N° 1641

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXIÈME LÉGISLATURE

Rapport remis à M. le Président de l'Assemblée nationale le 3 novembre 1994.

Dépôt publié au Journal Officiel du 4 novembre 1994.

RAPPORT

DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1) SUR LES CAUSES DES

INONDATIONS ET LES MOYENS D'Y REMÉDIER

Président

M. Philippe MATHOT,

Rapporteur

M. Thierry MARIANI,

Députés.

TOME I

RAPPORT

(1) Cette commission est composée de: MM. Philippe Mathot, président, Jean Bousquet, Guy Hermier, vice-présidents, Mme Emmanuelle Bouquillon, MM. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaires, Thierry Mariani, rapporteur; Mme Thérèse Aillaud, MM. Jean-Marie André, Daniel Arata, Henri-Jean Arnaud, Jean-Pierre Balligand, André Bascou, Jean-Claude Beauchaud, Dominique Bussereau, Lucien Degauchy, Jean Desanlis, Jean-Michel Ferrand, François-Michel Gonnot, Pierre-Rémy Houssin, Christian Kert, Jean-Bernard Raimond, Jean-Paul de Rocca Serra, Mme Marie-José Roig, MM. Yves Rousset-Rouard, Jean-Marie .Roux, Georges Sarre, Henri Sicre, Léon Vachet, Michel Vuibert, Michel Voisin.

Risques naturels

SOMMAIRE

Pages

INTRODUCTION 13

PREMIERE PARTIE: LES CAUSES DES INONDATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

1.-UN PHENOMENE NATUREL 17

A.- Les causes des crues 17

B.- Le mécanisme de la crue 19

C.- Typologie des crues 20

1.- Les crues de type cévenol 21
2.- Les crues de plaine 22

D.- La fréquence des crues catastrophiques 23

Il.- DES EFFETS AGGRAVÉS DU FAIT DES INTERVENTIONS HUMAINES 25

A.- Les dangers de l'urbanisation et de 1'imperméabilisation des sols . . . . . . . . . . . . 26

B.- Les conséquences de la décentralisation et une application défaillante de la
réglementation 28

C.- Le déboisement . . . . .

D.- Les techniques agricoles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

1.- Le remembrement 41

2.- Le drainage 42

3.- L Irrigation 43

E.- Les aménagements fluviaux et les barrages hydroélectriques . . . . . . . . . . . . . . . . 44

DEUXIÈME PAR'T'IE: LES MOYENS D'UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION
RIGOUREUSE ET AMBI'T'IEUSE 51

I.-QUELLE POLITIQUE DE PRÉVENTION? 51

A.-Un principe de base: définir une gestion économique du risque . . . . . . . . . . . 52

B.- De nouvelles structures pour promouvoir une approche intégrée par bassin . 55

C.-La connaissance des risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

1.- Accroître l'effort de recherche en matière hydraulique . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

2.-Elaborer une cartographie du risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

U.- Dégager de nouvelles sources de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Il.- L'AMÉNAGEMENT DES ZONES À RISQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

A.- La maîtrise de l'urbanisme 63

1.- L'inlerdiction de construction: un principe simple mais difficile à appliquer 63

2.- Les outils dont disposent les autorités . 67

3.- L'apport du projet de loi relatif au renforcement de la protection de
l'environnement 72

B.- L'entretien du lit et des berges des rivières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74

l.- De nouvelles structures pour assurer l'entretien des digues . . . . . . . . . . . . . 74

2.- L'aménagement des cours d eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

C.- De nouveaux moyens de protection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

1.- Un régime particulier de jachère pour la protection contre les inondations 78

2.- Les zones d'expansion de crues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

TROISIÈME PAR'T'IE: ALER'T'E, SECOURS ET INDEMNISATION, UN
DISPOSITIF À AMÉLIORER 80

1.- UN DISPOSITIF ()'ANNONCE DE CRUE À RÉNOVER ET À DÉVELOPPER 80

A.- Un dispositif insuffisamment efficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

1.- Une extension insuffisante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

2.- Des équipements parfois archaïques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

3.- Urie organisation pas toujours cohérente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

B.- Des ameliorations indispensables et de coût raisonnable . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

1.-Lu modernisation des dispositifs d'annonce des orages cévenols . . . . . . 87

2-La modernisation des dispositifs d'annonce des crues de plaine . . . . . . . 89

3.-Une nouvelle organisation des services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

II.-CONFORTER LE DISPOSITIF D'ALERTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

A.- L'alerte à la montée des eaux 94

1.-Le système et son déclenchement 94

2.- Le contenu des messages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

3.- L'information sous le régime d'alerte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

B.- L'alerte d'extrème urgence 102

III.- RENFORCER L'EFFICACITE DES SECOURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

A- Améliorer le dispositif de communication et la chaîne d'information . . . . . . . 104

B- Rénover le plan ORSEC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

C.- Faire davantage participer l'armée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

IV.-GARANTIR UNE INDEMNISATION ÉQUITABLE . 111

A.- Un dispositif globalement satisfaisant 112

l.- Les principes de la loi du 13 juillet 1982 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

2.- Appréciation d'ensemble sur le système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

B.-Des dysfonctionnements inacceptables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

C.- Des améliorations à envisager . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

1.- Un bilan financier peu transparent mais incontestablement positif . . . . . . 116

2.- L insu/usance de l'indemnisation des seuls dommages matériels pour
les entreprises 117

3.- Vers une mutualisation des risques pour les biens des collectivités locales 1 118

CONCLUSION 119

EXPLICATIONS DE VOTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l brdre chronologique des séances tenues par la Commission

(La date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

Pages

- M. Jean-Luc LAURENT, directeur de l'Eau au ministère de 9

l'Environnement (ler juin 1994)

- M. Yves LE BARS, directeur général du CEMAGREF (8 juin 1994) 28

- M. Bertrand MUNCH, sous-directeur de la Prévention et des plans de

secours à la direction de la Sécurité civile au ministère de l'Intérieur, et

l'Amiral Guy RICHARD (8 juin 1994) 39

- MM. Marc SOLERY et Gérard BAUDOUIN respectivement président et

directeur-général adjoint de Voies navigables de France (15 juin 1994) 54

-M. Henri LEGRAND, chargé de mission pour les risques majeurs à la

Délégation aux risques majeurs du ministère de l'Environnement, chargé

de mission pour les risques naturels au ministère de l'Environnement,

ancien directeur de la prévention des pollutions et des risques et délégué

aux risques majeurs (15 juin 1994) . 69

-Colonel Michel MENARD, Centre d'opérations inter-armées (COIA)

(22j uin 1.994) 80

- M. Jacques LECORNU, directeur de l' Exploitation de la Compagnie

nationale du Rhône (22juin 1994) 93

- M. Pierre CORMORECHE, président de l'Assemblée permanente des

chambres d'agriculture (29 juin 1994) . 107

- M. Paul-Henri BOURRELIER, président de l'Instance d'évaluation de
la politique publique de prévention des risques naturels au ministère de

l'Industrie (29 juin 1994) 118

- M. Georges TOUZET, directeur général de l'Office national des forêts

(13 juillet 1994) 128

-M. Dominique MARBOUTY, chef du département des opérations à

Météo-France (21 septembre 1994) 139

- MM. Henry WOLF et Alain JACQ respectivement président et
directeur-général adjoint de l'Institution interdépartementale des
barrages-réservoirs du bassin de la Seine (21 septembre 1994) 152

Pages

- M. Jean ROYER, député, président de l'Etablissement public

d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA) (28 septembre

1994) 164

- M. Serge MAGNAN, délégué général de l'Assemblée plénière des

sociétés d'assurance dommages (28 septembre 1994) . 171

-MM. Charles PASQUA, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du

territoire, et Daniel CANEPA, directeur de la Sécurité civile (28 septembre

1994) 179

-M. Michel f3ARNIER, ministre de l'Environnement (19 octobre 1994) . 193

TOME SECOND

SOMMAIRE DES COMP'T'ES RENDUS DE DÉPLACEMENTS

Les comptes rendus des déplacements sont présentés dans l ôrdre chronologique

des missions effectuées par la Commission

(La date des déplacements figure ci-dessous entre parenthèses)

Pages

- Déplacement dans le département des Ardennes (30 juin 1994) . . . . . . . . . 205

- Déplacement dans les départements du Gard et des Bouches-du-Rhône

(4-5juillet1994) 225

-Déplacement dans les départements de l'Oise et de l'Aisne (12 juillet

1994) 252

- Déplacement dans les départements de Charente et Charente-Maritime

(29 septembre 1994) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289

- Déplacement dans le département de Vaucluse (13 octobre 1994) . . . . . . . 307

INTRODUCTION

Le 5 mai dernier, l'Assemblée nationale a décidé la création d'une commission d'enquête sur «les causes des inondations et les moyens d'y remédier. Cette décision est intervenue à la suite des tragiques événements survenus ces deux dernières années dans plusieurs départements, et plus particulièrement dans le Sud-Est de notre pays. Proposée par plusieurs parlementaires dont MM. Guy Hermier et Philippe Mathot, la création de cette commission d'enquête a été votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale.

L'Assemblée, suivant la commission de la production et des échanges, a estimé qu'elle se devait de participer à la réflexion engagée au sein de plusieurs instances sur les moyens de limiter le coût humain et économique des catastrophes que constituent les inondations à répétition qui ont affecté notre pays au cours des dernières années, et tout particulièrement au cours de l'automne 1992 et pendant l'hiver 1993-1994. Réunissant en un dispositif unique les préoccupations, sinon identiques du moins très voisines, des auteurs des deux propositions de résolution, elle a donc estimé nécessaire de se pencher sur les causes des inondations et les moyens d'y remédier.

La difficulté pour votre Commission n'était pas de définir son champ d'investigation, dont l'étendue résulte assez clairement tant du rapport de la commission de la production sur la proposition de résolution que du débat en séance publique ayant abouti à sa création. Sur ces bases, elle a considéré que sa mission comportait plusieurs volets. Tout d'abord, tenter de comprendre les raisons pour lesquelles le phénomène des crues -phénomène naturel ayant toujours existé - tend, semble-t-il, à prendre des caractéristiques nouvelles et inquiétantes - ampleur plus importante et fréquence plus élevée -. Ensuite, réfléchir, en fonction des conclusions de cette analyse, à ce que doit être une politique de prévention à la fois réaliste et efficace et aux moyens à mettre en _uvre pour lui donner une réalité. Enfin, examiner dans quelles mesure les modalités d'organisation et de fonctionnement des dispositifs d'alerte, de secours et d'indemnisation sont bien adaptés à leurs finalités.

Le travers dans lequel votre Commission a pris grand soin de ne pas tomber dans l'accomplissement de ses travaux dont les grandes lignes étaient ainsi définies, était celui d'une approche par zone géographique. La tentation était grande, en effet, compte tenu des caractéristiques physiques propres aux différents types de bassins, de considérer qu'une analyse tant des causes que des remèdes devait de façon quasi inéluctable être opérée dans le cadre de chacun. Rejetant par avance les velléités individualistes qui auraient pu se manifester en son sein, votre Commission a au contraire choisi dès l'abord d'affirmer très nettement sa vocation nationale et sa volonté d'aborder les questions d'une façon qui transcende les particularismes locaux. Ceci ne signifie évidemment pas qu'elle ait pu faire abstraction de la diversité des situations géographiques, climatiques et hydrologiques. Elle a au contraire privilégié une approche très concrète des problèmes en effectuant de nombreux déplacements sur le terrain. Mais elle a toujours eu le souci de mener parallèlement une réflexion globale à travers l'audition de responsables concernés au niveau national par les différentes facettes du problème des inondations. Cette double démarche lui a permis - au moins en a-t-elle eu l'ambition - de nourrir la réflexion générale qu'elle a menée sur les thèmes qu'elle a identifiés comme prioritaires des enseignements de terrain issus de l'expérience vécue des sinistres.

Selon ces principes, votre Commission a donc partagé ses travaux entre les auditions et des contacts sur le terrain.

Outre le directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, «généraliste» en la matière, elle a ainsi procédé à l'audition de dix-neuf personnalités susceptibles de l'éclairer sur chacun des aspects du problème des inondations, auditions dont les comptes rendus figurent dans le Tome B du présent rapport.

S'agissant des causes du phénomène, elle a entendu, sur les causes naturelles, un responsable de Météo-France; sur les causes humaines, elle s'est penchée sur l'évolution des techniques agricoles - avec le président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture - et forestières - avec le directeur général de l'Office national des forêts -, et a étudié la question de l'entretien des cours d'eau et des ouvrages hydrauliques en recevant des responsables de Voies navigables de France et de la Compagnie nationale du Rhône.

Son souci de mener une réflexion sur les principes et les moyens d'une politique de prévention l'a conduite à entendre le chargé de mission pour les risques majeurs au ministère de l'Environnement, le président de l'Instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels et le directeur général du Cemagref. Dans ce cadre, elle a également tenu à recueillir le point de vue de responsables d'institutions chargées de l'aménagement d'une part importante ou de la totalité d'un bassin et associant !es collectivités concernée par cette action, l'Etablissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents d'une part, l'Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine d'autre part.

Sur les problèmes de l'alerte et des secours, elle a reçu des représentants de la direction de la Sécurité civile du ministère de l'Intérieur et de l'Etat-Major des armées. En ce qui concerne les conditions d'indemnisation des sinistres dus aux inondations, elle a recueilli le point de vue du délégué général de l'Assemblée plénière des sociétés d'assurance dommages.

Enfin, elle a terminé son cycle d'auditions en entendant MM. Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire, et Michel Barnier, ministre de l'Environnement.

Parallèlement, votre Commission s'est rendue dans certaines des régions parmi les plus touchées par les inondations, notamment au cours des automnes 1992 et 1993 et de l'hiver 19931994, successivement dans les Ardennes, le 30 juin 1994, dans le Gard et les Bouches-du-Rhône, les 4 et 5 juillet 1994, dans l'Oise et dans l'Aisne, le 12 juillet 1994, en Charente et en Charente-Maritime, le 29 septembre 1994, enfin, dans le Vaucluse, le 13 octobre 1994. Ces visites de terrain, dont on trouvera des comptes rendus dans le Tome II du présent rapport, lui ont permis d'appréhender très concrètement l'ensemble des problèmes qui se posent en situation de crise, à travers le témoignage des responsables de l'administration, de l'armée, des pompiers, des élus locaux et des associations que votre Rapporteur remercie, puisque la possibilité lui en est offerte, pour l'accueil qu'ils ont réservé à la Commission.

Enfin, celle-ci a souhaité élargir sa vision des problèmes en se rendant aux Etats-Unis, dont certains Etats sont régulièrement victimes d'inondations de très grande ampleur. Les nombreux contacts qu'elle a établis pendant cette mission avec des responsables civils et militaires tant à Washington qu'à Saint-Louis lui ont permis notamment d'enrichir sa réflexion sur les objectifs et les moyens d'une politique de prévention.

C'est le fruit de l'ensemble de ces travaux qu'entend retracer le présent rapport, en suivant les grands axes déjà évoqués d'une analyse des causes, tant naturelles qu'humaines du phénomène, d'une réflexion sur une politique de prévention qui soit à la fois rigoureuse et ambitieuse, enfin `d'une appréciation mitigée sur le dispositif d'alerte, de secours et d'indemnisation. Ce document n'a donc pas pour objet - on l'aura compris de désigner des coupables ni de fournir des solutions-miracles. Il a pour seule ambition de contribuer à alimenter la réflexion actuellement en cours au sein de diverses instances dans notre pays, de favoriser la cohésion de ses instances et de participer ainsi à la définition des moyens permettant de parvenir à maîtriser, dans un avenir qui soit le plus proche possible, un phénomène dont les conséquences humaines et économiques ne peuvent plus continuer à être acceptées sans réagir.

PREMIÈRE PARTIE: LES CAUSES DES INONDATIONS

L - UN PHÉNOMÈNE NATUREL

Qu'est qu'une inondation ? C'est la submersion d'un terrain résultant du débordement des eaux. Autrement dit, une inondation présuppose un afflux d'eau particulièrement important. Or, si la gravité d'une inondation se mesure à la surface des terres noyées, au nombre de ponts emportés, de maisons détruites, voire de vies humaines perdues, l'importance d'une crue, elle, ne se mesure qu'au volume d'eau qui s'écoule et à la fréquence du phénomène. Les inondations sont donc d'abord les manifestations des crues, lesquelles sont avant tout des phénomènes naturels, objets habituels du travail des hydrologues qui depuis longtemps les mesurent, en analysent les causes et en calculent les fréquences, travaux sur la base desquels ils établissent des modèles et des typologies.

Avant d'évoquer les raisons de la gravité des effets des inondations qui relèvent de la responsabilité de l'homme, votre Rapporteur rappellera les mécanismes naturels qui les provoquent, car leur connaissance est un préalable indispensable à l'élaboration de tout dispositif de lutte contre le phénomène des crues.

A.- LES CAUSES DES CRUES

La cause fondamentale des crues, c'est tout simplement faut-il le rappeler?- la pluie. La fonte des neiges, en effet, même intervenant de façon brutale, ne suffit en général pas en France à déclencher à elle seule des inondations. «Les maxima les plus redoutables ont pour origine des averses anormales par leur intensité, leur extension, leur durée ou leur succession rapprochée. Cette constatation, faite en 1933 par l'hydrologue Maurice Pardé, reste toujours d'actualité.

On a peut-être trop tendance à l'oublier, mais les causes premières des inondations - les pluies exceptionnellement abondantes -,sont donc bien d'ordre climatique.

Les mécanismes générateurs de la pluie tiennent à l'existence de zones de hautes et de basses pressions atmosphériques génératrices de vents allant des unes aux autres, lesquels peuvent être porteurs d'humidité s'ils viennent de zones maritimes. Lorsque de tels vents remontent vers une masse anticyclonique d'air froid, leur contact avec l'anticyclone provoque des orages; lorsque la masse anticyclonique est plus chaude, il provoque des averses.

Sur la base de ce schéma général, on peut définir pour la France plusieurs types génériques d'averses.

Il y a d'abord les pluies océaniques classiques, créées par la différence de pression entre l'anticyclone des Açores et une dépression formée sur les files britanniques. Cette différence engendre des vents d'Ouest à Sud-Ouest, notamment pendant la saison froide, lesquels, après s'être chargés d'eau au-dessus de la Manche et de l'Atlantique, repoussent devant eux d'épais systèmes nuageux. Il faut remarquer que plus la baisse barométrique empiète vers le Sud, plus les pluies peuvent gagner du côté aquitain. Dans un tel cas de figure, le Midi méditerranéen, abrité par le Massif Central rhodanien, est indemne.

Les pluies océaniques pyrénéennes se produisent, elles, quand l'anticyclone s'installe sur le golfe de Gascogne, tandis qu'une dépression se crée à l'Est de l'Aquitaine. Un vent de Nord-Ouest charrie alors des nuages sur les Pyrénées, mais aussi parfois la Montagne Noire et les Causses: dans ce cas, on peut voir se gonfler toutes les rivières du bassin de la Garonne, aussi bien la Garonne elle-même ou les rivières du Lannemezan que le Tarn et les affluents de rive droite.

Quant aux pluies méditerranéennes, elles sont liées à des dépressions qui se forment sur le golfe de Gênes ou au large des Baléares. Des vents d'Est à Sud-Est chauds, chargés d'eau puisque traversant la Méditerranée, rencontrent l'obstacle des Cévennes, ou, moins souvent, des Alpes, s'élèvent au contact de l'air froid d'altitude en cumulonimbus parfois énormes et éclatent en orages brutaux. Ces orages, qui se produisent généralement en automne, peuvent provoquer des précipitations de 200 à 300 mm par jour; les Cévennes ont ainsi reçu jusqu'à plus de 600 mm en 24 heures - à titre de référence, rappelons que Paris reçoit 500 mm d'eau par an. La localisation des pluies varie selon l'implantation respective de l'anticyclone et de la dépression; leur intensité dépend du volume de nuages créé par l'humidité des vents et bien sûr des différences de températures.

Il n'y a pas forcément séparation dans le temps entre ces différents types de pluie, qui peuvent coïncider. C'est ainsi que les crues exceptionnelles et dramatiques de 1846 et 1856 sur la Loire et le Rhône, dont le débit enregistré alors à Beaucaire n'a depuis jamais été dépassé, pas même pendant l'hiver 1993-1994, résultaient de la concomitances de précipitations à la fois océaniques et méditerranéennes qui ont fait déborder en même temps les affluents de régime océanique et méditerranéen de ces fleuves (ainsi, pour le Rhône, le Rhône lui-même et la Saône, d'une part, la Durance, l'Ardèche et les autres rivières cévenoles, d'autre part). Lors de la catastrophe survenue à Vaison-la-Romaine en 1992, il y a aussi eu coïncidence entre des pluies méditerranéenes et une perturbation océanique dont la trame a créé un gigantesque front froid au-dessus du sillon rhodanien.

B..- LE MÉCANISME DE LA CRUE

A l'origine de la crue, il y a, on l'a vu, des averses exceptionnelles générées par des phénomènes climatiques. Mais, en fonction de plusieurs types de données, la crue sera plus ou moins importante, plus ou moins violente et aussi, lorsque l'homme tentera de le faire, plus ou moins facile à maîtriser, selon le régime des averses, le relief, la taille des bassins versants et l'état du sol.

Le premier élément de différenciation est le régime des pluies lui-même. Plus les averses sont en moyenne denses, intensives, voire diluviennes, plus les crues sont fortes.

Le relief joue également un rôle fondamental. En effet, l'eau de pluie peut soit s'infiltrer, soit ruisseler; dans le premier cas, elle est absorbée par le sol, et ne se diffusera ensuite que lentement vers le point bas qu'est le cours d'eau ; la crue est ainsi étouffée avant même de se produire; dans le second cas au contraire, l'eau coule immédiatement des points hauts vers les points bas. Et plus la pente est forte, moins l'eau est absorbée et plus elle ruisselle vite.

Or, c'est sur les points hauts que se produisent les plus forts écarts thermiques, causes de précipitation. Ainsi, alors qu'il tombe chaque année 500 mm de pluies océaniques sur Paris, il en tombe plus d'un mètre sur l'Ardenne, limite du bassin versant de la Seine. Les sommets du Massif Central, des Cévennes, des Alpes, du Jura ou des Vosges reçoivent chaque année plus de 2 m voire de 3 m de précipitations.

La taille des bassins versants est également un élément de discrimination très important. Le bassin versant d'une rivière ou d'un fleuve est l'ensemble des surfaces dont il draine les eaux. Un petit torrent de montagne dispose ainsi d'un petit bassin versant, limité par les sommets qui le séparent des autres vallées, alors que le bassin versant de la Loire représente environ le tiers du territoire national. Or, un petit bassin versant peut très bien âtre touché tout entier par un orage; si celui-ci est très violent et si le bassin versant est très pentu et bien drainé par un réseau convergent, la pluie, venant de toutes les pentes à la fois, arrivera tout de suite dans le cours d'eau, qui va immédiatement gonfler de façon monstrueuse. On dit que plus un bassin est petit, plus le rythme et la puissance de ruissellement tendent à se conformer au rythme horaire de la pluie et le maximum fluvial à égaler le maximum pluvial.

En revanche, plus le bassin versant est étendu, plus l'évolution de la crue, pour des raisons tenant à la distance, au temps de parcours, à l'inertie hydrologique, devient lente par rapport à celle de la pluie, et plus le débit fluvial maximum tend à être inférieur au débit pluvial moyen pour une même durée de précipitation, d'autant que, de l'amont vers l'aval, alors que les surfaces réceptrices augmentent, la moyenne de la pluie reçue diminue.

Enfin, l'état du sol est également un élément important. II peut âtre boisé ou non (on considère qu'une forât retient 100 mm de pluie de plus qu'un sol nu), perméable ou argileux. II peut âtre aussi déjà saturé par une pluie précédente, de sorte que la nouvelle pluie ruissellera comme sur un sol argileux, ou recouvert de neige qui fondra au contact de la pluie et viendra grossir la crue. Un sol profondément gelé accélère lui aussi le ruissellement. Enfin, un sol nu et sec est susceptible d'être littéralement arraché par des pluies diluviennes ou une grosse crue, un tel événement pouvant emporter jusqu'à un mètre d'épaisseur de terrain !

C. - TYPOLOGIE DES CRUES

L'ensemble des éléments ci-dessus permet de dresser une sorte de typologie des inondations basée sur une échelle entre deux points extrêmes.

1.- les crues de type cévenol

Le premier de ces points serait constitué par la conjonction entre des bassins versants petits, ravinés, extrêmement escarpés, et des pluies fréquemment diluviennes, par exemple des pluies d'orage nées de la rencontre en altitude de courants chauds et humides et de masses d'air froid. Une telle conjonction est celle qui entraîne les phénomènes les plus violents, les plus brutaux et aussi les plus ravageurs, sachant que les masses d'eau ainsi produites sont dotées d'une capacité d'érosion considérable et sont aptes à charrier terre, roc et végétation avec une puissance insoupçonnée.

Les crues de type cévenol correspondent à cette conjonction de facteurs.

Au hasard des orages, pour peu que l'un d'entre eux éclate précisément sur un tout petit bassin versant, ou se régénère anormalement longtemps sur un autre, les rivières des Cévennes provoquent régulièrement des inondations instantanées d'une ampleur difficile à imaginer. On peut ainsi évoquer les pluies tombées sur Nîmes le 3 octobre 1988 (228 mm d'eau, soit 2281 d'eau au m² dus à un orage se régénérant sur place) entraînant un gonflement meurtrier des Cadereaux et l'ennoyage de la ville sous 2 m d'eau, ou la crue de l'Ouvèze, montée de 1? m en quelques instants à Vaison-la-Romaine en 1992 et roulant peut-être plus de 1.000 m³/s (300 pour la Seine à Paris) à la suite de précipitations de 300 mm en 3 heures sur un bassin versant de 1.860 km². De tels phénomènes ne constituent bien sûr pas des nouveautés: on peut ainsi évoquer le déluge ayant frappé Nîmes en 1557, la crue de l'Ardèche du 22 septembre 1890 (les 20 km2 les plus frappés ont alors débité jusqu'à 20.000 à 25.0001/s/km, soit 400 à 500 m³, soit une fois et demie la Seine à Paris), la crue subite de la Vernazobre, affluent de l'Orb, montée de 7 à 8 m en un quart d'heure dans la nuit du 12 au 13 septembre 1860, ou encore le grand désastre» de l'Ouvèze en 1616.

Phénomène caractérisé par sa brutalité, son ampleur et sa soudaineté, la crue cévenole est difficile à prévoir, car un bassin versant peut, par l'effet des aléas climatiques, rester très longtemps sans être touché.

2.- Les crues de plaine

Le deuxième pôle est constitué par des situations caractérisées par des éléments exactement opposés: des pluies moins intenses mais plus longues, un relief peu accidenté, des bassins versants étendus.

Dans ce type de configuration, les eaux montent progressivement, et le fleuve sort lentement de son lit et s'étale dans la plaine ; c'est le profil habituel des grandes crues de la Charente par exemple.

Dans ce type de situation, des crues très importantes peuvent néanmoins survenir dans deux cas.

Tout d'abord, lorsqu'un fleuve reçoit de façon concomittante les crues de plusieurs de ses affluents, même évoluant lentement. Ainsi, des risques à la fois exceptionnellement peu probables et exceptionnellement graves existent-ils de la réunion à Beaucaire de crues des affluents cévenols, de la Durance et des affluents du cours moyen du Rhône. II en est de même dans la vallée hercynienne de la Meuse, au niveau des communes de Monthermé, Vireux-Molhain et Givet. Comme l'a indiqué M. Yves Henry, préfet des Ardennes, la crue rapide et simultanée des affluents de la Meuse a eu pour conséquence une crue «remontante» du fleuve, démontrée par des études hydrographiques.

Ensuite, la pluie peut en quelque sorte suivre la crue. Ainsi, en décembre dernier, l'Oise a-t-elle reçu sur son cours amont des précipitations considérables d'une fréquence de retour de 30 ans; dans les jours qui ont suivi, la pluie a continué à tomber, mais de plus en plus à l'ouest. L'Oise coulant d'Est en Ouest, la pluie est venue grossir encore une rivière déjà grossie des pluies d'amont, entraînant des débordements généralisés.

Entre ces deux pôles de l'inondation aléatoire, violente et imprévisible et de l'inondation lente, puissante et prévisible, existent des situations intermédiaires.

Ainsi, les crues d'amont des rivières, y compris celles du Bassin parisien,étant produites par des précipitations beaucoup plus abondantes qu'à l'aval sur un relief plus pentu et sur des bassins versants plus petits, entraînent-elles des hausses du niveau de l'eau bien plus rapides qu'à l'aval. De même le profil et la puissance du Rhône font que ses crues d'aval n'ont pas le caractère presque paisible de celles de la Charente. I1 reste que le caractère dévastateur et soudain des crues de type cévenol justifie un traitement à part dans l'analyse.

D.- LA FRÉQUENCE DES CRUES CATASTROPHIQUES

La typologie ci-dessus ne correspond pas à une échelle de gravité, elle définit seulement la configuration prévisible des crues en fonction du relief et des précipitations. Dans les Cévennes, tous les orages ne transforment certes pas les cours d'eau en murailles de boue emportant tout sur leur passage; mais en cas de petits orages, la translation de l'eau se produit selon les mêmes règles que lors des gros.

Le caractère aléatoire de l'événement exceptionnel conduit à tenter d'établir son risque de survenance. Pour cela, de mesures en études, on tente de calculer sa fréquence, ce qui permet de lui affecter une probabilité. Ainsi définit-on des crues de probabilité 1 (tous les ans), 0,1 (tous les dix ans); 0,01 (tous les cent ans), 0,001 (tous les mille ans). On parle ainsi de crues annuelles, décennales, centennales, millénales.

A ce propos, il faut évoquer trois points.

Tout d'abord, les mesures sur les fleuves et rivières n'existent que depuis une centaine d'années; sur l'Oise, les stations ne sont installées que depuis 1920 ; sur le Rhône, si les enregistrements des crues couvrent les 150 dernières années à Beaucaire, elles ne remontent à Viviers ou à Valence qu'à environ 80 ans. Selon M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'environnement, en règle générale, les éléments les plus sûrs ne remontent pas à plus de 50 ans. Aussi l'attribution d'une fréquence à un volume d'inondation est-elle parfois sujette à révision. Par exemple, la fréquence de la crue de l'Oise de décembre 1993, d'abord considérée comme centennale, a-t-elle maintenant été ramenée à trente ou quarante ans.

Ensuite, un événement millénal n'est pas forcément beaucoup plus grave qu'un événement centennal. Le caractère éventuellement dramatique d'une inondation est d'abord lié au potentiel de danger contenu dans la configuration des lieux. Si la survenue d'une pluie très exceptionnelle sur un petit bassin versant des Cévennes produit à coup sûr une crue monstrueuse, comme celle du Cadereau en 1988 à Nîmes ou de l'Ouvèze en 1992, en revanche, la crue millénale du Rhône à Beaucaire est estimée à 14.000 m³/s, contre 10.300m³/s pour la crue centennale (et 11.000 m³/s en janvier 1994). Il s'agit là d'un événement certes très puissant, mais qui n'est pas très éloigné d'un ordre de grandeur type de crues moins rares.

De plus, pour les phénomènes très violents mais très localisés que sont les orages cévenols, il y a en quelque sorte deux échelles de fréquence.

La première est l'échelle de fréquence à un point donné, pour un petit bassin donné. Ainsi, selon le rapport établi sur l'Ouvèze en novembre 1992, la périodicité de retour d'une telle crue dans la vallée de l'Ouvèze est nettement supérieure à cent ans.

La seconde est l'échelle de fréquence sur la zone géographique susceptible de recevoir ces précipitations (soit, pour les Cévennes, environ 200 km²). Selon le même rapport, des pluies de 300 mm en 24 heures, soit des phénomènes moins graves qu'à Nîmes ou Vaison, peuvent être observées tous les cinq ans sur un point ou l'autre de ce territoire.

Ainsi, dans les Cévennes ou les Alpes du Sud, le risque pour un bassin précis qu'il tombe 300 mm de pluie en 24 heures est de 100 ans, mais le risque qu'il tombe 300 mm quelque part sur l'ensemble de la région est de 5 ans.

