition et de constituer un procédé juridique approprié pour lutter contre la criminalité mondiale. Un accord de principe entre les Etats-membres sur ce mandat d’arrêt nous paraît opportun car il constitue un instrument fondamental de lutte contre le blanchiment et le financement des activités terroristes. A ce titre, nous souhaitons que le préambule soit renforcé par l’ajout du texte suivant : " Il est donc opportun de combattre le terrorisme et le blanchiment de capitaux avec les instruments les plus efficaces pour faire face au crime organisé et à ses mécanismes financiers, ce qui devra se concrétiser, dans un avenir proche, par la pleine adoption et l’application régulière du mandat d’arrêt européen. "

Roberto CENTARO

La délégation italienne se félicite de voir croître le nombre de participants à cette conférence, non seulement par la présence d’autres pays de l’Union européenne mais aussi d’autres pays souhaitant rejoindre l’Union ou s’intéressant à ces débats comme la Russie. Je partage un grand nombre des nouvelles idées figurant dans le texte.

Concernant le préambule, je partage la remarque du délégué espagnol sur le renforcement de la lutte contre le terrorisme et la création d’un espace judiciaire communautaire disposant de moyens efficaces. Ce point sera de plus en plus important, à l’avenir, notamment dans le cadre de l’application du mandat européen. Nous devons utiliser des moyens efficaces dans la lutte contre le terrorisme afin de favoriser la stabilité de l’espace européen. Dans le troisième paragraphe, le terme " mobilisation " me fait penser aux armées et aux syndicats. Le terme " action " me paraît plus adapté aux Etats et aux gouvernements. Dans le cinquième paragraphe, je parlerais plutôt de l’insuffisance de la législation, de la lenteur et de l’absence de sanctions à l’égard des Etats non coopératifs. Cela ne peut plus être toléré car ces Etats profitent des lacunes juridiques. Enfin, j’ai des doutes quant à la police et la magistrature évoquées au sixième paragraphe. Nous avons une monnaie commune et j’espère que nous aurons une autorité judiciaire commune.

Je souscris tout à fait à la remarque du délégué allemand concernant le premier thème. En effet, la déclaration systématique des opérations fiduciaires devrait être envisagée sans restriction en cas d’impossibilité d’identifier l’ayant-droit économique. Cette condition n’est pas nécessaire car l’identification est toujours possible. Je pense qu’il serait préférable d’imposer une déclaration dans tous les cas et quelles que soient les conditions. Le registre central des comptes bancaires est une mesure difficile à appliquer, mais elle facilitera l’accès aux comptes. L’identification du détenteur du compte n’est pas toujours fiable. Nous pouvons avoir affaire à un prête-nom. Je ne m’oppose pas à cette mesure, mais j’ai des doutes sur son efficacité.

Concernant le deuxième thème, le nouveau libellé me paraît bon et utile. Toutefois, la législation de certains pays exige une réelle transparence pour l’ouverture de filiales ou de bureaux. Cette transparence devra être assurée dans tous les cas. Les hypothèses mentionnées sont néanmoins intéressantes. Sur le troisième thème, il est nécessaire de mettre en œuvre et de renforcer la coopération judiciaire et policière avec toutes les mesures qui s’imposent afin d’harmoniser les systèmes de l’ensemble des pays, en particulier les procédures pénales. La mesure de confiscation partagée me paraît cependant difficile à appliquer car la législation des différents Etats-membres doit être prise en compte, tant en matière de confiscation qu’en ce qui concerne la présence d’avoirs. Je ne vois pas comment nous pourrons procéder et j’ignore si ces mesures seront faciles à appliquer.

La création d’un Parquet européen doit tenir compte des législations nationales. En Italie par exemple, le Parquet est totalement indépendant de l’exécutif et n’est aucunement soumis à un contrôle, direct ou indirect, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. A l’heure actuelle, la création d’un Parquet européen me paraît inefficace et prématurée. Il est inutile de le créer tant que les systèmes des Etats-membres présentent de si grandes différences. Nous pourrions, dans un premier temps, élargir la compétence d’Eurojust en le transformant en coordinateur des actions communautaires. Cet organisme pourrait faciliter l’échange d’information entre les polices des différents Etats. C’est l’une des premières mesures que nous pourrions prendre afin de renforcer la lutte contre le terrorisme. Nous ne devons pas donner l’impression que nous renforçons nos institutions en mettant en place des outils difficiles à utiliser. Nous devons commencer par faire tout ce que nous pouvons pour renforcer la coopération entre les forces de police et judiciaires et trouver les instruments les plus efficaces.

