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150e anniversaire de la mort d'Eugène Delacroix

13 août 2013

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Repères biographiques

  • 1798

    26 avril 1798 (7 floréal an VI) : Naissance à Charenton-Saint-Maurice de Ferdinand Victor Eugène Delacroix, fils de Charles Delacroix, ministre plénipotentiaire aux Pays-Bas, puis préfet des Bouches-du-Rhône et de Gironde, et de Victoire, née Œben, fille de l'ébéniste de Louis XV. Il est le quatrième et dernier enfant, après Charles-Henri, qui sera général et baron d'Empire, Henriette, future épouse de Raymond de Verninac, et Henri. On a souvent suggéré qu'Eugène Delacroix était en fait le fils de Talleyrand.

     

    1805

    4 novembre : Décès de Charles Delacroix à Bordeaux, où il était préfet depuis avril 1803. Victoire Delacroix acquiert le domaine de La Boixe, près de Mansle en Charente, mais le domaine est grevé d'hypothèques.

     

    1806

    Janvier : Installation à Paris de Madame Delacroix avec sa fille et Eugène au 50 rue de Grenelle.

     6 octobre : Eugène Delacroix entre comme interne au Lycée impérial (actuel lycée Louis-le-Grand). Il s'y lie d'amitié avec Achille Piron, son futur biographe. Il est accueilli chez les Riesener ; Henri Riesener est le demi-frère de Madame Delacroix.

     

    1807

    La famille déménage au 114, rue de l'Université. Henri est tué par un boulet à la bataille de Friedland.

     

    1813

    Eugène Delacroix obtient un quatrième accessit de dessin. Henri Riesener, lui-même élève de David, présente Eugène Delacroix au baron Gérard.

    Août : Premier séjour à l'abbaye de Valmont, située près de Fécamp et appartenant à son cousin Auguste Bataille.

     

    1814

    Il obtient un premier accessit de dessin.

    3 septembre : Mort de sa mère le laissant dans une situation financière très difficile. Victoire Delacroix est enterrée au cimetière du Père-Lachaise. Eugène Delacroix habite chez sa sœur Henriette et son beau-frère Raymond de Verninac, au 114, rue de l'Université.

     

    1815

    1er octobre : Il entre à l'atelier de Pierre Guérin, sur recommandation de son oncle Henri Riesener, où il reçoit un enseignement académique et fait la connaissance d'Ary Scheffer et de Théodore Géricault.

     

    1816

    16 mars : Il entre à l'École des Beaux-Arts. Il dessine des académies et copie les maîtres au Louvre tels que Raphaël et Rubens. Il est initié à l'aquarelle par Charles Soulier et Richard Parkes Bonington.

     

    1817

    Il s'éprend d'Elisabeth Salter, jeune Anglaise au service de Madame de Verninac, et peint son portrait.

    Mars : Il participe au concours d'esquisses peintes aux Beaux-Arts.

     

    1818

    Septembre-novembre : Eugène Delacroix séjourne à la maison des Gardes, au centre de la forêt de Boixe (Charente). Raymond de Verninac avait proposé de racheter le domaine et de verser une rente annuelle aux Delacroix mais ne pourra pas tenir ses engagements.

     

    1819

    Il peint La Vierge des Moissons pour l'église Sainte-Eutrope d'Orcemont, tableau très inspiré de l'œuvre de Raphaël. C'est sa première commande. De Raphaël Delacroix estime que : « Doué de l'invention la plus heureuse, il s'aidait de tous les secours étrangers, retrempait pour ainsi dire son génie aux sources voisines de grandeur et de beauté, et se renouvelait ainsi lui-même par l'étude de l'antique et des grands artistes de l'Italie qui l'avaient précédé. »

    Août : Installation des Verninac, qui ne pouvaient rester à Paris, à La Boixe. Eugène Delacroix y demeure jusqu'en novembre. Charles de Verninac est élève au collège royal Louis-le-Grand et Eugène Delacroix, rend compte de la scolarité de son neveu à la mère de celui-ci. Exposition au Salon du Radeau de la Méduse, tableau pour lequel Géricault a fait poser Eugène Delacroix (il s'agit d'un des naufragés placé au-devant, la tête penchée et le bras étendu).

     

    1820

    Il fait des caricatures pour le Miroir, par nécessité financière.

    Avril : Il quitte la rue de l'Université et s'installe au 22 rue de la Planche (actuelle rue de Varenne).

    Août-septembre : Il séjourne chez son frère le général Charles Delacroix, à La Boixe et à Croze, dans le Lot près de Souillac, propriété familiale des Verninac.

     

    1821

    Juillet-août : Il exécute une première décoration murale pour la salle à manger de l'acteur Talma.

    11 août : Charles de Verninac, en classe de rhétorique au collège royal Louis-le-Grand, reçoit son diplôme de bachelier ès lettres.

     

    1822

    23 avril : Mort de Raymond de Verninac à Aussac en Charente.

    25 avril : Eugène Delacroix expose pour la première fois au Salon. Son tableau la Barque de Dante, qui connaît un important retentissement, est acheté par l'État. Le tableau est inspiré du VIIIe Chant de l'Enfer de Dante.

     


     Musée du Louvre, Paris
    © Photo RMN

     

    Gros qualifie le tableau de « Rubens châtié ». En revanche Delécluze, défenseur du néo-classicisme, qualifie dans le Moniteur universel le tableau de « vraie tartouillade ». Adolphe Thiers, alors jeune critique, écrit dans le Constitutionnel : « L'auteur a, outre cette imagination poétique, qui est commune au peintre comme à l'écrivain, cette imagination de l'art, qu'on pourrait en quelque sorte appeler imagination du dessin, et qui est tout autre que la précédente. Il jette ses figures, les groupes, les plie avec la hardiesse de Michel-Ange et la fécondité de Rubens. Je ne sais quel souvenir des grands artistes me saisit à l'aspect de ce tableau ; j'y retrouve cette puissance sauvage, ardente mais naturelle, qui cède à son propre entraînement. [...] Je ne crois pas m'y tromper, M. de Lacroix (sic) a reçu le génie. » Delacroix est alors avec Géricault l'un des maîtres de la nouvelle peinture.

    3 septembre : Il commence son Journal au Louroux (Indre-et-Loire), le jour anniversaire de la mort de sa mère.

    Octobre : Henriette de Verninac s'installe chez son frère Eugène après la mort de son mari. Eugène Delacroix accueille chaleureusement son neveu Charles de Verninac.

     

    1823

    Septembre : Il habite au 118, rue de Grenelle.

     

    1824

    Au Salon, il expose quatre œuvres dont les Scènes des massacres de Scio.

     


    Musée du Louvre, Paris
    © Photo RMN / T. Le Mage

    Octobre : Il s'installe chez Thalès Fielding au 20 rue Jacob.

    23 novembre : Le domaine de La Boixe est vendu par adjudication.

     

    1825

    Aux dîners de Mlle Mars Eugène Delacroix fait la connaissance de Cousin et Thiers. Son atelier est situé au 14, rue d'Assas.

    25 mai : Il arrive à Londres où il reste jusqu'à la fin août. Il y retrouve Bonington, voit des pièces de Shakespeare au théâtre : en septembre il exécute des lithographies de Macbeth. Il s'installe au 46 rue de l'Université avec son ami Pierret. Il rencontre Madame Dalton, ancienne danseuse mariée à un Anglais.

     

    1826

    Mars : Il rencontre Victor Hugo, Sainte-Beuve, Lamartine et Charles Nodier. Il reçoit la commande de Justinien composant ses Institutes pour le Conseil d'État (tableau détruit lors de l'incendie du Palais d'Orsay en 1871). Il expose La Grèce sur les ruines de Missolonghi.

     

    1827

    Au Salon, il expose la Mort de Sardanapale, véritable manifeste romantique. Victor Hugo se référant à la critique : « Ne croyez pas que Delacroix ait failli. Son Sardanapale est une chose magnifique, et si gigantesque qu'elle échappe aux petites vues. Du reste, ce bel ouvrage, comme beaucoup d'autres ouvrages grands et forts, n'a point eu de succès près des bourgeois de Paris sifflets de sots sont fanfares de gloire. » (lettre à Victor Pavie du 3 avril 1829)

     


    Musée du Louvre, Paris
    © Photo RMN / H. Lewandowski

     

    1828

    Eugène Delacroix déménage 15 rue de Choiseul et loue un atelier au 9 passage Saulnier. Il reçoit la commande de Justinien composant ses Institutes pour le Conseil d'État (tableau détruit lors de l'incendie du Palais d'Orsay en 1871). Il expose La Grèce sur les ruines de Missolonghi.

     

    1829

    Il s'installe au 15, quai Voltaire où il a aussi un atelier. Il publie dix-sept lithographies illustrant Faust de Goethe dans la traduction d'Alfred Stapfer. Charles de Verninac est nommé par le roi, vice-consul. Il obtient sa licence en droit.

    Octobre-novembre : Eugène Delacroix séjourne à Valmont.

     

    1830

    Février : Bataille d'Hernani. Lors de la première mouvementée, à la Comédie-Française, les « Jeune-France » romantiques du parterre, au nombre desquels Gérard de Nerval et Théophile Gautier, invectivent ceux qui dans les tribunes soutiennent les règles classiques.

    27-29 juillet : Révolution des Trois Glorieuses. Bien qu'enrôlé dans la garde nationale, Delacroix participe peu à ces journées. Dans une lettre à Charles de Verninac, le 17 août 1830, il écrit : « Que dis-tu de ces événements ? N'est-ce pas le siècle des choses incroyables ; nous qui l'avons vu, nous ne pouvons le croire. On a dû d'abord, je suppose, vous donner des nouvelles très exagérées. Mais si, comme je pense, vous recevez des journaux français, ils te donneront une idée assez juste de ce qui s'est passé. Nous avons été, pendant trois jours au milieu de la mitraille et des coups de fusil, car on se battait partout. Le simple promeneur comme moi avait la chance d'attraper une balle, ni plus ni moins que les héros improvisés qui marchaient à l'ennemi avec des morceaux de fer emmanchés dans des manches à balai. Jusqu'ici tout va le mieux du monde. Tout ce qu'il y a de gens de bon sens espère que les faiseurs de république consentiront à se tenir en repos. »

     

    1831

    Au Salon, il expose notamment La Liberté guidant le peuple, allégorie de la liberté et de la révolte du peuple inspirée des journées révolutionnaires de 1830, et L'assassinat de l'évêque de Liège.

     


    Musée du Louvre, Paris
    © Photo RMN

    Il est décoré de la Légion d'honneur.

    Septembre-octobre : Il séjourne à Valmont.

    Décembre : Par l'intermédiaire de Mlle Mars, il est engagé dans la mission diplomatique du comte Charles de Mornay au Maroc, chargé par le gouvernement de Louis-Philippe de négociations avec le sultan du Maroc Abd er-Rahman.

     

    1832

    11 janvier : Il embarque à Toulon et arrive à Tanger le 24.

    15 mars : Il arrive à Meknès.

    5 avril : La délégation part pour Tanger.

    Mai : Bref séjour à Cadix et à Séville  

     


    Musée Fabre, Montpellier
    © Musée Fabre / Cliché Jaulmes

     

    9 juin : Départ pour Oran, Alger et Toulon.

    25-28 juin : Escale à Alger. D'après des croquis et études réalisés dans un harem, Delacroix exécutera deux ans plus tard Femmes d'Alger.

    5 juillet : Arrivée à Toulon. 20 juillet : Au terme d'un voyage de six mois, capital pour son œuvre, Delacroix est de retour à Paris.

     

    1833

    Delacroix rencontre Jenny Le Guillou chez Pierret, où elle est femme de journée. Elle sera sa gouvernante fidèle et dévouée. Lors d'un bal costumé chez Alexandre Dumas, il fait la connaissance d'Élisa Boulanger, femme du peintre Clément Boulanger et future épouse de Monsieur Cavé, directeur des Beaux-Arts sous Louis-Philippe. Il exécute, à la détrempe, Le Roi Rodrigue.

     


    Musée Eugène Delacroix, Paris
    © Photo RMN

     

    30 mai : Avant même d'être officiellement chargé de décorer le salon du Roi, Delacroix écrit à « Monsieur Cavé, Chef de la Division des Belles Lettres, Sciences et Arts, au Ministère de l'Intérieur et du Commerce», afin d'obtenir, par son intermédiaire: «l'autorisation de faire préparer le plafond (...) d'après le procédé de M. Darcet, contre l'humidité. Toute celle qui avait été absorbée antérieurement est encore dans les plâtres puisqu'elle a reparu après cinq couches successives de peinture». (lettre conservée à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    31 août : Par arrêté signé de Thiers, Ministre, Secrétaire d'État au département du Commerce et des Travaux Publics : « M. Delacroix est chargé de l'exécution des peintures du Salon du Roi à la Chambre des députés. Il lui est alloué pour ce travail une somme de trente [cinq/le mot a été rajouté] mille francs payable par acompte selon les degrés d'avancement du travail, et imputable sur les crédits affectés aux travaux de la Chambre ».

    Novembre : C'est le début d'une amitié amoureuse avec George Sand et d'une liaison avec Joséphine de Forget. Il se rend souvent à Champrosay et se lie avec Frédéric Villot, futur conservateur des peintures du Louvre.

     

    1834

    Au Salon sont exposés les tableaux la Bataille de Nancy et Femmes d'Alger. De cette dernière composition tout empreinte de sensualité Baudelaire écrira : « Ce petit poème d'intérieur, plein de repos et de silence, encombré de riches étoffes et de brimborions de toilette, exhale je ne sais quel parfum de mauvais lieu qui nous guide assez vite vers les limbes insondés de la tristesse. » Et pour Cézanne : « Nous y sommes tous dans ce Delacroix. Quand je vous parle de la joie des couleurs pour les couleurs, tenez, c'est cela que je veux dire... Ces roses pâles, ces coursiers bourrus, cette babouche, toute cette limpidité, je ne sais pas moi, vous entrent dans l'œil comme un verre de vin dans le gosier, et on est tout de suite ivre... Et ça tourne. C'est la première fois qu'on a peint en volumes depuis les grands... Allez, on a beau dire, beau faire, il est de la grande ligne. On peut parler de lui sans qu'il ait à rougir même après Tintoret et Rubens. Delacroix, c'est le romantisme, peut-être. Il reste la plus belle palette de France, et personne sous notre ciel, n'a eu plus que lui le calme et le pathétique à la fois, la vibration de la couleur. Nous peignons tous en lui. »

     


    Musée du Louvre, Paris
    © Photo RMN

     

    22 mai : Son neveu Charles de Verninac meurt à New York, après avoir contracté la fièvre jaune en Amérique centrale. Delacroix en est très affecté.

    Septembre : Il fait ses premiers essais de peinture à fresque à Valmont.

     

    1835

    Au Salon sont exposés le Prisonnier de Chillon et Les Natchez.

    Février : Séjour chez les Riesener à Frépillon.

    Octobre : Delacroix s'installe 17, rue des Marais-Saint-Germain (actuelle rue Visconti).

    Décembre : Ayant achevé les peintures, en grisaille, des pilastres du salon du Roi représentant les figures des fleuves et des mers qui baignent la France, il demande des modifications de l'architecture.

     

    1837

    Au Salon il expose la Bataille de Taillebourg.

    Juin : Inauguration des galeries du musée historique de Versailles.

    Décembre : Achèvement du décor du salon du Roi pour l'ouverture de la session.

     


    Versailles, Musée national du Château
    © Photo RMN

     

    1838

    Au Salon, il expose Médée furieuse et Les Convulsionnaires de Tanger.

     


    Palais des Beaux-Arts, Lille
    Photo RMN / P. Bernard
    © RMN

     

    30 août : Delacroix est chargé du décor de la Bibliothèque de la Chambre des députés. La décoration comprend deux hémicycles en cul-de-four et cinq coupoles comprenant chacune quatre pendentifs hexagonaux.

    Septembre : Il séjourne à Valmont.

    Novembre : Dans un nouvel atelier, rue Neuve-Guillemin, il forme ses assistants Gustave Lassalle-Bordes (1815-1886) et Louis de Planet (1814-1875) pour les décorations murales.

     

    1839

    Au Salon sont exposés Cléopâtre et le paysan et Hamlet et Horatio au cimetière.

    Septembre : Voyage en Belgique, où il apprécie Rubens, et en Hollande.

     

    1840

     

    Juin : Il reçoit commande d'un décor mural d'une chapelle de l'église Saint-Denis du Saint-Sacrement.

    3 septembre : Il reçoit commande du décor de la Bibliothèque du Palais du Luxembourg.

     

    1841

     

    Exposition au Salon de L'entrée des croisés à Constantinople, du Naufrage de Don Juan et de la Noce juive.

    Septembre : Il séjourne à Trouville.

     

    1842

     

    Delacroix tombe gravement malade, subissant des crises aiguës de laryngite.

    Mars : Il séjourne à Frépillon chez les Riesener.

    Juin : Il séjourne pour la première fois à Nohant avec George Sand et Chopin.

     


    Musée du Louvre, Paris
    © Photo RMN

     

    1843

     

    Pendant cette année il travaille à la Bibliothèque du Palais Bourbon ainsi qu'à celle du Palais du Luxembourg.

    Juin : Il séjourne à Vichy.

    Juillet : Il séjourne une deuxième fois à Nohant avec George Sand et Chopin.

     

    1844

     

    Malgré sa mauvaise santé, Delacroix mène de front quatre chantiers : la Chambre des députés, la Chambre des pairs, l'église Saint-Denis du Saint-Sacrement et l'hôtel Lambert.

    Mai : Il achève la Pietà de Saint-Denis du Saint-Sacrement.

    Juin : Il loue une maison de campagne à Champrosay.

    Octobre : Delacroix habite le 54, rue de Lorette.

     

    1845

     

    Au Salon est exposé Muley Abd er-Rahman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Méquinez, entouré de sa garde et de ses principaux officiers. Selon Baudelaire : « Ce tableau est si harmonieux malgré la splendeur des tons, qu'il en est gris, gris comme la nature, gris comme l'atmosphère de l'été, quand le soleil étend un crépuscule de poussière tremblante sur chaque objet. »

     


    Musée des Augustins, Toulouse
    © Daniel Martin

     

    Juillet-août : Il séjourne aux Eaux-Bonnes où ses médecins l'envoient en raison de son état de santé ; il y rencontre son ami de jeunesse Paul Huet.

    Décembre : Son frère, le général Charles Henry Delacroix, meurt à Bordeaux.

     

    1846

     

    5 juillet : Il est promu officier de la Légion d'honneur.

    Décembre : La décoration de la Bibliothèque du Palais du Luxembourg est achevée. Dans la Presse du 1er avril 1846, Théophile Gautier affirmait au sujet de la coupole centrale (Les Champs Élysées ou L'Élysée) : « Le sujet choisi par M. Delacroix est des plus heureux : c'est l'Élysée des grands esprits comme Dante l'a rêvé et décrit dans son poème. Ne trouvez-vous pas ingénieux d'avoir placé ainsi au dôme de la Bibliothèque le séjour tranquille où les âmes supérieures se reposent la vie ? »

     


    Coupole de la Bibliothèque du Sénat

     

    1847

     

    19 janvier : Il recommence à tenir son Journal qu'il avait interrompu en 1824 : « J'écris ceci au coin du feu, enchanté d'avoir été, avant de rentrer, acheter cet agenda, que je commence un jour heureux. Puissé-je continuer souvent à me rendre compte ainsi de mes impressions et à les creuser, en se les rappelant. »

    Mars : Il rend visite à Corot.

    Décembre : Il achève la décoration de la Bibliothèque du Palais Bourbon.

     


    Bibliothèque de l'Assemblée nationale
    Photo Laurent Lecat

     

    1848

     

    Au Salon, il expose Comédiens.

    24 février : Abdication de Louis-Philippe. Formation d'un gouvernement provisoire qui proclame la République.

    23 avril : Élection de l'Assemblée constituante [Composition de l'Assemblée constituante].

    Juin-juillet : Delacroix séjourne à Champrosay loin des événements politiques se déroulant à Paris. Dans une lettre à George Sand, le 28 mai 1848, il écrit : « Vous avez bien fait de partir : on vous aurait peut-être accusée d'avoir fait des barricades. Vous dites fort bien que dans des temps comme ceux-ci l'esprit ne raisonne pas et que les coups de fusils ou de baïonnettes deviennent les seuls arguments qui aient cours. [... Votre ami Rousseau, qui du reste n'avait jamais vu que le feu de la cuisine, exalte quelque part dans un accès d'humeur belliqueuse le mot d'un palatin polonais qui disait à propos de sa turbulente république [...] : « Je préfère une liberté mêlée de dangers à une servitude paisible. » J'en suis venu, hélas ! à l'opinion contraire en considérant surtout que cette liberté achetée à coups de batailles n'est vraiment pas de la liberté. »

    Août : Il séjourne chez le comte de Mornay.

    Septembre : La Revue des Deux-Mondes publie son article sur Gros. Il séjourne de nouveau à Champrosay.

    10 décembre : Élections présidentielles. Élection de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.

     

    1849

     

    28 avril : Il est chargé de la décoration de la chapelle des Saints-Anges à l'église Saint-Sulpice.

    Novembre : Il apprend la mort de Chopin qui l'affecte.

     

    1850

     

    8 Mars : Il reçoit la commande de la décoration de la partie centrale du plafond de la galerie d'Apollon, au Louvre.

     


    Musée du Louvre, Paris
    © Musée du Louvre

     

    Juillet-août : Il effectue un second voyage en Belgique, où il admire encore Rubens, et en Hollande, puis se rend en Allemagne. Dans son Journal, en 1853, Delacroix écrira : « Gloire à cet Homère de la peinture, à ce père de la chaleur et de l'enthousiasme dans cet art où il efface tout, non pas, si l'on veut, par la perfection qu'il a portée dans telle ou telle partie, mais par cette force secrète et cette vie de l'âme qu'il a mise partout. »

     

    1851

     

    Août-septembre : Il séjourne une première fois à Dieppe.

    Octobre : Il achève le décor de la galerie d'Apollon.

    Décembre : Il est chargé de la décoration du salon de la Paix à l'hôtel de ville de Paris. L'œuvre sera détruite lors de l'incendie de la Commune. Il est élu conseiller municipal de Paris.