Enfin, concrètement, il y a toujours distorsion entre la fréquence d'une crue et ses retours effectifs. Qu'une crue centennale vienne de se produire ne signifie évidemment pas que la prochaine ne surviendra pas avant 100 ans. En fait, les événements pluvieux surviennent souvent par série. Ainsi le Rhône a-t-il connu coup sur coup en octobre 1993 et janvier 1994 une crue de fréquence cinquantennale et une de fréquence centennale. Pour la Meuse, on a noté une crue de fréquence cinquantennale en 1991, une autre crue cinquantennale en janvier 1993 et une crue centennale en décembre 1993. La Loire moyenne avait connu coup sur coup en 1846, 1856 et 1866 des crues catastrophiques roulant entre 8.500 et 10.000 m²/s, alors qu'elle n'a depuis jamais roulé plus de la moitié de ce volume. On pourrait multiplier les exemples mais on se bornera à celui du Tarn, sur lequel, à Montauban, on a relevé six fois, entre 1?66 et 1826, des cotes de plus de 9,50 m, alors que, dans les 100 ans qui ont suivi, aucune crue n'a dépassé 8 m. Ce phénomène s'explique notamment par la saturation des berges et des terrains en profondeur par une pluviosité fondamentalement supérieure à la moyenne. Il est aussi dû au caractère assez artificiel de la définition d'un climat tempéré comme le nôtre : l'observation de la pluviométrie et des températures de chaque mois permet de·calculer une moyenne, laquelle est essentiellement statistique: l'écart est souvent grand, en plus ou en moins, entre le climat constaté et le climat moyen. Aussi plusieurs écarts de suite en excès de pluviosité n'ont-ils rien d'exceptionnel et ne traduisent pas un changement du régime des précipitations et des crues.

I1 faut donc conclure de ce bref survol que les inondations même les plus importantes qu'a enregistré notre pays récemment sont avant tout des phénomènes naturels, dont il existe des précédents historiques répertoriés et connus. Qu'ils soient naturels n'empêche évidemment pas qu'ils puissent, le cas échéant, être catastrophiques et dangereux, ni qu'il ne faille pas s'en protéger.

IL- DES EFFETS AGGRAVÉS DU FAIT DES INTERVENTIONS HUMAINES

Le phénomène des inondations doit se comprendre comme un enchaînement de causes dont le résultat peut se révéler dramatique.

De très fortes pluies, d'une même et rare intensité n'ont pas des conséquences identiques selon les endroits où elles se produisent. Dans certains cas, elles entraînent une montée des eaux mais ne présentent aucun danger véritable. Dans d'autres cas, la présence d'un facteur aggravant, tel l'urbanisation, venant se conjuguer à la cause d'origine naturelle, pourra avoir des conséquences réellement catastrophiques tant sur le plan matériel qu'en termes de vies humaines. On peut citer à titre d'exemple le cas de Vaison-la-Romaine. En effet, la catastrophe du 22 septembre 1992 est en partie le résultat de la combinaison de quatre facteurs : tout d'abord, un événement pluvieux intense entraînant une crue de l'Ouvèze, ensuite une imperméabilité géologique spécifique à cette vallée, puis une imperméabilisation des sols à l'origine d'un ruissellement pluvial urbain et enfin la présence de constructions dans le lit même de la rivière.

L'urbanisation entendue à travers ses différents aspects: habitat, imperméabilisation des sols liée à la construction de routes, de parkings et de ponts, ouvrages collectifs (écoles, hôpitaux) - constitue une des principales causes des inondations. Il convient d'une part d'analyser les dangers engendrés par l'urbanisation et l'imperméabilisation de sols et, d'autre part, de déterminer les raisons d'une poussée urbaine incontrôlée dont il conviendra de définir les responsabilités.

A.- LES DANGERS DE L'URBANISATION ET DE L'MPERMÉABILISATION DES SOLS

Ces dangers sont reconnus par tous. La quasi totalité des personnalités entendues et interrogées sur le sujet par la Commission l'a souligné avec insistance et nombre de rapports et documents viennent le confirmer.

Le rapport Ponton réalisé à la suite de la catastrophe de Nîmes de 1988 met fortement l'accent sur le rôle de l'imperméabilisation des bassins versants dans le cas des inondations de Nîmes.

L'imperméabilisation des sols, provoquée par l'édification de bâtiments et d'infrastructures, entraîne en effet une augmentation des coefficients de ruissellement et par voie de conséquence une accélération du ruissellement, aggravant les débits reçus en aval.

Le cas de Nîmes n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. En avril 1989, l'ingénieur Ponton mentionnait dans son rapport 62 villes, dont Vaison-la-Romaine, susceptibles d'être victimes de crues par ruissellement pluvial. Non seulement l'imperméabilisation des grandes surfaces (lotissements, parkings, routes, aéroports, zones commerciales et industrielles) accélère le débit de l'eau, mais l'écoulement de celle-ci est en outre gêné du fait de l'inadaptation fréquente des réseaux d'évacuation des eaux pluviales ou de l'implantation de grandes voies d'accès ou de ponts de chemins de fer, par exemple, qui se transforment alors en véritables retenues.

Un rapport du Conseil économique et social de 1957 relatif au problème de la prévention des inondations. insistait déjà sur les risques liés à une exposition particulièrement imprudente de l'habitat. A propos du Vidourle situé dans le Gard, les auteurs du rapport écrivaient ainsi qu'il s'agit d'un «exemple typique d'obstination de l'habitat humain malgré les débordements désastreux de ce fleuve.

L'urbanisation et l'imperméabilisation comme facteurs à la fois causaux et aggravants des inondations, ont également été citées à de multiples reprises par les personnes auditionnées par la Commission.

C'est ainsi que M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, a mis l'accent sur l'influence de la pluviométrie et de l'urbanisation sur le phénomène d'inondabilité des bassins versants et décrit à la Commission la manière dont l'urbanisation contribuait à la diminution de la capacité d'infiltration des sols et donc à l'accélération de la vitesse d'écoulement du ruissellement pluvial urbain.

De même, M. Yves Le Bars, directeur général du Cemagref, a indiqué lors de son audition qu'une étude conduite dans une petite vallée de la Haute-Garonne avait clairement démontré, à travers une modification du lit principal de la rivière, les conséquences dramatiques d'une urbanisation irréfléchie. Enfin, lors de son audition, M. Pierre Cormorèche, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, s'est lui aussi arrêté sur les dangers de l'urbanisation. C'est ainsi qu'il a noté, à travers son expérience personnelle, combien l'urbanisation pouvait générer de graves inondations en éliminant «les parties intermédiaires entre les plateaux et la plaine que constituaient des côtières boisées.» Or, ces zones intermédiaires avant d'être les victimes de cette frénésie urbanisatrice jouaient un rôle essentiel dans la protection contre l'écoulement des eaux.

De plus, beaucoup de nouveaux propriétaires de maisons situées en zone à risques ont arraché la végétation en bordure de rivière, ce qui, sans qu'ils en aient conscience, a favorisé les éboulements et les entraînements de rives.

Cette urbanisation est une véritable menace dans la mesure où elle aggrave les inondations dans des lieux classés comme zone à risques et crée des inondations en des endroits où l'eau s'écoulait précédemment sans trop de difficultés.

A cette occupation imprudente des sols en zone inondable s'ajoute également le problème de la mauvaise résistance de certains ouvrages d'art ou constructions. En effet, les terrains situés en zone inondable sont généralement cédés à des prix relativement bas et intéressants à des personnes aux moyens souvent modestes qui font parfois appel à des entreprises de construction de villas clef en mains», lesquelles peuvent présenter une moindre résistance par rapport aux demeures traditionnelles.

Cette forte urbanisation, conséquence de l'évolution de la société contemporaine (5,5 % du territoire national est aujourd'hui artificiel), s'est accompagnée d'un phénomène d'amnésie collective. L'homme a oublié le fonctionnement naturel des cours d'eau au point de recouvrir ces derniers de béton (exemple du Paillon à Nice 55 hectares d'urbanisation ont été gagnés sur ce cours d'eau).

Pourtant, la mémoire collective reste un élément indispensable à la prévention présente et future.

S'il apparaît inutile de s'étendre davantage sur ce phénomène d'urbanisation et d'imperméabilisation dont l'extrême gravité ne peut échapper à personne, il nous appartient d'en analyser les causes, et ce dans une perspective de prévention.

Outre l'industrialisation et la tertiairisation de notre société qui ont conduit à un vaste exode des populations vers les villes, de multiples facteurs, tels la décentralisation et les pressions susceptibles de s'exercer sur certains élus d'une part, la complexité et le non respect de la réglementation d'autre part, sont à l'origine d'une urbanisation particulièrement dangereuse du point de vue des risques d'inondations.

B.- LES CONSÉQUENCES DE LA DÉCENTRALISATION ET UNE APPLICATION DÉFAILLANTE DE LA RÉGLEMENTATION

Dans un entretien accordé au magazine ·50 millions de consommateurs», M. Renaud Vié Le Sage, ancien directeur du commissariat aux risques majeurs, déclarait: «En France, 80 % des permis de construire en zones inondables ont été délivrés durant ces 40 dernières années. On estime que deux millions de personnes vivent aujourd'hui dans ces zones.» .Ce qui s'est passé est doublement criminel: non seulement on continue à bâtir dans des zones dangereuses mais on n'informe pas les citoyens. Et en ce moment on construit de plus en plus vite, car tout le monde est bien conscient qu'un jour ou l'autre, à cause de drames comme à Vaison, il sera de plus en plus difficile de bâtir dans des zones dangereuses. En aval, les promoteurs accélèrent, en amont, les politiques ont les pieds sur le frein. »

La pression des particuliers désireux de devenir propriétaires ainsi que celle des promoteurs immobiliers expliquent dans une certaine mesure la situation dénoncée par M. Renaud Vié Le Sage.

Si ce phénomène n'est pas nouveau, il a sans aucun doute été accentué par la décentralisation.

En confiant aux communes la compétence de l'urbanisme, les lois de décentralisation ont rendu les prérogatives de l'Etat moins contraignantes et ont placé de nombreux élus locaux dans une situation vulnérable.

Branche motrice de notre économie, le bâtiment représente, par exemple dans le sud de la France, 70 % de l'activité. Ce pourcentage explique aisément la poussée urbaine incontrôlée qui affecte le Sud de notre pays.

Le département du Var, connu comme une zone à hauts risques en matière de catastrophes naturelles, est la première terre d'accueil touristique française. De plus, la population a été multipliée par deux en l'espace de 30 ans.

Cette forte pression foncière d'une part et l'affaiblissement de la mémoire collective locale résultant de la forte affluence de personnes extérieures à la région d'autre part, sont autant de facteurs qui viennent expliquer une occupation des sols d'une extrême densité.

Il ne s'agit pas non plus d'innocenter complètement certains élus qui peuvent avoir des comportements peu scrupuleux su regard des risques d'inondations.

Les dangers de l'urbanisation trouvent également leur origine dans le non respect de la réglementation et dans l'inadaptation et l'obsolescence de celle-ci.

Les comportements individuels conjugués les uns aux autres portent une lourde responsabilité dans les inondations dramatiques qu'a connu notre pays au cours de ces dernières années.

De faut temps, les Français ont nourri une réticence contre la règle. Ils la jugent brimante et contraire à leur liberté. Le tempérament contestataire de nos concitoyens les conduit à rejeter toute contrainte émanant d'une administration qui s'impose à eux sans qu'ils l'aient choisie.

Ce phénomène de rejet apparaît face aux règlements d'urbanisme. Ainsi les Français vivant dans des zones exposées ne perçoivent généralement que les inconvénients de la règle et en admettent difficilement les avantages. Les notions d'inconstructibilité, de prescriptions particulières, les limites de l'indemnisation, ont pour effet de nourrir leurs réticences tandis que les notions de prévention ou de protection leur apportent rarement satisfaction.

Outre cette tendance profonde à la contestation qui caractérise si bien l'identité française, il faut également souligner l'effet désastreux de certains comportements irresponsables. Un exemple concret permettra d'illustrer ces propos. C'est celui de l'aménagement de jardins ouvriers dans le lit majeur du Rhône, à hauteur des communes vauclusiennes de Mondragon et de Lamotte du Rhône. Ces jardins ouvriers dénommés «Jardins du Lauzon, au nombre d'environ 500, sont loués à des particuliers pour une somme d'environ 100 F par an. Si l'on ne saurait contester l'existence de ces jardins occupés par des citadins ou de modestes retraités dont les moyens financiers ne leur permettent pas de se porter acquéreurs d'une propriété individuelle, on ne peut en revanche tolérer que ces jardins se transforment en résidence secondaires, voire en résidences principales, et ce dans un total mépris de la réglementation d'urbanisme en vigueur.

En effet, ces jardins sont dotés de «cabanons» équipés en eau, électricité, TV, haies, piscines, occupent en effet dangereusement des lieux dont la vocation potagère est plus que douteuse.

De telles installations sont susceptibles de former des obstacles gênants en période de crues. L'écoulement des eaux se fait alors plus violent et celles-ci empruntent d'autres voies que leur passage naturel.

Cette irresponsabilité constatée apparaît également sous une autre forme. C'est ainsi qu'à Vaison-la-Romaine, deux ans après la catastrophe du 22 septembre 1992, des demandes de permis de construire ont de nouveau été déposées dans des zones inondables.

La question est de savoir pourquoi les textes législatifs et réglementaires qui régissent la construction sont peu ou mal respectés.

Le code de l'urbanisme interdit les constructions dans les zones dangereuses ou peut leur imposer des conditions spéciales, notamment en matière d'interdiction de sous-sols ou de hauteur minimum de planchers de rez-de-chaussée par rapport au terrain naturel.

De même, dans les communes dotées d'un plan d'occupation des sols (POS) approuvé, à l'étude ou en révision, le préfet peut prescrire un plan d'exposition aux risques (PER) destiné à renforcer le rôle de l'Etat en matière de contrôle de la constructibilité.

Pourtant, ce contrôle de l'Etat sur la constructibilité semble avoir fait cruellement défaut. En effet, en octobre 1993, sur les 8.000 à 8.500 communes concernées, 625 étaient dotées d'un PER prescrit, c'est-à-dire mis à l'étude par l'État. A ce jour, seules 323 communes disposent d'un PER approuvé. Les lacunes liées à l'application de cet instrument juridique apparaissent non seulement dans la non réalisation des PER prescrits mais également dans la non prescription de PER dans des départements pourtant inondés à plusieurs reprises.

Les raisons de cet échec ont largement été avancées à travers, d'une part, la décentralisation de l'urbanisme, d'autre part, la pression qui peut s'exercer sur les élus et enfin le poids des milieux économiques concernés. Une quatrième raison, majeure, expliquant également l'échec de la politique de maîtrise de l'urbanisation réside dans l'insuffisance et l'inadaptation des instruments juridiques.

Les PER, institués en 1982 comme le symbole d'une volonté politique de mettre un frein à une urbanisation galopante, déterminent les zones exposées et les techniques de prévention à y mettre en _uvre par les propriétaires, les collectivités locales ou l'État. Dans les zones rouges, les plus exposées, toute construction nouvelle est interdite et serait en outre exclue de l'assurance au titre des catastrophes naturelles. Les constructions existantes, quant à elles, ne peuvent être étendues. Dans les zones bleues, des prescriptions sont imposées par le PER. Cela peut se traduire par l'installation en hauteur des équipements électriques et d'électroménagers, par la disposition d'ouvertures hors d'eau ou munies de dispositifs d'étanchéité. Le respect de ces prescriptions conditionne la garantie catastrophe naturelle. Les zones blanches sont celles considérées comme sans risques.

En fait, les PER ne sont pas vraiment des documents d'urbanisme mais plutôt des documents d'assurance. A leur création, ils ont été popularisés à travers l'idée qu'ils permettaient d'agir sur l'existant alors que la marge de man_uvre qu'ils offrent dans ce domaine est relativement faible.

Ces PER ont en grande partie échoué en raison de leur manque de souplesse et notamment par leur incapacité à s'adapter aux situations locales.

De l'avis de la très grande majorité des personnes consultées par votre Commission sur le sujet, il ressort que les PER constituent un dispositif dont l'application se révèle contraignante.

Les PER sont une source de contraintes parce qu'ils apparaissent trop centralisateurs aux yeux des élus, génèrent des études longues et coûteuses et entraînent le gel des terres situées en zone rouge du fait de leur inconstructibilité. Lorsque les constructions se trouvent en zone bleue, les propriétaires ont cinq ans pour appliquer les prescriptions du PER et doivent faire une déclaration auprès de leur assureur.

De plus, la procédure des PER, déjà longue dans les étapes qui la constituent habituellement, est particulièrement lente en cas d'avis opposés. Ainsi, si le maire de la commune pour laquelle le PER a été prescrit et le préfet émettent des avis divergents ou contraires, le délai d'approbation du PER par décret en Conseil d'État peut aller jusqu'à cinq ans.

Pour M. Henri Legrand, chargé de mission pour les risques majeurs à la Délégation aux risques majeurs du ministère de l'Environnement, la superposition des instruments juridiques destinés à maîtriser l'urbanisme ainsi que leur complexité ont largement concouru à l'insuccès des PER. De plus, le coût de réalisation des PER est si élevé (environl60 millions de F.) qu'il en est décourageant. Il apparaît alors plus intéressant de recourir à l'application de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme.

En effet, bien qu'il n'offre pas une vision d'ensemble et qu'il exclue de son champ d'application les campings ou les clôtures, l'article `R 111-3 du code de l'urbanisme est un moyen efficace de

plaquer sur les documents d'urbanisme des contraintes en matière d'occupation des sols en zone inondable.

L'article R 111-3 dispose que «la construction sur des terrains exposés à un risque tel que : inondation, érosion, affaissement, éboulement, avalanches, peut, si elle est autorisée, être subordonnée à des conditions spéciales. Ces terrains sont délimités par arrêté préfectoral pris après consultation des services intéressés et enquête dans les formes prévues par le décret n° 59-7O1 du 6 juin 1959 relatif .à la procédure d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique et avis du conseil municipal..

S'agissant du POS et du plan d'intérêt général (PIG), le principal inconvénient de ces deux dispositifs est, comme pour le PER, leur lenteur. Quant à l'article R 111-3, il est vrai qu'il apparaît quelque peu contraignant. Enfin, le plan de surfaces submersibles (PSS) n'est pas un document d'urbanisme puisqu'il a pour objet la conservation des champs d'inondation.

Un autre point de vue particulièrement intéressant et tendant à expliquer le fait que les dispositions relatives à la maîtrise de l'urbanisation sont peu ou mal respectées a été présenté à votre Commission par M. Pierre Cormorèche, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, qui souligne notamment l'incapacité de ces dispositions à agir efficacement en amont «(...) compte tenu de la multiplicité des acteurs concernés et de la diversité des approches qu'il faut concilier, notamment en matière d'articulation du droit des sols et du droit de l'eau.»

C.- LE DÉBOISEMENT

Les effets néfastes du déboisement sur le phénomène des inondations sont connus depuis fort longtemps et sont largement dénoncés tant il est vrai que la forêt joue un rôle extrêmement bénéfique pour la régularisation du régime des eaux et la lutte contre l'érosion.

Le couvert forestier intercepte en effet une partie de la pluie, supprime l'impact de la pluie sur le sol, diminuant ainsi l'ablation des particules et leur entraînement, favorise l'infiltration des eaux de pluies ou de fonte des neiges et, enfin, diminue fortement le ruissellement.

La forêt joue un rôle écrêteur et retardateur de crue qui est loin d'être négligeable. D'ailleurs, M. Yves Le Bars, directeur du Cemagref, a souligné devant votre Commission combien la forêt «a une capacité de rétention supérieure à une terre labourée. »

Le déboisement, en portant atteinte au rôle régulateur de la forêt dans le cycle de l'eau, est incontestablement un facteur aggravant des inondations. Les effets nuisibles du déboisement furent notamment décriés avec beaucoup de vigueur au cours de la deuxième moitié du XIX³ siècle. La gestion patrimoniale de la forêt et de l'espace montagnard fut longtemps le fait des populations locales, des agriculteurs, des pasteurs, des forestiers et des collectivités concernées. Or, cette gestion et cette préservation du milieu montagnard ont été perturbées et totalement déséquilibrées par l'explosion démographique et les profonds bouleversements économiques, sociaux et politiques qui ont marqué notre pays au cours du XIXe siècle.

Cette forte pression démographique a eu une double conséquence:

- d'une part, en montagne, la pression exercée sur le milieu naturel est devenue plus forte: déboisement, défrichement, cultures sur les terrains en pente, surpâturage, surexploitation de la forêt. Autant de facteurs qui favorisèrent une érosion active;

- d'autre part, le déboisement lié à l'explosion démographique de l'époque eut de cruelles et mortelles répercussions dans les plaines. C'est ainsi que de 1840 à 1856, des inondations désastreuses des grands fleuves en provenance des montagnes (Loire, Rhône, Garonne) furent à l'origine d'une prise de conscience des méfaits du déboisement ainsi que du mauvais état des bassins versants et de la nécessité de mettre en _uvre une politique axée sur la solidarité amont aval.

Cette prise de conscience fut suivie d'une politique active de reboisement, d'engazonnement, d'amélioration des pâturages et des alpages. Furent ainsi institués des périmètres de restauration de terrains en montagne, sur 550.000 hectares. Sur ce total, 380.000 hectares, dont 260.000 furent boisés, devinrent propriété de l'Etat dans les Vosges, le Jura, les Pyrénées, le Massif Central, les Alpes. Ces opérations de boisement furent complétées par des ouvrages de génie civil des barrages torrentiels dans les Alpes, les Pyrénées par exemple - destinés à casser le rythme d'écoulement de l'eau.

Beaucoup moins virulent aujourd'hui, le débat sur les conséquences néfastes du déboisement n'en demeure pas moins d'actualité.

Les besoins de l'urbanisation, dont on a largement évoqué les effets dramatiques en matière d'inondations, ont nécessité le défrichement de vastes parties de notre territoire. Toutefois, la législation de l'urbanisme prend en considération le risque de défrichement. Ainsi, les actions de défrichement constituent un mode d'utilisation du sol qui peut être réglementé par le POS (article R. 123-21-1 du code de l'urbanisme). Par ailleurs, les défrichements sont par principe interdits dans les espaces boisés classés par un POS opposable aux tiers ou document d'urbanisme en tenant lieu (article L. 130-1 du code de l'urbanisme). Enfin, l'autorisation de défrichement doit être jointe à la demande de permis de construire lorsque la réalisation du projet envisagé nécessite le défrichement du terrain (article R 421-3-1 du code de l'urbanisme).

La question des effets nuisibles du déboisement engendrés par la construction des routes de montage a été abordée devant votre Commission par M. Georges Touzet, directeur général de l'Office national des forêts.

Selon lui, dans le cas de petites stations très urbanisées, les réseaux de routes conduisant à chaque habitation peuvent se transformer en «réseaux de torrents d'eau. La vitesse de l'eau est alors très rapidement un risque d'inondation certain pour les maisons situées en aval. Toutefois, il s'agit là pour M. Georges Touzet de micro-phénomènes.

C'est surtout à travers l'exemple des pratiques culturales que les conséquences du déboisement peuvent être mesurées aujourd'hui.

En effet, l'expansion et le développement des activités viticoles et agricoles en général ont nécessité le déboisement de milliers d'hectares dans de nombreuses régions de notre pays, favorisant ainsi une accélération du ruissellement des eaux de pluie qui en allant grossir les cours d'eau et en envahissant les chemins et les routes ont une influence directe sur le phénomène des inondations et des glissements de terrains.

Ce ruissellement est d'autant plus rapide que défrichement et déboisement interviennent sur des terrains en pente qui, pour des raisons d'exposition, sont particulièrement intéressants pour la viticulture ou l'arboriculture.

Il ne s'agit pas du tout à travers ces propos de dresser un procès à l'encontre des exploitants agricoles mais seulement de faire un constat. Dans le sud du département de Vaucluse, par exemple, le déboisement lié aux besoins de la viticulture a eu des effets désastreux au moment des inondations de 1993.

De plus, le ruissellement des eaux de pluie sur les vignobles est accentué du fait de la disposition des rangées de vignes. Celles-ci sont en effet orientées dans le sens de la pente en raison des contraintes qui résultent de la mécanisation et des conditions de travail de la main-d'_uvre.

L'article L. 311-1 du code forestier exige la délivrance d'une autorisation préalablement à toute opération de défrichement aucun particulier ne peut user du droit d'arracher ou de défricher ses bois, ou de mettre fin à la destination forestière de ses terrains, sans avoir préalablement obtenu une autorisation administrative» ; en application de ce même article, l'autorisation de défrichement peut être refusée «lorsque la conservation des bois ou des massifs qu'ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnue nécessaire

- au maintien des terres sur les montagnes et les pentes;

- à la défense du sol contre les érosions et envahissements des fleuves, rivières ou torrents,;

- à l'existence des sources et cours d'eau ;

- à la protection des dunes et des côtes contre les érosions de la mer et les envahissements de sable;

- à l'équilibre biologique d'une région ou au bien-être de la population;

- à l'aménagement des périmètres d'actions forestières et des zones dégradées mentionnées aux alinéas 2 et 3 de l'article 52-1 du code rural.»

Il existe un certain nombre d'exceptions au régime de l'autorisation de défrichement.

C'est ainsi que sont exemptés «du régime de l'autorisation de défrichement (article L. 311-2 du code forestier)

« 1.- Les jeunes bois pendant les vingt premières années après leur semis ou plantations, sauf.

- les bois replantés en remplacement de bois défrichés illégalement;

- conservés à titre de réserve boisée (prescriptions imposées lors d'une autorisation de défricher en application de l'article L. 311-4) ou exécutés en application du livre IV, titre II (conservation et restauration des terrains en montagne) et titre III (fixation des dunes) et livre V (reboisement) du code forestier.

«2.- Les parc et les jardins clos et attenants à une habitation principale, lorsque l'étendue close est inférieure à 10 hectares.

«3.- Les bois de moins de quatre hectares, sauf s'ils font partie d'un autre bois qui complète la contenance à quatre hectares ou s'ils sont situés sur le sommet ou la pente d'une montagne, ou bien s'ils proviennent de reboisement exécutés en application du livre IV, titres B et III, et du livre V.

«4.- Les bois situés dans une zone agricole délimitée en application de l'article 52-4 du code rural, si le défrichement a pour but une mise en valeur agricole ou pastorale.»

Compte tenu des méfaits du déboisement, il conviendrait peut-être, dans certains cas, tel par exemple celui figurant au Sème alinéa de l'article L 311-2 du code forestier, d'exiger, en contrepartie de l'opération de défrichement, la mise en place d'un système ralentisseur des eaux de pluies ruisselantes.

I1 convient par ailleurs de souligner la menace extrêmement sérieuse que représentent les incendies de forêts.

A l'origine de la dévastation de milliers d'hectares d'espaces boisés, les incendies de forêts jouent un rôle déterminant sur la vitesse de ruissellement des eaux.

Ainsi, par exemple, la situation du bassin versant du Paillon à Nice se révèle particulièrement préoccupante en raison de l'état dégradé des terrains concernés, état dû en grande partie aux incendies de forêts. D'intenses précipitations sur le bassin versant du Paillon engendreraient sans aucun doute des inondations catastrophiques sur la ville de Nice qui, rappelons-le, a gagné 55 hectares d'urbanisation sur ce cours d'eau.

L'analyse critique des effets du déboisement ne saurait pour autant conduire à une éloge sans bornes des vertus protectrices de la forêt, car le boisement a ses limites.

Ainsi que le soulignent les auteurs du rapport du Conseil économique et social de 1957 relatif au problème de la prévention des inondations», «nul ne saurait remettre en cause la valeur du boisement, mais les effets de celui-ci varient très largement selon les genres et la densité du peuplement forestier, l'épaisseur de leur couvert, la profondeur d'enracinement, la nature et la profondeur des sols, la densité des sous-bois et selon les saisons, l'importance des pluies et le degré de saturation des sols.

Le sol forestier peut en effet être comparé à une éponge. Il y a un seuil de saturation su delà duquel l'eau ne peut plus être retenue, elle ruisselle. Dans les meilleures conditions, un sol forestier est capable d'absorber jusqu'à 100 millimètres de pluie avant écoulement, mais ensuite il perd son pouvoir de rétention.

Le boisement n'est donc pas l'arme absolue pour contrer le ruissellement des eaux. Des exemples permettent d'ailleurs d'illustrer concrètement les limites de la forêt.

C'est ainsi que la catastrophe de Vaison-la-Romaine, le 22 septembre 1992, s'est produite su débouché du bassin versant de l'Ouvèze classé .naturel boisé» à 88 %. De même, la catastrophe du Grand Bornand en juillet 1987 a eu lieu sur un bassin versant de 60 km² en excellent état mais culminant à 2.750 m d'altitude, largement au dessus de la végétation forestière. Ce bassin versant comportait 20 % de forêts et 46 % d'alpages, mais les sols étaient saturés par les pluies des journées précédentes. L'exemple des massifs vosgien et ardennais est encore plus probant. Malgré un taux de boisement atteignant 70 % dans certains cantons du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et des Ardennes, les inondations de 1983 et 1993 n'ont pu être empêchées tant les sols étaient saturés, de sorte que, sur certains versants, les coupes feu et les routes de débardage du bois se sont alors transformés en torrents.

Aujourd'hui, le débat sur l'influence de la forât sur les inondations ne peut âtre circonscrit aux seules conséquences du déboisement.

En effet, les boisements périmétrés ont eu lieu il y a plus d'un siècle et les services de l'Office national des forêts sont confrontés à un phénomène de sénescence et de mortalité des peuplements forestiers. Les arbres vieillissent par les racines et peuvent alors se renverser, ce qui créé des zones d'érosion. Il ne s'agit donc pas seulement de lutter contre le déboisement mais aussi de régénérer la forât, de l'entretenir même si cela n'est pas économiquement rentable, ce qui ne va pas forcément sans poser de difficultés.

Ainsi, si le déboisement a des effets particulièrement nuisibles, une forêt en dégénérescence ou mal entretenue peut également constituer un facteur aggravant d'inondation.

Il est donc nécessaire de consentir des efforts importants en faveur de l'entretien et la régénération de la forât, notamment en mobilisant davantage de moyens financiers.

D.- LES TECHNIQUES AGRICOLES

Si l'influence de l'agriculture sur le phénomène des inondations a pu être appréhendée à travers les défrichements réalisés pour les besoins de la viticulture et de l'arboriculture, il faut cependant se garder d'en tirer de trop hâtives conclusions qui conduiraient à penser que l'agriculture est une cause fréquente et majeure d'inondation.

Ainsi que l'a rappelé M. Pierre Cormorèche, Président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, devant votre Commission: «On a tendance à rendre responsables des inondations les remembrements et un certain nombre de travaux d'hydraulique. Je voudrais dire que les zones qui ont connu les inondations les plus catastrophiques ne sont pas celles où les surfaces remembrées sont les plus importantes, et sont même souvent celles qui n'ont pas fait l'objet de remembrement. En particulier, toutes les zones méridionales, où !es exploitations sont très diversifiées et où les travaux d'aménagement ont été les moins importants, sont celles qui ont le plus souffert. Là, l'agriculture a, en réalité, été autant victime que l'ensemble des autres secteurs d'activité. Y

L'agriculture porte effectivement une part de responsabilité notamment à travers l'intensification des systèmes de production, les aménagements et les pratiques agricoles, mais cette responsabilité dépend surtout du type de précipitations.

Dans le cas d'inondations brutales survenant sur de petits bassins versants, les aménagements et les pratiques agricoles ne peuvent avoir qu'un effet limité compte tenu de la violence et de la concentration des précipitations.

Dans le cas d'inondations qui se produisent sur de vastes bassins versants (comme celles qui se sont produites pendant l'hiver 1993 en Ardenne, en Argonne, en Lorraine, en Picardie et en Charente), l'agriculture peut constituer un facteur aggravant des inondations. Elle peut y contribuer en fonction des types d'aménagements existants et des pratiques agricoles locales qualité des remembrements, importance des talus et des haies, présence de canaux d'irrigation ou de drainage, type de couvert végétal agricole ou forestier, orientation des labours et des cultures par rapport aux courbes de niveaux sur les sols en pente.

M. Pierre Cormorèche a également rappelé que «au cours de ces dernières décennies, l'orientation politique donnée à 1'agriculture s'est traduite par une intensification des systèmes de production et la réalisation d'aménagements agricoles importants. y

C'est ainsi que la modernisation des techniques a permis aux agriculteurs de ..réaliser un certain nombre de travaux pour l'évacuation des eaux qui ont fortement augmenté la vitesse de circulation de ces dernières. (...) Il n'y a pas plus d'eau qu'auparavant mais son transit est devenu extrêmement rapide du fait des aménagements hydrauliques qui ont été réalisés dans des conditions d'ailleurs parfaitement légales, et même, dans la plupart des cas, avec des aides publiques. »

Au cours de son audition par votre Commission, M. Marc Soléry, président de Voies navigables de France, a lui aussi évoqué un certain nombre de causes des inondations parmi lesquelles la modification du mode d'occupation des sols.

