N° 871

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

 

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 mai 1998

Dépôt publié au Journal Officiel du 6 mai 1998

 

RAPPORT

FAIT

 

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1)
sur l’état des droits de l’enfant en France,
notamment au regard des conditions de vie des mineurs
et de leur place dans la cité
,

Président
M. Laurent FABIUS,

Rapporteur
M. Jean-Paul BRET,

Députés.

——

 

TOME I
RAPPORT

(1) Cette Commission est composée de : MM. Laurent FABIUS, président, Mmes Martine AURILLAC, Bernadette ISAAC-SIBILLE, vice-présidents, MM. Bernard BIRSINGER, Pierre CARASSUS, secrétaires, Jean-Paul BRET, rapporteur ; Mme Sylvie ANDRIEUX, MM. Pierre-Christophe BAGUET, François BAROIN, Mmes Huguette BELLO, Yvette BENAYOUN-NAKACHE, Danièle BOUSQUET, Christine BOUTIN, MM. Jean-François CHOSSY, François FILLON, Mme Dominique GILLOT, MM. Pierre GOLDBERG, Gaétan GORCE, Michel HUNAULT, Mme Claudine LEDOUX, M. Pierre LEQUILLER, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. Lionnel LUCA, Alain NÉRI, Mme Françoise de PANAFIEU, MM. Christian PAUL, Bernard PERRUT, Mme Annette PEULVAST-BERGEAL, MM. François VANNSON, Kofi YAMGNANE

Enfants.

S O M M A I R E

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Pages

 

AVANT-PROPOS DU PRESIDENT 11

 

INTRODUCTION 15

 

I.– DE L’AFFIRMATION À L’APPLICATION DES DROITS DE L’ENFANT 19

A. LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR LES DROITS DE L’ENFANT, UN TEXTE AMBITIEUX 19

1.– Une avancée importante, fruit de nécessaires compromis

Les sources juridiques de la Convention

La Convention ou la révolution copernicienne des droits de l’enfant

De nécessaires compromis

2.– Un concept discuté mais nécessaire

Critiques sur la forme

Critiques sur le fond

B. LES DROITS DE L’ENFANT EN FRANCE : UN ÉDIFICE INACHEVÉ

1.– Des avancées juridiques encore incomplètes

Un contexte porteur

Les conséquences de la ratification de la Convention de New York

2.– L’application de la Convention par le juge : une évolution nécessaire

La position de la Cour de cassation 32

Une jurisprudence contestée 34

Les voies d’évolution 36

II.– L’ENFANT, UNE IDENTITE A CONSTRUIRE

A. LA FILIATION A L’EPREUVE DES DROITS DE L’ENFANT

1.– Le devoir de vérité

Le droit de connaître ses origines

Le droit contre la connaissance des origines

2.– Le devoir d’égalité

L’égalité : un principe désormais bien admis

Les règles de filiation au regard du principe d’égalité

Les règles successorales, déni d’égalité

B. AUTORITE ET RESPONSABILITE PARENTALE

1.– L’enfant face aux mutations de la famille

Autorité parentale et recomposition des familles

La place du beau-parent

2.– Les voies de la responsabilité

Prémices de la parentalité 56

Crise de la parentalité 57

Crise de la paternité

Pour une symbolique revisitée de l’autorité parentale

III.–  L’ENFANT, UNE PERSONNE A PROTEGER

A. LA PROTECTION DE LA PERSONNE DE L’ENFANT

1.– La maltraitance, un phénomène mieux connu aujourd’hui

Une longue ignorance

Les progrès de l’observation

L’enfance en danger en France en 1996

2.– Le dispositif de protection de l’enfance en danger

Les acteurs officiels de la protection

La judiciarisation de la protection de l’enfance

La coordination introuvable

Vers une redéfinition des modes de prise en charge

B. LA PROTECTION DES DROITS DE L’ENFANT

1.– L’information sur les droits de l’enfant

Autour de la Convention, l’information

L’accès au droit

2.– La défense des intérêts du mineur

La parole de l’enfant en justice

L’assistance à l’enfant dans la procédure 83

3.– La protection des droits du mineur délinquant 86

C. UN MEDIATEUR POUR LES ENFANTS

1.– Des expériences nombreuses à l’étranger

2.– Un pas qu’il convient de franchir en France

IV.- L’ENFANT, UN ETRE EN DEVENIR 95

A. L’ENFANCE : AGE PRIVILÉGIÉ, AGE FRAGILE 95

1.– Les droits de l’enfant à l’épreuve de la pauvreté et de l’exclusion

" Pauvreté des familles, pauvreté des enfants "

Pauvreté enfantine et droits de l’enfant

2.– Conforter le droit à la santé

La santé des enfants en France : un bilan contrasté

L’accès au système de santé

B. L’ENFANCE : PASSEPORT POUR LA CITOYENNETÉ

1.– L’enfant et les savoirs : accéder à l’éducation

Inégalités sociales et éducation : un droit à géométrie variable

Les exclus du système scolaire 114

2.– L’enfant et les savoirs : l’écran et l’écrit

Culture de l’écran, culture de l’écrit : complémentaires ou concurrentes ?

Comment réglementer l’écran ?

Pour une " éthique de l’information "

3.– Les voies de la citoyenneté : libertés publiques et enfants

Minorité et libertés publiques

La parole de l’enfant dans la cité

Liberté de réunion et d’association : enfance, minorité et capacité

CONCLUSION 131

RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS 133

ANNEXES 141

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(la date de l’audition figure ci-dessous entre parenthèses)

 

Pages

__ Messieurs Jean-Bernard Gicquel, Secrétaire général, Pascal Vivet, Secrétaire adjoint, Bertrand GIRAUD et Mesdames Claude Jahier et Jeannine Jouanin, Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (COFRADE) (29 janvier 1998).

 

 

5

__ Docteur François Rémy, Président d’honneur du Comité français pour l’UNICEF et Madame Bernadette Puiseux, Chargée de mission (29 janvier 1998).



13

__ Madame Ségolène Royal, Ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie (29 janvier 1998).


19

__ Monsieur Bernard Kouchner, Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’emploi et de la solidarité, chargé de la santé (5 février 1998).


31

__ Mesdames Carole Bouquet, Porte-parole de " La voix de l’enfant ", Martine Brousse, Directrice, Catherine Lardon-Galéote, Avocate, et le docteur Georges Bangemann, pédiatre praticien au CHU de Nîmes (5 février 1998).



43

__ Messieurs Jean-Jacques Andrieux, Directeur général de l’Association française pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (AFSEA), Michel Franza, Directeur adjoint et Madame Dorothée Dufour, Directrice de l’unité éducative de la Sauvegarde du Nord (5 février 1998).




51

__ Mesdames Annie Gaudière, directrice du service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée (SNATEM - " Allo enfance maltraitée ") et Soumaïla Ben Hassine, Coordonnatrice (5 février 1998).



57

__ Monsieur Jean-Louis Sanchez, Délégué général de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) et Madame Claudine Padieu, directrice scientifique (5 février 1998).



63

__ Madame Elisabeth Guigou, Garde des sceaux, Ministre de la justice (12 février 1998).


73

__ Madame Marie-George Buffet, Ministre de la jeunesse et des sports (12 février 1998).


85

__ Messieurs Olivier Brasseur, Directeur général du Centre international de l’enfance et de la famille (CIDEF), Frédéric Jesu, Coordonnateur de département et Bruno Ribes, Chargé de projets (12 février 1998).



95

__ Mesdames Marceline Gabel, Secrétaire général de la Grande Cause Nationale 1997 " Protection de l’enfance maltraitée " et Catherine Boiteux-Pelletier, Chargée de mission au ministère de l’emploi et de la solidarité (12 février 1998).



103

__ Monsieur Jean-Pierre ROSENCZVEIG, Président du tribunal pour enfants de Bobigny (26 février 1998).


111

__ Madame Sylvie PERDRIOLLE, Directrice de la protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la justice et Monsieur Christian PETIT, Sous-directeur des affaires administratives et financières (26 février 1998).



123

__ Monsieur Hervé HAMON, Président de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (26 février 1998).


131

__ Madame Marie-Paule POILPOT, Directrice de la Fondation pour l’enfance et le Professeur Jean-Paul Dommergues, Chef du service de pédiatrie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (26 février 1998).



139

__ Monsieur Henri LECLERC, Président de la Ligue des droits de l’homme et Madame Elisabeth Auclaire, Présidente de la commission " Droits de l’enfant " (26 février 1998).



147

__ Madame Denise CACHEUX, Chargée de mission au COFRADE, ancienne directrice de l’Institut de l’enfance et de la famille, ancienne députée et auteur d’un rapport d’information sur les droits de l’enfant (5 mars 1998).



155

__ Madame Odile MOIRIN, ancienne parlementaire en mission, auteur du rapport " Pour une véritable politique de l’enfance " (5 mars 1998).


163

__ Madame Monique LOUSTAU, Présidente de l’Association contre la prostitution enfantine et Monsieur Bernard LEMETTRE, Coordonnateur national du mouvement Le Nid (5 mars 1998).



167

__ Monsieur Hubert BRIN, Président de l’Union nationale des associations familiales et Mesdames Chantal LEBATARD, Responsable du secteur psycho-sociologie et droit des familles et Monique SASSIER, Sous-directrice des études et actions politiques (5 mars 1998).




173

__ Mesdames Francine de la GORCE, Vice-Présidente du mouvement ATD-Quart monde et Isabelle DELIGNE, Responsable de la petite enfance (5 mars 1998).


179

__ Madame Monique DAGNAUD, Membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) (26 mars 1998).


187

__ Messieurs Pascal PETIT, Rédacteur en chef du journal télévisé de Canal J et Rémy Pflimlin, Directeur de la publication du Journal de enfants et Madame Béatrice d’IRUBE, Directrice de la rédaction (26 mars 1998).



193

__ Madame Isabelle FALQUE-PIERROTIN, ancienne Présidente d’un groupe de travail interministériel chargé d’élaborer un rapport sur l’Internet (26 mars 1998).


199

__ Messieurs Pierre TOURNEMIRE, Secrétaire général adjoint de la Ligue de l’enseignement, Jacques HENRARD, Secrétaire général de la Jeunesse au plein air (JPA), Jacques DEMEULIER, Directeur général des centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), et Pierre de ROSA, Vice président des Francas (26 mars 1998).





205

__ Monsieur Didier BOULAUD, Président de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (ANACEJ), Madame Claire JODRY, Directrice et Monsieur Roger ADELAIDE, Administrateur (26 mars 1998).



215

__ Docteur Jean-François DODET, Membre du Haut comité de la santé publique, médecin inspecteur régional de Bourgogne (2 avril 1998).


223

__ Monsieur Jean-Pierre ROSENCZVEIG, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny (2 avril 1998).


229

__ Madame Louise SYLWANDER, Médiateur des enfants du royaume de Suède (2 avril 1998).


243

*

* *

— Déplacement en Seine-Saint-Denis :

Réunion avec M. Robert Clément, Président du Conseil général et les représentants des services départementaux et table ronde avec les représentants des services de l’Etat et les représentants de l’autorité judiciaire (9 avril 1998)

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT

Une société se juge par le sort qu’elle réserve à ses enfants.

C’est parce que je suis persuadé de cela que, à l’automne dernier, j’ai déposé une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les droits des enfants. L’Assemblée nationale a bien voulu l’adopter, la commission d’enquête a été créée et nous avons travaillé avec les représentants de tous les groupes politiques pendant plusieurs mois. Nous avons auditionné des dizaines de personnes, de responsables d’institutions, de groupes et d’associations compétents et dévoués à l’intérêt des enfants. Nous avons dépouillé une documentation considérable. Nous avons beaucoup débattu entre nous d’une façon fructueuse et conviviale. Le rapport qui suit est le résultat de notre enquête. Je veux en remercier chaleureusement le rapporteur, ainsi que tous les membres de la commission qui ont accompli un gros travail, et l’équipe de collaborateurs qui nous ont aidés. Nous avons – fait significatif - adopté toutes nos conclusions à l’unanimité.

Dans nos propositions, nous avons voulu éviter ce qui serait irréaliste. Nous n’avons naturellement pas exploré dans le détail l’intégralité des questions posées. Nous avons refusé tout catalogue. Nos recommandations sont applicables sans difficultés majeures. J’espère que ce travail sera utile, c’est-à-dire qu’il n’ira pas dans un tiroir. Nous n’avons qu’un objectif : aider les enfants.

Je constate à l’issue de cette enquête que la situation des droits des enfants en France est marquée par un double contraste. S’il est vrai que, en général, les droits reconnus aux enfants sont satisfaisants, tel n’est pas le cas sur plusieurs points : par exemple, un enfant n’a jusqu’ici pas pleinement le droit d’association, pas de droit réel à être en toutes situations entendu par la justice pour les affaires qui le concernent, pas le droit à connaître toujours ses origines familiales (problème de l’accouchement sous X) : sur ces points et sur plusieurs autres, nous proposons par des mesures précises, parfois très novatrices, de renforcer les droits des enfants.

D’autre part et surtout, les réalités de la vie ne correspondent souvent pas aux droits proclamés. On ne peut en aucun cas passer sous silence le fait que des milliers d’enfants sont victimes de maltraitances, dont 80 % viennent des familles elles-mêmes, et que la France détient le triste record des suicides d’enfants : ce n’est pas acceptable ! L’égalité des chances devant le système éducatif reste fréquemment théorique. Un tiers des enfants ne part jamais en vacances. Tous n’ont pas un accès satisfaisant aux services de soins.

Je souhaite que les pouvoirs publics mettent en œuvre l’ensemble de nos propositions. Nous serons actifs et vigilants en ce sens. Ce n’est pas parce que les enfants sont petits qu’ils doivent avoir de petits droits.

Pour rédiger cette courte préface, j’ai en ce qui me concerne opéré un choix. Cela ne marque de ma part aucune réticence à l’égard des autres propositions mais, comme une sorte de minimum, j’ai retenu cinq séries de mesures susceptibles de faire progresser fortement les droits de l’enfant en France.

1– La juste cause des droits des enfants n’est pas encore assez reconnue, pas encore assez respectée. La création d’un médiateur national des enfants ou d’une médiatrice nationale des enfants est nécessaire. Il ou elle pourra se saisir et être saisi par tous, enfants et adultes, au sujet des problèmes collectifs ou individuels concernant l’enfance. Sous des formes diverses, cette institution existe déjà dans plusieurs pays d’Europe. Autorité indépendante nommée par le pouvoir exécutif, ce médiateur national ou cette médiatrice nationale des enfants, à la tête d’une équipe, alertera, proposera, écoutera et interviendra. Ce sera une avancée utile, radicalement nouvelle en France.

2– Les droits des enfants doivent être plus clairs et plus facilement invocables. Il est indispensable que soient votées des dispositions rendant applicable dans notre droit la Convention de New York du 20 novembre 1989 sur les droits des enfants. Il y a déjà huit ans que la France a ratifié cette Convention, mais elle ne s’applique toujours pas dans son intégralité ! Le problème est en général plus d’appliquer ces règles de droit, qu’il faudra largement faire connaître, que d’en imaginer de nouvelles.

3– Il existe beaucoup de services divers qui s’occupent de l’enfance : la difficulté vient souvent de leur manque de coordination. Certains enfants sont soit tiraillés, soit oubliés. Il faut coopérer, rapprocher, harmoniser. Pour cela, dans le maximum de villes et d’agglomérations il convient de créer autour des maires un comité communal ou intercommunal de l’enfance, comme il existe, dans un autre domaine, des conseils communaux de prévention et de lutte contre la délinquance.

4– Les possibilités et les lieux de parole et d’écoute des enfants sont insuffisants. Nous devons les renforcer. En particulier nous devons améliorer le suivi médical des enfants au sein de l’éducation nationale et notamment accroître le nombre des infirmières scolaires. C’est, dans cette courte sélection, la seule mesure qui entraîne un coût financier sensible ; mais que représentent quelques centaines de postes par rapport au besoin des enfants et des adolescents d’être médicalement suivis dans leur scolarité, de trouver quelqu’un pour confier leurs questions, leurs angoisses, parfois leur maltraitance ? Notre société doit apprendre ou réapprendre à écouter et à parler.

5– Le premier droit d’un enfant, c’est le droit d’être informé sur ses droits. Il faut que soit fortement développée l’information des enfants sur ce qu’ils ne doivent pas accepter, sur ce qui peut les protéger, sur les dispositifs et les personnes à qui ils peuvent faire appel. Il est nécessaire – c’est un minimum – de faire figurer le numéro vert du SNATEM (Service national d’accueil téléphonique des mineurs) dans beaucoup plus de lieux publics qu’aujourd’hui, par exemple les cabines téléphoniques et les salles de classe. Plus généralement, les enfants, pour être pleinement acteurs de leurs droits, doivent pouvoir comprendre et maîtriser leur environnement. L’apprentissage critique de l’image devrait faire partie du bagage scolaire des jeunes. Il conviendrait aussi d’inclure dans le cahier des charges des chaînes publiques l’émission d’un journal télévisé pour les enfants à une heure de bonne écoute.

Pour assurer le suivi de nos propositions, nous veillerons à ce qu’un débat parlementaire, en liaison avec le Gouvernement, soit organisé en 1998 sur les conclusions de notre commission d’enquête.

A la lecture du dense et stimulant rapport qui suit, certains poseront sans doute la question – et ils auront raison - : " les droits, certes, mais les devoirs ? " D’autant plus que, actuellement, le projecteur est surtout braqué sur le comportement violent de certains jeunes. Pour moi, la philosophie qui doit nous guider est claire : les droits appellent des devoirs, les devoirs ont comme contreparties des droits ; l’enfant est une personne, avec des droits et avec des devoirs ; cela vaut pour les familles comme pour les enfants et porte un nom : la responsabilité.

On reproche souvent aux dirigeants politiques de ne pas assez s’intéresser à la vie quotidienne ou d’être impuissants à améliorer les choses. S’agissant des droits des enfants, notre travail montre qu’on peut avancer. C’est possible. C’est concret. C’est nécessaire.

Le Président,

Laurent FABIUS
Président de l’Assemblée nationale

INTRODUCTION

L’enfant est une personne. Principe fondateur de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, cette réalité est encore trop souvent bafouée. Dans bien des domaines, l’enfant est toujours considéré comme un être passif. Notre représentation collective est imprégnée d’une conception séculaire de l’enfant comme être qui subit et ne parle pas. L’" infans ", dont est issu notre mot " enfant ", n’est-il pas, d’ailleurs, au sens étymologique, celui qui ne parle pas ?

La reconnaissance des droits de l’enfant témoigne de l’évolution de l’image de l’enfant dans la société : au-delà de cet invariant biologique qu’est l’enfance, les perceptions se modifient. Ainsi, c’est au XIXème siècle, avec " l’invention du jeune enfant ", que sont créées les premières écoles maternelles : les débats qui agitent l’époque sur l’âge idéal de scolarisation marquent l’émergence de ce nouveau personnage dans la société. La loi du 12 mars 1841 limitant le travail des enfants, qui intervient alors que se multiplient les articles de presse dénonçant la condition faite aux enfants, traduit cette prise de conscience. Cette historicité de l’enfance s’exprime aussi à travers l’évolution de l’amour maternel, comme l’a montré Élisabeth Badinter.

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant est d’ailleurs empreinte de cette historicité. Si l’enfant comme être faible à protéger que nous a légué le XIXème siècle y est très présent, elle forge tout autant une nouvelle figure de l’enfant, celle du futur citoyen, situé au coeur d’un réseau de droits et de responsabilités, de pratiques citoyennes qui préfigurent sa vie d’adulte.

*

Identité à construire, personne à protéger, être en devenir : toutes ces dimensions de l’enfance doivent être prises en compte pour garantir une réelle application des droits de l’enfant. A quoi servirait-il, par exemple, de protéger l’enfant dans la sphère sociale et de le priver de parole dans sa famille ? Inversement, un enfant peut-il exercer son droit à l’éducation s’il manque des moyens matériels indispensables pour vivre ? L’enfant, dans sa complexité et sa richesse, ne saurait être sujet de droits à géométrie variable, selon qu’il évolue dans la sphère familiale ou dans la cité. Ni les différents statuts familiaux, ni la diversité des lieux de naissance, ni l’organisation des structures institutionnelles chargées de la protection de l’enfance ne sauraient justifier que les enfants, en France, exercent plus ou moins leurs droits. " Petit homme " ou " petit d’homme ", pour reprendre des expressions souvent utilisées, l’enfant n’a ni des petits droits ni des demi-droits.

Cette réflexion conduit à interroger la relation entre droits de l’enfant et droits de l’homme, tant il est vrai que dans le pays des droits de l’homme, symbole d’une vision universaliste de l’individu, l’existence de droits réservés à certaines catégories de personnes ne va pas de soi. En témoignent à l’envi les débats passionnés qu’ont suscités les droits de l’enfant tels que les définit la Convention de New York. De fait, l’époque n’est plus à une conception abstraite et indifférenciée de l’humanité comme cible de la politique des droits de l’homme. Que sont ces droits de l’enfant ? Sous-catégorie des droits de l’homme, reformulation, pour les enfants, de droits conçus pour les seuls adultes, ainsi que tendrait à le prouver le rapprochement, dans la déclaration de 1789, de l’homme et du citoyen ou droits spécifiques de rang inférieur aux droits de l’homme ?

Le lien entre droits de l’homme et droits de l’enfant, loin d’être univoque, s’inscrit dans une triple perspective. S’ils constituent sans nul doute une déclinaison des droits de l’homme adaptée à l’enfant, les droits de l’enfant sont cependant plus larges : l’impératif de protection de l’enfant requiert l’intervention de dispositifs spécifiques que les droits de l’homme ne connaissent pas. Car, avant d’être une personne dans la cité, l’enfant a besoin, pour grandir, d’être entouré d’adultes. C’est à ce titre que la Convention de New York consacre, de manière insistante, le rôle de la famille. Transcription et complément des droits de l’homme, les droits de l’enfant sont enfin une éducation aux droits de l’homme. Là réside sans doute le plus grand apport de la Convention de New York, à la fois norme juridique et outil pédagogique.

*

D’aucuns estimeront peut-être que la situation comparativement bonne de l’enfance en France ne justifiait pas une telle étude. Quand, dans le monde, 35 000 enfants meurent chaque jour de faim ou de maladies liées à la pauvreté, est-il à ce point nécessaire de s’intéresser à la situation des enfants dans un pays dont les indicateurs de santé infantile sont parmi les meilleurs au monde ? De même, le droit français ne peut être considéré comme globalement en retard par rapport à la Convention élaborée par les Nations Unies : il la respecte même mieux que bien des pays parmi les plus développés.

Pourtant, l’enfant qui, aujourd’hui, en France, invoque devant le juge judiciaire les stipulations de la Convention de New York se voit refuser l’application de ce texte. Plus encore, à l’heure où on n’a jamais tant écrit sur les droits de l’enfant, jamais tant débattu de ce sujet, des enfants se voient refuser l’accès à des droits fondamentaux, à tel point qu’est mis en cause le droit à la survie et au développement reconnu par l’article 6 de la Convention, dont on pouvait espérer qu’il ne trouverait pas à s’appliquer dans notre pays.

Ces enjeux de premier plan, nourris du constat de la multiplication de situations de détresse sociale dramatiques, ont conduit le Président Laurent Fabius à proposer à l’Assemblée nationale la création d’une commission d’enquête sur l’état des droits de l’enfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité. La réalité démontre, hélas, que les droits de l’enfant, à l’image des droits de l’homme, ne sont jamais acquis. Ils le sont d’autant moins quand leurs bénéficiaires ne disposent pas des moyens de faire entendre leur voix.

*

* *

Ratifiée depuis sept ans, la Convention de New York fait aujourd’hui l’objet d’une application nuancée en France. Au-delà de la réflexion sur une meilleure insertion de la Convention dans le droit français, il est nécessaire de s’interroger sur les voies de réformes permettant de garantir à l’enfant les conditions de son développement, que ce soit à l’intérieur de la cellule familiale ou à l’échelle de la société et de l’Etat.

Comment permettre à l’enfant de se construire tout en l’entourant de la protection dont il a besoin pour devenir adulte ? Tel est l’enjeu d’une véritable mise en œuvre des droits de l’enfant.

I.– de l’affirmation À l’application des droits de l’enfant

Lente et progressive, la construction d’un édifice juridique autour de l’enfant a trouvé sa consécration dans la signature, le 20 novembre 1989, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), saluée à l’époque par les autorités françaises comme une avancée majeure des droits de l’homme. Droit jusqu’alors essentiellement déclaratoire, le droit international de l’enfance change à cette date de nature pour devenir une norme contraignante qui s’impose aux Etats ayant ratifié la Convention. La Convention de New York traduit bien la transformation de la nature de la norme applicable. Plus encore, elle témoigne d’une évolution du contenu de cette norme, qui quitte en partie le terrain traditionnel de la protection de l’enfant, personne humaine en devenir, et qui consacre une approche nouvelle de l’enfant comme personne humaine, bénéficiant, à ce titre, de droits propres.

En ratifiant la Convention de New York le 7 août 1990, la France fait sienne cette double approche de l’enfant, la Convention étant, au regard du préambule et de l’article 55 de la Constitution, intégrée au droit positif. Cette norme internationale vient renouveler, voire, sur certains points, remettre en cause un édifice juridique interne très riche. Si, depuis 1924, la communauté internationale s’intéresse à l’enfant, la construction du droit de l’enfance commence, en France, dès le début du XIXème siècle, avec l’élaboration du code civil de 1804. Enrichi et infléchi par l’évolution de la perception de l’enfant et les modifications de la structure familiale, le droit positif n’a cessé d’évoluer dans le sens d’une prise en compte croissante des réalités sociales.

L’introduction de la Convention de New York dans le droit interne a sans nul doute insufflé une dynamique nouvelle dans le droit de l’enfance. Elle a déclenché un mouvement d’introspection dans un dispositif cohérent construit autour de la notion de protection et du critère de l’intérêt de l’enfant. A la suite de l’entrée en vigueur de la Convention, le droit français a subi des modifications notables, même s’il était globalement conforme à ses stipulations. Toutefois, le travail d’adaptation de la norme interne reste inachevé au regard des engagements pris par la France lors de la ratification de la Convention de New York. Cette situation est d’autant plus regrettable que le juge judiciaire n’a pas suppléé l’action du législateur. La jurisprudence de la Cour de cassation ne fait toujours pas de cette Convention un texte directement applicable en droit français et susceptible d’être invoqué par les justiciables.

a. La Convention internationale sur les droits de l’ENFANT, un texte ambitieux

Adoptée par acclamation – c’est-à-dire sans opposition – par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, la Convention relative aux droits de l’enfant marque l’aboutissement de longues négociations ainsi que l’émergence d’un nouveau personnage dans le droit international : l’enfant. Sans doute, la communauté internationale, notamment par l’intermédiaire d’institutions spécialisées comme l’Unicef, s’était, dès avant cette date, préoccupée de la question de l’enfance : les déclarations de 1924 et 1959, les quelque quatre-vingts textes traitant incidemment de l’enfance en témoignent. Force est cependant de reconnaître que, jusqu’en 1989, il n’existait pas véritablement de droit de l’enfance consacrant une approche internationale cohérente et globale.

1.– Une avancée importante, fruit de nécessaires compromis

Les sources juridiques de la Convention

La Convention de New-York ne naît pas ex nihilo : elle s’appuie sur des dispositions éparses et de nature déclaratoire, ainsi que sur les grands textes relatifs aux droits de l’homme en général.

Le préambule de la Convention fait ainsi explicitement référence aux deux déclarations de 1924 et de 1959 relatives aux droits de l’enfant, ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques ainsi qu’aux droits économiques, sociaux et culturels. Sont cités en outre " les statuts et instruments pertinents des institutions spécialisées et des organisations internationales qui se préoccupent du bien être de l’enfant ". Enfin, la Convention évoque certains des quatre-vingt textes internationaux relatifs à l’enfance, tels que les règles minima relatives à la justice pour mineurs, dites " règles de Beijing " (1985), la Déclaration sur les principes sociaux et juridiques applicables à la protection et au bien-être des enfants, envisagés surtout sous l’angle des pratiques en matière d’adoption et de placement familial (1986), ou encore la Déclaration sur la protection des femmes et des enfants en période d’urgence et de conflits armés (1974).

Du point de vue international, l’affirmation des droits de l’enfant précède celle des droits de l’homme. En 1924, en effet, l’Union internationale de secours aux enfants a élaboré une déclaration sur les droits de l’enfant. Ce texte bref et lapidaire définissait en cinq points les éléments fondamentaux nécessaires à la protection de l’enfance. Le 26 septembre 1924, l’Assemblée de la société des Nations adoptait la Déclaration de Genève, premier texte international relatif aux droits de l’enfant. Ce texte servit de base à la déclaration approuvée à l’unanimité, le 20 septembre 1959, par l’Assemblée générale des Nations Unies. Dix principes, qui seront eux-mêmes confirmés et développés par la Convention de New York, dessinent l’ébauche d’un droit international de l’enfance construit autour du principe général de protection.

Essentiels, ces textes souffrent toutefois d’un handicap majeur. Ils n’ont qu’un caractère déclaratoire et ne peuvent, de ce fait, pas créer de droits en faveur des intéressés.

La Convention ou la révolution copernicienne des droits de l’enfant

Bien qu’ayant un lien direct avec l’ensemble des textes sur lesquels elle s’appuie, la Convention signée à New York en 1989 marque cependant une rupture très nette dans l’histoire des droits de l’enfant, tant par son ampleur que par sa nature et son objet.

Avec cinquante-quatre articles précédés d’un préambule, la Convention sur les droits de l’enfant se présente comme un texte ambitieux ayant pour objet de promouvoir un véritable statut juridique de l’enfant. Tel n’était pourtant pas l’objectif initial des promoteurs de ce projet : lorsqu’en effet, dans la perspective de l’année internationale de l’enfant fixée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies, la Pologne présenta un projet de Convention sur les droits de l’enfant, elle ne fit que reprendre la Déclaration de 1959, en lui donnant un caractère contraignant. Or, chacun étant conscient que les évolutions en la matière nécessitaient un travail de remise à jour, un groupe de travail ad hoc fut constitué pour élaborer un texte au sein de la Commission des droits de l’homme de l’ONU.

La Convention ne se contente pas de reprendre le socle minimal des principes définis en 1959. Au contraire, elle propose une véritable révolution copernicienne des droits de l’enfant. A la différence de la conception retenue jusqu’alors, qui témoignait du regard de l’adulte sur l’enfant, le texte ne définit plus seulement l’enfant par la seule nécessité d’une protection spécifique. Il pose en principe liminaire que l’enfant est une personne et, à ce titre, il lui reconnaît non seulement des droits civils, sociaux ou culturels
– déjà en partie présents dans la déclaration de 1959 – mais aussi des libertés publiques, véritables " droits de l’homme de l’enfant ". Ainsi, " le postulat de base gît non pas dans les droits renforcés à toute forme de protection, mais dans les libertés opposables par l’enfant, sans distinction d’âge, à ses parents dont le rôle n’est plus que de le conseiller et de le guider, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités ". Au nom de cette approche, de nombreux commentateurs ont vu dans la Convention la transformation du statut de l’enfant, non plus objet de protection, mais avant tout sujet de droits.

La Convention affirme des principes de fond, parmi lesquels peuvent être cités le droit de l’enfant à une famille, dont la primauté est attestée par rapport à toute autre autorité politique, sociale ou judiciaire, ou la nécessaire prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais, au delà de ces principes, la Convention comporte trois types de dispositions qui traduisent ce renversement de perspective. Le besoin de protection ne constitue plus le cœur du dispositif, même si un certain nombre de droits en matière sociale, culturelle, économique et pénale y font référence. Les innovations les plus saillantes concernent les dispositions relatives aux libertés fondamentales : sont en effet reconnus à l’enfant des droits d’opinion, d’expression, de pensée, de conscience et d’association. Associées aux stipulations relatives à l’état des personnes et à la définition des attributs de la personnalité juridique (droit à un nom, à une filiation, à une nationalité, à une famille), ainsi qu’à la définition de droits procéduraux, ces dispositions novatrices bouleversent la représentation traditionnelle de l’enfance.

Le troisième point de rupture introduit par la Convention se traduit par une évolution de la nature de la norme juridique. La Convention rompt avec les textes antérieurs du fait de sa nature contraignante. C’est là une inflexion majeure qui, alliée à un contenu fort ambitieux, a donné à ce texte un retentissement très important. Il n’est pas rare en effet en droit international de voir ces deux notions évoluer dans des sens divergents : généralement, le caractère contraignant du texte se traduit par un contenu minimaliste, condition nécessaire à sa ratification par le plus grand nombre d’Etats.

Certes, le dispositif de contrôle de l’application mis en place dans la deuxième partie de la Convention (articles 42 à 45) n’est guère contraignant. Outre les mesures de publicité, confiées aux Etats parties, qui sont considérées comme le premier mécanisme de garantie et de mise en œuvre de la Convention, il est en effet institué un Comité des droits de l’enfant (article 43, alinéa 1) : cet organe non juridictionnel n’est pas doté de pouvoirs coercitifs. Composé de dix experts élus pour quatre ans par les Etats, ce Comité est chargé d’examiner les rapports relatifs aux mesures d’application des dispositions de la Convention, ces rapports étant remis au Comité dans les deux années suivant l’entrée en vigueur de la Convention, puis ensuite tous les cinq ans. Il est prévu qu’un dialogue puisse être organisé entre chaque Etat et le Comité des droits de l’enfant, qui est habilité à demander des renseignements complémentaires sur l’application de la Convention.

La procédure de l’examen des rapports fournis par les Etats par des comités composés d’experts indépendants ne doit cependant pas être critiquée outre mesure. Largement répandu dans le système des Nations Unies (Comité des droits de l’homme, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ...), le contrôle sur rapport demeure, pour reprendre les mots du Professeur Dupuy, " la technique de droit commun du contrôle de l’application des droits de l’homme ". Il est vrai qu’au sein des mécanismes de contrôle international du respect des droits de l’homme, cette pratique ne représente, en terme d’effectivité, qu’une étape minimale par rapport à des mécanismes de contrôle juridictionnels et qu’on peut regretter que le Comité ne puisse pas s’autosaisir ni mener des enquêtes. Néanmoins, à l’aune de l’expérience française en la matière, la portée de ce rapport ne doit pas être minimisée : l’échange auquel il donne lieu permet en effet de mettre en valeur les faiblesses du dispositif national d’application de la Convention. Il est à noter que le Parlement, en faisant obligation au pouvoir exécutif de lui présenter annuellement un rapport sur l’état des droits de l’enfant en France, a singulièrement renforcé le dispositif national de suivi de l’application des droits de l’enfant. S’il est à regretter que cette disposition soit, jusqu’alors, restée lettre morte, il faut se réjouir cependant de l’engagement, pris par M. le secrétaire d’Etat à la santé lors de son audition par la commission d’enquête, de remettre ce rapport au Parlement dans le courant de la présente année. Dans la mesure où les droits de l’enfant recouvrent un champ extrêmement vaste dont le suivi ne peut être pluriannuel, il paraît très souhaitable qu’au-delà de l’année 1998, le Gouvernement s’attache, comme le prescrit la loi précitée, à présenter chaque année cet état des lieux.

De nécessaires compromis

L’élaboration de ce texte ambitieux ne s’est pas faite sans difficultés, l’hétérogénéité des systèmes de droits, des approches culturelles et religieuses, notamment en ce qui concerne la conception de la place de l’enfant et le rôle de la famille, ayant suscité d’âpres débats sur des points aussi fondamentaux que le champ d’application de la Convention, l’adoption ou les libertés fondamentales.

Ainsi la définition de l’enfant, qui conditionne le champ d’application du texte, a constitué un point d’achoppement majeur. En son article premier, la Convention stipule qu’" un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ". Comme le rappelle M. J.L. Clergerie, l’accord s’est fait difficilement et a provoqué " un conflit fondamental " entre les parties en présence : alors que le Japon souhaitait retenir l’âge de vingt et un ans, le Brésil estimait qu’un électeur de seize ans ne pouvait plus être considéré comme un enfant. Pour leur part, les pays musulmans soutenaient que seul l’âge légal du mariage, qui peut être de douze, treize ou quatorze ans, devait conditionner le passage à l’âge adulte. La rédaction finale, issue des propositions des pays scandinaves, témoigne de la difficulté des négociations, dont l’enjeu est évident puisqu’il s’agit de déterminer la population concernée par les dispositions protectrices et novatrices de la Convention. A cet égard, la solution retenue a pu paraître décevante puisqu’elle soustrait, dans l’hypothèse où la loi nationale le prévoit, un certain nombre d’enfants aux dispositions de la Convention. Elle correspond cependant à l’état du droit français, en vertu de la loi du 5 juillet 1974 qui a abaissé à dix-huit ans l’âge de la majorité.

2.– Un concept discuté mais nécessaire

La question de la portée de la Convention incite à s’interroger sur la pertinence des critiques émises à l’égard tant de la Convention elle-même que de la notion de droits de l’enfant, les unes et les autres n’étant d’ailleurs pas sans lien.

Critiques sur la forme

S’agissant des critiques de forme sur la Convention, certains juristes ont mis en avant le caractère extrêmement flou de certaines formulations pour contester la portée de la Convention. Effectivement, la CIDE n’est pas toujours rédigée de manière aussi ferme que la Convention européenne des droits de l’homme. Faut-il pour autant considérer que la multiplicité des compromis rédactionnels, dont témoigne le texte à travers des expressions telles que " dans la mesure du possible " ou des formulations parfois très lâches, ne conduise à remettre en cause le caractère contraignant de la Convention, réduite à n’être qu’un symbole ? Cette critique doit être nuancée : bien sûr, les choix rédactionnels ne sont pas sans incidence sur la délicate question de l’applicabilité de la Convention, mais il est excessif de s’appuyer sur ces compromis inhérents aux textes internationaux pour conclure à un affaiblissement préjudiciable de la norme.

Il convient en outre de relativiser la comparaison entre la CIDE et la Convention européenne des droits de l’homme, la seconde ayant été élaborée par des pays culturellement proches. Enfin, ce défaut propre aux textes internationaux n’est pas rédhibitoire. La Convention sur l’exercice des droits de l’enfant élaborée par le Conseil de l’Europe et ouverte à la signature depuis le 25 janvier 1996 vise, en précisant les modalités d’exercice de certains droits reconnus par la Convention de New York, à transformer la capacité de jouissance en une véritable capacité d’exercice de ces droits. Le travail mené par le Conseil de l’Europe conduit d’ailleurs à relativiser certains reproches adressés à la Convention relative aux droits de l’enfant : il était d’abord prévu d’élaborer une Convention européenne des droits de l’enfant, sensée pallier les faiblesses de la Convention internationale. Or, les membres du Conseil de l’Europe se sont rendus compte que le véritable problème tenait à l’exercice de ces droits et ont modifié en conséquence l’objet même de leur Convention.

Critiques sur le fond

Sur le fond, deux critiques principales sont apparues, l’une radicale, sur la pertinence même du concept de " droits de l’enfant ", l’autre sur la conciliation entre les droits de l’enfant et l’insertion de l’enfant dans le milieu familial.

Les discussions sur la pertinence des droits de l’enfant mettent d’abord en cause le choix d’un traitement juridique des questions relatives à l’enfance. Par exemple, Mme Irène Théry s’élève contre cette " option " qui revient à " considérer que la question est d’abord juridique, que notre droit est dans l’ensemble à repenser, que ce sont donc non pas les enfants dans la diversité de leurs destins sociaux mais l’enfance comme minorité qu’il faut prendre comme terrain prioritaire de réflexion et d’action ".

Sont également mises en cause les contradictions qui traverseraient la conception des droits de l’enfant véhiculée par la Convention de New York qui, puisant son inspiration à deux sources différentes, mêlerait deux conceptions radicalement différentes de l’enfant. L’une, traditionnelle, voit l’enfant comme un être humain en devenir qui a besoin de protection pour grandir ; les droits de l’enfant sont alors conçus comme des droits spécifiques et relèvent davantage, en fait, du droit des mineurs. Dans cette approche, qui se situe dans le droit fil des déclarations de 1924 et de 1959, l’incapacité juridique qui découle de ce besoin de protection s’analyse comme un " droit à l’irresponsabilité ". La seconde approche des droits de l’enfant est récente puisqu’officiellement consacrée par la Convention ; les droits des enfants sont définis comme des " droits déspécifiés ", ce que d’autres appellent " les droits de l’homme de l’enfant ". De fait, cette conception trouve son fondement dans les grands textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Or, parce qu’elle n’a pas choisi entre les deux conceptions – le préambule consacre l’approche traditionnelle, certains articles reconnaissent des droits supposant la capacité juridique –, la Convention introduirait, selon certains commentateurs, une " extraordinaire confusion juridique qui va bien au-delà des traditionnels compromis onusiens ".