     

    1852

     

    Il poursuit son travail de décor à l'hôtel de ville et à Saint-Sulpice.

    Juillet-août : Il séjourne à Champrosay.

    Septembre : Il séjourne à Dieppe. Il note dans son Journal : « J'ai été faire ma dernière visite à la mer vers trois heures. Elle était du plus beau calme et une des plus belles que j'ai vues. Je ne pouvais m'en arracher. [...] C'est d'après cette mer que j'ai fait une étude de mémoire : ciel doré, barques attendant la marée pour rentrer. »

     

    1853

     

    Janvier : Il fait le portrait d'Alfred Bruyas.

    Juin : Le Moniteur universel publie son article sur Poussin qu'il considère avec Le Sueur comme l'un des pères de l'art français.

     

    1854

     

    Février : Il achève le décor de l'Hôtel de ville.

    Mars : Il séjourne à Champrosay.

    Juillet : La Revue des Deux Mondes publie son article Questions sur le beau.

    Août : Il séjourne à Dieppe où il contemple la mer du haut de la falaise. Le 5 août, il notait dans son Journal : Les vagues de la mer qui comme les rochers « sont divisées elles-mêmes en petites vagues, se subdivisant encore et présentant individuellement les mêmes accidents de lumière et le même dessin. ».

     

    Septembre : Il séjourne à Angerville, chez son cousin Berryer, avocat légitimiste.

     

    1855

     

    Il prépare une rétrospective de son œuvre à l'occasion de l'Exposition universelle. Lors de l'Exposition universelle Charles Baudelaire s'interroge sur la place de l'œuvre de Delacroix : « Que sera M. Delacroix pour la postérité ? Que dira de lui cette redresseuse de torts ? Il est déjà facile, au point de sa carrière où il est parvenu, de l'affirmer sans trouver trop de contradicteurs. Elle dira, comme nous, qu'il fut un accord unique de facultés les plus étonnantes ; qu'il eut comme Rembrandt le sens de l'intimité et la magie profonde, l'esprit de combinaison et de décoration comme Rubens et Le Brun, la couleur féerique comme Véronèse, etc. ; mais qu'il eut aussi une qualité sui generis, indéfinissable et définissant la partie mélancolique et ardente du siècle, quelque chose de tout à fait nouveau, qui a fait de lui un artiste unique sans générateur, sans précédent, probablement sans successeur, un anneau si précieux qu'il n'en est point de rechange, et qu'en le supprimant, si une pareille chose était possible, on supprimerait un monde d'idées et de sensations, on ferait une lacune trop grande dans la chaîne historique. » Il peint La Chasse aux lions.

     


    Musée d'Orsay, Paris
    © Photo RMN / Gérard Blot

     

    11-15 septembre : Il séjourne chez les Verninac à Croze, où il dessine dans un carnet les paysages autour du château, puis à Strasbourg.

    Octobre : Il séjourne à Dieppe. Il est promu commandeur de la Légion d'honneur.

     

    1856

     

    Octobre : Il se rend à Ante-en-Argonne, berceau de sa famille, puis revient à Champrosay. Il quitte la rue Notre-Dame de Lorette pour s'installer 6, place de Furstenberg où il a fait construire un atelier.

     

    1857

     

    10 janvier : Il est enfin élu à l'Institut. C'est sa neuvième candidature. Il projette d'écrire un Dictionnaire des Beaux-Arts.

    Août : Il séjourne à Strasbourg, puis à Plombières.

    15 décembre : Il tombe gravement malade, ce qui le contraint à interrompre l'œuvre de la chapelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice.

     

    1858

     

    Juillet : Il séjourne à Plombières, affaibli par la maladie.

    Août : Il achète la maison de Champrosay.

     

    1859

     

    C'est son dernier Salon. Il y expose notamment la Montée au Calvaire, L'Enlèvement de Rebecca et Hamlet.

    Août : Il voyage à Strasbourg, puis à Ante-en-Argonne.

    Novembre : Après un court séjour à Champrosay, il travaille à Saint-Sulpice.

     

    1860

     

    La galerie Martinet organise une rétrospective de son œuvre, exposant trente-trois peintures dont la Mort de Sardanapale.

    Janvier : La maladie le contraint à nouveau à interrompre son travail.

    Juillet : Il séjourne à Dieppe.

    Août-novembre : Il séjourne à Champrosay.

     

    1861

     

    Février : Mort de son cousin Lamey.

    Juillet : Il achève la décoration de la chapelle des Saints-Anges à l'église Saint-Sulpice.

     


    Lutte de Jacob avec l'Ange Église Saint-Sulpice, Paris
    © RMN / Bulloz

     

    Août : Il séjourne à Champrosay.

     

    1862

     

    Delacroix reprend le thème de Médée comme d'autres qu'il avait déjà abordés.

    Juillet : Publication par la Revue des Deux Mondes de l'article sur Charlet.

    Septembre : Voyage à Ante-en-Argonne.

    Octobre : Il se rend à Champrosay, puis séjourne à Angerville.

     


    Musée du Louvre, département des Peintures
    © RMN / G. Blot

     

    1863

     

    Son état de santé se dégrade.

    26 mai : Il part pour Champrosay.

    1er juin : Il revient à Paris en raison d'une crise pulmonaire.

    8 juin : Nouveau séjour à Champrosay.

    Juillet : Il regagne son domicile de la place Furstenberg à Paris, victime d'une nouvelle crise pulmonaire.

    13 août : Il meurt à 7 heures du soir en tenant la main de Jenny Le Guillou. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.  

    Éléments de bibliographie :
    - Eugène Delacroix, Journal 1822-1863, réédité en 1996.
    - Eugène Delacroix, Correspondance générale, 5 volumes, 1996.
    - Eugène Delacroix, Dictionnaire des beaux-arts, Hermann, 1996.
    - René Huyghe, « Delacroix ou le combat solitaire », Hachette, 1963.
    - Maurice Sérullaz, Les peintures murales de Delacroix, éditions du Temps, 1963.
    - Maurice Sérullaz, Delacroix, Fayard, 1989.
    - Alain Daguerre de Hureaux, Delacroix, Hazan, 1993.
    - Barthélémy Jobert, Delacroix, Gallimard, 1997.
    - Arlette Sérullaz et Annick Doutriaux, Delacroix « Une fête pour l'œil », Découvertes Gallimard-Réunion des Musée nationaux, 1998.
    - Arlette Sérullaz, Delacroix, collection Le Cabinet des Dessins, Flammarion, 1998.
     

Les peintures de Delacroix à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale

  • 15 février 1838

    Delacroix écrit au baron Rivet en mentionnant ses « intrigues (...) dans le but d'avoir à peindre quelques pieds de muraille (...) qui satisferaient le besoin de faire grand qui devient excessif quand une fois on en a goûté». (Correspondance, II, p. 4).

    5 septembre 1838

    Au cours de son séjour à Valmont, près de Fécamp, Delacroix, ayant appris « par le journal » que le Ministre l'avait officiellement chargé de la décoration de la Bibliothèque de la Chambre des députés, écrit à Jean-Baptiste Pierret pour vérifier l'exactitude de ces informations. (Lettre conservée au musée du Louvre, département des Arts Graphiques ; Correspondance, II, p. 19-20).
    En fait, le décret avait été pris le 30 août et la lettre avisant Delacroix de la décision avait été écrite le 31. Delacroix devait recevoir une somme de 60 000 francs pour l'exécution des peintures de la Bibliothèque.
    (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).
    Dans le même temps, la répartition des autres commandes était ainsi décidée: pour Horace Vernet, la Salle des Pas Perdus, pour Heim, la salle des Conférences, pour Abel de Pujol, les grisailles de la Salle des Distributions.

    13 septembre 1838


    Delacroix, toujours à Valmont, écrit à Frédéric Villot pour lui faire part de la nouvelle commande qui vient de lui être signifiée : « Vous connaissez le local ; soyez donc assez bon dans vos moments de loisir pour vous creuser la tête sur le parti qu'on pourrait tirer de cela : cinq coupoles et deux hémicycles à chaque bout. Les sujets auxquels j'avais pensé ont des inconvénients et si je trouve une idée meilleure je la prendrai, ce que je crois très possible. Ce sont des pendentifs, vous savez. Il faudrait là une idée féconde qui n'eût pas trop de réalité, pas trop d'allégorie, enfin qu'il y en eût pour tous les goûts ». (Lettre conservée à la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, fondation Jacques Doucet ; Correspondance, II, p. 22).

    16 octobre 1838


    Delacroix demande à Gustave Lassalle-Bordes s'il a un moment de libre pour venir parler avec lui de la commande de la Bibliothèque. (Lettre conservée au musée du Louvre, département des arts graphiques ; Correspondance, II, p. 25-26).

    18 octobre 1838


    Delacroix remercie le ministre de l'Intérieur, M. de Montalivet, pour la distinction flatteuse dont il a bien voulu l'honorer et l'assure qu'il mettra tout l'empressement requis pour mener à bien les travaux.

    27 octobre 1838


    Delacroix remercie Adolphe Thiers pour la nouvelle preuve de protection qu'il vient de lui témoigner. (Lettre conservée à la Bibliothèque Nationale de France, 20608, papiers Thiers; Correspondance, II, p. 27-28).

    25 décembre 1838

    Louis de Planet vient prendre congé de Delacroix : « Il ignore encore l'époque précise où le gouvernement lui livrera la salle de la bibliothèque de la Chambre pour y exécuter les peintures qui lui ont été commandées, et il ne sait pas d'une manière positive quand il pourra se servir de ses élèves, - mais il me recommande, aussitôt que j'aurai terminé mes affaires à Toulouse et que je serai prêt à revenir, de l'en avertir par écrit. » (Joubin, 1928, p. 382).

    Vers la fin de l'année, en effet, Delacroix avait ouvert un atelier rue Neuve-Guillemin afin de pouvoir diriger quelques collaborateurs.

    Novembre 1839

    Delacroix demande au Ministre de l'Intérieur un premier acompte de 8 000 francs. « II m'est nécessaire pour mes études déjà faites et pour les décorateurs que je suis dans l'obligation d'employer pour m'aider ». La demande est transmise au ministre des Travaux Publics le 27 novembre mais l'acompte sera finalement imputé sur l'exercice de 1840, faute de crédits. (Archives nationales, F21 584, en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    3 septembre 1840

    Delacroix est chargé de décorer la Bibliothèque de la Chambre des pairs, au Palais du Luxembourg.

    21 février 1841

    Un « devis de peinture en dorure » est établi de façon provisoire, afin d'évaluer divers travaux de dorure et impressions préparatoires nécessaires pour la bibliothèque. (Archives nationales, F21 752).

    22 février 1841

    Lassalle-Bordes est sans doute en train de travailler, sous la direction de Delacroix, aux pendentifs d'Hérodote, des Bergers Chaldéens et de Sénèque. (Lettre de Lassalle-Bordes à Philippe Burty, le 20 juin 1879, publiée par Burty en 1880).

    31 août 1841

    Une lettre du ministre de l'Intérieur presse Delacroix de se mettre au travail : « la plupart des travaux d'art entrepris pour la décoration du Palais de la Chambre des députés étant terminés ou sur le point de l'être» (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    3-17 novembre 1841

    Louis de Planet détaille le travail qu'il a effectué, sous la direction de Delacroix, au pendentif d'Aristote. (Joubin, 1928, p. 394-418).

    9 août 1842

    Delacroix écrit à Gustave Planche : « Mes travaux à la Chambre des députés sont très retardés ». (Correspondance, II, p. 119-120).

    16 août 1842

    En dépit de la faible progression de ses travaux - car il a été sérieusement malade dans le courant de l'année - Delacroix demande un acompte de 8 000 francs au titre de la Chambre des Pairs et un acompte de 10 000 francs au titre de la Chambre des députés. Celui-ci lui sera accordé le 1er septembre. (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    5 novembre 1842

    Delacroix écrit à Lassalle-Bordes qui se trouve dans le Gers : « J'ai presque terminé mes figures pour la Chambre des députés ; mais vous ne serez pas inutile pour y mettre sur place quelques touches ». (Lettre conservée à la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, fondation Jacques Doucet ; Correspondance, II, p. 126).

    27 février 1843

    Delacroix convoque Louis de Planet pour lui signifier que les deux esquisses des hémicycles sont pratiquement terminées et qu'il a besoin de lui pour la réalisation définitive, sur place. Planet n'étant pas immédiatement disponible, il est convenu qu'il viendra plus tard. (Joubin, 1928, p. 428-429).

    15-16 mars 1843

    Louis de Planet vient voir Delacroix qui lui propose de travailler sur certains pendentifs plutôt que sur les hémicycles. (Joubin, 1928, p. 430).

    3 avril 1843

    L'architecte de la Chambre des députés, Jules de Joly, fait son rapport au Ministre des Travaux Publics à propos des travaux en cours et signale que Delacroix promet d'avancer plus promptement avant l'ouverture de la prochaine session (Archives nationales, F21 752).

    5 avril 1843

    Delacroix, alors à Saint-Leu-Taverny, écrit à Lassalle-Bordes : « le plus court parti à prendre est de continuer notre hémicycle tant que faire se pourra (...). Quand je serai de retour, nous pourrons nous mettre à peindre les côtés sans les passer en grisaille, ce qui laissera au milieu le temps de sécher. Vous pourriez en attendant peindre le ciel et les astres, quand vous aurez achevé votre grisaille. » (Lettre conservée à la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie ; Correspondance, II, p. 133-134).

    15 avril 1843

    Louis de Planet apprend de Delacroix que la préparation en grisaille d'un des deux hémicycles est presque achevée. (Joubin, 1928, p. 431).

    31 mai 1843

    Louis de Planet reçoit la visite de Delacroix qui étudie longuement son travail sur le pendentif de la Drachme du Tribut. (Joubin, 1928, p. 434-437). Une seconde visite de Delacroix se produit le 7 juin.

    25 juin 1843

    Un article anonyme publié dans L'Artiste fait état des premières réactions devant les deux coupoles que Delacroix a terminées (la Philosophie et les Sciences) et donne la liste des sujets de huit pendentifs.

    « Comme composition, comme ensemble, deux ou trois de ces tableaux produisent un bon effet. Les personnages en sont bien posés, mais l'exécution n'en est pas également satisfaisante » (...) on prétend que, pour satisfaire aux exigences qui deviennent chaque jour plus pressantes, M. Delacroix a promis de recommencer ses peintures ou de les modifier de manière à ne plus mériter le reproche que lui adressent et les architectes et les habitués de la bibliothèque ».

    été 1843

    Une très forte chaleur est la cause d'une fissure dans l'hémicycle d'Orphée. La toile déjà fixée au mur doit être détachée afin que les réparations puissent être menées à bien.

    10 octobre 1843

    Un second rapport de Jules de Joly signale que : « dans la Bibliothèque l'exécution des peintures de décor sur deux des coupoles » est réalisée. (Archives nationales, F21 752).

    22 novembre 1843

    Delacroix demande un troisième acompte de 8 000 francs, accordé le 29 du même mois (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    décembre 1843

    L'échafaudage de l'hémicycle nord (Attila) est élargi ; celui de deux coupoles démonté, ainsi que le signale Jules de Joly dans son rapport transmis le 10 janvier 1844. (Archives nationales, F21 752).

    9 décembre 1843

    Delacroix rend visite à Louis de Planet et lui confie le transfert sur toile du pendentif du Lycurgue. Delacroix revient chez Planet les 11,14 et 20 décembre. (Joubin, 1928, p. 447-457).

    3 juin 1844

    Dans une lettre au Ministre de l'Intérieur, le Ministre des Travaux Publics « déplore vivement » le peu d'activité déployée par Delacroix (et aussi par Horace Vernet) : « je crains qu'ils ne me mettent dans la nécessité d'annuler une partie des fonds qui leur ont été accordés et de demander ensuite aux Chambres un nouveau crédit extraordinaire ». (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    9 août 1844

    Le Ministre de l'Intérieur invite Delacroix « de la manière la plus pressante » à reprendre ses travaux et à les conduire avec activité. (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    27 août 1844

    Le Ministre de l'Intérieur demande à son collègue des Travaux Publics le versement à Delacroix d'un quatrième acompte de 17 000 francs.

    « M. Eugène Delacroix a presque terminé dans son atelier les peintures de décoration de la Chambre des députés. Elles ne tarderont pas à être achevées et mises en place ». (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    12 septembre 1844

    Delacroix écrit à Lassalle-Bordes : « J'ai obtenu hier qu'on m'ôte les principales planches des deux hémicycles de la Chambre des députés. (Delacroix avait fait cette requête à Jules de Joly le 23 juillet). L'Orphée est, comme je le craignais, trop en l'air ; mais avec quelques détails sur le devant, j'en tirerai parti tel qu'il est, et j'ai vu avec plaisir que les boursouflures n'avaient pas augmenté, ce qui fait qu'en les faisant réparer tout de suite et en les laissant quelque temps, je verrai si je ne pourrai pas achever le tableau tel qu'il est, ce que j'espère fort. Le paysage de ce tableau vous réclame, et quand vous aurez du temps de libre, vous me ferez plaisir de m'y aider un peu ». (Lettre conservée à la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, fondation Jacques Doucet ; Correspondance II, p. 193).

    4 novembre 1844

    Dans un mémoire sur les travaux exécutés pendant l'exercice 1844, Jules de Joly se plaint au ministre des Travaux Publics de ne pouvoir utiliser tous les fonds disponibles : « les travaux (...) vont être suspendus jusqu'à ce que MM. Hce Vernet et Eugène Delacroix veuillent bien compléter les ouvrages dont ils ont été chargés en 1838 ». (Archives nationales, F21 752).

    janvier-février ? 1845

    Pierre Andrieu rejoint Delacroix qui lui confie le suivi des pendentifs d'Adam et Ève et de Démosthènes.

    9 juillet 1845

    Les pendentifs des trois coupoles restant à faire étant achevés, Jules de Joly demande au ministre des Travaux Publics l'autorisation de les faire mettre en place.

    12 octobre 1845

    Delacroix écrit à Madame Haro qui lui fournit le plus souvent ses couleurs qu'il ne pourra s'occuper de l'opération des figures à coller que le jeudi suivant. Deux autres lettres suivront, concernant cette opération. (Lettres conservées à la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, fondation Jacques Doucet ; Correspondance, II, p. 241-242).

    11 novembre 1845

    Le Ministre de l'Intérieur accorde à Delacroix un cinquième acompte de 10 000 francs, mais la somme ne pourra être versée qu'au titre des crédits extraordinaires ouverts par une loi du 3 juillet 1846. (Archives nationales, F21 584 en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    14 février 1846

    Une commission dénonce la lenteur apportée par les artistes à leurs travaux et l'augmentation des frais qui en résulte. (Archives nationales, F21 752).

    8 avril 1846

    Jules de Joly informe le ministre des Travaux Publics qu' « il reste à M. Delacroix les deux culs-de-four de la Bibliothèque et à retoucher quelques uns de ses pendentifs ». (Archives nationales, F21 752).

    21 juillet 1846

    Delacroix est averti que le sixième acompte de 3 000 francs qu'il avait sollicité lui est accordé. (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    26 novembre 1846

    Les questeurs adressent une lettre au ministre de l'Intérieur afin de souligner leur désapprobation quant au non achèvement des travaux de Delacroix : « Nous avons la certitude (...) que les peintures de la Bibliothèque ne seront point terminées cette année, malgré les engagements pris, soit verbalement, soit par écrit, par M. Eugène Delacroix. Nos collègues ne verront pas sans déplaisir ce nouveau retard, et ils remarqueront sans doute que des travaux de même nature, entrepris au Luxembourg par M. Delacroix, sont arrivés aujourd'hui à leur complète exécution, bien qu'ils n'y aient été commandés que longtemps après ceux du Palais Bourbon. (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    4 février 1847

    Dans son Journal, Delacroix note : « Arrivé à la Chambre à onze heures et demie (...). J'ai revu avec plaisir mon hémicycle ; j'ai vu tout de suite ce qu'il fallait pour rétablir l'effet. Le seul changement de la draperie de /'Orphée a donné de la vigueur au tout ». (Journal, I, p. 179-178).

    8 février 1847

    Dans son Journal, Delacroix note : « à la Chambre des députés. Travaillé à la femme portant le petit enfant, à l'enfant par terre ; puis à l'homme couché au-dessus du Centaure ; je crois que j'ai fort avancé. Séance très longue ». (Journal, I, p. 184).

    4 mars 1847

    Après une interruption due au froid, Delacroix retourne travailler à la Chambre des députés et note dans son Journal : « pris la résolution de faire mon ménage de peintre moi-même ; je m'en suis fort bien tiré et j'y gagnerai de la liberté. C'était la onzième fois que j'y retournais, et le tableau est déjà bien avancé. Travaillé surtout à /'Orphée. » (Journal, I, p. 199).

    5 mars 1847

    « Hier, en travaillant l'enfant qui est près de la femme de gauche dans /'Orphée, je me souvins de ces petites touches multipliées faites avec le pinceau et comme dans une miniature, dans la Vierge de Raphaël, que j'ai vue rue Grange-Batelière ». (Journal, I, p. 199).

    10 mars 1847

    Delacroix passe une partie de la journée à la Chambre des députés : « j'ai travaillé raisonnablement : les hommes à la charrue, la femme et les boeufs ». (Journal, I, p. 203).

    15 mars 1847

    Delacroix se rend à nouveau à la Chambre des députés, mais pour peu de temps : « j'ai pris le groupe des déesses en l'air » (Journal, I. p. 207).

    17 mars 1847

    « Travaillé à la Chambre. J'ai éprouvé combien ce lieu est malsain. J'y suis trop resté » (Journal, I, p. 209).

    7 avril 1847

    Après une nouvelle interruption, Delacroix reprend sans enthousiasme son travail : « Travaillé quelque peu à l'esquisse des Bergers chaldéens, que j'achève un peu d'après le pastel, qui m'avait servi. J'ai été forcé de l'interrompre ». (Journal, I, p. 215).

    27 juin 1847

    Delacroix note dans son Journal : « Travaillé à la Chambre. Fait les deux cavaliers ». Il y retourne le 29 juin et le 1er juillet. (Journal, I, p. 232-234).

