Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Quatrième partie - Conclusion - Recommandations de la commission d'enquête - Explications de vote

SOMMAIRE

Pages

QUATRIÈME PARTIE : LES LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE 255

I.- LA GESTION DES CRISES 255

A.- LES ATTENTES DE L'OPINION 255

B.- LES DONNÉES ÉTHIQUES 258

C.- LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION 261

II.- LE MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT AGRICOLE 265

A.- LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE TOUCHANT AU MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT AGRICOLE 265

B.- LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE POUR LE SECTEUR DE LA VIANDE BOVINE 269

III.- LE DÉVELOPPEMENT DES SUBSTITUTS AUX FARINES ANIMALES 274

A.- RAPPEL HISTORIQUE 275

B.- LE CONTEXTE ACTUEL 277

1.- Le recul du secteur oléoprotéagineux en Europe 277

2.- La dépendance de l'Europe dans le secteur des protéines végétales 278

C.- LES RÉFORMES QUI DOIVENT INTERVENIR 280

1.- Les premières mesures communautaires 280

2.- Les éléments d'un véritable « plan protéines » 283

CONCLUSION

RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE 297

EXPLICATIONS DE VOTE 371


Suite du rapport : annexes

Sommaire général du rapport


QUATRIÈME PARTIE : LES LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE

Sans prétendre à l'exhaustivité, on dira que l'affaire de l'ESB conduit à s'interroger sur la gestion des crises dans notre société, sur l'avenir du modèle de développement agricole et sur la nécessité de relancer la production de protéines végétales non seulement en France mais aussi à l'échelle européenne.

I.- LA GESTION DES CRISES

A.- LES ATTENTES DE L'OPINION

À la différence des crises survenant habituellement en agriculture, plutôt dues à des phénomènes de surproduction, la crise bovine de l'automne 2000 est apparue avant tout comme une crise de sous-consommation, reflétant une défiance profonde de l'opinion à l'égard de la viande rouge. Il est tout à fait significatif qu'une des principales illustrations de la nouvelle crise ait été l'interdiction de la viande de b_uf dans les cantines scolaires décidée par de nombreux maires, soucieux de répondre en cela aux inquiétudes des familles.

Il est établi, par ailleurs, comme plusieurs personnes auditionnées par la commission d'enquête l'ont estimé, qu'un mouvement de reprise de la consommation de viande bovine serait la contribution la plus efficace à la « sortie de crise ». L'attitude de l'opinion, des citoyens-consommateurs est donc fondamentale. Or, l'opinion est à la fois très sensibilisée aux questions de sécurité alimentaire, comme l'a bien montré Mme Marie-José Nicoli, présidente de l'UFC-« Que Choisir ? », et insuffisamment informée dans ce domaine.

Les Français, les Européens attachent le plus grand prix aux données de la santé publique. Une enquête du CREDOC réalisée à l'occasion de la « Journée européenne du consommateur » faisait ainsi apparaître que 61 % des Français considèrent comme inacceptable un seul décès au titre du risque alimentaire.

Mais, dans le même temps, l'opinion pense être mal éclairée sur la réalité des conditions de production. Mme Maïté Errecart, directrice de l'Institut national de la consommation (INC), a montré ainsi, lors de son audition par la commission d'enquête, que les consommateurs se jugent privés d'informations sur « la boîte noire agroalimentaire », les conditions concrètes de la production agricole restant peu transparentes. Il en résulte une certaine incompréhension réciproque. En témoigne l'anathème lancé contre le « productivisme », dont une des illustrations les plus choquantes serait le recours aux farines animales dans l'alimentation des bovins, qui aurait « rendu carnivores des animaux naturellement herbivores ». C'est le lieu de rappeler, une fois encore que les protéines d'origine animale, précieux apport en acides aminés, n'entraient dans la composition des aliments composés pour bovins que dans une proportion très faible, de l'ordre de 2 %.

Elles ont été totalement interdites pour les bovins depuis 1990, pour les ruminants depuis 1994 et n'étaient donc plus distribuées qu'aux porcs et aux volailles, qui sont des omnivores.

L'information donnée sur ce point par les médias souffre d'une grande imprécision. Traduisant ce sentiment, M. François Guillaume, entendu au titre de ses fonctions de ministre de l'agriculture du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, estimait ainsi : « Le problème des relations avec le consommateur consiste à lui faire comprendre l'évolution de l'agriculture et des techniques. En effet, l'information donnée par la presse est souvent marquée d'une méconnaissance totale du sujet et caractérisée par une approche alarmiste, dès qu'il est question d'alimentation. ».

De la même façon, M. Jean Glavany, a déclaré : « En cas de crise, la liberté de la presse est parfois un formidable support, parfois un formidable handicap. En pleine crise de l'ESB, j'ai vécu des émissions de radio ou de télévision extrêmement utiles par leur pédagogie. J'ai vécu aussi des émissions de télévision dangereuses, en particulier une qui était épouvantable par son irrationalité et l'impact désastreux qu'elle pouvait avoir sur l'opinion ; clairement, d'ailleurs, l'émission avait été conçue pour faire de l'audience sur le sensationnalisme et sur l'angoisse entretenue artificiellement. Cet espace-là, en période de crise, est très difficile à gérer. ».

Plus généralement, on ne sait pas comment gérer les crises, en dépit de tous les moyens d'information et de communication disponibles, lacune qui rend d'ailleurs la société plus vulnérable encore à mesure que ces moyens se perfectionnent. Notre collègue Mattei a bien montré à quel point les autorités pouvaient être démunis face à une crise : « les politiques, les décideurs d'une façon générale, que ce soient les gouvernants, les grands chefs d'entreprise, les hauts fonctionnaires, ne sont pas préparés à la gestion de crise. Nous ne savons pas s'il faut tout dire, ne rien dire, ce qu'il faut dire et comment associer l'opinion publique, bref, nous ne sommes pas préparés à cela et nous ne savons pas nous exprimer correctement lorsque l'on nous tend un micro ou quand il faut nous adresser à la population : faut-il rassurer ? Inquiéter ? ».

Agir en amont, en période ordinaire, pour mieux communiquer ? Mais certaines crises, comme celle de l'automne 2000, sont marquées par un facteur irrationnel si fort qu'il paraît illusoire de prétendre les prévenir.

L'exemple de « l'affaire SOVIBA », survenue en octobre 2000, est tout à fait caractéristique : elle a pour origine une sorte de « non-événement », les procédures de contrôle ayant très bien fonctionné.

M. Pierre Louisot, professeur de médecine de biochimie générale et médicale à la faculté de médecine de Lyon-Sud, a estimé précisément qu'en matière de risque, au-delà de la phase d'évaluation et de celle de la gestion du risque, il fallait donner toute sa place à un troisième temps, celui de la communication sur le risque, aujourd'hui mal assurée. Il indiquait ainsi : « La communication sur un risque ne peut plus passer exclusivement par le canal des médias traditionnels. Il appartient au gestionnaire du risque de mettre en place les conditions optimales d'une communication objective des faits et des décisions motivées qu'il prend, afin de fournir directement au consommateur l'information à laquelle celui-ci a légitimement droit. ».

Pour faire face à ces exigences, le « rapport Chevallier », de mars 2000, avait suggéré la mise en place de centres départementaux d'information scientifique et technique, permettant à l'opinion d'obtenir notamment sur les questions agroalimentaires des informations scientifiques objectives.

Une meilleure articulation de l'action de l'Institut national de la consommation (INC) avec celle du Centre d'information des viandes (CIV) serait souhaitable, de même que la reconnaissance aux autorités publiques d'un droit de réponse permettant à ces dernières de rétablir les éléments précis d'information sur une question ayant fait l'objet d'une communication inexacte.

Cette difficulté de communication révélée par les réactions irrationnelles de l'opinion publique à l'automne 2000 suggèrent sans doute un mal plus profond, ainsi que l'a souligné récemment le professeur Sicard, président du Comité national d'éthique : « N'accusons pas les médias, les politiques, les scientifiques, les médecins, mais accusons nous nous-mêmes ; nous avons perdu le sens de la mesure... Nous en revenons à des comportements archaïques qui en disent long sur notre incapacité à penser notre monde contemporain. ».

B.- LES DONNÉES ÉTHIQUES

« J'ai l'intime conviction que des agissements ont dépassé les principes moraux les plus élémentaires. Je n'accuse personne, car serait longue la liste des institutions, des pays, des responsables impliqués ; je pense que c'est le système qu'il faut davantage incriminer. ».

Ce constat est celui d'un de nos collègues, Jean-François Mattei, qui a réalisé sur l'affaire de la vache folle le rapport que l'on connaît.

Au fil du présent rapport, on a analysé les actes et comportements des différents acteurs. On évoquera ici les témoignages de personnes auditionnées qui ont fait ressortir certains aspects de la crise liés à l'éthique de la vie en société. Certains agissements font l'objet de procédures judiciaires. D'autres ne sont pas pénalement répréhensibles, même s'ils sont liés étroitement au déclenchement de la crise.

Le professeur Louisot a été particulièrement clair sur ce point : « Les premières alertes avaient révélé la légèreté des médias sur ce sujet. A mon avis, le comble a été atteint à l'automne dernier, lorsqu'un animal a été reconnu malade à son entrée à l'abattoir, qu'il a été immédiatement éliminé et que ses congénères ont été recherchés. C'était là un fait banal dans la gestion d'une épizootie potentiellement dangereuse. La caractéristique de cette affaire de l'automne est qu'elle ne présente aucune caractéristique : il ne s'est rien passé ! Ce fait divers, banal sous l'angle scientifique et de la gestion de crise, a été suivi d'une poussée d'hystérie médiatique sans précédent, écrite, parlée, télévisuelle. On a assisté à une campagne d'affolement des consommateurs, qui a conduit à la mise en cause directe de l'existence même de toute une filière agroalimentaire.

Je vous livre mon sentiment. Je sais bien que tout le monde doit gagner sa vie. En France, la liberté de presse est totale et le « sang à la une » fait toujours recette. En mélangeant chaque jour un peu de nitrate avec un peu de dioxine, un soupçon de mercure, quelques traces de plomb, d'OGM et de vache folle, on se taille un succès à bon compte. C'est un fait.

C'est pour moi l'enseignement principal que je tire de la crise de la « vache folle » et, plus particulièrement, de ses développements récents. Je dis cela sans aucune animosité à l'égard de quiconque, mais les faits sont les faits ; nous aurons d'autres crises à gérer et il faut penser sérieusement, en ce qui concerne la gestion du risque, à travailler à une communication directe, constructive et objective. ».

Il n'épargnait d'ailleurs pas, dans sa critique, les personnalités scientifiques : « Quant à la communication des chercheurs, vous soulevez là un problème délicat, car certains de mes collègues ont une conception spectacle de la diffusion de l'information. Cela existe dans tous les métiers, le monde de la recherche et de la médecine n'y échappe pas. Cela donne peut-être aux opérations un caractère illusoire et délicat à gérer.

Selon les règles d'éthique et de déontologie qui doivent s'appliquer au milieu de la recherche, nous insistons sur ce sujet dans un certain nombre d'organismes, la communication sur la recherche et ses résultats ne doit pas être un spectacle. Il me semble qu'aux yeux de la population, le chercheur gagne à faire preuve d'humilité, plutôt qu'à se lancer dans des opérations de communication grandioses et spectaculaires. Vous ne pourrez cependant jamais empêcher certaines personnes d'aimer cela. Je le déplore, comme vous, car cette attitude induit dans l'opinion publique des comportements extrêmement désagréables, le plus désagréable étant quand le « grand professeur Untel », dont ce n'est pas du tout le métier, s'exprime sur un sujet qu'il ne connaît pas. C'est assez critiquable, mais chacun sait que lorsqu'on est un « grand homme », on est un « grand homme » polyvalent ! ».

Dans un autre ordre d'idées, Mme Anna Tofftén, représentant le ministère de l'agriculture de la Suède et M. Urban Johnsson, expert en alimentation animale, ont présenté aux membres de la commission d'enquête l'expérience suédoise dans le domaine des productions animales et fait ressortir précisément ses aspects éthiques : l'élevage bovin y est largement guidé par le souci du bien-être animal ; l'usage des farines animales dans l'alimentation des bovins y est proscrit depuis longtemps (1988), l'interdiction d'incorporer des cadavres dans les farines datant même de 1986.

Ces mesures ont été prises indépendamment de la connaissance des cas d'ESB au Royaume-Uni, laquelle a par ailleurs été plus précoce qu'en France. C'est toute une conception de la société, de l'alimentation et des animaux qui, selon nos interlocuteurs suédois, ont préservé leur pays de l'ESB, ainsi que l'a précisé Mme Tofftén aux membres de la commission :

« Je soulignerai ... l'importance accordée par les Suédois à la sécurité alimentaire, pour laquelle les animaux sont des liens qui attirent toujours l'attention du public. Même si des organisations de consommateurs et de protection des animaux se préoccupent de ces problèmes, cela va bien au-delà, car c'est en fait le peuple suédois tout entier qui, avec les médias, a contribué à faire évoluer la situation s'agissant à la fois du bon traitement des animaux et de la sécurité des aliments.

De surcroît, il n'y a jamais eu de contradiction entre les intérêts du public et ceux de l'industrie agroalimentaire. Au contraire, l'industrie et l'agriculture ont toujours fait preuve d'une bonne volonté pour améliorer les conditions de vie des animaux et la qualité des aliments, même si, à court terme, cela leur coûte plus cher. C'est bien souvent, de façon volontaire, que l'industrie et l'agriculture ont pris des mesures qui ont ensuite été consacrées par la réglementation. L'agriculture s'est, sur ce point, montré unie et a beaucoup investi, avec l'aide des autorités, pour combattre et éradiquer un certain nombre de maladies animales. ».

Même si les élevages bovins en Suède et en France ne sont guère comparables, l'expérience suédoise demeure intéressante de ce point de vue.