Outre l'urbanisation qui se traduit par une imperméabilisation des surfaces et la réduction des champs d'inondation, M. Marc Soléry considère que le déboisement, le remembrement, l'orientation des sillons dans le sens de la pente, favorisent l'augmentation de la vitesse de ruissellement de l'eau et constituent par conséquent une source d'aggravation des pointes de crues.

Il a illustré ses propos en faisant notamment référence à la crue centennale de l'Oise en amont de Compiègne. «Ainsi, par exemple, (...) la digue de La Fère, séparant 1 bise et le canal de la Sambre à l'Oise a été submergée, alors qu'elle est réputée insubmersible.»

Cependant, pour mieux apprécier l'influence de l'agriculture sur les inondations, il convient d'examiner de manière plus précise, dans quelle mesure les pratiques culturales peuvent en être la cause.

1.- Le remembrement

Lors des auditions de votre Commission, la question du remembrement a soulevé un certain nombre d'interrogations et d'inquiétudes, notamment dans l'éventualité, par exemple, de fortes et intenses précipitations sur la Beauce, région fortement remembrée.

II est vrai qu'avec une surface agricole utile remembrée à 45 % (aux deux tiers pour le grand quart nord-est de notre pays; entre un tiers et deux tiers pour le grand quart nord-ouest), le remembrement peut être appréhendé comme un facteur causal des inondations qui se produisent sur de vastes bassins versants.

Concrètement, il est clair que le remembrement entraîne:

- une augmentation de la taille des parcelles;

- la suppression de nombreux aménagements ayant une fonction hydraulique tels les fossés ou les mares;

- la suppression de ruptures de pentes destinées à freiner l'écoulement des eaux et à favoriser les dépôts de sédiments tels les talus;

- l'augmentation de la distance de parcours des eaux ainsi que de la vitesse de leur ruissellement.

L'extension des surfaces labourées au détriment des prairies et des pâturages situés su fond des vallées et sur les pentes les plus fortes constitue également un facteur aggravant, car ces surfaces enherbées ont une fonction de rétention d'eau essentielle. De même les parcelles en pente peu couvertes accentuent fortement le ruissellement des eaux de pluies.

Le remembrement a par contre peu d'influence dans les régions exposées à de violentes inondations. L'analyse de la situation de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur montre que le taux de remembrement y est relativement faible et que les haies sont très utilisées. Elles se présentent notamment sous la forme de brise-vent.

2.- Le drainage

Les effets néfastes du drainage se vérifient essentiellement dans les zones humides où, en l'absence d'infiltration des eaux de pluies, le ruissellement est particulièrement rapide.

Dans le même ordre d'idées, le drainage des prairies permet de rendre les parcelles humides propres à la culture. C'est ainsi par exemple que le maïs a pu se substituer aux prairies de Poitou-Charente, des Pays de Loire ou de Picardie. M. Pierre Cormorèche soulignait lors de son audition que l'agriculture contribue aux inondations «lorsque d'immenses secteurs sont ensemencés en cultures homogènes, en maïs par exemple, rendant possible un important écoulement d'eau que le manque de couvert en hiver peut aggraver.

Par contre, en période de fortes précipitations ou lorsque la saison humide arrive, les sols sont nus et le ruissellement des eaux s'en trouve considérablement accéléré.

L'agriculture est également citée comme un facteur aggravant des inondations par le rapport de la mission interministérielle sur les inondations de la vallée du Rhône d'octobre 1993 et janvier 1994 (rapport Dambre).

Selon les auteurs de ce rapport, les inondations catastrophiques de l'automne 1993 et de janvier 1994 trouvent en partie leur origine dans l'agriculture. Les cultures pérennes, vignes et vergers, ont en effet été substituées aux prairies et les serres se sont multipliées dans les zones inondables. Les auteurs du rapport Dambre vont même jusqu'à utiliser l'expression colonisation des surfaces. dans le lit majeur et même dans le lit mineur. Cette .colonisation» aggrave ainsi le danger d'inondation en limitant en périodes de crues l'écoulement de la rivière, comme cela semble par exemple être le cas sur la Durance.

De même, les études menées par la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt de Vaucluse, tendent à montrer que la mise en cultures insubmersibles des lits majeurs mise en culture qui tient à la bonne qualité agronomique des surfaces inondables a entraîné un «amenuisement des champs historiques d'expansion de crues..

Par ailleurs, si le drainage en zones de moindre humidité permet de tempérer le ruissellement en favorisant l'infiltration des sols, trop d'eau peut aussi entraîner des inondations en aval.

3.- L'irrigation

Les techniques d'irrigation peuvent avoir des incidences sur le phénomène des inondations.

Ainsi, l'utilisation, dans le Sud-Est par exemple, de canalisations d'irrigation enterrées facilite l'érosion et accélère le ruissellement des eaux.

De même, les conclusions du rapport Dambre démontrent qu'en Camargue certaines prises d'irrigation installées sur les digues ont fragilisé ces aménagements anciens et ont ainsi contribué à l'infiltration des eaux.

Par contre, il convient de souligner que l'implantation de retenues collinaires ou de barrages d'irrigation joue un rôle positif à l'occasion des crues d'automne par exemple. En effet, ces retenues qui ont largement fonctionné au cours de l'été ont généralement un taux de remplissage faible et permettent ainsi de retenir une partie des eaux de pluie et par conséquent d'en limiter le ruissellement en aval.

Si les implantations des cultures dans le sens de la pente constituent un facteur aggravant des inondations ainsi que cela a précédemment été signalé, les travaux qui suivent les courbes de niveaux ont, quant à eux, un effet bénéfique en empêchant le ravinement.

De même, les terrasses, malheureusement de moins en moins utilisées, sont des aménagements qui permettent de lutter contre l'érosion et qui favorisent la régulation de l'eau.

E. - LES AMÉNAGEMENTS FLUVIAUX ET LES BARRAGES HYDROÉLECTRIQUES

Les travaux de votre Commission consacrés à l'étude des causes des inondations l'ont conduite à réfléchir sur l'influence des aménagements situés sur les cours d'eau.

Ces aménagements sont entendus au sens des barrages hydroélectriques ou des aménagements fluviaux liés aux besoins de la navigation et de l'agriculture.

Une question vient immédiatement à l'esprit: quelle est la part de responsabilité de ces aménagements sur les inondations qui ont durement frappé de nombreuses régions de notre pays au cours de ces derniers mois ? Ces aménagements ont-ils un rôle de protection contre les inondations? Sont-ils su contraire des facteurs aggravants ? Ou sont-ils transparents vis-à-vis des inondations ?

Des ouvrages situés sur des cours d'eau peuvent localement avoir des conséquences néfastes sur les inondations. Au cours de son audition par votre Commission, M. Marc Soléry, président de Voies navigables de France, a notamment cité l'exemple du siphon qui permet à la Somme de franchir le canal du Nord. Cet ouvrage sous-dimensionné, «très insuffisant aujourd'hui, a provoqué des crues.. De même, les barrages à aiguilles, du fait de leur ancienneté, nécessitent une man_uvre manuelle longue et difficile. Cette opération délicate peut engendrer des retards comme il s'en est par exemple produit sur le barrage de Méry sur la Marne entraînant une submersion du barrage avant même que celui-ci ait pu âtre abattu.

L'aménagement hydroélectrique du Drac en amont de Grenoble est aussi une illustration des effets néfastes que peuvent avoir certains ouvrages sur l'écoulement des crues. Ainsi, avant son aménagement, le lit du Drac permettait l'écoulement de crues courantes. Or, ainsi que le soulignent dans un article, MM. J.-L. Peiry et Vivian, membres de l'institut de géographie alpine, la multiplication des barrages a entraîné une modification de la .dynamique des flux et des sédiments et a engendré une diminution progressive du chenal et l'envahissement de la banque active par la végétation. En octobre 1993, des changements majeurs de la géomorphologie du chenal et de la couverture végétale se sont produits lors d'une crue décennale (...). Cet événement pose le grave problème de l'évacuation des crues exceptionnelles dans le lit court circuité du Drac, comme également sur beaucoup d'autres rivières alpines.

On peut également faire remarquer que les ouvrages situés sur la Durance et notamment les retenues de la Saulce, de Saint-Lazare et de l'Escale sont soumises à un phénomène d'envasement augmentant les risques d'inondations. La Durance est en effet une rivière à régime torrentiel qui transporte, en périodes de fortes pluies, des matériaux solides stoppés au niveau des retenues dont ils provoquent alors l'envasement.

Tous ces exemples tendent donc à démontrer que des ouvrages réalisés sur des fleuves ou des rivières peuvent effectivement constituer des facteurs aggravants des inondations. Toutefois, il convient d'éviter de conclure trop rapidement à une mise en cause directe et générale de l'aménagement des cours d'eau car les exemples précités montrent que ces ouvrages représentent essentiellement des causes d'inondations secondaires et localement circonscrites.

A la suite des inondations catastrophiques survenues dans la Vallée du Rhône et en Camargue à l'automne 1993 et au cours de l'hiver 1994, une partie de l'opinion publique, prompte à rechercher des responsables, a volontiers porté ses soupçons sur les barrages hydroélectriques et sur les travaux d'aménagements fluviaux. L'idée la plus répandue a consisté à dire que la CNR en régulant le débit du Rhône en amont aurait aggravé les inondations en aval.

S'il s'agit là d'une de ces mises en cause dont il faut se garder ainsi que d'une vision réductrice du problème, il faut également admettre qu'il n'est pas aisé de rendre compte de l'influence des aménagements fluviaux et des barrages hydroélectriques dans la mesure où les avis émis par les différentes personnalités entendues par votre Commission ont parfois été divergents.

La question de savoir si les aménagements sur les cours d'eau ont contribué ou non à la réduction des champs d'expansion des crues illustre la divergence des points de vues qui peuvent exister.

Ainsi, pour M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'environnement, «la nécessité de ménager des zones d'expansion de crues qui permettent au /lot de dissiper une partie de son énergie et de s'étaler en amont des villes» n'a pas suffisamment été prise en considération.

M. Jean-Luc Laurent s'est clairement exprimé sur la question de la réduction des champs d'expansion de crues dans le bassin du Rhône en affirmant: «Dans le bassin du Rhône, les ouvrages de canalisation et de production énergétique implantés sur le fleuve ont supprimé un quart des zones d expansion de crues par rapport à l'avant-guerre. L impossibilité pour le Rhône de dissiper une partie de son énergie en amont de la Camargue n'a donc pu qu'entraîner une pression supplémentaire sur les digues de Camargue, ce qui a, dans un contexte relativement exceptionnel, aggravé encore la situation. y

M. Pierre Cormorèche, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, a exposé un point de vue proche de celui de M. Jean-Luc Laurent. S'agissant des aménagements réalisés pour les besoins de la navigation, de l'électrification, de l'urbanisation ou encore de la mise en culture de terres inondables, M. Pierre Cormorèche a souligné l'insuffisance d'exutoires et de zones d'expansion de crues qui rendent les crues centennales particulièrement redoutables.

Dans un document mis à la disposition de la Commission, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture pose le problème de l'artificialisation du Rhône en général ainsi que des aménagements de la Compagnie nationale du Rhône qui, en calibrant, draguant, creusant le Rhône afin de faciliter l'écoulement des eaux et en transformant des zones submersibles en zones insubmersibles auraient constitué des facteurs aggravants des fondations à l'aval en Camargue.

Au cours de son audition, M. Pierre Cormorèche a également évoqué les conséquences néfastes de certains aménagements fluviaux sur les inondations. L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture cite notamment l'exemple du dragage du Petit Rhône, dragage intervenu «sur une partie seulement de son cours, en amont d'une écluse construite il y a quelques années pour réguler la navigation. Celle-ci a constitué un obstacle infranchissable au moment des crues, inondant tout le Nord de la Camargue, mais préservant les cultures de la Petite Camargue.

Si ces positions semblent quelque peu divergentes du point de vue exprimé ci-dessous par les responsables de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), il convient cependant de .rappeler que ceux qui les ont exprimées traitent avant tout de l'influence des divers aménagements réalisés sur les cours d'eau en général tant pour les besoins de l'électrification, que de l'agriculture, de l'urbanisation ou encore de la navigation et tendent à souligner l'absence regrettable d'une vision globale d'aménagement.

I1 ne saurait donc être question comme cela a quelquefois été le cas, de rendre, par exemple, les aménagements de la CNR responsables des inondations de la Vallée du Rhône et de la Camargue.

L'audition par la Commission de M. Jacques Lecornu, directeur d'exploitation de la CNR, a permis de constater que les aménagements de la CNR n'ont pas une vocation de lutte contre les inondations. En effet, les missions de cette société d'intérêt général sont la production d'énergie, le développement de la navigation et l'aménagement hydro-agricole.

M. Jacques Lecornu a rappelé que chaque aménagement réalisé par la CNR prend en compte le risque d'une crue millénale. Par ailleurs, tous les projets mis en _uvre par la CNR sont soumis à l'approbation des administrations de tutelle (ministère de l'industrie et service de navigation Rhône-Saône, chargé de la police des eaux du Rhône). De plus, à chaque construction d'ouvrage, les collectivités locales, dans le cadre des enquêtes et des procédures d'approbation, ont posé de nombreuses questions et demandé certaines améliorations concernant la protection contre les inondations.

Après avoir expliqué le fonctionnement des aménagements hydroélectriques de la CNR, M. Jacques Lecornu a exposé aux membres de la Commission le comportement de ces ouvrages en cas de crue. ,Quand le débit du Rhône augmente, dans un premier temps, on sature l'usine. Arrive alors le moment où le débit dépasse sa capacité; comme la retenue ne dispose pas de capacité de stockage, il faut évacuer ce surplus en le faisant passer dans l'ancien Rhône par l'évacuateur de crues. Ainsi, c'est par le lit traditionnel que le surplus va s'écouler. A Vallabrègues par exemple, qui est le dernier aménagement au Sud (...) au moment de la pointe de crue, un quart seulement du débit passait par l'usine, les trois quarts restants par le Rhône court-circuité. Ainsi, plus la crue est forte, plus !e lit naturel du Rhône retrouve sa fonction naturelle d'évacuer la crue. Ce système a évidemment des conséquences sur les inondations (...). La retenue est endiguée (..J, la retenue a donc pour effet d'éviter l'inondation des parties riveraines, les digues protégeant les terrains situés derrière elles. Certaines zones sont néanmoins gardées inondables. II y en a quatre dans la vallée du Rhône, dont celle de Vallabrègues. Dans ces cas-là, des déversoirs spéciaux sont aménagés de façon à permettre le débordement. » En ce qui concerne les rives du Vieux Rhône, « le débit qui passe par le Vieux Rhône est le débit total diminué de celui qui passe par l'usine. L'aménagement (...) apporte donc aux rives du Vieux Rhône une certaine protection, puisque le débit que celui-ci reçoit est plus faible que le débit total d'autrefois ; cependant, cette protection n'est pas complète, et au fur et à mesure que la crue augmente, devient de plus en plus marginale, puisque le débit passant par l'usine est fixée et ne représente qu'une petite fraction du débit total. Enfin, à partir du confluent du vieux Rhône et du canal dit de fuite, qui restitue au Rhône 1'eau turbinée par 1'usine, le fleuve récupère la totalité du débit. Dans ces zones de «restitution « les conditions d'inondabilité sont quasiment identiques à ce qu'elles étaient avant l'aménagement.»

Ainsi, d'après les éléments d'information communiqués à la Commission par M. Jacques Lecornu, les aménagements de la CNR vis-à-vis des inondations présentent trois situations: une situation de protection totale derrière les digues insubmersibles, une situation de protection partielle derrière les digues submersibles et le long du Vieux Rhône, une situation de non protection dans les autres secteurs.

Les propos de M. Jacques Lecornu tendent à réfuter l'argument selon lequel la CNR aurait contribué à aggraver les débordements du Rhône en aval et en particulier en Camargue en supprimant les bassins d'épandage. En effet, de nombreuses zones de la vallée du Rhône restent inondables et participent par conséquent à l'atténuation du débit en aval. Ainsi, à Donzère-Mondragon, la zone inondable et inondée est d'environ 10.000 hectares. Les champs d'inondation, d'après les éléments cartographiques présentés à la Commission par M. Jacques Lecornu, sont identiques à ceux de 1856. Par ailleurs, une zone inondable est volontairement maintenue à hauteur de Vallabrègues «pour des crues très rares., afin d'assurer la protection d'Arles située à l'aval. On constate le même phénomène pour la commune de Caderousse qui fait office de déversoir pour le Rhône afin d'assurer la protection d'Avignon. Il existe donc bien, selon les termes du directeur de l'exploitation de la CNR, une .solidarité amont aval. »

A la lumière de ces éléments d'information, les aménagements de la CNR ne semblent donc pas constituer un facteur aggravant des inondations. Toutefois, il n'est pas possible d'affirmer qu'ils ont un rôle de régulation des débits du Rhône. Ainsi, le rapport de la mission interministérielle consacrés aux inondations de la vallée du Rhône et de la Camargue (rapport Dambre) rappelle que si dans le bassin de la Durance, les grands barrages hydroélectriques de Serre-Ponçon ou de Sainte Croix, .ont dans une certaine limite, un rôle régulateur sur les débits de rivière, tel n'est pas le cas des aménagements du Rhône.. Les auteurs du rapport précisent en effet que ces aménagements n'ont pas une fonction de stockage d'eau et, de plus, ne peuvent pas être utilisés à des fins de régulation des débits.

Si l'objectif de la Commission à travers l'étude des aménagements situés sur les cours d'eau est de rechercher un facteur aggravant des inondations, il faut alors surtout mettre l'accent sur le manque de cohérence de l'aménagement des cours d'eau ainsi que sur les conséquences d'un oubli du danger qui a laissé la vie et l'activité humaines se développer en bordure des fleuves et des rivières voire dans leur lit majeur.

En ce qui concerne le bassin du Rhône, les acteurs qui interviennent sur l'aménagement du Rhône et de ses affluents sont nombreux et l'on peut regretter l'absence d'une étude d'ensemble réalisée à l'échelle du bassin, qui permettrait d'apprécier les conséquences de ces multiples aménagements.

En effet, au cours des 50 dernières années, le Rhône a été le théâtre d'une gigantesque _uvre d'aménagement pour la production d'électricité (19 barrages) et pour la navigation. Dans le même temps, les zones qui ont vocation à être intentionnellement inondées ont diminué du fait de l'édification de digues insubmersibles et en raison de l'extension de l'habitat et du développement de l'activité agricole et industrielle. Par ailleurs, le lit de la Durance, affluent majeur du Rhône riche en matériaux nobles, a fait l'objet d'importantes extractions pour le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Or, malgré ces innombrables changements qui ont profondément bouleversé le Rhône et ses affluents, aucune étude générale n'a jamais été effectuée à ce jour pour connaître l'impact de tous les aménagements sur l'écoulement des crues. Le rapport Dambre précise d'ailleurs: .certains estiment que, pour le débit de la crue centennale, le niveau du Rhône à Beaucaire s'est abaissé d'une quarantaine de centimètres depuis le siècle dernier. Mais il est également vraisemblable que les aménagements réalisés sur le Rhône et ses affluents ont augmenté la section d'écoulement du lit mineur, donc sa débitance, ce qui veut dire que l'eau s'écoule plus rapidement. Il serait intéressant de faire une étude sur modèle mathématique pour connaître les conséquences de cette situation sur les crues. »

M. Marc Soléry, président de Voies navigables de France, considère également l'absence d'une étude globale d'hydraulique du Rhône comme une anomalie. .'aménagement du Rhône n â pas été réalisé d'une manière globale, en fonction d'un plan d'ensemble (...) 1'absence de vision d'ensemble du cours d'eau du Rhône a beaucoup contribué à faire sous-estimer les risques et à accroître le manque de vigilance. Toutefois, je rappelle que le débit constaté lors des crues qui se sont produites au niveau de Beaucaire était de 9.000 à 10.000 mètres cube par seconde, et qu'à ce niveau-là, on ne peut plus faire grand chose. »

De même, à propos du Petit Rhône, les auteurs du rapport Dambre soulèvent un certain nombre d'interrogations relatives aux conséquences sur les inondations des aménagements réalisés. C'est ainsi qu'un endiguement parallèle à la côte a été édifié en partie au droit de l'embouchure du Petit Rhône. Il serait bon, d'après le rapport, de savoir si cet endiguement ne contribue pas à freiner l'écoulement des eaux, d'autant que des seuils naturels ont été relevés à l'aval de Saint-Gilles (Gard). Dans le même ordre d'idées, il existe peu d'éléments permettant de vérifier les conséquences de l'approfondissement du chenal de navigation reliant Arles à Saint-Gilles sur la fiabilité des digues. Le rapport Dambre préconise donc une meilleure connaissance des conditions d'écoulement du Petit Rhône.

DEUXIÈME PARTIE: LES MOYENS D'UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION RIGOUREUSE ET AMBITIEUSE

La prévention du risque d'inondation, qui a longtemps reposé seulement sur un dispositif de lutte contre les crues, tend désormais à s'élargir à de nouveaux champs de préoccupation. La maîtrise de l'urbanisme, l'aménagement des zones à risque, l'amélioration du dispositif d'alerte constituent autant de volets d'une politique globale d'aménagement de l'espace et de gestion des eaux dont l'objectif est de prévenir en amont le déclenchement des crues et d'en limiter les dégâts. L'ensemble de ces mesures ne peut toutefois atteindre sa pleine efficacité que si elles traduisent une réflexion approfondie sur les buts, les limites et les moyens d'une politique de prévention. Difficile à mener et conduisant à opérer des choix qui peuvent être délicats à opérer, cette approche n'en est encore qu'à ses balbutiements dans notre pays. Mais il est impératif de s'engager résolument dans cette voie si l'on veut définir une politique de prévention qui soit à la fois réaliste et ambitieuse.

M. Henri Legrand, chargé de mission pour les risques majeurs à la Délégation au risques majeurs du ministère de l'Environnement, a indiqué à la Commission que, dans notre pays «ce n'est que depuis les années 1980 qu'a émergé la notion de prévention des risques en général. Cela signifie que nombre des outils de celte politique sont récents, que nos dispositifs sont parfois encore expérimentaux et qu'il y a donc certainement encore des efforts à /'aire pour parvenir à des instruments plus systématiques et d'application beaucoup plus générale..

l.- QUELLE POLI'T'IQUE DE PRÉVENTION ?

De fait, les inondations de l'hiver dernier ont mis en lumière les défaillances du système des digues, les lacunes dans le dispositif d'alerte... Aussi le Gouvernement a-t-il décidé de relancer l'effort de prévention: le 24 janvier 1994, un plan global de prévention des risques naturels a été adopté, qui prévoit un plan décennal de restauration et d'entretien des cours d'eau doté de 10,2 milliards de F. de crédits, ainsi qu'une amélioration des systèmes d'annonce de crues. Un projet de loi relatif su renforcement de la protection de l'environnement a ensuite été déposé devant le Sénat qui l'a adopté en première lecture. Ces initiatives, pour tardives qu'elles soient, vont incontestablement dans le bon sens. Compte tenu du coût des dégâts engendrés par les récentes inondations, la Commission estime indispensable un effort accru de prévention des risques, à condition qu'il soit fondé sur une approche économique du risque.

A .- UN PRINCIPE DE BASE: DÉFINIR UNE GESTION ÉCONOMIQUE DU RISQUE

La prévention du risque peut se traduire par deux types de mesures, comme l'a clairement indiqué à la Commission M. Henri Legrand : «(...) d'une part celles qui tendent à la réduction des phénomènes eux-mêmes -ce qui n'est pas toujours facile dans le domaine des risques naturels-, d'autre part, lorsqu'on ne peut pas agir sur les phénomènes, celles qui consistent à en limiter les effets. Ce dernier volet est essentiel dans la politique de prévention des risques, dans la mesure où celle-ci consiste à faire en sorte que se trouve le moins grand nombre de personnes possible dans les espaces les plus exposés.

Dans chaque cas, les moyens d'action retenus sont différents.

Pour réduire les phénomènes naturels, on aura de préférence recours à des méthodes dites «structurelles.. II s'agit en particulier de la construction de murs de soutènement ou de levées, de lacs artificiels et de barrages de retenue. qui permettent de régulariser la crue, l'élargissement ou le redressement du chenal, l'affectation de terres peu utilisées au stockage temporaire des eaux. Ces méthodes sont généralement coûteuses et doivent être soigneusement planifiées. Par ailleurs, le risque zéro n'existant pas en matière d'inondation, les ouvrages de protection ne pourront jamais assurer une sécurité totale. En outre, à moins d'être construits pour résister aux situations les plus extrêmes, les ouvrages ne peuvent offrir une protection complète, et lorsqu'un phénomène exceptionnel dépasse leur capacité, ils peuvent en fait en aggraver les conséquences.

Aussi un nombre croissant d'experts préconisent-ils la mise en _uvre de mesures non structurelles qui consistent à contrôler l'utilisation du sol dans les plaines d'inondation, notamment par l'interdiction d'y implanter des installations permanentes à usage de logement ou professionnel, la mise en _uvre de normes de construction garantissant que les bâtiments résisteront aux inondations, ou encore par l'obligation imposée aux utilisateurs des plaines d'inondation de payer une assurance pour les dissuader dles zones à haut risque et pour la remise en état de leurs biens en cas d'inondation. Dans cet esprit, la Commission juge opportun que des aides puissent être accordées à des entreprises situées dans des zones fréquemment inondées qui souhaiteraient changer d'implantation.

Autrement dit, le pouvoir politique se trouve dans la situation difficile de devoir définir un niveau de risque acceptable sur la base de critère économico-financiers.

Ce délicat arbitrage a été fort bien explicité par M. Paul-Henri Bourrelier, président de l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels au ministère de l'Industrie: «Tout le problème, c'est de minimiser la dépense, peut-être en faisant un peu plus de prévention pour dépenser un peu moins en réparations., a-t-il indiqué, tout en insistant sur le fait qu'il n'était «pas du tout favorable à une prévention à tout crin.. «Il Faut la raisonner. Prenons d'abord les risques concernant les personnes. Je pense que dans un pays développé comme la France, le risque d'accidents mortels du fait d'inondations devrait être minime. IL est inacceptable, à mon sens, de ne pas contrôler ce risque. Or, il existe, comme nous 1'avons vu avec la catastrophe de Vaison-la-Romaine. Et un accident plus grave peut se produire demain dans une grande ville du Midi, car personne ne peut assurer que les études sur des villes comme Nice, Nîmes ou Marseille nous garantissent la sécurité dans ce domaine. Ensuite, il y a la prévention concernant les biens. Là, je pense que l'étude économique doit permettre de tracer la limite entre ce qui doit faire l'objet d Sen système d'assurance, et ce qui, au contraire, doit faire l'objet de prévention. Prenons l'exemple des zones qui sont sujettes à des inondations tous les dix ans : en deux ou trois inondations, on a payé plus que la construction ; la prévention qui est probablement de ne pas construire ou tout au moins de prendre certaines précautions, est donc justifiée. Par contre, se protéger contre des inondations ne présentant pas de risque pour les vies humaines et qui auraient lieu tous les trois siècles, est probablement une totale erreur économique.

Or, cette gestion économique du risque ne semble guère pratiquée su sein des administrations et des établissements publics français, qui ont plutôt tendance à investir dans la prévention des risques sans calcul économique préalable. Sans doute une telle approche est-elle plus familière dans le contexte d'une culture anglo-saxonne que dans la nôtre. Mais la dispersion des moyens de prévention entre plusieurs ministères ne facilite pas non plus ce genre d'arbitrage entre prévention et réparation.

Lors d'une mission qu'elle a effectuée aux Etats-Unis, la commission d'enquête a pu constater qu'un débat très vif était engagé dans ce pays sur la manière de conduire la prévention contre les inondations. Ainsi, compte tenu des dégâts colossaux qui ont affectés le Midwest à la suite des inondations de juillet 1993 (12 à 15 milliards de dollars de dommages), la Federal emergency management Agency (FEMA) a préféré réorienter la politique fédérale de prévention vers une politique d'acquisition et de déplacement des structures endommagées plutôt que de s'engager dans une entreprise de protection aussi ruineuse qu'incertaine. Pour 97 millions de dollars d'acquisitions, 200 millions de dollars pourraient être économisés. La délégation de la Commission a ainsi pu assister au déplacement d'une maison, située dans une zone inondable, sur un nouveau site placé 500 m plus loin sur les hauteurs.

L'utilité de privilégier les mesures non structurelles par rapport aux mesures structurelles est aussi débattue par les représentants politiques américains. C'est ainsi que pour lutter contre les inondations, le sénateur Baucus, de l'Etat du Montana, préconise le recours à des moyens naturels plutôt qu'à des structures artificielles qui visent à contenir les eaux mais dont l'infaillibilité n'est pas assurée. Le sénateur Baucus se fonde sur un niveau de risque acceptable pour souligner la nécessité d'assumer les risques naturels dont le coût de gestion est inférieur aux investissements de protection.

Les responsables du corps des ingénieurs de l'armée ont souligné, au cours d'une réunion de travail avec la commission d'enquête, l'intérêt de combiner les mesures structurelles et non structurelles en fonction du niveau de protection à assurer. Il faut préciser que le corps des ingénieurs de l'armée est un acteur de tout premier plan dans ce domaine, puisqu'il est investi de la mission de vérifier sur tout le territoire la comptabilité de toute action de prévention pour s'assurer que, tout en respectant les normes de qualité et de sécurité requises, elle ait, de manière quasi systématique, un avantage supérieur à son coût.

Le choix entre des méthodes de prévention structurelles ou non structurelles intégré à une gestion économique du risque traité est un principe qui, chez nous, n'est pas encore appliqué sur une grande échelle ni même encore unanimement admis, mais qui, votre Rapporteur en est convaincu, devra impérativement guider la lutte contre les inondations.

B.- DE NOUVELLES STRUCTURES POUR PROMOU-VOIR UNE APPROCHE INTÉGRÉE PAR BASSIN

La mise en _uvre de la politique de prévention fait intervenir un nombre important d'acteurs. Cette diversité n'est pas sans avoir parfois de graves conséquences sur le régime des crues, comme l'ont signalé à la Commission nombre de ses interlocuteurs soit au cours des auditions auxquelles elle a procédé, soit au cours des déplacements qu'elle a effectués sur le terrains: il arrive souvent que des travaux de protection entrepris à un endroit aient des effets négatifs en d'autres points du cours d'eau. C'est ainsi, comme l'a indiqué M. Yves le Bars, directeur général du Cemagref, que la construction des digues ou le recalibrage des fleuves et des rivières peuvent aggraver la situation en amont, en suscitant des inondations, ou en aval en accélérant les flux.

Cet inconvénient se trouve illustré par la situation particulière du Rhône. La partie du fleuve située en amont de la Camargue relève de la compétence de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) qui y a effectué d'importants travaux d'aménagement. Or, ces «(...) ouvrages de canalisation et de production d'énergie implantés sur le fleuve, note M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, ont supprimé un quart des zones d'expansion des crues par rapport à l'avant-guerre.» Cette constatation est cependant contestée par M. Jacques Lecornu, directeur de l'exploitation de la CNR, qui a indiqué à la Commission qu'«(...) avec le système CNR, les surfaces inondables de la vallée restent inondables et utiles à 1'atténuation du débit en aval.,,

Quelles que soient les conséquences exactes sur le régime des crues en aval des aménagements conçus par la CNR il reste que «(...) l'aménagement du Rhône n'a pas été réalisé d'une manière globale en fonction d'un plan d'ensemble» et que cette «absence de vision d'ensemble du cours d'eau du Rhône a beaucoup contribué à faire sous-estimer les risques et à accroître le manque de vigilance», comme l'a indiqué à la Commission M. Marc Soléry, président de Voies navigable de France.

Une stratégie globale d'aménagement et de gestion des cours d'eau, dont la mise en _uvre est souhaitée par le rapport de la mission interministérielle Dambre, s'avère donc indispensable.