    12 août 1847

    Delacroix demande à Cavé le solde des 60 000 francs alloués pour ses peintures, estimant qu'elles sont pratiquement terminées. Il souhaite également obtenir des indemnités pour les dépenses supplémentaires occasionnées par les incidents survenus au cours de l'exécution des hémicycles (fissures apparues à la suite d'une forte chaleur). (Lettre conservée à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale ; dépôt des Archives nationales, F21 584).

    24 août 1847

    Le solde du paiement, soit 4 000 francs est accordé par le ministre de l'Intérieur et ordonnancé par le ministre des Travaux Publics le 11 septembre. En revanche, l'indemnité réclamée par Delacroix est refusée le 6 septembre. (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    28 août 1847

    Après un séjour à Champrosay, Delacroix reprend le chemin de la Chambre des députés. Il y retourne deux jours après. journal, I, p. 237).

    2 septembre 1847

    Delacroix note dans son journal « À la Chambre. Je ne sortirai pas, je crois, de cet Attila et de son cheval ». (Journal, I, p.238).

    20 septembre 1847

    Une lettre du ministre de l'Intérieur informe Delacroix des raisons qui ont motivé le refus de sa demande d'indemnité et lui fait savoir que le ministre des Travaux Publics a été saisi de « la nécessité de faire établir extérieurement un toit qui pût protéger la coupole de la bibliothèque contre l'action incessante du soleil et des intempéries de l'air, afin de prévenir la destruction des peintures ». (Archives nationales, F21 584, en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    5 octobre 1847

    Delacroix note dans son Journal : « Villot est venu me voir ; nous avons parlé du procédé de la figure de l'Italie, - J'ai été reprendre mon travail pour la première fois, depuis le 12 septembre. Je suis satisfait de l'effet de cette figure. Toute la journée, j'ai été occupé, et très agréablement, d'idées et de projets de peintures relatives à cela. J'ai peint en quelques instants la petite figure de l'homme tombé en avant percé d'une flèche. » Pour la figure de l'Italie, il s'est beaucoup servi de cire : « pour faire sécher promptement et revenir à chaque instant sur la forme. Le vernis copal (...) peut remplir cet objet ». (Journal, I, p.242)

    6 novembre 1847

    Delacroix informe Mme Cavé que l'un des échafaudages de la Bibliothèque va être prochainement démonté : « C'est un peu plus tôt que je ne croyais. Vous savez que suivant l'habitude c'est toujours au dernier moment qu'on a le plus à faire : je serais donc occupé à terminer dans la poussière et au milieu des doreurs ». (Lettre conservée à la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, fondation Jacques Doucet ; Correspondance, II, p. 328).

    9 novembre 1847

    Répondant à une lettre de Jules de Joly expédiée le 6 octobre, le ministre des Travaux Publics informe ce dernier qu'il va demander un crédit supplémentaire afin de couvrir les frais de l'installation d'une double couverture pour l'hémicycle d'Orphée (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    25 novembre 1847

    Dans une étude consacrée à la Peinture monumentale en France, publiée par la Revue Indépendante, Louis de Ronchaud signale que Delacroix « est occupé en ce moment à terminer d'autres peintures au Palais Bourbon : celles de la Bibliothèque ». Il énumère les sujets représentés, s'interrogeant sur la « corrélation mystérieuse qui doit exister entre ces divers sujets : j'espère qu'elle me sera révélée par la chute de la toile qui couvre encore les deux hémicycles ; l'oeuvre pourra alors être appréciée dans son ensemble et dans ses détails ».

    21 décembre 1847

    Delacroix écrit successivement au sculpteur David d'Angers, au statuaire Préault, au peintre Diaz, ainsi qu'à Théophile Thoré, Frédéric Villot et, le lendemain, au peintre Thomas Couture, pour les convier à venir voir son oeuvre les jours suivants (lettres conservées à Angers, à Chantilly, fonds Lovenjoul, et à Paris, Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, fondation Jacques Doucet ; Correspondance, II, p. 333-336).

    5 janvier 1848

    Delacroix écrit à Thoré pour lui faire part de son intention de rédiger lui-même une notice détaillée sur la décoration de la Bibliothèque, notice destinée à être insérée dans diverses revues. (Lettre conservée à la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, papiers Thoré ; Correspondance, II, p. 338).

    9 janvier 1848

    Clément de Ris consacre dans L'Artiste un très long article sur la décoration de la Bibliothèque, qui débute par cette exhortation : « Remercions d'abord l'administration des Beaux-Arts, qui, moins avare qu'au Palais du Luxembourg, a donné à M. Delacroix toute une salle où sa pensée a pu se développer à son aise et parcourir tout le clavier de son talent ».

    31 janvier 1848

    Thoré reproduit dans Le Constitutionnel la notice que Delacroix lui avait fait parvenir le 9 janvier, en précisant : « Nous nous proposions de rendre compte des belles peintures exécutées par M. Eugène Delacroix, dans la bibliothèque de la Chambre des députés. C'est une des oeuvres d'an les plus grandes et les plus poétiques de l'époque contemporaine. Mais M. Eugène Delacroix ayant pris le soin d'écrire lui-même la description de ses coupoles et de ses pendentifs, nous nous bornons à publier cette simple notice qu'il a bien voulu nous communiquer ».

    18, 19, 20 octobre 1850

    Prosper Haussard étudie longuement dans Le National les peintures de la Bibliothèque : « Pour trouver et composer une telle décoration de bibliothèque, il ne fallait pas moins que la plus étendue et la plus fine intelligence littéraire unie au tact le plus sûr et le plus profond de l'art. M. Eugène Delacroix a réalisé ce problème sans effort. Nous dirons plus loin quelle belle et pittoresque harmonie de décoration, quels miracles de peinture sont obtenus ici par l'artiste: il ne s'agit en ce moment que du penseur et du poète. Les deux vastes hémicycles et les cinq petites coupoles de la Bibliothèque déroulent toute l'histoire du génie et de la civilisation antique. Les deux hémicycles extrémités opposées et circulaires de la galerie, sont comme les deux pôles de cette histoire, et représentent l'âge grec qui commence, l'âge romain qui finit : Orphée faisant lever sur la Grèce la première aurore des arts ; Attila, poussant sur l'Italie ses hordes et les ténèbres barbares. Sous les cinq coupoles peintes (...), ce ne sont point les âges ni la suite chronologique, mais les grands plans, les hautes sphères de cette histoire, qui s'étagent et rayonnent : les Sciences, la Philosophie, la Législation, la Théologie, la Poésie. A chaque coupole brille une de ces sphères, figurée sur (...) les quatre faces par ses points les plus lumineux, et ce sont quatre tableaux en pendentifs où se résume dramatiquement chaque génie spécial dans ses représentants ou ses oeuvres les plus sublimes (...)

    Jamais l'artiste n'a eu l'imagination plus féconde et plus variée, l'esprit plus pénétrant et plus souple que dans les peintures des cinq coupoles : c'est toute une galerie de vingt tableaux, toute une oeuvre que les plus illustres maîtres avoueraient pour l'art accompli de la composition, comme pour la grandeur du faire, et que nul n'a jamais surpassée peut-être en inspiration poétique, en savoir et en goût littéraire. Sur ce dernier point, la contestation ne saurait être possible : chaque sujet est inventé avec un sentiment et une verve supérieure, caractérisé avec une sagacité admirable. L'idée brille sur tous les pendentifs des cinq coupoles (...)

    La bibliothèque est comme une longue galerie de tableaux qui se déroulent sur les deux faces opposées et sous les cinq coupoles. Chaque tableau, quoique relié par l'idée, incrusté par le ton dans l'ensemble de la décoration, existe à part et forme, non pas seulement une belle oeuvre de couleur, mais une savante composition de dessin. Sous ce dernier rapport, l'infériorité de quelques-uns n'est que relative à l'éminence de tous les autres. Entre les vingt pendentifs, le choix même est embarrassant (...)

    Au premier regard jeté, d'un hémicycle à l'autre, à travers la Bibliothèque, la riche étendue, l'éclatante intensité du pittoresque vous saisit et vous émerveille. Les cinq coupoles échelonnées et leurs pendentifs en perspective resplendissent à l'envi, et toute cette décoration architecturale imitée de Louis XIV, sinon de la renaissance italienne, étale une pompe de peinture, une fête de couleur qui enivre les yeux. Mais la couleur n'a point ici que ces trésors de palette, ces vigueurs ou ces suavités qui sont, pour ainsi dire, son sensualisme de polychromie et son art matériel : elle a surtout un don unique d'expression, la convenance profonde et l'accord sympathique de chaque sujet, la vérité locale la plus vive et l'idéalité la plus haute ; en un mot, tout le spiritualisme ou la dernière puissance de son art. »

    1857

    Clément de Ris, dans un long article de la Revue française consacré aux peintres contemporains, commente brièvement les peintures de Delacroix à la Bibliothèque de la Chambre.

    22 septembre 1863

    Dans une série de cinq articles réunis peu après la mort de Delacroix, Paul de Saint Victor consacre un long passage aux peintures de la bibliothèque : « l'oeuvre la plus considérable d'Eugène Delacroix est la décoration de la bibliothèque du Palais Bourbon. C'est là qu'il a déployé, dans toute son ampleur, ce génie de composition dont seul, entre les artistes de notre époque, il semble avoir hérité des grandes écoles italiennes de la Renaissance. »

    1864

    Dans son hommage à Eugène Delacroix, publié en deux articles dans la Gazette des Beaux-Arts, Charles Blanc s'attarde sur les peintures de la Bibliothèque : « Ce dut être un beau moment de sa vie que celui où on lui confia les décorations de la bibliothèque de la Chambre, dans ce même Palais-Bourbon où il avait déjà peint le Salon du Roi. »

    1881

    Charles Blanc consacre dans Le Temps un article aux mesures prises par le bureau de la Chambre des députés pour la conservation des peintures murales d'Eugène Delacroix dans la bibliothèque. Une commission a été constituée, comprenant trois questeurs, quatre députés (dont Antonin Proust), quatre architectes (dont Charles Garnier et Jules de Joly) et diverses personnalités, parmi lesquelles Pierre Andrieu, Philippe Burty et Charles Blanc. Deux rapports ont été fournis, l'un par Charles Garnier, au nom des architectes, l'autre par Burty. « Conformément à ces deux rapports, qui ont été parfaitement résumés par M. Hubbard, secrétaire général de la questure, il a été décidé que MM. les questeurs feraient exécuter, dans l'intervalle entre deux sessions, les travaux indiqués par MM. les architectes ; qu'aucune restauration ne serait tentée dans les grandes peintures des hémicycles, exécutées à la cire sur le mur même ; que les morceaux peints sur toile et marouflés, c'est-à-dire collés, sur les pendentifs, seraient nettoyés là où ils se trouvent voilés par des chancis ; que s'il était nécessaire de démaroufler celle de ces toiles qui auraient le plus souffert, il n'y serait pas procédé avant que la commission convoquée de nouveau, n'y eut donné son consentement ; enfin, que des copies faites sur toile d'après les peintures des hémicycles seraient commandées - elles le seront probablement à M. Andrieu - et préparées de manière à pouvoir s'adapter, en cas de malheur, aux emplacements qu'occupent les originaux, et qu'elles seraient en attendant appliquées à des demi-coupoles de mêmes dimensions que celles de la Bibliothèque, pour en épouser la forme et n'être exposées à aucun retrait. Telles sont les mesures que la commission a cru devoir proposer au président et au bureau de la Chambre, auxquels il appartient de se prononcer sur les votes et moyens. »

    29 septembre 1881

    Marius Vachon, dans La France, rend compte des restaurations effectuées à la bibliothèque par Pierre Andrieu. « Nous n'étions pas sans inquiétude, bien que nous connaissions parfaitement l'habileté de l'artiste en ce genre de travail, et que sa passion ardente, presque filiale, pour son maître, son culte pour cette oeuvre à Iaquelle il a été si intimement associé, nous fussent une garantie du respect profond et des soins minutieux qu'il y apporterait. Un nettoyage de peintures est une entreprise si délicate et si féconde en mésaventures ! (...) Avant l'exécution de son travail, M. Andrieu n'a point été exempt lui-même des inquiétudes qui nous préoccupaient, et il nous a avoué avec une modestie charmante que, plus d'une fois, au moment de jeter sur les peintures de son maître le premier coup de pinceau à essence, sa main a tremblé et qu'il a suivi avec anxiété l'effet de ses expériences. La plupart des pendentifs présentaient un état assez grave. Tantôt une épaisse couche de salpêtre avait envahi une partie de la toile et produit des rugosités et des écaillures ; tantôt la peinture disparaissait sous les chancis ; ailleurs, la toile, par défaut d'adhérence, s'était boursouflée ; enfin, en beaucoup d'endroits, des fissures profondes, provoquées par le travail de disjonction ou d'affaissement de la maçonnerie, striaient les compositions, coupant têtes, bras et jambes des personnages. En présence d'une telle complication de maux si variés, il était indispensable de procéder au nettoyage avec une prudence excessive et d'approprier à chaque lésion un traitement sévère. M. Andrieu a fixé autant que possible les écaillures par des aspersions d'eau de colle, ravivé au moyen d'injections de saindoux dissous dans de l'essence ou de l'éther, les couleurs altérées par le salpêtre ou les chancis, circonscrit les boursouflures par des clous et raccordé la toile dans les retraits et les fissures. L'opération à laquelle vient de procéder avec succès M. Andrieu n'est point de nature malheureusement à prévenir des accidents nouveaux. Ce qu'il y a à redouter le plus, c'est que l'action du salpêtre continue - les fissures produites par la déviation de la voûte sont moins dangereuses - or, l'on ne peut rien faire pour l'éviter ; la cause originelle du mal est dans la constitution vicieuse de la voûte de la Bibliothèque. Dans dix ans, et peut-être avant, car la toile à demi-rongée n'offrira plus la même résistance aux infiltrations et aux exsudations, on sera obligé de recommencer la besogne de nettoyage, mais dans des conditions qui la rendront plus dangereuse encore que cette fois et peut-être même impossible. Ne vaudrait-il pas mieux enlever aujourd'hui ces pendentifs, menacés d'une destruction prochaine ? » Fortement préoccupé de l'impossibilité de conserver correctement sur place les deux hémicycles, Vachon conclut : « L'état déplorable de ces deux peintures, qui s'aggrave de jour en jour, réclame une solution radicale. Elles doivent être transférées au Louvre ».

    11 septembre 1897

    Sabine Méa, dans le Journal des Arts, s'interroge sur le nettoyage des peintures décoratives au Palais Bourbon.

    1903

    Dans La Revue de l'Art ancien et moderne (deuxième article consacré aux peintures d'Eugène Delacroix à la Bibliothèque de la Chambre des députés), Gustave Geffroy s'interroge sur la sauvegarde des oeuvres de Delacroix : «Maintes et maintes fois, des bruits alarmants ont couru, puis une certitude s'est faite : les coupoles se lézardent, la peinture s'écaille, ces splendeurs peuvent se changer en ruines (...). On n'a pas le choix des partis à prendre, il n'y en a qu'un : sauver les originaux, les enlever de la place où ils sont, puisqu'ils ne peuvent y rester sans danger, et mettre immédiatement des copies à leur place (...). Ces peintures sont mal placées à la Chambre (...) Va-t-on laisser toujours ignorer à ceux qui sont avides de belles distractions, d'art, de savoir, les grandes conceptions de l'un des maîtres de ce siècle et de tous les temps ? (...) Que la foule ne puisse pénétrer à la Chambre pendant les travaux des séances et des commissions n'a pas à être discuté, mais que la plus large hospitalité lui soit donnée, sans demandes et sans cartes, pendant les vacances parlementaires, et tous les dimanches, où le travail législatif chôme, voilà qui est la revendication d'un droit légitime. Il n'est pas difficile de tracer un chemin aux visiteurs respectueux et de mettre un gardien de place en place. Delacroix n'a pas conçu et exécuté son oeuvre pour la solitude, le silence, la poussière, la mort. En attendant la solution qui est probablement fatale, c'est-à-dire le transfert de cette oeuvre dans un musée, rendez-lui la vie en rompant le charme de ce sommeil d'un demi-siècle. Qu'elle cesse d'être l'ornement de salles closes pour resplendir aux yeux de tous. »

    1905

    Henri Havard, Inspecteur Général des Beaux-Arts, fait un rapport sur les peintures des hémicycles.

    1930

    René Piot, élève d'Andrieu, est chargé de la restauration des peintures de la Bibliothèque.

    10 octobre 1930

    Un article anonyme paru dans Le Temps fait état des remarques de Piot à propos de son travail de restauration, notamment sur l'hémicycle d'Attila qui avait été traversé par un obus allemand en 1871 et sur huit pendentifs (Hésiode, Ovide, Alexandre, St Jean Baptiste, Adam et Ève, la Captivité de Babylone, la Drachme du tribut). L'article se termine ainsi : « II faut que ce monument, qui occupe dans l'histoire de notre art une place d'exception, soit non seulement l'objet de toutes les précautions, mais aussi que toutes ses parties soient visibles grâce à un système d'éclairage qui n'en dénaturera pas les colorations. Ce sera l'honneur du secrétaire général de la questure, M. Pêcheux, d'avoir compris cette élémentaire vérité et d'avoir tout mis en oeuvre pour assurer la conservation de ces merveilles. A lui maintenant le devoir de compléter son oeuvre. Tous les amoureux de Delacroix, tous les connaisseurs en matière d'art lui en sauront un gré infini. »

     

    Chronologie établie par Mme Arlette Sérullaz, conservateur général du Patrimoine, directrice du département des arts graphiques du musée du Louvre.


  • © Assemblée nationale - Photo Laurent Lecat
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    Eugène Delacroix vient de terminer la décoration du salon du Roi lorsque, en septembre 1838, le Ministre de l'Intérieur, Marthe-Camille de Montalivet, lui confie celle de la Bibliothèque.

    Le projet, d'une toute autre ampleur, est à la mesure de son génie créatif et de son goût de "faire grand" : deux culs-de-four séparés par cinq coupoles, chacune reposant sur quatre pendentifs, le tout formant un vaisseau de quarante-deux mètres de long et dix de large.

    Cette fois il s'entoure de collaborateurs : Gustave de Lassalle-Bordes (1815-1846), Louis de Planet (1814-1875), Léger-Cherelle et Pierre Andrieu, mais les travaux ne commencent pas aussitôt, retardés par des problèmes de santé, la commande qui lui est faite par la Chambre des pairs du Palais du Luxembourg, mais aussi par le besoin de mûrir ce vaste projet.

    Il hésite, prend des notes, demande conseil à ses collaborateurs, choisit des sujets, esquisse, surcharge, rature, élimine. Sa correspondance et son journal témoignent d'un labeur acharné.

    Beaucoup plus qu'à une décoration c'est à l'élaboration d'un programme cohérent qu'il s'attache. La destination du lieu et la classification des savoirs qui était celle de l'époque s'imposent finalement à lui et cristallisent son inspiration.


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    Chacune des cinq coupoles est consacrée à une discipline évoquée dans les pendentifs par des scènes ou des événements qui l'ont illustrée : au centre la Législation, d'un côté la Théologie et la Poésie, de l'autre la Philosophie et les Sciences.

    La paix, berceau du savoir, et la guerre qui en est l'anéantissement, les encadrent et se font face, dans les deux culs-de-four.

    Les travaux traînent en longueur, au grand mécontentement du Ministre des travaux publics qui supervise la réalisation du projet, et du Ministre de l'intérieur qui l'a commandé. Les pendentifs, peints sur toile, peuvent être partiellement réalisés en atelier, puis marouflés, mais ce n'est pas le cas des culs de four : ils doivent être peints sur place après avoir été enduits de cire. Des échafaudages sont montés à 15 mètres du sol, puis démontés, au rythme des sessions. Des fissures apparaissent, imposant des réparations puis la construction d'un toit pour protéger les peintures des intempéries.

    60 000 F ont été alloués à Delacroix pour l'ensemble de la décoration. Le complément qu'il réclame pour couvrir les dépenses supplémentaires occasionnées par les fissures survenues dans les hémicycles lui est refusé.

    Les peintures, lorsqu'elles sont enfin terminées à la fin de l'année 1847, sont accueillies avec enthousiasme par la critique qui salue l'inspiration poétique, la fête des couleurs, la sensualité de la polychromie, la verve et la fécondité de l'imagination. Elle situe cet artiste complet, à la fois penseur et poète, dans la grande tradition de la renaissance italienne.