En France, les agriculteurs ont souffert, lors de la crise de la vache folle, d'une vision quelque peu déformée de leur activité et de leur rôle dans la société, alors qu'ils sont dans la grande majorité, en réalité, des victimes. Les agriculteurs font depuis longtemps l'objet de procès tout à fait injustifiés. Ils sont parfois abusivement considérés, comme le déplorait Mme Christiane Lambert, présidente du réseau « Farre », comme des « primiculteurs » (« chasseurs de primes »), alors que le métier d'agriculteur est de plus en plus complexe et reste fondamentalement aléatoire, ou comme des « pollueurs », alors que nombre d'entre eux ont pris, depuis des années, le virage de la qualité et développé une agriculture respectueuse de l'environnement et soucieuse de durabilité. Les éleveurs ont enfin eu le sentiment d'être considérés comme des « empoisonneurs », alors que la plupart sont soucieux de la sécurité et de la qualité de leurs produits et qu'ils disent n'avoir pas été eux-mêmes informés correctement par leurs fournisseurs d'aliments.

Jean-François Mattei a indiqué que le premier enseignement qu'avait tiré la mission d'information dont il était le rapporteur, était « que nous ne pouvons plus accepter que soit séparé de manière artificielle tout ce qui touche à l'alimentation de l'homme et à l'alimentation de ce qui va servir à l'alimentation de l'homme. [...] La crise de la vache folle est à mon sens exemplaire d'un certain nombre d'errements de nos sociétés contemporaines. Le rapport de la mission d'information en avait déjà dégagé les grandes lignes et tiré les leçons. [...]

Je voudrais faire part d'enseignements issus de la préparation de ce rapport et de l'évolution ultérieure. La première leçon a trait à la dualité entre l'agriculture et l'élevage d'un côté, la santé publique de l'autre. Tout au long de nos travaux, nous nous sommes heurtés à des administrations souvent concurrentes. Nous nous sommes aussi heurtés à des intérêts professionnels apparemment et artificiellement contradictoires. Apparemment et artificiellement contradictoires, car ceux qui s'y opposaient autrefois sont les premiers aujourd'hui à demander que la santé publique apporte les garanties nécessaires au développement d'une économie d'élevage, ce qui n'a pas toujours été le cas, d'où des malentendus, des retards et des faux-semblants...

Nous ne devons plus accepter que soit séparé de manière artificielle tout ce qui touche à l'alimentation de l'homme et à l'alimentation de ce qui va servir d'alimentation à l'homme. Autrement dit, la filière alimentaire doit être étudiée dans sa globalité, avec les problèmes économiques et humains, car les premiers provoquent les seconds. À juste titre sans doute, l'on a avancé que la crise de la filière bovine avait fait davantage de morts par suicide chez les éleveurs désespérés que de la maladie de Creutzfeldt-Jakob elle-même. L'on ne peut négliger cet aspect, même si le consommateur et le problème de santé publique doivent être au premier plan. ».

Alors que ce qui touche à la santé publique figure au premier rang des préoccupations des citoyens, l'administration en charge de ces problèmes ne joue qu'un rôle tout à fait mineur.

M. Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, a d'ailleurs confirmé que la politique de sécurité alimentaire est une tâche qui engage toute la société et tous les ministères. « Il faut que la sécurité alimentaire soit l'affaire des consommateurs, des médecins, des agriculteurs et il faut donc que, ensemble, nous conjuguions l'impératif de sécurité alimentaire dans tous les ministères concernés. ».

La place dévolue au ministère de la Santé mérite donc d'être renforcée. La Santé devrait être érigée en ministère de plein exercice au sein du Gouvernement, de façon à accroître son poids dans les débats interministériels et à répondre aux attentes des citoyens.

Au plan européen, on observe que les préoccupations de santé publique sont de mieux en mieux prises en compte, comme l'atteste la place prise dans les services de la Commission européenne par la direction « santé-protection des consommateurs ». Mais les règles sanitaires sont insuffisamment harmonisées, alors que les marchandises circulent librement.

C.- LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Les contours du principe de précaution ont été largement analysés dans le « rapport Chevallier » de mars 2000 sur la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France ; le rapporteur souhaite donc renvoyer le lecteur à ces travaux et réflexions.

On rappellera que la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a défini pour la première fois le principe de précaution. Ainsi, l'article L.200-1 du code rural dispose que « Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.

Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

- le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;

- le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ;

- le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ;

- le principe de participation, selon lequel chacun doit avoir accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses. ».

M. Alain Cadiou, directeur général des douanes et droits indirects a, par ailleurs, développé devant la commission d'enquête une définition intéressante du principe de précaution. « La précaution, disait M. Cadiou, est un principe qui guide l'action administrative en matière de sécurité alimentaire. Ce principe signifie qu'aussi longtemps qu'un doute subsiste quant à l'innocuité d'un produit, celui-ci ne doit pas être commercialisé ou importé. La mise en _uvre de ce principe suppose en premier lieu une évaluation du risque, qui est aujourd'hui, en matière alimentaire, principalement dévolue à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).

Elle signifie en second lieu une gestion du risque, qui relève des administrations chargées du contrôle. La précaution sous-tend les principes de défense de l'intérêt général, de rapidité de réaction, de coordination entre les administrations, de « contrôlabilité » des mesures, de traçabilité des produits, de proportionnalité aux besoins du dispositif de surveillance et de sanction des infractions commises.

Elle implique, en dernier lieu, une information claire des citoyens sur la nature des risques encourus. ».

C'est en application du principe de précaution qu'ont été décidés, par exemple, l'abattage systématique du troupeau dans lequel a été détecté un cas d'ESB, ou l'extension des mesures restrictives relatives aux MRS.

Face à une maladie animale dont toutes les données sont loin d'être clarifiées (on pense notamment aux modes de transmission de l'agent pathogène), face surtout à une maladie humaine, pour laquelle la somme des incertitudes demeure considérable, le principe de précaution reste un guide à condition qu'il soit possible d'en délimiter les contours. Il a fait l'objet de nouvelles réflexions des Quinze à l'occasion du Conseil européen de Nice en décembre 2000 et doit donner lieu à des débats à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) tout au long de l'année 2001.

Quelques réflexions peuvent être faites sur ce sujet.

Tout d'abord, l'application du principe de précaution, qui est le gage de la prudence des pouvoirs publics, de leur esprit de responsabilité, peut conduire à une vision très pessimiste de la situation et créer, de proche en proche, des difficultés. Mme Geslain-Lanéelle, directrice générale de l'alimentation précisait ainsi : « La succession de nouvelles mesures, notamment le retrait des intestins, de la rate et du thymus, a contribué, c'est un constat, à renforcer l'inquiétude des consommateurs, qui n'a d'ailleurs pas totalement disparu, il n'est que de voir le niveau de la consommation de viande bovine dans notre pays ».

Mais comment « borner » efficacement le principe de précaution ? Mme Elisabeth Hubert, ministre de la santé publique et de l'assurance-maladie du 18 mai au 7 novembre 1995, a pu déclarer ainsi devant la commission d'enquête : « Je porte parfois un jugement un peu interrogatif face à la généralisation du principe de précaution qui, à mon sens, est bien trop souvent l'ouverture de parachutes maximum. », et M. Bernard Kouchner a indiqué : « nous ne pouvons pas nous passer du principe de précaution, que je ne voudrais cependant pas voir transformé en un syndrome de précaution, en une espèce de psychopathologie de la précaution. ». M. Kouchner a aussi fait valoir que le risque était une dimension importante de la vie et que, de plus en plus, les risques existants étaient ceux de la consommation et de l'environnement.

En ces domaines comme ailleurs le « risque zéro » est hors d'atteinte ; mais l'asymptote reste possible.

En tout état de cause, le principe de précaution ne doit pas se traduire par l'immobilisme, comme l'a souligné, parmi d'autres, le Pr. Louisot : « S'agissant du principe de précaution, je vous dirai tout d'abord que j'ai ce terme en horreur. Je préfère parler d'une « attitude de précaution raisonnable », car le principe de précaution n'est ni un principe de thermodynamique, ni celui d'Archimède, c'est une attitude. J'ai vécu douloureusement ce phénomène à la commission du Codex Alimentarius. Nos collègues anglo-saxons, en particulier, disaient qu'ils étaient favorables au principe de précaution à un détail près : il fallait leur expliquer de quoi il s'agissait, parce que, pour eux, « principe de précaution » équivalait à « principe d'immobilisme ». En fait, c'est le parapluie généralisé. Je ne sais pas si c'est à dire devant une commission d'enquête mais c'est ainsi que je le conçois. Pour tout arrêter, je le disais tout à l'heure, il suffit de ne plus manger.

Le principe de précaution s'applique lorsqu'un certain nombre d'événements scientifiquement importants sont susceptibles d'arriver, l'état des connaissances scientifiques étant incertain. Il faut donc disposer d'une analyse du risque extrêmement précise et d'une situation scientifique claire. Et l'on ne peut pas évoquer le principe de précaution ad vitam aeternam. Il faut engager une recherche sur le sujet, la financer spécifiquement, la coordonner entre les Etats qui s'y intéressent ; il faut également revenir régulièrement vers le gestionnaire du risque, en lui demandant s'il maintient toujours ce principe...

Si Pasteur avait appliqué le principe de précaution, il y aurait eu des morts de la rage en grand nombre. Ce qu'il a fait était tout à fait contraire au principe de précaution. D'autres exemples pourraient d'ailleurs être relevés. L'anticipation de la décision est une chose ; une attitude de précaution justifiée en est une autre et l'application du principe de précaution doit, à mon sens, être la mise en _uvre dynamique d'une attitude particulière de sagesse. ».

Les membres de la commission d'enquête ont exprimé leur attachement au principe de précaution, gage de sécurité, mais estimé, comme M. Bernard Kouchner, que ce principe ne devait pas se muer en un « syndrome de précaution ».

II.- LE MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT AGRICOLE

Même si le lien entre l'ESB et productivisme n'est qu'un lien indirect, la commission ne pouvait faire l'économie d'une réflexion sur les pratiques agricoles. Pour compléter les développements sur ce point, on évoquera les leçons de la crise de « la vache folle » en matière de développement agricole en général, puis pour le secteur de la viande bovine.

A.- LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE TOUCHANT AU MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT AGRICOLE

· L'ESB est souvent présentée comme une résultante de l'industrialisation de la production agricole, de la course aux rendements, de préoccupations exagérément quantitatives, du « productivisme ». Le recyclage systématique des déchets animaux, dont les farines sont un aspect, a pu être considéré comme une manifestation de ce productivisme. La valorisation des farines animales étant en tout état de cause l'élément d'équilibre du système de l'équarrissage, jusqu'à l'intervention des mesures de 1996 et de l'automne 2000 : les unes ont restreint la matière première (destruction des animaux à risque et des MRS) tandis que les autres ont supprimé les débouchés.

On ne peut nier qu'une forme de développement agricole a pu conduire à des excès. Toutefois, la dénonciation d'un « productivisme » coupable aboutirait à une vision fausse du développement agricole.

M. de Benoist, président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) a fait ainsi observer, lors de son audition par la commission d'enquête, que le procès fait au productivisme par certains ne devait pas conduire à remettre en question l'intérêt d'un développement de la productivité agricole. M. Michel Barnier, membre de la Commission européenne, a, de la même façon, rappelé lors du dernier congrès de la FNSEA en avril 2001, l'importance qu'avait eue pour l'agriculture européenne l'augmentation considérable de la productivité depuis le début des années 50.

Ajoutons à cela que les critiques portées contre les excès de l'agriculture portent bien souvent sur des aspects révolus. Ainsi, Mme Christiane Lambert, présidente du réseau « Farre » (Forum pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l'environnement), a estimé devant la commission d'enquête que les agriculteurs éprouvent « un sentiment de profonde injustice parce que le procès global et général fait aujourd'hui à l'agriculture correspond peut-être à ce qui se passait il y a dix ans, mais toutes les évolutions récentes, notamment les aspects qualitatifs et environnementaux, ne sont pas reprises dans le jugement sans appel porté par les grands médias nationaux s'acharnant sur les agriculteurs, en en faisant les éternels boucs émissaires. Ils font aujourd'hui le procès d'il y a dix ans, alors que déjà beaucoup de choses ont changé. ».

Sans nier les excès qui ont pu caractériser une agriculture du quantitatif, le rapporteur est en accord avec l'analyse faite par M. Bertrand Hervieu, président de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) dans une interview au journal « Le Monde » en date du 2 mai 2001. Pour M. Hervieu, les épizooties d'ESB et de fièvre aphteuse, loin d'être, selon lui, la conséquence du productivisme agricole, « sont d'abord la conséquence d'un abandon, de la part des pouvoirs publics anglais, des fonctions de contrôle et de surveillance dévolues dans notre pays aux services vétérinaires. ».

Quant à notre collègue François Guillaume, il a récusé avec beaucoup de vigueur le lien supposé entre productivisme et fièvre aphteuse, les épidémies de celle-ci existant depuis fort longtemps et par conséquent aussi à des époques marquées par l'agriculture traditionnelle. Cependant, il faut reconnaître que l'intensification de la production et des échanges a démultiplié les effets de l'épizootie.

Les agriculteurs ont pris, pour beaucoup d'entre eux, depuis plusieurs années, le virage du « qualitatif ». Cette évolution, qu'il faut amplifier, parce que la crise de l'automne 2000 a montré la nécessité de mieux maîtriser les conditions de la production principalement dans le secteur animal, se manifeste notamment à travers le développement de « l'agriculture raisonnée ». Celle-ci a été clairement définie par Mme Christiane Lambert, présidente du réseau « Farre » :

« L'agriculture raisonnée, c'est la traduction de l'integrated farming, l'agriculture intégrée, concept anglo-saxon, intégrée parce que s'adressant à la globalité de l'exploitation, comme on parle de développement intégré dans les entreprises, et non plus en segmentant les aspects techniques d'un côté, économiques de l'autre, et les aspects environnementaux et sociaux. Il s'agissait bien d'avoir une vision globale et cohérente, et d'appréhender en amont des décisions, les interférences et les interactions entre les aspects économiques, sociaux, territoriaux, environnementaux. ».

Selon un sondage Louis Harris de janvier 2001 cité par Mme Christiane Lambert, 70 % des agriculteurs pensent avoir des pratiques raisonnées ; le thème de « l'agriculture raisonnée » était celui du dernier congrès de la FNSEA tenu en avril 2001. En France, l'adoption d'un référentiel « agriculture raisonnée » commun à toutes les productions, complété par des guides spécifiques pour chaque secteur, est également en cours. Et la loi « sur les nouvelles régulations économiques » a prévu l'intervention d'un décret sur « l'agriculture raisonnée ».

