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N° 3167

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 juin 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1),
sur
l'action civile des armées sur les théâtres extérieurs (action civilo-militaire)

et présenté par

M. Robert GAÏA

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; M. Didier Boulaud, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Voisin, vice-présidents ; M. Robert Gaïa, M. Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; M. Jean-Marc Ayrault, M. Jacques Baumel, M. Jean-Louis Bernard, M. André Berthol, M. Jean-Yves Besselat, M. Bernard Birsinger, M. Jacques Blanc, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Pierre Braine, M. Philippe Briand, M. Jean Briane, M. Marcel Cabiddu, M. Antoine Carré, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy-Michel Chauveau, M. Alain Clary, M. François Cornut-Gentille, M. Charles Cova, M. Michel Dasseux, M. Jean-Louis Debré, M. François Deluga, M. Claude Desbons, M. Philippe Douste-Blazy, M. Jean-Pierre Dupont, M. Christian Franqueville, M. Pierre Frogier, M. Yves Fromion, M. Yann Galut, M. René Galy-Dejean, M. Roland Garrigues, M. Henri de Gastines, M. Bernard Grasset, M. Jacques Heuclin, M. Elie Hoarau, M. François Hollande, M. Jean-Noël Kerdraon, M. François Lamy, M. Claude Lanfranca, M. Jean-Yves Le Drian, M. Georges Lemoine, M. François Liberti, M. Jean-Pierre Marché, M. Franck Marlin, M. Jean Marsaudon, M. Christian Martin, M. Guy Menut, M. Gilbert Meyer, M. Michel Meylan, M. Jean Michel, M. Charles Miossec, M. Alain Moyne-Bressand, M. Arthur Paecht, M. Jean-Claude Perez, M. Robert Poujade, Mme Michèle Rivasi, M. Michel Sainte-Marie, M. Bernard Seux, M. Guy Teissier, M. André Vauchez, M. Emile Vernaudon, M. Jean-Claude Viollet, M. Aloyse Warhouver, M. Pierre-André Wiltzer.

INTRODUCTION 7

I. - LA DOCTRINE DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES 11

A. LA DIRECTIVE DU 11 JUILLET 1997 11

1. « Favoriser l'acceptation et le soutien des populations concernées » 11

2. L'action au profit des forces 12

3. L'action civilo-militaire sert l'environnement civil 12

4. L'aspect humanitaire des actions civilo-militaires 13

5. Les actions duales, en marge du civilo-militaire 14

6. La dimension interministérielle de l'action civilo-militaire 15

B. L'ÉVOLUTION RÉCENTE DE L'ACTION CIVILO-MILITAIRE FRANÇAISE 16

1. Amélioration de la formation à l'ACM 16

2. Mise en place d'une structure permanente 16

3. Amélioration de l'emploi de la réserve militaire 17

C. LES ENJEUX DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES 17

1. « Intéresser » les belligérants 18

2. Les ACM constituent un instrument économique bénéfique à toutes les parties 18

3. Le rôle de la Mission Interministérielle pour l'Europe du Sud-Est (MIESE) 20

II. - L'ACTION CIVILE DES ARMÉES SUR LES THÉÂTRES EXTÉRIEURS : UNE TRADITION DÉJÀ ANCIENNE 23

A. L'EXPÉRIENCE AMÉRICAINE DES « CIVIL AFFAIRS » ET DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES 23

1. Le gouvernement militaire, de la seconde guerre mondiale à la Corée 23

2. Depuis la guerre du Viêt-nam, une histoire liée au rôle des forces spéciales 24

3. Les affaires civilo-militaires (CIMIC ou Civilian military cooperation) au sein des Civil affairs aujourd'hui 26

4. Une doctrine d'emploi en évolution 27

B. L'APPROCHE FRANÇAISE DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES : UNE TRADITION COLONIALE 29

1. Bugeaud et les bureaux arabes 30

2. Lyautey et les Affaires indigènes 31

3. Les Sections Administratives Spécialisées dans la guerre d'Algérie 32

4. La genèse des actions civilo-militaires modernes 33

III. - LES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES À L'ÉPREUVE DES FAITS 37

A. LE DISPOSITIF MIS EN PLACE AU KOSOVO 37

1. Une action nationale dans un dispositif multilatéral 37

2. L'action civilo-militaire menée au profit de l'environnement des forces 38

3. L'action menée au profit de l'environnement civil 38

4. L'action de nature humanitaire 39

5. Le bilan de l'action au Kosovo en 2001 40

B. LE CONCEPT ACM EN AFRIQUE 41

1. Un terrain particulier 41

2. Une directive spécifique 41

3. La mise en _uvre des ACM en 2000 42

4. L'aménagement des procédures de financement 45

IV. - LES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA GESTION CIVILE DES CRISES 51

A. L'ABSENCE D'INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS 51

1. Les déficiences du réseau d'alerte sur les situations de crises 51

2. La difficulté de lever des financements nationaux ou internationaux 52

3. Les personnels civils ne disposent pas d'un cadre d'emploi satisfaisant 53

B. LES LOURDEURS ADMINISTRATIVES DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 55

1. Le caractère peu opérationnel de l'administration du Quai d'Orsay critiqué de toutes parts 55

2. Les difficultés de la cellule d'urgence du ministère des affaires étrangères 57

3. Les conséquences de ces insuffisances sur les actions civilo-militaires 59

4. Les armées contraintes d'aller jusqu'aux limites de leur rôle 61

C. UNE COORDINATION INTERMINISTÉRIELLE NETTEMENT INSUFFISANTE 63

1. Le rôle de quelques fortes personnalités 63

2. Une action internationale en ordre dispersé 64

3. L'absence de continuité dans l'action de la France 65

4. Un foisonnement de structures ministérielles de coopération 66

D. L'ACTION PLUS ORDONNÉE DE NOS PARTENAIRES ÉTRANGERS 69

1. Une mécanique anglaise bien huilée 69

2. Une action stratégique en Allemagne et en Italie 70

3. Les nouveaux venus s'organisent 71

E. L'ACTION ENCORE EMBRYONNAIRE DE L'UNION EUROPÉENNE 72

1. Une nécessaire articulation entre la Commission et le Conseil 72

2. Un processus qui n'en est encore qu'à ses débuts 72

V. - L'ABSENCE D'UNE STRATÉGIE GLOBALE D'INFLUENCE 75

A. LA « GESTION » DES FRANÇAIS DANS LES ORGANISMES INTERNATIONAUX 75

1. L'absence d'une stratégie nationale 75

2. Des interrogations sur le choix des personnels expatriés 77

3. Loin d'être valorisant, servir son pays à l'étranger peut être pénalisant 78

B. LES FRANÇAIS SERVANT LEUR PAYS À L'ÉTRANGER DONNENT L'IMPRESSION D'ÊTRE LIVRÉS À EUX-MÊMES 79

1. L'absence d'une véritable animation de réseau 79

2. Citoyen français dans un organisme international 80

3. L'exemple de la sous-représentation française au sein de la MINUK 80

C. L'ABSENCE DE LISIBILITÉ DE L'ACTION DE LA FRANCE 86

1. L'indigence des statistiques 87

2. Des données systématiquement minorées 87

3. Un complexe du drapeau tricolore ? 90

D. UN MANQUE D'INITIATIVE DE LA PART DES ACTEURS DU SECTEUR PRIVÉ 91

1. Un patronat timoré et peu structuré 91

2. Les faiblesses et limites des ONG françaises 92

3. Le rôle dissuasif de la DREE et de certains diplomates 94

4. « C'est maintenant que les positions se prennent » 95

VI. - LES PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR 97

1. La nécessité démocratique d'identifier en loi de finances initiale les crédits affectés aux actions civilo-militaires 97

2. Développer une structure de pilotage interministérielle 99

3. Instaurer une responsabilité politique au plus haut niveau 100

4. Mettre en place une agence opérationnelle dotée de moyens financiers 100

5. Assouplir l'emploi des instruments de la coopération 103

6. Créer un cadre d'emploi souple pour nos expatriés 103

7. Rendre l'international bénéfique aux carrières des agents publics 105

8. Animer le réseau des Français employés dans des organismes internationaux 105

9. Valoriser systématiquement l'action de la France 105

10. Encourager la création d'une fondation d'entreprises 106

CONCLUSION 107

TRAVAUX DE LA COMMISSION 109

I. - AUDITION DE M. ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DÉFENSE 109

II. - AUDITION DE M. BERNARD KOUCHNER, MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA SANTÉ, ANCIEN REPRÉSENTANT SPÉCIAL DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES AU KOSOVO 118

III. - EXAMEN EN COMMISSION 123

ANNEXES 129

1. LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES 129

2. EXEMPLES D'ACTIONS CIVILO-MILITAIRES MENÉES AU KOSOVO, EN BOSNIE-HERZÉGOVINE ET À DJIBOUTI 132

INTRODUCTION

Avec la fin de la guerre froide s'est ouverte une période incertaine durant laquelle les affrontements locaux ont proliféré. Ces conflits ne menacent pas directement les pays occidentaux, mais leur résolution représente un enjeu de stabilité régionale. Il ne s'agit plus de raisonner en terme de paix globale, assurée par l'équilibre de la terreur, mais en terme de sécurité internationale. Cela explique la multiplication des opérations des Nations Unies pour faire face à ces conflits.

Alors que la victoire écrasante de la coalition sur l'armée irakienne, en 1991, représentait le point culminant de décennies d'efforts militaires, les expériences récentes en matière de maintien de la paix démontrent que la résolution d'un conflit n'est pas uniquement affaire de puissance armée.

Soucieuse de contribuer à la stabilité internationale, la France, s'est trouvée confrontée à la nécessité d'enrichir sa stratégie d'action, longtemps limitée par la prépondérance de la doctrine de la dissuasion. Cette évolution s'est traduite par des interventions de moins en moins exclusivement militaires.

Les mandats du Conseil de sécurité des Nations Unies ne se limitent plus à assurer le déploiement de forces d'interposition entre belligérants, mais conjuguent activités civiles et militaires. Il s'agit désormais de rétablir l'État de droit, de soutenir voire de former des administrations civiles, d'organiser des élections, d'assurer le respect des droits de l'homme et le retour des réfugiés, d'aider à la reconstruction des infrastructures et au redémarrage des activités économiques. Désormais, les opérations de paix sont pluridisciplinaires et nécessitent l'intervention de multiples acteurs, civils et militaires.

L'aspect civil des interventions est jugé comme l'une des conditions de la réussite des opérations et de l'accomplissement des objectifs initiaux d'intervention fixés aux armées. Ces interventions dites « civilo-militaires » d'assistance directe, mais aussi de sensibilisation auprès, au milieu et au bénéfice des populations civiles se sont multipliées.

Au premier chef sont intéressés les militaires, qui arrivent généralement les premiers dans cette « période grise » où certains belligérants se retirent tandis que d'autres tentent au contraire de pousser l'avantage qu'ils ont pu prendre sur le terrain ou autour des tables de négociation. C'est une période incertaine pendant laquelle des populations civiles fuient celles qui convoitent leurs biens.

C'est dans ce contexte que le ministère de la Défense a réformé son dispositif en créant un véritable pôle stratégique interarmées, capable à la fois d'anticiper les crises et de conduire des opérations sur le plan militaire et civilo-militaire. La réforme organisationnelle visait à mettre à disposition du Chef d'état-major des Armées (CEMA), conseiller militaire du gouvernement, un dispositif rénové de veille, d'alerte, d'analyse et de réponse aux crises, qui prenne aussi en compte la part croissante du multilatéral dans les interventions françaises, tant au niveau des forces déployées (OTAN et dans l'avenir, forces européennes), qu'au niveau du cadre d'intervention internationalisé (opérations de maintien de la paix sous mandat onusien notamment).

Les actions civilo-militaires menées par les armées facilitent l'intégration des forces dans leur environnement et apportent aux militaires une capacité à intervenir dans le volet civil de la crise afin de favoriser la mission militaire. Elles complètent ainsi l'action militaire et diplomatique traditionnelle des États, sur le théâtre d'opération. Elles permettent d'éviter qu'une armée accueillie avec des fleurs par les populations qu'elle est venue protéger ne se transforme au fil des mois et des années en une armée d'occupation. Les actions civilo-militaires participent activement à la stabilisation de l'environnement politique, économique et social dans un pays en crise. Mais leur intervention, liée à l'engagement des armées, doit par nature être limitée dans le temps.

Toutes ces raisons expliquent que l'expression « actions civilo-militaires » ne recouvre que les actions civiles menées par les armées sur les théâtres extérieurs, généralement en sortie de crise, et non sur le territoire national. La nuance est d'importance puisque le ministère de la Défense, comme ses homologues étrangers, les distingue nettement des actions ponctuelles que l'on pourrait qualifier de solidarité qui sont régulièrement menées sur le territoire national (lutte contre la marée noire, aide aux populations sinistrées par les tempêtes ou les inondations...), voire même à l'étranger (ouragan Mitch). Les premières se déroulent dans le cadre d'opérations menées en territoire étranger, dans un environnement qui pourrait devenir hostile et dans lequel les troupes doivent constamment donner des gages pour se faire accepter tandis que les secondes sont menées ponctuellement par nos forces sur le territoire national ou sur un sol ami.

Les crises sont des phénomènes de la politique internationale qui sont appelés, en raison de la déstructuration de nombreux pays, à se développer dans les années à venir. Compte tenu de son rang et des valeurs démocratiques et humanistes qu'elle défend, la France peut difficilement rester à l'écart de la gestion civile des crises dont les actions civilo-militaires sont une des composantes et devra certainement s'impliquer à nouveau dans des environnements non stabilisés et incertains. Il est donc particulièrement utile de travailler à rendre les outils de la gestion civile des crises les plus efficaces possibles.

Pour cela, l'action doit être coordonnée et faire l'objet d'une stratégie globale, définie à l'échelle interministérielle, qui évite le saupoudrage, les initiatives trop individuelles, qui établisse une continuité entre l'action des différents intervenants et rende lisible l'action du pays. Elle a besoin de souplesse et d'outils opérationnels qui lui permettent de surmonter les lourdeurs administratives qui ne manquent pas de surgir.

Or, ce n'est pas précisément en ces termes qu'est conduite l'action extérieure de la France sur les théâtres extérieurs. En effet, il apparaît que, trop souvent, faute d'orientations en provenance des autorités nationales habilitées, le choix des actions est laissé à l'initiative des acteurs de terrain, ceux-là même qui manquent le plus de recul sur l'événement. Faute d'harmonisation avec l'ensemble des intervenants, l'investissement national se disperse et manque de cohérence d'ensemble.

Votre rapporteur a donc mené une mission d'information sur les actions civilo-militaires et leur insertion dans le cadre plus global de la gestion civile des crises afin d'attirer l'attention sur les dysfonctionnements et les moyens à mettre en _uvre pour y remédier.

*

* *

Le présent rapport présentera dans un premier temps la doctrine des actions civilo-militaires telles qu'elles sont définies par la directive de référence du 11 juillet 1997 de l'État-major des Armées. Un bref rappel historique tentera d'analyser la genèse de ces actions, à travers notamment les pratiques de l'armée coloniale et, plus récemment, de l'armée américaine. Une troisième partie présentera concrètement les ACM telles qu'elles sont menées de nos jours, au Kosovo et, de manière un peu plus atypique, dans les pays africains dans lesquels la France entretient des troupes prépositionnées au titre des accords de coopération.

Puis, votre rapporteur analysera, dans une quatrième partie, les dysfonctionnements globaux de la gestion civile des crises dont les ACM sont une des composantes et regrettera, dans une cinquième partie, l'absence d'une stratégie globale de l'influence. Cela l'amènera à présenter dix propositions pour réformer la gestion civile des crises de manière à rendre plus lisible, plus coordonnée et donc plus efficace l'action de la France.

I. - LA DOCTRINE DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES

Les actions civilo-militaires ont fait l'objet de deux directives de l'État-major des Armées. La première a été élaborée en 1995 (Amiral Lanxade) au vu des premières expériences menées en Bosnie-Herzégovine ; elle a été remplacée par une seconde directive plus étoffée, datée du 11 juillet 1997 (Général Douin). Tout en restant dans le cadre de cette directive, les ACM françaises ont connu un développement récent en rapport avec l'importance de leur enjeu.

A. LA DIRECTIVE DU 11 JUILLET 1997

C'est le document de référence qui définit les actions civilo-militaires et les classe en trois catégories : celles au profit des forces, celles au profit de l'environnement civil et celles à caractère humanitaire, ce qui n'empêche pas certaines actions duales de se retrouver en marge de cette définition. Enfin, la directive insiste sur la dimension interministérielle des ACM.

1. « Favoriser l'acceptation et le soutien des populations concernées »

Les actions civilo-militaires (ACM) sont définies comme des actions devant permettre d'atteindre plus rapidement les objectifs civils et militaires recherchés dans une opération extérieure. « Ces actions visent à faciliter l'exécution des missions opérationnelles avant, pendant et après l'engagement des forces en favorisant l'acceptation et le soutien des populations concernées ».

L'action civilo-militaire sert la force engagée et en particulier la composante nationale de la coalition. Elle est conçue pour faciliter l'exécution des missions opérationnelles avant, pendant et après l'engagement en agissant sur l'environnement civil. Menées en priorité au profit des forces, les actions civilo-militaires s'inscrivent dans leur environnement et englobent les actions humanitaires, que ces actions soient liées ou non à des situations de crise ou de conflit.

Le commandeur français est porteur d'image et constitue un élément essentiel du succès de l'engagement national. Devant la carence des autorités politiques et administratives locales, le représentant des autorités militaires françaises personnalise fortement l'action des forces déployées. Le dispositif ACM constitue l'un de ses principaux outils d'influence et d'information. Par l'expertise qu'il peut rassembler et mettre à la disposition de la communauté internationale, il devient un contributeur reconnu et légitime du volet civil du plan de paix.

Les directives de 1995 et 1997 indiquent clairement la dualité civile et militaire de la fonction ACM. Les actions civilo-militaires se divisent en trois catégories : actions au profit des forces, actions au profit de l'environnement civil et appui des opérations humanitaires.

2. L'action au profit des forces

Les ACM recouvrent le champ des relations avec les autorités civiles, tant au niveau opératif (avec les représentants nationaux) que tactique (avec les autorités locales) afin de déterminer et négocier les implantations, gérer les contentieux éventuels... « La connaissance et l'utilisation des ressources locales » recouvrent le contrôle des sources d'approvisionnement, l'inspection d'installations diverses... Enfin, la coordination des mesures relatives aux prisonniers de guerre est une mission dévolue aux ACM.

Toutes ces actions participent au renforcement de la sécurité des unités déployées en usant de solutions alternatives à l'emploi de la force et en instaurant une relation « positive » avec la population, évitant ainsi l'image d'une armée d'occupation.

La directive du 11 juillet 1997 a définitivement confié la conduite des actions civilo-militaires au Centre opérationnel interarmées (COIA) au détriment du COS. Ce choix a soulevé une question de fond : les ACM sont-elles des opérations spéciales ? Si le champ des opérations spéciales recouvre par essence tout ce qui n'est pas conventionnel, alors les ACM pourraient être considérées comme des opérations spéciales.

Toutefois, il a été considéré que le COS, qui avait par ailleurs une vision des ACM réduite aux actions économiques pures, devait se recentrer sur les mission exceptionnelles de courte durée qui sont sa véritable vocation. L'expertise initiale de théâtre est donc restée de sa compétence et il serait extrêmement dommageable qu'elle lui échappe au regard des excellents travaux réalisés dans les Balkans et salués comme tels. Le relais est pris ensuite par le Centre opérationnel interarmées (COIA). Un désengagement encore plus marqué du COS à l'égard des ACM semble d'ailleurs se profiler.

3. L'action civilo-militaire sert l'environnement civil

Les actions civilo-militaires entreprises pour servir les intérêts des forces sont conçues pour être bénéfiques aux acteurs de la reconstruction : populations, organismes internationaux, ONG, structures étatiques, opérateurs économiques privés et publics, etc.

L'expérience montre que les ACM peuvent s'exercer dans les domaines les plus variés, politiques, économiques et humanitaires, correspondant à la diversité du champ de la reconstruction.

L'État-major des Armées définit ainsi la finalité des ACM : « Ces actions ont principalement pour but de contribuer au rétablissement des fonctions vitales d'un pays sinistré en vue du désengagement progressif de la composante militaire et du transfert de responsabilités aux autorités civiles ». Par l'appui qu'elle apporte à la reconstruction, l'ACM favorise et accélère le retour à la normalité qui est l'objectif final de la communauté internationale et du pays concerné.

La restauration des institutions politiques et administratives, l'aide aux élections et au maintien de la sécurité publique et le soutien à la reconstruction (rétablissement d'infrastructures) sont des exemples de ce type d'actions qui ont trouvé leur application en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. Ces actions visent à rétablir les conditions objectives de paix, tant au niveau de l'État (ACM au niveau opératif) en apportant un soutien institutionnel, que des individus (ACM tactiques) en restaurant un cadre de vie normal en termes de logement, sécurité, santé, alimentation...

Les ACM concourent ainsi à l'instauration d'un climat de confiance générale. « Le transfert de responsabilités aux autorités civiles » constitue le c_ur de cette mission : ce transfert, qui permet le désengagement des militaires, s'inscrit dans le cadre d'un processus durable de résolution de la crise. La conduite des ACM manifeste le refus d'opérations militaires « ponctuelles » qui, sans effet durable, nécessiteraient d'être reconduites peu de temps après. Face aux gouvernements et institutions internationales, les ACM sont des acteurs marginaux dans une gestion de crise mais leur caractère militaire leur confère une capacité d'intervention quelle que soit l'intensité du conflit en disposant du soutien non négligeable des armées.

Le contrôle des populations et l'aide aux réfugiés sont inclus dans la catégorie des actions au profit de l'environnement civil : le soutien des populations serait un terme plus adéquat pour ces missions au profit de l'environnement civil, le « contrôle des populations » évoquant une mission au profit des forces (permis de circulation, postes de contrôle...). De même, l'assistance aux réfugiés peut se concevoir dans ces deux cas de figure : dans le cadre de la mise en _uvre des accords de Dayton, _uvrer au retour des réfugiés est une mission au profit de l'environnement civil. Mais le contrôle des réfugiés permet aussi d'éviter toute interférence avec les man_uvres militaires : c'est alors une mission au profit des forces.

Des actions peuvent être entreprises en appui de l'action civile de la France. Ainsi, à la demande du ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Défense a accepté, en 1996, de mettre à la disposition d'organismes internationaux trois experts en bâtiment et travaux publics en Bosnie-Herzégovine, puis trois autres en 1999 au Kosovo.

Il a également détaché auprès de la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK) un expert en hydrocarbures pour gérer la consommation énergétique du Kosovo ; un officier a été affecté pour assurer l'interface entre la Mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est et le ministère de la Défense ; un effort particulier a été consenti au profit de la reconstruction des écoles du Kosovo, pour accompagner l'action du ministère de l'Education.

4. L'aspect humanitaire des actions civilo-militaires

Les actions humanitaires des ACM s'inscrivent uniquement dans le cadre d'un engagement des forces en opérations extérieures ou de l'action des forces prépositionnées, dans le but de faciliter l'exercice des missions opérationnelles. « Ces actions ont pour but de permettre aux organisations internationales et aux organismes caritatifs de réaliser leur mission d'assistance et de secours aux populations en détresse en contribuant notamment à la sécurité de l'opération ».

Cette définition de l'État-major des Armées exprime le désir de se désengager de toute action humanitaire directe et de soutenir ceux dont c'est la profession : agences des Nations Unies, organisations internationales et organisations non gouvernementales (ONG). Selon ce principe, les militaires devraient contribuer à sécuriser l'environnement, à apporter un soutien logistique mais ne devraient, en principe, s'impliquer directement qu'en cas d'extrême nécessité : mise en place et gestion d'un camp de réfugiés, assistance sanitaire et médicale... La pratique montre que la carence de certains gestionnaires civils des crises conduit généralement les armées à aller au-delà de la lecture stricte de la directive du 11 juillet 1997.

Les catégories de missions précédentes étant à finalité civile ou militaire, nous pourrions en déduire que les « humanitaires » constituent une troisième « espèce ». Dans les faits, ces missions d'assistance aux organisations humanitaires sont conduites au profit de l'environnement civil ou militaire. Dans le cadre du contrôle des réfugiés ou du soutien de la population, les armées trouvent toujours avantage à favoriser l'intervention des ONG afin d'économiser leurs ressources : dans ces cas concrets, les ACM sont de réels multiplicateurs de force. Cette troisième catégorie symbolise la difficulté française à articuler action politique et aide humanitaire, beaucoup d'ONG continuant à se méfier des armées et à craindre d'être instrumentalisées.

Cette présentation des ACM en trois catégories, dont les contours sont parfois difficiles à cerner avec précision, met en évidence quatre niveaux d'intervention qui donnent une vision concrète de la conduite des ACM. Les niveaux opératif et tactique représentent les terrains d'application des ACM. Le niveau stratégique est représenté par le Chef d'état-major des Armées, qui définit la doctrine d'emploi des ACM ; l'état-major interarmées et le COIA en assurent respectivement la planification et la conduite. Le niveau politique est seul susceptible de donner une orientation générale cohérente aux actions civilo-militaires, en particulier au profit de l'environnement civil, afin que celles-ci contribuent efficacement à la gestion de la crise.

5. Les actions duales, en marge du civilo-militaire

Une ambiguïté peut toutefois subsister sur certaines actions qu'on pourrait qualifier de duales car profitant à la fois aux forces et aux populations, comme le déminage, le maintien de l'ordre ou l'animation de radios.

Sur ces trois points, l'État-major des Armées est catégorique : il ne s'agit pas d'actions civilo-militaires. Les mines sont considérées comme des armes létales tournées contre les forces. Lorsqu'une unité doit déminer pour assurer sa sécurité ou s'ouvrir une route, il s'agit donc d'une action de guerre, même si la route est ensuite ouverte également pour la population civile, favorisant la circulation et les échanges. Nous sentons bien que l'action est duale, mais les armées ne déminent jamais sans que ce soit d'abord à leur profit, même si au total, son action sert également aux civils. C'est ensuite aux ONG spécialisées, dans un cadre entièrement civil, de prendre le relais. Il n'en va pas de même pour la sensibilisation au danger que représente les mines et pour les actions de prévention qui sont considérées, en l'occurrence, comme des actions civilo-militaires. La Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel (CNEMA) estime, de son côté, que les opérations de déminage humanitaire sont des actions de long terme qui doivent s'inscrire dans le contexte de la coopération pour le développement.

De la même manière, le maintien de l'ordre, que l'État-major des Armées qualifie plutôt de contrôle de foules est considéré comme une action d'environnement c'est-à-dire périphérique au combat, dans la mesure où il oppose physiquement les forces à des éléments généralement agressifs et parfois armés même si, là aussi, le maintien de l'ordre profite également à l'ensemble de la population. L'armée américaine considère, de son côté, qu'il s'agit d'une action civilo-militaire.

Enfin, la création de radios en territoire étranger n'est jamais totalement neutre et répond toujours à la volonté de faire passer un message, ne serait-ce qu'en diffusant de l'information auprès des populations. Mais nous savons bien que la frontière entre information et communication est fine : la radio est donc considéré comme une opération psychologique davantage que comme une ACM, même si l'information et la distraction sont bénéfiques aux populations et au développement d'une certaine « normalité ».

6. La dimension interministérielle de l'action civilo-militaire

La dimension politique de l'action civilo-militaire est évoquée dans la directive du CEMA ; elle pose comme postulat l'inscription de l'ACM dans le cadre d'une coordination interministérielle ainsi que le précise l'extrait suivant :

(extrait du chapitre III de la directive du 11 juillet 1997)

1. Organisation générale et rôle des acteurs

« En raison de la nature et de la diversité des moyens mis en _uvre, les actions civilo-militaires intéressent, outre les autorités politiques et militaires contribuant à l'organisation générale de la Défense Nationale, un grand nombre d'opérateurs civils détenant les ressources utiles à leur réalisation.

« La mobilisation de ces ressources au profit de l'ensemble des missions se rapportant aux actions civilo-militaires requiert donc des procédures de coordination particulières, mises en _uvre par une chaîne décisionnelle comportant quatre niveaux de responsabilité :

« - le niveau politique,

« - le niveau stratégique,

« - le niveau opératif,

« - le niveau tactique.

« Les domaines de responsabilité correspondant à chacun de ces niveaux sont classés ci-après par fonctions majeures et repris de façon plus détaillée en annexe 2.

« 1.1. Le niveau politique.

« Le niveau politique dépasse le cadre de la présente instruction. Toutefois, la mise en _uvre des actions civilo-militaires requiert des autorités politiques des orientations adaptées à chaque théâtre d'opérations, ouvert ou potentiel.

« A cet effet, la mise en place d'une structure de coordination interministérielle est nécessaire pour répondre aux besoins permanents comme aux besoins conjoncturels des armées. Il s'agit pour l'essentiel :

« - d'orienter l'action des forces engagées en fonction des objectifs politiques, économiques et culturels nationaux,

« - d'exploiter les informations correspondantes recueillies sur le théâtre,

« - de faciliter l'accès aux ressources du secteur civil, indispensables à la conduite de la mission des forces,

« - de définir les modalités de réalisation des projets nationaux impliquant une collaboration entre les armées, les services ministériels concernés et les opérateurs économiques intéressés.

(fin de l'extrait du chapitre III de la directive)

L'analyse des conflits yougoslaves fait ressortir que la place des militaires dans les opérations de soutien de la paix les oblige à dépasser considérablement leur rôle institutionnel de « pourvoyeurs de sécurité ». Le recours systématique à leurs moyens par la communauté internationale leur donne un rôle d'acteurs à part entière. Ils sont devenus indispensables au bon déroulement du volet civil. L'analyse n'a pas échappé à l'OTAN, organisme militaire qui cherche à développer une capacité civilo-militaire afin d'améliorer son aptitude à peser sur la gestion civile des crises.

B. L'ÉVOLUTION RÉCENTE DE L'ACTION CIVILO-MILITAIRE FRANÇAISE

Le développement du rôle des actions civilo-militaires a conduit l'État-major des Armées à modifier profondément son organisation dans ce domaine : une formation aux ACM est désormais dispensée de manière générale ; une structure permanente est mise en place à Lyon et l'emploi de la réserve est repensé.

1. Amélioration de la formation à l'ACM

Beaucoup de responsables ACM rencontrent des difficultés lors de leur prise de fonction en raison de leur manque de formation. Dans un cadre multinational, face à des officiers étrangers parfaitement formés, le risque de subir une sévère perte de crédibilité est réel.

Le mode d'action est nouveau et, en France, il n'existait pas, il y a encore peu, de formation spécifique à l'ACM. En août 2000, l'EMA a défini un plan de formation qui est mis en _uvre progressivement au sein de chaque armée. La formation des spécialistes ACM a été confiée à l'armée de Terre, elle sera réalisée au sein d'un groupement qui aura une vocation interarmées.

La formation sera généralisée à partir de l'été 2001. Les premiers spécialistes devraient recevoir leur certificat au cours du quatrième trimestre 2001.

2. Mise en place d'une structure permanente

Pour améliorer la réactivité du dispositif ACM, l'État-major des Armées a décidé de créer un groupement interarmées ACM dont les principales missions sont ainsi définies :

- constituer et mettre en _uvre les structures ACM décidées par l'État-major des Armées ;

- assurer, avant projection, la mise en condition opérationnelle et l'entraînement des personnels ACM ;

- fournir une expertise interarmées concernant le suivi et l'évolution de la formation à l'action civilo-militaire ;

- participer à l'expertise de théâtre ;

- fournir une expertise facilitant, au niveau des armées, le suivi et la conservation de la ressource en personnel expérimenté, d'active et de réserve.

Le groupement pourra constituer « l'outil de la performance » en fournissant les fonctions vitales suivantes,

- la constitution d'un réservoir de modules projetables ;

- la maîtrise d'_uvre de la préparation opérationnelle ;

- le retour d'expérience et l'amélioration du concept ;

Par ailleurs, le groupement soutiendra les processus essentiels de :

- formation et d'entraînement ;

- et de suivi du personnel qualifié à l'ACM.

Le groupement qui sera basé à Lyon atteindra sa configuration définitive au 1er janvier 2003 au plus tard. Dès l'été 2001, il sera en mesure de projeter le volume d'une première section ACM et de renforcer, autant que de besoin, les états-majors pour la planification et la conduite des actions civilo-militaires.

3. Amélioration de l'emploi de la réserve militaire

Le choix entre l'active et la réserve repose sur la disponibilité de la ressource et sur la volonté des armées de faire appel à la réserve. Dans la pratique, il se révèle parfois difficile d'accéder à la ressource, par manque d'identifiant des spécialités utiles à l'ACM dans les dossiers individuels.

La loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense facilite l'emploi des experts de la société civile dans le cadre de missions ACM de courte durée. En revanche, elle ne permet pas de résoudre le problème présenté par les missions de longue durée (quatre mois et plus) qui tient :

- à la disponibilité des experts confrontés à une absence prolongée hors de leur entreprise (ou de l'administration)

- au texte de la loi qui limite à 120 jours la durée annuelle des engagements spéciaux de réserve, ce qui réduit concrètement à une centaine de jours le temps réel passé sur le théâtre.

C. LES ENJEUX DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES

L'enjeu des actions civilo-militaires est avant tout de parvenir à retrouver une situation de paix. Il importe dans ce cadre « d'intéresser » les belligérants tout en essayant de ne pas renforcer sur le plan économique certaines structures mafieuses déjà en place. Car l'action civilo-militaire et l'économique sont étroitement liés : les ACM constituent un outil d'influence sur divers plans (culturel, juridique) mais principalement sur le plan économique. C'est une des raisons qui avaient poussé, en 1999, le gouvernement à mettre en place une Mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est (MIESE).

1. « Intéresser » les belligérants

Les initiateurs des actions civilo-militaires françaises ont coutume de présenter les ACM avec humour en expliquant qu'elles reposent sur le principe dit du « café-sucre » : en mettant du café d'un côté d'une frontière fermée et du sucre de l'autre côté de cette même frontière, on est à peu près sûr de pouvoir boire, quelque part, du café sucré.

Cette image traduit l'importance de la notion d'intérêt. C'est lui qui commande et il est généralement plus efficace d'intéresser les belligérants au développement économique que de tenter de les dissuader de recourir à la force. Les intérêts passent souvent là où la force provoque des blocages et des enfermements. Les deux notions de dissuasion par la force et d'intéressement au dialogue sont intimement complémentaires.

La démarche générale des ACM relève d'une dynamique nationale, peut-être bientôt européenne, qui participe de façon forte au processus des sorties de crise, à la promotion des intérêts nationaux ou européens ainsi qu'au règlement des problèmes militaires sur le terrain. Les ACM intéressent les personnalités locales concernées par des solutions de sortie de crise. Cette formule de gestion de crises s'applique, notamment, à trois domaines extrêmement sensibles, mais particulièrement porteurs :

- l'économie, parce que l'argent demeure un moteur déterminant ; une des « portes de sortie d'une crise » consiste à faire en sorte que les intérêts économiques soient plus forts que le désir de se battre ;

- le droit, parce qu'il établit les règles d'exercice du pouvoir ;

- la culture, parce que c'est l'une des « réalités » pour lesquelles on peut tuer et se faire tuer et qu'il importe de participer à un certain assouplissement des mentalités.

Les ACM représentent l'une des expressions les plus profondes du lien entre l'armée et son environnement civil car elles mettent au service des pays en crise des composantes civiles et militaires capables d'offrir des solutions d'avenir dans des situations où les impasses sont nombreuses. Elles se concrétisent, dans les faits, par l'intéressement à la France de personnalités locales capables d'intervenir au profit des forces françaises engagées.

L'action menée en immersion dans le milieu local (logements, bureaux) offre des capacités d'intégration particulièrement efficaces. Ce mode d'action où les Français excellent est remarquablement bien perçu par les populations, le barbelé étant peu compatible avec les ACM, sauf, bien sûr, lorsque la sécurité l'exige. Le syndrome sécuritaire des États-Unis qui pousse leurs militaires à refuser le maximum de contacts avec les populations locales reste une grande source de maladresses.

2. Les ACM constituent un instrument économique bénéfique à toutes les parties

Comme nous l'avons vu, les actions civilo-militaires sont menées avant tout dans le cadre du rétablissement de la paix dans des régions qui, en général, viennent d'être le théâtre de combats. C'est la raison pour laquelle il convient en premier lieu d'assurer la sécurité des forces, puis de faire en sorte que les populations locales acceptent les militaires étrangers présents sur leur territoire et ne les considèrent pas, à la longue, comme des occupants. Enfin, ainsi que le précise la directive du 11 juillet 1997, les ACM ont pour but de faciliter l'organisation d'actions humanitaires « et de secours aux populations en détresse ».

