N° 871
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le.5 mai 1998
Dépôt publié au Journal Officiel du 6 mai 1998
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION
DENQUÊTE (1)
sur létat des droits de lenfant en France,
notamment au regard des conditions de vie des mineurs
et de leur place dans la cité
Président
M
. Laurent FABIUS,Rapporteur
M
. Jean-Paul BRET,Députés
.
Les auditions suivantes sont proposées dans un document distinct
TOME II
AUDITIONS
(1) Cette Commission est composée de : MM. Laurent FABIUS, président, Mmes Martine AURILLAC, Bernadette ISAAC-SIBILLE, vice-présidents, MM. Bernard BIRSINGER, Pierre CARASSUS, secrétaires, Jean-Paul BRET, rapporteur ; Mme Sylvie ANDRIEUX, MM. Pierre-Christophe BAGUET, François BAROIN, Mmes Huguette BELLO, Yvette BENAYOUN-NAKACHE, Danièle BOUSQUET, Christine BOUTIN, MM. Jean-François CHOSSY, François FILLON, Mme Dominique GILLOT, MM. Pierre GOLDBERG, Gaétan GORCE, Michel HUNAULT, Mme Claudine LEDOUX, M. Pierre LEQUILLER, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. Lionnel LUCA, Alain NÉRI, Mme Françoise de PANAFIEU, MM. Christian PAUL, Bernard PERRUT, Mme Annette PEULVAST-BERGEAL, MM. François VANNSON, Kofi YAMGNANE
Enfants
.
TOME SECOND
SOMMAIRE DES AUDITIONS
Les auditions sont présentées dans lordre chronologique des séances tenues par la Commission
(la date de laudition figure ci-dessous entre parenthèses)
*
* *
Déplacement en Seine-Saint-Denis :
Réunion avec M. Robert Clément, Président du Conseil général et les représentants des services départementaux et table ronde avec les représentants des services de lEtat et les représentants de lautorité judiciaire (9 avril 1998)
Audition de MM. Jean-Bernard GICQUEL, Secrétaire général,
Pascal VIVET, Secrétaire général adjoint, Bertrand GIRAUD
et de Mmes Claude JAHIER et Jeannine JOUANIN,
Conseil français des associations pour les droits de lenfant
(COFRADE)(extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Messieurs Jean-Bernard Gicquel, Pascal Vivet, Bertrand Giraud et Mesdames Claude Jahier et Jeannine Jouanin sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Jean-Bernard Gicquel, Pascal Vivet, Bertrand Giraud et Mmes Claude Jahier et Jeannine Jouanin prêtent serment.
M. le Président : Mesdames, messieurs, nous aimerions connaître, dune part, votre appréciation sur létat des droits de lenfant en France, et, dautre part, vos propositions en ce domaine. Je vous propose de nous présenter un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
M. Jean-Bernard GICQUEL : Le COFRADE, Conseil français des associations pour les droits de lenfant, regroupe à ce jour cent vingt associations uvrant pour le respect et la promotion des droits de lenfant, notamment ceux inscrits dans la Convention internationale des droits de lenfant.
Le dossier que nous vous remettons aujourdhui montre que la genèse du COFRADE, créé en 1988, était étroitement liée à celle de la Convention adoptée par lassemblée des Nations Unies le 20 novembre 1989. Ce dossier présente les modes de fonctionnement et les activités du COFRADE pour promouvoir la pleine application de la Convention entrée en vigueur en France le 6 septembre 1990.
La coopération du COFRADE avec les pouvoirs publics a été initiée de manière assez spectaculaire par la remise dun document intitulé " 73 idées pour lapplication en France de la Convention ", à Mme Hélène Dorlhac, secrétaire dEtat à la famille, en septembre 1990. Elle sest poursuivie par une rencontre annuelle, le 20 novembre de chaque année, pour faire le point des avancées enregistrées et des obstacles rencontrés dans lapplication de la Convention en France.
Si le COFRADE vérifie la conformité des lois françaises et des projets de loi avec les dispositions de la Convention, surveille leur application sur le terrain et exerce une fonction de proposition, il sefforce également danalyser les causes profondes des atteintes aux droits des enfants et délaborer des propositions pour y porter remède.
La cause première des atteintes aux droits des enfants réside dans le développement universel de lextrême pauvreté provoquée par le fonctionnement de plus en plus injuste du système économique mondial qui creuse les écarts entre les riches et les pauvres, tant au niveau international quau sein de chaque pays y compris les pays riches et, parmi eux, la France.
Ces vingt dernières années, le système économique mondial a évolué dans le sens dun renforcement de la " marchandisation " et dune régression, voire dun abandon, dans certains pays, de la protection sociale. La pensée unique a érigé la compétitivité en principe de vie et balayé les notions de justice sociale, de fraternité et de solidarité. Ce sont les enfants qui ont le plus souffert de cette évolution.
Cette analyse a conduit le COFRADE à soutenir et à présenter des propositions pour linstauration dun plus juste partage des richesses mondiales et pour la mise en place dune politique humaine et sociale sur lensemble de la planète. Notre document développe nos propositions et interpelle la politique de solidarité internationale de notre pays.
La France est elle-même touchée par une dégradation des conditions de vie de familles toujours plus nombreuses. Il est de plus en plus fréquent que des familles retardent les soins dentaires ou médicaux de leurs enfants, faute de pouvoir avancer les frais de visite, dappareillage ou de médicament. Deux mille enfants sont atteints de saturnisme à Paris. La fréquentation des cantines scolaires a régressé partout ces dernières années, mais plus fortement dans les quartiers les plus défavorisés.
Même sil demeure marginal, le travail des enfants progresse en France, comme lont montré les travaux de latelier ad hoc du COFRADE, et on peut parler dexploitation des apprentis dans certains métiers de lalimentation. De nombreux enfants ne partent jamais en vacances et ne bénéficient daucune activité sportive ou culturelle.
Enfin, si laugmentation du nombre denfants maltraités sexplique en partie par un meilleur repérage des victimes, il nen est pas moins vrai que la situation de précarité et langoisse du lendemain - vécues par une proportion importante de nos concitoyens - se traduisent par une augmentation des violences faites aux enfants.
Cette évolution négative de la situation des enfants dans notre pays amène le COFRADE à juger sévèrement lattitude de la Cour de cassation qui met en cause la valeur constitutionnelle de la Convention en alléguant, depuis mars 1993, que les dispositions de la Convention nengagent que les Etats et quelles ne peuvent, en conséquence, être invoquées devant les tribunaux cest-à-dire être directement applicables en droit interne.
Le COFRADE estme par ailleurs que la diffusion et la promotion de la Convention ont laissé trop longtemps à désirer dans notre pays. Il se réjouit dune évolution favorable en ce domaine depuis 1996 avec le vote unanime du Sénat, puis de lAssemblée nationale
à lexception de Mme Stirbois le 9 avril 1996 instituant le 20 novembre journée nationale des droits de lenfant.Nous nous félicitns également que la Convention ait été publiée en octobre 1996 dans le bulletin officiel de léducation nationale. Par ailleurs, plusieurs notes et instructions sont parues depuis le mois de septembre 1997 concernant, par exemple, les violences sexuelles et la prévention des conduites à risque. En outre, un numéro spécial du 6 novembre fait état de lapplication de la Convention dans les écoles, les collèges et les lycées.
Le COFRADE attend du ministère de léducation nationale quil aille plus loin en intégrant léducation aux droits de lenfant dans la formation des futurs enseignants et naturellement aussi dans celle des enseignants en activité.
Nous attendons des autres ministères concernés le même effort dans la formation de leurs personnels et létablissement de synergies en la matière entre les ministères, les pouvoirs locaux, les Conseils généraux qui ont un rôle très important depuis la décentralisation de la lutte contre les maltraitances , les conseils municipaux et les associations.
Le COFRADE regrette le retard pris par la France dans la présentation de son rapport initial au Comité des droits de lenfant de lONU, déposé en avril 1993 au lieu de septembre 1992. En outre, la présentation du deuxième rapport a déjà pris du retard, puisquelle aurait dû intervenir en septembre 1997. Nous pressons donc lactuel Gouvernement de présenter ce rapport en 1998, car nous estimons que la France, patrie des droits de lhomme, devrait se montrer exemplaire en ce qui concerne le respect des engagements quelle souscrit en ratifiant des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits des personnes.
Rappelons aussi labsence de présentation à lAssemblée nationale avant le 20 novembre de chaque année dun rapport du Gouvernement sur la mise en uvre de la Convention et sur son action en faveur de la situation des enfants dans le monde, alors quil sagit pourtant dune obligation inscrite dans une loi du 27 janvier 1993.
Le document que nous remettons à votre commission développe les analyses et les propositions du COFRADE concernant les divers domaines dapplication des droits de lenfant inscrits dans la Convention. Je men tiendrai à nos principales recommandations.
Premièrement, la santé. Il convient daméliorer larticulation entre les services de PMI et les services de promotion de la santé en faveur des élèves par la signature de Conventions entre les présidents de Conseils généraux et les inspecteurs dacadémie. Il convient également de revaloriser les services de santé et daction sociale de léducation nationale et de développer léducation à la santé qui reste très embryonnaire dans le système scolaire.
Il convient de promouvoir lutilisation du carnet de santé des enfants dès leur naissance et pendant toute leur scolarité ; de faciliter laccès aux consultations, aux examens et aux soins recommandés par les médecins et infirmières scolaires, en instaurant la gratuité de la première consultation ou lexonération du ticket modérateur ; de diffuser les résultats des expériences pilotes menées dans le cadre de contrats villes dans lOise et la Seine-Saint-Denis, concernant le dépistage et le suivi des problèmes auditifs, visuels, langagiers et dentaires des enfants ; dévaluer rapidement limpact de la mise en place du fonds social institué à la rentrée scolaire 1997 pour faciliter laccès aux cantines scolaires aux enfants des familles démunies.
Deuxièmement, léducation. Il convient de conforter lexistence dune école publique, laïque, obligatoire et gratuite pour tous ; dassurer cette gratuité totale de lenseignement public afin dassurer aux enfants de familles modestes des conditions déducation susceptibles dégaliser leurs chances de réussite dans les études et de développer toutes leurs potentialités ; dassurer laccès à lécole de tous les enfants présents sur le territoire national, y compris les enfants de parents en situation irrégulière, et sans oublier les enfants des peuples nomades ; daccueillir tous les enfants de deux ans dont les familles souhaitent linscription à lécole maternelle ; daugmenter le nombre de psychologues scolaires et de rééducateurs pour prendre en charge les enfants en difficulté ; enfin, de consolider les centres de loisirs et les maisons des jeunes, et de donner à tous les enfants la possibilité de partir en colonies de vacances actuellement, 40 % des enfants en France ne partent jamais en vacances.
Troisièmement, la protection. Nous proposons détudier lamélioration des coordinations entre les diverses institutions de protection des enfants ; de faire bénéficier lenfant victime et lenfant délinquant de lassistance dun avocat, dès louverture dune information judiciaire, et/ou dune assistance éducative ; dafficher obligatoirement, dans tous les lieux de vie, le numéro vert " Enfance maltraitée " et la Convention internationale des droits de lenfant et de contrôler cette obligation ; de revoir la durée de linterdiction, pour toute personne condamnée pour des délits et des crimes sexuels sur mineurs, dexercer une activité professionnelle auprès dune communauté denfants, le texte actuel laissant, en effet, à désirer.
Quatrièmement, le travail des enfants. Le COFRADE demande que la lutte contre le chômage et la pauvreté soit la préoccupation majeure de la politique gouvernementale et de lensemble des acteurs économiques ; que la formation de tous les professionnels de lenfance intègre la détection des troubles engendrés par le travail des enfants ; que lapprentissage reste sous statut scolaire et que les personnels enseignants et les inspecteurs du travail aient véritablement les moyens de contrôler lapplication stricte de la législation du travail relative aux mineurs nous avons des statistiques et nous avons fait un communiqué de presse, il y a un an, sur lexploitation des apprentis.
En outre, nous proposons que les commissions préfectorales dagrément des maîtres dapprentissage soient rétablies et dotées de moyens de suivi et que les apprentis soient bien informés de leurs droits. Enfin, que la législation soit appliquée avec rigueur pour les formes illégales de travail des enfants, dans les ateliers clandestins, la mendicité, les petits travaux dans la rue, le commerce de la drogue, la prostitution.
Cinquièmement, la participation des enfants. Nous demandons à toutes les institutions éducatives de mettre en place les structures nécessaires à lexpression des enfants, afin que tous les enfants puissent participer réellement à la vie et au fonctionnement des communautés éducatives quils fréquentent : élaboration, évaluation et actualisation des règles de vie et des projets éducatifs à leur initiative ; coopératives ; journaux ; activités diverses.
Nous souhaitons le développement de commissions ou conseils municipaux denfants et la poursuite du Parlement des enfants. En outre, nous souhaitons que la France mette toute son influence en uvre pour promouvoir un modèle de développement économique européen et mondial plus juste et durable, pour lutter contre la pauvreté et contre la " marchandisation " de plus en plus forte de toutes les activités humaines et pour mener un effort intense et soutenu de solidarité au plan national et international.
Je vous remercie.
M. le Président : Je vous remercie de cet exposé à la fois complet et concis.
Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : M. Gicquel, vous avez parlé des enfants de nomades. Avez-vous pu mener une étude plus approfondie à ce sujet ? Nous évoquions hier cette question dans un groupe de travail, et cest un sujet qui nous préoccupe énormément, notamment en matière de scolarisation.
Mme Claude JAHIER : Il a été constaté que les enfants de familles nomades, de familles itinérantes, nétaient pas toujours accueillis dans les écoles, malgré les circulaires en vigueur, qui sont souvent ignorées par les directeurs détablissement.
Ces textes sont très clairs : ils précisent que les titres de séjour des parents ou des responsables du mineur nont pas à être demandés lors de linscription dans un établissement ; que pour ladmission dans les écoles maternelles, les règles en vigueur pour les enfants français doivent être appliquées sans restriction aux enfants étrangers et aux enfants nomades. Or ces textes ne sont pas appliqués, et bon nombre denfants ne sont pas accueillis dans les écoles.
Le COFRADE propose quil y ait une possibilité de scolarisation en maternelle sur les terrains daccueil des nomades et que la scolarisation des enfants en primaire puissent se faire dans les établissements ordinaires, afin déviter la ségrégation. En outre, nous préconisons létablissement doutils pédagogiques adaptés à ce type de familles et des instituteurs itinérants qui pourraient éventuellement suivre les nomades au cours de leurs déplacements.
Nous vous signalons des initiatives intéressantes qui pourraient être reprises : quatre organismes se sont spécialisés dans la réalisation de documents destinés aux enfants du voyage quil serait intéressant de généraliser, afin que les écoles soient mises au courant ; par ailleurs, un stage école a été organisé en Touraine par des enseignants à linitiative dun inspecteur de léducation nationale pour travailler auprès des familles nomades ; enfin, je vous signale quune association de Tziganes forme des moniteurs au soutien scolaire, en partenariat avec le ministère. Nous souhaitons, bien entendu, que toutes ces initiatives puissent être développées.
M. Pierre-Christophe BAGUET : Je suis effaré par le nombre des manquements aux règles en vigueur dont il a été fait état.
Par ailleurs, le COFRADE a-t-il la possibilité de nous faire une approche chiffrée des propositions quil nous présente ?
M. Pascal VIVET : Les propositions que nous avons formulées figurent en fait déjà dans des textes de loi. Cest linapplication de la loi en matière de droits de lenfant qui pose un véritable problème.
Les propositions formulées par le COFRADE sont, en effet, chiffrées. Nous travaillons régulièrement avec lun de ses membres fondateurs qui est le Centre international de lenfance et de la famille - fusion du CIE et de lIDEF afin de déterminer très précisément le coût des mesures que nous proposons.
Je reviens de Belle-Ile-en-Mer où nous fêtions, le 26 janvier, lanniversaire de la Convention des droits de lenfant et je puis vous dire que les deux cents enfants que jai rencontrés souhaitaient saluer votre commission : nous vous laisserons dailleurs une déclaration des enfants de France, quils ont élaborée et qui rejoint, très curieusement, celle du dernier Parlement des enfants.
Après cette parenthèse, que je voulais absolument ouvrir, je reviens à votre question, M. le député. Il existe des secteurs dans lesquels il va falloir travailler, parce quil y a des propositions. Pour lessentiel, il ne sagit pas dempiler des dispositifs, mais de revoir les compétences. Il est inacceptable, aujourdhui, de constater quil y a un différentiel de un à huit selon le département où lon habite, en matière de prestations daide sociale à lenfance ! Il faut envisager un rééquilibrage.
M. le Président : Nous retenons quil y a un problème dapplication, dévaluation des textes qui existent.
M. Bertrand GIRAUD : M. le Président, il y a non seulement une question de coût, mais également déconomies. Certains dysfonctionnements sont très coûteux. Nous navons pas larrogance dêtre des experts dans tous les domaines, mais je me permettrais de signaler lexistence dun document qui ne fait pas partie du dossier que nous déposons dans lequel nous avons pris linitiative de faire une étude chiffrée de certains dysfonctionnements. En effet, des économies de plusieurs milliards de francs chaque année, voire de plusieurs dizaines de milliards de francs, sont possibles en faisant mieux fonctionner des dispositifs déjà existants.
Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : En tant que vice-présidente dun Conseil général, jai pu constater que les Conseils généraux nappliquaient pas tous la loi de décentralisation. Cependant, chaque Conseil général détermine sa propre politique, de sorte quon ne peut pas comparer ce qui est fait dans des départements voisins, même si on peut souhaiter que les lois de décentralisation soient appliquées de manière plus homogène.
M. le Président : Vous mettez là laccent sur un point très important. Il est vrai que la décentralisation existe, mais en même temps, du point de vue des enfants, on ne peut pas leur dire " vous avez la chance ou la malchance dhabiter tel département, et vous avez à en subir les inconvénients " ! Il y a un point déquilibre à trouver.
Mme Dominique GILLOT : Je souhaitais simplement approuver la proposition faite par le COFRADE de vérifier que la loi est bien appliquée sur tout le territoire, et faire état dune expérience menée dans mon département, le Val-dOise, pour encourager tous les responsables institutionnels en charge des droits de lenfant à vérifier que la protection de lenfance en danger est bien assurée.
Tous les partenaires institutionnels, les magistrats du parquet, du tribunal pour enfants, les services de protection judiciaire de la jeunesse, linspection académique, la direction de lenfance du Conseil général, ont signé, en juin 1996, une charte pour traduire cette volonté dagir ensemble pour la protection de lenfance en danger. Des commissions se sont ensuite réunies pour mettre au point un guide du signalement de lenfant afin que chacun assume bien ses responsabilités et que lon nattende pas que la situation se dégrade pour engager une procédure judiciaire qui peut être plus grave dans ses conséquences quune prévention rapide.
Je tiens cette charte à votre disposition.
M. Pascal VIVET : Nous avons fait un bilan très précis de la loi Dorlhac loi de prévention des mauvais traitements qui imposait une coordination dans tous les établissements sur lensemble des départements de France. Or dix départements seulement ont appliqué cette loi, dont je rappelle quelle date du 10 juillet 1989 !
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez jugé sévèrement la jurisprudence de la Cour de cassation. Au-delà de ce jugement, avez-vous fait des propositions ?
M. Jean-Bernard GICQUEL : Le Parlement a accepté que le Gouvernement français ratifie la Convention internationale. Larticle 55 de la Constitution précise que toutes les Conventions internationales ont une valeur supraconstitutionnelle. Cette Convention internationale devrait donc pouvoir sappliquer dans notre pays. Or, depuis 1993, la Cour de cassation rend des arrêts qui contredisent cette Convention.
Avez-vous, en tant que députés, la possibilité détablir un suivi concernant le respect de cette Convention ?
M. le Président : Il sagit dun problème qui se pose dans plusieurs domaines et qui fera lobjet dune étude juridique.
M. Pascal VIVET : Jaimerais dire un mot concernant un phénomène nouveau en matière de protection de lenfance objectif auquel nous sommes tous attachés. Si nous avons fait tomber les trois tabous relatifs aux violences physiques, psychologiques et sexuelles à légard des enfants, il semble quil existe encore un tabou que nous avons énormément de mal à faire tomber et qui concerne les violences dites institutionnelles. Celles-ci sont en quelque sorte le comble de lenfance maltraitée : un enfant est séparé de ses parents pour être placé dans une institution où il est de nouveau maltraité !
Pardonnez-moi dévoquer ce sujet qui peut paraître marginal. Nous avons demandé une étude chiffrée au SNATEM Service national daccueil téléphonique " allô enfance maltraitée " qui reçoit un million dappels par an : ils font état de 5 % dappels ayant trait aux violences institutionnelles, soit cinq mille cas par an transmis aux autorités judiciaires !
M. le Président : Mesdames, messieurs, il me reste à vous féliciter du travail que vous réalisez. Nous allons travailler sur ce sujet pendant plusieurs mois, puis nous vous ferons part de nos conclusions. Je vous en prie, transmettez-nous tous les documents que vous jugez utiles à nos travaux.
Je vous remercie.
Audition du Docteur François REMY,
Président dhonneur du Comité français pour lUNICEF
et de Mme Bernadette PUISEUX, Chargée de mission(extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur François Rémy et Madame Bernadette Puiseux sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, M. François Rémy et Mme Bernadette Puiseux prêtent serment.
M. François REMY : Je vous remercie, M. le Président, davoir bien voulu associer lUNICEF à vos travaux.
LUNICEF recouvre deux réalités différentes : on trouve dune part, au niveau international, lOrganisation des Nations Unies que lon appelle le Fonds des Nations Unies pour laide à lenfance qui fait partie de la maison mère de New York et qui est représentée dans tous les pays du monde et, dautre part, dans chacun des pays dits de coopération qui sont les pays industrialisés il existe un Comité pour lUNICEF qui, dans le cas de la France, est régi par la loi de 1901 sur les associations. Par un accord daccréditation, lOrganisation des Nations Unies lui confère toute autorité pour représenter, si nécessaire, les intérêts de lorganisation.
Je me présente donc devant vous aujourdhui, non seulement en tant quancien président du Comité français, mais également en tant quancien directeur de lorganisation.
LUNICEF est citée dans le texte même de la Convention de New York. Dans le cadre de lélaboration, au cours des années 1986/1987, de cette Convention qui résulte dune initiative privée polonaise relayée par la commission des droits de lhomme de Genève lUNICEF a, en quelque sorte, pu obtenir la légalisation des activités qui étaient sa raison dêtre depuis 1946.
Par empirisme, sympathie, esprit de coopération, esprit onusien, des problèmes rencontrés dans le monde entier devaient être traités dans un cadre très précis et faisaient lobjet dune analyse très poussée devant aboutir à des textes ayant autorité en matière internationale. Au cours de la négociation de la Convention, lUNICEF a pu développer et faire entériner lessentiel de ses préoccupations concernant la situation de lenfance dans tous les pays du monde, et en particulier dans les pays du tiers monde.
On retrouve également lUNICEF dans les derniers articles de la Convention, puisque, de part sa présence dans cent vingt sept pays du monde, il est un agent de coopération auprès des Gouvernements, auprès des populations, pour que les idées clairement exposées dans la Convention deviennent une réalité dans tous les pays.
La Convention a été unanimement ratifiée, à lexception pour des raisons à lévidence différentes de la Somalie et des Etats-Unis.
Lapplication des différentes dispositions de la Convention constitue aujourdhui lobjectif majeur de lUNICEF. Les priorités sont différentes selon le niveau de développement des pays auxquels on sadresse ou selon leur niveau de conscience des problèmes humains posés par le développement.
Noublions pas que dans les " pays les moins avancés ", il existe encore des situations tragiques et inadmissibles, de sorte que ces pays sont devenus le terrain daction privilégié de lUNICEF.
La vocation de lUNICEF et les possibilités daction concertée avec les autorités françaises dans ce domaine font que nous pouvons, en fonction des constats de priorité, mettre laccent sur les interventions les plus urgentes. Larticle le plus douloureux et le plus extraordinaire de la Convention, larticle 6 paragraphe B, précise en substance que les enfants qui sont nés ont le droit de survivre. Il est assez étonnant que lon soit obligé de proclamer un pareil droit, quand on pense à ce que devraient être les conditions normales de vie sur cette terre.
Une des fonctions essentielles de lUNICEF est dorganiser un contact permanent entre les différentes institutions qui travaillent à améliorer la situation de lenfance. En 1990, le directeur exécutif de lUNICEF a proposé, au cours dune conférence internationale de haut niveau qui sest tenue à lONU, dopérer, parmi les prescriptions de la Convention applicables dans tous les pays du monde et en particulier dans les pays en voie de développement, une sélection des priorités assignées à la coopération internationale. Dans cette optique, lUNICEF, le Comité et pratiquement tous les pays du monde donnent, dans le cadre de leur coopération, la priorité aux besoins essentiels de lenfance.
Sachant que, pour mille enfants Japonais nés en 1997, il nen manquera que quatre à la fin de lannée, on ne peut pas tolérer que sur mille enfants qui naissent dans un pays sahélien en 1997, deux cent seize ne survivront pas jusquà la fin de lannée. Voilà un exemple qui montre très clairement quelles doivent être les priorités de lUNICEF et des coopérations internationales.
Au travers de ses cent vingt sept bureaux nationaux, lUNICEF est en permanence au contact des problèmes et des situations rencontrés ; il est non seulement présent dans les capitales, mais également dans les campagnes. En Irak, par exemple, depuis toujours et même pendant les événements récents, lUNICEF était présent à Bagdad et dans trois sous-bureaux qui permettent dassurer un dialogue et un diagnostic permanent des situations.
Sagissant du rôle de lUNICEF et de celui du Comité français dans sa fonction dintermédiaire, il faut savoir que, grâce à la Convention et au sommet de New York de 1990, se sont établies des relations de travail et de coopération avec les différents départements ministériels qui ont un rôle à jouer dans la coopération et les ONG concernées. Lessentiel de ces relations sest développé avec le ministère ou le secrétariat dEtat à la coopération, où les habitudes de travail et la prise en considération des propositions de la Convention et du sommet ont permis daxer certaines interventions sur les objectifs qui ressortent de manière évidente dune lecture a contrario de la Convention.
Dans les dix dernières années, depuis que lon a commencé à faire de la Convention un instrument dintervention sur le terrain, des résultats satisfaisants ont été obtenus. Le premier est que la mortalité des enfants a baissé sauf dans certains PMA dans des proportions satisfaisantes, même sil reste du chemin à parcourir.
Pour ne pas faire le bilan de toutes les nécessités, rappelons simplement que ce qui importe au même titre que la lutte pour la vie, cest le problème du développement de léducation, facteur de vie, de progrès et de santé. Les grandes priorités sur lesquelles travaille actuellement lUNICEF, en coopération avec la France et dautres pays, sont les vaccinations, la protection de la vie et léducation, en particulier léducation des filles, porteuses de nombreux messages positifs en faveur de lenfance.
Le Gouvernement français coopère donc avec lUNICEF, que ce soit directement ou par lintermédiaire du Comité, cette coopération se manifestant dans le cadre de la réorientation de certaines activités du ministère de la coopération, dans certaines activités de la direction des affaires culturelles du ministère des affaires étrangères et avec les services internationaux de chacun des ministères.
Il existe également une coopération très intéressante des ONG à caractère philanthropique, dont les objectifs se rapprochent de plus en plus de la priorité exprimée au travers de la Convention.
Le siège du Comité français est à Paris, mais il est représenté dans quatre vingt neuf départements. Il a une fonction dinformation sur la situation et travaille avec le ministère de léducation nationale, afin que dans le cadre de léducation civique, de léducation à la citoyenneté, on permette lacquisition de certaines connaissances nécessaires. En effet, les enfants de France, qui deviendront des adultes, doivent savoir comment vivent les autres enfants du monde. Cest à partir de cette réflexion que nous voulons développer cette activité de coopération.
M. le Président : Je vous remercie de cette présentation concise du travail de lUNICEF, notamment au regard de la Convention de New York. Je cède la parole aux membres de la commission qui voudront sans doute revenir sur votre évaluation de la situation française.
Mme Martine AURILLAC : Chacun sait limportance de la tâche que vous avez à assumer et de quelle manière vous le faites. De quels moyens matériels et financiers disposez-vous pour vos activités ?
M. François REMY : LUNICEF a deux catégories de ressources. Dune part, la contribution gouvernementale, qui est comprise dans la dotation budgétaire de la direction des Nations Unies au titre du ministère des affaires étrangères et qui devrait être, cette année, de quarante huit millions de francs. Du fait des difficultés budgétaires que vous connaissez, cette contribution, qui avait atteint par le passé des niveaux plus importants la meilleure année ayant été 1994 , a sensiblement diminué, la même évolution ayant été constatée dans dautres pays contributifs. Dautre part, la collecte de fonds par les comités nationaux constitue un élément essentiel des ressources de lUNICEF. Le Comité français récolte par ce biais une somme supérieure à celle versée par le Gouvernement, ce qui fait de la France un des grands pays donateurs.
Jajoute quil ne sagit pas dun marché unilatéral, en ce sens que lUNICEF, pour les services quil apporte dans les pays en voie de développement par exemple les vaccinations , achète en France probablement plus que ce que la France ne donne à lUNICEF. Il sagit dune donnée qui devrait être prise en considération lorsquest débattu à la Comission des affaires étrangères le montant des subventions accordées à diverses associations.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Après avoir rappelé que votre activité était essentiellement liée à lapplication de la Convention, vous avez surtout évoqué vos actions de coopération internationale. Avez-vous également la fonction de veiller à lapplication de la Convention en France ?
M. François REMY : Par rapport à dautres pays, la France a un schéma de travail très particulier. En effet, le COFRADE a été créé en 1989 à linitiative du Comité français pour lUNICEF, de lInstitut de lenfance et de la famille et du Bureau international catholique de lenfance.
A lépoque, la fonction essentielle de ce Comité était la promotion du principe de la Convention et non pas de son contenu. Dans le travail dinformation qui a été fait en France, les responsabilités ont été partagées ; le COFRADE, qui a pris une importance considérable, est composé de trois commissions, dont lune soccupe des relations avec les pays du tiers monde. LUNICEF a joué un rôle très important dans lanimation de cette commission, puisque nous disposons dinformations quil nest pas toujours facile de recueillir.
Mme Bernadette PUISEUX : Nous avons en charge, grâce au mandat donné par lUNICEF international, lapplication de la Convention des droits de lenfant en France. Nous suivons donc, avec les organisations que nous avons préparées à cette tâche, lapplication de la Convention.
Le rapport dexperts sera présenté avant le 20 novembre à la commission des experts de la Convention aux Nations Unies à Genève et le Comité français de lUNICEF suit, avec les spécialistes du ministère des affaires sociales, la préparation de ce rapport.
Certains problèmes se posent en France. La Convention a été publiée au Journal officiel ; elle est donc contraignante et a une valeur supranationale. Cependant, la Cour de cassation napplique pas cette obligation de respecter la Convention internationale lorsque les articles ne sont pas " lisibles ". Il conviendrait que la Cour de cassation change de position et reconnaisse que les articles de la Convention ont une valeur supranationale. Le Conseil dEtat, quant à lui, a évolué et nadopte plus la même position que la Cour de cassation. Il sagit là dun grave problème.
Mme Bellamy, directeur général de lUNICEF, a souligné, au cours de sa récente audition par la commission des affaires étrangères de lAssemblée nationale, la nécessité de créer un médiateur des enfants, comme il en existe déjà dans dix pays dEurope. Le problème en France est que, compte tenu de la décentralisation, on se demande quelle compétence pourra avoir le médiateur. En Espagne, par exemple, la province autonome de Madrid a créé un médiateur dont le champ de compétence est évidemment limité à cette province.
M. le Président : Avez-vous, madame, des études réalisées sur les médiateurs des enfants ?
Mme Bernadette PUISEUX : Jai assisté récemment, à Vienne, à un colloque sur les médiateurs et je pense pouvoir vous communiquer des informations sur ce sujet, car les médiateurs de Vienne, de Bruxelles, de Madrid et des pays nordiques qui sont les pionniers étaient présents. Bien entendu, M. le Président, je vous les ferai parvenir.
Actuellement dans le domaine social les enfants souffrent particulièrement de la situation dexclusion et de chômage que vivent leurs parents. Cette situation difficile doit être prise en compte : les enfants doivent avoir accès à la santé et au soutien scolaire sans tenir compte des ressources des parents comme cela est actuellement à létude. Or nous avons constamment des appels montrant que cet objectif nest pas encore passé dans les faits.
Les enfants ont également un droit à lexpression. Je préside lEcole des parents et des éducateurs dIle-de-France et le ministère de la santé nous a confié " Fil santé jeune " un numéro de téléphone vert qui est un lieu dexpression pour les jeunes de dix à vingt-cinq ans. Nous recevons trois mille cinq cents appels par jour émanant de toute la France, la ligne étant ouverte de huit heures à minuit tous les jours de la semaine. Léquipe qui reçoit ces appels est composée de vingt-cinq psychologues, juristes, encadrés par des médecins.
Le droit dexpression nest pas encore reconnu puisque tous les enfants qui nous appellent nous disent quils nont pas la possibilité de parler à leurs parents ou à leurs professeurs. Le droit à lécoute est un élément essentiel de la Convention et il faut le mettre en application.
M. le Président : Comment ces jeunes ont-ils entendu parler de ce numéro vert ?
Mme Bernadette PUISEUX : Le ministère de la santé a fait une importante promotion : un million de petites cartes dinformation semblables à des cartes de téléphone ont été distribuées dans les écoles, ainsi que par les médecins à linitiative de leur syndicats.
Jévoquerai également le problème découte des enfants en justice, car la loi qui demande que lenfant soit écouté est plus ou moins respectée selon les tribunaux.
En ce qui concerne les problèmes des enfants maltraités et notamment des sévices sexuels , je pense que les tabous, en France, sont levés. Il y a une prise en charge par les ministères et par les régions, un mouvement libérateur sest créé et je pense quil ne doit pas être excessif.
Le Comité français pour lUNICEF a dimportants moyens dinformation et aide les associations. Nous avons, par exemple, effectué un travail sur les nomades en Europe, que je vous communiquerai.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Pouvez-vous préciser votre pensée, lorsque vous dites que le mouvement libérateur que vous avez mentionné ne doit pas être excessif ?
Mme Bernadette PUISEUX : Les parents, très sensibilisés à ce problème, ont des réactions violentes : un homme qui sapproche dun enfant dans la rue risque de se faire traiter de pédophile. Il sest créé une psychose qui nous semble un peu démesurée, et cest le rôle des médias de faire comprendre au public que ce phénomène dont on parle beaucoup nest pas généralisé. Nous recevons un million dappels par an, et très peu concernent des cas de pédophilie.
M. François REMY : Il convient également dadopter une attitude identique à légard des pays du tiers monde où le problème de lenfance nest vu quau travers de lexploitation intolérable des enfants. On aurait tendance à ne voir lExtrème Orient ou certaines parties de lAfrique quau travers de leurs maisons ou lieux de prostitution, masquant ainsi dautres problèmes fondamentaux. Nous devons maintenir les choses à leur juste dimension.
M. le Président : Madame, monsieur, je vous remercie.
Audition de Mme Ségolène ROYAL,
Ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la recherche et de la technologie, chargée de lenseignement scolaire,
accompagnée par M. Jean-Michel HAYAT, Conseiller technique(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 janvier 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Ségolène Royal est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, Mme Ségolène Royal prête serment.
M. le Président : Mme la Ministre, je souhaiterais que vous nous présentiez dans un exposé liminaire létat des droits de lenfant en France dans votre domaine de compétence et les projets les concernant que vous comptez mettre en uvre ou que vous avez déjà mis en place. Nous vous poserons ensuite des questions.
Mme Ségolène ROYAL : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, je suis très honorée dêtre auditionnée dans le cadre de cette commission denquête sur létat des droits de lenfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité.
Le droit à léducation est un droit fondamental de lenfant, inscrit dans tous les grands textes internationaux, mais aussi dans la loi de 1989 relative à léducation. Celle-ci prévoit que le droit à léducation est garanti à chacun, afin de lui permettre de développer sa personnalité, délever son niveau de formation initiale et continue, de sinsérer dans la vie sociale et professionnelle et dexercer sa citoyenneté. Il est donc vrai que, dans la mission éducative de lécole, se trouvent toutes les facettes de la défense des droits et de la dignité des enfants.
Jévoquerai les chantiers que jai ouverts en tant que ministre de lenseignement scolaire. Jai là un certain nombre de textes qui ont déjà été publiés et que je souhaite évoquer rapidement.
A la lumière de mon expérience de parlementaire et des différents débats qui ont déjà eu lieu à lAssemblée nationale jétais, au moment de ma nomination, responsable au sein de la commission des lois du projet de loi sur les abus sexuels jai cherché, dès mon arrivée au ministère, à prolonger cette action. Le premier problème auquel je me suis attaquée est celui de la pédophilie au sein des établissements scolaires, en essayant de briser la loi du silence qui a trop longtemps étouffé la parole de lenfant. Une circulaire de léducation nationale, qui pour la première fois employait le mot de " pédophilie ", a été diffusée avec des indications extrêmement concrètes sur la façon dont la communauté scolaire doit agir, en ayant un double souci, celui de la protection de lenfant et celui du respect de la présomption dinnocence de la personne mise en cause.
En cas de révélation directe par un enfant, la consigne est désormais très claire : le fonctionnaire qui a recueilli la parole de lenfant doit immédiatement en aviser le procureur de la République sans se livrer à une quelconque évaluation. En revanche, dans les cas où il ny a que des soupçons, des témoignages indirects ou une rumeur, jai mis en place dans chaque département un centre de ressources composé de représentants de ladministration, médecins, assistantes sociales et psychologues, dont le rôle est de soutenir la communauté éducative touchée, afin de déterminer les suites judiciaires quil convient dy apporter.
Mes instructions ne se limitent pas seulement à la prise en compte de la parole de lenfant, elles entendent aussi assurer sa protection et celle de lensemble de la communauté scolaire.
Premièrement, désormais tout fonctionnaire de léducation nationale mis en examen par la justice fait lobjet dune suspension immédiate.
Deuxièmement, la mise en place dune cellule découte au sein de létablissement scolaire est désormais obligatoire pour informer, expliquer, soutenir des parents délèves, des enseignants, des enfants ébranlés par de tels faits.
Enfin, je veille à ce que léducation nationale soit présente lors de tous les procès mettant en cause un fonctionnaire de léducation nationale, et je donne des consignes très précises. Tout dabord, à lavocat qui représente lEtat dans ces affaires, pour que lindemnisation due aux familles ne soit pas contestée. En effet, jai été très choquée de constater que, dans les procès de pédophilie, lavocat de lEtat rejoignait très souvent les positions de lavocat du pédophile en tant quil plaidait pour un refus dindemnisation, une telle convergence dintérêts étant tout à fait intolérable pour les familles. Ensuite, ladministration centrale doit engager une action récursoire afin de recouvrer auprès du fonctionnaire condamné les sommes versées par lEtat au titre de lindemnisation des familles, afin déviter, là aussi, quil y ait un sentiment de complicité entre léducation nationale et le fonctionnaire condamné. Par ailleurs, il est demandé aux inspecteurs dacadémie dêtre présents aux audiences aux côtés des familles.