Enfin, nous devrions inclure un élément dans le préambule. En effet, il importe de favoriser la coopération et d’harmoniser les dispositifs judiciaires. Telle pourrait être la première étape du renforcement du dispositif judiciaire, une première clause qui servirait de garantie d’adoption et de mise en œuvre de cette déclaration. Il est important que les dispositions figurant dans ce texte soient concrètement mises en œuvre.

Vincent PEILLON

Nous savions que nous aurions ce débat sur le Parquet européen. Je ne suis pas surpris par les problèmes posés par l’écriture pragmatique et réductrice que nous avons adoptée mais ce n’est pas l’essentiel. Nous devons faire preuve de souplesse. Je suis davantage surpris par vos remarques concernant le fichier central des comptes bancaires qui existe déjà dans plusieurs pays. Cet instrument présente toutes les garanties au regard des libertés individuelles. Certains juges et policiers y ont accès dans le cadre d’enquêtes spécifiques. C’est un instrument extraordinaire de lutte contre le terrorisme, la délinquance financière ou le blanchiment. Les juges de nos pays, lorsqu’ils peuvent travailler avec un tel instrument, gagnent un temps considérable, la vitesse étant souvent déterminante en la matière. Je conçois vos problèmes de principe sur le Parquet européen. Je conçois également les réticences sur les paiements en liquides mais nous devrons y revenir car, comme le souligne le GAFI depuis des années, ceux-ci ont une forte incidence.

Thierry DEWAELE

La Commission sénatoriale de suivi de la criminalité organisée a examiné l’avant-projet le 8 janvier dernier. Elle se rallie, dans une large mesure, au texte proposé moyennant quelques menus aménagements. La Commission propose de préciser, à la fin du premier alinéa du préambule, que le blanchiment des capitaux et la délinquance financière représentent une menace directe non seulement pour la stabilité de l’économie mais également pour la sécurité des citoyens dans nos sociétés démocratiques. La Commission craint que l’approche ne soit limitée à la seule dimension économique.

Concernant la transparence des capitaux, la Commission estime que la notion de délinquance financière doit être explicitée, notamment en ce qui concerne la dimension fiscale. Les infractions en matière de blanchiment présentent souvent un caractère mixte. L’exclusion de la dimension fiscale ne doit pas revenir à vider l’ensemble du texte de son contenu, même si nous sommes conscients qu’il s’agit d’un problème délicat. Cette précision permettrait d’éviter d’adopter de très beaux textes de principes qui seraient vides du point de vue du contenu. En page 3, la Commission propose d’ajouter, après " l’opacité financière de certaines entités juridiques ", les mots : " ou d’opérations financières (les comptes numériques). " En effet, la Commission est d’avis que ces comptes doivent être assimilés à la technique des fonds fiduciaires car ils ont également pour but de rendre impossible l’identification de l’ayant-droit économique.

En matière de coopération judiciaire, policière et administrative, la Commission propose de mentionner les trois adjectifs à chaque fois que le texte mentionne la coopération. Au quatrième alinéa de la page 5, le texte se réfère à différentes instances internationales. La Commission souhaite également faire référence aux travaux de l’OCDE. Enfin, concernant la proposition, en page 6, d’introduire les délits financiers dans la liste des infractions à la base du mandat européen, la Commission estime que l’accord du 11 décembre 2001 relatif au mandat européen rend ce point sans objet. Le blanchiment du produit du crime fait désormais partie des trente-deux infractions graves pour lesquelles la remise de la personne ne requiert pas le contrôle de la double incrimination de fait. Ce point doit être discuté.

Ma dernière remarque concerne les règles prudentielles. La Commission souhaite qu’il soit fait référence aux intermédiaires financiers actifs sur Internet, les nouvelles technologies semblant avoir été oubliées dans le texte. Or il existe divers mécanismes, comme les systèmes de casino en ligne, susceptibles de servir le blanchiment de capitaux. L’introduction de cette dimension permettrait d’éviter que les règles prudentielles ne s’appliquent pas aux intermédiaires travaillant sur Internet.

Vincent PEILLON

Je précise que nous avons deux langues de travail : le français et l’anglais. Nous entendons d’autres langues aujourd’hui car certains parlementaires sont venus avec leurs traducteurs. Bien entendu, lors de la séance finale, nous utiliserons toutes les langues de travail de l’Union. Nous n’avons pas souhaité privilégier certaines langues, nous en sommes simplement restés à ce qui était initialement prévu.

