Abolition de la peine de mort

Le débat de 1791 à l'Assemblée nationale constituante

Séance du samedi 4 juin 1791

Présidence de M. Bureaux de Pusy

[...]

L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet du Code pénal.

M. le Président. Je rappelle à l'Assemblée qu'elle a renvoyé hier à sa séance d'aujourd'hui la suite de la discussion sur les lettres de grâce ; c'est cette question qui est actuellement en délibération.

M. Pétion de Villeneuve. Demander si l'on accordera au roi le droit de faire grâce, c'est demander, en d'autres termes, si lorsque les jurés auront regardé comme certain, si, lors­que l'accusé sera convaincu, si lorsque le juge aura appliqué la loi, alors il est libre au pouvoir exécutif de s'élever au-dessus de cette loi, de mettre sa volonté particulière au-dessus de la volonté générale : c'est là en définitive où doit se réduire cette grande question, qui vraiment n'en est pas une.

Il est inutile, je pense, d'examiner quelle est notre législation ancienne, relativement aux lettres de grâce ; cependant si nous voulions jeter un coup d'oeil sur cette législation, nous ne tar­derions pas à nous apercevoir que ce n'était pas un droit, que c'était un abus qui s'était érigé et qui était monté à la hauteur d'une loi. En effet, qu'étaient les lettres de grâce ? Les lettres de grâce contenaient, dans le préambule, les faits qui étaient exposés par le condamné ; et les lettres adressées aux tribunaux se terminaient ainsi : « s'il vous appert que les faits contenus dans les présentes sont vrais, etc.. »

Ainsi, Messieurs, l'enregistrement était ou une formalité purement illusoire ou une formalité réelle. Si la formalité était illusoire, alors il était plus simple que le roi s'élevât sur-le-champ, au-dessus de la loi, et fit grâce sans aucune espèce d'enregistrement. Mais si, au contraire, cette formalité était de rigueur, je maintiens alors que les lettres de grâce étaient des lettres, pour ainsi dire, sans aucun effet, puisqu'il est vrai que, si les juges qui avaient condamné trouvaient, dans leur âme et conscience, que les faits exposés par celui qui devait subir la peine, étaient des faits faux, des faits inexacts, ils étaient les maîtres, je dis plus, ils avaient le droit de s'opposer à l'enregistrement.

Ainsi vous voyez que, dans l'ancien ordre de choses, le droit de faire grâce, dans son véritable rapport, était véritablement illusoire, si les juges eussent fait leur devoir; parce que tout juge voyant l'exposé faux avait le droit de s'opposer à l'enregistrement. Mais que signifie donc une lettre de grâce ? Voici un dilemme extrêmement simple. Ou un homme est innocent, ou il est coupable. Si un homme est innocent, il n'a pas besoin de lettres de grâce ; s'il est coupable, c'est une grande injustice que de lui faire grâce ; c'est un délit envers la société, c'est une infrac­tion à la loi, car il n'appartient pas dans un état libre qu'aucun homme, qu'aucun corps, qu'aucun pouvoir se mette au-dessus du pouvoir de la loi. Ce qui pouvait faire tolérer dans l'ancien régime les lettres de grâce, c'est que notre jurisprudence confondait les délits involontaires et ceux qui étaient commis de dessein prémédité; en effet, un homme en tue innocemment un autre. Dans notre système actuel qu'en arriverait-il ? Le juré le trouverait innocent. Dans l'ancien il ne pouvait trouver de rémission à sa peine, que dans la miséricorde du prince. Aujourd'hui le principal inconvénient n'existe plus, et la principale base qui donnait lieu aux lettres de grâce a heureusement disparu avec un meilleur système pénal.

Il y avait aussi beaucoup de délits qui n'avaient pas été prévus par la loi, et alors encore le légis­lateur provisoire intervenait et donnait des lettres de grâce. C'est ce qui ne doit pas non plus exister dans un bon système de législation ; c'est ce qui ne doit pas exister dans le nôtre. Dans le nouvel ordre de choses, les lois criminelles plus com­plètes détruiront la cause de cet abus.

Je vais répondre encore à quelques objections. On dit : Mais il est des cas où l'utilité publique paraît réclamer la grâce du coupable. Que d'une horde de bandits qui désolent un pays, un com­plice révèle à la justice les délits qui ont été commis dans cette province ; comme il rend alors un service à la chose publique, il faut l'attirer par l'espoir, afin de découvrir ce fléau et d'y remédier. Eh bien ! s'il en est ainsi, que faut-il alors ? Ce ne sont pas des lettres de grâce, c'est une loi précise. Ainsi lorsque vous trouverez des cas de rémission qui paraîtront fondés et sur la justice et sur l'utilité publique, vous ne devez rien laisser à l'arbitraire, mais vous devez, par une loi claire et précise, déclarer qu'alors en faveur du service qui est rendu à la patrie par ce qui vient de lui être révélé, le complice a la rémission des délits qu'il peut avoir commis. Si la chose publique exige que dans des cas déterminés l'on fasse grâce à un coupable, devez-vous donner au pouvoir exécutif le droit de refuser cette grâce ou de l'accorder arbitrairement.