Enfin, tout fonctionnaire définitivement condamné par la justice fait désormais lobjet dune mesure de révocation. Autrement dit, il est mis fin aux mutations, aux pressions sur les parents pour quils se taisent et à létouffement des différentes affaires.
Lobjectif de cette démarche très volontariste est dabord déradiquer la pédophilie du système scolaire, cest-à-dire de faire en sorte que les adultes ayant des pulsions sexuelles à légard des enfants renoncent à entrer dans la principale profession qui leur permet dentrer en contact avec eux. Auparavant, une sorte de sentiment dimpunité pouvait leur laisser croire que cette profession leur était ouverte et que lindifférence à légard dun certain type de comportement les mettait à labri de toute poursuite.
Aujourdhui, nous recevons un signalement par jour. Antérieurement, de tels faits étaient traités au niveau local et ne faisaient lobjet daucune communication à ladministration centrale. Nous avons donc mis en place un observatoire au sein de la direction des affaires juridiques. Nous exigeons des inspecteurs dacadémie et des recteurs quils nous signalent tous les faits concernant les murs. Nous suivons de même tous les problèmes de violence qui sont maintenant systématiquement signalés à ladministration centrale, ce qui nous permet de contrôler la mise en place et le respect des instructions que nous avons données.
Le traitement des problèmes liés à la pédophilie étant exposé, il ne faut pas oublier que lécole est aussi le lieu où se révèlent la plupart des cas de maltraitance subie par les enfants dans leur famille ; 80 % des cas de maltraitance sont le fait des proches de lenfant, et lécole se révèle alors être un lieu de protection où lenfant peut parler aux enseignants, aux infirmières, aux médecins scolaires. Cest la raison pour laquelle il convient de ne pas considérer de façon disproportionnée les faits de pédophilie, si graves soient-ils, par rapport à la maltraitance qui peut être vécue dans les familles, pour laquelle lécole joue un rôle protecteur.
La circulaire concernant la saisine du procureur de la République sapplique bien évidemment à tous les cas de violence subis dans les familles.
Par ailleurs, afin daméliorer notre efficacité, nous avons donné des instructions aux inspecteurs dacadémie pour quils signent des Conventions avec les présidents de Conseils généraux. Dans certains départements, des actions exemplaires sont conduites, notamment dans le domaine de la formation des professionnels liés à lenfance, qui permettent de mettre en place une véritable coordination des actions entre les personnels dépendant des Conseils généraux qui jouent un rôle important dans le domaine de la protection de lenfance et les personnels de léducation nationale.
Afin de mettre en place une véritable prévention, jai souhaité quà loccasion de la journée internationale des droits de lenfant un important travail de présentation et dexplication de la Convention internationale des droits de lenfant soit assuré dans toutes les écoles, les collèges et les lycées de France. Jai donc fait publier un numéro hors série du bulletin officiel de léducation nationale dont je vais vous remettre plusieurs exemplaires dans lequel jai essayé de mettre en valeur lensemble des principes de la Convention des droits de lenfant pour que cela donne lieu, dans les écoles, à des actions concrètes.
De même, je vous ai apporté le numéro du bulletin officiel relatif à la lutte contre les violences sexuelles.
Enfin, jai diffusé à quatre millions dexemplaires une petite brochure intitulée " Le passeport pour le pays de prudence ", afin quelle soit remise individuellement à tous les élèves de lécole primaire et que les cours dinstruction civique puissent désormais englober cette sensibilisation au respect du corps par les élèves, au droit de voir respecter leur corps par les adultes, sur le thème " Le corps des enfants nest pas un jouet ". Le corps de lenfant nest pas un jouet pour lenfant lui-même, qui doit apprendre à respecter son corps principe qui est prolongé dans léducation à la santé ; le corps des autres enfants nest pas un jouet il faut apprendre très tôt aux enfants à respecter le corps des autres, notamment afin de prévenir les actes de violence et plus tard les actes de pression sexuelle entre adolescents ; enfin, le corps de lenfant nest pas un jouet pour les adultes. Très tôt il faut apprendre à lenfant à dire " non ", sans le traumatiser.
Cette brochure éveille lattention des enfants aux situations de danger auxquelles ils peuvent être exposés et propose toujours une solution positive permettant de parvenir au " pays de Prudence ".
Si la commission est intéressée par le déroulement des actions qui ont été engagées auprès des enseignants autour de cette brochure et qui a conduit à mettre en lumière certains cas dabus sexuel , le ministère de léducation nationale lui communiquera un dossier complet.
Jaborderai maintenant le droit de lenfant à la santé.
Nous avons mis en place, dès notre arrivée, un fonds social pour les cantines scolaires, car, pour être en bonne santé, lenfant doit tout dabord manger à sa faim, ce qui est un droit fondamental. Grâce à ce dispositif, les chefs détablissement voient des enfants dont les parents ne pouvaient plus payer revenir à la cantine.
La bonne santé des enfants suppose également quils puissent être suivis et examinés par le personnel médico-social. La santé scolaire est, en France, en situation extrêmement difficile, cest la raison pour laquelle le principal effort budgétaire pour 1998 a porté sur la création de postes dinfirmières et dassistantes sociales, et ce dans le droit fil de la proposition de loi retenue lannée dernière par le Parlement des enfants qui prévoyait la présence dune infirmière dans chaque école.
Jévoquerai, en troisième lieu, la lutte contre léchec scolaire.
Il sagit là dun thème fondamental, illustré récemment par la relance des zones déducation prioritaire, qui permet de " donner plus à ceux qui ont le moins " et qui sarticule autour de plusieurs actions : la reconnaissance du métier denseignant dans ces zones difficiles, la mise en place de réseaux déducation prioritaire, la redéfinition de priorités pédagogiques au service de la réussite scolaire des enfants en difficulté et les efforts faits en faveur de la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Enfin, deux chantiers extrêmement importants concernant les enfants en risque de rupture scolaire ont été ouverts : dune part, lextension des dispositifs relais en collège à savoir la possibilité de reprendre par petits groupes les enfants qui sont en rupture avec linstitution , et, dautre part, lintégration de léducation nationale dans le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, avec, en particulier, la formation des enseignants à la réalité de la grande pauvreté.
Indépendamment des autres thèmes que je ne citerai que pour mémoire, jévoquerai la réflexion sur la question de lorientation des élèves, qui est très souvent ressentie comme une forme de violence de linstitution scolaire, quand les élèves ou bien leur famille ne comprennent pas les choix dorientation qui ont été faits.
Tous ces dispositifs, qui doivent être améliorés, participent au respect des droits de lenfant.
Je terminerai en évoquant la question, essentielle, du partenariat de lécole avec les familles.
Les parents, notamment ceux qui ont connu léchec scolaire, doivent être réintégrés dans loeuvre de coéducation de lécole. Des actions exceptionnelles sont conduites par certaines écoles en zone déducation prioritaire, qui consistent à contacter les parents qui sont eux-mêmes en situation de rejet par rapport à lécole parce quils sont illettrés ou ont connu léchec scolaire et qui pensent quils ne peuvent rien faire pour leurs enfants. Lécole doit réussir à retisser les liens avec ces parents en revalorisant leur rôle parental et en leur expliquant quune parole dencouragement est essentielle pour la réussite scolaire de leur enfant. Lécole peut même parfois aller plus loin en associant les parents en difficulté de lecture à certains cours, en les faisant venir dans les classes.
Toutes ces actions en partenariat avec les parents, notamment les parents en difficulté, sont des actions essentielles que je souhaite développer dans le système scolaire en encourageant, par exemple, les réunions de parents délèves dans les logements. En effet, certains parents ne franchissent pas le seuil de lécole, considérant quil ne sagit pas dun lieu pour eux ; il convient donc que lécole aille vers ces familles pour revaloriser leur rôle de parents et pour leur dire quils ont un rôle important à jouer dans léducation de leurs enfants.
Jévoquerai en conclusion un aspect plus international concernant léducation et le développement. Il se tient régulièrement des réunions internationales des ministres de léducation ; or la France a une parole très forte à porter sur le thème de laide au développement, dans le cadre de laquelle il conviendrait de donner plus dimportance à la construction décoles, car cest par là que lon fera progresser les droits de lenfant. Je pense en particulier à laccent qui doit être mis sur léducation des jeunes filles, qui seule permet, dans certains pays, de faire reculer certains fléaux, parmi lesquels se trouvent les mutilations sexuelles.
Le lien entre éducation, développement et droit de lenfant est donc essentiel.
M. le Président : Mme la Ministre, je vous remercie davoir développé le thème de la protection de lenfant contre les abus sexuels et davoir abordé les autres thèmes importants que sont le droit à la santé et à léducation et à ces aspects internationaux. Les membres de la commission vont maintenant vous interroger sur tous ces points.
M. Gaëtan GORCE : Je me félicite, Mme la Ministre, des initiatives qui ont été prises depuis plusieurs mois sur le thème des droits de lenfant.
Vous avez parlé des initiatives prises en matière de prévention des infractions sexuelles : avez-vous une idée du nombre de cas qui ont concerné et qui concernent léducation nationale ?
Envisagez-vous dévaluer lefficacité des dispositifs de concertation qui se mettent en place ? Pour le département qui me concerne, jai pu juger de la rapidité avec laquelle tout cela a été mis en place et de la disponibilité de ladministration.
Les zones déducation prioritaire réaffirment le principe du droit à lécole et à léducation et font partie de la démarche qui doit être conduite. On sait que le fonctionnement de ces ZEP est souvent un peu entravé par des règles administratives et financières qui peuvent gêner une approche en termes de projets pédagogiques.
Enfin, estimez-vous, par rapport aux préoccupations que vous avez exprimées sur différents domaines, quun lien doive être fait avec laménagement des rythmes scolaires,?
Mme Ségolène ROYAL : Je répondrai tout dabord à la première question : il y a trois cents affaires en cours dans le primaire et quarante-cinq dans le secondaire. Ces affaires durent parfois depuis plusieurs années. Aujourdhui, le nombre des affaires a augmenté, puisque lon nous signale un cas par jour.
Dans le domaine de la protection de lenfance, un gros travail reste à faire. Jai demandé que lon accorde une attention particulière aux enfants qui ont été placés, cest-à-dire à ceux qui nont pas de parents à qui parler. Tout le travail qui a été fait dans léducation reste à faire dans le domaine de la protection sociale en France, notamment dans les foyers, car, en labsence de familles permettant de faire prendre en considération la parole de lenfant, la chape de silence qui entoure les cas de maltraitance y est plus épaisse quailleurs.
Le placement des enfants constitue un autre domaine à traiter. Je sais que Mme la Ministre de lemploi et de la solidarité y est sensible, mais le problème est délicat du fait que les présidents de Conseils généraux sont un peu " juges et parties ", lorsquils décident un placement. Il y a là dans ces décisions une grande complexité juridique et donc un grand chantier à ouvrir.
Je travaille également avec Mme Marie-Georges Buffet sur la question de la jeunesse et des sports, où les tabous sont peut-être encore plus lourds quà lécole et où de nombreuses actions doivent être mises en place.
Il convient de noter quil existe désormais une coordination éducation/justice. Jusquà présent, chaque administration était un peu dans sa tour divoire, léducation se gardant bien de prévenir la justice pour protéger sa réputation, et la justice ne renvoyant pas vers léducation les informations concernant la suite donnée aux signalements. Je puis vous citer des cas extrêmement pénibles où des directrices décole ou des institutrices, qui avaient eu le courage de signaler certains faits, nétaient pas tenues au courant de la suite donnée à ces affaires. Aujourdhui, il existe une obligation dinformation réciproque entre léducation et la justice. Cela a conforté les deux institutions dans leur volonté de lutter contre tous les faits de maltraitance.
En ce qui concerne les zones déducation prioritaire, votre observation est très juste. Pour tenter de surmonter cet effet de frontière qui sépare trop durement les établissements qui sont en ZEP de ceux qui ne le sont pas, et qui parfois reçoivent le même type de public sans avoir les mêmes moyens, je viens de créer les réseaux déducation prioritaire qui permettent aux établissements sensibles se situant à proximité des ZEP de bénéficier de certaines mesures. Il a été demandé aux recteurs de faire des propositions concernant cette mise en réseau des établissements scolaires.
Chaque fois que nous mettrons en place des actions en faveur des secteurs déducation prioritaire, les établissements en réseau déducation prioritaire seront englobés dans ces efforts par exemple, lorsque la priorité sera donnée à la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les ZEP, les établissements mis en réseau déducation prioritaire seront également concernés et il en ira de même pour laffectation prioritaire des nouveaux postes dinfirmières.
M. Bernard BIRSINGER : Lécole constitue un lieu important pour la défense des droits de lenfant. Elle ne peut pas, certes, régler tous les problèmes, mais il sagit dun service public présent dans tous les quartiers et dans lequel passent tous les enfants. Cest la raison pour laquelle les mesures prises et annoncées vont dans le bon sens.
Avez-vous déjà une première évaluation de lefficacité des mesures qui ont été prises en matière de restauration scolaire, notamment dans les collèges ?
Sagissant de la sélection sociale, on constate, même sil y a plus détudiants aujourdhui, que le nombre de jeunes issus des catégories employés ou ouvriers et sortant de luniversité avec un diplôme est faible. Il a été prouvé que la scolarisation des enfants de deux ans permettait, notamment dans les zones difficiles, dassurer aux jeunes une meilleure scolarité. Que comptez-vous faire, notamment en termes de postes denseignants, pour que la scolarisation des enfants de deux ans soit étendue ?
Vous venez de parler des réseaux déducation prioritaire ; cela est très important, car nous devons nous attaquer au problème de léchec scolaire. Des milliers de jeunes sont exclus, dès le départ, de notre société, dans laquelle ils ne trouvent pas leur place. Ce problème nécessite une mobilisation de lensemble des partenaires et des efforts supplémentaires.
Enfin, vous avez, Mme la Ministre, parlé de la santé et de la création dans les écoles des poste dinfirmières et dassistantes sociales. Il conviendrait cependant de ne pas oublier le médecin scolaire. Le seul lien à la santé, pour certains jeunes, passe par la médecine scolaire. Nous avons besoin de plus de médecins scolaires, et il serait bon également de réfléchir à des actions de prévention qui pourraient nous aider à progresser dans un certain nombre de domaines.
En Seine-Saint-Denis, par exemple, nous avons mené, pendant plusieurs années, une campagne de prévention bucco-dentaire ; de ce fait, nous avons fait reculer considérablement le nombre de caries chez les enfants. Des expériences de ce type pourraient utilement être étendues à lensemble du territoire.
Mme Ségolène ROYAL : Sagissant de la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les ZEP, sachez que dans certaines zones cette scolarisation atteint déjà 100 %. Or partout où cest le cas, la réussite scolaire de ces enfants est incontestablement meilleure. Cest la raison pour laquelle nous avons décidé détendre cette scolarisation des enfants de moins de trois ans dans toutes les ZEP.
Nous allons essayer de le faire dans la mesure où nous maintenons les mêmes moyens en personnel enseignant, alors que lon constate une baisse des effectifs dans le primaire trente cinq mille élèves en moins cette année, cinquante mille lannée dernière , ce qui nous donne une marge de manoeuvre dans certaines ZEP pour mettre laccent sur cette scolarisation des enfants de moins de trois ans.
Nous avons également engagé un travail de coordination avec tous les services municipaux daccueil de la petite enfance. Il convient de créer une articulation souple entre les structures daccueil de la petite enfance, les familles où lenfant est gardé à domicile et la scolarisation des enfants. Des transitions intelligentes ont déjà été mises en place dans certains quartiers, nous avons lintention de les généraliser.
Sagissant de lefficacité des mesures prises en matière de restauration scolaire, nous sommes en train den faire linventaire, académie par académie. Jai réuni la semaine dernière lensemble des intendants de toutes les académies de France : les résultats sont assez contrastés dune académie à lautre. Dans certains collèges, le taux de fréquentation a augmenté de 40 % ; dans dautres, laugmentation est beaucoup plus faible. Cela dépend beaucoup de lengagement des chefs détablissement pour repérer les enfants en situation de malnutrition et pour solliciter leurs familles. Nous avons mis laccent sur la souplesse des critères dattribution à mettre en uvre. Il est en tout cas certain que partout les fonds sociaux pour les cantines se sont révélés utiles. Leur champ daction a été étendu au service de petits déjeuners ; en effet, le fait de bien manger le matin est un élément important dans la réussite scolaire des élèves et cela est particulièrement important en milieu rural où les trajets domicile-école sont parfois très longs.
M. le Président : Pourrez-vous, Mme la Ministre, nous communiquer, dès que vous aurez les résultats, les analyses chiffrées concernant, dune part, les cantines scolaires, et, dautre part, la corrélation qui existe entre la scolarisation précoce et la réussite scolaire.
Mme Ségolène ROYAL : Tout à fait, M. le Président.
Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : Mme la Ministre, je vous remercie publiquement davoir la gentillesse de soutenir le " projet santé " pilote que nous mettons en place dans le département du Rhône. Cependant, je souhaitais vous faire part dun problème concernant lembauche de médecins scolaires. Pour ceux qui sont embauchés par les rectorats dans le cadre dopérations du type de celle que je viens de citer, la consigne est de les recruter pour moins quun mi-temps afin que, sils se retrouvent au chômage, ils ne puissent pas toucher les allocations chômage !
Nous rencontrons, de ce fait, de sérieux problèmes pour embaucher, dans les zones rurales, des médecins que lon paierait deux mille quatre cents francs par mois !
M. Jean-François CHOSSY : Lintérêt de lécole, comme révélateur des cas de maltraitance, est tout à fait indéniable. La question que je me pose est la suivante : comment les maîtres ou les éducateurs, qui ne sont ni des médecins ni des psychologues, sont-ils formés pour aborder de tels problèmes ?
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez évoqué, Mme la Ministre, la question de " lenfant citoyen dans son école ", notamment à travers son orientation, qui est souvent faite, il est vrai, de manière un peu autoritaire.
Au début du siècle " lenfant citoyen dans son école " a souvent donné lieu à des expériences pédagogiques particulières, puis elles se sont généralisées. Il nen reste pas moins quaujourdhui les expériences dans ce domaine restent souvent soumises à lappréciation de la communauté éducative. Ainsi par exemple, le succès des conseils pour enfants, qui ont pour objet de permettre aux élèves de participer à la définition de leur destin scolaire et de leurs conditions de vie au sein de lécole, dépend du degré dengagement des directeurs et des équipes éducatives. Or il me semble quaujourdhui le ministère de léducation nationale pourrait intervenir de manière plus directive et ne plus laisser le directeur ou léquipe éducative décider si ces actions doivent être ou non menées. Je me demande donc si la participation de lenfant à son destin scolaire ne devrait pas être plus encadrée par le ministère de léducation nationale.
Mme Raymonde LE TEXIER : Mme la Ministre, je voudrais revenir sur le problème des abus sexuels pour lesquels je crois beaucoup à la prévention, en apprenant notamment à lenfant à se protéger lui-même.
Vous allez dans ce sens avec le " Passeport pour le pays de prudence " ; comment les enseignants sont-ils formés pour exploiter cette brochure ? Comment est-elle diffusée dans les écoles ? Enfin, comment pouvez-vous, une fois celle-ci arrivée dans les écoles, vérifier quelle est bien distribuée aux enfants je fais là allusion à toutes les réticences que lon peut rencontrer chez certains enseignants et parents qui ne veulent pas que lon parle de ces problèmes ?
Mme Dominique GILLOT : Je reviendrai, quant à moi, sur les deux derniers chantiers que vous avez évoqués et qui sont relatifs, dune part, à la réflexion et aux modifications de comportement en matière dorientation des enfants et, dautre part, au rôle des parents.
Il est important que vous vous investissiez dans ces chantiers et que vous les mainteniez ouverts le plus longtemps possible, car il va falloir aller à lencontre dhabitudes qui concourent à professionnaliser à outrance les rapports autour des enfants et à considérer que les spécialistes, les professionnels, sont toujours mieux armés que les parents, surtout si ceux-ci appartiennent à des milieux défavorisés.
Quelles que soient les conditions de vie des familles, rien ne vaut un entourage familial affectueux et éducatif pour structurer le devenir dun enfant. Il nous appartient de vérifier que chaque famille est en capacité dexercer cette obligation, qui est celle de lexpression des droits imprescriptibles de chaque enfant.
Mme Martine AURILLAC : Ma première question rejoint celle de notre collègue sur la formation des enseignants : il est capital, sur des sujets aussi graves et délicats, que les enseignants puissent recevoir une formation spécialisée, notamment au sein des IUFM.
Ma seconde question concerne le rapport annuel relatif à lapplication de la Convention des droits de lenfant que devait présenter le Gouvernement au parlement. Ce rapport sera-t-il présenté cette année ?
M. le Président : Ce rapport relève au premier chef de la responsabilité du ministère de Mme Martine Aubry, mais le problème soulevé est bien réel.
M. Christian PAUL : Mme la Ministre, la santé est, bien entendu, au cur des droits de lenfant, et lécole apporte des réponses concrètes dans ce domaine.
Pourtant, léducation nationale a parfois du mal à assurer la continuité de leffort nécessaire. Je souligne avec satisfaction laugmentation des postes dinfirmières et de médecins scolaires, mais la santé concerne également la situation psychologique des enfants. Or on observe depuis un certain nombre dannées une réduction des moyens apportés aux réseaux daides spécialisées qui font un travail de soutien psychologique auprès des enfants.
Avez-vous des projets sur ce point ?
Mme Ségolène ROYAL : Mme Isaac-Sibille, vous soulevez un vrai sujet, celui de larticulation entre la médecine scolaire et la médecine de quartier. Au-delà du problème que vous évoquez concernant le versement forfaitaire dune certaine somme mensuelle, il existe des possibilités de vacation à lheure pour ces médecins qui permettent datténuer la difficulté dont vous faites état.
Cela dit, indépendamment de leffort poursuivi concernant la création de postes de médecins scolaires, nous sommes en train de réfléchir à la création dun statut mixte de médecin qui serait à la fois médecin scolaire et médecin hospitalier, ou médecin scolaire et médecin de quartier, avec une rémunération correcte des périodes dactivité effectuées à lécole.
Nous nous trouvons devant un paradoxe assez étonnant, puisquil y a trop de médecins libéraux cest-à-dire une offre médicale trop forte qui entraîne un certain déficit de la sécurité sociale et un manque cruel de médecins scolaires, dans le même temps.
M. Chossy, la formation des maîtres au problème de la maltraitance a déjà commencé, puisque nous mettons en place, à lintérieur des IUFM, des modules de formation ce que certains IUFM avaient déjà fait. Nous encourageons en particulier la mise en place de modules de formation communs aux autres personnels médico-sociaux, entre les inspections académiques et les Conseils généraux, puisque ce sont les mêmes assistantes sociales, les mêmes infirmières et les mêmes professionnels de santé qui ont à faire face au signalement de maltraitance à la fois dans les familles et dans les institutions. Cette formation conjointe est de loin la plus efficace.
Seulement 4 % des assistantes sociales ou des infirmières sont aujourdhui formées au problème de la maltraitance des enfants, ce qui est un chiffre catastrophique. La France a un retard colossal dans ce domaine quil faut absolument combler.
Les jeunes stagiaires des IUFM sont très demandeurs de formations liées à la protection de la santé des enfants. Cest pourquoi nous intégrons, dans les modules de formation actuellement en cours, cette préoccupation.
M. Bret, en ce qui concerne lenfant citoyen dans son école, vous me demandez comment nous pourrions systématiser cette préoccupation.
Nous avons mis en place deux types dactions dans les écoles. Dune part, les initiatives citoyennes, qui ont précisément pour objectif de favoriser et de rendre obligatoire la prise de conscience par les enfants de leurs droits et de leurs obligations. Ces initiatives citoyennes vont culminer au mois de mai par une semaine nationale des initiatives citoyennes. Tout ce qui nous remonte des écoles, des collèges et des lycées sur les initiatives qui ont été prises par les équipes pédagogiques est encourageant.
Mon idée est de nous appuyer à partir de ce qui se fait dans les classes pour lutter contre les phénomènes de violence, en particulier de violence verbale, qui dégradent le climat dans les écoles sur ces expériences concrètes réussies pour reformuler, dès la rentrée prochaine, le contenu de linstruction civique.
Nous intégrerons dailleurs, dès la rentrée, un programme dinstruction civique en classe de première, qui ne constituera pas une accumulation de savoirs nouveaux, mais une réflexion sur les comportements, sur les droits et les devoirs.
Dautre part, il sera également demandé à tous les établissements scolaires de travailler sur les règlements intérieurs en mettant en place des contrats de droits et de devoirs dans les écoles qui concerneront également les adultes. Tous les partenaires de la communauté scolaire, enseignants, personnels non-enseignants, parents délèves et élèves, feront un travail sur leurs droits et leurs devoirs. Ensuite, il y aura une confrontation qui fera émerger un contrat de vie scolaire, qui sera sans cesse remis en cause et soumis à lépreuve des faits.
Mme Le Texier, le " Passeport pour le pays de prudence " a été tiré à quatre millions dexemplaires avec autorisation donnée aux inspections académiques den tirer en complément. Normalement, tous les élèves de lécole primaire, à partir du CM1, ont dû recevoir cette brochure.
En outre, jai diligenté une inspection pour faire un bilan de la diffusion de ce passeport et vérifier si cette brochure nétait pas restée bloquée dans certaines inspections académiques.
Ce document a été corédigé avec les familles rurales, lassociation de parents délèves FCPE et le Comité français déducation pour la santé. Il y a eu très peu de réticences. Même si, dans un premier temps, certains instituteurs ont protesté en disant quil ne relevait pas de leur fonction de sensibiliser les enfants à de tels problèmes, la demande des enfants qui avaient entendu parler du passeport et qui ne lavaient pas reçu a fait que pratiquement tous les obstacles ont été levés et que lon a maintenant des remontées extrêmement positives des débats qui ont lieu dans les établissements, parce que, dans ce passeport, on fait confiance aux enfants.
Vous me demandez si les enseignants ont été formés pour parler de ce problème. Mais ce document est également destiné aux parents, aux pères et mères de famille qui veulent sensibiliser leurs enfants à ces problèmes. Or les enseignants sont également souvent des parents ; on peut donc leur faire confiance pour utiliser au mieux ce document qui aborde très clairement et très franchement les problèmes de sexualité ou dagressions sexuelles.
Je ressens un soulagement dans les établissements scolaires, grâce à la circulaire extrêmement précise, mais également à ce petit document pédagogique complété par la diffusion dune vidéo, " Mon corps, cest mon corps, jai le droit de dire non ", qui a été tirée à quatre mille exemplaires et dont un nouveau tirage est en cours. Ces cassettes ont été bloquées pendant des années dans les inspections académiques, faute dautorisation officielle de diffusion. Elles sont maintenant diffusées dans les établissements scolaires, y compris dans les collèges, en accompagnement dun travail réalisé par des psychologues et des infirmières scolaires, cest-à-dire des personnes plus spécialement formées pour entamer le dialogue avec les élèves.
Jai également fait réaliser un document audiovisuel sur la prévention des violences entre élèves, intitulé " Cet autre que moi ". Il a été réalisé dans un collège de la banlieue parisienne et traite de la violence verbale et sexuelle entre adolescents thème dont on ne parle pas suffisamment car il est important que les jeunes ne soient pas victimes des pressions du modèle social dominant, de la télévision ou de lentourage et apprennent à dire non si ils ne veulent pas avoir de rapports sexuels. Les adolescents qui ont perdu leurs points de repère peuvent utilement trouver à lécole des références en matière de comportement éducatif.
Un chantier considérable a été ouvert, celui de lorientation. Il y a trop dinégalités dans le traitement de lorientation des élèves. Certaines paroles prononcées en conseil de classe à propos des élèves sont inadmissibles. Je donnerais des instructions pour que les professeurs, lors des conseils de classe ou des évaluations, disent aux élèves ce quils font et non pas ce quils sont. Dire en permanence à un élève quil est médiocre, cest le dévaloriser, même si cela est involontaire. Or je pense quil est possible de faire autrement en sappuyant sur des expériences réussies. Le conseiller dorientation a pour mission de valoriser les points positifs de lélève pour lui permettre daller de lavant.
Dans les grandes classes, peut-être même en quatrième et en tout cas au lycée, les élèves vont avoir lautorisation systématique dassister au conseil de classe. On demande aux élèves dêtre acteurs dans leur orientation, ils doivent donc également être acteurs dans leur évaluation. Dans les lycées où les élèves viennent sexprimer au conseil de classe, tout le monde se félicite de cette pratique.
Mme Aurillac, sagissant de la formation des enseignants, une coordination doit être mise en place avec les collectivités locales, car les mêmes carences existent au sein des personnels sociaux de léducation et des personnels sociaux dautres structures. Cest en unissant nos efforts que nous arriverons à améliorer les choses.
Chaque fois quont été élaborés des plans départementaux, éducation/justice/affaires sociales/Conseils généraux pour mettre en place des modules de formation, les moyens ont été démultipliés et les progrès ont été considérables.
M. Paul, vous minterrogez sur la santé psychologique et le rôle des réseaux daide spécialisée. Il sagit également, il est vrai, dun chantier important dans lequel est intégré laspect " droits des enfants handicapés à lécole ". Lécole intègre trop peu denfants handicapés, 4 % seulement. Je me suis fixée un premier objectif de doublement du nombre denfants handicapés accueillis dans les classes ordinaires. En outre, il existe des réseaux daccueil des enfants handicapés, dun côté, et des enfants en difficulté psychologique, de lautre, quil ne faut pas mélanger.
Trop souvent la solution de facilité est de placer dans des structures qui ne sont pas adaptées, des enfants en grande difficulté psychologique. Nous réactivons donc les réseaux daide pour que le dépistage puisse conduire à des actions bien ciblées sur le handicap de lenfant, quil soit psychologique ou dune autre nature.
Je terminerai sur le thème des rythmes scolaires, question à laquelle je nai pas répondu tout à lheure. Il sagit là dun sujet essentiel par rapport aux droits de lenfant, et la souplesse que nous devons absolument apporter à laménagement des rythmes de lenfant ma conduite à engager une action de coordination avec les ministères de la jeunesse et des sports et de la culture. En effet, il y a trop souvent des conflits dans les établissements entre les rythmes scolaires de léducation nationale et ceux de la jeunesse et des sports, ce qui entraîne une grande confusion, des inégalités très importantes entre communes et des incohérences au sein dun même bassin de collèges.
Nous allons lancer un appel à projet dans tous les départements pour éviter de voir émerger des opérations " rythmes scolaires " différentes dune école à lautre.
Le dispositif relatif à laménagement des rythmes scolaires englobera un territoire cohérent par exemple de la dimension du canton ou dun collège et des écoles primaires qui en dépendent. Par ailleurs, la nouvelle vague des emplois-jeunes va être axée sur laménagement des rythmes scolaires, et cette action sera étendue au collège.
Leffort que nous devons fournir aujourdhui doit porter sur le collège, car cest là que se joue lintégration citoyenne des pré-adolescents. Des moyens importants doivent être mobilisés pour lutter contre léchec scolaire et certains comportements de violence chez les adolescents.
M. le Président : Mme la Ministre, je vous remercie.
Audition de M. Bernard KOUCHNER,
Secrétaire dEtat auprès du ministre de lemploi et de la solidarité, chargé de la santé, accompagné par
MM. Guy Janvier et Eric Chevallier, Conseillers techniques(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Bernard Kouchner est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Bernard Kouchner prête serment.
M. Bernard KOUCHNER : M. le Président, la commission que vous venez de mettre en place a pour objet de dresser un bilan de létat des droits de lenfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité.
Votre rapporteur, M. Jean-Paul Bret, la souligné lors de la discussion sur la création de cette commission : au lieu de saméliorer, la situation de nombreux enfants se dégrade. Cela est dû, bien évidemment, et en très grande partie, à la crise sociale et à la précarisation de plus en plus grande de bon nombre de familles françaises.
La meilleure façon de garantir les droits de lenfant et de lui assurer une place dans la société, cest de lutter contre le chômage et lexclusion de ses parents. Cest ce que le Gouvernement sest donné comme première tâche, lorsque le Premier ministre Lionel Jospin a proposé aux Français un pacte de développement et de solidarité.
Nous le savons, il y a dans notre société quelque chose dinjuste. Nous navons globalement jamais été aussi riches et pourtant plusieurs millions de personnes connaissent la précarité et craignent pour lavenir de leurs enfants. La pauvreté est en elle-même une maltraitance. Vous lavez dit, M. le Rapporteur, et japprouve totalement cette affirmation.
En France, le statut juridique de lenfant lui assure, en théorie, une protection suffisante. Dans les faits, cette protection est loin dêtre garantie et nous devons, à loccasion de toutes les mesures que nous prenons, garder à lesprit quagir pour les droits de lenfant, cest travailler à léclosion dune société plus juste et plus solidaire.
La France a signé, le 26 janvier 1990, la Convention internationale sur les droits de lenfant qui avait été adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989. La Convention marque une étape importante pour les droits de lenfant en France et dans le monde.
Pour la première fois, la France sest ralliée à un texte global, cohérent et universel sur lenfance. Partant de lidée que lenfant est une personne, la Convention sattache à toutes les dimensions de sa vie, à lintérieur et à lextérieur de la famille. Elle contribue à tracer les contours de lenfance et de la place de lenfant dans la société, à travers lensemble de ses droits civils, sociaux, économiques, culturels, voire politiques.
Il sagit dun texte contraignant, même si persiste, avec la Cour de cassation, un débat sur la portée juridique exacte du texte. Pour la Cour, seuls les Etats seraient liés. La Convention ne serait pas directement applicable en droit interne. Il ny aurait donc pas de droits directs pour les enfants. Or tout le pari politique des instigateurs de la Convention est damener ces Etats à sengager sur des objectifs et à reconnaître des droits aux enfants. Lobjectif majeur visé est de dépasser les beaux discours et les engagements formels pour favoriser un réel changement des conditions de vie faites aux enfants.
Des obligations pèsent sur les Etats parties à cette Convention, et donc sur la France : respecter les droits affirmés dans les textes ; réunir les conditions de leur mise en uvre ; rendre des comptes ; organiser la coopération internationale.
En France, depuis 1989, date de ladoption par lAssemblée générale de lONU de cette Convention, le ministère de la famille est chargé de la coordination du travail gouvernemental au plan interne et de la mise en uvre de cette Convention. Celui-ci ne sest pas appuyé sur une instance interministérielle spécifique. En revanche, sur linitiative du COFRADE, le ministère organise chaque année, le 20 novembre, date anniversaire de ladoption de la Convention, une rencontre nationale entre ces associations et les pouvoirs publics.
Depuis la loi du 9 avril 1996, ces rencontres sont devenues officielles, mais sans que la coopération interministérielle soit institutionnalisée. Cela peut expliquer le manque de coordination entre les ministères.
Un seul rapport sur lapplication de la Convention internationale des droits de lenfant, très exhaustif il est vrai, a été établi par la France et présenté à lONU en 1994. Contrairement à lobligation établie par la loi du 27 janvier 1993, aucun rapport na jamais été présenté devant le Parlement, comme M. le Rapporteur la souligné. Il est temps de mettre fin à cette lacune et je mengage solennellement devant vous, ce matin, à ce quun rapport soit établi et présenté au plus tard le 20 novembre prochain. Je demanderai, avec Mme Martine Aubry, au Premier ministre de mettre en place un groupe interministériel qui sera chargé de préparer ce rapport.
Avant daborder les sujets qui relèvent plus particulièrement de mes attributions, jaimerais souligner le caractère novateur de la Convention internationale des droits de lenfant.
Ce texte fait une référence permanente à lintérêt supérieur de lenfant. Surtout, et il sagit sans doute de la novation essentielle, lenfant est considéré comme une personne qui doit disposer de droits propres. Lenfant est sujet de droit, mais le préambule rappelle quil a besoin de protection. Celle-ci incombe avant tout à la famille, " unité fondamentale de la société ".
Le temps métant compté, je voudrais, si vous le permettez, insister sur deux points qui me semblent très importants : dune part, les questions de santé, et, dautre part, la maltraitance.
En ce qui concerne les questions de santé, le dernier rapport du Haut comité de la santé publique, présenté à Lille en juin dernier, nous fournit les grandes lignes de lorientation future.
Il convient daméliorer les connaissances sur létat de santé des enfants et des jeunes ; de former les intervenants agissant auprès des jeunes, en particulier pour prévenir les conduites à risque on voit ces jours-ci combien cette tâche est difficile puisque les chiffres du suicide qui ont été publiés sont très alarmants, en particulier en ce qui concerne les jeunes ; de détecter et de prendre en charge les enfants et les adolescents en difficulté ; enfin, daméliorer le processus de développement harmonieux de lenfant.
Jinsiste tout particulièrement sur un point : il nest pas admissible que nous ne fassions pas de progrès réels et rapides sur la détection précoce des enfants et des adolescents en difficulté. Ce nest pas pour les stigmatiser que nous devons mettre en place les conditions dun dépistage le plus précoce possible des carences physiques, psychologiques, affectives, sociales des enfants, mais, au contraire, pour les aider. Comment leur assurer légalité des chances si, dès le départ, ils sont " marqués " par la vie ?
Les structures actuellement responsables de la santé de lenfant ont trop tendance à privilégier son développement physique et sa croissance corporelle et négligent son développement psychique, sa capacité dapprentissage, les conditions de la construction de sa personnalité et sa socialisation. Nous devons instituer un suivi continu de la santé physique et mentale de lenfant.
Il convient de travailler, en liaison avec les familles dont on a assez souvent évoqué les difficultés, à remédier, par une disponibilité, un entourage affectif et des conseils appropriés, aux difficultés des jeunes dans les domaines de la vie affective, de la vie scolaire, de la socialisation et du développement de la personnalité. Or laccompagnement individuel et collectif, pourtant indispensable, est fortement consommateur de temps.
Les messages généraux et normalisateurs ne sont pas entendus. En revanche, les actions de proximité, réalisées après une mise en confiance par des intervenants bien identifiés, sont bien reçues et efficaces.
Il convient donc de mettre en place, à léchelon territorial le mieux adapté, sans doute le quartier, des réseaux de prise en charge globale du développement de lenfant et de ladolescent.
Il faut aider les parents ayant des difficultés éducatives avec leurs enfants. Cela exige une présence attentive et disponible de personnes compétentes : groupes de soutien aux professionnels pour mieux comprendre les phénomènes dexclusion, lieux découte et de socialisation pour les jeunes ou les adultes, groupes de parole pour des personnes vivant des situations de rupture sociale ou familiale. Les travailleurs sociaux et les associations ont là un rôle considérable, mais difficile, à jouer.
Sur le terrain, ils sont des milliers à accomplir un travail remarquable, accompagnés de millions de bénévoles quil faut également aider et soutenir. Cest à la condition dune prise en charge communautaire des problèmes de notre société que les enfants pourront trouver dans la cité la place qui leur revient. Cest lobjectif principal de la loi de prévention et de lutte contre les exclusions que le Gouvernement prépare. Cest aussi lobjectif de la politique de la ville que poursuit Mme la Ministre de lemploi et de la solidarité.
Je mexprimerai maintenant sur les questions de maltraitance.