Soledad BECERRIL

Mon collègue espagnol, le Sénateur Prada, a proposé des modifications au préambule. Ayant, pour ma part, réétudié ce texte important avec certains membres du Parlement espagnol et avec des experts, j’aimerais faire quelques suggestions concernant le document lui-même.

Au sujet du premier thème, nous suggérons que soit intégrée une nouvelle proposition, dont la teneur serait la suivante : " amélioration des dispositifs de collecte et de partage d’informations sur les mouvements des capitaux aux frontières de l’Union européenne ". Comme nous le savons tous, les groupes et organisations terroristes ont pour habitude de financer leurs activités en argent liquide. D’après les présentations sur le financement terroriste et les débats à l’occasion de plusieurs rencontres internationales, cette tendance se perpétue encore. Aussi, plus les contrôles du secteur financier seront rigoureux, plus ces groupes se serviront d’argent liquide. Dans plusieurs documents de travail, la Commission européenne a mis en avant la possibilité d’agir pour créer des mécanismes communs pour obtenir des renseignements sur les flux de liquidités qui passent les frontières européennes. Ces raisons, entre autres, laissent penser qu’il est nécessaire de prendre ce sujet en compte dans le texte.

En ce qui concerne le deuxième thème, nous proposons l’intégration de la phrase suivante aux deux dernières propositions : " …lorsque ces pays et territoires n’appliquent pas la recommandation du GAFI dans les délais impartis ". Permettez-moi d’expliquer : il nous semble que les principaux éléments des deux propositions ne prévoient pas le cas où un pays serait jugé non-coopératif par le GAFI, alors même qu’il est en train de mettre en application la recommandation. C’est pourquoi il est important que cette mesure ne s’applique qu’aux pays qui refusent d’appliquer la recommandation du GAFI.

Enfin, pour ce qui concerne le troisième thème, nous proposons que la phrase suivante soit ajoutée, à la fin de la première proposition : " En particulier, la mise en application immédiate et effective des prévisions concernant le mandat de détention européen serait très utile à cette fin ". Cet ajout se passe d’explication, à mon sens. Par ailleurs, nous avons quelques doutes au sujet de la troisième proposition. Nous sommes d’accord avec les propos du représentant du Bundestag. Je ne sais pas s’il s’agit d’un problème de traduction ou d’interprétation, mais il nous semble que ce paragraphe n’est pas bien formulé. Il pourrait laisser croire que certains souhaitent renverser la charge de la preuve sur l’origine criminelle des fonds. Etant donné qu’une telle mesure serait en contradiction avec l’un des principes de notre constitution, comme, sans doute, celle d’autre parlements européens, nous ne pourrions pas l’accepter. Peut-être le paragraphe n’est-il pas assez clair. Nous ne cherchons pas à faire quelque chose d’illégal. Je suggérerais également une nouvelle proposition, ayant pour but " le renforcement des échanges d’informations entre les différentes unités de renseignement financier européennes ". C’est à ces unités de renseignement financier qu’il revient de recueillir et d’analyser des informations sur des activités supposées de blanchiment. Dans la lutte contre le blanchiment, il est extrêmement important de demander et d’encourager l’échange d’information entre ces unités.

Vincent PEILLON

Bien entendu, l’aménagement de la charge de la preuve n’est pas un renversement. Il ne s’agit pas de contraindre l’accusé à se justifier alors que l’accusation ne disposerait d’aucun élément. L’accusation dispose d’abord d’éléments, en particulier de la capacité de montrer un lien, différent selon les législations, avec l’association de malfaiteurs ou l’organisation criminelle. Si l’accusation doit fournir ces preuves, il peut effectivement y avoir nécessité, pour la personne incriminée, de justifier son train de vie. Ce n’est donc pas nécessairement à l’accusation de montrer que celui-ci est sans lien avec les revenus de l’accusé. Il s’agit d’un partage qui permet certains résultats. Si vous le souhaitez, nous vous fournirons les dispositifs juridiques d’aménagement de la charge de la preuve qui existent déjà, notamment en Italie et en France.

Maria ARSENIS

Nous sommes tout à fait satisfaits du texte en l’état actuel et estimons qu’il constitue une avancée importante dans la lutte efficace contre le blanchiment d’argent. En elle-même, la participation active des Parlements des Etats membres de l’Union européenne, à l’initiative de l’Assemblée nationale française, traduit l’intérêt accru que portent nos pays à ce sujet. De plus, il nous permet d’espérer que les améliorations législatives nécessaires seront adoptées, ce qui renforcera le cadre juridique existant. Nous n’avons pas d’objections à formuler sur les thèmes un et quatre.