Cette idée a été défendue par de nombreuses personnes entendues par votre Commission, en particulier par M. Yves le Bars, directeur général du Cémagref, qui a noté qu'«une gestion à l'échelle du lit majeur de la rivière permet donc d'identifier les travaux permettant de gérer l'eau en excédent en cas de crue et d'optimiser les aménagements en testant leur impact, avant d'ajouter que «c'est au niveau, non pas de la commune ou du département, mais du bassin, que doit être réalisé un travail de planification important.»

Cela suppose la mise en place d'une structure ayant une autorité sur l'ensemble du bassin, capable de mener les études hydrauliques globales sur le fonctionnement des cours d'eau et de définir un programme de prévention contre les inondations. Ce type de structure existe sur la Loire : l'Etablissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), dont la Commission a entendu le Président, M. Jean Royer, a été créé en 1984 pour entreprendre, avec la participation de l'Etat et de l'Agence de l'eau, des travaux de protection et d'aménagement sur l'ensemble du bassin. Il faut également citer, à une plus petite échelle mais participant de la même démarche, l'Institution interdépartementale du fleuve Charente et de ses affluents, l'Entente Oise ou le Syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance.

Mais les fleuves français sont loin de tous bénéficier de tels dispositifs. Sans privilégier telle ou telle forme de coopération, votre Rapporteur souhaite donc que soient mises en place de façon pragmatique des structures associant l'Etat, les collectivités locales et les établissements publics et capables de concevoir un plan global d'aménagement. De telles coopérations étendues permettent d'éviter certaines suspicions engendrées par des travaux menés de façon unilatérale par quelques collectivités au sein d'un même bassin. C'est ainsi que les travaux entrepris à Charleville-Mézières, dans les Ardennes, s'ils sont indispensables au règlement du très grave problème local que constituent les inondations répétées du quartier d'Arches ou de la commune de Warcq, sont perçus comme une menace par les populations de l'aval. Une concertation plus élargie, qui aurait proposé des travaux pour l'aval, aurait très certainement permis d'éviter le problème. C'est la même préoccupation qui a conduit le rapport Dambre à proposer de constituer un syndicat mixte d'étude sur le bassin du Rhône en aval.

Une autre piste, que le Gouvernement est en train d'explorer, comme l'a indiqué à la Commission M. Michel Barnier, Ministre de l'environnement, consiste à impliquer les Agences de l'eau dans la lutte contre les inondations. Ces établissements publics constituent, depuis la loi du 3 janvier 1992 qui leur a confié le soin d'élaborer les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, des structures très efficaces ayant chacune compétence sur l'un des six bassins nationaux. Mais les Agences de l'eau restent avant tout des organismes de cofinancement et, actuellement, leur compétence ne couvre pas la prévention des inondations. «Pour qu'elles puissent intervenir en matière de restauration des cours d'eau», a rappelé M. Jean-Luc Laurent, déjà cité, «il y a une difficulté juridique à lever. Aux termes d'un avis du Conseil d'Etat, les agences ne peuvent actuellement pas le faire à cause de la nature des recettes dont elles bénéficient, celles-ci portant essentiellement sur la pollution et les prélèvements d'eau. Il faudrait donc créer -sans doute par simple modification du décret de 1966 organisant les agences - des redevances en matière de régime des eaux, de façon à faire cotiser ceux qui rendent nécessaire ou utile 1'action de 1'agence ou qui en tirent bénéfice, sachant que ce ne sont pas les mêmes en matière de régime des eaux et de pollution.»

Selon les informations fournies à la Commission par M. Michel Barnier, un projet de décret autorisant les agences à participer à l'entretien des cours d'eau et à, percevoir une redevance spécifique est en cours d'élaboration. Ce nouveau rôle dévolu aux Agences constitue, s'il est effectivement confirmé, un point extrêmement positif. Ces établissements publics pourraient ainsi, outre la restauration des cours d'eau, participer à la réalisation d'études hydrauliques globales, à l'analyse des risques et, lorsque les ressources financières nouvelles dont elles devraient disposer le leur permettront, à la mise en _uvre de travaux de réfection des berges.

La question de savoir si, dans ce nouveau contexte, les Agences devront rester des «financeurs», comme l'a souhaité M. Alain Jacq, directeur général adjoint des grands lacs de Seine, devant la Commission, ou devenir maîtres d'ouvrage des travaux de protection contre les inondations, ne manquera pas de se poser. Votre Rapporteur souhaite que, dès à présent, une réflexion soit ouverte sur ce sujet, de façon à ce que soit trouvée la solution la plus efficace compte tenu de l'objectif recherché.

C. - LA CONNAISSANCE DES RISQUES

1 .- Accroître l'effort de recherche en matière hydraulique

«La compétence hydraulique s'est détériorée en France depuis une vingtaine d'année a constaté devant la Commission M. Paul-Henri Bourrelier, président de l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels au ministère de l'Industrie, poursuivant: « je le dis fortement, nous ne disposons pas aujourd'hui d'une force scientifique et technique en matière hydraulique. II /faut donc absolument trouver les moyens de reconstituer un outil suffisant. Cette opinion est partagée par les agences de 1'eau, la MISE et le Conseil général des ponts et chaussées, ainsi que par le CNRS qui, dans son rapport d'orientation quinquennal, a signalé la faiblesse en hydraulique.. Ce propos est confirmé par M. Yves Le Bars qui juge .insuffisant» l'effort de recherche en matière de gestion de l'eau. Or, faute d'outils scientifiques adaptés, il est difficile, d'une part, de prévoir les risques de débordement des eaux fluviales ou torrentielles, d'autre part de définir un programme d'investissement en ouvrages de protection qui soit étayé sur des bases solides. Comme l'indique M. Paul-Henri Bourrelier, «on a 1 impression chaque fois - ce fut le cas pour Nîmes, Vaison-la-Romaine et les inondations de 1 7iuer dernier- que 1'on court après une évaluation que nous n ânons pas faite.».

Or un effort accru en matière de modélisation des crues permettrait d'atteindre des résultats appréciables en matière de prévision. Comme l'a indiqué M. Henri Legrand, chargé de mission pour les risques majeurs à la Délégation aux risques majeurs du ministère de l'Environnement, .Nombre de crues sont des crues de plaine, qui se produisent avec un décalage important par rapport à l'événement pluviométrique qui en est à l'origine. Elles constituent donc un type de phénomène que l'on peut prévoir. Encore faut-il pour cela avoir modélisé le dispositif et l'écoulement. A l'heure actuelle, une telle modélisation n â guère été faite que sur la Seine. Il est prévu de mettre en place des dispositifs analogues sur les principaux fleuves, de manière à pouvoir mieux prévoir les montées des eaux.

Il serait également pertinent de pouvoir disposer d'une relation établie en termes aussi quantitatifs que possible entre l'intensité des précipitations et le débit des eaux dans le cas de crues de type torrentiel. L'élaboration d'un modèle mathématique de relation pluie/débit suppose la mise en place de réseaux d'observation point sur lequel votre Rapporteur reviendra ultérieurement- mais aussi une meilleure connaissance des phénomènes d'écoulement d'eau.

Votre Rapporteur estime donc nécessaire que des moyens supplémentaires soient consacrés aux recherches dans le domaine hydraulique et que soient constituées des équipes pluridisciplinaires de chercheurs afin que la politique de prévention des inondations dispose des bases scientifiques qui lui font aujourd'hui défaut.

2. - Elaborer une cartographie du risque

L'élaboration d'une cartographie où figureraient les zones les plus soumises aux risques d'inondation constitue un complément indispensable aux études générales sur l'écoulement des crues. La méthodologie en a été ainsi décrite devant la Commission par M. Yves le Bars, directeur général du Cémagref

.Nous avons ainsi défini, et testé dans des cas particuliers, des prototypes de méthodes permettant de calculer le niveau de risque acceptable.

«Le principe de ces travaux est le suivant: nous nous efforçons de calculer la probabilité de l'inondation, puis nous recherchons les besoins spécifiques de protection de chaque espace. En comparant les aléas au niveau de risque admis, il est possible de reprérer les zones qui sont sous ou sur-protégées.

Si les premières délimitations de zones inondables ont été effectuées au milieu du XIXe siècle, après les grandes inondations de 1856, la cartographie des risques a connu depuis bien des vicissitudes. Notre pays ne dispose pas d'une évaluation précise du risque, commune par commune, qui repose sur une connaissance approfondie de l'aléa hydraulique et de la vulnérabilité du site. Ce fait a été confirmé à la Commission par l'Amiral Guy Richard, de la direction de la sécurité civile du ministère de l'Intérieur : «Le problème est que cette cartographie n'existe pas. On ne connaît pas les limites des crues centennales ni cinquantennales de nos cours d'eau.»

La création par la loi du 13 juillet 1982 des plans d'exposition aux risques (PER) visait précisément à favoriser l'élaboration d'une cartographie nationale. Mais ce dispositif qui supposait un travail local préalable de rencensement des risques prévisibles, n'a pas bien fonctionné. Sur les 2.000 communes exposées à des risques naturels importants pour les personnes, 550 seulement disposent d'un PER ou d'un périmètre établi sur la base de l'article R. 111-3 du code de l'urbanisme. Ces informations ont été fournies à la Commission par M. Henri Legrand, chargé de mission pour les risques majeurs au ministère de l'Environnement, qui a noté que «(...) paradoxalement, le renforcement de la politique de prévention des risques fait augmenter le nombre de communes considérées comme à risque. »

Aussi la délimitation des zones inondables a-t-elle été effectuée de manière très contrastée: dans de bonnes conditions sur le bassin de la Loire, de façon plus discutable le long du Rhône. La mission interministérielle Dambre note ainsi que «sur le bas Rhône, la cartographie des (surfaces submersibles) est très incomplète. Bonne sur le fleuve lui-même, elle connaît de nombreuses lacunes et ce d'autant plus que le cours d'eau n'a pas connu dans ces dernières années d'événements exceptionnels. (...) Parallèlement, des études pour la délimitation des zones inondables doivent être engagées sur les affluents du Rhône à régime torrentiel, lorsqu'il n'en existe pas. Jusqu'à présent, l'insuffisance des crédits a limité leur nombre».

Relativement bien connus pour les cours d'eau les plus importants, les risques restent donc mal analysés sur les petits cours d'eau torrentiels.

Conscient de ces insuffisances et de l'importance de la cartographie des risques comme fondement d'une politique sérieuse de prévention, le Gouvernement a décidé de donner une nouvelle impulsion à cette entreprise. Une circulaire en date du 24 janvier 1994 donne instruction aux préfets d'établir une sorte d'atlas des zones inondables qui identifie les couloirs d'écoulement des eaux et les zones d'expansion des crues. Surtout, les moyens financiers, dont nombre d'interlocuteurs de la Commission ont vivement critiqué l'insuffisance, devraient être portés de 15 à 40 millions de F. par an à partir de 1995. Ce changement de cap se traduit également sur le plan réglementaire, les multiples outils de maîtrise de l'urbanisation qui ont fait la preuve de leur inefficacité. devant être fusionnés dans un seul, le plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPR).

Votre Rapporteur se félicite de la détermination affichée par l'actuel gouvernement de progresser dans ce domaine, d'autant que cette volonté s'accompagne d'un accroissement sensible des moyens dont on ne peut que souhaiter qu'il soit confirmé dans les années à venir. Encore faut-il que les communes soient informées en temps utile des résultats de ces études, afin que puisse vraiment se développer une «culture du risque», qui nous est encore largement inconnue.

D. - DÉGAGER DE NOUVELLES SOURCES DE FINANCEMENT

La prévention du risque d'inondation suppose la mise en _uvre d'investissements importants en ouvrages de protection et d'aménagement dont le coût risque d'être très élevé pour la collectivité. Le rapport de la mission interministérielle Dambre estime ainsi à 1 milliard de F. le montant des investissements à effectuer sur la seule vallée du Rhône. Il est bien évident que ni l'Etat, ni les collectivités territoriales, ni les propriétaires des rives, ne sont, à eux-seuls, à même de dégager les financements nécessaires. Aussi, suivant en cela les propositions du même rapport Dambre, votre Rapporteur estime nécessaire de solliciter l'ensemble des acteurs économiques intéressés à la lutte contre les inondations

- Les Agences de l'eau constituent un partenaire financier «naturel» dont le rôle, comme nous l'avons vu, devrait bientôt s'accroître ,(...) le Gouvernement ayant souhaité», a indiqué M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, ««que, dans le cadre du septième programme, les agences investissent trois fois plus d'argent qu'aujourd'h.ui en matière de restauration des cours d'eau. Il a donc demandé au ministre de lEnvironnement d'étudier la création éventuelle d'un régime de redevance et a /fixé le niveau global d'intervention -sachant que ce sont les organismes de bassin qui décideront le détail - à environ 200 millions de F. par an de crédits-agences. »

- La Compagnie Nationale du Rhône (CNR), dont les établissements semblent avoir modifié les caractéristiques du Rhône, et l'EDF qui tire profit des travaux d'aménagement réalisés devraient également être sollicitées. L'intégralité de l'électricité produite par les ouvrages de la CNR est vendue à EDF à un prix calculé pour couvrir seulement les charges de la compagnie, le bénéfice de la CNR étant nul. Or, comme l'a volontiers reconnu M. Jacques Lecornu, directeur d'exploitation de la CNR, «.Le prix de revient moyen de l'électricité produite en France, essentiellement d'ailleurs par l'industrie nucléaire, est de l'ordre de 24 à 25 centimes, alors que celle que fournit la CNR est de l'ordre de 14 centimes, toutes charges comprises. » Autrement dit, sur chaque KW/h produit par la CNR à partir des ouvrages hydroélectriques du Rhône, EDF réalise un bénéfice de plus de 10 centimes. Votre Commission s'interroge sur la possibilité d'augmenter légèrement le prix payé par l'EDF afin de dégager une marge importante qui permettrait de financer la prévention des inondations dans le Sud-Est: un prélèvement d'un centime par KW/h produit correspond à 160 millions de F. de financement supplémentaire. De cette façon, le prix de vente de l'électricité produite par les aménagements du Rhône inclurait un «coût de sécurité» qui est déjà pris en compte dans la tarification de l'électricité d'origine nucléaire.

- Enfin, les compagnies d'assurance, dont l'intervention s'est limitée jusqu'ici à procéder à l'indemnisation des dégâts, dans le cadre du régime particulier institué en 1982, devraient également participer à l'effort de prévention. Sur le modèle de ce qui existe aux Etats-Unis, un fonds de garantie pourrait être créé qui serait alimenté par un prélèvement sur les primes d'assurance (ce taux est de 20 go Outre-Atlantique).

Votre Rapporteur se félicite que cette piste ait été retenue par le Gouvernement qui, dans le projet de loi relatif à la protection de l'environnement, a prévu la création d'un fonds de prévention des risques naturels imminents alimenté par un prélèvement sur les primes versées au titre des contrats d'assurance contre le risque «catastrophes naturelles». Ce fonds permettrait de financer notamment l'évacuation des populations et la démolition des bâtiments dans les zones soumises à d'importants risques naturels, y compris les risques d'inondation. Votre Rapporteur souhaite que ces dispositions soient adoptées par le Parlement et, à l'avenir, renforcées de façon à permettre également la réalisation d'ouvrages de protection.

Si de nouvelles sources de financement doivent être identifiées, à côté des .guichets» traditionnels de la lutte contre les inondations, il serait également opportun de reconsidérer les procédures d'octroi des aides de l'Etat. Le décret n° 72-196 du 10 mars 1972, qui définit le régime des subventions d'investissement accordées par l'Etat, contient deux dispositions qui peuvent s'avérer assez contraignantes pour une commune comme celle de Nîmes, qui a engagé des investissements importants en matière de prévention et de protection contre les inondations: d'une part, ces aides sont plafonnées à un niveau jugé «insuffisant» par M. Jean Bousquet, membre de votre Commission et maire de Nîmes; d'autre part, ces aides sont octroyées, après autorisation administrative d'attribution, au fur et à mesure de la réalisation des travaux et sur présentation des justificatifs. Ces règles strictes peuvent aboutir à retarder le rythme de réalisation des travaux. Aussi faudrait-il réfléchir à la mise au point de procédures plus simples qui permettent, dans des situations d'urgence, un déblocage immédiat des financements de l'Etat.

II. - L'AMÉNAGEMENT DES ZONES A RISQUES

Fondée sur une connaissance des risques aussi précise que possible, une politique de prévention des inondations suppose un aménagement des zones à risques qui soit le fruit d'une réflexion approfondie sur les objectifs, les limites et les moyens des dispositifs de protection, tant matériels que juridiques.

Consciente des multiples difficultés que rencontre la définition d'une politique cohérente pour l'aménagement des zones à risques, votre Commission n'en est pas moins amenée à porter un jugement sévère sur la pratique suivie en la matière depuis plusieurs décennies. Tant en ce qui concerne la maîtrise de l'urbanisme que l'entretien des ouvrages de protection, les résultats sont extrêmement décevants, et certainement pas à la hauteur des exigences de la lutte contre les dangers représentés par les inondations. Aussi faut-il se féliciter que le gouvernement propose de nouveaux dispositifs traduisant une approche novatrice. Aussi faut-il également être attentif à toutes les suggestions qui peuvent contribuer à améliorer la protection.

A. - LA MAITRISE DE L'URBANISME

Votre Commission a plus particulièrement porté son attention sur deux problèmes: l'implantation de constructions dans des zones inondables et les conséquences sur la gravité des inondations d'une urbanisation mal contrôlée. Il lui est apparu que, face à ces problèmes plus complexes qu'il n'y paraît, les outils dont disposent aujourd'hui les pouvoirs publics apparaissent mal adaptés.

I. - 1: interdiction de construction : un principe simple mais difficile à appliquer.

I1 pourrait être tentant de songer prévenir les inondations de leurs conséquences les plus dommageables en édictant une interdiction de construire dans toutes les zones soumises au risque. Mais une telle mesure ne serait pas réaliste, compte tenu des caractéristiques propres aux divers types de crues.

a. - Du /'ait de la diversité des types de crues

La mise en _uvre d'interdictions de construire sur des terrains menacés par les inondations est plus malaisée qu'il n'y parait. Cette difficulté tient d'abord su fait que le problème est bien différent selon que le risque est une crue fluviale ou une crue torrentielle.

Comme l'ont souligné plusieurs des personnes auditionnées par la Commission, les crues fluviales ne posent que très exceptionnellement des problèmes de sécurité des personnes car elles surviennent très progressivement, ce qui, en principe, laisse le temps suffisant pour opérer des évacuations préventives.

Dès lors, le problème doit être apprécié à travers un calcul économique qui pourra apparaître un peu cynique mais qui recouvre une réalité.

Si l'on voulait raisonner sur la base d'un risque nul, on prendrait comme référence les crues centennales et on interdirait toute construction dans les zones ainsi délimitées. Une telle solution est difficilement concevable, car elle aboutirait à geler des étendues considérables le long des fleuves et rivières.

Mais il est également inconcevable de laisser s'édifier des constructions sur des terrains trop fréquemment inondés.

D'autre part, une cartographie des crues n'est pas figée car la réalisation d'ouvrages permet de protéger certaines zones. M. Jean Royer, Président de l'Etablissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), a ainsi souligné devant la Commission, qu'à Tours, la construction d'une digue le long du Cher avait permis d'installer 20.000 habitants en toute sécurité dans une zone autrefois inondable. Sur l'ensemble de la question, M. Jean Royer a d'ailleurs défendu devant la Commission un point de vue dont le réalisme et le pragmatisme ont séduit votre Rapporteur. Selon lui, «On a construit sans se préoccuper des crues possibles mais maintenant, on tombe dans le travers inverse, c'est-à-dire que 1'administration et les techniciens refusent tout permis de construire (...). Il /faut simplement suivre la voie de la sagesse et étudier pragmatiquement chaque situation locale (...). Le bon sens et 1'observation devraient permettre de sortir du dilemme machiavélique entre un aménagement organisé dans des conditions scandaleuses et l'élimination de toute vie humaine dans les vallées ( ....). Comment pourrait-on se résigner à ne plus rien construire en édictant des prescriptions impossibles à respecter ?·

Le problème ne peut pas être abordé de la même manière lorsqu'il s'agit de crues torrentielles. Comme l'a indiqué à la Commission M. Henri Legrand, Chargé de Mission pour les risques majeurs à la Délégation aux risques majeurs du ministère de l'Environnement, il existe, en particulier «dans le sud-est de la France, des risques importants d'orages très forts et très localisés. L'un des problèmes posés par ces inondations de type torrentiel est que la notion de crues décennales, centennales, etc... que l bn applique aux inondations de plaines en fonction de leur fréquence de retour, est peu adaptée: les effets foudroyants et immédiats de 1 événement, rendant très difficiles les mesures de sauvegarde telle que l'évacuation, constituent une menace importante pour les personnes ; aussi la rareté de l'évènement n'est pas un motif pour ne pas le prendre en compte. Contrairement au cas des risques qui ne portent que sur les biens, on ne peut pas /'aire un calcul de type économique comparant le coût de la prévention et le coût moyen des dommages sur une longue période.

Votre Rapporteur ne peut que partager cette analyse, qui conduit à la mise en _uvre de prohibitions rigoureuses, y compris dans des endroits où le risque de crues est très faible, dès lors qu'existe un danger pour la vie humaine.

A cet égard, il prend acte avec satisfaction de la possibilité nouvellement donnée au préfet par la loi du 8 janvier 1993 et le décret du 13 juillet 1994 de définir des zones soumises à un risque, naturel ou technologique, dans lesquelles l'ouverture d'un camping n'est autorisée qu'après avis motivé du préfet et moyennant des prescriptions d'information, d'alerte et d'évaluation permettant d'assurer la sécurité de ses occupants.

Reste que cette politique n'est pas nécessairement facile à faire accepter par les populations qui perçoivent rarement l'importance des dangers aux abords du lit d'un ruisseau, ni par les maires qui sont réticents à tenir compte dans leurs plans d'occupation des sols de risques qu'ils jugent par trop hypothétiques.

La différence d'approche induite par les caractéristiques propres aux crues fluviales et aux crues torrentielles interdit d'élaborer une règle uniforme applicable à l'ensemble du territoire sous la forme d'une interdiction de construction dans les zones susceptibles d'être inondées. Paradoxalement, les prohibitions doivent être plus sévères dans les endroits où les crues sont peu fréquentes, car leur violence met en danger la vie humaine, ce qui n'est généralement pas le cas en bordure des grands fleuves, alors que les crues habituelles des grands fleuves, qui ne présentent généralement pas de risque vital, peuvent s'accommoder d'un régime moins draconien. Lorsqu'il ne s'agit en effet de protéger que des biens et que le risque d'inondation n'est que trentenaire ou centenaire, le coût du gel des terrains peut être supérieur pour la collectivité à celui de la réparation des dégâts. La politique à mettre en _uvre doit alors davantage reposer sur la construction d'ouvrages de protection.

b. - Les facteurs aggravants des crues

L'analyse se complique si l'on considère, comme le fait M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'Eau au ministère de l'Environnement, que «la gravité de l'inondation vient de la coïncidence entre la nature des constructions humaines dans la zone inondable et la rapidité d'écoulement du flot... Nous sommes maintenant certains que l'urbanisation a une double influence : d'une part, l'imperméabilisation limite les capacités d'infiltration de l'eau, d'autre part, la substitution d'un sol bétonné à un sol cultivé permet à l'eau de s écouler beaucoup plus vite, de sorte que, pour un même phénomène pluvieux, le temps de concentration est plus court et donc le débit de pointe plus grand. n

Votre Rapporteur ne peut que faire sien le point de vue exprimé par M. Henri Legrand, chargé de mission pour les risques majeurs à la Délégation aux risques majeurs du ministère de l'environnement, selon qui la première urgence est de faire en sorte que lne continue pas à délivrer les permis de construire dans les zones inondables comme dans le passé. Aussi ne peut-on que se féliciter des orientations données par le gouvernement au moyen de deux circulaires, l'une interministérielle en date du 24 janvier 1994, l'autre du Premier ministre en date du 2 février 1994. La première précise les objectifs à prendre en compte en matière de prévention des inondations: .interdire les implantations humaines dans les zones les plus dangereuses», «préserver les capacités d'écoulement et d'expansion des crues», ce qui conduit à empêcher l'urbanisation de certaines zones pour conserver une capacité d'expansion des crues hors des zones habitées, enfin, «sauvegarder l'équilibre des milieux». La circulaire du 2 février établit des mesures conservatoires. Elle prescrit d'abord que soient exactement relevées pour la fin du semestre toutes les zones récemment inondées, et, au sein de celles ci, celles où la hauteur d'eau a été importante, la hauteur de référence, modulable localement, étant fixée à un mètre. Elle recommande ensuite d'examiner désormais avec un soin particulier les demandes de permis de construire dans ces zones et d'appliquer l'article R 111-2 du code de l'urbanisme qui permet, su cas par cas, d'en refuser la délivrance si la zone est considérée comme dangereuse. Elle n'interdit donc pas de délivrer de permis de construire dans les périmètres où il y a eu plus d'un mètre d'eau, car les zones ainsi définies seraient trop vastes pour l'application d'un dispositif aussi rigoureux, mais elle exige un examen spécifique de chaque permis au regard de ces dispositions. Il s'agit d'une mesure conservatoire destinée aux zones ayant connu des inondations importantes et qui ne sont couvertes ni par un PER ni par aucun autre plan de protection.

Apparaît bien à travers ces orientations le principe qui doit présider à la mise en _uvre de la politique d'urbanisme en matière d'inondation: le pragmatisme. Il est clair en effet que la complexité des situations ne rend possible d'interdire la délivrance des permis de construire que dans le cas où la rapidité et l'ampleur des inondations possibles mettent en danger des vies humaines. Dans les autres cas, sur la base d'une analyse fine au niveau local, doit être élaboré un plan global d'aménagement des bassins.

2.- Les outils dont disposent les autorités

a. - Le plan d'exposition aux risques (PER)

M. Henri Legrand, chargé de mission pour les risques majeurs à la délégation aux risques majeurs au ministère de l'Environnement, a présenté à la Commission un bilan critique des plans d'exposition aux risques (PER), souvent considérés comme l'outil symbolique de la politique de prévention des risques.

Pour lui, «cet outil n'a certainement pas atteint tous les objectifs qui lui avaient été fixés, explicitement ou implicitement, lorsqu W avait été créé dans le cadre de la loi sur l'indemnistation des catastrophes naturelles de juillet 1982. (...) Quand on a créé le dispositif des PER, on considérait quels devaient couvrir toutes les zones où pouvaient apparaître des risques, l'ordre de grandeur envisagé alors étant de 10.000». Or, dix ans après le premier décret d'application de 1984, il existe, selon les propos tenus par M. Michel Barnier, ministre de l'Environnement, devant votre Commission, 323 PER approuvés, auxquels s'ajoutent 372 périmètres au titre de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme et 103 plans de surfaces submersibles. Même si l'on prend en compte les quelque 90 projets de PER en cours d'élaboration ayant dépassé le stade de l'enquête publique, ces chiffres conduisent à considérer que l'objectif fixé initialement était sans doute trop ambitieux.

Reste à savoir pourquoi les PER n'ont manifestement pas correspondu aux espoirs que l'on avait pu mettre dans cette procédure. Les raisons sont nombreuses. La première tient à sa complexité, sa lourdeur et sa lenteur. La seconde tient à la multiplicité des outils d'urbanisme ayant des objectifs voisins, entre lesquels s'instaure nécessairement une certaine confusion. La troisième tient à la difficulté de faire comprendre aux populations concernées l'intérêt d'une procédure qui, pour eux, comme l'a souligné M. Henri Legrand, «se traduit seulement par le /'ait que leur terrain devient inconstructible ou que leur sont imposées des prescriptions particulières en cas de construction, ainsi que par une limitation de l`effet des mécanismes d'indemnisation au titre des catastrophes naturelles.. Enfin, la modicité des ressources dégagées pour l'établissement des PER, de l'ordre de 160 millions de F. sur la période 1984-1993, a limité les capacités d'intervention.

b. - Le périmètre de zone inondable établi en application de l'article R 111-3 du code de 1 urbanisme

Pour décrire cette procédure, il est apparu intéressant à votre rapporteur de partir de l'exemple du Vistre (Gard).

A la suite de la crue d'octobre 1988, le syndicat mixte pour l'étude et l'aménagement du Vistre - Rhôny a confié au BCEOM la réalisation d'une étude hydrologique et hydraulique sur l'ensemble du bassin.

Dans le cadre de cette étude, la zone a été décomposée en «casiers. permettant de reconstituer fidèlement les mécanismes d'écoulement. Après calage du modèle mathématique, l'étude indique, pour chaque casier, la hauteur d'eau et la vitesse.

Pour l'établissement de ce périmètre, la crue centennale a été retenue comme crue de référence.

L'étendue de la zone inondable est telle qu'elle constitue une capacité de stockage importante assurant un laminage des

crues. Les vitesses sont peu élevées (toujours inférieures à 1 m/s) et les hauteurs d'eau ne dépassent que rarement deux mètres.

Le périmètre concerne douze communes allant de la sortie de la commune de Marguerittes, au Nord, à la sortie des zones urbaines du Cailar, su Sud, les zones inondables de la crue centennale représentant 2.300 hectares.

La direction départementale de l'Equipement a été chargée par le Préfet de conduire l'élaboration de ce document. L'article R 111-3 du Code de l'urbanisme fait obligation au Préfet de consulter les services de l'État concernés, de soumettre le projet à enquête publique et de recueillir l'avis des conseils municipaux.

En ce qui concerne le Vistre, l'élaboration du périmètre a été conduite selon les étapes et le calendrier suivants. En juin 1993, une réunion d'information a rassemblé l'ensemble des maires concernés; de juin à octobre 1993, ont eu lieu des réunions de travail avec chaque commune pour la mise au point du dossier sur son territoire ; les services de l'État concernés ont été consultés entre novembre et décembre 1993 ; l'enquête publique s'est déroulée du 24 février su 24 mars 1994 et les commissaires enquêteurs ont rendu leur avis le 25 avril 1994 ;les conseils municipaux ont été saisis le 10 juin 1994 ; enfin, le périmètre a été approuvé par arrêté préfectoral en septembre 1994. L'élaboration de ce document aura donc demandé 15 mois.

A partir des résultats de l'étude hydraulique, il a été défini deux zones, l'une à risques élevés, l'autre à risques moyens.

La zone à risques élevés a été définie à partir à la fois des hauteurs d'eau et/ou des vitesses élevées. En ce qui concerne la vitesse, compte tenu du caractère homogène et relativement plat du relief, a été prise en compte essentiellement la distance par rapport au lit de la rivière ou de ses affluents. Cette zone correspond donc à la fois à des secteurs recouverts par plus de 1,50 m d'eau lors de la crue centennale et à des secteurs situés à moins de 100 m du Vistre et moins de 10 m des affluents en raison de la prise en compte du critère de vitesse. Dans la. zone à risques élevés ainsi délimitée, toute construction nouvelle est interdite. Seul est autorisé l'aménagement des constructions existantes, sans changement de destination et sans augmentation de l'emprise au sol. Peuvent également être autorisés les constructions ou édifices publics qui, de par leur destination, doivent être implantés en bordure de la rivière (stations de pompage, travaux de protection).

Quant à la zone à risques moyens, elle est située entre la zone à risques élevés et la limite de la crue centennale. La hauteur d'eau y est toujours inférieure à 1,50 m et les vitesses y sont faibles. Elle a été décomposée en deux secteurs. Le premier n'est actuellement pas urbanisé et n'y sont autorisées que les constructions nécessaires à l'exploitation agricole. Le développement urbain y est interdit, ce secteur devant rester à vocation naturelle pour permettre l'expansion des crues. Dans le second secteur, où l'urbanisation s'est déjà développée, compte tenu de la faiblesse des hauteurs d'eau (inférieures à 1,50 m) et de la vitesse, les constructions nouvelles sont autorisées, sous réserve d'une hauteur de plancher supérieure à la crue de référence.

Dans le périmètre approuvé, sur les 2.314 hectares situés en zone inondable pour une crue centennale, 2.205 seront classés dans des zones ou secteurs interdisant tout développement de l'urbanisation.Une superficie de 109 hectares a été classée en zone constructible sous condition. Elle correspond à des secteurs déjà bâtis pour l'essentiel, où les possibilités complémentaires sont relativement faibles.

Cette procédure met en évidence le fait que l'appréciation du risque d'inondation, parce qu'il implique des analyses globales au niveau des bassins, ne peut pas être prise en compte par les seuls plans d'occupation des sols mais nécessairement à un niveau supérieur à l'échelon communal.