Le dernier rapport de lObservatoire national de laction sociale décentralisée
lODAS , rendu public le 12 novembre dernier, constate que le nombre denfants en danger en France ne cesse daugmenter. LODAS dénombre soixante-quatorze mille enfants maltraités et en risque de maltraitance en 1996, soit 14 % de plus que lannée précédente. Cette augmentation sexplique dabord par lamélioration du système de repérage, mais elle trouve aussi ses causes dans la précarisation de notre société et la dislocation du lien social.
Autre évolution mise en exergue par lODAS, le recours de plus en plus fréquent à la justice, tant pour les signalements que pour les prises en charge. Ce renforcement de lintervention judiciaire nétait pas prévus, lorsque la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à légard des mineurs et à la protection de lenfance a été votée. Elle privilégiait la protection administrative par rapport à la protection judiciaire. Des efforts considérables ont été faits pour mettre en place un système efficace de repérage, notamment grâce à linstallation et au développement continu du SNATEM
Service national daccueil téléphonique pour lenfance maltraitée.
La protection de lenfance maltraitée avait été déclarée grande cause nationale par le précédent Gouvernement. Le changement de majorité intervenu en juin dernier na pas altéré la volonté collective de poursuivre cette action, bien au contraire.
Les recommandations faites le 20 novembre dernier à loccasion du bilan de " la grande cause " doivent être prises en compte. Je nen citerai que quelques-unes : mieux former, ensemble, les acteurs de la protection ; développer localement les stratégies dun partenariat authentique ; évaluer les effets des mesures mises en place ; viser à diminuer lapparition des difficultés des enfants avant quils ne soient maltraités en particulier grâce au soutien de la fonction parentale.
Le Gouvernement a déjà donné des signes dune politique volontariste dans ce domaine. En premier lieu, pour ce qui concerne les abus sexuels qui, je le sais, ne résument pas lensemble des situations de maltraitance, nous avons décidé de renforcer le dispositif législatif existant.
Cest le sens du projet de loi présenté par Mme Elisabeth Guigou relatif aux infractions sexuelles et à la protection des mineurs, qui a une double finalité : dune part, mieux protéger les mineurs en créant un véritable statut juridique pour les victimes, et, dautre part, réduire les risques de récidive en instituant une mesure de suivi socio-judiciaire. La loi intégrera autant les préoccupations dordre sanitaire que judiciaire, contrairement à ce qui avait été précedemment envisagé.
Par ailleurs, pour répondre au désarroi de la communauté éducative qui est souvent en première ligne dans ce domaine, M. Claude Allègre et Mme Ségolène Royal ont fait parvenir une circulaire à tous les responsables de léducation nationale pour leur préciser, de manière détaillée, la conduite à tenir lorsquune situation de violence sexuelle sur un enfant est repérée ou soupçonnée.
Je veux citer aussi le programme gouvernemental de lutte contre la violence scolaire.
Ny a-t-il pas une forme pernicieuse de maltraitance quand les enfants finissent par avoir peur daller à lécole à cause du racket, du caïdat et des menaces qui sont exercés à leur encontre ? Quen est-il des droits de lenfant quand un climat de peur sest instauré dans une classe ou dans un établissement scolaire ?
En ce qui nous concerne, nous entendons, avec Mme la Ministre de lemploi et de la solidarité, être très impliqués dans la prévention des mauvais traitements à lécole, même si, bien entendu, le ministère de léducation nationale garde un rôle moteur en ce domaine.
Sur ce plan, je dois vous dire, notamment, notre intention dêtre extrêmement attentifs à la situation des enfants dans les institutions sociales et médico-sociales, où des cas de même nature nous ont été signalés. Dès notre arrivée, nous avons été informés, souvent dailleurs avec retard, daffaires de sévices à enfants dans ces institutions.
Je considère comme parfaitement inacceptable que de telles situations soient souvent révélées après que la presse sen soit emparée. Nous avons donc donné des instructions extrêmement fermes aux préfets leur demandant dêtre vigilants sur ce type daffaires et den informer immédiatement le cabinet.
Cependant, il convient dêtre clair : les mauvais traitements, le non-respect des droits élémentaires de lenfant, se déroulent le plus souvent dans la sphère privée et familiale. Il convient donc, au-delà de la sensibilisation indispensable de lopinion publique, de développer des actions de fond en direction des familles.
La protection de lenfance nétant pas assurée en France par une institution unique, mais par laction convergente de plusieurs institutions - les services sociaux départementaux, lautorité judiciaire, la police, la gendarmerie, le système éducatif, les institutions hospitalières, les associations privées , il nous faut maintenant évaluer notre système de protection de lenfance.
Je conclurai ce bref exposé en vous disant quelques mots de nos projets en matière de politique familiale. Nous en avons fixé les grandes lignes devant le Sénat qui avait interrogé Mme la Ministre de lemploi et de la solidarité sur cette question le 4 novembre dernier.
Quoi de plus personnel que la famille et, en même temps, quoi de plus essentiel pour construire la société ? Quelle part, dans ce domaine, laisser à lintimité de chacun et quelle place donner à lintervention publique ? La réponse est difficile. Elle ne saccommode ni de simplisme ni de polémique.
Notre objectif est clair : protéger et conforter la famille, parce quelle est la cellule de base où se construit lenfant sur le plan affectif, où il acquiert ses premiers repères. Cest dans la famille que sexprime en premier lieu la solidarité, que sapprend le respect de lautre et que se construisent les premières expériences et les apprentissages. Cest dans la famille que se transmettent les valeurs, que séveillent et séduquent la créativité et le goût du savoir.
Dans un monde de plus en plus changeant et mobile, où les informations, les personnes et les cultures circulent, les repères sobscurcissent et se relativisent. Dans une société en crise, la transmission des valeurs, des comportements, est plus difficile.
Défendre la famille, cest défendre les valeurs et les objectifs auxquels nous sommes tous attachés, cest-à-dire préserver la cohésion sociale, donner à chacun une place, promouvoir la solidarité.
Avoir un enfant nest pas un risque, mais une chance. Pour que cette chance soit totale et pour tous, il nous faut une vraie politique familiale. Doù les réflexions que Mme la Ministre de lemploi et de la solidarité entend mener sur lensemble de la politique familiale pour préparer la conférence de la famille prévue en 1998.
La question de la famille renvoie à celle de la protection des enfants. Quel équilibre trouver entre le respect de la sphère privée et les garanties que la société doit apporter à tout individu, et en particulier aux plus fragiles ? Quelle place aussi pour les jeunes adultes restant au domicile des parents ?
Cest lensemble des questions financières, juridiques et des actions administratives quil convient de reconsidérer, avec le souci premier daider les familles et de permettre à chaque enfant de devenir un adulte digne et autonome, respectueux des autres et capable de trouver une place dans la société.
Les droits de lenfant seront réellement respectés et cest à cette condition que notre société reprendra confiance en elle, parce que ses enfants auront lespoir dun monde plus juste.
Je vous remercie.
M. le Président : Toute notre matinée est consacrée essentiellement à la question de la maltraitance. Parmi les indications que vous nous avez données, jai relevé en particulier votre engagement, au nom du Gouvernement, de remettre avant le 20 novembre le rapport prévu par la loi de 1993 sur lapplication en France de la Convention internationale. Nous y serons attentifs.
Vous avez évoqué la terrible question du suicide chez les jeunes. Ce jeudi 5 février est la seconde journée nationale de prévention du suicide. Les chiffres qui nous sont communiqués sont extrêmement lourds. Les causes sont diverses, mais elles relèvent à lévidence toujours dune forme de désespoir. Il est nécessaire dappeler sur ce problème lattention de tous ceux qui peuvent agir pour lutter contre toutes les formes de désespoir, contre lisolement des jeunes.
Vous avez vous-même jai lu une déclaration à ce sujet proposé de multiplier les lieux découte, les associations dentraide, toutes les formes dactivités collectives qui brisent lisolement, qui favorisent la solidarité. La commission y sera, elle aussi, attentive.
Pourriez-vous, sur ce sujet, nous donner lessentiel des mesures que vous comptez prendre pour faire reculer ce fléau ?
M. Bernard KOUCHNER : La comptabilisation du nombre de tentatives de suicide est délicate. Personne ne sait si le chiffre exact est de cent trente mille, cent cinquante mille, voire, daprès certains, cent soixante dix mille tentatives par an, ce qui nous place pratiquement au premier rang mondial.
Nous savons en revanche précisément quil y a douze mille morts par an. Pas seulement des jeunes, mais sept jeunes par jour se suicident en France. Le suicide des personnes âgées est également un problème important qui nous interpelle sur la manière dont nous les prenons en charge.
Que faire ? Je souhaite, de façon très volontariste, et jengage le Gouvernement, mais aussi tous les services administratifs et les professionnels dans ce pari, que le nombre de décès par suicides soit réduit à moins de dix mille en trois ans. Tel est notre objectif. Il est ambitieux et en même temps, au regard des chiffres, insuffisant.
LAngleterre, par exemple, a diminué de moitié, en quelques années, le nombre de suicides, par une action très volontaire de la société civile. En France, nous avons des associations qui fonctionnent très bien et que nous soutenons. Il existe également un certain nombre de lieux dappel que le ministère soutient.
Que pouvons-nous faire de plus ?
Dabord, former les professionnels travaillant en réseaux. Un professionnel seul ne peut suffire dans un quartier. La moitié des suicidés, en particulier les jeunes, ont consulté un médecin dans la semaine précédente. Cela veut donc bien dire que les signes dalerte qui existent, au moins dans la moitié des cas, nont pas été entendus.
Nous sommes pourtant le pays qui consomme le plus de neuroleptiques au monde. La facilité est donc, que lon entende ou non les appels dune personne angoissée, de lui donner des médicaments sans lécouter suffisamment ou, du moins, sans lintroduire dans un réseau de professionnels. Cest la raison pour laquelle il convient de former les médecins à lécoute. Je mengage à ce que, dans la formation médicale continue, laccent soit porté sur la formation à lécoute des personnes en danger.
Ensuite, un suivi doit être assuré. La plupart des tentatives de suicide aboutissent dans un service durgence de médecine générale. Ces personnes y sont parfois, mais pas assez, prises en charge par un psychiatre mais cela prend quelquefois des heures pour le faire venir ; doù la nécessité que les psychiatres soient de garde dans tous les services durgence, et ils ont, pour cela, besoin dune formation. Cependant, même si les adolescents bénéficient dune prise en charge dans les services durgence, ils ne sont pas suivis à leur sortie ou ne le sont que trop rarement. Or cest ce suivi là, sur leur lieu de résidence, qui est essentiel.
Enfin, il existe dautres actions que nous pourrions mener et des stages de formation qui pourraient être initiés à lEcole nationale de santé publique de Rennes. La formation initiale des médecins doit comporter davantage de cours relatifs à la santé mentale, à la psychiatrie en général, et plus dargent doit être distribué aux points découte
on en dénombre actuellement soixante-seize mais cest insuffisant. Lannée prochaine, la grande cause nationale pourrait être consacrée à la prévention du suicide.
Tout cela devrait, je lespère, aboutir à la diminution des suicides à moins de dix mille par an dans trois ans.
M. Pierre CARASSUS : Parmi les risques auxquels sont exposés les enfants, il y a la drogue. Le ministère a-t-il des estimations qui nous permettraient dapprécier à partir de quel âge les enfants consomment de la drogue ?
En outre, le ministère impulse-t-il une politique particulière, tant en matière de prévention que de soins, pour la petite enfance ?
Mme Christine BOUTIN : M. le secrétaire dEtat, vous est-il possible de nous dire quelles sont les causes des suicides de jeunes ? Connaissons-nous réellement les raisons pour lesquelles ces jeunes se suicident ? Par ailleurs, avez-vous des statistiques concernant lâge des personnes et notamment des jeunes qui se suicident ?
Jai eu connaissance de la publication dun certain nombre de livres qui donnent, de façon précise, les cocktails qui permettent de se suicider. Depuis des années, je me bats pour que ce type de livres ne soit pas vendu de façon aussi libre, mais jai échoué. Avez-vous les moyens de faire cesser ces ventes et disposez-vous dinformations à ce sujet ?
Sagissant de la drogue, je serais également intéressée de savoir à partir de quel âge il y a consommation ?
M. le Président : M. le secrétaire dEtat, si vous ne disposez pas de certains chiffres aujourdhui, ce que je comprends très bien, vous pourrez nous les communiquer ultérieurement.
Mme Bernadette ISAAC-SIBILLE : Je vous ai entendu avec beaucoup démotion, M. le secrétaire dEtat, parler de la famille, cellule essentielle dans notre société. Quel type de famille visez-vous car de nombreuses familles sont éclatées ?
Des questions ont été posées sur la drogue, mais il ne faudrait pas oublier le problème de lalcool et notamment de la combinaison drogue/alcool. Dans quel projet de loi le Gouvernement va-t-il prendre en compte cette consommation de drogue et dalcool ?
Le problème est grave, car si les cafés respectent la législation sur la vente dalcool interdite aux mineurs, certaines épiceries ouvertes 23 heures sur 24 vendent de lalcool aux jeunes. Ne faudrait-il pas légiférer sur la vente de lalcool aux mineurs afin déviter certaines dérives et tout ce qui fait perdre son contrôle à cette jeunesse qui attend des cadres dans lesquels grandir ?
M. Bernard KOUCHNER : En ce qui concerne lâge auquel se commettent les premières tentatives de suicide, jétais à Caen en début de semaine au service des urgences où une jeune femme de dix-sept ans était hospitalisée pour une tentative de suicide. La jeune psychiatre qui était présente ma indiqué quil y avait mille trois cents tentatives de suicides par an à Caen, et que la plus jeune avait neuf ans.
Lenquête du Comité français déducation pour la santé précise que 13 % des candidats au suicide ont entre quinze et dix-neuf ans, 4 % étant passés à lacte. Sur les douze mille décès, environ un tiers sont des jeunes de moins de vingt-cinq ans. Une enquête téléphonique est actuellement menée sur quatre mille personnes, par le Comité français déducation pour la santé ; je vous communiquerai les résultats pour la journée nationale contre le suicide, mais il est clair que lâge moyen sabaisse.
En ce qui concerne la drogue, je distinguerai dabord les drogues légales des drogues illégales.
Pour les drogues légales en majorité le tabac et lalcool la consommation de tabac saccroît chez les jeunes. Cest la raison pour laquelle nous avons augmenté le prix des cigarettes ainsi que celui du tabac à rouler qui est fortement chargé en nicotine ; en effet, laugmentation du prix des cigarettes se traduit immédiatement par une baisse de la consommation, en particulier chez les jeunes même si ensuite certains sadaptent à la nouvelle situation.
La publicité sur le tabac est très encadrée en France nous navons fait aucune entorse à la loi Evin, même pas et je dirai surtout pas pour la Coupe du monde , ce qui nest pas le cas dans le reste du monde où la publicité pour le tabac est directement dirigée vers les jeunes, avec des effets spectaculaires sur la consommation.
Soixante mille personnes meurent directement à cause du tabac dans notre pays tous les ans ; et je ne parle pas des pathologies associées. Et avec lalcool il sagit souvent dimprégnation que lon appelle alcoolo-tabagique le chiffre monte à cent mille, voire à cent vingt mille décès annuels.
La consommation dalcool chez les jeunes est théoriquement interdite et dans tous les débits de boissons se trouve laffiche reproduisant la loi sur la répression de livresse publique. On peut se demander sil faut légiférer de façon plus draconienne. Je ne sais pas si cest la solution ; personnellement je ne le crois pas, je crois beaucoup plus à linformation et à la formation.
Nous avons également constaté que les jeunes consommaient des prémix, ces nouvelles boissons agréables et sucrées, mais contenant de lalcool, qui font des ravages parmi la jeunesse, parce que leur prix est faible. De la même manière, la consommation de bière a augmenté chez les jeunes, parce que le prix est plus faible que celui des vins ou dautres alcools.
Sagissant des drogues illégales, je ne les citerai pas toutes. Simplement, lon constate que de nouvelles drogues apparaissent autour de lecstasy et de nouveaux anesthésiques en provenance du monde vétérinaire ; cest surtout le mélange de toutes ces substances qui est dommageable. Les polytoxicomanies auxquelles on assiste nous laissent souvent assez désarmés.
Les derniers chiffres précisent que les drogues dites douces, telles que le cannabis, sont consommées par sept millions de français une fois dans leur vie, et par trois millions de personnes de façon régulière.
Les drogues dures, notamment lhéroïne, sont consommées par cent cinquante mille à deux cent mille personnes par voie intraveineuse il y a, bien entendu, une part de mystère, puisque tout cela est illégal.
Y a-t-il une politique dans notre pays ? Oui, il y en a une, que jaimerais dailleurs bien faire évoluer, car elle me paraît, pour une part, relativement inefficace.
Il y a un projet triennal de la MILT la Mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie qui se décline en termes de prévention, dinformation et de prise en charge. Les crédits sont importants, ils sont cette année, en augmentation de 3,2 %, sélevant à sept cent dix-sept millions de francs auxquels sajoute un autre crédit de soixante huit millions de francs pour 1998. Les propositions faites par un certain nombre de ministères sont reprises et nous souhaitons développer la prévention à lencontre des nouvelles drogues en particulier de lecstasy, qui nous laisse dans une situation désarmante sur le plan médical et la prise en charge des polyintoxications mélange médicament/alcool qui sont très dangereuses en termes de santé publique et de sécurité routière.
Nous ne savons pas pour linstant détecter sauf examens qui seront dailleurs demandés plus fréquemment dans le cadre de la nouvelle loi qui est à létude les substances toxiques absorbées. En cas daccident grave, on sintéresse à lalcool, mais il faudrait également sintéresser aux prises médicamenteuses et pas seulement de drogues illégales. Une triste affaire récente nous a prouvé que le mélange de neuroleptiques
dix-huit millions de boites vendues par mois en France et dalcool entraîne des conséquences dommageables sur la conduite.
Nous allons dailleurs mettre des " pictogrammes " sur les boites de médicaments pour signifier que, en cas de prise de certains médicaments, on devrait sabstenir de conduire.
En ce qui concerne le suicide, il est très difficile den déterminer les causes. Je ne parlerai pas des explications métaphysiques, philosophiques, qui sont à lorigine de bien des suicides. Il existe une interrogation dadolescents dont on sait quelle a un caractère traditionnel ; le passage de la puberté à lâge adulte est un passage difficile, qui saccompagne dinterrogations dont nous connaissons la profondeur et le danger.
Il y a aussi les situations sociales. Personne nest arrivé à évaluer, de façon précise, les conséquences de la pauvreté sur les suicides. Cependant, il est certain quelles existent. Les situations de misère sociale entraînent du désespoir. Nous avons cependant limpression, et il faudra affiner ces chiffres, que seulement un tiers des tentatives de suicide peuvent être rattachées à la situation sociale des intéressés.
Il sagit, en majorité, de drames familiaux ou sentimentaux. Et il y a aussi, il ne faut pas loublier, même si cela concerne peu de cas, un substrat de pathologies mentales. Il est nécessaire que la psychiatrie prenne en charge les dépressions graves, les psychoses maniaco-dépressives, les névroses, etc.
En France, on refuse beaucoup trop cette explication, et laccès au psychiatre en est plus difficile. Or dans la difficulté, il faut se faire assister. Cette demande que les médecins nentendent pas, parce quils nont pas été suffisamment éduqués dans ce domaine, est le signe de ce rejet de notre société. On ne parle pas de ces choses négligées dans les études médicales, ce sont encore de réels tabous. Les signaux dappel qui vont jusquà des phases du type " je veux en finir ", " jen ai assez de la vie " doivent être pris au sérieux. Chacun a dans son entourage moi compris des amis ou des proches qui nous ont fait signe et que nous navons pas entendus à ce moment-là.
Ce réseau, que jappelle de mes voeux, entre lhôpital et la ville, entre les psychiatres et les médecins généralistes, entre les psychologues, les infirmières et les associations qui ont un rôle considérable dans le changement des mentalités, est essentiel à construire.
A propos de la famille, la préparation de la conférence de juin 1998 est confiée à Mme Gillot, député du Val-dOise, et trois groupes de travail seront mis en place : le premier, sur les aspects financiers, est confié à M. Thelot, le deuxième, sur lenvironnement de la famille, la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale et laccueil des enfants, à Mme André et le troisième, sur le statut de la famille, à Mme Théry. Le rapport sera disponible vers le mois de mai.
Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : M. le secrétaire dEtat, quelle politique entendez-vous mener en faveur de lenfance handicapée, notamment des cérébro-moteurs ?
M. Gaëtan GORCE : Quelle appréciation portez-vous sur la densité, lefficacité et la qualité des structures daccueil pour les enfants qui sont retirés à la garde familiale ?
Comment évaluez-vous les actions des services de PMI, notamment laction quils peuvent conduire en relation avec le service de promotion de la santé de léducation nationale ? On sait quil y a là un problème de coordination et on évoque notamment la difficulté dassurer les bilans de santé dans les écoles maternelles.
Quel jugement portez-vous sur un système qui concilie décentralisation et intervention des services de lEtat ?
Mme Dominique GILLOT : M. le Président, je ne voudrais pas engager la discussion sur la définition du modèle de la famille qui fera lobjet dune exploration collective, simplement je souhaiterais compléter le propos de M. Kouchner sur la nécessaire formation des professionnels à lécoute de lenfance en difficulté.
Nous sommes très attentifs aux enfants, aux jeunes qui expriment par la violence ou par des conduites extrêmement significatives leur désespoir lié à des conditions de vie. Mais il en existe dautres qui souffrent aussi beaucoup et qui ont des conduites équivalentes à celles du suicide, cest-à-dire qui seffacent complètement, qui nexistent plus et qui ne participent pas du tout à linterpellation des partenaires concernés. Or nous devons également être très attentifs à ce type de comportement.
Un enfant trop sage, trop effacé, trop refermé sur lui-même doit poser autant de questions quun enfant qui manifeste des comportements violents, car cest le même type de négation de lidée quil se fait de son existence, du prix que représente sa vie pour lensemble de la société.
La semaine dernière, Mme Ségolène Royal nous parlait de la nécessité de relancer un travail de définition de lieux découte, de liens entre lécole, les collèges et les parents ; or il me semble important dapprofondir cette piste pour avoir des lieux de dialogue, de guidance parentale de façon à permettre aux parents et aux personnes qui soccupent des enfants dêtre à lécoute de tous les comportements qui doivent nous alerter.
M. Bernard KOUCHNER : M. le Président, le temps métant compté, je vous enverrai mes réponses par écrit en ce qui concerne les questions précises de Mme Benayoun-Nakache et M. Gorce. Cela dit, le renforcement des places de CAT est déjà une réponse.
Lexpression qui consiste à définir le suicide par leffacement pour exister est terrible ! Cest ce que Mme Gillot vient de dire : il y a en effet des enfants qui présentent une attitude de repli, de retrait. Mais qui écoute tout cela ? Limportant cest que la famille, les structures de lEtat, déconcentrées ou non, la médecine scolaire, les éducateurs, repèrent ces signes de détresse, de tension chez lenfant. Or les circuits sont coupés les uns des autres ; cest ce qui me semble le plus dangereux.
Nous essayons, avec Mme Ségolène Royal et M. Claude Allègre, de développer cette médecine scolaire ; cest très difficile, mais cest indispensable et nous avons la volonté daméliorer une situation qui nest pas satisfaisante.
Pour le reste de lécoute, jai le sentiment que, dans notre société cloisonnée, on sécoute de moins en moins ; il y a de la communication, mais pas de paroles échangées. Les sociétés que lon a qualifiées de primitives pendant un certain temps sont beaucoup plus à lécoute de ces dangers-là que nous ; les solidarités familiale, fraternelle, clanique, villageoise y existent, alors quelles ont disparu chez nous.
Je vous remercie.
Audition de Mmes Carole BOUQUET,
Porte-parole de " La voix de lenfant ",
Martine BROUSSE, Directrice,
Catherine LARDON-GALEOTE, Avocate,
et du Docteur Georges BANGEMANN, Pédiatre praticien au CHU de Nîmes(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Mesdames Carole Bouquet, Martine Brousse, Catherine Lardon-Galéote, et le docteur Georges Bangemann sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, Mmes Carole Bouquet, Martine Brousse, Catherine Lardon-Galéote et le docteur Georges Bangemann prêtent serment.
Mme Carole BOUQUET : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, il y a un an et demi, sur mon initiative, a été créé un groupe de travail pluridisciplinaire formé de magistrats, davocats, de représentants de léducation nationale, de policiers, de membres dassociation et de médecins. Il ma semblé évident, afin daméliorer la protection de lenfance en France, quil fallait travailler ensemble.
La parole de lenfant a été favorisée depuis quelques années, mais, dans le meilleur des cas, nous nen faisons presque rien et, dans le pire des cas, elle est rejetée. Lenfant est victime et il na pas le droit à la présomption dinnocence. Il va devoir subir un chemin de croix pour essayer de faire entendre sa souffrance.
Le respect des droits des enfants aujourdhui est la seule garantie du respect des droits de lhomme de demain. Cest une certitude pour moi, et cest pour cette raison que nous sommes là.
Mme Catherine LARDON-GALEOTE : M. le Président, je ferai trois constats.
Nous avons la chance, nous avocats, davoir la possibilité dentendre les enfants. Nous sommes un peu privilégiés, en ce sens que les enfants peuvent nous rencontrer amenés soit par des parents, soit par des associations en toute liberté, cest-à-dire sans quils soient plaignants comme dans un commissariat, une gendarmerie ou chez un médecin.
Or cette chance dentendre les enfants dans ces conditions nest pas donnée à ceux qui vont avoir à prendre une décision dautorité je pense là en particulier aux magistrats en ce qui concerne leur avenir ou leur plainte, à partir du moment où ils ont été victimes.
On constate depuis des années que la parole dun enfant nest pas un élément de preuve, dans 80 % des affaires. Lorsquun enfant se plaint de violences sexuelles car lorsquil sagit de violences physiques visibles, on le croit, fort heureusement il nest pas cru et sa parole nest en rien, dans le procès judiciaire, considérée comme un élément de preuve, notamment par les magistrats.
Je constate, dans toutes les affaires que nous avons à traiter, quau niveau de la gendarmerie ou de la police, où le travail effectué est considérable, la plainte de lenfant est prise en compte, alors que, sauf exception, au niveau des parquets, des juges dinstruction, voire des juges pour enfants, il existe une suspicion sur les faits dont ils se plaignent. Cette suspicion est augmentée si la personne mise en cause est lun des parents, et en particulier le père.
Il est vrai que nous craignons de tomber dans la psychose comme en Amérique où lon a pu constater une augmentation des affaires et des plaintes des enfants, notamment dans des couples dissociés.
Actuellement, il est navrant de constater que lorsquun enfant a envie, a besoin de parler à un juge pour enfants et que, par malheur, ses parents sont en situation de rupture, il y a un a priori systématique contre la parole de lenfant qui consiste à condérer quil ment ou quil est manipulé, le plus souvent par la mère. Cela nest pas admissible, car il faut avant tout pouvoir recueillir la parole de lenfant pour que, éventuellement, la justice puisse se faire.
Il ne faut pas tomber dans ce travers, car sous prétexte de fausses allégations
possibles, mais rares, il faut bien le reconnaître des procédures, des enquêtes ou des instructions naboutissent pas.
Par ailleurs, il est choquant, compte tenu de ce que nous vivons dans les cabinets spécialisés des associations, dentendre dire, de la part de personnes ayant autorité, que, par exemple, la prostitution enfantine en France nexiste pas. Si lon entend de tels propos de la part de personnes qui sont chargées des enquêtes et qui savent pertinemment que cela existe, cest parce que lon a envie de rassurer la population.
Or lon obtient des conséquences inverses : de plus en plus denfants se plaignent, de plus en plus daffaires sont ouvertes, de plus en plus de personnes, de parents sont au courant que des enfants risquent ou ont subi des agressions sexuelles viols, prostitution. Je pense que nous allons à contre-courant et quun jour, en France, une bombe risque dexploser, des affaires vont éclater parce que rien naura été fait avant.
Nous ne devons donc pas rassurer à bon compte, il existe des situations dramatiques en France. Nous devons, au contraire, dire au public que ces situations existent, mais que nous faisons tout pour enrayer ce fléau.
M. Georges BANGEMANN : Je ne reprendrai pas le problème de lenfance maltraitée dans son ensemble, mais il faut savoir quil y a quinze ans environ six cents à sept cents décès denfants étaient imputables à des mauvais traitements infligés par les parents ; aujourdhui, les chiffres sont les mêmes ! Si nous avons fait un certain nombre de progrès, ceux-ci ne sont pas suffisamment sensibles pour un médecin denfants comme moi.
Par ailleurs, il existe un certain nombre de déficits qui pourraient être corrigés très simplement. Il existe, tout dabord, un déficit au niveau médical ; il y a, dans ce domaine, une énorme difficulté de mobilisation des plus grandes compétences, un énorme déficit de communication entre médecins, travailleurs sociaux et magistrats, cest-à-dire un déficit de confiance : on ne travaille pas en équipe. Or ce sont les enfants qui payent cette addition.
Il y a là des problèmes de territoire, de compétence, que nous devrions être capables de balayer dune manière assez pratique. Jessayerai de vous dire comment cela pourrait être fait.
Il existe dans ce que lon appelle la société civile, un nombre important de personnes qui sont prêtes à se mobiliser pour aider les enfants en grande difficulté ou en danger. Mais il se trouve quelles sont découragées, car en pratique la loi leur interdit de se mobiliser.
Cela est regrettable, car ce dont les enfants ont besoin, cest précisément cette société civile qui est en mesure de le leur apporter. Lorsquun enfant est soumis à des sévices importants et que le magistrat prend une ordonnance de placement provisoire pour assurer sa sécurité physique, cest sa sécurité psychique qui, à ce moment-là, nest plus assurée.
Cet enfant est placé dans un établissement. Or les enfants ont impérativement besoin de recevoir tous les jours une " ration " affective individuelle qui leur est donnée de telle sorte que pour eux les choses soient claires. Cest-à-dire que chaque enfant doit avoir en face de lui un adulte dont il sait quil compte pour lui : " quand je suis absent, cet adulte est malheureux, quand je suis présent, il est heureux ; je suis important pour lui ".
Or on ne trouve pas dans les institutions, où il y a nécessairement des règles de travail, ce type de relation sans laquelle lenfant présente tôt dans la vie des carences affectives majeures qui expliqueront par la suite la tragédie de son exclusion sociale et de ses échecs.
Nous pouvons, sans risque important, mobiliser la société civile et favoriser les formes familiales, bénévoles, de prises en charge des enfants gravement maltraités, pour que ceux-ci aient une deuxième chance.
Mme Martine BROUSSE : En tant que directrice dune fédération dassociations, je soulignerais trois points.
Premièrement, la société civile doit mener des actions complémentaires de soutien et dappui à tout ce qui est mis en uvre par les institutions et les pouvoirs publics. Nous jouons aujourdhui un rôle de sapeurs-pompiers : nous accueillons au quotidien des enfants, des familles. Cest dans ce sens que nous avons, sur linitiative de Mme Carole Bouquet, mis en place ce groupe pluridisciplinaire.
Deuxièmement, ce groupe a fait le constat de nombreux dysfonctionnements, non pas en ce qui concerne la législation la France est sans doute lun des pays au monde qui a la meilleure législation de protection de lenfance , mais les moyens dapplication. En effet, nous disposons de très peu de moyens dapplication correspondant aux besoins de ces enfants victimes de mauvais traitements.
Troisièmement, nous devons avoir une approche différente de ces enfants victimes. Ils sont, avant dêtre des enfants plaignants, des enfants souffrants. Nous avons formulé des propositions que nous avons soumises aux différents ministres Mme Aubry et M. Kouchner, Mme Ségolène Royal, Mme Guigou, M. Chevènement et M. Richard pour la gendarmerie afin de créer des lieux, des permanences daccueil durgence où les enfants seraient accueillis en tant que victimes, en tant quenfants souffrants, et non pas au commissariat de police ou à la gendarmerie en tant que plaignants.
Nous souhaitons que la parole de lenfant ne soit pas seulement entendue, mais également crue et portée par des adultes qui ont lautorité et les moyens de la protéger.
M. François BAROIN : Mme Lardon-Galéote, jai été très frappé par votre intervention, car elle suppose quune loi du silence est établie en France autour des drames que vivent les enfants.
Qui en porte la responsabilité ? Les médias, qui ne relaient pas ? Les structures, qui ne sont pas suffisamment dénoncées ? Y a-t-il des protections ?
Les associations telles que la vôtre, représentées par des personnalités éminentes, ne suffisent-elles pas à mettre en lumière tout ce qui se passe ? Quelle est la faille du système et de quelle manière, selon vous, pourrait-on y remédier ?
Mme Raymonde LE TEXIER : Tout dabord, Mme Brousse, je ne situe pas votre association, je souhaiterais donc que vous nous en disiez un peu plus.
Ensuite, Mme Lardon-Galéote, lorsque vous dites que les enfants peuvent venir vous voir librement accompagnés par leurs parents ou par une association, parlez-vous de vous en tant quavocate dans cette association ?
Par ailleurs, je vous trouve personnellement un peu catégorique lorsque vous dites que la parole de lenfant sagissant notamment dagressions sexuelles nest pas entendue, notamment par les magistrats. Je connais des magistrats dont le principe de départ, lorsquils entendent un enfant, est de lui dire " moi je te crois ", et de protéger immédiatement lenfant, allant jusquà le retirer de sa famille le jour même.
Enfin, Docteur Bangemann, je ne sais pas si jai bien compris vos propos : vous mettez en cause linstitution dans laquelle lenfant est placé parce que, selon vous, il est impossible, compte tenu du fonctionnement de ces institutions, que lenfant reçoive sa dose quotidienne daffection. Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites. Mais vous ajoutez quune réponse de la société civile est meilleure quune prise en charge institutionnelle. Or je pense que le placement dans une famille, aussi généreuse soit-elle, nest pas la panacée, et que lon trouve également de la maltraitance dans les familles accueillantes. Je ne suis donc pas sûre quil y ait de solution toute faite.
M. le Président : Mme Le Texier, vous devez disposer des éléments concernant cette association que nous naurions pas invitée si elle nétait pas représentative.
Mme Brousse vous pourrez nous communiquer des notes écrites sur les sujets que lon naura pas eu le temps daborder ou pour répondre de façon plus approfondie à toutes ces questions.
Mme Claudine LEDOUX : Vous avez, Mme Lardon-Galéote, parlé du problème de la prostitution enfantine en France : quelle est lampleur de ce problème et quelles sont vos propositions pour enrayer ce fléau ?
Mme Christine BOUTIN : Personnellement, je suis très attachée à la place des pères dans une famille. Or je suis un peu étonnée par les propos de Mme Lardon-Galéote qui affirme que les allégations des enfants sont plus souvent exactes que fausses. Vous fondez-vous sur des statistiques pour affirmer cela ?
Par ailleurs, quelle est votre vision de la place des pères dans les difficultés familiales ?
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Mme Bouquet a commencé cette audition en soulignant la volonté de travailler ensemble. Or il y a déjà un grand nombre dacteurs qui soccupent du problème de la maltraitance.
Avez-vous le souci de travailler ensemble au-delà de votre propre réseau, cest-à-dire avec les autres acteurs ?
Mme Martine BROUSSE : Notre souci, puisque nous sommes une fédération qui regroupe quarante-sept associations, est de travailler et de renforcer les liens entre les différents intervenants sur le terrain.
Le souci de Mme Bouquet a été de réunir des professionnels venant dhorizons différents et nétant pas forcément des militants de la vie associative , des médecins, des magistrats, des avocats, des enseignants et des travailleurs sociaux.
Par ailleurs, nous sommes en relation constante avec dautres organisations, dautres associations, mais aussi avec les pouvoirs publics, pour enrichir par nos expériences et par les compétences des uns et des autres les réflexions à mener pour arriver à de réelles solutions.
Enfin, jajouterai que " La voix de lenfant " est présidée par le bâtonnier Pettiti, juge à la Cour européenne des droits de lhomme.
Je laisse la parole à Carole Bouquet, afin quelle nous dise quelques mots sur la crédibilité de la parole de lenfant.
Mme Carole BOUQUET : Non, je ne suis quun porte-parole, un saltimbanque qui favorise la parole des magistrats, des avocats, des médecins et je ne souhaite pas prendre leur place.
Mme Catherine LARDON-GALEOTE : Mme Le Texier, les enfants " viennent à moi ", mais également vers dautres avocats, parce que je suis connue comme avocat denfants spécialisée dans la protection de la famille et de lenfance, à la fois dans lassociation et en tant quavocat exerçant en libéral.
Sagissant de la place des pères, elle est tout à fait nécessaire dans lévolution familiale. Ce que je constate au quotidien, devant les juridictions, cest un a priori. Lorsque nous venons interpeller certains magistrats je ne vous parle là que de ce qui fait problème et quil ne faut pas généraliser à tous les magistrats , on nous renvoie systématiquement cette réponse : " Attention, cet enfant qui se plaint est dans une situation familiale où les parents sont en rupture ". Il y a un a priori systématique pour penser que cet enfant agit de cette façon simplement pour faire plaisir à la maman.
Sagissant de la prostitution enfantine, jai en mémoire une intervention de Mme Tricar, de la brigade de protection des mineurs avec qui nous travaillons , disant, après les événements belges : " En France, ce nest pas cela, il y a, certes, des situations sporadiques, mais nous navons pas à faire au même type dorganisations, de réseaux ". Dans le même temps, nous étions saisis, à la fédération, dun dossier où un petit enfant avait été prostitué entre lâge de sept et huit ans, après avoir été racolé par une organisation de proxénètes place Notre-Dame.
On ne peut pas dire au public que de tels événements nexistent pas en France, alors quils existent et que des personnes compétentes font un excellent travail pour lutter contre ces situations terribles.
En ce qui concerne les statistiques relatives aux allégations des enfants vraies ou fausses je nen connais pas. Il y a là un travail à organiser.
M. Baroin, oui, la loi du silence existe. Nous sortons dun procès dont vous avez sans doute entendu parler mettant en cause lhôpital du Kremlin-Bicêtre. Linstruction a duré quatre ans ! Les parents ont subi des pressions pour ne pas porter plainte, pour que laffaire soit réglée au sein de linstitution. Il y a un tel consensus que les plaignants se sentent presque coupables davoir à porter plainte !
La parole dun enfant na pas de poids par rapport à celle dun adulte. Imaginez la parole dun enfant face à une institution qui sautoprotège ! En matière de pédophilie, lon sait que les pédophiles se trouvent dans toutes les classes sociales ; alors imaginez la parole dun enfant de sept ou huit ans face à un homme ayant une responsabilité publique ou institutionnelle !
Cette loi du silence, cette protection est-elle calculée ? Non, je crois que lorsquun enfant se plaint davoir subi de son instituteur, dun maire ou dun médecin, des violences sexuelles, on ne veut pas le croire la parole dun enfant a encore moins de valeur en présence dune personne titulaire dune autorité.
M. Georges BANGEMANN : Kempe est probablement le pédiatre américain qui a joué le rôle majeur dans les années 1960/1970 ; il a été à lorigine de la campagne qui, aux Etats-Unis, a permis de mesurer lampleur du drame de lenfance maltraitée. Il disait quen matière dabus sexuels les enfants ne mentaient jamais.