    La description de ces peintures est faite par Delacroix lui-même dans une notice adressée le 9 janvier 1848 à Thoré qui la reproduit avec quelques lignes d'introduction dans Le Constitutionnel du lundi 31 janvier 1848. « Nous nous proposions de rendre compte des belles peintures exécutées par M. Eugène Delacroix, dans la Bibliothèque de la Chambre des députés. C'est une des œuvres d'art les plus grandes et les plus poétiques de l'époque contemporaine. Mais M. Eugène Delacroix ayant pris le soin d'écrire lui-même la description de ses coupoles et de ses pendentifs, nous nous bornons à publier cette simple notice qu'il a bien voulu nous communiquer. »


    Cul-de-four de la Paix
    Orphée vient policer les Grecs encore sauvages et leur enseigne les arts de la paix.
    Huile et cire sur enduit (7,35 x 10,98m)
    © Assemblée nationale - Photo Laurent Lecat
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    « Orphée apporte aux Grecs, dispersés et livrés à la vie sauvage, les bienfaits des arts et de la civilisation. Il est entouré de chasseurs couverts de la dépouille des lions et des ours. Ces hommes simples s'arrêtent avec étonnement. Leurs femmes s'approchent avec leurs enfants. Des bœufs réunis sous le joug tracent des sillons dans cette terre antique, au bord des lacs et sur le flanc des montagnes couvertes encore de mystérieux ombrages. Retirés sous des abris grossiers des vieillards, des hommes plus farouches ou plus timides contemplent de loin le divin étranger. Les Centaures s'arrêtent à sa vue et vont rentrer dans le sein des forêts. Les Naïades, les Fleuves s'étonnent au milieu de leurs roseaux, pendant que les deux divinités des Arts et de la Paix, la féconde Cérès chargée d'épis, Pallas tenant dans la main un rameau d'olivier, traversent l'azur du ciel et descendent sur la terre à la voix de l'enchanteur. »


    Cul-de-four de la Guerre
    Attila suivi de ses hordes barbares foule aux pieds l’Italie et les Arts.
    Huile et cire sur enduit (7,35 x 10,98m)
    © Assemblée nationale - Photo Laurent Lecat
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    Attila, détail du cul-de-four de la Guerre
    Attila suivi de ses hordes barbares foule aux pieds l’Italie et les Arts.
    Huile et cire sur enduit
    © Assemblée nationale
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    « Attila suivi de ses hordes barbares foule aux pieds de son cheval l’Italie renversée sur des ruines. L’Éloquence éplorée, les Arts s’enfuient devant le farouche coursier du roi des Huns. L’incendie et le meurtre marquent le passage de ces sauvages guerriers, qui descendent des montagnes comme un torrent. Les timides habitants abandonnent, à leur approche, les campagnes et les cités, ou, atteints dans leur fuite par la flèche et la lance, arrosent de leur sang la terre qui les nourrissait. »


    Coupole de la Législation : Numa et Égérie
    Huile sur toile marouflée (2,21 x 2,91 m)
    © Assemblée nationale
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    « Au fond d'un bois mystérieux, le roi de Rome s'entretient avec la nymphe. Cette dernière est assise au milieu des roseaux et ses pieds baignent dans sa source limpide. Une biche étonnée s'arrête un instant à les considérer. »


    Coupole de la Philosophie : Socrate et son démon
    Huile sur toile marouflée (2,21 x 2,91 m)
    © Assemblée nationale
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    « Le philosophe est assis dans un bocage, loin des hommes et près d'un ruisseau qui murmure. On voit voler derrière lui et se pencher à son oreille son génie ou démon familier, qui n'était peut-être que la solitude elle-même et le recueillement dans lesquels les vrais sages ont toujours retrempé leur âme et puisé des inspirations profondes. »

  • S'il a fallu neuf ans à Delacroix pour mener à bien, avec ses collaborateurs, la décoration de la Bibliothèque du Palais Bourbon, ce n'est pas seulement à cause de l'ampleur du projet. N'oublions pas, en effet, que l'artiste dut s'occuper presque en même temps de la Bibliothèque du Palais du Luxembourg, au grand mécontentement, du reste, des députés.


    Sénèque se fait ouvrir les veines
    Mine de plomb sur papier beige
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Cela étant, il n'en demeure pas moins, et bien des critiques le reconnurent du vivant même de Delacroix, que décorer la Bibliothèque du Palais Bourbon représentait une entreprise peu commune, qui allait contraindre le peintre à déployer toutes les ressources de son esprit créatif pour concevoir les sujets propres à figurer sur les deux hémicycles et les vingt pendentifs. Rien n'est plus significatif à cet égard que de découvrir les dessins réalisés alors. Si l'on contemple tout d'abord les premières recherches fourmillant d'idées dont beaucoup, on le sait, ne furent pas conservées, force est de constater l'immensité du travail entrepris par l'artiste afin de trouver la parfaite adéquation des sujets à l'atmosphère de ce haut lieu humaniste. Ce ne fut pas une tâche aisée. A l'évidence, Delacroix au début de sa réflexion, n'avait en tête qu'un programme général assez approximatif. Un manuscrit conservé aux Archives nationales et une liste de sujets consultable à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale en témoignent. Pareillement révélatrice des hésitations de Delacroix à cette époque est l'étude pour l'hémicycle d'Orphée où l'ébauche de la composition définitive est encadrée sur les côtés par toute une série de notes manuscrites se rapportant aussi bien à cet hémicycle qu'à celui d'Attila et, d'une manière générale, à la décoration des pendentifs.


    Études pour l'hémicycle d'Attila
    Mine de plomb sur papier beige
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Étude pour l'hémicycle d'Attila
    Mine de plomb sur papier beige
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Les sujets rejetés par Delacroix sont Ulysse, ou Hercule, ou les néréides, Tobie, St Paul, St Jean et ceux finalement adoptés : Captivité à Babylone, Lycurgue offre un sacrifice. On retrouve de semblables alternatives sur d'autres feuilles présentant, à n'en pas douter, un état peu avancé des recherches préliminaires entreprises par Delacroix aussitôt après s'être vu notifier la commande du décor de la Bibliothèque. Les ratures et les surcharges attestent la difficulté d'une sélection lourde de conséquences et pourtant essentielle.

    Soucieux d'établir des liens pittoresques entre chaque élément de la décoration, Delacroix travaillait d'une manière bien personnelle, que Frédéric Villot commenta en ces termes à Alfred Sensier : « fort méticuleux, fort logique (il) hésitait longtemps et c'était entre nous des conciliabules sans fin. S'il avait une idée préconçue, généralement il ne me la communiquait pas ; il m'interrogeait, me faisait faire des plans, gribouiller des feuilles de papier, chercher dans les classiques grecs et latins des maximes ou passages applicables à la circonstance. Enfin, il fallait retourner en tous sens la matière et en parler des jours et des nuits ». (M. Tourneux, Eugène Delacroix devant ses contemporains, Paris, 1886).

    Les diverses sources consultées par Delacroix au fur et à mesure que se mettaient en place les premiers éléments de sa décoration ont été analysées par Anita Hopmans en 1987. Certaines sont d'ordre littéraire. Il s'agit notamment d'un article de Frédéric de Mercey paru dans la Revue des Deux Mondes en 1842 sur « les arts en Angleterre », dont Delacroix recopia quelques lignes sur l'un de ses dessins, ou d'un article de Xavier Marmier dans la même revue, le 15 janvier 1843, relatant son voyage à Moscou.


    Étude pour l'hémicycle d'Orphée
    Mine de plomb sur papier beige
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Études pour l'hémicycle d'Orphée
    Mine de plomb sur papier beige
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Étude pour l'hémicycle d'Orphée
    Mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Étude pour l'hémicycle d'Orphée
    Mine de plomb sur papier calque contrecollé
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    D'autres, comme les Scienza nuova seconda de Giambattista Vico (1744), sont plus philosophiques ou théoriques. Pour G. L. Hersey (1968), le programme adopté par Delacroix à la Bibliothèque du Palais Bourbon s'inspirerait en effet des idées de Vico sur le développement des civilisations, chacune d'entre elles obéissant à un même rythme, un âge des Dieux, un âge des Héros et un âge des Hommes. Cette hypothèse séduisante a pourtant été contestée par A. Hopmans, principalement parce qu'elle sous-entendait de la part de Delacroix la conception d'un programme cohérent dès le début de son travail, ce qui n'a pas été le cas. A son avis, la source principale serait plutôt le Manuel du libraire et de l'amateur de livres de Jacques-Charles Brunet pourvu d'une table méthodique dont les divisions ont dû fournir à Delacroix le point de départ des thèmes à choisir pour les cinq coupoles. Cet ouvrage, réédité depuis 1810, se trouvait dans les principales bibliothèques de Paris, celle du Palais Bourbon notamment. Selon A. Hopmans, Delacroix aurait pu prendre connaissance de cet ouvrage sur les conseils de Jules de Joly, qui, on s'en souvient, était l'un des principaux responsables des travaux de transformation de Palais Bourbon. La preuve de cet emprunt est apportée par un grand feuillet annoté au recto et au verso ayant appartenu à R. Leybold, maintenant conservé au Getty Muséum à Malibu (États-Unis) ; au verso la liste de sujets suit approximativement l'ordre de Brunet, qui avait organisé sa table à partir de cinq catégories (Théologie, Jurisprudence, Sciences et Arts, Littérature et Histoire). Or certaines d'entre elles, ainsi que des catégories intermédiaires, ont été notées sur le document Leybold (le texte intégral en a été retranscrit successivement par P. Angrand et M. Sérullaz). Pour A. Hopmans, Delacroix aurait jeté ces notes sur le papier après août 1838 et non auparavant comme le pensait P. Angrand. Il y aurait renoncé partiellement dans le courant de l'année 1840-1841. Elle observe par ailleurs que diverses catégories de Brunet apparaissent aussi en marge de deux dessins de Delacroix ayant jadis appartenu à Louis de Launay, ami du grand collectionneur Etienne Moreau-Nélaton et admirateur comme lui de Delacroix.

    C'est donc en avançant pas à pas dans l'élaboration de son projet que Delacroix a fini par trouver la cohésion qu'il avait si longuement et douloureusement cherchée. Au prix d'un exténuant labeur de dessins et d'esquisses, l'artiste a mis progressivement au point ses différentes mises en place tout comme les détails de chaque élément destiné à entrer dans une composition. Parallèlement, il effectua de semblables recherches dans le domaine de la couleur : pour les pendentifs en particulier, l'artiste est passé de la plume et de la mine de plomb à l'aquarelle et même au pastel. Ainsi, d'un dessin à l'autre, s'est affirmée peu à peu l'absolue maîtrise du dessinateur, puis du peintre, sachant non seulement adapter au sujet le rythme normal et coloré mais aussi respecter la relation de l'ensemble et des parties. Les modifications apportées à la composition de chacun des pendentifs sont, à cet égard, exemplaires. Il a été maintes fois reproché à Delacroix de mal dessiner. Certes, il lui est peut-être arrivé de paraître négliger la perfection anatomique d'un détail, mais c'était pour plier son trait et la forme à l'harmonie générale recherchée. Et l'ensemble des études réunies ici nous apporte un témoignage magistral de la force suggestive du dessin de Delacroix ainsi que de l'extraordinaire faculté d'invention des formes qu'il avait acquise en sa maturité.


    Étude pour les Bergers chaldéens
    Mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Si Delacroix a travaillé seul à la décoration du Salon du Roi, il fit appel, pour celle de la Bibliothèque, à plusieurs collaborateurs, Gustave Lassalle-Bordes, Louis de Planet, Léger-Chérelle, enfin Pierre Andrieu. La rivalité des deux premiers les ayant poussé à publier des témoignages remplis de contradictions, il n'est guère facile de savoir avec certitude comment ceux-ci se répartirent véritablement le travail à partir des esquisses de leur maître. Par contre, on peut plus aisément se faire une idée de la façon dont s'établit la collaboration entre Delacroix et ses élèves, grâce aux indications fournies par Louis de Planet dans ses Souvenirs. On s'aperçoit par exemple que Planet se reportait régulièrement aux croquis de Delacroix avant de commencer quoi que ce soit : « M. Delacroix est venu pour organiser le travail. Il m'a montré son esquisse. C'est Lycurgue consultant la Pythie. Je ferai un calque sur le dessin, puis je le passerai aux carreaux, la toile également » (9 décembre 1843) ; « M. Delacroix a trouvé la composition bien dans la toile. Il croit que cela fera bien ainsi et qu'il ne sera pas nécessaire de rapetisser les figures. Nous pourrons même les agrandir. La tête de la Pythie est bien dans mon calque, mais dans la toile elle vient trop en avant» (11 décembre 1843) ; M. Delacroix a été très content de ce qui a été fait. L'Ovide, bon. Avec peu de chose, il le terminera [...] Il me prépare une autre esquisse et reviendra quand je le ferai appeler ». (8 janvier 1844).


    Ovide chez les Barbares
    Mine de plomb sur papier contrecollé
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Lassalle-Bordes a dû vraisemblablement procéder de la sorte et il y a tout lieu de penser en outre que les deux artistes ont alors réalisé maintes esquisses peintes afin de se rapprocher le plus possible de la facture de Delacroix au moment de la réalisation définitive des pendentifs comme des hémicycles. L'esquisse pour l'hémicycle d'Attila, dont la facture nous paraît différente de celle de Delacroix, constituerait à cet égard un témoignage de la participation étroite de Lassalle-Bordes ou de Planet à la décoration de la Bibliothèque.

    Texte de Mme Arlette Sérullaz, conservateur général du Patrimoine, directrice du département des arts graphiques du musée du Louvre.

Les peintures de Delacroix au salon du Roi

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    Rappel chronologique établi à partir du livre de Maurice Sérullaz, Les peintures murales de Delacroix, Paris, 1963
    et de l'ouvrage de Lee Johnson, The Paintings of Eugène Delacroix. The Public Décorations and their Sketches, Oxford, 1989.
    (avec l'aimable autorisation de Mme Arlette Sérullaz, Conservateur général au département des arts graphiques du musée du Louvre, chargé du musée national Eugène Delacroix)

    1833

    30 mai
    Avant même d'être officiellement chargé de décorer le Salon du Roi, Delacroix écrit à « Monsieur Cavé, Chef de la Division des Belles Lettres, Sciences et Arts, au Ministère de l'Intérieur et du Commerce», afin d'obtenir, par son intermédiaire: « l'autorisation de faire préparer le plafond (...) d'après le procédé de M. Darcet, contre l'humidité. Toute celle qui avait été absorbée antérieurement est encore dans les plâtres puisqu'elle a reparu après cinq couches successives de peinture». (Lettre conservée à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale; Correspondance. I, p. 358).

    27 juin
    Delacroix écrit à l'architecte de la Chambre des députés, M. Lelong, pour l'informer qu'il préfère attendre quelque temps avant de se mettre au travail. (Lettre conservée à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale; Correspondance. I, p. 359-360).

    5 juillet
    Les échafaudages sont en train d'être placés mais Delacroix n'a toujours pas commencé à travailler. (Lettre de Jean-Baptiste Pierret à Félix Guillemardet ; Correspondance, V, p. 16l).

    27 juillet
    Delacroix écrit à Guillemardet : «(...) je suis tout en train de mes grandes entreprises et non pas sans peine. Il m'a fallu bien intriguer pour obtenir seulement mon échafaud. Mais enfin, il est à ma convenance. Je charbonne sur les murs. Tous les commencements sont beaux. C'est l'accouchement définitif qui coûte ». (Correspondance. V, p. 164).

    31 août
    Par arrêté signé de Thiers, Ministre, Secrétaire d'État au département du Commerce et des Travaux Publics : « M.. Delacroix est chargé de l'exécution des peintures du Salon du Roi à la Chambre des députés. Il lui est alloué pour ce travail une somme de trente [cinq/le mot a été rajouté] mille francs payable par acompte selon les degrés d'avancement du travail, et imputable sur les crédits affectés aux travaux de la Chambre ». Les documents entérinant cette décision sont transmis à l'intéressé ainsi qu'au directeur des Travaux de Paris au tout début du mois de septembre. (Archives nationales, F21 584, en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    26 novembre
    Delacroix est averti par une lettre du Chef de la 3e Division, bureau des Beaux Arts au ministère du Commerce et des Travaux Publics, que « le prix alloué pour l'exécution des peintures du Salon du Roi (...) sera porté à 35 000 frs ». Il est par ailleurs autorisé à demander un premier acompte. (Archives nationales, F21 584; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    3 décembre
    Delacroix demande un acompte de 6 000 francs : « vu l'avancement des travaux que j'estime au moins au sixième de l'exécution ». Sa demande est acceptée par arrêté du 7 décembre ; le même jour Delacroix est informé de cet accord. (Archives nationales, F21 584; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    1834

    11 avril
    Le Constitutionnel se fait l'écho du mécontentement suscité chez certains par l'attribution de la décoration du Salon du Roi à un peintre « aussi peu sûr de son œuvre ».

    11 juillet
    Estimant avoir avancé les travaux « au tiers environ », Delacroix demande un deuxième acompte à M. Cavé, Chef de la Division des Beaux-Arts. (Archives nationales, F21 584; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale). Cet acompte lui sera accordé le 29 juillet.

    3 août
    Delacroix écrit à M. Edmond Blanc, directeur des Bâtiments Publics au Ministère de l'Intérieur afin d'obtenir par son intermédiaire la fourniture des ornements prévus en supplément des peintures, «le moment approchant où il faudra commencer à dorer ». (Archives nationales, F13 1077; Correspondance, I, p. 379).

    1835

    5 avril
    Delacroix écrit à M. Guizard, directeur des Travaux Publics au Ministère de l'Intérieur, afin d'obtenir l'exécution des demandes formulées précédemment sans lesquelles il ne peut avancer son travail. (Archives nationales, F21 584; Correspondance. I, p. 397).

    7 mai
    Delacroix demande à M. Cavé, Chef de la division des Beaux-Arts au Ministère de l'Intérieur, un troisième acompte en raison de : « l'avancement des peintures et l'obligation où je suis d'employer des secours étrangers pour l'exécution des ornements ». Sa requête est acceptée le 18 mai pour une somme de 3 821 francs, 19 centimes. (Archives nationales, F21 584; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    18 décembre
    Delacroix écrit à nouveau à M. Cavé pour lui demander un nouvel acompte « sur le prix de ces travaux qui touchent à leur terme » (il ne lui reste plus qu'à exécuter des figures arabesques pour compléter les trumeaux séparant les croisées). Sa demande sera entérinée le 31 décembre pour une somme de 6 000 francs. (Archives nationales, F21 584; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    29 décembre
    Le Moniteur Universel relatant l'ouverture de la session des Chambres indique : « Sa Majesté s'arrêta un instant dans la grande salle du Trône où elle a remarqué les peintures exécutées par M. Delacroix ».

    1836

    10 janvier
    Dans Le Critique, C. Forger signale, après s'être rendu au Salon du Roi, que la partie gauche de la frise de la Justice « n'est point encore terminée ».

    18 janvier
    Delacroix écrit au critique d'art Théophile Thoré en lui signalant qu'il ne lui reste plus à faire « que des grisailles qui sont dans la partie inférieure ». (Correspondance, I, p. 409).

    20 juillet
    Delacroix confie à Frédéric Villot ses difficultés : « J'ai recommencé mes tourments avec mes décorateurs. Je n'en puis rien obtenir qu'en étant sur leur dos et rien n'avance ». (Lettre conservée à la Bibliothèque nationale de France, fondation Jacques Doucet ; Correspondance, I, p. 415-416).

    26 août
    Théophile Gautier publie dans La Presse un long article élogieux intitulé : « Peintures de la Chambre des députés. - Salle du Trône » dans lequel il note : « Les fleuves principaux de France serviront à supporter les différents groupes et à ménager la transition de la peinture à l'architecture», sous entendant, de ce fait, que les grisailles des pilastres ne sont pas encore exécutées. « Le plafond sur lequel a dû travailler M. Eugène Delacroix est on ne peut plus mal disposé à recevoir des peintures. Il est coupé par un très grand nombre de compartiments, d'une forme désagréable et difficile à remplir. M. Delacroix a surmonté très heureusement cet obstacle. Les quatre principaux panneaux offraient une longueur double de leur hauteur, les autres étaient d'une petitesse sans proportion avec les caissons et les pendentifs et pouvaient à peine admettre une seule figure, même en usant de toutes les ressources du raccourci. Il semblait au premier coup d'œil presque impossible de composer la décoration d'une salle ainsi faite avec la clarté et l'unité nécessaires. L'éparpillement forcé des personnages, dans plusieurs cadres séparés par des membres de maçonnerie, nuisait singulièrement à l'effet général et à l'harmonie du ton. {...} Comme arrangement ingénieux, comme symétrie heureuse, les peintures de la salle du trône sont de vrais chefs-d'œuvre; n'était le maussade goût de l'architecture qui contrarie l'illusion, on pourrait se croire, en voyant ces peintures souriantes et lumineuses, dans une salle de la renaissance décorée par quelque artiste appelé de Florence, le Primatice ou maître Rosso, tant le style est élégant et souple, tant ces belles femmes allégoriques, nues ou caressées par des draperies légères, ont cet air royal et accoutumé aux magnificences qui manque aux figures ébaubies barbouillées par les artistes modernes pour les palais des souverains ou les édifices publics ».

    27 décembre
    Delacroix demande le solde de la somme qui lui avait été attribuée pour ses travaux, estimant ceux-ci achevés. (Archives nationales, F21 584; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).
    Le même jour, par une autre lettre, il demande au Ministre de l'Intérieur une indemnité supplémentaire, justifiée, selon lui, par l'extension du travail en cours d'exécution : « la décoration du Salon du Roi à la Chambre des députés était loin de présenter dam le plan primitif la complication qu'elle offre aujourd'hui et à laquelle j'ai été conduit pour tirer le meilleur parti possible des localités (...) Je prends également la liberté de vous exposer que les ornements qui accompagnent les figures ont été exécutés par des décorateurs de profession et avec des frais considérables qui sont restés à ma charge. » (Correspondance, I, p. 419-421).
    Un article anonyme (peut-être de la main de Paul Mantz), paru dans L'Artiste à la fin de l'année, rend compte de l'état d'avancement des peintures de Delacroix: « M. Delacroix a presque terminé les peintures qu'il était chargé d'exécuter à la Chambre des députés pour la décoration du Salon du Roi. Malheureusement l'ouverture de la session ne permet pas que le public soit admis pour le moment à les visiter, et ce n'est qu 'après que les chambres seront séparées que l'auteur pourra recueillir le jugement impartial de la foule. Nous avons suivi avec le plus vif intérêt l'avancement graduel de cet important travail, commencé il y a trois ans. Si nous n'avons pas été les premiers à entretenir le public de ce que nous en avions vu, c'est que nous savons combien aux plus belles entreprises la fin est nécessaire, et que, d'ailleurs, un jugement anticipé peut donner à l'artiste encore au milieu de son travail, soit un relâchement fâcheux dans le zèle dont il a besoin pour s'élever jusqu'au point où il lui est donné d'atteindre, soit un découragement plus fâcheux encore, et le dégoût de ce qu'il avait conçu et qu'il n'a pu encore exprimer qu'imparfaitement. Aujourd'hui, l'œuvre peut être considérée comme accomplie. Nous pouvons donc sans indiscrétion, comme aussi avec toute sécurité pour la responsabilité de notre critique, émettre une opinion que chacun avant peu sera à même de contrôler (...) La peinture décorative exige peut-être avant tout, et plus qu'aucun autre genre, les conditions d'harmonie et d'unité qui forment un ensemble agréable. Il faut que l'œil soit du premier coup captivé par une disposition générale facile à saisir, et qu'avant de descendre dans les détails et de pénétrer les diverses intentions du peintre, on reçoive de l'accord des tons et du jeu des lignes une sorte de plaisir qui peut se comparer à l'impression de la musique. M. Delacroix n'a pas manqué d'obéir à cette première loi. Des qu'on a mis le pied sur le seuil de cette salle, dont l'or et le marbre sont les moindres ornements, la majesté du lieu frappe l'esprit et inspire le recueillement (...) Ce résultat, il faut le dire, n'eût pas été obtenu, si, au lieu de laisser à un seul la responsabilité de l'ensemble, on eût imaginé, comme il est arrivé en d'autres occasions récentes, de demander à plusieurs des morceaux isolés pour en composer un tout, qui ne peut de la sorte offrir que placages et bigarrures : témoin Notre-Dame-de-Lorette, etc., etc., {...} Les fleuves ont été les derniers peints. Leur dimension, leur isolement sur chaque pilier, leur caractère ornemental comportaient un style plus accentué que celui des autres figures. Aussi nous ne serions pas surpris si quelques personnes le trouvaient quelque peu outré. Cette affectation est ici à sa place ; il était nécessaire de racheter le défaut d'intérêt dans l'expression par quelques bonnes licences dans la tournure et le caractère, et c'était le cas, ou jamais, de montrer de l'audace. Honneur au peintre dont l'activité et le courage soutiennent l'art au milieu des vaines disputes qui le précipiteraient vers une décadence rapide et profonde ! C'est à lui défaire revivre les grands modèles, et de lutter contre la barbarie qui naît d'une civilisation décrépite. Honneur à l'autorité qui l'a choisi pour lui confier cette noble tâche ! »

    1837

    Janvier
    Dans son rapport au Ministre, Secrétaire d'État au département de l'Intérieur, le chef de la 3e division se montre opposé à l'attribution de l'indemnité réclamée par Delacroix. (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    31 janvier
    Le refus du Ministre est signifié à Delacroix (Archives nationales, F21 584 ; en dépôt à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale).