Une autre voie est celle de l'agriculture biologique, mais celle-ci ne représente, en dépit d'importants progrès dans la période récente (en 2000, les superficies correspondantes ont augmenté de 10 % par rapport à 1999), que 1 % de la production agricole totale et 1,2 % de la surface agricole utile (SAU) de notre pays ; la législation applicable en la matière varie sensiblement selon les pays. On ne peut s'appuyer ainsi que de manière limitée sur l'agriculture biologique, sauf à accepter une baisse importante des rendements. Les précisions les plus optimistes touchant à l'avenir de l'agriculture biologique donnent à penser que celle-ci pourrait représenter dans l'avenir de 8 à 10 % seulement de la production agricole.

Cela laisse 90 % d'agriculture classique, conventionnelle, sur laquelle doivent porter les principaux efforts. Le contrat territorial d'exploitation (CTE) consacre précisément une nouvelle vision de l'agriculture et de son développement. M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, rapporteur du projet de loi d'orientation agricole (LOA) du 9 juillet 1999 qui a créé les CTE, a bien montré les objectifs qu'avaient retenus la LOA et les CTE : produire des biens alimentaires, « accrochés » à des signes d'identité et de qualité, en veillant à créer des emplois, à aménager le territoire et à préserver l'environnement.

Le CTE participe ainsi de la nouvelle vision de l'agriculture qui est multifonctionnelle et soucieuse de durabilité. Les agriculteurs doivent produire, mais dans le respect de l'environnement et de l'aménagement de l'espace. Cette technique doit encore être fortement encouragée. 8 000 CTE ont été agréés au début avril 2001 par les commissions départementales d'orientation agricole (CDOA), ce qui demeure très en-deça des prévisions. Il est impératif dès lors de simplifier profondément les mécanismes du CTE, si l'on souhaite véritablement sa montée en régime.

Les évolutions de la politique agricole commune doivent elles aussi être prises en compte si l'on veut apprécier l'orientation vers une agriculture plus qualitative.

· Longtemps conçue dans les années 60 et 70 pour financer l'accroissement de la productivité agricole et l'autosuffisance de l'Europe, la politique agricole commune a connu des inflexions très importantes, lorsque, dans les années 80, a été prévu un resserrement des garanties, puis dans les années 90, lorsqu'ont été définis les mécanismes de soutien des revenus des agriculteurs.

Les modifications intervenues dans le cadre des accords de Berlin de mars 1999 ont tendu à orienter davantage l'agriculture vers le marché et les exigences de compétitivité, ainsi qu'à définir des mesures ciblées visant les objectifs régionaux, ruraux et environnementaux, à stabiliser les dépenses agricoles et à préparer l'Union aux négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les réflexions menées sur l'avenir de la construction européenne comme les contraintes de la lutte contre l'ESB ont conduit les instances européennes comme certains Etats membres à plaider pour une révision sensible des mécanismes de la politique agricole commune.

C'est ainsi que la Commission européenne estime que la politique agricole commune réformée en mars 1996 et qui doit recevoir application jusqu'à la fin de 2006, devrait donner lieu à une évaluation « à mi-parcours » (mid-term review), en 2002. Pour le Commissaire Fischler, cette évaluation devrait concerner tous les secteurs d'activité agricoles et modifier la politique suivie à la lumière de la crise de l'ESB.

Certains États membres de l'Union, en particulier l'Italie et l'Allemagne, plaident désormais de plus en plus pour une politique agricole axée sur la sécurité des produits, la qualité et la protection de l'environnement ; les actions communautaires correspondantes devraient, selon ces pays, devenir prioritaires au même titre que les dépenses d'intervention sur les marchés ou celles qui sont consacrées au monde rural.

L'Italie demande que les primes dans le secteur bovin soient accordées prioritairement à la production biologique ; elle réclame l'élimination progressive du régime des quotas laitiers ainsi que la culture prioritaire de protéines végétales sur les terres en jachère. Elle souhaite que la politique agricole commune soit réformée avant l'adhésion de nouveaux Etat et que le principe de précaution fasse l'objet d'une reconnaissance officielle permettant aux Etats membres de choisir librement des produits sans OGM.

La France et l'Allemagne sont en accord sur la nécessité d'une réorientation de « l'Europe verte », reposant sur l'amélioration de la qualité des produits agricoles et la réorganisation des subventions à l'agriculture. Pour la France, de premières évolutions pourraient être organisées sans attendre 2006, terme prévu pour réformer la politique agricole commune. Il lui importe cependant de ne pas modifier fondamentalement cette politique, notamment afin de maintenir sa « lisibilité » pour les agriculteurs. L'Allemagne insiste davantage sur les modifications à apporter, admettant l'hypothèse d'une nouvelle réforme de la PAC, dès lors que celle-ci prendrait en compte les données sociales et environnementales. Il faudrait, selon les Allemands, réorienter les aides de façon à récompenser la réduction des capacités de production bovine et à encourager l'élevage extensif respectueux de l'environnement.

La commission d'enquête n'avait pas pour objet de se prononcer sur le thème de la révision de la politique agricole commune. Elle se bornera donc à deux observations :

- la PAC peut être accusée d'avoir favorisé un certain « productivisme », d'avoir conduit par la non-limitation des garanties qu'elle a prévue initialement à une forme de « surproduction » bovine ; mais l'insistance mise depuis quelques années sur les exigences de qualité et sur celles du « développement rural » incitent à relativiser cette critique ;

- on peut admettre la formule prévue dans les « accords de Berlin » de 1999, celle des « clauses de rendez-vous » ne conduisant pas à une révision globale de la PAC, mais à un suivi des organisations communes de marché et de l'évolution des dépenses agricoles. L'essentiel est que soit consacrée l'évolution vers une agriculture plus qualitative, soucieuse de l'environnement, de durabilité et qui prenne davantage en compte les personnes.

B.- LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE POUR LE SECTEUR DE LA VIANDE BOVINE

S'agissant plus particulièrement de la viande bovine, la crise de l'automne 2000 a délivré trois grandes leçons : la production comme la consommation de viande bovine doivent être diversifiées ; l'effort en faveur de la qualité doit être poursuivi dans ce secteur ; la production de viande bovine doit être maîtrisée. Enfin, la technique du « contrat territorial d'exploitation (CTE) herbager » devrait être développée.

La production et la consommation de viande bovine devraient être diversifiées. En France, premier pays consommateur de l'Union européenne, chaque habitant consomme 21,7 kg de viande bovine par an (1) et l'élevage bovin contribue fortement à nos équilibres économiques, sociaux et territoriaux. Le cheptel bovin français, qui constitue le quart du cheptel communautaire, représente 20,3 millions de têtes ; on compte 240 000 exploitations d'élevage, localisées, dans la plupart des cas, dans des départements en difficulté, où elles jouent un rôle important d'aménagement du territoire.

C'est dire combien sont attendues les initiatives susceptibles de maintenir la place de ce secteur d'activité dans notre pays. Parmi les idées à creuser, figure celle de la diversification.

Ainsi, les difficultés rencontrées sur le marché des broutards à la suite de la fermeture au début de 2001 du marché italien montrent, s'il en était besoin, la nécessité d'une diversification de la production, afin d'éviter une dépendance excessive à l'égard de marchés de consommation fondamentalement fluctuants et incertains. Il est donc nécessaire dans l'avenir de ne pas concentrer à l'excès la production bovine sur certaines spécialisations (par exemple, les veaux maigres, les jeunes bovins destinés à l'engraissement).

Peut-être conviendrait-il de réfléchir à nouveau aux moyens d'inciter à une consommation bovine diversifiée, à un changement des habitudes alimentaires conduisant par exemple à consommer relativement moins de viande provenant de vaches de réforme et plus de viande issue de jeunes bovins, largement tournée actuellement vers les marchés extérieurs, à consommer aussi davantage de viande provenant des b_ufs, cette production reposant sur une valorisation de l'herbe et sur des croissances lentes.

L'effort en faveur de la qualité doit par ailleurs être poursuivi, car le meilleur moyen d'aider le produit bovin serait d'en développer la consommation. La politique de qualité, insuffisamment valorisée dans ce secteur, constituerait précisément un outil essentiel de cet essor de la consommation. Un mouvement très positif anime ce secteur d'activité depuis plusieurs années, puisque la part de la production de qualité, qui n'était pendant longtemps pour la viande rouge que de 1 % est désormais proche de 15 à 20 %.

La production bovine doit enfin être maîtrisée. M. Laurent Spanghero, président de la Confédération française des entreprises bétail et viandes (FNCBV) a donné à la commission d'enquête les indications suivantes : « En 1996, nous abattions 1,45 million de tonnes de bovins. La crise de 1996 est survenue et, en 2000, nous abattions 1,3 million de tonnes, soit 10 % de moins. Je suis prêt à parier que nous allons encore enregistrer une perte de 10 % après la crise de 2000. Avant d'arriver à ces 10 %, on passe par la réduction de 20 à 25 % que nous connaissons aujourd'hui. ».

M. Franz Fischler estimait, de la même façon, que l'Europe pourrait ne pas retrouver les niveaux de consommation de viande bovine qu'elle a connus avant la crise.

Dans son rapport rendu public le 15 janvier 1997 au nom de la mission d'information commune « sur l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine », M. Jean-François Mattei avait déjà fait apparaître la baisse tendancielle du niveau de la consommation qui frappe le secteur bovin depuis le début des années 60. La crise de l'ESB et, plus récemment, celle de la fièvre aphteuse n'ont fait à cet égard que fragiliser davantage un secteur agricole déjà en difficulté. Le « rapport Mattei » tentait d'analyser les causes de cette désaffection pour la viande bovine et, plus largement peut-être, pour l'ensemble des produits carnés. Il citait notamment le phénomène de saturation découlant de trente années de forte croissance de la consommation de viande, le manque d'innovation dans la présentation du produit, une quasi-absence de publicité et d'identification de la viande, les recommandations nutritionnelles, la viande bovine ayant particulièrement subi le discrédit qui a frappé l'ensemble des produits carnés, accusés de favoriser tout particulièrement les maladies cardio-vasculaires, et enfin la réforme de la politique agricole commune de 1993, qui avait conduit à une baisse du prix des céréales diminuant le prix de revient des « viandes blanches » et accentuant ainsi la hausse du prix relatif de la viande bovine.

À ce caractère inélastique de la demande, s'ajoutent les perspectives réduites d'exportations. Les échanges avec les pays tiers sont traditionnellement limités, en effet, par les obstacles sanitaires, les limitations imposées par les accords internationaux ou les réticences de la Communauté à financer des restitutions à l'exportation. Nous sommes, par ailleurs, fortement dépendants de nos partenaires de l'Union européenne, qui représentent environ 90 % de nos exportations de produits bovins. Les marchés d'Italie et d'Espagne correspondant, par exemple, à plus de 85 % de nos exportations d'animaux vivants, principalement de taurillons et surtout de broutards voués à l'engraissement, la fermeture de ces marchés telle qu'on l'a observée à la fin 2000 ne peut avoir que des répercussions préoccupantes sur notre élevage bovin. Les prévisions pour 2001 établies par les services statistiques du ministère de l'Agriculture au début du mois de mars donnent, de la même façon, à penser que la production bovine française devrait s'accroître au cours de cette année de 6 %, du fait notamment du maintien d'un nombre important d'animaux dans les élevages, cependant que le niveau de la consommation pourrait baisser en 2001 de 9 % par rapport à 2000.

Dans une telle situation, la maîtrise de l'offre apparaît comme une voie inévitable, permettant d'ailleurs d'éviter que l'ajustement de la production soit abandonné aux lois du marché. Deux conditions doivent toutefois être alors remplies : la maîtrise de la production suppose, au préalable, une maîtrise des mouvements d'importations de viande bovine en provenance des pays tiers ; elle suppose également que l'effort nécessaire soit conduit au plan européen ; faute d'une telle solution, la maîtrise de l'offre bovine n'aboutirait qu'à faire gagner des parts de marchés à nos partenaires de la Communauté.

Avec le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), on peut d'ailleurs estimer qu'un effort de maîtrise de la production, pour le secteur bovin, comme d'ailleurs les autres activités agricoles, est, s'il est couplé avec une politique de « prix rémunérateurs » permettant aux paysans de vivre de leurs produits et de leur travail, une voie très positive pour la survie du secteur bovin.

Quels peuvent être les instruments de cette maîtrise de l'offre bovine ?

L'extensification de la production, telle par exemple que la Commission européenne l'a suggérée le 15 février 2001, en préconisant une baisse du taux de chargement à l'hectare, est certainement une formule prometteuse : elle est un moyen, en effet, d'aménagement du territoire et d'occupation de l'espace rural et facilite le développement d'un élevage à base d'herbe. Mais, elle peut gêner aussi l'installation des jeunes et le maintien de l'emploi, du fait qu'elle suppose la présence d'un moins grand nombre d'éleveurs sur une même surface. Elle peut buter précisément sur le manque de surfaces exploitables. Notons que le niveau d'intensification de l'élevage bovin français reste modéré, le chargement technique moyen étant de 1,47 unité de gros bétail/hectare.

Une autre voie essentielle de maîtrise de l'offre aux yeux du Gouvernement français consiste en la mise en _uvre du mécanisme d'élimination des petits veaux laitiers, qui permet à terme de réduire l'offre sur le marché, mesure qui avait déjà été appliquée en 1996 et avait fait l'objet alors d'un soutien financier de la Communauté (la « prime Hérode »). Il est indispensable que cette mesure intervienne à l'échelle communautaire, sauf à voir le marché français envahi par les produits des pays partenaires.

Le rapporteur voudrait enfin insister sur le fait que la nouvelle technique du « contrat territorial d'exploitation (CTE) herbager » doit être encouragée.

Le 5 février 2001, M. Jean Glavany proposait devant le Conseil national de la montagne la mise en place d'un CTE collectif « élevage herbager » pour les bovins et les ovins poursuivant deux objectifs : la gestion extensive des prairies et la qualité des produits.

