Projet de loi portant
abolition de la peine de mort
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N° 310
Document
diffusé le
2 septembre 1981 (a)
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ASSEMBLEE
NATIONALE
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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 29 août 1981.
Annexe au procès-verbal de la première séance après le 2 août
1981.
PROJET DE LOI
portant abolition de la peine
de mort
(Renvoyé, en
application de l'article 83 alinéa 2 du Règlement, à la
commission des Lois
constitutionnelles, de la Législation et de l'Administration
générale de la République, à
défaut de constitution d'une Commission spéciale dans les délais
prévus par les articles
30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉ
AU NOM DE M. PIERRE MAUROY,
Premier ministre,
PAR M. ROBERT BADINTER,
Garde des Sceaux, ministre de la Justice.
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(a) La distribution officielle du document faisant
courir les délais de procédure aura lieu le premier jour de
séance après le 2 août 1981.
Peines. - Peine de mort - Code de justice militaire -
Code de procédure pénale - Code pénal
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Un pays épris de libertés ne peut, dans ses
lois, conserver la peine de mort. C'est un impératif pour la liberté
que de n'accorder a quiconque un pouvoir absolu tel que les conséquences
d'une décision soient irrémédiables. C'en est un autre que de
refuser l'élimination définitive d'un individu, fût-il un
criminel.
Une justice qui se dérobe à cette double
exigence avoue son impuissance et réduit son influence
civilisatrice. La peine de mort entérine une faillite sociale; son
abolition répond à un principe éthique.
Le rejet de la peine capitale, constamment réclamé
par les grands courants de pensée et plusieurs fois évoqué devant
les Assemblées parlementaires, n'avait jamais pu, encore, s'imposer
clairement à la conscience collective, comme si la nation tout entière,
agitée depuis deux siècles de ce tourment, n'osait s'en débarrasser.
Or le principe en est, désormais, tacitement admis puisque le
peuple français s'est prononcé à deux reprises pour des candidats
qui se réclamaient de I'abolition. Il faut donc en tirer les conséquences,
et traduire dans nos lois un choix auquel les électeurs ont
implicitement consenti. En rappelant que les études faites
conduisent à la même conclusion : il n'existe entre l'évolution
de la criminalité sanglante et I'absence ou la présence de la
peine de mort aucune corrélation.
Le moment est venu pour la France, qui fut si
souvent à I'avant-garde des libertés et du progrès du droit, de
combler le retard qu'elle a pris en ce domaine par rapport aux pays
d'Europe occidentale qui refusent un châtiment considéré comme
une peine inhumaine, dégradante et cruelle.
Trop longtemps accrochée à cette survivance
d'un autre âge, la France se trouve aujourd'hui, du fait d'un
profond renouveau intérieur, en mesure de rejoindre une opinion
internationale qui, par la voix d'organisations diverses et, tout récemment,
par celles du Conseil de l'Europe et de l'Assemblée des
Communautés européennes, s'est prononcée sans ambiguïté contre
le maintien de la peine de mort.
PROJET DE LOI
Le Premier ministre,
Sur le rapport du Garde des Sceaux, ministre de
la Justice,
Vu I'article 39 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi portant abolition de
la peine de mort, délibéré en Conseil des ministres après avis
du Conseil d'Etat (commission permanente), sera présenté à I'Assemblée
nationale par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice qui est
chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.
Article premier.
La peine de mort est abolie.
Art. 2.
Dans tous les textes en vigueur prévoyant que la peine de mort
est encourue, la référence à cette peine est remplacée par la
référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la
détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime
concerné.
Art. 3.
Les articles 12, 13, 14, 15, 16, 17 du Code pénal et l'article
713 du Code de procédure pénale sont abrogés.
Art. 4.
Le 1° de l'article 7 du Code pénal est supprimé. Les 2°, 3°,
4°, 5° de cet article deviennent en conséquence les 1°, 2°,
3° et 4°.
Art. 5.
Les articles 336 et 337 du Code de justice militaire sont
abrogés.
Art. 6.
L'alinéa premier de l'article 340 du Code de justice militaire
est remplacé par l'alinéa suivant :
" A charge d'en aviser le ministre des Armées, l'autorité
militaire qui a donné l'ordre de poursuite ou revendiqué la
procédure peut suspendre I'exécution de tout jugement portant
condamnation; elle possède ce droit pendant les trois mois qui
suivent le jour où le jugement est devenu définitif. "
Art. 7.
La présente loi est applicable aux territoires d'outre-mer ainsi
qu'à la collectivité territoriale de Mayotte.
Fait à Paris, le 29 août 1981.
Signé : PIERRE MAUROY.
Par le Premier ministre :
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice,
Signé : ROBERT BADINTER.