Évacuons dès à présent le débat sur le « cynisme » qu'il y aurait à donner l'impression de n'intervenir sur des théâtres extérieurs qu'avec des arrière-pensées commerciales. Si la France intervient avec ses forces militaires, c'est évidemment avant tout au nom de valeurs démocratiques et humanistes, pour contribuer à faire cesser des combats et à ramener ou stabiliser la paix civile. Mais outre qu'il n'y a rien de choquant à vouloir, une fois la paix revenue, participer à la compétition économique dans des pays où sont intervenus et sont parfois morts nos soldats, l'intervention économique est aussi un élément fondamental de la sortie de crise. Aider des entreprises à s'installer sur un marché contribue certes à augmenter le profit des sociétés en question, puisque il est admis que c'est ce qui guide leur action, mais c'est aussi permettre aux populations locales de se procurer les biens et les services qui les conduiront vers une vie « normale ».

Aider ou simplement inciter un fabriquant d'automobiles à s'installer sur le marché bosnien, c'est aussi contribuer à la création d'emplois de concessionnaires, de garagistes, d'assureurs, de pompistes... Autant de personnes qui n'auront pas intérêt à ce que les combats reprennent et qui vendront leurs services sans se demander si leur client est serbe, croate ou musulman. C'est aussi aider les Bosniens, du moins ceux qui en ont les moyens, à acquérir des moyens de déplacement qui amélioreront leur mobilité, faciliteront leur recherche d'emploi et favoriseront un redémarrage de l'économie. Aider un maximum d'entreprises à s'installer sur un tel marché c'est aussi favoriser la concurrence et tirer les prix vers le bas alors qu'en période de sortie de crise, ils sont généralement très élevés. L'exemple de l'automobile est généralisable à un grand nombre de secteurs : transports collectifs, télécommunications, bâtiment et travaux publics... Un entrepreneur français rencontré à Sarajevo nous a fait part de son pronostic sur l'avenir du pays : « On peut considérer que la Bosnie-Herzégovine sera définitivement tirée d'affaire lorsque le parking du supermarché sera plein de voitures et lorsque les Bosniens iront remplir leurs chariots chaque samedi, comme cela se fait en banlieue parisienne ». Dès lors, est-il condamnable de vouloir remplir les rayons ?

Déjà, en 1997, le Président de la République déclarait dans une publication du ministère des Affaires étrangères « l'exportation, une ardente obligation (...) quand je vais à l'étranger, je n'ai aucun complexe, j'y vais pour vendre des produits français »1. Ce même journal nous apprend que l'administration française est toute entière dévouée à « vendre l'entreprise France ». Cette conception du commerce international n'est pas propre à la France : les États-Unis sont actifs dans la promotion de leurs intérêts commerciaux, avec notamment la mise en place d'une « War Room » chargée de suivre les contrats les plus importants négociés par les firmes américaines. Le Royaume-Uni, l'Allemagne et les pays scandinaves, entre autres, ne conçoivent pas une intervention militaire à l'extérieur de leurs frontières sans un tuilage qui ne se termine, après l'urgence des ACM, par un passage de relais aux ONG puis aux entreprises de leur pays.

3. Le rôle de la Mission Interministérielle pour l'Europe du Sud-Est (MIESE)

Créée en juillet 1999 pour essayer d'intéresser les entreprises françaises à la reconstruction du Kosovo et assurer l'interface entre elles et le ministère de la Défense, la Mission Interministérielle pour l'Europe du Sud-Est (MIESE) est véritablement apparue dans l'espace des activités civilo-militaires en septembre. A partir de cette date un courant d'informations s'est établi, au bénéfice des opérateurs économiques français essentiellement. La mission était présidée par l'ancien ministre Roger Fauroux.

Grâce à l'action de la MIESE et à une décision annoncée par Charles Josselin en juillet 1999, les ACM du contingent français ont bénéficié de 2,5 millions de francs de financement en provenance du ministère des Affaires étrangères en 1999 pour réaliser des microprojets. Cette allocation n'a été renouvelée ni en 2000 ni en 2001, le Quai d'Orsay souhaitant conserver la disposition de l'ensemble des crédits d'intervention.

La MIESE a essayé de transférer (et parfois avec succès) vers d'autres ministères des charges relevant des compétences de ces derniers et que le dispositif ACM assumait temporairement au profit de la MINUK (liste non exhaustive) :

- prise en charge par le ministère des Affaires étrangères des postes de trois militaires français à l'International Management Group (IMG) du Kosovo ;

- prise en charge de la gestion de la prison de Mitrovica par le ministère de la Justice ou retour à la MINUK ;

- prise en compte d'un poste de spécialiste des télécommunications offert à la France et non accepté par l'État-major des Armées ;

- prise en charge d'une assistance technique (expert civil) au profit des pompiers de Mitrovica par le ministère de l'Intérieur ;

- reprise du poste d'expert agricole au sein de la MINUK.

La plupart de ces demandes sont malheureusement restées sans suite, les ministères concernés étant réticents lorsqu'il s'agit de détacher des fonctionnaires dans la mesure où leurs administrations s'estiment toujours sous dotées et préfèrent conserver leurs agents sur le territoire national.

Mais, de son côté, l'État-major des Armées a fourni à la MIESE des informations sensibles telles que le résultat de l'audit économique réalisé par le Commandement des opérations spéciales (COS) au titre de l'expertise initiale de théâtre. L'EMA a également communiqué les informations reçues par la brigade, le général représentant la France auprès du commandant de la KFOR et le COIA, en provenance de la KFOR et de la MINUK.

En outre, de nombreuses prestations ont été demandées par la MIESE à l'EMA, au bénéfice d'organismes ou de personnes opérant au Kosovo (liste non exhaustive) :

- prise de contact avec des responsables de la communauté internationale ou locaux ;

- assistance et facilitation de l'action d'opérateurs civils (privés et fonctionnaires) en mission ;

- convoyage et sécurisation de matériel sensible ;

- transport par voie militaire ;

- évaluation, recherche ou corroboration d'information, à la demande ;

- reconnaissances techniques particulières.

Au total, les relations entre les armées et la mission Fauroux font ressortir un bilan très positif, même s'il est difficilement quantifiable. En créant un lien entre les opérateurs français et les militaires déployés sur le terrain ou insérés dans les organisations internationales, la Mission Fauroux a rendu possible la diffusion des informations à caractère économique. Les analyses d'opportunité ont pu être conduites par les entreprises ce qui a permis à certaines d'être présentes, au bon moment, dans les programmes de reconstruction.

Hormis le domaine économique, la Mission n'avait pas la capacité d'intervenir de façon efficace dans d'autres domaines : politique, culturel ou humanitaire, secteurs prioritaires de l'action civilo-militaire.

Sur le plan de son fonctionnement, la Mission a fait preuve d'un activisme impressionnant. Faute d'une structure relais sur le théâtre, elle fut obligée de solliciter la structure militaire à tous les échelons, du commandant aux officiers en charge de l'ACM. Après la période de lancement où le dynamisme a pu l'emporter sur la méthode, les relations se sont stabilisées dans des conditions que les militaires eux-mêmes considèrent comme mutuellement avantageuses.

II. - L'ACTION CIVILE DES ARMÉES SUR LES THÉÂTRES EXTÉRIEURS : UNE TRADITION DÉJÀ ANCIENNE

Si les « actions civilo-militaires » dans leur acception moderne constituent un concept relativement récent développé à la fin du vingtième siècle, nous devons reconnaître que l'action civile des armées sur les théâtres extérieurs est une tradition bien ancrée dans certaines armées.

Sans prétendre à une exhaustivité difficile en la matière, nous illustrerons notre propos par les exemples de deux armées dont l'action civile est traditionnelle quoi qu'assez différente : d'une part l'armée des États-Unis dont la tradition interventionniste a conduit à développer des actions civiles sur les nombreux théâtres sur lesquels elle est intervenue ; d'autre part l'armée française que la tradition coloniale a longtemps conduit à développer des actions civiles précurseurs lointains des actions civilo-militaires.

A. L'EXPÉRIENCE AMÉRICAINE DES « CIVIL AFFAIRS » ET DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES

L'expérience des États-Unis dans le gouvernement militaire remonte au siècle dernier : à Mexico en 1847, dans les États confédérés pendant et après la guerre civile, puis aux Philippines, à Puerto Rico et à Cuba après la guerre contre l'Espagne en 1898. Mais c'est la seconde guerre mondiale qui permet aux Civil Affairs de développer la pratique du gouvernement militaire, dont le plan Marshall sera l'achèvement. Le Viêt-nam représente la première expérience américaine en matière de guerre anti-insurrectionnelle. Au cours de ce conflit, les forces spéciales américaines mettent en _uvre le concept de Civic Action (action civique ou action communautaire), première étape de l'évolution des Civil Affairs au sein des Forces Spéciales américaines.

1. Le gouvernement militaire, de la seconde guerre mondiale à la Corée

En avril 1942, les États-Unis établissent à l'université de Virginie une école de gouvernement militaire et dès 1943, les préparatifs américains concernant l'occupation éventuelle de territoires européens débutent en association avec la Grande-Bretagne. En prévision du débarquement en France, les États-Unis constituent un Régiment européen d'affaires civiles, ou European Civil Affairs Regiment (ECAR), formé de neuf compagnies et composé de 1 552 hommes dont plus de 400 officiers. Le premier objectif des Civil Affairs fut donc de s'assurer le contrôle des forces de l'ordre, puis des moyens de communication et de transport. L'ECAR avait plus largement pour mission d'implanter dans les territoires occupés un gouvernement militaire allié, l'AMGOT (Allied Military Government in Occupied Territories).

Un accord définissant les compétences respectives de l'autorité militaire alliée et des pouvoirs civils français met un terme définitif à l'AMGOT en France et le Gouvernement provisoire est officiellement reconnu le 20 juillet 1944. Désormais, les Civil Affairs se contentent de soutenir les opérations militaires et d'apporter une aide d'urgence aux populations civiles. L'AMGOT poursuit néanmoins son existence avec la mise en place de gouvernements militaires en Allemagne, en Autriche et au Japon.

Le 5 juin 1947, deux ans après la fin de la guerre, le Général Marshall, secrétaire d'État de l'administration Truman, annonce un programme pour la reconstruction de l'Europe. Si cette initiative ne se rapporte pas directement aux Civil Affairs, elle permet néanmoins d'appréhender la stratégie générale qui les guide depuis plus de cinquante ans.

Entre 1948 et 1952, les États-Unis fournissent 13,3 milliards de dollars (principalement sous forme de dons) aux pays européens. Inspiré des théories keynésiennes, ce plan doit permettre à l'Europe de relancer son économie : en France, l'aide américaine finance l'essentiel des investissements décidés par le premier Plan de modernisation et d'équipement (1947-1953) ou Plan Monnet. La première Organisation européenne de coopération économique (OECE) est créée en avril 1948 pour gérer la manne du plan Marshall qui obéit à une double logique. Politiquement, il renforce les démocraties d'Europe occidentale face à la menace soviétique et économiquement, l'achat de marchandises aux États-Unis procure un avantage commercial immédiat aux entreprises américaines, facilitant ainsi la reconversion d'une industrie d'armement sur-dimensionnée. Mais l'intérêt réel du plan se situe à plus long terme : William Clayton, sous-secrétaire d'État aux affaires économiques, résumait ainsi l'objectif du plan Marshall : « (...) Nous avons besoin de marchés - de vastes marchés - sur lesquels vendre et acheter ».

2. Depuis la guerre du Viêt-nam, une histoire liée au rôle des forces spéciales

L'origine des Forces Spéciales américaines remonte à 1942, mais les unités spéciales américaines créées au cours de la seconde guerre mondiale sont toutes dissoutes à l'issue de celle-ci. Le conflit indochinois éveille dès 1950 l'intérêt des États-Unis qui viennent de s'engager dans la guerre de Corée. C'est à partir de cette date qu'ils commencent à soutenir la France dans sa lutte contre le Viêt-minh. Le premier groupe des Forces Spéciales est activé à Fort Bragg le 20 juin 1952.

A la suite du retrait français d'Indochine, le président Eisenhower apporte son soutien au Viêt-nam du sud. Un groupe d'assistance militaire, comprenant 342 hommes, y est dépêché en juillet 1954. Les premières unités des Forces Spéciales le rejoignent en 1957. Dès 1961, les Forces Spéciales trouvent en la personne de Kennedy un ardent promoteur qui juge leurs potentialités inestimables dans la lutte contre l'insurrection communiste et favorise leur développement. Cette même année, on dénombre 2 000 hommes des Forces Spéciales sur le territoire vietnamien.

Leur mission est de constituer et d'entraîner des Groupes irréguliers de défense civile qui permettent l'autodéfense des populations locales contre le Viêt-minh en minimisant l'implication américaine dans les combats. Ce programme d'assistance militaire est complété par des actions communautaires et des opérations psychologiques (PSYOPs) menées par les personnels des Forces Spéciales afin d'améliorer l'efficacité de la contre-insurrection. Les actions communautaires, en plus de leurs aspects humanitaires, doivent générer au sein de la population un état d'esprit favorable à la lutte anticommuniste et préparer la voie pour les PSYOPs. Ces activités sont censées développer un sentiment de loyauté et de coopération vis-à-vis du gouvernement et créer un climat hostile à la guérilla. Elles consistent à mettre en _uvre des projets locaux (réalisation d'infrastructures, constructions de marchés et d'églises...) réalisés par la population et poursuivis après le départ des militaires. L'aide médicale est considérée comme l'une des actions communautaires les plus efficaces. Afin de mener ces missions, chaque état-major des Forces Spéciales dispose de sections d'actions communautaires, de PSYOPs et d'une patrouille médicale.

Malgré un manque d'entraînement des Forces Spéciales à ce type d'opérations, la contribution des actions communautaires est jugée essentielle dans les efforts américains pour contrer la guérilla communiste. Mais à partir de 1964, les États-Unis s'engagent massivement dans le conflit vietnamien et adoptent une stratégie plus « conventionnelle » pour mener leur croisade anticommuniste. En 1971, les Forces Spéciales sont définitivement retirées du théâtre vietnamien. La défaite américaine au Viêt-nam entraîne une marginalisation des Forces Spéciales dans le dispositif militaire américain.

Mais à la fin des années 70, les signes d'effritement de l'influence américaine en Amérique latine se multiplient. En juillet 1979, le front Sandiniste installe un régime d'obédience marxiste au Nicaragua, au c_ur de l'Amérique Centrale. En mars 1980, le Salvador s'enfonce dans une guerre civile meurtrière. En avril 1982, la guerre des Malouines oppose la Grande-Bretagne, le plus fidèle allié des États-Unis, à l'Argentine. Enfin en août 1982, le Mexique se déclare en cessation de paiements : la crise de la dette représente un facteur d'instabilité supplémentaire sur le continent américain. Le 27 avril 1983, Reagan prononce un discours alarmiste devant le Congrès : « L'incendie est dans le jardin des États-Unis ». Six mois plus tard, l'intervention militaire sur l'île de la Grenade permet d'abattre le régime marxiste de M. Bishop, au pouvoir depuis 1979.

L'opération « Urgent Fury » constitue un banc d'essai pour l'armée américaine, dont le budget bénéficie alors de la politique de réarmement de Reagan. Les Civil Affairs participent à la reconstruction politique du pays. Succès politique et militaire, « Urgent Fury » révèle néanmoins des faiblesses dans la conduite des opérations interarmées qui conduisent à une réorganisation en profondeur.

L'opération « Just Cause », menée au Panama en 1989 pour arrêter le dictateur et trafiquant de drogue Manuel Noriega, permet aux Civil Affairs de participer activement à l'opération : 300 réservistes interviennent aux côtés des 120 militaires professionnels du 96th Civil Affairs Bat. Ils constituent un groupe civilo-militaire (Civil-Military Task Force) dont les actions ont été planifiées dans le cadre de l'opération « Promote Liberty » : création d'une nouvelle force de police, distribution d'une aide alimentaire et médicale d'urgence, rétablissement de la production et de la distribution des journaux et développement d'une organisation assurant la promotion du gouvernement civil soutenu par les États-Unis. L'intervention américaine au Panama met en relief le double intérêt des ACM : ce sont des multiplicateurs de force, comme le gouvernement militaire de la seconde guerre ou les actions communautaires au Viêt-nam l'ont montré, mais ce sont aussi des multiplicateurs diplomatiques. La dimension politique des ACM s'affirme réellement au Panama : ils permettent un retrait rapide des troupes américaines (qui disposent, il est vrai, d'une importante base sur le territoire du canal) et la mise en place d'un gouvernement bénéficiant des faveurs des États-Unis sans qu'il soit nécessaire de prendre le contrôle de l'administration.

Les ACM jouent un rôle similaire au cours de la guerre du Golfe qui s'accompagne de missions plus traditionnelles : soutien des forces lors de « Desert Storm », puis action humanitaire très engagée au Kurdistan irakien et en Turquie (« Provide Comfort »). Les missions en Somalie (« Restore Hope ») et au Rwanda (« Provide Relief »), motivées par des considérations humanitaires, s'inscrivent dans la continuité de « Provide Comfort ». L'opération à Haïti permet de renouer avec l'exemple panaméen.

3. Les affaires civilo-militaires (CIMIC ou Civilian military cooperation) au sein des Civil affairs aujourd'hui

Si les autorités américaines intègrent systématiquement une dimension civile à leurs opérations militaires depuis la seconde guerre mondiale, cette dimension a considérablement évolué depuis lors. Cette évolution s'est accompagnée d'une sollicitation croissante des armées au titre des actions civiles au cours des dernières interventions extérieures et les expériences du début des années 90 ont amené le département de la Défense à préciser, le 27 juin 1994, leur rôle et donner des Civil Affairs la définition suivante :

Il s'agit des « activités d'un commandant qui établit, maintient, influence ou exploite les relations entre les forces militaires et les autorités civiles gouvernementales ou non gouvernementales, et la population civile dans un environnement amical, neutre ou hostile afin de faciliter les opérations militaires et consolider les objectifs opérationnels. Les Affaires Civiles peuvent exercer des activités et fonctions normalement du ressort de la responsabilité du gouvernement local. Ces activités peuvent intervenir avant, pendant et après d'autres opérations militaires. Elles peuvent aussi se dérouler en l'absence d'opérations militaires ».

Au sein des Civil Affairs, les CIMIC représentent l'aide relative à la reconstruction des théâtres d'opération, hors de toute activité ou fonction habituellement du ressort du gouvernement local.

Les Civil Affairs et les PSYOPs dépendent du Civil Affairs / Psychological Operations Command (CAPOC), commandement subordonné à l'Army Special Operations Command. Le choix d'intégrer au sein d'un même commandement Civil Affairs et PSYOPs est motivé par de fortes interactions, un soutien mutuel et de réelles complémentarités entre ces deux activités qui concourent au même dessein : maximiser l'influence américaine.

Le CAPOC comprend environ 9 000 hommes. Les PSYOPs, dont la réserve constitue les trois quarts des effectifs, sont répartis en trois groupes, dont un professionnel (4th PSYOPs Group). Les réservistes représentent plus de 95 % des effectifs des Civil Affairs. Sur le théâtre d'opération, les Civil Affairs sont subordonnées au commandant interarmées (Joint Force Commander) et non au Commandement des opérations spéciales de théâtre, afin d'être en mesure de soutenir tant les forces conventionnelles que spéciales.

Notons que les Marines disposent de deux groupes de Civil Affairs uniquement composés de réservistes, dont les missions se limitent au soutien des forces ; ils demeurent sous le commandement du corps des Marines.

La distinction entre trois types de bataillons de Civil Affairs permet d'appréhender le type de missions qui leur est dévolu. Le 96th bat., unique bataillon de soutien général (general support), est la seule unité disponible pour un déploiement immédiat ; il est en mesure d'intervenir aux niveaux opérationnel et tactique, uniquement en support d'opérations militaires. Le bataillon d'utilité générale (general purpose) intervient au niveau opérationnel. Le bataillon « contre-insurrection / guerre non conventionnelle » (Foreign Internal Defense / Unconventional Warfare) supporte plus particulièrement les Forces Spéciales ; ses personnels possèdent une connaissance approfondie d'une zone géographique précise et sont à même de seconder les Forces Spéciales dans les domaines politiques, économiques, sociaux, culturels ou linguistiques.

Deux types de personnels sont identifiables. Les généralistes interviennent principalement au niveau tactique ; l'aptitude à communiquer avec le monde civil est leur qualité essentielle. Les spécialistes interviennent aux niveaux opérationnel et tactique ; leurs compétences appartiennent à l'une des quatre sections suivantes : la section « gouvernement » (administration publique, santé et sécurité publiques, système judiciaire, éducation, finances publiques...), la section « économie / commerce » (politique monétaire, fiscale et budgétaire, logistique, agriculture et alimentation...), la section « infrastructures publiques » (communications, transports, travaux publics, gaz, eau, traitement des déchets...) et la section « fonctions particulières » (culture, information, réfugiés, services d'urgence, environnement...).

Les réservistes représentent la majeure partie du personnel des Civil Affairs. Ceux-ci sont dans l'obligation de s'entraîner avec leur unité 12 week-ends par an et d'accomplir une période annuelle de deux semaines. La communauté des Civil Affairs est particulièrement dynamique avec association nationale et conférence annuelle. Elle dispose de moyens propres importants (formations spécifiques à la JFK Special Warfare Center and School à Fort Bragg ; entre 8 et 15 % du personnel de chaque unité de réserve est permanent qu'il s'agisse de militaires d'active ou d'employés civils). Les réservistes constituent un relais puissant entre les mondes civil et militaire et sont appuyés par l'Association nationale des industries de la Défense (National Defense Industrial Association ou NDIA).

L'inconvénient majeur de la réserve est le manque de souplesse dans son emploi : les délais de mobilisation sont relativement longs ; lorsque les besoins sont importants et les volontaires en nombre insuffisants, une décision présidentielle est nécessaire pour mobiliser. Par ailleurs, les chefs d'états-majors hésitent à intégrer les Civil Affairs au plus tôt dans la planification pour des raisons de confidentialité ; enfin, les réservistes ont été particulièrement sollicités ces dernières années : effectuer des séjours de six mois sur de multiples théâtres ne va pas sans poser de problèmes dans la vie professionnelle. Mais la réserve constitue un vivier de compétences civiles très diverses qui ne sont pas toujours disponibles au sein de l'armée : aussi, la quasi-totalité des spécialistes appartiennent à la réserve.

4. Une doctrine d'emploi en évolution

Les opérations civilo-militaires contribuent à améliorer l'efficacité, la sécurité et l'image des forces. Ce type de missions consiste à minimiser les interférences entre la population civile et les unités militaires, contrôler l'utilisation des ressources locales tant humaines que matérielles, conduire des actions communautaires, contribuer à l'assistance humanitaire et participer à la défense civile. Les Civil Affairs soutiennent l'action des forces armées en mettant à leur disposition la totalité de leur compétence, principalement au niveau tactique.

Une seconde catégorie d'actions est le soutien de l'administration civile, aussi dénommée coopération civilo-militaire. Ce type de mission nécessite une décision des autorités de commandement national (National Command Authorities) que sont le Président et le Secrétaire à la Défense. L'administration civile en territoire occupé correspond au gouvernement militaire : c'est une implication totale des Civil Affairs dans le gouvernement d'un pays occupé par l'armée américaine. Les gouvernements militaires en Allemagne, en Autriche et au Japon à la fin de la seconde guerre mondiale sont des exemples de ce type d'administration. L'administration civile dans un pays allié signifie que les Civil Affairs prennent en charge certaines fonctions gouvernementales. Dans cette hypothèse, les Civil Affairs s'impliquent directement dans le processus de décision gouvernementale, ce qui suppose un engagement sur une période relativement longue.

Un troisième type d'opération est l'assistance à l'administration civile. Les Civil Affairs soutiennent les structures gouvernementales existantes sans exercer une administration directe. Ils sont les conseillers des autorités nationales. L'expertise des Civil Affairs recouvre tous les domaines de l'administration. Ce type de mission s'est déroulée durant la guerre du Golfe, en marge de « Desert Shield » et de « Desert Storm » : dès octobre 1990, une Koweit Civil Affairs Task Force, principalement constituée de personnels du 352nd Civil Affairs Command, a assisté le gouvernement koweïtien en exil à planifier les reconstructions les plus urgentes à mettre en _uvre dès la libération du pays. La Task Force a notamment accompagné les représentants des différents ministères koweïtiens dans la négociation des contrats de service, de fournitures et d'équipements nécessaires aux premiers travaux. A Haïti, nul intérêt commercial n'était en jeu : l'île représentait quasiment un problème de politique intérieure pour les États-Unis en termes d'immigration et de trafic de drogue. Au cours de l'opération « Uphold Democracy », 34 officiers des Civil Affairs, agissant tels des consultants, ont conduit des audits ministériels pour le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide et assuré la liaison entre les administrations haïtiennes et les organismes financiers internationaux. Les autorités américaines avaient exclu toute implication dans la direction du gouvernement et la poursuite d'une assistance à long terme. D'un point de vue américain, l'opération « Uphold Democracy » est un succès : le président démocratiquement élu était rétabli dans ses fonctions dans le délai imparti de six mois, au terme duquel le contrôle de l'opération était transféré aux Nations Unies.

La finalité des Civil Affairs est d'assurer le transfert des fonctions qu'ils assument à une organisation civile. Preuve de l'importance de cet aspect, un chapitre complet du manuel est consacré à la planification de cette transition et aux activités de coordination. Dans le cas de l'assistance à l'administration civile, cette démarche se concrétise par un transfert aux autorités nationales (Haïti) ou à une autre structure de soutien : en Bosnie-Herzégovine, les Civil Affairs sont progressivement remplacées au sein des ACM de l'OTAN par des structures civiles, accompagnant une réduction générale des effectifs militaires américains.

Le commandement des missions de soutien à l'administration civile appartient aux autorités de commandement national, et non au commandement militaire. Cette caractéristique souligne l'importance de la coordination interministérielle dans la mission des Civil Affairs. Celle-ci est une condition essentielle de réussite d'un processus de transition qui met en action de nombreux ministères et agences gouvernementales. Aux États-Unis, la coordination interministérielle est assurée au niveau politique par le Conseil national de sécurité (National Security Council). Le Président des États-Unis préside le Conseil national de sécurité où siègent notamment le Vice-président, le Secrétaire d'État, le Secrétaire à la Défense et le Directeur du renseignement. Le Président du comité interarmées est le conseiller militaire privilégié du Conseil. Diverses administrations peuvent participer aux réunions selon les thèmes abordés.

Le Centre de coopération civilo-militaire (CMOC) est plus particulièrement dévolu à la coopération au niveau tactique. Son fonctionnement est principalement assuré par les Civil Affairs. Le CMOC assure au quotidien la liaison et la coordination entre les armées, les agences des Nations Unies, les organisations internationales, les ONG et les autorités locales. L'efficacité du CMOC est irrégulière car elle est particulièrement dépendante de la nature des opérations (éventuellement définie par un mandat des Nations Unies) et de l'implication des divers protagonistes, notamment du département de la Défense : celui-ci s'est contenté d'un simple soutien logistique lors de l'opération « Support Hope » au Rwanda (CMOC de Kigali et de Goma) alors qu'il avait activement participé à la mise en _uvre de l'assistance humanitaire lors de « Provide Comfort » au Kurdistan irakien. Néanmoins le CMOC participe à son niveau à la transition de fonctions assurées par l'armée vers des organismes civils. C'est le cas du CMOC d'Entebbe (Ouganda) qui a assuré la coordination au début de « Support Hope » entre l'armée américaine, les agences des Nations Unies et les organisations non gouvernementales jusqu'à ce que le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) soit en mesure de le faire.

B. L'APPROCHE FRANÇAISE DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES : UNE TRADITION COLONIALE

L'histoire coloniale de la France est riche en références et en expériences, à une époque où l'administration des territoires conquis était dévolue à l'armée, pour qui veut comprendre la logique et les bénéfices que chaque acteur militaire, politique et civil est susceptible de retirer des ACM.

Les expériences « civilo-militaires » de l'armée française en Afrique du nord sont intimement liées à l'expansion de l'empire colonial puis à son déclin. Deux figures marquent la conquête coloniale : Thomas Bugeaud, vétéran de la Garde impériale, consolide les acquis territoriaux en Algérie au nord du Sahara et installe les premiers administrateurs militaires dans les territoires conquis. Hubert Lyautey conserve les pouvoirs politique et militaire du protectorat chérifien de 1912 à 1925. Lyautey, plus encore que Bugeaud, symbolise l'officier colonial pour lequel la vocation d'administrateur est un prolongement naturel du métier des armes. Le déclin de l'empire colonial s'achève en Algérie où les officiers des Sections Administratives Spécialisées s'investissent pour la dernière fois dans l'administration des populations locales.

Si les conceptions coloniales de Bugeaud, en faveur de la colonisation annexionniste, et de Lyautey, fervent partisan du protectorat, sont opposées, les deux maréchaux s'accordent sur un même principe : diriger en s'appuyant sur les structures hiérarchiques traditionnelles ; ils se dotent d'instruments semblables, les bureaux arabes et le service des Affaires indigènes, pour appliquer leur politique.

1. Bugeaud et les bureaux arabes

Au lendemain de la prise d'Alger, l'armée française ressent la nécessité d'organiser ses relations avec la population. En 1833, le Général Avizard choisit le capitaine Lamoricière pour diriger un « bureau particulier des affaires arabes chargé de suivre avec sûreté et succès les relations avec les tribus ». La connaissance de la langue arabe permet au capitaine Lamoricière de nouer de fructueux contacts avec les chefs de tribus et d'établir avec celles-ci une relation régulière et permanente. Organe d'information et outil de propagande, le bureau des Affaires arabes constitue un relais actif de la politique indigène du gouvernement.

Nommé gouverneur général de l'Algérie en 1840, le Maréchal Bugeaud décide d'asseoir l'autorité française sur les chefs locaux et les grandes familles auxquelles la population reconnaît une certaine légitimité, les officiers français servant d'intermédiaires. En 1841, Bugeaud rétablit la direction des Affaires arabes (créée par Damrémont en 1837 puis supprimée par Vallée en 1839). Le directeur reçoit autorité sur les « Caïds, Scheiks, Hakems, Cadis, Muphtis et autres autorités indigènes établies sur le territoire tant sous le rapport de la police que de l'administration ». Il est également chargé « d'établir des relations avec les tribus du dehors et celles insoumises, de recueillir les renseignements divers » au profit du gouverneur et des différents chefs de service. En poste auprès d'Abd-el-Kader de 1837 à 1839, Daumas est à même d'administrer les tribus soumises après la rupture des relations avec l'émir. Il occupe le poste de directeur jusqu'en 1847.

Les bureaux arabes sont définitivement institutionnalisés lorsqu'un arrêté ministériel organise la décentralisation de la direction, rendue nécessaire par l'avancée de la conquête. Dans chaque division militaire est établie une direction des Affaires arabes et sont implantés des bureaux arabes de première et deuxième classe, selon l'importance de leur ressort. La mission des bureaux est « la surveillance des marchés et l'établissement des comptes de toute nature à rendre au gouverneur général sur la situation politique et administrative du pays ».

Les officiers des bureaux arabes sont issus de toutes les armes et constituent un corps restreint (100 en 1851, 200 en 1869). Si leur tâche principale est la collecte du renseignement de toute nature (affaires politiques, criminelles, religieuses...), les officiers sont les interlocuteurs privilégiés des autorités locales. De plus, ils assurent la police des routes et des marchés, dirigent les travaux publics, surveillent les plantations et s'assurent de la rentrée des impôts.

La protection des indigènes, bien que sujette à un « paternalisme autoritaire », fût bien réelle et les bureaux arabes entrèrent en conflit avec les colons qui vilipendaient le « régime du sabre ». Les communes mixtes, créées en 1868 et réunissant indigènes et européens sous la direction de l'officier chef de cercle, symbolisent la politique dite « du royaume arabe » de Napoléon III. Après l'abdication de celui-ci, l'Algérie est détachée du ministère de la Guerre. La direction des Affaires arabes est dépossédée de ses missions au profit de l'administration civile. Seuls les bureaux arabes sont conservés dans les Territoires du Sud algérien, mais sont placés aux ordres des autorités civiles.

2. Lyautey et les Affaires indigènes

Lors de son séjour en Algérie, Hubert Lyautey, alors jeune sous-lieutenant, découvre les bureaux arabes et s'enthousiasme pour ce mode d'administration militaire. Il s'y familiarise avec les m_urs algériennes et apprend l'arabe.

Lyautey apprécie le mode d'administration pratiquée par les bureaux selon les principes de Bugeaud. En décembre 1880, il relate ses visites quotidiennes au bureau d'Orléansville où il s'imprègne de « cette procession de types qui réclament, mendient, protestent, accusent et se défendent ». Et dans cette même lettre, il s'insurge contre « la manie laïcisante et sécularisante qui sévit sur l'administration militaire : le territoire civil s'étend comme un cancer ». En effet, le bureau d'Orléansville vit ses derniers jours. Déjà, la préférence de Lyautey pour le protectorat se manifeste.

Après douze années passées en métropole, le commandant Lyautey part au Tonkin où ses convictions coloniales s'affirment. Lyautey fait sienne la méthode de pacification du colonel Gallieni qu'ils appliqueront ensemble au Tonkin puis à Madagascar (1897-1902) : avec la pacification, « la civilisation avance comme une tache d'huile ». Cette métaphore de la tache d'huile symbolise l'ambition de Lyautey : bâtir une administration coloniale véritable en menant de front conquête militaire et organisation civile. Lyautey résume ainsi sa conception de l'action militaire :

« La conquête est une organisation qui marche. Lorsqu'on prend un repaire, si on songe au marché qu'on y établira le lendemain, on ne le prend pas de la même façon (...) Il faut manifester la force pour en éviter l'emploi (...) Donnez-moi un médecin, je vous rend trois compagnies (...) Un chantier vaut trois bataillons. »

Lyautey, devenu Résident général de France au Maroc en 1912, peut enfin mettre en _uvre sa vision de la colonisation : une « politique musulmane », qui consiste à maintenir la hiérarchie en place et dont le corollaire est une politique de la main tendue résumée par cette devise de Lyautey : « l'adversaire d'aujourd'hui est le collaborateur de demain ». La France rétablit l'ordre au profit du sultan auquel les tribus se rallient, sauvegardant ainsi leur honneur.

Pour servir sa « politique musulmane » et appliquer le principe de la tache d'huile, Lyautey se dote d'un outil directement inspiré des bureaux arabes : il s'agit du service des Affaires indigènes. Comme les bureaux, ce service, intitulé à l'origine Service de renseignements, recrute des officiers métropolitains de toutes armes et ses effectifs sont de faible importance (194 officiers en 1913, 273 en 1925).

A l'image d'un Lyautey ou d'un Gallieni, la fonction exige de l'officier du Service de renseignements d'allier les qualités d'administrateur à celles de soldat. On s'assure de sa valeur militaire par un stage de sélection dans un goum qui lui ouvre les portes du centre de perfectionnement du Service de renseignements, rebaptisé en 1926 « Cours préparatoire des Affaires indigènes ».

Le contrôle politique et social exercé sur les tribus est une fonction essentielle de l'officier des Affaires indigènes. Son efficacité réside dans la connaissance intime qu'il a acquise de ses administrés : la continuité entre le Service de renseignements et le service des Affaires indigènes souligne l'importance du renseignement dans cette mission. Le protectorat exige de l'officier des Affaires indigènes qu'il ne s'impose pas abruptement mais qu'il soit accepté tel un conseiller, qu'il oriente plus qu'il ne dirige.

Si les Affaires indigènes constituent un outil efficace aux mains de la Résidence, celles-ci ne remplacent pas la troupe. La tache d'huile se révèle même totalement inopérante dans le Moyen-Atlas. La pacification du Maroc n'étant pas un processus pacifique, la conquête est d'abord militaire et les combats souvent violents et meurtriers.

3. Les Sections Administratives Spécialisées dans la guerre d'Algérie

La pacification, c'est-à-dire l'accompagnement des opérations militaires et la transformation du succès des armes en résultat durable, demeure l'objectif des Sections administratives spécialisées (SAS) mais celles-ci voient le jour dans un contexte fort différent de celui des bureaux arabes et des Affaires indigènes. Ces derniers s'inscrivaient dans une dynamique de colonisation alors que les SAS sont confrontées à une lutte d'indépendance qui prend la forme d'une guérilla. Dans cette guerre sans front, la stratégie militaire est étroitement subordonnée à la stratégie politique.

Il est décidé de renforcer la sous-administration du territoire, qui favorise la révolte, en accroissant le nombre des fonctionnaires civils trop peu nombreux au sein des communes mixtes. C'est ainsi que des officiers, dont certains sont issus des Affaires indigènes, s'implantent dans le massif de l'Aurès ou se répartissent entre communes mixtes et postes avancés dont relèvent plusieurs douars. Les SAS sont officiellement créées le 25 septembre 1955, et les Sections Administratives Urbaines (SAU) peu de temps après. Les SAU jouent un rôle identique aux SAS dans les quartiers musulmans et autres bidonvilles des agglomérations.