Les critiques sur la notion de droits de l’enfant vont même plus loin : reconnaître des droits à l’enfant, n’est-ce pas le priver de son enfance ? Les véritables droits de l’enfant ne résident-ils pas avant tout dans une sorte de droit naturel à l’enfance ? Reconnaître des droits aux enfants reviendrait, du fait des responsabilités afférentes à l’exercice de ces droits, à dédouaner de leurs responsabilités à l’égard des enfants non seulement les parents, mais également la société tout entière. Faut-il, au nom d’un droit à l’innocence, renoncer à faire de l’enfant un sujet de droits et sauvegarder ainsi " le privilège d’irresponsabilité qui est le propre de l’enfance et de la jeunesse " ? Alain Finkielkraut va plus loin encore en voyant dans ce déni d’insouciance fait à l’enfant une marque des régimes totalitaristes qui, tous, ont voulu faire de l’enfant un " citoyen ", libéré de la domination de la majorité, à savoir le monde des adultes.

La violence des critiques émises sur les droits de l’enfant, tout comme les discours élogieux que la signature de la Convention de New York a pu susciter, traduit le vif intérêt pour la situation de l’enfance en France, qui ne laisse personne indifférent.

L’amélioration de la situation des enfants ne se réduit pas à une question de droit : nombreux sont les témoins auditionnés par la commission d’enquête qui, après avoir insisté sur le caractère globalement satisfaisant de la législation française, en dépit du maintien de points contraires à la Convention, ont regretté que le droit existant ne fasse pas l’objet d’une meilleure application. Par exemple, dans le domaine des droits sociaux – dont le droit à la santé – comme en matière de protection de l’enfance, les principales difficultés concernent la coordination des dispositifs existants ou la répartition des moyens. L’affirmation des droits de l’enfant par une norme contraignante ne saurait suppléer l’indispensable action de terrain. Elle traduit cependant un engagement politique fort sur une question qu’il est d’ailleurs tout à fait légitime de traiter en termes politiques. D’autre part, s’il est vrai qu’en apparence, l’approche traditionnelle et la conception moderne puisent leur origine à des sources différentes, il est tout aussi vrai que s’expriment, notamment à travers la parole des enfants, un besoin de conciliation entre protection et respect du droit d’expression. Tous les sondages réalisés auprès des enfants témoignent de cette volonté d’être écoutés et respectés. De même, la lutte contre les abus sexuels suppose tout autant un renforcement des dispositifs de protection de l’enfance qu’un nouveau discours et un nouveau regard sur l’enfant. Si la diminution des abus sexuels passe sans nul doute par une amélioration du signalement et une meilleure coordination des intervenants, elle requiert tout autant l’affirmation, par une norme contraignante, du droit de l’enfant au respect de son intégrité physique.

Il n’est pas judicieux de faire prévaloir une vision idéaliste de l’enfance. Une telle attitude, en faussant les réalités, ne permet pas d’apporter des réponses satisfaisantes aux problèmes réels qui se posent. En l’état actuel du droit, il est inexact de prétendre que les enfants bénéficient d’un privilège d’irresponsabilité : que ce soit en matière civile ou pénale, l’enfant est, dès lors qu’il est jugé capable de discernement, reconnu très tôt responsable de ses actes. Ainsi, en matière civile, la Cour de cassation a établi en 1984 la responsabilité d’un enfant de trois ans et demi qui avait accidentellement crevé l’œil d’un camarade avec une baguette : non seulement l’enfant peut voir sa responsabilité civile établie dès son jeune âge, mais il en subit les conséquences même lorsqu’il est devenu majeur. De même, comme l’a souligné devant la commission d’enquête M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du Tribunal pour enfants de Bobigny, la responsabilité pénale du mineur peut également se trouver engagée : même si aucune sanction pénale ne peut être prononcée à l’encontre d’un mineur avant qu’il ait atteint l’âge de treize ans, l’enfant délinquant peut, dès l’âge de raison, faire l’objet d’une condamnation pénale inscrite à son casier judiciaire. A cet égard, la reconnaissance de droits à l’enfant procède d’un souci d’équilibre, compte tenu des responsabilités qui sont déjà les siennes.

Enfin, que peut signifier un " droit naturel à l’enfance " quand l’enfant ne peut même pas se voir assurer une alimentation satisfaisante et des conditions de vie décentes ?

Le second axe des critiques faites à l’encontre des droits de l’enfant s’articule autour de la relation de l’enfant avec sa famille. Se pose en effet la question d’éventuels conflits de droits entre l’enfant et ses représentants légaux, les droits reconnus à l’enfant étant considérés par certains comme autant de remises en cause du principe d’autorité parentale.

Cette critique part d’un postulat erroné qui voudrait voir dans les droits de l’enfant un empiétement sur les droits des adultes. Il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence d’une mise en opposition des enfants et des adultes. Une telle analyse reviendrait, a contrario, à considérer que les droits des adultes ne peuvent être préservés qu’en renonçant à étendre ceux des enfants. Elle néglige également de considérer l’esprit et la lettre de la Convention : les droits de l’enfant, tels qu’ils sont proclamés par la Convention de New York, s’inscrivent dans le cadre d’une réaffirmation du rôle primordial de la famille comme cadre de vie de l’enfant. Faut-il sur ce point rappeler la très belle définition de la famille donnée en préambule de la Convention, " unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres " et l’affirmation, à travers l’ensemble du texte, du rôle de la famille ? Enfin, cette critique doit être nuancée au regard des mutations de la famille : du fait de cette double dimension naturelle et sociale, la famille n’est pas immuable, ni dans l’espace, ni dans le temps. Considérer que les droits de l’enfant sont autant de facteurs d’affrontement avec les parents et de remises en cause du modèle familial relève d’une vision monolithique et défensive de la cellule familiale. Or, " la famille est évolutive, elle accompagne les changements sociétaux, elle ne les subit pas ".

C’est aujourd’hui la famille elle-même qui promeut cette nouvelle vision de l’enfant : depuis le début du XIXème siècle, l’enfant est progressivement devenu le centre de la famille, objet d’affection et d’ambition, alors qu’il grandissait auparavant, le plus souvent, à l’extérieur du cadre familial et dans une relative indifférence. Il apparaît clairement que les transformations de la famille, loin de remettre en cause sa fonction de cellule de base, en ont au contraire renouvelé et réaffirmé les modalités.

B. Les droits de l’enfant en france : UN ÉDIFICE INACHEVÉ

La France a été parmi les soixante premiers pays à signer la Convention des droits de l’enfant, lors de la cérémonie officielle organisée à New York le 26 janvier 1990. Le processus parlementaire d’autorisation de ratification s’est conclu, le 2 juillet 1990, par la promulgation de la loi ad hoc, permettant le dépôt des instruments de ratification le 7 août 1990. L’article 49 de la Convention stipulant que " pour chacun des Etats qui ratifieront la présente Convention ou y adhéreront après le dépôt du vingtième instrument de ratification ou d’adhésion, la Convention entrera en vigueur le trentième jour qui suivra le dépôt par cet Etat de son instrument de ratification ou d’adhésion ", la Convention est entrée en vigueur en France le 6 septembre 1990. La ratification de la France s’est accompagnée d’une réserve et de deux déclarations interprétatives. La réserve porte sur l’article 30 de la Convention, relatif à la protection des droits des enfants de minorités ou de populations autochtones : il s’agit là d’une réserve traditionnellement déposée par la France dans les Conventions internationales. Quant aux deux déclarations interprétatives, elles concernent les dispositions relatives, d’une part, au droit de faire appel de toute mesure ou décision reconnaissant la culpabilité d’un mineur et, d’autre part, à la conciliation entre la définition de l’enfant, telle qu’issue de l’article 6 de la Convention, et les dispositions de la législation française relative à l’interruption volontaire de grossesse.

Les autorités publiques et les différents intervenants du monde de l’enfance ont salué avec enthousiasme la Convention sur les droits de l’enfant qui, en vertu de l’article 55 de la Constitution, dispose d’une autorité supérieure aux lois nationales. L’entrée en vigueur de cette Convention a, en conséquence, conduit à engager une réflexion critique sur la conformité de la Convention au droit national.

A ce titre, l’Etat français se devait de modifier les textes de droit interne dont les dispositions étaient contraires à la Convention : comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 septembre 1986, " il appartient aux divers organes de l’Etat de veiller à l’application des Conventions internationales dans le cadre de leurs compétences respectives ". Le maintien de dispositions de droit interne contraires à la Convention a posé la question du caractère directement applicable de celle-ci et de la possibilité pour les particuliers de l’invoquer, le juge étant le seul garant d’une prééminence de la Convention sur la loi dans un tel cas de figure.

1.– Des avancées juridiques encore incomplètes

Indéniablement, la ratification de la Convention a joué un rôle stimulant dans la réforme du droit de l’enfance. Cette dynamique a bénéficié d’un soutien des plus hautes autorités de l’Etat : le 10 juin 1989, avant même la ratification, le Président de la République avait, devant l’Union nationale des associations familiales, exprimé le souhait " que les travaux d’adaptation de notre droit interne soient menés à bien ", en dépit des difficultés inhérentes à l’ampleur de la tâche qui revenait à " repenser le statut juridique de l’enfant ".

Un contexte porteur

Ce travail d’adaptation a été favorisé par l’existence d’un courant favorable à cette nouvelle approche du droit de l’enfance. Dès 1987, cela a conduit le législateur à modifier dans le sens d’un plus grand respect des droits de l’enfant certaines dispositions de droit interne, tant en matière civile que pénale ou sociale. Ainsi, la loi du 22 juillet 1987 relative à l’exercice de l’autorité parentale favorise le droit pour l’enfant d’être élevé, dans la mesure du possible, par ses deux parents et d’exprimer son opinion sur les questions le concernant. De même, les lois du 30 décembre 1987 relatives au placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire et du 6 juillet 1989 relative à la détention provisoire s’inscrivent dans l’esprit de l’article 37 de la Convention en limitant la possibilité et la durée des mesures de détention provisoire à l’égard des mineurs.

Dans le domaine social, la publication de trois lois de portée fondamentale au regard de la protection des droits de l’enfant a marqué l’année 1989. La loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance traduit ce souci d’un renforcement de la protection de la personne de l’enfant : évoquée par de nombreux témoins auditionnés par la commission d’enquête, cette loi demeure la charte de la protection de l’enfance. En matière éducative, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 s’inscrit tout autant dans le renforcement du droit à l’éducation que dans la mise en œuvre d’un droit à l’expression et à la participation de l’élève, mieux associé au suivi de son projet éducatif. Enfin, la loi du 18 décembre 1989 relative à la promotion et à la protection de la santé de la famille et de l’enfant a permis une modernisation du système de protection des enfants âgés de moins de six ans. Sont également intervenues de nombreuses améliorations de la situation des enfants handicapés, qui se sont traduites par une renouvellement en profondeur des pratiques éducatives et des actions d’intégration. Enfin, il est évident que la création du RMI a contribué à une amélioration de la situation matérielle des enfants vivant dans des milieux défavorisés.

Les conséquences de la ratification de la Convention de New York

La ratification de la Convention de New York a confirmé et accentué la dynamique de réforme des droits de l’enfant. Il n’est pas question ici d’énumérer toutes les modifications des dispositions de droit interne concernant l’enfant, qui sont intervenues depuis cette ratification, la plupart figurant dans le rapport que la France a remis en 1993 au Comité des droits de l’enfant. Rappelons seulement que deux axes ont présidé, conformément à l’esprit de la Convention de New York, à ces réformes.

D’une part, des mesures ont été prises visant à améliorer le système de protection : à ce titre, diverses modifications de la législation sont intervenues concernant l’activité des femmes enceintes, les conditions d’accueil des jeunes enfants, l’amélioration des conditions de vie des habitants des quartiers défavorisés ou encore le contrôle de l’accès des mineurs aux messageries télématiques.

D’autre part, la France s’est également attachée à donner forme aux droits novateurs reconnus à l’enfant par la Convention. Contrairement aux réformes précédemment citées, ces modifications s’inscrivent le plus souvent dans un terrain vierge, voire en contradiction avec l’esprit du droit français de l’enfance. De caractère " pédocentrique ", pour reprendre l’expression du doyen Carbonnier, le droit des mineurs fait de l’enfant un incapable juridique, alors que la Convention esquisse un statut de l’enfant doté de droits auxquels est attachée une présomption de capacité. A cet égard, le droit d’association ou encore la liberté d’expression peuvent être cités. Ces réformes étaient – et demeurent pour certaines – particulièrement difficiles à réaliser, non seulement parce que leur insertion dans notre tradition juridique ne va pas de soi, mais aussi parce qu’elles supposent une évolution des mentalités et des comportements. D’ailleurs, l’un des grands mérites de la Convention, et des organismes qui ont contribué à la faire connaître, est d’avoir fait évoluer le regard sur l’enfant et systématisé en droit des conduites dont le caractère diffus témoignait d’une inadéquation partielle entre le droit des mineurs et ce qu’on pourrait qualifier de " pratiques de l’enfance ". Dans ce domaine, les réformes relatives au droit d’expression des mineurs méritent une attention particulière : emblématiques de cette révolution copernicienne des droits de l’enfant, elles ont permis de donner une voix à l’enfant, que ce soit à l’école, face au juge ou dans la cité. D’autres réformes importantes sont intervenues en matière de filiation et d’autorité parentale.

En dépit de ces avancées notoires, il reste un certain nombre de points sur lesquels le législateur n’a pas légiféré ou, du moins, l’a fait de façon incomplète ; plus encore, il a parfois introduit, postérieurement à la ratification de la Convention qu’il avait pourtant autorisée à l’unanimité, des modifications qui ne sont pas totalement conformes à ses prescriptions, voire qui sont en contradiction directe avec elles. Ainsi, les modalités de l’audition du mineur par le juge ou la conciliation entre le droit de l’enfant à connaître ses origines et les dispositions introduites, par la loi du 8 janvier 1993, en matière d’accouchement sous X méritent un examen attentif. Quant au droit d’association, il faut bien reconnaître que les dispositions de la Convention sont, sur ce point, restées lettre morte en droit interne, en dépit du développement de pratiques conformes à l’esprit et à la lettre de la Convention.

Ce bilan pose la question de l’effectivité de l’application de la Convention de New York : l’introduction d’un traité dans l’ordre interne ne résout pas la question de son application, terme qui recouvre des activités différentes, selon qu’il s’applique aux autorités non juridictionnelles, qui ont le devoir de prendre des décisions qui sont des mesures d’exécution du traité, ou aux tribunaux nationaux, auxquels il est fait obligation d’appliquer les traités quand la solution des litiges dont ils sont saisis l’exige. Dès lors que les mesures d’exécution manquent – en sorte que les stipulations du traité qui ne sont pas auto-exécutoires, ne sont pas mises en œuvre ou que l’ordonnancement juridique interne laisse subsister des dispositions qui violent la Convention –, il appartient aux juges de pallier ces lacunes ou de privilégier les stipulations Conventionnelles par rapport à la loi.

2.– L’application de la Convention par le juge : une évolution nécessaire

L’introduction de la Convention internationale des droits de l’enfant dans l’ordonnancement juridique interne a suscité de nombreux espoirs parmi les défenseurs de la cause de l’enfance : en vertu de l’article 55 de la Constitution, " charte " du système moniste adopté par la France depuis 1946, les normes Conventionnelles deviennent en effet, une fois ratifiées, partie intégrante du dispositif normatif et peuvent, à ce titre, être invoquées devant le juge. Dès l’entrée en vigueur de la Convention, le directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse rappelait à ses services, dans une note du 3 octobre 1990, que " les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant sont désormais applicables sur le territoire national, revêtant un caractère contraignant, et peuvent notamment être invoquées dans le cadre de procédures judiciaires ". De fait, la Convention a été invoquée, avec succès, par des particuliers devant les juges du fond dans de nombreuses affaires.

La position de la Cour de cassation

Dans une jurisprudence qu’elle n’a jusqu’alors pas modifiée, la Cour de cassation est venue apporter un sérieux tempérament à cet enthousiasme. Elle a, en effet, refusé de reconnaître un caractère directement applicable à la Convention de New York. Dans son arrêt Lejeune du 10 mars 1993, la première chambre civile a considéré que les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant ne pouvaient être invoquées devant les tribunaux, " cette Convention, qui ne crée des obligations qu’à la charge des Etats parties, n’étant pas directement applicable en droit interne ". Cette formulation étant sans doute trop contestable au regard de la lettre et de l’esprit de l’article 55 de la Constitution, la Cour de cassation lui a ensuite substitué un considérant de principe ainsi rédigé : " il résulte de l’article 4 de la Convention que les dispositions de celle-ci ne créent d’obligations qu’à la charge des Etats parties, en sorte qu’elles ne peuvent être directement invoquées devant les juridictions nationales ". Sur le fond, elle n’en a donc pas moins confirmé sa position par deux arrêts du 2 juin et du 15 juillet 1995, position qui a ensuite été reprise par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 juillet 1994.

L’attitude de la Cour de cassation a suscité de très vives polémiques doctrinales et une profonde incompréhension de la part des professionnels de l’enfance. De nombreux témoins auditionnés par la commission d’enquête ont d’ailleurs marqué leur opposition à cette attitude. La Cour s’est vue reprocher sa position tranchée, voire " retranchée ", en des termes parfois très vifs, d’aucuns considérant que le juge judiciaire allait à l’encontre du principe constitutionnel de primauté des traités et de la règle fondamentale du droit international selon laquelle les traités doivent être respectés (" Pacta sunt servanda "). Le Comité des droits de l’enfant n’a pas manqué d’ailleurs, dans la demande de renseignements complémentaires qu’il adressa aux pouvoirs publics français le 25 avril 1994, d’évoquer ce sujet, en émettant le souhait " que lui soit précisée la place exacte de la Convention relative aux droits de l’enfant dans le droit interne, en particulier compte tenu des décisions rendues récemment par la Cour de cassation à ce sujet ".

Le propos de la commission d’enquête n’est pas de prendre parti dans la controverse doctrinale qu’a suscitée la position de la Cour de cassation. Néanmoins, cette jurisprudence mettant d’une certaine façon le législateur en cause, il importe d’exposer de manière précise les éléments du débat. Nul doute en effet que les magistrats de la Cour de cassation aient voulu signifier au législateur, par cette position très volontariste et très tranchée, qu’il lui incombait de prendre ses responsabilités dans la mise en conformité du droit positif avec les stipulations Conventionnelles, en cohérence avec le vote unanime qu’il avait émis sur la ratification de la Convention.

Le juge judiciaire aurait pu choisir au contraire, en affirmant l’applicabilité directe de la Convention, ou du moins de certaines de ses dispositions, de pallier les lacunes de la loi, voire, en cas de conflit de normes, de privilégier la Convention contre la loi, en vertu de l’article 55 de la Constitution. Telle est en effet, selon les mots du Professeur Nguyen Quoc Dinh, la tendance générale dans les pays occidentaux, dans lesquels existe " une présomption d’applicabilité directe dans toute la mesure nécessaire pour assurer la pleine efficacité internationale et interne des traités ". En l’occurrence, la Cour de cassation a fait un autre choix, qui peut apparaître paradoxal dans un pays de tradition moniste, même s’il est vrai que la distinction entre monisme et dualisme ne se reflète pas toujours clairement dans la position des juridictions nationales et qu’il n’est pas rare que les pays de tradition moniste se révèlent frileux lorsqu’il s’agit d’appliquer le droit international.

Le choix de la Cour de cassation n’est certes pas dénué de tout fondement. Dans un système moniste, deux hypothèses sont susceptibles de tempérer l’applicabilité directe des Conventions et leur invocabilité par les particuliers, la vérification de ces hypothèses incombant au juge : soit la Convention ne contient que des recommandations ou des obligations qui s’adressent aux Etats, et à eux seuls ; soit les règles posées par la Convention ne sont pas applicables, du fait de leur formulation trop imprécise ou conditionnelle, en l’absence de mesures permettant d’en définir les modalités d’application. Dans la première hypothèse, il revient au juge d’interpréter, à l’aune de la rédaction de la Convention et du contexte des débats préparatoires, quelle a été la volonté des parties au traité, exercice dont la dimension subjective est indéniable. Dans la seconde hypothèse, le juge doit apprécier le degré de précision de la norme Conventionnelle, qui conditionne son application aux particuliers : si la disposition invoquée à l’encontre d’un acte individuel est rédigée en termes trop imprécis, le juge ne reconnaît pas aux particuliers la possibilité de s’en prévaloir utilement. Dans le cas de la Convention de New York, il semble que la Cour de cassation se situe dans la première hypothèse, comme le suggère le considérant de principe déjà cité qu’elle a constamment fait figurer dans ses arrêts jusqu’en 1996.

Si les arrêts cités visent expressément le seul article 4 de la Convention, il apparaît en réalité que le juge judiciaire s’est appuyé sur plusieurs dispositions de la Convention pour définir sa position. Comme le suggère M. Jacques Massip, conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation, ce sont avant tout les modalités rédactionnelles de la Convention qui ont guidé les magistrats de la Cour, l’article 4 étant particulièrement emblématique du style de la Convention de New York. Le recours à des expressions non normatives du type " Les Etats parties s’engagent à prendre toutes les mesures ... " (article 4), " Les Etats parties s’engagent à ... " (article 8), " Les Etats parties veillent à ... " (article 3), témoignerait de l’impossibilité d’appliquer directement la Convention. En outre, à de nombreuses reprises sont visées des mesures législatives qui devront être prises par les Etats pour mettre en œuvre tel ou tel droit (article 2-2 sur la non-discrimination, article 12 sur l’audition du mineur dans les procédures le concernant). Enfin, le rôle dévolu par l’article 43 au Comité des droits de l’enfant, c’est-à-dire " examiner les progrès accomplis par les Etats parties dans l’exécution des obligations contractées par eux ", militerait également en ce sens.

Si ces éléments suffisent sans doute, aux yeux des magistrats de la Cour de cassation, à dénier à la Convention toute applicabilité directe, il est possible que le second critère d’appréciation de l’applicabilité ait pu également jouer. M. Jacques Massip note, à ce propos, que la Cour de cassation a pu vouloir " étouffer dans l’œuf un contentieux artificiel favorisé par les termes souvent trop vagues et peu précis de la Convention, dont ne manqueraient pas de s’emparer les plaideurs de mauvaise foi, comme le montrent d’ailleurs plusieurs des cas d’espèce soumis à la Cour suprême ".

Une jurisprudence contestée

Cependant, les arguments avancés pour justifier la position de la Cour de cassation ne sont pas de nature à emporter totalement l’adhésion.

Le caractère subjectif de l’interprétation faite par la Cour de la volonté des Etats parties, et en particulier de la France, a, par exemple, été souligné à maintes reprises. La volonté de la communauté internationale de reconnaître des droits aux enfants ne peut pas être mise en doute : l’instauration d’un dispositif de suivi de l’application de la législation témoigne, non d’une présomption d’inapplicabilité directe, mais de la fermeté de la volonté des négociateurs de voir la norme devenir réalité. Le Comité ne souligne-t-il pas, à l’occasion de l’examen du rapport remis par l’Italie, sa satisfaction de voir " que la Convention était d’application automatique en Italie et qu’à ce titre, elle pouvait être, et l’avait été, appliquée directement par les tribunaux italiens " ? Notons au passage que l’Italie applique le système dualiste, c’est-à-dire qu’elle ne reconnaît pas au traité en vigueur la supériorité sur les normes internes.

De même, la volonté de la France de voir appliquer cette Convention sur son territoire ne saurait être mise en doute, étant souligné que les plus hautes autorités de l’Etat se sont félicitées de la conclusion de la Convention.

L’interprétation faite de l’article 4 de la Convention par la Cour de cassation a également pu être considérée comme " un argument textuel controversé ". Outre le fait que ce type de stipulation est relativement courant en droit international, l’article 4 ne fait, comme l’a indiqué le commissaire du gouvernement, M. Ronny Abraham, dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat, Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI) du 23 avril 1997, " qu’énoncer une évidence " : la Cour permanente internationale de justice avait, dès 1925, reconnu comme " un principe allant de soi " qu’un Etat " qui a valablement contracté des obligations internationales est tenu d’apporter à sa législation les modifications nécessaires pour assurer l’exécution des engagements pris " (avis du 21 février 1925, Echange des populations turques et grecques). L’article 4 doit en conséquence être interprété comme signifiant qu’en tant que de besoin, l’Etat prend des mesures mettant en conformité son droit interne avec la norme internationale ; il ne saurait être considéré comme un mode d’emploi de la Convention, ce qui reviendrait à lui reconnaître une prééminence sur les autres articles que ni sa place dans la Convention ni les intentions des parties ne justifient.

Le Conseil d’Etat n’a pas suivi la Cour de cassation dans son choix de refuser l’applicabilité directe à la Convention de New York. Dans une démarche plus conforme à la méthode généralement admise en droit des traités, le Conseil d’Etat a cherché à distinguer, au sein de la Convention, les dispositions auto-exécutoires de celles qui ne le sont pas. Ainsi, dans son arrêt du 29 juillet 1994, Préfet de la Seine-Maritime, le Conseil d’Etat a considéré que " les stipulations de l’article 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant signé à New York le 26 janvier 1990 créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés ". C’est donc une approche ponctuelle, article par article, qu’a choisie le Conseil d’Etat, approche confirmée dans des arrêts ultérieurs : dans l’arrêt GISTI du 23 avril 1997, le Conseil d’Etat a estimé que les stipulations des articles 24-1, 26-1 et 27-1 de la Convention ne pouvaient pas être utilement invoquées, ne produisant pas d’effets directs à l’égard des particuliers. En sens inverse, il a estimé que l’article 16 de la Convention de New York, relatif à la protection de la vie privée des mineurs, pouvait être invoqué directement par les particuliers, tout comme peuvent l’être les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et celles de l’article 17 du Pacte international sur les droits civils et politiques portant sur le même sujet. La même analyse a prévalu pour l’article 3-1 de la Convention, affirmant la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant (Demoiselle Cinar, 22 septembre 1997).

La jurisprudence du Conseil d’Etat n’est cependant pas totalement fixée quant à l’applicabilité directe de certains articles de la Convention (articles 4 et 16).

Cette construction patiente du juge administratif permet aujourd’hui de porter un regard d’ensemble sur l’applicabilité directe de certaines dispositions de la Convention (voir annexe II).

Les voies d’évolution

La situation actuelle n’est pas satisfaisante pour les justiciables, surtout quand les particuliers en cause sont des enfants. La lisibilité de la règle de droit se trouve singulièrement obscurcie par les divergences de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction et par les doutes introduits dans l’esprit des requérants sur la portée de la Convention de New York. Certes, à aucun moment, la Cour de cassation n’a remis en cause la primauté de la Convention sur les normes internes et, tout au contraire, elle l’a affirmée avec fermeté. Néanmoins, l’esprit de la Constitution n’est pas appliqué et le principe de droit international d’exécution de bonne foi des traités reçoit une application pour le moins nuancée. Or, l’évocation récurrente de ce problème par les personnes auditionnées par la commission d’enquête incite à examiner les voies d’évolution possibles.

Faut-il attendre un revirement de jurisprudence de la part de la Cour de cassation ? Il est vrai que les juges du fond ont résisté à cette jurisprudence pourtant confirmée dans de nombreux arrêts. Ainsi, la Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 16 mars 1993 sur une affaire d’adoption, a considéré que l’intervention directe d’un mineur " par l’intermédiaire d’un avocat, doit être déclarée recevable par application de la Convention des Nations Unies ". Certains commentateurs ont cru voir, dans un arrêt rendu le 25 juin 1996 par la Cour de cassation, l’esquisse d’une évolution de la position de la cour : celle-ci a en effet motivé son refus de faire droit au requérant par le fait que celui-ci ne rentrait pas dans le champ d’application défini à l’article premier de la Convention. Pour la première fois, la première chambre civile de la Cour a cité la Convention sans dire qu’elle n’était pas directement applicable. Si, a contrario, la Cour avait estimé que la notion d’enfant retenue par la Convention s’appliquait en la cause, aurait-elle accepté d’examiner le moyen tiré de la violation de la Convention  ? Le doute demeurant sur une éventuelle évolution de la Cour de cassation, il convient d’examiner d’autres voies.

En l’état actuel de la jurisprudence, le recours à l’interprétation du ministère des affaires étrangères ne constitue plus une solution envisageable. En effet, la pratique spécifiquement française qui consistait, pour le juge confronté à une difficulté d’interprétation d’un traité, à faire trancher cette difficulté par le ministère des affaires étrangères, est aujourd’hui largement abandonnée. Le Conseil d’Etat a consacré une solution jurisprudentielle nouvelle, dans son arrêt d’assemblée du 29 juin 1990, (GISTI), suivant en cela les conclusions du commissaire du gouvernement qui proposait d’abolir le système du renvoi préjudiciel, lequel traduisait le souci du juge de ne pas s’immiscer dans la conduite des affaires internationales, au profit d’une présomption de capacité du juge à interpréter lui-même les Conventions et traités internationaux. La première chambre civile de la Cour de cassation s’est ralliée à la solution dégagée par le Conseil d’Etat (Cass. civ. 1ère ch., 19 décembre 1995, Banque africaine de développement), mais la chambre criminelle a maintenu sa position traditionnelle consistant à limiter le renvoi préjudiciel aux seules questions de " droit public international " ou " d’ordre public international ".

Ces analyses montrent que la solution se trouve entre les mains du législateur.

Une loi pourrait poser le principe de l’applicabilité directe de la Convention de New York, ce qui mettrait fin à une jurisprudence qui dénie aux enfants le droit de se voir appliquer les dispositions de cette Convention, au motif que celle-ci ne lierait que les Etats. Toutefois, cette solution, outre qu’elle serait brutale, risquerait d’être perçue comme un empiétement du pouvoir législatif sur le domaine dévolu à l’autorité judiciaire, tout comme la jurisprudence de la Cour de cassation a pu, d’ailleurs, être perçue comme empiétant sur la volonté des pouvoirs publics de voir appliquer la Convention dans l’ordre interne. En outre, au regard des conditions de l’applicabilité directe, cette solution apparaît largement irréaliste : l’applicabilité directe ne se décrète pas, mais est liée, comme il a été dit précédemment, à certaines conditions.

Enoncer dans une loi que " les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant sont d’application directe " ou " sont auto-exécutoires " aurait peut-être pour effet de neutraliser le critère d’application directe que constitue l’intention des parties, telle qu’elle ressort de la rédaction des stipulations Conventionnelles, mais serait sans effet en ce qui concerne les dispositions auxquelles le juge – en l’occurrence le juge administratif – dénie un caractère auto-exécutoire du fait de leur caractère insuffisamment précis ou inconditionnel. Quand bien même ces dispositions seraient reconnues comme étant d’application directe par la loi, le juge ne pourrait que constater que leurs caractéristiques propres ne permettent de les appliquer directement à des requérants, c’est-à-dire de créer à leur profit des droits subjectifs dont ils peuvent se prévaloir en justice.

Il serait donc vain de proclamer dans la loi l’applicabilité directe de l’ensemble des dispositions de la Convention. En revanche, le législateur pourrait utilement affirmer que les justiciables sont en droit d’invoquer ces dispositions.

La distinction entre applicabilité et invocabilité, proposée par M. Ronny Abraham dans les conclusions qu’il avait rendues sur l’arrêt GISTI du 23 avril 1997, peut paraître ténue, d’autant que le Conseil d’Etat ne l’a pas retenue. Elle permettrait pourtant à des particuliers d’invoquer des stipulations non directement applicables – car pas assez précises ou conditionnelles – à l’appui de recours dirigés contre des actes réglementaires qu’ils estimeraient être manifestement incompatibles avec lesdites stipulations, voire contre des actes individuels directement fondés sur de tels actes réglementaires. En effet, comme le souligne M. Abraham, le caractère incomplet ou général d’une règle ne lui retire pas sa normativité et n’empêche pas qu’elle serve de référence à un contrôle de compatibilité d’une norme inférieure. En effet, " on ne saurait être à la fois dans le monisme et le dualisme ". Si tous les traités font partie du droit national sans produire pour autant tous les mêmes effets, " aucun ne doit être exclu a priori du débat juridictionnel : il doit être possible, par suite, de contester la compatibilité de la norme interne avec la norme internationale dépourvue d’effet direct lorsque celle-ci a pour objet de garantir des droits aux particuliers, pour la raison que cette dernière fait elle aussi partie, en vertu de la Constitution, du droit national. ".

Pour utile qu’elle soit, une disposition législative rendant invocables toutes les dispositions de la Convention de New York ne permettrait pas, à elle seule, de régler l’ensemble des difficultés relatives à l’application de cette Convention en droit interne. La Cour de cassation se trouverait en effet placée dans la position qui est, aujourd’hui, celle du Conseil d’Etat, c’est-à-dire qu’il lui appartiendrait de déterminer, sur la base des deux critères d’appréciation déjà décrits, si telle ou telle disposition est ou non d’effet direct, donc susceptible d’être appliquée directement à un requérant. Dans une telle hypothèse, il se pourrait que les deux juridictions suprêmes adoptent des positions divergentes, ce qui contribuerait à rendre plus confuse encore la question du statut juridique des dispositions de la Convention. Par ailleurs, le législateur qui se bornerait à affirmer le caractère invocable de la Convention pourrait légitimement se voir reprocher de se décharger de ses responsabilités propres sur le juge.

Le texte de loi ainsi envisagé devrait donc comporter un deuxième article posant le principe de l’effet direct de certaines stipulations de la Convention. La liste de ces stipulations pourrait être déterminée en se référant à la jurisprudence du Conseil d’Etat et aux analyses de la doctrine quant aux dispositions concernées (voir annexe II). Ainsi, dans la note qu’ils ont remise sur ce sujet à la Commission nationale consultative des droits de l’homme, MM. André Braunschweig et Régis de Gouttes proposent de reconnaître un caractère auto-exécutoire aux dispositions contenues dans les articles 3-1 (intérêt supérieur de l’enfant), 7-1 (droit au nom, à la nationalité, de connaître ses parents et d’être élevé par eux), 13 (liberté d’expression, de recherche, de recevoir et de répandre des informations et des idées), 16 (protection de la vie privée), 27-2 (responsabilité des parents ou équivalents d’assurer les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant), 29-2 (liberté d’enseignement), 30 (droit au respect des pratiques culturelles). La question de l’applicabilité directe des articles 9-2 (participation et expression de l’enfant en cas de séparation), 10-2 (droit d’entretenir des relations personnelles avec ses parents en cas de séparation) et 20-1 (droit à la protection pour l’enfant privé de son milieu familial) mérite également d’être posée ou réexaminée.

Une telle démarche aurait le mérite d’aborder sur la place publique un débat jusqu’alors limité à un cercle restreint de spécialistes ; elle permettrait en outre au législateur d’afficher avec force son intention de donner corps aux droits de l’enfant.

Même s’il est difficile d’échapper à cette liste, les choix qui seront faits pourront paraître, pour certains, arbitraires et de nature à donner lieu à une casuistique complexe. Cependant, peut-on échapper à cet exercice ?

Reste à évoquer la troisième modalité d’intervention du législateur dans le débat sur l’applicabilité de la Convention de New York, à savoir la mise en conformité du droit interne avec les stipulations du droit international. Même si les deux modalités ci-dessus exposées étaient retenues, cela ne dispenserait pas pour autant l’Etat français de prendre, conformément à l’article 4 de la Convention relative aux droits de l’enfant et à Convention de Vienne de 1969, les mesures d’exécution nécessaires à l’application des dispositions de la Convention, sous réserve – réserve certes largement théorique – de voir sa responsabilité mise en cause sur le plan international par d’autres Etats parties. Une telle transcription s’impose, tant dans l’hypothèse où il est nécessaire de modifier une législation violant les stipulations de la Convention que dans celle où il faut rendre applicables des stipulations dépourvues d’effet direct.

A terme, il est certain que toutes les stipulations non auto-exécutoires de la Convention devront devenir applicables. Conscients qu’il s’agissait là d’une entreprise de très longue haleine, les rédacteurs ont d’ailleurs prévu un dispositif de suivi quinquennal, non limité dans la durée. Ce travail de transcription est déjà engagé et l’objet de cette commission d’enquête est bien de faire avancer cette transcription.

Une loi se référant à l’article 4 de la Convention pourrait ainsi transcrire les dispositions que le législateur considère comme n’étant pas directement applicables et qui ne sont pas encore prises en compte dans le droit interne. Dans l’absolu, une telle loi rendrait inutile l’affirmation législative du caractère invocable des stipulations de la Convention. Ce raisonnement ne vaut toutefois que pour une transposition intégrale des dispositions d’effet direct, condition qui paraît difficile à satisfaire.

En revanche, la démarche de transcription des dispositions Conventionnelles dépourvues d’effet direct est, par définition, parfaitement compatible avec la détermination par voie législative des dispositions qui doivent avoir un tel effet. Il y a d’ailleurs lieu de remarquer, a contrario, que la transposition dans le droit interne d’une disposition assez précise et inconditionnelle pour créer des droits au profit des particuliers n’aurait pas de sens, puisqu’elle prendrait la forme d’un recopiage ou d’une paraphrase tout à fait contraire à l’article 55 de la Constitution.

Le rapporteur propose donc de combiner les trois démarches ci-dessus décrites en faisant voter une loi posant le principe de l’invocabilité de la Convention de New York et fixant la liste de ses dispositions d’effet direct et en poursuivant la transcription des dispositions de cette Convention dans le droit français.

L’affirmation de l’invocabilité de la Convention et la détermination de ses dispositions d’effet direct doivent intervenir rapidement : il serait souhaitable qu’avant la fin de l’année 1998, une initiative législative vienne clarifier les conditions d’application de la Convention en France.

L’adoption en 1999, année marquant le dixième anniversaire de la Convention, d’une loi regroupant les différentes propositions de transposition émises par la commission d’enquête viendrait achever le dispositif et permettrait de souligner avec force l’engagement de la France en faveur des droits de l’enfant.

 

II.– L’enfant, une identité à construire

Lorsqu’il va à la rencontre de l’officier d’état civil, le père fait bien plus que déclarer la naissance de son enfant : il lui donne son existence juridique, comme sa mère lui a donné auparavant son existence biologique. Il fait de lui non pas une personne – que le nouveau-né est déjà, dès l’instant de sa naissance – mais un être civil, inséré dans le réseau de droits et d’obligations de l’organisation sociale. Le père déclarant introduit au monde son enfant né.

L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, et les prénoms qui lui seront donnés […]. Les prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère " (article 57 du code civil). Des prénoms, un sexe et des coordonnées spatio-temporelles (singulière fausse absence que celle du nom patronymique !) : voilà tout l’état civil. Et il s’agit pourtant de ce qui fait que cet enfant est.

L’enfant peut posséder une identité. Il ne possède pas pour autant son identité.

Une fois passé l’instant fondateur de l’apparition biologique – la déclaration de naissance n’est en elle-même, à ce titre, qu’un épisode – un lent travail de construction va commencer pour l’enfant et ses parents. L’identité de l’enfant se construira en grande partie autour de son lien de filiation et de l’exercice de l’autorité parentale.

A. La filiation à l’épreuve des droits de l’enfant

La filiation est le lien qui unit un enfant à son père et à sa mère. En tant que telle, elle fonde la parenté et résiste aux turbulences qui peuvent faire vaciller ou éclater la cellule familiale. Si l’on oppose classiquement la filiation par le sang et la filiation adoptive – opposition dont les frontières ont au demeurant été brouillées du fait des avancées médicales en matière de procréation médicalement assistée – il est un autre critère de césure fréquemment avancé, qui distingue entre une filiation biologique et une filiation voulue ou vécue. Ces diverses dimensions se superposent, s’entrecroisent, se complètent ou se concurrencent, et font la richesse et la complexité du droit de la filiation.