C. -Le plan d'occupation des sols

En application de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme, les plans d'occupation des sols et les plans d'aménagement des zones (PAZ) doivent prendre en compte le risque d'inondation par la référence aux servitudes d'utilité publique et à travers les plans de zonage et les règlements des documents d'urbanisme.

Comme le souligne le rapport de la mission interministérielle sur les aménagements du Rhône, .parmi les prescriptions des plans, devrait figurer notamment le classement en «emplacement réservé» des emprises des cours d'eau en vue de leur acquisition, et autant que possible l'institution d'une servitude de recul des constructions par rapport à ces emprises... Il en est de même des emprises de tous les ouvrages projetés pour l'écoulement

des eaux et notamment des bassins de rétention et canaux d'évacuation aval...»

Mais l'efficacité du POS dans la perspective de la prévention des inondations, alors pourtant qu'il a vocation à être le document de base en matière d'urbanisme, rencontre une première limite liée au cadre communal de son élaboration lequel, on l'a vu, n'est pas le plus pertinent pour apprécier le risque considéré.

Le rapport de la mission interministérielle sur les inondations de la vallée du Rhône note d'ailleurs que les conséquences des inondations seront d'autant plus limitées que l'urbanisation prendra en compte réellement ce risque. Il est plus que temps, en la matière, de mettre un terme au laxisme.

Si la cartographie des zones inondables est un élément essentiel d'une politique raisonnée en ce domaine, elle ne saurait être suffisante. Les préfets doivent veiller activement à leur traduction dans les documents d'urbanisme adoptés par les autorités locales. Telles sont d'ailleurs les instructions contenues dans la circulaire interministérielle du 24 janvier dernier et dans la lettre adressée par le Premier ministre aux préfets le 2 février 1994.

Dans l'attente de l'adoption des dispositions législatives relatives aux plans de prévention des risques (PPR), votre Rapporteur tient à rappeler le caractère opérationnel de l'article 8111-3 du code de l'urbanisme, qui ouvre la possibilité au représentant de l'État d'édicter. dans un périmètre déterminé après enquête publique, des règles d'urbanisme qui sont applicables en l'absence de POS, et qui, en cas d'existence d'un POS, prévalent sur les dispositions de celui-ci. Votre Rapporteur estime que les préfets doivent faire un usage systématique de ces dispositions dans toutes les communes comportant des zones inondables.

La mise en _uvre de la procédure de l'article R 111-3 devrait être harmonisée d'un département à l'autre. On pourrait envisager à cet effet que des règles communes soient arrêtées à l'occasion de réunions tenues à l'initiative du préfet coordonnateur de bassin.

Lors de l'établissement ou de la révision des POIS, des réflexions devraient être engagées pour le classement des zones les plus exposées en zones non constructibles et le développement préférentiel des zones constructibles suivant un axe perpendiculaire au cours d'eau, en dehors des zones inondables. Il est urgent de Quant à la zone à risques moyens, elle est située entre la zone à risques élevés et la limite de la crue centennale. La hauteur d'eau y est toujours inférieure à 1,50 m et les vitesses y sont faibles. Elle a été décomposée en deux secteurs. Le premier n'est actuellement pas urbanisé et n'y sont autorisées que les constructions nécessaires à l'exploitation agricole. Le développement urbain y est interdit, ce secteur devant rester à vocation naturelle pour permettre l'expansion des crues. Dans le second secteur, où l'urbanisation s'est déjà développée, compte tenu de la faiblesse des hauteurs d'eau (inférieures à 1,50 m) et de la vitesse, les constructions nouvelles sont autorisées, sous réserve d'une hauteur de plancher supérieure à la crue de référence.

Dans le périmètre approuvé, sur les 2.314 hectares situés en zone inondable pour une crue centennale, 2.205 seront classés dans des zones ou secteurs interdisant tout développement de l'urbanisation.Une superficie de 109 hectares a été classée en zone constructible sous condition. Elle correspond à des secteurs déjà bâtis pour l'essentiel, où les possibilités complémentaires sont relativement faibles.

Cette procédure met en évidence le fait que l'appréciation du risque d'inondation, parce qu'il implique des analyses globales au niveau des bassins, ne peut pas être prise en compte par les seuls plans d'occupation des sols mais nécessairement à un niveau supérieur à l'échelon communal.

C. - Le plan d'occupation des sols

En application de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme, les plans d'occupation des sols et les plans d'aménagement des zones (PAZ) doivent prendre en compte le risque d'inondation par la référence aux servitudes d'utilité publique et à travers les plans de zonage et les règlements des documents d'urbanisme.

Comme le souligne le rapport de la mission interministérielle sur les aménagements du Rhône, .parmi les prescriptions des plans, devrait rigurer notamment le classement en «emplacement réservé» des emprises des cours d'eau en vue de leur acquisition, et autant que possible l'institution d'une servitude de recul des constructions par rapport à ces emprises... Il en est de même des emprises de tous les ouvrages projetés pour l'écoulement des eaux et notamment des bassins de rétention et canaux d'évacuation aval ....

Mais l'efficacité du POS dans la perspective de la prévention des inondations, alors pourtant qu'il a vocation à être le document de base en matière d'urbanisme, rencontre une première limite liée au cadre communal de son élaboration lequel, on l'a vu, n'est pas le plus pertinent pour apprécier le risque considéré.

Le rapport de la mission interministérielle sur les inondations de la vallée du Rhône note d'ailleurs que les conséquences des inondations seront d'autant plus limitées que l'urbanisation prendra en compte réellement ce risque. Il est plus que temps, en la matière, de mettre un terme su laxisme.

Si la cartographie des zones inondables est un élément essentiel d'une politique raisonnée en ce domaine, elle ne saurait être suffisante. Les préfets doivent veiller activement à leur traduction dans les documents d'urbanisme adoptés par les autorités locales. Telles sont d'ailleurs les instructions contenues dans la circulaire interministérielle du 24 janvier dernier et dans la lettre adressée par le Premier ministre aux préfets le 2 février 1994.

Dans l'attente de l'adoption des dispositions législatives relatives aux plans de prévention des risques (PPR), votre Rapporteur tient à rappeler le caractère opérationnel de l'article 8111-3 du code de l'urbanisme, qui ouvre la possibilité au représentant de l'Etat d'édicter. dans un périmètre déterminé après enquête publique, des règles d'urbanisme qui sont applicables en l'absence de POS, et qui, en cas d'existence d'un POS, prévalent sur les dispositions de celui-ci. Votre .Rapporteur estime que les préfets doivent faire un usage systématique de ces dispositions dans toutes les communes comportant des zones inondables.

La mise en _uvre de la procédure de l'article R 111-3 devrait être harmonisée d'un département à l'autre. On pourrait envisager à cet effet que des règles communes soient arrêtées à l'occasion de réunions tenues à l'initiative du préfet coordonnateur de bassin.

Lors de l'établissement ou de la révision des POIS, des réflexions devraient être engagées pour le classement des zones les plus exposées en zones non constructibles et le développement préférentiel des zones constructibles suivant un axe perpendiculaire au cours d'eau, en dehors des zones inondables. Il est urgent de rompre avec les errements usuels, qui conduisent à ce que ce soit près des rivières que les constructions sont les plus denses.

Enfin, à la lumière des récentes inondations dues à des crues de type cévenol, on peut s'interroger sur l'opportunité d'introduire dans la réglementation de l'urbanisme une mesure .d'ordre public. dont le principe serait que, dans les bassins à risques potentiels et en l'absence de dispositions particulières, l'utilisation des sols puisse être gelée jusqu'à l'adoption de telles dispositions.

d- Le plan des surfaces submersibles

Il soumet à autorisation pouvant comporter des prescriptions spéciales, tout projet de construction, d'aménagement ou même de plantation, susceptible de gêner le libre écoulement des eaux ou de restreindre les champs d'inondation dans les zones qu'il a cru bon de définir. Il vise ainsi davantage les tiers que les utilisateurs et les prescriptions spéciales qu'il pose peuvent concerner les règles de construction. Il donne en outre la possibilité, moyennant le versement d'indemnités, d'obliger les propriétaires à modifier ou supprimer les installations gênantes préexistantes à son approbation mais, pour des raisons financières, cette faculté est fort peu utilisée.

3.- L'apport du projet de loi relatif au renforcement de la protection de l'environnement

a.- Les plans de prévention des risques (PPR)

L'article 13 du projet de loi en cours de discussion devant le Parlement ambitionne de doter d'ici à cinq ans d'un plan de prévention des risques (PPR), toutes les communes exposées à un risque grave. A titre indicatif, un rapport du conseil général des ponts et chaussées du 4 juin 198? en a estimé le nombre à 5.000.

Pour atteindre cet objectif, le projet de loi propose de simplifier le dispositif existant tout en renforçant son efficacité. La simplification consiste à remplacer par un document unique, dénommé plan de prévention des risques (PPR), tous les documents existants: plans d'exposition aux risques naturels prévisibles (PER), plans de surfaces submersibles (PSS), périmètres de risques délimités en application de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme, plans de zones sensibles aux incendies de forêts (PZSIF). Le renforcement de l'efficacité du dispositif est attendu de trois caractéristiques qui différencient les futurs plans de prévention des risques des outils actuels, en particulier du PER: l'élaboration des PPR serait totalement déconcentrée et donc moins lourde; les PPR donneraient su préfet la possibilité de prendre des mesures conservatoires; enfin, le non-respect des dispositions des PPR serait sanctionné pénalement.

Les plans pourraient en tant que de besoin

- délimiter des zones exposées aux risques où les constructions pourraient être soit totalement interdites, soit autorisées sous réserve du respect de prescriptions relatives à leur réalisation, utilisation ou exploitation;

- délimiter des zones non directement exposées, mais où des constructions pourraient aggraver les risques, pour lesquelles pourraient être prévues les mêmes mesures que ci-dessus;

- définir des mesures de prévention et de sauvegarde;

- définir les travaux d'aménagement pour les ouvrages et constructions existants.

Par ailleurs, le projet donne au préfet la possibilité de faire exécuter d'office, après mise en demeure, les mesures prévues par le plan.

Il permet également au préfet de prescrire des mesures conservatoires en cas d'urgence. Ces mesures seraient prises après consultation des maires et cesseraient d'être opposables si elles n'étaient pas confirmées dans les trois ans par un plan de prévention des risques..

Votre Commission souscrit pleinement à ces orientations qui traduisent le double souci de fermeté et de pragmatisme qui lui paraît devoir inspirer une politique de prévention réaliste et efficace.

Elle attire l'attention, sur la nécessité, pour y parvenir

- en premier lieu, de dégager de manière continue les moyens financiers indispensables à la mise en _uvre des nouveaux dispositifs;

- en second lieu, de veiller à ce qu'il soit mis fin su laxisme qui a jusqu'à présent trop souvent prévalu, sans tomber toutefois dans un excès de rigueur qui ne pourrait avoir pour effet que l'incompréhension des populations directement concernées et le rejet des mesures pourtant destinées à les protéger.

B .- L ENTRETIEN DU LIT ET DES BERGES DES RIVIÈRES

1.- De nouvelles structures pour assurer l'entretien des digues

Il est unanimement admis qu'une partie des dégâts occasionnés par les dernières crues du Rhône s'explique par les insuffisances des ouvrages de protection: si les digues situées sur la rive droite ont bien .tenu» lors des inondations d'octobre 1993 et de janvier 1994, de nombreuses brèches sont apparues rive gauche. Les causes de ces désordres ont été bien analysées. Il s'agit tout d'abord d'un manque d'entretien des ouvrages dont les soubassements étaient littéralement minés par les trous creusés par les lapins et blaireaux (les .renards»). Mais il faut aussi incriminer un défaut de conception des ouvrages qui, comme le rappelle M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, «ne sont pas surmontés d une voie de circulation permettant le passage des engins susceptibles de faire les réparations nécessaires en cas de rupture localisée.». A Lauricet, où une grave brèche est apparue en janvier dernier, des hélicoptères et des commandos de sapeurs-pompiers ont dû être envoyés pour effectuer les travaux de réparation.

Depuis une loi du 16 septembre 1807, ce sont les propriétaires des terrains qui sont responsables de l'entretien des ouvrages de protection des eaux. Ces propriétaires se sont constitués, su siècle dernier, en associations syndicales. Or ces structures sont aujourd'hui inadaptées à des digues de l'importance de celles de la Camargue dont l'objet n'est plus de protéger les propriétés privées riveraines mais qui s'apparentent plutôt à des ouvrages de protection civile. Comme le note le rapport de la mission interministérielle Dambre, .les propriétaires ne disposent plus nécessairement du temps et des personnels leur permettant d'assumer les charges qui leur incombent.» L'Etat ne doit pas non plus être exonéré de ses responsabilités puisqu'il n'a plus versé depuis 1992 ses participations au budget de fonctionnement des syndicats de gestion des digues. Dans ces conditions, les travaux d'entretien excèdent le plus souvent les capacités financières des associations. C'est ainsi que l'Association des chaussées de Grande Camargue, qui gère 102 km de digues, ne dispose que d'un budget de fonctionnement de 700.000 F., alimenté par des cotisations dont la moyenne est inférieure à 200 F. Ce syndicat, dont la défaillance est unanimement reconnue, n'a à l'évidence pas accompli l'effort nécessaire pour protéger les zones habitées contre les inondations.

Du côté de la rive droite du Rhône, en revanche, les digues ont tenu, parce que, comme l'a indiqué à la Commission un responsable de la direction départementale de l'Equipement du Gard, elles étaient surveillées par du personnel, connues des services de secours et bien entretenues. Mais dans ce cas, la structure chargée de conduire les travaux d'entretien n'est pas une association de propriétaires ces derniers ont mis «la clef sous la porte. au début des années 1970 -,c'est un syndicat intercommunal dit .des digues du Rhône» présidé par M. Gilles Dumas.

La solution consisterait-elle alors à confier aux collectivités locales le soin d'entretenir les digues ? L'article L. 315-4 du code des communes leur donne la possibilité de .prendre en charge( ...) tous les travaux de protection contre les inondations (...) lorsque ces travaux présentent pour eux un caractère d'intérêt général. » Tel a été le cas dans les départements de la Drôme, de l'Ardèche, de Vaucluse et du Gard où les communes contrôlent les trois quarts des digues ne relevant pas de la CNR. Ce dispositif ne saurait constituer cependant la solution miracle: selon les termes mêmes du rapport Dambre, ·le transfert de la gestion des digues aux collectivités territoriales n'a pas pour autant nécessairement entraîné une amélioration du suivi et de l'entretien des ouvrages. (...) Si le transfert aux collectivités a pour avantage incontestable d'identifier un maître d'ouvrage stable, en l'absence de moyens financiers adaptés cette condition n'est pas suffisante pour remédier aux dysfonctionnements des systèmes de protection contre les inondations.»

Ce constat est confirmé par la situation du syndicat intercommunal des digues du Rhône qui dispose d'un budget limité à 750.000 F. alimenté pour le tiers par le département, pour les deux tiers par les onze communes concernées. Ce budget, s'il permet de faire face aux travaux d'urgence, n'est pas suffisant pour réaliser le programme de restauration des 72 km de digues dont le coût est évalué à 60 millions de F. sur cinq ans.

Ainsi la formule évoquée dans le rapport Dambre constitution d'un syndicat mixte associant l'Etat, le département et les communes -semble-t-elle la plus adaptée. Le syndicat mixte disposerait de la maîtrise d'ouvrage tout en bénéficiant d'une participation financière forcée des propriétaires. Un tel dispositif offrirait une surface financière suffisante pour accomplir des travaux lourds de restauration des ouvrages. Il aménagerait un partenariat judicieux entre les acteurs intéressés par la lutte contre <<-<s inondations.

Restent à définir les modalités de participation de l'Etat à l'entretien des digues. M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, a souhaité «(...) distinguer clairement le financement et la composition juridique. Je ne suis pas sûr que l' Etat doive faire partie du maître d'ouvrage qui doit comprendre les départements et les communes. Quant aux régions, la question reste ouverte. Ce qui a été décidé par le Gouvernement, c'est que l'Etat participera financièrement à hauteur de 20 90. y

Reste également à convaincre l'ensemble des partenaires locaux de travailler en commun. M. Gilles Dumas, déjà cité, a souhaité être clair sur ce point en indiquant à la Commission qu'un .mariage. du département du Gard avec le département des Bouches-du-Rhône ne pourra être envisagé que lorsqu'un effort analogue de gestion des digues aura été accompli de ce côté-là du Rhône. Pour l'instant, a-t-il souligné, une structure de coordination entre les deux départements pourrait être créée mais pas une structure de gestion. Comme l'a indiqué M. Jean-Luc Laurent à la Commission, «il faut être pragmatique dans la composition» de ces syndicats d'études.

2. - L'aménagement des cours d'eau

Le défaut d'entretien des 275.000 km de cours d'eau non domaniaux constitue également un facteur aggravant des inondations: les rives sont trop souvent encombrées d'embâcles et de débris qui viennent freiner l'écoulement des eaux; le lit des rivières manque de largeur et de profondeur faute d'un travail régulier de curage.

Certaines collectivités locales ont su engager les travaux nécessaires pour nettoyer les cours d'eau. C'est ainsi que, dans la vallée de la Durance, un syndicat mixte d'aménagement, bénéficiant d'une concession de l'État, a été constitué afin d'araser le lit de la rivière, ce dernier étant en certains points plus élevé que les bordures de terre. Des travaux d'extraction ont donc été entrepris, qui constituent en outre une source de recettes pour le syndicat. Mais ils sont aujourd'hui remis en cause par l'État qui considère qu'ils créent des désordres, sources de pollution, sur les berges des cours d'eau et qu'ils ont pour effet de faciliter l'écoulement des eaux et de reporter la crue en aval. Un arrêté relatif aux exploitations de carrières et aux installations de premier traitement des matériaux de carrière», en date du 22 octobre 1994, a été pris par le ministre de l'Environnement qui prévoit d'interdire .les extractions de matériaux dans le lit mineur des cours d'eau et dans les plans d'eau traversés par des cours d'eau.. Si de telles dispositions ne sauraient être remises en cause, tant la nécessité de réglementer les activités d'exploitation des cours d'eau semble admise, leurs modalités d'application doivent tenir compte des situations locales. C'est ainsi que la vallée de la Durance dont le syndicat d'aménagement a souscrit des emprunts pour financer son programme d'investissements-pose un cas particulier auquel il convient de prêter attention.

Dans d'autres cas que la Durance, l'effort nécessaire d'entretien et d'aménagement n'a pas été entrepris.

Or, votre Rapporteur se permet cette tautologie, les rives appartiennent aux riverains. Comme dans le cas des digues, il faut imaginer un dispositif qui, sans toucher su droit de propriété, permette à l'État ou aux collectivités locales de se substituer aux propriétaires défaillants.

Le projet de loi relatif à la protection de l'environnement contient dans son article 19 une série de dispositions intéressantes pour inciter les propriétaires riverains à engager les travaux nécessaires d'entretien et de curage des cours d'eau. Il prévoit la constitution de plans simples de gestion des cours d'eau non domaniaux, qui contiendraient un programme annuel de travaux et un plan de financement. Les propriétaires qui recourraient à un tel plan bénéficieraient en priorité des aides de l'État et des établissements publics compétents. Autre disposition importante qui a été introduite par voie d'amendement du Gouvernement devant le Sénat, les associations syndicales de propriétaires dont la présence gênerait l'exécution desdits travaux, pourraient être dissoutes et les ouvrages dont elles ont la charge transférés aux collectivités locales. Votre Rapporteur est convaincu de la nécessité de mettre en place des structures de coopération souples associant l'État et les collectivités intéressées par la prévention des inondations et capables d'initier les travaux d'aménagement ou d'entretien que les propriétaires n'ont pas la volonté ou la capacité d'entreprendre.

C. - DE NOUVEAUX MOYENS DE PROTECTION

Nombreux actuellement sont ceux qui réfléchissent à de nouveaux moyens de protection contre les inondations. Parmi l'ensemble des suggestions que votre Commission a pu entendre su cours de ses travaux, deux lui ont paru d'un particulier intérêt, la première tendant à instituer un régime spécial pour les friches ayant pour objet la lutte contre les inondations, la seconde tendant à créer de vastes zones temporaires d'expansion de crues.

1. - Un régime particulier de jachère pour la protection contre les inondations

Lors de son audition par votre Commission, M. Pierre Cormorèche, Président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, a développé l'idée suivante, qui a aussitôt suscité l'intérêt des membres de la Commission. Sa réflexion est partie du constat que de nombreuses communes souhaiteraient pouvoir intervenir pour limiter les risques entraînés par les inondations en se portant acquéreurs de zones de protection contre l'écoulement des eaux venant des parties hautes en direction des parties basses. Certains maires ont donc imaginé que la commune pourrait acquérir des terres de. façon à, grâce à des échanges ultérieurs, créer des jachères permanentes dans les zones à risques. Une telle formule n'étant toutefois pas autorisée par la réglementation communautaire sur la jachère, votre Rapporteur serait partisan que soit étudiée la possibilité de mettre en place un dispositif permettant que les biens fonciers acquis par une commune et destinés à la protection contre les inondations ne soient pas considérés comme terres agricoles pour l'application de la législation fiscale et sociale.

2. - Les zones d'expansion de crues

MM. Henry Wolf, Président de l'Institution des grands lacs de Seine et Alain Jacq, Directeur général adjoint de la même institution, ont émis devant la Commission l'idée d'un dispositif permettant de mettre des terrains à disposition des organismes gérant les retenues d'eau tout en en laissant la jouissance à leurs propriétaires. Leur idée serait de surinonder les zones naturellement inondables situées le long des cours d'eau, au moment des plus graves inondations et où cela gêne le moins les agriculteurs, par un système de digues, de vannes, ou d'espèces de casiers. Selon eux, «cela permettrait, de la façon la plus naturelle, la plus écologique

possible, pendant quinze jours à trois semaines tous les quatre ou cinq ans, en tirant parti de cette zone naturelle d'expansion des crues, de protéger les agglomérations en aval..

Cette formule présenterait l'avantage d'éviter aux organismes concernés d'acquérir de nombreux terrains et de perturber ainsi le marché foncier et agricole pour une utilité épisodique. Sur le plan juridique, le dispositif s'analyserait comme une servitude d'utilité publique, les propriétaires concernés étant indemnisés chaque fois qu'il serait procédé à la surinondation.

MM. Henry Wolf et Alain Jacq verraient bien se concrétiser cette idée, dans un premier temps, dans une zone dénommée La Bassée, située dans le bassin de la Seine, en amont de Montereau, vaste de 15.000 hectares, à l'heure actuelle occupée par des bourgs et des zones agricoles riches, mais aussi par des bois en déshérence et d'anciennes carrière d'extractions de matériaux

Votre Rapporteur estime cette suggestion tout à fait intéressante et espère qu'elle sera rapidement traduite dans les faits car cet outil pourrait, pour un coût modéré, être largement utilisé.

TROISIEME PARTIE : ALERTE, SECOURS ET INDEMNISATION, UN DISPOSITIF A AMÉLIORER

I. - UN DISPOSITIF D'ANNONCE DE CRUE À RÉNOVER ET À DÉVELOPPER

A.- UN DISPOSITIF INSUFFISAMMENT EFFICACE

Une alerte donnée suffisamment à l'avance est un élément essentiel d'une politique de prévention contre les inondations. Cette affirmation, indiscutable en ce qui concerne les crues méditerranéennes brutales, où l'enjeu est la vie des hommes, est également avérée pour les crues de plaine: prévenus en temps utile, les entrepreneurs peuvent évacuer ou surélever leurs machines, les particuliers mettre leurs biens à l'abri. Ainsi, en termes économiques, la rentabilité d'un bon dispositif d'alerte est certainement excellente, son coût restant très modéré comparé su montant des dégâts qu'il permet d'éviter.

Orle préalable nécessaire à une bonne alerte est un bon dispositif de surveillance des crues. Et l'examen approfondi de cette question auquel s'est livré votre Commission, notamment lors des déplacements qu'elle a effectués dans les départements récemment touchés par les inondations, la conduisent à juger insuffisant le dispositif actuel.

i. - Une extension insuffisante

Le dispositif actuel est tout d'abord insuffisant en extension. En effet, à l'heure actuelle, sur 300.000 km de cours d'eau, seuls 16.000 sont équipés en systèmes d'annonce des crues. Or ce sous-équipement ne concerne pas seulement des petites rivières calmes ou des vallés désertes. Il aboutit à laisser sans système de prévision des tronçons entiers de fleuves importants et sans protection des agglomérations situées à l'aval d'affluents capricieux. Quelques exemples permettront de prendre conscience du caractère inquiétant de cette situation.

Dans le bassin de l'Oise, tout d'abord, pourtant confié à une subdivision du service de la navigation de la Seine, le service d'annonce des crues, capable d'élaborer des prévisions à quatre jours en aval, n'a pas réussi, en décembre 1993, à respecter le délai

imparti de 24 heures pour l'alerte de la ville de Guise, le recours aux données de la station d'Hirson ne permettant de faire que des prévisions à 12 heures; encore ces 12 heures étaient-elles un progrès récent, puisque, jusqu'en 1988, il n'y avait pas de station à Hirson. Dans le même bassin, selon un rapport élaboré par la direction départementale de l'agriculture de l'Aisne à l'attention de votre Commission, «le système d'annonce de crue ne correspond pas complètement su cas du département de l'Aisne. La raison principale en est que la transmission de l'information sur la crue est plus lente que la crue elle-même.. Enfin, plusieurs affluents de l'Oise ne sont tout simplement pas équipés de points de mesure. C'est par exemple le cas de la Serre, qui se jette dans l'Oise à La Fère, et dont la crue a largement contribué à inonder copieusement cette ville et ses voisines de Chauny et Tergnier.

Dans le bassin du Rhône, la situation est encore pire, si l'on a présent à l'esprit les volumes d'eau roulés par les crues et la gravité des conséquences que peuvent avoir celles-ci. Ainsi, le rapport de la mission interministérielle sur les inondations de la vallée du Rhône d'octobre 1993 et 1994 (rapport Dambre) précise que, sur ce fleuve, la station la plus en aval équipée pour l'annonce de crue est celle de la Compagnie Nationale du Rhône à Valence. Il n'y a donc pas de station d'annonce à l'aval des confluents successifs de la Drôme, l'Ardèche, l'Eygues, la Durance et le Gard! Les auteurs du rapport en concluent que «la crue de janvier 1994 a mis en évidence l'inadaptation du système actuel à constater en temps utile une crue du Rhône provoquée par les affluents situés en aval des points de référence constitués par le réseau CNR, dont le plus au sud se situe à Valence.. Aussi proposent-ils la création d'une station supplémentaire au pont de Viviers.

Sans doute plus dramatique encore est l'insuffisant équipement de l'amont des affluents du Rhône. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, en 1992 le bassin de l'Ouvèze n'était équipé que d'une seule station d'annonce de crue... à Vaison-la-Romaine; les habitants de Vaison n'avaient donc aucune chance d'être prévenus du grossissement de la rivière en amont, alors pourtant qu'il y avait des précédents de crues dramatiques de l'Ouvèze. Sur ce point précis, on pourrait objecter que pour ces crues brutales des hauts bassins, les délais sont tels que seul un équipement en radars pourrait être efficace ; or précisément, comme l'a confirmé à la Commission M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, il y a des «trous. dans la couverture radar de la zone méditerranéenne. En fait, un seul radar météorologique installé à Nîmes surveille l'ensemble de l'arc méditerranéen, alors

qu'il en faudrait trois. On ne peut que se féliciter qu'il soit mis fin, prochainement à cette anomalie, M. Michel Barnier, ministre de l'environnement, ayant informé votre Commission que la procédure destinée à doter le Vaucluse d'un radar serait engagée en 1995. Cela étant, compte tenu des délais nécessaires à la mise au point d'un tel équipement, il ne sera opérationnel qu'en 1997...

2.- Des équipements parfois archaïques

Qui plus est, l'équipement, insuffisant en extension, l'est aussi parfois en qualité. Ainsi, alors que l'instrumentation moderne est constituée de pluviographes (pour les pluies) ou de limnigraphes (pour la mesure de l'eau dans le lit des rivières), et qu'il est techniquement possible aujourd'hui de les relier à des postes centraux pour lire en continu les mesures qu'ils fournissent, il existe encore des postes d'observation manuels; tel était du reste le cas de celui de Vaison-la-Romaine en 1992 .

Or, de tels postes ont deux défauts. D'abord, ils cessent parois d'être accessibles, et donc lisibles, pendant la crue! Ensuite, ils supposent l'existence d'astreintes frappant les fonctionnaires. Au ours des déplacements qu'elle a effectués, le système da Souvent été présenté à la Commission comme étant à la fois lourd et fragile. Lourd parce qu'il conduit à la mobilisation d'effectifs importants. Fragile parce que l'astreinte correspond à une charge de travail supplémentaire pour les fonctionnaires des subdivisions territoriales de l'Équipement, rémunérée de façon dérisoire (dans le Vaucluse, le chiffre de 125 F. par mois a été cité à la Commission).

On comprend immédiatement les difficultés qu'entraîne un tel système: d'abord, le nombre de postes d'observation est limité par le nombre de fonctionnaires de la subdivision; ensuite, l'annonce de crue, tant par son mode d'exercice que par son mode de rémunération, apparaît inévitablement à la fois comme une contrainte lourde et une tâche accessoire. Enfin, dans un contexte aussi dévalorisé, le remplacement du personnel d'astreinte absent qui revient à imposer au personnel présent des obligations supplémentaires peut devenir extrêmement difficile.

De plus, un poste manuel transmet beaucoup moins d'informations qu'un poste automatique. En temps normal, un poste manuel transmet en effet une information chaque fois que le fonctionnaire de garde y passe, soit au maximum quelques fois par jour (trois fois pour le poste de Vaison). Le poste automatique, lui,

transmet des mesures jusque toutes les dix minutes, voire moins encore.

II faut ajouter que l'argument de la sauvegarde de l'emploi ne saurait être invoqué pour justifier le sous-équipement en postes automatiques, car les réseaux les plus modernes ont un besoin impératif de conserver des observateurs de terrain, ne serait-ce que pour vérifier le bon fonctionnement des postes automatiques et les réparer en cas de besoin.

3.- Une organisation pas toujours cohérente

En matière d'annonce des crues, si, aux termes des dispositions des articles L. 131-1 et L 131-2 du code des communes, l'alerte des habitants fait partie des obligations du maire, rien ne dit que l'annonce des crues doive nécessairement relever de l'État.

Cela dit, dès la IIIe République, il est apparu aux préfets et aux services techniques placés à côté d'eux que cette fonction de prévision était indispensable et qu'eux seuls avaient les moyens de l'assurer. Ils ont donc entrepris de la créer. L'autonomie laissée à l'échelon départemental dans l'élaboration de cette fonction a cependant abouti à ce que celle-ci ne soit pas dans tous les départements confiée à la même administration: ainsi, même si, en règle générale, c'est la direction départementale de l'équipement qui assure l'annonce des crues, il arrive que ce soit la direction départementale de l'agriculture ou encore un service de navigation. L'annonce des crues sur un même fleuve peut ainsi relever, selon les départements que celui-ci traverse, et pour ainsi dire au fil de l'eau, successivement de ces trois administrations.

Il arrive même qu'il n'y ait pas de service d'annonce des crues du tout, puisqu'il n'y en a que 52 pour toute la France.

Cette confusion entraîne plusieurs conséquences fâcheuses.

D'abord, l'absence d'attribution claire de la fonction d'annonce des crues en a fait une fonction délaissée, fonction accessoire des services de l'État ou fonction oubliée par les communes ou les services départementaux, et donc fonction souvent laissée sans personnel et sans matériel, à l'écart du progrès technique qui dans ce domaine permettrait pourtant des progrès fulgurants.

Votre Rapporteur ne veut pour preuve de cette déshérence que la curieuse différence d'efficacité entre les bassins

on a l'impression que l'annonce de crues est la mieux faite là où l'eau est gérée pour une autre raison. Dans le département de l'Oise, où l'Oise est navigable et naviguée, le service de la navigation justement - de la Seine a fait de la bonne prévision; dans le bassin de la Charente, l'Institution interdépartementale, qui gère le fleuve dans un but de maîtrise des étiages pour l'irrigation, a doté celui-ci d'équipements performants; en revanche, dans les Ardennes, où la circulation sur la Meuse baisse régulièrement, l'annonce n'a pas été bonne. Par exemple, à Monthermé, le maire de la commune, au vu des prévisions peu fiables qui lui ont été transmises, n'a pas pu informer la population d'une montée soudaine, durant la nuit, des eaux du fleuve. Une bonne information aurait pu limiter considérablement les dégâts mobiliers. L'annonce de crues apparaît ainsi comme une sorte de sous-produit traité par celui qui a besoin de l'eau pour autre chose, su hasard de ses besoins.