Dans sa mission, l'officier chef de SAS est assisté d'un adjoint sous-officier, de trois attachés des Affaires algériennes, tous civils contractuels (un comptable, un radio et un secrétaire), d'un infirmier et parfois d'une auxiliaire féminine des Affaires algériennes chargée de l'action sociale. L'officier dispose d'un Maghzen, composé de 30 à 50 moghaznis (supplétifs), qu'il a lui-même recrutés. D'anciens combattants en constituent fréquemment l'ossature. Le Maghzen assure la police de la SAS, protège ses bâtiments et ses chantiers, effectue des patrouilles nocturnes... Par sa position privilégiée au c_ur de la population, la SAS est à même de rechercher le renseignement de toute nature : politique, économique, social et opérationnel. Dans le domaine des opérations, le renseignement est essentiel pour atteindre l'adversaire.

Au-delà de son rôle militaire, l'officier administre sa SAS en menant des actions politiques (constitution de listes électorales) et économiques (conduite de travaux effectués par les habitants de la SAS et rémunérés). Ses préoccupations sont aussi d'ordre social : scolarisation, animation de foyers sportifs, aide aux nécessiteux, distribution de crédits de secours et de chômage. En regroupant les populations isolées, la SAS cherche à constituer un noyau de résistance à la dissidence. Les actions à caractère civil ou militaire n'ont qu'une finalité : établir des relations durables avec la population et gagner sa confiance.

Les SAS relèvent d'une hiérarchie civile et militaire. Le préfet dirige l'emploi des SAS alors que le commandement et la gestion des personnels de la SAS appartiennent au chef du service central des Affaires algériennes. Les SAS naviguent au gré de cette double hiérarchie non sans rencontrer quelques écueils qui marquent la domination du civil sur le militaire ou l'inverse : lorsque la réforme communale de 1956 supprime les communes mixtes, les préfets confient à la charge des SAS de nombreuses communes nouvellement créées faute d'engagement des notables locaux. Les officiers, exerçant les fonctions de « président de la délégation spéciale », l'équivalent du maire, administrent directement les habitants. La création des quartiers de pacification amène certains chefs de SAS à privilégier l'engagement militaire au détriment des efforts accomplis pour gagner la confiance des populations. Enfin, en juillet 1961, les SAS se voient interdire toute participation à des missions opérationnelles.

Au fil des années, le nombre de SAS ne cesse d'augmenter, reflétant à la fois l'importance de leur action dans la lutte anti-insurrectionnelle, mais aussi une politique dans laquelle elles ont un rôle crucial à jouer : « l'intégration » après le référendum de septembre 1958. 180 SAS existent au 1er janvier 1956, 451 au 1er juillet 1957 et 700 en 1960. Les SAS dépassent largement par leur ampleur les bureaux arabes et les Affaires indigènes. Les officiers ne constituent plus une élite restreinte et leur recrutement fait largement appel aux réservistes et aux appelés du contingent, qui représentent chacun un tiers des effectifs (le dernier tiers est constitué d'officiers de carrière). L'appel à la réserve semble naturel, l'autonomie et l'indépendance étant des qualités essentielles de l'officier des SAS. Un colonel, ancien officier des affaires indigènes, insiste sur « les qualités d'intelligence, d'imagination, de culture générale et de valeur morale » bien plus importantes que les qualités techniques. Il conseille d'ouvrir ce corps et d'en étendre le recrutement à des milieux non militaires : professeurs, magistrats, ingénieurs, médecins...

Les SAS assurent dans les douars d'Algérie, aux heures noires du conflit, une présence culturelle aussi forte que courageuse. A ce titre, elles s'inscrivent dans la tradition des bureaux arabes et des Affaires indigènes, ces institutions étant liées par une continuité historique de plus d'un siècle : de nombreux officiers supérieurs anciens des Affaires indigènes intégrèrent la hiérarchie des SAS. Les missions des chefs de SAS sont identiques à celles des chefs de cercle, avec leur double aspect civil et militaire. Depuis 1962 jusqu'au début des années 90, l'armée française qui se replie sur le territoire national met entre parenthèse ce type d'activités avant d'en redécouvrir l'utilité dans un contexte très différent et des finalités bien éloignées de celles des guerres coloniales.

4. La genèse des actions civilo-militaires modernes

Les actions menées durant la guerre du Golfe, en Irak et au Koweït ont mis en évidence la nécessaire adaptation à la situation générale du pays des composantes militaires participant, sur le terrain, à la gestion des crises. Dans une région en crise où la violence extrême côtoie les espoirs les plus fous, les solutions ne sont ni civiles ni militaires mais à la fois civiles et militaires. Les ACM répondent à cette logique en proposant de multiples solutions alternatives à la guerre.

Dans cet esprit, dès la création du Commandement des opérations spéciales (COS), en 1992, des réflexions puis des actions ont été développées :

- en novembre 1993, l'expertise des actions civilo-militaires a été confiée par le Chef d'état-major des Armées au COS ;

- dès mars 1994, des ACM françaises ont été projetées en Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de la résolution 900 de l'ONU prévoyant la reconstruction de Sarajevo ;

- fin 1994 est créée l'association « Eau » (Etudes et actions d'urgences) pour accompagner les actions sur le terrain ;

- en décembre 1994 est créée une cellule d'actions civilo-militaires au Centre opérationnel interarmées (COIA) ;

- en janvier 1996, les ACM prennent toute leur dimension avec la création d'un bureau G5 (selon la norme Otan) au sein du commandement français à Sarajevo.

Sur le plan civil, les résultats obtenus en Bosnie-Herzégovine sont dus pour l'essentiel à l'action du Colonel Jean-Jacques Doucet et d'une quinzaine de réservistes spécialisés dans des domaines de compétence inspirés de la résolution 900 qui ont vécu et travaillé en immersion dans le tissu social local, c'est-à-dire dans des conditions de sécurité et d'inconfort identiques à celles de la population sarajévienne. Ces réservistes ont réalisé une expertise sur l'ensemble de la capitale en prévision de la recherche de crédits internationaux. Ils ont exposé au ministère français des Affaires étrangères les capacités développées sur le terrain et ont contribué à l'ouverture d'une Chambre de commerce et d'industrie franco-bosnienne grâce à l'appui de 15 entreprises françaises et de 30 bosniennes.

Ces actions ont eu pour résultat de répondre aux sollicitations d'environ 75 entreprises françaises dont 90 % de PME, de mener une expertise de la plate-forme aéroportuaire de Sarajevo et du port de Ploce, d'envisager l'implantation d'un service d'aide médicale d'urgence, de nouer des contacts avec des sociétés comme ATR, Dassault et Thomson et d'aider Renault dans son implantation. Enfin des actions plus institutionnelles ont également été montées : participation du Conseil constitutionnel au demandes institutionnelles locales, accueil en France de professeurs sarajéviens, élaboration d'un projet constitutionnel, mise en place de cours d'urbanisme, échanges de maires, soutien à la création du Centre culturel André Malraux, réfection de la faculté de lettres, jumelages...

Sur le plan militaire, les résultats obtenus sont la conséquence directe des relations locales positives établies avec les diverses autorités locales intéressées aux actions civilo-militaires :

- une aide relationnelle et technique apportée au commandement français et notamment à l'arrivée de la Force de réaction rapide, à Ploce ;

- participation au niveau de la présidence et des institutions locales au règlement de divers problèmes militaires ;

- développement de relations importantes dans l'environnement des forces françaises entre Sarajevo, Mostar et Ploce ;

- connaissance des réseaux d'électricité et de leurs points sensibles ;

- campagnes d'information réalisées dans les zones sensibles afin de mieux faire comprendre et accepter la présence des forces de l'ONU.

III. - LES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES À L'ÉPREUVE DES FAITS

C'est au Kosovo que l'on trouve l'aspect le plus abouti des actions civilo-militaires menées par la France sur un théâtre d'opérations extérieur. En effet, ce théâtre nous fournit à la fois des exemples d'actions menées au profit des forces, d'autres au profit des populations civiles et, enfin, des actions humanitaires. Par ailleurs, l'imbrication d'actions menées par des forces nationales insérées dans une coalition multinationale est caractéristique des crises modernes.

La description des actions civilo-militaires menées en Afrique présente un intérêt tout autre en raison des différences de circonstance : il s'agit là d'entretenir dans la population une bonne image des forces étrangères, issues de l'ancienne puissance coloniale, stationnées dans les pays concernés en vertu d'accords de défense, mais sans qu'il y ait eu de conflit. Par ailleurs, l'action de ces forces s'inscrit, en principe, dans le très long terme.

A. LE DISPOSITIF MIS EN PLACE AU KOSOVO

En 2001, 150 personnels sont engagés dans des actions civilo-militaires sur les théâtres extérieurs dont 120 au Kosovo. 85 % de ces personnels sont des officiers. Avec un budget proprement dit de 1,1 million de francs pour 2000 et de 1,5 million de francs pour 2001, ils disposent d'une enveloppe financière bien modeste au regard des besoins. Il faut toutefois ajouter à ces crédits d'investissement pur environ 48 millions de francs liés au coût humain des ACM.

L'analyse du dispositif ACM déployé au Kosovo au cours de la montée en puissance de la MINUK peut être considéré comme un modèle générique dans la mesure où ses capacités correspondent aux besoins d'une opération de soutien de la paix relativement classique. Le dispositif reflète les deux niveaux d'action civilo-militaire prévus dans la directive : celui de l'environnement des forces et celui du soutien à l'environnement civil. Le détail des actions menées au Kosovo est annexé au présent rapport.

1. Une action nationale dans un dispositif multilatéral

En 1999, le dispositif mis en place par la communauté internationale pour assurer l'administration intérimaire, est monté en puissance de manière très progressive. Cette relative lenteur a rejailli sur la force qui a dû assumer certaines tâches qu'elle n'a pas toujours pu restituer aux organisations compétentes, comme le soutien aux infrastructures vitales (énergie, eau, transport) et la sécurité publique.

Les moyens français dévolus aux ACM comprennent trois ensembles :

- un détachement d'officiers insérés dans l'état-major des ACM de la KFOR ;

- une unité ACM au niveau de la brigade multinationale nord comprenant un bureau G9 d'état-major et un groupement ACM, cette unité est chargée d'exécuter les directives de la chaîne (CIMIC pour la KFOR et ACM pour la France) des opérations (théâtre et brigade) ;

- un bureau ACM auprès du général représentant la France au sein de la KFOR, chargé de mettre en _uvre au niveau du théâtre les directives nationales concernant l'action civilo-militaire fixées par l'État-major des Armées.

Le dispositif ACM français de la brigade met en _uvre les directives de l'OTAN ; toutefois, il est dimensionné pour permettre, autant que de besoin, de conduire des actions à caractère national, sur la zone de responsabilité de la France. Ces actions sont réalisées en concertation avec les alliés en recherchant, si possible, leur coopération.

2. L'action civilo-militaire menée au profit de l'environnement des forces

L'acteur militaire principal est la brigade multinationale nord. Le bureau des ACM du général représentant la France (REPFRANCE) soutient l'action de la brigade en agissant de façon coordonnée au niveau du théâtre. L'effort est porté sur l'établissement de relations suivies avec les autorités civiles et l'obtention d'une bonne perception de la mission par la population.

Des centres de coopération civilo-militaire (CCCM) sont mis en place : il s'agit de structures d'accueil ouvertes au public dont le rôle essentiel est de favoriser les rencontres et la coopération entre le commandement des forces, les organisations humanitaires, les autorités locales et les opérateurs civils. Les CCCM sont les points de contact privilégiés avec la population.

Par ailleurs, le dispositif ACM est en mesure d'apporter des informations sur l'attitude des différentes communautés vis-à-vis de l'évolution politique.

Des microprojets sont réalisés sur des crédits mis en place par l'État-major des Armées et par l'état-major de l'armée de Terre, le ministère des Affaires étrangères ayant refusé de renouveler les crédits qui avaient été accordés en 1999 pour financer des actions à forte visibilité nationale malgré l'argumentation développée par le ministère de la Défense sur l'image positive qui en aurait résulté pour notre pays.

3. L'action menée au profit de l'environnement civil

L'action au profit de l'environnement civil du Kosovo revêt une importance particulière puisqu'il s'agit :

- de pallier immédiatement la carence des structures administratives et sociales constatée à l'arrivée de la force ;

- de préparer puis d'appuyer la montée en puissance des institutions mises en place par la communauté internationale ;

- d'accompagner l'effort de reconstruction politique, économique et sociale afin de permettre le désengagement des forces militaires, le plus tôt possible.

La rénovation réussie du lycée agricole de Pristina

Une des plus importantes réalisations des ACM françaises en 2001 au Kosovo concerne la restauration du lycée agricole de Pristina. Cet établissement de grande taille accueillait 1 180 élèves serbes et albanais en 1990 ; il n'en reçoit plus que 460, tous albanais en 2001. Les 38 professeurs et 11 personnels administratifs sont rémunérés en fonction des résultats de la ferme du lycée, principale source de revenus.

Mal entretenu depuis des années pour ne pas dire des décennies, ce lycée avait besoin de travaux de très grande ampleur. La France a restauré le bâtiment principal, réaménageant les sanitaires et installant un chauffage central.

Ces travaux ont été financés conjointement par les ACM, la Caisse des dépôts et consignations, par la région Ile-de-France et grâce au jumelage de cet établissement avec le lycée Bougainville de Brie-Comte-Robert.

Les Albanais attendent encore de l'aide de la part de notre pays, notamment sur le plan pédagogique car les programmes, par exemple, ont vieilli. Mais après les travaux d'urgence (assainissement, chauffage) indispensables pour le redémarrage de l'établissement, c'est désormais à la Coopération de prendre le relais.

Le bureau des ACM du REPFRANCE est particulièrement chargé de ce volet de l'action civilo-militaire. Son effort porte sur l'organisation des relations avec les institutions chargées de la reconstruction politique, économique et sociale du pays. Il accorde son soutien sous forme de mise à disposition d'experts, de contribution aux évaluations techniques, de recherche de financement et d'assistance à maîtrise d'ouvrage.

Les agents économiques privés nationaux, intéressés par la reconstruction des infrastructures du Kosovo contribuant de façon positive à la consolidation du plan de paix, le bureau des ACM doit leur apporter son soutien. Il lui appartient d'accueillir favorablement les demandes d'information des entrepreneurs français et de faciliter leur évaluation des besoins du théâtre.

4. L'action de nature humanitaire

La maîtrise du problème humanitaire est un objectif prioritaire de l'action civilo-militaire. Une évolution défavorable de la situation humanitaire retarderait la réalisation du plan de paix. Une évolution désastreuse engendrant des troubles et obérant la liberté de mouvement des forces aurait une incidence grave sur le déroulement de leur mission. Les forces doivent aider les organisations humanitaires à remplir avec efficacité leurs missions et limiter au strict nécessaire leur propre implication dans l'opération humanitaire. Il convient pour cela de :

- favoriser la prise en charge du problème humanitaire par les opérateurs en titre ;

- consentir un soutien logistique, seulement en cas d'urgence pour éviter une aggravation de la situation ;

- aider à la régulation des mouvements de population en zone sensible afin de préserver la sécurité et la liberté de mouvement des forces ;

- participer au suivi de la situation humanitaire.

L'acteur militaire principal est la brigade multinationale nord. Le bureau des ACM du REPFRANCE soutient l'action de la brigade grâce à ses relations privilégiées avec les organisations internationales, notamment le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). La cellule d'urgence du ministère des Affaires étrangères est l'interlocuteur privilégié pour valider les demandes de concours au profit des opérateurs humanitaires.

5. Le bilan de l'action au Kosovo en 2001

L'action civilo-militaire s'est bien développée au Kosovo, le concept a été pleinement validé et aucun REPFRANCE, aucun commandant de brigade ne concevrait aujourd'hui de conduire son action sans employer la fonction opérationnelle ACM.

Le dispositif ACM français présente néanmoins, de l'aveu même des militaires, des faiblesses qu'il faudra corriger pour faire face à leurs tâches nouvelles :

- sa réactivité est insuffisante à tous les stades de l'engagement, notamment en ouverture de théâtre ;

- son manque d'équipements obère sa capacité opérationnelle ;

- la formation individuelle et collective à l'ACM de ses personnels est insuffisante ;

- la capitalisation de l'expérience n'est pas correctement réalisée ;

- la qualité de l'adaptation à l'ACM des structures des états-majors français, de l'ONU, de l'OTAN reste aléatoire ;

- on constate un manque notoire de financements de provenance interministérielle ;

- on note également une dérive fréquente vers des actions certes généreuses, mais n'intéressant ni les forces, ni les opérateurs français.

Le chef du bureau de liaison de la France à Pristina n'a pourtant pas de mot assez élogieux pour les ACM qui ont été conduites au Kosovo : « Les ACM continuent de jouer un rôle des plus utiles dans la reconstruction du Kosovo. Cette forme d'intervention ne nous est pas spécifique : les armées des principales nations, et la KFOR elle-même, depuis son troisième mandat, y recourent elles aussi ».

« Les ACM françaises se distinguent néanmoins en ceci qu'elles n'ont pas d'accès privilégié aux crédits civils de leur propre pays. L'intérêt de nos ACM réside ainsi moins dans le nombre de leurs projets réalisés que dans la qualité et la diversité de l'expertise qu'elles offrent ».

B. LE CONCEPT ACM EN AFRIQUE

Les actions civilo-militaires accomplies par les forces françaises en Afrique méritent d'être étudiées dans la mesure où elles sont d'une nature profondément différente de celles menées dans les Balkans : la présence de troupes françaises en Afrique est le résultat d'un processus issu de la décolonisation et non de conflits armés. Elle s'accomplit dans le cadre de traités bilatéraux et non dans celui d'une intervention internationale. Enfin, elle est inscrite dans le très long terme.

1. Un terrain particulier

La mise en _uvre d'actions civilo-militaires en Afrique diffère sensiblement de ce qu'elle est sur d'autres théâtres d'opération, en particulier des Balkans, tant du fait du statut de nos forces que du fait de leurs capacités.

Les forces françaises présentes en Afrique sont stationnées sur le territoire d'États souverains, en vertu d'accords de coopération militaire d'État à État qui ne leur laissent pas localement une grande latitude d'initiative. La plupart des actions doivent donc être décidées en concertation avec l'ambassade de France et en particulier avec l'attaché de défense et la mission locale de coopération.

Nos forces sont stationnées à long terme et l'essentiel de leurs activités relèvent de l'instruction et de l'entraînement. L'objectif visé par les ACM en Afrique est donc d'entretenir, au sein des populations et des autorités des pays hôtes, une bonne perception de la présence de nos forces.

Enfin, les moyens dont disposent les forces françaises sont très limités, notamment en regard des immenses besoins des populations locales.

2. Une directive spécifique

L'année passée a été marquée par l'entrée en vigueur de la directive du 22 mai 2000 du Chef d'état-major des Armées fixant l'orientation des actions civilo-militaires en Afrique dans les pays où sont présentes des forces françaises.

Assurant le contrôle opérationnel de leurs forces, les commandants des forces françaises mettent en _uvre l'action civilo-militaire dans leur zone de responsabilité permanente (ZRP). Ils coordonnent leurs actions avec celles de l'ambassade de France. Un officier désigné généralement au sein des bureaux opérations des corps ou des états-majors interarmées est en charge des ACM dans la ZRP.

Les actions civilo-militaires font l'objet d'un compte rendu annuel établi par chaque territoire. Les unités communiquent dans la presse nationale du pays hôte, mais aussi de manière interne dans les publications des corps y compris des unités tournantes (journaux régimentaires, « Képi blanc », « Le fantassin », « L'ancre d'or »...) ainsi que dans la presse militaire (« Terre magazine », « Frères d'armes »...).

3. La mise en _uvre des ACM en 2000

Les forces françaises prépositionnées en Afrique sont constituées de personnels des trois armées et de la Gendarmerie. Les Forces françaises stationnées à Djibouti sont placées sous les ordres d'un COMFOR, officier général de l'armée de l'Air. De même, les Eléments français du Tchad sont sous l'autorité du commandant des éléments français (COMELEF), colonel de l'armée de l'air. Les Troupes françaises en Côte d'Ivoire et les Troupes françaises au Gabon sont placées sous l'autorité d'un COMTROUPES de l'armée de terre. Les Forces françaises du Cap-Vert sont placées sous les ordres d'un COMFOR, capitaine de vaisseau de la Marine.

Le budget alloué en 2000 au titre des ACM en Afrique s'élevait à 1,2 million de francs mis en place pour une moitié par l'État-major des Armées (EMA) et pour l'autre par l'état-major de l'armée de Terre (EMAT). On conviendra de la faiblesse des crédits consacrés à ces actions par des armées dont le budget est particulièrement contraint. A titre de comparaison, 1,2 million de francs représente 1 % du coût d'un hélicoptère Tigre dans sa version antichar ou encore le prix de sept obus de 155 mm à effet dirigé « Bonus ».

Ce financement se répartissait en 0,3 million de francs pour le Sénégal et Djibouti et 0,2 pour la Côte d'Ivoire, le Tchad et le Gabon.

(en million de francs)

 

FFDJ
Djibouti

FFCV
Sénégal

TFG
Gabon

TFCI
Côte d'Ivoire

Eléments français
au Tchad

Total

EMA

0,1

0,2

0,1

0,1

0,1

0,6

EMAT

0,2

0,1

0,1

0,1

0,1

0,6

Total 2000

0,3

0,3

0,2

0,2

0,2

1,2

Djibouti

Le budget des ACM pour 2000 s'élevait à 300 000 francs dont un tiers fourni dans un cadre interarmées et les deux autres tiers provenant des crédits de l'armée de Terre. La quasi-totalité du budget a été engagée, le reliquat s'expliquant par l'ajournement d'un projet et le remplacement de deux autres pour des raisons de contraintes opérationnelles. Compte tenu de la fermeture de la zone nord du pays, la présence des troupes françaises s'est accrue dans les districts du sud. Seules ces régions ont donc pu bénéficier de l'action des Forces françaises à Djibouti (FFDJ). Les domaines d'actions privilégiés sont l'éducation, la santé et le sport.

Neuf projets ont été menés à leur terme sur des budgets ACM pour un montant global de 293 863 francs français. Un projet a été reporté sur l'année 2001. Parallèlement, deux opérations ont été financées par l'Union européenne. Les FFDJ ont également mis en _uvre des projets financés en totalité ou en partie par la Mission de coopération française. Le détail des opérations menées à Djibouti où s'est rendu votre rapporteur figure en annexe du présent rapport.

Sénégal

Le budget pour 2000 s'est élevé à 300 000 francs dont 200 000 d'origine interarmées et 100 000 d'origine armée de Terre. La totalité du budget a été engagée sur trois projets. Leur coût total est largement supérieur à l'enveloppe mise en place au titre des ACM. La différence a été supportée par le budget de fonctionnement de l'état-major interarmées des forces françaises stationnées au Sénégal et, de manière originale, par un partenariat avec d'importantes entreprises de travaux publics.

L'année 2000 a été en outre marquée par la projection en février d'un détachement provisoire de renfort dans l'éventualité d'une mise en _uvre du plan « Resevac » (évacuation des ressortissants) à l'occasion de l'élection présidentielle. Au sein de ce détachement, un officier chargé de l'action civilo-militaire renforçait l'état-major interarmées des Forces françaises du Cap Vert (FFCV)2. Cet officier avait pour mission d'évaluer et de préparer l'environnement civilo-militaire d'une évacuation de ressortissants en :

- recensant les organisations humanitaires sur place,

- menant les études préventives pour assurer le maintien de l'alimentation en eau et électricité dans les points intéressant les forces,

- évaluant les stocks civils,

- vérifiant le dispositif médical.

Les projets des FFCV sont importants, de l'ordre de 110 000 à 193 000 francs. Ils sont conduits en collaboration avec un comité civilo-militaire d'appui au développement, organisme sénégalais qui assure la synergie des différents ministères et administrations sénégalaises impliqués dans les ACM. Sur le terrain, des entreprises partenaires participent sous la forme de fourniture d'engins de travaux publics, de carburant ou en apportant des savoir-faire spécifiques. La médiatisation a été forte (Ouest France, Le Monde, Sud FM, télévision sénégalaise, agence Reuters...), notamment pour la réhabilitation du parc national du Niokolo Koba, classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture).

Gabon

Le budget pour 2000 s'est élevé à 200 000 francs répartis en 100 000 francs d'origine interarmées et 100 000 francs d'origine armée de Terre. 134 963 francs français ont été engagés. Le plan d'action des Troupes françaises au Gabon (TFG) ne tenait compte initialement que de l'enveloppe provenant de l'armée de Terre, ce qui explique que la totalité du budget n'ait pas été engagée. Cette situation est en cours de régularisation.

Le plan d'action pour les actions civilo-militaires du COMTROUPES des TFG donnait priorité aux actions de première catégorie (missions au profit des forces). Les actions de deuxième et troisième catégories (missions au profit de l'environnement civil et missions de nature humanitaire) ont pu être menées ponctuellement compte tenu de la situation particulière des réfugiés provenant du Congo, mais sur demande de l'ambassadeur de France et en fonction des contraintes opérationnelles des forces. La première priorité a concerné les travaux d'infrastructure, puis l'assistance technique (aide médicale gratuite et soutien des manifestations sportives) et enfin la fourniture de matériel.

Ces actions ont été conduites dans l'environnement immédiat des TFG et du bataillon (Libreville et périphérie du camp Charles de Gaulle) et lors de tournées de province ou en brousse. L'action civilo-militaire a été conduite en partenariat avec les forces gabonaises, ces dernières ayant été sollicitées pour la fourniture de main d'_uvre ou de moyens aériens. Les brigades de Gendarmerie qui maillent l'ensemble du pays sont également d'un concours précieux.

Au total, quatre projets ont été réalisés : deux en brousse et deux aux abords du camp de Gaulle et à Port Gentil.

Côte d'Ivoire

Comme pour le Gabon, le budget pour 2000 s'est élevé à 200 000 francs répartis en 100 000 francs d'origine interarmées et 100 000 francs d'origine armée de Terre. 139 807 francs ont été engagés sur l'année. La somme non utilisée sur l'exercice 2000 devrait l'être sur celui de 2001.

Initié en cours d'année 2000 à la suite de la parution de la directive de référence, le plan d'action pour les actions civilo-militaires du 43ème BIMa, stationné en Côte d'Ivoire, retenait les axes d'effort suivants : travaux d'infrastructure et de réfection, éducation (fournitures de bureau), aide médicale gratuite, culture et/ou sport, voies de communication, énergie, traitement de l'eau, fournitures et dépenses diverses. Ces actions sont conduites de façon continue ou ponctuelle, dans l'environnement immédiat des TFCI et du bataillon (zone urbaine d'Abidjan) ou lors de tournées d'instruction menées par les unités à l'intérieur des terres. L'objectif annuel est d'une ACM par module tournant (soit six au total) plus celles conduites par les permanents du bataillon. Cette implication des unités tournantes correspond à la directive du Chef d'état-major des Armées.

Notons qu'à la suite de la suspension des activités de coopération durant les événements du premier semestre 2000, les actions civilo-militaires n'ont été relancées en Côte d'Ivoire qu'à partir du mois de juillet. Mettant à profit les périodes d'accalmie, les Troupes françaises en Côte d'Ivoire (TFCI) ont essentiellement mené leurs projets entre octobre et décembre 2000.

Tchad

Comme pour les deux précédents pays, le budget pour 2000 s'est élevé à 200 000 francs répartis en 100 000 francs d'origine interarmées et 100 000 francs d'origine armée de Terre. La totalité du budget a été engagée sur l'année.

Neuf opérations ont été réalisées au cours de l'année 2000. Par ailleurs, les unités en tournées de province réalisent à l'initiative des commandants d'unité des microprojets peu coûteux mais permettant d'entretenir pendant le séjour des relations favorables avec les autorités locales. Ces tournées sont également l'occasion de recenser de futures ACM.

Les actions d'urgence réalisées en 2000

Les directives de 1997 et 2000 définissent les actions civilo-militaires de type humanitaire comme « des interventions visant à secourir les populations en difficultés, faciliter l'action des organisations humanitaires, notamment en assurant leur sécurité ». Elles s'effectuent en liaison avec les organisations internationales, en complément de l'action de ces organismes auxquels le personnel militaire « ne se substitue que très exceptionnellement, en cas d'urgence ou de défaillance, notamment ».

A la suite du passage des cyclones Hudah et Elise à Madagascar, les Forces armées de la zone sud de l'Océan Indien (FAZSOI) ont affecté en mars et avril 2000 des moyens logistiques (avion Transall C-160, hélicoptère Fennec, Frégate Nivôse, Batral La Grandière, Groupe école Jeanne d'Arc) au transport d'aide humanitaire vers des zones isolées. Au total, 360 tonnes d'aide humanitaire ont ainsi été transportées pour l'ensemble des interventions faisant suite à ces cyclones.

En mars de la même année, face aux inondations dont a été victime le Mozambique et afin de permettre aux organisations humanitaires présentes de venir en aide aux populations sinistrées, la France a mis en place un cargo tactique et une cellule de commandement composée de 12 militaires des FAZSOI. Un avion Transall C-160, le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc et la Frégate Georges Leygues ont également fait partie du dispositif. Enfin, deux hélicoptères Puma de l'aviation légère de l'armée de Terre, deux Alouette III, et deux Gazelle, ainsi que 60 hommes d'équipage ont été détachés afin d'aider au déchargement de fret humanitaire sur Maputo. Ces interventions ont permis de livrer 250 tonnes d'aide aux populations.

Si certains observateurs ont pu considérer que ces actions pouvaient être considérées comme relevant du domaine des ACM, nous devons constater que nous sommes là à l'extrême limite de ces actions, ces dernières n'intervenant pas en soutien à l'accomplissement d'une mission des forces. Le cabinet du ministre de la Défense considère, pour sa part, qu'il s'agit d'une action humanitaire et non d'une action civilo-militaire.

4. L'aménagement des procédures de financement

L'année 2001 devrait étayer le développement de la fonction opérationnelle d'appui aux forces en élargissant les sources de financement à toutes les armées. Le changement majeur de l'exercice 2001 est la modification du mode de financement des ACM qui reposait jusqu'alors sur un partage entre l'État-major des Armées et l'armée de Terre. Les état-majors de la Marine et de l'armée de l'Air sont désormais directement impliqués puisque le COIA demande pour les forces prépositionnées un financement des actions civilo-militaires par l'état-major d'armée d'appartenance du commandant des forces françaises sur le territoire. La volonté d'impliquer l'ensemble des composantes militaires aurait très bien pu passer par un financement interarmées généralisé et une ligne budgétaire clairement identifiable. Mais c'est finalement une autre clé de répartition, pour le moins curieuse et donnant un peu une impression de « bricolage », qui a été adoptée. L'État-major des Armées finance, pour sa part, les ACM du dispositif Aramis au Cameroun et de l'exercice RECAMP III en Tanzanie.

Les orientations données aux commandants de forces rappellent la nécessité de travailler en liaison avec l'attaché de défense et, éventuellement, avec les militaires du pays d'accueil.

Les besoins exprimés pour l'année 2001 au titre des ACM des troupes en Afrique s'élèvent à 1,225 million de francs. Les propositions du COIA reprennent ce montant avec la répartition suivante : 0,2 million de francs pour le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Tchad et le Gabon et 0,17 million de francs pour Djibouti. Le budget 2001 prévoit en outre 50 000 francs pour couvrir les besoins exprimés par le détachement « Aramis », déployé au Cameroun dans le contexte du contentieux frontalier qui oppose ce pays au Nigeria dans la presqu'île de Bakasi. De plus, 250 000 francs ont été débloqués au titre de l'exercice RECAMP III qui s'est tenu en Tanzanie, conformément à la volonté du Chef d'état-major des Armées d'accompagner cette man_uvre d'un volet ACM.

(en million de francs)

 

FFDJ
Djibouti

FFCV
Sénégal

TFG
Gabon

TFCI
Côte d'Ivoire

EFT
Tchad

Détachement Aramis Cameroun

RECAMP III
Tanzanie

TOTAL

Financement EMAT

   

0,2

0,2

     

0,4

Financement EMAA

0,17

     

0,2

   

0,37

Financement EMM

 

0,2

         

0,2

FinancementEMA

         

0,005

0,25

0,255

       

TOTAL

     

1,225

Djibouti

Le budget 2001, entièrement financé par l'armée de l'Air puisque le COMFOR est un aviateur, diminue de 0,13 million de francs par rapport à l'année 2000, soit 170 000 francs.

Cette réduction est due à deux facteurs principaux : d'une part, la fermeture de la zone nord du territoire aux forces françaises a contraint les FFDJ à annuler les deux projets d'infrastructure prévus dans la zone (Musée à Obock et Maison culturelle à Tadjoura). D'autre part, la participation d'un fort contingent des FFDJ à la MINUEE (Mission des Nations Unies en Erythrée et Ethiopie), en particulier celle de la 13ème DBLE, a rendu nécessaire le report sur l'année 2002 de deux actions prévues au profit du dispensaire de Dikhil.

Outre le report du projet ajourné l'année dernière, le plan d'action des FFDJ comprend cinq opérations. Il vise dans un premier temps à consolider l'investissement consenti en 2000 dans la région de Dikhil, district du Sud très fréquenté par les troupes françaises. Ce volet repose sur des travaux de remise en état de la palmeraie en coordination avec la Mission française de coopération. Par ailleurs, des travaux d'infrastructure seront réalisés dans les secteurs de l'éducation et de la culture pour l'essentiel.

La rénovation de l'école de Oueah

La rénovation de l'école de Oueah peut être considérée comme un exemple d'action civilo-militaire menée intelligemment dans le cadre de crédits très contraints.

Cette école, située dans une petite ville où la 13ème DBLE entretient un détachement, est en cours de restauration, par tranches annuelles, dans le cadre d'un partenariat entre l'Union européenne et le ministère de la Défense. Les travaux sont menés par des habitants, sur les instructions d'un chef de chantier militaire.

Les travaux concernent la remise en état générale des salles de classe : enduits, peintures, faux plafonds, mobiliers... Leur planification sur le long terme assure du travail pour plusieurs années aux ouvriers embauchés, le projet constituant ainsi un moyen de fortifier un sentiment d'acceptation de nos forces déjà réel.

Sénégal

Le budget 2001 diminue d'un tiers et n'atteint plus que 200 000 francs. Son financement est assuré par la Marine, le COMFOR étant un marin.

De nouveaux partenaires se manifestent pour apporter leur libre contribution. La formule du mécénat remporte un franc succès qui permet d'augmenter sensiblement les actions entreprises sans en alourdir l'impact financier pour les FFCV. A titre d'exemple une des opérations programmées en 2001 et représentant la fourniture de 50 m3 de carburant est déjà soutenue par un partenaire à hauteur de 25 m3, ce qui représente une contribution d'environ 100 000 francs.

Le plan d'action pour 2001 comprend des projets relevant des ACM de première catégorie :

- remise en état d'une piste utilisée à la fois par les troupes françaises et sénégalaises ainsi que par des villageois (voie d'accès au centre d'entraînement tactique de Toubacouta) ;

- poursuite de projets initiés en 2000 (en particulier le programme Vulcain de réhabilitation des pare-feux et campagne de reboisement) ;

- microprojets et projets identifiés et réalisés lors de tournées dans le pays.

Gabon

Le budget 2000 serait reconduit (soit 200 000 francs), son financement étant assuré par l'armée de Terre (COMTROUPES de l'armée de Terre).

Au titre de l'année 2001, les TFG souhaitent mettre l'accent sur le site qui accueille une partie des infrastructures du centre d'entraînement en forêt équatoriale, le village de Malle (mission de première catégorie). Cette opération serait menée en partenariat avec les villageois. Une couverture par la télévision gabonaise est envisagée.

Trois projets au total sont envisagés dans le cadre des ACM ainsi qu'une poursuite de l'aide médicale gratuite régulière.

Côte d'Ivoire

Le budget 2000 serait reconduit (soit 0,2 million de francs) son financement étant également assuré par l'armée de Terre (COMTROUPES de l'armée de Terre).

Les actions civilo-militaires 2001 comprennent essentiellement des microprojets d'infrastructure entrant dans la première catégorie (action au profit des forces) et destinées à faciliter les activités des troupes dans le pays en améliorant la perception des militaires français au sein de la population. Elles reprennent en partie des projets prévus pour 2000 et inachevés pour cause d'interruption de la coopération au premier semestre 2000.

Tchad

Le budget 2000 serait reconduit (soit 0,2 million de francs). Selon le nouveau principe proposé par le COIA, son financement sera assuré par l'armée de l'Air, le commandant des éléments français (COMELEF) étant un aviateur.

