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Au Parlement

André Malraux a été nommé ministre de l'Information le 21 novembre 1945. A ce titre, il est intervenu à deux reprises en séance en décembre 1945 pour défendre ses budgets (information et radiodiffusion).

Du 17 novembre 1959 au 19 novembre 1968, ministre d'État chargé des Affaires culturelles, il est intervenu 26 fois dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale : 11 fois pour présenter son budget ; 7 fois pour répondre à des questions orales ; 8 fois (compte tenu des secondes lectures) pour soutenir la discussion de projets de loi. Soit une moyenne d'un peu moins de trois interventions par an. Quand il venait à l'Assemblée nationale, il faisait salle comble, provoquant l'afflux des députés des couloirs vers l'hémicycle. Ce qui n'est pas arrivé à grand monde après lui.

De 1959 à 1968, André Malraux aura été au Palais Bourbon le dernier des grands orateurs de la IIIe République, vingt ans après la disparition de celle-ci.

Au Sénat :

André Malraux est intervenu sur son budget en décembre 1959, novembre 1960 et novembre 1961.
De 1963 à 1968, à la suite du conflit avec Gaston Monnerville, président du Sénat, Malraux n'a pas présenté son budget au Palais du Luxembourg. Il y est revenu une dernière fois en novembre 1968.

En ce qui concerne les projets de loi :

- intervention du 22 mai 1962 sur le projet de loi de programme relatif à la restauration de grands monuments historiques. Cette intervention est strictement identique à celle du ministre d'État sur le même texte devant l'Assemblée nationale le 14 décembre 1961;
- 26 juin 1964 : projet sur le principe de réciprocité en matière de droit d'auteur ;
- 16 décembre 1964 : projet sur l'assurance maladie, maternité et décès des artistes.


André Malraux, ministre d'État chargé des Affaires culturelles, au banc du gouvernement à l'Assemblée nationale lors de la présentation du gouvernement Pompidou (26 avril 1962).

Il est entouré de trois chefs de gouvernement (l'actuel : Georges Pompidou [Tables d'archives] [Vidéo] ; un ancien : Pierre Pflimlin ; le futur : Maurice Couve de Murville [Tables d'archives] [Vidéo] ).

Georges Pompidou, non parlementaire, collaborateur du général de Gaulle dès octobre 1944, fut nommé Premier ministre le 13 avril 1962. « Gravissant pour la première fois de (sa) vie les degrés de la tribune », il se présenta devant l'Assemblée nationale, le jeudi 26 avril, à onze heures. Il obtint la confiance par 259 voix contre 128 sur 506 votants, ce qui fut considéré comme un demi-succès.


Photographie - Archives Photo France.


Procès-verbal original de réunion de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Séance du 29 septembre 1966 : audition d'André Malraux.

La pratique parlementaire française fait, de longue date, précéder l'intervention d'un ministre en séance publique de son audition par la commission compétente. C'est le cas, en particulier, pour le projet de loi de finances, occasion pour les ministres d'être entendus sur « les crédits de leur département », et, plus largement, sur leur politique. La plupart du temps une simple répétition générale de la présentation en séance publique. Mais le passage en commission peut dans ce cadre plus intime susciter des propos plus spontanés. Ce fut souvent le cas pour André Malraux.

Comme ministre de l'Information, il a été entendu une fois par la commission de la Presse, de la radio et du cinéma en décembre 1945 ; comme ministre d'État chargé des Affaires culturelles, il a été entendu dix fois par les Commissions, de juin 1959 à octobre 1967 : 6 fois par la commission des Affaires culturelles ; 2 fois par la commission des Lois ; 1 fois par la commission des Finances ; 1 fois par la commission des Affaires étrangères.