Ensuite, ce délaissement aboutit à ce que les services qui en sont en charge soient difficiles à identifier. Car si ce que l'on pourrait appeler l'errance administrative du service d'annonce des crues ne suscite pas forcément de difficulté su sein d'un même département, tel n'est pas le cas dès que l'on sort des limites de celui-ci.

Ainsi, ce caractère erratique n'est-il sans doute pas sans lien avec l'une des difficultés actuelles de l'annonce des crues, à savoir la mauvaise intégration de Météo-France dans le système. Météo-France est un établissement public très centralisé qui n'a dans son fonctionnement que très peu de relations directes avec les services d'annonce des crues: ainsi, les deux messages d'alarme les plus graves, le message BRAM et le message ALARME, sont émis, le premier par l'un des sept centres régionaux, le second par le service central de Toulouse et adressés aux services de la sécurité civile, à charge pour ceux-ci de les répercuter à leurs interlocuteurs départementaux. Ainsi, les messages BRAM sont-ils communiqués au Centre interrégional de coordination de la Sécurité civile (CIRCOSC) correspondant su centre régional émetteur, les messages ALARME su centre opérationnel de la direction de la défense et de la Sécurité civile (CODISC). Eu égard à la longueur du circuit qui découle de cette procédure, l'information n'arrive pas toujours aux services d'annonce des crues en temps utile pour leur permettre d'en tirer profit.

M. Dominique Marbouty, Chef du département des opérations à Météo-France, s'en est expliqué par la difficulté qu'a Météo-France à trouver des interlocuteurs concernés dans des départements où les inondations sont rares, voire, lorsqu'il s'agit de petits bassins, simplement à trouver des interlocuteurs. On peut cependant penser que les services très centralisés de Météo-France préfèrent avoir pour correspondant la sécurité civile, plutôt que d'avoir à contacter directement les départements et de risquer de se faire renvoyer, dans leur quête de la cellule hydrologie, de DDE en DDA, en passant par le service de navigation.

L'organisation su sein du département semble également présenter des inconvénients dès que l'on a affaire à des rivières ou des bassins qui dépassent le cadre administratif de celui-ci. Ainsi, concernant le Rhône, les auteurs du rapport Dambre notent que .Pour les affluents du Rhône, les services d'annonce des crues dépendent pour le bassin de l'Isère de la DDE de l'Isère, pour celui de la Drôme de la DDE de la Drôme, pour le bassin de l'Ardèche de la DDE de l'Ardèche, pour les bassins de l'Ouvèze et de l'Eygues de la DDE du Vaucluse, pour les bassins de la Cèze, des Gardons, du Vidourle et du Vistre, de la DDE du Gard.»

Après avoir noté que certaines sections ne sont pas équipées d'appareils de mesure», ils tirent une conclusion sévère de cette situation : .les insuffisances de cette organisation tiennent à la fréquence des messages et aux délais trop importants entre l'émission des messages et leur réception par le destinataire final. »

On ne saurait dire plus clairement que l'organisation actuelle est facteur de confusion et de retard. De plus, on peut se demander si d'autres dysfonctionnements notés sur le bassin du Rhône, par exemple l'absence d'intégration formelle du réseau d'annonce de crue de la CNR aux réseaux des DDE et, semble-t-il, l'insuffisante association d'EDF - M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'environnement, n'ayant pas démenti devant la Commission que, par manque d'information EDF avait pu effectuer des lâchers d'eau en période de crue - ne sont pas eux aussi largement dûs à cet éparpillement.

On peut aussi s'interroger sur le rôle des directions régionales de l'environnement, dont on peut penser qu'elles devraient être aptes à centraliser l'annonce de crue. Sans préjuger de leur efficacité future (leur regroupement n'est pas encore effectif partout), on peut se demander si en matière d'annonce opérationnelle, la situation évoquée par le rapport Dambre ne risque pas de se reproduire à l'échelon administratif supérieur: certains cours d'eau traversent plusieurs régions (les DDE citées par le rapport Dambre relèvent les unes de la région Rhône-Alpes, les autres de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur) et d'autres ne traversent qu'une partie de leur région (ainsi la Charente ne passe-t-elle pas à Poitiers, chef-lieu de la région). Ces situations paraissent aussi porteuses soit de difficultés de coordination, soit de risques de délaissement.

En tout état de cause, l'analyse de l'actuelle organisation administrative de l'annonce de crue laisse incontestablement l'impression d'un certain manque de cohérence.

Extension insuffisante, matériels parfois obsolètes, structures mal reliées, votre Rapporteur est tenté de reprendre à son compte les propos tenus devant votre Commission par M. Paul-Henri Bourrelier, président de l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels au ministère de l'environnement: «Comment fonctionnent aujourd'hui les services d'alerte des crues ? Il ne s'agit pas de mettre en cause les personnes, qui font ce qu'elles peuvent, mais les modes de calculs sont restés à peu près les mêmes qu'il y a 30 ans. Le système n â pas évolué, on lui a seulement ajouté des rustines (...). Notre système d'alerte aux crues est bricolé, et n'est pas à la hauteur de ce que permet aujourd'hui la technique.

«Mais, ajoute-t-il, la situation n'est pas dramatique, car les compétences fondamentales sont là. Nous avons les hydrauliciens capables de remettre tout cela à niveau (...). Mais il faut s'organiser.

Reste à savoir comment. Votre Commission s'est donc efforcée d'identifier les améliorations qui lui paraissent indispensables dans le cadre d'une enveloppe budgétaire raisonnable.

B. .- DES AMÉLIORATIONS INDISPENSABLES ET DE COÛT RAISONNABLE

L'amélioration des équipements est une nécessité si criante qu'elle est désormais inscrite dans les priorités budgétaires de l'État. Comme l'a précisé le ministre de l'environnement en réponse à une question écrite du sénateur Louis Minetti, le 7 avril 1994, au sein du plan national de prévention des risques naturels arrêté par le Gouvernement le 24 janvier dernier, qui porte sur plus de 10 milliards de F. pris en charge à 45 % par l'État, 380 millions de F. financés à 60 % par l'État sont réservés à des plans de modernisation des systèmes de surveillance des niveaux d'eau et à la mise su point de nouveaux modèles de prévision des crues. Votre Commission se félicite de cette prise de conscience et espère que les moyens nouveaux ainsi dégagés seront utilisés pour les actions que ses travaux l'ont conduit à identifier comme prioritaires.

1.- La modernisation des dispositifs d'annonce des orages cévenols

Comme le savent tous ceux qui se préoccupent de ces questions et comme l'ont confirmé à la Commission notamment MM. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'environnement et Henri Legrand, chargé de mission pour les risques majeurs au ministère de l'environnement, seul le radar permet de défendre certaines agglomérations contre les crues de type cévenol à l'occasion desquelles des hauteurs pluviométriques très importantes se déversent dans un délai très court sur une surface relativement limitée. Dans de tels cas de figure, si l'on attend de pouvoir mesurer l'eau dans le cours d'eau, il est souvent trop tard. Le radar, même s'il ne permet pas toujours, pour les zones les plus exposées, de gagner plus d'une heure de temps dans la détection de l'orage porteur de catastrophe, s'avère néanmoins le seul recours possible. Cette considération vaut par exemple pour la ville de Nîmes.

Or il faut bien avoir conscience que lors de ce type de crue, le retard dans l'alerte est porteur de mort: la crue de l'Ouvèze en 1992 a fait 37 morts et 5 disparus; l'inondation de Nîmes en 1988 en a fait 9 et aurait pu en causer infiniment plus si elle était survenue de nuit.

Aussi votre Rapporteur considère-t-il qu'il faut impérativement, et le plus tôt possible, achever la couverture radar des zones menacées. En effet, actuellement, cette couverture n'est pas complète. La France est aujourd'hui à peu près équipée en radars pour la prévision météorologique habituelle. Mais si pour ce travail les radars ont une précision utile de 150 km, en revanche, pour détecter effectivement les pluies, la portée utile n'est plus que de 80 km à 100 km. Cette différence crée des trous, qu'il faut combler.

Votre Rapporteur a pris note avec le plus grand intérêt de la décision de porter les crédits de l'Etat de 18 à environ 25 millions de F. pour permettre au ministère de l'environnement et à Météo-France de financer les quatre radars dont l'implantation est la plus urgente dans le cadre de la protection de l'arc méditerranéen.

Il croit cependant qu'il serait erroné de s'en tenir là. Le système de détection ne se limite pas aux radars. Ainsi, la météorologie utilise actuellement en complément le système Météorage, qui détecte les impacts entre les nuages et le sol. Les progrès techniques ont également donné naissance à un autre système, dénommé Safir. Selon les propos de M. Dominique Marbouty, chef du département des opérations à Météo-France, le système Safir est plus performant que le système Météorage dans la mesure où il détecte non seulement les impacts entre les nuages et le sol, mais aussi les foudroiements internes aux nuages eux-mêmes; Météo-France l'utilise déjà à titre de test en Ile-de-France. Selon M. Dominique Marbouty, le système Safir permet de gagner un quart d'heure à une demi-heure en termes de prévision par rapport au système Météorage actuellement utilisé; cela étant, l'intérêt du système est limité aux cas dans lesquels des impacts intra-nuages précèdent des impacts au sol, ce qui ne se produit pas nécessairement.

D'après les informations de votre Rapporteur, Safïr, pour couvrir toute la région sud-est, coûterait un peu moins cher qu'un seul radar, soit 6 millions de F. Un tel système n'aurait à l'évidence guère d'utilité en Ile-de-France, en revanche, l'intérêt qu'il présente pour la détection des crues de type cévenol eu égard aux enjeux vitaux de la précocité de l'alerte paraît très réel, et votre Rapporteur souhaite que la réflexion sur les possibilités offertes par Safir dans certains contextes particuliers soit activement poursuivie.

Enfin, selon les propos de M. Dominique Marbouty lui-même, Météo-France a le projet de couvrir le territoire français avec 600 stations automatiques de captage, dispositifs qui complètent le radar et dont les données, croisées avec les mesures du radar, permettront de faire de bien meilleurs calculs des lames d'eau sur les bassins. Les auteurs du rapport Dambre sur les inondations du Rhône, tout en soulignant que le risque .zéro» n'existe pas, considèrent eux aussi cet équipement comme indispensable. Votre Rapporteur souhaite que ce projet, dont il mesure tout l'intérêt, soit effectivement mené à bien.

Pour conclure sur cette question, votre Rapporteur tient à faire remarquer que, dans les régions méditerranéennes, les systèmes représentatifs des progrès constamment réalisés par la météorologie, compte tenu de leur prix modique par rapport aux enjeux qui se comptent en vies humaines, doivent profiter à la prévision des crues et y être installés sans hésitation.

2.- La modernisation des dispositifs d'annonce des crues de plaine

L'enjeu de la modernisation de l'annonce des crues de plaines et de plateaux est moins vital que dans le cas des orages cévenols. Il reste que la faiblesse de l'équipement des rivières en systèmes d'annonce et l'archaïsme de certains d'entre eux justifient, là aussi, un vigoureux effort d'équipement, dont la nécessité, on l'a vu, a été reconnue par l'État à travers les décisions récemment prises en ce qui concerne l'affectation des crédits.

De plus, l'actuel sous-équipement paraît d'autant plus incompréhensible que, d'après les informations obtenues par votre Rapporteur, le coût des stations de mesures n'est pas très élevé.

Ainsi, pour améliorer le système d'annonce de crues sur le bassin de l'Oise, le service de la navigation de la Seine prévoit-il d'ajouter dans la partie amont du bassin deux pluviographes grâce auxquels les prévisions à Guise pourraient enfin être portées à 24 h ou 36 h, et huit limnigraphes sur l'Oise et plusieurs affluents. Le devis pour ces équipements, tel qu'il a été présenté par le service de la navigation de la Seine au ministère de l'Environnement et accepté par celui-ci, s'élève à 900.000 F., le coût d'un limnigraphe étant de 80.000 F. et celui d'un pluviographe de 35.000 F. Ces chiffres sont à comparer avec le montant des dégâts occasionnés par la crue de l'Oise de l'hiver 1993-1994, qui, pour le seul département de l'Aisne, ont été évalués à 640 millions de F. Le prix de l'équipement est dans un tel cas manifestement dérisoire par rapport à la valeur des biens qu'il permet de protéger.

Pour citer un autre exemple, la mise en place à partir de 1984, dans le bassin de la Charente, d'un réseau automatisé d'annonce des crues s'est traduit, pour 4 millions de F., par l'installation sur le bassin du fleuve d'une vingtaine de points de télémesure automatisés (pluviographes ou limnigraphes) reliés à un système central, dont 13 exclusivement réservés à l'annonce des crues.

En outre, alors même qu'ils ne représentent que des sommes modiques, les systèmes automatiques permettent également d'atténuer les archaïques astreintes des postes manuels et facilitent ainsi l'élargissement de la couverture des bassins par l'annonce de crue.

De plus, eux seuls rendent possibles tant la multiplication des mesures, aussi bien dans le lit des rivières qu'à l'amont, via l'installation de pluviographes et de capteurs automatiques, que le traitement plus rapide de celles-ci grâce aux liaisons automatiques entre le réseau de captage et un poste central.

Enfin, eux seuls permettront également de tirer profit, en période de crue, de la modélisation des cours d'eau qui, on l'a vu, constitue un outil fondamental de la prévention: l'intégration en temps réel dans le modèle des mesures collectées permettra en effet une annonce de crue à la fois plus fine, plus rapide et plus suivie.

Aussi n'est-il pas étonnant qu'au cours de tous les déplacements qu'elle a effectués, la Commission n'ait entendu parler les services techniques d'annonce des crues que modernisation, automatisation, liaisons en temps réel, modélisation et traitement informatique. Une telle modernisation, par l'efficacité et les facilités qu'elle donne à ces services, est pour eux un projet très motivant. Eu égard à l'utilité de cette entreprise et à la modicité relative de son coût, votre Commission estime qu'elle mériterait sans conteste d'être lancée.

3.- Une nouvelle organisation des services

Comme on l'a vu, la dispersion des services d'annonce des crues explique le fait que le système de prévision soit délaissé et fonctionne mal, notamment parce qu'elle rend difficile l'intégration des prévisions météorologiques. Une certaine clarification est donc nécessaire.

a. - La clarification des responsabilités

I1 faut d'abord opérer une clarification des responsabilités. L'annonce des crues relève aujourd'hui des services de l'État, sans être pour autant revendiquée clairement par celui-ci. Or les catastrophes de Nîmes et de Vaison-la-Romaine montrent

qu'il s'agit bien là de sécurité civile. Pour votre Rapporteur, la cohérence de l'action de l'État en matière de sécurité civile suppose une affirmation claire du principe selon lequel l'annonce des crues est une mission de l'État.

De fait, l'organisation du dispositif d'annonce de crues est entièrement conçue en vue de l'information du préfet qui décidera s'il déclenche ou non la mise en alerte des maires; le maire lui-même est responsable de l'alerte de ses administrés en qualité d'agent de l'État; enfin, si l'alerte est déclenchée trop tard, le préfet sera nécessairement amené à mettre en _uvre le plan ORSEC qui fait de lui le responsable des secours.

Ainsi est-il souhaitable que l'annonce de crue soit réaffirmée comme mission de l'État. De ce, point de vue, votre Rapporteur prend acte avec satisfaction des déclarations en ce sens faites devant votre Commission par M. Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire, ainsi que par M. JeanLuc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement. Il prend également acte de la prise de conscience que traduisent la sensible revalorisation des crédits que l'État a décidé de consacrer au système d'annonce de crues.

b. - Une organisation plus souple et plus ramassée de la gestion des cours d'eau...

Autant le cadre départemental et la centralisation par la protection civile paraissent convenir pour toutes les procédures conduisant à l'alerte, depuis la lecture de la cote jusqu'à l'information du préfet, autant on peut se demander si, en amont, il est bien raisonnable de s'en tenir au découpage administratif.

En effet, la modélisation des cours d'eau et l'installation des systèmes d'alarme automatisés sur l'ensemble d'un bassin demandent des moyens qui paraissent excéder ceux de la cellule hydraulique d'une direction départementale de l'équipement ou de l'agriculture.

De fait, votre Commission, lors de ses déplacements, a nettement eu l'impression que les projets de modernisation, d'équipement des cours d'eau en systèmes automatiques de mesure et de modélisation de leur cours, sont les plus avancés là où une équipe prend en charge la totalité du cours d'eau.

Il lui a semblé par exemple que sur le bassin de l'Oise, le service de la navigation de la Seine développait des projets de modélisation et de gestion intégrée d'un grand intérêt.

En ce qui concerne la Charente, outre la présence d'une DIREN à Poitiers, et bien sûr l'action des élus locaux, votre Rapporteur se demande si le maintien d'un service hydraulique centralisateur à Angoulême, compétent pour la totalité du cours de ce fleuve aussi bien en Charente qu'en Charente-Maritime, n'a pas été pour quelque chose dans son équipement précoce.

De même, s'agissant du Rhône, votre Rapporteur a noté avec intérêt que le rapport Dambre préconise, pour lutter contre les effets nocifs de la dispersion des informations, la désignation d'une direction départementale de l'équipement centralisatrice, dont il pense que ce devrait être celle du Vaucluse ainsi qu'une modernisation du système d'annonce.

Ainsi, il apparaît assez clairement qu'au maintien du cadre départemental pour la procédure administrative débouchant sur l'alerte des maires s'oppose une gestion de l'équipement et de la surveillance plus calquée sur le cours des fleuves.

Bien entendu, ce cadre de gestion ne suppose pas forcément une nouvelle structure ou l'éclatement des anciennes; ainsi, la direction départementale de l'Agriculture de Vaucluse a-telle mis en place avec l'appui du préfet, deux tours de table, l'un avec les autres services du département intéressé par les crues (DDE, DDASS), l'autre avec les intervenants plus éloignés (DIREN, services chargés des rivières dans les départements voisins faisant également partie du bassin du Rhône, agence de l'eau. Gérés par le même haut fonctionnaire de la DDA de Vaucluse, ils ont permis de mettre en place une organisation cohérente et planifiée de la gestion des aménagements de l'eau dans le bassin.

D'autres éléments encore incitent à un certain regroupement: il s'agit des relations d'une part avec Météo-France, d'autre part avec EDF ou la Compagnie nationale du Rhône.

On l'a vu, le fait que ces intervenants ne soient pas intégrés au dispositif de gestion des cours d'eau est dû principalement à la dispersion des services hydrologiques. Météo-France se préoccupe actuellement de transmettre chaque jour des bulletins de précipitations directement aux services d'annonce de crues. Mais encore faut-il que ces services soient suffisamment

équipés pour pouvoir les intégrer dans leurs prévisions et suffisamment identifiables pour que Météo-France les perçoive comme interlocuteurs.

Enfin, on citera pour mémoire les propos tenus devant la Commission par M. Paul-Henri Bourrelier, président de l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels au ministère de l'industrie, sur la compétence hydraulique en France: «A mon avis, on est dans un système d'emiettement et donc de dissolution de la compétence technique en matière d'hydraulique. (...) Nous ne disposons pas aujourd'hui dyne /force scientifique et technique en matière hydraulique. Il /faut absolument les moyens de reconstituer un outil suffisant (...) le CNRS, dans son rapport d'orientation quinquennal, a signalé la faiblesse en hydraulique.»

II est certain que la création de pôles de compétences plus forts que les actuelles cellules .hydraulique. des DDE ne peut avoir que des effets bénéfiques sur les compétences en hydraulique, tant par la concentration des esprits que par la possibilité de constituer des « interlocuteurs valables. pour les météorologues.

c. - qui respecte les structures /finales d'annonce et d`alarme

Une telle organisation plus ramassée entraîne, certes, une sorte de rupture entre l'organisation de la gestion des fleuves et celle de l'annonce des crues en vue de laquelle elle existe.

Aussi convient-il de veiller à ce qu'elle n'emporte pas de difficultés opérationnelles, ce que permet l'évolution des techniques. Ainsi, dans le cas de la Charente, ce sont les services hydrologiques de l'État et du département de la Charente qui ont conduit, et continuent à conduire, les études techniques; celles-ci ont abouti à un important équipement du cours d'eau et les données captées sont transmises à un ordinateur central à Angoulême. Il a suffi de relier celui-ci à un ordinateur équivalent en Charente-Maritime pour que le service d'annonce des crues de ce département dispose en même temps que celui d'Angoulême, donc en temps réel, des mêmes informations. Cet exemple montre que la prise en charge par un service centralisateur qui, semble-t-il, permet seule la modernisation et le renforcement de l'efficacité de la gestion du fleuve et de l'annonce des crues, n'est pas incompatible avec le maintien de l'annonce des crues sous forme de service intégré à l'échelon départemental.

En conclusion, votre Commission considère donc que les services d'annonce de crues ne bénéficient ni de la meilleure organisation possible, ni même des moyens dont la technologie moderne leur permettrait de disposer, et que le coût de leur modernisation est modeste par rapport aux avantages qu'elle peut comporter.

Elle estime aussi qu'une gestion efficace des fleuves et de leurs crues suppose une organisation moins strictement départementalisée qu'actuellement, mais qu'une nouvelle organisation peut rester compatible avec l'organisation départementale de l'annonce de crues, qu'elle rend plus efficace. Elle souhaite que ce processus de modernisation et de réorganisation soit enclenché rapidement.

II. - CONFORTER LE DISPOSITIF D'ALERTE

Le système d'annonce de crue, qui consiste à capter puis traiter l'information, peut aboutir le cas échéant à proposer le lancement d'une alerte. L'efficacité du dispositif d'alerte peut s'apprécier en fonction de plusieurs critères. Le premier est le cheminement du message, qui doit être rapide et sans encombre. Le second concerne le contenu de ce message: est-il clair et donne-t-il à son destinataire les informations de nature à lui permettre d'agir efficacement? Une fois l'alerte déclenchée, la question se pose de savoir si les élus et la population sont correctement tenus au courant de l'évolution de la situation, comme ils en ont le souhait légitime. Enfin se pose la question particulière de l'alerte dans des délais très brefs, de l'ordre d'une heure ou moins, pour laquelle les solutions envisageables conduisent à bousculer la totalité du dispositif normalement applicable.

A. - L' ALERTE A LA MONTÉE DES EAUX

1. .- Le système et son déclenchement

Le dispositif réglementaire organisé par l'arrêté du 27 février 1994 relatif à la réorganisation de l'annonce de crue et à la transmission des avis de crue, prévoit quatre étapes pour la mise en alerte.

Dans un premier temps, le service d'annonce, en fonction du niveau atteint par l'eau, se met en état de vigilance; selon les textes, cet état est caractérisé par la .situation dans laquelle le service doit être à même d'alerter le préfet sur le risque d'une crue dommageable et de l'informer pendant le déroulement de celle-ci.»

L'étape qui suit l'état de vigilance est la mise en pré-alerte. Celle-ci concerne les services chargés de la transmission des avis de crues (personnels des services d'incendie et de secours, militaires des brigades de gendarmerie, fonctionnaires de la police nationale, de la protection civile et des PTT, et, .consiste à ce que les moyens en personnel et en matériel nécessaires à l'application du règlement départemental soient tenus prêts pour diffuser le message d'alerte et informer les maires. y

La troisième étape est la mise en alerte de ces services, de façon à .donner aux préfets les moyens permettant d'effectuer la transmission du message d'alerte jusqu'aux maires, et à transmettre ce message ·.

En pratique, pour chaque station d'annonce de crue, trois cotes d'eau sont définies, correspondant à ces trois états; il y a ainsi une cote d'état de vigilance, une cote de pré-alerte et une cote d'alerte. Cela dit, la décision effective de mise des services en état de pré-alerte ou d'alerte relève du préfet.

A l'occasion de ces trois étapes, il n'y a à priori pas de difficulté de transmission: les messages, élaborés par le service d'annonce des crues au vu des informations qu'il a recueillies, sont transmis au préfet qui décide ou non de les diffuser à ses services, lesquels se mettent alors dans la configuration administrative prévue.

La phase décisive est en fait la suivante, celle de l'alerte des maires par les services. En effet, aux termes du code des communes, c'est aux maires que revient la tâche d'avertir leurs administrés du danger.

A ce propos, votre Rapporteur voudrait insister sur trois points.

Tout d'abord, personne parmi les nombreux responsables, fonctionnaires ou élus, rencontrés par la Commission, n'a mis en cause les principes sur lesquels est fondée cette chaîne d'alarme, dans laquelle la décision de la irise en alarme relève du préfet et la responsabilité de l'alerte est du domaine des maires. Les seules objections, venant généralement des maires ruraux, concernent leur rôle dans l'organisation des secours, mais c'est une autre question.

Le fait que les maires assument cette responsabilité pose un problème irritant, notamment dans le Midi, celui de l'autonomie de Météo-France par rapport su système traditionnel d'alarme et, finalement, de la non-équivalence entre l'alarme et la prévision. En effet, Météo-France est organisé en centres départementaux, dont la mission est de prévoir le temps à l'échelle du département, donc avec une localisation devant permettre une alarme suffisamment sûre, et en centres régionaux, diffusant des bulletins météo à une échelle qui, régionale, n'est pas forcément, la meilleure pour servir de base à une alarme locale. Or, seuls les centres régionaux assurent une permanence de nuit, si bien qu'à certains moments, la prévision est exclusivement régionale. C'est ainsi que peuvent être élaborés des messages BRAM prévoyant des orages de 20 à 200 mm pouvant tomber quelque part sur un espace couvert par quinze départements.

De tels messages sont donc diffusés à la protection civile et aux centres de secours et, eu égard à leur nature, aux maires. Ceux-ci, qui ne sont pas des spécialistes en météorologie, se sentent de ce fait désignés comme responsables, prennent des mesures et alertent la population, voire l'évacuent pour peu que soit survenu peu de temps auparavant un épisode dramatique, avant de constater que rien ne se produit. Tant les services de la protection civile que les pompiers et les maires se plaignent de telles situations, auxquelles il apparaît nécessaire de remédier.

On pourrait ainsi envisager que soit instaurées des astreintes de nuit des centres départementaux méditerranéens en période difficile (de septembre à novembre), à condition bien sûr que soit résolue la question des effectifs. Lors du déplacement de la Commission dans le Vaucluse, une collaboration avec les bases aériennes militaires, un équipement en écrans de lecture des sapeurs-pompoiers ont aussi été envisagés. En tout état de cause, un dispositif doit être mis en place pour affiner les BRAM régionaux de façon à donner une alarme à meilleur escient.

Mise à part cette question, qui a une grande importance pour les maires des régions méditerranéennes, les dernières crues

ont révélé d'inquiétantes difficultés, moins dans les procédures d'alerte des maires que dans l'équipement qui y est affecté.

En effet, selon les propos tenus devant la Commission par M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, certaines préfectures, même en mobilisant toutes les standardistes disponibles, ont eu du mal à prévenir tous les maires concernés dans les temps.

Par ailleurs, une fois l'alerte donnée, c'est, aux termes de la réglementation en matière d'annonce des crues, aux maires qu'il appartient de se tenir informés en appelant un répondeur alimenté par les services préfectoraux; or, le matériel dont sont actuellement dotées les préfectures est âgé d'une dizaine d'année, et il semble qu'il soit arrivé qu'il tombe en panne.

Sur ces deux questions, votre Rapporteur a cependant l'impression que l'administration a pris conscience des difficultés ainsi posées et qu'elle cherche à les résoudre. Dans les services, votre Commission a rencontré des fonctionnaires' qui cherchaient à se doter d'un matériel plus moderne. M. Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, entendu par elle, a pour sa part déclaré que les préfectures allaient prochainement être équipées d'un nouveau système, moderne et informatisé, lequel permettra la diffusion de l'alerte aux maires des communes menacées et leur information sur l'évolution des crues, et qu'après essai pendant l'automne, le matériel définitivement retenu serait installé à partir de 1995.

Votre Rapporteur ne peut que se réjouir de cette solution qui écarte un risque dont les conséquences pourraient s'avérer dramatiques.

Par ailleurs, le Président de votre Commission a posé à M. Charles Pasqua la question de certaines communes rurales dont les mairies ne sont pas équipées du téléphone. Il s'agit certes de mairies de toutes petites communes, mais il est très fâcheux qu'elles soient très difficiles à prévenir en cas d'urgence, pour peu que le maire n'ait pas non plus personnellement le téléphone. M. Charles Pasqua, sans proposer immédiatement de solution, a cependant assuré la Commission que le problème serait étudié.

Ainsi, la chaîne d'alerte semble avoir fonctionné de façon contrastée selon les départements. Il est indispensable de remédier d'urgence, là où le besoin s'en est fait sentir, aux défauts matériels et d'organisation qu'elle présente.

2. - Le contenu des messages

Le contenu de l'information semble en revanche parfois susciter de façon récurrente un certain nombre de difficultés. Les remarques et les plaintes des maires sur la qualité et la teneur de l'information transmise amènent votre Commission à formuler plusieurs remarques et suggestions.

La première concerne le libellé du premier message d'alerte lui-même. Le message consiste à annoncer que la cote d'alerte est dépassée. Comme l'a fait remarquer à la Commission l'un des responsables de l'annonce des crues dans le département de l'Aisne, ceci est sans doute trop sommaire. Ainsi, dans ce cas précis, la cote d'alerte a été dépassée deux fois en une dizaine de jours. Or la première crue dans la station la plus en amont était de 2,5m , la seconde de 4,14 ni; les services étaient donc informés de l'existence d'une crue beaucoup plus importante. Néanmoins, le message était exactement le même dans les deux cas, se bornant à indiquer que la cote d'alerte était franchie.

Cette opinion est confortée par celle du colonel des sapeurs-pompiers de ce département, qui dit avoir constaté, dans la vallée de l'Oise, que l'accoutumance des habitants aux alertes répétées s'était traduite par la faiblesse du nombre d'évacuations anticipées, voire par des refus d'évacuation ; pour lui aussi, il faudrait donc réfléchir à un meilleur dispositif de sensibilisation des populations aux alertes graves. Son collègue de l'Oise a, lui, tourné la difficulté en solennisant le message d'alerte pour le crédibiliser

ainsi, son envoi aux centres de secours situés sur les rives a-t-il été accompagné de consignes opérationnelles et de messages appuyés aux chefs de centres; s'agissant des maires, il a été décidé de leur faire remettre le message en mains propres par des sapeurs-pompiers.

Tout ceci conduit votre Commission à penser que l'administration devrait réfléchir à un dispositif permettant de caractériser l'alerte au-delà d'une certaine gravité prévisible.

Cette question ne constitue toutefois qu'un aspect particulier du problème plus large de la clarté et de la lisibilité du message.

Au cours de ses déplacements, votre Commission a pu se rendre compte que le libellé des messages était loin de toujours satisfaire les maires. M. Jean-Luc Laurent, déjà cité, considère, lui, qu'il ne faut pas trop simplifier les messages, car les industriels, par exemple, ont besoin d'informations détaillées. Notre collègue Michel Vuibert ne partage pas ce point de vue, estimant que la lecture des messages est généralement impossible: quelqu'un qui sait quelle est la hauteur d'eau correspondant à une cote 100, est bien incapable de savoir qu'à une cote 107, le niveau d'eau serait plus élevé de 93 cm!

En fait, il semble à votre Commission que la question n'est pas tant celle de la brièveté ou de la complexité des messages, mais celle de leur degré d'élaboration.

Elle a ainsi par exemple entendu de nombreux maires demander que les messages soient libellés non en hauteur d'eau dans les fleuves mais en cote d'altitude, dite cote NGF -nivellement général de la France - de façon à permettre à leurs services techniques de travailler à partir des cartes IGN de la commune pour déterminer quels seraient les quartiers touchés. Dans l'Oise du reste, les messages ont été modifiés au cours de la crise pour exprimer la cote à la fois en hauteur d'eau et en niveau NGF.

Dans cette optique, le travail qui lui a paru le plus intéressant est celui que le service de la navigation de la Seine est en train d'achever dans le département de l'Oise. Il s'agit d'établir pour chaque commune inondable un document sur lequel figurent l'une en face de l'autre la hauteur d'eau atteinte à la station de mesure et les conséquences pour la commune. En cas de crue, ses élus pourront ainsi instantanément et précisément, à la lecture de la hauteur d'eau, savoir quelle partie de la commune est menacée et dans quelle proportion, et, ainsi, décider en connaissance de cause des précautions à prendre.