Les projets envisagés pour 2001 ont pour objectif principal de contribuer, par des actions au bénéfice du Tchad et de sa population, à une bonne perception des forces françaises et notamment de leurs activités d'instruction et d'entraînement. Ils sont concentrés sur deux zones :

- Abéché (zone de stationnement du groupement air 10 jours par mois) ;

- région de N'Djamena (zone de tournées et d'entraînement).

Des projets supplémentaires viendront en cours d'année compléter le plan présenté afin d'accompagner une extension de la zone d'action des éléments français du Tchad vers le Sud.

MINUEE (Mission des Nations Unies en Erythrée et en Ethiopie)

Mise en place au début de 2001 conformément à la résolution 1320 du Conseil de sécurité, la MINUEE comprend 4 200 hommes et 220 observateurs sous l'égide de l'ONU. La participation des ACM françaises se limite à un détachement de deux officiers au sein de l'état-major de la MINUEE basé à Asmara en Erythrée.

Le travail effectif des ACM est soumis à plusieurs contraintes :

- aucune activité ACM n'est possible tant que la Zone de sécurité temporaire n'est pas déclarée ;

- des problèmes de sécurité considérables (zones minées et engins non explosés) subsistent dans un contexte de retour spontané et désordonné des populations déplacées ;

- le gouvernement érythréen éprouve des difficultés de coordination de l'ensemble de l'effort humanitaire.

Le détachement est actuellement en phase d'évaluation de besoins et de recensement des projets. Aucun budget spécifique n'est programmé pour 2001. Par ailleurs, les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) apportent un soutien à la MINUEE, en particulier médical grâce à l'hôpital Bouffard.

Aramis (détachement français au Cameroun)

Le budget 2001 s'élève à 50 000 francs et est financé de manière interarmées par l'État-major des Armées. Il correspond au besoin exprimé par le détachement actuellement en place et s'inscrit dans le cadre des missions de deuxième catégorie en apportant une aide à l'éducation. Le projet, modeste, consiste à financer l'achat de fournitures scolaires et la réalisation de menus travaux d'infrastructure au profit d'une école.

RECAMP III en Tanzanie

Le chef d'état-major a annoncé sa volonté d'accompagner l'exercice RECAMP III, en Tanzanie, d'un volet civilo-militaire. Il s'agit de mener à bien des projets significatifs qui laissent un témoignage concret et positif au profit des populations.

Dans ce cadre, une enveloppe de 250 000 francs, mise en place sur le budget de l'État-major des Armées, est consacrée à un projet d'infrastructure. Il s'agit de la réfection d'une école primaire à Tanga, à proximité du lieu de l'exercice.

Par ailleurs, sur le budget de l'exercice, des travaux ont été effectués sur les infrastructures civiles utilisées, ainsi qu'un transport d'aide humanitaire et un programme d'assistance médicale gratuite.

Au total, les comptes rendus des commandants de forces font apparaître l'efficacité des actions civilo-militaires conduites en appui des opérations. La mise en place d'un budget ACM spécifique place l'Afrique au niveau des autres théâtres d'opération. Ce budget propre permet aux commandants de forces de conduire des opérations dans un cadre légal permettant efficacité et réactivité.

*

* *

Extrêmement utiles, voire indispensables dans certains cas aussi bien pour les forces que pour les populations civiles locales, les ACM en Afrique présentent néanmoins un danger qui est de rendre ces populations encore plus dépendantes de l'aide étrangère. Nous avons pu constater sur le terrain, à Djibouti, qu'elles étaient très reconnaissantes de l'action de la France et demandaient, listes à l'appui, de nouvelles interventions. Certaines de leurs demandes, fondées comme la restauration du réseau d'assainissement d'Ali Sabieh, seront peut-être prises en compte lors de prochains programmes ; d'autres moins indispensables comme la fourniture d'une antenne satellite pour la maison des jeunes de la même ville ne doivent pas donner l'impression que l'on peut tout attendre des ACM.

IV. - LES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA GESTION CIVILE DES CRISES

Les actions civilo-militaires ne sont qu'une des composantes d'un ensemble plus vaste qu'on appelle habituellement la gestion civile des crises. Si, comme nous venons de le constater, les ACM donnent plutôt satisfaction, leur insertion dans cet ensemble qui fait appel à d'autres outils issus de différents ministères ne va pas toujours sans poser des problèmes de coordination qui mettent en lumière l'absence d'instruments opérationnels, les lourdeurs de l'administration du ministère des Affaires étrangères et, par voie de conséquence, une coordination interministérielle insuffisante.

Notre approche de la gestion civile des crises aurait grand intérêt à s'inspirer de quelques exemples étrangers et notamment du DFID britannique qui s'impose en Europe comme l'outil de référence. De son côté, l'Union européenne qui souhaite également se lancer dans la gestion civile des crises en déployant une panoplie complète d'instruments civils et militaires n'est qu'au début d'un long processus.

A. L'ABSENCE D'INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

Par rapport à nos alliés occidentaux, trois manques principaux apparaissent parmi les instruments opérationnels dont aurait besoin notre action extérieure : d'abord, un réseau digne de ce nom d'alerte sur les situations de crise ; ensuite, une agence opérationnelle capable de lever rapidement des financements internationaux ; enfin, un cadre d'emploi satisfaisant pour les personnels civils équivalent à celui de la réserve militaire.

1. Les déficiences du réseau d'alerte sur les situations de crises

S'il n'est pas faux de dire que les crises sont généralement prévisibles, cela ne signifie pas pour autant que toutes soient évitables. Mais les signaux d'alerte sont parfois suffisamment précis pour permettre une véritable action de prévention. Il est donc nécessaire de s'interroger sur le véritable impact des signaux d'alerte et sur la circulation de l'information. Le maillon faible ne réside pas forcément dans la capacité à détecter les signes avant-coureurs de la crise mais dans les relais entre experts, témoins et décideurs politiques.

Certains mécanismes de concertation et de mise en place de réseaux ont déjà démontré leur efficacité. Pourtant, sur ce plan, votre rapporteur considère, en plein accord avec le Haut Conseil de la Coopération internationale (HCCI)3 que des progrès restent possibles en France où de nombreuses expertises existantes (géographiques, ethnologiques, climatiques, politiques, militaires, économiques, financières...) ne sont pas suffisamment croisées. Au-delà des réunions organisées autour du conseiller défense du Premier ministre, et pour n'évoquer que le renseignement militaire et politique, existe-t-il des passerelles, voire un lieu de rencontre des informations détenues par la DST, la DRM et la DGSE ailleurs qu'à l'Elysée ou à Matignon ?

Un énorme travail de structuration de notre réseau d'alerte national reste à réaliser, notamment pour synthétiser des informations de toutes origines, y compris civiles, universitaires et pas seulement d'émanation officielle administrative. Notre pays possède de bons outils, de bons centres d'études animés par des chercheurs de qualité, mais manque d'un lieu de mise en contradiction de toutes ces sources d'information. Le système de veille et d'alerte de notre pays ne peut se limiter à la remontée des télégrammes diplomatiques dont beaucoup trop n'apportent qu'une information indigente.

Il manque à la France un outil opérationnel comme en possèdent les autres pays occidentaux, c'est-à-dire un organisme capable de fournir une assistance technique, de mobiliser des crédits nationaux et internationaux et de faciliter le financement d'opérations civiles, de soutenir les différentes actions de coopération internationale de notre pays et d'offrir un cadre d'emploi efficient aux personnels civils _uvrant sur le terrain.

2. La difficulté de lever des financements nationaux ou internationaux

A l'inverse de la plupart des autres pays, l'action internationale de la France pâtit de l'absence d'une structure opérationnelle capable d'obtenir des financements internationaux. Pourtant ces sources de financement, qu'il s'agisse de l'Union européenne, de la Banque mondiale, d'autres organismes ou fondations, représentent la plus grosse part des financements de projets civils qui contribuent à l'apaisement des tensions et à la gestion pacifique des crises.

Comme ces financements ne peuvent réglementairement pas être versés directement sur le budget d'un État, le ministère de la Défense ne bénéficie d'aucune aide internationale à l'inverse des autres armées qui s'appuient sur des agences opérationnelles (GTZ4, USAID5, DANIDA6, SIDA7...) pour apporter des crédits. Le DFID8 britannique qui est une administration s'appuie lui-même sur une agence opérationnelle pour se financer. De la même manière, les ONG, à l'exception des plus importantes, ne peuvent bénéficier d'un appui et d'une reconnaissance internationale qui leur fait défaut, ce qui les pénalise par rapport à leurs homologues étrangères.

En outre, contrairement à nos alliés, le dispositif ACM français ne bénéficie pas de crédits interministériels. Les financements indispensables pour conduire un niveau d'activité décent doivent être supportés par le budget de la Défense, ce qui n'est à l'évidence pas suffisant. Le contingent français est porteur de l'image de la France, mais ne dispose pas des moyens financiers qui lui permettraient d'assumer correctement cette charge.

En conséquence, les militaires des ACM doivent consacrer une grande partie de leur temps et de leur énergie à rechercher des financements internationaux alors qu'ils ne sont pas formés pour cela. Au lieu de bénéficier, comme leurs collègues britanniques ou allemands de financements captés par l'intermédiaire d'agences dont c'est le métier, ils doivent monter des dossiers et décrypter le fonctionnement des circuits financiers de l'Union Européenne, de la Banque mondiale ou encore de fondations diverses. Est-ce bien le rôle de militaires en opérations extérieures ? Par ailleurs, la rotation rapide de nos personnels, tous les quatre à six mois selon les cas, les empêche généralement de suivre un dossier du début à la fin, ce qui pose des problèmes de mémoire administrative et crée une frustration certaine chez ces militaires qui s'investissent complètement dans ces missions relativement nouvelles au sein des armées. Et lorsque les fonds internationaux sont trop longs ou trop difficiles à obtenir pour mettre en _uvre un projet déjà prêt et souvent peu onéreux, il n'est pas rare de voir des militaires demander à leurs épouses restées en France d'organiser une collecte dans la ville de garnison où est habituellement cantonné le régiment...

Autre exemple : en Bosnie-Herzégovine, dans une zone d'où ils ont été chassés, il s'agit de réinstaller des Croates. Pour cela, il faut trois choses : premièrement reconstruire ou réparer les maisons, deuxièmement reconstruire l'église et troisièmement rebâtir l'école, tout ayant été détruit. Pour les maisons, ce sont les Néerlandais qui s'en chargent. L'église ? L'évêque en fait son affaire. Mais pour l'école, il manque 200 000 francs. Contacté, le ministère de la Défense refuse de débloquer la somme en question au motif, inattaquable, qu'il n'entre pas dans les attributions de l'armée de reconstruire les bâtiments détruits. Résultat, le processus de retour des personnes déplacées est interrompu pour une somme modique de 200 000 francs.

Et pourtant l'argent existe : mécénats d'entreprises, Banque mondiale, fonds européens, collectivités locales qui voudraient bien donner mais ne savent pas à qui s'adresser... « Ce n'est pas à moi d'aller frapper aux portes. J'ai ma division à gérer et les accords de paix à faire respecter » insiste l'officier concerné. Arrêtons de demander aux armées de pallier les insuffisances des administrations civiles. D'évidence, il manque une agence opérationnelle, un guichet unique capable de renseigner les différents acteurs, de les mettre en rapport, de réunir des financements...

3. Les personnels civils ne disposent pas d'un cadre d'emploi satisfaisant

Actuellement, seules les armées disposent, avec la loi sur les réserves du 22 octobre 1999, d'un cadre d'emploi pour leurs experts. Cette loi donne aux réservistes la possibilité de servir en opération extérieure pendant 120 jours avec l'accord de l'employeur, en garantissant aux réservistes une rémunération et une protection sociale complète (droit à pension, assurance en cas d'accident...).

Ces dispositions législatives, adoptées de manière consensuelle, prennent acte de la suspension du service militaire en ouvrant la possibilité de servir dans la réserve à des personnels civils hommes et femmes qui n'ont pas effectué de service national, alors qu'auparavant, il était nécessaire d'avoir porté l'uniforme pour devenir réserviste.

Une critique revient régulièrement en ce qui concerne la durée maximale annuelle de service de 120 jours, considérée comme trop courte par nombre de militaires d'active ou réservistes. Mais ce chiffre qui correspond à une durée de quatre mois, soit un tiers de l'année, est le résultat d'un compromis obtenu entre le ministère de la Défense, le Parlement et les employeurs qui sont souvent pénalisés par le départ de leurs employés.

Il nous a été indiqué que cette disposition pouvait être « contournée » en faisant effectuer aux réservistes une période de 120 jours entre septembre et décembre au titre d'une première année et entre janvier et avril au titre de l'année suivante, ce qui permettait de laisser sur un théâtre d'opération un expert pendant huit mois. Mais au-delà de cette astuce qui relève du « système D » sur lequel est trop souvent basée l'action de notre pays, on peut s'interroger sur la pertinence de laisser des réservistes en poste pendant huit mois, par exemple au Kosovo, alors que les militaires d'active, eux sont relevés tous les quatre ou six mois. Si la tension est telle (et nous pouvons en témoigner) que les militaires d'active doivent être relevés aussi rapidement, comment justifier que des civils auxquels un uniforme a été remis doivent y rester beaucoup plus longtemps, si ce n'est par le fait que ces derniers effectuent des tâches qui n'ont pas grand chose à voir avec le monde militaire (insertion dans une administration onusienne, action quasiment civile...) ?

En effet, l'absence de cadre d'emploi fonctionnel, souple et assurant une protection sociale pour les civils conduit les armées à assurer des tâches qui ne sont pas de leur ressort et qu'elles assument faute de pouvoir faire autrement : contrôler l'espace aérien bosnien, six ans après la signature des accords de paix de Dayton, n'est certainement plus normal. Mais aucune solution civile, française ou bosnienne, n'a été proposée. Au Kosovo, en l'absence de structure adéquate et de soutien de la part des administrations dont ce serait le travail, ce sont des militaires qui montent les dossiers de financement des actions civilo-militaires et partent à la recherche de financements ou de cofinancements internationaux alors qu'ils ne sont pas formés pour cela.

Mais les lourdeurs de l'administration sont telles qu'obtenir un détachement ou une mise en disponibilité relève parfois du chemin de croix. Je me plais à citer le cas caractéristique d'une bibliothécaire du ministère de la Culture qui avait répondu à un appel de candidature du ministère des Affaires étrangères pour être affectée sur un poste de la bibliothèque du centre culturel français de Jérusalem pour une mission de six mois. La procédure de détachement fut tellement longue et semée d'embûches que la personne a dû se mettre en disponibilité pour être embauchée sur place dans le cadre d'un contrat de droit local, avec les conséquences que l'on imagine sur le plan de la carrière et de la protection sociale.

Autre exemple de dysfonctionnement caractéristique : Jean-Louis Machuron, fondateur dans les années 70 de « Pharmaciens sans frontières » et nommé coordonnateur de l'aide humanitaire française en Albanie et au Kosovo en 1999 par le ministère des Affaires étrangères s'est retrouvé sans emploi une fois son contrat achevé. En l'absence de cadre d'emploi satisfaisant, il était rémunéré comme simple vacataire et s'est retrouvé privé de toute allocation chômage à son retour en France. Servir son pays à l'étranger, dans des circonstances dangereuses et à la demande du ministère des Affaires étrangères, n'est décidément pas récompensé.

L'absence de cadre d'emploi civil satisfaisant conduit fréquemment les armées à faire appel à leurs officiers pour les « insérer » dans des postes proposés à la France mais non pourvus par des fonctionnaires civils. Outre la charge indue qui repose sur le ministère de la Défense, cela désavantage parfois nos insérés. Au Kosovo par exemple, notre officier inséré à l'aéroport de Pristina est clairement perçu comme un militaire ; l'officier inséré britannique qui a été placé, lui, par le DFID est considéré comme un civil, bien qu'étant également à l'origine fourni par l'armée. Dans une administration civile comme l'est l'aviation civile (ou de surcroît tout se passe en anglais), notre représentant a le désavantage supplémentaire d'être associé à l'image du monde militaire.

Un cadre d'emploi civil géré par une agence opérationnelle présenterait par ailleurs l'avantage non négligeable de centraliser la liste de tous les Français travaillant à l'étranger dans un cadre international et de permettre de les suivre. Actuellement, ce sont les ministères qui sont censés suivre, chacun de son côté, la trace des fonctionnaires détachés. Mais dans la réalité, personne ne connaît nos compatriotes travaillant pour l'ONU. Qui sait qu'une des responsables du programme de désarmement de l'ONU est une française ?

D'une manière plus générale, les agents civils de l'État appelés à partir servir leur pays à l'étranger doivent remplacer la traditionnelle question « Je dois partir sur un théâtre étranger, comment vais-je faire ? » par cette autre interrogation « Je dois partir sur un théâtre étranger, comment va faire l'administration ? ». Pour reprendre les propos mêmes de Bernard Kouchner lorsque nous l'avons rencontré : « Trop souvent encore on considère que l'on doit participer à l'action extérieure de la France à ses dépens. On ne doit ni pâtir ni s'excuser de servir son pays à l'étranger ».

B. LES LOURDEURS ADMINISTRATIVES DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Critiquer l'action, et souvent l'inaction, du ministère des Affaires étrangères est devenu un jeu à la mode. Le quotidien Le Monde a consacré fin avril 2001 une enquête en trois volets sur la nécessaire réforme de ce ministère. Il est vrai que tous les interlocuteurs extérieurs à ce ministère (et parfois même intérieurs) que votre rapporteur a rencontrés ont formulé des avis très critiques sur le caractère faiblement opérationnel du Quai d'Orsay dans les actions de terrain dans le cadre de la gestion civile des crises.

Souligner le caractère peu réactif du ministère des Affaires étrangères n'est pourtant pas gratuit dans le cadre de l'étude qui nous intéresse car son attitude a des conséquences directes, lors d'opérations extérieures, sur le rôle des armées, confrontées de manière permanente aux réalités du terrain.

Tous les acteurs s'accordent pourtant à reconnaître la légitimité indiscutable du Quai d'Orsay dans la conduite de la politique extérieure de la France. Mais les insuffisances de cette administration conduisent parfois les militaires à aller à l'extrême limite de leur rôle.

1. Le caractère peu opérationnel de l'administration du Quai d'Orsay critiqué de toutes parts

Il ressort des différents entretiens conduits avec les acteurs d'actions civilo-militaires ou de gestion civile des crises au sens large (voir la liste en annexe) que le ministère français des Affaires étrangères semble bien plus efficace en matière de procédure, de négociation internationale et de production de documents (3 000 télégrammes diplomatiques reçus de nos postes chaque jour) que dans l'action concrète du point de vue opérationnel.

Bernard Kouchner, actuel ministre de la Santé et qui fut durant un an et demi le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo parle d'expérience. Qualifiant la diplomatie française de « parfois conservatrice », il regrette qu'elle n'intègre pas assez d'opérationnels dans ses rangs ni de diplomates préparés à ce type de situation. Se défendant de tout militarisme, il conclut néanmoins : « Heureusement que nos militaires étaient là ! ».

La volonté réformatrice des ministres en place, M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères et M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie n'est pourtant mise en cause par personne, les articles critiques parus récemment l'ont d'ailleurs souligné. Et contrairement à ce qui a d'ailleurs été indiqué par Le Monde, les cabinets ne m'ont pas paru isolés des services. Mais l'inertie administrative donne l'impression d'une telle lourdeur que la volonté réformatrice exprimée dès 1995, concrétisée en 1997 et poursuivie depuis lors ne parvient pas à s'imposer.

Une ambitieuse réforme a intégré, en 1998, le ministère de la Coopération au ministère des Affaires étrangères avec l'émergence d'une « Direction générale de la coopération internationale et du développement » (DGCID). L'alchimie espérée de la rencontre entre les deux cultures administratives (celle des « ex-coopération » et celle des diplomates, l'une économique et l'autre politique) a la capacité potentielle de faire de ce puissant appareil de plusieurs milliers de cadres motivés un formidable outil d'action. Mais encore faudrait-il que l'aspect opérationnel qui a été introduit dans le Quai d'Orsay resurgisse afin qu'il soit fait un usage complet de la vaste panoplie d'outils dont dispose désormais notre action extérieure. Peut-être faudrait-il, ainsi que le suggère le rapport du Haut Conseil de la Coopération internationale, « que les responsables politiques lui permettent de jouer un rôle se situant aux frontières du diplomatique et du technico-économique ».

Je pense pour ma part que trois conditions sont nécessaires pour que le ministère des Affaires étrangères s'imprègne d'une culture un peu plus opérationnelle :

- premièrement, il faudrait que les personnels ayant développé une culture opérationnelle dans l'influence comme dans le développement soient davantage incités à la promouvoir ;

- deuxièmement, il importe que nos ambassadeurs reconnaissent le caractère éminemment politique de leur fonction au lieu de se complaire, comme certains d'entre eux, dans l'attitude attentiste du « pas de vagues » ;

- troisièmement, il serait nécessaire que la carrière et l'avancement de nos diplomates soient la conséquence de leurs compétences, du profil des postes et de leur caractère opérationnel et non, comme c'est encore trop souvent le cas, de pratiques d'administration trop rigides.

C'est l'ensemble des lourdeurs administratives qui amoindrissent la capacité réactionnelle du ministère des Affaires étrangères : le code des marchés publics, dont par ailleurs le Quai d'Orsay ne peut être tenu pour responsable de la complexité, prévoit des appels d'offres de manière quasi systématique, ce qui demande généralement plusieurs mois entre l'apparition d'un besoin et sa satisfaction. Cette obligation pénalise lourdement l'action civile de la France dans les situations d'urgence et c'est dans ces situations qu'apparaît un manque évident de réactivité.

Il existe bien une procédure d'urgence dans les cas d'impérieuse nécessité. Mais l'administration et les contrôleurs financiers répugnent à utiliser cette procédure d'exception qui demande tout de même un délai minimum de huit jours. C'est bien mieux que les trois à six mois nécessaires dans le cadre de la procédure classique mais c'est encore trop dans les cas d'urgence. Un exemple : en 2000, la Hongrie menacée par les plus importantes inondations de son histoire contemporaine avait un besoin urgent de sacs à sable destinés à servir de digues. La France s'engagea à fournir 500 000 de ces sacs. Le montant de l'achat étant supérieur à 300 000 francs, un appel d'offres européen fut exigé avec remise d'offres et signature, entre autres, du fournisseur retenu qui se trouvait en l'occurrence en Belgique et du contrôleur financier. Pendant ce temps, l'avion affrété par la cellule d'urgence du Quai d'Orsay attendait et l'eau montait...

Mais au-delà de ces pesanteurs administratives et peut-être à cause d'elles, il nous a semblé que le ministère des Affaires étrangères avait abdiqué son rôle de coordonnateur de l'action extérieure de la France. Concrètement, les militaires rencontrés en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo nous ont confié avoir l'impression qu'il n'existait pas de lieu d'élaboration de la stratégie de notre pays en matière de sortie de crise : aucune directive, pas le moindre conseil sur le choix des projets à réaliser en matière d'actions civilo-militaires, ni sur leur localisation, ni sur leur contenu, ni sur leurs bénéficiaires... Tout est laissé à l'appréciation des différents acteurs locaux, en fonction des opportunités et des circonstances. De fait, notre pays donne l'impression bien réelle qu'il n'existe pas de structure décisionnelle française.

2. Les difficultés de la cellule d'urgence du ministère des affaires étrangères

La cellule d'urgence du ministère des Affaires étrangères, dirigée par le docteur Michel Bonnot, est une petite structure de quelques fonctionnaires seulement : quatre cadres A et un cadre B. Cette cellule qui gère les crises du monde entier dans l'urgence, dimanche, jours fériés et décalage horaire compris, se heurte régulièrement aux lourdeurs administratives du ministère dont elle dépend et qui compte, à titre d'exemple, 43 personnes responsables des passations des marchés.

Au plus fort de la crise du Kosovo, c'est Michel Bonnot et Jean-Louis Machuron qui sont arrivés les premiers à Mitrovica au Kosovo, alors que nos militaires, freinés par les procédures de l'Otan, progressaient plus lentement. Ce sont eux qui ont décrit la situation de cette ville que les population civiles fuyaient. Ils ont par leur action contribué à rétablir le calme en stoppant l'exode des civils et retenant les médecins serbes prêts à partir.

Leur travail d'urgence et leur collaboration de terrain avec les militaires ont été unanimement salués. Mais les lourdeurs administratives du Quai d'Orsay et l'absence de délégation de signature ont considérablement compliqué leur tâche quand elles ne l'ont pas paralysée. Michel Bonnot a ainsi dû justifier (et le dossier a traîné neuf mois) les 30 000 francs de frais de téléphone portable dépensés dans le cadre de cette crise. On lui a également reproché de ne pas avoir fourni le bail, le métrage au sol et des devis comparatifs lorsqu'il a loué dans l'urgence des locaux, à un prix par ailleurs raisonnable, pour héberger les activités humanitaires d'urgence à Mitrovica. Des responsables de la mission Kouchner, le premier administrateur nommé par l'ONU, des responsables du Programme alimentaire mondial, de l'Unicef furent hébergés dans ces locaux (on lui a reproché de les avoir hébergés gratuitement), ce qui ne l'a pas empêché d'être menacé de comparution devant la Cour de discipline budgétaire et financière. On l'a également accusé d'avoir été gestionnaire de fait pour l'embauche dans l'urgence d'une quinzaine de personnels autochtones régularisés par la suite.

Jean-Louis Machuron et Michel Bonnot racontent également à l'envi l'histoire de ces bâches achetées localement et dans l'urgence pour protéger les réfugiés mais qui leur ont attiré les foudres de l'administration car leur taille (6 x 5 mètres) n'était pas la même que celle spécifiée sur l'appel d'offres (8 x 4 mètres). L'urgence ne doit évidemment pas servir de prétexte à l'irrégularité mais une plus grande souplesse doit être introduite dans la gestion des situations extrêmes.

Jean-Louis Machuron a également regretté son dénuement financier et a dû recourir à des expédients pour acheter les cercueils et la chaux nécessaires pour enterrer les cadavres que l'on trouvait partout. Il ne pouvait jamais obtenir plus de 50 000 francs à la fois de la part de l'attaché de coopération en poste à l'ambassade de France à Skopje alors que ses collègues d'autres pays en obtenaient dix fois plus auprès de leurs agences gouvernementales (DFID, USAID, GTZ, THW9 ...) qui étaient toutes basées à Pristina. Et chaque voyage en Macédoine lui faisait perdre une journée et du précieux carburant. En effet, en raison de l'anarchie régnant alors dans la région, le carburant était devenu un produit introuvable dans les pompes à essence mais vendu au marché noir. L'administration lui a évidemment reproché de ne pas fournir de factures pour ses achats d'essence. Le coordonnateur de l'aide humanitaire française au Kosovo devait-il attendre la normalisation de la région et la réouverture des stations-service pour commencer à travailler ?

Un exemple du fonctionnement chaotique de l'aide humanitaire française :
les camions bloqués par l'ambassade

Se précipitant à Skopje pour récupérer les dix camions et les six véhicules tout terrain remplis de matériel que la cellule d'urgence lui avait adressés, Jean-Louis Machuron s'est heurté aux diplomates de l'ambassade de France en Macédoine qui ont refusé de lui remettre les clés. « Vous avez pourtant dû recevoir un télégramme du Quai d'Orsay ! » « On l'a, mais il ne stipule pas expressément que nous devons vous confier ces véhicules ». Machuron a dû « bricoler » les antivols de ses premiers véhicules et les faire démarrer « artisanalement » avec l'aide des militaires auprès desquels il a reçu son principal appui. Il a, au total, attendu quinze jours pour récupérer l'ensemble des véhicules : « c'est cela l'urgence et la coopération avec les ONG, vues du Quai d'Orsay ».

De son côté, Michel Bonnot a également fait l'objet d'un audit lorsqu'il a commandé 20 camions pour transporter l'aide humanitaire française, alors que ses collègues allemands ou britanniques les commandaient par centaines.

Au total, le poids de cette administration que des observateurs intérieurs comme extérieurs nous ont dépeinte comme « conservatrice et tatillonne » et qui a multiplié les contrôles financiers a dévoré une grande partie de l'énergie et du temps de Michel Bonnot et Jean-Louis Machuron. La stratégie « d'encerclement et de découragement » qui nous a été décrite, a trouvé son aboutissement dans la prochaine réforme qui verra la suppression de la cellule d'urgence du ministère des Affaires étrangères, le ministère conservant néanmoins la responsabilité de l'aide humanitaire française.

3. Les conséquences de ces insuffisances sur les actions civilo-militaires

Pourquoi s'attarder aussi longuement sur les insuffisances de notre ministère des Affaires étrangères dans un rapport consacré aux actions civilo-militaires ? Pas par volonté d'être désagréable avec un ministère qui peine à évoluer, mais parce que les actions civilo-militaires subissent le contrecoup de cette lourdeur administrative.

Devant l'absence de structures de coordination et d'aide adéquates, c'est bien souvent l'armée qui doit se substituer et entrer dans des métiers pour lesquels elle n'est pas préparée et qui ne devraient pas être de son ressort. Au lieu de bénéficier d'un appui technique de la part d'une agence spécialisée, ce sont des militaires du bureau des ACM à Pristina qui ont dû se spécialiser dans la recherche de financements, monter des dossiers, suivre leur instruction, le tout étant rendu difficile par la rotation des unités qui ne restent guère que quatre à six mois en poste en opérations extérieures. Est-ce bien le rôle d'une armée en terrain dangereux que de se préoccuper du financement d'actions de coopération ?

La visite de votre rapporteur au Kosovo lui a permis de relever d'autres conséquences concrètes et fâcheuses de cette absence de réactivité de notre diplomatie.

Un exemple : le greffe de Pristina. Le secteur de la justice, au Kosovo, est l'un des rares à avoir connu une forte présence française, non seulement au niveau des magistrats mais aussi au niveau des greffes. Nos représentants sur place remplissent leur mission avec un dévouement digne d'éloge, d'autant plus que pratiquement tout est à faire ou à refaire, à commencer par la formation des personnels locaux. Reconnaissant les besoins financiers de cette administration, une somme substantielle de 1,6 million de francs a été inscrite au budget du greffe de Pristina. Au bout de six mois, nos représentants attendaient toujours le virement de cette somme que j'espère avoir contribué à débloquer en écrivant au ministre des Affaires étrangères.

Deuxième dossier : les télécommunications du KPC. En 2000, le groupe Thomson, devenu Thalès depuis lors, a obtenu sur financement public français, le marché de la première tranche du système des télécommunications devant équiper le KPC, les forces de sécurité civile du Kosovo issues de l'UCK. Le moment venu de passer aux deuxième et troisième tranches, la France n'envisage pas de poursuivre son financement. Les Suédois sont sur les rangs et proposent de financer la totalité des trois tranches (la première devra être refaite pour des raisons de compatibilité technique) qui seraient confiées à Ericson, réduisant à néant le travail de Thomson. Si la France ne réagit pas, les sommes investies lors de la première tranche l'auront été en pure perte.

Qui financera la remise en état du groupe scolaire
que la Défense va rendre à Mitrovica ?

Nos forces à Mitrovica vont bientôt s'installer dans des camps militaires, ce qui va leur permettre de restituer aux autorités locales un groupe scolaire. Toutefois, les autorités civiles locales ne manqueront pas d'être déçues si l'armée française restitue ces bâtiments dans le piètre état dans lequel elle les a trouvés. Des travaux superficiels (peintures) ont bien été réalisés pendant que nos militaires étaient hébergés dans ces établissements, mais restent insuffisants pour que le groupe puisse reprendre une activité scolaire dès sa restitution.

Rendre ces bâtiments sans les réhabiliter contribuerait à donner une mauvaise image, bien injuste, des armées françaises : la mémoire collective est ainsi faite que la population locale constatera le mauvais état des locaux sans se souvenir qu'il était pire deux ans auparavant. Le groupe scolaire étant situé dans la partie albanaise de la ville, les plus extrémistes ne manqueront pas d'y voir un signe du désintérêt des Français pour la cause albanaise, notre pays étant parfois accusé de « serbophilie » par les Albanais. Dans cette ville divisée de Mitrovica où se focalisent les points de crispation entre communautés serbe et albanaise, l'actuel équilibre est très précaire et le moindre faux pas, la moindre maladresse est de nature à provoquer des réactions brutales de la part des extrémistes des deux camps. La rénovation de ce groupe scolaire serait de nature à améliorer l'image de nos armées et donc de notre pays aux yeux de la population locale.

Arguant du fait que les militaires n'ont causé aucune dégradation aux bâtiments, le ministère de la Défense a refusé de prendre en charge seul les travaux dont le montant est évalué, selon les options retenues, entre 4,9 et 7,28 millions de francs, la MINUK finançant l'acquisition du mobilier. Faute de coordination interministérielle et de structure capable de prendre une décision politique, le dossier est resté bloqué au point que certains ont envisagé que ces établissements soient rénovés par le truchement d'une agence américaine ce qui, en terme d'image, aurait été désastreux pour notre pays. Aux dernières nouvelles, il semblerait que le gouvernement français, conscient de l'importance du dossier sur lequel nous avons attiré son attention, soit sur le point de trouver une solution.

Les conséquences de la passivité de notre diplomatie ne se font pas sentir uniquement au Kosovo : en Bosnie-Herzégovine, les militaires français en charge des ACM évoquent de nombreuses demandes non satisfaites par le poste diplomatique et auxquelles ils se sentent obligés de donner suite à sa place. Dernièrement, une dynamique directrice d'école qui souhaite faire apprendre le français à ses élèves, alors que l'anglais est omniprésent, a exprimé une demande pour recevoir quelques manuels d'apprentissage : elle attend toujours. Cette même directrice a écrit à toutes les ambassades présentes à Sarajevo pour leur demander si un diplomate pouvait venir présenter dans son école la géographie de son pays : comme aucune réponse n'est parvenue à cette demande, c'est une militaire française de la SFOR qui s'est dévouée.

Certes, il ne faut pas tout attendre de nos ambassades. L'inscription de nos ressortissants vivant à l'étranger, par exemple, reste facultative, ce qui explique que notre poste à Sarajevo ne connaisse que la moitié, environ, de nos concitoyens vivant à Mostar. Les armées, quant à elles, ont établi un relevé exhaustif de nos compatriotes ainsi qu'un relevé de tous les francophones issus d'autres pays et résidant dans la ville (Bosniens, Italiens, Canadiens...).

Circonstance révélatrice qui va au-delà de l'absence de coordination interministérielle et qui s'apparente à une démission du pouvoir politique : le général français qui commande la brigade multinationale sud-est, à Mostar, est le seul sur le théâtre à ne pas bénéficier de l'appui d'un conseiller politique civil ; à lui de mener la politique qu'il jugera bonne à l'égard des minorités ethniques et du retour des réfugiés (« agissez pour le mieux et surtout ne faites pas de bêtise »).

4. Les armées contraintes d'aller jusqu'aux limites de leur rôle

Le manque d'implication et de travail de coordination de la diplomatie française dans la mise en _uvre des actions civilo-militaires pose dans certains cas des problèmes démocratiques de fond. A Djibouti, les forces françaises mènent un nombre impressionnant d'ACM avec de faibles moyens : écoles rénovées, dispensaires, restaurés, châteaux d'eau vétustes remplacés, maison des jeunes repeinte. Lors de mon séjour, j'ai assisté à l'inauguration d'une tranche de travaux de l'école d'Oueah dont deux bâtiments venaient d'être remis à neuf grâce à la Légion. Le ruban fut coupé par le général commandant les forces françaises à Djibouti, en présence de représentants de l'Union européenne et de la Caisse des dépôts et consignations, organismes ayant participé au financement des travaux. De représentants de l'ambassade, point. Qui donc représente notre pays à Djibouti et qui valide les décisions dont certaines ont un caractère éminemment politique ? Le général commandant les forces ou notre ambassadeur ?

Admettons, comme nous l'a fait remarquer le ministre délégué à la Coopération et à la francophonie, Charles Josselin, que Djibouti est peut-être l'exemple extrême d'un petit pays peu peuplé et pauvre où l'État est particulièrement faible, face à des forces françaises numériquement importantes (près de 3 000 hommes) et contribuant à hauteur d'environ un tiers au produit national brut. Au Sénégal ou en Côte d'Ivoire, les circonstances sont tout autres m'a-t-on assuré.