    18 février
    Delacroix invite Théophile Thoré à venir à la Chambre voir ses travaux. Lettre conservée à la Bibliothèque Nationale de France, n.a.fr.ll, 955 ; Correspondance, I, p. 427).

    24-25 février
    Dans Le Siècle, Thoré publie deux articles très élogieux sur l'œuvre de Delacroix en général ; ce dernier l'en remercie le 2 mars.
    Par ailleurs, Thoré consacre un article entier au Salon du Roi dans La Loi (article réimprimé dans le Journal des Arts, 14 novembre 1890).

    12 mars
    Gustave Planche publie un commentaire des peintures du Salon du Roi dans Chronique de Paris (réimprimé dans G. Planche, L'École française. II, Paris, 1855, p. 58-60). « Les peintures exécutées par M. Delacroix, dans le salon du roi, à la Chambre des députés, ont prouvé récemment que l'auteur peut au besoin se montrer sobre et sévère, et composer selon la tradition des maîtres les plus élevés, sans renoncer au droit d'inventer. La Guerre, l'Industrie, le Commerce, l'Agriculture, personnifiés et entourés d'attributs qui les expliquent, ont fourni à M. Delacroix l'occasion de chercher et de trouver des ressources que le public ne soupçonnait pas chez lui. Le Commerce et l'Agriculture se recommandent surtout par la simplicité savante des lignes, par l'alliance harmonieuse des tons. Les palais et les églises de Rome et de Florence, décorés au seizième siècle, n'offrent pas au regard un plaisir plus calme et plus pénétrant que ces deux compositions. Il semble que les personnages créés par la volonté du peintre soient nés d'un seul jet, avec les contours et les couleurs que nous voyons, et qu'ils n'aient pas pu naître sous une forme différente, tant les lignes de chaque figure sont naturelles et puissantes. En présence de ce beau travail, il y a lieu de s'étonner que M. Delacroix n'ait pas obtenu un plafond au Louvre, ou une chapelle de la Madeleine. »

    16 mars
    A. Tardieu publie un article sur le Salon du Roi dans le Courrier français, plutôt critique : « M. Delacroix avait à remplir sur la surface plane d'un plafond carré huit compartiments, dont quatre oblongs et quatre plus petits formant carré régulier. Dans les quatre espaces les plus étendus, il a peint des figures allégoriques exprimant la Justice, la Guerre, l'Industrie et l'Agriculture. L Agriculture paraît quelque peu sacrifiée, ou du moins l'artiste n'a pas été aussi heureux dans la composition de cette figure que dans celle des trois autres. L'Industrie est mieux. La Guerre est belle de fierté et de sécurité', son regard est plein d'une assurance calme ; elle tient à la main plusieurs drapeaux conquis. Par une bonne fortune à laquelle il faut applaudir dans le temple des lois, c'est la Justice qui a le mieux inspiré l'artiste. (...) Tout autour de la salle règne une frise qui peut avoir neuf pieds de haut, et qui est à demi interrompue par le ceintre des fenêtres et des portes. Cet emplacement peu propice a été rempli par Al. Delacroix de figures nombreuses, et il a divisé cette composition en quatre scènes qui se lient par le sujet aux allégories du plafond. Là encore, par une singulière fatalité, l'Agriculture ne soutient point la concurrence avec l'Industrie. {...} Les pans de murs compris entre les fenêtres sont couverts par des figures isolées, au nombre de huit, au-dessous desquelles on lit : Sequana, Garumna, Rodanus, Araris, Mediterraneum mare, Oceanus, Ligeris, Rhenus. La Loire et le Rhin paraissent surtout d'une invention et d'un dessin également défectueux. Il y a de bonnes choses dans les figures de l'Océan, de la Seine et de la Garonne; du reste il est juste de dire que ces grisailles ne semblent pas achevées. L'exécution pourra donc en être modifiée, mais la composition demeurera toujours à peu de chose près la même, et cette composition est mal conçue. Le ton de ces figures n'est nullement en harmonie avec celui de la frise, et de plus la dimension de ces personnages gigantesques diminue par trop les figures supérieures. (...) Ce que je reprocherai surtout à M. Delacroix, c'est que ses personnages sont très entassés, et que ses plans ne sont pas dégradés suffisamment. En résumé, le plafond est plus beau que la frise, et il y a dam la frise même des morceaux remarquables. Il est fort douteux que l'unanimité de MM. les députés se passionnent pour les peintures du salon du roi; mais il faut espérer que dans le palais de la chambre comme partout, il se trouvera des hommes qui sauront apprécier M. Delacroix, et faire valoir un talent sur lequel se fixe avec raison l'attention publique ».

    15 juin
    G. Planche consacre un long article très détaillé et élogieux sur le Salon du Roi dans la Revue des Deux Mondes, qui débute en ces termes : « Les peintures exécutées par Eugène Delacroix, dans une salle de la Chambre des députés, dite Salon du Roi, méritent la plus sérieuse attention ; car les diverses compositions qui concourent à la décoration de cette salle sont également remarquables par la beauté des figures et par les facultés nouvelles qu'elles ont mises en évidence, et que le plus grand nombre m soupçonnaient pas chez l'auteur (...) Il ne sera plus permis désormais de refuser à cet artiste éminent la grâce et l'élévation du style. Ceux qui ne pouvaient contester l'animation et l'énergie du Massacre de Scio et de l'Evêque de Liège, qui étaient forcés de reconnaître dans la Mort de Sardanapale et la Barricade de Juillet, l'abondance et la vérité, mais qui s'obstinaient à nier chez l'auteur l'intelligence des grands maîtres italiens, ont aujourd'hui perdu leur cause. Déjà les Femmes d'Alger et le Saint Sébastien avaient prouvé à tous les yeux clairvoyants que M. Delacroix ne s'enfermait pas sans retour dans l'école flamande et qu'il appréciait le Véronèse et Titien, aussi bien que Rubens et Rembrandt; le Salon du Roi confirmera les croyances qui n'étaient encore qu'à l'état d'induction {...}. Les qualités inattendues que M. Delacroix a révélées dans cette œuvre nouvelle ne frapperont pas seulement ses amis et ses admirateurs; ceux même qui se préoccupent exclusivement de la correction et de la grandeur des maîtres d'Italie seront forcés de reconnaître, dans la décoration du Salon du Roi, que le peintre français soutient glorieusement la comparaison avec ces maîtres illustres. Malgré les fautes que nous avons révélées dans ces diverses compositions, la Guerre et la Justice, et surtout l'Industrie et l'Agriculture, rappellent, par l'élévation des têtes, par la grâce des contours et l'harmonie des tons, les créations les plus heureuses du pinceau italien. Est-il probable que M. Delacroix eût fait un pareil progrès, eût acquis les qualités nouvelles que nous admirons, en continuant de concevoir et d'exécuter successivement des compositions dramatiques de nature diverse ? Nous ne le pensons pas. (...) M. Delacroix, en décorant le Salon du Roi, a conquis, dans l'espace de deux ans, ce qu'il eût peut-être poursuivi vainement si cette occasion d'agrandissement ne se fût pas présentée à lui. »

    5 décembre
    Une information paraît dans Le Siècle, aux « Nouvelles diverses », selon laquelle : « le Salon royal que décore M. Eugène Delacroix ne sera pas achevé, dit-on, pour l'ouverture des Chambres ».

    6 décembre
    Delacroix écrit au directeur de la revue L'Artiste, Achille Ricourt, pour lui demander de faire passer un démenti à propos de ces bruits fâcheux. (Lettre conservée au Musée du Louvre, département des Arts graphiques ; Correspondance, I, p. 402).

    7 décembre
    Delacroix demande au sculpteur Augustin Préault de l'aider dans la diffusion de son rectificatif. (Lettre conservée à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale; Correspondance, I, p. 403).

    1838

    19 octobre
    Delacroix écrit à Armand Bertin pour lui demander d'insérer dans Les Débats l'annonce de l'ouverture au public du Salon du Roi. (Correspondance, I, p. 417).
    L'avis paraît effectivement le 20 octobre, ainsi rédigé: «La prolongation de la session avait empêché que le public ne fût admis à voir les peintures achevées déjà depuis quelque temps, dont M. Delacroix a décoré le Salon du Roi, ou Salle du Trône à la Chambre des députés. Les personnes qui désireraient les voir avant le commencement de la session prochaine, seront admises au palais de la Chambre tous les jours, excepté le dimanche, depuis onze heures jusqu'à quatre, pendant le mois d'octobre et le mois de novembre ».

    15 novembre
    L'article de Alexandre D...ps (Decamps) dans Le National comporte un éloge assez flatteur des peintures du Salon du Roi, tout en soulignant quelques imperfections. «Il y a dans notre siècle des hommes qui arrivent à une grande renommée, soit en flattant les goûts et les instincts passagers de la multitude, soit en mettant leur talent et leur caractère à la disposition des volontés du pouvoir. Par un moyen comme par l'autre, nous voyons des hommes qui ont acquis rapidement une certaine réputation et ont été récompensés de leurs travaux par une fortune facile. Qu'ils jouissent en paix de l'une et profitent de l'autre; qu'ils escomptent pendant leur vie la gloire qu'ils auraient pu trouver dans l'avenir par de sérieuses études et un véritable amour de l'art; c'est le lot qu'ils ont choisi; et les vrais artistes, les hommes qui savent que les progrès et les grandes oeuvres ne s'accomplissent ni sans luttes ni sans fatigues n'en seront point jaloux {...}. C 'est par ce caractère énergique et novateur que s'est toujours distingué le talent de M. Delacroix et il fient d'en offrir une nouvelle preuve dans les peintures de la frise du salon du roi. Pour quiconque a vu et étudié les peintures des grands maîtres de l'Italie, il est incontestable que jamais l'art moderne n'a offert de travaux qui puissent rappeler mieux le style et l'exécution de la belle peinture italienne, et, chose remarquable, M. Delacroix n'a jamais voyagé en Italie; il n'a vu ni les fresques de Venise ni celles de Florence, ni celles de Rome; mais c'est qu'il les a devinées sans les copier, c'est qu'il appartient à la grande famille des véritables peintres; il n'a pas, lui, choisi une école dans toutes les écoles de l'ancienne Italie, mais sa peinture présente des rapports avec celle des maîtres des différentes écoles. Il y a du Véronèse dans la fresque où il a peint la Justice, il y a des souvenirs de l'art romain dans celle qui représente /'Agriculture; il y a du Michel Ange dans cette admirable figure du forgeron qui occupe le premier plan de la frise où sont représentés les emblèmes de la Guerre; mais le tout ensemble a cependant, malgré le style allégorique, un caractère tellement moderne, tellement nouveau, qu'on voit bien que l'artiste a étudié les grands maîtres dans leurs admirables qualités, mais sans se faire l'esclave d'aucun jusqu 'à imiter ses défauts {...}. Nous ne voulons parler des pendentifs qui occupent les entre-colonnes que pour plaindre l'artiste d'avoir été condamné, par un programme, à placer si bas et si près des yeux des figures en grisailles, qui, pour produire un peu d'illusion, doivent toujours être placées à une distance convenable. Nous croyons que M. Delacroix aurait pu s'opposer à une telle disposition, ou tout au moins qu'il aurait dû éviter de les exécuter. »

    1839

    14 mars
    Etienne Delécluze fait une critique assez élogieuse du Salon du Roi dans le Journal des Débats.
    « Depuis le Massacre de Chio, ouvrage dont je fais grand cas, bien qu'il me paraisse peu agréable à voir, la décoration de la salle du Roi à la Chambre des députés, me semble être la production la meilleure de M. Eugène Delacroix. Celle-là, je l'estime beaucoup et j'ai pris grand plaisir à la regarder. Si comme moi. M. Delacroix était certain de la confiance que l'on a dans les belles dispositions qu'il a reçues de la nature ; si, comme moi, il entendait les vœux sincères que tous ceux qui aiment les arts forment pour le développement simple et naturel de son talent, je crois qu'il dirigerait ses efforts plus favorablement pour lui et pour ceux qui prennent intérêt à son avenir d'artiste. Dans le plafond de la Chambre des députés, il a déjà été plus simple, plus lui, et s'est abstenu de bizarrerie; aussi tout le monde et moi-même, quoiqu'un peu tardivement, avons-nous applaudi à ce travail. Ce que l'on demande à cet artiste, c'est de ne pas faire à plaisir des compositions de malade en délire comme son Hamlet, dont l'exécution, si exécution il y a, ferait croire qu'il a oublié les plus simples procédés de son art. Jadis, on flattait les rois, défaut dont on est bien revenu. Maintenant on flatte, on cajole, on flagorne les artistes, et on les perd comme jadis on perdait les rois. M. E. Delacroix ne pourra pas cependant me faire ce reproche, puisque j'ai toujours été fort sévère envers lui. Mais je lui dirai que cette sévérité, que je ne crains pas de qualifier de bienveillante, m'a toujours été inspirée par la crainte qu'il se laissât aveugler par les éloges excessifs dont on l'a accablé à son entrée dans la carrière. Maintenant qu'il est dam la force de l'âge, aujourd'hui qu'il a surmonté les obstacles les plus difficiles à vaincre, puisque son nom est célèbre et qu'il a fait à la Chambre des députés un ouvrage qui lui concilie la faveur publique, il faut qu'il travaille sans préoccupations étrangères, sans penser à Rubens, à Rembrandt, ni même à Pietro Cortone, pour faire une oeuvre entièrement de lui et à laquelle il mettra tous ses soins. Le moment est venu pour lui de donner une grande bataille pour s'assurer la possession véritable du terrain glorieux, dont on s'est plu à le saluer maître jusqu'ici ».
    Au cours de l'année, un article anonyme, assez favorable, paraît dans L'Artiste.

    1847

    10-25 novembre
    Louis de Ronchaud, dans une étude intitulée « La peinture monumentale en France » parue dans la Revue Indépendante, consacre tout un passage au Salon du Roi.

    1848

    Dans un mémoire rédigé en 1848, après la chute de la Monarchie de Juillet, reproduit par le journal L'Art, le 26 juin 1878, Delacroix donne une description circonstanciée de son œuvre.

    1857

    Dans son article sur Eugène Delacroix publié dans la Revue française, Clément de Ris décrit les peintures du Salon du Roi.

    1898

    En raison de l'état alarmant des peintures du Salon du Roi, très encrassées par l'éclairage au gaz, une première restauration est entreprise, sous le contrôle de Henry Havard, inspecteur général des Beaux-Arts, et de M. Trenet, membre de la Commission de restauration des peintures des musées nationaux. D'autres interventions seront effectuées par la suite.

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    Le Salon du Roi
    © Assemblée nationale

     

    Eugène Delacroix reçoit en août 1833 d’Adolphe Thiers, qui deviendra bientôt ministre de l’Intérieur, sa première commande officielle, la décoration du salon du Roi au Palais Bourbon. L'année précédente son séjour décisif en Afrique du Nord lui révèle les effets de la lumière sur les couleurs et l'amène à changer sa palette et à équilibrer romantisme et classicisme.

    Le choix de Thiers intervient « malgré les avis charitables de mes ennemis -comme l'écrit Delacroix dans ses souvenirs connus par citation- et même de mes amis qui lui disaient comme à l'envi que c'était me rendre un mauvais service, attendu que je n'entendais rien à la peinture monumentale et que je déshonorerais les murs que je peindrais. » Il déclenche le scepticisme de la critique : « [...] c'est un peintre aussi insouciant de sa gloire, aussi peu sûr de son œuvre, que l'on choisit sur de telles ébauches, sur de simples indications de pensées, pour décorer une salle entière dans le palais de la Chambre des députés, c'est à un tel peintre que l'on confie une des plus grandes commandes de peinture monumentale qui ait lieu de nos jours. En vérité, la responsabilité est ici plus qu'engagée elle pourrait être bien compromise. »

    Le montant de la commande, initialement fixé à 30 000 francs fut porté par la suite à 35 000 francs. Delacroix témoigne à Thiers sa reconnaissance : « Vous m'avez offert, par pure amitié pour moi, une de ces occasions décisives qui ouvrent à un artiste une carrière toute nouvelle et qui doivent l'agrandir nécessairement, si elles ne mettent à nu son impuissance. »
    Le décor devait s’inscrire dans les réaménagements conçus par Jules de Joly et achevés en 1832, la reconstruction de la salle des séances, autour de salles, dont le salon du Roi, et de la bibliothèque.
     


    Jules de Joly : Plans de la Chambre des Députés (coupes, élévations et détails de la restauration), 1840
     

    Le peintre doit surmonter de nombreux obstacles du fait de la configuration carrée de la salle ouverte sur trois côtés et destinée à accueillir le trône de Louis-Philippe depuis lequel celui-ci recevait l'hommage de la représentation nationale les jours de séance royale. C'est ce que Delacroix reconnaîtra plus tard dans un mémoire manuscrit rédigé en 1848 après la chute de la monarchie de Juillet et reproduit après sa mort, par le Journal l’Art, le 16 juillet 1878 : « Le salon du Roi ou salle du Trône était mal disposé pour la peinture. C'est une grande pièce carrée, percée de fenêtres réelles ou simulées, qui ne laissent entre elles que d'étroits trumeaux. Au-dessus des archivoltes régnait une large frise qui n'offrait encore de ce côté, aucune place à remplir. On a pu supprimer cette frise, de manière à la réunir à la corniche en l'amoindrissant. Il en est résulté, entre les archivoltes et au-dessus, un espace pour y placer des sujets importants, qui se lient entre eux et occupent sans interruption le tour de la salle. Le jour arrive par trois fenêtres donnant sur une galerie, ouverte elle-même sur la cour d'honneur : c'est donc un jour atténué par interposition de cette galerie, qui sert de passage. Au centre du plafond est une ouverture circulaire, qui laisse aussi entrer quelque lumière ; mais, cette lumière ne peut guère arriver que sur les côtés, le plafond étant plat et paraissant d'autant plus sombre à cause de cette lanterne éclairée qui attire l'œil au préjudice des peintures dont elle est entourée. »
     


    Jules de Joly : Plans de la Chambre des Députés (coupes, élévations et détails de la restauration), 1840
     

    Delacroix obtient de l'architecte des modifications afin d'augmenter les surfaces destinées à être peintes, non plus seulement un plafond mais une frise donnant plus d'unité à la salle et plus d'éclat au plafond. Il réalise le décor seul, sauf les ornements.

    Plutôt qu'à fresque, technique à laquelle il a un moment songé lors d'essais effectués dans la propriété de son cousin à Valmont pendant l'été 1834, Eugène Delacroix préfère exécuter la peinture du plafond à l’huile, sur toiles et maroufler celles-ci. Les frises sont directement exécutées sur le mur à l’huile et à la cire et les pilastres en grisaille sur le mur.
     

    Côté salle des Séances

    Côté cour d'honneur
    © Assemblée nationale
    Le plafond, les frises et les pilastres sont cliquables
     

    Le décor du salon du Roi comprend finalement le plafond, composé de huit caissons, quatre frises au-dessus d’archivoltes surmontant portes et fenêtres ainsi que huit pilastres.
    Ainsi que l'écrit Delacroix dans son mémoire : « Quatre caissons principaux, allongés et étroits, occupent le plafond. Le peintre y a représenté quatre figures allégoriques, qui dominent la composition et symbolisent, dans son esprit, les forces vives de l'État, à savoir la Justice, l'Agriculture, l’Industrie et la Guerre.
     

    La Justice, au-dessus de la niche occupée par le trône. Elle est l'attribut de la puissance suprême et le lien principal de la société humaine. Dans le tableau, elle étend son sceptre sur des femmes, des vieillards, etc. « Au-dessus des archivoltes qui occupent cette face du Salon et dans cet espace ménagé dont il a été parlé plus haut, le peintre a représenté, dans une sorte de frise continue, des sujets qui se rapportent à la Justice dans les figures de moindre dimension, colorées également. D'un côté, la Vérité, la Prudence, etc. assistent un vieillard occupé à écrire les lois ; la Méditation s'applique sur les textes ; les peuples se reposent sous l'égide des lois protectrices. De l'autre côté, trois vieillards siègent sur un tribunal.


    Détail de la frise de la Justice
    © Assemblée nationale - photo Laurent Lecat

    La Force debout, représentée sous les traits d'une jeune femme presque nue, appuyée sur la massue et ayant à ses pieds un lion frémissant, est l'appui naturel de leurs décisions et, plus loin, un génie vengeur, qui semble exécuter leurs ordres va saisir dans leurs repaires les larrons et les sacrilèges, occupés à cacher ou à dérober des vases, des trésors, etc. Toute cette partie de la composition est la première qui s'offre aux yeux quand on entre par la porte principale et se trouve placée au-dessus du trône, comme nous l'avons dit.
     

    L'Agriculture. Cette figure occupe le grand caisson à droite. Elle allaite des enfants, qui se pressent sur son sein bruni. Un laboureur est occupé à ensemencer, etc.