Dans un gouvernement bien organisé, nul homme ne doit se mettre au-dessus de la loi; car enfin, Messieurs, qu'est donc le despotisme, si ce n'est le droit qu'a un homme de se placer au-dessus de la loi et de ne point obéir. C'est là la définition exacte du despotisme. Lorsque la loi a prononcé, nul ne doit avoir, sous le prétexte de clémence, le droit de l'enfreindre, car c'est ainsi que les abus s'introduisent : la clémence d'une nation est d'être juste. (Applaudissements.) J'ajouterai, Messieurs, que si vous placez la clémence autre part, vous n'avez plus de système pénal ; que dans toutes circonstances le roi serait le grand juge du royaume devant lequel on se pourvoirait contre le jugement qui aurait été pré­cédemment rendu. Et c'est y déroger que d'influencer la loi ; c'est y déroger que d'adoucir la loi lorsqu'elle punit. Eh ! Messieurs, vous avez, autant que votre humanité vous l'a permis, réduit les peines, vous n'avez appliqué la peine de mort qu'à un très petit nombre de crimes. Ils vous ont paru tellement atroces, tellement nuisibles à la société que vous n'avez pas cru que les législateurs eussent le droit de rendre à la société ceux qui en seraient coupables, et vous voudriez que ce droit fût une prérogative du trône ? Entendriez-vous donc qu'on pût remettre cette peine dans les délits auxquels vous l'auriez attachée ? Non sans doute ; et ensuite quelles sont les peines qui vous restent ? Les peines temporaires; et ne nous le dissimulons pas, Messieurs, ceux qui seraient exempts de cette peine seraient toujours ceux qui approcheraient le plus près du trône, ce seraient toujours les hommes en place, les courtisans; et jamais l'homme malheureux ne serait celui qui aurait le bénéfice des lettres de grâce. Ainsi, Messieurs, quand un ministre aurait été déclaré coupable, que deviendrait la responsa­bilité si le roi était le maître de la soustraire aux lois.

Si au contraire le roi ne peut exercer cette prérogative que sur la déclaration d'un juré, vous lui conférez un droit illusoire, injurieux à la dignité du monarque ; les lettres de grâce seraient renvoyées, non plus aux juges, mais aux jurés, puisqu'il est vrai que les lettres de grâce ne sont fondées que sur des faits qu'allègue le condamné. Et puisez-vous, Messieurs, que les jurés qui avaient prononcé sur le fait en grande connaissance de cause penseraient alors autrement, parce que la lettre de grâce leur serait présentée ? Non, sans doute, ce serait une chose purement illusoire, et si vous accordiez un autre choix, je ne crains pas de le dire, vous blesseriez les premiers principes de la raison et de la justice, et vous porteriez l'atteinte la plus funeste à votre Constitu­tion.

Je conclus avec votre comité pour qu'il n'y ait point de lettres de grâce. (Applaudissements.)

Un membre : Le droit de faire grâce appartient au souverain. La souveraineté appartient à la nation, source de tout pouvoir : donc le droit de faire grâce appartient à la nation ; vous n'avez pas le droit d'ôter à la nation un droit, un pouvoir politique qui lui appartient,

M. de Toulongeon. Ce n'est pas de la prérogative de la couronne que je viens vous entretenir : vous savez que c'est un mot vide de sens, s'il ne présente pas une utilité publique ; c'est déjà une assez belle prérogative pour le roi que d'être en possession d'exercer tous les pouvoirs qui sont reconnus être dune utilité publique. Il faut donc, avant de réclamer pour le roi le droit de faire grâce aux criminels condamnés, commen­cer par examiner, non pas si ce droit est une prérogative qui lui appartient, mais si ce droit, exercé par son autorité, est une institution utile et né­cessaire pour le plus grand bien de tous.

On a beaucoup dit que le droit de faire grâce n'était que le droit de la vendre. Cette objection, ou plutôt ce reproche me paraît peu fondé ; car on peut en dire autant de la justice. On l'a vendue souvent, on !a vendra peut-être encore quelquefois, il ne s'ensuit pas que la justice doive être abolie. (Murmures.) On abuse de tout ; et tel est le sort des institutions humaines. Il ne s'ensuit pas qu'il faille tout abolir. Les bonnes lois doivent, non pas détruire toutes les institutions pour se livrer à des novations perpétuelles, mais détruire les abus.

La question est donc réduite à cette proposition: est-il utile que le droit de faire grâce soit, non pas accordé (il ne s'agit pas de faire un cadeau au trône), mais attribué comme partie intégrante de la législation constitutionnelle au monarque ? et alors cet attribut ne sera pas de notre part une concession, mais un devoir.

J'aurais trop d'avantages sur les partisans du système contraire, si je voulais établir la discussion, d'après l'état actuel des choses, c'est-à-dire avant l'établissement des jurés, et même pendant la première année de leur établissement: car ce temps sera un temps d'imperfections pendant lequel un remède de lois, si je puis employer cette expression, sera encore nécessaire comme il l'était jadis, et ce n'est pas un reproche que je veuille faire à la sublime, à la salutaire institution des jurés qui, quoi qu'on en ait dit, s'établira en France, je l'espère. Il faut donc réduire encore la question, et supposer l'institution des jurés en plein exercice, et l'ordre judiciaire parfaitement établi, et c'est même alors que je pense que, dans tout gouvernement libre, le droit de faire grâce doit être délégué à celui que la Constitution investit du droit de faire exécuter les lois.