Ce nest sans doute quune phrase lapidaire et abusive et il y a naturellement des phénomènes particuliers, il y a des enfants sous influence et des enfants affabulateurs. Il est clair que, pour un neuropsychiatre, les choses sont relativement simples, car les enfants victimes dabus sexuels sont dans une souffrance terrible lorsquil sagit de parler de ce qui leur arrive. Les enfants affabulateurs, quant à eux, sont dans un rôle, un spectacle dont ils sont les personnages principaux.
Sur le plan psychologique, ils sont exactement à lopposé lun de lautre. Nous devons tenter de nous mettre à la place de lenfant qui a été victime dabus sexuels ; prenons lexemple le plus courant, labus sexuel intrafamilial.
Tout dabord, si labus sexuel a eu lieu, cest parce que lenfant na pas pu parler à sa mère. Il na pas pu éveiller sa méfiance et elle na pas pu intervenir et le protéger. Ensuite, cet enfant qui est victime de chantage affectif, est pris dans un système où le moteur même de laction de celui qui va en abuser son père est de le culpabiliser : " tu te conduis mal en me séduisant ". Voilà comment cela fonctionne. Et cest la raison pour laquelle les enfants se sentent isolés et cherchent des appuis.
On comprend mieux maintenant pourquoi des enfants sans problèmes apparents commencent à dire des grossièretés à leur institutrice ou à des personnes de leur environnement ; cest une façon maladroite pour un enfant de tâter le terrain.
Tout cela pour vous dire que lorsque la situation est devenue intenable, par exemple parce que le père sattaque à sa jeune soeur, lenfant craque, va être en rupture psychologique et avouer. Et là, dans une telle situation, seuls les médecins habitués comprendront son " délire ", qui est bien souvent fort mal interprété.
Il est donc indispensable de saisir la parole de lenfant le plus tôt possible, et de la faire saisir par les personnes dont cest le métier, car cest une véritable prise dempreintes affective. Bien souvent lorsque le psychiatre arrive, lenfant a déjà subi quatre ou cinq interrogatoires ; la situation est alors extrêmement difficile à démêler.
Il y a donc, pour nous, un devoir de technicité et surtout dautorisation de cette technicité.
M. le Président : Mesdames, monsieur, je vous remercie davoir pris sur votre temps pour venir ce matin, et vous félicite de votre travail.
Audition de MM. Jean-Jacques ANDRIEUX,
Directeur général de lAssociation française pour
la sauvegarde de lenfance et de ladolescence (AFSEA),
Michel FRANZA, Directeur adjoint
et de Mme Dorothée DUFOUR,
Directrice de lunité éducative de la Sauvegarde du Nord(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Messieurs Jean-Jacques Andrieux et Michel Franza et Madame Dorothée Dufour sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Jean-Jacques Andrieux, Michel Franza et Mme Dorothée Dufour prêtent serment.
M. Jean-Jacques ANDRIEUX : Pour traiter le thème des droits de lenfant et de sa place dans la cité, nous avons pris le parti de sélectionner trois points importants pour vous faire part des préoccupations qui sont les nôtres, laissant à votre initiative la possibilité de développer tel ou tel sujet.
LAssociation française pour la sauvegarde de lenfance et de ladolescence est lunion nationale de cent vingt trois associations départementales ou locales qui sont les Sauvegardes de lenfance ; elle rassemble environ dix mille bénévoles et vingt-cinq mille professionnels de léducation spécialisée, en particulier, et soccupe denviron deux cent cinquante mille enfants, adolescents et jeunes adultes.
Nous prenons en charge aussi bien lenfant maltraité que lenfant ayant des difficultés de comportements ou lenfant inadapté mental, ainsi que des adolescents et des jeunes majeurs délinquants. Depuis un certain nombre dannées, du fait du développement de la crise, nos associations ont eu à sengager dans des dispositifs dinsertion et plus globalement dans des actions auprès des familles, puisque généralement lorsquun enfant leur est confié, par ordonnance dun magistrat dans le cadre de larticle 375 du Code civil relatif à lenfance en danger , on découvre des difficultés familiales.
Je parlerai tout dabord de lenfance maltraitée, puis, de la notion de " construction du citoyen " et, enfin, de lenvironnement éducatif.
Premièrement, lenfance maltraitée.
Le problème de fond a quelque peu été altéré par la médiatisation extrême que nous vivons depuis 1997 cest-à-dire depuis laffaire Dutroux. De ce fait, la lecture que lon peut avoir de ce problème est focalisé sur un certain nombre de situations.
Nous vous rappelons que 75 % des cas de maltraitance sexuelle sont des situations familiales. On ne peut donc pas résumer la maltraitance sexuelle aux affaires dramatiques que lactualité nous livre. Il sagit dun fait : dans tout groupe social, il y a une possibilité de déviance, de dérapage, mais il sagit dun problème beaucoup plus vaste car il touche un milieu fragile, la famille ; il ne doit donc pas être traité de façon médiatique ou sur la place publique.
Les violences sexuelles en famille ne se traduisent pas toujours par des actes violents. Elles ont toujours existé et nous espérons quelles existeront de moins en moins. Depuis une quinzaine dannées, nous avons fait des progrès en ce qui concerne la prévention de ces violences et leur traitement rapide.
A la suite dexpériences réalisées dans des départements avec des Sauvegardes de lenfance, on a vu se mettre en place le téléphone vert, cest-à-dire la possibilité de signaler une situation paraissant préoccupante. On a ainsi repoussé le tabou qui existait, justement parce quil sagissait essentiellement de situations familiales. Or, si lon repousse les tabous, si lon favorise le signalement, on a ensuite affaire à des personnes compétentes.
Jentends dire parfois que rien nest fait en faveur des enfants maltraités. Nos établissements accueillent environ dix-huit mille enfants qui sont en cours de " réparation " ; je ne nie pas le fait que dans un certain nombre de cas le dispositif na pas marché, mais il faut savoir que les magistrats, les médecins, les enseignants sont de plus en plus souvent entendus lorsquils soupçonnent une difficulté.
Nous sommes largement intervenus au cours de la dernière année et nous avons relevé trois points essentiels.
Le premier, cest la rapidité et la cohérence de la réponse judiciaire et sociale. La rapidité, cest dabord faire en sorte que les affaires ne traînent pas et soient prises en compte, non pas dans limmédiateté, mais dans un délai suffisamment court pour que lon ne multiplie pas les auditions, afin déviter les résurgences de traumatisme chez lenfant. Par ailleurs, la sanction doit être rapide et visible, car il convient également de penser à la famille.
La cohérence, cest se rappeler quil ne faut pas se tromper de victime. Nous sommes attentifs à toutes les idées que lon peut avoir pour le traitement des délinquants sexuels, mais il ne faut jamais oublier que, dans ce cas en particulier, la victime est un enfant, donc extrêmement fragile.
Jai traité une affaire dans laquelle le père avait abusé de son enfant handicapé vers lâge de sept ou huit ans. Le père a été condamné à dix-huit ans de réclusion, mais a bénéficié dune remise de peine pour bonne conduite au bout de cinq ou six ans. Or ce dernier, à sa sortie de prison, a décidé de rentrer chez lui, tout simplement ! Ce fut un drame pour la mère et les enfants encore mineurs. Il ne faut donc pas se tromper de victime.
Deuxième point, lintervention thérapeutique et sociale auprès du mineur et de la famille. Il sagit dun domaine où un effort est à faire. Pour les enfants placés dans nos établissements ou dans des familles daccueil - qui se trouvent donc dans des situations particulièrement difficiles , on peut dire que laction est en route. Cependant, il peut se passer un temps assez long entre la constatation de létat de violence et lintervention thérapeutique. Celle-ci doit donc être plus rapide, non seulement auprès de lenfant, mais également auprès de ses parents.
Troisième point, il convient de développer un programme de prévention coordonné entre lEtat, les collectivités locales, les associations, lécole et les familles. Lannée dernière, la grande cause nationale a eu le mérite de faire parler du problème et de faire prendre conscience au public que nous sommes tous concernés.
Un certain nombre dinitiatives sont prises, des livres sont publiés, des outils pédagogiques sont proposés aux enseignants, mais il sagit dun sujet suffisamment important pour ne pas attendre que les faits se produisent pour, ensuite, les réparer le mieux possible. Nous pouvons dailleurs être étonnés, lorsquon connaît leur audience à certaines heures de la journée, que les chaînes publiques de télévision ne soient pas aujourdhui plus impliquées dans les actions de prévention.
Enfin, nous sommes favorables à lextension de lexpérience Mélanie, cest-à-dire à lutilisation de la vidéo pour recueillir le témoignage des enfants même si cela pose un certain nombre de problèmes, par exemple en cas de rétractation. Il nous paraît essentiel que lenfant ne subisse pas plusieurs interrogatoires et soit entendu une bonne fois pour toute le témoignage à la barre contre son père est très traumatisant pour lui. Les résurgences du traumatisme subi ne vont pas dans le sens dun appui thérapeutique.
Deuxièmement, construire le citoyen.
Ce qui nous paraît essentiel, lorsque nous parlons des droits de lenfant, cest daider lenfant à devenir citoyen, à acquérir le droit à la responsabilité. Il ne faut pas construire les droits des enfants en face des droits des autres. Nous devons aider ces enfants à devenir des hommes et des femmes capables de prendre des décisions et être responsables de leur destin.
Troisièmement, lenvironnement éducatif.
La France possède un environnement éducatif, social, composé dun grand nombre de dispositifs. Mais notre principal souci est de faire travailler ensemble les différents intervenants ; chaque département ministériel ou intervenant local a son secteur dactivité. Or pour construire les enfants et pour respecter leurs droits, nous devons penser à la notion de référent unique.
Afin dillustrer mon propos concernant la cohérence des interventions sociales, jai demandé à Mme Dorothée Dufour, directrice de lunité éducative de la Sauvegarde du Nord, de venir vous parler dun dispositif mis en place dans cette Sauvegarde, appelé " La boite à mots ".
M. Pierre CARASSUS : Lors de la précédente audition, a été évoqué le problème des enfants victimes de violences que lon plaçait dans des établissements ou des familles daccueil dans lesquels il y aurait, semble-t-il, un grand déficit daffection. Je connais la Sauvegarde de mon département, et je sais que lon y trouve de bons professionnels.
On ne peut sans doute pas remplacer lamour familial, mais partagez-vous ce scepticisme sur vos capacités à donner cette affection aux enfants ?
M. Jean-Jacques ANDRIEUX : Si je partageais ce scepticisme, je vous étonnerais !
Notre association, je vous lai dit, est composée de vingt-cinq mille travailleurs sociaux et deux cent quarante mille à deux cent cinquante mille enfants sont accueillis ; la capacité de donner de laffection est, tout dabord, différente dun être à lautre, mais je crois surtout que la construction des projets éducatifs repose sur une notion essentielle : donner une capacité découte, de la chaleur et de lamour. Il sagit là dune de nos préoccupations essentielles, et nous sommes prêts à vous accueillir dans nos établissements pour que vous constatiez par vous-mêmes que nos travailleurs sociaux sont capables de donner beaucoup damour aux enfants.
Cependant, nous sommes dans une autre logique qui est de restaurer, dès que possible, le lien familial. Il ne faut pas se tromper : il ne faut pas oublier qui est la mère et qui est le père ; or dans le cas des enfants qui nous sont confiés, sauf cas extrêmes de déchéance des droits parentaux, nous avons le souci que la famille conserve toute sa primauté, son rôle éducatif. Nous voulons faire en sorte quil ny ait pas de confusion.
Mme Dorothée DUFOUR : Je souhaiterais, très rapidement, vous donner quelques précisions sur lexpérience que nous menons avec " La boite à mots ", car elle peut nous donner quelques pistes importantes concernant la maltraitance.
Cet outil na pas été créé dans un objectif de prévention de la maltraitance. Il sagit dune intervention au sein des écoles en partenariat avec lInspection académique du Nord. Elle consiste à instaurer une correspondance anonyme et libre entre des enfants et des répondants bénévoles de la société civile.
Les enfants savent quils vont écrire à des répondants quils ne verront jamais
Tom et Betty , mais qui répondront à toutes leurs questions. Ce dispositif a été mis en place à la suite dune action dinsertion dans les écoles en vue de prévenir léchec scolaire. Nous avons constaté quun enfant accaparé par des préoccupations personnelles nest pas disponible pour les acquisitions scolaires. Il nous semblait également important de ne pas stigmatiser les enfants en difficulté, mais de mettre en place un outil qui sadresse à lensemble des enfants.
Tous les mois, les enfants ont donc la possibilité décrire avec laide de facteurs écrivains cela nous permet en même temps de promouvoir lapprentissage de lécriture à des répondants qui, par notre intermédiaire, vont recevoir chez eux un certain nombre de courriers auxquels ils devront répondre.
Le dispositif a été conçu de telle sorte que ces répondants ne sont pas seuls avec ces lettres ; ils se rencontrent tous les mois pour soumettre au groupe leurs propositions de réponses et les faire valider par le groupe. Cette façon de faire entraîne, bien évidemment, de nombreuses questions et de nombreux débats.
Il sagit dun dispositif qui produit des effets à différents niveaux. En ne ciblant pas lobjectif de prévention de la maltraitance, il permet aux enfants décrire en toute liberté. Les enfants sont en recherche de sens, de ce qui est juste et de ce qui ne lest pas, de ce qui est bon et de ce qui nest pas bon.
De nombreuses questions portent sur la violence : la violence dans la cour de lécole, la violence dans leur famille, la violence à la télévision. La réponse des répondants va être la plus ouverte possible au niveau des références éthiques, mais va aussi leur permettre de se situer par rapport à des actes quils jugent répréhensibles.
Bien entendu, nous avons prévu, dans ce système, un filtre par rapport à ce que nous appelons les " lettres alerte ", cest-à-dire les lettres dans lesquelles les enfants expriment expressément une maltraitance les concernant. Dans ce cas de figure, la lettre est traitée par les professionnels avec les services du département chargés du dépistage de la maltraitance.
Cette action nous paraît importante au regard du rapport quelle implique entre une association et un partenaire qui est ici lécole. Lassociation apporte un savoir-faire, un éclairage que lécole ne peut pas donner et un apport dadultes sans intention sur lenfant
nous navons aucune intention éducative ; cela permet une liberté totale.
Elle permet également une mobilisation dadultes, jeunes et moins jeunes, autour de la question de lexercice des droits de lenfant, ainsi quune forme de réconciliation des enfants avec le monde des adultes. Bien souvent, ce monde est perçu comme menaçant, exigeant ou ayant une intention sur lenfant. Cest la raison pour laquelle certains dispositifs de prévention ne fonctionnent pas, les enfants ne faisant pas confiance aux professionnels mis à leur disposition.
Je vous remercie.
M. le Président : Madame, messieurs, je vous remercie et vous félicite pour votre travail.
Audition de Mmes Annie GAUDIERE, Directrice du
Service national daccueil téléphonique pour lenfance maltraitée
(SNATEM - " Allo enfance maltraitée ")
et Soumaïla BEN HASSINE, Coordonnatrice(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS
Mesdames Annie Gaudière et Soumaïla Ben Hassine sont introduites.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mmes Annie Gaudière et Soumaïla Ben Hassine prêtent serment.
Mme Annie GAUDIERE : Je suis directeur du numéro vert " Allo enfance maltraitée " et Mme Ben Hassine occupe le poste de coordonnateur qui, dans notre service, fait le lien entre les Conseils généraux et le numéro vert.
Ce numéro vert " Allo enfance maltraitée ", qui bénéficie dun numéro à trois chiffres le 119 depuis mars 1997, a été mis en place en application de la loi du 10 juillet 1989 qui définissait également le rôle des présidents de Conseils généraux, lesquels devaient, dans leur propre dispositif, mettre en place un système de recueil des mineurs maltraités.
Le principe de ce numéro, financé à part égale par lEtat et les départements, est de participer aux dépistages des situations de maltraitance de mineurs qui seraient passées inaperçues localement et de les renvoyer vers les présidents de Conseils généraux qui procèdent aux évaluations, aux diagnostics et aux traitements et qui mobilisent tous les moyens locaux, que ce soit ceux qui leur sont propres ou ceux qui relèvent soit des associations, soit des services de lEtat. Tel est donc le principe de base.
Cette ligne, qui est ouverte depuis janvier 1990, reçoit actuellement six mille appels par jour parmi lesquels elle ne peut prendre que quatre cent cinquante à six cents, compte tenu du nombre de personnes dont elle dispose et qui sont toutes des professionnels salariés.
Cest un système qui fonctionne 24 heures sur 24, tous les jours de lannée, avec des professionnels, je le répète, et en articulation avec les dispositifs départementaux.
Vous me permettrez de rappeler maintenant brièvement ses missions qui sont lécoute, linformation, le conseil et lorientation, la transmission dinformations recueillies sur les mineurs présumés maltraités aux autorités départementales et létude épidémiologique qui doit permettre de mieux connaître le phénomène de maltraitance en France.
Pour ce qui a trait à la connaissance du phénomène de maltraitance par le biais de ce service, je soulignerai que, de 1992 à 1996, il a permis des actions de prévention et de protection en direction de cent mille enfants dont vingt-trois mille quatre cent quarante ont fait lobjet dune saisine directe dun président dun Conseil général. Cela signifie que, pour ces vingt-trois mille quatre cent quarante enfants, une enquête a été diligentée par les services départementaux en général, elle est menée par plusieurs personnes dont le plus souvent une assistante sociale, un médecin de PMI et parfois un psychologue. Les résultats de cette évaluation font, par la suite, lobjet dune orientation vers lautorité, soit administrative, soit judiciaire.
Majoritairement, les mauvais traitements sont dordre physique et psychologique. Les situations dabus sexuels narrivent pas au premier rang puisquelles représentent 13 % de la maltraitance. Ces mauvais traitements concernent les enfants de tous âges, cependant 44 % dentre eux ont moins de six ans avec un pic pour les tout petits de zéro à trois ans.
En 1996, 50 % des situations que nous avons signalées étaient inconnues des départements. Je vous rappelle quau départ, le principe de ce téléphone était de renvoyer vers les départements les situations qui leur auraient échappé. Or, on se rend compte quactuellement une situation sur deux est inconnue des services départementaux et que ce chiffre est en augmentation constante depuis plusieurs années au début il y avait 30 % des situations qui étaient ignorées contre 50 % aujourdhui ce qui est assez surprenant.
Je pense que la surcharge de travail des professionnels de terrain y est pour quelque chose.
Les auteurs de mauvais traitements appartiennent à la famille proche dans plus de 90 % des cas, selon la répartition suivante : les mères dans 46 % des cas , les pères dans 33 % des cas et les beaux-pères dans 10,8 % des cas. Cest dire que les mauvais traitements sont prioritairement, ou majoritairement, dordre physique et psychologique, et non pas sexuel, et que cest bien la famille qui est le plus souvent à lorigine de ces mauvais traitements.
Les appels dadultes sont, depuis quelques années, en augmentation et révèlent une sensibilité publique et citoyenne plus importante, cest évident.
Les appels denfants restent majoritaires mais permettent rarement une prise en charge des situations. En effet, les enfants qui prennent la parole expriment une souffrance mais ils ne permettent pas daller plus loin dans la prise en charge, car généralement ils souhaitent rester anonymes et protéger leur famille.
Le numéro vert national ne fait donc pas de prise en charge mais du dépistage et il renvoie vers les services locaux.
Aujourdhui, nous recevons six mille appels journaliers et nous en traitons entre quatre cent cinquante à six cents. Nous sommes également abondamment sollicités par des courriers dusagers et sur la ligne administrative, celle du numéro vert étant, cest vrai, très fréquemment encombrée. Ces courriers dusagers nous font part, de plus en plus fréquemment, de situations qui sont déjà traitées, donc qui sont en cours dinstruction ou qui ont été jugées et qui, pour eux, restent insatisfaisantes. Ces cas se multiplient depuis quelque temps. Je veux dire par là quil y aurait des dysfonctionnements institutionnels bien sûr ce sont des personnes qui nous lécrivent qui décevraient les usagers mais sur lesquels nous navons, nous, aucune possibilité de revenir puisquil sagit de situations déjà traitées. Nous ressaisissons donc les autorités départementales et judiciaires en leur expliquant que nous sommes saisis par une personne pour une situation dont nous savons quelles sont informées.
M. le Président : Avant que mes collègues ne prennent la parole, je vous poserai deux petites questions qui me sont suggérées par ce que vous venez de dire.
Dune part, comment ceux qui vous saisissent ont-ils eu connaissance de votre existence ?
Dautre part, puisque vous dites que vous ne pouvez prendre que quatre cent cinquante à six cents appels par jour sur les six mille qui vous sont adressés, quadvient-il des autres ?
Mme Annie GAUDIERE : A votre première question, je répondrai que laffichage du numéro vert national est obligatoire dans tous les lieux recevant des mineurs, ce qui paraît peut-être insuffisant, car à la lecture des événements, on voit que les adultes sont de plus en plus sensibilisés et que nous aurions donc intérêt à toucher les parents le plus tôt possible pour éviter le passage à lacte.
Dans cette optique, nous sommes donc en train de monter une opération avec la RATP et la SNCF qui sont demandeurs pour effectuer ce travail avec nous, afin de sensibiliser davantage les familles et de leur donner une information sur les lieux où ils peuvent aller chercher de laide lorsquils se trouvent en difficulté. Je crois, en effet, quil est très important dintervenir très tôt.
Concernant votre seconde question, je confirme donc que nous prenons entre quatre cent cinquante et six cents appels par jour : cest insuffisant ! Nous avons obtenu, pour 1998, trois millions de francs daugmentation de budget ce qui porte à huit millions sept cent mille francs aussi bien la contribution de lEtat que celle des présidents de Conseils généraux.
Cette augmentation va nous permettre dembaucher du personnel supplémentaire et jai déjà prévu dengager vingt personnes qui seront des professionnels. Nous employons déjà beaucoup de psychologues, de juristes dont Mme Ben Hassine et nous souhaiterions diversifier davantage les compétences en engageant également des travailleurs sociaux mais nous nous heurtons à la difficulté suivante : ces personnels ne peuvent être embauchés pour lécoute quà mi-temps, conformément à une règle que nous nous sommes fixée au départ en raison du caractère éprouvant et fatiguant de cette fonction et de façon à ce quils puissent travailler sur le terrain durant lautre mi-temps.
Ces personnels effectuent donc un mi-temps chez nous et un mi-temps dans une structure de type PMI, consultation psychologique, etc.
Cela revient à dire que ces postes qui laissent beaucoup de liberté intéressent essentiellement des psychologues qui sont beaucoup plus nombreux à faire acte de candidature que les travailleurs sociaux que jaimerais pourtant beaucoup pouvoir intégrer.
Nous sommes donc réellement confrontés à une difficulté de recrutement.
Par ailleurs, nous allons mettre en place un système de " switch board " qui permet deffectuer un tri des appels et qui fonctionne déjà, aussi bien en Grande-Bretagne chez Child line, quen Italie chez Telefono azzuro. En effet tous les appels qui arrivent aujourdhui chez les professionnels ne revêtent pas la même importance, ne présentent pas le même caractère de gravité. Il convient donc de les hiérarchiser et de leur permettre dêtre orientés vers des pools de compétence, cest-à-dire des pools de juristes, des pools de travailleurs sociaux, des pools de psychologues. Il est vrai que tout appel ne doit pas forcément être traité par un psychologue et je crois quil est important de le souligner.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Si vous le permettez, jaimerais revenir sur les chiffres. Celui de six mille appels par jour semble considérable, et comme vous dites que vous nen prenez que cinq cents, on peut se poser la question de ce quil advient des cinq mille cinq cents personnes qui appellent et qui ne reçoivent pas de réponse, voire se demander si le système na pas un effet plus négatif que positif.
Les choses demandent sans doute à être nuancées parce que jimagine que lon doit retrouver ces cinq mille cinq cents appels par la suite, mais je pense quil y a une vraie interrogation sur le fait quun système ne répond quà un petit dixième de la demande...
Vous avez tenté de pallier cet inconvénient par une augmentation de personnel mais existe-t-il dautres solutions qui pourraient être envisagées pour éviter cette espèce de " dysharmonie " entre la finalité du système et le nombre des appels restés sans réponse.
Mme Annie GAUDIERE : Ce service public doit, en effet, être ouvert au plus grand nombre et cela a été mon souci dès le départ.
Nous avons fait réaliser une étude par les Télécom pour savoir combien il y avait de personnes derrière ces appels : six mille appels représentent, en réalité, trois mille personnes puisque nous savons quune même personne appelle en moyenne à deux reprises. Cela signifie que lon y voit déjà un peu plus clair quant au nombre de personnes qui nous sollicitent !
En conséquence, nous savons quil y a environ trois mille personnes qui appellent et le problème se pose un peu dans les même termes que pour les autoroutes : il suffit douvrir une troisième voie pour supprimer les " bouchons " et il est vrai que nous nous sommes rendus compte quil était possible datteindre des performances importantes, à loccasion dopérations exceptionnelles comme celle du 26 mars où nous avions mis, pour une opération médiatique, un plateau très important en place comprenant une première ligne dexcellents standardistes bien formés pour trier les appels et une seconde ligne de professionnels pour répondre aux appels qui donnaient matière à un entretien un peu plus long,.
Je crois donc quil faut augmenter les effectifs, cest évident, mais aussi changer le dispositif et le système ; sur ce point, je me heurte évidemment à quelques petites oppositions de la part du personnel, mais les problèmes finissent par se régler : je pense que vous avez sans doute entendu parler de quelques grèves...
M. le Président : Actuellement, nous en entendons parler dans différents secteurs mais cela cest la vie !
Mme Soumaïla BEN HASSINE : Jaimerais préciser le rôle du coordonnateur au sein du SNATEM. Il se situe en interface de léquipe chargée de laccueil téléphonique et des correspondants départementaux à qui nous communiquons les comptes rendus des appels.
Le coordonnateur a la responsabilité, non seulement de soutenir techniquement chaque professionnel en place au téléphone, de lui apporter les meilleurs conseils et toutes les informations susceptibles de lui permettre de répondre au mieux au public, mais encore de sassurer du bon acheminement des transmissions des comptes rendus des appels téléphoniques au niveau des correspondants et dassurer la liaison avec les dispositifs locaux.
M. le Président : Je reviendrai peut-être sur un dernier point puisque vous avez cité des exemples étrangers dont un italien et lautre britannique - mais il en existe peut-être dautres - avez-vous le sentiment que nous sommes, par rapport à nos voisins, en avance, en retard et estimez-vous que nous pourrions nous inspirer dautres expériences en cours ?
Avant que vous ne me répondiez, je donne la parole à M. Baguet qui, à son tour, souhaite vous interroger.
M. Pierre-Christophe BAGUET : Avez-vous une idée de la répartition géographique sur le territoire national des personnes qui sont à lorigine du million dappels que vous recevez annuellement ?
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Ma question se situe dans le prolongement de la précédente : observez-vous des inégalités dans cette répartition ?
Mme Annie GAUDIERE : Oui, mais il est un peu compliqué den parler comme cela parce que lon sest rendu compte que là où il y avait une bonne sensibilisation et une bonne information de la part des présidents de Conseils généraux les appels étaient plus nombreux car les numéros étaient bien affichés ! Ce nest pas très encourageant, je dois le reconnaître, pour les présidents de Conseils généraux qui font bien leur travail puisque, plus ils diffusent le numéro et plus on y a recours.
En outre, nous nous sommes aperçus que plus il y avait de dispositifs locaux et plus on nous appelait et cela constitue quand même un problème parce que nous imaginions, au départ, que nous serions totalement complémentaires, cest-à-dire que là où il y aurait des déficits de structures daccueil et découte, nous serions davantage sollicités.
Ce nest nullement le cas et nous avons le sentiment que, finalement, il ny a pas forcément une complémentarité, puisque une diffusion plus importante du numéro vert va générer davantage dappels et que des structures locales plus nombreuses vont aussi susciter davantage de mobilité et un peu plus de curiosité de la part des personnes.
En conséquence, nous observons des disparités dont il est difficile de déterminer lorigine.
Bien sûr, il faut ajouter quil convient de les rapporter au nombre denfants. En effet, nous avons la possibilité de dire quen raison de leur importance, il émane de certains départements un plus grand nombre dappels, mais encore faut-il ramener ces données au nombre denfants qui, bien évidemment, est décisif. Mais, même en le faisant, on sait, par exemple, que les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de Paris nous sollicitent énormément et que les situations y sont dramatiques parce que liées aussi à des difficultés économiques extrêmement importantes ainsi quà une pauvreté qui nest peut-être pas uniquement financière dans la mesure où certaines personnes, qui considèrent le travail comme la première valeur, nont pas dautre intérêt dans la vie et sadonnent à lalcoolisme et à la violence lorsque le travail disparaît.
M. le Président : Merci beaucoup, mesdames et bravo pour ce que vous faites.
Audition de M. Jean-Louis SANCHEZ, Délégué général
de lObservatoire national de laction sociale décentralisée (ODAS)
et de Mme Claudine PADIEU, Directrice scientifique(extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS
Monsieur Jean-Louis Sanchez et Madame Claudine Padieu sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Louis Sanchez et Mme Claudine Padieu prêtent serment.
M. Jean-Louis SANCHEZ : Je commencerai par dire brièvement quelques mots pour présenter notre institution qui trouve dailleurs son origine dans des démarches parlementaires, puisque linitiative de sa création revient notamment à Jean-Michel Belorgey et Jean-Pierre Fourcade, respectivement Président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de lAssemblée nationale, à lépoque, et Président de la commission des affaires sociales du Sénat.
Cette institution a vu le jour pour essayer, dans un domaine extrêmement éparpillé, de porter un regard dégagé des pesanteurs institutionnelles ou financières. Cest pourquoi elle a pris la forme associative : je crois que cest ce qui explique, aujourdhui, le développement de notre institution et, jose le dire, sa crédibilité puisque, récemment, le Sénat nous a confié lévaluation des premiers mois dapplication de la PSD sur le territoire national.
A lintérieur de lObservatoire national de laction sociale décentralisée, il y a donc cinq observatoires, dont deux concernent laction sociale départementale et laction sociale communale, ce qui nous a dailleurs permis de mettre en relief un phénomène encore mal connu en France, à savoir limportance du rôle des villes dans laction sociale. Je considère que lon échappera de moins à moins à linterrogation sur ce rôle des villes dans laction sociale, comme aussi dans la prévention de la délinquance et de labandon denfants.
En ce qui concerne les autres observatoires, ils ont plus directement trait aux populations, le premier plus particulièrement aux personnes âgées, le second aux populations en situation de précarité, le troisième à la protection de lenfance.
Quelles sont les missions de ce dernier observatoire qui nous intéresse aujourdhui ?
Tout dabord, il a été nécessaire de donner aux départements, chargés, depuis la loi de 1989, de lobservation des phénomènes de la maltraitance, en plus de leurs responsabilités générales en matière de protection de lenfance, des recommandations concernant la mise en place doutils dobservation : telle a été la première mission de cet observatoire qui nous permet aujourdhui, grâce à la collaboration avec les départements et certains parquets, dobtenir des informations sur lévolution de la population des enfants maltraités à léchelon national. Je crois dailleurs que la France est aujourdhui lun des seuls pays européens à être doté dun système dobservation de lévolution de la maltraitance !
Vous savez que, cette année, des résultats ont pu être obtenus concernant, non seulement lévolution de la population, mais également lévolution de la prise en charge.
Claudine Padieu va maintenant vous en dire quelques mots, car ils seront de nature à éclairer nos propos concernant lanalyse plus générale de ce que nous pensons être aujourdhui la performance du système de protection de lenfance en France.
Mme Claudine PADIEU : Très rapidement, je vais vous communiquer quelques données chiffrées concernant lévolution des signalements et lévolution des prises en charge.
Lévolution apparente du nombre de signalements est, depuis deux ans, de huit mille à neuf mille par an. Cest-à-dire quil y avait cinquante huit mille signalements en 1994, soixante cinq mille en 1995, soixante quatorze mille en 1996. Cette évolution est due à trois facteurs et non pas uniquement à une aggravation de la situation.
Le premier facteur est lamélioration de la capacité à observer. Cette capacité qui nexistait pas il y a quelques années, augmente chaque année sans être pour autant parfaite. Autrement dit, la réalité de laugmentation nest pas de huit mille à neuf mille par an mais elle est inférieure à ces chiffres, puisquelle est en partie due à lamélioration de loutil dobservation.
Le deuxième facteur expliquant cette augmentation est la sensibilisation plus grande des travailleurs sociaux, des familles, des instituteurs, à la réalité des phénomènes.
Le troisième facteur est, selon nous, une part réelle daugmentation du phénomène de maltraitance, mais nous ne sommes pas encore capables de mesurer le poids de ces trois facteurs explicatifs.
Pourquoi pensons-nous quil y a effectivement un accroissement du phénomène ? Parce que, à lautre bout de lobservation, cest-à-dire lorsque lon considère les prises en charge effectives, après une très longue période de diminution de leur nombre de 1975 à 1986-1990 on observe dabord une stagnation, puis à partir de 1995-1996 une lente augmentation de ces prises en charge, augmentation qui est de lordre de mille à deux mille enfants par an.
Il est donc certain que laugmentation des signalements correspond partiellement à une réelle aggravation de la situation.
Pour en revenir aux signalements, nous distinguons deux catégories denfants : le noyau dur des enfants maltraités, et une population plus floue pour laquelle des actions sont toutefois nécessaires et qui se compose des enfants en risque de maltraitance.
Laugmentation porte uniquement sur cette dernière catégorie, les enfants maltraités étant depuis deux ans bien cernés, dans la mesure où ils passent par le circuit normal du signalement au Conseil général qui transmet ensuite le dossier au parquet.
Il reste un phénomène sur lequel nous aurons certainement loccasion de revenir, qui est celui de la transmission directe au parquet, notamment par léducation nationale, mais aussi par les hôpitaux, par exemple. Ces cas représentent une réalité mal cernée, mais les informations qualitatives dont nous disposons laissent à penser quil ny a pas dexplosion des signalements directement transmis au parquet, autrement dit que les vingt et un mille enfants maltraités dénombrés par les départements en 1996 représentent lessentiel de la maltraitance signalée et que ce nombre est quasiment stable.
Il faut remarquer, en outre, quune éventuelle augmentation des phénomènes dabus sexuels, dont la très forte médiatisation, lannée dernière, a donné limpression, y compris aux travailleurs sociaux, quils étaient en recrudescence, ne se traduit pas dans les chiffres. Il y a, bien sûr une petite augmentation, mais elle nest nullement comparable aux impressions que les uns et les autres peuvent en avoir.
On a enregistré quatre mille cas denfants à risques supplémentaires de 1994 à 1995, puisquils sont passés de quarante et un mille à quarante cinq mille et huit mille cas supplémentaires de 1995 à 1996, puisquils sont passés de quarante cinq mille à cinquante trois mille, ce qui représente un doublement de laugmentation.
Cette situation est due, ainsi que je le disais précédemment, en partie à lamélioration du système dobservation, et dans une petite proportion, sans doute, à une aggravation du phénomène.
M. Jean-Louis SANCHEZ : De façon plus générale, notre observatoire constate, du fait notamment de ses rencontres avec les acteurs de terrain, que le système français comprend, aujourdhui, des éléments de performance absolument indéniables.
Parmi eux, je citerai dabord un repérage qui saméliore. On a, en effet, le sentiment et dailleurs la mise en place du téléphone vert semble le confirmer que la très grande masse des enfants maltraités ou en danger est aujourdhui connue des services départementaux ou des services de justice, ce qui constitue une réelle performance par rapport aux autres pays européens.
Je citerai, ensuite, la prise en charge qui saméliore constamment. La décentralisation na pas démérité, à une exception près : le système de prévention qui fonctionnait notamment à travers la distribution dallocations mensuelles, donc de secours mensuels aux familles dont les enfants sont en situation de risque. Depuis linstauration du RMI, de nombreux départements se sont saisis de ce prétexte pour réduire considérablement ces crédits dallocations mensuelles.
Cela étant, je rappellerai tout de même que, depuis 1984, les crédits daide sociale à lenfance ont augmenté, en France, de 67 %, alors que le nombre de prises en charge par les départements denfants en danger ou maltraités a plutôt diminué : depuis trois ans, on note une certaine stagnation, voire à nouveau une augmentation, mais sur dix ou quinze ans la tendance à la baisse est indéniable.
Je citerai, enfin, la logique de prise en charge du système français qui, entre protection administrative et protection judiciaire, nous est envié aujourdhui y compris par nos amis britanniques, puisque la Grande-Bretagne tente actuellement de sen inspirer. Il présente, en effet, le mérite dune certaine logique de fonctionnement respectant à la fois la liberté individuelle et, bien évidemment, la nécessaire sauvegarde de lenfant.
Jen arrive maintenant aux éléments qui sont plus discutables dans notre système de protection de lenfance.
Premièrement, la tendance à la judiciarisation des signalements et de la prise en charge est de plus en plus marquée. On a le sentiment quaussi bien du côté des écoles que de celui des travailleurs sociaux, en règle générale, on préfère, pour ne pas prendre trop de risques appeler immédiatement lattention des services de justice sur la situation de lenfant : cest tout à fait contraire à la loi de 1989 et je crois que les dernières initiatives prises, notamment par le Parlement ou par le Gouvernement, je pense aux dernières circulaires adressées aux écoles sur la nécessité pour les enseignants de transmettre directement les signalements à la justice ont peut-être contribué à accélérer ce mouvement qui fait quaujourdhui la justice est encombrée de signalements et que lon ne retrouve plus du tout lesprit de la loi de 1989, qui faisait de la protection judiciaire lexception, la protection à travers les Conseils généraux étant la règle.
Jajoute, en ce qui concerne les services du Conseil général que, contrairement à ce que lon aurait pu craindre au moment de la décentralisation, la crainte de tout dérapage médiatique sur ces problèmes de protection de lenfance a amené les élus locaux à se montrer extrêmement précautionneux dans leurs rapports aux services, quen outre il y a eu très peu dinterventions politiques des Conseils généraux dans le fonctionnement des services de lASE Aide sociale à lenfance et que les crédits ont été constamment abondés en fonction des demandes desdits services.
Deuxièmement, sur larticulation entre les services de justice et les services de lASE, il y a indiscutablement eu des améliorations, mais nous nous trouvons très souvent confrontés à un problème qui tient à la continuité de laction de la justice : les juges des enfants passent très vite dans les départements et les liens tissés entre les services de justice et les services départementaux souffrent de cette mobilité excessive. Quand on commence à bâtir des instruments partenariaux, de type observatoire partenarial des signalements, par exemple, on saperçoit que la rotation rapide des hommes ne permet pas de préserver ce partenariat.
Troisièmement, le " dogme " du lien avec la famille naturelle reste encore aujourdhui très observé dans les services de justice et il est vrai que lensemble des observateurs des phénomènes de protection de lenfance souhaitent une évolution de cette relation trop privilégiée avec la famille naturelle.
Quatrièmement, la difficulté à rénover loffre de services demeure un point discutable du système français. Ce problème est constant dans toute laction sociale : il y a aujourdhui une construction dune offre de services qui repose sur un rapport quasiment exclusif entre financeurs et prestataires de services, cest-à-dire que les prestataires de services dictent leur loi aux financeurs et que ces derniers lacceptent assez facilement pour éviter trop de difficultés. Cette situation empêche linnovation et lon arrive, dailleurs, à une performance en matière de coût des services de lASE qui est fortement discutable, puisquil faut que vous sachiez que la prise en charge dun enfant en établissement est de lordre de neuf cents francs par jour aujourdhui et que, récemment, on apprenait que pour la PJJ, certains prix de journée des nouvelles structures sont de lordre de mille quatre cents francs par jour.