« Je pense que nous avons tous avantage à ne pas jouer cette sorte de comédie misérable qui suppose qu'une foule énorme est en face d'un roi abusant de son pouvoir et qui paraît s'en indigner. Vous êtes vingt-quatre. »

« Si vous le voulez bien, je vais supprimer complètement le fait qu'un certain nombre de mes interlocuteurs appartiennent à tel ou tel Parti ennemi ou adversaire. Nous allons décider que ce n'est pas la prise du pouvoir par le prolétariat qui décidera de la solution de ces problèmes ; nous allons simplement essayer, si vous le voulez bien, de faire ce que nous pouvons. »

Audition par la commission
des Affaires culturelles,
familiales et sociales,
le 29 septembre 1966.


Assemblée nationale - Services des Archives.


Projet de loi n° 1532 étendant aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les dispositions législatives concernant les monuments historiques et relatives aux mobiliers.
(Ire législature -1961)). Assemblée nationale.

Projet de loi de programme n° 1533 relatif à la restauration de grands monuments historiques.
(Ire législature -1961). Assemblée nationale.

Versailles, Vincennes, Fontainebleau, Chambord, les cathédrales de Reims et de Strasbourg, l'abbaye de Fontevraud, furent les principaux bénéficiaires des deux lois de programme que fit voter André Malraux.

Projet de loi n° 535 sur l'application du principe de réciprocité en matière de protection du droit d'auteur.
IIe législature -1963). Assemblée nationale.

Projet de loi n° 1084 sur l'assurance maladie, maternité et décès des artistes peintres, sculpteurs et graveurs.
(IIe législature -1964). Assemblée nationale.

Projet de loi n° 257 tendant à instituer, au profit des petites exploitations de théâtres cinématographiques, une faculté d'option en matière de soutien financier.
(IVe législature -1968). Assemblée nationale.


Quelle que soit leur importance, le ministre des Affaires culturelles soutint avec une égale application la discussion des projets de loi qu'il soumit au Parlement. On put voir l'auteur de La Condition humaine, soucieux de convaincre, défendre devant les députés amendements et sous-amendements...

Question écrite de François Mitterrand au ministre des Affaires culturelles sur la cinémathèque (février 1968).

Parmi les nombreuses questions écrites adressées au ministre des Affaires culturelles, on a retenu celle de François Mitterrand, député de la Nièvre, sur l'« affaire de la cinémathèque » qui fut l'un des détonateurs des « événements de mai 1968 ». La question est du 17 février 1968. La réponse d'André Malraux fut publiée dès le 24 février. Promptitude tout à fait exceptionnelle.

J.O., Débats, A.N. 24 février 1968, pp. 519-520.

Dans le débat de censure des 21 et 22 mai 1968, François Mitterrand, comparant les ministres qu'il avait en face de lui « au gouvernement de M. de Soubise qui erre dans l'obscurité à la lueur de sa lanterne », s'en prit en ces termes à André Malraux : « // n'est pas jusqu'à M. Malraux (exclamations sur divers bancs) qui cherche en tâtonnant sa route de la cinémathèque au festival de Cannes en passant par le théâtre de l'Odéon ».

J.O. A.N. 1re séance du 22 mai 1968. p. 2032.

L'ACCUEIL DES PARLEMENTAIRES

Il est passé d'une admiration un peu complaisamment qualifiée de « fascinée » par les commentateurs, à un regard plus critique dans les dernières années. En novembre 1966, la représentation des « Paravents » de Jean Genet dans un théâtre subventionné fut mal acceptée par une partie de la majorité, et donna à Malraux l'occasion d'une belle défense de la liberté des créateurs. Deux ans plus tard, Valéry Giscard d'Estaing, rapporteur au nom de la commission des Finances du dernier budget de Malraux, signala une « faille » -l'entretien insuffisant des monuments - et une « crise », celle des maisons de la culture. Malraux répondait point par point, consciencieusement, à ses contradicteurs - sauf quand il les renvoyait à des réponses écrites. Mais le charme était rompu.

Rapport n° 359 au nom de la commission des Finances, de l'économie générale et du plan sur le projet de loi de finances pour 1969 : Affaires culturelles, rapporteur spécial M. Valéry Giscard d'Estaing.

Le jugement d'un rapporteur sur le dernier budget Malraux.