Ce type de CTE doit, selon le ministère de l'Agriculture, comprendre un nombre réduit de mesures ; il devrait en outre faire l'objet d'un examen rapide dans les commissions départementales d'orientation agricole (CDOA), après validation par les préfets des projets collectifs.

Le « CTE élevage herbager » devrait concerner les 80 000 éleveurs qui perçoivent aujourd'hui la « prime à l'herbe » instituée en 1992 et qui pourrait ne pas être reconduite après 2003.

Le volet économique du « CTE élevage herbager » doit prévoir l'adhésion de l'éleveur à une démarche qualité, soit au stade de la signature du contrat, soit lors des deux premières années de contractualisation, dans l'hypothèse où l'éleveur veut bénéficier d'un soutien financier de trois ans.

Quatre types de démarche qualité sont proposées : les mesures de diversification de type 1 (appellation « montagne », marques collectives), les mesures de diversification de type 2 (adhésion à un cahier des charges de certification de conformité produit), les mesures de diversification de type 3 (adhésion à un label, à une indication géographique protégée ou à une appellation d'origine contrôlée), les mesures de diversification de type 4 (adhésion à un cahier des charges « produits fermiers »).

Le montant financier lié à ce volet « socio-économique » se calcule à partir d'un surcoût maximum de une à cinq heures par unité de gros bétail (UGB) et par an. Les producteurs bovins ne pourront prétendre à ces aides que si la densité de bovins viande ne dépasse pas 2 UGB/hectare de superficie fourragère totale consacrée à l'alimentation de ces bovins au terme du contrat.

La mesure obligatoire du volet « socio-économique » du CTE concerne ainsi l'adhésion à un cahier des charges-qualité, complétée éventuellement par une action visant à développer l'autonomie des animaux et des systèmes orientés vers l'herbe.

Quant au volet environnemental du « CTE élevage herbager », il prévoit plusieurs engagements possibles pour les éleveurs, s'agissant des surfaces en herbe : la gestion extensive des prairies par la fauche, la gestion extensive des prairies par pâturage obligatoire et enfin, la gestion des ressources en herbe par le pâturage extensif sur le parcours.

Les cahiers des charges correspondant à ces mesures qui contiennent les engagements, les montants de l'aide à l'hectare ainsi que les éléments de contrôle se réfèrent à chaque synthèse agro-environnementale.

Des mesures optionnelles (par exemple la reconstitution des paysages bocagers) peuvent également être retenues.

Enfin, le dispositif prévu a un caractère évolutif, puisque les éleveurs peuvent dans les trois ans qui suivent la signature de leur CTE, compléter ce dernier par des mesures optionnelles.

Le rapporteur demande qu'un essor réel soit donné à la formule du « CTE élevage herbager ». Il observe qu'en 2000, en France, 56 % des volumes de viande produits étaient issus du cheptel allaitant (2) nourri largement à base d'herbe, laquelle offre l'avantage d'avoir une réelle valeur protéique, d'aider à l'aménagement de l'espace et de ne pas être porteuse du prion. Il est indispensable que les exploitations du bassin allaitant (Auvergne, Limousin, Franche-Comté, Bourgogne) soient soutenues sur ce point par les pouvoirs publics.

Rappelons aussi que la production bovine française se fait largement à partir de l'herbe, puisque les prairies occupent plus de 80 % des surfaces fourragères, au lieu de 15 % pour le maïs ensilage.

Rappelons enfin que si la France compte 680 000 exploitations agricoles, 46 % d'entre elles élèvent des bovins.

III.- LE DÉVELOPPEMENT DES SUBSTITUTS AUX FARINES ANIMALES

Parmi les leçons de l'expérience figure la nécessité de développer en France et en Europe la production de protéines d'origine végétale.

La suspension de l'emploi des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, décidée au plan national le 14 novembre 2000, puis communautaire le 4 décembre, conduit à un recours exclusif aux protéines végétales pour la nourriture du bétail. Cette situation n'est pas complètement inédite ; beaucoup d'élevages avaient déjà renoncé depuis longtemps aux protéines animales, soit spontanément, soit sur recommandation d'organismes professionnels. Elle conduit donc à augmenter dans les rations animales la part des productions protéiques végétales déjà largement prédominante avant l'interdiction des farines carnées.

Les farines de viande correspondaient, pour l'ensemble de l'Union européenne, à l'équivalent de 2,3 millions de tonnes de tourteaux de soja. Pour conserver le même taux d'autosuffisance - déjà très faible - l'Union devrait augmenter de 30 %, soit de 2 millions d'hectares par rapport à la référence 2000, les surfaces actuellement plantées en oléagineux (soja, colza, tournesol) et en protéagineux (pois, fèves, féveroles, lupin).

Cet objectif n'est pas hors d'atteinte, dès lors qu'interviendraient des mesures nationales et communautaires d'accompagnement. Avant de présenter les mesures qui apparaissent nécessaires, on fera un bref rappel historique permettant une meilleure perception des enjeux actuels.

A.- RAPPEL HISTORIQUE

· C'est dans les années 60, avec le double accord négocié dans le cadre du « Dillon Round » en 1962, que sont posés les éléments de la problématique euro-américaine des protéines végétales. Alors que naît la politique agricole commune, l'Europe fait le choix d'importer des Etats-Unis des oléagineux, principalement du soja, en quantités importantes, à droit zéro ; en contrepartie, elle se voit reconnaître le droit de protéger et de subventionner fortement plusieurs productions agricoles majeures (céréales, lait, viande).

A cette époque, apparaît, en effet, un nouveau modèle de développement agricole, présent surtout aux Pays-Bas et au Danemark, fondé largement sur l'essor d'élevages porcins et avicoles « hors-sol » s'appuyant sur des approvisionnements importants en céréales et en produits protéiques. En 1967, est mise en place l'organisation communautaire du marché oléagineux fondée pour l'essentiel sur un système de « deficiency payment » (paiements compensatoires).

· Une seconde phase s'ouvre au milieu des années 70, lorsque les Européens découvrent, à l'occasion de l'embargo décidé par les Etats-Unis sur leurs exportations de soja après des récoltes insuffisantes, l'ampleur de leur dépendance dans le secteur des protéines. Un « plan protéines » est ainsi défini et mis en _uvre en 1974 en France, qui viendra encourager le développement des oléagineux (soja, colza, tournesol) et l'introduction des protéagineux (pois, fèves, féveroles).

Un système de soutien au secteur oléagineux s'organise, qui va concerner non les producteurs, mais les triturateurs qui sont les opérateurs de première transformation. L'aide versée à ces derniers, qui atteindra jusqu'à 300 francs le quintal à la fin des années 80, va permettre de maintenir une production propre en France et en Europe.

· A la fin des années 80, l'Europe fait l'objet de mises en cause au GATT, dont les instances ne disposaient pas, contrairement à celles de l'OMC, de pouvoir coercitif. Sur plainte des Etats-Unis contre le système communautaire de soutien aux oléagineux, les Américains ayant fait valoir que les aides européennes « à la transformation » étaient des aides à la production déguisées, les expertises effectuées concluent au caractère illicite des aides versées par l'Europe dans le secteur oléagineux 

En 1992, interviennent les accords de Blair House, qui autorisent l'Europe à continuer à soutenir sa production oléagineuse, en versant un soutien supérieur à celui dont bénéficient les producteurs de céréales à deux conditions : les aides doivent être versées aux seuls producteurs ; les superficies pouvant être consacrées à la culture des oléagineux sont limitées à 5,427 millions d'hectares, niveau existant à la date des accords. Le règlement de base sur les oléagineux est, par ailleurs, modifié avec l'institution d'un paiement compensatoire spécifique à l'hectare, variable suivant l'évolution des marchés mondiaux.

· En mars 1999, le Conseil européen de Berlin prévoit, dans le cadre de l'Agenda 2000, de porter progressivement, le montant des aides spécifiques accordées aux producteurs d'oléagineux au niveau de celles des producteurs de céréales, lesquelles font l'objet d'une baisse de 15 % d'ici 2002.

Les agriculteurs sont d'autant moins incités à produire des oléagineux que le soutien spécifique en faveur de ceux-ci doit être supprimé en juillet 2002. Les accords de Blair House sont vidés de leur substance : le plafonnement des surfaces imposé à la Communauté européenne n'aura plus de raison d'être, les aides aux oléagineux ayant perdu leur spécificité et leur caractère condamnable aux yeux des Américains.

S'agissant des protéagineux, qui sont cultivés essentiellement pour leur teneur en protéines (les oléagineux servent aussi à la production d'huile) et ne sont soumis à aucune contrainte internationale, il apparaît clairement que l'abaissement de l'aide de base aux producteurs aboutit à décourager ces derniers : alors qu'en 1994, la surface cultivée en protéagineux était voisine de 750 000 hectares, la surface correspondante n'était plus que de 450 000 hectares en 2000.

Notons également qu'avec l'Agenda 2000, l'Europe perd un « filet de sécurité », autrement dit un système protégeant l'ensemble de la filière contre des baisses importantes des prix de marché dans les secteurs oléagineux et protéagineux. Depuis un an et demi, les producteurs américains de soja réalisent plus de 60 % de leur chiffre d'affaires à l'hectare grâce au versement d'aides gouvernementales, les 40 % restant provenant de la vente de leurs produits.

Ainsi que le faisait observer M. Xavier Beulin, président de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (FOP), cette situation pèse sur les cours mondiaux, puisque les superficies cultivées en soja comme les volumes correspondants se sont accrus de 30 %. Par conséquent, le marché mondial des protéines aujourd'hui est plutôt tiré « à la baisse », même si la demande est forte. N'ayant plus en Europe de « filet de sécurité » pour ces productions, nous sommes victimes de ces aléas de marché, phénomène qui ne fait qu'amplifier le déficit économique de ces secteurs agricoles et le désintérêt des producteurs.

B.- LE CONTEXTE ACTUEL

Le contexte dans lequel s'inscrit la réflexion sur les protéines de substitution comprend trois éléments :

- la place du secteur oléoprotéagineux se réduit en France comme en Europe depuis les accords de Berlin ;

- l'Europe reste fortement dépendante de l'extérieur dans le secteur des protéines végétales et la prépondérance du continent américain, où la production d'oléagineux est souvent à base d'organismes génétiquement modifiés (OGM), tend à se renforcer.

1.- Le recul du secteur oléoprotéagineux en Europe

Le premier élément qui caractérise le contexte actuel est sans doute la diminution de la place du secteur oléoprotéagineux en France comme en Europe, due largement à la mise en application de l'Agenda 2000, particulièrement défavorable à cette activité agricole. La période récente est marquée par un mouvement général de diminution de la production française pour tous les oléoprotéagineux ainsi que des superficies qui y sont consacrées.

Selon l'Office national interprofessionnel des oléagineux, protéagineux et cultures textiles (ONIOL), la production française de colza de 3,59 millions de tonnes en 2000 a diminué ainsi de 19 % par rapport à son niveau de 1999, les exportations ayant même baissé pour ce produit de 33 % (de 75 % pour les exportations vers les pays tiers). De la même façon, les superficies cultivées en colza sont évaluées pour 2001 à 1,11 million d'hectares, enregistrant ainsi une diminution de 10 % par rapport à 2000.

La production de tournesol pour 2000 (1,87 million de tonnes) diminue quant à elle de 2 %, les surfaces de culture correspondantes (739 000 hectares) baissant de 10 %. Quant à la production de soja (208 000 tonnes en 2000), elle a baissé elle aussi de 22 %, la diminution des superficies (79 000 hectares) atteignant 23 %. Enfin, la production de pois protéagineux décroît elle aussi en 2000 (1,96 million de tonnes, soit - 30 % par rapport à 1999).

A l'échelle communautaire, les prévisions établies pour la récolte 2001 conduisent à une analyse similaire. C'est ainsi que le Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne (COPA) indiquait, au début du mois d'avril 2001, que les superficies de l'Union consacrées à la culture d'oléagineux pourraient diminuer de 1,1 % par rapport à 2000 (5,26 millions d'hectares). Les emblavements resteraient inférieurs à la surface maximale communautaire garantie retenue dans les accords de Blair House. Le mouvement de baisse prévu en 2001 viendrait s'ajouter ainsi à celui que l'Europe a connu en 1999 et 2000.

2.- La dépendance de l'Europe dans le secteur des protéines végétales

Le deuxième élément caractéristique du contexte actuel est le maintien de la forte dépendance de l'Europe en protéines végétales, dépendance qui tend d'ailleurs à s'accroître (le taux de cette dépendance était de 71 % en 1997, il est de 75 % aujourd'hui). Cette progression s'explique notamment par l'essor des élevages industriels porcins et avicoles, lesquels réclament des matières premières concentrées en protéines et en énergie.

Ainsi, selon la Fédération nationale des producteurs d'oléagineux et de protéagineux, les taux de dépendance de l'Europe étaient en 1999-2000 les suivants :

- soja : 97 % ;

- colza : 12 % ;

- tournesol : 65 % ;

- protéagineux : 13 % ;

- lin oléagineux : 50 % ;

- autres sources de protéines végétales (corn gluten feed, tourteaux de germes de maïs, coton, arachide) : 70 %.

C'est le continent américain qui occupe une place prépondérante en ce domaine.

En 2000, la production de soja des Etats-Unis, qui sont de très loin le premier producteur mondial, s'est élevée à 75,3 millions de tonnes marquant ainsi une hausse de 4 % par rapport à la campagne précédente. La production du Brésil s'élevait à 35 millions de tonnes, au lieu de 32,8 millions de tonnes en 1999 et celle de l'Argentine à 24 millions de tonnes, au lieu de 21 millions de tonnes.

De la même façon, selon le département américain de l'agriculture (USDA), les surfaces cultivées en soja aux Etats-Unis devraient s'accroître de 3 % en 2001 par rapport à 2000 et s'établir à 30,66 millions d'hectares. Une part très importante du soja produit par le continent américain est à base d'organismes génétiquement modifiés (OGM). C'est ainsi que, selon le département américain de l'agriculture, les organismes génétiquement modifiés devraient occuper 63 % de la superficie totale consacrée à la culture du soja aux Etats-Unis en 2001, au lieu de 54 % en 2000.