Cest tout de même tout à fait considérable, dautant que, lorsque lon évalue de façon un peu plus précise la réalité du service offert, on saperçoit que lavis des professionnels a souvent été privilégié sur la performance du service.
Cinquièmement, le problème de ladolescence laisse actuellement nos services très désarmés. Encore une fois, contrairement aux idées répandues, il ny a pas plus denfants récidivistes quil ny en avait voilà quelques années. En revanche, les enfants sont aujourdhui beaucoup plus perturbés quils ne létaient et leur prise en charge pose dimmenses problèmes qui, au-delà de la question de la prise en charge de ladolescence, concernent lensemble de laction sociale. Labsence de perspectives en matière dinsertion et demploi et les difficultés parentales aujourdhui bien connues constituent des phénomènes nouveaux qui fragilisent la qualité de la réponse sociale.
Il nen reste pas moins vrai que, dans laction sociale, lun des rares domaines dans laquelle la performance française peut être effectivement mise en relief, en dépit de ses imperfections, est celui de la protection de lenfance.
M. le Président : Madame, monsieur, je vous remercie.
Mes chers collègues je vais vous donner la parole et jimagine que cest surtout la dernière partie du propos qui vient dêtre tenu qui retiendra votre attention sans appeler de discussions dopinion, puisque je rappelle que notre commission denquête a pour tâche, non pas dentrer dans une discussion dopinions par rapport à ceux et celles que nous entendons, mais de fouiller un sujet et de nous permettre de nous former nous-mêmes, une opinion que nous livrerons, le moment venu, à nos collègues et au public.
M. Bernard BIRSINGER : Je dirai brièvement quelques mots sur vos constats.
On parle évidemment de la manière dont sont pris en charge les enfants maltraités, mais je souhaiterais dabord savoir si vous disposez détudes sur les causes de ce phénomène : est-il lié à la constitution de la famille, à son origine, au taux de chômage ?
Je crois quil faut aussi rechercher et travailler en amont et regarder très précisément, au travers de telles études, ce quil est possible den déduire sur les familles dans lesquelles se trouvent ces enfants maltraités.
M. le Président : Je précise aux intervenants quil est possible, sur telle ou telle question de répondre en nous faisant parvenir une petite feuille comportant certains chiffres ou certaines informations : cest tout à fait envisageable !
Mme Raymonde LE TEXIER : Vous avez, tout à lheure, madame, établi une distinction très claire entre les enfants victimes de violences et les enfants à risques : quels critères permettent de considérer quun enfant est un enfant à risques ?
Par ailleurs, vous avez évoqué le fameux dogme sur la relation privilégiée avec la famille naturelle que vous semblez remettre en cause : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ? Si, dans les structures que vous étudiez, on cesse de chercher à maintenir coûte que coûte un lien entre lenfant et sa famille, quadvient-il du placement ? Faut-il envisager de placer les enfants jusquà leur majorité, voire au-delà ? Cela signifie-t-il que lon procéderait à des placements pour de longues périodes ?
M. Gaëtan GORCE : Puisque la relation avec la famille naturelle vient dêtre évoquée, je ny reviendrai pas et men tiendrai à deux remarques.
Dune part, vous avez dit que le repérage était satisfaisant et que la quasi-totalité des cas étaient connus, jaimerais savoir comment vous pouvez arriver à une telle affirmation. Dautre part, concernant les prestataires de services, vous avez signalé que, parfois, les avis des professionnels étaient trop privilégiés par rapport à la performance du service et jaimerais, là encore, savoir comment il vous est possible de lévaluer.
M. le Président : Jaimerais également que vous nous apportiez quelques précisions sur le coût comparé dont vous avez dit quil était important.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Ma question vient compléter la précédente. Concernant le repérage, vous avez indiqué quil vous semblait bien fonctionner dans la quasi-totalité des cas, alors que la personne que nous venons dentendre sexprimer sur le numéro vert nous a au contraire indiqué que seule une partie des appels renvoyés aux Conseils généraux 50 % si jai bonne mémoire étaient connus deux, ce qui fait une différence importante !
Je sais bien que le nombre des appels au numéro vert ne doit pas être confondu avec celui des personnes concernées et quil y a ensuite des corrections à la baisse à faire pour passer du premier au second, mais jai néanmoins relevé une approche différente sur les chiffres et la notion de repérage et des différences entre votre propos et celui que nous avons entendu précédemment.
Par ailleurs, vous êtes largement intervenus sur lanalyse de la performance du dispositif de repérage, mais il faut aussi prendre en considération ce que produit ce dispositif. Mon interrogation est suscitée par une intervention précédente dune personne qui indiquait que le nombre dintervenants pour une famille donnée pouvait atteindre vingt et un intervenants et qui mettait laccent sur la notion de référent unique : il est vrai quen tant quélus locaux, nous avons souvent une perception de la multiplicité de lintervention dans le domaine social et de lefficacité qui peut être liée à ladite multiplicité. Jaimerais savoir si vous avez une opinion sur ce sujet ?
M. Jean-Louis SANCHEZ : Oui !
Nous avons maintenant pour objectif de mieux connaître lorigine des phénomènes de maltraitance.
Je pense que, à la fin de cette année, nous donnerons pour la première fois, avec lévolution du nombre des signalements et lorigine des signalements, des informations plus qualitatives sur la maltraitance. Il faut savoir que nous revenons de très loin, puisquil ny avait absolument aucun élément statistique en dehors des éléments de gestion et de prise en charge il y a encore quelques années, mais je pense que, dès cette année, nous serons en mesure de fournir des informations plus complètes et que, chaque année, le système saméliorera.
Le pli est pris et je crois que tout le monde est conscient de limportance de cette observation du diagnostic, comme préalable à la décision. De plus, nous avons maintenant le sentiment que les parquets vont également sinscrire dans cette dynamique dobservation partagée avec les départements et je crois que nous devrions obtenir des résultats de plus en plus fiables dans un avenir proche.
De ce point de vue, nous nourrissons une certaine espérance, mais, aujourdhui, nous ne pouvons encore que dresser un constat dimpossibilité !
En ce qui concerne la performance du repérage, nous navons pas de légitimité à défendre dans le domaine de laction. En conséquence, lorsque nous disons que le système de repérage est bon, nous le disons, notamment, en analysant les chiffres du téléphone vert car, pour les enfants considérés par les services du téléphone vert comme maltraités ou à risques, si le pourcentage de ceux qui sont inconnus des services départementaux est aujourdhui plus important il faut rappeler que dans les premières années de fonctionnement du téléphone vert, ces cas étaient de lordre de 5% à 6% du total et cette faible proportion prouvait que les situations les plus flagrantes étaient déjà repérées , il progresse dans des fourchettes qui demeurent néanmoins très faibles.
Les enfants adressés par le téléphone vert aux départements sont très peu nombreux. Lorsque nous avons voulu mener une étude avec le SNATEM nous sommes en train de la conduire pour savoir pourquoi les personnes passaient par le téléphone vert au lieu de sadresser à des professionnels de laction sociale, il nous a fallu élargir notre échantillon parce que le nombre denfants signalés aux départements par le téléphone vert était trop peu significatif. Donc, 50 % est un chiffre impressionnant mais ce pourcentage de 50 % sapplique à quoi ? A très peu denfants !
Cela ne remet nullement lexistence du téléphone vert en cause : le simple fait quil ait permis de prouver que nous connaissions les enfants en danger et les enfants maltraités dans ce pays suffirait à légitimer son développement.
Mme Claudine PADIEU : En tout cas, les situations les plus lourdes...
M. Jean-Louis SANCHEZ : En effet. Il est donc important quun pays comme la France ait ce dernier recours et, même si nous ne découvrions à travers le téléphone vert quune dizaine de cas méconnus en France, il est de toute façon utile den disposer.
De plus, il existe une quantité de gens qui appellent le téléphone vert pour pouvoir entendre et se faire entendre : de ce point de vue là, tout le monde saccorde à reconnaître limportance du téléphone vert national. Ce qui serait, en revanche souhaitable, cest la suppression des téléphones verts locaux qui existent encore et qui font parfois double emploi avec le téléphone vert national.
Mme Claudine PADIEU : Je souhaiterais compléter sur un point ce que nous entendons par " signalement ". Il ne sagit pas de nimporte quel appel, par exemple celui de la première voisine grincheuse, car ce nest quaprès lexamen de cet appel par une équipe pluridisciplinaire - ce qui est obligatoire selon les textes - quil entre dans la catégorie des signalements ou des appels classés sans suite.
Il y a un certain nombre dappels dinformation qui entrent dans la seconde catégorie. Les signalements ne sont que les appels jugés suffisamment graves pour nécessiter, soit un suivi administratif, soit une transmission à la justice.
M. Jean-Louis SANCHEZ : Madame, vous avez posé à Mme Padieu le problème de la classification enfants à risques/enfants maltraités, mais cest moi qui vais vous répondre, laissant à Mme Padieu le soin dintervenir ensuite sur le dogme et cela de façon à répartir les rôles.
Cette classification est une classification statistique, cest-à-dire quil a fallu, à un moment donné, faire des choix arbitraires sur ce quétait un enfant à risques et ce quétait un enfant maltraité.
Ce qui est important, cest que cette définition ait un caractère durable, afin que nous parlions chaque année de la même chose et que nous puissions comparer les évolutions.
Ces définitions arbitraires ont tout de même été arrêtées par un groupe de travail, au sein de lODAS, dans lequel étaient représentés les deux ministères concernés, à savoir le ministère des affaires sociales et le ministère de la justice, un certain nombre de départements performants et quelques partenaires, dont en particulier le directeur de cet observatoire au sein de lODAS que vous aurez loccasion dauditionner puisquelle a été, lannée dernière, Secrétaire national de lannée de lenfant, je veux parler de Mme Marceline Gabel, qui a été très largement à lorigine de la loi de 1989.
Il sest agi effectivement de choix arbitraires, lenfant maltraité étant celui pour lequel on peut qualifier à la fois limportance des violences physiques et limportance des troubles des comportements : il sagit dune définition extrêmement précise qui, je crois, est assez bien respectée mais qui est statistique !
Ensuite, dans la pratique individuelle, chacun a sa propre définition et sa propre perception de la maltraitance.
Donc, nous distinguons bien la démarche dobservation de la démarche individuelle qui caractérise laction au quotidien.
Mme Claudine PADIEU : Sur le dogme fondateur de la politique actuelle de protection de lenfance qui est de préserver à tout prix le lien avec la famille naturelle, les travailleurs sociaux de terrain sinterrogent fortement, bien entendu pas de façon systématique mais dans le cas de certaines familles avec lesquelles il est vraiment catastrophique de maintenir ce lien : certains cas je peux citer celui des enfants dont le père a assassiné la mère et qui sont obligés daller voir leur père en prison laissent planer des doutes sur la capacité de la famille à apporter quelque chose à lenfant et les travailleurs sociaux, devant de telles situations, sinterrogent sur lutilité de maintenir le lien à tout prix et pensent quil serait parfois préférable de reconstruire dautres liens affectifs ailleurs.
Des études ont été menées dans le cadre de lévaluation des politiques dinsertion des jeunes et lune dentre elles sintéressait particulièrement au sort des enfants passés par laide sociale à lenfance ou par la protection judiciaire de la jeunesse : un des résultats tout à fait frappant de cette étude montrait que des enfants placés en famille daccueil pendant une longue période, non seulement se sentaient beaucoup mieux dans leur peau que ceux, soit qui avaient erré détablissement en établissement, soit qui avaient été maintenus dans un premier temps dans leur famille avant que ne se produise une catastrophe assez grande pour justifier un placement, mais encore quils étaient mieux insérés quatre ou cinq ans après la sortie du système que la moyenne des jeunes du même milieu socioprofessionnel que le leur.
Autrement dit, il y avait un lien affectif qui sétait recréé avec la famille daccueil quand la durée de présence au sein de cette famille avait été suffisante. Cette constatation était lélément le plus positif du bilan des prises en charge denfants !
Donc, pour répondre à cette question de séparation complète avec la famille, je dirai que oui, dans certains cas, les travailleurs sociaux de terrain trouvent quil serait très souhaitable de couper complètement avec la famille et de revenir sur ce dogme fondateur. Ce nest, bien sûr pas nous qui le disons, car nous navons pas à nous prononcer sur ce sujet.
M. Jean-Louis SANCHEZ : M. le Président, si vous me le permettez, je souhaiterais répondre sur un dernier point important : celui du coût de la prise en charge.
Je rappellerai tout de même quentre 1985 et 1997, la dépense daction sociale départementale a été multipliée par deux, soit une augmentation de cent pour cent en douze ans : cest dire que les efforts ont été considérables !
Or, si ces efforts sont considérables, cest fondamentalement parce que le poids des habitudes, certaines pesanteurs corporatistes, et les craintes des prestataires de services, a aussi assez peu permis dintégrer dans les dynamiques sociales françaises une articulation plus forte avec des réseaux de voisinage, de mobiliser davantage les solidarités familiales : on se situe tout de même, en France, dans une réponse qui sappuie exclusivement sur la collectivité publique et essaie assez peu dutiliser les ressorts de la vie sociale.
Je crois que cela ne pourra pas durer car, dans lavenir, nous le savons, avec lexplosion du vieillissement, la solitude des personnes âgées, leffritement des liens sociaux, on ne pourra pas, avec les coûts actuels de prise en charge, assurer, préserver la continuité de laction sociale.
Cest la raison pour laquelle nous pensons quil faut absolument innover, y compris dans le domaine de la protection de lenfance et cest vrai que, actuellement, les coûts exorbitants du service rendu empêchent de dégager des marges financières qui permettraient peut-être de jouer davantage la carte de la prévention en amont.
Cest aussi la raison pour laquelle nous ne pouvons pas ne pas signaler à la représentation parlementaire ce coût très important et je crains que si, un jour, lopinion sempare de ce sujet, il ne soit explosif.
Dans une fratrie de trois enfants, vous pouvez arriver à atteindre des coûts annuels dun million et demi de francs et de telles situations sont fréquentes, puisquil y a de nombreuses fratries qui sont intégralement prises en charge en établissement : cest un exemple extrême mais on voit facilement ce que lopinion pourrait faire de ces chiffres-là, dautant que nous ne sommes pas certains que nous ne pourrions pas atteindre des performances au moins équivalentes à des coûts moindres, notamment en articulant peut-être lintervention professionnelle, lintervention bénévole et lintervention des réseaux de voisinage.
Il y a une nouvelle dynamique à créer dans le social si lon ne veut pas " aller droit dans le mur ".
M. le Président : La parole est à M. Gorce pour poser, je crois, la dernière question.
M. Gaëtan GORCE : Je reste un peu sur ma faim en ce qui concerne la performance. Vous avez commencé à traiter le sujet sur le volet financier, certes important, mais il demeure difficile de définir la performance en la matière.
Par rapport à lenfant, à son mode de placement, vous disiez que vous vous trouviez en quelque sorte dans un processus dévaluation des techniques de placement, des établissements eux-mêmes par rapport à leur taux dencadrement, à la façon dont les enfants étaient accueillis et suivis, sur les résultats attendus : vous êtes en train de nous dire que tous ces sujets restent manifestement encore un peu incertains pour en avoir une approche globale et cohérente.
Si vous justifiez linnovation en la matière, jespère que ce nest pas uniquement du point de vue financier, mais que cest aussi et je suis certain que tel est le cas par rapport à dautres considérations !
Par ailleurs, de nombreux intervenants que nous avons entendus au cours des précédentes auditions nous disent quen fait le droit, dans ce pays, est satisfaisant à quelques détails près, pour assurer la protection de lenfant, mais que les moyens manquent. On ne retrouve pas exactement cette approche à travers la question que vous traitez, ce qui peut se comprendre, mais jaurais souhaité éventuellement que vous ajoutiez quelques mots sur ce point.
M. le Président : Sur les moyens ou les modes de fonctionnement ...
M. Jean-Louis SANCHEZ : Les évaluations sont fort rares dans le domaine de laction sociale comme dans les autres domaines de laction publique. Il en est une, pourtant, qui porte rétroactivement sur ce que sont devenus les enfants pris en charge par lASE. Les conclusions de cette étude ont permis de constater que le placement familial offrait, à risques équivalents, comme le rappelait Claudine Padieu, un nombre de chances supérieures au placement en hébergement.
Or, lorsque lon voit lévolution du placement en France, on saperçoit, alors que le placement a beaucoup diminué depuis quelques années, que la forme qui a le plus régressé est le placement familial et que la forme qui est la mieux préservée est le placement en hébergement.
Si vous voulez une illustration du poids du système de lemploi, vous lavez là mais jajouterai tout de même, sur les aspects de performance, que lorganisation de laccueil en hébergement et cest vrai de lensemble du service public français est faite dabord pour privilégier le fonctionnement des professionnels et assez peu pour développer des rapports relationnels à lenfant. Je peux vous dire que, par exemple, dans des établissements que jai connus et dont jai assuré le contrôle, jai pu constater que les horaires des éducateurs étaient souvent en contradiction avec ceux des enfants : quand les enfants étaient à lécole, plusieurs éducateurs étaient présents, mais la nuit, quand les enfants avaient besoin deux, ils nétaient pas là pour les entendre ! Cest assez fréquent !
Mme Claudine PADIEU : Je voudrais tout de même apporter une nuance et mettre laccent sur la difficulté quil y a à apporter une réponse à des enfants accueillis de plus en plus tard.
En effet, dans le système de protection de lenfance arrivent des adolescents, voire de grands adolescents, très démolis, très déstructurés et le savoir-faire fait parfois défaut de telle sorte que, malgré un dévouement indéniable, il y a un manque defficacité, une absence ou une insuffisance de résultats que lon ne peut pas imputer aux professionnels eux-mêmes mais à la difficulté que lon rencontre à imaginer des solutions pour des enfants de plus en plus difficiles à prendre en charge.
M. le Président : Merci beaucoup. Merci de votre venue et merci de votre travail !
Audition de Mme Elisabeth GUIGOU,
Garde des sceaux, Ministre de la justice,
accompagnée par MM. Jean ALÈGRE et Jean-Christophe ERARD,
Conseillers techniques
et Mme Sylvie PERDRIOLLE,
Directrice de la protection judiciaire de la jeunesse(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Madame Elisabeth Guigou est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, Mme Elisabeth Guigou prête serment.
Mme Elisabeth GUIGOU : Je vous remercie, M. le Président, de mavoir invitée à mexprimer devant cette commission denquête qui se propose de faire le bilan des droits de lenfant en France.
Notre pays dispose doutils législatifs et réglementaires qui vont tout à fait dans ce sens. Chacun a présent à lesprit lordonnance du 2 février 1945, fondatrice du droit pénal des mineurs, qui a consacré la primauté de laction éducative en direction des mineurs délinquants et lordonnance du 23 décembre 1958 qui organise la protection de lenfance en danger et confie cette protection au juge des enfants.
Notre droit nest pas en retard par rapport à la Convention internationale des droits de lenfant et je voudrais consacrer cet exposé introductif à deux aspects : la protection de lenfant et la promotion des droits de lenfant.
En ce qui concerne la protection de lenfant qui est, évidemment, le premier droit, je voudrais aborder la question de lenfance en danger. Protéger lenfant, cest avant tout le droit et le devoir des parents et ce nest quen cas de défaillance parentale que la protection consentie ou imposée peut prendre le relais.
Le principe premier de la responsabilité parentale est affirmé avec force dans notre droit. Je dis bien responsabilité parentale, puisque le principe de la puissance paternelle a été abandonné au profit de lautorité parentale. Le code civil, par une loi du 4 juin 1970, a consacré le principe de lautorité parentale sur les enfants, quils soient légitimes ou naturels. Puis, une loi du 22 juillet 1987 a consacré lautorité parentale commune.
Les parents ont donc le devoir de garde, de surveillance et déducation. Cela concerne le père et la mère, cest-à-dire que ce sont eux qui ont le droit et le devoir de prendre toutes les décisions concernant la personne de lenfant, que ce soient le choix de lécole, la sortie du territoire, les actes médicaux, la surveillance des fréquentations, le choix de la religion..., soit un pouvoir considérable.
Il faut souligner, ce nest pas dit assez souvent, que les parents sont civilement responsables des actes de leurs enfants. Cest un point sur lequel il convient dinsister parce que cela peut comporter des conséquences, qui ne sont pas assez mises en évidence actuellement, lorsque les enfants se livrent à des actes qui doivent être réprimés.
En même temps, lenfant a le droit davoir des relations personnelles avec sa famille proche, notamment ses grands-parents vous savez que larticle 8 de la Convention prévoit de préserver les relations familiales de lenfant, de le laisser, autant que possible, avec ses frères et soeurs, de préserver ses relations avec ses grands-parents.
Que se passe-t-il lorsque lautorité parentale ne sexerce pas convenablement ?
Il peut y avoir recours à la protection administrative de lenfant. Lorsque les parents reconnaissent leur défaillance éducative, ils peuvent demander à être soutenus, pour surmonter leurs difficultés, par les services de la protection de lenfance placés auprès du président du Conseil général depuis les lois de décentralisation. Les parents donnent alors leur consentement.
Ce nest que lorsque lenfant est en danger avéré que, précisément, la protection de lenfant prend une forme imposée. Et cest le mandat judiciaire.
Lintervention judiciaire sexerce cependant dans le cadre de larticle 9 de la Convention qui dispose que cette intervention est, bien entendu, nécessaire lorsque les parents maltraitent ou négligent lenfant. Mais le principe demeure que lenfant ne doit pas être séparé de ses parents contre son gré. Le juge peut prendre des mesures dassistance éducative si la santé, la sécurité, la moralité dun mineur non émancipé sont en danger, mais il doit sefforcer dans toute la mesure du possible de recueillir ladhésion de la famille et, en cas de placement de lenfant hors de celle-ci, il doit dans toute la mesure du possible assurer un droit de visite et un droit de correspondance. Ces dispositions sont cohérentes avec larticle 9 de la Convention internationale des droits de lenfant.
Parfois, il faut choisir des voies plus radicales pour assurer la protection de lenfant, et cest le retrait de lautorité parentale. Il intervient à lévidence en cas de violences, à légard desquelles tout un arsenal de dispositions pénales permet la poursuite et la condamnation dune manière plus sévère que sil sétait agi dune victime majeure.
Je précise, à cet égard, que le projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles en cours de discussion au Parlement accorde, pour la première fois dans notre droit, une place entière aux mineurs victimes, cest-à-dire un vrai statut de victime au mineur. Jusquà présent dans notre droit, il y avait un statut du mineur délinquant, mais pas de statut du mineur victime.
Le dernier élément de la protection des mineurs que je voudrais évoquer est celui de la protection à légard des médias.
Lenfant a droit à la liberté dexpression, il a droit à linformation. Cela est évidemment tempéré par le fait que les parents ont le droit et le devoir de guider lenfant dans le choix de ses informations. Le débat porte, là encore, sur la confrontation entre responsabilité parentale et intervention publique.
Il est vrai que notre droit de la presse, pour assurer la liberté de la presse, a ciblé les interdictions sur celles faites aux mineurs. Cest le cas dans la presse écrite, à la télévision, pour le cinéma et vous savez quil existe un projet de loi visant à réglementer les produits vidéo, les jeux électroniques et les CD-ROM. A ce jour, notre droit sest surtout intéressé aux supports; il me semble quil conviendrait à lavenir de réfléchir également au contenu des messages qui sont diffusés en direction de la jeunesse. Je rappelle par ailleurs quun mineur ne peut pas être filmé par les télévisions sans autorisation préalable de ses parents.
Jaborde maintenant la question de lenfance délinquante. Le principe est celui de la primauté de léducatif. Cest lordonnance de 1945 qui, dans son préambule, précise que " la France nest pas assez riche denfants pour quelle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ". Il faut, selon notre droit, protéger tous les enfants, quil sagisse denfants en danger ou de mineurs délinquants.
Vous connaissez les deux principes fondamentaux de lordonnance de 1945 : la primauté de la mesure éducative sur la sanction et le principe de la spécialisation des magistrats et des procédures applicables.
Tout cela coïncide tout à fait avec les articles 37 et 40 de la Convention internationale des droits de lenfant, qui préconisent dappliquer aux mineurs délinquants des mesures aussi individualisées que possible et sil est nécessaire de recourir à lemprisonnement, de le faire avec toutes les garanties de réinsertion.
Lordonnance de 1945 nexclut pas, en effet, la sanction pénale. Elle énonce simplement la primauté de léducatif et organise le caractère indissociable de léducatif et du judiciaire.
Le juge des enfants dispose de mesures éducatives diversifiées : ladmonestation ; la remise aux parents ou à un tuteur ; la liberté surveillée ; la mise sous protection judiciaire, sous forme de placement ou de mesure en milieu ouvert ; le placement dans un établissement adapté.
Si le recours à lemprisonnement est inévitable, la mesure doit faire lobjet de dispositions particulières pour protéger lintégrité du mineur et favoriser sa réinsertion.
Je voudrais simplement citer très brièvement la série de textes qui organisent cette protection des mineurs en matière de détention provisoire ou demprisonnement, de régime de détention, dhabilitation pénitentiaire. Inutile de dire que toutes ces dispositions doivent être sans cesse réévaluées.
Un aspect extrêmement important de ladaptation et du renouvellement des réponses vis-à-vis des mineurs délinquants est la nécessité du travail en réseau des différentes personnes et institutions qui prennent en charge ces mineurs. On ne peut dissocier, par exemple, la question de la santé des mineurs de toutes celles que nous venons daborder et nous savons que, dans notre système, la question des mineurs qui ont des problèmes psychologiques ou psychiatriques nest pas bien traitée. Cest lun des problèmes fondamentaux auxquels nous devons nous attacher.
De même, il est indispensable, cela commence à se faire mais ce devrait être généralisé, dorganiser une meilleure lisibilité de la réponse pénale, dune part en direction des mineurs délinquants réponse suffisamment précoce grâce aux mesures dites en temps réel prises par les parquets et visant à convoquer le mineur avec ses parents de manière quasi-immédiate, cest-à-dire dans les heures ou en tout cas dans les jours qui suivent , et dautre part en direction des victimes.
Ces procédures en temps réel sont discutées et critiquées par certains. Je pense, pour ma part, quelles constituent, pour les primo-délinquants en tout cas, une réponse vraiment intéressante par leur rapidité, la responsabilisation des parents et le lien qui est créé immédiatement avec la victime, même si elles ne sont pas la seule réponse.
La mesure de réparation, qui a été adoptée par la loi du 4 janvier 1993 et qui est directement inspirée de larticle 40 de la Convention internationale des droits de lenfant, est un type de mesure qui devrait être développé, parce quelle me paraît de nature à pouvoir mieux faire fonctionner le lien social.
Le deuxième point de cet exposé introductif, qui sera plus bref, traite de la façon de compléter cet arsenal par des pratiques professionnelles qui assurent davantage la promotion de lenfant.
Dans notre droit, conformément à larticle 12 de la Convention internationale des droits de lenfant qui demande que lenfant puisse sexprimer librement, quil puisse être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative, lenfant est couramment partie aux instances judiciaires qui le concernent. Il dispose de droits procéduraux. Cest le cas aussi bien de lenfant en assistance éducative que de lenfant en infraction pénale.
Lenfant en assistance éducative, sauf restrictions liées à son état ou à son âge
sil est malade ou nourrisson , peut accomplir tous les actes liés à la procédure. Il peut saisir le juge des enfants. Il peut être entendu par lui. Il peut bénéficier de lassistance dun avocat. Il peut interjeter appel de la décision prise par le juge. Laudition de lenfant est le principe.
Les avocats ont commencé à se spécialiser dans le domaine de lenfance. Depuis le début des années 90, des formations spéciales sont dispensées par des barreaux précurseurs. Cest le cas à Bordeaux, Lille, Marseille, Strasbourg, Lyon, Clermont-Ferrand, Evry, Rouen, Versailles, Rochefort-sur-Mer. Soutenues par le ministère de la justice, ces formations se développent au moyen de Conventions pour le financement des actions correspondantes et, depuis la loi du 10 juillet 1991, lassistance éducative a été admise au rang des mesures susceptibles dêtre rémunérées par laide juridictionnelle.
Pour lenfant auteur dinfractions pénales, le code pénal consacre le principe de la personnalité de la responsabilité pénale et des peines.
Le mineur est pleinement partie au procès pénal dans lequel il est jugé et dispose de droits procéduraux audition, avocat, copie du dossier, accès à laide juridictionnelle, droit dêtre jugé dans des délais raisonnables, droit de faire opposition.
La défense des mineurs délinquants, comme dailleurs en matière éducative, est tout à fait susceptible daméliorations.
Que préconisent les avocats des enfants ?
Ils préconisent aujourdhui de leur reconnaître un droit de suite, ce qui signifie pour le mineur un même avocat pour toute la procédure, voire pour tout le temps de sa minorité, sauf incompatibilité naturellement. Il est également suggéré que le bénéfice de laide juridictionnelle soit calculé en fonction du seul patrimoine des mineurs et non plus en considération des ressources des parents. Ce sont deux questions sur lesquelles il faut réfléchir.
Actuellement, lappréciation distincte des ressources nest opérée que sil est constaté une divergence dintérêts entre lenfant et ses parents. Cela conduit, en réalité, à priver dun défenseur lenfant dont les parents ont des ressources suffisantes pour rémunérer un avocat mais sabstiennent de toute démarche pour faire assurer une défense de lenfant. Cest une question très importante sur laquelle nous devrions pousser plus loin les réflexions.
Lenfant auditionné dans une procédure le concernant, alors quil nest pas partie à linstance, bénéficie de laide juridictionnelle de droit et cest un paradoxe. Non seulement dans ce cas il nest pas tenu compte des ressources des parents, mais il nest pas tenu compte de létat de son patrimoine.
Lenfant a le droit à la parole dans les procédures lorsquil est sollicité dans une instance qui le concerne, lorsquil est concerné par un litige qui se déroule à son insu, dans le cas de procédures familiales où ses relations avec ses deux parents ou ses frères et soeurs peuvent être remises en cause.
De même, notre droit accorde une place prépondérante à lexpression du consentement de lenfant à loccasion de certains actes qui peuvent toucher à son intégrité. Cest ainsi que lenfant a le droit dêtre entendu dans toute procédure le concernant. Lorsque le mineur demande à être auditionné, si le juge lestime inopportun, il doit motiver ce refus.
Enfin, laudition de lenfant est naturellement particulièrement importante sagissant de lenfant victime dune infraction pénale. La loi du 8 janvier 1993, vous vous en souvenez sans doute, a facilité la désignation dun administrateur ad hoc pour permettre la représentation utile de lintérêt de lenfant et le projet de loi sur la répression des infractions sexuelles parachève cette évolution puisquil unifie les conditions de désignation de ladministrateur ad hoc.
Le consentement de lenfant doit être recueilli pour tous les actes qui touchent à son intégrité physique ou à son lien de filiation. Cest le cas en matière de suivi médical. Cest le cas également en matière dadoption, puisque lenfant doit consentir personnellement à une adoption plénière ou une adoption simple. Il en va de même en matière de changement de prénom ou de modification administrative. Je souligne également que la femme mineure célibataire, française ou étrangère, doit consentir personnellement à linterruption volontaire de grossesse, hors la présence de ses parents ou de ses représentants légaux. En cas de prélèvement dorganes ou de prélèvement de sang, le refus de lenfant fait obstacle à lopération envisagée.
Cet exposé montre que les droits de lenfant sont largement respectés et encouragés en France. LEurope a souhaité élaborer un instrument juridique qui complète la Convention internationale et recense les domaines qui ne sont pas encore couverts par cette Convention. La Convention européenne, vous la connaissez, a été ouverte à la signature le 25 janvier 1996 et jespère que notre pays pourra la ratifier.
Tels sont les sujets dont je souhaitais vous entretenir.
Un dernier mot pour dire que lon entend beaucoup parler, ces derniers temps, dabaissement de lâge de la majorité. Il me semble que ce serait une profonde erreur car, au moment où nous voulons au contraire insister sur la responsabilité normale, naturelle, quil faut promouvoir, des parents vis-à-vis des enfants, labaissement de lâge de la majorité serait contradictoire avec cette volonté.
M. le Président : Mme la Ministre, nous allons procéder, comme dhabitude, par une série de questions à laquelle vous répondrez, si vous le voulez bien.
Mme Claudine LEDOUX : Je voudrais revenir sur la responsabilité, la responsabilisation des parents. Ceux-ci sont responsables au premier chef, responsables à divers titres, notamment juridiquement puisque leur responsabilité civile peut être engagée.
Certains, cherchant à trouver des solutions à la défaillance de certains parents, voient une solution dans la suppression des allocations familiales ou dans leur mise sous tutelle. Quen pensez-vous ?
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Ma première question concerne lexpression de lenfant dans les procédures judiciaires que vous avez évoquée. Vous avez notamment parlé des progrès importants réalisés depuis la loi de 1993. Cependant, laudition des mineurs est actuellement une simple possibilité laissée aux juges et, en cas de refus, aucun appel nest possible. Pourriez-vous revenir sur ce point ?
Ma seconde question concerne lapplication de la Convention internationale des droits de lenfant en droit interne français. Vous avez souligné que nous nétions pas en retard. Néanmoins, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer, à travers deux arrêts du 10 mars et du 2 juin 1993, et a jugé que les dispositions de la Convention internationale des droits de lenfant ne pouvaient être invoquées devant les tribunaux, cette Convention ne créant pas dobligation à la charge des états parties. Cest une problématique générale sur laquelle je souhaiterais que vous puissiez nous donner quelques informations.
M. Pierre-Christophe BAGUET : Je voulais avoir quelques chiffres, notamment sur le nombre de dossiers en cours dinstruction en France aujourdhui, et connaître éventuellement le pourcentage de dossiers qui aboutissent. Combien y a-t-il de cas de protection judiciaire ? Combien de retraits de lautorité parentale ?
M. le Président : Si vous ne disposez pas immédiatement de certains éléments chiffrés, vous pourrez nous les faire parvenir par la suite.
Si vous avez la gentillesse de répondre à cette première batterie de questions, je vous donne la parole.
Mme Elisabeth GUIGOU : En ce qui concerne les allocations familiales, jai déjà indiqué que jétais contre ce type de mesures. Tout dabord, parce que notre dispositif juridique prévoit déjà que lon peut mettre sous tutelle les allocations familiales et que, si cétait si simple, ce serait fait plus largement. Mais je ne vois pas comment, sagissant de familles déjà en difficulté il sagit le plus souvent de femmes seules débordées par des enfants sur lesquels elles nont plus dautorité , souvent au chômage, dont les allocations familiales sont les seules ressources, on pourrait imaginer apporter des solutions en supprimant ou en réduisant les allocations. On peut toujours les mettre sous tutelle si le père ou la mère les dépense pour autre chose que pour le bien des enfants.
Dune façon générale, en matière de délinquance des mineurs, je ne pense pas quil puisse y avoir une seule solution. Cest probablement le sujet le plus préoccupant dans notre société à plusieurs titres.
Tout dabord, il est vrai que la délinquance des mineurs prend des formes de plus en plus graves chez des enfants de plus en plus jeunes. Reste à savoir si elle croît en quantité. Il y a une certaine controverse entre statisticiens, mais ce qui est sûr, cest que des enfants de plus en plus jeunes commettent des actes de plus en plus graves.
Ensuite, jobserve des comportements de fuite de la part des adultes par rapport à ce phénomène de délinquance des mineurs, comportements de fuite qui caractérisent aussi bien les parents que les institutions.
Cest la raison pour laquelle il faut affirmer la primauté du principe éducatif qui me paraît absolument essentielle, car le premier devoir dune société est de ne pas se résigner à ce que des jeunes soient définitivement bloqués, enkystés dans la délinquance. Il faut vouloir quils puissent se réinsérer.
Souvent, ces enfants qui basculent dans la délinquance nont jamais été écoutés, ils se sentent négligés et ne se sentent pas de place dans la société. Ils ne se perçoivent que dans des comportements marginaux, dans des lieux à part. Cest ainsi que beaucoup senfoncent dans les trafics.
Mais il faut dire et redire que léducation comporte aussi la sanction. Il est donc extrêmement important de développer des procédures. Je voudrais faire une remarque à ce sujet car on mélange tout. On mélange ce qui est de lordre de lintervention sociale et ce qui doit être de lordre de lintervention judiciaire.
La justice ne peut intervenir que lorsquil y a acte de délinquance, ce qui ne veut pas dire que les magistrats ne doivent pas participer avec les autres responsables publics à la prévention.
Lorsque je parle de comportements de fuite, cest parce quil y a aujourdhui dans notre société des réflexes qui consistent, par exemple pour lécole, à exclure. Heureusement, le ministre de léducation nationale réagit contre cette tendance. On exclut des mineurs qui restent en dehors de toute activité scolaire pendant des années ! Viennent ensuite les travailleurs sociaux, dont le dévouement est admirable, et ainsi, on reporte le problème vers la justice.
Toutes ces mesures qui paraissaient être des recettes miracles, labaissement de lâge de la majorité, la mise sous tutelle des allocations familiales ou la réinstauration des maisons de correction, me paraissent correspondre à des comportements de fuite, cest-à-dire des réflexes dadultes qui nassument pas entièrement la responsabilité qui doit être la leur, qui est une responsabilité découte, mais aussi de fermeté vis-à-vis des mineurs.
En ce qui concerne laudition de lenfant, il faut éviter que les enfants ne soient partie à toutes les instances ; notamment en matière de divorce, il nest pas souhaitable quils soient trop impliqués dans les controverses qui existent entre leurs parents. Cest une question dappréciation du juge, mais jai insisté sur la motivation, qui est nécessaire. Il faut trouver un équilibre.
Sur le caractère applicable de la Convention internationale des droits de lenfant, notre droit est de plus en plus largement en conformité avec les obligations de la Convention. Nous devrions arriver à réduire ce type de hiatus constaté par la Cour de cassation.
Pour ce qui est des chiffres, les juges des enfants prennent près de deux cent mille décisions par an. Au pénal, nous avons soixante mille décisions dont seize mille sont confiées à la protection judiciaire de la jeunesse, secteur public. Au civil, nous avons environ cent quarante mille décisions par an.
M. Gaëtan GORCE : Vous évoquez lapplication de la Convention internationale des droits de lenfant. Un des points de cette Convention, extrêmement délicat à traiter, que lon ne trouve pas dans le droit français et qui est souvent rappelé par ceux qui suivent lapplication de cette Convention, est le droit de lenfant à connaître ses origines. Pourrions-nous connaître votre sentiment à ce sujet ?
Dans un tout autre ordre didée, celui de laction qui doit être conduite sur le terrain en direction des enfants délinquants ou de ceux pour lesquels se posent des problèmes de délinquance, estimez-vous que les moyens mobilisés par les différents services, qui intéressent souvent les collectivités territoriales, sont suffisants par rapport à lampleur des problèmes à traiter ?