« Un deuxième souffle de l'action culturelle est d'autant plus nécessaire qu'après dix ans, une mise au point s'impose, et que des orientations nouvelles doivent être ouvertes. Si l'on enregistre des succès évidents, comme le mécénat d'État en faveur de l'art moderne, on observe une faille et une crise. La faille est celle qui continue de tenir éloignées, dans l'administration et dans l'action, les deux faces de la culture française, que sont le passé et l'avenir. L'entretien du passé reste encore trop négligé, et la France qui a toujours réussi jusqu'ici la synthèse de ses créations antérieures, traite trop souvent son passé comme s'il était mort, et son avenir comme s'il naissait de rien. La crise est celle des maisons de la culture qui, malgré l'immense mérite de leur créateur, M. André Malraux, et de leurs animateurs municipaux ou culturels, butent sur l'incertitude de leur mission. S'agit-il de frayer la voie aux formes les plus audacieuses de la création culturelle ? S'agit-il de rétablir le flux de la culture, entre ceux qui la créent et ceux qui en sont les innombrables porteurs ? »

Valéry Giscard d'Estaing, octobre 1968.
Assemblée nationale

Malraux dans l'hémicycle : un témoignage

André Malraux n'était pas un homme comme les autres ; pas un homme politique comme les autres ; et pas non plus un ministre comme les autres. Les représentants du peuple ont pu s'en rendre compte, notamment lorsque, de 1959 à 1968, dans le cadre de la discussion des projets de loi de finances annuelle, l'auteur de la Condition Humaine, ministre d'État chargé des affaires culturelles, venait défendre devant eux les crédits de son ministère. Tous ceux qui ont assisté à ce spectacle, y compris le jeune fonctionnaire que j'étais alors, en ont gardé un impérissable souvenir. Armé des notes techniques qu'avaient préparées ses services et qu'il agitait dans ses mains frémissantes, le ministre montait à la tribune essayant, comme un bon élève récite une aride leçon, d'analyser les problèmes concernant les différents chapitres de son budget monuments historiques, archéologie, théâtre, cinéma, maisons de la culture, etc... - et puis, tout d'un coup, il écartait ses feuillets, les jetant parfois dans l'espace, et laissait parler son coeur avec des accents d'un lyrisme échevelé. Aux parlementaires plus ou moins surpris, voire médusés, il disait en substance : « Mon ministère n'est pas un service des Beaux-arts modernisé : c'est l'État au service de la culture, c'est-à-dire de quelque chose dont personne, et surtout pas moi, ne sait ce qu'elle est ; la matière de la culture, c'est ce qui dans la mort appartient tout de même à la vie. Vous tous qui êtes intervenus dans le débat, vous m'avez dit en somme la même chose : il n'y a pas assez d'argent. Mais l'argent, ce n'est pas tout le problème ; d'ailleurs, ce que je ne peux trouver dans le budget, je le trouverai ailleurs. Et notre pays ne représente-t-il pas la générosité du monde ? On m'invite à descendre de mon Olympe, mais est-ce de l'Olympe que j'ai changé la couleur de Paris ? Pourquoi manquerai-je l'occasion d'évoquer devant vous l'Histoire, et le fait qu'après la disparition des grandes civilisations agrariennes, il y a moins de distance entre Ramsès II et Napoléon, qu'entre Napoléon et nous. La machine est là, qui a conquis le monde ; elle a fait du rêve culturel une industrie, laquelle se nourrit d'argent, un argent certes insatiable mais qui multiplie à l'infini la diffusion des oeuvres d'art et permet pour la première fois d'offrir à tous et à chacun l'univers éternel de la beauté et de la vérité ». Après des envolées de ce genre et bien d'autres encore, le ministre, maîtrisant tant bien que mal la tension nerveuse qui l'agitait, écoutait avec la plus grande attention les questions concrètes des élus, dont il avait appris à connaître au fil des ans les sujets de préoccupation. Un de ses principaux contradicteurs était Fernand Grenier, député communiste et spécialiste du cinéma ; lorsque celui-ci tardait à se manifester, le ministre, se tournant vers ses conseillers, manifestait son inquiétude : « Est-il là ? Est-il malade ? Va-t-il venir ? Renseignez-vous ». Et, à l'intention d'élus de droite, qui l'interpellaient chaque année sur la montée de l'obscénité dans certains spectacles culturels ou dans des émissions télévisées, il répétait sans se lasser : « La liberté n'a pas les mains propres mais avant de la passer par la fenêtre, il faut y regarder à deux fois ».