    Détail de la frise de l'Agriculture
    © Assemblée nationale - photo Laurent Lecat

    « Dans la frise correspondante, d'un côté, les vendangeurs, les faunes, les suivants de Bacchus célèbrent cette fête de l'automne. De l'autre les moissons : un robuste paysan porte à ses lèvres un vase, que lui présentent des femmes, des enfants. Une moissonneuse endormie est étendue sur des gerbes : plus loin, retiré à l’ombre, un jeune homme, couronné de lierre, s'exerce sur la flûte.
     

    L'Industrie. Sur la face correspondante, se déroulent les accents variés qui se rapportent à l'Industrie et au Commerce. La figure principale, occupant le plafond, est caractérisée par des accessoires, tels que ballots de marchandises, ancres, etc. Un génie, appuyé sur un trident, figure l'importance de la Marine. Un autre génie ailé, armé d'un caducée, symbolise la rapidité des transactions.


    Détail de la frise de l'Industrie
    © Assemblée nationale - photo Laurent Lecat

    « Au-dessus des archivoltes, on voit, à gauche, des nègres chargés de marchandises, échangeant contre nos denrées l'ivoire, la poudre d'or, les dattes, etc. Des nymphes de l'océan, des dieux marins, chargés des perles et des coraux de la mer, président à l'embarquement des navigateurs, figurés par des enfants qui couronnent de fleurs la proue d'un navire. A droite, des métiers à tisser la soie, des fileuses, des femmes apportant les cocons dans les corbeilles et d'autres personnages occupés à les recueillir sur les branches mêmes du mûrier.
     

    La Guerre. L'Agriculture et le Commerce fournissent les éléments de la vie dans les matières produites ou échangées ; la Justice conserve la sécurité des relations entre les particuliers d'un État. La guerre est le moyen de protection contre les attaques du dehors. Dans le dernier caisson, la figure de la Guerre est représentée par une femme couchée, coiffée d'un casque, la poitrine couverte par l'égide et tenant des drapeaux. Des femmes éplorées s'enfuient et se retournent une dernière fois pour contempler les traits du père ou du mari qui est tombé pour défendre le pays.


    Détail de la frise de la Guerre
    © Assemblée nationale - photo Laurent Lecat

    « Les sujets correspondants occupant la face inférieure de la muraille sont d'une part, les malheurs de la guerre : les femmes emmenées en esclavage, lançant au ciel des regards de désespoir, puisqu'elles ne peuvent élever, pour le prendre à témoin, leurs faibles bras chargés de liens. « Nam teneres arcebant », etc. Des guerriers rattachent leurs armes et s'élancent au son de la trompette. De l'autre part, on a représenté la fabrication des armes, les arsenaux remplis d'épées, de boucliers, de catapultes. Des forgerons gonflent les soufflets et font rougir le fer ; d'autres aiguisent les épées ou martèlent sur l'enclume les casques et les cuirasses. Des légendes latines, la plupart tirées des poètes, se lisent au-dessus de la plupart des sujets qu'on vient de voir : « Invisa matribus arma » ; pour le second : « gladios incude parante ».

    [En effet, la corniche, entre la frise et le plafond, comprend au centre des cartouches et, de chaque côté, des banderoles avec des textes antiques ; ainsi s'agissant de la Justice, Leges incidere ligno (graver les lois sur le bois), Culpam pœna premit comes (le châtiment suit de près le crime) ; certains textes sont empruntés à Horace, Virgile et Ovide en ce qui concerne l'Agriculture : Plenis spumat vindemia labris (la vendange écume à pleines cuves), Pacis alumna Ceres (Cérès est la fille de la paix) ; d'autres sont en fait inventés par Delacroix et ses amis en ce qui concerne l'Industrie : Indi dona maris (les dons de l'océan Indien) et Fuso stamina torta levi (les fils tissés par le fuseau d'argile),ainsi que la guerre : Invisa matribus arma (les armes odieuses aux mères) et Gladios incude parante (préparant les glaives sur l'enclume).]
     

    « Nous n'avons pas parlé, dans la disposition du plafond - poursuit Delacroix - des quatre caissons plus petits, placés aux quatre angles de la pièce, entre les caissons allongés occupés par les grandes figures de la Justice, etc. Ces places sont remplies par des figures d'enfants portant des emblèmes, tels que le hibou de Minerve pour la Sagesse, la massue d'Hercule pour la Force, le ciseau et le marteau du statuaire pour les Arts, etc. Ces figures d'enfants, par leur petite stature, servent d'opposition aux grands sujets et concourent à l'ensemble du plafond.
     

    « On a représenté dans les trumeaux allongés qui forment la séparation des fenêtres ou portes, les principaux fleuves de la France peints en grisaille. Il faut y ajouter l'Océan et la Méditerranée, qui sont les cadres naturels de notre pays et qui sont figurés aux deux côtés du trône, au fond de la pièce. Ces figures, étant d'une proportion beaucoup au-dessus de la naturelle, sont atténuées de ton de manière à ne pas trop attirer l'attention.»
     


    Détail de la frise de la Justice
    © Assemblée nationale - photo Laurent Lecat
     

    Le chantier est terminé lors de l’ouverture de la session parlementaire le 18 décembre 1837. La critique est élogieuse. Théophile Gautier affirmait dès le 26 avril 1836 dans la presse : « [...] M. Eugène Delacroix, que l'on trouve toujours le premier dans toute voie de progrès, est donc le seul qui ait fait récemment de la vraie peinture de décoration, entendue dans le sens de l'architecture et rigoureusement appropriée à la localité qu'elle occupe. [...] Comme arrangement ingénieux, comme symétrie heureuse les peintures de la salle du trône sont de vrais chefs-d'œuvre ; n'était le maussade goût de l'architecture qui contrarie l'illusion on pourrait se croire, en voyant ces peintures souriantes et lumineuses, dans une salle de la Renaissance décorée par quelque artiste appelé de Florence, le Primatice ou maître Rosso, tant le style est élégant et souple, tant ces belles femmes allégoriques, nues ou caressées par des draperies légères, ont cet air royal et accoutumé aux magnificences qui manque aux figures ébaubies, barbouillées par les artistes modernes pour les palais des souverains ou les édifices publics. »

  •  

    II ne fait aucun doute que Delacroix, aussitôt après avoir été chargé de la décoration du salon du Roi, dit aussi Salle du Trône, ait décidé de se mettre immédiatement au travail : la multiplicité des dessins actuellement recensés se rapportant à cet ensemble – et dont le musée du Louvre conserve une grande partie – nous fournit en effet la preuve indiscutable de l'ardeur avec laquelle l'artiste résolut de satisfaire ses commanditaires.

    II travailla seul, passionnément, à la recherche de la formule ingénieuse qui puisse s'adapter à la disposition contraignante de la salle, au demeurant mal éclairée par trois ouvertures donnant sur la galerie servant de passage et une percée circulaire au plafond : « Le salon du Roi ou Salle du Trône était mal disposé pour la peinture. C'est une grande pièce carrée percée de tous côtés de portes et de fenêtres réelles ou simulées, qui ne laissent entre elles que d'étroits trumeaux. Au-dessus des archivoltes régnait une large frise, qui n'offrait encore, de ce côté, aucune place à remplir. On a pu supprimer cette frise, de manière à la réunir à la corniche en l'amoindrissant. II en est résulté, entre les archivoltes et au-dessus, un espace suffisant pour y placer des sujets importants, qui se lient entre eux et occupent sans interruption tout le tour de la salle.

    Le jour arrive par trois fenêtres donnant sur une galerie, ouverte elle-même sur la cour d'honneur: c'est donc un jour atténué par interposition de cette galerie, qui sert de passage. Au centre du plafond est une ouverture circulaire, qui laisse aussi entrer quelque lumière; mais, cette lumière ne peut guère arriver que sur les côtés, le plafond étant plat et paraissant d'autant plus sombre à cause de cette lanterne éclairée qui attire l'œil au préjudice des peintures dont elle est entourée » (mémoire de Delacroix publié dans le journal L'Art, 16 juin 1878).

    Cette disposition ingrate, qui incita Delacroix à demander une indemnité supplémentaire – demande catégoriquement rejetée par le Ministre secrétaire d'État au département de l'Intérieur sur avis du chef de la 3e division – fut du reste maintes fois soulignée par les commentateurs qui s'exprimèrent dans la presse une fois l'ouvrage terminé.

    Par leur nombre, comme par leur diversité, les études préliminaires réalisées à cette occasion, à la plume ou à la mine de plomb, parfois rehaussées de lavis ou d'aquarelle, permettent donc de suivre chacune des étapes du programme décoratif arrêté avec précision, et nous renseignent sur les modifications apportées aux sujets envisagés et à leur mise en place. Elles sont présentées ci-dessous en tenant compte de leur destination, les recherches pour les caissons et les frises et celles concernant les pilastres. Qu'il s'agisse des quatre caissons ou des frises correspondantes, du plafond ou encore des entre-fenêtres, force est de constater qu'aucun détail n'a été laissé au hasard. Pas une fois, en effet, Delacroix n'a hésité à reprendre motifs, attitudes, groupements, etc. afin de parvenir au tracé le plus juste, le plus significatif aussi de l'ambitieux dessin conçu par son imagination féconde: illustrer les sources et les manifestations de la force de l'État. À cet égard, un exemple particulièrement révélateur du travail accompli est donné par les études se rapportant au caisson de la Guerre.


    Recherche pour le caisson de la Guerre
    Plume et encre brune, mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Leur style emporté, tourbillonnant, atteste les élans audacieux d'une imagination fiévreuse, chargée d'images violentes, ayant tendance à se bousculer (voir notamment ci-dessous).


    Étude pour le caisson de la Guerre
    Mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Et pourtant, dans la composition définitive, aucune de ces propositions ne fut retenue puisque l'artiste adopta pour chacun des caissons le principe d'une seule figure allégorique, de conception monumentale.


    Recherche pour le caisson de la Justice
    Mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Pour évaluer avec justesse la somme de travail ainsi fournie, il ne suffit pas d'admirer les dessins exposés, il faut aussi lire attentivement les notes manuscrites qui s'y mêlent parfois: elles témoignent du sérieux des recherches menées par Delacroix, dans tous les domaines, à chacune des étapes de sa réflexion.


    Recherche pour la frise de la Guerre
    Mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Tout à fait significative nous paraît être, sur ce point, la feuille d'études pour la frise de l'Agriculture et de la Guerre et pour les pilastres conservée au départements des Arts graphiques du Louvre, où se côtoient des recherches pour la frise de l'Agriculture et de la Guerre ainsi que pour les pilastres. L'abondance des annotations fait penser à une sorte d'aide-mémoire établi par l'artiste afin de pallier tous les pièges d'un cadre architectural peu propice à favoriser d'emblée un programme équilibré et harmonieux. On y trouve, sans ordre, des indications de modèles à consulter : peintures chinoises, oiseaux et perroquets d'après Schwiter.


    Étude pour la frise de la Justice
    Mine de plomb, plume et encre brune
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Recherche pour la frise de l'Agriculture
    Mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    De même, une feuille comportant plusieurs projets pour l'ornementation des pilastres séparant les baies et pour la composition de la frise de la Justice (ci-dessous, "Étude pour les pilastres") nous renseigne sur les sources auxquelles Delacroix envisageait sans doute de se référer au moment précis où il réfléchissait à la meilleure façon de décorer les pilastres.


    Étude pour les frises de l'Industrie et de l'Agriculture et pour un pilastre
    Mine de plomb, plume et encre brune
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Étude pour les pilastres
    Mine de plomb, plume et encre brune
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    S'il a finalement renoncé au modèle créé par Domenico del Barbieri pour le Monument du cœur du roi Henri II, du moins a-t-il été tenté un instant – le dessin le montre clairement – d'adopter une formule similaire. Quant à la petite note visible sur le dessin ci-dessous, à gauche, où sont étudiées diverses combinaisons pour les figures des fleuves, elle rappelle que Delacroix n'hésitait pas à recourir de temps à autre aux recueils antiques si souvent consultés dans sa jeunesse, en l'occurrence les ouvrages consacrés aux peintures d'Herculanum.


    Recherche pour les fleuves
    Mine de plomb
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Étude pour les fleuves
    Plume et encre brune, sur papier beige
    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale
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    Pareille interrogation des modèles du passé alliée à un prodigieux don d'invention devait permettre au génie de Delacroix de trouver son propre langage décoratif, à l'image de son esprit passionné de puissance et de vie, mais aussi d'équilibre et d'harmonie. La décoration du salon du Roi, commencée en 1833, terminée en 1838, plaça d'emblée le peintre dans la lignée des grands décorateurs français et italiens de la Renaissance mais également des temps modernes. Sa maîtrise devait se confirmer une dizaine d'années plus tard, lors de l'achèvement de la décoration de la Bibliothèque.

    Arlette Sérullaz (avec son aimable autorisation)

  • L'histoire des restaurations
    Les techniques d'exécution d'après les sources
    L'état des peintures avant l'intervention et le choix de restauration
    Les étapes et les matériaux de la restauration

    Le salon Delacroix ou ancien salon du Roi est une salle carrée d'environ 11 mètres de côté, qui se trouve à proximité de l'hémicycle de la salle des séances. Sa décoration peinte comprend : huit pilastres représentant les fleuves et les océans, six entre les portes fenêtres et deux de chaque côté de la niche où se trouvait le trône du roi Louis-Philippe; quatre pilastres d'angle décorés de motifs végétaux ; une grande frise allégorique continue au-dessus des archivoltes sur les quatre côtés des murs ; entre cette grande frise et le plafond, une petite frise de motifs végétaux ; un soubassement de faux marbre ; des caissons allégoriques au plafond, quatre rectangulaires et quatre carrés et autour de l'ouverture centrale du plafond, quatre écoinçons représentant des masques de théâtre d'hommes et de femmes.

    La décoration des huit pilastres, de la frise et du plafond a été réalisée par Delacroix seul.

    Pour la conception des légendes latines qui expliquent la plupart des sujets, l'artiste a été aidé par son ami Frédéric Villot (1809-1875).

    La décoration et les ornements des angles de la salle, de la petite frise, des bases et des pourtours des pilastres a été confiée à des décorateurs de profession parmi lesquels il faut retenir le nom de Pierre-Charles-Luc Cicéri.

    Dans le cadre du plan de rénovation du Palais Bourbon, Messieurs les Questeurs ont confié au Service de restauration des Musées de France la restauration des peintures d'Eugène Delacroix. C'est K. Krzyzynski qui a été chargé de diriger l'ensemble de ces travaux, qui ont été décidés en raison de l'état du décor. L'ensemble des peintures murales et des toiles du plafond présentait en effet un état d'assombrissement général et de fragilité structurale.

    Le but du traitement était de deux natures : assurer, d'une part, la conservation et la sauvegarde en fixant les nombreuses zones de soulèvements de la partie murale et, d'autre part, retrouver autant que possible l'aspect initial de cette peinture en la décrassant et la purifiant des déformations esthétiques causées par les restaurations successives (nettoyages, mastics repeints et retouches mal vieillies).

    Les travaux se sont déroulés durant les intersessions parlementaires : janvier à mars 1991 : refixage ; juillet à septembre 1991 : nettoyage des pilastres et des écoinçons du plafond ; janvier à mars 1992 : nettoyage de la frise ; juillet à septembre 1992 : réintégration (masticage, retouches).

    Les peintures du plafond, marouflées, ont été déposées et restaurées dans les ateliers de restauration des Musées de France à Versailles. Durant cette période, elles ont été remplacées par des photographies grandeur nature fixées dans les emplacements laissés vacants.

    I - L'histoire des restaurations

    Le salon du Roi est un lieu livré à de nombreux passages et aux courants d'air. Ces conditions de conservation ont été aggravées dès l'origine par l'éclairage au gaz. En effet, au milieu du Salon se trouvait un lustre aux dimensions très importantes, qui était alors alimenté au gaz. De ce fait et compte tenu de la technique de la peinture de Delacroix contenant de la cire, les surfaces peintes se sont encrassées très rapidement et très régulièrement.

    Les interventions antérieures

    Le salon du Roi a fait l'objet de plusieurs restaurations attestées depuis la fin du siècle dernier. Les documents du Service de l'architecture de l'Assemblée nationale nous livrent des renseignements riches en littérature et éloges, mais difficilement exploitables en raison de leur imprécision quant à l'identité des restaurateurs et aux méthodes mises en œuvre. Les archives de la Questure de l'Assemblée nationale font néanmoins mention de plusieurs interventions.

    La première eut lieu en 1898, sous le contrôle d'Henry Havard inspecteur général des Beaux-Arts et de M. Frenet, membre de la Commission de restauration des peintures des Musées Nationaux. Nous ne connaissons pas le nom du restaurateur ni les méthodes qu'il a utilisées, nous savons seulement que Havard préconisait les retouches à l'aquarelle. On trouve aussi un mandat de 353,90 F pour l'artiste chargé du nettoyage et de la « visite » des peintures du Salon Delacroix.

    Dans son livre, Lee Johnson mentionne un article paru le 24 janvier 1900, qui déplore : « Par suite d'un nettoyage qui vient d'être appliqué à une des frises peintes par Eugène Delacroix dans la salle du Trône du Palais Bourbon cette frise aurait perdu la patine qu'elle avait acquise avec le temps. Cet accident serait d'autant plus regrettable que Delacroix pour rehausser ses colorations avait employé ici au lieu des glacis habituels à l'huile, des glacis d'une préparation spéciale qui ressemblent à de l'aquarelle et qu'il sera impossible de refaire ». Le Bulletin de l'Art ancien et moderne du 27 janvier 1900 publie un rapport similaire : « il y a quelques temps, on jugea bon de faire nettoyer la frise de Delacroix qui décore la salle du trône du Palais Bourbon. Mais le lavage fut poussé à tel point qu'il fit disparaître les glacis spéciaux et ressemblant à de l'aquarelle que Delacroix avait employés pour nourrir et rehausser la couleur de son œuvre ». Il semblerait que ces deux articles parlent de la même intervention, probablement celle de 1898.

    Lors de la guerre de 1914, les huit panneaux du plafond sont déposés afin de les protéger des « incursions d'aéronefs » ; avant leur réinstallation, ils sont nettoyés en avril 1919 par un spécialiste, M. Hadiot, désigné par l'administration des Beaux-Arts. En septembre 1929, un Inspecteur général constate « l'état d'obscurcissement progressif qui avait rendu presque invisibles les décorations du salon du Roi ». Le travail de nettoyage fut confié avec l'assentiment des Questeurs à René Piot, élève de Pierre Andrieu (mort en 1892), lui-même élève d'Eugène Delacroix. René Piot a pu voir Pierre Andrieu à l'œuvre en diverses circonstances et même l'interroger sur certaines opérations de restauration que celui-ci avait effectué à la Bibliothèque de la Chambre des députés.

    Piot, d'autre part éditeur du Journal de Delacroix, fut assisté dans sa fonction par M. Leguay, artiste peintre et « restaurateur des plus expérimentés » et par une équipe « d'ouvriers dociles», selon les termes employés par A. Alexandre dans son rapport. Son travail consista à enlever la couche de poussière et de fumée en procédant à un lavage à l'eau et au savon neutre, mais, comme le consigne Alexandre : « avec science, pour éviter des dégâts irréparables ».

    Piot ayant certainement vu le résultat des restaurations d'Andrieu à la Bibliothèque n'a pas voulu commettre les mêmes erreurs. Pierre Andrieu, « dans la louable intention d'assurer à la peinture – et à son propre travail – la plus grande durée possible, passa sur toute la composition une légère couche de cire. Il devait, en cela, préparer de nouvelles difficultés aux restaurateurs de l'avenir. En effet la cire subit quelques influences des variations de températures et lorsqu'elle devient un tant soit peu molle, elle reçoit et emprisonne les poussières en suspension dans l'atmosphère, provenant des moyens de chauffage, de nettoyage, ou d'autres causes inhérentes à la vie et au mouvement d'un grand édifice public, tel que les travaux, l'aération (...) Quoi qu'il en soit, peu d'années après cette première restauration, l'ensemble de la décoration avait tellement noirci qu'il semblait inévitable qu'un des grands chefs d'œuvre de l'art français et de l'art universel dut être condamné à de définitives ténèbres. On avait d'autant plus de craintes à cet égard que certaines peintures de Delacroix avaient souffert de la curiosité insatiable qu'il ressentait à l'égard des expériences les plus diverses et des matières ou procédés soi-disant nouveaux que proposait le commerce des couleurs. »

    Piot ne voulut pas non plus utiliser de la mie de pain pour le nettoyage comme cela avait été pratiqué par Andrieu ce qui s'était « avéré être une source supplémentaire d'encrassement ».

    Les fissures et les lacunes une fois découvertes furent mastiquées et recouvertes par des retouches, non pas à l'eau, mais à l'huile et à la cire selon le procédé employé par Delacroix.

    Durant la seconde guerre mondiale, le Palais fut occupé par les Allemands, « ce qui apparemment causa de grands mouvements aux abords du salon du Roi » ; on entrait en effet par la porte de bronze du vestibule Casimir Perier. Les peintures s'empoussiérèrent rapidement. À nouveau, le nettoyage devenu indispensable fut exécuté par les soins de l'atelier Chauffrey et Muller en novembre 1947. Aucun rapport de restauration ne précise la nature de l'intervention, mais celui assez précis sur la restauration de la Bibliothèque en 1951 par le même atelier nous donne quelques indications qui peuvent être valables pour le salon du Roi : « la peinture a été nettoyée mais la lumière jouant sur le vernis non encore maté produit des reflets gênants. » Il semble qu'à cette époque les peintures aient été vernies et matées avec un vernis à base de gomme laque.

    L'amalgame fait dans les rapports entre la restauration du salon du Roi et celle de la Bibliothèque peut nous induire à penser qu'une première restauration du salon du Roi fut confiée à Pierre Andrieu pendant la période où il effectua d'importantes restaurations à la Bibliothèque en 1869, en 1871, après le bombardement de l'Assemblée et en 1874. Est-ce à celle-ci qu'il faut imputer les modifications les plus significatives comme le changement de position de la tête d'Oceanus et les reprises sur les figures des pilastres que la critique jugea souvent trop pâles, effet qui fut accentué après le changement de la décoration intérieure ? Aurait-on alors voulu par des rehauts colorés raffermir la présence de ces figures ? Des raisons politiques auraient-elles présidées au changement de position de la tête d'Oceanus ?