J'ai dit délégué, car observez qu'il ne pourrait, comme tous les autres pouvoirs, émaner aussi du peuple et lui appartenir aussi par le fait, puisqu'il serait sans doute impossible d'exécuter au milieu de toute une nation un jugement criminel qu'elle voudrait modifier ou supprimer ; or, ce pouvoir du peuple, le peuple ne peut pas le perdre puisqu'il lui appartient. Il doit donc le déléguer puisqu'il ne peut pas en faire usage. C'est donc en ce sens que le droit de faire grâce est une prérogative du monarque, et, pour préserver cette idée de toute défaveur, je dois définir ici ce que c'est que prérogative.

C'est mal à propos que plusieurs personnes ont entendu parla une propriété inhérente à la personne qui en jouit ; car jamais un pouvoir public ne peut être la propriété innée d'un individu ; il ne peut lui appartenir que par une convention réciproque entre le peuple et lui, et c'est dans cette convention que consiste la prérogative : ce terme, qui tire son origine du latin proerogatum, signifie chose demandée d'avance. Un roi a pu dire d'avance au peuple qui voulait lui confier le gouvernement : j'accepterai, sous telle ou telle condition que je demande, que vous stipuliez d'avance.

Le droit de faire grâce est donc nécessairement une prérogative du roi ; en ce sens, que le roi n'a pu raisonnablement se charger de faire rendre la justice sans demander d'avance le droit de faire grâce, inséparable du droit de juger : or, une des premières fonctions de nos rois a été de rendre la justice. Ne devaient-ils pas avoir le droit de faire grâce aux accusés, qui, coupables aux yeux de la loi, ne l'étaient pas aux yeux des juges ? Le juge applique la loi au nom du roi; le roi est donc le garant des jugements ? Mais quelle responsabilité, quel devoir que celui de pronon­cer des meurtres légaux, et de ne pouvoir ab­soudre l'innocence, victime de la sévérité de la loi !

Conclura-t-on de là qu'avec l'institution des jurés et des juges électifs la justice ne doit pas être rendue au nom du roi ? Vous aurez donc un pouvoir exécutif qui n'exécutera pas, qui ne pourra surveiller l'exécution de la plus belle, de la plus majestueuse des lois. La loi de la grâce, la loi de la clémence est aussi constitutionnelle que toute autre, et c'est de plus la loi de la nature. A qui donc la société déléguera-t-elle le droit de pardonner, si ce n'est à celui à qui elle a délégué le droit de punir ?

Je conclus donc, Messieurs, que le roi doit avoir, de par la Constitution, le droit défaire grâce aux criminels condamnés, sauf les exceptions qu'on trouvera bon de prononcer, suivant les formalités qui seront établies, toutes choses qui pourront donner matière à des amendements sur lesquels je me réserve de parler, le cas échéant.

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Je prie l'Assemblée de ne pas fermer la discussion ; car on n'a pas encore touché au véritable point de la question. Ill ne s'agit pas ici de savoir si la société a le droit de faire grâce, cette question a été décidée affirmativement par la loi sur les jurés ; il s'agit uniquement de savoir si l'usage des lettres de grâce, tel qu'il subsistait dans l'ancien ordre de choses, est utile à conserver ou doit être aboli.

Plusieurs membres. Aux voix ! aux voix !

M. Goupil-Préfeln. Ce que je crains le plus dans cette question, ce sont les tournures oratoires, les mouvements artificiels, les abstrac­tions métaphysiques, les idées vagues de bien­faisance par lesquelles on cherche à obscurcir les idées les plus claires et les raisons les plus solides. La question est de savoir si le pouvoir exécutif doit conserver le droit d'empêcher l'exécution des jugements ; il est très inutile à cet égard d'aller chercher des exemples dans la pratique des nations étrangères, où l'on ne trouverait pas, je pourrais le prouver, cette uniformité qu'on vous a si légèrement alléguée. Consultons la nature même des choses : le pouvoir exécutif a la fonction essentielle d'exécuter la loi ; dont il ne doit pas avoir le droit et le funeste pouvoir de la paralyser et de la réduire à l'inaction. Et parquet motif d'utilité s'écarterait-on du principe ?

Je vous supplie, Messieurs, de considérer d'ailleurs ce qui résulterait du droit terrible et funeste que l'on vient de réclamer pour la cou­ronne. A qui croyez-vous que serait faite, pour l'ordinaire, l'application de cette prérogative exorbitante de faire grâce au crime ? Sera-ce à un vigneron auvergnat qui aura tué un homme involontairement, ou ne s'en servira-t-on pas plutôt pour soustraire à un juste châtiment l'homme de cour qui aurait réprimé par un meurtre l'insolence d'un vigneron auvergnat ? (Applaudissements.) J'ajoute que ce pouvoir, comme tous les autres, serait plutôt le pouvoir du ministre que le pouvoir du roi, et que sur mille lettres de grâce il n'y en aurait peut-être pas une qui fût dictée par quelque intérêt personnel au roi, au nom duquel elle serait expédiée. Le roi lui-même ne doit-il pas sacrifier une affection particulière à l'intérêt de la société ? et certes il est trop bon, trop juste pour ne pas le faire. Oui, l'intérêt de la société, la sûreté publique exigent que les lois aient, dans tous les temps, l'exécution la plus rigoureuse ; car enfin il n'est pas possible de transiger avec les principes. Je dois fidélité au roi ; mais il me doit sûreté et protection, et il est inconciliable de me faire forcer à exécuter mes engagements, et de lui donner le droit de violer les siens. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !

M. Lanjuinais. L'article du comité portant que l'usage des lettres de grâce, de rémission, de commutation de peine est aboli, me paraît incomplet et inutile ; les juges ne pouvant prononcer qu'en vertu d'une loi. Il est clair qu'ils n'ont pas le droit d'entériner des lettres de grâce qui ne sont autre chose que la violation de la loi ; mais il s'agit de savoir si dans des cas déterminés un homme ne pourra pas, en considération de son génie, des services qu'il a rendus à sa patrie, obtenir une rémission de peine. Voici donc le décret que je propose : « Nulle procédure criminelle ne pourra être arrêtée, supprimée, ou déclarée comme non avenue, et la peine prononcée ne pourra être remise ou commuée que par un décret du Corps législatif sanctionné par le roi, et seulement dans les deux cas suivants, savoir : en cas d'amnistie générale ou à cause de services importants rendus à l'Etat, et sauf dans tous les cas l'action civile et en dommages-intérêts au profit des parties intéressées ».

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. La seule question qui est soumise par le comité est de savoir si l'usage des lettres de grâce actuellement existant...

M. Lanjuinais. Il n'existe pas. (Murmures.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur... doit être aboli.

Il ne s'agit pas ici d'examiner le droit que doit sans doute avoir le Corps législatif de prononcer une amnistie qui s'applique toujours à un fait d'ordre général. Il s'agit des lettres de grâce qui ne s'appliquent qu'à des faits particuliers, par lesquelles on annule une procédure, un jugement rendu. Et remarquez qu'on ne veut point abroger le droit de miséricorde. Le droit de miséri­corde est utile quand il est exercé avec discré­tion et discernement, et sans arbitraire ; ainsi ne nous occupons pas de cet objet. Il s'agit uniquement ici d'abroger l'usage abusif des lettres de grâce.

Qu'est-ce que l'usage des lettres de grâce ? Ce n'est pas la faculté d'accorder arbitrairement, par pur caprice, la grâce à un condamné, et de laisser exercer toute la rigueur de la loi envers un autre condamné. Or, le droit de grâce entre les mains d'un ministre a toujours été et sera toujours l'instrument arbitraire de la faveur. Or, c'est une injustice, un attentat contre la société, une barbarie contre le condamné, et un meurtre, que de lui faire subir toute la rigueur de la loi ; tandis qu'à côté de lui le pouvoir arbitraire vien­drait déployer en faveur d'un homme coupable du même crime le droit de miséricorde.

Mais qu'on ne craigne pas de voir périr des victimes innocentes de la rigueur de la loi : le droit de miséricorde existe dans votre législation criminelle, et voici comment il est exercé :

Un assassinat a été commis ; il s'agit de savoir s'il l'a été volontairement ou non, et c'est dans ce dernier cas que les lettres de grâce étaient accordées. Eh bien vos décrets sur la procédure par jurés rendent ici l'usage des lettres de grâce du ministère inutiles ; car la première question qui est proposée aux jurés est celle-ci : Le fait a-t-il été commis volontairement ou non ? Si les jurés déclarent qu'il a été commis involontairement, l'accusé est absous et remis en liberté.

Le fait peut aussi avoir été commis volontairement, et cependant il a pu l'être légitimement. Ainsi un homme m'attaque ; pour défendre ma vie, je le tue. C'était encore un des cas où l'on accordait des lettres de grâce. Cette question est proposée aux jurés, et ils répondent. L'homme a été tué légitimement. Dans ce cas, comme dans le précédent, il n'est pas besoin de lettres de grâce, car il n'existe point de crime, puisque c'est à son corps défendant que l'accusé a donné la mort. Il est absous par la seule déclaration du juré.

L'homme a encore pu être tué, non pas volon­tairement, mais par l'effet de l'imprudence ou de la négligence de celui qui lui a donné la mort. C'était encore un cas graciable. Eh bien ! ici l'institution d'un juré d'accusation rend de même inutile l'usage des lettres de grâce ; car la question de savoir si le fait a été commis par négligence ou par imprudence est proposée aux jurés ; et sur leur déclaration affirmative, l'accusé est absous du crime d'assassinat, et renvoyé au tribunal pour y être condamné en dommages et intérêts, et même en des peines correctionnelles. Mais épuisons tous les cas. Un homme a pu être tué volontairement ; il a été tué sans imprudence ; mais cependant il a existé dans le fait quelques circonstances atténuantes. Par exemple, l'homme qui a donné la mort a été provoqué d'une manière grave. Il n'avait cependant pas le droit de donner la mort ; sa propre vie n'était pas en danger. Il est coupable; mais il lest moins que celui qui a tué de dessein prémédité. Aussi existe-t-il dans votre Code pénal une dis­position particulière qui atténue la peine, parce qu'il a existé dans le tait quelques circonstances qui en atténuaient la gravité. Ainsi, la prévoyance de la loi se met encore ici à la place de l'arbi­traire des lettres de grâce.

Poussons plus loin les hypothèses et parcou­rons toutes les objections. On dit que l'homme a pu être tué sans que le fait eût été accompagné d'aucune des circonstances dont je viens de par­ler ; mais que cependant l'accusé peut encore être, sous certains égards, excusable ; que les grands services qu'il a rendus à la patrie peu­vent faire pardonner la fougue d'un tempérament violent. Eh bien, votre loi criminelle prévoit encore ces inconvénients ; et après que toutes les questions précédentes ont été pesées et soumises aux jurés, on vient encore leur dire : Descendez dans votre coeur ; voyez dans toutes les circonstances du crime s'il existe un motif d'excuse.