Depuis le droit romain jusqu’à la grande loi du 3 janvier 1972, les flux et reflux des conceptions sociales et juridiques en matière de filiation par le sang ont témoigné d’un balancement constant entre l’importance accordée à la dimension biologique et celle accordée au " contrôle social " exercé sur la famille et le lien familial. Peu à peu s’est imposée l’idée de progresser vers plus de vérité et plus d’égalité : le lien juridique doit pouvoir se fonder de préférence sur les liens biologiques ; le statut matrimonial des parents ne doit pas avoir d’influence sur le statut et les droits des enfants.

Les travaux conduits par la commission d’enquête ont rapidement montré qu’il était possible – et nécessaire – d’effectuer des progrès importants dans ces deux directions.

1.– Le devoir de vérité

Le droit de connaître ses origines

Les années récentes ont vu l’émergence d’une revendication de plus en plus forte et largement répandue : le droit de connaître ses origines. Faut-il y voir une manifestation de la crise identitaire qui semble avoir saisi les sociétés industrielles en cette fin du XXe siècle ? Faut-il y voir, au contraire, une réaction " libertaire " à certaines règles jugées désormais hypocrites ou tout simplement dépassées ? Quelle que soit l’explication, le droit à connaître ses origines fait à présent partie du champ normal des aspirations politiques et sociales. Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Jean-Pierre Rosenczveig insistait cependant sur le fait que les intéressés souhaitent avant tout avoir la possibilité de connaître leurs origine et qu’ils n’en font pas nécessairement usage quand ce droit leur est reconnu.

Il était inévitable que ce principe marquât la Convention de New York. Dans le premier alinéa de son article 7, celle-ci stipule en effet que " l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevés par eux ".

La doctrine a parfois porté une appréciation nuancée sur la portée de ce texte. D’aucuns se sont interrogés sur la transition sémantique qui avait pu transformer le " droit de connaître ses parents ", inscrit effectivement dans le texte de la Convention, en " droit de connaître ses origines ", retenu la plupart du temps dans la présentation qui est faite dudit texte. D’autres font valoir que le droit de connaître ses origines dépasse la condition de l’enfant et doit être également reconnu aux adultes ; il n’aurait donc pas sa place dans une Convention relative aux droits de l’enfant ; de plus, le droit de connaître ses parents s’inscrirait mieux dans la logique d’un texte à vocation protectrice, au bénéfice d’un enfant considéré comme faible et incapable. On a pu affirmer aussi que l’injonction qui est faite aux États parties concerne plus les pays en voie de développement que les pays industrialisés : la communauté internationale aurait eu le souci de ce que l’adoption ne puisse être perçue comme un moyen pour les familles des pays pauvres de remédier à leurs difficultés matérielles.

Quoi qu’il en soit, cette volonté d’assortir les droits reconnus par la Convention de New York d’une interprétation restrictive qui irait à l’encontre même de ses objectifs fondamentaux semble déplacée.

Le Conseil d’Etat, dans son rapport de 1991 sur les droits de l’enfant, affirmait d’ailleurs clairement que " l’enfant, au nom de la vérité biologique, a un droit à la connaissance de ses origines ".

De fait, dans des proportions différentes, la loi du 3 janvier 1972 portant réforme de la filiation, puis la loi du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales, ont ouvert plus largement la voie à la légitimité biologique de la filiation :

– la portée de la présomption concernant la durée des grossesses et le moment de la conception de l’enfant a été réduite par l’introduction, en 1972, dans l’article 311 du code civil, de la recevabilité de la preuve contraire ; en l’absence de texte explicite, la jurisprudence y voyait auparavant des présomptions absolues et irréfragables ;

– la loi de 1972 a également réduit le domaine et la portée de la présomption de paternité légitime (article 313, alinéa 1 et article 313–1 du même code) en faisant valoir des circonstances qui rendent la paternité du mari hautement improbable ;

– en 1993, les cas d’ouverture (article 340 du même code) et les fins de non recevoir (article 340–1 du même code) d’une action en recherche de paternité naturelle ont été supprimés, au prix d’une restriction destinée à éviter que la charge de la preuve n’incombe au père putatif défendeur (article 340 du même code).

En fait, les réticences étaient encore vives, et nombreux les obstacles " psychologiques ". L’encadrement très strict de l’action en contestation de la paternité légitime en témoigne (articles 318 à 318–2 du code civil), tout comme la place importante accordée par le législateur de 1972 à la possession d’état comme élément de preuve de la filiation. La possession d’état, qui présume un rapport de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir, résulte d’une " réunion suffisante de faits " susceptibles de soutenir l’hypothèse de ce lien de filiation (article 311–1 du code civil). Il s’agit par exemple du fait que l’individu a toujours porté le nom de ceux dont on le dit issu, ou bien que ceux-ci l’ont traité comme leur enfant et qu’il les a traités comme ses père et mère, etc. (article 311–2 du code civil). Valoriser la possession d’état, c’est valoriser la filiation comme résultat d’une vie commune et non comme conséquence d’un lien génétique.

Le droit contre la connaissance des origines

Mais il subsiste encore quatre cas où la règle de droit elle-même organise le secret des origines de l’enfant : l’adoption plénière, l’intervention d’un tiers donneur dans une procédure de procréation médicale assistée, l’abandon secret et l’accouchement dit " sous X ".

L’adoption plénière organise le secret des origines mais ne peut empêcher l’enfant adopté de connaître ses parents biologiques, sous réserve d’un certain nombre de démarches. Certes, l’adoption plénière " confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine : l’adopté cesse d’appartenir à sa famille par le sang […] ". Mais les preuves matérielles subsistent, qui permettent éventuellement à l’enfant adopté de retrouver l’identité de sa famille d’origine.

En effet, le jugement d’adoption donne lieu à l’établissement d’un nouvel acte d’état civil et à la transcription du jugement sur les registres du lieu de naissance de l’enfant adopté. Dans le même temps, l’acte de naissance originaire est revêtu de la mention " adoption " et considéré comme nul.

Cependant, l’enfant adopté a toujours la possibilité d’obtenir une copie intégrale de son nouvel acte de naissance, sur laquelle il trouvera les références du jugement d’adoption. Une démarche auprès du tribunal de grande instance qui a rendu le jugement lui donnera accès au jugement lui-même, mais surtout au dossier de procédure qui contient une copie de la requête aux fins d’adoption. Celle-ci offre des informations sur les modalités du consentement, sur l’état civil originaire de l’enfant adopté et, dans la mesure où elle est connue, sur sa filiation.

Le don de gamètes ou d’embryons est anonyme. Ainsi, l’article 16–8 du code civil interdit de divulguer toute information sur l’identité des personnes concernées par une opération dans laquelle il y a eu transfert d’un élément du corps humain. Ce secret est d’ordre public mais peut être levé lorsque des nécessités thérapeutiques l’exigent. L’interdiction est déclinée dans plusieurs articles du code de la santé publique.

De plus, il est interdit d’établir un lien de filiation entre l’enfant issu de la procréation et l’auteur du don. Le secret des origines acquiert ainsi une portée absolue. Enfin, aucune action en responsabilité ne peut être exercée contre le donneur (article 311–19 du code civil).

La commission d’enquête ne s’est pas penchée sur les conséquences des " lois bioéthiques " de 1994 au regard du respect des droits de l’enfant. L’exercice pourra utilement être accompli lorsque viendra le temps du bilan d’étape que la loi a fixé à 1999.

L’article 62-4° du code de la famille et de l’aide sociale organise la remise d’un enfant de moins d’un an, par son père, sa mère ou toute autre personne, au service d’aide sociale à l’enfance en vue d’une admission en qualité de pupille de l’État, en conservant le secret de leur identité et celui de l’enfant. Il est permis de se demander si cette disposition n’est pas, dans une certaine mesure, redondante avec le procédé de l’accouchement sous X.

Lorsque l’enfant est remis au service d’aide sociale à l’enfance par ses père ou mère, ceux-ci doivent être invités à consentir à son adoption. L’enfant est déclaré pupille de l’État à titre provisoire, mais il peut être repris immédiatement et sans formalités par la personne qui l’avait remis au service, dans un délai de deux mois. Un acte " tenant lieu d’acte de naissance " est alors rédigé par un officier d’état civil, en vertu des dispositions de l’article 58 du code civil.

La personne ayant remis l’enfant conserve la possibilité de faire connaître ultérieurement son identité, dont pourront être informés, sur leur demande expresse, le représentant légal de l’enfant, lui-même s’il est majeur ou ses descendants en ligne directe majeurs s’il est décédé. Si cette personne lève le secret de son identité mais que les destinataires potentiels n’ont pas exprimé de demande en ce sens, la conservation de l’identité est placée sous la responsabilité du président du conseil général.

Si la personne ayant remis l’enfant ne lève pas le secret, l’enfant n’aura pas accès à ses origines biologiques : après une adoption éventuelle, il n’aura accès, in fine, qu’à l’acte tenant lieu d’acte de naissance mais jamais à l’acte de naissance originaire.

L’accouchement anonyme, dit " sous X ", a été consacré dans le code civil par la loi du 8 janvier 1993. Il faisait auparavant l’objet d’une réglementation à caractère sanitaire et social : le décret-loi du 2 septembre 1941, les décrets du 29 novembre 1953 et du 7 janvier 1959, puis l’article 47 du code de la famille et de l’aide sociale, introduit par la loi du 6 janvier 1986, protégeaient l’anonymat de la mère, tout en organisant la prise en charge des frais occasionnés par son accouchement.

La loi de 1993 va plus loin, puisque désormais l’accouchement sous X a une conséquence directe sur la filiation de l’enfant. Ce n’est pas tant la rédaction de l’article 341–1 du code civil qui est en cause, mais celle de l’article 341. Le premier introduit le principe de l’accouchement sous X dans le code : " Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ". Le second, dans son premier alinéa, dispose que " la recherche de la maternité est admise sous réserve de l’article 341–1 ". Le législateur a donc choisi d’opposer une fin de non recevoir à toute action en recherche de maternité consécutive à un accouchement sous X.

Ainsi, l’accouchement sous X prive définitivement l’enfant de sa filiation maternelle. Bien entendu, l’accouchement anonyme tel qu’il était pratiqué avant la loi de 1993 rendait la preuve de la filiation complexe, voire impossible ; tout au moins l’action en recherche de maternité elle-même n’était pas interdite à l’enfant. Ce n’est plus le cas désormais, même si l’enfant peut parvenir à percer le secret de sa naissance par des indiscrétions ou pour toute autre cause.

Une telle atteinte au droit de connaître ses origines trouvait traditionnellement sa justification dans la volonté d’éviter les infanticides, pour des mères qui sont souvent en situation de détresse et ne veulent pas ou ne peuvent pas assumer leur maternité. Une telle explication pouvait certainement être apportée au XVIIIe siècle ; elle n’a plus vraiment de valeur aujourd’hui, au regard de la multiplicité de mécanismes sociaux qui sont mis en œuvre au bénéfice de la mère en détresse.

L’accouchement sous X, dans sa dimension nouvelle introduite en 1993, suscite toujours de vifs débats : la doctrine porte des appréciations parfois contradictoires sur l’intérêt réel de la formule ; les associations défendant le droit de l’enfant à connaître ses origines s’opposent vigoureusement aux associations de parents adoptifs, qui voient dans l’accouchement sous X un moyen d’augmenter le nombre d’enfants adoptables.

La matière abordée est certes délicate, mais conformément au sentiment général exprimé par les personnes auditionnées par la commission d’enquête, celle-ci, dans sa très grande majorité, estime qu’il est souhaitable d’aménager le régime de l’accouchement sous X afin de garantir le droit de l’enfant à connaître ses origines, tout en offrant à la mère la possibilité de préserver, dans une certaine mesure, le bénéfice du secret qu’elle avait organisé lors de la naissance de son enfant.

Ainsi, il pourrait être envisagé de conserver auprès d’une institution publique les informations (recueillies selon un mode homogène) relatives à la filiation biologique de l’enfant. Le secret de l’information pourrait être levé, sur la base d’une demande commune de la mère et de l’enfant, pendant la minorité de celui-ci. Cette possibilité pourrait être conditionnée, soit à la capacité de discernement de l’enfant, soit à un âge minimal. Elle ne pourrait être exercée que par l’enfant personnellement et non par son représentant légal, mais sous réserve de l’information de celui-ci. Le secret serait levé de plein droit, à la demande du seul enfant mais sous réserve de l’information de la mère, à l’âge de 18 ans. En tout état de cause, la divulgation du secret ne serait pas susceptible de remettre en cause les liens de filiation déjà reconnus à l’enfant.

La commission d’enquête est bien consciente des conséquences psychologiques que peuvent avoir, pour l’un ou l’autre des deux protagonistes, les démarches tendant à la levée du secret de la filiation biologique. Celles-ci ne peuvent être envisagées qu’à la condition que soient simultanément entreprises, par l’institution publique évoquée ci-avant, des actions d’accompagnement et de soutien auprès de l’enfant et du ou des parents concernés. Les modalités de cet accompagnement seraient nécessairement très diverses puisque, à tout le moins, la révélation du secret des origines n’est pas en elle-même susceptible de déboucher sur une rencontre entre parents et enfants, mais qu’elle ne peut exclure cette éventualité.

Un dispositif similaire existe au Royaume uni, dans le cadre d’une loi sur la bioéthique adoptée au tout début des années 90. Cette loi a instauré une Autorité pour la fécondation humaine et l’embryologie, qui organise la conservation des informations provenant des centres autorisés à effectuer les procréations médicalement assistées. L’enfant peut accéder aux fichiers le concernant à l’âge de 18 ans et connaître ainsi sa filiation génétique.

Ce type de dispositif pourrait être, dans un premier temps, mis en place pour l’accouchement sous X et pour l’abandon secret, et serait ensuite, lorsque le législateur le jugera opportun, étendu aux naissances par procréation médicalement assistées.

2.– Le devoir d’égalité

L’égalité : un principe désormais bien admis

Le mouvement juridique pour une plus grande manifestation de la vérité biologique se heurte ainsi à plusieurs obstacles sérieux. Il en est de même pour le respect du principe d’égalité entre les enfants, quel que soit le statut matrimonial de leurs parents.

Cette égalité est l’aboutissement d’un long processus, dont le point de départ est le code Napoléon de 1804, pour qui l’enfant ne peut être que légitime… ou il n’est rien.

La loi de 1972 a supprimé, en principe, toute discrimination entre les enfants légitimes et les enfants naturels. Elle a aboli par ailleurs les notions d’enfants adultérins et d’enfants incestueux – certaines dispositions du code civil visent ces catégories, mais désormais elles ne sont plus nommément désignées. " L’enfant naturel a en général les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’enfant légitime dans ses rapports avec ses père et mère. Il entre dans la famille de son auteur ".

Un sort particulier est réservé aux enfants adultérins, désignés sous la forme d’une périphrase : " si, au temps de la conception, le père ou la mère était engagé dans les liens du mariage avec une autre personne, les droits de l’enfant ne peuvent préjudicier que dans la mesure réglée par la loi, aux engagements que, par le fait du mariage, ce parent avait contractés ".

Certaines personnes ont exprimé le souhait, devant la commission d’enquête, de voir supprimer, dans le code civil, les expressions " enfant légitime " et " enfant naturel ", au motif que tous les enfants sont " naturels " et que tous sont légitimes également, puisque nés de leurs géniteurs. Il est vrai que, si légitime veut dire, comme son sens littéral le suggère, " juridiquement fondé, consacré par la loi ", alors tous les enfants sont " légitimes ", puisque le régime de la filiation naturelle s’appuie sur pas moins de trente cinq articles du code civil, sans même compter les articles portant dispositions communes aux filiations légitime et naturelle.

En revanche, le rapporteur est plus sensible à l’argument selon lequel ce n’est pas l’enfant qui est légitime ou naturel, mais sa filiation, qui emporte certaines conséquences juridiques vis-à-vis des parents et vis-à-vis des tiers. Mais la lourde périphrase élaborée pour désigner les enfants adultérins montre que, à trop vouloir " purifier " le langage juridique d’expressions prétendument péjoratives, on gagne peu en sens et en efficacité.

Les règles de filiation au regard du principe d’égalité

En matière de filiation, le principe d’égalité ne souffre que quelques rares exceptions. Il est clair qu’aucune présomption de paternité ne peut être invoquée dans le cas d’un enfant naturel, alors que c’est le cas pour un enfant légitime. Certains auteurs assurent même que le mariage, si l’on s’attache à sa signification profonde, n’est rien d’autre qu’un mode d’organisation sociale destiné à donner un père présumé à tout enfant. Par ailleurs, les filiations naturelles paternelle et maternelle sont divisibles, alors que la filiation légitime est indivisible, c’est-à-dire établie à l’égard du père et de la mère à la fois.

L’article 334–1 du code civil pose l’interdiction d’établir une filiation incestueuse ; cette interdiction n’empêche pas que l’enfant puisse se voir reconnaître un lien de filiation, avec l’un de ses deux parents, en vertu de la divisibilité des filiations naturelles paternelle et maternelle.

La filiation maternelle légitime peut, elle, être établie du seul fait de la naissance de l’enfant et de l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance ; en revanche, pour un enfant naturel, l’établissement de la filiation maternelle requiert un élément supplémentaire : un acte de reconnaissance émanant de la mère, une possession d’état ou un jugement.

Par ailleurs, il convient de remarquer que l’enfant adultérin ne pourra être élevé au domicile conjugal qu’avec le consentement du conjoint de l’auteur de l’adultère (article 334–7 du code civil). Il s’agit de la seule mesure discriminatoire édictée par le législateur contre les enfants adultérins en matière extra-patrimoniale.

Les règles successorales, déni d’égalité

L’atteinte la plus importante au principe d’égalité posé par l’article 334 du code civil touche justement aux droits successoraux des enfants adultérins. Dans la majeure partie des cas, et s’agissant d’héritage, on quitte ici le terrain de l’enfant mineur pour rejoindre celui de l’enfant majeur. L’enfant adultérin voit tout à la fois sa vocation successorale réduite et ses droits procéduraux amputés.

Les droits successoraux de l’enfant adultérin sont réduits :

– à la moitié de ce qui, en son absence, serait revenu au conjoint victime de l’adultère, quand il vient en concours avec lui (article 759 du code civil) ;

– à la moitié de ce qui lui serait revenu s’il avait été légitime, lorsqu’il vient en concours avec d’autres enfants légitimes issus du mariage victime de l’adultère ; la fraction dont sa part est amputée profite alors aux enfants légitimes issus de ce mariage

En revanche, si l’enfant adultérin est en concours avec des enfants légitimes issus d’un mariage autre que celui au cours duquel a été commis l’adultère, il a les mêmes droits que ces enfants légitimes.

Il convient de mesurer le progrès par rapport à la situation antérieure à la loi de 1972, où l’enfant adultérin était purement exclu de toute dévolution successorale. La discrimination subsistante reste cependant inappropriée, et montre un décalage profond avec les réalités sociologiques du temps présent.

La réforme du droit des successions a connu quelques avatars, ces dernières années. Cependant, dans le cadre d’une nécessaire réforme des droits de succession, il est souhaitable d’établir enfin une égalité totale entre les enfants légitimes, naturels et adultérins, au plan successoral.

L’établissement du lien de filiation est cependant insuffisant pour fonder l’exercice de la famille au quotidien, qui est, comme l’indique le préambule de la Convention de New York " le milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants ".

B. Autorité et responsabilité parentale

1.– L’enfant face aux mutations de la famille

Malgré les attaques dont il a été l’objet depuis plusieurs lustres, le mariage reste la référence à l’aune de laquelle se juge toute analyse des évolutions de la famille. Ainsi, l’INSEE peut annoncer que " 35% des enfants nés en 1993 sont issus de parents non mariés, contre 6% en 1960 ". La progression de ces naissances, très soutenue entre 1976 et 1986, s’est ralentie depuis 1988, mais la naissance hors mariage est désormais banalisée.

La proportion de naissances chez les femmes qui ne vivent pas en couple reste stable, aux alentours de 4%. La croissance des naissances hors mariage est donc surtout le fait des couples non mariés. De plus, la perspective d’une naissance n’entraîne plus nécessairement la régularisation de l’union : un enfant sur dix seulement est légitimé à la naissance en 1993 au lieu de quatre sur dix en 1980 et plus de six sur dix en 1970. La naissance hors mariage relève bien d’un choix délibéré des parents, dont on a pu dire, lors de débats récents, que l’État l’encourage par la fiscalité des concubins. Dans le même sens, l’augmentation des mariages constatée en 1996 et 1997 est généralement mise sur le compte des modifications fiscales favorables aux couples mariés, qui ont été introduites dans la loi de finances initiale pour 1996.

Autorité parentale et recomposition des familles

La question des modalités d’exercice de l’autorité parentale pour les enfants concernés se pose alors avec d’autant plus d’acuité. Là encore, le mouvement historique a conduit à un alignement progressif de la législation vers des solutions de plus en plus équilibrées.

S’agissant des familles " légitimes " touchées par le divorce, la loi du 8 janvier 1993 a parachevé la démarche engagée par la loi du 22 juillet 1987. En 1987, la loi avait donné au juge la possibilité de décider que, malgré leur séparation, les parents divorcés exerceraient en commun leur autorité ; il ne s’agissait cependant que d’une modalité parmi d’autres. En 1993, la loi a fait de cette possibilité un principe, auquel le juge ne peut déroger que si l’intérêt de l’enfant l’exige. Et, de fait, les études quantitatives effectuées sur cette question montrent que la pratique judiciaire a répondu aux attentes du législateur.

Il subsiste cependant un déséquilibre entre le parent " chez lequel les enfant ont leur résidence habituelle " et l’autre parent. Non pas que les juges restent prisonniers de schémas de pensée conférant à la mère un rôle privilégié vis-à-vis des enfants : là encore, les quelques études quantitatives disponibles suggèrent que le déséquilibre entre les décisions confiant les enfants à la garde de la mère et celles les confiant au père reflète principalement l’écart entre les demandes émanant de l’un et l’autre parents. Le rôle prédominant des mères reste cependant une réalité, tout comme la fragilité de l’exercice de l’autorité parentale par le parent " non gardien " qui entretient des relations conflictuelles avec le parent " gardien ". Des associations comme " SOS Papa " dénoncent d’ailleurs avec vigueur le " viol délibéré et répétitif " de l’autorité parentale. Néanmoins, les règles posées par le législateur offrent, aujourd’hui, globalement, assez de souplesse pour permettre un exercice harmonieux de leurs responsabilités par les deux parents ou, éventuellement, encadrer les conflits au mieux des intérêts des enfants. Les modifications éventuelles (reconnaissance législative de la garde alternée, précisions sur le délit de non représentation d’enfant, etc.) relèveraient plutôt de l’ajustement que du bouleversement.

La loi du 8 janvier 1993, réécrivant l’article 372 du code civil, a posé comme principe l’exercice en commun de l’autorité parentale dans la famille naturelle, sous conditions.

Dans l’état du droit antérieur, le principe était l’exercice de l’autorité parentale par le parent qui avait seul reconnu l’enfant, ou bien, si l’enfant bénéficiait d’une double reconnaissance, par la mère uniquement. L’exercice conjoint de l’autorité parentale nécessitait une déclaration conjointe devant le juge des tutelles. Au delà même de la prééminence accordée à la mère au regard de la règle de principe, il convient d’observer que la mère disposait donc d’un pouvoir " dissuasif " important vis-à-vis du père : en s’abstenant de participer à la procédure simple de la déclaration conjointe, elle le contraignait à déposer une demande devant le juge tendant à modifier les conditions d’exercice de l’autorité parentale.

Le dispositif retenu par le législateur en 1993 marque un réel progrès, mais laisse subsister une condition dont la pertinence peut être mise en doute. On peut, à la rigueur, admettre que l’exercice " par défaut " de l’autorité parentale en commun soit subordonné à la reconnaissance de l’enfant par ses deux parents avant l’âge de un an. D’ailleurs, les reconnaissances paternelles des enfants nés hors mariage sont devenues à la fois plus fréquentes et plus rapides : 40% des enfants étaient reconnus par leur père (seul ou conjointement avec la mère) en 1975 mais près de 70% en 1992, 70,5% en 1993, 72,3% en 1994 et 73,7% en 1995. Si l’on se réfère au premier anniversaire de l’enfant, les proportions totales d’enfants reconnus par rapport au nombre de naissances sont alors de 79,1% en 1992, 80,1% en 1993, 81,0% en 1994 et 82,1% en 1995.

Il est plus difficile de justifier la condition imposant que les parents vivent en commun au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance. Si cette condition n’est pas remplie, le régime est alors identique à celui prévalant antérieurement : l’autorité est exercée par la mère, sauf déclaration conjointe auprès du juge des affaires familiales.

Cette exigence témoigne du souhait, clairement exprimé lors de la discussion de l’amendement ayant introduit la disposition, de s’assurer
– mais au bénéfice de qui ? – de la capacité du couple de parents à offrir un semblant de vie familiale " classique ", c’est-à-dire calquée sur le modèle du mariage dans ce qu’il a de plus évident, la vie sous un même toit.

Une telle exigence est-elle adéquate ? Le rapporteur ne le pense pas. Elle introduit une rupture injustifiée entre les parents d’un enfant naturel et les parents divorcés d’un enfant légitime, qui peuvent exercer en commun l’autorité parentale sans pour autant élire domicile en commun. L’exigence de vie commune posée à l’article 372 du code civil devrait donc être abrogée.

Par ailleurs, une étude menée par le centre du Droit et de la famille de Lyon s’est attachée à apprécier la portée concrète des innovations introduites par la loi du 8 janvier 1993 en matière d’exercice de l’autorité parentale. Ses principaux enseignements, s’agissant de la famille naturelle, peuvent être résumés ainsi.

Pour l’exercice en commun de plein droit de l’autorité parentale, la procédure de l’acte de " communauté de vie " prévue par l’article 372–1 du code civil, qui vise à faire établir par le juge, au vu des éléments apportés par le demandeur, la réalité de la vie en commun, n’a pas eu le succès escompté. L’acte de " communauté de vie " semble, en effet, ne pas correspondre aux besoins des parents. Ceux-ci recherchent en fait un document qui leur permette de prouver aux tiers qu’ils exercent en commun l’autorité parentale. L’acte de " communauté de vie " est insuffisant à cet égard, car il doit être complété par l’acte de naissance de l’enfant (qui mentionne l’existence et la date des reconnaissances). Par ailleurs, l’acte de " communauté de vie " n’a pas vocation à organiser l’exercice au quotidien de l’autorité parentale, pour ceux des parents qui souhaitent se séparer.

Il n’est donc pas étonnant que des parents se tournent de préférence vers les procédures prévues à l’article 374 du code civil, qui sont la déclaration conjointe, sus-mentionnée, et la décision du juge aux affaires familiales, rendue sur demande du père ou de la mère.

A priori, à suivre la lettre de la loi, ces deux procédures sont destinées aux cas où les parents ne remplissent pas les conditions nécessaires pour disposer de plein droit de l’exercice en commun de l’autorité parentale. Or il s’avère que, dans près de la moitié des cas étudiés, les intéressés remplissent précisément ces conditions… Ceci confirme que le document officiel est surtout recherché pour sa valeur vis-à-vis des tiers et parce qu’il matérialise les modalités d’exercice de l’autorité.

La déclaration auprès du greffier du tribunal de grande instance est surtout le fait de parents jeunes, qui manifestent le désir d’officialiser leur situation, et qui, vivant ensemble au moment d’effectuer la démarche, sont déjà investis de plein droit de l’exercice en commun de l’autorité parentale. En ce qui concerne leurs rapports réciproques, la démarche de déclaration est donc inutile.

La requête auprès du juge aux affaires familiales est surtout exercée par des couples qui ne vivent plus ensemble ou sont sur le point de se séparer. Le juge se prononce généralement, dans ce cas, pour l’exercice en commun de l’autorité parentale (pour ceux des parents qui ne l’ont pas déjà).

Enfin, le contentieux de l’exercice en commun de l’autorité parentale dans la famille naturelle porte plus sur l’aménagement de cet exercice que sur sa remise en cause. La mère est demandeuse dans la majorité des cas : les enfants résidant avec elle, elle souhaite une clarification judiciaire du lieu de résidence, du droit de visite du père, de la pension alimentaire due par ce dernier, etc. Lorsque le père est demandeur, il demande en général la fixation ou l’aménagement de son droit de visite et d’hébergement, mais rarement un changement de résidence à son profit.

La place du beau-parent

Ces analyses, portant sur les familles naturelles ou légitimes, n’intègrent pas la présence éventuelle d’un beau-parent comme paramètre discriminant. Cela est légitime puisque, d’une part, la plupart des cas étudiés concernent des familles unies, et que, d’autre part, le beau-parent n’a pas d’existence juridique au regard des membres d’une famille séparée.

Pourtant, par sa présence constante au foyer de la " seconde famille " de l’enfant, il peut contribuer de facto à son éducation, son entretien et son développement. Le beau-parent n’apparaît, en droit, que sous la qualification du " tiers ", ou, au pénal, de " personne ayant autorité ". Cette dernière expression montre à l’envi combien la situation du beau-parent est riche d’ambiguïtés…

S’exprimant sur les aspects patrimoniaux des secondes familles, H. Fulchiron, professeur de droit à l’Université Jean Moulin-Lyon III, a pu écrire : " Si le code civil s’intéresse aux enfants nés de différentes unions, c’est pour élever des barrières entre les familles, pour protéger les droits patrimoniaux de l’une contre les convoitises supposées de l’autre, pour apaiser les rivalités d’intérêt qui risquent de dresser famille contre famille, demi contre demi, quasi contre quasi. Bref, le droit français est encore frappé du syndrome d’Agrippine ou, si l’on préfère, de Cendrillon. ".

Aujourd’hui, la question principale des familles recomposées touche plutôt aux relations personnelles entre le beau-parent et ses beaux-enfants, pendant la vie commune et après la séparation éventuelle de la seconde famille. Posée ainsi, le problème peut paraître incongru. Toute l’évolution du droit depuis plusieurs années ne tend elle pas à affirmer la pérennité du couple parental face aux vicissitudes du couple conjugal ? Est-ce donc pour introduire aujourd’hui un " troisième homme " aux contours aussi flous ?

De fait, la diversité des familles recomposées obère la définition commode d’un statut du beau-parent… à supposer qu’un tel statut soit recommandé. La quasi-inexistence du contentieux autour du personnage du beau-parent suggère que le besoin de fabriquer une règle de droit ne répond peut-être pas à une demande réelle.

Il semble pourtant que le droit aurait intérêt à encadrer une situation de fait, la vie commune entre enfant et beau-parent, au bénéfice mutuel de l’un et de l’autre. Ainsi, un dispositif souple et néanmoins efficace pourrait s’ordonner autour des principes suivants :

– les capacités conférées au beau-parent seraient établies sur le fondement à la fois de la vie commune avec l’enfant considéré, et de la volonté, implicite ou manifeste, du beau-parent ;

– le beau-parent serait investi de la capacité d’accomplir pour le ou les enfants concernés " tous les actes usuels relatifs à leur surveillance et à leur éducation ", sur la base de l’expression utilisée, dans un autre contexte, dans l’article 287–1 du code civil ;

– les actes ainsi décidés n’auraient d’effet que pour autant qu’ils ne soient pas inconciliables avec des décisions prises par les titulaires de l’autorité parentale, y compris le parent " absent ".

Ces premiers linéaments d’un statut du beau-parent ne préjugent pas des solutions qu’il apparaîtrait judicieux de définir pour introduire le droit dans la période qui suit l’éventuelle séparation de la famille recomposée : le beau-parent peut-il maintenir des relations avec l’enfant de son ex-" conjoint " décédé ? peut-il ou doit-il prendre en charge l’enfant qui a perdu son parent ?

L’intrusion du beau-parent dans le tableau des droits de l’enfant éclaire d’un jour nouveau les tensions auxquelles est soumise la matrice triangulaire père-mère-enfant. Chacun s’accorde à reconnaître que le noyau parental joue un rôle essentiel, voire premier, dans la construction des cadres de référence de l’enfant, donc dans sa préparation à la vie d’adulte. C’est pourquoi la fonction de parent – ou faudrait-il parler plutôt de la mission de parent – est si difficile et la question de la parentalité si souvent évoquée au cours des auditions de la commission d’enquête.

2.– Les voies de la responsabilité

Prémices de la parentalité

Comment devenir parent ? La parentalité est d’abord, tout au moins pour la mère, une évidence biologique. Elle l’est également pour le père, au prix d’une démarche d’appropriation et de ce qui peut s’assimiler encore à un acte de foi.

On sait les difficultés, les interrogations, les inquiétudes sur leur capacité à assumer une maternité-paternité que peuvent éprouver les couples à l’annonce de l’enfant à naître, pendant la gestation, à la naissance et pendant la période néo-natale. On sait la diversité des réactions entre ces deux extrêmes : le parent qui " sur-investit " son enfant dans un sentiment d’amour sublimé et quasi hallucinatoire ; le parent qui, au contraire, croit ressentir de l’indifférence, voire éprouve un sentiment de rejet, et en conçoit une angoisse qui peut se traduire par des symptômes dépressifs. La gestion des modifications dans l’équilibre du couple, avant et après l’accouchement, est la première dimension concrète de la parentalité. Il faut aussi apprendre à maîtriser les représentations imaginaires de l’enfant, confrontées dès lors à la réalité du nouveau-né, et définir la place de celui-ci dans l’histoire du couple.

La parentalité, c’est aussi – et peut-être surtout – cette fonction qui vise à transformer l’enfant, à " l’élever ". Les parents doivent d’abord – on l’oublie trop souvent – donner à leur enfant les moyens de vivre pleinement sa vie d’enfant, dans chacune de ses étapes. Ils doivent aussi – dans une approche plus largement répandue – conduire l’enfant vers l’âge adulte. M. Hubert Brin, président de l’UNAF, déclarait ainsi devant la commission d’enquête : " tout le débat autour de l’enfant est le suivant : comment faire en sorte que l’enfant puisse, en adulte, quitter sa famille ? ". Si cette interrogation est tout à fait pertinente, il faut également souligner l’importance de la première fonction de la parentalité : l’enfant n’est pas qu’un instrument au service de la reproduction du monde adulte ; le réduire à cette simple condition va justement à l’encontre de sa reconnaissance comme personne à part entière.

Assumer sa mission de parentalité, c’est donc mener à bien un double processus, de socialisation et de personnalisation de l’enfant, dont les deux composantes, loin de s’opposer ou de s’exclure, se répondent mutuellement dans une dynamique aujourd’hui mieux connue. Dans le triangle fondamental enfant-adulte-système culturel, la communication entre les deux premiers pôles ne peut se développer, sur un mode essentiellement émotionnel, qu’avec le support des références et valeurs culturelles auxquelles adhère l’adulte et auxquelles l’enfant désire adhérer parce qu’il se positionne par rapport à l’adulte. Réciproquement, l’adulte agit – parfois involontairement – comme un révélateur des tensions et contradictions du système culturel, et suscite alors la réflexion, la discussion, la critique, activités caractéristiques de la personne grâce auxquelles l’enfant construit lui-même un peu de sa socialisation.

Crise de la parentalité

Or, la parentalité est aujourd’hui en crise. Assurément, elle ne l’est pas dans toutes les familles, ni même dans la majorité d’entre elles. Elle est en crise partout où les mécanismes qui œuvrent à l’exclusion hors du tissu social abaissent le statut des parents et les empêchent de jouer leur rôle intégrateur. L’extension du chômage, en particulier de longue durée, en est bien entendu une cause certaine. De même, l’obsolescence rapide des savoirs paternels et maternels amène à une déqualification au regard de l’insertion de l’enfant et du jeune dans les réseaux de connaissances, de compétences, de formation et d’emploi. Par ailleurs, dans une société qui valorise le changement, l’adaptabilité, la mutabilité, les parents représentent un point d’identification qui, s’il est correctement assumé, peut être utilisé comme point d’ancrage, mais peut aussi être ressenti comme handicapant.

Enfin, il convient de rappeler combien les parents sont en concurrence, pour ce qui est de leur rôle structurant, avec d’autres lieux et d’autres modes de structuration. L’enfant leur échappe.

Ces difficultés à faire vivre la parentalité ne viennent pas, comme certains voudraient trop souvent le faire accroire, d’une démission a priori des parents de leurs responsabilités. Comme l’indique Mme Christine Delafosse, responsable de la formation à l’École des parents et des éducateurs d’Ile de France, " à partir des années 1960, une spectaculaire floraison de spécialistes a progressivement dépossédé les parents de certaines de leurs responsabilités éducatives. Et on les a présentés comme " démissionnaires " alors qu’ils étaient " démissionnés ". Mais avec la crise, les familles reviennent en première ligne ". Cette appréciation suggère qu’il existe ainsi une sorte de " cercle vicieux " de l’a-parentalité : les parents dépossédés de certaines de leurs prérogatives et fragilisés par la crise seraient conduits à abandonner une part croissante de leurs responsabilités au profit de ces professionnels qui ont précisément contribué à les disqualifier en prétendant les remplacer en tout.

Mais plus encore que du rôle ambigu des travailleurs sociaux, c’est-à-dire de la puissance publique, dans le processus de déresponsabilisation des parents, il convient de prendre conscience du déclin de la place du père dans la cellule familiale. La paternité elle aussi est en crise.

Crise de la paternité

Dans son Dictionnaire du XXIe siècle, M. Jacques Attali propose la définition suivante de la paternité : " Si la nature fait les mères, la société fait les pères. Et de plus en plus les défait. Quand les familles se rompent, c’est le père qui, le plus souvent, cesse d’exercer ses responsabilités. Pourtant la présence d’un père est absolument nécessaire à la formation de l’enfant. Sans elle, celui-ci ne peut développer un rapport cohérent au monde, à l’expérience, au pouvoir, à l’autorité... Nul n’aura plus le droit d’avoir un enfant s’il ne s’engage à en assurer la responsabilité pendant au moins quatorze ans. En particulier, transmettre un minimum de savoir humain sera un devoir juridiquement exigible… On assistera alors à la rencontre entre un nouveau droit (à l’enfance) et un nouveau devoir, la paternité... ". Cette définition intéressante, bien que contestable sur certains points, demande à être complétée.

Un groupe de travail, présidé par M. Alain Bruel, président du tribunal pour enfants de Paris, et composé de personnalités du monde associatif, éducatif ou d’action sociale, a remis en juin 1997 au ministre de l’emploi et de la solidarité un rapport intitulé Un avenir pour la paternité ? Jalons pour une politique de la paternité. Ce rapport s’est en grande partie attaché à comprendre pourquoi et comment les évolutions récentes de la paternité et de la parentalité avaient pu conduire à une " absence de repères " pour les jeunes, ou plutôt à " des repères insuffisants, voire des faux repères, des repères sujets à caution parce que bricolés au jour le jour hors de l’inspiration des adultes par une génération vis-à-vis de laquelle une certaine dette n’a pas été acquittée ; repères nés de la fréquentation entre pairs et non transmis par les pères ".

L’analyse du groupe de travail met d’abord en évidence la " déconstruction de la fonction paternelle ". Elle se traduit en premier lieu par une " difficulté subjective à être père ", qui provient en partie du délitement du rôle classique du père, initiateur socioculturel mis à mal par la généralisation de l’instruction publique, les bouleversements techniques et l’aggravation du chômage. Ce délitement n’est que la conséquence d’un processus historique : l’affaiblissement du statut paternel, qui a été formellement engagé à la Révolution et que le Code civil de 1804 n’a fait que suspendre de manière provisoire. Les réformes du droit de la famille dans les années soixante et la première moitié des années soixante-dix sont le point d’orgue de ce processus. Par ailleurs, la fonction paternelle en elle-même s’est " émiettée  " entre diverses personnes investies d’une parcelle de responsabilité par la volonté de la mère, du juge ou parfois même de l’enfant : grands parents, aînés, assistants sociaux, etc.