En ce qui concerne les sanctions contre les pays non-coopératifs, nous réaffirmons que l’obligation d’imposer des sanctions sévères est absolument nécessaire. Cependant, il faut s’assurer que le processus par lequel un pays est jugé non-coopératif est juste et impartial. Au sujet du troisième thème, nous aimerions souligner l’importance de la charge de la preuve dans la légalité de l’origine des fonds. Dans le cas du blanchiment, nous sommes heureux de voir que la proposition correspondante se trouve dans le texte. Nous aimerions, enfin, ajouter que notre pays participera activement aux efforts intenses que requerra l’application de ce principe, dans les limites définies par notre constitution et les principes fondateurs de notre système juridique.

Hugo COVELIERS

Nous discutons de certains points sur lesquels nous avons des idées divergentes qu’il faudrait peut-être trancher. Nous avons évoqué la question du partage de la charge de la preuve. Nous pouvons accepter ce système puisque la présomption d’innocence et tous les droits de la défense demeurent intacts. A un certain moment, lorsque la société constate que des personnes ou des groupes commettent des actes illégaux, dans le cadre du crime organisé par exemple, ou qu’ils ont un revenu élevé mais ne peuvent pas prouver son origine par des moyens légaux, il semble alors légitime de demander aux personnes suspectées de ces faits de fournir la preuve de cet enrichissement. Je ne vois pas en quoi cela serait contraire aux droits fondamentaux. Le blanchiment d’argent constitue un moyen et c’est en l’attaquant que nous pouvons trouver des réseaux terroristes ou criminels ; nous pouvons d’ailleurs nous demander où se trouve la frontière entre terrorisme et crime organisé. Nous pouvons affiner cet outil qui permet de lutter contre des formes de criminalité très dangereuses pour une société démocratique.

Deuxièmement, le Parquet européen était initialement prévu pour la fraude communautaire, donc essentiellement pour des détournements de subventions. Faut-il aller plus loin et ajouter les crimes existant dans les diverses législations pénales et non uniquement dans le droit européen ? Troisièmement, je ne vois pas comment Eurojust peut coordonner les actions de police. Je pensais qu’il coordonnait les actions de justice sur le plan européen. Espérons qu’Europol coordonnera également, un jour, les actions policières. Vous avez la lourde tâche de trancher entre des propositions dont certaines sont contradictoires.

Vincent PEILLON

Nous souhaitons que les contradictions soient aussi peu nombreuses que possible. Nous souhaitons avoir un texte clair et donc nous engager tous en réduisant au maximum nos dissensions qui relèvent parfois d’un simple défaut de traduction ou de compréhension. Nous pouvons encore progresser et nous trancherons sur quelques points à un moment. Le texte que nous examinerons le 7 février nous permettra, aux uns et aux autres, de savoir précisément jusqu’où nous pouvons aller, sur la base des progrès que nous aurons réalisés.

Marcus WENIG

Premièrement, nous considérons que le Parquet européen et Eurojust ne constituent pas forcément des instances distinctes, ce dernier pouvant tout à fait devenir ultérieurement un Parquet européen. Cette possibilité pourrait être mentionnée dans le texte. Deuxièmement, le caractère international du blanchiment de capitaux exige des mesures transfrontalières. Dans le même temps, nous devons éviter de faire des efforts désordonnés chacun de notre côté. Il me semble donc nécessaire de mentionner la coopération internationale, au-delà du seul GAFI, des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne et de l’OCDE. Il faudrait également mentionner l’OSCE qui vient d’ailleurs d’adopter un plan de lutte contre le terrorisme incluant la lutte contre le blanchiment. Enfin, le registre central des comptes bancaires serait-il européen ou national ?

Vincent PEILLON

Des fichiers centraux de comptes bancaires nationaux constitueraient déjà un progrès important.

Donato BRUNO

Je suis d’accord avec les commentaires concernant Eurojust. Cependant, vous avez évoqué le rôle du Parquet européen " dans un premier temps ". Qu’entendez-vous exactement par cette expression ? Sur le deuxième thème, il nous paraît nécessaire de parler de pays et non de territoires. Le terme " territoire " est-il approprié ? Ne faudrait-il pas le définir ? A propos des sanctions envers les établissements des pays non-coopératifs, s’agit-il d’interdire les créations ou de fermer les établissements existants ? Enfin, vous parlez de sanctions pénales obligatoires pour manquement aux obligations de vigilance. Nous avons des contraintes constitutionnelles et juridiques, comme nos collègues britanniques, dont il faut tenir compte. Ce sujet doit être traité en profondeur. Lors de la réunion du 7 février, il faudra expliciter clairement le sens de l’harmonisation juridique.