C'est là qu'est exercé, au nom de la société, le droit de miséricorde, mais une miséricorde raisonnable et réfléchie. Et c'est après que tous ces degrés ont été remplis, après que toutes ces précautions ont été prises, que l'on propose de porter au roi la question de savoir si le crime doit être puni, si une procédure si rigoureuse, si favorable au coupable doit être annulée ! Quelle est donc l'idée qu'on se forme des jurés ? Ce sont des citoyens, c'est tout le pays ; et c'est lorsque le pays a été souillé et témoin d'un crime ; c'est lorsque tout le pays dit : non, cet homme n'est point excusable ; la justice, l'utilité publique exigent une réparation et une vengeance ; c'est alors qu'on vous propose de porter au roi la question de savoir s'il infirmera le jugement de tout le pays ! (La très grande majorité de l'Assemblée et les tribunes applaudissent.)

Je demande que l'usage des lettres de grâce soit aboli.

M. Mougins de Roquefort. Le droit de miséricorde ne doit appartenir au roi que pour tout fait qui n'a pas été jugé par des jurés ; mais à l'égard de tous les autres faits antérieurs qui n'ont pas été soumis à l'examen des jurés, il faut que le droit de miséricorde soit laissé au roi.

Je demande donc que, conformément au projet du comité, l'usage des lettres de grâce soit aboli ; mais que cette abrogation n'ait lieu que pour les crimes et délits jugés par les jurés. (Applaudissements.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte l'amendement. (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Malouet. M. le rapporteur vient d'expliquer fort nettement que le droit de miséricorde...

Plusieurs voix : La discussion est fermée !...

M. le Président. Messieurs, on demande à proposer un amendement. Il est de mon devoir de laisser la parole à un membre qui a un amendement à proposer.

M. Malouet. Il n'y a qu'à mettre aux voix, si l'on peut proposer un amendement. M. le rapporteur vient de dire que le droit de miséri­corde ne peut s'exercer que lorsque le crime a été trouvé excusable, et qu'il y a des précautions prises dans le Code pénal pour que ce jugement fût déféré aux jurés ; mais, lorsqu'ils ont proposé que le délit est excusable, voilà le moment d'appliquer le droit de miséricorde. Or, trouvez-vous plus raisonnable d'accorder ce droit au juge qu'au roi ? (Murmures prolongés à gauche.)

A gauche : Votre amendement !

M. Malouet. Messieurs, je n'aime point à recevoir des ordres particuliers, et je ne les recevrai jamais. Ainsi, votre ton imposant ne m'en imposera pas. Je vais dire mon amendement, le motiver à ma manière, et personne ne peut m'en empêcher ; et votre train ne signifie rien.

Un membre : Votre train ?

M. Malouet. Oui ! c'est le mot.

Un membre à droite : Monsieur le Président, faites donc dire à M. Malouet son amendement et qu'il finisse.

M. le Président. Monsieur, vous n'êtes pas juge de ma conduite, c'est l'Assemblée. Monsieur Malouet, continuez votre opinion.

M. Malouet. Il n'y en aura pas un mot de retranché. Vous avez tous entendu qu'il était nécessaire qu'il y eût un droit de miséricorde; que ce droit de miséricorde s'exerçait utilement, lorsque ce crime, soumis au jugement des jurés, était trouvé excusable ; je dis que jamais une grâce n'a été accordée, que quand un crime a été jugé excusable. Qu'ainsi lorsque vous empêchez l'inconvénient très grave qu'une grâce soit accor­dée quand le crime est inexcusable, il faut encore que le mot grâce, que le mot miséricorde soit prononcé et qu'il appartient à la dignité du roi de prononcer miséricorde, en vertu ne la loi qui l'accorde, lorsque le crime est excusable. Je conclus donc à ce que, quand les jurés auront prononcé que le crime est excusable, le prévenu soit renvoyé par devant le roi, pour prononcer la loi.

Plusieurs membres : La question préalable !

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Il y a deux réponses fort simples à faire a la proposition du préopinant. L'une est un décret, l'autre est la raison. Par le décret rendu sur la procédure criminelle par jurés, vous avez un article qui dit, que dans le cas où le juré aura répondu excusable, en ce cas le juge prononcera que l'accusé est innocent. Ensuite, Messieurs, voici quelle en est la raison ; c'est que le préopinant désire que le nom du roi se trouve à côté du droit de miséricorde. Cette idée-là est très belle et très vraie; mais elle existe par le fait ; car au nom de qui la justice est-elle rendue ? c'est au nom du roi. (Murmures à droite.) Ainsi, au moment où le tribunal prononce, l'accusé est acquitté ; c'est au nom du roi qu'il prononce ce jugement, et c'est au nom du roi que se rendent tous les jugements.

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Malouet.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici l'article que nous vous proposons :

« L'usage de tous actes tendant à empêcher ou à suspendre l'exercice de la justice criminelle, l'usage des lettres de grâce, de rémission, d'abolition, de pardon, et commutation de peine, sont abolis. » (Adopté.)

(Les tribunes applaudissent.)