Les pères ont également ressenti pleinement les effets de la dislocation des structures familiales classiques : familles monoparentales dont ils sont exclus, familles naturelles où leur statut reste précaire, familles recomposées où le positionnement vis-à-vis des enfants du premier lit et du conjoint " absent " est souvent difficile. Ce déclassement social s’est doublé d’un déclassement juridique, à la faveur des évolutions mal maîtrisées du droit de la famille. Le groupe de travail estime ainsi que " le système juridique dans ses différentes facettes porte la marque de l’individualisme contemporain : focalisation sur les droits subjectifs, vision très privatisée du droit pénal, absence de critères d’harmonisation des droits concurrents, effacement de certaines dimensions d’ordre public. Aucun concept fondamental ne vient ordonner le développement parallèle et non coordonné des législations civile, sociale, fiscale et pénale ". Ce jugement sévère se poursuit, plus loin, avec l’évocation d’une " incertitude du droit quant à son sens ". Sans se prononcer sur la réalité d’un affaiblissement de la famille, le groupe de travail s’interroge cependant sur sa capacité réelle à " instituer le sujet ".

D’ailleurs, le principe de transmission des valeurs du père vers ses enfants ne fonctionne plus : parce que les valeurs véhiculées par les sociétés industrielles font peu de place à la stabilité ou à la continuité ; parce que le mode de vie moderne ne favorise pas l’éducation de longue haleine ; parce que le contenu de la transmission est devenu très pauvre : " héritiers d’une culture dont nous nous refusons à faire l’inventaire, nous n’en faisons pas moins l’impasse sur la question du sens ". En fait, à qui peut-on transmettre, dès lors qu’un individualisme croissant répugne à tout engagement collectif, à toute construction permanente, à toute implication dans la création et le maintien du lien social ? L’auto-exclusion débouche sur un malaise identitaire qui dégénère souvent en peur de l’autre. Il n’y a rien d’étonnant, alors, à ce que dépérissent les constructions imaginaires de la société, dont le rôle structurant avait été souligné par Cornélius Castoriadis en 1982. Mais, si père et fils ne peuvent plus définir leurs places respectives, l’accession du fils au statut de père est impossible.

Constatant le " désarroi des jeunes " à partir d’une enquête de l’INSERM et des comptes-rendus d’un colloque organisé au Sénat en novembre 1996, le groupe de travail relève la " demande d’un référent adulte, caractérisée par la cohérence, la permanence, la pertinence de ses attitudes " plus que par l’autorité elle-même. Il considère que " sauf à mettre derrière chaque jeune un policier ou un travailleur social, la seule issue qui s’offre à nous consiste à revitaliser la fonction familiale de transmission des valeurs, seule garante à long terme de la cohésion sociale ".

Reconstruire le lien social de la paternité nécessitait alors de réduire les trois lieux de fragilisation du lien paternel : la vigueur du lien paternel est conditionnée par celle du lien social, du lien conjugal et du lien généalogique. Le groupe de travail a ensuite cherché, avec le concours de Mme Françoise Héritier, professeur au Collège de France, à déterminer, grâce aux données de l’anthropologie, " les invariants culturels sans lesquels aucune société ne peut durablement s’organiser " ; ont ainsi été mis en évidence " la présence d’un tiers nécessaire à la représentation de l’altérité et à la différenciation [des sexes] ; la prohibition de l’inceste ; des dispositions de nature à stabiliser les relations [d’union] et à organiser la complémentarité et l’égalité des sexes ". Ensuite, une approche psychanalytique de la parentalité a permis de préciser le contenu de la dette contractée par les parents du fait de la naissance de leur enfant (canalisation des pulsions vers des réalisations licites, instauration du rapport à la loi, complémentarité et alternance entre le père et la mère des rôles de protection et de séparation, etc.) puis la façon de concevoir le rôle du père dans la cellule familiale.

Le rapport s’oriente enfin vers plusieurs propositions pour une " promotion politique de la famille ", organisées selon les orientations suivantes : offrir à l’enfant la chance d’une relation stable (la parentalité représente le lien d’un enfant à un couple et non à un parent) ; créer les conditions d’une relation juste entre les parents ; favoriser la prise de responsabilités réciproques dans un climat de solidarité et de complémentarité ; prévoir des relais de la fonction parentale par différentes institutions.

Le travail du groupe présidé par M. Alain Bruel s’inscrit ainsi dans la démarche qui a été poursuivie par la commission d’enquête. Quelle politique, en effet, pour le soutien à la parentalité ? Les possibilités d’action sont multiformes :

– informer les parents ou futurs parents sur leur rôle, à travers l’organisation de séances de sensibilisation à la parentalité, dans des lieux et à des moments qui restent à définir ; mettre au point une brochure d’information sur le thème " Notre enfant, mes devoirs et mes droits ", sur le modèle de la proposition présentée par M. Jean-Pierre Rosenczveig, qui pourrait être remise au moment de la déclaration de tout enfant ;

– développer l’accueil des parents dans les centres sociaux, ou dans des organismes comme les Écoles des parents et des éducateurs, qui disposent d’un réseau de trente établissements environ sur le territoire national ; il s’agit de donner aux parents en difficulté – ou tout simplement curieux – un lieu d’écoute, de conseil, d’assistance et d’échange avec d’autres parents ; de même, le soutien à la parentalité dans des situations difficiles très particulières (père ou mère incarcérée, enfant incarcéré, etc.) devrait être mis en œuvre par des professionnels ;

– surtout, recadrer les rôles de chacun grâce à un discours ferme et positif sur : la nécessité et la primauté de la loi ; la légitimité de conduites structurantes (et parfois contraignantes) à mettre en œuvre par les parents ; la différenciation des rôles (le parent biologique n’est pas le parent juridique, le beau-parent et les grands-parents ne sont pas des parents, etc.) ; les vertus de l’autorité parentale.

L’objectif est bien de relégitimer les parents dans leur rôle, de leur redonner un statut, de les réinvestir vis-à-vis de leurs enfants. Ce peut être parfois un travail de longue haleine… La réappropriation des fonctions d’autorité parentale ne va pas nécessairement de soi.

C’est pourquoi sa portée symbolique pourrait utilement être revisitée.

Pour une symbolique revisitée de l’autorité parentale

La notion d’autorité parentale se trouve parfois en concurrence avec celle de responsabilité parentale, que certains acteurs de l’enfance préféreraient lui voir substituer. L’idée aurait été lancée, en France par des mouvements associatifs dès le début des années 70, après la publication de loi du 4 juin 1970 remplaçant la puissance paternelle par l’autorité parentale.

Un argument vient à l’appui de cette thèse : les parents seraient, sur un pied d’égalité et en concertation avec leurs enfants, investis d’une mission d’éducation, d’entretien, de protection et de représentation de leur enfants. D’ailleurs, l’article 5 de la Convention de New York met l’accent sur la responsabilité plutôt que sur l’autorité, en indiquant que " les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents […] de donner à [l’enfant], d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention ".

Or la notion d’autorité parentale à la française répond tout à fait à l’esprit de la Convention de New York. En donnant trop d’importance au mot " autorité ", détaché de son contexte de droit civil, on en oublie parfois ce qui justement en fait plus une mission qu’un pouvoir. L’autorité conférée aux parents ne l’est qu’à raison d’un objectif précis, énoncé à l’article 371–2 du code civil : " L’autorité appartient aux père et mère pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation ". L’autorité n’est donc conférée que pour la satisfaction du développement harmonieux de l’enfant et elle entraîne des sujétions.

Il ne faut donc pas se laisser abuser par des querelles sémantiques.

Les critiques adressées à la rédaction de l’article 371 du code civil sont autrement plus sérieuses que les querelles sur l’autorité parentale, bien que leur portée concrète soit difficile à apprécier. On se situe ici plutôt dans le registre du symbolique, qui ne saurait pour autant être négligé. L’enfant est une personne et n’a pas à être victime de cette dissymétrie qui fait que " l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère ".

Certes, le juge a pu utilement faire application de cet article pour d’obscures raisons de prise en charge de frais d’obsèques, faisant ainsi verser, pour les besoins de la cause, le symbolique dans le juridique.

Il n’empêche que cet impératif d’honneur et de respect, formulé à sens unique, porte la lourde marque du temps et qu’il convient de l’adapter sans le dénaturer. Le droit est une norme, mais aussi un reflet. Pour autant, une société ne peut s’abstraire d’honneur ni de respect. Il serait quelque peu paradoxal qu’à " l’étude " on supprime toute référence à des valeurs morales dans l’un des livres suprêmes du droit, alors que, dans le même temps, à la " ville ", on déplore l’absence de repères, la déshérence des valeurs, l’anomie destructrice.

Les impératifs d’honneur et de respect ne semblent ni désuets ni déplacés. Ils sont assurément préférables aux termes de " solidarité " ou " assistance " qui leur sont parfois opposés dans les projets de réécriture de l’article 371. En revanche, l’introduction d’une réciprocité dans la rédaction de l’article 371 paraît tout à fait justifiée. Cet article pourrait s’écrire, par exemple : " A tout âge, parents et enfants se doivent mutuellement honneur et respect ".

Ainsi serait renforcée et magnifiée la valeur du commandement qui est édictée par la règle de droit aux êtres engagés dans un rapport de filiation.

III.–  L’enfant, une personne à protéger

En cette fin du XXe siècle, la nécessité d’accorder à l’enfant une protection particulière ne soulève plus de questions de principe. C’est ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1959, affirmait que " l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée […] ".

La Convention de New York décline ces principes dans le registre du droit international normatif. Comme le fait le code civil français, elle place sur la famille – et au premier chef sur les parents – la responsabilité première de la protection.

Mais la famille peut parfois faillir. Il arrive qu’elle ne veuille, par action ou par omission, ou qu’elle ne puisse pas assumer ses devoirs envers l’enfant. Parfois, elle le soumet aussi à de mauvais traitements physiques ou psychologiques. Elle est également impuissante à prévenir les atteintes à la personne de l’enfant lorsque celui-ci se trouve hors des lieux de vie où sa sécurité est normalement garantie, comme le domicile ou l’école. Il revient alors à l’État de prendre le relais.

Confortant l’autorité parentale ou se substituant à elle, la société doit s’attacher à protéger la personne de l’enfant ainsi que ses droits.

A. La protection de la personne de l’enfant

1.– La maltraitance, un phénomène mieux connu aujourd’hui

Une longue ignorance

Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, il était difficile d’établir une évaluation fiable du nombre d’enfants maltraités. Ainsi, dans leur rapport sur l’enfance maltraitée rédigé en 1987, les inspecteurs de l’IGAS refusaient de se prononcer sur l’ampleur réelle du phénomène. Dans ces conditions, le chiffre de cinquante mille cas, fréquemment avancé à l’époque, relevait essentiellement d’une extrapolation des enquêtes ponctuelles menées par l’Association française d’information et de recherche sur l’enfance maltraitée (AFIREM).

Tout aussi incertains se révélaient d’autres chiffres, a priori plus fiables, comme le nombre de décès dus à la maltraitance ou le nombre de condamnations pour faits de maltraitance. On relève ainsi plus que des nuances entre les sources disponibles. Par exemple, en juillet 1989, le rapport du Sénat (n° 269) sur le projet de loi relatif à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance chiffrait " entre trois cents et six cents le nombre d’enfants décédés suite à de mauvais traitements " et à mille sept cents affaires et six cents condamnations les cas portés devant les instances judiciaires. En novembre 1992, un rapport de l’Institut de l’enfance et de la famille (IDEF) rapportait, pour sa part, six cents à huit cents décès annuels, mille cinq cents condamnations en moyenne et deux cent mille situations suivies par les tribunaux pour enfants à la fin des années 1980.

Depuis la loi du 10 juillet 1989, relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance, les autorités sont mieux armées pour prendre la mesure de la maltraitance et ajuster les politiques de prévention et de protection. La loi confirme en effet le président du conseil général comme le principal animateur de l’action sociale en faveur de l’enfance et oblige les départements à mettre en place des dispositifs chargés de recueillir les informations relatives aux mineurs maltraités. Encore faut-il que celles-ci soient suffisamment homogènes pour pouvoir faire l’objet d’une exploitation pertinente au plan national. Encore faut-il, également, que la mobilisation des collectivités soit suffisante : en 1996, vingt départements environ n’avaient pas organisé leur système d’observation .

Les progrès de l’observation

A travers l’action pluriannuelle de son Observatoire de l’enfance en danger, l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) a pourtant mis au point un cadre méthodologique destiné à normaliser l’information relative à la maltraitance. Il s’est tout d’abord attaché à donner une définition précise du phénomène, que le législateur de 1989 s’était fort opportunément abstenu de formuler.

" L’enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, d’abus sexuels, de cruauté mentale, de négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique. "

" L’enfant en risque est celui qui connaît des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, mais qui n’est pas pour autant maltraité. "

" Les enfants en danger regroupent l’ensemble des enfants maltraités et des enfants en risque pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance ou par la justice au sens de l’article 375 du Code civil. "

L’ODAS s’est également attaché à proposer une standardisation des informations minimales nécessaires à la bonne appréhension statistique du phénomène de maltraitance. Ses recommandations permettent de dresser des bilans chaque année plus précis et plus riches.

Par ailleurs, l’implication des divers acteurs dans le système départemental de recensement de la maltraitance améliore la qualité et la fiabilité des informations recueillies. Les signalements transitent plus régulièrement par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), y compris de la part d’institutions comme l’éducation nationale qui ont encore une forte tendance à signaler directement à l’autorité judiciaire. Réciproquement, le Parquet informe plus fréquemment l’ASE des signalements dont il est directement saisi.

Enfin, la loi du 10 juillet 1989 a décidé la création d’un service national d’accueil téléphonique (SNATEM) sous la forme d’un groupement d’intérêt public entre l’État et les départements. Le SNATEM complète ainsi les " numéros Verts " mis en place localement par certains départements. Doté d’un " numéro Vert " national (le 119) et fonctionnant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il offre à toute personne, y compris aux enfants eux-mêmes, un moyen simple et direct de faire connaître des situations présumées de maltraitance. Le SNATEM reçoit désormais près de six mille appels chaque jour, émanant d’environ trois mille correspondants, mais cinq cents appels seulement sont " traités ". Ce décalage, préoccupant pour un service public chargé de répondre à la détresse et parfois à l’urgence, semble devoir être en partie relativisé par la brièveté de la plupart des appels reçus (quelques secondes), le correspondant restant parfois silencieux une fois la communication établie. Mais les responsables du service reconnaissent volontiers que l’allongement de la durée des appels traités handicape la capacité globale d’écoute du SNATEM. Les réformes envisagées par la direction pour améliorer cette situation ont suscité un conflit social au sein du service, qui s’est traduit par deux journées de grève en novembre 1997.

Lors de son audition par la commission d’enquête, Mme Annie Gaudière, directrice du SNATEM, a indiqué que le service comptait mettre sur pied un tri des appels par le standard, de façon à aiguiller les appels réellement significatifs vers des pools de spécialistes. De plus, la direction prévoit une augmentation des effectifs et souhaite engager une diversification des profils recrutés. Elle se heurte cependant à une règle interne de fonctionnement, qui veut que le personnel soit employé à mi-temps, afin de préserver un contact avec le terrain. Or l’embauche de travailleurs sociaux serait pénalisée par ce dispositif, alors qu’ils constituent la catégorie visée par les prochains recrutements. En 1996, le SNATEM a signalé aux présidents de conseils généraux près de deux mille huit cents situations concernant plus de cinq mille enfants.

In fine, ce mouvement, pour imparfait qu’il demeure, montre qu’une dynamique de l’observation s’est enclenchée. Cela autorise l’ODAS à penser que " la France se dote progressivement du premier système d’observation national de la maltraitance au niveau européen. "

Il faut espérer que viendra, bientôt, le temps où le gouvernement pourra enfin remettre au Parlement le rapport prévu tous les trois ans par l’article 17 de la loi du 10 juillet 1989… Ce document est censé établir un " bilan de fonctionnement du dispositif départemental de recueil d’informations et du service d’accueil téléphonique " instauré par la loi, rendre compte des " recherches menées sur l’enfance maltraitée " et proposer " toutes mesures propres à en diminuer la fréquence et la gravité " ; il n’a jamais été déposé jusqu’ici.

L’enfance en danger en France en 1996

Le plus récent des bilans établis par l’ODAS, L’enfance en danger : signalements et réponses en 1996, a été publié en décembre 1997. Il montre une poursuite de l’augmentation des signalements, qui ne s’explique pas uniquement par l’amélioration de la qualité du repérage.

Évolution du nombre de signalements d’enfants en danger
(France métropolitaine)

 

1994

1995

1996

95/94

96/95

Enfants maltraités          

w Abus sexuels

4.500

5.500

6.500

+ 22%

+ 18%

w Violences physiques

6.500

7.000

7.500

+ 7%

+ 7%

w Négligences graves et violences psychologiques

6.000

7.500

7.000

+ 25%

– 7%

Total

17.000

20.000

21.000

+ 12%

+ 5%

Enfants en risque

41.000

45.000

53.000

+ 10%

+ 18%

TOTAL Enfants en danger

58.000

65.000

74.000

+ 12%

+ 14%

Source : L’enfance en danger : signalements et réponses en 1996, ODAS, décembre 1997

En 1993, à partir des réponses fournies par 67 départements représentant 62% de la population vivant sur le territoire national, l’ODAS a estimé que le nombre de signalements d’enfants en danger s’élevait à environ trente mille en 1991.

L’accélération des signalements d’enfants en risque est mise sur le compte de " l’impact de la crise sociale sur la famille et d’un meilleur repérage ". Le rapprochement entre la définition que donne l’ODAS de l’enfant en risque et l’aggravation évidente de la précarité, ces toutes dernières années, conforte effectivement le premier élément d’explication. Le second est légitimé par la constatation, a priori surprenante, d’un rapport de 1 à 4 entre les taux de signalements parmi les personnes de moins de vingt ans, pour des départements comparables.

Quelques explications sont avancées par l’ODAS, dont la plus pertinente lui paraît être le volume des moyens consacrés par les départements à leur service d’ASE . A la question évidente (" l’insuffisance de personnel atténue-t-elle la perception réelle des situations ? "), l’Observatoire adjoint une question sensiblement plus gênante : " l’intervention d’un grand nombre de personnels peut-elle produire un recours excessif à la notion d’enfants en risque pour qualifier des situations difficiles ? ". Au demeurant, quelques pages plus loin, l’ODAS estime que la plupart des départements s’efforcent de mieux qualifier les situations dont ils ont connaissance, afin de parfaire le départ entre risque et maltraitance.

La sensible décélération des signalements d’enfants maltraités suggère que les services d’ASE peuvent repérer désormais la quasi totalité des situations les plus graves. La forte croissance des cas d’abus sexuels n’inquiète pas l’ODAS outre mesure : l’Observatoire voit dans ce phénomène, au contraire de l’explication avancée pour l’ensemble de la catégorie, un effet résiduel d’amélioration du repérage.

Pour la première fois en 1996, l’ODAS s’efforce de préciser les formes de maltraitance, en particulier selon le sexe et l’âge des enfants concernés. Certaines de ces analyses sont saisissantes :

– les filles sont essentiellement victimes d’abus sexuels (un cas de maltraitance sur trois, et un sur deux après 14 ans) puis de violences physiques (un cas sur quatre) et de négligences graves (un cas sur quatre) ;

– les garçons sont surtout victimes de négligences graves (40% des cas recensés), puis de violences physiques (un cas sur trois) ;

– les deux tiers des violences sexuelles commises sur des garçons ont lieu avant l’âge de douze ans, la moitié pour les filles ;

– les mêmes proportions s’observent pour les cas recensés de négligences graves avant l’âge de trois ans : l’efficacité de la détection par les services de Protection maternelle et infantile (PMI) y est pour beaucoup ; en contrepoint négatif, un deuxième facteur d’explication réside dans ce que l’ODAS qualifie de " phénomène d’immaturité parentale ".

La commission d’enquête a également été sensible au fléau que représente la prostitution enfantine et juvénile. Lors de leur audition, Mme Monique Loustau, présidente de l’Association contre la prostitution enfantine, et M. Bernard Lemettre, coordonnateur national du mouvement " Le Nid ", ont à juste titre défendu une vision globale de la prostitution. Néanmoins, la prostitution enfantine nécessite une action spécifique, de prévention comme de prise en charge, tant à destination des victimes que des clients potentiels. Les deux associations précitées travaillent d’ailleurs conjointement en ce sens. Leurs efforts doivent être soutenus par une meilleure connaissance du phénomène, allant au-delà de l’analyse statistique : une " épidémiologie de la prostitution enfantine " devrait pouvoir se fonder sur une enquête approfondie, conduite à Paris et dans au moins une autre grande ville, enquête souvent demandée, parfois envisagée, jamais réalisée.

Enfin, l’attention de la commission a été attirée sur le travail des enfants. Comme tout phénomène clandestin, son ampleur et ses modalités sont difficiles à appréhender. Il existe cependant trop d’indices concordants pour ne pas soupçonner une réalité parfois douloureuse. Il conviendrait de se donner les moyens de vérifier que l’interdiction du travail des enfants est bien appliquée, et de renforcer les méthodes visant à lutter contre cette dégradation de la condition de l’enfant.

Ce tableau peut paraître très sombre et laisser planer la suspicion sur l’efficacité de notre système de protection de l’enfance. Il n’est pas apparu cependant à la commission d’enquête que de graves déficiences puissent lui être reprochées. Tout au plus s’est fait jour un légitime désir de remédier aux difficultés qui entravent la mise en œuvre du droit au quotidien.

2.– Le dispositif de protection de l’enfance en danger

Le dispositif de protection de l’enfance en danger – qui va au-delà de la simple lutte contre la maltraitance – s’organise autour d’un dualisme institutionnel ou, plus justement, d’un dualisme fonctionnel consacré au début de la VRépublique et transformé par les lois de décentralisation.

Les acteurs officiels de la protection

Dans la conformation originelle du dispositif , la ligne de partage s’établit autour de la notion de danger : réel ou imminent, il légitime l’intervention du juge ; potentiel, il doit susciter l’intervention des services sociaux. Le décret du 7 janvier 1959 prévoit ainsi que les missions d’action sociale en faveur de l’enfance et de la famille sont mises en œuvre " auprès des familles dont les conditions d’existence risquent de mettre en danger la santé, la sécurité ou la moralité de leurs enfants ". L’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à l’organisation judiciaire dispose que " si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice. "

Ce critère de compétence se double d’un critère d’intrusion de la puissance publique dans la cellule familiale. L’intervention du juge, liée à la réalité ou l’imminence du danger, signifie la défaillance de l’autorité parentale. Ses décisions, qui peuvent s’interpréter comme une restriction du champ des libertés individuelles, limitent l’exercice de cette autorité.

En revanche, la mise en œuvre des mesures d’action sociale est conditionnée par l’accord de la famille. Celles-ci doivent ainsi s’analyser comme un soutien à l’exercice de l’autorité parentale. D’ailleurs, lesdites mesures s’attachent à des problématiques familiales et relèvent essentiellement de la prévention.

En 1959, les missions d’action sociale étaient confiées au directeur départemental des affaires sanitaires et sociales ; depuis 1986, elles sont placées sous la responsabilité du président du conseil général. Celui-ci dispose de plusieurs services compétents en matière de protection sociale :

– le service de PMI, chargé du suivi médico-social des enfants âgés de moins de six ans ;

– le service social polyvalent de secteur, organisé sur la base de circonscriptions territoriales ;

– le service d’ASE, dont les missions sont déterminées par l’article 40 du code de la famille et de l’action sociale ; ce service est chargé :

w  d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans, confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;

w  d’organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles ;

w  de mener en urgence des actions en prévention en faveur des mineurs menacés ;

w  de pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et de veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;

w  de mener, notamment à l’occasion de l’ensemble de ces interventions, des actions de prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l’autorité judiciaire, d’organiser le recueil des informations relatives aux mineurs maltraités et de participer à la protection de ceux-ci.

Le service de psychiatrie infanto-juvénile et le service de santé scolaire sont restés, pour leur part, sous l’autorité de l’Etat.

L’exécution des décisions de l’autorité administrative ou judiciaire est assurée par trois catégories d’institutions : les services et établissements de l’ASE, les services et établissements de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), le secteur associatif habilité.

La judiciarisation de la protection de l’enfance

Organisé sur la base de deux pôles conçus comme complémentaires, le dispositif de protection de l’enfance en danger se devait de trouver un équilibre de fonctionnement. En particulier, conformément à une certaine tradition juridique nationale, la protection administrative avait vocation à être privilégiée par rapport à la protection judiciaire.

Or depuis quelques années, on observe un renforcement de l’intervention des autorités judiciaires dans le domaine de la protection de l’enfance en danger, phénomène communément appelé " judiciarisation de la protection de l’enfance ".

Les saisines judiciaires d’enfants en danger
effectuées par les services de l’ASE (a)

 

1994

1995

1996

Enfants maltraités (b)

     

Saisines judiciaires

17.000

20.000

21.000

Signalements (rappel)

17.000

20.000

21.000

Proportion

100%

100%

100%

Enfants en risque

     

Saisines judiciaires

14.000

16.000

21.000

Signalements (rappel)

41.000

45.000

53.000

Proportion

34%

36%

40%

TOTAL Enfants en danger

     

Saisines judiciaires

31.000

36.000

42.000

Signalements (rappel)

58.000

65.000

74.000

Proportion

53%

55%

57%

(a) Le tableau ne recense pas les saisines directes de l’autorité judiciaire effectuées par les particuliers ou les professionnels.

(b) Par hypothèse l’ODAS suppose que tous les signalements d’enfants maltraités sont transmis à l’autorité judiciaire. Les signalements judiciaires d’enfants en risque sont alors déduits par simple différence.

La transmission à la justice de la totalité des cas de maltraitance répond à la lettre aux exigences de la loi du 10 juillet 1989. Plus préoccupante est l’augmentation significative des signalement judiciaires d’enfants en risque. Pour l’expliquer, Mme Marceline Gabel, ancienne secrétaire générale de la Grande cause nationale 1997 " Enfance maltraitée " et responsable de l’Observatoire national de l’enfance en danger à l’ODAS, avance plusieurs hypothèses, dans un document transmis à la commission. Certaines d’entre elles paraissent avoir une portée particulière et sont présentées ci-après.

Le mouvement de judiciarisation s’inscrit certainement dans un mouvement plus général de recours à la justice dans une société qui cherche aujourd’hui des repères toujours plus évanescents. La justice semblerait seule à même de pouvoir évoquer et discuter avec la famille de l’exercice de ses devoirs parentaux. L’autorité judiciaire est donc parée d’une légitimité supérieure à celle des travailleurs sociaux, qui, selon certaines études (nationales ou comparatives) manqueraient de confiance dans leurs capacités à créer avec les familles les conditions du dialogue et de la compréhension mutuelle.

L’intervention souhaitée du juge qui " ordonne " – quoique l’article 375–1 du code civil lui impose de " toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée " – serait vécue comme sécurisante par les travailleurs sociaux, qui voient la plupart du temps leurs propositions d’action retenues par le juge. Cette intervention du judiciaire permettrait ainsi, selon Mme Gabel, de " faire l’économie du lent et difficile travail de contractualisation avec les parents ".

On ne peut alors s’empêcher de se demander si la loi du 6 juin 1984, qui définit de nouvelles orientations relatives aux droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de l’enfance et de la famille, n’est pas en définitive contournée par le recours plus fréquent des services de l’ASE à l’autorité judiciaire. La loi de 1984 avait pour objectif de rompre avec les pratiques plutôt autoritaires souvent reprochées aux services sociaux, en particulier une certaine propension à imposer plutôt qu’à négocier. La loi exige, en particulier, que le représentant légal du mineur, ou lui-même s’il est émancipé, donne son accord écrit à la mesure envisagée par le service social.

Les dispositions de la loi du 10 juillet 1989 qui fixent les rapports entre les autorités administrative et judiciaire, ont peut-être été trop perçues comme imposant une obligation de signalement. Cette obligation, limitée dans la loi aux seuls cas de maltraitance, serait interprétée comme s’élargissant aux cas d’enfants en risque, dans un amalgame regrettable dépassant les intentions du législateur. Pour autant, une retouche du texte de la loi ne paraît pas opportune, puisqu’il est intrinsèquement satisfaisant.

Enfin, quoique l’ODAS se défende toujours d’établir un lien formel entre judiciarisation et précarité croissante du tissu social, faute de preuve statistique incontestable, il n’hésite plus cependant à reprendre à son compte cette explication, à titre d’hypothèse de travail. " Lorsqu’on observe que pères (50%) et mères (80%) d’enfants à risques signalés à l’autorité judiciaire sont inactifs ou au chômage, et que le risque mentionné est la négligence lourde ou la carence éducative, on doit se poser la question " .

Par ricochet, le phénomène de judiciarisation touche également la prise en charge de l’enfance en danger : les mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) ordonnées par le juge représentaient 68% du total en 1984, mais près de 76% en 1996. De même, les placements à l’ASE sur décision du juge représentent 69% du nombre total d’enfants confiés à l’ASE en 1996, pour 52% seulement en 1984.

La judiciarisation de la protection de l’enfance est préoccupante à plus d’un titre. Elle entraîne, bien sûr, une surcharge des cabinets de juges pour enfants, qui est probablement la contrepartie de la surcharge des services sociaux. Elle amène à s’interroger, pour la part qui concerne directement l’Etat, sur l’adéquation des moyens de la PJJ aux missions qui lui sont dévolues. M. Hervé Hamon, président de l’Association française des magistrats de la jeunesse, évoquait lors de son audition par la commission d’enquête, le chiffre de quatre mille mesures éducatives non exécutées en France, dont mille cinq cents en région parisienne.

Surtout, la judiciarisation contribue à réduire l’importance du travail préventif et à disqualifier les travailleurs sociaux comme les familles dans la recherche des solutions aux risques et dangers encourus par les enfants.

La judiciarisation met ainsi en évidence le besoin manifeste de renforcer les mécanismes de coordination, de concertation et de partenariat entre les différents acteurs de la protection de l’enfance.

La coordination introuvable

Le thème de la coordination et du partenariat pourrait être considéré comme un leitmotiv commode. La coordination est d’ailleurs
– pratiquement depuis les textes fondateurs de 1958-1959 – dénoncée en permanence comme un maillon faible du dispositif de protection : il n’est aucun rapport, officiel ou privé, qui n’y consacre quelques développements, n’exprime quelques regrets et ne propose quelques pistes de solutions… Force est de constater que la quasi totalité des personnes auditionnées par la commission d’enquête ont mis en avant cet impératif comme l’une des clefs d’une meilleure efficacité de la protection de l’enfance en danger.

Dans le même temps, la commission d’enquête, au vu des nombreux documents reçus, des témoignages recueillis ou de son déplacement sur le terrain, a pu prendre connaissance de multiples initiatives allant justement dans ce sens. On a pu ainsi évoquer par exemple " des liens hopitaux-parquet et juges des enfants beaucoup plus faciles, aisés et confiants ; des liens entre les travailleurs sociaux et le parquet beaucoup plus précis et mieux articulés. Les stratégies sont mieux pensées et, dans l’ensemble, au travers de divers protocoles, la recherche des modalités d’accompagnement des enfants permet une plus grande reconnaissance du champ de compétence de l’autre " .

En définitive, il est difficile d’appréhender l’ampleur exacte et les implications de cette non-coordination si unanimement dénoncée.

Pourtant, les outils et les méthodes existent. Dans de nombreux départements, des protocoles entre les services de l’ASE et les services judiciaires ont été signés pour définir un cadre clair de coopération entre les deux principaux partenaires opérationnels de la protection. Il apparaît cependant que, parfois, ces protocoles sont restés au stade des pieuses intentions, sans déboucher véritablement sur des relations plus étroites entre les signataires. Les protocoles doivent être relancés et " portés " par un projet collectif, si possible en s’appuyant sur un cahier des charges national de portée indicative.

Par ailleurs, au plan national, le décret n° 97-216 du 12 mars 1997, relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre les mauvais traitements et atteintes sexuelles envers les enfants, a institué un comité interministériel et confirmé un groupe permanent interministériel. Ces instances sont notamment chargés de coordonner l’action des administrations de l’État. Leur domaine d’action pourrait, d’ailleurs, être étendu sans difficulté à l’ensemble de la protection de l’enfance en danger.

Cependant, les principaux obstacles au partenariat ne semblent pas résider dans des carences institutionnelles. Plus exactement, lorsqu’il est mis en jeu, le paramètre institutionnel se manifeste surtout dans ses ressorts psychologiques : adhésion à un " esprit maison " ou un esprit de corps, application d’une logique d’analyse et d’intervention fortement typée, méfiance traditionnelle d’une institution envers une autre, etc. Plusieurs autres arguments peuvent être mis en avant : la diversité des métiers, qui induit la diversité des formations initiales et continues, ainsi que la pluralité des approches appliquées à une même situation ; son corollaire quasi inévitable, le cloisonnement des disciplines ; des glissements de rôle, qui peuvent amener un professionnel à " empiéter " sur les compétences d’un autre, etc.

Plus curieuse, mais pas nécessairement moins pertinente, est l’évocation des conséquences de la maltraitance (ou des situations sociales difficiles) pour le professionnel qui y est confronté. La reconnaissance de la défaillance de l’autorité parentale comme limite infranchissable de l’action sociale, l’appropriation " sentimentale " des situations traitées, qui peut déboucher sur une rivalité implicite avec les parents, un réveil de l’histoire personnelle du professionnel à travers l’histoire des enfants et des familles qu’il soutient : tous ces phénomènes peuvent conduire à un " surinvestissement " dans les cas suivis et à une fermeture plus ou moins importante à la reconnaissance du rôle des autres intervenants.

Comment expliquer autrement que par la conjonction de plusieurs de ces critères, le cas de cet enfant pour qui trois demandes de placement avaient été effectuées par trois professionnels différents, pour trois objectifs distincts ?

A l’évidence, la clef du déblocage est dans le soutien psychologique aux professionnels, trop peu souvent évoqué lors des auditions de la commission d’enquête, et surtout dans le développement des formations pluridisciplinaires. La loi du 10 juillet 1989 avait inscrit, dans son article 4, le principe d’une " formation initiale et continue propre à […] permettre [à certains professionnels] de répondre aux cas d’enfants maltraités et de prendre les mesures nécessaires de prévention et de protection qu’ils appellent ". Pris en application de cet article, le décret du 9 décembre 1991 relatif à la formation des professionnels concernés par la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et la protection des mineurs maltraités ne formule pas explicitement le caractère pluridisciplinaire des programmes de formation, dont il décrit par ailleurs le contenu de façon sommaire.

Qu’on l’explicite autour d’un projet de formation ou de tout autre objectif, il apparaît que l’essentiel réside dans la constitution, autour des professionnels concernés et avec leur participation active, d’un espace de vie où ceux-ci puissent se réunir, se connaître, se parler, partager leur expérience et leurs interrogations, et ce dans la durée.

Cela implique bien entendu de ne pas occulter la lancinante question des moyens humains, matériels et financiers mis à la disposition de la protection de l’enfance. Cela implique également de réfléchir aux pratiques classiques de recrutement ou de gestion des carrières. Comment un juge pour enfants, qui reste dans son poste pendant moins de deux ans et demi en moyenne, peut-il construire son réseau de référents et de relations, alors qu’on n’a de cesse de louer les vertus du travail en réseau ? Les départements s’obligent-ils à la stabilité des agents des services d’ASE, tout aussi indispensable ?

Vers une redéfinition des modes de prise en charge

A cette condition pourront être définies des réponses peut-être plus pertinentes aux situations vécues aujourd’hui par les enfants en danger. Certes les modes de prise en charge ont évolué dans un sens souvent heureux. On dénombrait environ deux cent mille enfants placés au milieu des années soixante-dix ; ils ne sont plus que cent trente sept mille en 1996. D’autres évolutions soulèvent cependant des interrogations.

Ces toutes dernières années, la diminution du nombre de placements a quasi exclusivement pesé sur les placements en famille d’accueil. Cela peut surprendre, lorsqu’on sait que la plupart des études et enquêtes concluent au rôle déterminant d’un environnement familial dans la réussite du processus d’intégration. Il semble que les départements les plus urbanisés aient été confrontés à des difficultés réelles dans le recrutement d’assistantes maternelles et dans l’encadrement du placement familial.

Enfin, tout en notant qu’il n’y a pas eu de remise en cause de l’existant, l’ODAS relève la stabilité des dépenses en francs constants, c’est-à-dire la diminution relative des efforts consacrés par les départements à la prévention spécialisée. Cette évolution est regrettée par certains observateurs, au motif que les élus seraient peu sensibles aux difficultés d’un obscur travail de terrain qui échappe largement à toute possibilité d’évaluation qualitative ou quantitative.

C’est justement vers des méthodes de prise en charge plus informelles, moins institutionnelles, que ces mêmes observateurs, relayés notamment par l’ODAS lors des auditions tenues par la commission d’enquête, souhaitent voir évoluer les réponses offertes par notre société à l’enfance en danger. En appelant à la constitution de réseaux non officiels (familiaux, de quartier, etc.), il ne s’agit pas de sacrifier à la mode incantatoire du travail en réseau. Il s’agit surtout de tenir compte du caractère global et durable des crises auxquelles sont confrontées les familles concernées. Quel peut être l’intérêt, pour ces 80% de mères d’enfants en risque qui sont inactives ou au chômage, d’un placement ou d’une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert qui, au mieux, introduira dans le foyer une fois par quinzaine un travailleur social ?

Les formes de la crise obligent assurément la protection de l’enfance en danger à se réinventer. Le mouvement échappera en grande partie au champ d’intervention du législateur – sans préjudice de ses compétences budgétaires. La protection des droits de l’enfant pourrait, en revanche, nécessiter quelques ajustements de la loi.

B. La protection des droits de l’enfant

1.– L’information sur les droits de l’enfant

Le premier des droits consiste d’abord à être informé de ses droits ". Cette maxime, plusieurs fois entendue lors des auditions de la commission d’enquête, sonne comme une évidence qu’il serait absurde de refuser. Les États parties à la Convention de New York ont d’ailleurs souscrit un engagement explicite en ce sens puisque, aux termes de l’article 42 de ce texte, ils " s’engagent à faire largement connaître les principes et les dispositions de la présente Convention, par des moyens actifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants ".

Autour de la Convention, l’information

Dès avant l’adoption de la Convention, le secrétariat d’Etat chargé de la famille avait confié à l’Institut de l’enfance et de la famille une mission générale de diffusion et de promotion des principes de la Convention. Le texte intégral de la Convention a été publié au Journal officiel, puis a fait l’objet de brochures, réalisées par le secrétariat d’État chargé de la famille et diffusées gratuitement à près de six cent mille exemplaires.

En mars 1991, une Charte de l’information des jeunes a été signée entre le ministère de la jeunesse et des sports et l’ensemble des centres d’information jeunesse, afin notamment d’améliorer la connaissance de leurs droits par les jeunes et de favoriser leur intégration et leur engagement social. Le réseau d’information jeunesse, fondé sur les centres régionaux, les centres locaux, les points d’information et des moyens mobiles comme les bus d’information jeunesse, participent ainsi à la diffusion du message de la Convention de New York.

Par ailleurs, le programme d’éducation civique de la classe de quatrième inclut, dans sa problématique générale des droits de l’homme, un chapitre sur les droits de l’enfant auquel les professeurs sont censés consacrer une à deux heures. Il est à craindre que l’impact réel de cette disposition soit en fait réduit, en raison de l’intérêt souvent limité du corps professoral pour l’enseignement de cette discipline.

Le succès de telles initiatives suppose, bien entendu, de consentir un effort de sensibilisation et de formation à l’égard des enseignants comme de toutes les personnes amenées à être régulièrement au contact des enfants.

Assurer l’information et la promotion des droits de l’enfant, tant auprès de ceux-ci que des adultes qui les côtoient, oblige donc à compter principalement sur les médias. A cet égard, on doit se féliciter de la couverture médiatique qui a entouré la journée du 20 novembre 1997, journée nationale des droits de l’enfant. Il est vrai que l’ODAS avait choisi de publier, à cette époque, son rapport sur l’enfance en danger, conférant ainsi un dimension plus " dramatique " au 20 novembre. Les éditions futures de la journée nationale des droits de l’enfant devront vraisemblablement " créer l’événement " chaque année si elles veulent, comme c’est légitime, retenir l’attention et toucher un large public.