Harlem DESIR

Premièrement, nous devons chercher à élargir les mesures de lutte à l’échelle internationale la plus large mais nous devons aussi utiliser pleinement les possibilités de l’Union européenne. Nous en sommes loin, ne serait-ce parce que les places et les établissements financiers de l’Union jouent un rôle considérable dans ces transactions. Les limites auxquelles nous nous heurterons avec des pays de l’OCDE ne doivent pas devenir des prétextes pour ne pas aller plus loin au sein de l’Union. Nous pouvons aller au-delà de la seule coopération gouvernementale. Nous pouvons encore faire progresser les compétences communautaires, ce qui renforcera également la coopération intergouvernementale.

Deuxièmement, concernant l’aménagement de la charge de la preuve, je signale que cette proposition n’est pas sans précédent. Je vous renvoie aux directives de lutte contre la discrimination adoptées sur l’initiative du Commissaire Vitorino en 2000. Elles prévoient, dans le cas où des éléments concordants permettent par exemple de soupçonner une discrimination à l’embauche, que c’est la personne mise en cause qui doit démontrer le caractère légal des motivations justifiant sa décision. Il existe des cas d’enrichissement ou de mouvements de fonds. Le simple fait de ne pas les justifier constitue déjà un élément de soupçon. L’établissement ou la personne mise en cause doit montrer que le mouvement ne pouvait pas être soupçonné et que sa bonne foi a été abusée. De même, un établissement doit pouvoir prouver que la provenance des fonds n’était pas frauduleuse.

Troisièmement, j’avais formulé une proposition concrète concernant la supervision au sein de l’Union. La révision de la directive relative au blanchiment de capitaux, par une décision du Parlement et du Conseil du 4 décembre 2001, permet une amélioration. Néanmoins, nous serons encore arrêtés par le fait que la Commission a pour unique prérogative de veiller à la transposition de cette directive. Le contrôle de la mise en œuvre de cette directive est encore morcelé, notamment concernant la déclaration par les établissements financiers de mouvements de fonds dont la source n’est pas justifiable. Un organisme de supervision communautaire permettrait d’avancer concrètement et d’inciter à une plus grande coopération. Nous pourrions créer un organisme spécifique ou confier cette compétence exécutive à la Commission, comme c’est le cas en matière de concurrence par exemple. Ce point peut rester dans les règles prudentielles mais aussi rejoindre le thème relatif à la transparence.

Vincent PEILLON

Nous avons le sentiment d’avoir pris en compte cette volonté dans le point quatre, en particulier sur le renforcement du contrôle prudentiel et de la régulation, en limitant le périmètre aux activités des sociétés de compensation, de règlement de fonds et de titres qui posent un problème majeur de régulation, avant de l’étendre à un organisme supranational. Je rappelle d’autre part que les sanctions pénales pour manquement de vigilance existent déjà dans certains pays comme le Royaume-Uni. Par ailleurs, nous avons conservé la distinction entre territoires et pays non-coopératifs d’après la terminologie du GAFI, certains territoires dépendant juridiquement d’un Etat mais bénéficiant dans les faits d’une large autonomie en termes de législation. Enfin, les mécanismes de sanctions sont inspirés des suggestions du GAFI. Celui-ci a demandé aux Etats membres de prendre des sanctions à l’égard de l’Etat de Nauru.

Paolo BERNASCONI

J’ai accepté votre invitation car l’expérience m’a appris combien il était important de créer des occasions de contact direct entre les gens du front et les législateurs. J’ai néanmoins quelques remarques à formuler sur le projet de texte.

Premièrement, en ce qui concerne le thème de la transparence, je ne connais pas de cas de crime économique dans lesquels les auteurs n’ont pas eu recours à de faux documents ou de fausses écritures. Il faut souligner l’importance du lien entre transparence et vérité comptable. Nous ne combattrons pas les formes modernes de criminalité sans assurer un maximum de protection de la comptabilité, ce qui inclut les factures, indépendamment du fait que la falsification ait causé des dommages directs ou indirects. Je suggère de mettre en exergue ce pas révolutionnaire, récemment franchi, instaurant l’obligation d’établir l’ayant-droit économique. Il faut là aussi assurer une protection et franchir un nouveau cap en considérant que le document établissant le nom de l’ayant-droit et rédigé par une institution financière a une valeur légale. En conséquence, celui que rédige ou utilise le faux en toute connaissance doit être puni.