En Bosnie-Herzégovine, j'ai été reçu par les militaires allemands qui m'ont présenté leurs ACM et, notamment, le projet de reconstruction d'une école détruite pendant la guerre, ce qui permettrait de faire revenir des populations exilées depuis lors. Devant le coût des travaux, l'officier allemand a attiré mon attention sur l'intérêt qu'il y aurait à ce que nos deux pays unissent leurs efforts pour reconstruire ensemble cet établissement. Avec les officiers français des ACM présents à Sarajevo, nous avons admis sans difficulté l'intérêt de la reconstruction d'une telle école. Mais nous nous sommes aussi demandé s'il était judicieux de choisir celle-ci, localisée en secteur allemand, plutôt qu'une autre, tout aussi utile, située en zone française ? Est-ce aux officiers présents sur le théâtre de prendre une telle décision ? Cela ne devrait-il pas revenir, comme c'est le cas chez nos alliés, à nos représentants diplomatiques ? Nous n'avons pas eu l'occasion de poser cette question à notre ambassadeur en Bosnie-Herzégovine qui n'a pas eu le temps de nous recevoir au cours de notre (bref) séjour à Sarajevo.

Des militaires livrés à eux-mêmes, sans assistance
politique et avec trop peu de moyens

Le général français commandant la division multinationale sud-est de la SFOR, en Bosnie-Herzégovine, est chargé d'appliquer les décisions de l'ONU. Il met notamment en _uvre la politique de retour dans leurs foyers des personnes déplacées durant la guerre. Pour cela, il sécurise les zones d'accueil et confie à des unités du génie le déblaiement de certaines maisons détruites, de manière à permettre leur reconstruction dans les meilleurs délais. De son côté, le Haut commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) fournit les matériaux permettant aux personnes déplacées de reconstruire leur maison qui, le plus souvent, a été volontairement et complètement détruite afin de décourager tout retour.

Cette action revêt un caractère éminemment politique dans la mesure où le retour des réfugiés modifie l'équilibre ethnique, et donc électoral, des communes dans lesquelles il est mis en _uvre.

En accord avec le général, nous ne pouvons que regretter l'absence de conseiller politique, habituellement un civil du ministère des Affaires étrangères dont le poste est prévu sur l'organigramme officiel mais qui n'a pas été nommé. Le général français est d'ailleurs le seul commandant de division multinationale privé de conseiller politique par son pays.

Mais au-delà, l'action civilo-militaire menée en Bosnie-Herzégovine par les armées dans le cadre de la politique des Nations Unies donne l'impression de n'être appuyée par aucune coordination. Les réfugiés qui retournent dans leurs logements d'origine sont certes protégés et aidés dans la mesure du possible par les armées, mais très peu de choses sont faites par les autres administrations pour aider ces populations à retrouver une vie « normale », notamment sur le plan économique : Il manque généralement l'eau, l'électricité, les moyens de base pour faire redémarrer une exploitation agricole (quelques vaches, des motopompes...). Ces moyens de retrouver une activité ne sont pas fournis à ces populations pour lesquelles le difficile choix d'un retour dans une zone où elles sont minoritaires se double de difficultés matérielles insolubles.

Après avoir mené les phases d'urgence et aidé à la reconstruction, nos militaires devraient-ils se lancer dans un processus de développement ? Ce n'est évidemment pas de leur ressort. L'absence, par exemple, des ONG qui ne peuvent ou ne veulent pas prendre le relais du travail accompli par les armées crée un grand sentiment de frustration.

En l'absence de politique de développement et de moyens, le Haut commissariat des Nations Unies aux réfugiés a décidé de remettre en cause son engagement dans la zone en question (Mostar). Nos forces se retrouvent livrées à elles-mêmes, avec des moyens dérisoires.

C. UNE COORDINATION INTERMINISTÉRIELLE NETTEMENT INSUFFISANTE

Ainsi que le note le Haut Conseil de la Coopération internationale dans son rapport du 23 novembre 2000, « le schéma de l'approche française semble envoyer les moyens des ministères en ordre dispersé sur les théâtres d'opération, les acteurs étatiques semblant ne coordonner leurs actions que difficilement ». Cette action en ordre dispersé, que votre rapporteur a également notée, s'appuie sur un foisonnement de structures qui agissent sans véritable coordination, le rôle de quelques fortes personnalités ayant pu un temps dissimuler les faiblesses du dispositif.

1. Le rôle de quelques fortes personnalités

Devant l'absence de stratégie interministérielle, l'action de la France est en définitive portée par quelques hommes capables de s'engager avec passion (Bernard Kouchner, Roger Fauroux, Eric Chevallier, Alain Leroy pour le Kosovo) et de bousculer les habitudes et lourdeurs administratives. Si les retombées économiques et culturelles de la présence française au Kosovo ont été un peu meilleures qu'en Bosnie-Herzégovine, notre pays le doit principalement à l'action de ces quelques passionnés et de leurs équipes et notamment de la mission conduite par Roger Fauroux, l'ancien ministre n'hésitant pas à téléphoner régulièrement à Matignon pour faire avancer des dossiers bloqués.

Mais un tel mode de fonctionnement, outre qu'il est particulièrement éprouvant pour les intéressés contraints d'improviser et de faire sauter des obstacles administratifs en permanence, ne saurait être érigé en mode de fonctionnement habituel, encore moins en une politique de gestion civile des crises.

Quand un fonctionnaire français en mission est contraint
de confier l'argent de la République à une armée étrangère

En 1999, l'hôpital de Mitrovica s'est vu attribuer sur fonds internationaux un budget de 1,5 million de francs pour son fonctionnement. Responsable de cet l'hôpital, François Crémieux bénéficiait de ces crédits par l'intermédiaire de l'ambassade de France à Skopje : il adressait au poste diplomatique ses factures et l'ambassade payait. Fin novembre 1999, il a été averti que pour des raisons comptables, le budget devait être soldé car les comptes devaient être rendus à Paris avant la fin de l'année. L'ambassade lui a donc remis, à sa grande stupéfaction, une somme d'un million de francs qui n'avait pas encore été dépensée, en coupures de 1 000 deutsche marks. L'inadaptation des règles de notre administration conduit parfois à une désinvolture et une légèreté assez étonnantes dans la gestion financière. Très ennuyé de se retrouver en possession d'une telle somme, il a trouvé l'oreille compréhensive du commissaire-capitaine français des ACM responsable de l'emploi des finances à Mitrovica qui a accepté de conserver dans son coffre, en milieu militaire, la somme en question. Mais un contrôle interne aux armées a rapidement mis fin à cette situation, considérée comme anormale, dans un environnement réglementaire très réduit sur ce point.

François Crémieux n'a alors eu comme seule solution que de confier « son trésor », en fait le budget octroyé par la France au seul hôpital situé en zone serbe du Kosovo, aux militaires marocains avec lesquels il entretenait les meilleures relations ! Pendant les mois qui ont suivi, c'est donc le coffre du contingent marocain qui a hébergé le budget de l'hôpital de Mitrovica, confié à un Français, mais dont nos administrations s'étaient débarrassées au plus vite. Une fois de plus, le problème a été résolu de manière tout à fait « gauloise », c'est-à-dire par le jeu de relations et grâce au fameux « système D », mais l'image de notre bureaucratie n'en est pas sortie grandie.

Les exemples d'incohérences administratives survenues au Kosovo foisonnent et pourraient à elles seules remplir le présent rapport. L'aventure arrivée à François Crémieux, fonctionnaire du ministère de la Santé détaché au Kosovo pour y occuper les fonctions de directeur de l'hôpital de Mitrovica méritait d'être relatée à titre d'exemple.

2. Une action internationale en ordre dispersé

L'absence de coordination interministérielle a conduit chaque ministère à monter sa propre structure de coopération internationale.

Il en résulte que l'action de terrain de la France n'est pas guidée par une ligne politique. Ce sont les différents acteurs qui décident des actions à mener en fonction de leurs pôles d'intérêt, de leurs relations, des opportunités... Mais cette somme de petites actions ne constitue pas une politique coordonnée et cohérente.

Lors de notre déplacement à Djibouti, nous avons constaté que le bureau des actions civilo-militaires s'appuie sur les conseils d'un dynamique coopérant détaché du ministère de l'Agriculture. Les microprojets que ce coopérant présente aux ACM induisent un vrai développement agricole : microbarrage destiné à l'irrigation par la rétention d'eau de pluie, digues pour lutter contre l'ensablement... Cette coordination dans la coopération est à encourager. Malheureusement, nous ne pouvons que regretter qu'elle ne soit pas une règle générale mais le fruit de l'initiative des principaux intéressés en fonction des circonstances humaines et locales. A Djibouti, aucun contact organique ou officiel ne coordonne sur ce plan l'action du ministère de la Défense et celle de l'administration chargée de la Coopération. Les actions les plus efficaces résultent donc d'initiatives personnelles et de liens noués empiriquement, sur le terrain, sans réelle coordination.

Concrètement, les microprojets réalisés par les militaires dans le cadre de leurs actions civilo-militaires ne sont ni soumis ni rapportés autrement que de manière informelle à notre diplomatie au demeurant bien prudente.

La restauration de l'école d'Arhiba à Djibouti : un exemple caractéristique
de l'absence de synergie entre administrations

L'armée de l'Air a restauré dans le bidonville d'Arhiba, à Djibouti une école qui abrite des enfants parmi les plus défavorisés de la ville. Cette action est la seule que nous menons au profit des Afars depuis que le gouvernement local a interdit à nos forces de se rendre dans le nord du pays. Elle a été conduite avec peu de moyens mais avec une volonté qu'il convient de saluer. Devant la quasi-inexistence des moyens de fonctionnement, les cours sont assurés bénévolement par les épouses de militaires français en place à Djibouti. Et comme il n'y a que trois petites salles de classe dans cette modeste école, les activités commencent le matin dès 8 heures pour se terminer à 22 heures afin d'en faire profiter un maximum d'enfants. L'admirable dévouement de ces femmes qui doivent se rendre à pied dans un bidonville qui n'est évidemment pas éclairé la nuit ne sera jamais assez souligné.

Il est dommage que notre diplomatie, au lieu de célébrer et de faire connaître le travail généreux de nos militaires et de leurs épouses, adopte une attitude minimaliste.

Le discours sur la coexistence multiethnique au sein de certaines entités (Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine) qui est tenu en ex-Yougoslavie ne serait-il valable que dans les Balkans ?

A l'heure où de nombreux pays européens tendent à coordonner leurs dispositifs nationaux de prévention et de gestion des crises et de coopération, la France manque d'un instrument pour assurer cette coordination.

3. L'absence de continuité dans l'action de la France

Au-delà de l'absence de réelle coordination entre les actions menées en parallèle par les différents intervenants français, le problème de leur continuité se pose également de manière aiguë.

Ainsi, les témoignages recueillis sur le terrain semblent malheureusement concorder : il n'y a pas de réel « tuilage » entre les efforts prodigués par les uns et les autres et notamment entre les phases d'urgence, de reconstruction et de développement. Si les expertises réalisées sur le terrain par les premiers militaires français, ceux du Commandement des opérations spéciales (COS) sont unanimement décrites comme excellentes, il semblerait que très peu aient été par la suite utilisées par « l'influence économique » française. De la même manière, si nos troupes ont réussi à tenir, au prix de plusieurs morts, l'aéroport de Sarajevo, aucune entreprise française n'a été capable de lancer des projets économiques, ni même d'ouvrir la moindre liaison aérienne, alors même que le COS avait réalisé une remarquable expertise à ce sujet dès mars 1993. Lorsque nos militaires en Bosnie-Herzégovine ressentent le besoin de s'appuyer sur des ONG pour aider au retour des réfugiés dans les zones qu'ils ont sécurisées, ils ne sont guère entendus...

Le Haut Comité de la Coopération internationale aboutit aux mêmes conclusions que votre rapporteur : « Le dispositif français semble ainsi, malgré des constats récurrents, difficilement capable de surmonter l'absence de continuum entre phases d'urgence, de crise, de reconstruction et de développement. Plus qu'à la prégnance de logiques d'influence régionale, ceci est sans doute dû au vieillissement de certains outils, à des répartitions problématiques de compétence entre administrations et au fait que ce dispositif reste durablement structuré par l'opposition entre guerre et paix, plus adapté aux conflits entre pays qu'aux situations de crises d'insécurité contemporaines (...) ».

« Les actions civilo-militaires semblent avoir été imposées « par défaut », faute de structure gouvernementale ad hoc. Elles ont accompagné une action de solidarité civile d'État de grande envergure s'appuyant sur les moyens des armées. Mais les mécanismes de relais entre les armées et les acteurs civils, étatiques ou non, et les dispositifs d'après crise n'ont pas été réellement envisagés. Si l'aspect militaire des ACM semble achevé, son volet civil nécessite un approfondissement (...) ».

L'expérience de l'association privée « Aude », créée au Kosovo par d'anciens militaires après le départ de la cellule d'urgence du ministère des Affaires étrangères, fonctionnant sur fonds privés et sur fonds étrangers et de la Mission interministérielle pour l'Europe du Sud-est (MIESE) visant à coordonner l'action des entreprises françaises dans la reconstruction a montré le besoin de structure d'interface dans ce type de situation pour développer la synergie des différents acteurs français. C'est ce rôle qu'a tenté de jouer la mission présidée par Roger Fauroux, avec un certain succès, mais limité par la faiblesse de ses moyens et les pesanteurs rencontrées.

Un exemple de phasage réussi : le pont sur l'Ibar, à Mitrovica

L'absence de continuité dans l'action de la France n'est heureusement pas la règle générale et la rénovation du principal pont qui enjambe l'Ibar entre Mitrovica sud et Mitrovica nord nous fournit, au contraire, un exemple de « tuilage » assez réussi. Ce pont revêt une importance toute particulière puisqu'il est le principal lien entre les deux communautés, albanaise et serbe, de Mitrovica et fut l'objet de violentes manifestations à plusieurs reprises.

Situé dans le secteur français, surveillé et contrôlé en permanence par des forces de l'armée de Terre, ce pont vient de subir une restauration complète dans le cadre d'une étroite collaboration menée entre l'armée et l'Agence française de développement (AFD). Par ailleurs, un affichage satisfaisant a mis en valeur l'action de la France dans le cadre de ces travaux.

4. Un foisonnement de structures ministérielles de coopération

Conscient de la faible coordination interministérielle en matière de coopération internationale malgré l'existence d'un « Comité interministériel pour les questions de coopération européenne », j'ai essayé de démonter les mécanismes de coopération de chaque ministère. Je me suis alors rendu compte que la plupart des départements ministériels, notamment ceux en charge des fonctions dites régaliennes, avaient créé leurs propres structures internationales. En voici un échantillon non exhaustif.

Le ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie, par exemple, a créé en 1981 l'Association pour le développement des échanges en technologie économique et financière (ADETEF) qui est présidée par un inspecteur général des finances. Le conseil d'administration est composé des directeurs du ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie et du directeur général de la coopération internationale et du développement du ministère des Affaires étrangères. Cette association a pour objet de développer la coopération technique internationale entre les administrations économiques françaises et les institutions homologues à l'étranger dans les limites des compétences du ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie. L'ADETEF travaille en bilatéral mais peut également être présente dans les grands programmes internationaux (Union européenne, FMI, Banque mondiale) pour lesquels elle peut concourir comme opérateur. Elle intervient dans tous les pays « en voie de modernisation », essentiellement en Europe de l'Est et dans les pays méditerranéens. Ses ressources proviennent exclusivement de l'État.

Le ministère dispose également du Centre européen de formation des statisticiens économistes des pays en voie de développement (CESD) qui met en _uvre certaines des actions de coopération de l'INSEE, principalement dans le cadre de programmes européens (Tacis, Phare et Medstat). Cette association apporte une aide pédagogique aux écoles d'Abidjan, Dakar et Yaoundé. Son budget est alimenté par des fonds d'origine européenne et par une contribution du ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie.

Créée en 1991, l'association Eurodouane a pour objet de répondre de façon organisée et concertée aux demandes de coopération des douanes des pays d'Europe centrale et orientale, notamment dans le cadre des programmes Phare et Tacis. Les ressources financières d'Eurodouane proviennent très largement de ces programmes européens auxquels s'ajoutent des contributions du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. Sur le plan juridique, Eurodouane comprend deux éléments distincts : une organisation internationale informelle et une association de droit français appelée AGE ou « Association pour la gestion financière du groupement Eurodouane ».

En 1998 a été créée par le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie une instance de coordination « interdirection » de la politique de coopération technique du ministère : le Comité de direction de la coopération technique internationale ou CODICTI. Présidé par le ministre ou par un secrétaire d'État auprès du ministre, ce comité délibère sur les grandes orientations à retenir en matière de coopération technique.

Le ministère de l'Education nationale, de son côté, dispose d'une « Délégation aux relations internationales et à la coopération » chargée « d'assurer et de coordonner, dans le champ des compétences du ministère, le développement des échanges et de la coopération avec les systèmes scolaires, universitaires et de recherche étrangers, sur les plans bilatéral, multilatéral, communautaire et francophone ». L'action internationale de ce ministère s'appuie également sur le Centre international d'études pédagogiques, sur l'agence EduFrance et sur l'agence Socrates-Leonardo da Vinci.

Le Centre international d'études pédagogiques est un établissement public national à caractère administratif qui a pour missions de concevoir, d'organiser et de dispenser des formations dans le domaine éducatif. Il contribue à l'animation internationale des établissements scolaires à vocation internationale, son budget s'élevant en 1999 à 82,6 millions de francs dont 42,6 versés par le ministère. Il compte 145 agents.

L'agence EduFrance est un groupement d'intérêt public qui a pour mission de promouvoir l'enseignement supérieur français, d'améliorer l'accueil des étudiants étrangers et de répondre aux appels d'offre internationaux en matière d'ingénierie pédagogique. Animée par 33 agents, cette structure est dotée d'un budget de 44,5 millions de francs dont 7,2 millions de francs de subventions du ministère.

Enfin, l'agence Socrates-Leonardo da Vinci est un groupement d'intérêt public chargé de la mise en _uvre au niveau national des programmes de l'Union européenne dans le domaine de l'éducation et de la formation professionnelle. Son budget de fonctionnement s'élève à 24,5 millions de francs et est alimenté par le ministère de l'Education nationale et la Commission européenne.

Depuis 1991, le ministère de la Justice dispose d'un Service des affaires européennes et internationales chargé de coordonner l'ensemble des questions internationales relatives à la justice et au droit, au sein duquel a été créé un Bureau de la coopération dont la mission est de mettre en place, en relation avec le ministère des Affaires étrangères, les actions de coopération et d'assistance technique à l'égard des autorités judiciaires qui sollicitent notre pays. C'est dans ce cadre que le ministère de la Justice a participé à des missions d'évaluation du système judiciaire au Kosovo et a détaché des personnels judiciaires français auprès de la MINUK et du Conseil de l'Europe.

Par ailleurs, la Chancellerie a été à l'origine, en 1993, de la création d'ARPEJE (Association pour le renouveau et la promotion des échanges juridiques internationaux) qui regroupe en son conseil d'administration, présidé depuis l'origine par Robert Badinter, les professions juridiques et judiciaires, les juridictions, des représentants des universités ainsi que des ministères de la Justice et des Affaires étrangères. Cette association à but non lucratif est soutenue financièrement par le ministère de la Justice et par celui des Affaires étrangères.

Enfin, dans le but de se doter d'une structure opérationnelle destinée à renforcer la place de l'expertise juridique française au sein des programmes multilatéraux de coopération, la Chancellerie a décidé de compléter ce dispositif en créant en octobre 1998 une agence de coopération juridique internationale (ACOJURIS) plus particulièrement chargée de préparer la réponse institutionnelle française aux appels d'offres internationaux centrés sur la justice et d'en assurer la gestion administrative et financière.

Le ministère de l'Emploi et de la solidarité dispose de son côté d'une Délégation aux affaires européennes et internationales (DAEI) qui est chargée de définir les orientations, de coordonner et de gérer l'ensemble des affaires internationales, sous l'autorité de la ministre et en fonction des instructions des différents ministres délégués et secrétaires d'État qui relèvent du ministère.

La DAEI est en relation constante avec les correspondants internationaux des différentes directions et agences qui dépendent du ministère de l'Emploi et de la solidarité ainsi qu'avec le réseau des conseillers aux affaires sociales en poste à l'étranger. Son budget s'élève à 5 millions de francs.

Pour les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, le ministère s'appuie également sur le « Groupement d'intérêt public (GIP) international » présidé par un inspecteur général des affaires sociales et contrôlé par le ministère. Le budget de cette structure s'est élevé en 1999 à 20,4 millions de francs.

Au-delà, l'action internationale du ministère de l'Emploi et de la solidarité est également relayée par ses différentes directions (DGS, DAGPB, DSS...), par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) ainsi que par un certain nombre d'autres structures : ANPE, AFSSA, AFPA... Compte tenu de tous ces éléments, le budget des activités internationales du ministère de l'Emploi et de la solidarité est évalué à 96 millions de francs.

Au ministère de l'Intérieur, ce sont les actions de coopération dans le domaine de la police qui revêtent le plus d'importance. C'est la raison pour laquelle un service particulier a été créé au sein de la Police nationale : le Service de coopération technique international de police (SCTIP).

Mais pour assurer à la gestion financière et matérielle de ces actions la souplesse et le professionnalisme nécessaires, un « opérateur spécialisé » a été créé au début de l'année 2001 sous la forme d'une société anonyme dont le capital appartient à 49 % à l'État et dont la direction est assurée par un haut fonctionnaire du ministère. Cette structure a pour nom « Civipol Conseil ».

Au total, le ministère de l'Intérieur a reçu, en 1999, 57,4 millions de francs du ministère des Affaires étrangères dans le cadre du financement de la coopération en matière de police et de sécurité civile, tandis que les directions administratives percevaient d'autres aides, soit en provenance de ce même ministère, soit en provenance d'organismes privés eux-mêmes subventionnés.

Le ministère de la Jeunesse et des sports, dispose pour son volet sportif, d'un Bureau des relations internationales et des grands événements qui compte onze agents et dispose d'un budget de 7,5 millions de francs pour 2001.

Pour son action de coopération internationale dans le domaine de la jeunesse, ce ministère exerce sa tutelle sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) et sur l'Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ). Le premier dispose d'un budget de 150 millions de francs dont 135 d'origine gouvernementale, le second d'un budget global de 36,1 millions de francs dont 28,1 millions d'origine gouvernementale.

Enfin, l'action multilatérale du ministère s'appuie notamment sur la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports des pays ayant le français en partage (CONFEJES), organisation intergouvernementale dont le secrétariat général, basé à Dakar, met en _uvre des programmes d'action et de formation destinés au développement du sport et à la formation.

D. L'ACTION PLUS ORDONNÉE DE NOS PARTENAIRES ÉTRANGERS

Dès lors qu'elles sont déployées de manière durable sur un théâtre d'opérations, toutes les forces militaires sont contraintes de se lancer dans des actions civilo-militaires pour se faire accepter par les populations locales. Si les Britanniques ont une expérience de ces actions, c'est beaucoup moins le cas des Allemands, des Italiens et des pays aux armées plus modestes qui affichent pourtant de bons résultats.

1. Une mécanique anglaise bien huilée

Depuis 1997, le Royaume-Uni dispose d'un nouvel instrument pour mener sa politique de développement : le DFID (Department for international development). Notons que la Grande-Bretagne a créé cet outil de coopération au moment même où la France décidait de fondre son ministère de la Coopération dans celui des Affaires étrangères.

Le DFID est un ministère de plein droit fonctionnant comme un véritable système intégrant l'ensemble des structures travaillant dans le domaine du développement (ONG, experts, universitaires, militaires...). Le DFID est articulé autour de deux programmes d'action spécifiques : d'une part le CHAD (Conflicts and humanitarian affairs department) qui constitue une cellule d'urgence pour répondre aux problèmes humanitaires, aux conflits armés et aux catastrophes naturelles ; d'autre part le KHF (Know how fund) pour l'assistance technique aux pays d'Europe centrale et de l'Est, d'Asie centrale et, d'une manière générale, en phase de transition vers une démocratie pluraliste et une économie de marché.

Les caractéristiques du dispositif britannique qui tend à devenir le modèle européen de référence peuvent être résumées ainsi : un outil politique puissant, défini par une doctrine claire, souple et flexible sur le plan administratif, doté de moyens budgétaires (2,3 millions de livres) et humains significatifs permettant d'intégrer toutes les composantes, publiques ou non, concernées par un contexte de crise. Fort de l'appui conceptuel des centres de réflexion universitaires, il pèse de plus en plus sur les définitions et orientations stratégiques des politiques d'aide d'urgence et de développement, en particulier sur le théâtre des Balkans.

Au sein du DFID, par exemple, le service humanitaire britannique dispose de moyens matériels mobilisables à tout moment, de personnels importants ainsi que d'une vraie capacité de projection sur le terrain dans un cadre administratif et budgétaire adapté (procédures d'engagement financier d'urgence, modalités de subvention aux ONG...). Quand la France aligne tous les quatre mois un officier de réserve plein de bonne volonté, la Grande-Bretagne détache d'une entreprise civile des ingénieurs ou des techniciens très qualifiés pourvus d'un contrat de retour dans l'entreprise de leur employeur à l'issue de leurs deux ou trois ans de service à l'étranger. Et ce sont les experts du DFID placés auprès des forces armées qui conseillent les militaires sur la faisabilité et l'intérêt des différents projets.

Le fait que de nombreux agents du DFID soient eux-mêmes d'anciens militaires favorise probablement ce phénomène. « On peut considérer que le ministère de la Défense est un outil pour le DFID mais la réciproque est aussi vraie. Au total, il existe une réelle convergence » m'a-t-on assuré.

2. Une action stratégique en Allemagne et en Italie

Pour des raisons différentes mais relevant de la même logique intérieure, les Allemands et les Italiens ont développé une action stratégique dans les Balkans autour de leurs actions civilo-militaires : pour les Allemands, il s'agit d'encourager le retour dans leurs foyers des 350 000 réfugiés que ce pays a accueillis à la suite des différents conflits yougoslaves.

Pour ces raisons, l'ambassade d'Allemagne attache une grande importance à la réussite des ACM et est entièrement mobilisée sur ce sujet. Elle en propose un grand nombre et favorise la coopération avec les collectivités locales qui constituent un bailleur de fonds non négligeable, après le ministère des Affaires étrangères et l'Union européenne.

L'existence d'une agence opérationnelle efficace, la GTZ qui est issue du ministère de la Solidarité et de la reconstruction, facilite bien des choses et permet au bureau ACM de l'armée allemande de trouver assez facilement les financements nécessaires. En 2000, la compagnie ACM de Sarajevo a réalisé 387 projets pour un montant de 1 064 000 deutsche marks, soit environ 3,5 millions de francs. L'organisation allemande est inverse de la nôtre puisque aucun crédit n'est fourni par le ministère allemand de la Défense, la plus grande part des crédits provenant du ministère des Affaires étrangères (900 000 deutsche marks).

Pour l'Italie, les actions civilo-militaires ont pour objet de fixer les populations, notamment albanaises et d'éviter un mouvement migratoire trop massif. En rétablissant le plus rapidement possible les conditions d'un retour à la vie normale, l'objectif est en outre de mettre un terme le plus rapidement possible aux différents trafics qui transitent par les Balkans et pénètrent dans l'Union européenne via la péninsule italienne.

Le financement de ces actions est principalement d'origine européenne, le ministère de la Défense, les collectivités locales et le mécénat apportant le solde.

Au total, 423 000 euros ont permis de financer une dizaine de projets en 2000. En Bosnie-Herzégovine, l'armée italienne s'attache principalement à reconstruire des écoles, des hôpitaux, des routes et des voies ferrées. Notons toutefois l'acception extensive que les Italiens donnent à leurs actions civilo-militaires : la reconstruction de la caserne dans laquelle sont logées leurs forces est considérée comme une ACM alors même qu'elle ne bénéficie pas à la population.

3. Les nouveaux venus s'organisent

Au Kosovo, votre rapporteur a également pu apprécier l'impressionnante efficacité des actions civilo-militaires menées par les militaires belges et luxembourgeois. Responsables d'un secteur situé en zone serbe, au nord de Mitrovica, les Belges disposent d'un crédit de 75 000 deutsche marks par mois (environ 251 000 francs) financés pour deux tiers par la Belgique et pour un tiers par le budget luxembourgeois. Cela représente plus de 3 millions de francs par an.

Les projets sont présentés le 10 de chaque mois à l'état-major, la réponse étant apportée dans les dix jours. Notons que dans un esprit démocratique, ces crédits sont inscrits en loi de finances initiale et sont soumis à la discussion du Parlement chaque année. L'ONG Caritas appuie également les actions de ce contingent, numériquement petit mais qui réalise un appréciable travail civilo-militaire. Lors du passage de votre rapporteur, un lycée agricole, le seul situé en zone serbe, était en cours de restauration.

Des pays comme l'Espagne ou le Portugal se sont lancés à leur tour dans l'action civilo-militaire. En Bosnie-Herzégovine, l'ambassade d'Espagne est en train de créer un bureau qui sera tout particulièrement chargé de centraliser et de coordonner les actions civilo-militaires espagnoles, ces dernières étant principalement financées par le ministère des Affaires étrangères et de manière subsidiaire par celui de la Défense.

D'autres pays comme la Suède (avec SIDA) ou le Danemark (avec DANIDA) disposent de dispositifs interministériels de coopération, de prévention et de gestion des crises, leur permettant d'effectuer un travail de préparation et d'action en profondeur. Citons également pour mémoire l'action de l'armée des Émirats arabes unis qui construit un nouvel hôpital dans la partie albanaise de Mitrovica, l'hôpital historique étant situé en zone serbe. Par ailleurs, cette armée qui ne semble pas dépourvue de moyens construit ou reconstruit également nombre de mosquées.

Beaucoup s'inspirent à divers degrés de l'approche américaine qui ne voit dans le volet militaire qu'un des éléments d'une stratégie globale incluant des actions diplomatiques, économiques, politiques et culturelles qui, au bout du compte, permettent de privilégier une certaine influence nationale.

Les officiers qui mènent les actions civilo-militaires de ces pays ont tous un point commun : l'idée même d'un « retour sur l'investissement » que constitue l'engagement de leur force n'est jamais exprimée explicitement, car pas politiquement correcte. Mais en privé, rares sont ceux qui ne reconnaissent pas que les ACM créent, même de façon indirecte, un environnement favorable pour les entreprises de leur pays.

E. L'ACTION ENCORE EMBRYONNAIRE DE L'UNION EUROPÉENNE

La prise en compte de la gestion civile des crises est l'un des objectifs de l'Union européenne et semblait particulièrement soutenue, au moins sur le plan du discours, par l'actuelle présidence suédoise. En effet, les pays scandinaves affichent habituellement un intérêt tout particulier à ce mode d'action. Il semblerait malheureusement que les travaux sur cette question n'aient guère avancé au cours du premier semestre 2001.

Cette gestion nécessite une articulation entre les actions de coopération classiques relevant de la Commission et l'emploi de la force armée qui relève, elle, du Conseil. L'Union n'en est encore qu'aux préliminaires.

1. Une nécessaire articulation entre la Commission et le Conseil

Le concept développé par l'Union européenne se veut plus large que les ACM entendues au sens habituel. L'objectif de la politique européenne de sécurité et de défense (PESC) est de fournir à l'Union européenne l'ensemble des instruments nécessaires à la gestion d'une crise. Certains de ces instruments comme les moyens humanitaires et civils relèvent du premier pilier, communautaire ; les moyens militaires relèvent quant à eux du second pilier, intergouvernemental, de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC).

L'enjeu est de faire en sorte que les instruments relevant de ces deux piliers soient coordonnés pour donner à l'Union européenne la possibilité de gérer tous les aspects d'une situation de crise sous le mandat de l'ONU ou de l'OSCE, en évitant toute concurrence ou duplication. L'idée est de fournir à l'Union les moyens matériels et humains de gérer les crises en cohérence avec la politique définie dans le cadre de la PESC.

Il restera néanmoins à concilier la nécessité de trouver un centre de décision qui convienne à la fois au premier et au deuxième pilier. Car, un peu à l'image de l'action extérieure de notre pays, l'Union européenne disposera probablement à terme d'instruments nombreux et opérationnels mais les modalités de la coordination décisionnelle entre le cadre communautaire, d'une part, et les procédures intergouvernementales, d'autre part, restent à définir.

2. Un processus qui n'en est encore qu'à ses débuts

Manifestement, l'Union européenne n'en est encore qu'à un stade très précoce de son action extérieure. Ainsi que cela nous a été confié à Bruxelles, même si les principaux problèmes ont été identifiés et même si l'objectif est de rendre l'Europe de la défense opérationnelle dès la fin de l'année 2001, les procédures doivent encore être testées et validées, des exercices étant prévus pour cela d'ici à 2003.

Toutefois, la volonté manifestée depuis quelques temps en faveur d'une intégration plus poussée de l'effort de défense européen, et notamment de la création d'une force de réaction rapide, ainsi que les avancées déjà réalisées dans ce domaine peuvent raisonnablement laisser espérer que l'objectif 2003 sera atteint.

Par ailleurs, la proposition de Règlement du Conseil « COM (2000) 119 final » portant création du dispositif de réaction rapide pour la gestion civile des crises, déposée le 31 mai 2000 devant le parlement français sous le numéro E 1465, a été adoptée par les instances communautaires le 26 février 2001, malgré l'opposition du Sénat qui avait demandé au Gouvernement, le 20 décembre précédent, « de s'opposer à ce texte dont le but est louable mais les modalités d'action proposées très contestables ».

Bien entendu, l'action militaire de l'Union européenne sur le terrain continuera à se concrétiser par la juxtaposition d'actions nationales portées par les différents contingents nationaux. Même si elle n'apparaît pas complètement utopique, l'idée d'une représentation de terrain par la seule Union européenne semble encore bien lointaine.

V. - L'ABSENCE D'UNE STRATÉGIE GLOBALE D'INFLUENCE

Comme les autres pays membres d'organisations internationales, la France détache un certain nombre de ses fonctionnaires auprès de l'ONU et des organismes qui en dépendent, des tribunaux internationaux, de l'OMS, de l'OTAN, du FMI, de la Banque mondiale, de l'OSCE, etc.

La mise à disposition de ces personnels nationaux auprès de ces organismes ne relève pas à proprement parler d'actions civilo-militaires puisqu'une partie d'entre eux seulement sont des militaires, la plupart relevant d'autres ministères. Toutefois, comme c'est le cas des actions civilo-militaires, les Français présents dans les organismes internationaux contribuent à l'influence et au rayonnement de notre pays, à l'action de la diplomatie française et façonnent eux aussi l'image donnée par notre pays à l'étranger. Par ailleurs, l'absence de cadre d'emploi satisfaisant pour les agents civils et les difficultés rencontrées par les fonctionnaires pour obtenir un détachement leur permettant de partir vers des organismes internationaux contraint trop souvent nos armées à mettre à disposition de ces organismes des officiers français, les « insérés », pour pallier le manque de civils. Tout se passe comme si notre administration rechignait à placer des fonctionnaires civils dans les organismes de l'ONU, laissant ce rôle aux armées qui disposent de cadres d'active de bon niveau ainsi que d'un fichier confortable d'experts placés en situation de réservistes et d'un cadre d'emploi, la réserve militaire, adapté et protecteur. A ceci près que le rôle des armées n'est pas de pallier les insuffisances de l'administration civile.

Au-delà, l'étude de l'insertion des Français, civils ou militaires, dans les organismes internationaux est révélatrice du manque de coordination qui affecte nos actions extérieures, ainsi que de l'absence d'une véritable stratégie. L'exemple de la MINUK, au Kosovo nous démontre à quel point cette mauvaise organisation peut s'avérer pénalisante.

A. LA « GESTION » DES FRANÇAIS DANS LES ORGANISMES INTERNATIONAUX

L'absence de coordination interministérielle empêche toute stratégie de choix des postes à briguer auprès des organismes internationaux. Cette absence de gestion est encore aggravée par la manière discutable dont sont sélectionnés les personnels appelés à occuper ces postes et par les pénalisations qu'ils encourent s'ils reviennent un jour dans leur administration d'origine.

1. L'absence d'une stratégie nationale

L'implantation des personnels français au sein d'organismes internationaux donne pour l'instant davantage l'impression d'obéir à une logique de saupoudrage plus qu'à celle d'une stratégie élaborée.

Le ministre de la Défense a récemment évoqué la mise en place d'une « stratégie de l'influence », visant à définir et repérer les postes internationaux que notre pays veut occuper et à se donner les moyens de les occuper effectivement. Cela sous-entend une stratégie pour le moins interministérielle (dans tel théâtre on essaiera de pourvoir plutôt les postes relatifs au maintien de la paix, dans tel autre ceux concernant la justice et la culture, par exemple). Cela sous-entend surtout une réflexion très en amont qui permette de sélectionner les candidats idoines, motivés, polyglottes et de qualité.