A la fin de chaque printemps, l’organisation du Parlement des enfants peut contribuer aussi à faire vivre, dans un champ plus spécifique, la notion de droits de l’enfant. D’autres actions paraissent également intéressantes à mettre en œuvre :

– une campagne nationale publique d’information sur les droits de l’enfant ou la maltraitance devrait être lancée à intervalles réguliers sur les grands médias. Certains esprits chagrins déplorent que chaque évocation du SNATEM dans une émission ou un spot télévisé entraîne, les jours suivants, une recrudescence " parasite " des appels reçus sur le Numéro Vert. Cet inconvénient passager ne remet pas en cause l’intérêt d’une diffusion fréquemment renouvelée des coordonnées de ce service national d’accueil téléphonique ;

– des plaquettes adaptées aux jeunes enfants devraient être distribuées systématiquement à tous les élèves d’un niveau déterminé. Un temps de la vie scolaire, bref mais effectif, par exemple peu après la rentrée, devrait être consacré à la présentation de la Convention de New York et des droits de l’enfant ;

– dans un registre plus spécialisé, l’obligation d’affichage du Numéro Vert du SNATEM, actuellement limitée aux seuls lieux publics habituellement fréquentés par les enfants, devrait être étendue à d’autres lieux publics : les cabines téléphoniques, dans lesquelles figurent déjà les numéros de la police, du SAMU, des pompiers, de l’accueil des sans abri et des services d’urgence européens, paraissent particulièrement indiquées. De même, il serait souhaitable de sensibiliser les institutions concernées afin d’obtenir l’inscription du Numéro Vert dans les calendriers de La Poste et les annuaires téléphoniques. Enfin, il conviendrait d’afficher le Numéro Vert dans chaque salle de classe, plutôt que dans un endroit unique de l’école.

Le paradoxe de toute action d’information est qu’elle doit s’inscrire dans la durée, sans tomber dans la routine et ne plus recevoir alors qu’une attention distraite d’un public de plus en plus blasé…

L’accès au droit

C’est plutôt à un public demandeur que doivent s’adresser les actions visant à favoriser l’information des jeunes sur le droit. Dans ce registre, des associations comme Thémis, à Strasbourg, jouent un rôle indispensable de passerelle entre le non-droit et le droit.

Créée en 1990 par un groupe d’avocats, de psychologues, de magistrats, d’enseignants, d’éducateurs et de travailleurs sociaux, Thémis se donne pour vocation d’être un véritable service d’accès au droit pour les enfants et pour les jeunes. Dans le droit fil de la Convention de New York, l’association poursuit trois objectifs : aider l’enfant et le jeune à exprimer ses problèmes ; formuler ceux-ci en termes de droit ; faire prendre en considération l’opinion de ces enfants et de ces jeunes.

Ouvrant un récent ouvrage intitulé Le non-droit des jeunes , P. Masotta, vice-président de l’association, écrivait ainsi : " A Thémis, nous les entendons dire le peu de cas qui est fait de ce qu’ils pensent être leurs droits et ils nous rappellent la fragilité sociale d’une parole qui n’est pas soutenue d’une place identifiée et reconnue ; leur désocialisation, ce non-lieu social, renforce encore la dissolution de leur parole, le tarissement du droit. Il nous faut leur ménager un accès au droit, pensons-nous. Un accès au droit qui dessine pour eux les contours d’une place virtuelle et leur rappelle que ce qui est au fondement de notre vie sociale les concerne. "

Appuyée sur un réseau de correspondants (travailleurs sociaux, associations d’insertion ou de quartiers, Protection judiciaire de la jeunesse, mission locale, etc.) et sur une équipe de psychologues et d’avocats de la jeunes, Thémis assure un accueil et des consultations pour les jeunes qui se présentent à ses portes. Elle gère un centre de documentation et de formation, elle assure des actions d’information et de sensibilisation pour les écoles, les associations et le public en général.

D’autres centres d’accès au droit existent, fondés sur l’action concertée de professionnels motivés. Il importe de leur donner une reconnaissance plus officielle et de soutenir leur activité. Il convient, à cet égard, de soutenir l’impulsion donnée récemment par Mme la ministre de la justice pour relancer la mise en place des conseils départementaux de l’aide juridique, dont l’existence est prévue par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique.

L’effectivité de l’accès au droit suppose ensuite que le mineur puisse faire utilement valoir ses opinions et ses intérêts auprès de l’institution judiciaire.

2.– La défense des intérêts du mineur

La parole de l’enfant en justice

La prise en compte de la parole de l’enfant fait partie des revendications les plus constantes des défenseurs des droits de l’enfant. Les avancées les plus récentes du droit positif français n’ont pas suffi à créer un régime satisfaisant en la matière. Les institutions susceptibles de recueillir la parole de l’enfant disposent en effet encore d’un pouvoir d’appréciation et de décision trop large, et peuvent écarter trop facilement la parole de l’enfant

D’ailleurs, Mme Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur des facultés de droit à l’Université Jean Moulin de Lyon, estime dans une formulation expressive que " certes, on met en avant ses droits, surtout lorsqu’il ne parle pas : on parle à sa place […]. En revanche, lorsque l’enfant parle, ou veut parler, on se méfie de sa parole. Ainsi en est-il dans le domaine de la lutte contre la maltraitance : […] si l’enfant parle, on se demande s’il ne s’agit pas d’un affabulateur ".

Pour leur part, des associations comme La Voix de l’enfant se font l’écho de ces appréciations et dénoncent, de façon souvent vigoureuse, le peu de cas qui est fait de la parole de l’enfant. Ainsi, Mme Carole Bouquet, porte-parole de l’association, a déclaré lors de son audition par la commission : " La parole de l’enfant a été favorisée depuis quelques années, mais, dans le meilleur des cas, nous n’en faisons presque rien et, dans le pire des cas, elle est rejetée. L’enfant est victime et il n’a pas le droit à la présomption d’innocence. Il va devoir subir un chemin de croix pour essayer de faire entendre sa souffrance ".

Au delà de ces réticences d’ordre psychologique et culturel, le droit positif montre une différence sensible entre les obligations incombant aux services administratifs chargés de la protection de la famille et de l’enfance et celles incombant aux représentants de l’autorité judiciaire.

Pour l’administration, la situation ne souffre aucune ambiguïté. En vertu de l’article 58 du code de la famille et de l’aide sociale, " le service examine avec le mineur toute décision le concernant et recueille son avis ". Pour le juge, le droit commun de l’audition du mineur repose sur l’article 388-1 du code civil, qui instaure un droit pour l’enfant à demander à être entendu plutôt qu’un droit à être effectivement entendu. Cet article dispose en effet que " dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou la personne désignée par le juge à cet effet. Lorsque le mineur en fait la demande, son audition ne peut être écartée que par une décision spécialement motivée. […] "

On ne peut arguer que cette différence de traitement entre le juge et le service administratif reflète leur rapport respectif à l’autorité parentale : il n’est point question ici des parents mais du mineur lui-même. Tout au plus pourrait-on faire valoir que, par principe, le service administratif doit obtenir l’adhésion, alors que le juge n’est tenu que de la rechercher. L’explication reste cependant peu satisfaisante.

Tout d’abord parce que, dans certains cas, la latitude du juge est très réduite. Il en est ainsi lorsque la loi exige que le mineur donne son consentement aux décisions le concernant : changement de prénom (article 60 du code civil) ou du nom (articles 61–3, 334–2 et 334–4 du même code). La loi du 8 janvier 1993 a également abaissé de quinze à treize ans l’âge à partir duquel le consentement est requis, par exemple en matière d’adoption simple (article 360 du même code).

Par ailleurs, l’audition du mineur est parfois de droit, et le juge ne peut éventuellement s’en abstraire que dans des cas bien délimités :

– la loi du 8 janvier 1993 a posé que l’émancipation du mineur ne peut se faire qu’après son audition par le juge, qui ne peut être écartée par aucun moyen (article 477 du code civil) ;

– en matière d’adoption, la loi du 5 juillet 1996 impose l’audition du mineur pupille de l’Etat, capable de discernement, par le tuteur et les membres du conseil de famille avant toute décision relative au lieu et au mode de placement (article 60 du code de la famille), ainsi qu’avant la définition du projet d’adoption et le choix des adoptants éventuels (article 63–1 du code de la famille) ;

– en matière d’assistance éducative, régie par les articles 375 et suivants du code civil, l’audition du mineur est de droit durant la phase d’instruction (article 1183 du code de procédure civile) " à moins que l’âge ou l’état de celui-ci ne le permette pas " ; la jurisprudence a élargi cette notion au cas où l’audition du mineur serait de nature à compromettre sa santé ou son état mental ; en revanche, l’audition est facultative lors de l’audience (articles 1188 et 1189 du même code).

– pour les instances tendant à la délégation, à la déchéance ou au retrait de l’autorité parentale, l’article 1205 du code de procédure civile prévoit que l’autorité judiciaire, saisie de la requête, fait procéder notamment aux mesures d’information prévues à l’article 1183 précité ; l’audition du mineur obéit donc au même régime dérogatoire que l’assistance éducative : obligatoire pendant la phase d’instruction, facultative lors de l’audience.

Reste que le régime de droit commun applicable à l’audition du mineur maintient celui-ci dans un état de demandeur, donc de subordination. Cette subordination, introduite par l’obligation d’accomplir un acte positif, la demande d’audition, a un caractère autonome vis-à-vis de l’incapacité juridique relative qui est la marque de la minorité : elle ne peut en être analysée comme une conséquence directe ou indirecte. A contrario, les dispositions de l’article 388–1 du code civil qui sont le reflet de l’incapacité peuvent être clairement identifiées : l’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure ; l’audition est possible sans préjudice des dispositions légales prévoyant l’intervention du mineur (c’est-à-dire l’acte par lequel un tiers peut devenir partie à une procédure déjà engagée).

En fait, l’audition n’est nullement conçue comme un droit reconnu au mineur mais comme une mesure d’instruction ouverte au bénéfice du juge… Les travaux préparatoires de la loi du 8 janvier 1993 sont assez explicites sur ce point. Exemple frappant d’une certaine hypocrisie qui se dissimule sous des apparences bénévolentes !

Peu importe, alors, que le dispositif de l’article 388–1 présente d’autres défauts. Subordonner l’audition du mineur à sa capacité de discernement plutôt qu’à un critère d’âge absolu, prédéterminé par la loi, est a priori satisfaisant : cette solution permet de rechercher si l’individu a atteint un degré de maturité suffisant pour lui permettre d’accomplir l’acte concerné. Mais le juge pourra-t-il constater la capacité de discernement s’il ne rencontre pas le mineur et se limite à l’examen des pièces écrites du dossier ?

De même, l’article 388–1 ne s’applique que dans le cadre d’une procédure en cours. Cependant, il ne faut pas sous-évaluer l’ouverture réalisée par la loi du 8 janvier 1993 : avant que d’être " limitée " au cadre formel d’une procédure le concernant, l’audition du mineur se trouve de facto possible dans toute procédure le concernant, ce qui n’était pas le cas auparavant (par exemple lorsque le juge aux affaires familiales est amené à trancher un litige entre les parents relatif à l’exercice de l’autorité parentale). Toujours est-il, par exemple, que le mineur ne peut pas s’adresser au juge pour exprimer son souhait de voir modifier les mesures prises à son sujet lors d’un jugement de divorce, la procédure étant considérée comme terminée ; il sera obliger pour cela de " mobiliser " l’un de ses parents ou de s’adresser au juge des enfants, en se prétendant en danger au sens de l’article 375 du code civil. Cependant, la marge est trop étroite entre le fait de permettre à un mineur de porter à la connaissance du juge son opinion sur sa situation, hors de toute procédure, et la capacité d’ester en justice . C’est pourquoi votre rapporteur ne peut préconiser une modification de l’article 388–1 en ce sens.

Il convient, en revanche, de faire de l’audition du mineur un principe et non une faculté soumise au bon vouloir du juge.

 

L’assistance à l’enfant dans la procédure

Mais il n’est de bonne administration de la justice que celle qui respecte le principe du droit à une défense. Assurément, il ne s’agit pas des " droits de la défense " au sens classique de la procédure, civile ou pénale : le mineur n’étant pas partie à l’instance ne saurait être qualifié de défendeur. Si, au demeurant, dans des situations autres que celles visées par l’article 388–1 du code civil, le mineur est effectivement partie à une instance par l’intermédiaire d’un administrateur ad hoc, il appartiendra à celui-ci d’exercer les droits reconnus à la défense et de faire appel, le cas échéant, à un avocat.

Au delà du constat, depuis longtemps affirmé, que la défense de l’enfant en justice était insuffisamment garantie par les règles de droit, un débat a parfois animé la doctrine : l’enfant a-t-il besoin d’un défenseur ou d’un avocat ?

Certaines personnes, comme le président du tribunal pour enfants de Bobigny, ont soutenu la formule du défenseur d’enfants. Elles mettent en avant la nécessité d’établir des liens de confiance entre le mineur et son conseil, de préférence à une approche trop exclusivement juridique de leur relations réciproques. " Pour l’enfant, celui-là peut être un parent, un parrain, un grand frère ou une grande sœur, un enseignant, un copain, etc. La personne de confiance […] assiste, témoigne, rassure " . Dans une proposition de loi, déposée en mai 1989 sur le bureau de l’Assemblée nationale, M. Jacques Barrot évoquait pour sa part une " fonction d’intercession [qui] requiert des qualités humaines particulières et ne doit pas être accomplie dans un esprit exclusivement contentieux ".

D’autres, comme Mme Claire Neirinck, professeur à l’université de Toulouse-I, ont rejeté cette approche, en jugeant qu’elle méconnaissait la nécessité de conseils d’ordre proprement juridique. S’inscrivant dans ce mouvement, Mme Denise Cacheux déposait en mai 1989, sur le bureau de l’Assemblée nationale, une proposition de loi tendant à instituer un avocat de l’enfant. L’exposé des motifs mentionnait en particulier la nécessité que les mineurs puissent être accompagnés au cours de la procédure par un " défenseur actif et compétent ".

La loi du 8 janvier 1993 a " tranché " en faveur des deux solutions : l’article 388–1 du code civil dispose en effet que le mineur " peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix ". Le juge n’est cependant pas dénué de toute capacité d’intervention, puisque " si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne ". On retrouve dans cette rédaction le souci estimable du législateur de trouver un équilibre entre la reconnaissance d’une certaine autonomie au profit du mineur et la nécessité de protéger celui-ci contre les conséquences potentielles de son immaturité, voire contre les possibilités de manipulation.

Répondant à une demande légitime, la loi du 8 janvier 1993 a, par ailleurs, complété la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle, en ouvrant de plein droit le bénéfice de celle-ci au profit du mineur qui serait assisté d’un avocat dans le cadre de l’application de l’article 388–1. Il s’agit là d’une heureuse dérogation au droit commun de l’aide juridictionnelle, qui exige normalement que celle-ci fasse l’objet d’une demande.

Faut-il pour autant aller plus loin et poser, comme l’idée en a parfois été émise, une obligation de recourir à un avocat, dès lors que le mineur est entendu dans une procédure le concernant ? Il n’apparaît pas légitime d’avantager le mineur par rapport aux autres membres de sa famille, confrontés comme lui au juge. Le problème ne se manifeste pas tant pour des procédures opposant les deux parents (comme une instance de divorce ou un conflit sur l’exercice de l’autorité parentale), pour lesquelles on peut penser, avec quelque vraisemblance, que chacun aura recours à un avocat. Il s’agit plutôt des procédures engagées sur le fondement de l’article 375 du code civil, visant à ordonner une mesure d’assistance éducative en faveur du mineur. Comment ne pas voir, en effet, combien l’aggravation de la crise sociale et la précarisation croissante des familles concernées peuvent amener devant le juge des parents désorientés, déstructurés ? Si, en définitive, l’enfant reste dans une position plus faible que celle de ses parents, le véritable décalage se situe entre les membres de la famille et les services administratifs qui font valoir au juge leur approche du problème et leurs solutions.

Il semble plus judicieux d’insister sur un autre point : l’information du mineur sur son droit d’être assisté par un avocat devrait être systématique et non facultative, comme c’est la règle aujourd’hui. Les règles de procédure applicables à l’intervention du juge en matière d’assistance éducative offrent, avec l’article 1186 du code de procédure civile, la possibilité au mineur, à son père, sa mère, son tuteur ou à la personne ou au service à qui il a été confié, de faire le choix d’un conseil ou de demander au juge qu’il leur en soit désigné un d’office. Or, le juge n’avise le mineur de ce droit que " chaque fois que l’intérêt de celui-ci le requiert " ; en revanche, les autres personnes mentionnées à l’article 1186 sont informées " dès leur première audition ". Cette discrimination injustifiable doit être supprimée.

De même, les articles 338–1 à 338–9 du code de procédure civile, qui déterminent les dispositions applicables à la procédure d’audition de droit commun, montrent une limitation comparable du " droit à connaître ses droits ". L’article 338–5 de ce code dispose bien que la convocation adressée au mineur " l’informe de son droit d’être entendu seul, avec un avocat ou une autre personne de son choix ", reprenant ainsi à la lettre les termes de la loi. Mais cette disposition n’est applicable que si l’audition est effectuée à la demande du mineur. Si, cependant, l’audition devient obligatoire et non facultative, il ne sera pas besoin de changer la lettre de cet article pour assurer désormais l’information systématique du mineur.

Enfin, deux questions touchant à l’aide juridictionnelle mériteraient un ajustement ou une précision de la part des autorités compétentes, ayant vocation à être inscrits dans le droit positif :

– à strictement parler, le bénéfice de droit de l’aide juridictionnelle est ouvert pour le recours à un avocat institué dans le cadre de l’article 388–1 du code civil ; le recours à un avocat dans le cadre de l’assistance éducative (article 375 et suivants du code civil), organisé par l’article 1186 du code de procédure civile, ne bénéficie pas du même privilège ; certes, les bureaux d’aide juridictionnelle pourraient toujours décider de l’accorder au mineur, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 5 de la loi du 10 juillet 1991 ; cependant, laisser cette décision à l’appréciation souveraine des bureaux crée un décalage regrettable avec le bénéfice de droit accordé dans le cadre de la procédure d’audition de droit commun et cette anomalie devrait être corrigée ;

– l’évaluation des ressources du bénéficiaire potentiel de l’aide est effectuée sur la base des ressources totales du foyer et non des siennes propres ; une exception, logique, est prévue si la procédure oppose les conjoints ou les personnes vivant ainsi dans le même foyer, ou s’il existe entre eux, eu égard à l’objet du litige, une divergence d’intérêt rendant nécessaire une appréciation distincte des ressources ; pour garantir l’accès effectif du mineur à l’aide juridictionnelle il conviendrait, en tout état de cause, de fonder l’évaluation sur le montant de ses seules ressources, généralement minimes ; certes, les débats tenus à l’Assemblée nationale au cours de la discussion du projet de loi ont affirmé que cette solution devait être retenue ; l’introduction explicite de cette " règle " dans la loi serait pourtant une clarification précieuse.

Cette dernière considération vaut également pour la défense du mineur délinquant, pour lequel le ministère d’avocat est obligatoire, en vertu de l’article 10 alinéa 1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

 

3.– La protection des droits du mineur délinquant

Il n’entrait pas dans les attributions de la commission d’enquête de réfléchir à la politique à suivre en matière de délinquance juvénile. D’ailleurs, deux parlementaires en mission, Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck, conduisaient, au même moment, une réflexion approfondie sur " la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs ", et leur rapport final a été remis au Premier ministre le 16 avril dernier.

De même, le Conseil économique et social a adopté, au cours de sa séance du 25 mars 1998, un avis préparé sur la base d’un rapport de M. Alain Chauvet, au nom de la section des affaires sociales, consacré à " la protection de l’enfance et de la jeunesse dans un contexte social en mutation ". Ce rapport accorde une place privilégiée aux questions de délinquance juvénile, n’abordant la protection de l’enfance en danger que de façon accessoire, dans un souci d’exhaustivité.

Certains sujets, évoqués lors des auditions de la commission d’enquête, ont cependant retenu l’attention du rapporteur.

·  Les UEER (unités à encadrement éducatif renforcé), mises en place dans le cadre du Pacte de relance pour la ville annoncé en janvier 1996, entendent répondre au problème posé par les mineurs délinquants (ou en situation de grande marginalisation) qui restent à l’écart des institutions existantes, en particulier des structures éducatives, au risque de la récidive et de l’incarcération. Un objectif de cinquante unités a été fixé, les premières ouvrant à l’automne 1996, dans le secteur public comme dans le secteur associatif habilité.

Les UEER sont des unités à faible effectif (cinq jeunes environ) et fort encadrement (un éducateur par jeune environ). Il s’agit, par nature, de structures coûteuses, qui représentent le prix que la société accepte de payer pour resocialiser certains jeunes en rupture profonde. Les UEER ont donné lieu à un rapport d’évaluation conjoint à l’inspection générale des affaires sociales, l’inspection générale des services judiciaires et l’inspection générale de l’administration, publié en janvier 1998. Le bilan, fortement nuancé, s’élargit à une appréciation plus globale, sous forme d’un sévère réquisitoire contre les " carences institutionnelles " de la protection judiciaire de la jeunesse. L’expérience des UEER est jugée pertinente mais sa mise en place n’a pas été conduite dans des conditions optimales. Cette expérience doit être poursuivie, sous réserve des adaptations et ajustements dont la mission d’évaluation a montré l’opportunité.

·  De même, la pratique de la médiation et de la réparation pénales doit être développée. Instituées par la loi du 4 janvier 1993, ces deux démarches s’inscrivent pleinement dans une perspective éducative, en responsabilisant le mineur délinquant vis-à-vis de son acte et de sa victime. Elles manifestent également l’aptitude de la justice à fournir une réponse rapide et efficace à certaines formes de délinquance.

La médiation, décidée par le procureur préalablement à sa décision sur l’action publique et avec l’accord des parties, a pour but de " mettre fin au trouble résultant de l’infraction et de contribuer au reclassement de l’auteur de l’infraction ". L’intérêt de la médiation vient de ce que l’auteur de l’infraction reconnaît sa culpabilité et prend conscience d’avoir enfreint les règles sociales, tandis que la victime est amenée à composer et à manifester sa bonne volonté.

La réparation pénale, pour sa part, est très bien reçue par les établissements du secteur public. Ils apprécient notamment que l’échec éventuel d’une mesure de réparation ne conduise pas systématiquement le mineur devant le juge. Le ministère de la justice prévoit d’engager une action de mobilisation à l’égard du secteur associatif habilité, appuyée sur la mise en place de financements nouveaux. En effet, la participation à des mesures de réparation pénale nécessite une certaine adaptation des services.

Il semble que la réparation pénale soit une méthode intéressante et efficace dès lors qu’elle s’adresse à un public précis : les mineurs primo-délinquants qui ne sont pas trop " déstructurés ". En revanche, sa mise en œuvre est encore insuffisante dans les deux zones où, selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, les besoins sont les plus importants : Paris et Marseille.

·  Enfin, les conditions d’incarcération des mineurs ne sont pas, dans certains établissements, conformes à ce que l’on peut attendre d’un pays comme la France. L’insalubrité est une réalité, tout au moins dans les établissements les plus anciens. Le décalage entre le nombre de places dans les quartiers des mineurs (environ trois cent cinquante) et le nombre de mineurs incarcérés à un instant donné (sept cent cinquante en moyenne pendant le premier semestre 1997) est préoccupant. Le suivi éducatif de la population carcérale est manifestement insuffisant.

Le ministère de la justice a publié, le 4 février 1994, une circulaire relative aux conditions de détention des mineurs incarcérés. Dans un document de présentation de la PJJ communiqué à la commission d’enquête, il est indiqué qu’en 1996, la direction de l’administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse ont effectué conjointement un bilan de son application : " ces bilans ont confirmé la nécessité de développer une approche commune des problèmes soulevés par la prise en charge des mineurs détenus ". Lors de son audition par la commission d’enquête, Mme la ministre de la justice a confirmé que cette question constituait une préoccupation prioritaire. La relative inertie que le rapporteur croit pouvoir déceler derrière ces quatre années de réflexion tient certainement à la déshérence budgétaire qui a frappé cette administration et qu’il faut surmonter peu à peu.

C’est à ce prix que la Justice pourra véritablement remplir son rôle, qui consiste à protéger les mineurs délinquants tout autant que la société.

C. Un médiateur pour les enfants

A l’édifice complexe de la protection de l’enfance, il manque aujourd’hui une clef de voûte : un médiateur des enfants.

Au delà de l’intervention d’une administration sociale ou judiciaire, il subsiste un espace pour que se développe une démarche nouvelle, une démarche qui consacrerait la conception de l’enfant comme une véritable personne. Assurer une médiation, c’est d’abord reconnaître la légitimité de l’un et l’autre des protagonistes, c’est les placer sur un pied d’égalité et considérer chacun d’eux comme également digne de foi.

Au demeurant, ne peut-on pas considérer que le juge pour enfant a, bien souvent, un rôle de médiateur plus que de gardien de la loi ? Certes, ses pouvoirs sont immenses, dans l’instruction comme dans la décision. Mais dans la pratique quotidienne, n’est-il pas chargé de suppléer à l’autorité parentale, c’est-à-dire de s’impliquer dans le cercle familial pour cogérer la vie de l’enfant, sans s’abstenir de rechercher l’adhésion de la " famille ", qui ne se limite évidemment pas aux parents ?

Il faut cependant franchir une nouvelle étape et aller jusqu’au bout de cette logique. D’autres pays ont montré la voie.

1.– Des expériences nombreuses à l’étranger

Les exemples étrangers les plus intéressants sont ceux de la Norvège, de la Suède et de la Wallonie. Les caractéristiques des instances de médiation mises en place dans ces pays sont brièvement analysées ci-après.

·  Le médiateur des enfants a vu le jour pour la première fois en Norvège, avec une loi datée du 6 mars 1981. Le but affiché de cette loi est de contribuer à promouvoir les intérêts des enfants dans la société. A cet effet, le roi nomme pour une durée de quatre ans un médiateur des enfants, qui est assisté d’un service de quelques personnes (psychologues, pédagogues, sociologues, juristes). Le médiateur est également conseillé par un comité consultatif.

Le médiateur norvégien a pour fonction de promouvoir les intérêts des enfants vis-à-vis du public et des autorités privées ; il doit également suivre l’évolution des conditions de développement des enfants. Le médiateur doit en particulier :

– de sa propre initiative, ou sur information, protéger les intérêts des enfants ;

– veiller à l’observation de la législation relative aux droits des enfants ;

– proposer toute mesure législative tendant à renforcer la sécurité des enfants ;

– proposer toute mesure tendant à résoudre ou prévenir des conflits entre les enfants et la société ;

– s’assurer que les secteurs public et privé soient suffisamment informés sur les droits des enfants et les mesures à prendre pour les mettre en œuvre.

La seule limitation apportée au champ d’action du médiateur des enfants concerne les différends personnels qui sont portés ou ont été portés devant les tribunaux. Les problèmes traités concernent essentiellement cinq domaines : le contexte familial (divorce, conflits de voisinage, finances familiales, logement, etc.) ; les situations familiales anormales, assimilables à l’enfance en risque ou en danger ; l’organisation des services de garde d’enfants ; les problèmes touchant à l’institution scolaire (modes d’enseignement, relations avec les enseignants, transports scolaires, fermetures de classes, etc.) ; les questions relatives à la culture et à la communication (contenu et impact de certains médias, jouets, installations récréatives).

Le médiateur des enfants peut accéder librement à toute institution publique ou privée liée d’une façon ou d’une autre aux enfants. Les autorités gouvernementales et les institutions publiques et privées ne peuvent pas invoquer le secret pour refuser de transmettre au médiateur les informations nécessaires à l’accomplissement de sa tâche. Le médiateur a donc un libre accès à tous les dossiers, documents et renseignements qui concernent son action, même pour ceux d’entre eux qui tombent normalement sous le coup du secret professionnel. En contrepartie, le médiateur ne peut révéler le contenu de ces informations.

La loi garantit l’indépendance du médiateur vis-à-vis de toute administration publique.

·  Le médiateur des enfants a été institué en Suède en 1993, autour d’un conseil de six personnes, placé sous l’autorité du ministère des affaires sociales et de la santé et dont il exerce la présidence, et d’un bureau du médiateur rassemblant une quinzaine de professionnels, dont il assure la direction.

La base de compétence du médiateur des enfants est la Convention de New York : dès lors qu’un problème est couvert par la Convention, il est du ressort du médiateur. Cependant, les questions extérieures au cadre de la Convention de New York peuvent également être évoquées, dès lors qu’elles impliquent des droits et des champs d’intérêt dont le médiateur des enfants assure le suivi.

Le médiateur a pour mission de promouvoir les droits des enfants et des jeunes en tant que groupe social. Il ne connaît pas des cas individuels et n’exerce aucun contrôle direct sur d’autres autorités. Il œuvre pour permettre aux jeunes de faire entendre leur voix et d’obtenir que leurs points de vue soient pris en considération. A cette fin, il recueille leur opinion par divers moyens (visites dans les écoles, questionnaires, site Internet, service téléphonique spécial, etc.). Il peut répondre aux questions qui lui sont adressées et assurer auprès des jeunes des services de consultation et de conseil.

A l’endroit des autorités publiques, le médiateur est habilité à faire des recommandations pour modifier la législation. Il est obligatoirement consulté pour l’élaboration de toute loi relative à la protection des enfants. Il s’assure, par ailleurs, que les municipalités prennent en compte la Convention de New York dans leurs activités susceptibles de concerner les enfants et les jeunes.

L’activité du médiateur se concentre sur cinq domaines principaux : l’information et la mise en œuvre de la Convention de New York ; les enfants en situation vulnérable (violences) ; l’influence des enfants et des jeunes sur l’école et la société ; les conditions de vie des enfants, au plan juridique, social et politique ; la mise en œuvre et la coordination des activités publiques relatives à la sécurité des enfants et des jeunes.

·  En Belgique, une délégation générale aux droits de l’enfant et à l’aide à la jeunesse a été créée par la communauté wallonne en novembre 1991. Le délégué général a pour mission de veiller au respect des droits fondamentaux de tous les jeunes et de défendre leurs intérêts. A cet effet, il peut :

– informer le public des droits des jeunes et, si nécessaire, adresser des recommandations aux autorités concernées, publiques ou privées ;

– veiller à ce que les lois et règlements relatifs à l’enfance soient effectivement et correctement appliqués ;

– proposer toute mesure susceptible de contribuer à améliorer les droits des enfants et des jeunes ;

– recevoir les plaintes et requêtes relatives aux droits des jeunes ; le délégué général instruit ces requêtes ou ces plaintes et décide de la suite à leur donner ; à cette fin, il peut accéder à toute institution publique ou privée recevant des subventions d’une institution publique, et se faire communiquer tout document, sous couvert du secret professionnel. Le délégué général n’a aucun pouvoir de coercition ou d’injonction.

2.– Un pas qu’il convient de franchir en France

Dans sa recommandation n° 1121 du 1er février 1990, le Conseil de l’Europe demandait que les États européens envisagent, " s’ils ne l’ont pas encore fait, de nommer un médiateur spécial pour les enfants qui pourrait les informer de leurs droits, les conseiller, intervenir et éventuellement ester en justice des poursuites en leur nom ". Sans nécessairement retenir tous les termes de cette résolution, l’instauration en France d’un médiateur des enfants apparaît aujourd’hui indispensable.

Comme ses homologues étrangers, le médiateur aurait pour mission d’établir des passerelles entre les mineurs et le reste de la société. Lors de son audition par la commission d’enquête, Mme Louise Sylwander, médiateur des enfants du royaume de Suède, a indiqué que le débat avait été ouvert, lors de l’instauration du médiateur, sur l’étendue de ses pouvoirs : pourrait-il connaître de cas individuels ou défendrait-il les intérêts collectifs de l’enfance ?

Compte tenu de la culture politique française, l’exercice conjoint de ces deux missions paraît mieux indiqué. Ainsi, sur le modèle des compétences reconnues au Médiateur de la République, la mission générale du médiateur des enfants pourrait se décliner en trois domaines :

– le médiateur des enfants peut être saisi de toute affaire concernant le demandeur, lorsque celui-ci pense avoir à se plaindre du fonctionnement d’une administration ; s’il estime la demande justifiée, le médiateur peut adresser à l’organisme concerné des recommandations de nature à régler la difficulté, en droit ou en équité ; il peut aussi rechercher les éléments d’une entente qu’il propose aux personnes intéressées ; le médiateur n’a pas compétence pour connaître directement d’un conflit de personnes, par exemple d’un conflit familial, dont la prise en charge relève de l’autorité administrative ou judiciaire : l’institution d’un médiateur ne doit pas disqualifier les protagonistes légitimes ;

– le médiateur peut également saisir les pouvoirs publics des dysfonctionnements les plus graves qu’il aura remarqué dans le fonctionnement de l’administration, ou bien des imperfections les plus marquées du droit positif, afin de susciter des réformes adéquates ;

– par le biais d’un rapport annuel et de toute autre action qui lui agrée, le médiateur des enfants contribue à l’information des mineurs et des adultes sur les droits des enfants et leur respect effectif.

En tout état de cause, l’institution d’un médiateur des enfants ne saurait aller à l’encontre de la médiation judiciaire, telle qu’elle a été instituée par la loi du 4 janvier 1993. Il importe de maintenir une stricte séparation entre les fonctions exercées par le médiateur des enfants et les instances portées devant les juridictions. Ainsi, les médiateurs pénaux, désignés par l’Assemblée des magistrats du ressort, ne pourraient en aucun cas être placés sous l’autorité du médiateur des enfants. De même, l’instauration d’un médiateur des enfants ne peut exonérer le Gouvernement de ses responsabilités en matière de coordination des actions de l’Etat en faveur de l’enfance.

Au plan institutionnel, le médiateur des enfants doit constituer une entité autonome et avoir un statut et des moyens analogues à ceux du Médiateur de la République.

On dit souvent que la France n’a pas une culture de médiation. Il est vrai que, hormis le Médiateur de la République, qui connaît aujourd’hui une notoriété méritée et une sollicitation toujours croissante, la démarche de médiation n’est pas nécessairement reconnue pour son juste intérêt. Cependant, on a bien vu, depuis le début des années 90, fleurir des médiateurs extérieurs à l’entreprise auprès des sociétés et mutuelles d’assurance, de La Poste, de divers établissements de crédit, de la SNCF, etc. Il y a également lieu de noter que les gouvernements successifs font volontiers appel à des tables rondes " élargies " à des médiateurs extérieurs pour régler certains conflits sociaux. On se souvient certainement moins qu’une loi du 29 juillet 1982 a créé un médiateur du cinéma, chargé des litiges relatifs à la diffusion en salle des œuvres cinématographiques. Pour sa part, la médiation pénale s’exerce sur un public trop spécifique pour prétendre irriguer bientôt l’ensemble du corps social. De même, l’instauration d’un médiateur ne saurait exonérer le Gouvernement de ses responsabilités en matière de coordination des actions de l’Etat en faveur de l’enfance.

L’institution d’un médiateur des enfants répond à un réel besoin. Ceux-ci sauront rapidement faire vivre cette capacité nouvelle de rétablir ou d’affermir le lien social. Faisons confiance aux jeunes pour inventer des réflexes dont nous sommes peut-être devenus incapables !

IV.- L’enfant, un être en devenir

Au-delà même de la protection due à l’enfant et au respect de ses droits en matière civile ou en matière pénale, il faut se préoccuper de l’effectivité du droit à la (...) santé, à l’éducation, aux loisirs ou à la culture ".

A l’issue des auditions menées par la commission d’enquête, le rapporteur ne peut que formuler à nouveau la question du lien entre droits formels et droits réels, particulièrement prégnant en matière de droits sociaux. Si la question de l’effectivité des droits reconnus aux particuliers est souvent débattue, elle prend une tonalité particulière dès lors que les bénéficiaires de ces droits sont des enfants : en effet, contrairement à d’autres catégories sociales, les enfants ne disposent pas des moyens de se prononcer sur l’exercice effectif de leurs droits et sur les modalités de leur mise en œuvre.

Sur ce point, l’analyse qui imprègne la Convention de New York est pertinente : protection et affirmation de la personne de l’enfant se renforcent mutuellement, les libertés publiques et le droit à l’expression nourrissant l’exercice effectif des droits sociaux qui constituent, en particulier en matière de santé, le socle nécessaire à l’exercice de tout autre droit.

A. L’ENFANCE : âge privilÉgiÉ, âge fragile

Le développement des processus d’exclusion incite à mettre en relation les droits proclamés avec la réalité des faits et pose la question des inégalités des enfants face à leurs droits. C’est une question cruciale et difficile. Dans les analyses qui traitent de l’exclusion, la famille fait souvent écran et rend difficile l’observation de ce qui se passe très concrètement autour de l’enfant. Et souvent, seule la question, contestée par certains, de la reproduction sociale de la pauvreté d’une génération à l’autre est abordée.

Or, au vu des auditions effectuées par la commission, il semble qu’il faille analyser la pauvreté de l’enfant en des termes tout à fait spécifiques. Tout d’abord, la pauvreté représente souvent la négation même de cet âge privilégié qu’est l’enfance : le dénuement matériel d’une famille, même s’il ne signifie pas nécessairement, loin s’en faut, le dénuement affectif pour l’enfant, remet en cause ce trait constitutif de l’enfance qu’est l’insouciance. Quand la pauvreté se traduit par l’exclusion – et c’est la seconde spécificité de la pauvreté de l’enfant – c’est tout le processus de socialisation de l’enfant et, partant, ses capacités à devenir adulte qui sont menacées.

Age privilégié, l’enfance est également un âge fragile : la commission d’enquête s’est tout particulièrement penchée sur le droit à la santé et ses modalités de mise en œuvre actuelles. Si cette question rejoint l’analyse générale sur l’incidence des phénomènes d’exclusion sur les enfants, elle la déborde cependant largement, comme l’indique le rapport récent du Haut comité sur la santé publique qui dresse un bilan mitigé sur la santé de l’ensemble des enfants et des adolescents.

1.— Les droits de l’enfant à l’épreuve de la pauvreté et de l’exclusion

En France, la situation des droits de l’enfant est globalement satisfaisante. Cependant, sur certains points, elle est encore insuffisante. Il ne saurait exister, pour les enfants comme pour tout être humain, de droits à géométrie variable, déterminés par le lieu de naissance, le milieu familial ou le statut de l’enfant dans sa famille. Or, la pauvreté enfantine vient remettre en question ce postulat.

L’analyse de la pauvreté enfantine se heurte à deux difficultés d’ordre méthodologique. En premier lieu, si les analyses de la pauvreté des familles sont largement développées en France, il est assez difficile d’appréhender le phénomène de la pauvreté enfantine de manière autonome, sans en rester au niveau de la famille. Le constat conduit à s’interroger sur la notion même de pauvreté enfantine, second point d’achoppement de l’analyse : existe-t-il des spécificités de la pauvreté des enfants ? Comme s’articule-t-elle avec la pauvreté en général ?

" Pauvreté des familles, pauvreté des enfants "

Phénomène permanent et constant, la pauvreté enfantine a néanmoins changé de visage durant ces dernières années.

Légèrement supérieur à un million huit cent mille, en 1985, le nombre d’enfants vivant dans une famille pauvre est resté quasiment stable, puisqu’il s’établissait en 1995 à un million sept cent quatre vingt dix mille, soit 10 % de l’effectif de la tranche d’âge " zéro-vingt-cinq ans ". Selon l’étude réalisée en 1995 par l’INSEE, les modalités de la pauvreté enfantine ont connu une évolution notable : alors qu’au milieu des années 1980, 50 % des enfants pauvres vivaient dans une famille nombreuse comptant trois enfants ou plus, ce chiffre s’établit à 38 % pour 1995. Même si, en valeur absolue, la plupart des enfants touchés par la pauvreté font partie d’une famille nombreuse, cela est de moins en moins vrai, du fait d’une diminution conjointe du nombre de familles nombreuses et de leur exposition à la pauvreté (11 % d’entre elles vivent au-dessous du seuil de pauvreté en 1995, contre 13 % en 1985).