Au Brésil, premier fournisseur français (les tourteaux de soja importés proviennent à 73 % de ce pays), les OGM ne sont pas autorisés, mais il n'est pas sûr que cette interdiction soit respectée (on évalue parfois à 20 % la quantité d'OGM contenue dans le soja brésilien importé). Quant au soja argentin (les tourteaux proviennent à 12 % d'Argentine), il est génétiquement modifié à plus de 80 %.

Il existe certes une filière tracée « non OGM » dans plusieurs régions du Brésil, mais les contrôles ne sont pas toujours rigoureux. Cette situation pèse sur les producteurs français de soja, qui ont su mettre en place une filière de qualité avec une forte traçabilité et subissent une concurrence déloyale.

Les importations françaises de tourteaux de soja ont crû de 9 % entre 1999 et 2000 (passant de 3,5 à 3,9 millions de tonnes) et les importations de graines de soja ont augmenté pendant la même période de 25 % (de 403 000 à 507 000 tonnes).

C.- LES RÉFORMES QUI DOIVENT INTERVENIR

1.- Les premières mesures communautaires

M. Franz Fischler, commissaire européen en charge de l'agriculture, a exposé au bureau de la commission d'enquête la position de la Commission européenne. Celle-ci observe que l'Union européenne produisait chaque année trois millions de tonnes de farines de viande et d'os ; cette production étant excédentaire, 500 000 tonnes étaient exportées à destination des pays tiers et 500 000 tonnes étaient utilisées dans l'alimentation des animaux de compagnie. Les deux millions de tonnes restantes étaient-elles produites à un prix intéressant et leur utilité dans l'apport protéique du bétail était-elle totalement avérée ? La suspension des farines de viande et d'os n'oblige ainsi à trouver qu'entre 1 million et 1,5 million de tonnes de protéines chaque année. L'Union européenne, dans son ensemble importe déjà chaque année 30 millions de tonnes de soja. La suspension des farines carnées ne représente ainsi que 3 à 4 % de ces importations.

Un développement des achats communautaires de soja est apparu dès lors à la Commission européenne comme la solution la plus adaptée. De surcroît, les moyens financiers feraient défaut pour un soutien de grande ampleur aux productions protéiques végétales. Si l'on consacrait ainsi 450 millions d'euros à l'aide aux agriculteurs produisant des protéines végétales, il faudrait retirer ces sommes aux éleveurs.

La Commission européenne s'est donc bornée à présenter une proposition de règlement concernant la mise en valeur des jachères par des cultures biologiques.

La Commission européenne a en effet présenté au début de l'année 2001 un projet de règlement ouvrant la possibilité de cultiver sur jachère, des légumineuses fourragères dans les exploitations dédiées à 100 % au mode de production biologique. Cette mesure n'a pas pour objectif de répondre à la question plus large de l'approvisionnement en protéines végétales de l'Union européenne, mais souhaite offrir une opportunité spécifique, applicable dès cette année aux producteurs de cultures biologiques.

La mesure ne s'adresse qu'aux exploitations biologiques, qui pourront cultiver sur jachère des légumineuses fourragères. La jachère doit réglementairement correspondre à un pourcentage préétabli des terres cultivées bénéficiant de paiements communautaires à la surface. Une fois gelées, les terres ne peuvent être affectées qu'à la culture de certaines productions à usage non alimentaires.

La dérogation offerte constitue, selon le projet, une pratique agronomique permettant de reconstituer, de façon naturelle, la fertilité du sol. Les surfaces concernées, au niveau de l'Union, pourraient être de l'ordre de 50 à 60 000 hectares. La liste des cultures éligibles n'est pas définie. Selon la Commission, cette liste serait fixée dans le cadre d'un règlement d'application de la Commission.

Cette proposition est très restrictive et ne correspond guère aux caractéristiques des exploitations.

En France, en effet, les exploitations ne sont pas toujours exclusivement biologiques : différents types de production peuvent cohabiter au sein d'une même exploitation : ateliers non bio et céréales bio ou grandes cultures bio et vignes non bio... De plus, il est fréquent que les agriculteurs biologiques sèment des protéagineux et des céréales en mélange. Ces mélanges sont en effet conseillés dans le mode de production biologique.

La proposition de la Commission ne prend pas en compte ces deux caractéristiques (existence d'exploitations partiellement biologiques et pratique des mélanges de céréales et de protéagineux) Les quelques exploitations qui pourraient le cas échéant être intéressées par la mesure en seraient réglementairement, pour ces deux raisons, exclues.

La liste des cultures éligibles n'est pour l'instant pas définie, et la Commission a déjà précisé qu'elle ne souhaitait accepter que les cultures dont la liste figure dans le règlement "fourrages séchés" (règlement du Conseil n°603/95), qui encadre le secteur de la transformation des fourrages séchés, pour sa partie concernant les fourrages séchés au soleil.

Au sein de ce règlement, la liste des produits éligibles comprend : farine et pellets de luzerne moulue séchée autrement qu'artificiellement et moulue, luzerne, sainfoin, trèfle, lupins, vesces, mélilot, jarosse et serradelle, séchés autrement qu'artificiellement et moulus. Il existe d'autres légumineuses fourragères intéressantes qui devraient également être prises en compte.

La position des autorités françaises est d'ailleurs très critique à l'égard de ce projet.

Il ne constitue pas une réponse à la question de l'approvisionnement en protéines de l'UE

A cet égard, la France souhaite que soient prises en compte ses demandes concernant la définition d'un plan protéine ambitieux. Il est nécessaire d'étudier sérieusement toutes les options possibles :

- une revalorisation de l'aide aux protéagineux, qui permettrait d'avoir un impact immédiat sur cette production, dont les surfaces sont en baisse constante depuis deux ans ;

- une meilleure utilisation des opportunités offertes par le développement rural dans le cadre de mesures encourageant la rotation des cultures ;

- pour ce qui concerne les oléagineux, il convient de prendre en compte les contraintes résultant de l'accord de « Blair House » consolidé dans l'accord agricole de Marrakech, toutefois des propositions devraient permettre d'enrayer le recul des cultures (comme par exemple le maintien de la surprime ou le rétablissement d'un filet de sécurité).

La France considère que pour être efficace, la mesure doit pouvoir être suivie d'effet, or, en l'état, elle ne porterait que sur un petit nombre d'hectares et constituerait de ce fait un signal politique contre productif.

L'approche suivie par la Commission en matière de prise en compte de l'environnement est partielle

La proposition vise à favoriser les pratiques culturales respectueuses de l'environnement par rapport à certaines pratiques, qui peuvent être pénalisantes pour l'environnement. Cette approche est légitime, mais partielle dans le cas présent, en se limitant notamment aux cultures biologiques.

En outre, dans le même temps, le document de la Commission présenté en Conseil des Ministres le 19 mars dernier sur l'approvisionnement en protéines végétales de l'Union explique qu'il n'est pas nécessaire de renforcer les pratiques rotationnelles incluant des cultures riches en protéines, compte tenu de leur coût d'opportunité comparé à celui des importations. L'intérêt de la rotation par rapport aux pratiques mono culturales n'est donc pas considéré dans le cas présent comme suffisant pour justifier des aides spécifiques.

La position de la Commission en ce qui concerne la gestion durable des ressources et le respect de la biodiversité s'avère donc contrastée.

Ce sujet plus global ne peut se satisfaire d'une telle approche empirique, au cas par cas et devrait faire l'objet d'une approche globale cohérente.

Dans sa forme actuelle, cette proposition n'est pas optimale pour les producteurs biologiques

Elle est réservée aux exploitations suivant entièrement le mode de production biologique. En France, au moins la moitié des exploitations seraient exclues de la mesure (à titre d'exemple en Allemagne seulement 10 %). Il faut que les exploitations partiellement biologiques puissent bénéficier de la mesure (ou au moins les exploitation qui sont à 100 % bio pour les cultures arables).

Il est nécessaire d'élargir la liste des cultures concernées et de rendre éligibles les mélanges entre protéagineux et céréales. Il serait souhaitable que cette liste (ou pour le moins ses grandes lignes) soit fixée dès le règlement du Conseil.

Tout en jugeant cette proposition tout à fait insuffisante, les ministres de l'agriculture des Quinze ont approuvé, le 24 avril 2001, les suggestions de la Commission, autorisant ainsi dès cette campagne la culture biologique des légumineuses fourragères sur la jachère, la France et l'Italie ayant voté contre.

Le 5 avril, le Parlement européen a lui aussi jugé tout à fait insuffisante la proposition de la Commission et estimé qu'il fallait autoriser l'utilisation des terres gelées « pour toutes les cultures de légumineuses fourragères » et ce, « non seulement sur les exploitations de l'agriculture biologique, mais aussi sur celles participant à un programme agri-environnemental et, à partir de 2002, sur celles qui sont spécialisées dans l'élevage traditionnel ». Et le Parlement européen demandait que soit plutôt autorisée « l'utilisation des terres mises en jachère pour cultiver des protéagineux, des oléagineux, des graines de lin, des pois, des haricots et du lupin. ».

Le rapporteur estime que la mesure adoptée par le Conseil des ministres présente un certain intérêt, car elle permet de revaloriser des terres en jachère et elle peut favoriser des conduites d'élevage plus naturelles ; elle ne correspond cependant qu'à une avancée tout à fait marginale, restant très en deçà d'un « plan protéines » ambitieux qui serait seul à la hauteur des enjeux.

2.- Les éléments d'un véritable « plan protéines »

· Le premier élément que doit retenir un « plan protéines » concerne l'aide à la production de protéagineux (pois, fèves, féveroles, lupin), culture pour laquelle aucune contrainte internationale n'est subie par l'Europe ; l'aide de base à l'hectare aujourd'hui accordée par l'Union européenne devrait être impérativement réévaluée pour inciter nettement les producteurs à s'orienter vers ce secteur agricole.

La revalorisation que souhaitent les professionnels nécessairement élevée, car il faut tenir compte des coûts de transport et de déshydratation est de l'ordre de 400 à 500 francs par hectare, ce qui permettrait d'atteindre un différentiel de 800 à 1 000 francs entre une culture de protéagineux et une culture de céréales, niveau que l'on connaissait avant les décisions prises à Berlin en mars 1999.

L'essor de la production de protéagineux est d'autant plus envisageable qu'il s'agit d'une filière jeune, qui dispose de marges de progrès importantes en matière de productivité.

La revalorisation des aides aux protéagineux est l'un des thèmes évoqués par le bureau de la commission d'enquête lors de sa rencontre avec M. Pascal Lamy, commissaire européen en charge du commerce. Selon lui, seule la « clause de paix » prévue dans les « accords de Blair House » est susceptible de concerner le secteur des protéagineux : on ne peut aider une production plus qu'elle ne l'était en 1992. Or, depuis cette année là, la production de pois protéagineux, comme les surfaces qui lui sont consacrées, sont en régression de 5 % par an. Il semble donc possible d'aider la production de protéagineux en France, sans porter atteinte à la « clause de paix ».

· S'agissant du secteur oléagineux, il apparaît indispensable que, dans le cadre des négociations internationales, la Commission obtienne des Etats-Unis la restauration d'un « filet de sécurité » ; les Américains bénéficient d'un large soutien pour produire du soja, alors que les Européens sont victimes de distorsions de concurrence.

· Une autre action, suggérée par M. Xavier Beulin, président de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux, pourrait conduire à appliquer aux oléoprotéagineux et à la luzerne le système d'aide retenu en 2000 pour le tournesol, au titre, non des paiements compensatoires, mais du « programme de développement rural », dans le cadre du deuxième pilier de la politique agricole commune. Le soutien accordé permettrait d'encourager les producteurs à pratiquer les rotations de cultures dans leurs exploitations. Les aides versées seraient classées dans la « boîte verte » des négociations à l'Organisation mondiale du commerce et donc exemptées de toute mesure de réduction.

Le développement de nos ressources en soja est une autre voie à explorer. Les superficies françaises cultivées en soja doivent atteindre environ 130 000 hectares en 2001 au lieu d'un peu moins de 80 000 hectares en 2000, ce mouvement de hausse étant plus particulièrement lié à la mise en place, il y a deux ans, d'une filière de « soja de pays » soutenue par le Gouvernement et qui a concerné 95 % de nos surfaces cultivées en soja en 2000. La prime ainsi versée par les pouvoirs publics a atteint 1 300 francs par hectare en 2000 ; elle a été reconduite pour 2001.

La filière « soja de pays », qu'il faut encourager, est une filière non OGM, qui garantit une forte traçabilité depuis la semence jusqu'à l'utilisateur final et repose sur des cahiers des charges rigoureux.

Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Xavier Beulin, président de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (FOP) a estimé que l'utilisation des différentes variétés de soja pourrait permettre à la France d'atteindre, à terme, une superficie globale de culture de 200 000 hectares.

Il apparaît enfin utile d'approfondir nos réflexions sur la possibilité de valoriser nos ressources en luzerne déshydratée, comme substituts naturels aux protéines animales. Comme l'a rappelé en janvier 2001 le syndicat des déshydrateurs de France (SNDF), dans le cadre de propositions pour le « plan protéines », la luzerne est la plante qui fournit le plus de protéines à l'hectare (2,5 tonnes au lieu de 800 kilos pour le soja). L'Union européenne produit, d'ailleurs, chaque année 5,2 millions de tonnes de fourrages déshydratés (3) sur 500 000 hectares.

Lors de la réunion du Conseil des ministres de l'agriculture des Quinze du 4 décembre 2000, le ministre français de l'agriculture M. Jean Glavany a proposé d'augmenter de 10 % la quantité maximale garantie (QMG) européenne, actuellement de 4,4 millions de tonnes et d'accroître l'aide aujourd'hui fixée à 68,83 euros/tonne de 4 euros.

Les professionnels réclament de l'Union européenne un accroissement de 30 % de la quantité maximale garantie européenne et de 10 % de l'aide. Ils estiment que ces deux mesures permettraient de réduire de 25 % le déficit protéique européen résultant de l'interdiction des farines animales. Ils demandent également un soutien à la recherche sur les fourrages verts, notamment sur la luzerne (4) ainsi qu'à la communication permettant de sensibiliser les éleveurs aux avantages des fourrages déshydratés. Ils font observer que la luzerne déshydratée est le produit qui reçoit le soutien public le plus faible à la tonne de protéine produite.