Cet exemple montre aussi à quel point la communication en période de crise est une entreprise de longue haleine, et met en lumière l'importance du travail préalable pour parvenir à la rédaction, au moment de la crise, de messages à la fois facilement compréhensibles et suffisamment signifiants.

3.- L'information sous le régime d'alerte

Le déclenchement de la mise en alerte des maires, et donc des populations, ouvre une période où la vie se focalise sur l'information relative su danger et sur la lutte contre celui-ci. La diffusion régulière d'informations sûres et utilisables est donc une tâche essentielle pour les services. Bien sûr, il faut distinguer l'information à l'usage des maires, responsables des secours, et celle destinée au public.

a. - L'Information des maires

L'arrêté du 27 février 1984 fiait obligation aux maires, une fois l'alerte déclenchée, de s'informer auprès d'un numéro d'appel (répondeur) qui leur a été donné et qui est alimenté en informations par les services de l'État. En pratique, outre cette information par répondeur, les services ont parfois aussi fait parvenir des messages aux maires par télécopieur ou encore fait fonctionner un serveur minitel à leur attention.

Au vu des informations recueillies par la Commission, les principales difficultés rencontrées, notamment lors des inondations de l'hiver dernier, semblent avoir été les suivantes.

En règle générale, l'information diffusée par le biais des répondeurs téléphoniques est jugée trop schématique. Les maires qui ont besoin d'informations précises relatives à leur commune, se sont donc tournés vers les services, alors que l'équipement en répondeurs avait pour but d'éviter cela. Certaines préfectures ont mis en place une cellule spécifique pour leur répondre, d'autres les ont laissé appeler les services d'annonce de crue, dont le standard a parfois sauté.

Il est aussi arrivé que l'information soit trop lente. Ainsi, un service d'annonce de crue avait entrepris de communiquer tous les jours aux maires par télécopie les prévisions de hauteurs d'eau de la veille pour le lendemain. Mais comme l'information transitait par la Protection civile, les maires n'en avaient connaissance que dans la soirée, ce qui les amenait, là encore, à téléphoner directement aux services d'annonce de crues.

De ce fait, aux yeux des maires, l'information a pu paraître trop difficile à obtenir, insuffisamment précise et travaillée, et insuffisamment rapide. Les maires de deux villages - Warcq,

dans les Ardennes, et Courcoury, en Charente - ont ainsi expliqué à votre Commission comment, faute d'informations assez complètes de la part des services de l'État, ils téléphonaient eux-mêmes chaque jour à la préfecture, puis dans des communes situées en amont de la leur, sur le fleuve même ou sur un affluent, pour élaborer eux-mêmes leurs prévisions, se transformant ainsi en service d'annonce de crues individuel, remarquablement équipé en moyens de transmissions !

La difficulté de fournir une annonce sûre mais aussi automatisée (les services d'annonce de crues ne peuvent pas se laisser totalement mobiliser par la fourniture d'informations individualisées) et facile à consulter n'a pas échappé aux services d'annonce de crues.

Certains services, tel le service de navigation de la Seine, ont élaboré un serveur minitel réservé aux maires, ce moyen de communication permettant de fournir des informations beaucoup plus nombreuses et précises qu'un répondeur.

Il semble cependant que la meilleure solution réside là aussi dans la diffusion sans intermédiaire des informations captées par les systèmes intégrés, en cours d'élaboration, de gestion des rivières et d'annonce des crues. Il est vraisemblable en effet que leur puissance de traitement permette la communication de données claires et utilisables, à condition bien sûr que des programmes soient conçus à cette fin.

Pour conclure sur ce point, votre Commission porte donc une appréciation mitigée sur l'information des maires pendant la crue. Elle constate que des progrès sont néanmoins en cours et, surtout, que des progrès décisifs sont possibles à condition, une fois de plus, que l'on procède à l'indispensable modernisation du réseau d'annonce.

b. - L'information des populations

L'information du public est aussi l'une des tâches des services pendant la période d'alarme; bien qu'elle n'ait pas l'intérêt opérationnel de celle des maires dans la mesure où elle n'est en principe pas destinée à fournir des éléments pour une réaction immédiate au danger, elle est néanmoins très importante, notamment parce qu'une population convenablement avertie se rangera plus facilement aux arguments des sauveteurs. Cette question n'est d'ailleurs pas spécifique aux inondations, elle relève de la politique de communication de crise en général.

Votre Commission a pu constater, d'après les informations recueillies au cours de ses déplacements, que durant les dernières inondations, les préfets avaient généralement eu à c_ur d'assurer une bonne information des populations, su moyen de points de presse quotidiens et de conventions avec la presse et les radios locales. Ainsi, dans les Ardennes, une radio locale de Bogny-sur-Meuse a apporté une aide appréciable en tenant les populations régulièrement informées. La communication par le biais des radios locales n'est toutefois pas toujours si facile que l'on pourrait le penser car elles sont de plus en plus souvent intégrées dans des réseaux nationaux.

Enfin, des répondeurs, dont les messages pouvaient être renouvelés deux à quatre fois par jour, et des serveurs minitel ont parfois été mis à la disposition du public afin de lui permettre d'obtenir facilement des informations sûres et à jour. Ces initiatives paraissent avoir eu un grand succès, si l'on en juge par l'exemple de la Compagnie nationale du Rhône, qui avait mis à la disposition du public un serveur minitel présentant les cotes dans ses diverses stations, et dont le standard a sauté ! Lors de l'audition de M. Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, le Président de votre Commission a attiré l'attention sur l'intérêt de mettre en place, auprès des cellules de crise installées dans les préfectures, des standards téléphoniques de type «numéros verts, auprès desquels les populations concernées pourraient recueillir en temps réel des informations fiables et précises, car il a été constaté que, dans de nombreux cas, des rumeurs infondées avaient contribué à inquiéter inutilement les habitants. Le ministre d'Etat a accueilli cette proposition avec intérêt.

B.- L'ALERTE D'EXTRÊME URGENCE

Le caractère dramatique des événements de Nîmes et de Vaison-la-Romaine, la brutalité et la rapidité de la catastrophe, ont fait naître l'idée que, pour se défendre de tels événements, il faudrait créer des procédures d'alerte d'extrême urgence.

Ont ainsi été évoqués des systèmes d'alerte directe de la population, ou des dispositifs de sirènes court-circuitant l'ensemble du système traditionnel d'annonce et d'alerte.

Votre Rapporteur s'interroge sur le point de savoir si mis à part le cas des campings dont il est facile de sensibiliser les occupants lors de leur arrivée - de tels systèmes seraient vraiment opérationnels, car ils supposent un très grand entraînement de la population. Selon M. Bertrand Munch, sous-directeur de la prévention et des plans de secours à la direction de la Sécurité civile du ministère de l'Intérieur, « même une information complète sur les risques technologiques au moyen de brochures et de conférences n'a qu'un taux de pénétration et de durée très limité auprès de la population. Des enquêtes ont ainsi démontré qu'au bout d'un an et demi, les deux tiers de la population ont presque oublié l'existence du risque.

Or, quelle que soit leur gravité, les événements pour lesquels il pourrait être envisagé de mettre en _uvre une alerte exceptionnelle ont une fréquence de renouvellement au même endroit plus que centennale.

Sur ce sujet, le rapport que le Conseil général des Ponts et chaussées a consacré aux crues et inondations du 22 septembre 1992 dans les départements de Vaucluse, de la Drôme et de l'Ardèche évoque une autre piste: .les caractéristiques des inondations dans la partie supérieure des fleuves ou rivières méditerranéens impliquent des procédures d'alerte et de secours spécifiques, permettant d'informer très rapidement les quelques acteurs de terrain très impliqués. Une réflexion doit être menée pour aboutir à une procédure normalisée efficace..

Si l'on comprend bien le sens de ces propos, il ne s'agit que d'une accélération du système actuel d'information des acteurs de terrain, au moyen, peut-on supposer, d'un système d'astreinte.

Autrement dit, il s'agit d'une simple procédure accélérée, Météo-France, ou bien les services de l'Etat mis en alerte par des bulletins météo BRAM ou ALARME, prévenant par exemple directement le maire. Dans ce dernier cas, on retrouve au bout du compte le dispositif habituel, la population n'étant, elle, prévenue qu'à travers l'action des .acteurs de terrain très impliqués..

Si l'on veut s'inspirer d'une expérience effective, la ville de Nîmes, après l'événement du 3 octobre 1988, a réagi d'une part en engageant des travaux de prévention contre le ruissellement, d'autre part, en matière d'alerte, en décidant de s'équiper en matériels de mesure des phénomènes pluvieux (système Noé) et orageux (système Calamar) et d'élaborer des tours d'astreinte municipaux. Son parti a donc été de se doter de moyens permettant de gagner du temps pour prévenir les populations dans le cadre d'une alarme somme toute classique, seuls les services ayant une obligation de vigilance.

Cette approche rejoint celle du rapport du Conseil général des Ponts et Chaussées évoqué ci-dessus et paraît finalement réaliste, car, à bien y réfléchir, il parait difficile d'imaginer un système totalement hors norme permettant de mettre la population à l'abri du risque.

Votre Rapporteur en vient donc `à se dire que les progrès les plus utiles à réaliser se situent d'abord dans le domaine de la précocité de la détection, à travers l'affinement croissant de la prévision météorologique. L'impossibilité pratique d'une alarme d'extrême urgence hors norme renvoie ainsi à la nécessité, qu'il rappelle avec force, d'accroître les équipements et les moyens de la prévision et de la détection évoqués précédemment.

En conclusion, votre Commission constate que si la gestion du dispositif de mise en alerte ne semble pas appeler de critiques graves, en revanche le dispositif d'information des maires est perfectible, d'autant plus que l'évolution des connaissances et des techniques semble permettre de gros progrès, que les services gestionnaires de l'annonce des crues sont prêts à mettre en _uvre. Elle souhaite donc que leur soient accordés les moyens nécessaires pour y parvenir. S'agissant de l'alerte aux orages cévenols, elle rappelle qu'on ne saurait la séparer de l'amélioration du dispositif de prévision et de détection, pour lequel, là aussi, l'enjeu central est une indispensable amélioration de l'équipement.

III. - RENFORCER L'EFFICACITÉ DES SECOURS

A. - AMÉLIORER LE DISPOSITIF DE COMMUNICATION ET LA CHAÎNE D'INFORMATION

L'expérience des catastrophes survenues au cours des dernières années montre que, globalement et sous réserve de lacunes constatées ici et là, le dispositif français d'organisation des secours fonctionne bien. Selon M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, «la mobilisation des secours a été totale et rapide (...). La complémentarité des moyens de l'Etat a montré sa pleine efficacité».

Ce bilan positif tient d'abord à l'unité de commandement soulignée par tous les interlocuteurs de la Commission. Dès le déclenchement d'un plan d'urgence départemental ou du plan ORSEC, le maire est dessaisi de ses pouvoirs en matière d'organisation des secours au profit du préfet qui devient alors la seule autorité compétente pour gérer la crise. Son autorité s'étend à tous les moyens de secours publics et privés, le centre opérationnel de la direction de la sécurité civile le CODISC travaillant en étroite liaison avec lui. Au sommet, les services de la sécurité civile attribuent les moyens nationaux entre les départements sinistrés, cet arbitrage ayant été effectué, de l'avis de tous, dans de bonnes conditions lors des inondations de l'hiver dernier.

L'expérience acquise lors des précédentes inondations le caractère répétitif de ces catastrophes a su moins cet avantage a également joué un rôle très positif, en permettant aux responsables des secours d'améliorer leurs dispositifs d'intervention. Il est indéniable que, grâce au .retour d'expérience., la situation était nettement meilleure dans le Vaucluse en 1993 su moment des inondations de Bollène, qu'en 1992, a ainsi indiqué M. Joël Lebeschu, préfet du Vaucluse. De même, l'expérience acquise à Saintes en 1982 a facilité la gestion de la crise en 1993.

On ne saurait cependant s'en tenir à ce constat positif. Dans certaines communes, les aides d'urgence qui ont été débloquées n'ont pas été suffisantes pour assurer le ravitaillement et le relogement de la population. Ce dispositif de solidarité doit être amélioré afin que les personnes en situation de précarité sociale puissent être secourues dans les meilleurs délais. Certains dysfonctionnements ont en effet pu être constatés lors des opérations de secours. Les premiers hélicoptères envoyés sur les lieux de la catastrophe de Nîmes en 1988 n'auraient-ils pas dû effectuer une première évaluation du sinistre plutôt que de se porter tout de suite au secours des personnes, s'est demandé avec raison semble-t-il le Commandant Martin, du CODIS de Nîmes ? L'arrivée plus rapide de moyens héliportés n'aurait-elle pas permis de sauver plus de vies humaines à Vaison-la-Romaine en 1992 ?

Ces erreurs d'appréciation tiennent largement aux déficiences du système de communication et d'information. C'est ainsi qu'aux premières heures de la catastrophe de Nîmes, les liaisons téléphoniques et radio entre services de secours ont été coupées parce que les locaux du CODIS avaient été inondés! Si chacun a pu réagir spontanément avec efficacité - les unités de sapeurs pompiers en demandant des renforts, l'état-major en envoyant des véhicules militaires vers la ville de Nîmes, il n'en reste pas moins que les représentants des pouvoirs publics se sont retrouvés isolés les uns des autres, privés d'ordres de leur hiérarchie. Personne ne connaissait la nature et l'importance réelle de la catastrophe. Ces faits, déjà mentionnés dans le rapport «concernant les enseignements à tirer de la catastrophe de Nîmes» établi par M. André Ponton, ont été confirmés à votre Commission par M. Géraud, directeur de cabinet du Préfet et par le Commandant Martin.

Il lui a été indiqué, à la même occasion, que des mesures avaient été prises pour sécuriser le réseau téléphonique. Sans doute faudrait-il aller plus loin et s'assurer que ni les casernes de pompiers, ni les PC ORSEC des préfectures, ni les CODIS ne sont situés en zone inondable. A défaut, il conviendrait de prévoir des réseaux de communication par voie hertzienne ou satellitaire qui puissent éventuellement prendre le relais des systèmes défaillants.

Cette situation d'isolement a été également partagée par les populations et les maires des communes sinistrées.

Ainsi en Charente-Maritime, Mme Christiane Lacaille, maire des Gonds, et M. Pierre Duhard, maire de Courcoury, ont fait part à la Commission de l'impression qu'ils avaient ressentie, lors des inondations de l'hiver 1993-1994, de se retrouver seuls aux premières heures de la catastrophe, privés d'information, obligés de calculer eux-mêmes l'évolution prévisible de la crue! A Nîmes, les familles sont restées sans nouvelles de leurs enfants partis le matin à l'école. Leur état de panique, dont M. Jean Bousquet, maire de Nîmes, a gardé un vif souvenir, peut facilement être imaginé.

De toute évidence, la chaîne d'information vers les victimes des sinistres n'est pas assez performante. Elle pourrait être grandement améliorée pour peu que l'on utilise les moyens de communication modernes. Le maire d'une petite commune de Charente a ainsi indiqué à la Commission que, selon lui, le simple envoi aux maires, par télécopie, d'informations sur les hauteurs de crue et la pluviométrie constituerait un très net progrès. De même, pourrait-on envisager l'utilisation d'une fréquence radio réservée, ce qui permettrait de toucher un public plus large.

Une autre voie, qui n'a pas encore suffisamment été explorée, consisterait à associer davantage les journalistes aux réunions de travail des services de secours. Cette idée a été débattue lors d'une réunion tenue au cours d'un déplacement effectué par votre Commission en Charente. Il ne serait évidemment guère réaliste d'associer trop étroitement les medias aux activités de la cellule d'urgence, notamment car les services n'oseraient plus critiquer entre eux leur action et l'efficacité globale du dispositif s'en trouverait donc diminuée. Du moins pourrait-on prévoir, comme l'a suggéré M. Pierre Sebastiani, Préfet de Charente, l'organisation, à l'issue de la réunion de la cellule d'urgence, d'un point de presse quotidien qui présenterait, documents écrits à l'appui, une synthèse de l'état exact de la situation. Répercutées par voie de presse, par la radio et la télévision, ces informations contribueraient certainement à soutenir psychologiquement les populations.

B. - RÉNOVER LE PLAN ORSEC

La planification des secours repose sur deux instruments qui ont été définis par la loi du 22 juillet 1987 relative à la sécurité civile: les plans d'urgence, qui constituent la première réponse des pouvoirs publics à une catastrophe naturelle, et les plans ORSEC qui gardent une forte valeur symbolique auprès des populations. Après avoir rappelé brièvement comment ce dispositif s'agence dans les faits, votre Commission essaiera d'en apprécier l'efficacité.

Le déclenchement d'un plan d'urgence départemental se traduit, dès les premières heures de la crise, par la mise en place à la préfecture d'une cellule de crise dont l'objet est de coordonner les moyens mis en _uvre par les services de l'Etat.

Le déclenchement du plan ORSEC constitue une étape supplémentaire dans la mobilisation des moyens mais il n'est pas indispensable à l'organisation des secours. .Son déclenchement n'est pas nécessaire pour effectuer des réquisitions ou obtenir le concours de l'autorité militaire. précise en effet la circulaire conjointe du ministre de l'Intérieur et du ministre de l'Environnement en date du 23 septembre 1994. Elle n'interdit pas non plus au préfet de département de demander des moyens supplémentaires à la direction de la Sécurité civile à Paris. Les différentes actions de secours, d'information et de réparation qui sont prévues par les plans ORSEC doivent également avoir été engagées h(...) dès le début de la crise a indiqué à la Commission M. Bertrand Munch, sous-directeur de la prévention et des plans de secours à la direction de la sécurité civile au ministère de l'Intérieur. 41 est exact a-t-il ajouté «que la seule conséquence objective du lancement du plan ORSEC par le préfet est de mettre les moyens de secours de 1 Etat à la charge de 1 Etat. En 1'absence de plan ORSEC, selon l'article 13 de la loi de 1987, 1'ensemble du /financement des secours incombe à la commune.

Dans les faits, l'application de ce texte tient compte cependant de la disproportion qui existe entre la capacité /financière de la commune et les charges entraînées par la catastrophe. Ainsi, dans la pratique, qu'il y ait un plan ORSEC ou pas, 1'Etat garde à sa charge 1'intervention des moyens, notamment celle des unités de la sécurité civile. Cela a été le cas lors des récentes catastrophes puisque 1 Etat n'a pas envoyé de factures aux communes concernées. y

Dans d'autres cas, cependant, les communes ont été invitées par l'Etat à supporter le coût des moyens de secours. Afin de ne pas créer des distorsions su niveau local, il conviendrait de clarifier les compétences financières des uns et des autres et de poser un principe clair de partage des charges qui s'appliquerait en toutes occasions: chaque fois que des moyens de secours extérieurs à une commune sont envoyés par l'État, ce dernier prend en charge la totalité des frais d'intervention.

La portée pratique du dispositif ORSEC ne doit donc pas être surestimée. Dans ces conditions, quand faut-il le déclencher ? «Lorsque le préfet, responsable de l'organisation des secours, considère qu'un ne dispose pas des moyens suffisants pour faire face à la situation - a répondu M. Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire, devant la Commission, ajoutant «En toute hypothèse, la capacité de décision du responsable des opérations de secours doit être intacte: le préfet de département, éventuellement le préfet de zone, doivent avoir une entière liberté d'appréciation. »

Autrement dit, le recours au plan ORSEC ne constitue qu'une étape dans la montée en puissance de la cellule de crise que le préfet a constituée dès les premières heures de la crise, il ne constitue en aucune façon le seul moyen pour les pouvoirs publics de réagir au sinistre. De fait, le plan ORSEC n'a été déclenché que six fois au cours des inondations de l'hiver dernier. Dans les autres cas, le préfet a estimé qu'il disposait des moyens de secours suffisants pour faire face aux sinistres sans avoir besoin de renforts en provenance d'autres départements.

Or le déclenchement du plan ORSEC revêt auprès des populations une signification quasi mythique d'une part, ambiguë d'autre part, pouvant, comme l'a exprimé M. Charles Pasqua, «donner le sentiment que l'Etat prend conscience de la catastrophe mais (...) aussi aggraver la psychose., en donnant l'impression que les services publics sont dépassés par les événements. A l'inverse, tant que le plan ORSEC n'a pas été déclenché, il arrive souvent que les pouvoirs publics se voient reprocher de ne rien faire. La décision revêt donc une forte dimension psychologique qui complique singulièrement la tâche des préfets.

I1 serait évidemment hasardeux de prôner la suppression de ce mécanisme de planification des secours au motif que son maniement peut le cas échéant créer des incompréhensions entre les pouvoirs publics et les populations. En revanche, votre Commission est convaincue qu'une mise à jour de son contenu est indispensable, l'effort devant en priorité porter sur la formation des préfets, et se félicite donc de la prise de conscience de cette nécessité par le gouvernement: ·(...) nous sommes décidés à développer la `culture de crise» chez les préfets. A l'occasion de tout événement important, on a intérêt à communiquer le plus possible pour donner les informations en temps réel et couper ainsi court aux rumeurs. Les préfets ne sont peut-être pas suffisamment rompus à cet exercice. Nous avons prévu de leur donner une véritable /formation à la situation de crise. a ainsi déclaré à la Commission M. Charles Pasqua. Les témoignages recueillis par la Commission su cours de ses déplacements montrent bien à quel point l'efficacité des secours dépend étroitement de l'expérience des préfets en ce domaine. Aussi ne peut-on que souhaiter que l'action prévue sera effectivement menée.

De même, convient-il «de concevoir la planification des secours, non plus seulement comme une planification d'Etat, mais aussi comme une planification des communes. a indiqué à la Commission M. Bertrand Munch, sous-directeur de la prévention et des plans de secours à la direction de la sécurité civile su ministère de l'intérieur. Les communes doivent donc élaborer préventivement des plans de secours qui définissent les tâches de chacun su sein de l'administration municipale et précisent les mécanismes de coordination avec les services de la préfecture et du CODIS. Un bon exemple de cette planification est fourni par la mairie de Nîmes qui a élaboré un régime d'astreintes municipales prévoyant, en cas de catastrophe, la mobilisation des cadres territoriaux, l'appel aux entreprises, la coordination avec la préfecture et l'alerte. S'il est bien entendu que les communes ne peuvent faire face seules à l'organisation des secours, il y a intérêt à doter les .échelons intermédiaires. entre l'État et les populations d'une forte capacité de réaction.

C. - FAIRE DAVANTAGE PARTICIPER L'ARMÉE

La participation de l'armée aux opérations de secours, explicitement prévue par plusieurs textes, constitue le dernier recours pour les autorités civiles lorsque l'ampleur de la catastrophe rend nécessaire une mobilisation à grande échelle des moyens et des effectifs importants. Cette intervention ne se fait pas toujours dans des conditions totalement satisfaisantes. Deux problèmes ont été identifiés par la Commission: l'insuffisance des liaisons entre les autorités civiles et militaires et la lourdeur des procédures d'engagement des forces.

«Chaque fois qu'il y a urgence ou danger» a indiqué le Colonel Michel Ménard, du centre d'opérations interarmées (COLA) «nous intervenons le plus rapidement possible. Encore faut-il le savoir. Nous avons donc besoin de renseignements préalables. Il faut à cet égard noter une amélioration de l'information, qui a fait suite à la demande des généraux commandant les circonscriptions militaires de défense (CMD) d'être renseignés sur un danger étant entendu que ce n'est pas possible lorsque survient une catastrophe naturelle. y

L'amélioration de l'information dont fait état le Colonel Michel Ménard ne semble cependant pas suffisante. Ainsi, lors de la catastrophe de Vaison-la-Romaine, les hélicoptères de l'armée sont arrivés trop tard pour sauver une trentaine de personnes qui étaient bloquées sur les toits. A une question de votre Rapporteur qui s'enquérait de l'heure à laquelle l'armée avait été alertée, le Colonel Michel Ménard a répondu: «Aujourd'hui, je ne peux pas vous répondre. Comme je vous l'ai déjà dit, je me trouvais au Centre opérationnel à ce moment là, et nous avons été alertés par le Centre opérationnel de la sécurité civile de Levallois-Perret. Si je me souviens bien, le premier hélicoptère qui avait été demandé l'avait été pour transporter des personnels de la sécurité civile et du matériel, parce qu'il se passait quelque chose dans le département du Vaucluse. Et ce n'est qu'en cours de route que l'hélicoptère a été dérouté de sa mission initiale pour porter secours aux personnes réfugiées sur les toits».

En l'espèce, la chaîne de transmission de l'information ne semble guère avoir été performante, puisque la demande de moyens en hélicoptères a dû transiter par Paris.

Interrogé sur le point de savoir si, d'une manière générale, malgré la complexité des procédures, l'autorité militaire pouvait en cas d'urgence intervenir tout de suite, le Colonel Michel Ménard a certes répondu par l'affirmative. La décision d'intervention, a-t-il indiqué, peut être prise par le général commandant la circonscription militaire de défense, mais cette liberté d'appréciation laissée au chef de corps local ne s'étend pas à l'engagement de tous les moyens. Ainsi notamment n'est-il pas autorisé à faire intervenir les hélicoptères sans l'accord du ministre de la Défense. «Dans le cas des inondations de l'hiver dernier, lorsque le général était saisi d'une demande venant du préfet, il agissait à la fois vers le haut et vers le bas : il mettait les hélicoptères en pré-alerte, et il me téléphonait pour que l'autorisation officielle soit demandée au ministre. Tout cela se passait très vite, et ainsi on a pu gagner du temps.. Les délais d'intervention pourraient cependant être encore réduits si l'armée améliorait ses mécanismes de mobilisation des moyens.

Votre Commission se demande ainsi s'il ne serait pas opportun, dans les régions qui sont régulièrement sinistrées et où les crues sont difficiles à prévenir, de prévoir qu'un certain nombre de moyens lourds en avions, en hélicoptères et en bateaux soient en pré-alerte pendant les périodes où les risques sont les plus élevés, sur le modèle du dispositif existant déjà dans le domaine de la lutte contre les feux de forêts. Enfin, dans les zones fréquemment inondées qui abritent des garnisons, il serait sans doute opportun que l'autorité militaire fasse en sorte que les moyens en effectifs soient les plus importants possibles durant les périodes où les risques d'inondations peuvent survenir, étant précisé que les secours aux personnes dispensés par l'armée ne doivent pas se transformer en services de confort.

IV..- GARANTIR UNE INDEMNISATION ÉQUITABLE

Les éléments d'information recueillis par votre Commission l'ont conduite à porter une appréciation en trois volets sur le système mis en place en 1982 pour l'indemnisation des catastrophes naturelles. Tout d'abord, que l'on peut l'estimer globalement satisfaisant. Ensuite, que des dysfonctionnements inadmissibles se produisent parfois, qui sont d'autant plus à déplorer que l'économie générale du dispositif est bonne. Enfin, que certaines améliorations peuvent sans doute être apportées pour remédier aux quelques insuffisances du système.

A.- UN DISPOSITIF GLOBALEMENT SATISFAISANT

1.- Les principes de la loi du 13 juillet 1982

Le régime d'assurance des risques de catastrophe naturelle a été établi par la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982. Il a comme originalité de faire intervenir largement la solidarité et de toujours utiliser le support de contrats souscrits pour garantir d'autres risques.

La loi de 1982 donne une définition des dommages susceptibles d'être indemnisés au titre des catastrophes naturelles, d'autre part il précise quels sont les contrats qui peuvent être amenés à servir de supports à la garantie contre les effets de ces catastrophes, enfin, il donne le détail des règles permettant d'organiser l'indemnisation des sinistres par les compagnies d'assurance.

a. - Dommages susceptibles d'être indemnisés au titre des catastrophes naturelles

La loi de 1982 pose quatre conditions pour qu'un dommage survenu à la suite d'une intempérie soit susceptible d'être indemnisé au titre du régime des catastrophes naturelles. II faut qu'il s'agisse d'un dommage matériel direct, qu'il soit relatif à un bien couvert par une assurance de base offerte par le marché, qu'il ait pour cause déterminante l'intervention anormale d'un agent naturel constaté par arrêté interministériel (arrêté ministériel de constatation), enfin, qu'il ait eu un caractère irrésistible, les mesures habituelles à prendre pour le prévenir n'ayant pu empêcher sa survenance ou n'ayant pu être prises.

Ces quatre conditions jouent de manière cumulative. Comme elles sont très précisément définies par la loi, le pouvoir d'appréciation des compagnies d'assurance au moment du remboursement se trouve relativement encadré. Néanmoins ces dernières disposent encore d'une marge d'interprétation certaine, dans la mesure où la loi n'a pas fixé une liste exhaustive des dommages.

b. - Contrats pouvant être amenés à servir de supports à la garantie contre les effets des catastrophes naturelles

La loi de 1982 précise également quels sont les contrats d'assurance qui peuvent servir de support à la garantie contre les effets des catastrophes naturelles. Il s'agit des contrats d'assurance-incendie, des contrats d'assurance .multirisque habitation., des contrats d'assurance-automobile (ces contrats sont distincts de ceux qui couvrent, à titre obligatoire, les assurés au titre de la responsabilité civile en cas de dommages survenus dans le cadre de la conduite d'un véhicule terrestre à moteur), enfin des contrats garantissant les exploitants agricoles contre les pertes d'exploitation.

La loi pose ainsi fermement le principe que le risque lié aux catastrophes naturelles n'est pas indemnisable par un fonds national (comme c'est le cas, par exemple, en matière de calamités agricoles). Le risque ne peut être indemnisé que si l'on dispose dcontrat individuel d'assurance, contrat visé par la loi et comportant la garantie .catastrophe naturelle».

e. - Règles permettant d'organiser l'indemnisation des sinistres par les compagnies d'assurance

Les articles L 125-2 et A 125-1 du code des assurances encadrent de façon très précise le délai imparti aux sociétés d'assurance pour indemniser les dégâts causés par les catastrophes naturelles. L'assureur doit ainsi verser l'indemnité dans un délai de trois mois à compter de la date de remise par l'assuré de l'état estimatif des biens endommagés ou de la date de publication de l'arrêté interministériel constatant l'état de catastrophe naturelle, lorsque celle est est postérieure. A défaut, et, sauf cas fortuit ou de force majeure, à compter de l'expiration de ce délai, l'indemnité due par l'assureur porte intérêt au taux légal. Dans le cas des sinistres causés par les inondations ou les coulées de boue, qui représentent 74 % des reconnaissances de l'état de catastrophe naturelle, la quasitotalité des indemnités sont versées en partie ou totalement dans le délai de trois mois précité. En outre, si l'assuré estime que sa compagnie commet une faute en négligeant son dossier, il peut demander à cette dernière le versement d'intérêts prévus à l'article A 125-1 du code des assurances.

2.- Appréciation d'ensemble sur le système

Le dispositif mis en place par la loi de 1982 présente en premier lieu le grand mérite de la simplicité, puisque la cotisation catastrophes naturelles est perçue sous forme de cotisation additionnelle. Ainsi l'intégralité des véhicules est protégée, l'assurance étant obligatoire, ainsi que la majeure partie des biens immobiliers, 95 % des habitations étant couvertes par une police multirisque habitation. Le système de la loi de 1982 a en second lieu l'intérêt de faire appel largement à la solidarité, ce qui permet la constitution de réserves importantes destinées à l'indemnisation des grandes catastrophes.

Cela étant, votre Commission se demande si la procédure d'indemnisation ne pourrait pas être améliorée dans le sens d'une plus grande solidarité à l'égard des sinistrés, par le versement, dans des délais très brefs, d'avances sur les indemnisations futures.

B.- DES DYSFONCTIONNEMENTS INACCEPTABLES

Les informations qu'a recueillies votre Commission sur le traitement des dossiers d'indemnisation des dégâts occasionnés par les inondations de l'hiver dernier la conduisent à considérer que, globalement, le système a plutôt donné satisfaction. Ce constat n'est d'ailleurs pas tellement à porter au crédit des compagnies d'assurance, car il s'explique principalement par deux éléments qui leur sont extérieurs: l'un, d'ordre général, est la grande précision des textes législatifs et réglementaires applicables en la matière ; l'autre, propre aux situations considérées, est l'extrême rapidité avec laquelle a été constaté, par voie d'arrêtés ministériels, l'état de catastrophe naturelle ouvrant droit à l'application de la garantie particulière instituée à ce titre. Quant aux compagnies elles-mêmes, s'il n'est pas question de mettre systématiquement en cause la façon dont elles ont traité les dossiers dont elles ont été saisies, votre Commission déplore toutefois des délais d'indemnisation parfois beaucoup trop importants, et, surtout, entend dénoncer avec vigueur certaines pratiques inadmissibles au demeurant illégales dont elle a eu connaissance.