Concernant les territoires et pays non-coopératifs, il est vrai qu’une large part des abus associe des sociétés installées dans tous les pays du monde mais ayant leur siège dans ces territoires non-coopératifs. Il faut souligner l’interdiction d’ouvrir des comptes pour ces établissements dans les pays réglementés car c’est l’instrument le plus caractéristique du blanchiment.

En matière de coopération judiciaire, nous savons tous que ce secteur est le plus faible depuis des décennies. Premièrement, l’article 10 de la Convention de Strasbourg numéro 141 contre le blanchiment de capitaux prévoit, depuis 1990, la faculté, pour les Etats, de contribuer spontanément à la poursuite dans un pays étranger. Il est grand temps de transformer cette faculté en obligation de coopération. Deuxièmement, l’entraide judiciaire a toujours été marquée par la méfiance. Pour donner une affirmation forte de progrès, il faut s’appuyer sur un thème chargé de signification juridique : in dubio pro rogatorio. Nous sommes tous partisans du principe in dubio pro reo. Si la présomption d’innocence doit être observée par le tribunal une fois les preuves recueillies, le doute suffit à motiver l’obligation de coopération avec l’autorité. Différentes délégations se sont montrées préoccupées par l’aménagement de la charge de la preuve mais je rappelle qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté. Combien de parlements ont-ils déjà ratifié la Convention de Vienne de 1988 ? L’article 5, dans son alinéa 7 le prévoit. Il ne faut pas confondre le respect du principe sacré de présomption d’innocence dans le cadre d’une procédure contre une personne, in personam, avec une procédure concernant seulement un objet, in rem, par exemple un million d’euros ou une voiture. La question a déjà été tranchée par la Convention européenne des droits de l’homme. J’espère avoir soulagé vos préoccupations. Toutefois, sur la lancée du mandat d’arrêt européen pour la personne, pourquoi ne songez-vous pas au mandat européen de saisie ? Il ne toucherait pas la personne mais seulement la propriété, tout en respectant le propriétaire de bonne foi.

Après des décennies de méfiance, nous devons marquer qu’un cap a été franchi, non seulement à l’intérieur de l’Union mais vis-à-vis des pays tiers. Le mécanisme de légalisation de tous les documents transmis par la voie de l’entraide a été abandonné, en pratique, par tous les Etats. Il faut affirmer officiellement que ce mécanisme est défunt en autorisant les Etats à réutiliser des preuves fournies par un autre Etat à l’occasion d’une coopération judiciaire. Il s’agit de la préhistoire. Il vous appartient de dire si nous avons quitté l’époque de la méfiance.

Enfin, nombre d’entre vous ont évoqué la protection des intérêts financiers de l’Union européenne. Deux aspects demeurent encore très flous. Premièrement, les fraudes contre les Etats et les intérêts financiers de l’Union doivent entrer dans la catégorie des infractions principales liées au blanchiment. Il faut aussi organiser la coopération entre les pays afin de permettre le séquestre et l’obligation de transmettre à l’autorité étrangère requérante jusqu’aux avoirs patrimoniaux représentant le produit d’une fraude fiscale, douanière ou aux subsides de l’Etat.

Olivier de BAYNAST

Je soutiens absolument ces propos en tant qu’expert d’Eurojust. Eurojust a besoin que vous mettiez fin à un véritable effet d’empilement. La construction de l’espace judiciaire et policier européen connaît, depuis quelques années, un phénomène de fuite en avant. Créer à chaque fois de nouvelles institutions, sans aller au bout de leur logique, ne permet pas de résoudre les difficultés. Le Parquet européen ne doit pas s’ajouter à l’OLAF, à Europol et à Eurojust. Europol vient, par le Traité d’Amsterdam, de recevoir la possibilité de disposer de compétences opérationnelles. Or les différents Etats ne lui fournissent pas les informations nécessaires à l’exercice de ses missions. Je ne pense pas que le Parquet européen sera une formule magique permettant aux volontés politiques d’être suivies dans les faits. Nous ne serons pas dispensés des efforts nécessaires pour être pris au sérieux.

Eurojust n’est pas seulement une agence d’échange d’information. Cet instrument permettra à un représentant national non seulement d’échanger des informations avec ses homologues mais également de demander au procureur d’engager une enquête et des poursuites. Les Etats semblent cependant peu préoccupés d’introduire dans leurs législations nationales les textes nécessaires. Nous attendons donc, sans penser à une quelconque concurrence mais au contraire par souci de cohérence, que les parlements veillent à ce que les engagements internationaux et européens reçoivent toute leur efficacité par une traduction dans leurs législations respectives. Nous sommes loin du compte et je constate que de nombreux engagements sont pris sans réfléchir aux implications.