Mme Annette PEULVAST-BERGEAL : Je voudrais évoquer le cas denfants qui se comptent par dizaines, voire par centaines, car je ne suis pas sure que les chiffres soient très précis. Ce sont les enfants nés en France de mère française, qui, à la suite dun divorce, ont été enlevés, séparés et sont partis dans dautres pays et dont les mères, lorsquelles ont la possibilité de les voir, ce qui est rare et se fait toujours dans des conditions très difficiles, disent quils sont en danger et quils nont pas des conditions de vie épanouissantes.
Le ministère des affaires étrangères répond très souvent que pour certains pays, il nexiste aucune Convention et quil est impuissant. Le ministère de la justice peut-il avoir une action en direction de ces enfants qui, je le répète, sont français ?
Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Mme la Ministre, je voudrais attirer votre attention sur ces enfants handicapés qui subissent dans différents centres sociaux, voire dans des hôpitaux, des sévices de la part de leur encadrement ou même de médecins. Je voudrais connaître votre avis sur ce point et les sanctions encourues par ces personnes qui se livrent à des sévices sur ces enfants particulièrement en difficulté ?
Mme Martine AURILLAC : Mme la Ministre, vous avez évoqué la protection des enfants à légard des médias et avez rappelé, à juste titre, limportance qui sattache au contenu des messages face auxquels nous sommes très démunis. Quels sont vos projets à cet égard ?
M. le Président : Dans les auditions auxquelles nous avons procédé, il apparaît que se posent des problèmes qui touchent la règle de droit, mais le plus souvent ce sont des questions dapplication. Vous vous occupez de lapplication mais aussi de la règle de droit. Avez-vous dans vos cartons des projets damélioration de la règle de droit sur tel ou tel point qui pourrait concerner le droit des enfants ?
Mme Elisabeth GUIGOU : Sur le droit des enfants à connaître leur origine, à ce jour, nous avons laccouchement sous X. Cest une particularité du droit français, je ne serais pas opposée au fait quil évolue.
La responsabilité des collectivités territoriales est une question essentielle parce que la décentralisation a confié des responsabilités très importantes aux Conseils généraux. Je nai pas dévaluation précise sur la façon dont les Conseils généraux sacquittent de leurs obligations. Je ne peux en avoir une idée quà la suite de rapports ponctuels. Mais jai globalement le sentiment que les Conseils généraux soccupent davantage de la protection de la petite enfance et de la protection des personnes âgées que de la question des adolescents. Ce nest cependant quune impression parce que je ne dispose pas dévaluation précise. Je mattache cependant à approfondir les choses.
Nous avons en effet engagé un travail avec lAssemblée des présidents de Conseils généraux et son président, que jai rencontré récemment. Nous intensifierons cela après les élections cantonales parce que, pour linstant, les Conseils généraux sont pris par autre chose, mais il me semble indispensable davoir cette évaluation en la matière. Nous prendrons un échantillon suffisamment représentatif des départements pour voir sil existe une coopération suffisante entre le système judiciaire et les Conseils généraux et comment elle peut être améliorée.
Les enfants nés de couples mixtes vivent parfois des drames terribles. Nous faisons notre possible à travers lentraide judiciaire et laction diplomatique qui, souvent, est intense.
Au niveau européen, nous venons dadopter au conseil des ministres une Convention que lon appelle de " Bruxelles II " qui concerne justement la coopération entre juges en matière de divorce et donc de garde denfants. Elle nest pas encore formellement adoptée dans tous ses détails.
Lorsque celle-ci sera signée et ratifiée par tous les Etats membres, ce sera la décision dun seul juge dun seul Etat membre il faudra bien sûr choisir ce juge qui simposera à tous les Etats membres. Chaque Etat devra faire respecter par ses propres juges les décisions prises par le juge de lEtat voisin en matière de divorce et de garde des enfants. Cest un progrès considérable pour les enfants et pour les personnes qui, déjà divorcées, devaient parfois divorcer à nouveau lorsquelles souhaitaient se remarier dans un pays différent.
En ce qui concerne les enfants handicapés, les sanctions applicables sont celles du droit commun. Chaque fois que ce type de problème est signalé, il y a naturellement intervention judiciaire. Nous avons eu, par exemple, quelques affaires dabus sexuel sur des enfants handicapés ou difficiles. Sachez que jy ai apporté une attention personnelle immédiate et constante et que les juges sont intervenus immédiatement.
Cela pose le problème du signalement par la protection maternelle et infantile. Souvent, on nest alerté que longtemps après que ce type de sévices a commencé. Cest là quest le problème : comment faire en sorte que la protection maternelle et infantile et la santé scolaire puissent alerter de façon suffisamment précoce ?
Le contenu des messages diffusés par les médias constitue une question difficile. Si javais la réponse, je vous laurais donnée, mais je ne lai pas. Cest certainement lun des sujets sur lequel votre commission denquête peut le mieux faire avancer la réflexion.
Nous avons, bien sûr, des projets damélioration de la règle de droit.
Le projet de loi sur la prévention et la répression des atteintes sexuelles est évidemment très important, car, comme je le disais, nous disposons pour la première fois dun statut du mineur victime et de dispositions qui visent à réduire autant que possible le traumatisme pour le mineur. Non seulement ce sont des dispositions législatives qui, par exemple, prévoient quil puisse y avoir des auditions audiovisuelles ou audio pour quil ny ait quun seul enregistrement de lenfant, mais nous avons aussi tout un travail engagé entre plusieurs ministères le mien, ceux de lintérieur, de la santé, de léducation nationale pour faire en sorte, dans sept villes test, que lenfant victime de sévices puisse être entendu par toutes les parties prenantes dans un seul endroit par hypothèse, lhôpital.
Lécole ayant signalé quun enfant est soumis à des sévices sexuels, il est auditionné en premier lieu par un pédopsychiatre capable non seulement dentendre sa parole, mais aussi découter ses silences cest extrêmement important. A partir de là, nous essayons de faire en sorte que les policiers et les juges puissent venir à lhôpital, comme on le fait avec les victimes daccidents de la route, et non pas reconvoquer lenfant par la suite.
Nous menons évidemment une réflexion sur la détention des mineurs. Actuellement, sept cents jeunes sont en prison, ce qui est encore trop à mes yeux. Cela peut paraître peu, mais nous devons faire en sorte de faire entrer davantage léducatif dans les prisons pour jeunes. Cette année, jai affecté la totalité des postes de surveillants supplémentaires que je vais créer sur le budget 1998 aux centres de jeunes détenus. Jai pu voir à Fleury-Mérogis pour les plus jeunes détenus nous avons mis en place un surveillant qui soccupe dune dizaine de jeunes des résultats assez spectaculaires. Ces jeunes tiennent leur cellule propre et on sent quils font quelque chose de leur séjour en prison. Cela demande évidemment des moyens importants.
Nous avons également engagé une réflexion sur le suivi individualisé des mineurs multirécidivistes. Jai reçu un rapport que javais commandé au mois de juillet sur les unités dencadrement éducatif renforcé créées par mon prédécesseur et sur les foyers dhébergement, rapport intéressant au sens où il montre que pour ces mineurs récidivistes, qui souvent nont pas du tout connu lautorité parentale, la solution est probablement dans un suivi continu par un éducateur, selon la formule : " un adulte, un mineur ". En même temps, nous devons, à travers cette relation exclusive pendant un certain temps entre un adulte et un mineur, réfléchir davantage en termes de projet éducatif quen termes de structure.
Les juges des enfants, en tout cas, me disent quils ont besoin dune diversité de structures vers lesquelles orienter ces jeunes. Cela pose des problèmes de moyens. Je suis en train de faire faire par mes services, notamment par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, une évaluation plus large des possibilités des foyers classiques et des UEER. Nous allons profiter de la mission parlementaire confiée à Mme Christine Lazerges et à M. Jean-Pierre Balduyck, pour élargir notre réflexion.
Je souhaiterais que lon sinterroge, sagissant de ces mineurs multirécidivistes, sur laction de lensemble des services administratifs. Avec Claude Allègre, par exemple, nous sommes en train de réfléchir à la mise en place de " classes relais ". Il en existe actuellement soixante-dix, dont une dans chaque département de la région parisienne, mais aucune à Paris. Ce sont des classes comptant entre huit et douze enfants, un enseignant et un éducateur. Je ne peux pas, avec les six mille éducateurs de la protection de la jeunesse, imaginer que lon puisse multiplier à grande échelle ces classes relais, mais ce que je peux faire avec léducation nationale, Claude Allègre en est daccord, cest voir la façon dont elle peut créer ces classes destinées à accueillir des enfants pour un temps limité, puisque lobjectif est de les réinsérer dans le circuit scolaire et dont les services de la protection judiciaire de la jeunesse peuvent apporter le conseil et lexpertise qui, souvent, font défaut aux enseignants.
Nous devons réfléchir sur la formation des enseignants. Leur formation actuelle fonctionne bien avec les enfants qui nont pas de problème. Les syndicats denseignants que jai pu contacter me le disent. Mais ils ne sont ni préparés ni formés à affronter des enfants qui ont toutes sortes de carences, psychologiques, affectives, sociales, culturelles, économiques avec le chômage des parents.
Il faut ensuite faire en sorte que les services sociaux alertent beaucoup plus précocement sur les enfants et les familles à problèmes. Les enseignants que je rencontre dans les tribunaux me disent souvent que, dès la maternelle, on est capable didentifier ces enfants qui sont dans des familles à problèmes.
Nous devons aussi nous interroger sur la suppression des brigades des mineurs qui relèvent de la police. Les juges que jai interrogés à ce sujet me disent quelles étaient extrêmement utiles parce que, lorsque des policiers appartenant à ces brigades des mineurs amenaient un jeune devant un juge, ils lui restituaient en même temps le contexte dans lequel vivait ce jeune. Avait-il déjà fait telle ou telle chose, etc. ... Cétait un éclairage extrêmement important. Aujourdhui, ces brigades existent encore pour les mineurs victimes. Cest très bien, mais il me semble quil y a là une réflexion à mener. Cest évidemment un chantier extrêmement vaste.
M. le Président : Mme la Ministre, nous vous remercions infiniment de la précision et de la richesse de vos réponses.
Audition de Mme Marie-George BUFFET,
Ministre de la jeunesse et des sports,
accompagnée par M. Gilles GARNIER,
Chef adjoint de cabinet
et Mme Martine TIMSIT, Conseillère technique(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
puis de Mme Annette PEULVAST-BERGEALMadame Marie-George Buffet est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, Mme Marie-George Buffet prête serment.
Mme Marie-George BUFFET : Laccès à léducation, aux vacances, aux loisirs, mais aussi à linformation, à lexpression et à la décision constitue pour les enfants et les jeunes des droits fondamentaux. Ces droits sont des facteurs déterminants pour leur développement. Ils permettent lexercice de la citoyenneté et contribuent plus que jamais à renforcer la cohésion sociale, en faisant reculer les phénomènes de violence et de repli.
La défense de ces droits fonde depuis toujours laction du ministère de la jeunesse et des sports, même si dans une période récente, laspect jeunesse de lactivité du ministère a été quelque peu dévalorisé.
Certaines de ces actions relèvent du champ traditionnel de ce ministère, notamment en ce qui concerne lenfance. Dautres sont beaucoup plus récentes et novatrices. Certaines sont bien connues du grand public. Beaucoup restent encore, malheureusement, insuffisamment connues et reconnues.
Je traiterai tout dabord de laccès aux vacances et aux loisirs. Il sagit dune action traditionnelle de ce ministère. Laccueil des enfants et des jeunes pendant les vacances et les temps de loisirs a constitué une des missions originelles du ministère de la jeunesse et des sports.
Il concerne les centres de vacances un million six cent mille enfants de quatre à dix-huit ans accueillis chaque année , les centres de loisirs sans hébergement quatre millions denfants de deux à dix-huit ans accueillis chaque année , les chantiers de jeunes
seize mille jeunes par an de douze à vingt-cinq ans , les opérations qui sadressent aux quartiers en difficulté, comme Ville-Vie-Vacances huit cent mille jeunes de douze à vingt-cinq ans , les contrats daménagement des rythmes de vie des enfants et des jeunes - plus de deux millions denfants de quatorze à douze ans, couverts par deux mille contrats, dont cent vingt-quatre mille enfants dans le cadre de deux cent quarante contrats expérimentant de nouveaux rythmes scolaires , enfin, les projets locaux danimation de jeunesse et de sport et autres formules contractuelles passées avec les élus locaux qui visent à assurer, en collaboration avec les partenaires locaux et le monde associatif, la mise en place de véritables politiques globales de jeunesse et de sport - un million six cent mille enfants et jeunes, essentiellement de douze à vingt-cinq ans.
Des améliorations restent à apporter. Un enfant sur trois ne part jamais en vacances. Le problème de laccessibilité aux vacances et aux loisirs demeure donc posé. Jai fait, dans le cadre de la loi sur la prévention des exclusions, des propositions dans le sens de laccès du plus grand nombre aux vacances et aux loisirs, notamment par linstauration du quotient familial pour tout ce qui est activité de loisir et activité sportive et la mise en place dun " coupon-sport " pour laccès des enfants et des jeunes aux clubs sportifs.
Des formules innovantes restent encore à développer pour accueillir les adolescents qui, faute de changement, désertent peu à peu les structures trop traditionnelles, que ce soient les centres de vacances ou les pratiques sportives à travers la formule des clubs.
Des rapprochements sont actuellement en cours avec léducation nationale pour envisager les conditions dune éventuelle généralisation des contrats de rythme de vie qui, si la discussion avec ce ministère aboutit, seront désormais des " contrats locaux déducation ".
Au-delà de la simple fonction sociale daccueil et de garde, le secteur des vacances et des loisirs remplit une fonction éducative déterminante.
Tout comme il existe une politique de lécole et une politique de la famille, le temps de loisir demande, au regard des évolutions sociales et des enjeux du troisième millénaire, la mise en oeuvre dune véritable politique publique.
Le temps de loisir est, en effet, un temps durant lequel peuvent saggraver ou, au contraire, se réduire les inégalités culturelles, économiques et sociales. Cest donc, plus que jamais, un enjeu déterminant pour la réduction de la " désagrégation " sociale. Doù lenjeu dune revalorisation, dune actualisation de léducation populaire, notamment dans son volet enfants et jeunes.
Deuxièmement, la protection des mineurs est une action constante du ministère. Laccès aux vacances et à toutes les formes de loisir est développé par le ministère, dans un cadre réglementaire spécifique, qui vise à garantir à tous sécurité et qualité. Ce cadre réglementaire est unique en son genre dans toute lEurope.
La protection des mineurs est assurée par les services déconcentrés de la jeunesse et des sports, par des contrôles des services assurés sur place par des personnels de la jeunesse et des sports, par la mise en uvre dune procédure administrative spécifique en cas de dysfonctionnements ou de déviances constatés. Cette procédure permet dinterdire de façon provisoire ou définitive, tout animateur, directeur ou responsable ayant commis des agissements répréhensibles. Une procédure durgence permet décarter immédiatement les personnes soupçonnées de tels agissements. Lensemble de ce dispositif jusquici géré au niveau national est désormais déconcentré au niveau du préfet de département depuis le 1er janvier 1998.
Une procédure du même type existe pour les activités sportives. Jusquà présent, dans ce domaine, ces mesures concernaient essentiellement, je dirai presque uniquement, le respect ou non des niveaux de diplômes exigés pour exercer des fonctions dencadrement. Il a fallu alerter ce secteur sur la nécessité de faire en sorte que ces procédures puissent aussi toucher les problèmes de maltraitance dans la pratique sportive.
Le ministère assure également de nombreuses actions de lutte contre la maltraitance : participation active au groupe permanent interministériel de lenfant maltraité, réalisation de documents divers dinformation et de formation auprès de lencadrement. Depuis presque deux ans maintenant, le ministère a mis en oeuvre un vaste dispositif de prévention contre les risques sectaires : création dun réseau de correspondants régionaux, réalisation de documents dinformation et de formation, vigilance accrue à légard des déclarations de séjour des centres de vacances, des centres de loisirs et des associations sollicitant lagrément ; participation du ministère de la jeunesse et des sports aux travaux de lObservatoire interministériel des sectes; soutien aux associations spécialisées.
Le ministère conduit également de nombreuses actions de lutte contre le sida. Il a tenu récemment des journées de prévention avec lensemble du milieu des éducateurs et du milieu danimation. Là aussi, des améliorations sont nécessaires. Nous avons besoin dun renforcement des moyens humains des services déconcentrés qui assurent aujourdhui le contrôle des structures, dautant quil y a eu multiplication, dans la période récente, de structures privées parfois très provisoires pour accueillir les enfants et les jeunes, ce qui nécessite une vigilance accrue.
Il est également nécessaire de renforcer les coopérations entre les divers services de lEtat. Le ministère de la jeunesse et des sports a trop longtemps travaillé isolément. Nous avons besoin de rapports plus étroits entre les services de léducation nationale, de lemploi et de la solidarité, de la justice et de lintérieur et de réactiver les pôles de compétence. Une structure de concertation permettant à tous ces interlocuteurs de discuter de la question de lenfance et de la jeunesse existe, mais pas dans tous les départements. Il faut la remettre sur pied.
Au-delà de ces actions traditionnelles, auxquelles il faudrait ajouter des opérations comme " Défi jeunes " ou " Ticket sport ", la nouveauté est de faire des jeunes des acteurs à part entière des mesures qui leur sont destinées. Nous parlons des enfants et des jeunes, nous nous adressons à des associations qui travaillent avec eux, mais nous avons tout simplement oublié de leur demander de prendre la parole eux-mêmes, et cela dès le collège.
Nous avons donc décidé de lancer dès le 21 juin des " Rencontres locales de la jeunesse ". Elles ont réuni plus de cent mille jeunes, au cours de mille sept cents rencontres. Ils ont tout de suite exprimé des demandes précises et ont insisté pour quune suite soit donnée à ces premières rencontres. Ils ont voulu des actes et des mesures extrêmement concrets. Tous les comptes rendus de ces rencontres constituent une matière extraordinairement riche et font apparaître une jeunesse multiple qui se retrouve sur des points essentiels : elle veut quon lui donne des responsabilités, quon la reconnaisse, elle nattend pas tout den haut; elle ne demande pas quon agisse à sa place, mais simplement quon lui ouvre les portes.
Ces aspirations se sont traduites par des dizaines de propositions concrètes. Nous avons retenu cinquante mesures élaborées avec dautres ministères. Une de ces mesures, qui a été réclamée dès le début, visait à mettre en place des structures permanentes de concertation. Nous avons donc créé des conseils permanents de la jeunesse aux niveaux départemental et national. Nous avons appelé les élus locaux à multiplier les conseils locaux de la jeunesse.
A la suite de ces réunions, des groupes de travail ont été créés, notamment sur les questions de laccessibilité, de linformation, de la violence et de la citoyenneté.
Ces rencontres ont peut-être cassé une fausse image des enfants et des jeunes daujourdhui. On ne constate pas de rejet de la chose publique, de rejet des adultes, mais plutôt une envie de sen mêler, une envie craintive, teintée de doute, une peur dêtre à nouveau déçus, mais parallèlement une forte attente que les adultes sadressent à eux en tant quindividus.
Parmi les différentes questions qui ont marqué ces rencontres, la plus forte est celle de linformation. Dans une société de plus en plus complexe, laccès à une information globale, précise et adaptée à leurs besoins représente pour les jeunes une attente essentielle. Alors quexiste dans notre pays une multitude de réseaux dinformation qui commencent dès lécole, très présents dans les lycées, alors que le réseau information jeunesse aujourdhui comprend mille cinq cent deux structures qui reçoivent près de cinq millions de jeunes par an, les jeunes, de façon massive, nous disent quils ne sont pas informés, quils ne trouvent pas les lieux pour trouver linformation, quils ne sont pas aidés. Ils cherchent un regroupement de linformation et plus quune information, ils cherchent ce quils appellent des " cellules daide ", des interlocuteurs capables de les aider dans leurs réflexions, dans la mise en uvre de leur projet, dans leur vie personnelle, intime. A ce propos, la question de la sexualité est revenue avec beaucoup de force au cours de ces rencontres.
Face à cette demande, nous travaillons avec dautres ministères sur la mise en place dun point unique dinformation dont le lieu pourrait être divers, selon la réalité sociale et géographique des villes. Certaines structures, comme la mairie, sont accessibles et connues. Dans dautres lieux, dautres sont plus connues comme la PAIO. Il faut choisir, au cas par cas, ces lieux uniques dinformation.
Les premières expériences de cellules daide se mettent en place au niveau des préfectures, où des personnels administratifs se consacrent à recevoir les jeunes sur tous les sujets quils veulent exposer.
Le deuxième point : être écoutés, être reconnus.
Une intervention en direction de la jeunesse ne saurait faire limpasse sur la prise en compte des formes de sociabilité des jeunes, de leur mode de construction de soi et de leur représentation.
Le préalable à toute participation et inscription citoyenne des jeunes est la reconnaissance a priori de leur droit de cité, de la singularité de leurs trajectoires, de leur identité. Doù limportance de lécoute, condition de leur reconnaissance, et de la formulation de leur demande. Celle-ci ne saurait être assimilée à lexpression spontanée ni à un sondage dopinion. Elle ne peut naître que de lapprentissage de la parole, de la construction collective dun espace public.
Un espace propre nest pas ce quils revendiquent, ils souhaitent que les adultes jouent un rôle daccompagnateurs, je dirais de " passeurs ", de " personnes ressources ", visant à favoriser laccès à lautonomie des jeunes, médiateurs entre les désirs des jeunes et les contraintes imposées par les réalités sociales, économiques, culturelles. En ce sens, leur rôle est aussi daider à la prise en compte, par les pouvoirs publics et les structures institutionnalisées, des formes de sociabilités juvéniles.
Un des obstacles à cette reconnaissance des jeunes est la persistance dun regard extérieur négatif porté sur la jeunesse ou sur de larges fractions de celle-ci, regard qui a du mal à prendre en compte les mutations en cours, qui ne sait reconnaître le jeune que lorsquil est conforme, et qui suscite la mise en valeur des identités négatives.
En liaison avec les événements qui ont eu lieu lors des fêtes de fin dannée et avec la violence dans les cités, de nombreux jeunes nous ont dit quils aimeraient que laccent soit mis de la même façon sur les initiatives quils prennent eux-mêmes contre la violence dans ces cités. Ils demandent quon leur donne la parole pour examiner avec eux les chemins quils peuvent prendre pour faire reculer la violence.
Ils souhaitent être écoutés. Et lorsquon les écoute, on se rend compte quil y a à la fois besoin de réparation sociale à court terme on la vu dans les mesures quils ont adoptées, cest tout de suite quils veulent résoudre des problèmes daccessibilité , mais aussi besoin davenir. Il sagit donc daborder avec eux toutes les questions liées à la formation, à lemploi, à la possibilité tout simplement de pouvoir construire un avenir.
On constate quau temps linéaire et rigide de lintervention politique et administrative correspond un temps plus complexe du jeune qui, à la fois, sinscrit dans le présent, connaît une difficulté croissante à se projeter, mais cherche des moyens de passage au monde adulte. Le rôle des politiques publiques, daprès moi, est de faciliter ces passages, de permettre aux jeunes de se construire, dacquérir leur autonomie et de sinscrire dans la société.
Cela induit une intervention globale, concrète et demande déviter tout enfermement, quil soit social, générationnel ou territorial. Aujourdhui, de plus en plus, le territoire du jeune nest même plus la commune, mais le quartier. Souvent, on rencontre chez eux, on le voit bien avec le dispositif emploi-jeunes, un refus de celui qui nest pas du quartier, parfois même une colère parce que le plan emploi-jeunes permet lembauche de jeunes qui sont de la commune mais pas du quartier. Il faut prendre cette question de lenfermement territorial à bras le corps parce quelle est source de repli sur soi et de rejet de lautre.
La réponse à toutes ces questions demande quau-delà de la nécessaire offre dactivités et déquipements le besoin déquipements de proximité est souvent souligné existe une intervention en termes de reconnaissance du jeune comme acteur. Cela demande la constitution despaces publics, entendus comme lieux dexpression, de construction dune parole commune et de débat. Cest lun des grands enjeux actuels.
Nous sommes, par exemple, amenés aujourdhui, à juste titre, à réaffirmer les valeurs fondamentales de la République. Le discours sur la restauration de ces valeurs qui tend à se développer appelle à une construction menée en commun avec les jeunes. Cela ne peut pas se faire vers eux, en dehors deux, mais bien avec eux car ces valeurs, ces repères, il faut les construire avec leurs réalités actuelles, leur vision du monde tel quils le perçoivent aujourdhui.
La troisième demande très forte est celle de laccueil, du rapport avec les institutions : accueil dans les services publics jai parlé des cellules daide , accueil dans lentreprise appel au tutorat, à un partenariat avec le salarié plus ancien , et accueil dans les lieux publics face aux exemples de discrimination qui se multiplient dans tous les lieux publics et dactivités de loisir.
Enfin, je pense quil faut favoriser lexpérience de la citoyenneté.
Contrairement à une idée reçue, on constate un développement du mouvement associatif dirigé par des jeunes. Ce mouvement associatif est très différent de celui que nous connaissions jusquà présent, notamment les grands réseaux déducation populaire et de jeunesse. Ce sont des associations qui se créent dans des limites géographiques, sur des thèmes très restreints. Ces associations ont parfois une durée de vie très courte. Mais nous devons aider les grands réseaux à prendre en compte cette nouvelle vie associative, car cest souvent là que les jeunes en grande désespérance font les premiers pas vers une reconnaissance de leur existence, de leur utilité et donc vers lenvie dentrer dans une nouvelle citoyenneté.
Il faut travailler en reconnaissant ces expériences bénévoles des jeunes dans leurs études, lors de leur entrée dans la vie professionnelle, comme le font certains pays dEurope du Nord. Il convient de donner des plus, des unités de valeur, y compris dans le cursus universitaire, aux jeunes qui sinvestissent dans la vie associative.
Dernière idée : accompagner les intervenants adultes. De nombreux élus, bénévoles, dirigeants dassociations ou de clubs nous demandent des formations spécifiques pour les aider à comprendre les mutations en cours. Les formations telles quelles existent aujourdhui, que ce soit au niveau de lanimation ou de la vie sportive, ne correspondent pas aux besoins actuels des contacts entre les adultes et les jeunes.
Pour conclure, je dirai que si des logiques protectrices et éducatives sont légitimes, des réponses uniquement éducatives apparaissent comme trop limitées par rapport aux attentes des jeunes. La question est donc bien celle de lexistence sociale des jeunes, de leur place et de leur reconnaissance. Il sagit donc de passer dune approche où les jeunes ont été lobjet déducation et de politique à une approche où ils deviennent des partenaires, de passer dune logique de transmission des normes à une logique de co-construction de points de repère, le rôle des adultes étant un rôle de " conduite accompagnée ".
Cest bien là une démarche nouvelle quil faut que nous mettions en place, non seulement au niveau dun ministère, mais au niveau de tout un comportement de linstitution, de la politique par rapport à ces jeunes.
M. Pierre-Christophe BAGUET : Mme la Ministre, vous avez parlé dun rapprochement avec léducation nationale pour réfléchir à laménagement des rythmes scolaires. Prévoyez-vous la mise en place dune structure qui pourrait empêcher quun instituteur, muté en cours dannée pour troubles de comportement, se retrouve directeur dune colonie de vacances lannée suivante ?
Vous avez parlé de la formation insuffisante des animateurs. Les enfants en maternelle et en cours élémentaire passent cent quarante-trois jours par an à lécole, deux cent vingt-deux jours en dehors de lécole. Ils passent de plus en plus de temps dans les structures municipales et sont encadrés à 80 %, voire à 90 %, par des animateurs qui ont entre dix-sept et vingt-cinq ans et qui disposent en tout et pour tout dune formation théorique de huit jours, complétée de quelques stages, le fameux BAFA. Ces formations sont complètement inadaptées. Comment pensez-vous remédier à cette situation ?
Mme Dominique GILLOT : La question précédente sur la qualité de la formation et de la responsabilité des tout jeunes adultes auxquels lon confie nos enfants pendant de nombreuses heures reflète effectivement une grande préoccupation.
Mais je voudrais porter laccent sur le constat votre intervention complète et devrait même précéder celle que nous venons dentendre que vous dressez des observations des jeunes face à labsence dadultes aptes à exercer leurs responsabilités à leur égard, ce sentiment quils ont de ne pas avoir suffisamment dencadrement, daide de la part des adultes qui leur transmettent des connaissances, qui assument leurs responsabilités : ce constat correspond à une réponse de plus en plus institutionnelle, qui est sollicitée par des adultes qui se sentent complètement débordés.
Mme Guigou était tout à lheure interpellée sur un accroissement de la judiciarisation des relations visant à sanctionner des dérives qui devraient être prises en compte par tout ce milieu éducatif que vous avez bien cerné, auquel il faudrait ajouter la famille. Un enfant est enfant de sa famille, de son quartier, de son école. Il est vraiment indispensable quaujourdhui, même si lon aurait pu le faire plus tôt, on prenne conscience de la nécessité dune politique transversale daccompagnement de tous les adultes qui ont le devoir dassumer leurs responsabilités vis-à-vis des jeunes. Un enfant ne peut pas grandir et se développer tout seul. Il est donc important de lencadrer et votre volonté de redonner toute sa place à léducation populaire, en la mettant au cur de laction dinformation, daccompagnement, de soutien et daide des jeunes, me paraît judicieuse.
Comment comptez-vous concrétiser cette orientation politique qui est appelée de tous nos voeux ?
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez utilisé le terme de " contrats locaux déducation " destinés à remplacer les anciens contrats daménagement du temps de lenfant CATE. Cette nouvelle dénomination signifie-t-elle que vous entendez, en co-réalisation avec léducation nationale, les " décrocher " de la notion de rythme scolaire, puisque les contrats daménagement du temps de lenfant étaient liés à la notion des semaines de cinq ou quatre jours ?
Mme Marie-George BUFFET : Sur laménagement du temps de lenfant, il se trouve que, depuis maintenant plus de quinze ans, cest le ministère de la jeunesse et des sports qui expérimente des conceptions sur loccupation des temps de loisir.
A une époque, on a parlé de laménagement des rythmes scolaires, ce qui était assez paradoxal puisque cet aménagement se faisait en dehors de léducation nationale et parfois, dans certains endroits, contre elle. On laissait de côté ce qui se passait à lécole et lon essayait de répondre à ses problèmes. Ces expériences restaient très limitées.
Lorsque je suis arrivée à ce ministère, je me suis posé deux questions.
Premièrement, pouvait-on continuer à parler de rythme de vie de lenfant sans introduire de réflexion commune avec la période scolaire ?
Deuxièmement, pouvait-on rester pendant vingt ans au niveau expérimental alors que la République nous appelle à faire profiter lensemble de nos concitoyens des mesures que nous prenons ?
Lidée est donc de se dégager de la question de quatre ou cinq jours, de laprès-midi sans cartable, et dessayer daménager au niveau de la semaine, dans le temps scolaire, avec des aides-éducateurs, plus de temps douverture vers la pratique culturelle, sportive, ou autres, et de coordonner cette ouverture à lintérieur de léducation nationale avec ce qui peut se faire en fin de journée, le midi, le mercredi et le samedi matin. Il sagit de donner une réponse cohérente.
Nous sommes dans une phase de concertation. Nous ferons un appel doffres en direction des collectivités locales et des associations pour essayer de construire quelques projets de contrat locaux déducation dici la fin de lannée.
En ce qui concerne le rapprochement avec léducation nationale à propos des questions de maltraitance, il est vrai que jusquà présent un éducateur pouvait figurer sur la liste du ministère de la jeunesse et des sports et pas sur celle de léducation nationale. Je vais même aller plus loin, un animateur pouvait être suspendu en animation et encadrer un club sportif. Au sein de mon ministère et avec ma collègue Mme Ségolène Royal, nous avons décidé de rapprocher les éléments dinformation pour que les personnes incriminées ne puissent plus exercer nulle part leurs actes de maltraitance.
Le point sur lequel nous sommes certainement pour linstant le plus en retard est lencadrement du mouvement sportif. Jusquà présent, dans le domaine de lanimation, des centres de loisir et de vacances, les choses étaient déjà très avancées, très surveillées et suivies. Alors que nous avons prononcé cinquante suspensions lannée dernière dans le secteur de lanimation, il ny en a eu quune au sein du mouvement sportif.
En ce qui concerne les formations, il faut considérer le BAFA comme un diplôme très important car, pour beaucoup de jeunes, cest le brevet de la citoyenneté. Pour la première fois, ils sont mis en position dapprendre un métier et en situation dencadrer dautres jeunes. Cest un pas important. A mon sens, le BAFA devrait relever de la gratuité, car cest vraiment une première étape. Nous y travaillons.
Cependant, il est vrai que la formation BAFA, dans sa conception actuelle, est insuffisante. On peut constater dans nos centres de loisir et de vacances une baisse du niveau de recrutement. De nombreux organismes emploient massivement des jeunes détenteurs du BAFA, mais nous navons pas suffisamment des personnels dencadrement doté des diplômes supérieurs.
Nous connaissons également un problème avec les formations jeunesse et sports qui sont trop spécialisées. Nous pouvons certes former de très grands techniciens en athlétisme et, parmi eux, des spécialistes du javelot ou du saut en hauteur, mais ces hommes et ces femmes nous disent aujourdhui que ces formations ne leur permettent pas de répondre aux problèmes auxquels ils sont confrontés dans leurs rapports avec les enfants et les jeunes quils sont amenés à encadrer. Ils reconnaissent avoir besoin dêtre formés au niveau de la pratique sportive ou de lanimation, mais ils demandent aussi à être formés au niveau de la relation sociale, du suivi social, des comportements relationnels.
Nous avons donc engagé une réflexion pour une refonte globale de nos formations. Nous aurons toujours besoin de formations spécialisées correspondant à des besoins propres à certains niveaux, mais nous aurons de plus en plus besoin de formations transversales permettant à un homme ou une femme de se tourner vers les enfants, dêtre capables daffronter les problèmes quils rencontrent aujourdhui et de jouer ce rôle daccompagnateur.
Léducation populaire a connu une période extrêmement difficile ces dernières années et nos grands réseaux ont, pour des raisons financières, parfois perdu de vue leur objectif déducation populaire pour être simplement des prestataires de services, notamment des prestataires de formation pour réussir à fonctionner. La plupart de ces réseaux en sont conscients. Nous allons donc organiser avec eux au mois doctobre un colloque sur lactualité de léducation populaire aujourdhui et sur ses missions : comment léducation populaire peut-elle être un moyen daider à la prise de responsabilité des enfants et des jeunes ? Comment ce réseau déducation populaire peut-il être un moyen douverture à des connaissances pour de nombreux jeunes ? Nous le ferons en prenant en compte les réseaux associatifs créés par les jeunes eux-mêmes, sans marquer dopposition entre ce nouveau réseau associatif et les grands réseaux déducation populaire et de jeunesse.
Les rapports entre adultes et jeunes constituent le point important. Les jeunes veulent être reconnus en tant que tels, avec leurs projets, leurs initiatives, leurs idées, leur vécu, leurs goûts, mais ils expriment aussi le besoin que des adultes les accompagnent dans ce passage de lenfance ou de ladolescence à la vie adulte. Ils ont parfois limpression dêtre dans le noir. Ils ont envie dagir mais ne voient pas du tout quel chemin emprunter pour mettre en uvre tel ou tel projet.
Si lon arrive à faire passer lidée quil ny a pas de rejet de ladulte, quil ny a pas de rejet systématique de linstitution, de la politique au sens large du terme, de la chose publique, mais plutôt un sentiment dincompréhension, de fermeture, si lon ouvre un passage, si on les accompagne, ils sont prêts à sy engouffrer et nous aurons fait un pas en avant tout à fait significatif.
Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je voudrais revenir très rapidement sur les enfants des quartiers qui ne pourront jamais partir en colonie de vacances, qui nont même pas de salle pour sexprimer dans leur quartier, pour être autonomes, et qui vont être frustrés dun événement qui, dans les banlieues et les quartiers populaires, prend un retentissement important, je veux parler de la coupe du monde de football.
Ce sera un événement très important, notamment par toutes ses retombées économiques et financières, mais beaucoup denfants de ces quartiers en seront exclus. Ils pourront suivre les matchs sur grand écran dans leur quartier. Cest un exemple parmi dautres, mais on connaît limportance du sport et du foot en particulier dans ces quartiers populaires et lon sait bien que tout cela repose sur un bénévolat que jappelle " héroïque ". Pourriez-vous, à ce propos, nous dire où en est le statut du bénévole que vous appelez de vos voeux ?
Votre ministère pourra-t-il apporter un début de réponse sur linterrogation de tous ces jeunes pour lesquels le foot est un vecteur important et un facteur dintégration ?
Mme Marie-George BUFFET : En ce qui concerne les départs en vacances, nous avons un véritable problème. On constate que dans les centres de vacances, les anciennes colonies de vacances, le nombre de places a diminué en raison des difficultés rencontrées par les communes, du coût de ces départs en vacances. Il nous faut donc engager une réflexion plus globale sur des propositions précises permettant le réel départ des enfants dans ces centres.
Pour ce qui a trait à la coupe du monde, la plupart des enfants et des jeunes de ces quartiers nentreront bien évidemment pas dans les stades pour deux raisons : dune part, il y a deux millions cinq cents mille places et huit millions de demandes, dautre part, même si le prix des places a été modulé, ces enfants ont été dès le début privés de la possibilité de les acheter.
Nous avons pris deux dispositions pour corriger cette situation. Dune part, nous favoriserons tout ce qui relèvera de lanimation autour de la coupe du monde dans ces quartiers. Nous avons prévu quinze millions de francs pour aider des projets associatifs soit montés par des jeunes, soit montés par des communes, à créer une animation pour que ces enfants soient quand même de la fête. Ce sont des projets comme " Cité Foot " auquel se sont inscrits de nombreux quartiers pour participer à des rencontres sportives, mais ce sont aussi des projets qui sortent un peu du sport, des projets culturels tournant autour de la coupe du monde.
Dautre part, nous ferons en sorte que ces enfants ne soient pas simplement cantonnés à regarder le match devant la télévision, où manque laspect convivial de la fête sportive. Nous avons obtenu un droit de retransmission gratuit par écrans géants, mais nous nous sommes vite aperçus que ce nétait pas suffisant, car les communes reculaient devant la difficulté de la tâche consistant à obtenir un écran géant et à régler les problèmes techniques. Nous avons donc, avec laide conséquente dassociations, décidé de prendre en charge trois équipements sous forme de camions écrans géants, qui nous permettront, avec les communes qui apporteront une participation financière, de créer un premier circuit de retransmission. Nous devons signer un premier accord avec lagglomération lyonnaise dans quelques jours afin de faciliter la démarche des communes et de permettre à de nombreux jeunes davoir accès le plus facilement possible à la retransmission de ces matchs dans le cadre daccords intercommunaux, le fait que lécran géant est situé dans un quartier ne devant pas empêcher les jeunes du quartier voisin relevant dune autre commune d y avoir accès.
Mais il faudra rester très sensible à ce qui va se passer autour des stades, parce que des jeunes pensent encore quils pourront avoir accès aux stades, comme lors dun championnat de France. Ils espèrent encore pouvoir acheter leur place au dernier moment. De plus, commence à se développer un marché noir. Jusquau bout, il va falloir accompagner le déroulement de cette coupe du monde par une action de proximité vers ces jeunes, par des mesures danimation renforcées pour quil ny ait aucune expression de colère ou de violence liée à des phénomènes de rejet autour des stades sites de la coupe du monde.
