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Chirac, 1971
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Nixon, 1973 |
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De Gaulle 1974
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1974 |
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Autoportrait 1975 |
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1975 |
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Boat people, 1978 |
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Brejnev, 1979 |
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Mitterrand, 1981 |
De ses jeunes années au lycée Gizycki de Varsovie,
il avait préservé l'essentiel: «Je caricaturais mes profs. Je les
imitais tous. Je faisais le guignol.» Ce lutin à l'œil si bleu, si
clair, si doux, qui restera comme l'un des dessinateurs de presse
mythiques du XXe siècle, avait gardé le cap. Dans les couloirs de L'Express,
en mime d'élite, il reproduisait nos démarches, nos gestes, nos
expressions. Ainsi, pendant plus de trente ans, il aura «aligné» tout
ce qui bouge au journal. Mais sans jamais s'oublier: dans un tiroir de
son bureau, il avait un admirable nez rouge, qu'il enfilait à
l'occasion. Voilà. C'était lui, ça. C'était notre Tim à nous. A
jamais, à toujours. Le lundi 7 janvier, à l'âge de 82 ans, le tendre
clown - ce grand artiste - est parti avec ses crayons et ses plumes, ses
calques et son nez rouge. Faut-il préciser que nous sommes
quelques-uns, ici, à avoir le cœur en morceaux?
Avec
Tim,
on allait toujours
à l'essentiel
Pour l'état civil, il était né Louis Mitelberg, en Pologne, le 29
janvier 1919. A 17 ans, déjà, Louis ne vivait que pour une chose: le
dessin. Mais sa mère et son père, un artisan qui opérait dans la
casquette, rêvaient pour leur fils d'un «vrai» métier: architecte.
Le voici donc à Paris, à l'École des beaux-arts, où il étudie la
noble science des volumes. A partir de là, le scénario s'emballe.
Mobilisé en 1939. Prisonnier en mai 1940. Dans son stalag, en
Allemagne, Louis fabrique des faux papiers pour tous les candidats à la
belle. Notre lutin, lui, s'évade en mars 1941; et il fera partie des
fameux « 186 » qui atteindront Londres - via les camps d'internement
soviétiques - en septembre 1941, et dont le Général dira plus tard:
« Vous êtes arrivés quand j'en avais besoin. » Cette épopée
incroyable, héroïque, Louis la résumait en trois phrases: « J'ai pris
le train - je parlais bien allemand. Je suis passé par la Lituanie, et
je me suis retrouvé chez les Russes, en prison. Puis, sur un bateau
anglais, j'ai débarqué à Glasgow. » Point final. Avec Louis, on
allait toujours à l'essentiel.
C'est à Londres qu'a lieu sa première exposition - sur les stalags. A
Londres encore qu'il signe son premier dessin politique - une colonne de
prisonniers allemands dans les neiges soviétiques, avec cette légende:
«Radio Berlin: les victoires russes nous laissent parfaitement froids.»
A Brazzaville, enfin, il livre son premier pastel du Général.
Entre-temps, Louis Mitelberg est devenu le sergent Mitelle. C'est à
Alger, en 1943, qu'il va faire deux rencontres capitales. Une: dans des
livres, il découvre l'œuvre de Daumier, qu'il baptisera aussitôt « Le
Maître ». Et deux: dans un cercle d'amis - les « Chimpanzés » d'Alger
- il se lie avec un jeune homme, de cinq ans son cadet, arrivé d'Amérique
pour rallier les commandos des Forces françaises. C'est l'aspirant
Philippe Grumbach, futur pionnier et directeur de la rédaction de L'Express.
Très tôt, Philippe a eu un aperçu du talent de Louis: «Une jaunisse
m'avait envoyé à l'hôpital Maillot. Pour me sortir de là, Louis m'a
fait des faux papiers. C'était un génie. Il faisait le bleu, le blanc
et le rouge à la gouache. Et la typo à la main! Pour faire ça,
il faut avoir la main ferme. Il l'avait.»
Nos deux chimpanzés se retrouvent à Paris, en 1945, « alors que Louis
venait juste d'apprendre que ses parents avaient brûlé vifs dans le
ghetto...». Ils partageront une chambre rue d'Ulm. « Et il n'y avait
qu'un lit, précise Philippe Grumbach. Nous tournions: un jour dans le
lit, un jour par terre. » On aurait aimé voir ça. Ils participent
ensuite à la création d'un journal, Volonté. Mais cette
Volonté n'a pas tenu. Louis dessine alors pour Action, pour
Ce soir, pour L'Humanité, tandis que Philippe entre à
l'AFP, passe par Libération, où il fréquente Jacky Derogy, et
atterrit à Paris-Presse, où il collabore avec J.-J S.-S - qu'il
suivra dans la belle aventure de L'Express. Un jour de 1958,
sur un trottoir, Philippe Grumbach croise son Mitelberg, qui défile
encore pour l'Indochine: «Je lui ai dit: bon, tu ne crois pas qu'il
serait temps de venir travailler dans un journal un peu dans le vent ? »
Le 1er novembre 1958, Louis Mitelberg entre à L'Express. Il y
devient Tim.