Cette stratégie doit ensuite s'inscrire dans la durée. Au Kosovo, par exemple, plusieurs Français de toutes origines (magistrats, appelés du contingent...) ont été intégrés dans l'administration de la MINUK pour mettre en place un système judiciaire démocratique particulièrement nécessaire. La personnalité la plus forte et la plus représentative de ce groupe de Français était une magistrate détachée, Sylvie Pantz nommée directrice des affaires judiciaires et dont le travail a été unanimement salué, notamment par le rapport de Mes Mignard, Gibert et Tordjman10. Une fois son contrat achevé, l'influence de la France dans le domaine judiciaire kosovar a été réduite et les autres Français travaillant dans ce secteur se sont retrouvés sous l'emprise de magistrats anglo-saxons. Sollicité par le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Justice n'a pas nommé de successeur à Sylvie Pantz. En l'absence d'une volonté politique forte capable d'exprimer des choix clairs et de les faire prévaloir à l'échelon des cabinets ministériels, notre pays a démontré une nouvelle fois son manque de stratégie sur le long terme.

Le système judiciaire du Kosovo est désormais en train de se tourner vers le modèle anglo-saxon, malgré le travail de nos premiers expatriés, que nous n'avons pas su relayer.

Autre exemple concernant cette fois un « inséré » militaire : un officier français spécialiste en aéronautique est inséré auprès du directeur albanais de l'aéroport de Pristina. Notre compatriote réalise un travail apprécié mais se retrouve seul Français dans cet environnement. Malgré ses efforts, aucune société, qu'il s'agisse de compagnie aérienne ou de société aéronautique, n'a manifesté d'intérêt pour la desserte de Pristina ou pour les débouchés économiques que pourrait ouvrir la plate-forme aéroportuaire. Est-il utile, dans ces conditions, de conserver un technicien dans ce secteur, sachant par ailleurs que ce militaire ne sera peut-être pas remplacé ? Ne vaudrait-il pas mieux regrouper nos forces dans des secteurs prédéfinis et jugés stratégiques, là où nous avons quelques chances d'exercer une influence dans la durée ? Les Italiens, eux, ont su regrouper leurs efforts autour du secteur ferroviaire qui est devenu leur pôle d'excellence.

Le nombre des officiers directement associés aux ACM et insérés dans le dispositif de la MINUK a fortement diminué en quelques mois. Alors qu'on en comptait une trentaine au milieu de l'année 2000, il n'en restait plus que six au printemps 2001 : aéroport, télécommunications, service des essences, justice, infrastructures à Pec et corps de protection du Kosovo.

De la même manière, la présence française est marginale dans les organismes de décision des institutions internationales chargées de la lutte contre les mines antipersonnel (Service d'action contre les mines des Nations Unies, UNOPS et PNUD). Ainsi que le constate la Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel (CNEMA), cette faiblesse constitue une des raisons des difficultés que rencontrent les opérateurs français (ONG et sociétés) dans le domaine du déminage humanitaire, activité à laquelle notre diplomatie attache pourtant une grande importance, à juste titre.

2. Des interrogations sur le choix des personnels expatriés

Les candidats choisis pour servir dans une structure internationale sont trop souvent prévenus au dernier moment, certains n'étant officiellement prévenus par les voies officielles qu'après leur départ. De leur côté, d'autres pays ont pour politique de prévenir leurs personnels le plus tôt possible afin que les candidats puissent s'informer et se préparer à leur mission.

Cette désignation tardive tient sans doute aussi aux réticences que les administrations ont à se séparer de personnels de qualité pour les mettre à disposition d'organismes internationaux. Ces hésitations, voire cette mauvaise volonté, s'expliquent par le fait que le personnel détaché ou mis à disposition est rarement remplacé et en tout cas pas de manière instantanée. Par ailleurs, laisser partir au Kosovo un juge d'instruction constituera un choix délicat et induira des retards dans une justice déjà considérée comme peu rapide.

Cette politique conduit parfois les responsables des ressources humaines à donner priorité aux candidatures présentées par des personnels dont on peut douter qu'ils réunissent toutes les qualités requises pour représenter notre pays à l'extérieur mais pour lesquels on trouve un dernier poste tranquille leur permettant d'attendre sereinement l'heure de la retraite. Parfois, ces postes sont plus simplement le moyen de se débarrasser de fonctionnaires dont aucun chef de service ne veut plus. Je ne suis pas certain qu'une telle attitude constitue le meilleur moyen de servir notre pays.

En Bosnie-Herzégovine, par exemple, M. Wolfgang Petritsch, représentant la communauté internationale, dispose d'une administration d'une vingtaine de personnes qui a la lourde charge de remettre en place les structures économiques du pays et qui, pour cela, coordonne l'action des différents bailleurs de fonds (FMI, Banque mondiale...), met en _uvre la politique économique et impose un système normatif complet dans le domaine fiscal, bancaire, etc.

On aura compris l'importance de cette structure en termes d'informations et d'influence pour les entreprises intéressées par le marché local. Or, il y a parmi ses responsables un Français, chargé de l'économie et des finances et mis à disposition par le ministère des Finances depuis 18 mois. Ce fonctionnaire, que nous avons rencontré, a honnêtement reconnu avoir été inséré dans le dispositif international parce que sa carrière en France « était en panne » et que son ministère cherchait clairement à se débarrasser de lui. Depuis sa prise de fonction à Sarajevo, il n'a jamais reçu la moindre nouvelle de son administration d'origine : ni instruction, ni demande de renseignement sur les opportunités qui pourraient intéresser à la fois les entreprises françaises et l'économie bosnienne. Son contrat s'achevant dans quelques mois, il se demande comment réagira Bercy lorsqu'il va redonner signe de vie... Notons que l'ambassade ne semble pas s'intéresser davantage au travail que notre compatriote effectue, même si ce dernier est régulièrement invité aux cocktails que donne notre ambassadeur. Il n'a jamais rencontré le responsable du pôle économique de l'ambassade de France.

Au risque de se répéter, il faut souligner que ce genre d'attitude ne saurait constituer une politique de coopération et encore moins une stratégie d'influence.

3. Loin d'être valorisant, servir son pays à l'étranger peut être pénalisant

Il faut ajouter à cela le handicap que constitue encore trop souvent pour une carrière le fait de passer quelques années à l'étranger, au service de la France. Chacun s'accorde à reconnaître qu'occuper un emploi de responsabilité au sein d'une administration centrale, à Paris, est beaucoup plus porteur, en termes de promotion et d'avancement, que de s'occuper de faire diminuer la criminalité à Pristina ou de rétablir un État de droit en Bosnie-Herzégovine. Lorsqu'ils rentrent en France, les agents qui ont représenté leur pays dans un organisme international reçoivent généralement les affectations qu'on a bien voulu leur laisser et sont considérés comme ayant pris du bon temps à l'étranger.

Malheureusement, il est rare que l'expérience internationale des personnels de retour en France soit utilisée comme elle le devrait. Bien souvent, la hiérarchie considère que la récréation est terminée et que la page doit être tournée. Trop d'officiers de qualité (pour ne parler que d'eux) se retrouvent en garnison au retour de leur séjour en opérations extérieures. Même si une telle affectation ne peut, bien sûr, pas être considérée comme une sanction et constitue une étape normale dans une carrière, il est dommage que l'expérience acquise lors de l'expatriation ne soit pas mieux mise en valeur. Cette remarque vaut aussi pour les fonctionnaires ayant exercé, le plus souvent avec succès, de lourdes responsabilités en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo et qui retrouvent, à leur retour, leur bureau d'origine comme si rien ne s'était passé.

Le cas de Sylvie Pantz est significatif. Cette magistrate polyglotte, juge d'instruction à Paris, s'est portée volontaire pour représenter et servir son pays dans les institutions internationales : trois années au Tribunal pénal international de La Haye puis une année à faire appliquer la loi et régresser la criminalité au Kosovo. A l'issue de ces quatre années, elle a eu les pires difficultés à retrouver un poste en France et, loin d'être promue ou récompensée pour son travail international, n'est parvenue qu'à retrouver son poste d'origine.

Autre exemple édifiant : François Crémieux, fonctionnaire au sein du ministère de la Santé dirigea l'hôpital de Mitrovica en 1999 lorsque la tension entre Serbes et Albanais atteignait son paroxysme dans cette ville divisée sur le plan ethnique. L'hôpital est situé dans la zone serbe d'une ville coupée en deux. Il manque de tout, à commencer par une partie de son personnel qui a fui.

Bien que s'étant parfaitement acquitté de sa tâche dans des conditions difficiles et avec une aide limitée de la part de ses compatriotes, il a eu la mauvaise surprise, de retour en France, de constater que l'évaluation annuelle par sa hiérarchie refusait l'augmentation de note proposée par son président de conseil d'administration au prétexte que, pour l'année 1999, le travail effectué au Kosovo ne permettait pas de l'évaluer : « M. Crémieux est parti au Kosovo en 1999, il est rentré le 1er avril 2000, il est donc difficile d'apprécier le travail effectué ». Concrètement, dans le cadre d'une notation administrative basée en grande partie sur l'ancienneté, cela signifie qu'il a perdu une année, inconvénient que n'ont pas eu à subir ses collègues et néanmoins concurrents sur le plan de l'avancement.

Ce cas n'est malheureusement pas isolé et il apparaît bien qu'effectuer une partie de sa carrière à l'étranger est devenu pénalisant dans bien d'autres ministères. En conséquence de quoi nous retrouvons parfois à l'étranger certains des agents « en panne de carrière » en France dont les ministères souhaitent la mise à l'écart ou des personnes qui se spécialisent et font de l'expatriation leur fonds de commerce, sachant qu'aucune carrière ne les attend plus dans leur pays.

B. LES FRANÇAIS SERVANT LEUR PAYS À L'ÉTRANGER DONNENT L'IMPRESSION D'ÊTRE LIVRÉS À EUX-MÊMES

Sélectionnés et nommés de manière discutable, peu ou mal gérés depuis leur administration d'origine, nos expatriés ne sont pas mis en réseau et ne se connaissent pas : que ce soit à Mostar ou à Sarajevo, les Français travaillant pour le HCR ne connaissent pas ceux travaillant pour la MINUB ou chez le représentant de la communauté internationale. Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, que nos compatriotes expriment une certaine défiance vis-à-vis de la France dans leurs fonctions internationales.

1. L'absence d'une véritable animation de réseau

Il est sidérant d'apprendre que le premier recensement des Français travaillant au Kosovo pour le compte de la communauté internationale (MINUK, Programme alimentaire mondial, Unicef, OSCE, UE...) n'a pas été réalisé par nos représentants diplomatiques en place, alors qu'il entre pourtant dans les missions de nos postes de recenser les Français vivant à l'étranger, mais par les militaires du bureau ACM du contingent français.

Ce sont les militaires qui ont, les premiers, pris soin de réunir tous nos compatriotes, avant que le relais soit pris, un peu plus tard par Alain Leroy, l'administrateur français nommé par l'ONU pour la région de Pec, puis par le bureau de liaison français à Pristina.

La Bosnie-Herzégovine n'échappe pas à la règle : les responsables des actions civilo-militaires de la brigade multinationale Sud-Est nous ont fait rencontrer à Mostar une Française, Christine Peillon, employée par le Haut commissariat de l'ONU aux réfugiés. Cette jeune femme dynamique n'a pour seul contact français qu'un officier, lui-même inséré au sein du HCR. Elle n'a jamais été contactée par l'ambassade ni, a fortiori, par le ministère des Affaires étrangères. Faute d'information et d'animation du réseau des Français, elle ignore la présence de ses compatriotes fonctionnaires employés dans les autres administrations onusiennes ou internationales, à commencer par le spécialiste des affaires économiques placé auprès du représentant de la communauté internationale.

Parfois oubliés, rarement réunis (sauf initiatives personnelles) les représentants français donnent l'impression d'être livrés à eux-mêmes. Dans de telles conditions, comment espérer la moindre complémentarité, un début de synergie de la part de nos représentants ?

2. Citoyen français dans un organisme international

Ce sujet pose parfois des problèmes de conscience à nos compatriotes : comment concilier leur appartenance nationale et la nécessaire obéissance envers l'employeur pour lequel on est mis à disposition, généralement un organisme international onusien, parfois un pays étranger ?

Trop souvent, nos compatriotes qui se trouvent dans un tel cas ont tendance à se refermer, voire à nier leurs racines. Ce phénomène est d'autant plus accentué que, souvent immergés dans un milieu anglo-saxon, ils se sentent tenus de donner des gages de leur attachement et leur fidélité vis-à-vis de leur employeur international.

Ce phénomène de « substitution de loyalisme » est renforcé par le quasi-oubli dans lequel sont relégués, comme nous venons de le constater, la plupart de nos compatriotes. Pourtant, travailler pour un autre pays ou pour une organisation internationale n'empêche pas de conserver des liens avec son pays et de continuer à avoir des relations avec ses compatriotes dans la mesure où le fonctionnaire n'a pas le sentiment de trahir son nouvel employeur.

« Les rares qui partent pour l'international sont tellement « largués » et pénalisés qu'ils ont tendance à devenir plus internationaux que français. Oubliés par leur pays, ils sont tentés de poursuivre ensuite leur carrière à l'international » nous a indiqué d'expérience un Français ayant servi avec brio son pays dans le cadre d'une organisation internationale.

En tous cas, les Anglo-saxons sont plus pragmatiques et savent cultiver une double fidélité qui leur permet de servir avec rigueur leur employé international tout en restant fidèle à leur pays d'origine et de faire connaître, le cas échéant, d'utiles informations qui, sans être confidentielles, n'auraient pas circulé autrement. Les Américains, les Canadiens et les Britanniques, entre autres, savent, eux, animer les réseaux de leurs expatriés et tirer pleinement profit de leur appartenance d'origine.

3. L'exemple de la sous-représentation française au sein de la MINUK

L'administration intérimaire qui a été mise en place au Kosovo est articulée en trois piliers : le pilier II (administration civile) est confié aux Nations Unies ; le pilier III (construction des institutions) est placé sous la responsabilité de l'OSCE ; le pilier IV (reconstruction économique) dépend de l'Union Européenne. Plus de 120 nations sont présentes au sein de la MINUK.

Le pilier II compte près de 6 000 personnels contractuels et volontaires dont 1 453 internationaux et 57 français.

Pays

Nombre

%

États-Unis

107

8

Grande-Bretagne

88

6

France

57

4

Allemagne

42

3

Italie

33

2,3

Espagne

14

0,9

Comme nous le constatons, la participation américaine est deux fois plus importante que celle de la France, alors que les effectifs militaires des deux pays sont comparables : La France dispose de 4 500 militaires au Kosovo contre 4 900 pour les États-Unis, mais les Américains ont annoncé leur volonté de réduire très prochainement leur présence globale dans les Balkans. Malgré des effectifs militaires inférieurs aux nôtres (3 017), la Grande-Bretagne compte 50 % de personnels civils insérés dans la structure ONU de plus que la France.

Le pilier III, placé sous la responsabilité de l'OSCE, compte environ 1 570 personnels dont 570 internationaux. La France y est représentée par 62 ressortissants.

Pays

Nombre

%

États-Unis

116

20

Grande-Bretagne

71

12,3

France

62

11

Allemagne

39

5

Italie

14

2,5

Espagne

12

2,1

Au total, ces tableaux confirment l'hégémonie de la présence civile américaine, sans commune mesure avec la proportion des effectifs militaires engagés sur le théâtre.

Ce que les tableaux ne montrent pas, c'est que le nombre de postes civils cumulés de la Suède, de la Norvège et du Danemark correspond au volume de la participation française, alors que les effectifs militaires cumulés de ces trois pays (2 886 au total) restent largement inférieurs aux nôtres.

Notons que l'Italie et l'Allemagne dont l'effort militaire est comparable à celui de la France et qui ont chacun reçu la responsabilité d'une zone du Kosovo ne bénéficient que d'une présence civile réduite.

Au total, si la France apparaît comme le troisième bénéficiaire du nombre de postes civils dans l'administration de la MINUK, il convient de souligner que sa part équivaut à la moitié de celle des États-Unis. Par ailleurs, sur les 62 Français présents dans l'OSCE, près de la moitié (27) sont des fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur qui relèvent du département police de l'OSCE et sont directement employés à l'école de police de Vucitrn.

Mais c'est l'analyse du pilier IV, qui concerne la reconstruction économique et qui est du ressort de l'Union européenne, qui se révèle la plus consternante. L'administration de ce pilier compte 127 internationaux dont 13 Français.

Pays

Nombre

%

Grande-Bretagne

18

14

États-Unis

17

13

Espagne

15

12

France

13

10

Italie

12

9,5

Allemagne

9

7

Australie

5

4

Il est curieux de constater que le recrutement de l'essentiel des experts internationaux de cette administration a été confié à un cabinet d'audit américain, Barents, ainsi qu'à l'agence américaine d'aide pour le développement, Usaid, installée à quelques dizaines de mètres de l'US National Intelligence Cell, à Pristina.

Le résultat est saisissant : Les Américains sont présents dans les départements « budget finances » (90 % des postes de responsabilité) et « commerce et industrie » (60 %). Est-il besoin de préciser que les actions et décisions prises par ces personnels contribuent à développer l'influence américaine ? Il est pour le moins paradoxal que le service « budget finances » soit dirigé par un... Australien. Si on considère que le service « commerce et industrie » est dirigé par un Canadien que d'aucuns tentent de faire passer pour un Français en raison de sa double nationalité mais qui ne s'exprime pas dans notre langue, nous constatons qu'il ne reste qu'un seul service du pilier européen qui ait échappé aux anglophones : il s'agit du bureau « équipement », confié à un Allemand.

C'est dans ce pilier confié à l'Union européenne que la participation française est de loin la plus faible. Et pourtant, en 2000, la Commission européenne a été la première contributrice en matière d'aide totale au Kosovo avec 31,2 % des dons devant les États-Unis (19,6 %). Au total, les Européens (Commission et États membres) représentent 63,4 % de l'aide financière apportée au Kosovo.

Bilan quantitatif du personnel composant la police civile (CIVPOL).

La CIVPOL est constituée de policiers à statut civil ou militaire appartenant à plus de 15 nations différentes. Au 1er mars 2001, elle comptait dans ses rangs 4 442 membres. La contribution de la France est de 81 gendarmes.

Pays

Nombre

%

États Unis

591

13,3

Inde

533

12

Jordanie

444

10

Allemagne

355

8

Grande-Bretagne

134

3

Espagne

130

2,9

France

81

1,9

Italie

66

1,5

La faible part de notre pays dans les effectifs de la police (1,9 %) mise en place par la MINUK ne doit pas être imputée cette fois à la volonté d'autres pays d'occuper les postes proposés, mais davantage aux réticences de nos administrations à détacher hors du territoire national des forces de l'ordre à l'heure où une demande en matière de sécurité se fait de plus en plus pressante en France. Il est d'ailleurs révélateur de constater que seule la Gendarmerie a été mise à contribution (encore des militaires) alors que le ministère de l'Intérieur s'est montré beaucoup plus réticent.

Tableau récapitulatif

Pays

Pilier II

Pilier III

Pilier IV

CIVPOL

Total

%

États-Unis

107

116

17

591

831

12,6

Allemagne

42

39

9

355

445

6,75

Grande-Bretagne

88

71

18

134

311

4,71

France

57

62

13

81

213

3,23

Espagne

14

12

15

130

171

2,6

Italie

33

14

12

66

125

1,9

Autres nations

1 112

256

43

3 085

4 496

68,2

Total

1 453

570

127

4 442

6 592

100

Au total, la France est présente au travers des différentes institutions internationales de la MINUK avec un peu plus de 200 ressortissants. Malgré des effectifs militaires comparables déployés sur le théâtre, la France occupe quatre fois moins de postes civils dans l'administration de la MINUK que les États-Unis.

Ce chiffre ne tient pas compte des 6 officiers insérés du bureau des actions civilo-militaires du représentant militaire de la France.

Bilan de la répartition des principaux postes à responsabilité

Seuls les personnels appartenant à l'équipe des conseillers particuliers du cabinet du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies (RSSG), les chefs de pilier et de département ainsi que les administrateurs régionaux ont été pris en compte dans ce bilan.

Equipe des conseillers particuliers du Représentant spécial
du Secrétaire général des Nations Unies

Pays

Nombre

Fonction

Danemark

3
(dont RSSG)

1 assistant militaire
1 conseiller spécial

États-Unis

2

1 adjoint principal
1 porte-parole

France

0

 

Espagne

1

liaison KFOR

Pakistan

1

chef de cabinet

Malte

1

conseiller juridique

Russie

1

conseiller politique

Bien que la France n'occupe actuellement aucun poste dans l'équipe des conseillers du RSSG, notons que notre pays y était très bien représenté lorsque M. Bernard Kouchner occupait ces fonctions. Il n'y a rien de surprenant à ce que le nouveau responsable, de nationalité danoise, ait cherché à s'entourer de quelques compatriotes. Par ailleurs, un poste de consultant au sein du bureau du conseiller juridique est occupé par un de nos compatriotes tandis qu'un diplomate français pourrait rejoindre l'équipe du conseiller politique.

Tableau récapitulatif des chefs des piliers II, III ou IV
et de leurs services administratifs

Pays

Nombre

Département ou pilier

Italie

3

Agriculture (pil.II)
Jeunesse (pil.II)
Environnement (pil.II)

Allemagne

1
3

Chef du pilier II
Education et sciences (pil.II)
Services publics (pil.II)
Equipement (pil.IV)

Angleterre

1
1

Chef du pilier IV
Reconstruction (pil.IV)

France

1

Transports et Infra. (pil.II)

Australie

1

Budget et Finances (pil.IV)

Suède

1

Sécurité civile (pil.II)

Pays-Bas

1

Chef de pilier III

États-Unis

2

Non-résidants (pil.II)
Démocratisation (pil.III)

Argentine

1

Administration Locale (pil.II)

Autriche

1

Postes et télécom. (pil.II)

Chili

1

Culture (pil.II)

Finlande

1

Santé, Sécurité sociale (pil.II)

Hongrie

1

Travail (pil.II)

Inde

1

Sport (pil.II)

Chefs de district onusien en mars 2001

DISTRICT

PAYS

NOM

Pristina

France

M. Guinard

Mitrovica

Royaume-Uni

M. Welch

Pec

Royaume-Uni

M. Mitchels

Prizren

Suède

M. Myhlback

Gnjilane

Italie

M. Verdecchi

Le poids de la présence civile française au sein de l'administration de la MINUK apparaît donc plutôt modeste, en particulier en regard des contributions militaire et financière de notre pays. Modeste mais réelle dans le pilier II, la participation française dans le pilier III est très discrète, voire inexistante. Mais c'est incontestablement dans le pilier IV, pourtant confié à l'Union européenne, que notre influence est la plus faible.

Au total, la France n'est pas suffisamment représentée dans les postes de responsabilité pour exercer une influence au sein d'une MINUK fortement marquée par le poids prépondérant des anglophones.

Dans ce cadre, les officiers « insérés » par le bureau des actions civilo-militaires (actuellement au nombre de six) jouent un rôle qui n'est pas négligeable car, à leur niveau, ils contribuent au développement de l'influence française et appuient les Français en place par leur expertise. Une fois de plus, l'armée est utilisée pour pallier les insuffisances de notre administration et en particulier de notre diplomatie. Est-ce bien son rôle ?

Il faut toutefois reconnaître que la seule comparaison quantitative du nombre d'agents placés dans des organismes internationaux dans le cadre des Balkans n'est pas suffisante. En effet, il faut avoir présent à l'esprit que la France déploie de par le monde, et notamment en Afrique dans les anciens pays dits « du champ », un nombre important de coopérants, ce qui n'est pas le cas des pays anglo-saxons, de l'Allemagne ou des pays scandinaves. Cette action mobilise d'importants moyens humains qui font défaut au Quai d'Orsay par ailleurs. Cette situation nécessite d'effectuer des choix politiques qui doivent être envisagés dans le cadre de la réforme de l'assistance technique mise en _uvre par Charles Josselin.

C. L'ABSENCE DE LISIBILITÉ DE L'ACTION DE LA FRANCE

L'affichage que notre pays donne de ses actions civilo-militaires et de tout ce qui concourt à la gestion civile des crises est essentiel dans la mesure où ces actions ont pour objectif de faire accepter notre présence militaire ainsi que d'offrir une vitrine du savoir-faire de notre pays et éventuellement de ses entreprises.

L'absence d'agence de financement efficace ajoutée à l'absence de coordination interministérielle digne de ce nom conduisent à une très mauvaise lisibilité sur le plan international de l'action française sur le terrain. De l'avis de tous, les statistiques font cruellement défaut et votre rapporteur n'a pas réussi à s'en procurer de sérieuses au cours de sa mission.

Par ailleurs, une certaine mentalité, que l'on rencontre notamment chez certaines ONG mais aussi chez d'autres acteurs, conduit à ne pas afficher l'origine nationale des réalisations françaises en matière d'action civilo-militaire et de coopération, contrairement à ce que font la plupart des autres pays.

1. L'indigence des statistiques

Lorsqu'elles ne sont pas tout simplement inexistantes, les statistiques concernant les efforts de la France sont systématiquement minorées.

L'absence d'organisme centralisateur ne facilite pas l'obtention d'informations chiffrées relatives aux actions menées par notre pays dans le cadre de la gestion de crises.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la plupart des informations qui circulent sur l'action de la France dans la gestion civile des crises de ces dernières années sont orales. Concernant, par exemple, les retombées de notre action sur le plan économique, l'idée qui prévaut est que « nous avons été très mauvais au Koweït, la situation s'est à peine améliorée en Bosnie-Herzégovine, alors que les retombées sont bien meilleures au Kosovo ». Pour me prouver la réussite de la France sur le plan économique dans la gestion de la crise du Kosovo, il m'a été affirmé, sans document à l'appui, que les dépenses engagées par la France au Kosovo représentaient 17 % des dépenses totales et que les entreprises françaises s'étaient arrogé 34 % des marchés. Sur quelle période ? Comment ont été obtenus ces chiffres ? Mystère.

La mission dirigée par Roger Fauroux, qui a accompli un travail énorme n'a pas davantage réussi à nous fournir de statistiques précises à ce sujet. Tout juste avons-nous noté que la France avait dépensé un milliard de francs en dépenses militaires (ce qui exclut les dépenses bilatérales et multilatérales d'aide en tout genre) et n'avait obtenu que 50 millions de francs de marchés. Mais il est vrai que cette mission s'est dissoute depuis plusieurs mois.

Le cabinet du ministre des Affaires étrangères nous a cité la thèse d'un étudiant qui démontrait que l'action française en Bosnie-Herzégovine avait eu beaucoup plus de retombées qu'on le pensait généralement.

Un éminent spécialiste des Balkans nous a indiqué, par téléphone, qu'on pouvait sans hésitation citer le chiffre de 500 millions de francs de retombées pour la Bosnie-Herzégovine.

On l'aura compris, cette absence d'études, de réflexion et de statistiques sérieuses de la part de l'administration est particulièrement pénalisante pour l'analyse. Si on admet qu'il n'est pas toujours aisé de retracer les retombées économiques de la gestion des crises pour nos entreprises, on s'attend au moins à ce que l'action officielle de la France soit clairement identifiée. Ce n'est pas le cas.

2. Des données systématiquement minorées

Lorsque nous comparons les statistiques officielles de la contribution des différents pays à la gestion de crises telles que celles que nous connaissons dans les Balkans, nous nous apercevons que notre pays apparaît en général dans une position qui ne correspond pas à la réalité de son engagement réel, tel qu'il est perceptible sur place.

La raison en est simple : nous ne savons pas calculer le véritable coût de revient de nos actions extérieures. Alors que la plupart des autres pays, anglo-saxons et scandinaves en tête, affichent des statistiques retraçant la totalité de leurs efforts, la France ne prend en compte que ce qu'elle considère comme étant un « surcoût » par rapport à ce qui serait une « normalité ».

Un exemple : dans l'imaginaire collectif, la position considérée comme normale de nos militaires est leur maintien en caserne, leur envoi en opération extérieure étant considéré comme une position exceptionnelle. Résultat : sur le plan de la solde, par exemple, on considère statistiquement dans le surcoût les primes versées au titre de l'expatriation, mais pas la rémunération de base considérée comme normale puisque le bon soldat, en situation de normalité, doit rester cantonné dans sa caserne l'arme au pied, en attendant l'invasion qu'il repoussera à nos frontières et qui est sa véritable raison d'être, tout le reste étant exceptionnel.

En réalité, les choses ont changé. Nos frontières sont désormais sûres et l'action de nos armées s'exerce le plus en aval possible, lorsque le danger de déstabilisation d'un théâtre ou d'un continent est encore lointain. Depuis de nombreuses années, il n'est plus question que d'armée projetable. Les effectifs globaux de l'armée de Terre sont calculés de manière à pouvoir dégager à tout moment le nombre voulu de militaires projetables. Nos choix industriels témoignent de cette évolution : réduction drastique des commandes de blindés lourds destinés à défendre nos frontières de l'Est, commandes de moyens aéronavals eux aussi projetables, de nouveaux transports de chalands de débarquement, etc.

Les autres pays l'ont compris : désormais, l'état « normal » du militaire est d'être projeté en opération extérieure, l'état exceptionnel étant celui où il retourne dans son cantonnement pour récupérer ou approfondir son instruction. Le contribuable accepte de moins en moins de financer des régiments attendant l'arme au pied un envahisseur qui ne viendra plus.

Certains pays ont tiré les conséquences de cette évolution. Entretenant des forces armées pour qu'elles interviennent à l'extérieur, ils prennent en compte la totalité des sommes versées, soldes de base et primes d'expatriation, dans les statistiques retraçant l'effort de leur pays au Kosovo ou en Bosnie-Herzégovine. C'est ainsi que, sur le papier, lorsque la Suède envoie un soldat au Kosovo, elle contribue financièrement autant que la France lorsque notre pays envoie trois Marsouins. Sur le plan de l'efficacité, cela reste à démontrer...

Le calcul par le ministère de la Défense des sommes consacrées aux actions civilo-militaires n'échappe pas à cette critique. Les sommes proprement dites semblent, à première vue, dérisoires : 3,4 millions de francs en 2000, dont 2,2 pour les Balkans et 1,2 pour l'Afrique ; 4,5 millions de francs en 2001, dont 3 pour l'ex-Yougoslavie et 1,5 pour l'Afrique. Mais si l'on ajoute le coût des militaires utilisés pour ces actions (48 millions de francs), on se rend compte que l'échelle change. Toutefois, même une telle somme ne retrace pas fidèlement la réalité : les 48 millions de francs en question ne prennent en compte que le coût humain des militaires qui ont accompli des ACM dans les Balkans. Qu'en est-il du coût du matériel (utilisation des bulldozers, frais de carburant, matériels divers...) ? Qu'en est-il du coût humain du personnel travaillant sur les ACM à Paris ? Et pourquoi ne pas prendre en compte tous ces coûts pour les ACM africaines ? Il nous a été précisé que le coût humain des ACM en Afrique n'était pas pris en compte car les officiers en charge de ces actions ne s'occupaient qu'à temps partiel de cette tâche, leur activité principale étant constituée par d'autres missions. Peut-être, mais même si ces militaires ne consacrent que 25 % de leur temps aux ACM, on doit comptabiliser dans l'effort du ministère de la Défense 25 % du coût financier qu'ils représentent. C'est en tout cas ainsi que font nos alliés.

En Bosnie-Herzégovine, l'aide au retour des personnes déplacées s'est organisée. En zone française, une demi compagnie du génie est affectée en permanence à cette tâche et effectue les travaux de déblaiement des maisons détruites pendant la guerre tandis que des crédits néerlandais sont utilisés pour la reconstruction. Quel est le résultat statistique de ces actions ? Les Français ne comptabilisent pas l'action de leurs militaires considérant que ces derniers coûteraient aussi cher à la République s'ils restaient à Mostar, dans leur cantonnement, à ne rien faire : il n'y a donc pas de surcoût. De leur côté, les Néerlandais prennent évidemment en considération la totalité des crédits qu'ils affectent à la reconstruction des logements de réfugiés. Résultats statistiques de la contribution au retour des réfugiés en zone sud-est : France 0 % - Pays-Bas 100 %.

De la même manière, le déminage effectué par nos armées n'est pas considéré comme une action civilo-militaire mais comme un acte purement militaire dans la mesure où il s'agit davantage, aux yeux de l'état-major, d'une mesure directe de protection de la troupe que d'un acte en faveur des populations civiles. Dans la réalité, nous sentons bien que l'action de déminage est duale puisqu'elle profite à tout le monde, civils et militaires. Mais la différence de conception entre Français et Norvégiens conduit à des aberrations. Comme le déminage effectué par la France est en grande partie confié à nos militaires, l'effort n'est pas comptabilisé tandis que les Scandinaves qui ont une conception plus large des actions civilo-militaires et qui confient cette action à des ONG civiles comptabilisent tout. Ainsi, l'Observatoire international des Mines vient de publier les statistiques des dépenses que chaque pays a consacrées au déminage en 1999 : la Norvège apparaît à la première place avec une dépense de 35 francs par habitant contre 35 centimes par habitant pour notre pays. Il suffit de voir à l'_uvre nos démineurs militaires sur le terrain pour constater que les Français ne sont pas cent fois moins actifs que les Norvégiens. C'est pourtant l'image que nous donnons.

Lors de l'ouragan Mitch en Amérique centrale, le ministère a débloqué une aide d'urgence d'un montant de 25 millions de francs. La France a donc affiché une solidarité avec l'Amérique centrale de 25 millions de francs, alors qu'en réalité près de 3000 personnes ont été mobilisées pendant plusieurs jours auprès de différents ministères et que les sommes réellement dépensées sont dix fois supérieures. Cette absence de « comptabilité analytique », qui devrait être réalisée par tous les acteurs ministériels, a eu pour résultat de minorer statistiquement aux yeux du monde l'action de la France.

Les Britanniques et les Scandinaves aident par ailleurs beaucoup sur le plan financier les ONG présentes sur les différents théâtres. Par une règle très simple, le gouvernement britannique, par exemple, donne une livre sterling à une ONG lorsqu'un contribuable donne, de son côté, la même somme à cette ONG. Cela représente pour les finances britanniques des montants qui finissent par être considérables et qui sont évidemment comptabilisés, de manière tout à fait légitime, dans l'effort que le pays consent dans la gestion civile des crises.

La France n'a pas retenu une telle politique d'affichage, l'absence dans ce domaine de « comptabilité analytique » se révélant très pénalisante. La défiscalisation dont bénéficient nos ONG est évidemment proche dans l'esprit de ce qui se fait au Royaume-Uni, à ceci près que cette dépense, qui concerne pourtant directement la gestion civile des crises, ne fait l'objet d'aucune comptabilisation spécifique dans nos statistiques. Si le ministère des Finances, comme cela semble être le cas, n'est pas en mesure de fournir ces chiffres, il suffirait de demander aux ONG concernées (et elles ne sont pas si nombreuses) le montant total des sommes qui font l'objet de la défiscalisation en question et qu'elles connaissent grâce aux certificats qu'elles adressent annuellement aux particuliers lors des déclarations de revenus.

3. Un complexe du drapeau tricolore ?

On peut se demander s'il n'y a pas, dans le piètre affichage de l'action que la France mène à l'étranger, une raison plus profonde qui tiendrait à un complexe, à une volonté de ne pas mettre en avant son origine nationale.

Il est frappant, en effet, de constater à quel point les réalisations françaises sur le terrain, qu'il s'agisse des Balkans mais aussi de l'Afrique, sont marquées par le sceau de la discrétion. Alors qu'il est impossible de circuler à Pristina sans voir des pancartes indiquant que telle école a été restaurée par telle ONG anglo-saxonne ou que tel échangeur a été financé par des capitaux norvégiens, drapeaux à l'appui, nous n'observons que trop rarement la présence d'indications rappelant l'origine française de nos actions de reconstruction. Seuls les militaires échappent partiellement à cette critique et manifestent généralement leur volonté de mettre en avant l'origine nationale de nos réalisations.

Bernard Kouchner, à l'époque où il était secrétaire d'État à l'action humanitaire du gouvernement de Michel Rocard avait fait dessiner un logo symbolisant une croix bleue, blanche et rouge qui devait être apposée sur toutes les réalisations humanitaires françaises à l'étranger. Quelques années plus tard, nous constatons que ce logo, qui n'a jamais vraiment été médiatisé, n'est absolument pas utilisé alors que son usage est en principe obligatoire.

Une signalétique appropriée, et réellement utilisée, devrait être apposée sur les réalisations des militaires français. En Afrique, nos forces accomplissent un travail remarquable au profit des populations civiles démunies. A Dikhil, en République de Djibouti, votre rapporteur a visité un dispensaire réhabilité en 2000 par la 13ème Demi-brigade de la Légion étrangère. Le coût des travaux s'est élevé à 49 000 francs financés sur les crédits ACM de la Défense. Aucune plaque, aucune inscription ne vient rappeler que ce sont des soldats de l'armée française, sur des fonds français, qui ont restauré cet établissement extrêmement utile à une population très pauvre. Par contre, une belle plaque métallisée, fixée en évidence sur un microscope du laboratoire, vient rappeler que l'instrument en question a été offert par le Japon dans le cadre de l'amitié entre les deux pays.