En revanche, les familles monoparentales ont vu leur situation se dégrader : de plus en plus, l’enfant pauvre est un enfant vivant avec un seul de ses parents. Ainsi, en 1995, près d’un enfant pauvre sur cinq vit dans une famille monoparentale alors qu’on en comptait un sur dix en 1985. D’après les enquêtes " budget de famille " menées par l’INSEE en 1984-1985 et en 1994-1995, le nombre d’enfants pauvres dans les familles monoparentales a ainsi augmenté de 68 %, alors qu’il a diminué de 26 % dans les familles comptant trois enfants et plus. L’explication partielle du phénomène tient certes à la diffusion de la monoparentalité dans la société française durant la dernière décennie. Comment expliquer, cependant, la dégradation de la situation des familles monoparentales qui, pour 17 %, vivent au-dessous du seuil de pauvreté, alors qu’elles étaient 12 % dix ans plus tôt ? Il s’agit bien d’une dégradation relative. Elle ne saurait être imputée au fait qu’un parent isolé est dans une situation économique plus fragile qu’un couple avec enfant, d’autant que l’insertion professionnelle des parents isolés est restée relativement stable. Pour expliquer cette dégradation, une modification des principaux facteurs d’exposition à la pauvreté que sont le chômage ou l’emploi peu qualifié ne peut être davantage invoquée.

Il faut dès lors se demander quelle est la cause de l’évolution négative de la situation des enfants des familles monoparentales. Il semble que l’explication tienne à une progression moindre du revenu et des prestations sociales en faveur des familles monoparentales : alors que le revenu annuel moyen par unité de consommation a augmenté de 21 % pour les couples avec trois enfants ou plus, cette augmentation s’est limitée à 2 % pour les familles monoparentales. L’évolution des prestations sociales perçues par ces ménages témoigne également de la dégradation de leur situation : elles ont progressé de 7 % par an de 1985 à 1995, alors que cette augmentation s’établit à 20 % pour les couples ayant trois enfants ou plus à charge. Faut-il voir dans cette différence de traitement le reflet d’une évolution divergente des revenus sociaux ? Il est vrai que la structure de ces prestations diffère selon qu’elles sont servies à des couples ayant en charge une famille nombreuse ou à des parents isolés : alors que les premiers reçoivent davantage de prestations familiales, les seconds sont, en 1995 comme en 1985, plus concernés par les prestations servies sous condition de ressources. L’INSEE conclut que " tout se passe comme si les foyers monoparentaux avaient fait le plein des aides existantes. Or, ces familles ont, structurellement, moins de ressources mobilisables que les couples avec enfants ".

Cette analyse incite à s’interroger sur l’impact des transferts sociaux, et, en particulier, des prestations familiales et des minima sociaux sur la pauvreté enfantine. Bien que ces transferts aient un effet important sur le niveau de vie des familles, les enfants pâtissent néanmoins de la nature de la structure familiale en l’état actuel du système de protection sociale.

Ce constat n’est pas sans lien avec la délicate question de la modulation du montant des minima sociaux en fonction de la taille de la famille et de leur lien avec les prestations familiales, question que l’actualité récente a, une nouvelle fois, mise en lumière. Le chiffre exact d’enfants concernés par les minima sociaux n’est pas disponible : en octobre 1997, un rapport du Conseil supérieur de l’emploi, des revenus et des coûts (CSERC) a estimé à trois millions trois cent mille – dont trois cent mille pour les départements d’outre-mer – le nombre de personnes bénéficiant des différents minima sociaux, soit, en ajoutant les conjoints, enfants et autres personnes à charge, près de six millions de personnes concernés par ces minima. Parmi les huit minima sociaux existant actuellement, deux peuvent être considérés comme " familiarisés ", dans la mesure où ils ont été conçus pour assurer un niveau de vie minimal, non pas seulement au bénéficiaire direct, mais au ménage dans son ensemble. Ainsi, le montant du revenu minimum d’insertion (RMI) comme celui de l’allocation de parent isolé (API) prend en compte la composition du ménage, alors que, dans d’autres cas, le montant de l’allocation est inchangée.

Deux types d’incohérences entre la logique de la politique familiale et les règles régissant les minima peuvent par ailleurs être relevées. La première, interne aux minima sociaux, tient à la diversité des règles de prise en compte des allocations familiales dans les ressources du foyer. Ainsi, dans le cas de l’allocation de solidarité spécifique ou de l’allocation veuvage, la logique de l’aide individuelle prédomine tandis que, pour le RMI et l’API, les allocations familiales sont déduites du plafond de ressources. Au sein même de ces deux allocations qui répondent à la même logique, une inégalité apparaît pour le troisième enfant : la majoration du RMI pour un troisième enfant (neuf cent soixante et un francs en octobre 1997) est plus faible que dans le cas de l’API (mille cinquante quatre francs à cette même date).

La seconde incohérence relevée par le CSERC concerne l’articulation entre le RMI et les prestations familiales, allocations familiales et complément familial, avec, selon les cas, des distorsions soit en défaveur des ménages allocataires du revenu minimum d’insertion, soit en défaveur des ménages touchant des prestations familiales. Le rapport remis par Mme Marie-Thérèse Join-Lambert au Gouvernement le 25 février 1998 relève un certain nombre de ces distorsions : ainsi, le RMI et l’API, étant modulés en fonction de la composition de la famille, sont majorés dès le premier enfant, alors que les allocations familiales ne sont servies qu’à partir du second enfant. Le CSERC note, à ce propos, que la société prend moins en charge le coût des premiers enfants des personnes titulaires de bas salaires, bien que celui-ci puisse être plus élevé du fait du travail de l’un des parents. Il s’agit là d’un singularité française. Autre exemple de distorsion, en sens inverse cette fois-ci, aucune majoration pour enfant à charge de plus de dix ans et quinze ans n’existe pour le RMI, contrairement aux allocations familiales.

Un constat général s’impose : certes, pour les familles de un ou deux enfants, le RMI et l’API prennent mieux en compte la présence d’enfants que les autres minima sociaux. Cependant, en comparaison avec la situation d’autres pays européens, le système français de minima sociaux prend en compte les charges de famille d’une manière plus hétérogène et moins favorable, alors que, en ce qui concerne le RMI par exemple, 38 % des allocataires ont des enfants, et 20 % sont des femmes seules avec un ou plusieurs enfants. Ce sujet complexe dépasse largement l’objet de la commission d’enquête et nécessite une approche globale du système de protection sociale. Cette analyse préalable s’imposait cependant pour éclairer les conditions d’exercice de leurs droits par les enfants vivant dans des milieux défavorisés : elle montre la nécessité de remettre à plat l’ensemble des minima sociaux français, afin d’assurer une prise en compte plus complète et plus homogène des charges de familles supportées par leurs titulaires. La mission sur la famille confiée à Mme Dominique Gillot, députée, comme le projet de loi de lutte contre les exclusions offrent un cadre adéquat à cette nécessaire remise à plat.

Pauvreté enfantine et droits de l’enfant

Le débat sur la " familiarisation " des minima sociaux conduit à s’interroger sur la nature de la pauvreté enfantine et ses conséquences sur l’exercice de leurs droits par les enfants : à travers ce débat se profile la recherche d’une solution pour atténuer les effets de la pauvreté sur l’enfant qui, par nature, a besoin d’une protection renforcée. Cependant, au-delà de cette lutte contre la dimension matérielle de la pauvreté, qu’en est-il des autres formes de pauvreté au regard des droits de l’enfant ? Le développement des processus d’exclusion est venu renouveler un débat récurrent sur la nature de la pauvreté. Pour reprendre la définition qu’en donne les Nations Unies, " éliminer la pauvreté exige davantage qu’une augmentation du produit national brut : c’est un processus complexe qui a certes des aspects économiques, comme la création d’emplois, mais d’autres aspects non économiques comme la satisfaction des besoins fondamentaux, le respect des droits de l’homme et la participation populaire au processus de développement lui-même. Lutter contre la pauvreté, c’est aussi lutter pour la dignité de l’être humain. ".

Les auditions menées par la commission d’enquête incitent le rapporteur à distinguer trois dimensions de la pauvreté enfantine qui, chacune, conduisent à réduire le caractère effectif des droits de l’enfant et dont le cumul rend virtuelle la notion même de droits de l’enfant, ce qui est encore plus préoccupant.

La pauvreté " matérielle " est sans nul doute la plus visible des formes de pauvreté. Elle se traduit notamment dans les conditions de logement, exemple emblématique des liens entre précarité des parents et fragilisation de l’enfant. Outre ses répercussions sur la santé de l’enfant, notamment à travers le développement du saturnisme, la question des conditions de logement met en cause la réalité du droit à l’éducation : comment l’enfant est-il en mesure d’assurer un travail personnel dans un logement exigu ? De manière plus globale, ce facteur influe à la fois sur les relations parents-enfants, le cours de la scolarité, la santé ou la qualité du tissu relationnel. Au cours des travaux de la commission d’enquête, a été abordée la question des expulsions, traumatisme pour les adultes certes, mais peut-être plus encore pour les enfants, du fait de la multiplicité des ruptures qu’elles induisent. A cet égard, les dispositions contenues dans le projet de loi de lutte contre les exclusions devraient conduire à une meilleure prévention des expulsions et à une gestion plus humaine d’un problème mettant en jeu la dignité de la personne humaine.

Souvent corrélée à des situations de précarité matérielle, la pauvreté " culturelle " constitue une remise en cause tout aussi grave des droits de l’enfant. La reproduction de ce phénomène d’une génération à l’autre pose avec une particulière acuité la question de l’effectivité du droit à l’éducation : en 1993-1994, moins de 10 % des élèves appartenant aux catégories sociales " les plus défavorisées " entraient en classes terminales. Le faible niveau culturel des parents, en particulier l’illettrisme, apparaît aussi comme un facteur de vulnérabilité de l’enfant et de " virtualisation " de ses droits. Les actions de lutte contre l’illettrisme doivent être plus fortement soutenues, précisément parce qu’elles concourent à réduire les risques de transmission de l’exclusion culturelle. La connexion entre pauvreté matérielle et pauvreté culturelle ne saurait être une fatalité : car si la première est susceptible d’être atténuée pour l’enfant par des transferts sociaux, la seconde a des conséquences durant toute sa vie d’adulte. Or, le sort d’un adulte ne doit pas être scellé dès l’enfance. Il s’agit de l’un des droits primordiaux de l’enfant.

La même analyse vaut pour la pauvreté que l’on pourrait qualifier de " relationnelle " ou de " psychologique ", phénomène susceptible de se développer avec l’augmentation du nombre de familles monoparentales, que ce soit du fait de l’absence du deuxième parent ou du travail du parent restant. Ce rétrécissement du réseau relationnel, caractéristique et facteur du processus d’exclusion, remet en cause la socialisation de l’enfant et, à terme, ses capacités d’insertion sociale et professionnelle. Les effets induits d’une telle situation sont nombreux : se trouvent posés par exemple les problèmes du temps non scolaire et de l’absence de repères de l’enfant livré à lui-même. Cette pauvreté relationnelle constitue également un terreau privilégié de développement de la délinquance, d’autant qu’à l’adolescence, période de rupture par nature, les effets de ce vide relationnel sont démultipliés. Il va de soi que la question de la santé psychologique dépasse largement la situation des enfants vivant dans des milieux défavorisés, comme tendent à le montrer certains indicateurs qui concernent toutes les catégories sociales, tels que le taux de suicides ou de tentatives de suicide chez les enfants et les jeunes.

L’enfance, âge privilégié, âge fragile ? La pauvreté et l’exclusion, si elles contribuent à accroître, parfois jusqu’à la rupture, la fragilité de l’enfant, tendent, à l’inverse, à réduire les spécificités de ce temps privilégié que devrait être l’enfance : traversée par les grandes inégalités inhérentes à notre société, l’enfance n’est alors plus un monde à part. C’est à ce titre que la politique de l’enfance doit s’insérer dans l’ensemble des politiques sociales, sans pour autant s’y diluer.

2.— Conforter le droit à la santé

Le rapporteur souhaite donner une importance particulière au droit à la santé, défini par l’article 24 de la Convention, qui met l’accent sur le caractère global de ce droit en évoquant la nécessité de sa " réalisation intégrale ". Or, il ressort des auditions menées par la commission d’enquête que l’accès aux services de santé en France, qu’il s’agisse de prévention, d’éducation ou de soins, fait l’objet d’une mise en œuvre contrastée, non pas tant du fait d’un écart important entre la norme internationale et la norme interne, mais essentiellement à cause d’une application insatisfaisante de cette dernière.

Le terme générique de " droit à la santé " recouvre en réalité deux aspects distincts, d’ailleurs contenus dans la Convention de New York : d’une part, " le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible " et d’autre part, " le droit d’avoir accès à ces services ". Cette double dimension structure le débat sur la santé des enfants ; en effet, ce débat ne peut pas faire l’économie d’une réflexion tant sur l’état des lieux – ce qui pose la question plus particulière des liens multiples, complexes entre précarité sociale et vulnérabilité médicale – que sur l’adaptation de l’offre de soins aux besoins constatés.

 

La santé des enfants en France : un bilan contrasté

Si, au regard des indicateurs utilisés pour évaluer la santé des enfants, la France se situe dans une position globalement favorable, il convient d’affiner l’analyse. En effet, le recours à des indicateurs moyens n’a guère de sens en matière de politique de santé publique. L’étude contenue dans le rapport que le Haut comité de la santé publique a remis à la Conférence nationale de santé et au Parlement en juin 1997 est, à cet égard, du plus grand intérêt. Au-delà des indicateurs généraux, ces données nationales mettent en lumière les principaux défis de santé auxquels sont confrontés les jeunes. En dépit de la multiplicité et du caractère parfois partiel des sources utilisées, la plupart des données statistiques et épidémiologiques semblent convergentes, à l’exception notable et révélatrice de celles relatives aux troubles mentaux.

En 1993, treize mille décès d’enfants et de jeunes ont été observés en France, pour une population de dix neuf millions cinq cent mille sujets âgés de zéro à vingt-quatre ans : si le taux de mortalité de cette classe d’âge est faible au regard du taux de mortalité générale (66,3/100.000 contre 981,8/100.000 pour les hommes et 867,6/100.000 pour les femmes), les chiffres bruts n’en sont pas moins préoccupants. Deux tranches d’âge se caractérisent par des taux de mortalité beaucoup plus élevés : les enfants de moins de un an et les jeunes de quinze à vingt-quatre ans.

Le taux de mortalité des nourrissons s’élève à 749,3/100.000 pour le sexe masculin et 539,4/100.000 pour le sexe féminin, soit quatre mille six cent quatre décès en 1993 pour une population de sept cent seize mille nourrissons. Ces chiffres, élevés au regard de ceux qui concernent l’ensemble de la tranche d’âge " zéro-vingt-quatre ans ", doivent cependant être relativisés : d’une part, l’évolution récente est assez favorable, les chiffres s’établissant pour 1994 respectivement à 683,3/100.000 et 511,6/100.000 ; d’autre part, les comparaisons internationales révèlent que la situation en France n’est pas globalement défavorable dans cette tranche d’âge. Les causes de mortalité des nourrissons sont relativement bien identifiées, à défaut d’être toutes bien comprises : affections de la période périnatale, syndrome de la mort subite et malformations congénitales.

Pour ce qui concerne la tranche d’âge " quinze-vingt-quatre ans ", le taux de mortalité, très inégal selon le sexe, s’établit à 107,3/100.000 pour les hommes et 38,9/100.000 pour les femmes, chiffres qui témoignent eux aussi d’une amélioration de la situation, notamment pour les jeunes hommes. Les deux première causes de mortalité dans cette tranche d’âge sont les accidents (deux mille neuf cent trente trois) et les suicides (neuf cent soixante six). A l’occasion de la deuxième journée nationale de prévention du suicide, un rapport sur l’hospitalisation des adolescents, diffusé par le secrétariat d’Etat à la santé publique, indiquait que, chaque jour, sept jeunes adultes de quinze à trente-quatre ans se donnent volontairement la mort, pour un total annuel de quarante mille tentatives de suicide dans cette classe d’âge. Le Haut comité de la santé publique souligne le caractère " préoccupant " de l’état de santé des jeunes de cette tranche d’âge, notion qui inclut, outre les données relatives à la mortalité, celles qui concernent la morbidité et les comportements dits " à risque " ou " d’essai " (violence, consommation d’alcool, de tabac et de drogue, abandon précoce de la scolarité, tentatives de suicide...). Pour chacun de ces indicateurs, la comparaison avec les autres pays de l’Union européenne se révèle particulièrement défavorable à la France : en matière d’accidents et de suicides, la France est le pays où la mortalité due aux suicides et accidents additionnés est la plus élevée. Cette position défavorable de la France, en ce qui concerne la santé des quinze-vingt-quatre ans, est corroborée par d’autres indicateurs relatifs aux conduites violentes, aux tentatives de suicide...

Ce constat ressort également des auditions menées par la commission d’enquête ; il est frappant d’observer que la question de la santé des enfants a dépassé le cadre des auditions de spécialistes – médecins, associations traitant de ce problème, etc. – et a été abordée par d’autres intervenants, notamment des magistrats. Comme le note le Haut comité, " l’ensemble de ces données témoigne d’un mal-être dont la gravité ne doit pas être sous-estimée et qui est vraisemblablement le résultat de l’histoire physique et mentale de l’enfant depuis sa naissance ainsi que de l’environnement dans lequel sa croissance s’est faite ".

Cette dernière observation incite à s’interroger sur l’état de la santé psychologique des enfants. En la matière, les données disponibles sont plus floues, trait caractéristique d’un relatif manque d’intérêt pour la matière, l’existence d’indicateurs statistiques fiables témoignant généralement de l’existence d’une politique publique clairement affichée. Force est de reconnaître, avec le Centre international de l’enfance et de la famille, que " de telles incohérences amènent à s’interroger sur la nature des sources de données utilisées pour orienter et piloter les politiques de santé publique en faveur des enfants et des jeunes, sur la fiabilité des données et de leur interprétation ".

Deux types de sources sont utilisés dans ce domaine. Tout d’abord, les données des services spécialisés apportent des indications sur le nombre d’enfants suivis en psychiatrie infanto-juvénile : en 1993, quelque deux cent quatre vingt dix mille enfants et adolescents ont été suivis, soit dix-huit enfants suivis pour mille habitants de moins de vingt ans. L’aspect le plus troublant de ce mal-être psychologique concerne sa précocité : il est frappant de constater que les enfants âgés de cinq à neuf ans sont les plus représentés – 43 % –, contre 13 % " seulement " pour les adolescents de quinze à dix-neuf ans. Il y a là un premier paradoxe au regard des chiffres élevés relatifs au suicide ou aux tentatives de suicide des adolescents. La deuxième source statistique en matière de santé mentale provient des enquêtes par entretien ou questionnaire, qui permettent d’obtenir des données sur les maladies auto-déclarées, ainsi que la description de symptômes psychosomatiques et psychologiques. Les résultats révèlent un second paradoxe : alors que les jeunes associent de manière quasi-systématique (88 %) santé et santé somatique, ils révèlent, à travers leurs réponses, nombre de symptômes témoignant d’un mal de vivre psychologique. 7 % des élèves âgés de onze à dix-neuf ans se disent déprimés et les enfants français sont parmi les principaux consommateurs de somnifères dans le monde. Les statistiques concernant les tentatives de suicide vont dans le même sens : 7 % des élèves âgés de onze à dix-neuf ans ont fait une tentative de suicide et un tiers d’entre eux ont récidivé. Face à ce phénomène massif, l’accueil hospitalier apparaît particulièrement peu fréquent puisqu’il intervient dans un cas sur cinq seulement.

Le problème de l’état de santé psychologique ou psychiatrique des enfants a été soulevé par de nombreux témoins que la commission d’enquête a auditionnés. Le rapporteur se réjouit des engagements pris par le secrétaire d’Etat à la santé en matière de lutte contre le suicide : il est ainsi prévu d’augmenter le nombre de lieux d’appel, d’améliorer la formation des professionnels en matière d’écoute des signaux précurseurs et de travail en réseau et enfin d’assurer un meilleur suivi psychologique, voire psychiatrique des enfants ayant tenté de se suicider.

Mais, d’une manière plus radicale, le rapporteur propose qu’au sein de la politique publique menée contre le suicide, la politique de lutte contre le suicide infantile fasse l’objet d’un affichage particulier. Il importe, pour ce faire, que soient mis en place des indicateurs fiables, les paradoxes observés dans les données précitées mettant cruellement en lumière les insuffisances actuelles.

Une telle situation est d’autant plus regrettable que ce ne sont pas les vrais problèmes de l’adolescence qui sont en priorité placés sous les feux de l’actualité. L’adolescent est plus souvent un enfant qui souffre de dépression et de troubles psychosomatiques qu’un être violent et délinquant, image que renvoient pourtant en priorité les médias.

La seconde proposition en matière de santé psychologique concerne la nécessaire évolution des concepts d’intervention, notamment dans le système de santé scolaire. Comme l’a souligné le docteur Jean-François Dodet, membre du Haut comité de la santé publique, lors de son audition devant la commission, les outils actuellement utilisés ne sont pas adéquats pour entendre la parole ou le message de l’enfant, que ce soit, d’ailleurs, en matière de troubles physiques ou mentaux. A ce titre, les pratiques de diagnostic fondées sur l’expression corporelle, par exemple, gagneraient à être développées.

L’accès au système de santé

Le texte même de la Convention relative aux droits de l’enfant incite à s’interroger sur le degré d’adéquation de l’offre de services aux besoins des enfants. C’est la quadrature du cercle déjà rencontrée en matière de droits de l’enfant : les adultes détiennent le pouvoir d’évaluation et de décision, sans que l’enfant ait systématiquement l’occasion d’exprimer ses besoins. De fait, il apparaît que l’accès aux soins des mineurs est fortement corrélé aux droits dont disposent ses parents, d’où la coexistence entre un système de services très développé (voir tableau ci-dessous), largement ouvert, et l’exclusion de fait de certains enfants de la majeure partie du système de soins.

Les difficultés d’accès aux services de santé sont directement fonction de la situation familiale. Les données relatives à l’accès aux médecins spécialistes sont, sur ce point, particulièrement révélatrices : d’après les certificats de santé, outils précieux pour évaluer les pratiques de soins pour les jeunes enfants, les enfants sont, huit jours après leur naissance, consultés par un pédiatre pour 95 % d’entre eux ; au neuvième mois, la proportion de consultations auprès de pédiatres chute à 47 %, puis à 40 % quand l’enfant a atteint l’âge de deux ans. Sans revenir sur l’analyse du lien entre la pauvreté des familles et la pauvreté des enfants, notons seulement que le cumul des précarités est extrêmement préoccupant en matière de santé, comme l’indique l’existence de " maladies de la pauvreté ". Il convient, sur ce point, de saluer la mise en œuvre d’un véritable programme de lutte contre le saturnisme dans le cadre du projet de loi sur les exclusions : le double système de détection, médical et administratif, que le Gouvernement propose de mettre en œuvre, devrait permettre d’enrayer une maladie dont les effets n’ont encore été que partiellement évalués.

L’amélioration de l’accès des enfants aux soins, si elle passe par des politiques sociales générales (assurance maladie universelle, système d’affiliation automatique pour les bénéficiaires de minima sociaux, par exemple), suppose également que soit menée une réflexion de fond sur la cohérence des dispositifs actuels de prévention et de prise en charge de la santé infantile et sur leur nécessaire réforme.

Le dispositif général de santé pour les enfants

Prévention

Compétence

Population concernée

Protection maternelle et infantile

Départements

Futures mères – Enfants de zéro à six ans

Service de promotion de la santé en faveur des élèves

Etat

Enfants et jeunes scolarisés dans les établissements publics et privés sous contrat, de la maternelle à la terminale

Service social en faveur des élèves

Etat

Enfants et jeunes scolarisés dans les établissements publics et privés sous contrat, plus particulièrement second degré, ZEP, établissements sensibles

Services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé

Etat + participation des étudiants

Etudiants

Médecine du travail

Privé

Jeunes à partir de seize ans (dérogation à partir de quatorze ans)

Centre de planification familiale

Départements

Pas de limite d’âge mais 27,4 % des jeunes ont moins de vingt-cinq ans

Comité français d’éducation pour la santé

Etat, sécurité sociale, départements, collectivités locales

Jeunes de moins de vingt-cinq ans

Fil santé jeunes

Etat + aides ponctuelles de la Fondation de France

Pas de limite d’âge – 57 % des appels viennent des douze-seize ans

Points accueil jeunes

Etat + départements et/ou municipalités

Enfants et jeunes de dix à vingt-cinq ans

Prise en charge

   

Santé somatique : dispositif hospitalier

Sécurité sociale, Etat

Accès à tous. Deux millions d’enfants par an aux urgences

Santé somatique : dispositif libéral

Sécurité sociale, Municipalités, Mutuelles ou Associations loi 1901 pour les centres de santé

Accès à tous

Santé mentale : dispositif de service public

Etat

Psychiatrie infanto-juvénile (Centres médico-psychologiques, éléments de base du dispositif) jusqu’à seize ans – psychiatrie générale après

Santé mentale : dispositif libéral

Sécurité sociale, Particuliers, Centres médico-psychopédagogiques gérés par l’Education nationale ou Associations privées à but non lucratif

Centres médico-psychopédagogiques : 100.000 enfants et adolescents par an

Source : HCSP, Santé des enfants, santé des jeunes, juin 1997

Deux constats récurrents ont été faits lors des auditions menées par la commission d’enquête.

Tout d’abord, le cloisonnement institutionnel actuel paraît largement obsolète et peu efficace. Obsolète d’une part, car il reproduit un système de tranches d’âge qui méconnaît la dynamique dont relève la santé. Comme l’avait très justement indiqué le Haut comité de la santé publique dans son rapport Stratégie pour une politique de santé (1992), l’enfance et l’adolescence sont des périodes d’acquisition d’un " capital de santé ", qui se construit progressivement. A cet égard, l’étanchéité entre les services départementaux de protection maternelle et infantile (PMI) et le service de promotion de la santé en faveur des élèves, qui a été soulignée par de nombreux intervenants, est tout à fait regrettable et contrevient à la complémentarité de leurs missions. L’absence de suivi des dossiers entre ces deux institutions réduit la portée des bilans effectués par la PMI, à quatre ans, et par les services de santé scolaire, à six ans, alors qu’ils participent tous deux d’une logique de détection et de suivi de troubles éventuels. Ce manque de coordination apparaît d’autant moins justifié que l’organisation relationnelle des moyens tient à la volonté des services eux-mêmes. Certains départements ont mis en place des passerelles entre les services placés sous leur contrôle et ceux qui sont rattachés au ministère de l’éducation nationale. Ces expériences pourraient être relayées par une obligation de signature de Conventions entre les présidents de conseils généraux et les inspecteurs d’académie dans ce domaine. Lors de son déplacement en Seine-Saint-Denis, la commission d’enquête a ainsi constaté que le suivi des dossiers des enfants y était assuré de manière satisfaisante entre la PMI et l’école.

Faire travailler ces services ensemble est donc une véritable nécessité. Il s’agit là davantage d’un problème de culture administrative que d’inadéquation du dispositif juridique. Ce constat dépasse d’ailleurs les seules questions sanitaires. Le problème de la mauvaise coordination des acteurs se pose en effet dans de nombreux domaines : délinquance, maltraitance... Or, il est nécessaire qu’à tout le moins, les acteurs de l’enfance se rencontrent et parlent ensemble. La création de comités communaux – ou intercommunaux – de l’enfance autour des maires, sur le modèle des conseils communaux de prévention et de lutte contre la délinquance, permettrait de répondre à ce manque. En abordant, de manière régulière, telle ou telle question, les différents services et intervenants réunis en conseil apprendraient à travailler ensemble.

En matière sanitaire, deux éléments contribuent à expliquer l’étanchéité des dispositifs : en premier lieu, il est certain que le rôle préventif de la PMI et du service de santé scolaire est parfois mal compris. D’autre part, dans un cas comme dans l’autre, les moyens alloués sont inégaux ou notoirement insuffisants. En matière de PMI, les dépenses par tête d’habitant varient fortement d’un département à l’autre, selon un rapport de un à deux cent trente trois ! Quant à la médecine scolaire, il n’est pas exagéré de constater qu’il s’agit là d’un secteur sinistré. En 1996, il existait un médecin scolaire pour 6.900 élèves et une infirmière scolaire pour 2.400 élèves. Sans doute l’effort engagé par le Gouvernement témoigne-t-il d’une volonté de faire progresser la médecine scolaire, mais il doit être poursuivi avec détermination et amplifié. La récurrence du besoin, exprimé par les enfants eux-mêmes à travers la proposition de loi " Une infirmière au moins par école " adoptée par le Parlement des enfants en 1997, traduit une attente très forte à l’égard du système scolaire en matière de santé, attente qu’il conviendra de satisfaire.

Ces données conduisent à examiner la situation et le statut de la médecine scolaire en général, dont tous les intervenants ont souligné la faiblesse et l’inadaptation. Au-delà de la question des moyens, c’est son fonctionnement même qui est en question. Le rapporteur souhaite, à cet égard, que les pistes actuellement examinées par le ministère de l’éducation nationale, telles qu’elles ont été présentées par Mme la ministre chargée de l’enseignement scolaire, trouvent rapidement une concrétisation. La possibilité de prescription pour les médecins scolaires doit être instaurée et une réflexion menée sur le lien entre médecine scolaire et médecine de ville. Il importe de créer, par une politique incitative, des passerelles entre médecine scolaire et médecine de ville : l’instauration de la prescription contribuerait, en outre, à rehausser l’image souvent dégradée de la médecine scolaire. Le rapporteur souscrit donc à la proposition de créer un statut mixte de médecin scolaire – médecin de ville ou hospitalier, actuellement à l’étude au ministère de l’éducation nationale. Il doit être clair que l’objectif de ces propositions est bien de renforcer la médecine scolaire et non d’accompagner son dépérissement.

En conclusion de cette partie, il convient de rappeler que les politiques en faveur de l’amélioration de la santé ne sauraient se limiter à la production de soins ou à la question de l’accès aux services de santé. L’évolution des marqueurs d’état de santé tient aussi à l’environnement physique et social. Dans cette optique, le droit aux loisirs, affirmé par l’article 31 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, apparaît comme un complément indispensable du droit à la santé et au bien-être physique et mental. Faut-il rappeler qu’en France, un tiers des enfants ne partent jamais en vacances ? Outre l’épanouissement personnel de l’enfant, la non application du droit aux loisirs freine le processus de socialisation de l’enfant. Dans cet esprit, il importe de soutenir l’action des mouvements d’éducation populaire.

B. L’ENFANCE : PASSEPORT POUR LA CITOYENNETÉ

L’apprentissage de la citoyenneté par l’enfant est un processus continu, qui ne peut se réduire à l’acquisition de la majorité à l’âge de dix-huit ans.

Au-delà de la diversité des modalités de formation du futur citoyen qu’est l’enfant, se détache un acteur principal : l’école. Lieu d’instruction puis d’éducation, l’école est aujourd’hui un lieu de formation : formation à des savoirs, à des méthodes, certes, mais également formation à la vie citoyenne, comme le proclame l’article 29 de la Convention de New York en conférant à l’éducation le rôle de " préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre ".

La grande novation introduite par la Convention relative aux droits de l’enfant ne réside cependant pas dans cette réaffirmation du droit à l’éducation comme voie d’accès à la citoyenneté, conception déjà présente en droit interne depuis la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989. C’est davantage par l’autonomie qu’elle accorde à l’enfant en matière de libertés publiques qu’elle bouleverse le regard porté sur l’enfant : la reconnaissance des droits à l’expression, à l’information, du droit d’association ou de la liberté d’opinion constitue en effet un apprentissage pratique, et non plus théorique, de la citoyenneté.

1.– L’enfant et les savoirs : accéder à l’éducation

Le droit à l’éducation est défini, en droit interne, par l’article premier de la loi du 11 juillet 1975 relative à l’éducation, en vertu duquel " tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l’action de sa famille, concourt à son éducation ".

Il peut paraître paradoxal de s’interroger sur la réalité du droit à l’éducation dans un pays où le taux de scolarisation, en progression constante, figure parmi les plus élevés au monde : 89,5 % des jeunes entre deux et vingt-deux ans sont scolarisés en France, contre 79,8 % en 1980. Avec près de treize millions d’élèves, plus de vingt millions de parents d’élèves et environ huit cent mille enseignants, le système scolaire se situe au cœur de la société.

Cette approche exclusivement statistique n’est cependant pas pertinente, car elle masque la réalité des processus d’exclusion qui remettent en cause le droit à l’éducation. A cet égard, il convient de distinguer deux phénomènes. En premier lieu, à l’intérieur même du système scolaire, se pose le problème de l’exercice effectif du droit à l’éducation : l’école, qui reflète l’état de la société, en intègre les inégalités et les contradictions, comme le montre le maintien de fortes disparités de niveau, liées à celles des milieux sociaux. Il s’agit là d’un phénomène connu, bien observé, qui n’en demeure pas moins inacceptable.

Un second aspect des liens entre exclusion et système scolaire est apparu lors des travaux menés par la commission d’enquête et concerne les enfants non scolarisés, qu’il s’agisse d’enfants dont l’instruction est assurée par leur famille ou d’enfants élevés dans des sectes. Mal connu, mal évalué, ce phénomène pose la question de la pertinence des modalités actuelles du contrôle de l’obligation scolaire.

Inégalités sociales et éducation : un droit à géométrie variable

L’existence d’un lien entre origine sociale et réussite scolaire est bien établie : encore aujourd’hui, un enfant d’ouvrier a 3,8 fois moins de chance d’avoir accès au baccalauréat qu’un enfant de cadre et 75 % environ des garçons et filles, issus d’un milieu ouvrier, quittent l’école, à respectivement dix-huit et dix-neuf ans avec un niveau d’études ne dépassant pas un BEP ou un CAP. Globalement, cependant, certains indicateurs tendent à prouver que l’écart se réduit : une étude réalisée par la direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’éducation nationale sur les sorties du système éducatif entre 1991 et 1994 montre que la proportion d’enfants d’ouvriers ou de personnels de service passant par l’enseignement supérieur a progressé de neuf points par rapport à la période 1987-1990, soit quatre fois plus que celle d’enfants de cadres. Ainsi, 44 % des enfants issus des premières catégories sont passés par l’enseignement supérieur contre 78 % des enfants de cadres, de chefs d’entreprise ou d’enseignants.

En dépit de ces améliorations, la reproduction des inégalités sociales par le système éducatif est choquante et met en doute l’efficacité du droit à l’éducation, dont l’un des objectifs est précisément de neutraliser l’effet de ces disparités. De plus, dans le cas des familles très défavorisées appartenant à ce qu’il est convenu d’appeler le " quart-monde ", la stagnation, voire la dégradation de la situation est très nette : le système éducatif actuel semble impuissant pour répondre aux cas de grande pauvreté. A ce sujet, M. Claude Pair cite le cas de deux écoles primaires de l’Est de la France, qui met en lumière la situation des enfants les plus défavorisés : en 1997, seuls 9 % des enfants du quartier défavorisé fréquentaient le cours correspondant à leur âge et 37 % étaient dans des classes spécialisées, contre 76 % et 10 % pour l’ensemble des enfants. De même, lors de son déplacement dans le département de Seine-Saint-Denis, la commission d’enquête a pu constater les difficultés extrêmes auxquelles est confrontée une forte minorité d’élèves, issus de familles elles-mêmes en grande difficulté, vivant dans des quartiers en voie de " ghettoïsation ", où les références habituelles en matière sociale, culturelle et familiale sont dissoutes ou en voie de l’être. Enfin, la progression globale des chiffres ne saurait masquer un phénomène que les événements actuels dans le département de Seine-Saint-Denis mettent en lumière et qui avait déjà été souligné par un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale : une évolution très nette des établissements scolaires se dessine avec, d’un côté, des établissements qui cumulent les difficultés – les " établissements chocs " selon la formule de Pierre Tournemire, secrétaire général adjoint de la Ligue de l’enseignement, qui sont confrontés à la ségrégation sociale et ethnique, à l’insécurité et à la psychose d’insécurité, à la désertion des cantines, au racisme et à l’abandon de fait des objectifs scolaires –, et, de l’autre, des établissements d’élite – qualifiés à l’inverse d’" établissements chics " –, relativement protégés et bien dotés en moyens.

Plusieurs facteurs d’explication se conjuguent, sans qu’il soit aisé de prétendre à l’exhaustivité ni de déterminer la part respective de l’un ou de l’autre.

De manière générale, la crise économique et la situation de l’emploi, par leurs effets induits en matière de santé ou de logement, mettent en question les méthodes du système éducatif et les attentes à son égard. Ils contribuent en particulier à couper le lien entre les parents et l’institution scolaire, ce que le sociologue François Dubet appelle le " malentendu " entre les familles les plus pauvres et l’école. Participe de ce malentendu l’inadéquation culturelle entre les savoirs délivrés à l’école et la culture familiale. En 1994, l’INSEE a révélé ainsi que 45 % des ouvriers non qualifiés se jugeaient " dépassés " pour aider les enfants dans le travail scolaire, ce taux atteignant 92 % au niveau du lycée. A cet égard, certains spécialistes mettent en cause le caractère normatif du système éducatif : les programmes et les méthodes dessinent une norme idéale, à l’aune de laquelle les élèves sont jugés et à laquelle ils doivent s’adapter. Ainsi, à rebours de sa fonction de neutralisation des disparités sociales, l’école se transformerait en machine à exclure. D’où un plaidoyer en faveur d’un renversement de la perspective qui place l’élève réel, et non l’élève rêvé, au centre du système.

D’autres facteurs, qui reflètent parfois les critiques portées sur les pratiques institutionnelles de l’éducation nationale, sont avancés pour contribuer à l’explication de la persistance des inégalités au sein du milieu scolaire. Le rapport précité de l’IGEN propose une explication en termes d’inadéquation de la répartition des moyens. Plusieurs indicateurs étayent cette analyse qui met en cause la responsabilité du système lui-même dans le développement de la ségrégation scolaire. Tout d’abord, une étude comparée du ratio mesurant le nombre d’heures de cours par élève laisse apparaître des distorsions en faveur des secteurs favorisés : ainsi, les lycéens parisiens travailleraient, en moyenne, trois heures de plus que ceux d’une commune défavorisée du Rhône. En second lieu, il existe des inégalités dans le nombre et la qualité des personnels affectés sur les postes les plus difficiles. Les établissements les plus défavorisés ont une plus faible proportion d’agrégés et de certifiés : Paris, par exemple, compte 19,7 % de professeurs agrégés contre 6,4 % dans l’académie de Lille. Enfin, le rapport met en cause le développement d’une ségrégation interne aux établissements, la très grande majorité des collèges constituant des classes de niveau, qui reflètent, pour certaines, les inégalités sociales. Est cité, en exemple, un collège dans lequel les taux de réussite au brevet des collèges varient entre les six classes de troisième de 100 % à 0 %, en passant par 93,4 % et 4,7 %.

Ce phénomène de ségrégation scolaire conforte les analyses sociologiques de l’école comme marché de filières et d’établissements, sur lequel les parents, consommateurs d’éducation, sont appelés à intervenir. Or, comme sur tout marché, il importe de disposer des bonnes informations sur les règles de fonctionnement du marché pour faire les meilleurs choix. Utilisé efficacement par les milieux aisés, cet accès à l’information est, en revanche, largement ignoré par les plus défavorisés. Au total, l’égalité formelle affirmée en matière de droit à l’éducation conduit à des inégalités de fait.

La politique initiée en 1982, avec les créations des zones d’éducation prioritaire (ZEP) et développée depuis se donne précisément pour objectif de briser le lien entre égalité formelle et inégalités réelles. Cette politique de discrimination positive se situe au cœur de la lutte contre l’échec scolaire. Il faut se réjouir de la relance de cette politique du " donner plus à ceux qui ont le moins ", décrite par Mme la ministre chargée de l’enseignement scolaire lors de son audition. Trois éléments sont susceptibles de relancer le droit à l’éducation. Tout d’abord, la refonte de la carte des ZEP, qui est obsolète, s’impose, de même que la mise en place de réseaux d’éducation prioritaire, évitant les effets de seuil géographiques, qui devraient permettre d’adapter la répartition des moyens à la réalité de la situation sur le terrain. En outre, dans les ZEP, la priorité donnée à la scolarisation des enfants de moins de trois ans apparaît souhaitable, à la lecture des résultats d’une étude menée sur ce sujet en 1992. Il apparaît en effet que les acquisitions des élèves à l’entrée du cours préparatoire sont d’autant plus élevées que la scolarisation maternelle a été plus longue. Or, à l’heure actuelle, la scolarisation maternelle à deux ans touche de façon moindre les familles défavorisées, les enfants de cadre étant surreprésentés au sein des enfants scolarisés dès deux ans. Il importe donc, en développant prioritairement l’accès à la maternelle dès deux ans dans les ZEP, de lutter contre l’apparition précoce des inégalités scolaires. De plus, il faut se féliciter de la remise en vigueur du principe de partenariat contenu dans la loi d’orientation sur l’éducation de 1989, selon lequel les parents sont membres de la communauté éducative. Il est en effet nécessaire de réintégrer les parents dans l’institution scolaire : l’école doit aller vers les familles pour revaloriser leur rôle et les aider à tenir la place qui est la leur dans l’éducation de leurs enfants.