En toute hypothèse, en l'absence de mesures prises dans le cadre communautaire pour encourager la production de protéines végétales en France, il faudrait importer 8 % de tourteaux de soja en plus du continent américain, avec de grandes incertitudes concernant la traçabilité de ces produits.

Toutefois, comme l'estimait M. Pascal Lamy, lors d'un entretien avec le Bureau de la commission d'enquête, les producteurs d'oléagineux disposent de réserves de productivité. De surcroît, le prix des céréales est appelé à baisser conformément aux accords de Berlin, ce qui devrait contribuer à relancer le secteur des oléagineux, même s'il est vrai qu'il ne peut être cultivé dans toutes les régions.

On peut conclure ce point, en estimant que si l'Europe reste structurellement dépendante en matière d'approvisionnements protéiques, secteur pour lequel, selon M. Xavier Beulin, « nous avons une culture d'importateurs depuis quarante ans », le passage à un taux d'autosuffisance de 20 à 40 % constituerait un résultat très positif. Encore faut-il que les instances de l'Union européenne sachent définir et mettre en _uvre rapidement un véritable « plan protéines ».

CONCLUSION

_  En dépit du progrès des connaissances, beaucoup d'incertitudes entourent encore la maladie humaine liée à l'ESB, à savoir la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. On ne connaît pas l'intensité avec laquelle la population a été exposée ; on ne connaît ni la dose infectieuse, ni l'effet répétitif de doses subinfectieuses ; enfin, on ne connaît pas la durée moyenne d'incubation de la maladie chez l'homme. Dans ces conditions, il est hasardeux d'établir une quantification du risque auquel a été exposée la population française et du nombre de cas futurs de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. La recherche sur le prion, dont l'association avec un autre agent pathogène ne peut être aujourd'hui totalement exclue, et sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) n'a pas débouché, jusqu'à présent, sur des approches thérapeutiques.

_  Bien des incertitudes subsistent sur la cause de l'épizootie d'ESB, détectée en Angleterre à partir de 1986. On évoquera ici une hypothèse crédible. Dès les années 1970, les farines de viande et d'os (FVO) - incorporant toutes sortes de cadavres, y compris sans doute des ovins atteints de la tremblante, ainsi que des bovins atteints d'ESB de manière sporadique - ont été utilisées de manière croissante en Grande-Bretagne, où les conditions techniques de préparation des farines ont été modifiées.

Dès lors, a pu se développer un processus cumulatif d'infection : quelques cas d'ESB sporadiques ont contaminé les FVO, qui ont à leur tour propagé l'infection. Ces bovins atteints d'ESB sont passés dans la chaîne alimentaire et leurs déchets transformés en farines animales ont provoqué l'épizootie anglaise à partir de 1986, dont le pic est atteint en 1992.

_  La commission d'enquête a pris connaissance des conclusions du rapport Phillips qui porte un jugement sur l'action des gouvernements du Royaume-Uni depuis l'apparition de l'ESB, s'agissant des mesures destinées à endiguer la maladie animale et à protéger la santé humaine dans ce pays. Les auteurs du rapport Phillips regrettent le discours longtemps tenu par les autorités publiques britanniques tendant à nier jusqu'au 20 mars 1996 l'hypothèse d'une transmission à l'homme de l'ESB, alors que des mesures opportunes de prévention de la maladie chez l'animal et de précaution pour les êtres humains ont été mises en _uvre de façon assez rapide. Ils relèvent que l'application et le contrôle de ces mesures n'ont pas toujours été satisfaisants. Ils estiment cependant que le gouvernement du Royaume-Uni n'a pas menti à sa population et que la santé publique a été rapidement l'un de ses sujets de réflexion et d'action.

Notre commission d'enquête estime que le gouvernement du Royaume-Uni n'a pas averti de façon appropriée ses partenaires commerciaux de l'infectiosité des farines de viandes et d'os qu'il a interdites pour l'alimentation des ses ruminants à compter du 18 juillet 1988. Le gouvernement britannique avait le devoir moral de procéder à l'interdiction des exportations de ces farines. La commission d'enquête estime donc que l'attitude des autorités britanniques est constitutive d'une faute grave, même si des scientifiques et des fonctionnaires britanniques ont insisté pour mettre en _uvre l'interdiction de ces exportations. Ils n'ont pas été entendus.

L'accusation portée contre le gouvernement britannique d'avoir sciemment autorisé l'exportation d'abats bovins interdits à la consommation humaine à compter du 13 novembre 1989 dans ce pays semble erronée. Ces abats à risque n'étaient pas tous détruits au Royaume-Uni, comme le prouve leur utilisation dans des aliments pour les volailles et les porcs dans ce pays jusqu'au mois de septembre 1990. Ils ont ainsi pu pénétrer en France ; ces éventuelles exportations d'abats interdits, dont il est impossible d'évaluer la quantité, ont constitué une fraude à la réglementation britannique. Les autorités françaises et communautaires ont interdit l'importation des abats à risque en provenance du Royaume-Uni respectivement le 16 février 1990 et le 9 avril 1990.

S'agissant de l'attitude du gouvernement du Royaume-Uni à l'égard des instances communautaires, la commission d'enquête relève un déficit constant d'informations jusqu'à la crise du mois de juin 1990. Jusqu'en 1996, la mise en _uvre des mesures de restriction des exportations britanniques, destinées à empêcher l'extension de la maladie sur le territoire des autres Etats membres par des produits britanniques, a été déficiente. Tout en se montrant, à tort, peu coopératif à l'égard des Etats qui défendaient lesdites mesures, le Royaume-Uni s'est prononcé en faveur d'une interdiction communautaire de l'usage des protéines de ruminants dans l'alimentation des ruminants dès 1990, ainsi qu'en faveur du retrait et de l'interdiction des MRS bovins et ovins dans l'Union européenne en 1996.

_  À la lumière des événements qui se sont déroulés depuis la connaissance en France de l'épizootie d'ESB en Angleterre (1988-1989), jusqu'à la mesure d'interdiction totale des farines en France (14 novembre 2000) et dans l'Union européenne (4 décembre 2000), beaucoup des mesures prises dans notre pays paraissent tardives, partielles, inopérantes. Aujourd'hui, il est aisé de dire à quel point il eut été souhaitable d'agir mieux et plus vite.

Le Parlement lui-même réagit plutôt qu'il anticipe. Il n'y a pas eu de question orale ou écrite portant directement sur l'ESB pendant les années 1988 à 1991 ; une commission d'enquête sur la filière bovine, qui a travaillé à la fin de l'année 1990 et au début de l'année 1991, ne mentionne l'ESB que comme l'un des facteurs qui pèsent sur la demande et le cours de la viande bovine.

Il y a eu une insuffisante appréciation par les pouvoirs publics du danger que constituaient le développement de l'ESB dans un pays tout proche, puis l'apparition de quelques cas en France (5 en 1991, 0 en 1992, 1 en 1993, 4 en 1994, 3 en 1995, 12 en 1996).

Rappelons les éléments qui ont été portés à notre connaissance par de nombreuses personnes auditionnées : jusqu'en 1990, l'ESB a été considérée par la grande majorité de la communauté scientifique nationale et internationale comme une maladie animale similaire à la tremblante du mouton. À cette époque, les enjeux concernaient plus l'économie de l'élevage que la santé publique. Il a en outre été considéré à tort qu'il s'agissait d'un problème spécifique au Royaume-Uni puis à l'Irlande.

La commission d'enquête estime qu'il faut considérer chaque mesure prise par les autorités publiques françaises au regard des connaissances et de la situation épidémiologique propre à la France. On ne saurait systématiquement reprocher aux autorités françaises de ne pas avoir pris sans délai des mesures analogues à celles du Royaume-Uni.

Cependant, on peut regretter que l'avis aux importateurs du 13 août 1989, interdisant l'importation en provenance du Royaume-Uni de farines de viandes et d'os pour l'alimentation des ruminants, soit intervenu tardivement, d'autant plus qu'il n'a été pleinement efficace qu'à compter du mois de février 1990, date à laquelle les dérogations n'ont plus été accordées. Même si la contamination du cheptel français a sans aucun doute commencé avant cette date, le délai de treize mois entre l'interdiction britannique des farines pour les ruminants (juillet 1988) et la mesure française (août 1989) a contribué à augmenter l'incidence de cette contamination.

De surcroît, l'administration a exercé un rôle que l'autorité politique aurait dû assumer elle-même. Le ministre de l'Agriculture n'a pas signé l'avis aux importateurs du 13 août 1989. Il a indiqué ne pas en avoir été informé. Les dérogations que cet avis prévoyait étaient délivrées par les services vétérinaires, moyennant le simple engagement de l'utilisateur de ne pas les donner à des ruminants. Les avis aux importateurs de décembre 1989 (extension du champ d'application de celui du 13 août 1989), de février 1990 (interdiction de l'importation des abats bovins à risque en provenance du Royaume-Uni ) et de 1993 (levée de l'interdiction à l'égard de l'Irlande) ont été pris dans les mêmes conditions : les ministres successifs ont indiqué ne pas en avoir été informés.

La commission d'enquête observe que les autorités publiques ont mis en place dès 1990 le réseau d'épidémiosurveillance de l'ESB. Cette décision positive mérite d'être signalée.

La même appréciation ne peut être portée sur l'arrêté du 24 juillet 1990 tendant à interdire l'utilisation de protéines animales dans l'alimentation des seuls bovins. Il avait pourtant été initialement prévu qu'elle concernerait tous les ruminants. Les conditions dans lesquelles cette interdiction a été limitée in extremis aux seuls bovins, pour des motifs liés à « l'équilibre de l'équarrissage », révèlent la pression de ces professionnels sur l'administration. L'organisation interne du ministère de l'Agriculture, au sein duquel l'exercice de la tutelle sur les activités économiques était confiée, jusqu'en 1999, à la même direction que celle en charge de la sécurité sanitaire des aliments, se prêtait à pareil dysfonctionnement.

La restriction du champ d'application de l'arrêté du 24 juillet 1990 a pu favoriser les contaminations croisées. L'interdiction des protéines de mammifères dans l'alimentation des ruminants a finalement été mise en _uvre en France en 1994, comme dans le reste de l'Union européenne. Il s'agit de l'une des rares décisions pour lesquelles la France n'a pas anticipé la décision communautaire.

La création du système français d'épidémiosurveillance passive de l'ESB en 1990 et l'interdiction de l'emploi des protéines animales dans l'alimentation des bovins en juillet 1990, sont consécutives à la crise issue de l'embargo décidé par la France, concernant l'importation de tous les produits bovins en provenance du Royaume-Uni, mis en _uvre du 30 mai au 7 juin 1990. Cette initiative ministérielle courageuse, qui avait pour but de provoquer une réaction des instances communautaires, n'a malheureusement pas été poursuivie ; il n'est pas certain que les autorités publiques françaises aient saisi la faible portée des mesures communautaires prises en contrepartie de la levée de l'embargo. Comment ne pas s'étonner par ailleurs que cet embargo ait eu pour origine des informations recueillies par le ministre de l'Agriculture dans la presse britannique transmises par l'attaché agricole à Londres en avril 1990, comme le ministre nous l'a lui-même indiqué ? Il n'est pas satisfaisant de constater que la saisine de l'autorité politique ait pu être issue, en France, de ce type d'informations. Il aurait été normal que l'autorité politique française soit saisie plus tôt par les services français compétents et sur la base d'informations précises et étayées fournies par leurs homologues britanniques.

Le retrait et la destruction des MRS - mesure essentielle, finalement mise en _uvre au mois de juin 1996 - aurait du être envisagée au sein du ministère de l'Agriculture dès l'apparition des premiers cas d'ESB en France, c'est à dire dès 1991. Alors que les abats à risque sont interdits dans la fabrication des aliments pour les bébés dès 1992 et que les services de la DGS procèdent dès 1991 au retrait des produits pharmaceutiques contenant de tels abats, il semble que l'opportunité d'une telle décision ait échappé aux services compétents du ministère de l'Agriculture, et ce, durant plusieurs années.

Ce retard a été lourd de conséquences :

- avant 1996, des animaux infectés ont intégré la chaîne alimentaire en France. Le nombre de ces animaux ne peut être considéré comme négligeable au vu des cas d'ESB relativement nombreux détectés chez des animaux nés en 1993, 1994 et 1995 ;

- il a permis le recyclage d'organes à risque d'animaux infectés au début des années 1990 et donc leur incorporation dans la fabrication des aliments pour les ovins, les volailles et les porcs. Par le jeu des contaminations croisées, ces aliments ont infecté d'autres bovins. On peut donc estimer que ce retard est à l'origine, au moins partiellement, de la forte augmentation du nombre de cas d'ESB détectés chez des animaux nés en 1993, 1994 et 1995, augmentation constatée depuis le début de l'année 2000 et qui a contribué à l'émergence de la psychose de l'automne 2000.

Il faut noter cependant que les situations épidémiologiques française et anglaise étaient et demeurent extrêmement différentes. Si le retrait des abats à risque de l'alimentation humaine est intervenu au Royaume-Uni dès 1989, cette décision a été prise dans un contexte épidémiologique déjà très dégradé. En effet, à la fin de l'année 1989, plus de 10.000 cas d'ESB avaient déjà été détectés au Royaume-Uni ; en France, à la fin de l'année 1996, seulement 25 cas d'ESB ont été détectés.

Par ailleurs, la France a mis en _uvre le retrait et la destruction des matériaux à haut risque et des MRS quatre ans et demi avant la décision communautaire correspondante et a ainsi permis la sécurisation des chaînes alimentaires humaine et animale. À partir de juillet 1996, les mesures de sécurité sanitaire que la France met en _uvre constituent des compléments opportuns à cette mesure essentielle. Si la France a appliqué avec un retard de dix mois le traitement thermique des coproduits animaux prévu par une décision de la Commission du 18 juillet 1996, ce retard ne devrait pas avoir eu d'effets sur la sécurité sanitaire des aliments, puisque les abats à risque étaient retirés des chaînes alimentaires humaine et animale dès le mois de juillet 1996.