A.D.


MALRAUX ET LES PARLEMENTAIRES

«... Quand il allait à l'Assemblée défendre « son budget », ou pour la discussion d'une loi, il se pliait d'abord aux usages... Il prenait soin de s'attarder aux questions des parlementaires, et si l'ordre du jour ne le permettait pas, on leur répondait par écrit les jours suivants.

Malraux faisait sinon les couloirs du Palais-Bourbon ou du Luxembourg, du moins la buvette, où après la séance il rencontrait les élus qui s'y trouvaient par hasard, souvent des députés de la base... Presque collé à celui d'entre eux qu'il avait choisi, Malraux, avec son style inimitable, l'exhortait à s'embarquer avec lui sur les vaisseaux du Destin ; cela commençait par les malheurs d'une église romane ou la pauvreté d'une école de musique et cela se terminait par : « II est entendu que vous et moi ferons cela ensemble »...

André Holleaux
Directeur du cabinet d'André Malraux de 1962 à 1965.
(article cité)


« Un hurluberlu quelconque. »

« Quelle serait votre définition de la Culture ?

André Malraux. - Celle que j'ai donnée à la Chambre était improvisée, elle a d'ailleurs fait fortune : la connaissance du plus grand nombre d'oeuvres par le plus grand nombre d'hommes. Je répondais à un hurluberlu quelconque. Plus sérieusement, j'avais écrit, dans Les Voix du silence, que la culture était l'héritage de la noblesse du monde. »

in Guy Suares, « Malraux, celui qui vient »
Entretiens, Stock, 1974, p. 47

Une interprétation

- A la première séance de la Chambre après votre départ, pendant deux ou trois minutes, je me suis trouvé seul au banc des ministres avec Couve, et Chaban à la présidence, dans le jour blafard que vous connaissez : aucun député n'osait entrer le premier...

Les chênes qu 'on abat, Gallimard, 1971, p. 33

Dernière rencontre d'André Malraux avec l'Assemblée nationale

En décembre 1975, l'Assemblée nationale constitua sous la présidence d'Edgar Faure une commission spéciale qui se donna pour mission d'adopter à partir de textes déposés par la majorité et l'opposition, la charte des libertés et des droits fondamentaux de notre époque. La commission tint onze séances de février à juillet 1976, et entendit 37 personnalités : juristes, sociologues, ethnologues, médecins, syndicalistes, et un cardinal.

André Malraux vint le 12 mai 1976. Ce fut l'un de ses derniers messages.

La commission des libertés parvint à élaborer une proposition de loi constitutionnelle, annexée au procès-verbal de la séance du 21 décembre 1977 (dernière de la législature). La proposition ne fut jamais débattue. L'Assemblée nationale élue en mars 1978 ne parvint pas à, ou ne se soucia pas de, réaliser sur ce texte « l'unité de l'âme » souhaitée par Edgar Faure.

De tous les discours et interventions d'André Malraux au Palais Bourbon, cette audition est la seule qui ait été enregistrée.


Photographie AFP

Rapport n° 3455 de la commission spéciale chargée d'examiner les propositions de loi... sur les libertés.

Edgar Faure, président [Tables d'archives] ; Jean Foyer [Tables d'archives] et Charles Bignon, rapporteurs.

(Ve législature - 1977). Assemblée nationale.

André Malraux à Verrières-le-Buisson en 1971


© Photo Jacques Robert Gallimard

Lettre autographe d'André Malraux, signée d'un chat (à Agnès Capri)


© Bibliothèque de l'Assemblée nationale (acquisition d'octobre 1996)


© Photo Roger Parry Gallimard