    Le changement de mobilier et de décoration intérieure du salon

    Dans le texte écrit par le peintre lui-même entre le 24 février et le 4 mai 1848 et publié en 1878, Delacroix critique la nouvelle décoration du salon qui a brisé l'équilibre des tons qu'il avait voulu. Les rideaux de velours rouge accrochés aux fenêtres réduisaient de moitié la lumière alors qu'« il avait été convenu qu'on n'emploierait pour les rideaux des fenêtres, que de simple mousseline ». De même, il était convenu écrit-il, que « les couleurs éclatantes devaient être réservées pour les meubles destinés à occuper le tour de la salle. Il en serait résulté que les figures des fleuves auraient été une sorte d'intermédiaire ou de repos entre les objets susceptibles de frapper vivement les yeux (...). Pour achever l'ensemble, l'immense tapis qui couvre le parquet fut composé de couleurs les plus criardes et les plus désastreuses qui se puissent imaginer ».

    L'aigreur du peintre est si grande qu'il va jusqu'à écrire un peu plus loin : « Après s'être vu écrasé par d'affreux ornements sous lesquels avaient péri tout effet et toute lumière, il ne (...) restait plus (au salon du Roi) qu'à être dépouillé même des peintures qui couvrent ses murailles: disons mieux, à disparaître entièrement lui-même. »

    II est fort possible que les restaurateurs qui sont intervenus par la suite dans le salon aient cherché à s'accorder aux tons de cette nouvelle décoration en renforçant les couleurs et les ombres, en particulier des parties du premier registre, celui des pilastres à figures.

    L'emplacement des peintures des Amours

    L'emplacement des peintures des Amours dans les caissons du plafond semble être soumis à une certaine logique. On constate qu'en suivant le sens des aiguilles d'une montre, chaque amour portant des attributs symboliques précède l'allégorie correspondante ; ainsi en commençant par le côté du Salon adjacent à l'hémicycle : l’Amour avec une corbeille de fleurs et une canne précède l’Agriculture, l’Amour portant la chouette de Minerve précède la Justice ; l’Amour avec le ciseau, le compas et le marteau devrait précéder l'Industrie et l’Amour portant la massue d'Hercule, l'allégorie de la Guerre : or, ces deux derniers ne sont pas à leur place.

    Des dessins au trait de l'ensemble de la décoration des murs et du plafond ont été publiés en 1880 dans un article puis dans un livre par Alfred Robaut. Le dessin du plafond représente l'emplacement actuel des peintures des Amours. On pourrait dès lors penser qu'une importante intervention de restauration durant laquelle furent démontées les toiles du plafond, eut lieu avant 1880.

    II - Les techniques d'exécution d'après les sources

    La technique de Delacroix

    Pour la frise et les pilastres, Delacroix a travaillé, il le dit lui-même, directement sur le mur, non à la fresque, mais en mêlant à la peinture à l'huile de la cire vierge pour obtenir une matité plus proche de la détrempe. Avant d'entreprendre la décoration du salon du Roi, Delacroix avait fait des essais de fresque à Valmont, chez son cousin, en réalisant trois dessus de porte. Il s'était trouvé peu de goût pour cette technique mais il avait néanmoins pris conscience des impératifs de la fresque : une palette réduite, des reprises impossibles après et l'obligation d'utiliser des couleurs d'un ton supérieur à cause de leur transformation au cours du séchage.

    Le 18 octobre 1834, dans une lettre écrite à Frédéric Villot à son retour de Valmont, il fait allusion à cet emploi de la cire ou encaustique : « la fresque, l'encaustique seront rudement mises sur tapis et auront à répondre de leurs inconvénients comme de leurs avantages ».

    Ses élèves Andrieu et Lassalles-Bordes donneront plus tard à ce sujet de précieuses indications. Lassalles-Bordes décrit ainsi ce procédé que Delacroix avait repris à Reynolds, et qui consistait à mêler à la couleur à l'huile une sorte de pâte composée de cire délayée dans l'essence de térébenthine : « on achète la cire en pastille, il est essentiel qu'elle soit pure de tout corps gras. On racle la pastille. Cette râpure mise dans un pot, on la recouvre de térébenthine rectifiée et, douze heures après, on a obtenu une pommade que l'on mêle aux couleurs, au fur et à mesure que l'on travaille. Il faut en mettre peu à la fois sur le coin de sa palette, parce qu'elle sèche promptement. »

    Dans la « Galerie Bruyas », Andrieu écrit à propos du salon du Roi : « Delacroix mêla la cire vierge à ses couleurs à l'huile pour obtenir ainsi ce ton généralement mat approximant l'effet de la détrempe... »

    Delacroix notera plus tard dans son Journal en 1847, alors qu'il est en train d'exécuter les décorations de la Bibliothèque de la Chambre des députés : « La cire m'a beaucoup servi dans cette figure (l'Italie), pour faire sécher promptement et revenir à chaque instant sur la forme. Le vernis copal ou le... (?) peut remplir cet objet. »

    Sur sa palette chargée de couleurs à l'huile, le peintre réservait un espace ou était déposé un médium composé de cire vierge et d'essence de térébenthine ayant la consistance de la crème. Chaque fois qu'il prenait une couche de couleur à l'huile, il ajoutait du bout du pinceau une petite pointe de ce médium. La recherche d'une matité constante lui demandait un dosage de la cire particulier pour chaque couleur. Ainsi « la peinture à l'huile légèrement matée par la cire » donnait au travail de Delacroix, non seulement cet aspect équivalent de la fresque qu'il avait cherché, mais encore une solidité telle «qu'un lavage minutieux, suivi, raisonné, surveillé pouce par pouce, lui restituait intégrale, non seulement toute sa vigueur et faisait renaître jusqu'à ses demi-teintes et ses nuances les plus délicates. »

    En ce qui concerne le vernis copal, c'est pendant son voyage en Angleterre en 1827 que Delacroix prit connaissance de l'usage de ce vernis transparent, qui donne à l'huile la fluidité de l'aquarelle. Il l'utilisera par exemple dans le gilet vert de son Autoportrait peint vers 1830 puis légué au Louvre. Mais aucune analyse ne nous permet d'affirmer qu'il l'a utilisé dans les peintures du salon.

    Pour ce qui regarde les couleurs utilisées par Delacroix, nous trouverons leur liste tirée de son Journal :

    « Vert émeraude et cobalt à côté l'un de l'autre.
    Laque auprès, et orangé foncé de l'autre côté.
    Jaune mars et vermillon à côté du jaune antimoine
    et vermillon, ensuite le rouge laque et blanc.
    Laque et terre Sienne brûlée, à côté de rouge blanc et laque.
    A côté blanc, noir de pêche.
    - Antimoine et noir, autre vert. Superbe ombre de chair clair.
    Le Blanc et Vert cobalt, fade seul ; charmant avec un peu de
    jaune de chrome.
    Vermillon laque et blanc à côté de Laque blanc, foncés tous les deux.
    Jaune de Naples et noir de pêche (pas bien mêlés), à côté de
    vermillon et jaune de chrome ou d'un orangé vif quelconque.
    Jaune indien et vermillon clair, bel orangé.
    Noir de pêche - ocre de Ruth
    Jaune indien et blanc au lieu de jaune de Naples.
    Jaune indien, blanc et vert émeraude.
    Jaune indien et jaune Mars, remplace l'ocre jaune.
    Laque et vermillon à côté de cobalt.
    Vert chaud - antimoine et vert cobalt.
    Vert froid - jaune Naples, un peu de blanc, vert cobalt.
    Brun, noir et blanc,
    Id. et vert.
    Rouge Venise, à côté de rouge et laque et blanc, paraît orangé.
    Terrain dans l'ombre : blanc, noir pêche et ocre de Ruth.
    A côté de blanc et noir de pêche, jaune de Naples et noir de
    pêche ou antimoine et noir de pêche.
    Ton pour l'or : demi-teinte noir de pêche et jaune de Naples,
    ocre jaune. »

    Cicéri et les peintures ornementales

    Nous savons que pour les ornements qui accompagnent les figures, Delacroix a fait appel à son ami Cicéri, peintre, aquarelliste et décorateur de théâtre. Celui-ci est l'auteur d'un procédé breveté qui remplaçait la peinture à l'huile, et consistait à faire pénétrer les couleurs dans la pierre ou le plâtre pour permettre de créer des faux marbres d'une extrême beauté et d'une grande solidité. « Comme la couleur pénètre la pierre, la peinture ne la recouvre pas, comme par les procédés habituels d'une écaille que le temps altère et détruit promptement. Au contraire, quand sa peinture est une fois incrustée dans la pierre, M. Cicéri polit la surface et lui donne la transparence du marbre ».

    Bien que ce procédé ait été inventé durant la période où Delacroix décorait le salon du Roi, Cicéri ne l'a pas utilisé dans la peinture des piédestaux en faux marbre des grisailles. On sait aussi que Delacroix demandait quelquefois des conseils à Cicéri et qu'il utilisait les procédés des décorateurs aussi bien dans ses toiles que dans les peintures murales.

    La préparation du plafond et des murs : les dorures

    Un devis pour la préparation des peintures et pour la dorure de la Bibliothèque existe aux Archives de l'Assemblée nationale.

    On peut supposer que de telles préparations et dorures étaient communes pour l'ensemble des salles devant recevoir des peintures historiques ou décoratives. Pour la Bibliothèque, il s'agissait de : « La peinture des corniches et pilastres en blanc de céruse à l'huile 5 couches, rebouché d’enduit avec soin et poncé à l'eau » et de « Dorure en or mat à l'huile sur couche de mixtion blanc d'assiette et toutes préparations nécessaires, corniches, denticules, enroulements... »

    Les parties architecturales du plafond du salon du Roi furent quant à elles préparées selon le procédé de Darcet contre l'humidité, qui venait de faire ses preuves à l'église Notre Dame de Lorette pour la peinture à l'encaustique: « Darcet et Thénard préconisent un mélange de cire et de l'huile de lin cuite ». Ce procédé consiste à imbiber le mur sous l'action de la chaleur. Originairement, il s'agissait d'infiltrer dans la pierre un mélange de cire et d'huile. Liquéfié par la chaleur et solidifié par refroidissement, il permettait de consolider la pierre en bouchant ses pores. C'est un procédé qui découle de ceux utilisés au Moyen Âge notamment dans les peintures de la Sainte-Chapelle. Ce mélange composé d'une part de cire pour deux parts d'huile cuite dans 1/10e de son poids en litharge est chauffé à environ 100°C et pénètre dans la pierre en profondeur.

    Cette formule décrite elle aussi par Bachelier a été utilisée en 1817 pour préparer la coupole du Panthéon destinée à recevoir les peintures de Gros.

    Dans sa lettre du 30 mai 1833 à M. Cave, Chef de la division des Belles Lettres, Sciences et Art au Ministère de l'Intérieur et du Commerce, Delacroix sollicite, pour le plafond du Salon, l'emploi du procédé de M. Darcet contre l'humidité, qui, absorbée antérieurement par les plâtres, est « réapparue après cinq couches successives de peinture. Les mêmes tâches ne tarderaient pas à se manifester sur la peinture définitive et la dorure. Ce sont les entreprises Courtin et Bérail qui se chargeront de ce travail.

    Un sondage effectué au niveau de la niche du trône in­dique bien la présence d'un enduit de plâtre qui existe également dans toute la partie basse. Néanmoins celui-ci est inexistant au registre des frises où l'on ne trouve qu'une simple préparation à base de céruse et de carbonate de calcium.

    Le dessin sous-jacent

    Le dessin sous-jacent est invisible sur photographie à l'œil nu et dans l'infra rouge. Pourtant, nous pouvons supposer l'existence d'un dessin préparatoire, peut-être au fusain, en se basant sur l'indication que nous transmet Delacroix dans sa lettre du 27 juillet 1833 adressée à son ami Guillemardet; «Je suis tout en train de mes grandes entreprises et non pas sans peine. Il m'a fallu bien intriguer pour obtenir seulement mon échafaud. Mais enfin, il est à ma convenance. Je charbonne sur les murs. »

    Le rapport de la commission de 1892 concernant les peintures décoratives de la Bibliothèque de la Chambre des députés stipule: «les peintures étaient bien dessinées ou reportées d'après les cartons. »

    Le caractère du dessin visible dans les peintures est très bien exprimé par A. Robaur quand il parle des fleuves peints en grisaille : « Par le caractère du dessin un peu contourné il semble qu'il ait voulu exprimer les sinuosités incessantes, les capricieuses irrégularités de leur parcours (...) On retrouve là ces belles hachures courtes et rompues ou bien ce martelage gras et souple, qui accuse l'effet pittoresque des os et des muscles, en laissant jouer constamment la préparation des dessous. On en garde la sensation d'un travail de sculpteur où l'outil aurait marqué son empreinte. »

    La manière que possède l'artiste de poser les différentes couches et glacis apparaît dans les notes de son Journal du février 1847: « J'ai observé dans l'omnibus, à mon retour l'effet de la demi-teinte dans les chevaux, comme les bais, noirs, enfin à peau luisante: il faut les masser, comme le reste avec un ton local, qui tient le milieu entre le luisant et le chaud coloré; sur cette préparation il suffit d'un glacis chai et transparent pour le changement de plan de la partie ombrée ou reflétée, et sur les sommités de ce même ton de demi teinte, les luisants se marquent avec des tons clairs et froids. »

    Ces « glacis spéciaux », d'après les articles du 24 janvier 1900, et du 27 janvier 1900 déjà cités, auraient disparu à jamais par suite d'un nettoyage abusif de la frise. L'auteur du premier article affirme : « Delacroix pour rehausser ses colorations avait employé ici des glacis habituels à l'huile, des glacis d'une préparation spéciale qui ressemblent à de l'aquarelle et qui sont impossibles à refaire. »

    Les glacis ressemblant à l'aquarelle peuvent n'être rien d'autre que des couches plus fines et fluides de la même technique de peinture mixte huile et cire que Delacroix employa dans ce salon dont son élève Andrieu disait : « qu'elle donnait l'effet de la détrempe. »

    On peut penser qu'à l'origine les peintures murales n'étaient pas vernies, le peintre recherchant à avoir cet effet mat identique à la fresque. Théophile Gautier, dans l'article du 26 août 1836, écrit au sujet de la frise du salon du Roi : « il a donné à sa couleur si vivace si chaude ce ton mat et clair de la fresque qui s'harmonise si bien avec l'opacité de la pierre et de la terre blanche du marbre neuf. »

    III - L'état des peintures avant l'intervention et le choix de restauration

    L'ensemble des peintures présente un état d'obscurcissement dû à l'encrassement, au vieillissement et à l'altération des res­taurations antérieures. Des fissures et des fentes affectent la frise, la niche du trône et les caissons dorés des toiles du plafond. Des coulures d'eau ont provoqué des blanchiments ou chancis sur les toiles du plafond et sur les peintures de la frise. De nombreux soulèvements sont constatés principalement sur les pilastres à figures et les pilastres d'angles. L'ensemble des compositions témoigne enfin d'usures nombreuses de la matière causées par les anciens nettoyages.

    Les pilastres d'angle à motifs décoratifs

    Ils avaient été couverts précédemment d'une couche de vernis à l'alcool sur de la crasse. Les compositions de fruits semblent très reprises. Sur une très belle matière sous-jacente les repeints dépassent souvent largement l'original en créant de nouvelles formes. Les ombres des fruits et les zones de lumières sont accentuées.

    Les pilastres à figures

    Ce sont ceux qui ont particulièrement souffert d'interventions postérieures et peut-être étrangères à l'aspect original désiré par Delacroix.

    Les pilastres sont recouverts d'un épais voile de crasse, et d'un vernis jauni et d'anciens jutages. Le ton des figures qui, à l'origine, était clair, est devenu jaune ou presque vert. Les interventions précédentes de nettoyage sont également responsables des irrégularités du vernis, des usures de la couche picturale et la présence de multiples repeints altérés.

    Les nombreux soulèvements proviennent non seulement de l'insuffisance des couches d'impressions de l'enduit mais aussi des tensions entre le vernis et les différentes strates de la couche picturale : original et repeints débordants. On constate aussi une multitude de petites dégradations (coups, griffures, etc.).

    Un examen visuel plus approfondi a fait apparaître que certaines compositions des trumeaux sont plus endommagées et plus reprises que les autres : la matière y est alors différente, plus brune et mate. Le liant de ce brun semble être de la cire. On est ici en présence d'une ancienne restauration, peut-être celle d'Andrieu. Piot, en parlant des peintures restaurées par Andrieu, dit qu'elles donnaient l'impression d'être « couvertes d'une carapace de cire. » Certaines parties des figures des pilastres donnent effectivement cette impression qui a été confirmée par l'examen sous fluorescence ultraviolette.

    Araris semble la composition la plus saine et la moins retouchée. Des restaurations néanmoins sur les griffures des pieds sont visibles en raison de leur teinte trop sombre. Il s'agit vraisemblablement de retouches anciennes. Mais l'examen sous ultraviolet indique aussi la présence de jutages: sur la chevelure près du front et dans les ombres de la barbe, le contour de la cuisse et le genou gauche, les feuillages ceignant la taille, et la zone dorsale du poisson.

    Plusieurs zones semblent repeintes sur Garumna, sur la main et la coquille, et sur la lèvre supérieure, sur la jonction du bras et de l'épaule et dans l'ombre du bras.

    Rhodanus paraît lui aussi comporter des retouches.

    Sequana présente peu d'accidents: quelques lacunes ponctuelles sur la poitrine, le bras, le ventre et les cuisses.

    Mais l'aspect général de cette figure semble particulièrement lourd ; elle donne l'impression d'être abondamment reprise, ce qui a été confirmé par l'examen sous fluorescence ultraviolette : celui-ci a mis en évidence des repeints colorés sur les chairs du visage, du buste et des bras. Le ruban qui enserre le bras gauche ne paraît pas original ainsi que le ruban passant sur le rebord de la niche dont l'extrémité semble être rajoutée par un restaurateur. Le contour de la hanche gauche est alourdi par un surpeint. Initialement, la taille, le bassin et la cuisse étaient plus galbés. Les rehauts ajoutés assombrissent les algues, leurs ombres et le bas des jambes.

    Rhenus est en état de soulèvement particulièrement grave et la draperie semble repeinte, des petites retouches sont particulièrement nombreuses.

    Ligeris a été visiblement endommagé et très restauré. Le bouquet dans la corne d'abondance dans la partie haute, ainsi que la partie basse, les feuillages et le manteau jaune donnent l'impression de repeints, impression confirmée par l'examen sous fluorescence ultraviolette, notamment sur le visage et le dos, les ombres du corps, les feuillages à gauche et ceux de la corne d'abondance ainsi que le manteau.

    Mediterraneum Mare présente, elle aussi, des zones plus ou moins repeintes dans le bleu du rocher qui couvre les craquelures d'une peinture plus ancienne au niveau des pieds.

    Pour l'ensemble de ces pilastres, la surface de la couche picturale a été décrassée, les vernis anciens enlevés, seules les retouches les plus récentes éliminées. Les rehauts colorés bleus et jaunes, dans la mesure où il est impossible de faire la part de l'original et des reprises, ont été conservés comme on le verra plus loin.

    Oceanus, repentir ou repeint

    On a constaté sur Oceanus un encrassement général comme pour les autres pilastres. Toutefois, le jutage destiné à renforcer les contrastes entre les parties claires et les ombres paraît plus important.

    Une couche brune, davantage présente que sur les autres pilastres, recouvre la figure.

    Les essais de nettoyage dans les parties basses, sur les pieds et dans les poissons ont montré la présence d'un jutage qui couvrait de très nombreuses usures.

    Sur la tête d'Oceanus, des chutes ponctuelles de peinture ont mis à jour une matière sous-jacente. Compte tenu des usures de la partie basse, des jutages et de l'aspect couvrant de cette peinture, on a pensé être en présence d'une composition entièrement repeinte, ce qui a été confirmé par plusieurs son­dages faits dans la couche picturale.

    L'ouverture pratiquée au niveau de la chevelure a fait apparaître des yeux. La matière sous-jacente est très belle, pleine de nervosité. Mais cette deuxième tête est de face : Oceanus semble regarder dans la direction de la porte par laquelle entrait le roi Louis-Philippe.

    Un autre essai d'ouverture au niveau des moustaches a montré une zone d'ombre et une matière sous-jacente très proche de celle des autres figures mais sans aucune nuance : Il est donc difficile de porter sur elle un quelconque jugement.

    Pourquoi ce changement de composition ? La deuxième version que nous connaissons est-elle de Delacroix ? Est-elle un changement apporté par un restaurateur ?

    On s'est interrogé sur ce changement de direction du regard : était-il politique, et lié au changement de régime après 1848 ? Oceanus, regardant dans la direction de la porte par laquelle entrait le Roi, serait-il devenu gênant ? Aurait-on préféré le voir diriger son regard dans la direction de la Salle des Séances ? Toutes ces questions ne sont que des suppositions: on sait que Delacroix reprenait souvent ses compositions et qu'il est revenu sur ces peintures tout au long de l'année 1837.

    En mars 1837, en effet, Delacroix travaille toujours au salon du Roi. Il y réalise des modifications importantes dont fait état le rapport au Ministre rédigé par le secrétaire d'état au Département de l'Intérieur en janvier 1837: « Au reste, c'est à vous qu'il appartient Monsieur le Ministre, de prononcer sur la réclamation de Monsieur Delacroix dont l'œuvre actuellement livrée aux regards du public est si diversement jugée et que l'auteur lui-même reconnaît avoir besoin de subir des modifications importantes ».