Pour ce qui concerne le statut du bénévole, nous allons entamer le travail de concertation interministérielle et avec les associations. Le ministère de la jeunesse et des sports pilotera ce travail, qui concerne lensemble du mouvement associatif, pour aboutir à un projet de loi en 1999. Les propositions existent déjà au sein du mouvement associatif qui y travaille depuis des années. Il faut maintenant étudier le financement de ces propositions qui concernent le temps libre, lindemnisation et la reconnaissance dans le cursus scolaire et professionnel. Ce sont là les grands axes. Les questions de responsabilité sont également une source de préoccupation pour les bénévoles.
Plus largement, nous devons étudier la question de lintégration par le sport. Sans raccourci illusoire, je combats lidée qui consiste à dire : " Faites-leur faire du sport, ils ne feront pas de bêtises ". Nous nen sommes plus là. On a déjà constaté que la violence entrait à lécole, mais depuis quelques mois on constate quelle entre aussi dans les stades. Je ne parle pas des supporters déquipes professionnelles, mais de rencontres minimes, cadets, où les équipes se livrent à des affrontements très violents. Si lon veut que le sport joue son rôle dintégration, il faut travailler à une mobilisation du mouvement sportif sur les comportements. Là aussi, il convient dapporter une aide aux bénévoles encadrants, car ils sont quelque peu désespérés face à cette violence qui arrive sur les stades.
Il faut également cest un débat que nous avons avec les fédérations sportives et nous avons fait figurer ce point dans les Conventions que nous signons avec elles pour lannée 1998 que les fédérations sportives souvrent à de nouvelles pratiques sportives. On ne peut avoir dun côté le club, avec son fonctionnement tout à fait normal, les entraînements et la compétition, et de lautre, des pratiques sportives " sauvages " organisées pour des jeunes ou des moins jeunes et parfois utilisées par des marques privées qui organisent des tournois parallèles, comme de célèbres marques de chaussures, sans quil ny ait aucune garantie sur le contenu de ces tournois puisquils ne sont pas sous la responsabilité du mouvement sportif.
Nous éprouvons des difficultés à faire en sorte que lensemble des fédérations cherchent à travailler vers ces jeunes. Quelques fédérations sy emploient. Hier, jai encore signé mille cinq cents nouveaux emplois-jeunes dans le mouvement sportif avec les fédérations dathlétisme, de gymnastique et daviron. Ces emplois-jeunes visent à permettre daller vers de nouveaux publics, notamment vers un public jeune.
Mme la Présidente : Mme la Ministre, il me reste à vous remercier davoir été aussi complète dans votre exposé et dans vos réponses.
Audition de MM. Olivier BRASSEUR, Directeur général du
Centre international de lenfance et de la famille (CIDEF),
Frédéric JESU, Coordonnateur de département
et Bruno RIBES, Chargé de projets(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)
Présidence de Mme Annette PEULVAST-BERGEAL
Messieurs Olivier Brasseur, Frédéric Jésu et Bruno Ribes sont introduits.
Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation de la Présidente, MM. Olivier Brasseur, Frédéric Jésu et Bruno Ribes prêtent serment.
M. Olivier BRASSEUR : Jai ici un document qui nous sera utile lors de lexposé.
Mme la Présidente, mesdames et messieurs les parlementaires, je tiens à vous remercier davoir invité le CIDEF à participer à vos travaux car les droits de lenfant sont au coeur de ses activités.
Mon propos liminaire sera bref, pour que nous puissions avoir après une discussion sur les différents points.
Parler des droits de lenfant implique que lon examine un vaste champ de questions, qui va de lobligation de lEtat à assurer la survie de lenfant à des problématiques plus complexes qui relèvent de la liberté dexpression.
Lorsque lon parle de questions relatives à lenfant, on a tendance à segmenter les sujets soit par âge, soit par matière, soit par temps de la vie. Je suis content que cette commission et je vous en félicite, Mme la Présidente aborde les droits de lenfant dans le cadre prescrit, parce quainsi, elle va avoir à connaître de toutes les questions qui touchent à ces droits.
Sur la " carte du tendre " que je vous ai fait passer, vous trouvez en ordonnée lâge et en abscisse les heures du jour. On a malheureusement tendance à segmenter la journée en suivant les temps familiaux, les temps à lécole, les temps à la cantine, les temps périscolaires, et lon saperçoit très vite quentre ces temps, il y a de profondes césures et une absence dintégration.
Il en va de même lorsque lon décline les questions relatives à lenfant en fonction de lâge, puisque lon parle alors de tranches de zéro à trois ans, de trois ans à six ans puis de ladolescence. On constate des zones dinconnu comme la période huit-douze ans, sans parler de celle de ladolescence dont les problèmes sont plus complexes.
Nous commencerons notre propos par une recommandation, ou plutôt une suggestion, qui serait que lensemble des dispositifs sociaux, sanitaires et éducatifs devrait être réexaminé en vue dapporter des réponses plus globales, dassurer une plus grande continuité du suivi, une approche véritablement intégrée et une meilleure coordination des actions, notamment en faveur des enfants les moins favorisés.
Lobjectif de cette intégration serait dassurer ce qui constitue la toile de fond, à savoir une meilleure socialisation des enfants.
Il sera difficile en dix minutes dembrasser toutes ces questions et je restreindrai notre propos à quelques domaines simples mais particulièrement importants.
Le premier domaine est le droit de lenfant à connaître ses origines.
Le dispositif législatif français comporte une contradiction qui fait que laide sociale à lenfance prend en charge les femmes qui désirent accoucher sous le sceau du secret. Passé le délai de trois mois, lenfant est admis en qualité de pupille de lÉtat et ne peut plus alors connaître ses origines. Cela est en contradiction avec larticle 7 de la Convention internationale des droits de lenfant.
En France, 85 % des enfants nés hors mariage sont reconnus par leur père avant lâge de cinq ans. 15 % des enfants ne le sont pas, sans que lon en connaisse les raisons.
Notre deuxième suggestion à la commission serait quelle recommande de modifier la législation et de mettre en uvre tous les moyens permettant à chaque enfant de connaître ses origines. Je nentre pas dans le détail car jimagine que dautres institutions auditionnées vous en ont parlé.
Le deuxième domaine est la prévention des carences familiales et éducatives.
La France est, avec les pays nordiques et la Belgique, le pays qui offre probablement lune des politiques les plus actives en matière de garde des jeunes enfants. Il existe nombre de dispositifs innovants et malgré cette qualité de loffre, on constate une grande disparité géographique, notamment entre zones urbaines et zones rurales.
Cette question se complique par la segmentation des tranches dâge. Nous pourrions suggérer à la commission denvisager que laccueil de la petite enfance soit harmonisé afin davoir un système unifié couvrant une tranche dâge plus large, de zéro à six ans.
Lautre problème relatif à la prévention des carences familiales et éducatives a, bien sûr, trait à ce lon appelle la conciliation de la vie familiale et du travail.
Aujourdhui, 75 % des femmes de vingt-cinq à cinquante ans exercent ou recherchent un emploi. Quand on sait que les femmes occupent en général un emploi plus répétitif que celui des hommes, probablement aussi plus pénible, et que lorsquelles rentrent à la maison, elles ont généralement à assumer les tâches ménagères, on voit quil ne reste plus beaucoup de temps pour soccuper des enfants.
Sur les deux millions deux cent mille enfants âgés de moins de trois ans, 67 % sont gardés à domicile, 12 % sont scolarisés, 9 % sont en crèche et 11 % sont chez une assistante maternelle. Le dispositif actuel favorise le maintien à domicile. Cette tendance nous semble être préjudiciable à lapprentissage précoce de la vie en société.
Par ailleurs, sil existe une désaffection des lieux daccueil comme les crèches et les jardins denfant, cest parce que ceux-ci ne sont pas suffisamment adaptés aux modifications des conditions de vie. Les normes qui régissent actuellement le fonctionnement de ces lieux daccueil datent de vingt ans. Nous suggérons donc à la commission denvisager que le mode de fonctionnement des lieux daccueil des enfants de zéro à six ans soit réexaminé afin de mieux les adapter aux besoins des parents et de leur faire jouer un rôle de lieu dintégration et de socialisation, notamment pour les familles en situation de précarité.
Le troisième domaine concerne la prévention des violences faites aux enfants.
Le dispositif législatif et réglementaire crée une répartition des compétences entre lEtat et les collectivités locales. Le juge, fonctionnaire de lÉtat, engage des dépenses qui relèvent, en fait, du budget du Conseil général. Jespère que le recours parfois excessif aux instances de la justice se calmera, sinon les Conseils généraux se trouveront face à des dépenses dont ils nont pas la maîtrise. Nous suggérons que le rôle des Conseils généraux dans le domaine de la protection de lenfance qui couvre la polyvalence de secteur, la protection maternelle et infantile et laide sociale à lenfance soit encouragé, promu, afin de faire prévaloir la prévention sur la sanction.
Lavant dernier domaine, qui relève des attributions traditionnelles du Centre international de lenfance et de la famille, a trait aux questions de santé.
Je voudrais, là encore, souligner la fragmentation, les césures, qui existent dans la vie de lenfant entre famille, école, institutions sportives ou récréationnelles, crèches, etc. Trop souvent, malheureusement, les problèmes de santé des enfants, à lécole primaire en tout cas, sont ignorés. Plus grave encore, les enfants signalés par la médecine scolaire, appartenant à des familles en situation de précarité, ne peuvent bénéficier du suivi des prescriptions du médecin scolaire, telles quune paire de lunettes, un problème daudition ou de croissance.
Nous souhaiterions que la médecine scolaire, qui reste quand même le parent pauvre de la médecine malgré tous les efforts faits récemment pour recruter des infirmières, soit mieux intégrée. Il suffit pour se convaincre du bien fondé dun tel vu de dire que lon compte un médecin de santé scolaire pour sept mille cinq cents élèves.
Tout ce dispositif du titre II du code de santé publique, qui couvre la PMI, lassistance médicale à la procréation, lexamen prénuptial, le contrôle des maternités et lIVG est une intrication des responsabilités des collectivités locales et de lÉtat qui ne sont pas toujours bien définies. La médecine libérale, quant à elle, suit sa propre logique et lon ne sétonnera pas que dans le maillage de ces trois réseaux, les enfants en situation de précarité puissent " échapper " aux soins quils mériteraient.
Nous aurions deux suggestions à faire sur ce domaine de la santé.
Premièrement, il faudrait renforcer larticulation entre PMI et services académiques de promotion de la santé en faveur des élèves, notamment à loccasion du bilan de santé de quatre ans réalisé par les services de PMI dans les écoles maternelles, par une utilisation plus systématique du carnet de santé qui existe, mais est insuffisamment utilisé , par une standardisation et une exploitation nationale des bilans de santé scolaires à six ans et en sortie de collège, qui nous permettraient de mieux connaître la situation exacte et létat de santé de nos enfants.
Deuxièmement, il faudrait renforcer larticulation entre les dispositifs préventifs et curatifs publics et libéraux sur la base de modèles expérimentaux élaborés conjointement par des Conseils généraux, les CPAM et les inspecteurs dacadémie pour assurer un véritable suivi des bilans de santé scolaire et éviter que ces enfants en situation de précarité ne passent à travers les mailles du dépistage et de la prise en charge.
Dernier domaine vous allez penser, Mme la Présidente, que le CIDEF se mêle de ce qui ne le regarde pas, mais jen prends lentière responsabilité parce que cela nous paraît important on ne peut pas socialiser nos enfants si lon ne soccupe pas de leur éducation.
Le CIDEF nest pas vraiment un spécialiste de léducation, mais jaimerais attirer lattention de la commission sur une situation qui nous préoccupe : plus de 8 % des jeunes sortent aujourdhui en France du système éducatif sans aucune qualification, en situation déchec scolaire. Des enquêtes ont montré que la majorité des adultes déclarant avoir des difficultés de lecture, décriture ou de maîtrise du langage ont quitté lécole sans diplôme. En 1996, près de 14 % des enfants entrant en sixième ne maîtrisaient pas la lecture. Cette situation est extrêmement préoccupante.
De plus, à diplôme équivalent, on sait que la précarité, le chômage et la dislocation de la cellule familiale sont des facteurs désastreux sur la performance de lélève. Imaginez les résultats pour les familles qui cumulent tous ces handicaps !
Ce simple constat, tiré denquêtes que tout le monde connaît, montre que les besoins de formation et déducation sont évidemment disparates et que cette disparité saccommode mal dune offre " standardisée " au plan national par lexistence de programmes.
Je serai peut-être sévère vis-à-vis de lécole, mais cest une opinion tout à fait personnelle je trouve que lécole française nest pas suffisamment adaptée aux changements de la demande, insuffisamment ouverte sur lextérieur et insuffisamment décloisonnée à lintérieur. On sait que les disciplines signorent, se concurrencent dans les temps scolaires. Bien souvent, il nexiste pas déquipe pédagogique, encore moins déquipe pluridisciplinaire où lon verrait les enseignants, lassistante sociale, linfirmière scolaire, le médecin scolaire, et éventuellement un psychologue scolaire, se réunir de manière institutionnalisée pour assurer une prise en charge intégrée des enfants, notamment de ceux en difficulté.
La suggestion que nous aimerions faire consisterait à mettre en place des équipes pluridisciplinaires, ce qui permettrait déviter ces 8 % déchec scolaire dans notre pays.
Cela devrait aller de pair avec une autre proposition, qui nest pas tout à fait de notre ressort, mais à laquelle nous tenons aussi, la possibilité dexpression des mineurs dans le débat social. Jimagine que Mme la Ministre de la jeunesse et des sports a dû vous en parler. Il est important que lon puisse à la fois éduquer et éduquer à lexpression pour mieux valoriser les droits des enfants et les responsabiliser, car nous pensons que les droits ne vont pas sans devoirs.
Notre dernière suggestion a trait aux temps de la journée. Les enfants sont soumis à des journées très longues. Le périscolaire, ce temps entre lécole et une vie familiale de plus en plus retardée en raison de lactivité professionnelle des deux parents, reste une zone dinconnu. Nous savons assez mal ce que font les jeunes, en particulier ceux de six à quatorze ans lorsquils sortent de lécole. Nous le savons mieux pour les adolescents. Il faudrait se pencher sur ce temps périscolaire pour étudier comment lutiliser pour en faire un véritable temps dintégration, de socialisation, de responsabilisation, plutôt quun temps derrance.
Telles sont, Mme la Présidente, les remarques que je voulais vous faire.
Mme la Présidente : Nous vous remercions pour cet exposé clair et précis qui nous a permis de pointer un certain nombre de problèmes, qui recoupent les propos tenus par Mmes Guigou et Buffet.
Mme Dominique GILLOT : Jai été particulièrement intéressée par cet exposé, notamment par la partie relative à la prévention des carences familiales et éducatives. Je souhaiterais disposer dun document plus consistant, qui reprenne plus largement vos explications.
En revanche, je voudrais livrer à votre réflexion une pensée qui mhabite en permanence. Vous avez dit que les enfants ont des droits quil est nécessaire de valoriser, mais aussi des devoirs. A mon sens, ce sont les adultes qui ont des obligations vis-à-vis des enfants. Un enfant na que des droits et le devoir de grandir, lobligation de devenir un homme, grâce à laccompagnement éducatif et affectueux quil trouve autour de lui. Je suis donc un peu gênée par la dérive dune telle affirmation.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Vous avez évoqué laccueil de la petite enfance de zéro à sept ans, en souhaitant que ce concept soit plus global quaujourdhui, puisquà lheure actuelle, nous avons une tranche dâge de zéro à trois ans avec les dispositifs que vous avez cités, puis lécole maternelle. Au-delà de cette revendication de globalisation, je souhaiterais que vous nous précisiez votre propos. Ce sera mon premier point.
Le deuxième est contenu dans le premier. Vous avez évoqué la nécessaire adaptation des lieux daccueil de zéro à trois ans et la situation de certains équipements collectifs, comme les crèches qui ne sont plus adaptées aux besoins daccueil, ce qui se traduit, dans certaines villes, par un excédent de places disponibles. Cependant, les caisses dallocations familiales, un partenaire assez souvent présent dans ce secteur, ont engagé de manière intelligente en tout cas, pour les exemples que je connais des politiques dadaptation de ces lieux collectifs à lévolution de la société, acceptant de prendre en compte plus de parents en difficulté ou des parents qui ne travaillent pas forcément tous les deux, ce qui était souvent une condition dinscription dans les crèches collectives. Quen pensez-vous ?
Le troisième point, plus général, concerne la décentralisation en matière daide sociale à lenfance, qui suscite des jugements contrastés. Certains déplorent la diversité des politiques suivies par les collectivités territoriales et lapparition dans notre pays dune protection sociale à plusieurs vitesses suivant lendroit où lon se trouve. LODAS que nous avons auditionné la semaine dernière estime que la décentralisation a eu un impact favorable sur les modalités de prise en charge de lenfance en danger. Je souhaiterais connaître votre avis sur cette question.
M. Olivier BRASSEUR : Mme Gillot a raison dapporter cette nuance et je devrais moi-même être plus nuancé. Quand je parle de devoirs, je pense plutôt à lapprentissage des devoirs. Il existe des devoirs prévus par le Code civil, à savoir, par exemple, que lenfant doit le respect à ses parents. Ce sont peut-être des dispositions du Code napoléonien, mais ces devoirs existent et on peut les rappeler de temps en temps. Mais jaccepte votre remarque car lorsque nous parlons de devoirs, il sagit plutôt de lapprentissage de ces devoirs.
Je passe la parole à M. Ribes pour vous parler de laccueil des enfants et de la politique dadaptation des lieux daccueil, et à M. Jesu, pour ce qui a trait à laide sociale à lenfance.
M. Bruno RIBES : Je reviens sur ce qui vient dêtre dit à propos des devoirs.
Plusieurs études sociologiques ou psychologiques sont actuellement menées, notamment sur le rapport " don-dette " à lintérieur de la famille. Il y est montré que le don ne prend sa véritable signification, même aux yeux de lenfant, que si, à linverse, lenfant reconnaît avoir une dette envers ses parents.
Cet aspect a été souligné, dun point de vue sociologique, par létude des relations et des comportements familiaux. Des psychologues, de Strasbourg notamment, ont insisté, à propos du devoir " tes père et mère honoreras ", sur limportance psychologique de maintenir une certaine stature des parents et de permettre à lenfant de se reconnaître en situation de devoir honorer ses parents. Il faudrait définir le terme " honorer " très longuement. Cest un premier point.
Le deuxième point concerne le problème de laccueil des petits enfants de zéro à six ans. En raison des grandes difficultés que connaissent les communes rurales à maintenir des lieux daccueil très diversifiés ou spécialisés, il faudrait en venir à des lieux daccueil multifonctionnels et étudier, au travers des relations financières des communes entre elles ou avec les bourgs voisins, comment les financer. Cela permettrait également de résoudre un problème qui se pose aujourdhui avec toujours plus dacuité, à savoir ne plus spécialiser crèches, haltes-garderies, etc., de façon à avoir des lieux beaucoup plus ouverts permettant dintégrer une relation à lécole maternelle plus poussée.
De telles expériences existent dans dautres pays. Le Danemark, particulièrement ouvert à ces questions, dispose déjà de lieux daccueil multifonctionnels sadressant à des enfants de zéro à six ans. LEspagne, depuis 1990 a, par la réforme de sa loi sur lenseignement, créé un premier degré de lenseignement qui touche les enfants de zéro à six ans et qui dépend entièrement de léducation nationale.
Aujourdhui, nos lieux daccueil pour enfants de zéro à six ans dépendent, dun côté, de laction sociale et, de lautre, de léducation nationale. Or, ce nest pas la même logique qui préside à ces deux institutions, y compris dans la conception de laccueil de lenfant. Nous pensons quil est très important de se rendre compte quune des missions fondamentales des lieux daccueil de la petite enfance aujourdhui est lintégration sociale des enfants et de leurs parents ; des enfants, parce que ce sont souvent des enfants uniques ; des parents, parce que les familles sont souvent trop isolées ou surchargées pour les familles monoparentales. Cest la raison pour laquelle il serait souhaitable de multiplier ces fameuses maisons " ouvertes " de quartier, où les parents peuvent se rencontrer et se réconforter.
M. Frédéric JESU : La décentralisation a-t-elle introduit une protection sociale de lenfance à plusieurs vitesses ?
Les travaux de lODAS ont mis en évidence que sur le plan financier, la décentralisation a, au contraire, été une occasion de réduction des disparités entre départements.
Reste quaujourdhui, on observe un terrain extrêmement disparate pour ce qui est non seulement des pratiques et des moyens affectés, mais aussi de la demande exercée à légard des services daide sociale à lenfance. Du point de vue de lenfant, des droits de lenfant à la protection et à une famille, lenfant est concerné par un dispositif de protection qui offre un volet social et un volet judiciaire. Il va de soi que lenfant a plutôt intérêt à rencontrer dabord le volet social, le volet préventif, qui va préserver son intégration dans sa famille et dans son environnement tout en laidant à résoudre avec sa famille ses difficultés au fur et à mesure et dans les lieux où elles apparaissent.
Les départements, qui ont la compétence de mettre en uvre les différentes facettes du volet de protection sociale, peuvent développer un réel savoir-faire en la matière et lon observe partout, du nord au sud, dans les départements ruraux ou urbains, dans ceux doutre-mer ou métropolitains, une tendance à adapter les missions et les moyens de laide sociale à lenfance aux besoins des familles et des enfants.
Lavantage que lon pourrait tirer de quinze ans de décentralisation serait de faire le bilan des pratiques les plus innovantes et les plus appropriées et de les valoriser pour inciter les départements en retard à suivre ces pratiques.
Reste que le volet judiciaire attire beaucoup dattention et utilise de gros moyens financiers qui pourraient être employés à promouvoir les politiques de prévention. Il est donc important dalerter lopinion, les décideurs et, pour commencer, vous-mêmes sur le fait que nous sommes aujourdhui à un point extrême de " judiciarisation " de la protection de lenfance ; les recours excessifs et souvent inappropriés doivent être analysés en profondeur, sans a priori, impliquant une analyse des pratiques professionnelles, de la gravité relative des situations pour lesquelles la protection judiciaire est mobilisée. En engageant les dépenses sociales départementales comme ils le font, les parquets et les juges pour enfants se mettent dans la situation de ne plus pouvoir compter sur un volet préventif de compétence départementale leur permettant de réduire les recours à leurs services et à leurs interventions.
M. Olivier BRASSEUR : Je vous ai fait dix suggestions, mais je peux à ce propos en ajouter une onzième.
Il faudrait faire cette évaluation des pratiques professionnelles et de ce qui sest passé après la décentralisation de façon à dresser un bilan et peut-être faire ainsi bénéficier lensemble des Conseils généraux de dispositifs particulièrement efficaces que nous pourrions identifier.
M. Frédéric JESU : Il faut étendre la question posée sur laide sociale à lenfance aux services départementaux de protection maternelle et infantile. Des disparités existent également dans lexercice des missions dévolues aux PMI. Des pratiques innovantes se développent dans le cadre de ces missions. Un bilan national des pratiques et des tendances observées dun département à lautre serait vraiment judicieux.
Mme la Présidente : Toutes vos suggestions ont été enregistrées. Elles vont enrichir le débat qui va se poursuivre. Il me reste à vous remercier. Les documents que vous nous avez fournis nous permettront de voir plus clair dans un sujet qui est malheureusement aussi difficile que complexe.
M. Bruno RIBES : A titre personnel, je voulais insister sur un sujet sur lequel il est aujourdhui très important darriver à une harmonisation : il sagit, pour les jeunes entre vingt et vingt-cinq ans, de toutes les questions dobligation alimentaire, dobligation dentretien, dobligation déducation. Les mesures prises dans ces domaines sont encore très mal unifiées. Quels sont les devoirs des parents en la matière et jusquà quel âge ? Une clarification des dispositions juridiques serait réellement nécessaire.
M. Frédéric JESU : A propos des documents évoqués, je voudrais informer les membres de la commission que le CIDEF et le COFRADE sont très étroitement associés dans les travaux relatifs à la questions des droits des enfants et de la santé. Daprès ce que men a dit son secrétaire général, le COFRADE vous a déjà communiqué les documents que nous avons élaborés conjointement.
Mme la Présidente : Nous avons effectivement reçu ces documents.
Audition de Mmes Marceline GABEL, Secrétaire général de la
Grande Cause Nationale 1997 " Protection de lenfance maltraitée "
et Catherine BOITEUX-PELLETIER,
Chargée de mission au ministère de lemploi et de la solidarité(extrait du procès-verbal de la séance du 12 février 1998)
Présidence de Mme Annette PEULVAST-BERGEAL
Mesdames Marceline Gabel et Catherine Boiteux-Pelletier sont introduites.
Mme la Présidente leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation de la Présidente, Mmes Marceline Gabel et Catherine Boiteux-Pelletier prêtent serment.
Mme Marceline GABEL : Je vous rappellerai ce quétait lesprit de la grande cause, son développement et les résultats que lon peut en espérer, mais auparavant, permettez-moi de me présenter.
Venant de luniversité de Bobigny, jai été appelée au ministère des affaires sociales au début des années 1980, à la direction de laction sociale, pour y préparer notamment la première campagne de prévention des abus sexuels à lencontre des enfants et la loi du 10 juillet 1989 sur lenfance maltraitée. A lissue de ce travail, lorsque jai pris ma retraite il y a quelques années, jai pris la coordination du groupe de lObservatoire national de laction sociale décentralisée sur les enfants en danger. Cest au moment où le cabinet de M. Emmanuelli ma appelée comme chargée de mission pour préparer le congrès mondial de Stockholm et le plan gouvernemental qui le suivait que jai été sollicitée pour assurer ce secrétariat général de la grande cause nationale.
Cette grande cause a rassemblé seize associations, huit ONG internationales et huit associations nationales soccupant denfants maltraités, et ce collectif a lancé un appel doffres pour choisir son logo et son slogan. Je crois que demblée, nous avons voulu par ce choix marquer laccent que nous souhaitions mettre sur cette grande cause, cest-à-dire ne pas se fixer sur des sujets larmoyants, simplistes, du style " Enfants martyrs, parents bourreaux ", mais au contraire, solliciter par ce slogan : " Si tout le monde bouge, ça bougera " lensemble des citoyens, lensemble de la population Toutes les représentations qui en ont été faites lont été par des visages denfants heureux, souriants, et non pas comme certaines sociétés de communication nous lavaient proposé, par des enfants cassés, fracturés, etc.
Lobjectif était effectivement de susciter cette mobilisation. Pour ce faire, une communication très importante, avec clips vidéo, espaces radio-vidéos, panneaux et presse, offerts par les médias a été mise sur pied, pour une somme totale de lordre de quatre millions de francs. Trois comités ont participé à cette grande cause : le collectif des associations, un comité technique et scientifique rassemblant des experts reconnus au plan national et chargés dattribuer des labels de qualité à tous les projets daction, et un comité de parrainage qui a valorisé et porté de façon plus sociale lidée de cette grande cause.
Cent vingt actions ont été labellisées, dont soixante-quinze en direction du grand public, pour lequel lattente était importante, et environ quarante en direction des professionnels. La date de clôture de cette grande cause a été arrêtée au 20 novembre, date volontairement fixée ce jour-là, pour coïncider avec la deuxième journée nationale de la Convention des droits de lenfant.
Elle a donné lieu à un livre-bilan très largement distribué qui recense les recommandations faites par les trois comités. Ce livre est encore disponible chez lun des mécènes. Parallèlement, pour financer ces actions labellisées, un mouvement a entraîné le mécénat dentreprise. Une somme denviron deux millions et demi de francs a été recueillie, qui a permis de financer toutes ces actions.
Ce livre-bilan comporte les recommandations adressées à M. Kouchner lorsquil est venu clore la grande cause. Je peux vous les résumer rapidement, parce quelles constituent le fond du problème.
Nous avons repris trois points sur lesquels le problème de la maltraitance mérite dêtre encore très largement travaillé et qui nous semblent des manques à lheure actuelle en matière de pratique professionnelle.
Premièrement, le problème de la formation. Nous recommandions de mieux former, ensemble, les acteurs de la prévention. Lorsque la loi du 10 juillet 1989 a été préparée par la commission Barrot, il avait été fortement insisté sur le fait que, tant que les professionnels soit une quinzaine de professions tournant autour dune famille maltraitante ne bénéficieront pas dune sensibilisation et dune formation communes, il y aura des conflits entre professionnels et institutions, ce qui est fort dommageable pour les familles et les enfants.
Deuxièmement, la nécessité de développer localement des stratégies de partenariat authentique. Au niveau des villes et des départements, on voit bien le travail qui peut être réalisé.
Troisièmement, lévaluation de tout ce qui est fait. En France, cette évaluation reste dramatiquement inexistante. Notre système de protection est très complet et formidable, mais les actions se répètent sans quune évaluation sur le long terme permette den mesurer les effets. Que donnent un placement denfant, une mesure éducative cinq ou dix ans après ? Il y a là un chantier énorme à mettre en place. Cela se réfère à lensemble du problème des mauvais traitements denfants.
En ce qui concernait plus précisément lesprit de la grande cause, nous souhaitions mettre laccent sur le problème de la prévention, cest-à-dire prévenir les difficultés dans le milieu de vie des enfants avant quils ne soient maltraités. Pour tous les parents, nous souhaitons un soutien de la fonction parentale, spécialement dans les périodes sensibles de la vie familiale, en développant les compétences de tout parent, quel quil soit, quelles que soient ses difficultés, et les solidarités, les lieux découte et dinformation. Il sagit de développer les solidarités de proximité, de quartier, dimmeuble, de village. Cest un tissu social qui sest " détricoté " au cours de ces dernières années et quil faut maintenant réactiver. On sent quil existe un très grand courant dans la population pour le faire.
La grande cause avait une boite postale. Nous avons reçu énormément de " courriers du citoyen ", comme on les nomme en termes administratifs, qui touchaient essentiellement à deux aspects. Dune part, des gens qui relataient de façon dramatique des expériences de vie de leur enfance et, dautre part, et cest un problème tout à fait nouveau qui sera lourd de conséquences dans lavenir de ces enfants, le problème des divorces et des conditions dans lesquelles ils interviennent, conditions qui font que lon fabrique des conflits qui, à lorigine, nexistaient pas et dont les enfants sont vraiment les victimes
durée dune instruction de divorce atteignant deux ou trois ans, séance de conciliation trop rapide, conflits sur les droits de garde, etc. Jai naturellement transmis ce courrier au cabinet de Mme Guigou.
Par ailleurs, on a vu se développer un mouvement dans la population disant " nous voulons faire quelque chose, dites-nous comment ". Des propositions ont été faites. Cest un mouvement quil ne faut pas laisser de côté. Les autres pays européens commencent eux aussi à développer ce travail de " retricotage " social en liaison avec les professionnels. Il ne sagit pas de substituer au travail dun travailleur social ou dun psychologue un bénévolat qui serait une solution facile permettant de régler les problèmes du point de vue budgétaire, mais il faut pouvoir démultiplier les actions par des " personnes relais " issues du même milieu social que ces familles en difficulté, qui seraient aidées, soutenues et contrôlées par des travailleurs sociaux, par des gens professionnellement formés.
Joublie certainement de nombreux aspects, mais je pense que les questions que vous nous poserez permettront dy répondre.
Mme Catherine BOITEUX-PELLETIER : Je voulais simplement corriger un lapsus de Mme Gabel. Lorsquelle a parlé du mécénat de la communication, dachat despaces, de frais techniques et dhonoraires, ce nétait pas quatre millions, mais quatorze millions de francs quil fallait entendre.
Par ailleurs, nous avions prévu, pour gagner du temps de ne faire quun seul discours. Je suis entièrement daccord avec ce qua dit Mme Gabel et lui laisse donc la parole.
Mme la Présidente : Pourrions-nous avoir quelques exemplaires de ce bilan que vous avez édité ? Cela pourrait intéresser les commissaires puisque vous en avez tiré les conséquences.
Je souhaiterais poser une question préalable. En fonction de ce bilan que vous connaissez mieux que quiconque, pensez-vous que cette action mise en place en 1997 doive devenir pérenne ?
Mme Marceline GABEL : Elle perdure. La clôture a eu lieu le 20 novembre, nous ne cessons de le rappeler, mais les villes, les départements, les associations avaient mis en route un processus qui se poursuit encore aujourdhui. Il ne se passe pas un jour sans que lon nous réclame encore lautorisation dutiliser le logo et les affiches de la grande cause, sans que lon annonce des activités qui se poursuivent.
Elle perdure également dans la réalisation des actions, car ce sont des actions qui, pour certaines, étaient très longues à mettre en place. Je vous en donne un exemple : la réalisation de trois cassettes vidéo pour former les psychiatres au traitement des auteurs dabus sexuels. Cela a été très largement financé par un mécène dentreprise, le ministère de la justice et celui des affaires sociales, plus symboliquement. Elle est en cours de réalisation et ne sortira que le 15 mars, probablement en même temps que la loi.
Les choses se poursuivent donc. Elles se poursuivront également, cest en tout cas le souhait de la direction de laction sociale du ministère des affaires sociales, par le fait que le comité technique et scientifique qui a travaillé, examiné ces labels et qui est expert sur ces sujets continuera à apporter son expertise à cette direction, de même que le collectif des associations qui représente un large panel de la société civile, même si toutes ny sont pas représentées.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Pensez-vous que nous avons aujourdhui une connaissance exhaustive des cas de maltraitance et que le numéro vert du SNATEM namène aux services daide sociale des départements que très peu de cas nouveaux ? Cest un débat que nous avons eu au sein de la commission et les avis semblent différents selon quils émanent du SNATEM ou de lODAS.
Plus largement, quel jugement portez-vous sur le fonctionnement du SNATEM, notamment sur le fait que 90 % des appels reçus ne sont pas traités ? Pensez-vous que le numéro vert est concurrent ou complémentaire des réseaux traditionnels de signalement ?
Ma dernière question porte sur la loi du 10 juillet 1989 sur la protection de lenfance maltraitée, à lélaboration de laquelle vous avez participé activement. Nous parlons dévaluation et de bilan, mais plusieurs personnes que nous avons reçues, notamment le directeur général du CIDEF, constatent une " judiciarisation " croissante des cas au détriment de laction préventive, administrative ou sociale, selon la façon dont on lappelle. Quel est votre opinion sur ce sujet ?
Mme Marceline GABEL : La loi du 10 juillet 1989 faisait obligation aux départements de recueillir les signalements denfants en danger. LODASS a été chargé de mettre en place une méthodologie parce que nous étions dans un flou complet. Nous avons donc fait ce travail et proposé aux départements dont chacun est naturellement libre daccepter ou non, mais il semble quun très large consensus se dessine une méthode permettant de distinguer un enfant maltraité et un enfant à risque, ce qui nest pas du tout la même chose.
Nous avons maintenant une photographie très claire de ce que sont les signalements qui passent par le service de laide sociale à lenfance des Conseils généraux, qui nous donnent maintenant une mesure de flux que lon peut observer depuis trois ans de façon à peu près fiable. Cest la seule mesure dont nous disposons.
Or, elle est incomplète dans la mesure où un hôpital, léducation nationale, un médecin libéral, nimporte qui, peut saisir directement le procureur de la République. Tant que localement, les observatoires départementaux nauront pas efficacement joint ces deux éléments de connaissance, nous naurons pas une vue globale. Nous y travaillons. Cela doit recouvrir à peu près 80 % de lensemble des situations dans lesquelles on peut dire quil y a un enfant en danger.
A partir de cette progression, on observe un certain nombre de choses. Par exemple, laugmentation du nombre des abus sexuels, qui nest pas une augmentation en soi, mais celle dun meilleur repérage, de leffet des campagnes de prévention auprès des enfants qui parlent mieux, des adultes qui les entendent plus, etc. Nous avons observé que les saisines judiciaires - puisque quand un signalement est transmis à laide sociale à lenfance, deux possibilités soffrent, celles dun traitement administratif ou judiciaire sont en augmentation de 20 % chaque année. Cest considérable. Cette année, ce sont quarante deux mille enfants qui seront envoyés à lautorité judiciaire.
Le programme de lannée de notre groupe de travail consiste à tenter de déterminer très précisément ce qui fait que lon " judiciarise " davantage les familles en difficulté.
Il y a probablement des éléments dexplication touchant à des problèmes budgétaires. Cest une façon de faire prescrire les mesures par les juges pour enfants et de les faire payer par les Conseils généraux. Cest un contournement évident des règles normales.
Il y a aussi leffet de ce que lon appelle le syndrome dOch, cest-à-dire leffet du signalement " parapluie " de travailleurs sociaux, compte tenu du fait que certains dentre eux sont mis en examen et condamnés pour navoir pas signalé un cas suffisamment rapidement.
Il y a également leffet dune aggravation de certaines situations familiales. Les commentaires que nous recueillons dans les différents départements nous indiquent que certaines familles sont, sur le plan de la psychopathologie, beaucoup plus lourdement atteintes quau cours des années précédentes. Nous travaillons à toute une série dhypothèses avec la protection judiciaire de la jeunesse, en essayant de rapprocher notre réflexion de celle des Conseils généraux.
Le corollaire est que la prévention samoindrit. La prévention, cest la PMI, cest un ensemble de mesures qui ne sont pas aussi visibles que peuvent lêtre trois mille cinq cents placements et quatre mille mesures dAEMO. Une mesure de prévention ne se comptabilise pas. Cest là tout le problème. Or, cest avant, quand la famille est en difficulté, quil faut agir très vite.
Jen viens au téléphone vert. Il est, à mon sens, un complément tout à fait indispensable, un lieu de repère pour lensemble de la population. Sa mission est denvoyer les informations qui lui parviennent aux services départementaux. Ce nest pas lui qui évalue, évidemment. Les chiffres quil fournit ne sont que ceux des appels, ce ne sont pas ceux de la maltraitance. Il faut être très clair. Lorsque lon dit que 80 % des abus sexuels se font dans la famille, cest ce qui ressort des quelques milliers dappels reçus au téléphone vert, ce nest pas la réalité de la situation sur un plan épidémiologique pur. Il faut toujours être très vigilant avec les chiffres et bien les situer dans un contexte précis. Ils séclairent alors mutuellement de manière très naturelle.
Le téléphone vert est un lieu découte important. Il pose parfois problème aux départements qui ont mis en place dautres lignes, mais certaines basculent la nuit sur le téléphone vert. Il existe des arrangements de cet ordre.
Mme la Présidente : Je voudrais revenir sur un problème que nous avons évoqué à différentes reprises lors de précédentes auditions, celui de la violence en institution. Avez-vous pu la mesurer ou reste-t-elle protégée par le secret et le tabou le plus total ?
Mme Marceline GABEL : Mon sentiment est que lon nest plus au niveau du tabou total. La situation a évolué. Léducation nationale a mis très officiellement à plat ce problème qui était méconnu.
Dans la violence institutionnelle, on trouve tout à la fois la violence dun individu qui dérape, qui " disjoncte " véritablement, comme partout ailleurs, et ce, dans toutes les institutions quelles quelles soient, médicales, juridiques, sociales, et la violence de certaines institutions, violentes par essence, par leurs règlements intérieurs, leurs privations de liberté de parole, etc. On peut dire aussi que, dune certaine façon, lensemble de notre système de protection des enfants en danger peut être violent si le partenariat nest pas bien réalisé, si les conflits entre les institutions ne sont pas bien évacués , si les conflits entre les professionnels se pérennisent. Il est vrai que toute institution peut être potentiellement maltraitante, violente pour les enfants.