L'implication du ministère de la Santé n'a pas été suffisante, celui de l'Agriculture restant en charge du dossier à titre principal, même après l'annonce de la transmissibilité à l'homme de l'agent pathogène. Les questions de santé publique ne sont venues au premier plan qu'après les révélations de mars 1996, qui ont donné lieu à la création du comité Dormont et à la loi du 1er juillet 1998 créant l'AFSSA.

Le dépistage systématique des animaux de plus de trente mois qui entrent dans la chaîne alimentaire, mis en _uvre depuis le 1er janvier 2001, permet de détecter des cas d'ESB que le système d'épidémiosurveillance passive n'a pas relevé. Il convient cependant de noter que, si des cas non détectés entraient dans la chaîne alimentaire, la santé humaine ne devrait pas être mise en danger car les organes infectieux sont systématiquement retirés. La chaîne alimentaire demeure donc, dans une telle hypothèse, sécurisée.

Contrairement à une idée reçue, l'interdiction, décidée le 14 novembre 2000, d'utiliser des farines issues des coproduits animaux dans l'alimentation de tous les animaux n'a pas eu pour objet d'éviter les contaminations croisées. Le risque des contaminations croisées issu des farines fabriquées en France était déjà proche de zéro depuis le retrait et la destruction des matériels à haut risque et des MRS à compter du mois de juillet 1996. En effet, depuis cette date, si des aliments pour les volailles et les porcins étaient donnés, par erreur, à des bovins, ils ne pouvaient plus être contaminants du fait du retrait de ces matériels. Il reste que l'interdiction totale des farines a présenté un triple avantage :

- elle a répondu à l'attente de l'opinion publique en écartant de l'alimentation animale un produit considéré comme le vecteur de l'ESB et de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ;

- elle a permis aux autorités publiques de passer d'un dispositif d'autorisation généralisée grevé de certaines interdictions à un système d'interdiction généralisée assorti, le cas échéant de dérogations précises conditionnées à certaines exigences de sécurité sanitaire (ainsi les farines de porcs et de volailles ont été à nouveau autorisées pour les animaux de compagnie et les farines de poisson pour l'alimentation des poissons) ;

- elle donnera le temps à l'expertise scientifique de mener une étude approfondie sur une éventuelle infectiosité d'animaux qui ne développeraient pas d'encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) tout en étant porteur d'agents pathogènes.

En revanche, cette interdiction totale pose aux autorités publiques des problèmes non encore totalement résolus de stockage et d'élimination des farines à bas risque (250 000 tonnes environ à ce jour) et d'incinération à flux tendu des déchets à haut risque.

_  S'agissant des instances communautaires, il faut relever qu'au cours des premières années de l'épizootie, le Commissaire européen alors en charge de l'Agriculture a fait obstruction à certaines mesures susceptibles de limiter l'extension de l'ESB en Europe. Les préoccupations d'ordre sanitaire ont été occultées par l'objectif majeur de libre circulation des biens, des services et des capitaux. Les produits ont circulé librement sans que les règles sanitaires soient harmonisées, au détriment de la santé humaine. Il en est résulté, de surcroît, des distorsions de concurrence au détriment des pays, comme la France, qui avaient pris sur leur territoire des mesures de précaution conformes à l'intérêt public.

La Communauté européenne s'est trouvée durablement confrontée à une autre contradiction de caractère systémique : compétente pour édicter des réglementations, elle est totalement dépendante des Etats membres pour la mise en _uvre de celles-ci et le contrôle de leur application. Ce sont précisément dans ces deux domaines que l'on déplore les plus grandes défaillances, indépendamment du fait que les règles édictées se sont avérées elles-mêmes tardives et perméables à la fraude.

A partir de 1993 et l'avènement du marché unique, les contrôles douaniers ont été remplacés par l'examen a posteriori des déclarations d'échanges de biens (DEB) qui ont démuni les autorités de leur pouvoir de contrôle aux frontières. La libre circulation des marchandises sans harmonisation préalable des règles sanitaires a entraîné ce qu'un témoin a appelé un « alignement sur le moins disant sanitaire ».

D'une manière générale, la préservation de la santé n'est considérée comme une « composante des autres politiques de la Communauté » qu'à partir du traité de Maastricht, entré en vigueur en 1993. C'est aussi à compter de cette date que l'obligation de supprimer les restrictions quantitatives entre les Etats membres ne fait pas obstacle aux interdictions d'importation justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes, sous réserve de ne pas constituer un moyen de discrimination arbitraire. Cette disposition ne semble pas avoir été utilisée dans l'affaire de l'ESB avant l'embargo décidé en 1996.

La décision de la Commission du 18 juillet 1995, concernant les restrictions aux livraisons britanniques de viandes bovines à destination d'autres Etats membres de l'Union européenne, reflète, pour la première fois au niveau communautaire, une vision raisonnable de l'ampleur de l'épizootie subie par le cheptel bovin du Royaume-Uni. Cette mesure a été précédée de deux décisions louables, mises en _uvre en 1994, relatives à l'interdiction de l'utilisation des protéines de mammifères dans l'alimentation des ruminants et au traitement thermique des coproduits animaux. La prise de conscience communautaire des problèmes relatifs à l'ESB a donc été tardive, encore partielle à cette date, mais néanmoins réelle.

Le coup de tonnerre du 20 mars 1996 (annonce en Grande-Bretagne de dix cas humains de maladie de Creutzfeldt-Jakob liée à l'ESB) et les observations critiques du rapport d'enquête du Parlement européen ont débouché sur une meilleure organisation de l'expertise scientifique communautaire et sur la prise en compte, au sein de la Commission, des impératifs de santé publique. Dans ce contexte, on peut saluer la position constante de la Commission, à compter de la fin de l'année 1996, tendant à proposer le retrait et la destruction des MRS et à évaluer le risque de la présence de l'ESB dans chaque Etat membre. Mais le Conseil des ministres de la Santé de l'Union européenne, qui ne se réunit qu'une fois par semestre, est resté en retrait dans la gestion de cette affaire.

Certains Etats membres de l'Union européenne ont nié jusqu'à la fin de l'année 2000, contre l'évidence, la présence de l'ESB sur leur territoire. Ils ont ainsi retardé l'adoption de la mesure communautaire prescrivant le retrait et la destruction des MRS. Cette attitude constitue une faute grave à l'égard des Etats membres qui ont appliqué cette mesure et de leur population. Elle peut être considérée comme totalement irresponsable, dès lors que la transmission de l'ESB à l'homme était avérée depuis le 20 mars 1996. Les producteurs français ont subi, de surcroît, les effets d'une concurrence inégale, les produits non sécurisés parvenant à bas prix sur le marché.

L'interdiction communautaire des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage doit entraîner le développement dans l'Union européenne des productions d'oléagineux et de protéagineux. Les propositions de la Commission sont aujourd'hui très éloignées du « plan protéines » que souhaitent nombre de responsables nationaux et européens pour réduire la dépendance de l'Union européenne, pour ses approvisionnements en protéines végétales, vis-à-vis des Etats-Unis et du Brésil.

_  La poussée de fièvre de l'opinion publique à l'automne 2000 reposait sur la perception décalée de risques réels, mais appartenant infiniment plus au passé qu'au présent. Elle a été alimentée par l'augmentation du nombre de cas d'ESB (signe d'une contamination remontant en moyenne à cinq années auparavant) résultant elle-même, en partie, d'un dispositif plus affiné de détection. Elle a été aggravée par certains articles de presse et quelques émissions télévisées plus soucieuses de dramatisation que d'objectivité.

Paradoxalement, un des facteurs déclenchants de la crise en novembre 2000 a été l'arrêt à l'abattoir, avant son entrée dans la chaîne alimentaire, d'un bovin atteint d'ESB, ce qui a démontré, dans ce cas précis, le bon fonctionnement des contrôles vétérinaires. Mais le contexte de l'affaire, les erreurs de communication et la surenchère médiatique, ainsi que diverses prises de position (retrait de la viande bovine dans la restauration collective) ont totalement inversé le sens des événements.

On relèvera néanmoins le rôle tenu par les associations de consommateurs et l'opinion publique dans l'accélération de la prise des décisions.

Si le risque zéro n'existe pas, dans l'alimentation comme dans toute activité humaine, la viande bovine n'a jamais été aussi sûre qu'aujourd'hui. La viande bovine française était sécurisée depuis les mesures de retrait des abats prises à partir de 1996. L'harmonisation communautaire des règles de sécurité sanitaire a progressé de manière décisive en ce domaine depuis l'automne 2000. La consommation de viande revêt donc aujourd'hui un degré de sécurité extrêmement proche du risque zéro, du fait de la conjonction du retrait des MRS, des tests de dépistage de l'ESB à l'abattoir et de la traçabilité des viandes.

Le risque alimentaire lié à l'ESB pouvant être considéré comme maîtrisé, la vigilance des autorités publiques et de l'expertise scientifique doit aujourd'hui se porter :

- sur les risques de contaminations interhumaines pouvant résulter des actes médicaux et des interventions chirurgicales ;

- sur les risques environnementaux de contaminations liés au stockage des farines, aux effluents des abattoirs et usines d'équarrissage, ainsi qu'aux boues des stations d'épuration.

·  Les contrôles effectués sur les farines animales se sont avérés difficiles, parfois impraticables, administrativement complexes et pour l'essentiel inopérants.

Difficiles, tant qu'il n'existait pas de réglementation communautaire ni de mesure générale d'interdiction : on sait contrôler des points fixes, mais contrôler les mouvements s'est avéré matériellement impossible. De surcroît, jusqu'en 1997, le contrôle n'était que documentaire et comptable, à défaut d'analyses chimiques.

Impraticables en raison de codes douaniers inadéquats et de nomenclatures ne permettant pas de distinguer clairement les différentes catégories de farines. De surcroît, les règles statistiques étant différentes d'un pays à un autre, on a constaté d'importantes différences entre les chiffres des pays exportateurs et les quantités vérifiées à l'importation en France. Enfin, des farines fabriquées au Royaume-Uni ont pu passer par l'Irlande, les Pays-Bas ou la Belgique pour arriver en France.

Administrativement complexes, en raison des cloisonnements des administrations : les directions compétentes, relevant de ministères différents, ont vécu « les unes à côté des autres, parfois dans un dialogue de sourds, parfois dans une concurrence administrative malsaine, parfois même dans une concurrence dommageable », comme l'a souligné un témoin.

Inopérants, dans la mesure où, pour l'essentiel, la contamination du cheptel français a été effectuée dans des conditions qui n'étaient pas contraires à la réglementation alors en vigueur. Cette contamination résulte en effet : des bovins vivants importés du Royaume-Uni alors qu'ils étaient infectés (les importations n'ont été stoppées qu'en 1996) ; des farines britanniques importées en 1989 (29 000 tonnes au 1er semestre 1989 contre 10 000 au second semestre 1988), l'avis aux importateurs n'étant intervenu que le 13 août 1989 ; des farines françaises issues de bovins français contaminés par les farines britanniques.

Certes, les farines sont interdites pour l'alimentation des bovins dès le 24 juillet 1990, mais le champ de l'interdiction est très étroit et laisse une grande marge de man_uvre à l'utilisation légale des farines (pour les ruminants autres que les bovins et tous les autres animaux) ; de surcroît, les circuits de fabrication des aliments pour animaux ne sont pas systématiquement séparés en fonction des catégories d'utilisateurs, ni les moyens de transport des aliments, ni sans doute les récipients utilisés dans les exploitations. Toutes les conditions sont remplies pour des contaminations croisées. Ce n'est qu'en 1994 qu'intervient l'interdiction d'utiliser les farines animales pour l'ensemble des ruminants dans tous les pays communautaires.

Toutefois, le maintien en France, à la différence du Royaume-Uni, de services publics performants a contribué à atténuer dans notre pays les effets de la crise de l'ESB. La diversité même des contrôles constitue un élément plutôt positif, à condition qu'ils fassent l'objet d'une meilleure coordination, notamment sous la forme de pôles de compétence de sécurité alimentaire, déjà organisés dans certains départements et qui devraient être généralisés à l'ensemble du territoire.

·  À travers toutes les auditions et recherches, nous pouvons donc distinguer clairement deux périodes séparées par l'annonce du 20 mars 1996. Il apparaît très nettement que, dans la première période, les autorités françaises et européennes ont eu, à des degrés divers, le souci principal de préserver la filière.

Devant les incertitudes scientifiques, eu égard au peu de cas d'ESB en dehors de la Grande-Bretagne et compte tenu de l'existence de nombreux autres sujets de préoccupation, le principe d'une transmission à l'homme n'étant que fort peu évoqué, l'économique est resté la priorité.

Après le 20 mars 1996, la prise de conscience a été douloureuse ; les autorités françaises ont souvent anticipé des décisions communautaires et franchi des étapes décisives en créant le comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST), en instituant l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et en réformant la direction générale de l'alimentation (DGAL). Il faut dire cependant que le cloisonnement et le manque de transversalité ont souvent été préjudiciables à l'efficacité des mesures mises en _uvre.

RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Ces recommandations seront regroupées autour des thèmes suivants :

· la santé publique,

· les farines et graisses animales,

· la lutte contre l'ESB,

· l'information et la protection du consommateur,

· les mesures communautaires,

· les mesures d'organisation administrative,

· les pratiques agricoles.

I - La santé publique

1) Exercer une très grande vigilance à l'égard des risques de contamination interhumaines - quoique non démontrés à ce jour - résultant notamment des actes médicaux et des interventions chirurgicales.

2) Traiter efficacement les risques de contamination liés à l'environnement, c'est-à-dire résultant du stockage des farines, des effluents des abattoirs et industries d'équarrissage, ainsi que des boues des stations d'épuration.

3) Maintenir la vigilance à l'égard du risque alimentaire, aujourd'hui pris en compte pour les productions communautaires grâce aux mesures nationales puis communautaires de retrait des organes contaminants des animaux entrant dans la chaîne alimentaire. Il convient de veiller rigoureusement au respect de ces dispositions par des contrôles adaptés dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.