Certaines personnes, rencontrées en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo ont tenté d'expliquer la discrétion du drapeau français par la volonté de ne pas créer de confusion avec le drapeau serbe qui utilise, mais de manière horizontale, les mêmes couleurs que le nôtre. Voilà une bien étrange explication qui n'a visiblement pas empêché les Russes, les Néerlandais et Luxembourgeois (le Luxembourg contribue à hauteur d'environ 84 000 francs français par mois aux actions civilo-militaires de la zone belge) de déployer leurs couleurs. S'il existe un risque de confusion, il faut y voir une raison supplémentaire d'afficher notre drapeau afin de mieux le faire connaître.

Le Haut Conseil de la Coopération internationale conclut dans le même sens que votre rapporteur : « La faiblesse des mesures d'accompagnement génère une moindre cohérence et lisibilité de l'action de la France sur le terrain. Elle conduit à une valorisation internationale qui n'est pas à l'échelle de son engagement, souvent réel et important, dans la recherche de solutions aux crises ou de son effort de solidarité lors de catastrophes naturelles ».

D. UN MANQUE D'INITIATIVE DE LA PART DES ACTEURS DU SECTEUR PRIVÉ

L'absence d'une stratégie globale de l'influence que votre rapporteur déplore n'est pas seulement le fait des administrations publiques : un patronat timoré et peu structuré ainsi que des ONG trop faibles ne contribuent pas au rayonnement de la France, d'autant plus que certains diplomates ou attachés commerciaux croient devoir refréner les rares ambitions. C'est pourtant au sortir immédiat des situations de crise que se prennent les positions d'influence.

1. Un patronat timoré et peu structuré

Les ACM se situent au début du processus d'intervention sur un théâtre d'intervention extérieur. Nous avons vu la nécessité d'instaurer une continuité avec les autres outils de coopération et de développement de la nation. Mais le processus ne peut pleinement réussir qu'en liaison avec un système d'intelligence économique à même lui aussi d'assurer un relais efficace pour la reconstruction du théâtre. Or, il faut reconnaître que cet élément fait encore défaut à la France.

Le patronat français n'est pas suffisamment structuré pour mener une action concertée de prospection d'un marché sortant d'un conflit. Le Medef regroupe des fédérations et non des entreprises, ce qui fait que les informations qui lui parviennent sont transmises aux fédérations avant de redescendre vers les sociétés, avec la perte en ligne qu'on imagine. Le Medef international qui, lui, regroupe directement des entreprises ne rassemble en fait que des grands groupes ayant les moyens de s'attaquer à ce type de marchés, ce qui n'est pas forcément le cas des petites ou moyennes entreprises.

La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), qui est davantage orientée, comme son nom l'indique, vers les petites et moyennes entreprises ne semble guère mieux structurée que le Medef. Pourtant, des marchés existent également pour les PME. Votre rapporteur connaît l'une d'entre elles, spécialisée dans la construction de ponts et qui a réalisé 80 % de son chiffre d'affaires au Kosovo. Mais cela s'est fait grâce à une succession d'initiatives individuelles et de connaissances personnelles.

L'expérience a montré que c'est la Mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est (MIESE), structure publique, qui a assuré le relais le plus efficace avec le monde de l'entreprise et que le Medef s'est largement reposé sur cette mission.

Une association au service des entreprises : « Aude »

Au Kosovo, devant l'inorganisation du milieu économique français, des militaires d'active et de la réserve ont décidé, en 1999, de créer bénévolement une association à but non lucratif destinée à aider les entreprises françaises sur ce nouveau marché. L'association Aude (Aide d'urgence et de développement) a assuré la coordination entre les entreprises, les ONG et les pouvoirs publics français. Elle a surtout assuré le soutien logistique pour permettre aux opérations de réussir sur place. Pour cela, elle a utilisé tous les réseaux que ses membres avaient constitués depuis les premières opérations dans les Balkans.

Nous constatons toutefois qu'il s'agit d'une organisation de bénévoles créée à l'initiative de quelques militaires, frustrés de voir leur pays absent du paysage économique du Kosovo, qui a fonctionné dans l'urgence avec des moyens très limités, « contrairement aux opérateurs concurrents comme le DFID, USAID ou SIDA avec lesquels elle a eu à se mesurer. Ces derniers ayant des budgets d'origine publique avec des stratégies gouvernementales clairement définies » comme le précise le président du comité de liaison Défense du Medef qui ajoute « Les résultats obtenus au Kosovo sont le fait d'une poignée d'individus qui ont tiré les leçons des précédentes crises et qui se sont engagés à titre personnel avec de fortes convictions pour valoriser l'action de la France. Par défaut de vrais mandats, leur action a été limitée sur le terrain et ne peut être pérenne sur le moyen terme ».

Pour autant, les résultats obtenus par Aude ont été très encourageants. En février 2000, l'association avait permis aux entreprises qui lui avaient fait confiance de contractualiser près de 100 millions de francs, sur les 350 millions enregistrés fin 2000, dont 90 % sur des financements étrangers et multilatéraux.

Au total, seuls les grands groupes, dont beaucoup disposent de leur propre fondation, ont véritablement les moyens matériels de s'attaquer à ces marchés. Ils ont bien identifié les opportunités, les risques et les difficultés et se sont organisés en conséquence. Certains de ces groupes fournissent d'ailleurs des réservistes leur permettant de rester en contact avec le milieu militaire, ce qui n'est pas le cas des PME aux moyens humains et matériels beaucoup plus limités.

Si on ajoute que les investisseurs préfèrent généralement privilégier la sécurité au risque et apparaissent timorés, on comprend que beaucoup d'entreprises aient préféré choisir des marchés bien plus prometteurs et qui se sont ouverts en grand nombre depuis la chute du mur de Berlin (Pologne, Hongrie, Russie...) alors que pourtant il existait, et il existe toujours, des moyens de réaliser des projets profitables en ex-Yougoslavie.

2. Les faiblesses et limites des ONG françaises

Plusieurs caractéristiques historiques handicapent les organisations non gouvernementales françaises sur les plans économique et structurel. Une rapide comparaison des ONG françaises et étrangères engagées dans la coopération internationale met en évidence un véritable paradoxe : grâce à la médiatisation de certaines d'entre elles et notamment au prix Nobel reçu par « Médecins sans frontières », l'opinion publique française, l'administration et souvent les élus sont convaincus d'une prééminence conceptuelle et opérationnelle des ONG françaises sur le plan international.

En réalité, il n'en est rien, la plupart des ONG françaises s'avérant plus faibles que bien de leurs homologues anglo-saxonnes ou scandinaves. Ainsi, le total des ressources financières (dons et financements institutionnels) des cinq plus grandes ONG françaises (Médecins sans frontières, Médecins du monde, Handicap international, Action contre la faim et Solidarités) est à peine supérieur aux ressources financières de la principale ONG anglaise, Oxfam, ou à la moitié de celles de l'américaine Care. Il représente moins de 14 % des ressources des cinq plus grosses ONG anglo-saxonnes : Oxfam (GB), Save the children (GB), World vision (EU), Care (EU), CRS (EU).

Moins de 0,5 % de l'aide publique au développement française passe par les ONG, ce qui explique en grande partie l'absence en France d'importantes ONG de développement. Les budgets initiaux d'aide humanitaire anglais et allemands sont sans commune mesure avec le fonds d'urgence humanitaire français. L'ONG britannique Oxfam représente près de quatre fois Médecins sans frontières et Save the children trois fois, avec en outre une double compétence sur l'urgence et le développement qui permet d'assurer la continuité des interventions. Les montants collectés auprès du public britannique, grâce à un système mutualisé entre les principales ONG, ont été quatre à cinq fois supérieurs à la collecte française pour des crises comme l'ouragan Mitch ou le conflit du Kosovo. En outre, depuis le scandale de l'Association de la recherche contre le Cancer (ARC) beaucoup de donateurs sont devenus méfiants. Peu soutenues par les médias, les ONG françaises manquent de notoriété et les retombées financières de leurs campagnes publicitaires sont faibles.

Par ailleurs, la faible coordination des ONG françaises entre elles et avec d'autres acteurs est liée à une tradition d'indépendance voire d'individualisme renforcé par le poids des rivalités. Nos ONG éprouvent ainsi beaucoup de difficultés à se constituer en réseaux nationaux ou internationaux et, ainsi que l'a rappelé Bernard Kouchner devant notre commission, se livrent parfois à une concurrence qui n'a pas lieu d'être.

Même si une certaine évolution a semblé perceptible à votre rapporteur, il reste que les ONG manifestent encore trop de réticence à l'égard des autres intervenants en période de crises, notamment vis-à-vis des actions civilo-militaires. Comme l'a rappelé l'ancien Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU au Kosovo, certaines ONG « continuent de considérer que les militaires font le mal quand elles-mêmes font le bien ».

Une telle faiblesse des ONG françaises est particulièrement regrettable dans la mesure où leur influence dans les relations internationales est reconnue par les pouvoirs publics français. C'est ainsi qu'en 1997, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères écrivait « Les organisations non gouvernementales, qu'il s'agisse des associations et fondations privées, des syndicats ou des associations de collectivités locales, sont devenues des acteurs de plus en plus présents dans les relations internationales. Ainsi se sont-elles imposées comme opérateurs indispensables dans l'aide humanitaire d'urgence. Leur collaboration critique avec les gouvernements a amélioré la pratique de l'aide au développement. Par leur défense active des droits de l'homme, elles participent à la construction des nouvelles démocraties. Certaines jouent un rôle apprécié dans la prévention, le règlement et la médiation des conflits locaux ».

3. Le rôle dissuasif de la DREE et de certains diplomates

Pour favoriser le tuilage entre les actions civilo-militaires et l'action de développement et de coopération que nous appelons de nos v_ux, l'action des entreprises, si possible françaises, est fondamentale. Nos ambassades comprennent généralement parmi leur personnel un attaché commercial dont la mission est justement d'assister les entreprises françaises dans leurs démarches et de faire connaître les perspectives de développement et les marchés porteurs.

Dans les pays en sortie de crise, il est bien compréhensible que le schéma classique soit quelque peu modifié. Dans certains cas comme en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, il n'existait pas de poste avant la crise. Une ambassade et un bureau de liaison pour ce qui concerne le Kosovo, ont été créés de toutes pièces dans des circonstances difficiles, voire dangereuses.

Mais une fois la paix rétablie, la mise en place d'un poste d'expansion économique devrait être une des priorités de notre diplomatie afin de renseigner les entreprises françaises sur les opportunités et d'essayer de les faire profiter des crédits des organismes internationaux (ONU, UE, OSCE...) auxquels la France cotise très largement.

Force est de constater que ce schéma, suivi avec une certaine logique par d'autres pays n'est pas celui qui a les faveurs de notre diplomatie. La Direction des relations économiques extérieures (DREE) du Ministère de l'Économie et des finances ne s'intéresse qu'avec retard aux zones en sortie de crise au motif que ces pays, exsangues après des mois ou des années de guerre, ne constituent pas des marchés porteurs. En réalité la reconstruction des infrastructures et le redémarrage, parfois de zéro, d'une activité économique soutenue financièrement par les organismes internationaux offrent des opportunités rares aux entreprises qui ont une politique volontariste.

Mais, en Bosnie-Herzégovine par exemple, la doctrine de la DREE semble pouvoir se résumer ainsi : « sur le plan économique, le marché de la Bosnie-Herzégovine ne nous intéresse pas car il est trop petit ; nous préférons attendre le rétablissement des relations diplomatiques avec la Serbie pour tisser de plus solides liens avec ce pays qui a un potentiel supérieur ». En attendant, nos concurrents allemands, autrichiens, britanniques, américains et italiens, principalement, ne sont pas restés les bras croisés en Bosnie-Herzégovine depuis les accords de Dayton ce qui ne les empêche pas d'être aussi sur les rangs pour la conquête des marchés en Serbie.

Par ailleurs, le marché bosnien, si restreint soit-il, a pu servir de tremplin à nombre d'entreprises pour se positionner ensuite dans le reste des Balkans : prenons l'exemple de la société « Interex », une des plus grandes sociétés françaises implantées en Bosnie-Herzégovine et filiale locale d'Intermarché. L'implantation de cette entreprise à Sarajevo depuis plusieurs années a permis à ses dirigeants de mieux appréhender les spécificités du marché local et les habitudes de consommation des habitants de la région au point que l'expansion programmée du groupe vers les marchés serbe, roumain et bulgare sera certainement favorisée par rapport aux entreprises qui auront attendu, en vertu de la stratégie de Bercy, le rétablissement des liens avec « le marché plus prometteur » que constitue la Serbie.

Quand l'armée française finance la création d'une chambre de commerce et d'industrie pour pallier les carences de nos services économiques

L'histoire de la création de la Chambre de commerce et d'industrie franco-bosnienne (CCIFB) est révélatrice de l'attitude timorée de la Direction des relations économiques extérieures (DREE) qui dépend du ministère de l'Économie et des finances.

Les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre de Bosnie-Herzégovine ayant été signés en novembre 1995, l'activité économique et la reconstruction des infrastructures ont pu être relancées dans les semaines qui ont suivi. C'est à l'initiative de deux réservistes, Jean-François Le Roch et Jean-François Daoulas, qu'une chambre de commerce et d'industrie franco-bosnienne a vu le jour afin d'aider les entreprises françaises intéressées à prospecter le marché local. Comme l'indique l'un des fondateurs, « la CCIFB a été portée sur les fonts baptismaux par les actions civilo-militaires et a été le seul enfant légitime pérenne des ACM en Bosnie-Herzégovine ».

Les armées avaient déjà mené des missions d'expertise économique depuis mars 1994 par l'intermédiaire de leur Commandement des opérations spéciales (COS) et les responsables des ACM avaient donc une bonne vision des enjeux et des circuits économiques locaux. Concrètement, c'est le ministère de la Défense qui a payé le loyer du local de la CCIBF et a mis à disposition de cette dernière les deux militaires en question, pendant six mois. Lorsqu'un attaché commercial est enfin arrivé en avril 1996 à Sarajevo sur l'insistance de l'ambassadeur de l'époque, il a été hébergé par la CCIBF, en l'absence de locaux disponibles à l'ambassade. C'est également la CCIBF qui lui a fourni son premier carnet d'adresses.

4. « C'est maintenant que les positions se prennent »

« Il n'y a pas de grand ou de petit marché mais des niches économiques où le profit est réellement possible. La branche économique de la diplomatie française se gère à la masse volumique de la population » nous a confié un entrepreneur français rencontré en Bosnie-Herzégovine furieux de s'être entendu dire par un attaché commercial «  Je suis envoyé par la DREE et je sais mieux que vous que la Bosnie-Herzégovine n'est pas et ne sera jamais un marché pour l'économie française ». « Mais à quoi sert donc la COFACE, si ce n'est pour couvrir les pays dits à risques comme la Bosnie-Herzégovine ? » conclut ce même entrepreneur.

Mais pour une entreprise française ayant réussi son implantation contre vents et marées, combien ont été découragées ? D'ailleurs, après quatre années d'existence et alors que la situation économique et politique de la Bosnie-Herzégovine semble s'améliorer, la Chambre de commerce franco-bosnienne qui n'était pratiquement pas soutenue a cessé d'exister. L'actuel attaché commercial en Bosnie-Herzégovine semble considérer que la faible présence des entreprises françaises est liée à l'absence de moyens financiers de ce pays, « trop longtemps habitué à vivre de dons ». Lorsque l'argent sera là, nos entreprises viendront elles aussi assure-t-il. Or l'expérience montre que, lorsque les crédits arrivent, il est déjà trop tard : c'est avant qu'il faut se positionner et nouer des contacts.

Par ailleurs, si le pays est dépourvu de tout moyen financier, comment expliquer dans ces conditions que l'aéroport de Sarajevo ait été entièrement reconstruit, les entreprises autrichiennes ayant fourni les camions, les Suédois ayant vendu les moyens de déneigement, les Allemands le matériel aéronautique, et les Néerlandais les radars ? Reconstruit par des entreprises européennes, l'aéroport de Sarajevo a en réalité été financé par des fonds européens... et inauguré par le secrétaire d'État américain.

Au total, malgré la remarquable expertise réalisée en mars 1993 sur le site de l'aéroport par le Commandement des opérations spéciales (COS) rien n'est revenu à une entreprise française alors que la gestion de l'aéroport et de l'espace aérien de la Bosnie-Herzégovine est confiée aux militaires français depuis 1992 ! Aujourd'hui encore, l'armée de l'Air française finance la présence de 140 techniciens hautement qualifiés pour réguler le trafic aérien, contrôler la sécurité, gérer les moyens anti-incendie et instruire les contrôleurs aériens locaux. Serait-il absurde d'essayer d'obtenir une contrepartie économique à cette contribution considérable ?

Outre qu'on peut s'interroger sur la légitimité dont dispose une armée étrangère pour continuer à contrôler l'espace aérien du pays six ans après la signature des accords de paix, on ne peut que regretter que le travail et parfois le sacrifice de nos soldats n'aient pas été accompagnés d'un effort comparable au plan de la promotion de notre présence économique. Quelle est la contrepartie que notre investissement humain dans l'aéroport de Sarajevo a apportée à la France, en dehors de la trop longue liste de soldats français tombés pour son contrôle entre 1992 et 1995 et dont une plaque rappelle le souvenir ?

Ancien membre de la Commission européenne, Yves-Thibault de Silguy, écrivait dans Le Figaro du 14 février 2001 au sujet des Balkans : « (...) Le sommet de Nice a décidé une aide d'urgence de 200 millions d'euros et, en décembre, une réunion de coordination des donateurs avait mobilisé 500 millions de dollars. (...) Une mobilisation de tous les responsables s'impose. Les entreprises ont une part de responsabilité à assumer. L'implication du secteur privé est une condition majeure du redressement économique. Les besoins d'investissement sont estimés à dix milliards de dollars par an, pendant plusieurs années. (...). Les secteurs prioritaires sont bien identifiés (...). Le savoir-faire des entreprises européennes, françaises en particulier, est reconnu dans tous ces domaines. Il s'agit pour elles de s'intéresser à ces pays qui sont aussi des marchés sous peine de laisser la place à d'autres : c'est maintenant que les positions se prennent. (...) Le temps nous est compté, ne le gaspillons pas. Les entreprises ne doivent pas rester inactives ; mais le soutien des gouvernements leur est plus que jamais nécessaire car l'investissement local et les pratiques démocratiques sont indissociables. »

L'attitude de notre poste à Sarajevo ne peut que rappeler le discours, entendu dans d'autres circonstances, de la part d'un de nos ambassadeurs en poste dans un autre pays d'Europe de l'Est. Son propos se résumait à peu près à ceci : « Lorsque nous sommes contactés par des entreprises françaises désireuses de prospecter les marchés locaux, nous ne pouvons que les mettre en garde contre le faible niveau de vie et l'étroitesse du marché, contre l'instabilité d'une législation mouvante, contre l'existence de réseaux mafieux. Je considère de mon devoir de ne pas les encourager ». Pendant ce temps, les diplomates d'autres pays abordent la question différemment et, sans mésestimer les difficultés diverses rencontrées localement, se mettent au service de leurs entreprises nationales dans un esprit plus positif.

VI. - LES PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR

En 2000, devant le peu de retombées obtenues en Bosnie-Herzégovine et les difficultés organisationnelles rencontrées au Kosovo, la Mission interministérielle pour l'Europe du Sud-est (MIESE) conduite par Roger Fauroux a proposé de réformer la gestion civile des crises de notre pays. A l'exception du ministère de la Défense, du cabinet du ministre des Affaires étrangères et du Secrétariat général pour la défense nationale (SGDN) favorables à ce projet, les administrations en ont bloqué la mise en _uvre. Le ministère qui s'y est le plus opposé est celui qui n'est pas présent sur le terrain : le ministère de l'Économie et des finances. Mais l'administration du ministère des Affaires étrangères ne semble pas s'être suffisamment investie alors que la gestion des crises devrait en toute logique être une de ses priorités.

S'appuyant sur certaines mesures préconisées par Roger Fauroux mais en allant au-delà, votre rapporteur propose de réformer en profondeur la stratégie de notre pays en matière de gestion civile des crises et de rendre plus efficaces les outils dont il dispose.

Les dix mesures que je propose sont destinées d'abord à rendre nos procédures de gestion de crise plus lisibles et plus démocratiques ; pour améliorer l'efficacité de nos actions, je préconise ensuite une réorganisation administrative permettant la mise en place d'une structure de pilotage interministérielle, d'une coordination politique au plus haut niveau et d'une agence opérationnelle ; enfin, je souhaite renforcer le caractère opérationnel de nos actions par l'adoption d'un cadre d'emploi civil qui fait pour l'instant défaut et qui doit contribuer à faire évoluer les mentalités concernant l'action de nos agents à l'étranger.

1. La nécessité démocratique d'identifier en loi de finances initiale les crédits affectés aux actions civilo-militaires

Le respect des procédures démocratiques suppose que le budget que la Nation consent à ses forces armées soit voté a priori par le parlement. Or cette règle est méconnue au moins à deux reprises : pour les opérations extérieures (opex) et pour les actions civilo-militaires qui font traditionnellement l'objet de régularisations en loi de finances rectificative. Par ailleurs, les crédits consacrés aux ACM ne sont pas regroupés en un article budgétaire clairement identifiable mais sont disséminés et, comme pour les opex, proviennent de fonds originellement affectés sur d'autres chapitres.

Par une observation adoptée à l'unanimité à l'occasion de l'examen de la dernière loi de finances rectificative, la Commission de la défense de l'Assemblée nationale a souhaité que les lois de finances initiales intègrent désormais « au titre III du budget du ministère de la défense un chapitre spécialement consacré aux dépenses occasionnées par les opérations extérieures ». En effet, dans la mesure où nos armées sont désormais organisées autour du concept de projection, ne pas prévoir de discussion budgétaire sur leurs opérations extérieures paraît de moins en moins compatible avec les prérogatives du Parlement en matière d'autorisation préalable de la dépense publique. Une difficulté de l'exercice tient certes au caractère imprévisible de certaines opérations. Le calcul des montants moyens consacrés aux opex lors des années précédentes pourrait servir de base de départ, sachant qu'un certain nombre d'opérations (Bosnie-Herzégovine, Kosovo...) sont reconduites d'une année sur l'autre.

Selon les mêmes principes, votre rapporteur considère que les crédits du ministère de la Défense consacrés aux actions menées par les armées au profit des populations civiles devraient être regroupés sur un article budgétaire présenté en loi de finances initiale, les actions les plus importantes devant faire l'objet d'une ligne spécifique. Ainsi discuté et voté par le Parlement, le budget de l'action civile des militaires serait bien mieux connu, trouverait une légitimation encore plus grande et le travail des armées sur le terrain en sortirait renforcé.

Comme pour les opérations extérieures, le budget d'un certain nombre d'actions civilo-militaires serait aisé à déterminer dans la mesure où les ACM accompagnent généralement une présence militaire française inscrite dans la durée, comme c'est le cas pour les pays africains qui accueillent des troupes prépositionnées ou encore pour la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Un montant moyen, calculé en fonction des crédits dépensés les années précédentes pourrait être affecté aux ACM impromptues survenant dans le cadre d'une opération extérieure elle aussi décidée dans l'urgence.

La régularisation postérieure de crédits consommés en ACM dans le cadre d'une opération extérieure totalement imprévisible n'est pas choquante alors que la régularisation systématique des crédits consentis de manière régulière aux ACM qui se renouvellent et s'inscrivent dans la durée n'est plus admissible sur le plan des principes démocratiques. Voter les crédits des actions civilo-militaires menées par les militaires est aussi un moyen d'ouvrir un débat parlementaire impliquant les opinions publiques sur le rôle et les missions des armées françaises à l'étranger et de mieux faire connaître l'aspect civil de leur action. Et le récent sondage réalisé par la Commission de la défense à l'initiative de son Président Paul Quilès a montré que nos compatriotes, dans une large proportion, avaient une bonne opinion des armées, approuvaient les engagements extérieurs de la France et souhaitaient renforcer le rôle du Parlement dans ce domaine.

Le Haut Conseil de la Coopération internationale (HCCI) recommande lui aussi de « favoriser l'adhésion de l'opinion publique, d'ores et déjà partie prenante dans le processus de décision en matière de crise ». En plein accord avec l'analyse de votre rapporteur, le HCCI « souligne l'opportunité de voir figurer en loi de finances initiale une enveloppe budgétaire générale consacrée aussi bien à d'éventuelles opérations extérieures qu'à l'assistance d'urgence ».

C'est aussi un moyen de valoriser l'action de notre pays à l'étranger dans la mesure où les lois de finances initiales fait l'objet de plus larges débats que les lois de finances rectificatives.

Au-delà des sommes que les militaires consacrent annuellement aux actions civilo-militaires, je considère essentiel pour une meilleure lecture de l'action de la France que les crédits dégagés par le budget général de l'État pour la gestion civile des crises soient clairement identifiés sur un chapitre budgétaire qui pourrait, par exemple, être inscrit au budget des charges communes. Une telle mesure donnerait un aperçu clair et lisible de l'effort annuellement consenti par le pays dans ce domaine. L'évolution des crises pourrait évidemment amener à modifier en cours d'exercice le montant de ces crédits mais leur présentation en loi de finances initiale aurait l'avantage de leur conférer une légitimité législative indéniable.

2. Développer une structure de pilotage interministérielle

Une structure de pilotage interministérielle reste à mettre en place, afin de coordonner l'action des principaux ministères concernés, à savoir principalement les ministères des Affaires étrangères, de la Défense, des Finances et de l'Intérieur. En effet, la politique extérieure de la France ne peut continuer à se limiter, comme c'est actuellement le cas, à une juxtaposition de décisions et d'actes individuels. Un contrôle politique fort doit être mis en place.

Si le rôle primordial du ministère des Affaires étrangères pour ce qui concerne la conduite de la politique extérieure de la France n'est évidemment remis en cause par personne, un niveau de centralisation interministériel destiné à coordonner l'action des administrations, est devenu indispensable. Reviendrait donc à cette structure la charge de veiller à la coordination horizontale des actions à chaque niveau (terrain, théâtre, national, européen, multilatéral) entre les forces et les intervenants civils publics et privés.

Cette structure aurait en outre pour autre mission l'approbation de programmes d'ensemble, de crédits appropriés, de contrôle... Elle devrait développer une capacité d'alerte, diffuser l'information, décider de la prise en compte ou non d'une crise, du niveau d'engagement du pays, des objectifs à atteindre et de la date de clôture du dossier.

Elle aurait évidemment pour tâche de promouvoir la présence française dans la phase de reconstruction économique et le rétablissement de l'État de droit.

Les moyens nécessaires (en personnels, en communications, en crédits d'urgence ...) doivent pouvoir être mobilisés rapidement et sans justification a priori, dans le cadre d'un programme global validé. La souplesse et l'adaptabilité doivent devenir prioritaires afin d'éviter les mesquineries et contrôles tatillons évoqués plus haut. Le contrôle financier de l'administration reste bien entendu indispensable mais doit être mené par des fonctionnaires ayant eux même une expérience de la gestion de crise.

Conformément aux souhaits de Roger Fauroux et en raison de son rôle de coordination en matière de défense, c'est le Secrétariat général pour la défense nationale (SGDN) qui semble le plus apte, en l'état actuel, à assurer le secrétariat de cette mission de centralisation et de coordination de l'action des différents ministères compétents dans la gestion civile des crises.

Par ailleurs, cette structure interministérielle pourrait associer les laboratoires de recherche et les universités dont certaines multiplient les diplômes qui concernent de près ou de loin les crises internationales sous l'angle politique, humanitaire, juridique... Le même raisonnement s'applique à la réflexion développée par les ONG, voire par les entreprises sur l'intelligence économique et les stratégies à l'international.

3. Instaurer une responsabilité politique au plus haut niveau

La conduite d'une réelle politique interministérielle nécessite une implication politique de haut niveau : la stratégie et les décisions politiques doivent arriver directement de Matignon, en collaboration étroite et directe avec les ministres ou directeurs de cabinet des principaux ministères régaliens concernés (Affaires étrangères, Défense, Finances, Intérieur...).

Un officier ayant l'expérience des Balkans et considéré comme l'un des pères des ACM françaises modernes m'a confié qu'il serait « totalement illusoire de mener des actions civilo-militaires sans disposer d'une cellule interministérielle ayant la caution du chef des armées, située au plus haut niveau du Gouvernement, en liaison avec un système d'intelligence économique ». Les nombreux témoignages que j'ai pu recueillir par ailleurs et les faits que j'ai observés sur le terrain vont dans le même sens. Le président du comité de liaison Défense du Medef insiste lui aussi sur la nécessité de disposer « d'une autorité désignée par le Premier ministre avec un mandat permanent. (...) Avoir un représentant du Premier ministre pour coordonner ce type d'opérations éminemment politiques est une bonne idée, attendue et demandée par tous les opérateurs depuis 1994 ».

C'est pourquoi j'estime nécessaire de confier, auprès du Premier ministre et au plus haut niveau, à une personnalité qui doit avoir une envergure politique suffisante pour être entendue par les directeurs de cabinet des différents ministères concernés, la charge d'orienter et de coordonner les différentes administrations concernées mais aussi d'informer et d'encourager les entrepreneurs qui ne s'investissent, l'expérience l'a prouvé, que lorsqu'un signal politique clair et fort est donné.

Cette fonction doit être remplie par le directeur de cabinet ou le directeur de cabinet adjoint du Premier ministre, chargé de mettre en _uvre la politique du chef du gouvernement dans ce domaine. A défaut, elle pourrait être confiée à un délégué interministériel chargé de superviser la gestion civile des crises.

4. Mettre en place une agence opérationnelle dotée de moyens financiers

Tous les grands pays présents sur les théâtres d'opérations extérieurs et menant des actions civilo-militaires se sont dotés d'agences gouvernementales jouant à la fois un rôle de banquier mais aussi de structure opérationnelle. L'administration la plus souvent citée et qui semble la plus efficace est le ministère britannique du développement DFID. Mais les agences allemandes (GTZ et THW), américaine (USAID) ou scandinaves (SIDA, DANIDA), pour ne citer que ces quelques pays, donnent aux autorités et ONG de leurs pays respectifs les possibilités de mener à bien les actions souhaitées.

Ces agences, confortablement dotées par leur gouvernement respectifs, jouent un rôle de banquier d'autant plus intéressant qu'elles peuvent recevoir des financements internationaux (ONU, OSCE, UE...) dont ne peuvent juridiquement pas bénéficier les États donateurs. Par ailleurs, leur dotation initiale leur permet de bénéficier plus facilement de financements conjoints, alors qu'une structure non dotée a le plus grand mal à obtenir d'un organisme international un budget permettant de financer la totalité d'une opération.

Représentation schématique
des structures proposées
pour la gestion civile des crises

Premier

ministre

graphique

Ministère de l'intérieur

graphique

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime indispensable de mettre sur pied un organisme opérationnel inspiré du DFID britannique et doté d'un budget minimal d'environ 200 millions de francs par an.

Par analogie avec ce que font les Britanniques et les Allemands, la mission Fauroux préconisait une dotation équivalente à trois mois de fonctionnement en situation de crise, soit environ 300 millions de francs, ces moyens pouvant être abondés en fonction des marchés obtenus de l'Union européenne, de la Banque mondiale ou de ministères techniques français.

Les microprojets qui sont bien souvent le quotidien des actions civilo-militaires pourraient trouver plus facilement des cofinancements dans la mesure où ils seraient déjà soutenus par une agence nationale reconnue.

Par ailleurs, en recueillant des cofinancements européens ou internationaux pour mener à bien ses actions de développement, cette agence prouverait à bien des administrations qu'une partie des sommes que la France verse à l'Union européenne ou à l'ONU, par exemple, peuvent servir à financer son action internationale.

Cette agence aurait notamment pour mission d'assurer un tuilage et d'organiser une transition entre la phase d'urgence pendant laquelle les forces armées et leurs actions civilo-militaires ont pour mission de sécuriser l'environnement et les phases de reconstruction puis de développement qui doivent s'inscrire dans la durée, sortir de l'actuel bricolage et être confiées à des acteurs civils chargés du développement et de la coopération internationale. Elle pourrait également ouvrir les projets aux collectivités locales dont certaines sont déjà intéressées par l'action humanitaire, la coopération ou la reconstruction.

S'inspirant de ce que font les agences anglo-saxonnes, elle aurait pour mission de sous-traiter certaines opérations aux ONG, de recruter les experts appropriés auprès des entreprises françaises, parmi les juristes, universitaires... et de les gérer. Elle devrait organiser la coordination et l'information des différents acteurs français aussi bien sur le terrain qu'à Paris.

Cette structure permettrait d'obtenir la gestion et donc le financement de programmes de la Banque mondiale et de l'Union européenne (comme le font actuellement le DFID, GTZ, USAID, SIDA...) et de récupérer ainsi une partie des fonds versés de manière multilatérale. Elle favoriserait également l'insertion de Français dans les instances multilatérales, la reconnaissance de l'action de la France qui serait davantage visible sur le terrain et créerait un climat favorable à l'investissement de nos entreprises.

Le Haut conseil à la coopération internationale, le Medef, le ministre de la Défense et le Secrétariat général à la défense nationale se sont prononcés en faveur d'une telle évolution.

Devant les difficultés et les réticences, notamment du ministère de l'Économie et des finances, soulevées par l'idée de créer de toutes pièces une agence, je suggère d'utiliser l'Agence française de développement (AFD) dans le rôle d'outil opérationnel de gestion de crises. L'AFD est une institution financière solide, bénéficiant d'une longue expérience dans le financement de projets dans les pays en développement. Cette activité représente environ 80 % de ses engagements qui sont souvent réalisés en cofinancement avec d'autres bailleurs de fonds. Le cofinancement est pratiqué par de nombreuses agences étrangères car il permet de monter des projets d'envergure en mutualisant les risques.

Une telle réforme sous-entend un certain nombre de changements que l'agence a d'ailleurs commencé à opérer : diversification géographique (mais elle n'est pas encore présente en Bosnie-Herzégovine, par exemple) et abandon d'une politique exclusivement tournée vers les anciens « pays du champ », évolution des statuts qui cantonnent aujourd'hui l'AFD dans un rôle essentiellement d'établissement financier, aspect qui reste nécessaire mais doit être élargi à celui d'outil opérationnel, ce qui suppose également une évolution parallèle des mentalités et des habitudes de travail. Actuellement, l'AFD remplit parfaitement son rôle de banquier et d'institution de recherche de crédits pour cofinancer les projets en matière de développement. Mais une fonction opérationnelle reste à développer.

5. Assouplir l'emploi des instruments de la coopération

Actuellement, la coopération française ne peut utiliser les mêmes outils selon qu'elle travaille dans la Zone de solidarité prioritaire (ZSP) ou en dehors. En particulier, elle ne peut avoir accès au Fonds de solidarité prioritaire (FSP). Son action est donc pénalisée lorsqu'elle travaille hors de cette zone. La première réaction serait d'étendre le périmètre de la zone spéciale de développement à toutes les régions en crise, afin de pouvoir utiliser le FSP plus souplement. C'est d'ailleurs ce qui a été fait pour la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Mais ce fonds n'étant pas extensible, cela revient à créer des charges nouvelles et conduit à réduire en contrepartie des actions menées dans des pays où notre coopération est traditionnelle, en particulier en Afrique.

Mais la Coopération ne peut actuellement pas utiliser les outils du Fonds de solidarité prioritaire pour Timor ou la Sierra Leone. Et que ce passerait-il si nous devions intervenir demain dans un pays hors ZSP ? Il s'agit d'une préoccupation qui est également abordée dans les groupes de travail de la Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel (CNEMA).

C'est pourquoi, en accord avec le ministre délégué à la Coopération et à la francophonie, Charles Josselin, je propose plutôt de rendre possible, en cas de crise grave, l'utilisation des outils habituellement réservés aux pays anciennement dits « du champ » à d'autres qui ne sont pas classés en zone ZSP, pour un temps évidement limité. L'objectif est de faire en sorte que l'utilisation des crédits du FSP ne se fasse pas au détriment des anciens pays du champ, ce qui suppose que le fonds en question soit complété par d'autres crédits.

6. Créer un cadre d'emploi souple pour nos expatriés

L'agence mise sur pied doit fournir un cadre d'emploi souple aux fonctionnaires appelés à servir leur pays à l'étranger dans le cadre de missions relevant de la gestion civile de crises. Les crédits dont elle sera dotée lui permettront de disposer d'un certain nombre de postes d'agents publics prêts à partir à l'étranger avec un préavis des plus brefs. En l'absence de crise, ces postes seraient affectés en surnombre auprès des ministères d'origine mais seraient récupérables à tout moment par l'AFD, en tant que de besoin. Cette disposition pourrait concerner quelques dizaines de postes, au maximum une centaine, répartis dans les ministères dont les experts sont recherchés pour gérer les crises sur le plan civil : justice (magistrats, greffiers), intérieur (policiers, sécurité civile, administrateurs territoriaux...), santé (médecins, directeurs d'hôpitaux...), agriculture, éducation nationale, transport, énergie...