Mais je crois le tabou levé. Les gens parlent et mettent à jour des affaires qui, jadis, pour sauver limage de marque de linstitution, étaient bien cachées.
M. Jean-Paul BRET, rapporteur : Nous avons déjà posé cette question à lidentique aux interlocuteurs du CIDEF, mais il est intéressant davoir votre point de vue, qui peut être un peu différent, sur le jugement que vous portez sur la décentralisation. LODAS porte un jugement plutôt positif sur limpact de la décentralisation, mais cette dernière entraîne aussi des situations différentes selon la géographie. Constatez-vous des situations disparates ?
Mme Marceline GABEL : Entre ceux qui comptent plus de deux millions dhabitants, urbanisés, et ceux qui nen comptent que quelques centaines de milliers, nos départements sont en effet très différents. Je reviens dune formation dans le Lot; les choses y sont à taille humaine, tout le monde se connaît. Cela na rien de comparable quant à laction quil est possible de mener, quant aux modifications des pratiques professionnelles qui peuvent se jouer autour dune famille. Les situations sont, de ce point de vue, très variables.
Par ailleurs, il existe des départements plus dynamiques sur certains sujets que sur dautres. Certains ont été très en pointe en matière de protection de lenfant. Dautres le sont sur dautres sujets, les personnes âgées, par exemple. Les situations sont, là aussi, variables.
Mais ce qui me frappe le plus en matière dobservation de lenfance en danger, ce sont les fluctuations que lon peut constater au cours des années. Là où les choses avaient bien pris forme, où le partenariat avec la justice et léducation nationale sétait bien institué, où des protocoles avaient été signés, où cela avait bien fonctionné pendant un ou deux ans, tout peut brusquement basculer. Tout ce qui sest monté et qui existait peut être compromis par des changements de personnes. Il suffit quun procureur change et lon repart presque de zéro. Les services du Conseil général sont réorganisés, les points de repère ne sont plus les mêmes, les circuits du signalement ne sont plus les mêmes et il faut à nouveau du temps pour remonter un système qui fonctionne correctement. Cest certainement lobservation la plus frappante et la plus préoccupante, parce que cela est assez désespérant. Il est déjà long de modifier les mentalités et damener les gens à se positionner autrement, alors quand il faut recommencer...
Peu de départements échappent à ce genre daléas. Pour vous donner un exemple, un département qui nous envoyait très régulièrement les données chiffrées des observations locales sest trouvé dans lincapacité de le faire lannée suivante parce que la personne qui centralisait ces données était décédée et que lon ne savait comment elle opérait. Cela peut tenir à des choses de cet ordre. Il faut être réaliste, cest aussi la vie, mais cela fait aussi la difficulté si lon veut être sérieux et fiable dans les chiffres que lon avance.
Mme la Présidente : Mme Boiteux-Pelletier, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Mme Catherine BOITEUX-PELLETIER : Il me semble quavec la grande cause sur la protection de lenfance maltraitée, une étape a été franchie en matière de prise de conscience et de libération de la parole. Si lon peut affirmer cela, cest en partie parce que lon a fait un sondage autour du 20 novembre auprès des Français pour essayer de savoir quel a été limpact des actions menées. Nous avons eu des résultats tout à fait exceptionnels, puisque 80 % des Français avaient entendu parler de la grande cause nationale, de son thème. On arrivait même à 86 % chez les femmes, ce qui est tout à fait exceptionnel. Dans ce genre daction de communication, quand on atteint 30 % à 40 % de personnes informées, on considère que lon a à peu près réussi; quand on atteint 60 %, on considère que lon a fait quelque chose de vraiment formidable. Jinsiste donc sur cette forte prise de conscience.
Par ailleurs, 63 % des personnes qui avaient entendu parler de la grande cause considéraient quelles avaient un rôle à jouer dans ce problème de lenfance maltraitée. Nous avons là vraiment la preuve quune étape a été franchie.
En ce qui concerne la pérennité, et pour la suite, il faudrait peut-être arriver à institutionnaliser le travail amorcé par les grandes causes. Cest ce que nous avons préconisé et ce que le ministère de lemploi et de la solidarité est en train dessayer de prendre en charge. Dune manière générale, cest au moment où les choses samorcent et prennent forme quon les arrête institutionnellement. Cest tout à fait regrettable.
Mme Marceline GABEL : Tout à fait. Le suivi est une chose extrêmement importante dans ce genre daction. Bilan et suivi sont des éléments quon ne peut évacuer et occulter.
Mme la Présidente : Mesdames, je vous remercie dêtre venues.
Audition de M. Jean-Pierre ROSENCZVEIG
Président du Tribunal pour enfants de Bobigny(extrait du procès-verbal de la séance du 26 février 1998)
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
Monsieur Jean-Pierre Rosenczveig est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Jean-Pierre Rosenczveig prête serment.
M. Jean-Pierre Rosenczveig : Il est très difficile pour moi daborder ces questions en une demi-heure ou en dix minutes, mais ce sont les règles du jeu. Jai fait le choix de vous remettre un document écrit et de ne retenir que lessentiel oralement, en insistant sur mes trois priorités. Je vous énoncerai ensuite les vingt-huit propositions réalistes que jai à vous faire, plus une qui est utopique.
Pour cadrer les choses je suis généralement présenté comme extrémiste je pense que mon propos sera raisonnable, sinon consensuel.
On me présente aussi souvent comme engagé. Je pense quil faut de temps en temps " décoiffer " certaines hypocrisies. Jespère y contribuer. Je suis praticien et de longue date, un peu " pédocentré " comme diraient certains et non " pédofrustré " comme disent certaines revues pédophiles que jai amenées ici et qui mériteraient des poursuites judiciaires. En dautres termes, une pratique professionnelle et le fait que je sois magistrat me font dire que lon peut tirer un certain nombre de conclusions de ce que nous voyons. Hervé Hamon complétera.
Il est vrai que jai eu la chance de diriger un organisme de recherche et davoir une vision qui va au-delà de la magistrature et de la justice, cest ce que je vais essayer de restituer.
Il est vrai aussi que le propos que je tiendrai sera politique, au sens où je pense que lidée que lon se fait de lenfant et de lenfance est un projet politique et je revendique de minscrire dans le débat démocratique.
Il est vrai enfin quil faut être aussi militant, cest-à-dire avoir une certaine conception des droits de lhomme et les propositions que vous allez avancer vont être une contribution à lidée que vous vous faites des droits de lhomme, les droits des enfants nétant quun palliatif à léchec des droits de lhomme et une de leurs déclinaisons. Malheureusement, il ne devrait pas y avoir de droits de lenfant si les droits de lhomme étaient respectés, ici et ailleurs.
Cela étant dit pour présenter la tonalité de mon propos engagée et volontairement provocatrice, mais appuyée sur des pratiques professionnelles et sur une vie personnelle, trois priorités me semblent importantes à avancer : deux de fond et une de forme.
La première priorité, cest la question politique du moment, est le débat sur le lien qui sera décliné dans le débat sur la famille. Beaucoup de jeunes dans cette société ne savent pas doù ils viennent ni où ils vont, notamment ils nont pas de lien avec leur histoire, avec la communauté que nous constituons. Ils nont pas de lien, surtout, avec leur famille.
Cest une proposition essentielle à avancer, comme lont fait la Suède et le Portugal récemment. Il faut rendre obligatoire létablissement de la filiation paternelle et maternelle. La filiation de lenfant lui appartient, elle nappartient pas aux adultes. Cest là que lon fait un choix de camp, on se situe du côté des enfants, et aussi du côté du projet de société que lon a.
Cest un enjeu à la fois personnel pour les enfants et un enjeu politique pour notre société : quatre vingt mille à quatre vingt dix mille enfants naissent chaque année sans père légal. Cest parmi ceux-là que lon trouve ceux qui dévient dun degré au début et qui, ensuite, se retrouvent à quatorze, quinze ou seize ans dans la violence. Il faut que nous, les adultes, acceptions de revenir sur ce que nous avons conquis, et quil fallait conquérir à une certaine époque, à savoir notre liberté.
A la liberté que nous avons en tant quadulte doit correspondre une responsabilité. Nous avons pris le beurre, largent du beurre et nous voulons le sourire de la crémière. Nous nous plaignons aujourdhui que les enfants soient dans lirrespect des adultes, mais nous, les adultes, nassumons pas globalement, toutes causes confondues, nos responsabilités à leur égard. Cest un combat dhommes et de femmes, cest le combat des pères et des mères, il faut poser le problème de la condition parentale. Lenfant a le droit à une filiation établie, paternelle et maternelle. Le Portugal vient de le voter. Faut-il, comme les Suédois, essayer de convaincre les mères notamment de contribuer à établir la filiation paternelle ? Faut-il, comme les Portugais, tenter de contraindre ? Je pense que cest un projet plus libéral et de conviction quil faut dans ce pays, mais nous ne pouvons plus laisser des adultes manipuler la filiation des enfants.
A lextrême, vous le savez, le Parlement la voté en 1994, vous avez été amenés à interdire que les parents qui avaient des enfants nés de procréation assistée puissent, dans un premier temps, leur donner un statut légal et, ensuite, les désavouer. Les adultes ne doivent pas manipuler la filiation des enfants. Ils ne doivent pas manipuler le nom et le patronyme des enfants. Jai toute une série de propositions à faire à ce sujet.
La filiation établie, cest aussi le principe de la coresponsabilité parentale que vous devez poser.
Mariés ou pas mariés, vivant ensemble ou pas, saimant ou ne saimant pas, lorsque lon fait un enfant, on en prend pour dix-huit ans au moins. Ce nest pas le cas actuellement dans le couple non marié. Cest une usine à gaz que le Parlement a voté en 1993, alors que dans une proposition que nous avions suscitée dans le cadre de lInstitut de lenfance et de la famille, nous préconisions que de la filiation découle automatiquement lautorité parentale. On a posé deux conditions qui ne fonctionnent pas en pratique par rapport aux enfants qui sont dans les situations les plus fragiles 40 % denfants naissent hors le mariage à lheure actuelle. En effet, pour quil y ait automatiquement la double autorité parentale, on exige que lenfant ait été reconnu par les deux parents dans lannée de la naissance ce qui peut encore se concevoir , mais que les parents apportent la preuve de leur vie commune au moment de la deuxième reconnaissance. Cest dune complexité effroyable, cela ne fonctionne pas et lon prive des pères et des mères dexercer conjointement lautorité parentale, et donc, lon prive des enfants davoir leurs deux parents qui exercent conjointement lautorité parentale.
Il faut poser des principes simples que lon peut exposer en vingt secondes au journal télévisé de vingt heures. Quand on ne peut pas exposer des principes juridiques simples, la loi nest pas comprise et nest pas appliquée. Nous lavions dit. Malheureusement, les travaux dHugues Fulchiron, professeur de droit à Lyon, que je cite dans mon document écrit, le démontrent.
Il faut travailler sur le lien. Il faut surtout envoyer en responsabilité parentale les beaux-pères et les belles-mères : un million cinq cent mille enfants sont élevés par des parents qui ne sont pas leurs géniteurs. Les hommes et les femmes qui élèvent ces enfants comme les leurs ne se sentent pas et ne sont pas responsables. Les enfants ne manquent pas de leur dire : " Qui tes toi ? Tes pas mon père, tes pas ma mère ", alors quil faut montrer que la maison, la famille, ce nest pas un hôtel, que lorsque lon vit avec quelquun, on est sous lautorité de ce quelquun.
Il va falloir que vous trouviez une formule où lon dise que, sans concurrencer le père biologique qui nest pas à la maison, le beau-père a une autorité reconnue par la société. Il faut afficher un message clair à légard des jeunes de cette société : celui avec qui vous vivez est légitimement en droit dexercer sur vous une autorité.
Je reviendrai sur le principe mais, pour moi, cest la question-clé. Tout le reste est subsidiaire. Cest le débat sur le lien, celui sur la communauté, celui sur la nationalité, celui sur les territoires et la guerre des territoires actuellement. Les enfants de ce pays, pour grand nombre dentre eux, ne savent pas doù ils viennent et comme, en plus, ils nont pas despoir, vous ajoutez un zeste dinjustice et vous avez des explosions dans les banlieues et ailleurs.
Cest la raison pour laquelle je dis que je tiens à la fois un discours de citoyen et de praticien du droit.
La deuxième priorité concerne lexpression de la parole individuelle et collective des enfants. Vous devez là encore poser des principes de droits de lhomme qui sont simples.
Il est scandaleux, dans un pays comme le nôtre, que celui qui demande à être entendu par son juge ne le soit pas. Or, cest le principe qui a été adopté en 1993, contrairement à ce que nous avions avancé, parce quon a peur de la parole des enfants. Si nous en avons peur, cest que, aussi bien à la maison que dans la société, nous navons rien à leur dire, car on libère la parole des gens avec qui lon peut discuter. En lespèce, on a une peur bleue dengager le dialogue à la maison avec les enfants lorsque lon se sépare, on a une peur bleue dengager le dialogue social parce que lon ne sait ce que lon a à dire à la jeunesse, dune manière générale.
Il nest pas normal quun texte juridique dise que laudition dun enfant en justice dépend du bon vouloir dun juge. Cest un juge qui le dit : tout individu qui demande à être entendu par son juge doit lêtre. Ensuite, cest une autre chose de savoir si le juge estime que telle ou telle personne est manipulée. Tous les juges savent que tous les gens qui sont en face deux tentent de les manipuler. Cest le rôle du juge, nous avons été " programmés " à défaire cette manipulation. Alors, arrêtons par principe de dire que tout enfant ne peut être que manipulé, au risque de priver les enfants dune capacité dexpression par la parole et par le geste de ce quils ressentent et de ce quils vivent.
Je vous avance un certain nombre de propositions. Cela, ce sont deux grands axes de propositions techniques, de fond, des droits de lenfant.
Jen viens maintenant à la troisième priorité, qui a plus trait à la méthodologie. Je pense que le premier des droits de lhomme est dêtre informé sur les droits de lhomme.
Il ne sert à rien de supprimer lesclavage si lon nen informe pas les esclaves ou de mettre un terme à la seconde guerre mondiale sans prévenir tous les Japonais qui sont dans la jungle que celle-ci sest achevée - jai encore en tête des images de Japonais sortis quinze ou vingt ans après la fin de la guerre de la jungle où ils étaient cachés.
Quels efforts faisons-nous dans cette société pour informer les citoyens en général, et les enfants en particulier, de leurs droits et de leurs devoirs, de leur statut puisque, pour moi, droit et devoir riment bien entendu à tel point que les adultes eux-mêmes ne connaissent pas le statut des enfants ?
Leffort premier, cest dinformer sur les droits de lenfant. On part de ce présupposé que, dans la nuit des dix-huit ans, par lopération du Saint-Esprit, lhomme devenant un être achevé acquiert tous les droits civils, civiques et politiques alors que jamais on ne la informé du contenu réel et du sens de ses droits. Il y a là un effort dinformation important à mettre en uvre.
Je vais maintenant vous énoncer mes propositions, puis je pense quensuite vous choisirez, " picorerez ", pardonnez-moi lexpression, là où vous le voudrez.
Les premières que je vous soumets sont de lordre du symbolique.
La première, jy tiens beaucoup, est dun coût de zéro franc zéro centime. Jai essayé de vous faire des réformes à zéro franc zéro centime, parce que je sais que vous êtes très sensibles à cette idée. Il sagit de supprimer lexpression " enfant légitime " qui laisse à penser quil y a des enfants qui ne le sont pas.
Tous les enfants qui naissent en France, sont à la fois légitimes et naturels, mis à part les quinze cents qui naissent du pyrex par la procréation assistée. La référence au mariage, pour être maintenant très politique, nest plus la référence appropriée. Ce qui est important, cest le contenu, et non le contenant. Quand 40 % et bientôt 50 % denfants naissent hors mariage de leurs parents, on peut affirmer que tous les enfants de ce pays sont légitimes. Supprimons des choses qui datent dune autre époque !
Deuxième proposition : il vous faut rendre obligatoire lassurance des parents. Lenfant est devenu un risque, on vous exposera les arrêts de la Cour de cassation du 17 février et du 27 mars 1997. Il ny a plus de responsabilité pour faute en matière parentale, le simple fait davoir un enfant vous rend responsable. Trop de gens, à lheure actuelle, engagent leur responsabilité civile comme parents sans être assurés. Cela ne réglera pas le problème de la pauvreté, puisque les gens nassurent même pas leur appartement, mais il faut considérer quelque part que lenfant est un risque social et il faut sassurer.
Troisième proposition : substituer dans nos textes cest encore un problème symbolique lidée du droit de visite et du droit dhébergement des parents et dire que cest un devoir pour les parents de visiter et dhéberger leur enfant. Cest un droit pour lenfant.
Quatrième proposition : revenir sur la disposition de Napoléon, qui veut quà tout âge, lenfant doit honneur et respect à ses parents, dire quascendants et descendants se doivent réciproquement respect et solidarité. Cela ne veut pas dire que les parents nont pas autorité, mais nous ne sommes plus sous le régime napoléonien où Napoléon se faisait obéir du préfet, le préfet du chef de famille, le chef de famille de la femme, et la femme des enfants. Nous sommes dans des relations transversales et non plus verticales. Larticle 371 du Code civil est dune autre époque. Dautres pays dEurope qui en avaient hérité grâce à Napoléon, la Grèce et lAllemagne, ont su évoluer.
Cinquième proposition, il faut rendre obligatoire létablissement de la filiation paternelle, avec un texte : lenfant a le droit de voir établie sa filiation maternelle et paternelle. Selon la proposition suédoise ou portugaise, lÉtat prend éventuellement les initiatives qui simposent à cet effet. Mais les Français étant légalistes, si lon pose déjà le principe, si on leur dit : " Vous navez plus le choix, vous devez ", ils feront. Actuellement, on leur dit quils ont le choix, alors ils choisissent, cest logique. Ils respectent la loi de la République.
Sixième proposition, sagissant de lautorité parentale pour les parents séparés, je vous propose dadopter la définition californienne, qui me paraît passionnante et qui est ainsi formulée : " lÉtat garantit à lenfant le droit dentretenir des relations avec ses deux parents et ceux qui lui sont chers ; ", cet aspect sera traité dans la propositions suivante : " les deux parents sont égaux en devoirs et en droits à légard de lenfant, indépendamment de leur statut matrimonial ; " la proposition est contenue dans la phrase qui vient : " dans lhypothèse où les parents ne peuvent pas sentendre sur lessentiel pour répondre au besoin de protection et déducation de lenfant, le juge veillera à confier lexercice principal des responsabilités sur lenfant au parent qui prendra le mieux en compte le besoin de lenfant dentretenir des relations avec lautre ".
En dautres termes, ce nest pas en fonction de ma richesse et de ma culture personnelle que lon me confie lenfant, mais plutôt en fonction du fait que jai compris que mon enfant a besoin de voir lautre parent avec qui il ne vivra pas en permanence. Cest une gestion familiale que le juge contrôle, de la réponse à la séparation.
Septième proposition, il faut compléter la circulaire éducation nationalejustice du 14 mars 1994. Léducation nationale est confrontée de plus en plus à des enfants dont les parents sont séparés. Elle ne peut pas, donc lÉtat ne peut pas, cautionner le fait quun parent a tout et lautre rien. Il faut envoyer les notes de lenfant aux deux. Il ne faut pas que lenfant joue le père contre la mère, il faut quil sache que ses deux parents veillent à son éducation. Jajoute que le rôle de lEtat est de permettre lexercice des droits des plus faibles. Or, la loi veut que le parent " non gardien " a lobligation de suivre léducation de son enfant. A lÉtat de mettre celui-la en situation dexercer ses devoirs.
Huitième proposition : les beaux-parents qui élèvent lenfant de leur conjoint ou ami depuis un an auraient le droit dexercer une autorité quotidienne sur lenfant, avec laccord de leur conjoint ou ami cest un problème de rédaction.
Neuvième proposition : il faut revoir les conditions de ladoption plénière. Jentends par là quil faut que les enfants adoptés aient un statut stable, donc une adoption irréversible. Mais au nom de quoi, sinon lintérêt des adultes, doit-on priver et amputer lenfant de son histoire ? Chacun dentre nous est fait de différentes couches. Il ne faut pas opposer le biologique et laffectif. Mon slogan est de dire " un plus un égalent un ".
Au nom de quoi veut-on un enfant propre de tout passé ? On veut une stabilité, on veut créer un lien affectif et juridique avec un enfant. Cest important pour lenfant, mais au nom de quoi lamputer de son passé ? Il faut revenir sur leffet de ladoption plénière, qui nie et amène même à reconstituer létat civil de lenfant. Un enfant est et cest parce quil est comme cela que je ladopte et non parce que je souhaiterais quil fût ainsi. Je ladopte tel quil est et non tel que je souhaiterais quil soit.
La dixième proposition concerne laccès aux origines, problème essentiel. Il y a là affrontement parents-enfants frontal. Il faut que vous posiez le principe que tout individu a le droit daccéder au dossier constitué sur lui et aux informations qui le concerne sagissant de sa filiation. Il faut aller un peu plus loin que la loi Mattei.
Onzième proposition : jai repéré que la carte didentité nationale dun enfant dépend du bon vouloir des parents loi de 1955 et surtout un arrêté dapplication qui est contraire à la loi, parce que la loi ne le prévoit pas. Il faut quil soit clair que lidentité dun enfant lui appartient et je ne vois pas au nom de quoi jempêcherais, ou jautoriserais, mes enfants à avoir ou non une carte didentité, dautant plus que lon multiplie les contrôles de police. Il faut que la société sache ce quelle veut et jajoute quun certain nombre de parents privent leur enfant dune carte didentité.
Cétaient les propositions sur laspect filiation.
Sur laspect audition et parole de lenfant, je dirai cest ma douzième proposition que tout individu, même mineur, doit être entendu dans les procédures qui le concernent quand il en fait la demande à lautorité décisionnaire.
Treizième proposition : sagissant de la liberté dassociation, qui est un point clé, nous manquons de corps intermédiaires. On sait bien que les associations, les syndicats, sinon les partis politiques, nont plus la place quils avaient. Les enfants, comme les adultes, sinscrivent dans léphémère et le provisoire. Il faut restaurer la vie associative. Tant que les gamins ont de lespoir et de lutopie, il faut les mobiliser sur la vie associative.
Larticle 15 de la Convention internationale des droits de lenfant dit que " les Etats parties respectent la liberté associative des enfants ". Utilisons cet article. Une circulaire dapplication, à mon avis, suffirait.
Je donne pour lexemple, pour montrer que ce nest pas de lutopie, le lycée Bergson à Paris. La maison des lycéens, depuis deux ans, est animée par un mineur, avec laccord de la préfecture, car nous avons fait en sorte que ce soit le cas.
La liberté dassociation, cest lexpression collective; le droit dêtre auditionné par lenfant en justice, cest lexpression personnelle.
Très rapidement, une série de propositions très concrètes sur le nom dusage. Ce sont des avancées très pointues. Peut-être certaines dentre elles vont-elles un peu " décoiffer ", surprendre ou choquer, mais cest lexercice qui ma été demandé.
Quatorzième proposition : sur le nom dusage, alors que lon a dit que cétait au nom des enfants que lon permettait à des enfants de parents mariés dutiliser le nom de leur mère accolé à celui du père, pourquoi ne demande-t-on pas son avis à lenfant et ne lui permet-on pas de prendre linitiative de porter le nom de sa mère accolé à celui de son père, si vraiment cest un droit motivé par le droit de lenfant ? La réforme était motivé par lintérêt des femmes, ce qui est légitime, mais il ny a aucune raison que lon soit hypocrite.
Quinzième proposition : sur lIVG, au nom de quoi, en tant que parent, ai-je le droit dautoriser ou dempêcher ma fille ou mes filles dinterrompre leur grossesse ? Que je doive être présent auprès delles dans cet instant difficile, dautant que je nai pas su les informer sur la contraception, cest sûr. Mais au nom de quoi aurais-je un pouvoir sur le corps de mon enfant ? De ce pouvoir, certains abusent. Je pense quil faut supprimer cette idée que ce sont aux parents dautoriser lIVG de leur enfant. En revanche, que lon prévoit un mécanisme dinformation des parents quand une jeune fille mineure veut interrompre sa grossesse ne me choquerait pas.
Seizième proposition : sagissant du divorce ou de la séparation, pourquoi mettre sur le même pied lenfant de cinq, douze ou dix-sept ans ? A partir dun certain âge, il faudrait que laccord de lenfant soit nécessaire pour organiser sa résidence principale. Je vous propose de le fixer à quinze ans et je vous rappellerai quà treize ans, on ne demande pas son avis à lenfant pour le mettre en prison, contrairement à ce que pensent certaines personnes, qui voudraient même abaisser la majorité à quatorze ans à cette fin. Dès treize ans, on peut mettre des gosses en prison et lon ne sen prive pas.
Dix-septième proposition : il faut interdire lidentification dun enfant dans les médias quand est évoquée sa situation familiale et personnelle. Lenfant délinquant est plus protégé dans les médias que ne lest lenfant de parents divorcés. Un parent divorcé peut exposer son gosse à la télé, un enfant victime dun pédophile peut venir à visage non camouflé montrer à tous ses copains de France ou dailleurs quil a été victime dun pédophile, alors quun jeune qui a commis un vol dans un grand magasin va être protégé. Cela ne tient pas la route. Il faut modifier cela.
Point essentiel, je vais très vite, mais cest bien sûr pour moi lun des aspects les plus importants : il faut poser le principe dans la loi du droit de lenfant à laccès à un dispositif sanitaire et social au sein de lécole. Cest le débat sur la prévention de la maltraitance à enfant, qui rejoint celui sur la décentralisation. Je suis désolé de le traiter à la hussarde et aussi vite. Il faut que lEtat et les collectivités locales admettent quils ont un intérêt commun à développer le service social scolaire : moi, Etat, parce que jai intérêt à ce que mes gosses se portent bien pour que je puisse leur enseigner et moi, Conseil général, parce que comme je ne sais pas quels sont les gosses en souffrance, mais que je sais quils vont à lécole tous les jours, je vais les repérer là où ils sont.
Cest la deuxième étape de la décentralisation quil faut franchir, cest celle des accords de coopération entre Etat et collectivités locales. Arrêtons de dire que lEtat se défausse sur les collectivités et que les collectivités veulent prendre le pouvoir à lEtat ; il y a du corporatisme dans tout cela. Les enfants lont bien dit à loccasion du Parlement des enfants, ils veulent des infirmières à lécole. Cela veut dire quils souffrent, que leurs copains souffrent à lécole et cest là où il faut quils trouvent des personnes pour être leurs interlocuteurs. Le service sanitaire et social est le secteur sinistré du dispositif de protection de lenfance. Cest celui auquel la priorité doit être donnée. Lannonce de deux cent cinquante créations de postes, alors que lon estime quil en faut sept mille cinq cents, est une bonne chose, mais cest une vraie programmation et un accord EtatAPCG quil faut promouvoir.
Cela commence à exister, mais je suis favorable à la généralisation.
Point précis certains dans la salle connaissent le sujet cent fois mieux que moi mais je le cite, car il est important : ne négligeons pas les enfants handicapés, handicaps physiques, handicaps sociaux. Ce qui se passe dans le domaine de lintersecteur psychiatrique est un drame, ce qui se passe dans les CDES est un drame. De nombreux parents qui ont des enfants handicapés sur le plan psychologique et moral ne trouvent pas de lieu où faire accueillir leurs enfants. Les listes dattente sont scandaleuses. Un gamin qui souffre psychiatriquement ne peut pas être pris en charge à la hauteur de ce quil faut, actuellement, en France. A la limite, laissons les enfants du divorce et occupons-nous des gosses qui sont vraiment en grande difficulté.
Je ne sais si vous avez travaillé sur ce sujet, mais il faut une enquête spéciale sur la psychiatrie infantile et les CDES.
Sagissant de la protection judiciaire, il est un point essentiel concernant les libertés sur lequel jattire votre attention. Sylvie Perdriolle et Hervé Hamon vous en parleront probablement, mais je nen suis pas sûr, aussi vais-je le dire.
Nous sommes entrés depuis 1990 dans un aggiornamiento de la justice, notamment en matière de délinquance juvénile. Le parquet est devenu un parquet qui, enfin, exerce ses responsabilités et non un parquet activiste. Mais il a redécouvert en intervenant rapidement sur les jeunes délinquants, quil y avait derrière des gosses en souffrance. Le parquet nintervient donc pas seulement sur les gosses délinquants, mais aussi sur les gosses en danger.
Or, ils ont découvert dans leur arsenal juridique, nos procureurs de la République, un pouvoir essentiel : celui de retirer un enfant et de le placer. Or, le procureur nest pas obligé pour exercer ce pouvoir de recevoir les gens ; les décisions ne sont pas motivées, elles sont sans appel et, surtout, elles ne sont pas limitées dans le temps.
Il faut que le Parlement dise quil est normal quen urgence, le parquet intervienne, mais que ces mesures nauront quun mois defficacité et non six mois. Cela peut être fait en cinq minutes et ne coûtera que zéro franc, zéro centime. Sinon vous allez au devant de drames. Les procureurs de la République, en catastrophe, vont retirer des enfants sur simple coup de téléphone. Nous en avons déjà connus, nous, les juges pour enfants. Si nous ne sommes plus les deus ex machina que nous fûmes il y a vingt ou trente ans, utilisons au moins notre expérience.
Autre point que Sylvie Perdriolle pourra développer mieux que moi : un programme spécifique sur lincarcération des mineurs simpose. A Fleury-Mérogis et ailleurs, la sécurité des enfants détenus nest pas assurée. La loi de la jungle de la rue pénètre dans la prison. Nous navons pas organisé la prison pour les enfants.
Jajoute quil ne me paraît pas judicieux de penser à des prisons " soft ", du style " maison close ", comme certains lont avancé à Villepinte ou ailleurs. Soit un gosse doit aller en prison parce quil le mérite, soit il faut mettre en place des démarches éducatives. Il ny aura pas de prison éducative mais, quitte à mettre un gosse en prison, quau moins la République assure la sécurité de ces enfants, ce qui nest pas le cas à lheure actuelle. Il se passe dans les prisons de France des agressions, des viols et toute une série de choses déplorables.
Vingt et unième proposition : il faut un programme déquipes dinternat scolaire et éducatif. Des jeunes viennent au tribunal pour demander à être placés en internat scolaire tellement ils disent que lécole actuelle ne leur correspond pas.
Il nous faut des internats éducatifs aussi. Dix internats éducatifs seulement prennent en charge les gosses grands délinquants en France. Plutôt que de créer des UEER à mille quatre cents francs par jour, faisons en sorte que toutes les instances publiques, de la Protection judiciaire de la jeunesse au ministère de la jeunesse et des sports, soient capables daccueillir les gosses en difficulté et, surtout, allons chercher au tréfonds de la France ceux qui, comme en 1945, pourraient prendre en charge des gosses en grande difficulté, qui ne le savent pas encore eux-mêmes.
Cest lécole de la deuxième chance avancée par M. Amsellem, ou dautres. Il faut un programme nous équipant en internats scolaires éducatifs, qui rejoint la priorité éducative.
Vingt-deuxième proposition : il faut affirmer la liberté de pensée et de conviction religieuse pour tout individu, notamment pour les enfants. La Cour de cassation, dans un arrêt de 1991 comme je suis en situation de recherche, je peux critiquer la Cour de cassation , a osé affirmer quun enfant ne pouvait pas choisir sa religion avant dix-huit ans. Comment peut-on un seul instant penser que lon puisse interdire à quelquun davoir des convictions religieuses avant dix-huit ans ?
Il faut se référer à larticle 14 de la Convention internationale et dire que lEtat garantit à tout enfant, comme à toute personne, la liberté de pensée et de religion.
Quant au problème dexpression des valeurs religieuses, plutôt que de faire des circulaires en 1991 ou en 1994, on aurait mieux fait de se référer à lalinéa 3 de larticle 14 de cette Convention qui dit que " quand lordre public nest pas menacé, chacun a le droit dexprimer comme il le veut ses convictions religieuses ". Cest un autre débat de savoir si le tchador était un problème de religion ou dexploitation des femmes par les hommes mais, puisque lon avait choisi le terrain de la religion, il ne faut pas que nous cédions sur nos principes.
Vingt-troisième proposition : tout cela mamène à dire que vous pourriez présenter un projet dorientation sur les droits des enfants qui résume ces grands principes. Je vous communiquerai un projet qui date dune certaine époque, je nai volontairement pas modifié la date pour en montrer lactualité.
Vingt-quatrième proposition : à tout le moins, comme dans dautres pays, nous gagnerions à codifier les différentes dispositions relatives à lenfant, cest-à-dire à gommer leurs incohérences et à faire ressortir la dynamique commune.
Enfin, dautres comme le COFRADE vous lont demandé, et je maintiens que cest important, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation fort heureusement le Conseil dEtat est là et les juridictions de base ne se laissent pas totalement faire , on nous a enseigné que larticle 55 de la Constitution disait quune Convention dûment ratifiée par nos autorités était supérieure à la loi de la République. La Cour de cassation estime que la Convention internationale sur les droits de lenfant, dune manière générale, nest pas " self executing ", ce qui est une erreur pour tous les grands juristes français ou francophones, ce qui nous ridiculise dailleurs à létranger lorsque lon aborde ce type de questions, il faut, en attendant une décision du Tribunal des conflits, qui ne viendra peut-être pas, pour trancher entre la Cour de cassation et le Conseil dEtat, quune loi vienne préciser la portée de la Convention de New York.
Ce qui est sûr, cest que M. Rocard, Premier ministre, et les hommes politiques qui, à lunanimité dans cette assemblée, ont soutenu la Convention lont fait parce quils pensaient que cette Convention était directement applicable. Le Parlement a fait quelque chose que la Cour de cassation veut défaire, je ne pense pas que ce soit bon.
Vingt-sixième proposition : il faut mandater, sur les thèmes de linformation, du statut et des obligations corollaires des adultes, une institution, comme en son temps vous laviez fait pour lInstitut de lenfance et de la famille qui a été supprimé il y a quelques temps. Il faut peut-être mandater le Centre international de lenfance et de la famille pour être le " lieu ressource " chargé de mettre en uvre une information permanente sur les droits de lenfant et dégager les moyens budgétaires qui sont nécessaires, en dautres termes, maintenir ces moyens.
Vingt-septième proposition : vous en avez déjà débattu, cela fait des années que nous demandons à notre pays dêtre respectueux des Conventions je ne lai pas dit dans mon introduction, mais le droit français ne peut, à mon avis, plus se réfléchir sans être européen. Respectons les Conventions et les recommandations du Parlement européen et instaurons un médiateur de lenfance.
Vous trouverez une note dans mon dossier qui explicite, de mon point de vue, quels pourraient être la mission, les termes, le mode de fonctionnement de ce médiateur de la République dont le rôle, me semble-t-il, ne doit pas être davoir du pouvoir, mais une conviction et de rapprocher les uns des autres, dêtre le porteur de revendications non pas individuelles mais collectives, être lune des instances passerelles entre les jeunes et la société, comme le sont les conseils communaux ou régionaux de lenfance.
Je ne suis pas favorable à ce quil y ait un ministère de lenfance. On supprime un ministère comme un ministre. En revanche, il faut des choses plus profondes. Une délégation interministérielle qui aurait en permanence le souci de vérifier ladéquation dun certain nombre de politiques au regard des engagements nationaux et internationaux de notre pays serait une bonne chose. Je serais plutôt favorable à une délégation interministérielle.
Jen viens à ma dernière proposition, celle qui ne peut pas être codifiée : serons-nous capables de donner de lespoir aux jeunes ? Tout cela est bien beau, tout cela ce sont des droits formels. On peut faire des efforts pour passer des droits formels à des droits réels, mais la carence fondamentale des jeunes qui sont en souffrance dans ce pays, cest quils nont pas dutopie, pas despoir. Mais cela ne peut pas faire lobjet dun article de loi. Si vous pouviez faire cela, donner une perspective aux jeunes, pas seulement de savoir si en 2020 leurs retraites leur seront payées car cest cela le débat politique du moment ! Nous, les adultes, navons rien à offrir aux jeunes. Si je fais masse du tout par rapport aux jeunes que je connais dans les juridictions : ils nont déjà pas de passé, ils nont pas despoir, ils savent que la société est inégalitaire, mais cela ils peuvent le supporter, vous ajoutez un zeste dinjustice, cest-à-dire leur sentiment dinjustice lorsquon leur lance un regard ou quil y a telle ou telle interpellation, et vous avez lexplosion.
Ma conclusion est de dire en cela, je pense que cest une approche consensuelle, pas seulement militante et engagée, même si la forme lest pour provoquer le débat que lintérêt des enfants, cest lintérêt social, notre intérêt collectif comme adulte est de garantir les droits des enfants, le statut de lenfant plutôt avec droits et devoirs non pas en opposition à celui de ladulte, mais comme en faisant partie.
La question clé est celle du lien et du dialogue. Cest autour de ces priorités que jai essayé de vous présenter rapidement les quelques vingt-sept propositions que je vous donne par écrit.
M. le Président : Il est vrai quil était impossible de présenter ces propositions en dix minutes, ne serait-ce que pour les énoncer, mais chacun aura été impressionné par la conviction, lexpérience et lengagement que votre déposition traduit.
Mes chers collègues, nous sommes devant un problème, qui est que nous avons certainement beaucoup de questions à poser à M. Rosenczveig, mais peu de temps pour le faire.
M. Jean-Pierre Rosenczveig : Ce nest pas un problème pour moi. Cétait la règle du jeu.
Mme Christine Boutin : M. le Président, les propos de M. Rosenczveig sont tellement denses quils mériteraient plus ample réflexion. Peut-être pourrions-nous y revenir pour poser dautres questions, plus en profondeur, à M. Rosenczveig ?
M. le Président : De toute manière, ce que vient de dire M. Rosenczveig va alimenter notre réflexion. Puis, il nous faudra faire un choix entre toutes ces propositions. Cest au moment de ce choix que nous pourrions lui demander des éclaircissements et des précisions au cours dune nouvelle audition.
Madame Isaac-Sibille, vous avez peut-être quelque chose à demander ?
Mme Bernadette Isaac-Sibille : Cétait tout à fait intéressant et si nous pouvions avoir le texte écrit, y réfléchir et, ensuite, poser à M. Rosenczveig des questions sur les orientations à retenir, ce serait une bonne formule.
M. le Président : Le texte que vous nous donnez va être diffusé à tous les membres de notre commission denquête. Puis, le cas échéant, nous vous ferons " replancher ".
Mais je pense que vous avez noté que ce que vous nous avez dit avec passion a suscité la réflexion nécessaire.
M. Jean-Pierre Rosenczveig : Je vous laisse trois documents, M. le Président : le texte de mon intervention, un texte sur le médiateur et une proposition de loi dorientation.
Je vous invite également à lire, en étant un peu révulsés, cette brochure " lInfini ", qui sappelle la question pédophile, comme lon disait la question juive. Des gens comme moi, et dautres, y sont traités de fascistes et de pédofrustrés.
M. le Président : Je vous remercie.
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