Un membre : Monsieur le Président, je demande que vous fassiez exécuter le décret rendu relativement aux tribunes.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'observerai à l'Assemblée, avant de passer à d'autres articles, que dans le titre de la réhabilitation des condamnés, qui a été décrété hier, il y a quelques changements à faire quant à la rédaction.

M. Durget. Monsieur le Président, d'après le décret que l'on vient de rendre, on peut adopter tout de confiance, il n'est pas besoin de discuter.

M. Boutteville-Dumetz. Monsieur le Président, je crois que vous devez rappeler monsieur à l'ordre.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, voici les difficultés qui se sont présentées dans le titre de la réhabilitation des condamnés : vous avez décrété qu'il faudrait des preuves de dix années de bonne conduite, pour que les condamnés puissent avoir droit à la réhabilitation. Sur cette proposition, on a présenté quelques amendements à l'Assemblée; ou a demandé que le condamné eût un domicile fixe et certain depuis 2 ans, avant de pouvoir demander au corps municipal son attestation pour parvenir à la réhabilitation ; d'autres personnes ont demandé que l'on y joigne encore des attestations et des certificats de bonne conduite de toutes les municipalités dans le territoire desquelles il aurait vécu depuis dix ans ; c'est cet amendement qui présente quelques difficultés.

Il est bien difficile de faire représenter à un homme des certificats de toutes les municipalités où il a pu avoir un domicile ou une habitation passagère; cela est très difficile et même impossible, si l'homme a été voyager dans les pays étrangers ; car alors il ne peut pas représenter une suite non interrompue pendant les 10 années, depuis l'instant où il a fini l'expiration de la peine. C'est pour suppléer à cette précaution, qu'il paraît impossible d'exiger, que le comité vous propose de déterminer que nul ne pourra demander la réhabilitation si, depuis 3 ans, il n'a un domicile fixe.

M. Moreau. Messieurs, vous avez eu l'indulgence d'admettre le condamné à une réintégration dans tous ses droits : vous avez attaché une condition essentielle, c'est la preuve de bonne conduite pendant dix ans, et vous avez assujetti, par l'amendement de M. Delavigne, cet homme, qui changerait de domicile, à prendre des certificats dans toutes les municipalités, où il éta­blirait un domicile quelconque; c'est là ce qui a été décrété textuellement : ou vous propose de revenir expressément sur ce décret, en se contentant d'un certificat de bonne conduite pendant trois ans. Je demande la question préalable.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Il ne faut pas faire une loi dont on puisse éluder l'exécution : or, vous ne pouvez pas exiger de certificats d'un homme qui, après être sorti d'une maison de peine, ira pendant quelques années en pays étranger, qui s'y est bien conduit, et qui, S'il se conduit bien en France, est dans le cas de réhabilitation, puisque vous ne pouvez point demander d'attestation du temps qu'il a été absent du royaume. Tout homme qui ne voudra pas prendre la formalité que vous lui imposez ici, dira : « J'ai été en pays étranger » ; et comment lui prouverez-vous qu'il n'y a pas été ?

M. Garat aîné. Je compte pour rien le temps qu'un homme aura passé dans les pays étrangers. Ce n'est que devant ses concitoyens qu'il doit chercher à regagner l'opinion nécessaire pour parvenir à la réhabilitation. Je demande qu'on ne puisse le réhabiliter que lorsqu'il aura demeuré assez longtemps dans le même lieu, pour pouvoir se procurer une attestation des officiers munici­paux de ce lieu..

Plusieurs membres : L'ordre du jour ! (L'Assemblée, consultée, décrète qu'elle passe à l'ordre du jour.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Nous passons, Messieurs, au titre de la récidive ; voici les dispositions que nous vous proposons :

Art. 1er.

« Quiconque aura été repris de justice pour crime, s'il est convaincu d'avoir, postérieurement à la première condamnation, commis un second crime emportant l'une des peines de la chaîne, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne, de la détention, de la dégradation civique ou du carcan, sera condamné à la peine prononcée par la loi contre ledit crime; et après l'avoir subie, il sera transféré pour le reste de sa vie au lieu fixé pour la déportation des malfaiteurs. » (Adopté.)

Art. 2.

« Toutefois, si la première condamnation n'a emporté autre peine que celle de la dégradation civique ou du carcan, et que la même peine soit prononcée par la loi contre le second crime dont le condamné est trouvé convaincu, en ce cas le condamné ne sera pas déporté ; mais, attendu la récidive, la peine de la dégradation civique ou du carcan sera convertie dans celle de 2 années de détention. »

M. Duport. Je pense que, dans le cas prévu par cet article, il faut établir la déportation. En effet, quel est le principe de la déportation ? C'est lorsqu'une fois un nomme a été repris et condamné, la société n'espérant plus de lui aucune espèce d'amendement, ne peut plus le lais­ser subsister parmi elle. Je vous prie de remarquer que la peine de récidive était, par la loi de 1724, presque toujours la mort. On était parti d'un bon principe, et on avait une application fausse. Ou avait dit : Toutes les lois qu'un homme est repris, la société doit s'en débarrasser, parce que s'il est repris une seconde fois, il deviendra voleur.

On avait donc établi un très bon principe, mais on en avait tiré une conséquence atroce qui est que par la récidive on devait nécessairement être condamné à mort.