    La matière de cette nouvelle tête semble avoir séché long­temps avant d'avoir été recouverte: aucune liaison forte en effet ne s'effectue entre les deux matières, ce qui confirme ce que le peintre écrivait : Si en travaillant à un tableau, l'idée me vient d'en retoucher un autre, je le fais aussitôt. Il ne faut pas remettre une envie. Mais ne retouchons que les parties d'une peinture qui sont déjà bien séchées, afin de pouvoir effacer à l'instant les retouches manquées. II faut aussi ne retoucher dans le même moment que des parties de même nature, par exemple deux jambes, deux bras etc., pour que tout soit bien accordé dans le tableau, et afin que nos facultés ne s'énervent pas en se portant à la fois sur des objets différents. »

    Certains observateurs trouvent cette figure assez maladroite, reproche qui a été fait à d'autres figures peintes par Delacroix et dont l'attribution ne fait pas de doute. Ainsi Théophile Thoré, dans Le Siècle du samedi 25 février 1837, écrivait-il : « Une seule critique assez fondée a été adressée à l'auteur de Saint Sébastien. On a signalé la disproportion des jambes et de la tête. Les jambes paraissent en effet quelque peu gonflées et la tête trop petite. Mais il faut tenir compte aussi du clair obscur qui enveloppe le haut du corps et des effets de la perspective qui exagère les reliefs du premier plan. » Peut-être nous trouvons-nous dans le cas d'Oceanus en présence d'un Delacroix des mauvais jours ? Gustave Planche, dans un article consacré au salon du Roi publié dans la Revue des Deux Mondes le 15 juin 1837 reproche lui aussi aux figures en grisaille une certaine mollesse.

    Pour étudier ce problème, une série de prélèvements a été effectuée par le Laboratoire de Recherche des musées de France.

    D'autre part, une recherche d'archives a été entreprise pour documenter la nature de toutes les restaurations successives. Il existe, rappelons-le, une possibilité qu'Andrieu soit intervenu dans le Salon, en 1869 et en 1874, au moment où il restaurait la Bibliothèque de l’Assemblée. Pierre Andrieu s'était assimilé si complètement la manière de son maître que Théophile Gautier écrivait à son propos : « Les dessous de ses chefs-d’œuvre n'ont pas de secret pour lui. Ses personnages se meuvent naturellement ... comme ceux de Delacroix; ils ont les mêmes types, les mêmes allures, le même goût d'ajustement. Si ce ne sont pas des frères, ce sont au moins des cousins germains, et après quelques heures de retouches, le maître volontiers les signerait ».C'était à la fois faire l'éloge et la critique du talent d'Andrieu. La vénération de l'élève pour le maître revêtait le caractère d'une véritable religion : « il conserva pendant près de trente années les copies du Journal (...) sans permettre qu'on y portât la main, malgré les propositions qui lui furent faites. »

    Des esquisses des figures des pilastres sont reproduites dans un catalogue de vente de Christie's ; elles ne sont pas datées et présentent l'état actuel. Selon M. Sérullaz et L. Johnson, elles sont de la main d'Andrieu.

    Le Cabinet des Dessins du musée du Louvre possède deux dessins préparatoires de Delacroix où la tête d'Oceanus est tournée de l'autre côté : comme il existe la plupart du temps une différence entre le premier jet et la version définitive, on ne peut rien conclure.

    Au Cabinet d'Estampes de la Bibliothèque nationale de France, une gravure de Fichot montre le salon du Roi sous le Second Empire en 1860. Oceanus est sans sceptre mais son regard est dirigé vers l'hémicycle. Le dessin de cette gravure manque de précision : il est donc peu fiable.

    Une autre hypothèse est celle d'une intervention de Delacroix après la Révolution de 1848. Dans l'ouvrage de Jules Bertrand, on apprend que le trône de Louis-Philippe fut brûlé. Dans un mémoire rédigé en 1848, après la chute de la Monarchie de juillet, Delacroix écrit: «Nous ignorons dans quel état la dernière révolution a laissé ce salon malencontreux »"°, mais son Journal ne nous donne aucune information concernant une éventuelle intervention au Salon après les événements de 1848.

    Le commentaire des documents photographiques et les résultats d'analyse ne permettent pas de trancher définitivement entre repentir de l'artiste ou repeint fait par Andrieu ou un autre restaurateur.

    Une commission spéciale s'est alors réunie pour étudier le cas d'Oceanus et prendre les décisions nécessaires à la poursuite de la restauration. Malgré la nature différente des liants des deux couches et malgré la présence des craquelures d'âge encrassées dans les couches inférieures, celle-ci a décidé de ne pas pousser plus loin le nettoyage sur cette composition, de poursuivre les recherches d'archives et de laisser visible, à la demande de Messieurs les Questeurs, l'ouverture faite dans la chevelure.

    Les rehauts de couleur sur les figures

    La question de l'authenticité de certains éléments vestimentaires bleus ou jaunes s'est posée au cours de la restauration.

    Pour avoir une idée de la manière dont ces figures étaient à l'origine, nous avons rassemblé dans l'ordre chronologique les extraits des articles d'époque, qui parlent des figures de fleuves et de mers.

    - 1836 : « Pour contraster avec la décoration des parties supé­rieures de la salle, si vive, si riche, si colorée, le peintre a placé sur des piliers une figure unique, colossale, d'un tel ton, imi­tant la sculpture. » Anonyme (Paul Mantz S). « Chambre des députés - salon du Roi ». L'Artiste, T.XII. vingt cinquième livraison. p. 302-304 (1836 ou 1837).

    - 1837 : « De grandes figures des Fleuves en grisaille, s'allongent dans les entre-portes et complètent la décoration. » Théophile THORF. « Salon du Roi ». La Loi, 24 février 1837.

    - 1837 : « (...) il a jugé convenable de les peindre en grisaille et de les tenir dans un ton très clair... » Gustave PLANCHE. «Salon de 1837». Chronique de Paris. 12 mars 1837. Réimpr, dans l'École française. Paru. 1855. T.II. p. 58-60.

    - 1839 : « enfin sur les portions des mers qui soutiennent l'entablement et forment le salon sont peintes en grisaille d'énormes figures personnifiant les principaux fleuves et rivières de France. » L.-j. dej.f.cllze. « Salon du Roi au Palais Bourbon ». Le Journal des Débats, 14 Mars 1839.

    - 1839 : « Huit grandes figures, en grisaille rehaussées de jaune et de bleu clair, s'allongent dans les entre-portes... » Anonyme (Th. Tbores). « La Chambre des députés et les Peintures de M. Eugène Delacroix (salon du Roi)». L'Artiste, 7839, deuxième série. T.l. p. 390-392.

    - 1847 : « en faisant abstraction des camaïeux, que M. Delacroix semble avoir jeté là pour l'acquit de sa conscience avec très peu de soin et d'étude. » Louis de Ronchaud. « Etudes sur l'art. La peinture monumentale en France (Ensemble des travaux de Delacroix à cette date) », La Revue indépendante, 10 et 25 novembre 1847. T.XII, p. 39-51.

    - 1848 : « On a représenté, dans les trumeaux allongés qui forment la séparation des fenêtres ou portes, les principaux fleuves de la France peints en grisaille». Eugène Delacroix. « Mémoire rédigé en 1848», reproduit dans l'article de J.-J. Guiffrey. L'Arc, T. XIII. 1878. tome H. p. 257-268.

    - 1876 : « II a peint des figures monochromes (...) il abandonne ainsi l'indispensable instrument de son génie la couleur (..), il a brossé en grisaille sur les trumeaux les huit figures colossales des mers qui baignent la France et des fleuves qui la baignent (...) Ce sont de tristes camaïeux... » Charles BLANC. « Les artistes de mon temps », Paris. 1876.

    - 1880 : « Il a obtenu dans le salon du Roi un effet séduisant et absolument enchanteur, par l'adoption la plus harmonieuse de trois palettes différentes et graduées avec un merveilleux talent. L'une est grise, pour passer du dallage aux murailles et expri­mer les grandes figures symbolisant les fleuves et les mers qui fertilisent la France où baignent ses côtes. Ces figures de trois mètres de haut sont peintes en grisaille avec des rehauts de nuances légères dans les draperies et accessoires... » Alfred rora ut. « Peintures décoratives d'Eugène Delacroix au salon du Roi ou Salle des Fleuves ». L'Art, 2 mai 1880. T. XXI. p. 107-112.

    Dans tous ces textes les auteurs parlent, en ce qui concerne les figures de pilastres, de peinture en grisaille. Seul Théophile Thoré, s'il est bien l'auteur de l'article anonyme de 1839, parle des figures rehaussées de jaune ou de bleu, mais l'on ne peut pas être sûr de la signification qu'il accorde au mot rehaussé.

    Dans leur état actuel, le mot rehaussé ne semble pas tout à fait juste pour tous les pilastres, car certains présentent parfois des parties franchement bleues ou jaunes.

    Delacroix aurait effectivement pu revenir sur ces compositions jugées par certains critiques trop pâles, en y ajoutant quelques nuances de bleus ou de jaunes. Mais a-t-il fait lui-même ces larges plages de couleur bleue et jaune, car on sait qu'il tenait beaucoup à ce que les figures des fleuves et des mers soient « atténuées de ton de manière à ne pas trop attirer les regards » ?

    Le dégagement sous le genou, dans le manceau jaune de Ligeris qui donnait l'impression d'être repeint, a fait apparaître une couleur claire: s'agissait-il de la couleur initiale du manteau ou bien le manteau a-t-il été allongé et peint en jaune sur la jambe ? En revanche, le nettoyage dans la partie basse d'Oceanus (coquillages et poissons) a fait apparaître une belle matière: les couleurs bleue et jaune soutiennent de manière très délicate les grisailles. Elles semblent être mêlées à la peinture sans la recouvrir.

    L'analyse de la matière picturale des différentes couches des parties supposées repeintes (manteau jaune de Ligeris, ruban bleu qui enserre le bras de Sequana) n'a malheureusement pas permis de distinguer l'original des restaurations.

    Aucun critère analytique ne permet de dire si les bleus de cobalt identifiés sont originaux ou non. Une commande adressée par le peintre à son marchand de couleurs mentionne ce bleu de cobalt : « A M. Haro, rue du Colombier près de la rue des Petits Augustins. M. Delacroix salue Mme Haro et la prie de bien vouloir lui faire broyer sur le champ 6 vessies de blanc de plomb, 6 de jaune de Naples, 2 d'ocré jaune, 2 de cobalt, 2 de noir de pêche, le tout plus liquide que les couleurs que l'on prépare pour tout le monde... »

    La commission a décidé une intervention minimale sur ces parties, en l'occurrence un simple nettoyage superficiel: élimination du vernis et des retouches les plus récentes.

    La frise

    La frise, comme les autres parties, présente un état d'assombrissement général. Quelques fissures existantes proviennent du tassement de terrain depuis la construction du bâtiment ; elles se sont à présent stabilisées. Ce sont souvent des fentes verticales ou horizontales qui suivent l'assemblage de blocs de pierre constituant le mur. Après les rebouchages effectués lors d'anciennes restaurations, elles se sont à nouveau produites sur le même parcours. Ces fissures assez larges avaient été com­blées avec de la gaze avant d'être mastiquées. Les mastics de couleur blanche ont mal vieilli (soulèvements, gonflements, pertes d'adhérence, rétrécissements etc.) et débordent sur l'original, les retouches qui les masquent se sont assombries avec le temps.

    Les effets d'infiltrations sont particulièrement visibles dans les parties supérieures, surtout dans la petite frise végétale portant les inscriptions. Les coulures d'eau ont suivi le tracé des fentes en faisant gonfler les mastics et provoqué également des chancis.

    Quelques soulèvements ponctuels sont visibles, mais ils sont beaucoup plus rares que dans le registre des pilastres.

    La couche superficielle de la frise est presque essentiellement constituée de crasse et de cire.

    L'Industrie est la partie de la frise la plus endommagée et la plus reprise. Un vernis de restauration à l'alcool la couvre en plusieurs parties. On peut supposer que c'est l’Industrie qui a été nettoyée lors de la campagne de restauration de 1900 dont parle Lee Johnson et celle dont le nettoyage, probablement à la potasse, a été trop poussé : celui-ci a endommagé une partie de la peinture en faisant disparaître les glacis de Delacroix.

    Des essais de nettoyage ont été faits au-dessus de l'arcade de droite, côté Salle des Séances. La matière picturale est effectivement très usée et très restaurée. Des repeints à l'aquarelle sont mêlés au vernis et partent avec lui. Ailleurs, l'ensemble du registre de la frise ne présente pas d'altérations importantes : aussi a-t-il été procédé à un décrassage et à l'élimination des vernis et des retouches anciens.

    Les peintures des caissons du plafond

    Les œuvres sont sur leurs toiles d'origine devenues assez cassantes avec le temps dans le sens de la chaîne. Elles présentent par endroit, comme la Justice, des enfoncements, des trous, de petites et grandes déchirures consolidées anciennement par des pièces posées au revers à la céruse.

    Les revers de la Justice, de l’Agriculture, de l'Industrie et de la Guerre présentent des traces de moulures et de moisissures, résultat des anciennes infiltrations. Les châssis sont en bon état de conservation.

    Les toiles ont fait l'objet d'une intervention minimaliste de conservation : dépoussiérage, retension sur le châssis à l'aide de bandes périphériques. La Justice, qui était affectée de deux déchirures faite par un ouvrier installant l'électricité en mars 1898, a été consolidée dans ces accidents par des incrustations de toile, du fil à fil et par des poses de pièces. La couche picturale présente un état d'encrassement et d'obscurcissement, mais son adhérence est bonne.

    Frise de l'Industrie : l'enlèvement du vernis révèle une couche de crasse encore visible sur la droite

    Les coulures d'eau visibles au revers et les moisissures ont provoqué sur la face en quelques endroits des chancis sur l' Agriculture (à dextre) et la Guerre (sur son sein droit).

    Les toiles avaient été recouvertes d'un vernis ancien oxydé, plus ou moins épais, inégal et mêlé de cire.

    Les essais de nettoyage ont confirmé l'état d'encrasse­ment irrégulier sous la couche protectrice jaunie, résultat d'un ancien nettoyage peu soigné.

    L'ensemble des retouches, repeints et jutages accentuant les ombres semblent être de même nature que ceux rencontrés sur les peintures murales et sont visibles à l'œil nu. Leur présence a été confirmée par les examens de Laboratoire (radiographie, photographie en lumière directe rasante, infrarouge et sous fluorescence ultraviolette).

    Au cours du nettoyage, l’Agriculture s'est avérée la toile la plus repeinte. Après l'enlèvement du vernis restaient des traces noirâtres, qui ont été analysées par le Laboratoire. Ces traces ont été enlevées avec un savon partout où elles étaient présentes.

    Les parties dorées, la niche, les côtés sans décor des pilastres, les soubassements des faux marbres

    Les parties dorées du plafond sont affectées d'une multitude de fissures; elles ont par ailleurs été gravement endommagées par les infiltrations et par des décrassages successifs. Les parties dorées des archivoltes, des bases et des chapiteaux des pilastres et des portes-fenêtres sont, elles aussi, en très mauvais état de conservation.

    Des essais d'enlèvement des couches successives de peinture ont été faits dans la niche et sur le soubassement des murs pour découvrir l'esprit et la tonalité des peintures décoratives. Dans la niche, la couche de blanc de plomb mise à jour est équivalente en tonalité à la sous-couche des pilastres. L'essai de dégagement du faux marbre a mis en évidence le coloris violacé du soubassement d'origine, en harmonie avec le marbre du sol et les bases des pilastres.

    Forts des indications sur l'aspect originel du décor, nous avons procédé au renouvellement des dorures du plafond. Après la consolidation et le masticage des fissures, on a utilisé la technique d'origine, c'est-à-dire la dorure mate à la mixtion. Les autres parties dorées des archivoltes, des bases, des chapiteaux des pilastres et des portes-fenêtres du salon ont été exécutées de la même manière.

    Les peintures des retours des pilastres et de la niche ont été refaites avec de la couleur beige de même composition que celle d'origine, la totalité des fissures ayant été consolidée et mastiquée auparavant.

    Le coloris original violacé des soubassements en faux marbre n'a pas été dégagé mai J.-J. G à l'identique par un décorateur d'intérieur.

    IV - Les étapes et les matériaux de la restauration

    Ensuite, toute la surface a fait l'objet d'un vernissage intermédiaire pour nourrir la couche picturale appauvrie en liant, et obtenir une meilleure visibilité de la surface.

    La restauration des caissons et des peintures murales s'est déroulée selon les phases habituelles de toute intervention sur une couche picturale. Elles sont décrites dans ce paragraphe dans l'ordre chronologique. Il nous a paru utile, en outre, de préciser la nature des matériaux employés dans un souci de transparence, en vue d'ultérieures restaurations.

    Protection et consolidation préventives avant le nettoyage

    Les endroits les plus endommagés et susceptibles de tomber ont été protégés par du papier Japon fixé avec un vernis spécial.

    Les fissures et les endroits de séparation des couches d'enduit et de peinture ont été consolidés par l'injection d'un mélange fait avec les résines synthétiques. Pour faciliter la pénétration, les endroits à consolider ont été mouillés préalablement avec un mélange d'alcool éthylique et d'eau.

    Refïxage

    Le refixage à la cire résine a été effectué ensuite à travers le papier polyester non-tissé qui résiste très bien à la chaleur. Pour faciliter la pénétration de la cire, la surface à refixer était chauffée à la lampe infrarouge tout en passant en même temps la spatule chauffante.

    L'opération a été renouvelée sur les zones qui s'écaillaient jusqu'à ce que l'on obtienne une surface solide et plane.

    Le nettoyage

    Le nettoyage des pilastres à figures et des pilastres d'angles a eu lieu pendant l'intercession parlementaire de mi-juillet à mi-septembre 1991. Le nettoyage de la frise, de la corniche et des écoinçons du plafond a été effectué de janvier à fin mars 1992. Le nettoyage des pilastres a débuté par des tests effectués sur les parties inférieures (piédestaux) et sur les bords. Il s'agissait de purifier la peinture d'une partie des apports des restaurations précédentes c'est-à-dire uniquement cette couche de cire posée pour obtenir l'effet mat de la surface sur laquelle la poussière s'est déposée, de la couche de crasse, et du vernis jauni très irrégulier. Entre ses différentes couches, il existait des retouches débordantes à l'huile, à l'aquarelle, dont une partie sous du vernis à la gomme laque. Des jutages très larges sur des surfaces étendues couvraient des usures générales ou les traces de coulures de potasse apparaissaient.

    Après toute une série de tests de solvants, le nettoyage des pilastres à figures, des pilastres d'angles et de la frise a été exécuté en utilisant du trichloréthylène au tampon sur la totalité de la surface, de l'eau additionnée d'un tensioactif et quelques gouttes de diéthylaminoéthanol au bâtonnet ou à la brosse douce. L'essuyage s'est fait au tampon imbibé de trichloroéthylène.

    Pour dissoudre le vernis à la gomme laque, on a utilisé du méthylcellosolve pur au bâtonnet ; après le gonflement du ver­nis, on l'enlève au tampon imbibé de trichloroéthylène.

    Les retouches à l'huile ont été éliminées au tétrahydrofurane.

    L'interruption des travaux de restauration pendant les sessions parlementaires a permis l'évaporation complète des solvants.

    Le nettoyage des peintures du plafond sur toile a été fait selon une méthode légèrement différente: la couche superfi­cielle jaunie se composant de résidus provenant du chauffage et de la fumée a été enlevée à l'aide de trichloréthylène.

    Localement, les petites retouches à l'huile devenues irréversibles ont été éliminées avec du tétrahydrofurane.

    Une émulsion nettoyante constituée d'eau additionnée d'un tensioactif et de quelques gouttes de diéthylaminoéthanol a permis de venir à bout de la couche de crasse résiduelle.

    Pour les endroits particulièrement difficiles couverts d'un vernis jauni et épais, on a utilisé un savon d'aluminium de la colophane dilué dans de l'essence de térébenthine, puis dans du toluène.

    L'essuyage final s'est fait au tampon de trichloroéthylène.

    Masticage

    Les fissures de la frise et de la corniche ont été entièrement dégagées des anciens mastics. Pour le masticage des lacunes profondes, on a utilisé du plâtre de modelage à base de sulfate de chaux. C'est un plâtre très fin qui met plus longtemps à durcir et donc laisse le temps de le travailler et de le modeler.

    Pour le masticage des petites lacunes et fissures, on a employé du mastic composé de blanc de Meudon et de colle de peau (10 %).

    Vernissage intermédiaire

    Après le masticage, a eu lieu un vernissage avec le vernis déjà utilisé dans la première phase et passé au gros pinceau ou spalter. Ce vernis permet une bonne protection de la couche picturale. Il redonne de la profondeur aux tons. Il sert aussi de couche isolante sur les mastics et donne un fond peu absorbant pour la réintégration.

    La réintégration

    La majorité des lacunes mises à jour par le nettoyage était de dimensions restreintes, ce qui a permis une réintégration sans intervention de la forme.

    Le parti pris de réintégration est celui de I’illusionnisme. La retouche est constituée en général de deux couches: une d'un ton plus clair et plus froid que la couche picturale environnante, puis d'un ton visant au raccord.

    Certaines usures ont été réintégrées et atténuées par des glacis.

    Vernissage final

    Le vernissage final a été fait au pistolet avec le même vernis très dilué dans du trichloréthylène et de l'essence C.

    L'aspect mat des peintures voulu par l'artiste a été respecté par l'utilisation de ce vernis durant les vernissages successifs.

    Conclusion

    La restauration du salon du Roi a été menée à bien dans des conditions difficiles et selon un calendrier devant impérativement se découper en tranches prédéterminées (les intersessions parlementaires), qui ne pouvaient soffrir d'aucun aléa. Elle a été conçue comme une opération globale où les parties purement décoratives ont bénéficié des mêmes soins que les peintures de Delacroix.

    Elle aura permis de révéler sous la crasse un décor de Delacroix dans un relativement bon état de conservation mais d'une nature complexe que ni le recours à la science, ni la documentation historique n'ont permis de percer à jour; le mystère de la double figure Oceanus reste entier, et les rehauts bleus et jaunes garderont à jamais leur aspect troublant. Aussi la restauration avec sagesse s'est-elle cantonnée à une intervention somme toute légère de décrassage, de dévernissage et d'élimination des altérations récentes et mal intégrées.

    Ce minimum a néanmoins rendu à ce décor la beauté de la graduation subtile voulue par l'artiste entre la neutralité claire des pilastres, le chromatisme doux de la frise et la palette sonore du plafond.

    Nathalie Volle
    Conservateur en chef du Service de Restauration des musées de France
    en collaboration avec
    Kzrysztof Kzryzynski et Yolanta Ogrodnik-Mendili

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