Vous avez parlé d’éviter les duplications. Si votre appel réclame la création d’un procureur européen sur la base du corpus juris, c’est-à-dire pour lutter contre la fraude aux intérêts financiers des communautés, mais également pour l’ensemble du domaine du mandat d’arrêt européen, donc des compétences d’Eurojust, nous assisterons à un phénomène d’empilement extrêmement confus. En effet, nous ne pouvons pas avoir à la fois un organisme de coopération et un organisme fédéral.

J’ai répertorié l’ensemble des instruments juridiques pertinents sur le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui. La liste des conventions à ratifier est très longue. La cohérence exige non seulement que les institutions créées puissent fonctionner mais également que les conventions négociées puissent être appliquée. A ce titre, le rappel de la Convention de Strasbourg est particulièrement pertinent. Cet appel pourrait avoir un caractère plus technique et donc plus fort si ces éléments étaient mentionnés. De même, la Convention d’entraide judiciaire de mai 2000, qui répond aux auteurs de l’appel de Genève et dont je regrette que l’énoncé ait disparu dans la déclaration, n’a encore été ratifiée par aucun Etat-membre.

Gilles LECLAIR

Nous constatons effectivement un empilement des structures et conventions et nous souhaitons que les élus se penchent sur ce qui a été décidé et ratifié. Par exemple, l’aménagement de la charge de la preuve existe depuis 1988. J’ai trouvé un paradoxe dans la rédaction du troisième thème. Europol et Eurojust sont encore en devenir. Il faudrait affirmer le rôle de coordination et de support de ces deux organes. Le mandat d’Europol n’a été clairement établi, en matière de blanchiment, qu’en novembre 2000. Il faut insister sur la coordination des deux organisations avant d’affirmer le rôle d’un Parquet européen qui se voit attribuer un champ extrêmement large. Nous avons besoin du support des Etats-membres.

Jean de MAILLARD

Je suis d’accord, en partie, avec ce qui vient d’être dit. Il faut faire des choix et notamment éviter que des empilements de mesures et d’institutions ne dissimulent finalement une absence de vision politique. Lors de la précédente réunion, j’avais rappelé les deux approches des questions européennes. La création d’Europol et d’Eurojust relève d’une logique intergouvernementale, la logique du troisième pilier. Les gouvernements semblent plus aisément disposés à créer des dispositifs de coopération intergouvernementale car ils pensent conserver un certain contrôle. Il faudra un jour s’interroger sur le saut, dans la logique du premier pilier, des affaires judiciaires et intérieures. A ce propos, il existe un projet de directive, sur la base de l’article 280, la Commission ayant pris acte de l’incapacité des Etats, depuis 1995, à ratifier les conventions qu’ils avaient signées avec élan et enthousiasme en matière de protection des intérêts financiers européens. Les Etats devront dire, un jour, ce qu’ils ont l’intention de faire et de ne pas faire. Le Parquet européen relève de la logique de premier pilier donc européenne. Le développement d’institutions telles qu’Europol et Eurojust, même si elles ont leur place et ne sont pas supplantées par le Parquet européen, relève d’une logique intergouvernementale. Nous ne pouvons agir dans le troisième pilier avec autant d’efficacité que dans le premier.

Je regrette également le caractère défensif du texte, en matière de lutte contre le blanchiment. Il comprend un catalogue de mesures, certains claires et justifiées, d’autres plus floues et difficiles à mettre en œuvre. L’adoption de certaines dispositions trop floues, loin d’exprimer un accord de l’ensemble des parlements, servirait davantage à dissimuler des désaccords. Je souhaiterais une volonté plus offensive. Au lieu de prévoir de simples mesures policières, judiciaires ou prudentielles, je souhaiterais voir prendre des mesures de bonne gouvernance. Il est prématuré de vouloir les renvoyer vers des instances plus larges, comme l’OCDE, ce qui rendrait le processus plus difficile. L’Union européenne me paraît constituer un cadre suffisant, encore faut-il le vouloir et en être capable.