La peine de mort était appliquée, par loi de 1724, pour ceux qui avaient été condamnés aux galères à temps, et le principe de cette condamnation était qu'un homme que la société a déjà pris et condamné, était trop dangereux pour y rentrer. Mais la loi de 1724 est trop forte, parce qu'il ne faut pas condamner un homme à mort parce qu'il a été repris une seconde fois. Je pense qu'il doit être déporté ; et si, pour cette récidive, vous ne le condamnez qu'au carcan et qu'il rentre pour la troisième fois dans la société, vous êtes sûrs qu'il commettrait les mêmes désordres. Ainsi je pense que, pour que notre système soit adopté en entier, on ajoute la déportation à l'article.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, il s'agit de savoir actuelle­ment si le condamné, qui est repris de justice et qui mérite une peine infamante, c'est-à-dire la peine de la dégradation civique, sera déporté pour la récidive : c'est-à-dire s'il éprouvera une espèce de mort civile, ou bien si sa punition sera aggravée. Pour entendre la question, il faut savoir à quel crime s'applique la dégradation civique ; elle s'applique à un très petit nombre de cas. Elle ne s'applique point aux violences, elle ne s'applique point au vol, elle s'applique à quelques actions de bassesse. L'homme qui viole le secret d'une lettre, par exemple, fait une infa­mie, et en conséquence il est dans le cas de la dégradation civique. Or, voulez-vous, Messieurs, que cet homme qui a commis ce délit, qui s'est flétri dans la société, lui voulez-vous imprimer la mort civile, voulez-vous arracher cet homme à son pays ? (Oui ! oui !)

Voici un autre cas, c'est celui qui insulte, d'une manière grave, un fonctionnaire public. Or, un homme, dans un instant d'emportement, aura manqué d'une manière grave à un fonctionnaire public, vous devez lui imprimer une note d'infamie; mais devez-vous encore une fois lui imprimer pour cela la mort civile ? Après cela, je persiste à demander que dans le cas où la récidive ne porterait que sur un délit peu impor­tant, la peine infamante soit, en raison de la récidive, convertie en 2 ans de détention.

M. Prieur. Il faut bien saisir la question que nous avons à juger. Il ne s'agit pas de savoir si un homme qui aura commis une première fois ce que le rapporteur appelle une action basse, sera déporté ; mais il s'agit de savoir si cet homme, après avoir été dégradé civilement, si cet homme, après avoir perdu tous ses droits de citoyen, et ne profitant pas de la correction que la société lui a donnée, retombe encore dans le crime ; il s'agit, dis-je, de savoir si la société peut encore le recevoir dans son sein ; s'il s'agissait d'appliquer à la récidive toute peine de mort, il y aurait sans doute beaucoup à balancer; mais prenez garde ici qu'il ne s'agit que de la simple déportation, c'est-à-dire d'adopter une proposi­tion qui tend à purger le corps social de voir les individus qui la déshonorent et la troublent sans cesse ; je crois que cela ne peut pas faire de difficulté.

M. Legrand. Je demande que la récidive de la dégradation civique soit, dans tous les cas, punie de 2 ans de détention, et que la déportation ne puisse avoir lieu que pour les délits qui auraient éprouvé une détention de 2 ans. Je propose donc pour amendement que la déportation ne puisse avoir lieu que pour la récidive après 2 ans de détention.

M. Bouche. L'article que l'on vous propose me paraît très oiseux à décréter, et je désirerais qu'il fût utile. Vous avez supprimé toute marque extérieure pour découvrir le premier crime. Hier, on demanda au comité de Constitution quelles voies on pourrait employer pour reconnaître ceux qui avaient commis une première faute, il répondit qu'il n'y en avait point. Un homme se rendra coupable, par exemple, dans le département du Var, du crime qui méritera la peine de la récidive; il ira ensuite dans le département du Morbihan commettre le même crime, voilà certainement une récidive, mais où les preuves de la récidive se trouveront-elles ? Il s'en suivra de là que cet homme sera puni une seconde fois comme s'il n'était coupable que pour la première. Il serait important que votre comité de Constitution mît sous vos yeux un moyen quelconque de pouvoir reconnaître la récidive.

(L'Assemblée nationale charge son comité de Constitution de lui proposer, sans délai, ses vues sur les moyens de reconnaître les coupables qui auraient récidive.)

(L'article 2 est ensuite mis aux voix et adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Nous passons maintenant au titre relatif aux effets des condamnations ; voici l'article 1er :

« Quiconque aura été condamné à l'une des peines de la chaîne, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne, de la détention, de la dégradation civique ou du carcan, sera déchu de tous les droits attachés à la qualité de citoyen actif et rendu incapable de les acquérir; son té­moignage et son affirmation ne seront point ad­mis en justice.

« Il ne pourra être rétabli dans ces droits ou rendu habile à les acquérir, que sous les conditions et dans les délais prescrits au titre de la réhabilitation. »

M. Legrand. Je ne voudrais pas que leur témoignage seul fût suffisant; mais je ne voudrais pas qu'ils fussent exclus de témoigner. (L'amendement de M. Legrand est adopté.) En conséquence, l'article est mis aux voix, avec l'amendement, dans les termes suivants :

Art. 1er.

« Quiconque aura été condamné à l'une des peine de la chaîne de la réclusion dans la mai­son de force, de la gêne, de la détention, de la dégradation civique, ou du carcan, sera déchu de tous les droits attachés à la qualité de citoyen actif, et rendu incapable de les acquérir.