Enfin, participe de la relance du droit à l’éducation le développement des mesures de soutien et d’accompagnement scolaire, qui relèvent aujourd’hui de la seule initiative des communes. Le projet de loi de lutte contre les exclusions prévoit de développer ces mesures, de façon à répondre aux besoins des enfants issus de milieux défavorisés, sans toutefois préciser les modalités de cette action.

Faut-il, après une évaluation établissement par établissement, établir un plan national qui fixe les besoins et les orientations d’une politique de l’accompagnement scolaire ? Si cette question mérite une impulsion politique forte, à la mesure des enjeux qui y sont attachés – lutter contre l’échec scolaire, suppléer l’action des parents, éviter que l’enfant se retrouve seul chez lui ou dans la rue –, le rapporteur estime cependant peu judicieux de rigidifier un dispositif qui se prête mal à tout encadrement réglementaire, les besoins étant extrêmement divers. En revanche, il suggère qu’au niveau des inspections d’académies, des estimations précises soient faites des besoins en matière de soutien et d’accompagnement scolaire et que des partenariats soient mis en place entre le ministère de l’éducation nationale et les communes, notamment sur la base de créations d’emplois-jeunes.

Cet examen du droit d’accès à l’éducation ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur un phénomène d’autant plus préoccupant qu’il heurte l’un des principes fondateurs de l’école républicaine : le principe de gratuité. L’amélioration de l’accès des plus pauvres à l’école suppose en effet de revenir à une application effective de ce principe : force est de constater qu’actuellement, l’école n’est pas gratuite et que, pour un certain nombre de familles, l’achat de fournitures scolaires et, à partir du lycée, de manuels représente une dépense à laquelle elles font difficilement face. Que dire, en outre, de l’incapacité des familles défavorisées à assumer les coûts des classes de nature ou de découverte, auxquelles les enfants ne peuvent, de ce fait, participer ? Les coopératives scolaires répondent aujourd’hui partiellement à ce problème ; dans certaines écoles, il est même parfois demandé aux familles plus aisés d’augmenter leur participation, de façon à permettre à ces enfants de partir avec la classe. Ces dispositifs, sporadiques, n’apportent pas une réponse d’ensemble au problème.

En conséquence, le rapporteur suggère que soit envisagée, dans le même esprit que le fonds d’indemnisation des cantines scolaires, un fonds de compensation des voyages scolaires, qui permettrait de suppléer les familles défaillantes. De manière complémentaire, des Conventions de partenariat pourraient être conclues entre le ministère de l’éducation nationale et la SNCF, la question du coût du transport étant déterminante.

Les exclus du système scolaire

A travers ses travaux, la commission a été amenée à s’intéresser à un problème mal connu et mal évalué : celui des enfants qui ne sont pas scolarisés dans des établissements d’enseignement publics ou privés sous contrat, problème qui pose la question des modalités de contrôle de l’obligation d’instruction. Faut-il rappeler qu’en France " l’instruction est obligatoire, l’enseignement est libre et l’école facultative ", pour reprendre les mots de M. Pierre Tournemire, Secrétaire général adjoint de la Ligue de l’enseignement ?

L’actualité récente a mis en lumière le problème des enfants éduqués dans les sectes ; mais le phénomène concerne également les enfants instruits dans le cadre familial ou les enfants livrés à eux-mêmes, en raison de l’exclusion ou de l’immigration clandestine, ou encore les enfants exclus de plusieurs établissements scolaires qui ne trouvent plus d’établissement d’accueil. L’ampleur du phénomène, marginal en termes relatifs, n’est cependant pas négligeable en valeur absolue, même si l’évaluation en est incertaine : cinq à vingt mille enfants seraient concernés.

Dans l’état actuel du droit, seule l’obligation de l’instruction est soumise à un contrôle, lui-même très limité : à chaque rentrée scolaire, les maires sont tenus de dresser la liste de tous les enfants résidant dans leur commune et soumis à l’obligation scolaire. Pour les enfants qui ne sont pas scolarisés dans des établissements d’enseignement publics ou privés sous contrat, la loi prévoit un contrôle a minima, tant au regard de sa fréquence (enquête sommaire de la mairie à huit, dix et douze ans) que de son contenu, son objet portant exclusivement sur le respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des dispositions en matière de prévention sanitaire et sociale. Les résultats de cette enquête sommaire sont ensuite transmis au ministère de l’éducation nationale. Aucune évaluation du niveau d’instruction de ces enfants n’existe donc : les familles ou les établissements en cause sont libres dans le choix de leurs méthodes et de leurs programmes.

En conséquence, le rapporteur propose que soit menée, par le ministère de l’éducation nationale, une évaluation de la situation des enfants non scolarisés qui en précise l’ampleur et les modalités.

En outre, il recommande l’adoption d’une loi renforçant le contrôle exercé sur les enfants non scolarisés, afin qu’à l’enquête sommaire soient substituées une évaluation des connaissances de l’enfant tous les deux ans, à partir de l’âge de huit ans, et une multiplication des contrôles menées par les inspecteurs de l’éducation nationale, dotés à cette fin d’un véritable pouvoir d’investigation. Il est à noter que le principe d’un renforcement, par la loi, du contrôle pesant sur l’instruction obligatoire vient également d’être préconisé, dans le cas des sectes, par l’Observatoire interministériel sur les sectes.

Pour ce qui est des élèves exclus des établissements scolaires, il convient de mettre en place un dispositif de suivi de leur parcours, en liaison avec les commissions départementales d’éducation spécialisée, la protection judiciaire de la jeunesse et les services de l’aide sociale à l’enfance. Il serait également nécessaire de développer, en amont, les classes relais créées à l’initiative de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’éducation nationale. Ces classes, adaptées à un public difficile, jouent un rôle de prévention qui doit être renforcé.

2.– L’enfant et les savoirs : l’écran et l’écrit

Au-delà de l’accès à l’éducation, la réflexion sur le droit à l’éducation ne saurait faire l’économie des modalités de celle-ci. Question classique et aux nombreuses implications, le débat sur les méthodes et le contenu de l’enseignement est cependant renouvelé par le développement des images et des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

Si la réflexion sur le lien entre l’image et l’écrit n’est pas propre aux NTIC, elle se pose aujourd’hui avec acuité, à l’heure où l’entrée de ces technologies dans les écoles a quitté le champ de l’anathème ou de l’éloge, pour devenir réalité. Il serait cependant réducteur de limiter au champ éducatif la réflexion sur cette nouvelle culture de l’écran, pour reprendre l’expression utilisée par Mme Monique Dagnaud, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, lors de son audition devant la commission. A cet égard, la question des effets de l’image sur le comportement de l’enfant ne peut être esquivée : de même qu’en son temps, la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse était venue répondre aux débats houleux sur l’influence des publications américaines pour enfants, de même, la question doit être posée d’une éventuelle régulation de l’image dans le respect du droit à l’information reconnu à l’enfant par la Convention de New York.

Culture de l’écran, culture de l’écrit : complémentaires ou concurrentes ?

La puissance intégratrice de l’école de la IIIème République est largement due à une homogénéité de référents culturels, véhiculés uniquement par l’écrit. Aux générations d’enfants qui ont été formés par " Le tour de France par deux enfants " se sont substituées des générations aux référents culturels divers, non seulement dans leur contenu, mais également dans leurs supports. Outre que l’école et la famille ont perdu le monopole de la délivrance de l’information, c’est tout le rapport au temps qui est modifié : monopole signifiait en effet maîtrise et, à ce titre, les informations étaient distillées de manière progressive et normée.

Tout au contraire, l’image, loin de s’apprivoiser et de se découvrir progressivement, s’impose au spectateur. Or, l’image, aujourd’hui surtout télévisuelle, demain issue de multiples sources, tient une place majeure dans la vie de l’enfant.

La télévision et l’école sont les deux plus grandes institutions françaises ". Sans aller aussi loin, il est vrai que le développement de la culture de l’écran a des implications considérables, à tel point que certains proposent de transcrire dans le langage, par la création d’un nouveau mot, cette nouvelle réalité. Ainsi, Jacques Attali propose, dans son Dictionnaire du XXIème siècle, de créer le mot d’" adolécran ", qu’il définit comme suit : " Jeune nomade passant l’essentiel de son temps, libre aussi bien que scolaire, devant les écrans de télévision, des jeux vidéo, de l’ordinateur, du cinéma. Nourri d’une culture de l’image, du " zapping ", du ludique, il sera plus formé à la navigation qu’à la logique, à l’intuition qu’à la rationalité, à l’orientation qu’à la démonstration. ".

Cette place majeure se mesure d’abord en terme de temps : les enfants de quatre à dix ans consacrent en moyenne une heure quarante par jour à la télévision, durée qui passe à deux heures par jour entre onze et quatorze ans. Même si les chiffres tendent à régresser légèrement d’année en année, 75 % des enfants de huit à dix-neuf ans regardent la télévision tous les jours ou presque. Pour ce qui concerne les autres écrans, les statistiques révèlent là encore la prégnance croissante de l’image sur l’enfant : entre 30 et 40 % des jeunes de onze à dix-neuf ans ont un micro-ordinateur à leur disposition, 54 % des jeunes ont une console de jeu vidéo, sur laquelle ils passent environ deux heures par semaine à jouer, chiffre qui ne doit pas masquer des écarts très importants entre consommateurs modérés et " drogués de l’écran ", estimés entre quarante et cinquante mille enfants.

En terme culturel ensuite : les analyses du lien entre enfants et médias – télévision surtout – s’attachent généralement à évaluer les conséquences comportementales de l’image, notamment à travers le phénomène de la violence. Or, plus qu’une influence sur le comportement des enfants, la télévision est avant tout un vecteur de valeurs, voire de codes, tant vestimentaires que de langage. Plus largement, du fait de l’immédiateté de l’image, au sens où l’adulte n’interfère pas entre l’image et l’enfant comme il peut le faire avec l’écrit qu’il peut sélectionner et expliquer au préalable, c’est toute la place de l’enfant par rapport à ses parents qui est remise en cause. Au sens propre en effet, l’image développe l’autonomie de l’enfant, libre de déterminer son programme : cette analyse vaut d’autant plus que, dans la journée, 80 % des enfants téléspectateurs de quatre à dix ans sont seuls devant l’écran. 75 % des programmes regardés par les enfants sont destinés aux adultes : à l’apprentissage progressif et maîtrisé par les adultes de l’ouverture au monde, se substitue le déversement d’un flot d’images, ce qui aboutit à une double démystification du monde en général, et de l’univers des adultes en particulier. Plus que les statistiques, qui ne peuvent que refléter des moyennes, " la vraie question est de savoir si, dans une famille, le petit écran tient lieu de loisir unique, faute de moyens culturels ou économiques, ou s’il est une occupation parmi d’autres ".

Cette évolution n’est pas toujours acceptée. Comme le note Luc Ferry, " Depuis 1960, la critique à l’égard de l’image, et notamment de la télévision, est particulièrement féroce dans tout le système intellectuel français ". Car la critique porte également sur le fond : la télévision, et plus encore les jeux vidéos ou l’Internet, portent en eux les germes d’une infinité de possibilités et semblent ne comporter aucun interdit. Ils véhiculent un contenu varié, dans lequel le spectateur fait son choix.

Plus particulièrement, l’arrivée des NTIC dans la sphère des référents culturels ne va pas sans susciter de nombreuses réticences au sein de la communauté éducative, pour la plupart nées d’un malentendu, car opposant l’écrit et l’écran, comme si le second s’inscrivait dans une logique de substitution au premier : à la " haute culture livresque " s’opposerait une sous-culture véhiculée par le réseau des réseaux. " Ne faisons pas de l’enfant un agile animal informaticien avant d’en faire un homme " s’écrie le philosophe Robert Redeker. Pour une bonne part, ces débats sont dus à une méconnaissance de cet outil de communication et d’accès à l’information qu’est l’Internet. Ils sont en outre largement dépassés, l’Internet tendant, de fait, à devenir un objet de notre environnement quotidien. Ils n’en posent pas moins deux questions de fond sur la nature de l’apport de l’Internet aux méthodes éducatives et sur les moyens à mettre en œuvre pour garantir aux enfants de toutes les catégories sociales un accès aussi égal que possible à ce nouvel instrument du savoir.

Quelles voies d’évolution se dessinent aujourd’hui ?

La bataille de l’intelligence commence à l’école où le développement des technologies d’information et de communication répond à un double objectif : donner aux futurs citoyens la maîtrise des nouveaux outils de communication qui leur seront indispensables ; mettre les richesses du multimédia au service de la modernisation pédagogique ". C’est pour mener cette bataille que le gouvernement a engagé un ambitieux programme d’équipement des écoles destiné à permettre à la France de rattraper son retard par rapport à ses voisins. En 1997, il existait un ordinateur pour vingt-six élèves en collèges et un pour douze en lycée. L’équipement des écoles devrait aussi permettre de développer la communication interscolaire : déjà existent, dans le Vercors par exemple, des " cyberécoles " permettant de relier ou de faire travailler en groupes des classes de villages isolés par la neige en hiver, des enfants handicapés ou de jeunes sportifs.

Outil de communication, l’Internet est également une source d’information inépuisable : il revient à l’école de former à la recherche, à l’exploitation et à la critique de cette information. Or, si l’école forme à une culture de l’écrit, elle développe trop peu une critique de l’image, cette analyse valant d’ailleurs tant pour l’Internet que pour la télévision ou les jeux vidéos.

Il conviendrait en conséquence que l’école, dans le cadre d’un enseignement à part entière, forme les enfants à cette critique de l’image. Car l’enjeu est bien celui de la citoyenneté : le débat d’opinions est aujourd’hui largement forgé par l’image ; il convient, en conséquence, d’éclairer le pouvoir de décision du citoyen en l’informant sur les techniques de l’image.

Cette éducation à l’image ne saurait être interprétée comme une remise en cause de la culture scolaire. C’est, tout au contraire, en termes de complémentarité que ces deux cultures doivent être envisagées : ainsi, dans le cadre du cours d’éducation à l’image, il serait intéressant de confronter les traitements, écrit et télévisuel, d’une même information, ce qui permettrait de mettre en valeur l’apport spécifique de l’écrit. De manière plus générale, le développement des nouvelles technologies ne saurait remettre en cause le soutien en faveur de la lecture et du livre.

Comment réglementer l’écran ?

La Convention de New York sur les droits de l’enfant souligne, en son article 17, " l’importance de la fonction remplie par les médias ". Combinées aux dispositions de l’article 13, les stipulations de l’article 17 organisent ainsi un subtil équilibre entre droit à l’information et protection de l’enfant, équilibre dont l’Etat est appelé à définir les modalités.

Si les relations entre la presse et l’enfant sont marquées par un équilibre éprouvé, celui qui existe entre la télévision et l’enfant est encore instable ; le point d’équilibre entre droit d’information et protection dans les nouvelles technologies reste à trouver.

    •  Régie par la loi du 16 juillet 1949 sur les publications à la jeunesse, la presse enfantine, dont le développement est consécutif aux lois sur l’enseignement de 1881-1882, s’inscrit dans un cadre juridique dont la stabilité illustre l’efficacité. Loi de circonstances prise, à l’époque, pour contrer l’influence des " comics " américains, ce texte s’est révélé parfaitement adapté à son objet.

C’est à une commission composée paritairement de professionnels et de représentants des administrations concernées qu’est confiée la mission de surveiller et de contrôler que toutes les publications françaises ou importées, qui sont principalement destinées à la jeunesse, ne comportent " aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ". De même, ces publications ne doivent comporter " aucune publicité ou annonce pour les publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse ". Cette commission exerce également un contrôle sur les publications de toute nature, essentiellement sur la base des dispositions des articles 227-23 et 227-24 du code pénal, relatifs aux messages utilisant l’image d’un mineur, ou à caractère violent, pornographique ou portant atteinte à la dignité humaine.

La France est donc caractérisée par une tradition de publications nombreuses et diverses à destination de la jeunesse : plus de cent titres édités par une trentaine de maisons d’édition, soit une diffusion totale mensuelle de plus de cinquante millions d’exemplaires à rapporter à un public potentiel de treize millions de lecteurs... Depuis une dizaine d’années, la tendance est au développement concurrentiel de la presse d’actualité pour les enfants et les jeunes. Si une dizaine de titres (Le Journal des Enfants, Les Clés de l’actualité, Les Clés de l’actualité junior, Mon Quotidien, L’hebdo des juniors mais aussi Le Petit journal encarté dans Astrapi, ou le Tabloïd d’Okapi, etc.) se disputent actuellement un marché à la fois florissant et volatile, le précurseur de l’information pour les jeunes est Le Journal des Enfants, fondé en 1984 par Béatrice d’Irube et publié par le quotidien régional L’Alsace. Il fait toujours référence, tout en demeurant le plus austère.

Au-delà de l’information, il s’agit donc bien de permettre aux enfants de se repérer dans la société et d’amorcer leur intégration dans la cité. Des initiatives intéressantes se sont développées dans cette perspective, notamment la " semaine de la presse dans l’école ", organisée par le ministère de l’éducation nationale et le centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information ou encore les " classes presse ", organisées par l’Espiègle, association parrainée par l’éducation nationale, créée pour faire vivre le droit à l’expression et à l’information des enfants.

    •  La relation entre les enfants et la télévision est beaucoup plus complexe : l’équilibre entre information et protection est encore instable.

La violence se situe au premier rang des " péchés mortels " imputés à la télévision, qu’il s’agisse de la violence des images diffusées dans les journaux d’information, violence de fait, ou de la violence véhiculée par les fictions, qui peut donner à penser que les chaînes de télévision confèrent à la violence un statut de réalisme ordinaire.

Pourtant, le lien entre la violence véhiculée par l’image et les évolutions du comportement chez l’enfant n’est pas univoque : les analyses menées dans ce domaine ne permettent pas d’établir un lien de causalité solide, sans pour autant démontrer l’innocuité des scènes violentes sur le psychisme et les comportements. Un chercheur anglais, curieux de l’effet de l’apparition de petit écran sur de " bons sauvages ", a fait une enquête sur l’île de Sainte Hélène qui reçoit la télévision depuis seulement trois ans : il n’a constaté aucun changement de comportement ni aucun accroissement de la violence après l’introduction de la télévision dans l’île. Actuellement, les spécialistes s’orientent vers une approche nuancée qui fait de la télévision un facteur, parmi d’autres, d’exacerbation de pathologies sociales ou individuelles, notamment lorsque se cumulent un environnement urbain dégradé, des liens familiaux affaiblis et des processus d’exclusion, sources de surconsommation audiovisuelle et de raréfaction des normes de référence culturelles.

Au vu de ce constat et confronté à une pression croissante de l’opinion publique, depuis le 18 novembre 1996, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a mis en place un dispositif de classification et de programmation des films, dessins animés et documentaires qui repose sur une signalétique par pictogrammes. Sans revenir sur les modalités de ce dispositif, il semble que le bilan en soit globalement positif, comme l’indiquent, de source convergente, plusieurs sondages et enquêtes. Connu par plus de 80 % des personnes interrogées, ce dispositif est également utilisé par une très forte majorité d’entre eux (84 %), au moins de temps en temps. Le dispositif présente cependant quelques imperfections auxquelles le CSA devrait remédier prochainement.

Ce dispositif doit s’inscrire dans un programme plus large d’adaptation des médias aux enfants. L’apprentissage de la critique des images, déjà évoqué dans le cadre du droit à l’éducation, appartient à cette logique : la compréhension d’une image violente permet de limiter les effets potentiels de mimétisme. Une action sur le contenu même des programmes doit également être engagée. Certes, les chaînes de télévision se sont engagées à développer la diffusion de programmes à valeur éducative et civique ; pour autant, les résultats constatés en la matière ne semblent pas à la hauteur des attentes et des enjeux.

A cet égard, la commission d’enquête s’est particulièrement intéressée au développement des journaux télévisés pour les jeunes, question qui dépasse sans doute la lutte contre la violence télévisuelle mais qui, du fait de sa dimension éducative, y participe pleinement. Pratique répandue dans les pays d’Europe, les journaux d’information télévisés spécifiquement destinés aux enfants permettent d’accéder à une information dont les enjeux sont expliqués de manière pédagogique et dont le contenu est adapté à leur sensibilité.

Les journaux télévisés pour enfants en Europe

Pays/Nom

Date de création

Public visé

Chaîne de diffusion

Grande Bretagne : Newsround

avril 1972

huit - quatorze ans

BBC

Pays Bas : Het Jeugd journaal

janvier 1981

dix - douze ans

NOS

Allemagne : Logo

janvier 1988

neuf - treize ans

ZDF

Finlande : X-Tra

automne 1988

dix - quinze ans

FBC

Suède  :

Lila Lopsendeln

Lilla aktuellt

1991

1993

 

huit - treize ans

SVT

Portugal : Caderno diario

octobre 1992

huit - quatorze ans

RTPZ

Pays de Galles : Ffeil

septembre 1995

neuf - quatorze ans

BBC Wales

Portugal : Jornal jorem

septembre 1995

quinze - vingt-cinq ans

RTPZ

République tchèque : Little world news

janvier 1997

plus de six ans

CTL

France : JTJ

Septembre 1997

huit - douze ans

Canal J

Belgique : Studio Ket

décembre 1997

dix - seize ans

VRT

Italie : T G Ragazzi

février 1998

huit - quatorze ans

RAI

Autriche : Confetti news

mars 1998

six - onze ans

ORF

En France, Canal J diffuse quotidiennement, de 19 heures 50 à 20 heures, un journal télévisé destiné aux enfants de huit à douze ans. Ce journal poursuit une double fonction d’éducation et d’expression, notamment grâce à la diffusion de dessins d’enfants pour illustrer tel ou tel sujet ou de questions-réponses avec les enfants sur un sujet donné. Ce journal est également créateur de débats au sein de la cellule familiale, d’autant qu’il est diffusé juste avant le journal télévisé de 20 heures.

Il est pour le moins paradoxal que cette mission de service public soit seulement assurée par une chaîne câblée, ce qui contrevient au droit à la pluralité, inhérent au droit d’information. Les arguments financiers ne suffisent pas à expliquer ce manque regrettable, puisque M. Pascal Petit, rédacteur en chef du journal télévisé de Canal J, évalue le coût d’une émission à vingt mille francs en moyenne.

En conséquence, le rapporteur propose d’inscrire, dans le cahier des charges des chaînes de télévision publiques, une obligation de diffusion d’un journal télévisé spécifiquement destiné aux enfants, à une heure adaptée à leur rythme de vie.

    •  Le débat autour des NTIC déjà évoqué oscille entre deux tendances : dénonciation d’un outil de communication qui bouleverse les cadres juridiques traditionnels, célébration d’une révolution identique à celle qui a résulté de la découverte de l’écriture. L’équilibre entre information et protection reste à trouver.

L’application du droit existant en matière de presse écrite ou de communication est délicate, le droit français distinguant, pour déterminer le régime juridique applicable, les catégories de supports et de services. Or, l’Internet permet l’échange de données et d’informations numériques de toute nature, aussi bien en matière audiovisuelle (images, sons), que de télécommunications (téléphone, fax ...) : pour ce faire, il utilise des canaux très variés (câble, réseau téléphonique, satellite, fréquence terrestre).

Pour autant, il est faux de prétendre que le droit soit impuissant, dès lors qu’il s’agit de réglementer l’Internet, érigé par certains en phénomène anarchique voire en objet anomique. Dans une étude réalisée en février 1997 sur le cadre juridique de l’Internet, le Conseil supérieur de l’audiovisuel note ainsi que " par sa légèreté et sa souplesse ", le régime de déclaration préalable, régime de droit commun en matière de presse, " paraît parfaitement adapté à l’ensemble des services de communication audiovisuelle de l’Internet ". Ainsi, " le régime de responsabilité de droit commun, contrôlé par le juge judiciaire, pourrait s’avérer suffisant ". Au total, si les difficultés inhérentes à la nature protéiforme de l’Internet impliquent des aménagements du cadre actuel, elles n’appellent pas a priori de profondes modifications structurelles ou réglementaires. Telle est également la conclusion à laquelle est arrivée, lors de son audition par la commission, Mme Isabelle Falque-Pierrotin, membre du Conseil d’Etat et auteur d’un rapport sur l’Internet.

Un regard sur d’autres pays conduit au même constat. Dans la première décision qu’elle a rendue sur l’Internet, la Cour suprême des Etats-Unis a condamné deux dispositions du " Communication decency act " du 8 février 1996, relatives à la lutte contre la pornographie sur l’Internet. Certains analystes ont proposé de voir dans cette attitude de la Cour un appel à l’application du droit existant. Cet échec du législateur n’est pas propre aux Etats-Unis : le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 96-378 du 23 juillet 1996 sur la loi du 10 juillet 1996 portant réglementation des télécommunications, avait également annulé une disposition visant à organiser un contrôle du contenu des messages diffusés sur l’Internet et à clarifier la responsabilité pénale des fournisseurs d’accès de services en ligne. Tout comme son homologue américain, le juge constitutionnel s’est refusé à explorer de façon spécifique la question nouvelle du mode de contrôle applicable à l’Internet.

Pour une " éthique de l’information "

Une seconde approche s’est développée quant aux modalités de contrôle de l’Internet : celle de l’autorégulation. Faut-il voir dans ce terme un aveu d’impuissance de la part des pouvoirs publics ? N’y a-t-il pas quelque excès à conclure de la liberté absolue – d’ailleurs exagérée – attachée à l’Internet à une impossibilité totale de contrôle ?

En fait, les deux approches sont complémentaires et participent chacune d’une démarche commune de responsabilisation des intervenants concernés : responsabilisation des pouvoirs publics, dont le rôle est d’encadrer les libertés pour les garantir et responsabilisation des intervenants concernés, afin d’en faire des acteurs de l’Etat de droit, créateurs d’usages et de normes de comportement.

Lors de son audition devant la commission d’enquête, Mme Isabelle Falque-Pierrotin, ancienne présidente d’un groupe de travail interministériel chargé d’élaborer un rapport sur l’Internet, a recensé les diverses techniques de régulation existantes, en en soulignant les limites : logiciels de contrôle triant les sites grâce à une base de mots-clés, classification des sites, mise en place de lignes d’urgence (" hotlines ") permettant au consommateur de dénoncer les contenus les plus choquants. Cette dernière option paraît particulièrement intéressante, en dépit de questions encore sans réponse : qui assure la gestion de ces lignes ? Que se passe-t-il en cas de recensement d’un site illégal ? Mise en place en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, cette expérience a permis de dénoncer, en particulier, les sites relatifs à la pornographie enfantine. Il conviendrait de mener une évaluation de ce système, dont les premières expérimentations remontent à la fin de l’année 1996, puis de mettre en place, en France, de telles lignes d’urgence, dont la gestion pourrait revenir au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Cependant, choix politique par excellence, la détermination du point d’équilibre entre impératifs de protection et liberté de l’information suppose une action concertée des pouvoirs publics et des acteurs privés. L’intervention d’une réglementation semble, pour l’heure, inappropriée, la dimension internationale de ces technologies et le climat d’ébullition qui règne autour de leur développement hypothéquant la pertinence et la viabilité d’une norme contraignante d’origine nationale.

3.– Les voies de la citoyenneté : libertés publiques et enfants

Minorité et libertés publiques

Au-delà de l’éducation à la citoyenneté, la Convention internationale relative aux droits de l’enfant reconnaît à l’enfant des droits qui sont autant de pratiques citoyennes, dont l’exercice est, dans le droit français, indissolublement lié à la capacité juridique, donc à la majorité. C’est sans doute pour cette raison que les dispositions relatives aux libertés publiques de l’enfant sont restées, pour la plupart, lettre morte, le législateur n’étant que peu intervenu dans ce domaine. Les réticences – d’aucuns diront la frilosité – des pouvoirs publics dans la reconnaissance du droit à la liberté d’expression (article 13), de pensée, de conscience et de religion (article 14), d’association (article 15) ou encore du droit d’accéder à une information appropriée (article 17) ne sont pas sans fondement. Ces questions se situent en effet au cœur de la révolution copernicienne des droits de l’enfant, dont les conséquences sur l’esprit et la lettre de l’édifice juridique français, fruit d’une longue tradition, ne doivent pas être négligées, la principale concernant la question complexe de la capacité juridique. Il convient, en effet, de garder à l’esprit que les droits précités emportent des responsabilités multiples : pour prendre le seul exemple de la liberté d’association, comment concilier minorité – donc, en droit français, incapacité juridique – et les responsabilités qu’entraînent nécessairement les fonctions de président ou de trésorier d’une association ? Ceci rejoint les analyses sur la conception que notre droit se fait de l’enfant, droit " pédocentrique " certes, mais centré autour de la notion de protection, comme l’exprime le concept d’incapacité juridique.

En conférant à l’enfant des libertés publiques, la Convention place l’Etat et l’enfant face à face, ou plutôt l’enfant dans une relation directe – et non médiatisée par la famille – avec l’Etat, dans un réseau de droits et de devoirs. Or, cette relation directe s’exprimait jusqu’alors en termes de protection, en cas de défaillance ou d’absence des parents ou des représentants légaux, et non de responsabilité mutuelle. Dans ces conditions, quel est le rôle dévolu aux parents dans un domaine essentiel qui concerne les apprentissages de la citoyenneté ? C’est au nom de ce qu’ils considèrent comme un facteur supplémentaire de déqualification de la fonction parentale que les détracteurs des nouveaux droits de l’enfant ont affirmé leur virulente opposition.

Sans doute est-ce là le cœur de ce nouveau regard sur l’enfant que la Convention incite à porter, regard inquiet puisqu’il bouleverse les représentations traditionnelles, mais nécessaire car tourné vers l’avenir, à l’heure où les nouvelles technologies de l’information et de la communication insèrent, de facto, l’enfant dans un réseau d’images et de messages souvent non maîtrisé par la cellule familiale et requièrent de nouvelles pratiques de la citoyenneté.

La parole de l’enfant dans la cité

Le droit à l’expression de l’enfant dans les procédures le concernant constitue l’une des stipulations les plus emblématiques de la Convention, comme l’illustre l’ampleur des débats engagés sur cette question et le fait que ce droit a été le plus rapidement invoqué devant les tribunaux.

La Convention de New York va cependant plus loin dans la reconnaissance de l’expression de l’enfant puisqu’est affirmé, à l’article 13, un " droit à la liberté d’expression " qui " comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant ". Liberté encadrée par les règles de droit commun, ce droit à l’expression, qui est aussi un droit au débat, constitue un véritable apprentissage de la démocratie.

Il convient de souligner que le législateur a partiellement précédé la Convention : la loi impose ainsi la consultation de l’enfant sur son cadre de vie, sans toutefois donner à sa parole une force particulière. La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 reconnaît, notamment au profit des élèves des collèges et lycées, la liberté d’expression. Ainsi, dans les lycées et les collèges, " les délégués de classe peuvent recueillir les avis et les propositions des élèves et les exprimer auprès du chef d’établissement et du conseil d’administration ".

Le développement de conseils municipaux d’enfants, créés dans certaines municipalités en dehors de toute prescription légale, procède du même esprit : l’enfant, membre de la cité, est appelé à exprimer son opinion sur les services que lui offre la collectivité et à faire connaître les attentes et les besoins qui sont les siens. Comme l’a rappelé M. Didier Boulaud, président de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (ANACEJ), en France, plus de mille communes animent un conseil municipal d’enfants et de jeunes. Ces conseils constituent une forme particulièrement vivante d’apprentissage de la citoyenneté. Si la création de telles instances doit, au moins dans un premier temps, demeurer fondée sur le volontariat, il conviendrait en revanche de pouvoir inciter les communes à s’engager dans cette voie et de mieux soutenir les associations ayant pour objet de favoriser le développement de ces instances par un travail de formation, d’information et de conseil technique aux municipalités intéressées.

Enfin, depuis quelques années, l’instauration du Parlement des enfants qui se tient à l’Assemblée nationale et, chaque 20 novembre, l’organisation d’une journée des droits de l’enfant – même si celle-ci dépasse largement la problématique du droit à l’expression – témoignent de ce souci nouveau de créer des espaces publics de débats adaptés à l’enfant.

En dépit de ces avancées, le droit et la pratique sont, en France, bien en retrait par rapport à l’esprit de l’article 13 de la Convention. Or, que ce soit dans le cadre scolaire ou dans le cadre de la cité, il existe, de la part des enfants, un véritable besoin d’expression et de débat, qui n’est pas satisfait par les modalités actuelles du droit d’expression des mineurs. Dans tous les cas en effet, la parole de l’enfant ne s’impose pas : elle n’a pas force contraignante, alors que s’exprime, à travers ce besoin d’être entendu, une très forte volonté de participation des enfants, soucieux de trouver leur place dans une société dont les repères sont parfois flous.

Ce besoin est le plus fortement ressenti dans le cadre scolaire. Le respect que demandent, de façon récurrente, les enfants scolarisés, rejoint partiellement leur volonté de voir leur parole prise en compte. L’éducation civique, enseignement théorique, doit également être une pratique : tel est l’objectif de la " semaine des initiatives citoyennes " instaurée dans les établissements scolaires, au mois de mai, et qui vise, par des expériences concrètes, à reformuler le contenu de l’instruction civique. La démocratisation de la vie scolaire ne saurait cependant s’exprimer par intermittences, mais doit, tout au contraire, en devenir un élément permanent.

A cet égard, un travail approfondi doit être engagé autour du règlement intérieur des établissements scolaires, encore trop marqué par une conception étroite et rigide de la vie scolaire. La démarche partenariale initiée sur ce point par le ministère de l’éducation nationale ne peut qu’être encouragée. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, entrera en vigueur à la rentrée prochaine un nouveau règlement départemental des écoles, de même qu’en parallèle, tous les règlements intérieurs des collèges ont été réécrits, traduits dans un langage accessible aux enfants, assortis d’explications et exprimés, dans bien des cas, en termes d’autorisations et d’interdits.

Il ne s’agit nullement de diminuer le niveau d’exigences que les enseignants et le personnel d’encadrement scolaire sont en droit d’attendre en termes de discipline. La question porte davantage sur le mode d’élaboration de ces règles. " Patere legem quam ipse fecisti ", dit un principe du droit français : " tu dois respecter la règle que tu as édictée ", tel est l’objectif de cette démarche concertée. Ce besoin de participation dépasse cependant largement la communauté éducative. Il convient, en conséquence, de favoriser un climat propice à la participation des enfants, par exemple à travers des émissions télévisées qui présenteraient des expériences associant les enfants à l’élaboration des règles de vie, que ce soit dans les établissements scolaires ou dans la cité.

Au regard du développement des NTIC, il est, de toute façon, probable que les enfants prendront eux-mêmes l’initiative en ce domaine, l’Internet permettant, par exemple, à l’enfant de devenir lui-même éditeur d’informations, sans considération de frontières.

Liberté de réunion et d’association : enfance, minorité et capacité

La liberté d’association et de réunion pacifique reconnue aux enfants par l’article 15 de la Convention de New York doit être examinée, au regard des droits de l’enfant, selon deux modalités distinctes. En premier lieu, la liberté d’association signifie la liberté de créer une association : aux termes de l’article 2 de la loi du 1er juillet 1901, " les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalables ". Une déclaration facultative peut être faite à la préfecture ou à la sous-préfecture, qui permet de bénéficier de la capacité juridique. En deuxième lieu, la liberté d’association est celle des membres de l’association : toute personne est libre de faire partie d’une association, corollaire du principe contractuel qui est à la base de l’association.

Au regard de ces dispositions, la liberté d’association des enfants est, en France, très partielle. Le droit d’association reconnu à l’enfant est tronqué, puisqu’il s’agit d’un droit d’adhésion, dont les modalités d’exercice sont d’ailleurs assez floues. Pour apprécier la capacité d’un membre à adhérer à une association, il convient en effet de confronter l’étendue de l’engagement résultant de cette adhésion aux pouvoirs dont dispose le futur membre. En règle générale, les mineurs doivent obtenir l’autorisation ou l’assistance du représentant légal ; cependant, les membres d’une association n’étant généralement pas responsables des dettes de l’association et s’obligeant seulement à verser des cotisations et, le cas échéant, un droit d’entrée, l’autorisation peut être tacite et résulter du silence du représentant légal du mineur. En pratique, sur la base de cette législation, se sont développées des associations de mineurs, dont le président et le trésorier sont des adultes, condition nécessaire au regard du régime de responsabilité légale attaché à ces fonctions.

C’est cette méthode de formation des associations qui a été recommandée par le ministère de l’éducation nationale pour les associations de lycéens, après leur autorisation par le décret du 18 février 1991 consécutive aux manifestations lycéennes de 1990. De manière générale, ce décret reconnaît les libertés d’expression et de réunion des lycéens ainsi que des collégiens, et d’association pour les seuls lycéens. Ces libertés sont fortement encadrées : en matière de liberté de réunion, il revient au chef d’établissement d’autoriser la tenue de la réunion. En outre, la liberté d’association des lycéens est subordonnée à une autorisation du conseil d’administration et exclut les activités de caractère politique ou religieux.

Le caractère extrêmement embryonnaire des droits reconnus aux enfants – nonobstant les restrictions nécessaires au respect des principes fondateurs de la vie scolaire que sont la neutralité et la laïcité – est frappant. Contrairement au droit d’association défini par la loi de 1901, régime libéral fondé sur la déclaration, les libertés de réunion et d’association dont bénéficient les enfants fonctionnent sur un mode plus encadré, puisqu’elles sont conditionnées à une autorisation préalable. L’enjeu qui a présidé à l’instauration de ces droits est clairement perceptible : il s’agit de trouver un point d’équilibre entre le pouvoir disciplinaire du chef d’établissement et les droits des élèves.

Faut-il se satisfaire de cette situation qui ne reconnaît en définitive aux enfants que le droit de créer des associations de débat, de réflexion mais pas d’action, ce qui contrevient quelque peu à la dimension éducative du droit d’association ? La réflexion sur le droit d’association des mineurs s’inscrit d’ailleurs dans un contexte général d’interrogations sur l’adaptation de la loi de 1901 à la réalité du monde associatif actuel. Deux pistes peuvent être envisagées qui doivent être examinées à l’aune de la progression des droits de l’enfant, certes, mais tout autant de leur protection : car, " révélateur et terreau de la santé démocratique de toute société ", la liberté d’association est également susceptible d’être dévoyée, comme en témoigne l’utilisation qu’en font les sectes.

La première piste envisagée est celle de la création d’un statut de pré-majorité pour les mineurs de seize à dix-huit ans. La loi française, il est vrai, ne fait pas de la majorité à dix-huit ans un dogme absolu. Elle prévoit, à travers l’émancipation, une anticipation sur la majorité, tout comme la prolongation de la minorité – ou du moins de certains aspects de son régime juridique – existe en droit de la sécurité sociale (loi sur la famille du 25 juillet 1994), en droit fiscal ou en droit civil (assistance éducative organisée par le décret du 18 février 1975). Pour autant, l’instauration d’une pré-majorité associative doit être envisagée avec circonspection au vu de la nature des responsabilités qu’elle engage ; il convient d’évaluer, en particulier, si ce dispositif permettrait l’exercice du droit à la protection. Enfin, cette solution limite le droit d’association à une catégorie restreinte d’enfants, le seuil de seize ans pouvant, à juste titre, être jugé arbitraire.

Le second axe de réflexion sur la liberté de réunion et d’association est plus respectueux de l’esprit et de la lettre de la Convention. Il s’agirait, comme le proposent les associations périscolaires entendues par la commission, de mettre en place un réseau d’adultes qualifiés qui parraineraient les associations de mineurs et en assumeraient les responsabilités financières et juridiques, les réunions se tenant dans des " lieux-ressources " bien identifiés. Il convient à cette fin de modifier la loi de 1901, en concertation avec les associations.