A la suite des dernières inondations, certaines compagnies et non des moindres ont demandé à des agents d'assurance d'informer certains de leurs clients qui avaient eu la malchance d'avoir été victimes d'inondations à plusieurs reprises, de

majoration du montant de la franchise applicable en matière de catastrophes naturelles en contradiction flagrante avec le code des assurances -, de majoration des primes correspondant au contrat principal servant de support à la cotisation additionnelle pour catastrophes naturelles, voire de résiliation dudit contrat.

M. Serge Magnan, délégué général de l'Assemblée plénière des sociétés d'assurance dommages (APSAD), interpellé sur ce point par le Président de votre Commission lors de son audition devant celle-ci, a répondu n'avoir «jamais eu connaissance de sociétés qui auraient modifié des franchises en matière de catastrophes naturelles; du reste, de telles décisions seraient sans effet puisque les franchises sont prévues par les textes réglementaires d'application de la loi de 1982: elles sont de 1.500 F. pour les particuliers, de 10 °l'o des dommages avec un minimum de 4.500 F. pour les entreprises. On ne peut pas aller contre la réglementation. Quelques affaires de résiliation de contrat ont été effectivement signalées, mais ces problèmes ont été résolus.

Cette réponse n'a pas pu satisfaire le Président de votre Commission, qui se trouve en possession d'un nombre important de courriers adressés par de grandes compagnies d'assurance à leurs agents généraux, tous de la même teneur. M. Serge Magnan s'étant fait préciser que ces lettres émanaient non du siège des compagnies considérées, mais de directions régionales, a estimé qu'il devait s'agir là de .dérapages dus à des gens qui connaissent mal la réglementation et la doctrine professionnelle», ajoutant que, selon lui, de tels cas, portés à la connaissance du siège, doivent «vite rentrer dans I'ordre. Votre Rapporteur avoue n'avoir guère été convaincu par ce qu'il considère comme une façon d'esquiver le problème. Néanmoins il prend acte de l'engagement formulé par M. Serge Magnan et insiste vigoureusement pour que ne se reproduisent pas de tels «dérapages., qui traduisent, dans le meilleur des cas, une inquiétante méconnaissance des règles légales.

C.- DES AMÉLIORATIONS À ENVISAGER

Il est apparu à votre Commission que le bilan financier du régime des catastrophes naturelles, qui devrait faire preuve d'une plus grande transparence, dégage des marges de man_uvre substantielles. Elle a constaté par ailleurs que l'indemnisation des seuls dommages matériels était loin d'être toujours suffisante pour résoudre véritablement les problèmes qui se posent aux entreprises victimes d'inondations. Elle s'est donc demandé si les excédents financiers du régime ne pourraient pas être utilisés pour améliorer le système sur ce point. Enfin, elle s'est posé la question de la mutualisation du risque pour les biens communaux.

1.- Un bilan financier peu transparent mais incontestablement positif

M. Serge Magnan, délégué général de l'Assemblée plénière des sociétés d'assurance, a présenté en ces termes à votre Commission le bilan financier de l'assurance catastrophes naturelles: «Les primes nettes ont représenté 39,2 milliards de F. entre 1982 et fin 1993 ; les sinistres payés, 20,3 milliards de F. ; les chargements, c'est-à-dire les frais généraux et les coûts d'intermédiation, 9,9 milliards de F. ; et le coût net de la réassurance a été de 4,8 milliards de F. Voilà la situation réelle, que ne reflète nullement le rapport sinistres/primes.

Votre Rapporteur rappellera néanmoins que le rapport sinistres/primes a été de 46 % pour la période de 1982 à 1991.

Ces chiffres appellent plusieurs commentaires. Le taux de chargement de 25,25 % parait difficilement justifiable, car le coût intrinsèque de gestion de l'assurance catastrophes naturelles est nécessairement faible, puisqu'elle est obligatoirement liée à un autre contrat d'assurance qui en constitue le support.

De ce fait, l'argument donné par M. Serge Magnan selon lequel le taux de chargement s'explique par la lourdeur des coûts d'informatisation n'est pas recevable en l'espèce.

Le projet de loi relatif à la protection de l'environnement prévoit d'associer les compagnies d'assurance à l'effort de prévention à travers un fonds de garantie alimenté par un prélèvement sur les primes d'assurance versées au titre des catastrophes naturelles, dispositif que votre Rapporteur approuve. Il suggère en outre de dégager des crédits supplémentaires, notamment grâce à la réduction des frais généraux et des coûts d'intermédiation intervenant dans la gestion de l'assurance «catastrophes naturelles». Votre Rapporteur insiste sur le fait que ces frais de gestion atteignent quasiment le quart du total des primes nettes; leur réduction donne donc selon lui une marge de man_uvre supplémentaire à exploiter.

Toutefois, il est exact que le rapport sinistres/primes ne peut pas à lui seul être considéré comme significatif, car, dans ce domaine particulier, la constitution de provisions destinées à faire face à un sinistre majeur (de type crue de 1910 de la Seine ou tremblement de terre à Nice) est une nécessité.

Cela étant, sans qu'il s'agisse de vouloir faire le moindre procès d'intention, votre Rapporteur ne peut s'empêcher de se poser quelques questions, auxquelles il n'a pas été répondu de manière convaincante.

Les chiffres cités par M. Serge Magnan n'intègrent pas les revenus financiers générés par les provisions, au motif que «cette activité n'est pas «cantonnée» ; c'est à dire qu'elle ne fait pas l'objet d'une gestion spécifique». On ne peut dès lors que regretter l'absence de transparence qui préside à la gestion de ce risque. Or, il faut rappeler que la caisse centrale de réassurance bénéficie de la garantie de l'Etat et que, si un jour cette dernière doit jouer, un débat ne manquerait pas de s'ouvrir sur les bénéfices que les compagnies d'assurance ont tiré du système.

Un effort tout particulier devrait être fourni afin d'apporter plus d'éclaircissements nécessaires à la connaissance des produits financiers générés par les provisions destinées à faire face à un risque majeur.

Toujours dans une perspective de transparence, votre Rapporteur se demande s'il ne conviendrait pas d'étudier, en coordination avec l'APSAD, la possibilité de faire figurer chaque année le montant des biens ou du capital garantis sur les appels de cotisations acquittées par les particuliers et les entreprises auprès des compagnies d'assurance.

2.- L'insuffisance de l'indemnisation des seuls dommages matériels pour les entreprises

En cas d'interruption de l'activité due à un sinistre, le seul remboursement des dégâts matériels n'est pas suffisant pour permettre à une entreprise de poursuivre son exploitation. Or, seulement 30 % des entreprises sont couvertes par une assurance couvrant les pertes d'exploitation.

Si la France est relativement bien placée dans ce domaine, seule l'Allemagne connaissant un meilleur taux de couverture (37 %), il n'en reste pas moins que plus des deux tiers des entreprises ne sont pas couvertes. Cette proportion très importante conduit à une multiplication des faillites dans les mois qui suivent une catastrophe naturelle, avec les conséquences dramatiques que ces situations engendrent pour l'emploi dans des régions se trouvant déjà fragilisées sur le plan économique. Aussi votre Rapporteur se demande-t-il si l'on ne pourrait pas envisager que la surprime versée par les entreprises pour couvrir les dommages liés aux catastrophes naturelles intègre le risque de perte d'exploitation, les excédents financiers dégagés par le régime pouvant peut-être même le permettre sans majoration de la surprime.

3.- Vers une mutualisation des risques pour les biens des collectivités locales ?

Si le dispositif issu de la loi de 1982 est unanimement jugé comme globalement satisfaisant pour l'indemnisation des biens personnels des personnes privées, il n'existe en revanche aucun système permettant de venir en aide aux collectivités locales dont les biens ont été, parfois très gravement, endommagés lors de catastrophes naturelles, Votre Commission a donc noté avec le plus grand intérêt la suggestion émise lors de son audition par M. Michel Barnier, ministre de l'Environnement, d'un fonds spécial alimenté par des cotisations versées par l'ensemble de communes, qui permettrait d'aider celles qui seront touchées par des inondations ou autres catastrophes naturelles. Elle souhaite que la réflexion engagée sur ce point conjointement par le ministère de let celui de l'Intérieur puisse rapidement se traduire dans les faits.

CONCLUSION

Les inondations tragiques qui se sont succédé au cours de ces deux dernières années ont entraîné dans notre pays l'émergence et le développement d'une profonde réflexion sur l'identification des causes des inondations et les moyens à mettre en _uvre pour y remédier.

En témoignent toutes les initiatives prises dans ce domaine, ainsi que la constitution de groupes de travail destinés à apporter leur contribution à la politique de prévention des inondations

- plan décennal de prévention des catastrophes et des risques naturels à l'initiative du Gouvernement d'Édouard Balladur,

- projet de loi relatif à la protection de l'environnement,

- mesures réglementaires en vue de maîtriser l'urbanisme,

- Instance chargée de l'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels,

- multiplication de colloques réunissant les plus grands spécialistes de la question.

Si votre Commission, comme l'ensemble de ces initiatives, s'est constituée en réaction aux conséquences dramatiques des inondations qui ont affecté de nombreuses régions françaises depuis 1992, le souhait de votre Rapporteur est de maintenir et de pérenniser une politique de prévention ambitieuse et pragmatique.

Les deux objectifs essentiels de ce rapport, dont votre Rapporteur a veillé à ce qu'il constitue une approche globale de la problématique des inondations, sont, d'une part, de constituer un document de travail pour les instances chargées de la prévention et, d'autre part, de participer à la définition de la politique de lutte contre les inondations.

La conviction des membres de la commission d'enquête est que les inondations ne sont pas entièrement le fruit d'une fatalité. Une large partie des dommages entraînés par les crues ont pour origine une série d'erreurs commises aussi bien par les pouvoirs publics que par les propriétaires riverains: manque d'entretien des ouvrages de protection, urbanisation non contrôlée, travaux d'aménagement qui accroissent les difficultés en aval, techniques agricoles et pratiques culturales qui ont pour effet d'accélérer le ruissellement.

S'il paraît bien audacieux de prétendre combattre les phénomènes de crues et d'inondations eux-mêmes comment empêcher l'eau qui s'écoule d'occuper l'espace ? -, il semble possible de réduire le risque, c'est-à-dire l'exposition des personnes et des biens aux dommages.

Votre Rapporteur estime que la Nation c'est-à-dire l'ensemble des acteurs intéressés de près ou de loin à la lutte contre les inondations doit s'impliquer dans une politique de prévention, qualifiée par le présent rapport de .rigoureuse et ambitieuse., et reposant sur différents principes qui ont été identifiés au cours de ses travaux

- une meilleure évaluation du risque d'inondation grâce à une relance des efforts de recherche en matière hydraulique et la mise su point d'outils juridiques et cartographiques identifiant les zones les plus exposées;

- l'amélioration et la modernisation du dispositif d'alerte et de prévision des crues qui doit reposer sur une meilleure couverture des cours d'eau et sur l'utilisation des moyens de détection les plus perfectionnés, comme les radars;

- une meilleure gestion des zones à risques qui passe par l'entretien des ouvrages assurant la régulation des eaux (digues et barrages), des restrictions à l'occupation des sols et l'aménagement de zones d'expansion;

- une information préventive des communes et des populations afin de les préparer à la probabilité d'une résurgence des crues. Chacun doit retrouver à la fois une .mémoire. des inondations et une .culture du risque. qui étaient bien plus développées au siècle dernier.

Pour mettre en _uvre ces principes d'action, il semble indispensable de revoir l'organisation actuelle du dispositif de lutte contre les inondations et le partage des tâches entre les différents acteurs Etat, collectivités locales, riverains - dont le défaut majeur est de disperser les responsabilités et de promouvoir des stratégies de protection et de prévention inadaptées.

La Commission estime qu'une autorité globale doit être créée sur chaque bassin, qui serait dotée des moyens financiers, réglementaires et techniques lui permettant de promouvoir une politique d'ensemble d'aménagement des fleuves et de gestion des cours d'eau. Quelle que soit la forme juridique d'une telle autorité syndicat mixte, établissement public, voire agence de l'eau - une refonte globale de notre dispositif public s'avère plus que nécessaire.

Votre Commission ne méconnaît pas les exigences de la lutte contre le déficit budgétaire ni la situation financière difficile de la plupart des collectivités locales. Elle est néanmoins convaincue de la nécessité de mobiliser des moyens importants su service d'une politique de prévention digne de ce nom. Cet effort, auquel doivent certes participer les communes, les départements et l'Etat, ne pourra être à la hauteur des enjeux que s'il est alimenté par l'apport de nouveaux modes de financement.

A cette fin, la Commission s'est efforcée d'identifier de nouvelles sources de financement. Les compagnies d'assurance et les agences de l'eau, notamment, pourraient ainsi être associées en tant que partenaires financiers aux efforts de la politique publique de prévention et de lutte contre les inondations.

Pour conclure, votre Rapporteur rappelle que si davantage de crédits sont nécessaires à la lutte contre les inondations, leur utilisation doit être des plus scrupuleuses. Afin d'éviter tout gaspillage et la perte d'une aide précieuse, il est impératif de cibler les objectifs et les besoins, et, conséquemment, de mener une approche économique et financière rigoureuse de la gestion du risque d'inondation.

PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

1.- Une stratégie globale d'aménagement et de gestion des cours d'eau: mise en place d'une structure intervenant à l'échelle du bassin associant l'Etat, les collectivités locales et les établissements publics capables de concevoir un plan global d'aménagement. Exemple: proposition de création d'un syndicat mixte d'étude sur le bassin du Rhône à l'aval.

2. - Modification du décret de 1966 relatif aux agences de l'eau de manière à autoriser les agences à participer à l'entretien des cours d'eau et à percevoir à cette fin une redevance spécifique.

3. - Entretien et gestion des digues : constitution de syndicats mixtes associant l'Etat, le département et les communes tout en maintenant une participation financière des propriétaires.

4. - Création de jachères permanentes dans les zones exposées aux inondations: ces jachères devraient être assorties d'un régime particulier afin de ne pas être soumises à la législation des terres agricoles.

5. - Aménagement d'un nouveau type de zones d'expansion de crues: ce dispositif permettrait de mettre des terrains inondables à disposition des organismes gérant les retenues d'eau tout en en laissant la jouissance à leurs propriétaires. L'objectif serait de «surinonder» ces zones naturellement inondables, au moment des plus graves inondations et où cela gêne le moins les agriculteurs, par un système de digues, de vannes ou de casiers de manière à protéger les agglomérations en aval.

6. - De nouvelles sources de financement de la politique de prévention. Etudier les possibilités de dégager de nouveaux moyens financiers à travers, par exemple

. un fonds de garantie qui pourrait être alimenté par un prélèvement sur les primes d'assurance ;

. un effort de réduction des frais de charge de l'assurance catastrophes naturelles (la marge de man_uvre ainsi dégagée pourrait profiter à la politique de prévention);

. une éventuelle et légère augmentation du prix de l'électricité produite sur le Rhône payé par EDF à la CNR.

7. - Achèvement de la couverture radar combinée d'une part, à la couverture du territoire français en stations automatiques de captage et d'autre part, à l'utilisation croisée d'autres instruments d'analyse météorologique. Allégement des tâches administratives des services départementaux de Météo-France.

8. - La réorganisation et la nécessaire modernisation du dispositif d'annonce de crue pourrait être le fait d'une équipe ou d'un service hydraulique centralisateur prenant en charge la totalité du bassin ou du cours d'eau concerné, même si les structures finales d'annonce de crue et d'alarme restent départementalisées.

9. - Modernisation et informatisation du matériel permettant la diffusion de l'alerte aux maires et amélioration du contenu des messages d'alerte de manière à les rendre compréhensibles et signifiants.

10. - Etablissement d'un calendrier fixant les périodes où les risques d'inondations sont les plus grands et au cours desquelles un certain nombre de moyens lourds en avions et en hélicoptères seraient en pré-alerte permanente.

11. - Formation des services publics : développement d'une .culture de crise».

12. - Mise en place de plans de secours communaux: ils consisteraient à définir les tâches de chacun au sein de l'administration communale, en cas de crise, ainsi que les mécanismes de coordination avec les services de la préfecture et du CODIS.

13. - Réfléchir, lors de l'établissement ou de la révision des POS, su développement préférentiel des zones constructibles suivant un axe perpendiculaire au cours d'eau ainsi que, bien entendu, au classement des zones les plus exposés en zones non constructibles.

14. - Harmonisation d'un département à l'autre de la mise en _uvre de l'article 8.111-3 du code de l'urbanisme afin que des règles communes soient arrêtées dans l'attente de la mise en _uvre des plans de prévention des risques, qui devront tendre à une simplification des procédures de maîtrise de l'urbanisme.

15. - Introduction dans la réglementation de l'urbanisme d'une mesure «d'ordre public» dont le principe serait que, dans les bassins à risques potentiels et en l'absence de dispositions particulières, l'utilisation des sols puisse être gelée jusqu'à l'adoption de telles dispositions.

16. - Prévoir la réalisation systématique d'une étude «d'inondabilité» préalablement à toute construction de locaux destinés à l'implantation de services de secours ou de toute autre structure vitale en cas de crise.

17. - Etudier la possibilité d'instituer l'obligation de faire figurer dans toute demande de classement d'une commune en zone sinistrée un plan de la commune localisant les parties sinistrées.

18. - Accélération du remboursement de la TVA pour des travaux de prévention de catastrophe naturelle effectués par une commune ou encore un syndicat intercommunal.

19. - Etudier la possibilité d'accorder des aides à des entreprises situées dans des zones fréquemment inondées et qui souhaiteraient changer d'implantation.

20. - Information des sinistrés: mise en place d'une fréquence radio réservée.

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La Commission a adopté à l'unanimité le présent rapport su cours de sa séance du 3 novembre 1994, après avoir entendu les explications de vote ci-après.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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EXPLICATIONS DL VOTE

EXPLICATION DE VOTE DES COMMISSAIRES

APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE (·)

La commission d'enquête sur les causes des inondations et les moyens d'y remédier, créée le 5 mai 1994, a adopté le présent rapport le 3 novembre 1994 à l'unanimité.

Le groupe socialiste a exprimé un avis favorable au contenu global de ce rapport et à l'esprit général de ses conclusions.

Incontestablement, comme le souligne la partie descriptive du rapport, les catastrophes ayant pour origine l'eau ont des causes naturelles compliquées de facteurs aggravants imputables le plus souvent à l'homme. C'est d'ailleurs le plus grand intérêt du rapport que d'examiner particulièrement ces facteurs aggravants qui à eux seuls alimentent les problèmes qui se posent à l'autorité publique s'agissant des inondations. C'est une des raisons pour lesquelles l'intitulé de la commission d'enquête aurait peut-être pu utilement mieux faire ressortir qu'il s'agissait d'étudier davantage la soudaineté, la violence ou l'imprévisibilité des inondations, comme celles qui se sont produites au début de 1994, que leur principe même.

A cet égard l'analyse présentée par le rapport apparaît saine et équilibrée. Oui, l'urbanisation qui imperméabilise les sols est un facteur aggravant des inondations, oui le déboisement, oui également certaines techniques agricoles comme le remembrement, le drainage et l'irrigation, oui enfin certains aménagements fluviaux ou hydroélectriques. Ce sont là dans chaque cas des conséquences de la présence de l'homme que l'on peut mieux coordonner et dimensionner, mais pas entamer dans leur principe. C'est la raison pour laquelle la prévention de la gravité des catastrophes dues à l'eau se place dès ses premières étapes sous le signe de la complexité et de la coordination, comme l'ont souligné avec pertinence plusieurs personnalités auditionnées par la commission.

(`) MM. Jean-Pierre Bal ligand; Jean-Claude Beauchaud, Henri Sicre.

Complexité des causes, complexité des intervenants lors de la survenance d'une catastrophe aggravée. Le rapport examine aussi à raison l'aval de ces événements en présentant d'utiles recommandations sur les systèmes d'annonce et d'alerte des crues et sur les mécanismes d'indemnisation.

Dans ce faisceau de causes et d'effets deux .acteurs» méritent, dans le cadre d'une explication de vote, un développement particulier: l'urbanisme et l'assurance.

S'agissant de l'assurance, l'on ne peut que rejoindre l'appel du rapport à ce que tous les intervenants de l'indemnisation, quel que soit leur statut, soient exemplaires : des témoignages ont encore été recueillis dans le cadre de cette commission d'enquête, tendant à prouver qu'il n'en était pas encore tout à fait ainsi pour certaines compagnies, du fait peut-être de services déconcentrés. Des progrès peuvent encore être souhaités de ce côté.

L'urbanisme pose des problèmes auxquels peuvent être plus sensibles des élus nationaux qui exercent souvent aussi des fonctions municipales. L'urbanisation est une notion, et la cause reconnue de l'aggravation de certains ruissellements. L'urbanisme en est une autre que l'on trouve plutôt au carrefour des problèmes de prévention et de lutte contre les crues. Un urbanisme bien conçu fera obstacle à ce que des inondations, naturelles dans leur principe, dégénèrent en catastrophe. Un urbanisme mal conçu exposera, parfois son insu, une population à la catastrophe. L'urbanisme intervient à la fois comme protecteur satisfaisant ou insuffisant des populations et comme facteur - aggravant ou tempérant de la gravité des inondations. Cette position particulière fait que l'urbanisme est au c_ur de tous les débats sur l'amélioration de la protection contre les crues. Or dans la période actuelle le débat sur l'urbanisme mène vite aux controverses sur le bilan de la décentralisation.

Le rapport n'échappe pas à ce travers, et c'est peut être le reproche le plus affirmé que nous lui ferions, d'inclure dans la liste des facteurs humains aggravant les crues en catastrophes, cette décentralisation qu'il est si facile ces temps-ci de charger de tous les des maux. La décentralisation serait-elle si mauvaise inspiratrice ? Le rapport suggère pourtant - et à raison à notre avis - de confier aux agences de l'eau, par bassin, une mission de coordination de la prévention et de la lutte contre les crues: n'est-ce pas décentraliser ? A la vérité ce qui est en suspiscion s'agissant de risques n'est pas tant le déplacement des compétences d'urbanisme -l'attribution des permis de construire - de l'Etat à des collectivités territoriales, mais bien leur transfert des mains de fonctionnaires à celles d'élus. Et le rapport d'interroger, à l'unisson de l'opinion ces temps-ci d'ailleurs: peut-on leur faire confiance ?

S'engager dans cette voie est certainement bien mal poser le problème. Prévenir les catastrophes dues au crues et lutter contre elles, c'est protéger les population et, sur ce terrain de la protection nul doute que le dernier mot doive revenir à l'Etat dont c'est, historiquement et certes dans une acception beaucoup plus générale, la mission première. Non pas un Etat qui fait tout, l'.Etat factotum», mais un Etat qui prescrit. Comme le droit européen et ses directives, le droit de l'environnement s'édifie en bon exemple de ce que peut être un droit prescriptif. Le domaine des risques naturels peut en être une illustration : à l'élu municipal de décider, à travers un ensemble de règles et dispositions édictées législativement et réglementairement pour faire en sorte que la même garantie de sécurité -celle des biens et des personnes face aux risques naturels soit assurée sur tout le territoire.

Ces principes ne sont pas aussi faciles à appliquer qu'à énoncer, et le succès très mitigé du plan d'exposition aux risques, que le rapport souligne avec raison, en est l'aveu. Plusieurs causes se combinent : coût et lenteur de la procédure, excès dans la superposition des documents d'urbanisme. Le projet de loi relatif au renforcement de la protection de l'environnement, qui sera examiné dans notre Assemblée au début de décembre, propose de s'attaquer à une simplification dans ce domaine : il faut lui faire le crédit que celle-ci est possible et qu'une protection des citoyens contre les risques naturels est réalisable sans porter atteinte à la décentralisation.

Si un mérite de la commission d'enquête est d'avoir soulevé, même à contresens, ce problème de la compatibilité entre la décentralisation et la politique des risques, un autre est d'avoir, allusivement mais clairement, dévoilé un autre phénomène sur lequel peuvent s'interroger les pouvoirs publies: la capacité de notre société à tolérer le risque. Ainsi qu'il a été souligné, ce n'est pas la survenance - séculaire et millénaire - des inondations quia motivé la création de cette commission d'enquête mais bien leur caractère soudain, violent et peut-être imprévisible. Dans ce domaine, le rapport hasarde l'idée qu'une certaine culture du risque., mieux enracinée dans les générations précédentes est en érosion. C'est un vaste et certainement vrai sujet où interfèrent la banalisation de la catastrophe dans l'actualité et l'amplification émotionnelle qui résulte des moyens d'information. Sans ouvrir ici ce débat, il est bon de reconnaître, avec le rapporteur, que tout ce qui touche à l'information rapprochée des populations, à la conservation de la mémoire de ces événements traumatiques, de façon à en tirer les leçons, participe à la réduction de leur impact donc de leurs dommages. C'est dans une certaine et légitime émotion qu'a été créée la présente commission d'enquête: qu'elle sache dès lors dire à quoi cette émotion, collective, peut profiter pour l'avenir.

Au bénéfice de ces quelques observations, le groupe socialiste a émis un vote favorable su rapport de la commission d'enquête. `

EXPLICATION DE VOTE DU COMMISSAIRE

APPARTENANT AU GROUPE COMMUNISTE (`)

Au terme des travaux de notre commission d'enquête dont le groupe communiste fut un des initiateurs - on mesure mieux combien sa création était indispensable. Elle nous a permis de faire le point de la situation concernant les inondations catastrophiques qui ont ravagé, et parfois endeuillé, des pans entiers du territoire national, ces dernières années. Le rapport propose en conséquence un ensemble de propositions touchant à la prévision et la prévention de ces risques, mais aussi à l'alerte, su secours et à l'indemnisation qui, si elles étaient mises en _uvre, constitueraient une réelle avancée. J'ai néanmoins des réserves, parfois des désaccords, que je veux expliciter en souhaitant qu'il en soit tenu compte dans la rédaction finale.

Je suis d'abord plus que réservé sur la notion avancée par le rapport, de gestion économique du risque, qui conduirait à fonder la politique de prévention sur le choix entre le coût de cette prévention et le coût du risque. Ce qui reviendrait dans la plupart des cas à assumer le risque des inondations parce que le coût des dégâts, en cas de catastrophe, serait inférieur à celui des investissements nécessaires pour s'en prémunir. Outre que cela ne prend pas en compte les coûts sociaux et écologiques et que s'agissant de tels drames, ce calcul a quelque chose de cynique comme le remarque d'ailleurs le rapport-je trouve cette notion inadaptée et dangereuse. Inadaptée, car si la question peut se poser aux Etats-Unis, compte tenu de la taille des problèmes, il n'en va franchement pas de même en France. Dangereuse, dans la mesure où cette conception peut encourager le laxisme qui a prévalu, ces dernières décennies, au niveau de l'Etat, en matière de prévention des inondations.

Je trouve à ce propos, c'est ma deuxième remarque, que le rapport exonère un peu trop l'Etat, et à travers lui les gouvernements successifs, de leurs responsabilités.

f) M. Guy f fermier

C'est vrai pour le passé. Sans doute y a-t-il des responsabilités du côté du comportement des particuliers ou des collectivités locales. Mais ce qui frappe c'est la carence flagrante de l'Etat en matière de connaissance des risques, de prévention, d'entretien des cours d'eau, d'annonce des crues, de pratiques démocratiques, de suppressions d'emplois par exemple à la DDE, de conséquences de grands équipements comme les autoroutes ou le TGV. Ce que le rapport révèle sur la défaillance de l'Etat dans l'élaboration des PER est accablant. J'ajoute que ce sont bien des choix politiques qui ont accéléré la désertification des campagnes et la flambée de la spéculation immobilière.

C'est vrai aussi pour l'avenir, notamment dans le domaine du financement de la prévention. Le rapport avance que l'Etat et les collectivités locales n'ont pas les moyens d'en assurer la charge et qu'il faudrait se tourner vers d'autres intervenants: les agences de l'eau, l'EDF par le biais de la CNR, les compagnies d'assurance. Mais je constate tout d'abord que, compte tenu de l'attitude du gouvernement, les propositions faites risquent, une fois encore, de peser beaucoup plus lourdement sur les collectivités locales que sur l'Etat. On se félicite du plan du gouvernement de janvier 1994 ; mais l'Etat ne prendra à sa charge que 40 % du 1,2 milliard prévu. Qui paiera le reste? Ce qui est dit du plan ORSEC peut laisser craindre qu'on fasse moins appel à cette procédure, qui en règle générale s'accompagne d'une prise en charge par l'Etat et non par les collectivités locales des importantes dépenses qu'elle occasionne. (quant à la mutualisation des risques, elle aurait fait supporter aux collectivités locales les 2/3 des dégâts provoqués par les dernières inondations puisque sur 3 milliards de dommages matériels 2 ont concerné les infrastructures publiques. Ce n'est pas acceptable.

Restent les autres intervenants. On parle de multiplier par trois l'intervention des agences de l'eau et pour cela de créer une nouvelle redevance. Là encore, qui va payer ? La proposition est faite de créer un fonds de garantie alimenté par un prélèvement sur les primes d'assurance pour les catastrophes naturelles. Je souscris tout à fait à cette idée. Encore faut-il préciser que ce prélèvement sera effectué sur les bénéfices des compagnies d'assurance et non par une augmentation des primes. Quant à l'EDF, l'idée a pu paraître séduisante qu'elle contribue, par le biais de la CNR, aux indispensables travaux de prévention, notamment en Camargue.

Mais il faut savoir que rien que pour le budget 1995 les ponctions effectuées ou prévues sur EDF par l'Etat s'élèvent à 7 milliards de F. dont 3 milliards pour le canal Rhin-Rhône. Le gouvernement n'a prévu aucune compensation et a annoncé que les tarifs n'augmenteraient pas. On ne peut accepter cette politique qui met en cause l'avenir de l'entreprise publique.

Nous devons par conséquent affirmer avec beaucoup plus de force que l'Etat doit faire face à ses responsabilités, par exemple en levant un impôt solidarité sur les grandes fortunes, comme le propose le groupe communiste.

Ma troisième remarque sera beaucoup plus brève. Je partage l'objectif de mettre en place des structures par bassin afin d'obtenir une meilleure cohérence des actions d'aménagement, d'entretien ou d'alerte. Veillons cependant à ne pas dessaisir les collectivités locales et les élus de leurs responsabilités. Parce qu'ils sont au plus près des réalités et des populations, ils ont au contraire besoin de plus de moyens et de prérogatives pour des décisions vraiment efficaces.

Une dernière observation, enfin, concernant le problème majeur des indemnisations. J'apprécie la fermeté du rapport sur ce point. Je crois cependant que les délais d'indemnisation sont souvent supérieurs à 3 mois. Et surtout je regrette l'absence de propositions sur des questions qui touchent aux conséquences concrètes des inondations pour les sinistrés, qu'il s'agisse

- de la rapidité de la déclaration en zone sinistrée de toutes les zones touchées;

- du versement d'une aide exceptionnelle conséquente à tous les sinistrés et de la garantie de leur indemnisation complète sur la base de la valeur d'usage et non vénale des biens;

- du soutien de la solidarité nationale pour les familles en difficulté qui n'ont pu assurer la totalité de leurs biens;

- de la mise en place d'un plan d'urgence concernant le relogement, l'examen des impayés, ou des facilités financières, notamment des prêts sans intérêt;

- du versement de l'intégralité des salaires et primes à tous les salariés n'ayant pu se rendre à ~ leur travail pendant le sinistre ;

- des dispositions à prendre pour éviter que des opérations de restructuration des quartiers sinistrés n'en chassent les habitants;

- de l'aide non seulement aux entreprises mais aux agriculteurs et aux commerçants pour la reprise de leur activité;

- de la mise en place d'une commission départementale composée d'élus, de représentants des associations de sinistrés et des pouvoirs publics pour le suivi et la transparence de la solidarité.

Je souhaite que le rapport reprenne de telles propositions dont l'expérience a montré qu'elles étaient essentielles pour les sinistrés.

Sous réserve de ces observations, je voterai le rapport qui, dans l'ensemble, répond pour une large part aux préoccupations de mon groupe.

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N° 1641 (10ème législature).- Rapport de M. Thierry Mariani au nom de la commission d'enquête sur les causes des inondations et les moyens d'y remédier (tome I).


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