« Il ne pourra être rétabli dans ces droits, ou rendu habile à les acquérir, que sous les condi­tions et dans les délais prescrits au titre de la réhabilitation. » (Adopté.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici l'article 2 :

« Quiconque aura été condamné à l'une des peines de la chaîne, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne ou de la détention, indépendamment des déchéances portées en l'article précédent, sera inhabile, pendant la durée de sa peine, à l'exercice d'aucun droit civil. »

M. Merlin. Voici la rédaction que je propose ;

Art. 2.

« Quiconque aura été condamné à l'une des peines de la chaîne, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne, ou de la détention, indépendamment des déchéances portées en l'article précédent, ne pourra, pendant la durée de sa peine, exercer par lui-même aucun droit civil ; il sera, pendant ce temps, en état d'interdiction légale, et il lui sera nommé un curateur pour gérer et administrer ses biens. »

M. Delavigne. Je demande la priorité pour la rédaction de M. Merlin.

Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! (L'Assemblée, consultée, accorde la priorité à la rédaction de M. Merlin, qui est ensuite mise aux voix et adoptée.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici l'article 3 :

« Ce curateur sera nommé par le président du tribunal criminel. »

M. Chabroud. Je ne vois pas pourquoi, par cette disposition particulière, on intervertirait toutes les règles. Dans tous les cas où un particulier ne peut pas exercer ses droits, administrer ses biens, on s'adresse à ceux qui ont un intérêt plus immédiat à ce que ses affaires soient bien gérées. L'interdit, le mineur sont renvoyés à leurs parents, qui leur donnent un curateur. Je ne vois pas de raison différente au cas actuel.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte l'observation et je propose la rédaction suivante :

Art. 3.

Ce curateur sera nommé dans les formes ordinaires et accoutumées pour la nomination des curateurs aux interdits. » (Adopté.)

Art. 4.

« Les biens du condamné lui seront remis après qu'il aura subi sa peine, et le curateur lui rendra compte de son administration et de l'em­ploi de ses revenus. » (Adopté.)

Art. 5.

Pendant la durée de sa peine, il ne pourra lui être remis aucune portion de ses revenus ; mais il pourra être prélevé sur ses biens les sommes nécessaires pour élever et doter ses enfants, ou pour fournir des aliments à sa femme, à ses enfants, à son père ou à sa mère, s'ils sont dans le besoin. »

M. Thévenot de Maroise. Je propose, par amendement, d'ajouter après les mots : « pour fournir des aliments à sa femme », ceux-ci : « en cas que la curatelle ne lui ait pas été confiée ».

M. Loys. Je demande que la mère continue à être curatrice si elle a droit de l'être par la loi.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Cela est de droit. (L'article 5 est adopté sans modification.)

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici l'article 6 :

« Ces sommes ne pourront être prélevées sur ses biens qu'en vertu d'un jugement rendu par le tribunal criminel à la requête des demandeurs, sur l'avis du curateur et sur les conclusions du commissaire du roi. »

M. Chabroud. L'amendement que je propose sur cet article, c'est qu'il soit encore nécessaire, pour la fixation des sommes à prélever en fa­veur de la femme, des enfants et des père et mère, que l'avis des parents qui auront nommé le curateur intervienne.ervienne.

M. Delavigne. Je demande que ce soient les voies ordinaires qui décident du prélèvement de ces sommes.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte les amendements et je propose la rédaction suivante :

Art. 6.

« Ces sommes ne pourront être prélevées sur ses biens qu'en vertu d'un jugement rendu à la requête des demandeurs, sur l'avis des parents ou du curateur, et sur les conclusions du commissaire du roi. » (Adopté.)

Art. 7.

Les conducteurs des condamnés, les commissaires et gardiens des maisons où ils seront enfermés, ne permettront pas qu'ils reçoivent pendant la durée de leur peine aucun don, argent, secours, vivres ou aumônes, attendu qu'il ne peut leur être accordé de soulagement qu'en considération et sur le produit de leur travail.

« Ils seront responsables de leur négligence à exécuter cet article, sous peine de destitution. »

M. Couppé. Il est impossible que vous empêchiez quelqu'un de faire l'aumône à un prisonnier et celui-ci de la partager avec son geôlier. De là je conclus que l'article est inutile.

M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Si vous n'établissez pas la défense de donner aux condamnés, alors celui qui aura de la fortune pourra obtenir toute sorte de soulagement et d'adoucissement dans son état ; de plus il lui serait loisible d'employer à son évasion les sommes qu'il pourrait recevoir ; d'ailleurs, vous avez décrété que le prisonnier aurait des secours par son travail et ce, pour qu'il soit porté au travail par son propre instinct.

M. La Poule. Il serait barbare d'exclure les charités qui peuvent être faites aux condamnés. Je demande la question préalable sur l'article.

M. Prieur. Si vous n'adoptez pas l'article du comité, vous donnez au condamné le moyen de rendre nulle la punition. En lui donnant la faculté de recevoir, vous lui fournissez les moyens d'économiser et d'amasser, et conséquemment de corrompre son geôlier. C'est avec de l'or qu'on parvient à se procurer la liberté et à adoucir la rigidité des gardiens. Je demande que l'article soit adopté.

M. Bouche appuie l'opinion de M. Prieur.

(L'Assemblée ferme la discussion et décrète qu'il y a lieu à délibérer sur l'article du comité, qui est ensuite mis aux voix et adopté.)

(La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.)

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