© J.-R.
Roustan/L'Express
Charlot-Chaplin, Chirac en Saint Laurent, Mitterrand d'après
Lautrec... Dessins ou sculptures, les grands vus par Tim avaient un
trait commun: l'art.
« Un portrait n'est bon, dira-t-il, que s'il contient une pincée de
caricature. Et une caricature n'est bonne que si elle contient une
pincée de tendresse. » Donc, avec lui, les champions de la Ve République
vont tous y passer: de Pompidou jusqu'à Mitterrand, qui lui donnera
très sportivement du « Tim le Terrible ! ». C'est qu'il les aura
astiqués, taquinés, roulés parfois - et même souvent - dans la
farine. Mais il en est un qui restera son client devant l'Eternel:
le général de Gaulle. « Sur de Gaulle et Tim, insiste son copain
Philippe, il faut écarter les conneries. Tim était profondément
admiratif de de Gaulle, de ses accomplissements politiques. Et
profondément critique à l'égard de ses actions à la gomme. » Avec
son air angélique, Louis n'aura jamais cessé de vanter les qualités
professionnelles de son Général: « Il s'arrangeait toujours, au
milieu d'un discours ou d'une conférence de presse, pour formuler
une phrase qui nous servirait de légende. Il semblait la souligner
en rouge et nous dire : « Messieurs, à vos crayons! » Tim
affichait à voix haute « une grande tendresse pour lui. A cause de
l'envergure de sa vision. A cause de sa noblesse ».
A L'Express, certains veinards se sont fait mimer par le
lutin une cérémonie de 1961, à l'Élysée. De Gaulle y reçoit des
éléments du groupe Billotte: les fameux « 186 ». Dans un petit coin,
il y a le sergent Mitelle. Les épaules des évadés forment un
paravent devant notre caricaturiste: sait-on jamais. Du haut de son képi,
le Général finira par le repérer. Dans un silence de qualité, il
s'avance vers lui. Lui tend la main. Et lâche un magnifique: « Alors, Mitelle, on dessine ? »
Observateur politique, commentateur à sa façon, il attaquait ses
journées en dévorant la presse du monde entier. Et il s'indignait.
Et quand Louis s'indignait, il cognait sec. Inconditionnel d'Israël,
il l'était; mais, dès qu'un relent de racisme, en France, venait
pointer du doigt la communauté des travailleurs maghrébins, Louis
devenait tout pâle et dégainait son crayon. Il soulignait: « J'apprécie
peu la dérision dès qu'il s'agit des droits de l'homme. » En 1976,
il intégrera le comité éditorial de L'Express: dans
l'histoire universelle de la presse, il est le seul dessinateur à
avoir connu ce destin. Raymond Aron écrira: « Disons, sous la forme
la plus simple, qu'il témoigne d'une gentillesse, d'une délicatesse
que l'on trouve rarement dans la redoutable gent des intellectuels.»
Et encore: « Nos éditoriaux ne résistent pas à l'usure du temps. Il
m'arrive d'envier mon compagnon de L'Express. Il commente
l'actualité et ses œuvres restent. »
Au journal, Louis habitait à l'étage de la culture. C'était une évidence:
cet homme si cultivé, qui a illustré l'œuvre de Zola, de Kafka, de
Jarry, s'adossait souvent, dans ses dessins, à l'opéra, au théâtre,
à la littérature, à la chanson, à la publicité. Mais, surtout, à
l'art. L'ami Pierre Schneider, notre chroniqueur maison, s'arrêtait régulièrement
devant son bureau. D'abord, ils s'échangeaient leurs histoires drôles
- toutes plus navrantes les unes que les autres - et riaient comme
deux grands crétins. Ensuite, ils dissertaient sans fin sur Vermeer,
Goya, Ingres, Giacometti, Picasso... et, à l'arrivée, Louis se réappropriait
leurs chefs-d'œuvre dans ses dessins. Comme le note Pierre, « c'était
sa façon de ramener le chaos de l'actualité sous la protection d'un
art qui vise l'harmonie. »
Tim a opéré à L'Express jusqu'à l'âge de 71 ans. Dans sa
vie, il aura également dessiné pour Le Monde, L'Evénement du
jeudi, Time, Newsweek, le New Yorker, le New York Times
- que sais-je encore? Depuis un demi-siècle, il se livrait à un
autre sport: la sculpture. Ses motifs étaient, ô combien, conformes
à son âme: de la statue du capitaine Dreyfus (place Pierre-Lafue, à
Paris) au Monument des survivants d'Auschwitz (cimetière du Père-Lachaise).
Ces dernières années, Louis avait beaucoup investi dans son
Ratapoil: un hommage selon son cœur à Daumier. Le 23 janvier, à
l'hôtel de Lassay, le président de l'Assemblée nationale inaugurera
le Ratapoil de Tim. Vaste sujet de méditation pour nos députés.
Mais, aussi, le baroud d'un artiste qui répétait: « J'aime les
hommes politiques. » Adieu, l'ami.
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Honoré Daumier
De l'influence de
la caricature sur le comportement des citoyens
Vidéo
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