Enfin, j’insiste sur la proposition de Monsieur Harlem Désir de faire passer du quatrième au premier thème l’idée d’un organisme de supervision des chambres de compensation qui constituerait un outil essentiel de la surveillance des flux de capitaux. L’Union européenne devrait et pourrait mettre sur pied un dispositif rendant obligatoire le passage par ces chambres des flux de capitaux transnationaux et instaurant un contrôle européen. Il existe aujourd’hui deux chambres de compensation internationale concernant les titres, Clearstream et Euroclear. Toutes deux sont situées sur le territoire de l’Union mais aucune n’est contrôlée. Les autres transactions financières ne passent par aucune chambre de compensation. Ces graves carences sont certainement à l’origine d’une grande partie des difficultés que nous rencontrons en matière de lutte contre l’argent criminel. Ce contrôle est possible et permettrait aux juges et aux policiers d’effectuer des enquêtes financières aujourd’hui impossibles, tout en respectant les libertés individuelles. Il faut aussi pouvoir contrôler les personnes. Le document contient quelques propositions dans ce sens qui pourraient aller plus loin. Je partage votre point de vue concernant le registre des comptes bancaires. Le fichier français constitue une aide majeure en matière d’investigations financières. Les entités telles que les trusts, fiducies ou fonds de pension doivent être répertoriées dans un registre publiant les noms des ayant-droits de ces structures. De même, lorsqu’elle existe, la comptabilité de ces structures doit être publique.

Vincent PEILLON

Le texte contient déjà certaines de vos suggestions, notamment concernant ce dernier fichier. Nous devrions trouver des formulations plus aisément compréhensibles.

Jean de MAILLARD

J’ajoute qu’il faut une norme européenne de publication qui permette de travailler sur les mêmes bases, dans les différents Etats.

Dominique GARABIOL

Je partage, avec les autres praticiens, un sentiment de frustration et d’inefficacité par rapport aux objectifs affichés. L’ambiguïté sur les objectifs réels du dispositif à mettre en place alimente diverses inquiétudes. Chaque Etat-membre est partagé entre le souci de concilier les objectifs d’efficacité et celui de préserver les libertés individuelles. Nous ne pourrons dépasser cet obstacle qu’en exprimant des objectifs clairs. Des accords politiques ont été signés pour combattre le crime organisé, le trafic de stupéfiants ou le terrorisme. Sur cette base consensuelle, les différents parlements doivent s’accorder sur des instruments permettant d’améliorer l’efficacité générale. Il faut nous garder d’ambitions trop vaniteuses consistant à étendre constamment le champ des infractions visées, voire à relancer le débat sur quelques dimensions institutionnelles de la construction européenne. Les propositions présentées dans l’avant-projet de déclaration sont déjà en œuvre dans plusieurs pays, même si elles paraissent difficiles à appliquer à certains d’entre vous. Elles ne pourront être acceptées que si elles sont clairement mises au service des objectifs essentiels de l’Union européenne.

Concernant les sanctions contre les pays non-coopératifs, l’accueil d’établissements de ces territoires sur celui de l’Union ne mentionne pas l’activité de comptes de correspondants. Or c’est un sujet d’actualité qui figure d’ailleurs dans le point précédent. Concernant le troisième thème, le consensus serait plus aisé à obtenir si la délinquance financière et l’harmonisation des délits financiers étaient restreintes aux objectifs essentiels de l’Union. Avec l’ancien Directeur de la Police judiciaire française, j’avais rédigé un rapport à l’attention du Ministre de l’Intérieur qui suggérait qu’Europol serve à favoriser l’implication des institutions européennes. Europol a désormais une mission précise en matière de blanchiment et pourrait coordonner utilement les services de renseignement financier européens.

Le dernier point du quatrième thème concerne l’introduction d’une sanction pénale en cas de manquement des professionnels à leur devoir de vigilance. Dans certains pays, des sanctions lourdes existent. Une harmonisation semble utile pour améliorer l’efficacité d’ensemble. Il faudrait préciser que le manquement doit être intentionnel et que les obligations de vigilance portent sur le blanchiment des capitaux des organisations criminelles. Enfin, l’échange d’informations professionnelles entre les pays de l’Union est aujourd’hui freiné par les différentes dispositions nationales. Par exemple, un groupe bancaire a la plus grande difficulté à connaître la situation de ses différentes implantations européennes. Ce point est contradictoire avec les exigences prudentielles de surveillance sur une base consolidée.

Vincent PEILLON

Je vous remercie tous pour votre patience et la qualité de vos interventions. Sur la base des réflexions entendues, nous comptons vous proposer une nouvelle rédaction du texte dans huit ou dix jours. Ensuite, je vous demande de nous faire connaître rapidement vos remarques et objections. Nous pourrons ainsi organiser la session du 7 février de la manière la plus efficace possible en consacrant le temps nécessaire à la clarification des points qui posent encore problème.

La séance est levée à 17 heures 10.