Conclusion

L’enfant est une personne ", est-il écrit en ouverture de ce rapport. Mais, aujourd’hui encore, dire que l’enfant est une personne relève tout autant de la revendication que du constat.

Car l’enfant n’est pas une personne comme les autres. De la dépendance totale, aux premiers jours du nourrisson, jusqu’à la capacité d’accomplir tous les actes de la vie civile, puis, ultérieurement, de la vie politique, son histoire est celle d’un long processus de socialisation d’une part, de construction personnelle d’autre part.

A travers l’ordre juridique, la société a balisé les multiples passages entre l’enfance et l’âge adulte. L’âge auquel l’enfant est capable de discernement lui ouvre certains droits dans l’ordre civil, et permet de lui imputer une infraction dans l’ordre pénal. A treize ans, l’enfant est appelé à donner son consentement dans certaines procédures ; il peut être placé en garde à vue et devient accessible à une sanction pénale. A quinze ans, l’enfant dispose d’une " pré-majorité " sexuelle ; l’aggravation de la qualification des faits commis à l’encontre d’un mineur ne joue plus. A seize ans, l’enfant peut être placé en détention provisoire et il est passible de la Cour d’assises des mineurs ; il peut être émancipé par ses représentants légaux et n’est plus soumis à l’obligation scolaire. A dix-huit ans, l’enfant devient majeur. Certains droits sociaux sont ouverts jusqu’à vingt ans. Jusqu’à vingt et un ans, il est possible, dans les cas prévus par la loi, de bénéficier du statut de " majeur protégé par la loi ".

Singulière construction linéaire, qui veut répondre à une maturation supposée de la personnalité – véritable parcours initiatique à travers l’ordonnancement du monde des adultes… L’affirmation des droits de l’enfant remet en question la froide logique d’un itinéraire obligé.

De fait, tout au long de ses travaux, la commission d’enquête s’est trouvée confrontée à cette tension essentielle entre les principes d’autonomie et de protection, qui sous-tend la réflexion – et l’action – sur les droits de l’enfant. En affirmant des libertés, le risque n’est-il pas d’aggraver la fracture entre ceux qui pourront et sauront en user, et ceux pour qui les nécessités de la vie les transformeront en simples virtualités ? Proclamer les droits de l’enfant, n’est-ce pas l’inciter parfois à se dresser contre ceux-là mêmes que la loi investit du devoir de l’éduquer et de le conduire à la condition d’adulte ? N’est-ce pas instituer un contre-pouvoir, instable, provocant, insaisissable, d’autant plus perturbant que les autres pouvoirs sont déjà contestés ?

On perçoit mieux aujourd’hui à quel point les enfants peuvent être pris au piège de nos contradictions d’adultes. Comment mieux les exprimer que de rappeler la confusion ou le balancement perpétuel entre deux expressions, significatives de deux démarches différentes : " donner " des droits aux enfants n’est pas la même chose que " leur reconnaître " des droits, et encore moins que " reconnaître leurs droits ".

Les propositions de la commission d’enquête pourront peut-être être jugées trop peu hardies, ou au contraire dangereusement innovantes. Les promoteurs des droits de l’enfant trouveront ses conclusions empreintes de cette timidité, voire de cette réticence, qu’ils dénoncent si fréquemment. Les sceptiques estimeront que la commission s’est laissée abuser par " l’idéologie des droits de l’enfant " qui, au lieu de penser les rapports mutuels, atomiserait la société en autant de groupes concurrents, de lobbies refermés sur la satisfaction de leurs intérêts. Au terme de ces quelques semaines de travaux intenses, la commission a tenté de trouver les voies d’une démarche plus tempérée

Être acteur de sa propre protection ". Introduite par cet appel, la Déclaration des enfants de France, adoptée en septembre 1997 par près de 150 enfants et adolescents réunis à Belle-Ile-en-mer à l’initiative du COFRADE, montre à la fois leurs attentes et la confiance qu’ils mettent dans notre capacité à les satisfaire.

Être acteur ". En s’inscrivant ainsi dans une démarche participative, les enfants de Belle-Ile-en-mer ont montré qu’ils savaient dépasser, peut-être mieux que nous, le clivage simpliste évoqué ci-avant. Ils affirment aussi avec éclat que ces droits nouveaux, qu’ils espèrent avec passion, doivent être au service de la solidarité et non de l’égoïsme.

Sachons répondre à leur appel.

Résumé des propositions

GARANTIR L’Application de la Convention de New York :

— Faire voter une loi posant le principe de l’invocabilité de la Convention de New York et fixant la liste de ses dispositions d’effet direct et poursuivre la transcription des dispositions de cette Convention dans le droit français.

RENFORCER LE Droit à la connaissance de ses origines :

— Aménager le régime de l’accouchement sous X et de l’abandon secret en :

    •  imposant la conservation par une institution publique des informations relatives à la filiation biologique de l’enfant (au moins en ce qui concerne la mère) ;
    •  autorisant la levée du secret sur ces informations sur la base d’une demande commune de la mère et de l’enfant mineur ;
    •  prévoyant la levée de plein droit du secret sur demande de l’enfant majeur, sous réserve de l’information préalable de la mère.

Garantir l’égalité entre enfants

— Reconnaître aux enfants adultérins les mêmes droits successoraux que ceux des enfants légitimes et naturels.

REMODELER L’Exercice de l’autorité parentale :

— Favoriser l’exercice en commun de l’autorité parentale sur les enfants naturels en supprimant l’exigence de vie commune prévue par l’article 372 du code civil au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance de l’enfant.

— Conférer au beau-parent la capacité d’accomplir, pour les enfants d’un foyer recomposé, tous les actes usuels relatifs à leur surveillance et à leur éducation.

— Réécrire l’article 371 du code civil afin d’instaurer, symboliquement, une véritable réciprocité dans les attitudes d’" honneur " et de " respect " que doivent se porter mutuellement parents et enfants.

MIEUX InformER sur les droits des enfants :

— Lancer sur les grands médias, à intervalles réguliers, une campagne nationale publique d’information sur les droits de l’enfant ou sur la maltraitance.

— Distribuer à tous les élèves d’un niveau scolaire déterminé des plaquettes d’information sur les droits de l’enfant et sur la maltraitance, adaptées aux jeunes enfants.

— Consacrer un temps de la vie scolaire à la présentation de la Convention de New York et des droits de l’enfant.

— Etendre l’obligation d’affichage du numéro vert du SNATEM.

AMELIORER L’Accès au droit et LES conditions d’audition du mineur en justice :

— Relancer la mise en place des conseils départementaux de l’aide juridique.

— Réécrire l’article 388-1 du code civil pour instaurer en principe l’audition du mineur.

— Informer systématiquement le mineur sur son droit d’être assisté par un avocat.

— Accorder de plein droit le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour le recours à un avocat dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative.

— Fonder sur le montant des seules ressources du mineur l’évaluation du montant de ressources à prendre en compte dans le calcul de l’aide juridictionnelle.

PROTÉGER les droits de l’enfant délinquant :

— Favoriser le développement de la médiation et de la réparation pénales.

— Poursuivre, en l’adaptant, l’expérience des UEER (unités à encadrement éducatif renforcé).

— Améliorer les conditions matérielles de détention des mineurs et renforcer le suivi éducatif de la population carcérale.

INSTAURER UN Médiateur des enfants

AMÉLIORER LA COORDINATION ENTRE LES ACTEURS :

— Créer des comités communaux ou intercommunaux de l’enfance au sein desquels les différents intervenants se rencontreraient et échangeraient leurs points de vue sur des questions précises (santé, éducation...).

LUTTER CONTRE LA PAUVRETÉ ENFANTINE

— Remettre à plat le dispositif des minima sociaux pour assurer une véritable prise en compte des charges de famille supportées par leur titulaire.

Lutter contre le suicide des enfants et des jeunes :

— Mettre en place des indicateurs fiables évaluant l’état de santé psychologique des enfants.

— Faire de la lutte contre le suicide infanto-juvénile une priorité de la politique de santé publique en faveur des enfants.

Reconstruire le système de santé scolaire :

— Moderniser les concepts d’intervention de la médecine scolaire en développant les pratiques de diagnostic fondées sur la parole de l’enfant.

— Améliorer la coordination entre les services départementaux de protection maternelle et infantile (PMI) et le système de santé scolaire, en assurant, au minimum, un suivi des dossiers.

— Augmenter le nombre d’infirmières en milieu scolaire.

— Instaurer une possibilité de prescription pour les médecins scolaires.

— Créer un statut mixte de médecin scolaire et de médecin libéral.

 

Lutter contre l’échec scolaire :

— Evaluer les besoins en matière de soutien et d’accompagnement scolaire.

— Conclure des Conventions de partenariat éducation nationale-communes, notamment sur la base du dispositif emplois-jeunes, pour favoriser le soutien scolaire.

Lutter contre l’exclusion A L’ECOLE :

— Créer un fonds de compensation des voyages scolaires permettant aux enfants issus de milieux défavorisés de participer aux classes de nature ou de découverte.

— Développer un partenariat entre le ministère de l’éducation nationale et la SNCF pour réduire le coût du transport dans le cadre des voyages scolaires.

Améliorer la situation des enfants exclus du système scolaire :

— Evaluer la situation des enfants non scolarisés en précisant l’ampleur et les modalités de ce phénomène.

— Renforcer le contrôle sur les enfants non scolarisés en instaurant un dispositif régulier d’évaluation des connaissances de l’enfant et en dotant les inspecteurs de l’éducation nationale d’un véritable pouvoir d’investigation.

— Mettre en place un dispositif de suivi du parcours des élèves exclus par les établissements scolaires en cordonnant l’action des commissions départementales d’éducation spécialisée, de la protection judiciaire de la jeunesse et des services de l’aide sociale à l’enfance.

Améliorer la place des enfants dans la société de l’information :

— Former les enfants à la critique de l’image dans le cadre d’un enseignement à part entière.

— Inscrire dans le cahier des charges des chaînes de télévision publiques une obligation de diffusion d’un journal télévisé spécifiquement destiné aux enfants, à une heure adaptée à leur rythme de vie.

— Mettre en place des lignes d’urgence (" hotlines ") permettant de dénoncer les sites web qui contreviennent aux règles régissant la protection des mineurs.

Renforcer la place de l’enfant dans la cité :

— Inciter les communes à développer les conseils municipaux d’enfants et de jeunes ou, au moins, à soutenir les associations œuvrant en ce sens.

— Créer des lieux-ressources pour accueillir les associations d’enfants.

— Développer les associations d’enfants par la mise en place d’un réseau d’adultes qualifiés qui parraineraient les associations de mineurs et assumeraient les responsabilités juridiques et financières.

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La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 30 avril 1998 et l’a adopté à l’unanimité.

Elle a ensuite décidé qu’il serait remis à M. le Président de l’Assemblée nationale afin d’être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l’article 143 du Règlement de l’Assemblée nationale.

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ANNEXES

I.– Convention relative aux droits de l’enfant

II.– Récapitulation des arrêts du Conseil d’Etat portant sur l’application des dispositions de la Convention internationale sur les droits de l’enfant en droit interne

CONVENTION RELATIVE AUX DROITS DE L’ENFANT
Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies
le 20 novembre 1989

Préambule

Les Etats parties à la présente Convention,

Considérant que, conformément aux principes proclamés dans la Charte des Nations Unies, la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ainsi que l’égalité et le caractère inaliénable de leurs droits sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,

Ayant présent à l’esprit le fait que les peuples des Nations Unies ont, dans la charte, proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme et dans la dignité et la valeur de la personne humaine, et qu’ils ont résolu de favoriser le progrès social et d’instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,

Reconnaissant que les Nations Unies, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, ont proclamé et sont convenues que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre situation,

Rappelant que, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Nations Unies ont proclamé que l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales,

Convaincus que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté,

Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension,

Considérant qu’il importe de préparer pleinement l’enfant à avoir une vie individuelle dans la société, et de l’élever dans l’esprit des idéaux proclamés dans la Charte des Nations Unies, et en particulier dans un esprit de paix, de dignité, de tolérance, de liberté, d’égalité et de solidarité,

Ayant présent à l’esprit que la nécessité d’accorder une protection spéciale à l’enfant a été énoncée dans la Déclaration de Genève de 1924 sur les droits de l’enfant et dans la Déclaration des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale le 20 novembre 1959, et qu’elle a été reconnue dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (en particulier aux articles 23 et 24), dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (en particulier à l’article 10) et dans les statuts et instruments pertinents des institutions spécialisées et des organisations internationales qui se préoccupent du bien-être de l’enfant,

Ayant présent à l’esprit que, comme indiqué dans la Déclaration des droits de l’enfant, " l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance ",

Rappelant les dispositions de la déclaration sur les principes sociaux et juridiques applicables à la protection et au bien-être des enfants, envisagés surtout sous l’angle des pratiques en matière d’adoption et de placement familial sur les plans national et international, de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), et de la Déclaration sur la protection des femmes et des enfants en période d’urgence et de conflit armé,

Reconnaissant qu’il y a dans tous les pays du monde des enfants qui vivent dans des conditions particulièrement difficiles, et qu’il est nécessaire d’accorder à ces enfants une attention particulière,

Tenant dûment compte de l’importance des traditions et valeurs culturelles de chaque peuple dans la protection et le développement harmonieux de l’enfant,

Reconnaissant l’importance de la coopération internationale pour l’amélioration des conditions de vie des enfants dans tous les pays, et en particulier dans les pays en développement,

Sont convenus de ce qui suit :

PREMIERE PARTIE

Article 1

Au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.

Article 2

    1.  Les Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation.
    2.  Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille.

Article 3

    1.  Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
    2.  Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
    3.  Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié.

Article 4

Les Etats parties s’engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention. Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, ils prennent ces mesures dans toutes les limites des ressources dont ils disposent et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale.

Article 5

Les Etats parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention.

Article 6

    1.  Les Etats parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.
    2.  Les Etats parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant.

Article 7

    1.  L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
    2.  Les Etats parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride.

Article 8

    1.  Les Etats parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.
    2.  Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les Etats parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible.

Article 9

    1.  Les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.
    2.  Dans tous les cas prévus au paragraphe 1 du présent article, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues.
    3.  Les Etats parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
    4.  Lorsque la séparation résulte de mesures prises par un Etat partie, telles que la détention, l’emprisonnement, l’exil, l’expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu’en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l’un d’eux, ou de l’enfant, l’Etat partie donne sur demande aux parents, à l’enfant ou, s’il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l’enfant. Les Etats parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas en elle-même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées.

Article 10

    1.  Conformément à l’obligation incombant aux Etats parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les Etats parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les Etats parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur famille.
    2.  Un enfant dont les parents résident dans des Etats différents a le droit d’entretenir, sauf circonstances exceptionnelles, des relations personnelles et des contacts directs réguliers avec ses deux parents. A cette fin, et conformément à l’obligation incombant aux Etats parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 9, les Etats parties respectent le droit qu’ont l’enfant et ses parents de quitter tout pays, y compris le leur, et de revenir dans leur propre pays. Le droit de quitter tout pays ne peut faire l’objet que des restrictions prescrites par la loi qui sont nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et qui sont compatibles avec les autres droits reconnus dans la présente Convention.

Article 11

    1.  Les Etats parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger.
    2.  A cette fin, les Etats parties favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants.

Article 12

    1.  Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
    2.  A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

Article 13

    1.  L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.
    2.  L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires :
    1. Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou
    2. A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

Article 14

    1.  Les Etats parties respectent les droits de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
    2.  Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités.
    3.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.

Article 15

    1.  Les Etats parties reconnaissent les droits de l’enfant à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique.
    2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui.

Article 16

    1.  Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
    2.  L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

Article 17

Les Etats parties reconnaissent l’importance de la fonction remplie par les médias et veillent à ce que l’enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale. A cette fin, les Etats parties :

    1. Encouragent les médias à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l’enfant et répondent à l’esprit de l’article 29 ;
    2. Encouragent la coopération internationale en vue de produire, d’échanger et de diffuser une information et des matériels de ce type provenant de différentes sources culturelles, nationales et internationales ;
    3. Encouragent la production et la diffusion de livres pour enfants ;
    4. Encouragent les médias à tenir particulièrement compte des besoins linguistiques des enfants autochtones ou appartenant à un groupe minoritaire ;
    5. Favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être, compte tenu des dispositions des articles 13 et 18.

Article 18

    1. Les Etats parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant.
    2. Pour garantir et promouvoir les droits énoncés dans la présente Convention, les Etats parties accordent l’aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l’enfant dans l’exercice de la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant et assurent la mise en place d’institutions, d’établissements et de services chargés de veiller au bien-être des enfants.
    3. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour assurer aux enfants dont les parents travaillent le droit de bénéficier des services et établissements de garde d’enfants pour lesquels ils remplissent les conditions requises.

 

 

Article 19

    1.  Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
    2.  Ces mesures de protection comprendront, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention judiciaire.

Article 20

    1.  Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat.
    2.  Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.
    3.  Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.

Article 21

Les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et :

    1. Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ;
    2. Reconnaissent que l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ;
    3. Veillent, en cas d’adoption à l’étranger, à ce que l’enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d’adoption nationale ;
    4. Prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ;
    5. Poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s’efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d’enfants à l’étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents.

Article 22

    1. Les Etats parties prennent les mesures appropriées pour qu’un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu’il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente Convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits Etats sont parties.
    2. A cette fin, les Etats parties collaborent, selon qu’ils le jugent nécessaire, à tous les efforts faits par l’organisation des Nations Unies et les autres organisations intergouvernementales ou non gouvernementales compétentes collaborant avec l’Organisation des Nations Unies pour protéger et aider les enfants qui se trouvent en pareille situation et pour rechercher les père et mère ou autres membres de la famille de tout enfant réfugié en vue d’obtenir les renseignements nécessaires pour le réunir à sa famille. Lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut être retrouvé, l’enfant se voit accorder, selon les principes énoncés dans la présente Convention, la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit.

Article 23

    1.  Les Etats parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité.
    2.  Les Etats parties reconnaissent le droit des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux et encouragent et assurent, dans la mesure des ressources disponibles, l’octroi, sur demande, aux enfants handicapés remplissant les conditions requises et à ceux qui en ont la charge, d’une aide adaptée à l’état de l’enfant et à la situation de ses parents ou de ceux à qui il est confié.
    3.  Eu égard aux besoins particuliers des enfants handicapés, l’aide fournie conformément au paragraphe 2 du présent article est gratuite chaque fois qu’il est possible, compte tenu des ressources financières de leurs parents ou de ceux à qui l’enfant est confié, et elle est conçue de telle sorte que les enfants handicapés aient effectivement accès à l’éducation, à la formation, aux soins de santé, à la rééducation, à la préparation à l’emploi et aux activités récréatives, et bénéficient de ces services de façon propre à assurer une intégration sociale aussi complète que possible et leur épanouissement personnel, y compris dans le domaine culturel et spirituel.
    4.  Dans un esprit de coopération internationale, les Etats parties favorisent l’échange d’informations pertinentes dans le domaine des soins de santé préventifs et du traitement médical, psychologique et fonctionnel des enfants handicapés, y compris par la diffusion d’informations concernant les méthodes de rééducation et les services de formation professionnelle, ainsi que l’accès à ces données, en vue de permettre aux Etats parties d’améliorer leurs capacités et leurs compétences et d’élargir leur expérience dans ces domaines. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement.

Article 24

    1.  Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.
    2.  Les Etats parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :
    1. Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;
    2. Assurer à tous les enfants l’assistance médicale et les soins de santé nécessaires, l’accent étant mis sur le développement des soins de santé primaires ;
    3. Lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre des soins de santé primaires, grâce notamment à l’utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel ;
    4. Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;
    5. Faire en sorte que tous les groupes de la société, en particulier les parents et les enfants, reçoivent une information sur la santé et la nutrition de l’enfant, les avantages de l’allaitement au sein, l’hygiène et la salubrité de l’environnement et la prévention des accidents, et bénéficient d’une aide leur permettant de mettre à profit cette information ;
    6. Développer les soins de santé préventifs, les conseils aux parents et l’éducation et les services en matière de planification familiale.

3. Les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants.

4. Les Etats parties s’engagent à favoriser et à encourager la coopération internationale en vue d’assurer progressivement la pleine réalisation du droit reconnu dans la présent article. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement.

Article 25

Les Etats parties reconnaissent à l’enfant qui a été placé par les autorités compétentes pour recevoir des soins, une protection ou un traitement physique ou mental, le droit à un examen périodique dudit traitement et de toute autre circonstance relative à son placement.

Article 26

    1.  Les Etats parties reconnaissent à tout enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales, et prennent les mesures nécessaires pour assurer la plein réalisation de ce droit en conformité avec leur législation nationale.
    2.  Les prestations doivent, lorsqu’il y a lieu, être accordées compte tenu des ressources et de la situation de l’enfant et des personnes responsables de son entretien, ainsi que de toute autre considération applicable à la demande de prestation faite par l’enfant ou en son nom.

Article 27

    1.  Les Etats parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social.
    2.  C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant.
    3.  Les Etats parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement.
    4.  Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées en vue d’assurer le recouvrement de la pension alimentaire de l’enfant auprès de ses parents ou des autres personnes ayant une responsabilité financière à son égard, que ce soit sur leur territoire ou à l’étranger. En particulier, pour tenir compte des cas où la personne qui a une responsabilité financière à l’égard de l’enfant vit dans un Etat autre que celui de l’enfant, les Etats parties favorisent l’adhésion à des accords internationaux ou la conclusion de tels accords ainsi que l’adoption de tous autres arrangements appropriés.

Article 28

    1.  Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances :
    2. a) Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ;

      b) Ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide financière en cas de besoin ;

      c) Ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés ;

      d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires et professionnelles ;

      e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire.

    3.  Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention.
    4.  Les Etats parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l’ignorance et l’analphabétisme dans le monde et de faciliter l’accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d’enseignement modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement.

Article 29

    1.  Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :
    2. a) Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;

      b) Inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ;

      c) Inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ;

      d) Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ;

      e) Inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel.

    3.  Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’Etat aura prescrites.

Article 30

Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.

Article 31

    1.  Les Etats parties reconnaissent à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique.
    2.  Les Etats parties respectent et favorisent le droit de l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique, et encouragent l’organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d’égalité.

Article 32

    1.  Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social.
    2.  Les Etats parties prennent des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives pour assurer l’application du présent article. A cette fin, et compte tenu des dispositions pertinentes des autres instruments internationaux, les Etats parties, en particulier :

a) Fixent un âge minimum ou des âges minimums d’admission à l’emploi ;

b) Prévoient une réglementation appropriée des horaires de travail et des conditions d’emploi ;

c) Prévoient des peines ou autres sanctions appropriées pour assurer l’application effective du présent article.

Article 33

Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l’usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les Conventions internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances.

Article 34

Les Etats parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. A cette fin, les Etats prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher :

a) Que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale ;

b) Que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales ;

c) Que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique.

 

Article 35

Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit.

 

Article 36

Les Etats parties protègent l’enfant contre toutes autres formes d’exploitation préjudiciables à tout aspect de son bien-être.

Article 37

Les Etats parties veillent à ce que :

a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ;

b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ;

c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on n’estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites, sauf circonstances exceptionnelles ;

d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière.

Article 38

    1.  Les Etats parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants.
    2.  Les Etats parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités.
    3.  Les Etats parties s’abstiennent d’enrôler dans leurs forces armées toute personne n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans. Lorsqu’ils incorporent des personnes de plus de quinze ans mais de moins de dix-huit ans, les Etats parties s’efforcent d’enrôler en priorité les plus âgés.
    4.  Conformément à l’obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international de protéger la population civile en cas de conflit armé, les Etats parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d’une protection et de soins.

Article 39

Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé. Cette réadaptation et cette réinsertion se déroulent dans des conditions qui favorisent la santé, le respect de soi et la dignité de l’enfant.

Article 40

    1.  Les Etats parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci.
    2.  A cette fin, et compte tenu des dispositions pertinentes des instruments internationaux, les Etats parties veillent en particulier :
    3. a) A ce qu’aucun enfant ne soit suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale en raison d’actions ou d’omissions qui n’étaient pas interdites par le droit national ou international au moment où elles ont été commises ;

      b) A ce qui tout enfant suspecté ou accusé d’infraction à la loi pénale ait au moins le droit aux garanties suivantes :

      i) Etre présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ;

      ii) Etre informé dans le plus court délai et directement des accusations portées contre lui, ou, le cas échéant, par l’intermédiaire de ses parents ou représentants légaux, et bénéficier d’une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense ;

      iii) Que sa cause soit entendue sans retard par une autorité ou une instance judiciaire compétentes, indépendantes et impartiales, selon une procédure équitable aux termes de la loi, en présence de son conseil juridique ou autres et, à moins que cela ne soit jugé contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant en raison notamment de son âge ou de sa situation, en présence de ses parents ou représentants légaux ;

      iv) Ne pas être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable ; interroger ou faire interroger les témoins à charge, et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans des conditions d’égalité ;

      v) S’il est reconnu avoir enfreint la loi pénale, faire appel à cette décision et de toute mesure arrêtée en conséquence devant une autorité ou une instance judiciaire supérieure compétentes, indépendantes et impartiales, conformément à la loi ;

      vi) Se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend ou ne parle pas la langue utilisée ;

      vii) Que sa vie privée soit pleinement respectée à tous les stades de la procédure.

    4.  Les Etats parties s’efforcent de promouvoir l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale, et en particulier :
    5. a) D’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale ;

      b) De prendre des mesures, chaque fois que cela est possible et souhaitable, pour traiter ces enfants sans recourir à la procédure judiciaire, étant cependant entendu que les droits de l’homme et les garanties légales doivent être pleinement respectés.

    6.  Toute une gamme de dispositions, relatives notamment aux soins, à l’orientation et à la supervision, aux conseils, à la probation, au placement familial, aux programmes d’éducation générale et professionnelle et aux solutions autres qu’institutionnelles seront prévues en vue d’assurer aux enfants un traitement conforme à leur bien-être et proportionné à leur situation et à l’infraction.

Article 41

Aucune des dispositions de la présente Convention ne porte atteinte aux dispositions plus propices à la réalisation des droits de l’enfant qui peuvent figurer :

a) Dans la législation d’un Etat partie ; ou

b) Dans le droit international en vigueur pour cet Etat.

 

DEUXIEME PARTIE

Article 42

Les Etats parties s’engagent à faire largement connaître les principes et les dispositions de la présente Convention, par des moyens actifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants.

Article 43

    1.  Aux fins d’examiner les progrès accomplis par les Etats parties dans l’exécution des obligations contractées par eux en vertu de la présente Convention, il est institué un Comité des droits de l’enfant qui s’acquitte des fonctions définies ci-après.
    2.  Le Comité se compose de dix experts de haute moralité et possédant une compétence reconnue dans le domaine visé par la présente Convention. Ses membres sont élus par les Etats parties parmi leurs ressortissants et siègent à titre personnel, compte tenu de la nécessité d’assurer une répartition géographique équitable et eu égard aux principaux systèmes juridiques.
    3.  Les membres du Comité sont élus au scrutin secret sur une liste de personnes désignées par les Etats parties. Chaque Etat partie peut désigner un candidat parmi ses ressortissants.
    4.  La première élection aura lieu dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur de la présente Convention. Les élections auront lieu ensuite tous les deux ans. Quatre mois au moins avant la date de chaque élection, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies invitera par écrit les Etats parties à proposer leurs candidats dans un délai de deux mois. Le Secrétaire général dressera ensuite la liste alphabétique des candidats ainsi désignés, en indiquant les Etats parties qui les ont désignés, et la communiquera aux Etats parties à la présente Convention.
    5.  Les élections ont lieu lors des réunions des Etats parties, convoquées par le Secrétaire général au Siège de l’Organisation des Nations Unies. A ces réunions, pour lesquelles le quorum est constitué par les deux tiers des Etats parties, les candidats élus au Comité sont ceux qui obtiennent le plus grand nombre de voix et la majorité absolue des voix des représentants des Etats parties présents et votants.
    6.  Les membres du Comité sont élus pour quatre ans. Ils sont rééligibles si leur candidature est présentée à nouveau. Le mandat de cinq des membres élus lors de la première élection prend fin au bout de deux ans. Les noms de ces cinq membres seront tirés au sort par le président de la réunion immédiatement après la première élection.
    7.  En cas de décès ou de démission d’un membre du Comité, ou si, pour toute autre raison, un membre déclare ne plus pouvoir exercer ses fonctions au sein du Comité, l’Etat partie qui avait présenté sa candidature nomme un autre expert parmi ses ressortissants pour pourvoir le poste ainsi vacant jusqu’à l’expiration du mandat correspondant, sous réserve de l’approbation du Comité.
    8.  Le Comité adopte son règlement intérieur.
    9.  Le Comité élit son bureau pour une période de deux ans.
    10.  Les réunions du Comité se tiennent normalement au Siège de l’Organisation des Nations Unies, ou en tout autre lieu approprié déterminé par le Comité. Le Comité se réunit normalement chaque année. La durée de ses sessions est déterminée et modifiée, si nécessaire, par une réunion des Etats parties à la présente Convention, sous réserve de l’approbation de l’Assemblée générale.
    11.  Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies met à la disposition du Comité le personnel et les installations qui lui sont nécessaires pour s’acquitter efficacement des fonctions qui lui sont confiées en vertu de la présente Convention.
    12.  Les membres du Comité institué en vertu de la présente Convention reçoivent, avec l’approbation de l’Assemblée générale, des émoluments prélevés sur les ressources de l’Organisation des Nations Unies dans les conditions et selon les modalités fixées par l’Assemblée générale.

Article 44

    1.  Les Etats parties s’engagent à soumettre au Comité, par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, des rapports sur les mesures qu’ils auront adoptées pour donner effet aux droits reconnus dans la présente Convention et sur les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits :
    2. a) Dans les deux ans à compter de la date de l’entrée en vigueur de la présente Convention pour les Etats parties intéressés ;

      b) Par la suite, tous les cinq ans.

    3.  Les rapports établis en application du présent article doivent, le cas échéant, indiquer les facteurs et les difficultés empêchant les Etats parties de s’acquitter pleinement des obligations prévues dans la présente Convention. Ils doivent également contenir des renseignements suffisants pour donner au Comité une idée précise de l’application de la Convention dans le pays considéré.
    4.  Les Etats parties ayant présenté au Comité un rapport initial complet n’ont pas, dans les rapports qu’ils lui présentent ensuite conformément à l’alinéa b) du paragraphe 1 du présente article, à répéter les renseignements de base antérieurement communiqués.
    5.  Le Comité peut demander aux Etats parties tous renseignements complémentaires relatifs à l’application de la Convention.
    6.  Le Comité soumet tous les deux ans à l’Assemblée générale, par l’entremise du Conseil économique et social, un rapport sur ses activités.
    7.  Les Etats parties assurent à leurs rapports une large diffusion dans leur propre pays.

Article 45

Pour promouvoir l’application effective de la Convention et encourager la coopération internationale dans le domaine visé par la Convention :

a) Les institutions spécialisées, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et d’autres organes des Nations Unies ont le droit de se faire représenter lors de l’examen de l’application des dispositions de la présente Convention qui relèvent de leur mandat. Le Comité peut inviter les institutions spécialisées, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et tous autres organismes compétents qu’il jugera appropriés à donner des avis spécialisés sur l’application de la Convention dans les domaines qui relèvent de leurs mandats respectifs. Il peut inviter les institutions spécialisées, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et d’autres organes des Nations Unies à lui présenter des rapports sur l’application de la Convention dans les secteurs qui relèvent de leur domaine d’activité ;

b) Le Comité transmet, s’il le juge nécessaire, aux institutions spécialisées, au Fonds des Nations Unies pour l’enfance et aux autres organismes compétents tout rapport des Etats parties contenant une demande ou indiquant un besoin de conseils ou d’assistance techniques, accompagné, le cas échéant, des observations et suggestions du Comité touchant ladite demande ou indication ;

c) Le Comité peut recommander à l’Assemblée générale de prier le Secrétaire général de procéder pour le Comité à des études sur des questions spécifiques touchant les droits de l’enfant ;

d) Le Comité peut faire des suggestions et des recommandations d’ordre général fondées sur les renseignements reçus en application des articles 44 et 45 de la présente Convention. Ces suggestions et recommandations d’ordre général sont transmises à tout Etat partie intéressé et portées à l’attention de l’Assemblée générale, accompagnées, le cas échéant, des observations des Etats parties.

 

TROISIEME PARTIE

Article 46

La présente Convention est ouverte à la signature de tous les Etats.

Article 47

La présente Convention est sujette à ratification. Les instruments de ratification seront déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

 

Article 48

La présente Convention restera ouverte à l’adhésion de tout Etat. Les instruments d’adhésion seront déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

Article 49

    1.  La présente Convention entrera en vigueur le trentième jour qui suivra la date du dépôt auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du vingtième instrument de ratification ou d’adhésion.
    2.  Pour chacun des Etats qui ratifieront la présente Convention ou y adhéreront après le dépôt du vingtième instrument de ratification ou d’adhésion, la Convention entrera en vigueur le trentième jour qui suivra le dépôt par cet Etat de son instrument de ratification ou d’adhésion.

Article 50

    1.  Tout Etat partie peut proposer un amendement et en déposer le texte auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Le Secrétaire général communique alors la proposition d’amendement aux Etats parties, en leur demandant de lui faire savoir s’ils sont favorables à la convocation d’une conférence des Etats parties en vue de l’examen de la proposition et de sa mise au voix. Si, dans les quatre mois qui suivent la date de cette communication, un tiers au moins des Etats parties se prononcent en faveur de la convocation d’une telle conférence, le Secrétaire général convoque la conférence sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies. Tout amendement adopté par la majorité des Etats parties présents et votants à la conférence est soumis pour approbation à l’Assemblée générale.
    2.  Tout amendement adopté conformément aux dispositions du paragraphe 1 du présent article entre en vigueur lorsqu’il a été approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies et accepté par une majorité des deux tiers des Etats parties.
    3.  Lorsqu’un amendement entre en vigueur, il a force obligatoire pour les Etats parties qui l’ont accepté, les autres Etats parties demeurant liés par les dispositions de la présente Convention et par tous amendements antérieurs acceptés par eux.

 

 

Article 51

    1.  Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies recevra et communiquera à tous les Etats le texte des réserves qui auront été faites par les Etats au moment de la ratification ou de l’adhésion.
    2.  Aucune réserve incompatible avec l’objet et le but de la présente Convention n’est autorisée.
    3.  Les réserves peuvent être retirées à tout moment par notification adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, lequel en informe tous les Etats parties à la Convention. La notification prend effet à la date à laquelle elle est reçue par le Secrétaire général.

Article 52

Toute Etat partie peut dénoncer la présente Convention par notification écrite adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. La dénonciation prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue par le Secrétaire général.

Article 53

Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies est désigné comme dépositaire de la présente Convention.

Article 54

L’original de la présente Convention, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe font également foi, sera déposé auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

En foi de quoi les plénipotentiaires soussignés, dûment habilités par leurs gouvernements respectifs, ont signé la présente Convention.

Récapitulation des arrêts du Conseil d’Etat portant sur l’application des dispositions
de la Convention internationale sur les droits de l’enfant en droit interne

Articles de la Convention
relatives aux droits de l’enfant

Créant des obligations entre Etats
sans ouvrir de droits au particuliers

D’application directe

2

- Arrêt M. TORRES, 29 janvier 1997 (1)

- Arrêt l’Association " L’enfant et son droit ", 30 avril 1997 (2)

3-1

 

- Arrêt M. TORRES, 29 janvier 1997 (1)
- Arrêt Mme DOUAUD, 21 février 1997
- Arrêt M. et Mme SOBA, 29 décembre 1997
- Arrêt Melle CINAR, 22 septembre 1997

4

- Arrêt M. TORRES, 29 janvier 1997 (1)

- Arrêt l’Association " L’enfant et son droit ", 30 avril 1997 (2)

6

- Arrêt M. et Mme SOBA, 29 décembre 1997

 

7 (3) (4)

- Arrêt Mme AL HAJJ ZAIN, Association " La défense libre " et M. BERTIN, 11 octobre 1996 (5)
- Arrêt Préfet de la Loire c/ M. CHAGUER, 25 novembre 1996

 

8

- Arrêt Préfet de la Gironde, 6 mai 1996
- Arrêt M. et Mme HEMAIZIA, 21 octobre 1996
- Arrêt M. TORRES, 29 janvier 1997 (1)

 

9 (4)

- Arrêt Préfet de la Seine-Maritime, 29 juillet 1996
- Arrêt Préfet de la Gironde, 6 mai 1996
- Arrêt Préfet du Loiret, 6 mai 1996
- Arrêt Mme DJEBALI, 26 juin 1996
- Arrêt M. FENDI, 2 octobre 1996
- Arrêt M. TORRES, 29 janvier 1997 (1)
- Arrêt Mme DAYERE, 10 février 1997
- Arrêt AIT LHO, M. Karim AIT LHO, 3 mars 1997
- Arrêt Préfet de police c/ M. CHOUTRI, 30 juillet 1997
- Arrêt Préfet des Yvelines c/ M. Hichem MAHFOUF, 29 octobre 1997
- Arrêt Melle Marie-Clémence ODI, 29 décembre 1997

 

10 (3)

- Arrêt Préfet de la Gironde, 6 mai 1996
- Arrêt M. TORRES, 29 janvier 1997 (1)

 

11 (3)

   

12-1
12-2

- Arrêt M. PATUREL, 3 juillet 1996

 

14-1

- Arrêt M. PATUREL, 3 juillet 1996

 

16

- Arrêt Mme AL HAJJ ZAIN, Association " La défense libre " et M. BERTIN, 11 octobre 1996 (5)

- Arrêt DEMIRPENCE, 10 mars 1995
- Arrêt Mme DOUAUD, 21 février 1997

18-1

 

- Arrêt Association " L’enfant et son droit ", 30 avril 1997 (2)

24
24-1

- Arrêt Préfet de la Seine-Maritime c/ Mme BALONDO, 31 juillet 1996
- Arrêt G.I.S.T.I., 23 avril 1997

 

26-1

- Arrêt G.I.S.T.I., 23 avril 1997

 

27-1

- Arrêt G.I.S.T.I., 23 avril 1997

 

28

- Arrêt M. et Mme HEMAIZIA, 21 Octobre 1996
- Arrêt M. TORRES, 29 janvier 1997 (1)
- Arrêt M. et Mme SOBA, 29 décembre 1997

 

29

- Arrêt M. et Mme HEMAIZIA, 21 Octobre 1996

 

 

(1) Dans l’arrêt TORRES du 29 janvier 1997, le Conseil d’Etat a considéré " que les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir des articles 2, 4, 8, 9, 10 et 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990 qui créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés ; que les arrêtés attaqués n’ont pas méconnu l’article 3-1 de la même Convention ".

(2) Dans l’arrêt Association " L’enfant et son droit " du 30 avril 1997, la Haute juridiction administrative a estimé " que le décret attaqué ne méconnaît en rien les stipulations des articles 2, 4 et 18-1 de la Convention internationale relatives aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ; qu’ainsi l’Association " L’enfant et son droit " ne peut en tout état de cause se prévaloir de cette Convention pour contester la légalité de l’article 2 du décret du 18 octobre 1995 ".

(3) (4) Dans plusieurs arrêts, le Conseil d’Etat n’a pas repris sa formule traditionnelle, aux termes de laquelle " les stipulations de l’article (...) de la Convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990 créent seulement des obligations entre les Etats sans ouvrir de droits aux intéressés ... ", mais a seulement considéré :

(3) Préfet du Val d’Oise du 10 avril 1996, " que les stipulations des articles 7, 10 et 11 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant sont inopérantes à l’encontre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un arrêté de reconduite à la frontière. "

(4) M. BENELY du 13 janvier 1997, " que les stipulations des articles 7 et 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant ne peuvent être utilement invoquées pour contester la légalité d’un arrêté de reconduite à la frontière. "

(5) Dans l’arrêt Mme AL HAJJ ZAIN, Association " La défense libre " et M. BERTIN du 11 octobre 1996, il a estimé " que les stipulations de la Convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990 créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés ; que la requérante ne peut donc utilement se prévaloir des articles 7 et 16 de cet engagement international pour demander l’annulation de l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ".



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