4) Demander au Gouvernement de saisir l'AFSSA aux fins d'une étude sur la hiérarchisation des risques sanitaires de l'alimentation. Il s'agit de situer de manière objective les différents risques sanitaires liés à l'alimentation, afin de répondre à l'inquiétude et aux questions que pose la population.

5) Eriger la Santé publique en ministère de plein exercice, afin de renforcer son poids dans les discussions interministérielles. En effet, les tâches relatives à la santé ayant un caractère interministériel prononcé, il convient de donner à ce ministère, qui en a la charge à titre principal, toute la place qui lui revient.

II - Les farines et graisses animales

6) En raison des délais d'incinération des farines à haut risque liés à l'insuffisance des capacités disponibles, il conviendrait d'étendre à ces farines les procédés de sécurisation prévues pour les farines à bas risque destinées à être stockées.

Actuellement, le traitement thermique d'inactivation n'est pas imposé pour les farines de déchets animaux à haut risque destinées à être incinérés. Or la production de ces farines a augmenté sous l'effet des mesures de précaution instituées. Le traitement de ces farines à 133 °, pendant 20 minutes sous 3 bars, permettra de réduire leur infectiosité en attendant l'incinération. Il convient également de développer les procédés d'incinération des déchets crus.

7) La commission d'enquête propose, à ce stade, la prorogation de l'interdiction des farines animales. Mais elle demande que soient étudiées les conditions dans lesquelles des farines issues de volailles et de porcs pourraient être utilisées pour l'alimentation de ces animaux omnivores et monogastriques.

Les farines de ces animaux représentent environ 70 % du total des farines dont l'utilisation a été interdite le 14 novembre 2000. Les problèmes environnementaux dus au stockage et à l'élimination seraient réduits d'autant.

Toutefois, les circuits de fabrication et de transports seraient totalement dédiés, cette condition devant assortir toute mesure d'autorisation.

Surtout, en préalable, l'incertitude scientifique du « porteur sain » devrait être levée par une recherche spécifique, afin de s'assurer que des monogastriques porteurs éventuels de l'agent pathogène sans développer eux-mêmes la maladie, ne puissent entrer dans la chaîne alimentaire.

8) Limiter l'utilisation des graisses de ruminant destinées à l'alimentation humaine ou animale aux seules graisses de parage recueillies avant la fente de la carcasse.

La mesure de suspension prise le 14 novembre 2000 concerne non seulement les farines animales mais aussi les graisses de cuisson et les graisses issues de la transformation des os destinés à la production de gélatine. Toutefois, aucune disposition n'interdit l'utilisation humaine (suif, pharmacie, cosmétique) et l'usage en alimentation animale (lactoremplaceurs) des graisses recueillies après la fente des carcasses de ruminants. Ces graisses peuvent donc éventuellement comprendre des fragments de moelle épinière ou de tronçon nerveux.

Il convient donc de mieux sélectionner les graisses destinées à ces usages.

III - La lutte contre l'ESB

9) Exiger, pour les animaux et viandes importées des pays tiers, le respect des mêmes mesures que celles qui sont imposées dans l'Union européenne.

Si les importations de MRS en provenance de tous les pays tiers - à l'exception de ceux classés en catégorie I (ESB hautement improbable) - sont interdites depuis le 1er avril 2001 dans l'Union européenne, en revanche, aucune exigence en matière de test de détection de l'ESB n'est requise pour les viandes des animaux des pays tiers.

Il conviendrait d'obtenir cette exigence à l'égard des pays classés en catégorie III (ESB probable mais non confirmée ou confirmée à faible échelle).

Une étude devrait être conduite sur l'opportunité d'étendre cette exigence aux pays classés en catégorie II (ESB improbable mais non exclue).

10) S'agissant des tests rapides de détection, il conviendrait d'effectuer un choix en faveur des tests les plus sensibles, à la lumière de l'expérience acquise et des résultats des protocoles de validation en cours.

Plus le test est sensible, plus la garantie offerte est grande.

Dans le même esprit, le dépistage par test rapide devrait être étendu aux animaux de 24 mois (au lieu de 30 mois).

11) Il convient de reconsidérer la mesure consistant à abattre systématiquement le troupeau dans lequel un cas a été détecté.

Le Comité scientifique directeur de l'Union européenne a lui-même recommandé une mesure plus souple, à savoir l'abattage limité à la cohorte (animaux du même âge et ceux ayant un an de moins et un an de plus, ainsi que les ascendants et descendants).

En tout état de cause, un assouplissement est nécessaire, compte tenu des mesures de sécurité déjà en vigueur (retrait des MRS - dépistage systématique).

12) L'abattage d'urgence pour cause d'accident devrait également être reconsidéré. Ainsi, un simple accident de vélage ne devrait pas conduire à la destruction de l'animal.

IV - L'information et la protection du consommateur

13) Les avis de l'AFSSA doivent continuer à bénéficier d'une diffusion publique, mais cette diffusion doit être suivie à bref délai d'une prise de position de l'autorité publique exposant son appréciation des conséquences de l'avis et les mesures qui sont envisagées.

14) Donner à un organisme public tel que l'INC les moyens de diffuser une information utilisable par le consommateur, en liaison avec les associations de consommateurs et - dans le cas de la viande - en liaison avec le Centre d'information des viandes (CIV).

15) Donner un droit de réponse permettant aux autorités publiques de rétablir, spontanément ou sur demande des organisations professionnelles concernées ou d'associations de consommateurs, les faits ou les éléments d'information sur une question ayant fait l'objet d'une communication erronée en termes de santé publique.

16) Rétablir les informations que fournissaient au consommateur les dispositions de l'accord interprofessionnel, en vigueur jusqu'en octobre 2000, relatives à l'étiquetage des viandes et négocier leur extension communautaire.

17) Exiger, pour les aliments destinés aux animaux d'élevage, un étiquetage précisant, dans l'ordre décroissant, les ingrédients entrant dans la composition de ces aliments.

V - Les mesures d'ordre communautaire

18) Pour sécuriser les échanges intracommunautaires sur des bases incontestables, une définition commune de la viande devrait être élaborée par le Conseil sur proposition de la Commission. La définition française, particulièrement exigeante, pourrait servir de base de discussion (le « muscle strié »). Le ministre de l'Agriculture devrait saisir à cet effet la Commission européenne.

19) Dans le même but, les dispositifs de contrôle devraient faire l'objet de mesures harmonisées à l'échelle communautaire. Les nomenclatures douanières doivent également être précisées et harmonisées à l'échelle communautaire.

20) Saisir les autorités communautaires en vue d'une harmonisation plus approfondie des règles sanitaires dans le marché unique. À cet effet, il convient de modifier les pratiques du Conseil des ministres de l'Union européenne de telle sorte que le Conseil des ministres de la Santé se réunisse plus fréquemment, et que ceux-ci se réunissent avec les ministres de l'Agriculture pour traiter les questions de sécurité sanitaire des aliments

21) Soumettre les pays candidats qui adhèrent à l'Union européenne aux mêmes exigences de sécurité sanitaire de l'alimentation que celles en vigueur dans les Etats membres.

22) Peser dans la négociation communautaire du projet de règlement établissant les principes généraux de la législation alimentaire, instituant l'Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, pour que les avis de la future agence n'aient pas pour effet de priver de portée les avis de l'AFSSA et des autres agences nationales.

La France dispose aujourd'hui d'une expertise scientifique organisée et crédible dans le domaine de la sécurité alimentaire. La création de l'Agence européenne, dont l'articulation avec les agences nationales reste à trouver, ne doit pas contribuer à affaiblir cette expertise.

23) Compte tenu des choix effectués par l'Union européenne en matière d'organismes génétiquement modifiés, saisir la Commission européenne en vue de l'élaboration d'un plan de développement des protéines végétales dans l'Union européenne, par l'utilisation des jachères notamment, afin de réduire la dépendance de l'élevage communautaire à l'égard des pays tiers, en particulier les Etats-Unis et le Brésil.

VI - Les mesures de caractère administratif

24) Généraliser les pôles de compétence mis en place à titre expérimental dans trente départements et qui permettent une coopération, une coordination et un partage des tâches entre les services extérieurs des ministères dont les compétences peuvent se recouper (Direction des services vétérinaires, Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, Direction départementale de l'Agriculture, Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Direction des douanes et droits indirects, etc.).

VII - Les pratiques agricoles

25) Accentuer les politiques publiques de recherche et de formation permettant à l'élevage de mieux utiliser les ressources naturelles.

26) Simplifier les dossiers relatifs à l'élaboration des contrats territoriaux d'exploitation - trop complexes et dissuasifs - afin d'augmenter le nombre, encore trop limité, de ces contrats.

Les CTE constituent un outil adapté aux exigences de l'agriculture et de l'environnement. Leur succès est fonction du degré d'implication des directions départementales de l'Agriculture. Il conviendrait donc d'impliquer davantage celles-ci, sous l'autorité des préfets, dans les départements où les CTE n'ont pas été suffisamment mis en _uvre.

Il conviendrait également de favoriser le développement des contrats territoriaux d'exploitation herbagers afin de valoriser l'occupation de l'espace rural et l'alimentation naturelle.

27) Encourager le développement d'une véritable politique de qualité et d'origine des produits dans le secteur de la viande (labels, certification de conformité, appellations d'origine) et accroître la transparence des conditions concrètes de la production agroalimentaire, afin de renforcer durablement la confiance du consommateur.

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La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 12 juin 2001 et l'a adopté à l'unanimité.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE SOCIALISTE
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La commission d'enquête sur le recours aux farines animales a rendu son rapport qui a été voté à l'unanimité. Le groupe socialiste se félicite tout d'abord de l'excellent climat de confiance et de la qualité des échanges tout au long de ces six mois de travaux. Ce rapport d'une grande objectivité est le résultat du travail sérieux d'une équipe placée sous la responsabilité du président François Sauvadet et du rapporteur Michel Vernier. Ceux-ci ont fourni un travail important et ont atteint les objectifs fixés : analyser, comprendre et proposer. Le rapporteur s'est employé à transmettre dans son rapport ce qui a été dit au cours des différentes auditions sans jamais céder à l'interprétation personnelle ou politicienne ; voici pour la forme.

Sur le fond, maintenant, nous souhaitons réaffirmer que la France est le pays d'Europe qui a su prendre ses responsabilités et qui a arrêté le plus rapidement les décisions au fur et à mesure des connaissances scientifiques.

Il n'en est pas de même de la Commission européenne et surtout du Royaume-Uni. D'importants dysfonctionnements constatés dans ce pays sont à l'origine du développement de l'ESB en Europe :

- l'administration de contrôle vétérinaire dépourvue de moyens a conduit à des retards anormaux dans la prise de décisions mais aussi et surtout dans l'application de ces décisions.

- il y a eu un véritable manquement à la diffusion des informations aux autres pays de la Communauté européenne sur la situation.

Les conclusions et les propositions contenues dans ce rapport sont sans faiblesse, sans accusation excessive. On peut les résumer ainsi :

- jamais la viande bovine française n'a été aussi sûre ; la France est le pays d'Europe qui offre la plus forte garantie sur cette viande ;

- aujourd'hui, il faut réconcilier producteur, transformateur et consommateur ; une transparence totale des modes de production, la traçabilité, l'étiquetage, sont nécessaires. Les politiques agricoles françaises et européennes doivent être réorientées dans cette direction, c'est celle de la loi d'orientation agricole votée en juillet 1999.

Nous devons nous diriger vers une agriculture citoyenne, raisonnée, maîtrisée, soucieuse de qualité, une agriculture qui prend en compte nos ressources naturelles, qui respecte la diversité de nos terroirs et qui répond aux attentes des consommateurs. L'Europe doit prendre ses responsabilités, limiter sa dépendance vis-à-vis de l'Amérique du Nord et ne pas laisser cette dernière lui dicter sa politique.

La leçon à tirer de cette crise et des autres c'est qu'il est nécessaire et possible de faire l'agriculture autrement. C'est l'enjeu de l'agriculture de demain ; c'est aussi l'avenir des agriculteurs qui se joue.

CONTRIBUTION DE M. JACQUES REBILLARD,
COMMISSAIRE APPARTENANT AU GROUPE RCV

Je salue la qualité du rapport de la commission d'enquête sur le recours aux farines animales. Il constitue une excellente synthèse des connaissances en matière scientifique sur l'origine du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Une chronologie précise des connaissances et des décisions gouvernementales et européennes a été dressée. Elle est importante pour mieux appréhender les responsabilités de chacun. Manifestement, les pouvoirs publics français ont pris les décisions appropriées en fonction des connaissances du moment et les ont même anticipées à partir de 1996.

Le dispositif administratif est-il suffisant pour empêcher les fraudes ? Certainement pas, car la construction européenne s'est accompagnée du développement des échanges commerciaux sans que les moyens de contrôle aient suivi. Il est temps d'harmoniser les législations nationales au risque de pénaliser l'Europe.

La commission d'enquête n'avait sans doute pas tous les moyens d'investigations nécessaires, car si les manquements administratifs ont été soulignés, les responsabilités des fabricants d'aliments n'ont pu être clairement démontrées. Des procédures judiciaires sont en cours, elles compléteront les conclusions de ce rapport.

Pour l'avenir, la commission s'engage dans plusieurs recommandations que j'approuve.

Le rapport, par ses informations, met en évidence le risque collectif sans montrer du doigt la profession agricole. Cette dernière met en _uvre une politique de production voulue par la société, mais évolutive en fonction de l'état de nos connaissances et des risques que nous acceptons d'assurer collectivement.


() la consommation est par ailleurs de 37,3 kg/hab./an pour le porc, de 22,7 kg/hab./an pour la volaille, de 4,9 kg/hab./an pour le veau, de 5,4 kg/hab./an pour les ovins.

() 44 % de la viande bovine étant issus du cheptel laitier dont elle constitue un coproduit, le rapport étant inverse pour l'ensemble de l'Union européenne.

() A titre de comparaison, la production européenne d'oléagineux est de 7,8 millions de tonnes, celle des protéagineux de 4,7 millions de tonnes.

() La production française de luzerne s'élève en 2000/2001 à 1,34 million de tonnes et concerne 15 000 producteurs.


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