Ces postes seront indépendants d'un fichier d'experts projetables qui pourraient contenir plusieurs centaines de noms de spécialistes, conformément au vivier préconisé par Roger Fauroux.

Ce cadre d'emploi rassemblerait, en quelque sorte, un corps de « réservistes civils » mobilisables en quelques jours en cas de besoin sans qu'il soit nécessaire de passer par les procédures classiques nécessitant appel d'offres et passage en commission mixte paritaire. L'objectif est de créer une sorte de « Samu diplomatique », ce que les anglo-saxons appelleraient une « task force » polyvalente qui pourrait être déployée de manière rapide et coordonnée. Le cabinet du ministre de la Fonction publique mène actuellement une réflexion sur ce sujet.

Obtenir le détachement ou la mise à disposition d'un fonctionnaire par un ministère représente toujours certaines difficultés. Dans la mesure où un contingent déterminé d'agents serait affecté en surnombre dans ce but, les responsables en ressources humaines des différentes administrations n'auraient plus le pouvoir de retarder ou de refuser le départ en mission de ces personnels. De retour de leur mission, les agents retrouveraient une affectation dans leur ministère d'origine sur leur contingent de postes en surnombre.

On objectera que le caractère d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de l'Agence française de développement est un frein pour les mises à disposition de personnel. Une évolution du statut de l'AFD devra donc intervenir afin de rendre possible ce qui ne l'est pas, éventuellement au travers d'une sous-structure à régime administratif. Pourquoi ce qui est possible avec le DFID ou la GTZ ne le serait pas avec l'AFD ? L'instrument doit être conçu en fonction de la politique que la France entend mener et non l'inverse, ce qui semble plutôt le cas aujourd'hui.

Une telle organisation permettrait par ailleurs à notre pays de mettre à disposition d'organismes internationaux des experts civils issus des ministères compétents ou du secteur privé et de cesser de compter quasi exclusivement sur les réservistes fournis par les armées dont la mission essentielle n'est pas de pallier les carences du secteur civil.

L'agence en charge de la gestion civile des crises et de l'aide au développement serait évidemment tenue de gérer et de « faire vivre » un fichier d'agents publics, mais aussi de civils appartenant au secteur privé, voire encore de jeunes retraités de la même manière que les armées gèrent leurs fichiers de réservistes. La réserve militaire donne à peu près satisfaction ; nous avons également besoin d'une réserve civile.

7. Rendre l'international bénéfique aux carrières des agents publics

Votre rapporteur sait qu'une réflexion a été engagée sur ce sujet au ministère de la Fonction publique. Ce travail doit se poursuivre de manière à rendre les expériences en milieu international bénéfiques aux carrières des agents. Un système de bonification (gains indiciaires, progression d'échelon ?) reste à trouver afin que les agents publics ne soient plus systématiquement pénalisés à leur retour sur le plan de leur carrière comme c'est actuellement le cas.

Poussant plus loin la réflexion, on peut se demander dans quelle mesure un emploi en organisme ou milieu international ne pourrait pas devenir un passage obligé dans une carrière avant d'atteindre les postes à responsabilité, notamment celui de directeur des ressources humaines. Là encore, le ministère de la Défense semble tracer la voie aux civils : désormais, les officiers qui ont les perspectives de carrière les plus prometteuses sont ceux ayant travaillé, d'une part, en interarmées et, d'autre part, en international au sein de l'Otan, de l'OSCE, de l'Union européenne ou dans le cadre de missions onusiennes (SFOR, KFOR...). Pour ceux qui restent dans un cadre strictement français, les perspectives d'avancement se réduisent.

De la même manière, le retour dans leur administration d'origine des expatriés ayant acquis une expérience en milieu international ne doit pas s'organiser en fonction des postes laissés libres par ceux de leurs collègues qui sont restés en France, mais avec le souci de tirer le meilleur profit de leur enrichissement intellectuel.

8. Animer le réseau des Français employés dans des organismes internationaux

Cette proposition s'adresse évidemment davantage au ministère des Affaires étrangères. L'expérience montre que nos compatriotes insérés dans des organismes internationaux sont trop souvent livrés à eux-mêmes. Un recensement, un annuaire, un bulletin de liaison me semblent être des outils minimaux indispensables pour tisser un réseau, pour que nos compatriotes cessent de se considérer oubliés et pour développer, ou au moins conserver, en eux un sentiment de double fidélité, à l'égard de leur employeur mais aussi de la France, comme le font les autres pays.

Votre rapporteur considère qu'il serait nécessaire, afin de les sensibiliser sur l'importance de leur tâche et de leur témoigner le soutien de la Nation qu'ils représentent à l'étranger, de les réunir une fois par an comme cela est déjà le cas pour les ambassadeurs.

9. Valoriser systématiquement l'action de la France

D'une manière générale, l'action menée par nos concitoyens à l'étranger, civils ou militaires, n'est pas suffisamment mise en valeur, surtout en comparaison de la politique d'affichage menée par nos alliés.

Votre rapporteur propose donc la création d'une charte graphique, d'un logo aux couleurs tricolores qui devra être appliqué sur toutes les réalisations civiles ou militaires concourant à la gestion civile des crises et dont l'objet sera de rappeler la contribution humaine et financière de notre nation à la résolution pacifique des crises ou au développement.

10. Encourager la création d'une fondation d'entreprises

Enfin, votre rapporteur ne peut que suggérer, car en ce domaine le pouvoir législatif n'a pas de compétence, aux entreprises de se regrouper et de créer une fondation qui se consacrerait à la coopération et au développement, tout en centralisant les informations relatives à l'activité économique, aux besoins, aux grands programmes d'infrastructures, aux appels d'offres en cours d'élaboration...

Une telle structure fait actuellement défaut à nos entreprises. L'activité internationale du Medef ou de la CGPME est largement insuffisante pour permettre aux sociétés françaises de disposer des informations nécessaires pour investir dans les pays en sortie de crise, alors même que des financements multilatéraux sûrs sont disponibles. La mission Fauroux, vers laquelle le Medef international renvoyait les demandes qu'elle recevait, a pallié en son temps l'indigence des moyens patronaux.

Face à ce manque, certaines parmi les plus grandes entreprises françaises ont créé leur propre fondation. Mais cette possibilité est évidemment fermée aux PME dont les moyens sont par nature limités mais qui ont pourtant leur place dans les pays en sortie de crise et dont on a, malheureusement, pu mesurer l'absence.

L'existence d'une telle fondation permettrait en outre de résoudre les problèmes déontologiques qui se posent aux agents publics dans le cadre de la diffusion de l'information. Il ne s'agirait alors pas d'aider une entreprise plutôt qu'une autre, mais de s'appuyer sur une structure globale, forcément légère, qui aurait ensuite pour mission de transmettre l'information à ses adhérents via des réseaux Internet ou Intranet.

CONCLUSION

Au cours de ma mission d'information, je n'ai entendu dire que des choses positives sur nos armées. Qu'il s'agisse des expertises initiales du COS (remarquables) ou du rôle joué par les ACM dans les Balkans ou en Afrique (irremplaçable). Convenons, et c'est un paradoxe, que la composante de la gestion civile des crises qui fonctionne le mieux est la composante militaire des actions civilo-militaires.

Comme on a pu le constater, il n'en va pas tout à fait de même pour les autres intervenants. Un effort sérieux doit être consenti pour améliorer l'efficacité des autres rouages avec lesquels les ACM forment un mécanisme complet et indissociable. Sur le plan de l'action, une coordination orchestrée au plus haut niveau politique est indispensable. Sur le plan de la continuité, une meilleure synchronisation entre les différents acteurs, militaires puis civils, est nécessaire.

Le capital humain que notre pays affecte à la gestion civile des crises est admirable, plein de ressources, de volonté et d'esprit d'initiative qui font sa richesse. Mais lorsque ces personnels constatent, qu'en l'absence d'outils opérationnels et de coordination dans l'action, les efforts qu'ils ont déployés deviennent inutiles, c'est une énorme frustration qui est créée.

Alors que l'Europe, premier bailleur mondial, commence à se doter d'un dispositif unique et intégré de coopération, de développement, de prévention et de gestion des crises, la France ne semble pas prête à peser sur les débats alors même qu'elle dispose d'une tradition et d'un savoir-faire reconnus en ces domaines. Comme le souligne le Haut conseil de la coopération internationale, « l'adaptation du dispositif français apparaît ainsi comme une question primordiale et urgente ».

Les actions civilo-militaires ne sont pas les « bonnes _uvres » de l'armée française. Elles constituent un outil, d'ailleurs adopté par les armées de nos alliés, performant et désormais indispensable à la gestion civile des crises.

Nous savons qu'à la suite du remarquable travail effectué par la mission conduite par Roger Fauroux dans les Balkans, une réforme a été décidée par le Gouvernement. L'élément essentiel à la réussite d'une telle réforme est évidemment la volonté politique. Il faudrait éviter qu'à la suite des pressions exercées par telle administration qui souhaite réduire la dépense publique ou de l'inertie de telle autre, les objectifs essentiels soient perdus de vue au profit d'un simple replâtrage.

Votre rapporteur est conscient des difficultés qu'une telle réforme ne manquera pas de soulever, notamment en raison des habitudes qu'elle perturbera. Mais il doit souligner, en accord avec la plupart des acteurs rencontrés sur le terrain, que ce sont l'image et l'influence de la France dans le monde qui sont en jeu.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. - AUDITION DE M. ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DÉFENSE

Lors de sa séance du mardi 22 mai 2001, la Commission de la Défense a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les actions civilo-militaires.

M. Robert Gaïa, Président, a rappelé que ce qu'il est convenu d'appeler les « actions civilo-militaires » consiste en actions, de nature civile, accomplies par les forces sur des théâtres extérieurs dans le but de contribuer au rétablissement des fonctions vitales sur le territoire où elles interviennent. Il a souligné l'intérêt de ces actions à la fois pour renforcer le soutien des populations à la présence des militaires français et pour créer les conditions de normalité et de paix qui permettront leur départ. Il a rappelé qu'il avait proposé à la Commission de procéder à un examen approfondi de cette notion d'actions civilo-militaires en raison notamment de l'importance nouvelle qu'elle revêt dans la doctrine d'emploi des forces et des questions complexes qu'elle soulève en matière d'organisation, de financement et de relations entre les autorités civiles et militaires, françaises ou internationales. Il a ajouté que cette forme d'action des forces supposait également leur bonne entente et leur coopération avec les ONG présentes sur leur zone d'intervention. Après avoir rappelé que la Commission l'avait chargé d'établir un rapport d'information sur les différents aspects de l'action civilo-militaire des armées, il a remercié le Ministre de la Défense de son soutien et de celui de son ministère dans l'accomplissement de sa mission.

M. Alain Richard a tout d'abord remarqué que les opérations menées par la France avec ses alliés, en Albanie, en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo constituaient des engagements de nature assez inédite. Dans toutes ces circonstances, l'engagement des forces de mêlée a en effet été de courte durée, laissant la place à des situations de paix armée qui nécessitaient de maintenir sur les théâtres d'opérations des dizaines de milliers de soldats. Dès lors que l'on n'assigne pas aux forces françaises la seule mission de dissuader les parties de recourir à la lutte armée pour résoudre leurs différends, il est logique que ces forces soient conduites, là où elles sont déployées, à contribuer à la reconstruction d'un espace politique, légal et démocratique et à apporter leur soutien aux projets de reconstruction économique et sociale, au côté des agences spécialisées des Nations Unies, de l'Union européenne ou des ONG. La puissance militaire déployée fournit sur place des moyens économiques et logistiques souvent sans comparaison avec ce qui préexistait mais elle permet également de conduire des actions civiles de grande portée politique. Le Ministre a souligné à ce propos que les forces armées n'étaient pas d'abord envoyées sur des théâtres extérieurs pour des tâches humanitaires ou d'aide au développement, leur mission militaire devant rester prioritaire. Il a toutefois fait observer que la combinaison des actions civiles et militaires était destinée à perdurer voire à se développer au cours des interventions auxquelles la France pourrait être amenée à participer dans des cadres de coalition, selon toute vraisemblance transatlantiques ou européens.

Le Ministre de la Défense a alors exposé que les actions civilo-militaires (ACM) dénommées « civil affairs » en anglais, regroupaient toutes les opérations entreprises par les forces engagées sur un théâtre afin de resserrer leurs liens avec leur environnement civil et de faciliter ainsi la réalisation des objectifs politiques assignés. Ces opérations ont pour objet d'offrir une alternative ou des solutions complémentaires, là où les modes d'action militaires sont insuffisants. Soulignant que les ACM remplissaient une fonction opérationnelle à part entière d'appui à l'action des forces armées dans les opérations de rétablissement ou de maintien de la paix, le Ministre a indiqué qu'elles prenaient des formes très diverses, que l'on regroupait habituellement en trois catégories.

La première de ces catégories comprend les opérations menées au profit des forces armées engagées et en particulier de la composante nationale en cas d'intervention d'une coalition. Ces opérations sont conçues pour faciliter l'exécution des missions des forces et leur déploiement avant, pendant et après l'engagement. Elles visent explicitement à modifier en faveur des forces dépêchées sur le terrain un environnement hostile ou incertain, à faciliter l'acceptation de leur présence et à leur gagner un début de soutien des populations. Elles doivent permettre d'établir des relations suivies et raisonnablement confiantes avec les autorités locales, y compris les autorités de fait. Il s'agit alors d'éviter que la seule présence des forces aggrave les tensions et de faciliter par la suite, si nécessaire, la conduite des opérations militaires et leur soutien logistique. L'attitude de bienveillante neutralité adoptée au cours de cette phase est souvent indispensable au succès des missions de rétablissement de la paix dans des espaces politiques « polytraumatisés ». Il s'agit d'une phase délicate qui conditionne les relations à venir des forces avec les populations. Dans ce cas, les ACM concourent directement à la sécurité des forces mais offrent aussi des instruments utiles pour mieux comprendre l'organisation politico-militaire de leur environnement. Les informations recueillies et la confiance accumulée grâce aux ACM permettent de mieux peser les actions de la force et des institutions politiques dépêchées par la communauté internationale. Les ACM offrent également la possibilité d'écarter et de marginaliser plus facilement les fauteurs de trouble. La compréhension de l'environnement qui en découle permet par ailleurs aux autorités françaises de faire valoir la spécificité des diverses zones d'intervention de la présence internationale auprès du commandant central de la force ou du représentant du Secrétaire général des Nations Unies.

Le Ministre a souligné que l'action menée dans cette phase n'était pas de nature « évergétique », à l'instar de la bienveillance des rois hellénistiques mais politique et que, dès lors, il était logique que la France s'expose à des critiques.

Une deuxième catégorie d'ACM regroupe les opérations menées au profit de l'environnement civil. Par l'appui qu'elles apportent à la reconstruction, ces ACM favorisent et accélèrent la renaissance d'un espace social pacifié et concourent à l'objectif final de la communauté internationale et du pays de déploiement de la force. Elles s'inscrivent dans une logique de sortie progressive de crise en favorisant notamment un désengagement par étapes de la composante militaire de l'intervention de la communauté internationale. Elles contribuent à un processus dynamique de transfert de responsabilité en faveur des autorités civiles, locales ou internationales intérimaires. Convenant que les transferts de responsabilité n'étaient jamais aussi rapides qu'on l'avait souhaité et programmé, M. Alain Richard a souligné que le succès de cette phase de réhabilitation, délicate et essentielle, était seul de nature à démontrer que les efforts consentis dans le passé, parfois au prix du sang comme en Bosnie-Herzégovine, n'avaient pas été vains.

Dans cette période de transition, les ACM contribuent largement au rétablissement de l'État de droit et des services publics dans des régions qui souffrent d'une désorganisation administrative profonde. C'est pourquoi elles sont souvent associées à l'action des autres acteurs de la reconstruction comme les organisations internationales, notamment financières, les ONG d'urgence et d'aide au développement, les structures étatiques naissantes ou encore les opérateurs publics et privés. Bien que les forces armées disposent de moyens matériels, logistiques notamment, plus importants que les pays bénéficiaires ou les ONG, elles ne peuvent pas prétendre à un rôle de coordonnateur de l'aide, les ACM, aussi importantes soient-elles, restant modestes. Le Ministre a précisé à cet égard qu'en 2001, 150 militaires, officiers pour 85 % d'entre eux étaient engagés dans des actions civilo-militaires sur les théâtres extérieurs dont 120 au Kosovo. Avec une cinquantaine de millions de francs, ils disposent d'une enveloppe financière bien modeste au regard des besoins.

Le Ministre a alors souligné que les ACM venaient en appui de l'action de coopération civile de la France et de l'Union européenne. Il a cité à ce propos l'exemple des experts en BTP mis à la disposition de l'organisme multinational de reconstruction IMG en 1999 par le ministère de la Défense, à la demande du ministère des Affaires étrangères pour fournir une aide technique au Kosovo. Il a également indiqué que des spécialistes des hydrocarbures ayant pour mission de gérer la consommation énergétique, des techniciens chargés d'aider à la reconstruction des écoles ou encore des surveillants pénitentiaires avaient été détachés dans la province sous statut militaire.

Il a ajouté que, pour assurer un développement durable à des régions sinistrées, il était essentiel de développer l'emploi et la création de richesses sur place. Disposant d'informations sur les besoins du terrain, les personnels de la Défense sont appelés à jouer un rôle d'intermédiation avec les entreprises françaises qui prospectent de « nouveaux marchés ». Le Ministre a cependant considéré que la recherche d'un « retour sur investissement » correspondant à nos engagements militaires serait non seulement déplacée mais dépourvue de fondement économique. L'ambition de la France, à la fois plus mesurée et plus ouverte, est de préparer, dès le moment des premiers secours, la phase ultime du développement d'une économie de marché.

Enfin, le ministre a distingué une troisième catégorie d'ACM, qui englobe les interventions au profit direct des populations en difficulté et les mesures de soutien aux organisations humanitaires. Il a précisé que, dans la conception française, les interventions au profit direct des populations sont conduites à l'initiative du commandement des forces. Quant aux mesures de soutien aux organisations humanitaires, de nature ponctuelle, elles peuvent être prises en application d'un protocole d'accord spécifique ou sur autorisation des autorités gouvernementales. Le ministre a souligné à ce propos que le principe de l'autorisation ou de l'accord préalable avant toute intervention des forces en soutien humanitaire n'excluait jamais l'assistance aux personnes menacées qui constituait la mission fondamentale de la présence militaire internationale à laquelle la France participait.

Rappelant que les opérations d'assistance humanitaire faisaient partie des missions de Petersberg, il a ajouté qu'il pourrait être nécessaire d'en conduire de nouvelles à l'avenir. Il convient donc de développer des capacités d'analyse et de réaction rapide, dans un cadre à la fois national et européen, pour pouvoir répondre aux engagements souscrits par la France et aux contraintes liées à la défense de ses intérêts stratégiques.

Le Ministre de la Défense a alors présenté les différentes actions civilo-militaires menées par les forces françaises dans les Balkans et en Afrique.

Au Kosovo, comme en Bosnie-Herzégovine, devant la carence des structures administratives et sociales constatée à l'arrivée de ses forces, la France a développé une action dite de reconstruction institutionnelle, en concertation avec les ONG et les organisations internationales, afin de permettre le désengagement militaire le plus tôt possible. L'aide fournie par les forces françaises a été multiforme. Une assistance aux réfugiés a été apportée, notamment par la construction de camps en Albanie et en Macédoine. Les forces françaises sont également intervenues dans des domaines aussi essentiels que la santé, l'éducation ou la fourniture d'eau potable. La France participe aujourd'hui à l'aide au développement du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine en améliorant l'information au profit des petites et moyennes entreprises, en formant des personnels qualifiés parmi les populations et en offrant une assistance à la recherche de financements. Enfin, elle contribue à la consolidation des organisations démocratiques en détachant des experts au sein des administrations bosniaques et kosovares.

Le Ministre a alors souligné qu'en Afrique, la situation était différente. Les forces françaises sont stationnées sur le territoire d'États souverains, en application d'accords de coopération militaire dans le cadre d'un engagement de longue durée. L'essentiel de leurs activités relève de l'instruction et de l'entraînement. L'objectif visé par les ACM en Afrique est d'aider des populations défavorisées et d'entretenir, grâce en particulier à cette aide, une bonne perception de la présence des forces françaises. Les ACM conduites en Afrique concernent Djibouti, le Sénégal, le Gabon, la Côte d'Ivoire et le Tchad. Elles sont menées en bonne intelligence avec la représentation diplomatique française. Elles permettent de nouer des relations plus étroites avec les autorités civiles locales et d'influer sur l'image de la France dans les populations au contact de ses forces.

Le Ministre a ajouté qu'un budget spécifique avait été établi pour financer les ACM et que l'Afrique y était placée au même niveau que les autres théâtres. Ce budget propre permet aux commandants des forces de conduire les ACM avec le maximum d'efficacité et de réactivité.

Remarquant que l'analyse des conflits récents, notamment sur les théâtres européens, faisait ressortir que la place des militaires dans les opérations de soutien de la paix les amenait à dépasser très nettement leur rôle institutionnel de « pourvoyeur de sécurité », le Ministre a conclu que cette situation n'était pas sans influer sur la doctrine et l'organisation des forces voire sur l'organisation du ministère de la Défense lui-même. Le recours systématique de la communauté internationale aux moyens dont disposent les forces déployées pour des actions de nature civile leur donne en ce domaine un statut d'acteurs à part entière. Les forces armées sont devenues indispensables au bon déroulement des actions civiles de résolution des crises et de reconstruction, même si leurs missions militaires restent prioritaires.

Le Ministre a alors observé que, ces dernières années, militaires et acteurs non étatiques avaient appris à travailler ensemble, à se connaître et sans doute souvent, à s'apprécier, chacun connaissant mieux dorénavant les forces et faiblesses de l'autre. Plusieurs ONG, comprenant que leur indépendance n'était pas en cause, avaient ainsi accepté de participer à des échanges de vues relatifs à la sécurité organisés en Afrique par le ministère de la Défense. Se félicitant de cette situation, le Ministre a jugé nécessaire d'accroître la coopération de son département avec les institutions internationales et les ONG.

Il a alors souligné que les situations de crise qui requièrent des ACM sont longues et évolutives. Au cours du processus d'évolution de la crise, les aspects civils, que les forces n'ont pas pour mission de traiter durablement, tendent généralement à devenir prédominants.

En conclusion, le Ministre de la Défense a exposé qu'il convenait de veiller à une meilleure coopération interministérielle, notamment entre son ministère, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Économie et des Finances. Il a souligné que le ministère de la Défense avait toujours affirmé que la gestion civilo-militaire des crises nécessitait un dispositif interministériel permanent, comme le montraient les expériences allemandes, américaines et britanniques. Puis il a précisé que, sur la base des propositions du rapport de M. Roger Fauroux et de son expérience à la tête de la mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est, il avait été décidé de créer un dispositif interministériel de gestion des crises internationales dont le secrétariat serait assuré par le SGDN. Le Ministre a ajouté que les fonctions de ce dispositif permanent, qui compléterait les structures existantes mises en _uvre par le ministère des Affaires étrangères et qui serait chargé d'intervenir en soutien des instances décisionnelles existantes, consisteraient à :

- développer une capacité d'alerte ;

- veiller à la coordination horizontale des actions à chaque niveau, de terrain, de théâtre, national ou extérieur ainsi qu'entre les forces et les intervenants civils, publics et privés ;

- favoriser les échanges d'informations entre tous les acteurs, (ministères, mais aussi collectivités territoriales, entreprises, ONG...) ;

- assurer l'information, en temps réel, des responsables militaires sur les priorités interministérielles ;

- promouvoir la présence française dans la phase de reconstruction économique et de rétablissement de l'État de droit.

Le Ministre a alors souligné que la nécessité de la coordination apparaissait également dans d'autres enceintes, comme l'OTAN, qui cherchait, par exemple, à développer une capacité civilo-militaire propre afin d'améliorer son aptitude à peser sur la gestion civile des conflits. Au sein de l'Union européenne, l'articulation entre les instruments politico-militaires et les outils de l'aide au développement représente une question d'importance majeure qui n'a pas encore reçu de réponse précise.

M. Robert Gaïa a souligné qu'il n'avait entendu que des propos élogieux sur le rôle des forces françaises dans le domaine des actions civilo-militaires au cours des entretiens qu'il avait conduits pour la préparation de son rapport d'information.

Après avoir observé que les actions civilo-militaires ne se limitaient pas aux situations d'urgence mais s'inscrivaient dans la durée, il s'est demandé si le rôle des armées était encore de reconstruire des ouvrages d'art en Bosnie-Herzégovine six ans après la fin des hostilités. Constatant que l'intervention d'urgence avait laissé la place à l'aide au développement, il a regretté l'absence d'un relais entre les armées et les ONG ou les organisations internationales.

Puis il a fait ressortir la nature politique de certaines actions civilo-militaires, citant l'exemple de l'aide au retour des réfugiés qui peut aboutir à des modifications de la composition du corps électoral dans des zones sensibles. Il a alors posé les questions suivantes :

- l'absence de relais efficace pour passer de la situation d'urgence à la phase de développement ne conduit-elle pas les militaires à assumer des tâches qui ne devraient pas leur incomber, comme la recherche de financements internationaux en vue de permettre la réalisation d'actions de nature civile ?

- peut-on se satisfaire de l'absence de coordination politique entre les forces qui conduisent les actions civilo-militaires et le ministère des Affaires étrangères ? Cette situation ne favorise-t-elle pas des interventions sans stratégie, décidées au hasard des opportunités ?

- enfin, ne serait-il pas envisageable de demander aux attachés de défense d'établir des relations efficaces entre les postes diplomatiques et les forces ?

Considérant que les actions civilo-militaires s'inscrivaient dans la durée, notamment en raison des carences du secteur productif local, M. Guy-Michel Chauveau a observé qu'il restait difficile d'articuler le soutien macro-économique et l'aide aux projets, de niveau micro-économique, malgré les apports du pacte de stabilité.

Estimant que, lors des événements du Kosovo, les processus décisionnels de l'OTAN n'avaient pas permis à la présidence allemande de l'Union européenne de tirer profit du délai ayant précédé les frappes pour éviter le conflit, il a insisté sur la nécessité de gérer les crises le plus en amont possible. Il a à ce propos mis en exergue les possibilités d'action des ONG dont le rôle préventif constitue une dimension nouvelle de la gestion civile des crises.

M. Guy-Michel Chauveau a également évoqué la question du maintien de l'ordre dans les zones de déploiement des forces de gestion des crises. Il a regretté l'absence d'une force internationale de police rapidement projetable, soulignant que cette lacune conduisait à utiliser les forces terrestres pour des opérations de contrôle de foules souvent proches du simple maintien de l'ordre.

Convenant de l'évident intérêt des actions civilo-militaires dans le processus de stabilisation et de reconstruction d'après crise, M. Jean Briane s'est demandé si l'on ne devait pas envisager l'institution pour ce type d'action d'un cadre commun européen. Il a à ce propos évoqué la possibilité de faire appel à des volontaires européens pour participer aux actions civilo-militaires.

Le Ministre de la Défense a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- l'organisation interministérielle est en train de se mettre en place sur la base du rapport Fauroux. Elle devra se doter des moyens de son fonctionnement dans la durée. L'outil interministériel est encore numériquement faible. Il serait en outre nécessaire de nommer sur place des représentants du Gouvernement à vocation interministérielle, chargés de la coordination des actions civiles de reconstruction et de sortie de crise ;

- dans la mesure où la mission des représentants diplomatiques n'est pas de conduire des actions de reconstruction, la coordination de théâtre devra être pilotée par ces représentants civils interministériels qui devront représenter notamment les ministères des Affaires étrangères, de l'Économie et des Finances et de la Défense ;

- le rôle des attachés de défense est notamment de faire parvenir au Chef d'état-major des armées des informations recueillies sur le terrain. Dans la mesure où les actions civilo-militaires sont temporaires, il est logique qu'elles restent sous la responsabilité du commandant d'opération placé sous le contrôle politique étroit des autorités nationales et intégré dans une chaîne de commandement multinationale ;

- il existe, au niveau européen, une volonté politique solide en faveur des actions civilo-militaires. Le fait que l'Union européenne ait les moyens et la vocation d'accomplir des tâches d'aide au développement et de reconstruction a d'ailleurs contribué à habituer certains pays partenaires de la France à considérer qu'elle pouvait également intervenir dans la gestion militaire des crises. Trois questions restent néanmoins en suspens concernant le rôle de l'Union européenne en matière de gestion des affaires civilo-militaires. Certains pays ont, en premier lieu, tendance à faire de l'aide à la reconstruction et de la gestion civile des crises les domaines privilégiés de la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union en minimisant sa dimension militaire. En deuxième lieu, il est difficile de coordonner des interventions qui sont de nature différente selon qu'elles relèvent du premier pilier, communautaire, comme les actions de reconstruction civile et de coopération économique ou du deuxième pilier, à caractère intergouvernemental. Il est à cet égard prioritaire de mettre en place un processus de décision efficace, qui permette de répondre en temps voulu à des situations de crise telles qu'on a pu les observer dans l'ex-Yougoslavie à la fin de l'année 1998 et au début de l'année suivante. Enfin, l'approche exclusivement européenne et le choix de la dépendance mutuelle acceptée ne sont pas forcément pertinents en toutes circonstances. Un certain nombre de pays européens souhaitent préserver la lisibilité de leur action nationale, ce qui est favorable au maintien d'une certaine compétition, et par là même d'une certaine efficacité. Il peut donc être préférable, dans certains cas, de s'en remettre à des initiatives nationales, pilotées par le pays dont elles émanent mais coordonnées au niveau européen ;

- s'agissant de cette tâche particulière que représente, au sein des actions civilo-militaires, le maintien de l'ordre, deux phases doivent être distinguées : celle de la prise de contrôle du terrain et celle de la reconstruction. En phase de reconstruction et de réorganisation politique, les missions de maintien de l'ordre sont de type classique mais nécessitent la garantie d'une présence de forces terrestres à proximité, comme des événements récents en Bosnie-Herzégovine l'ont montré. Dans ce cas de figure, il convient de déterminer le type de forces auquel il est fait appel : si, en pratique, les tâches de maintien de l'ordre reviennent alors de manière prédominante aux trois principales forces européennes de sécurité publique à statut militaire - les carabinieri italiens, la guardia civil espagnole et la Gendarmerie française -, des forces civiles de police ont également vocation à les assurer, le problème étant alors de disposer d'éléments déployables. Afin que les quinze membres de l'Union européenne contribuent de manière équilibrée au déploiement de forces de maintien de l'ordre, il a été décidé à Feira, au printemps 2000, de créer une force européenne de police de 5 000 hommes, dont 1 000 immédiatement déployables. La réalisation de cet objectif apparaît indispensable, notamment au regard des difficultés à assurer les tâches de police judiciaire en opérations extérieures, comme le montre l'exemple du Kosovo. Dans la phase de prise de contrôle d'un territoire en crise, en amont du processus de reconstruction, c'est en revanche aux forces terrestres que revient la tâche du maintien de l'ordre. Cette tâche prend alors la forme de ce qu'on appelle le contrôle de foules, dans une situation où des incidents et des désordres peuvent rapidement dégénérer en affrontements graves, en raison de la présence d'ex-combattants et d'éléments armés au sein de la population. Les forces ont dû s'accoutumer à cette nouvelle mission qui n'a pas remis en cause la spécificité des tâches respectives de l'armée de Terre et de la Gendarmerie. De relève en relève ont pu être rodées la répartition des rôles entre ces deux armées ainsi que la préparation de l'armée de Terre, simplifiée et durcie par rapport à celle des gendarmes mobiles. La mission de contrôle de foules restera néanmoins marginale pour les forces terrestres, la norme étant le recours à la Gendarmerie pour assurer le maintien de l'ordre et fournir l'assistance technique nécessaire à la mise en place d'une force de sécurité locale ;

- dans les premiers temps de la reconstruction, lorsqu'elles ont à conduire des actions civilo-militaires, les forces font souvent face, au niveau local, à une absence d'autorité légale. Il importe alors d'éviter de consolider certaines autorités de fait même si, dans certains cas, les forces se trouvent dans la nécessité d'accepter comme interlocuteurs des hiérarchies pré-démocratiques.

M. Robert Poujade a fait ressortir certains des avantages qui résultaient de l'élargissement des missions des armées aux actions civilo-militaires, dans des situations où il ne s'agissait plus d'obligations résultant de données circonstancielles mais d'interventions durables. A cet égard, il a mentionné l'acquisition par les armées d'une plus grande polyvalence, l'élargissement de la gamme de leurs capacités techniques ainsi qu'une amélioration de la perception des militaires, dont l'intervention revêt une dimension morale, en raison notamment de leurs nouvelles aptitudes à la médiation. Cette évolution lui a paru conduire, dans une certaine mesure, à la naissance d'un nouveau type d'armée. Il a ajouté que la forme nouvelle d'engagement que représentaient les actions civilo-militaires était profitable à l'image internationale des forces françaises et qu'elle tranchait avec certaines impressions laissées par des débats douloureux au plan national. M. Robert Poujade a toutefois évoqué les risques d'une moindre disponibilité des forces pour l'entraînement à vocation opérationnelle ainsi que les coûts entraînés par cette forme d'emploi. Evoquant les sujétions qui pouvaient être imposées aux forces par les organisations internationales, il a exprimé la crainte qu'elles débouchent sur une dilution de la fonction militaire. Il a ensuite interrogé le Ministre, d'une part sur la difficulté d'assumer des tâches de police judiciaire en pays étranger, au risque de passer aux yeux des populations pour une troupe d'occupation et d'autre part, sur les réactions des unités de l'armée de Terre appelées à se former, notamment au centre de Saint-Astier, à des tâches de maintien de l'ordre, dont il a observé qu'elles incombaient depuis longtemps déjà à certaines forces parachutistes britanniques.

M. Alain Richard, tout en reconnaissant l'existence de certains risques de démotivation, notamment lorsque les missions de nature civile revêtent un caractère durable, a mis en exergue l'impact positif de la dimension morale des actions civilo-militaires sur l'état d'esprit des militaires qui y participent.

Le Ministre a ensuite souligné que le partage des tâches entre les autorités civiles et militaires avait pu être organisé dans le cadre de dispositifs bien établis, comme au Kosovo où le commandant de la KFOR remplissait des missions déterminées au profit de la mission des Nations Unies (MINUK). Puis, s'agissant des activités de police judiciaire dont il a rappelé qu'elles incombaient aux forces de police sous l'autorité de la présence internationale civile, il a fait état de la nécessité de leur coordination à l'échelle du territoire concerné. Il a également mentionné la question de la coopération entre autorités civiles et militaires en ce domaine. Enfin, il a évoqué la difficulté des tâches de contrôle de foules qui risquaient, dans certaines circonstances, de déboucher sur des combats en milieu urbain.

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II. - AUDITION DE M. BERNARD KOUCHNER, MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA SANTÉ, ANCIEN REPRÉSENTANT SPÉCIAL DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES AU KOSOVO

Lors de sa séance du mercredi 23 mai 2001, la Commission a entendu M. Bernard Kouchner, Ministre délégué à la Santé, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo sur les actions civilo-militaires.

Le Président Paul Quilès a remercié M. Bernard Kouchner d'être venu présenter à la Commission les enseignements qu'il a tirés de l'action civile des forces armées et en particulier des forces françaises dans la province où il a dirigé avec succès la reconstruction d'une société et d'une administration dans des conditions très difficiles.

M. Bernard Kouchner a relevé l'évolution spectaculaire de l'état d'esprit des forces armées françaises à l'égard de l'action des organisations internationales et souligné l'amélioration de leur préparation aux missions exercées dans ce cadre, se félicitant de leur rôle éminent en matière de respect des droits de l'homme. Il a noté que les forces armées, notamment le Génie, étaient non seulement préparées aux coopérations avec le monde civil, mais plus encore, les demandaient.

Il a, par ailleurs, souligné la très grande difficulté du dispositif français d'intervention humanitaire à recruter des civils, en dépit d'une demande très forte de leur part, évoquant le retard de notre pays en ce domaine, notamment en comparaison avec les instruments d'aide d'urgence britannique, allemand et italien. Il a estimé que cette faiblesse était d'autant plus regrettable qu'à titre individuel, les volontaires civils français sont très bien formés et très compétents.

Il a ensuite noté la très forte réticence des organisations non gouvernementales (ONG) à l'égard des actions civilo-militaires et, après avoir rappelé la part qu'il avait prise à la création de plusieurs d'entre elles, il a condamné cette attitude, faisant observer qu'elle était le fruit de luttes de pouvoir somme toute classiques. Il a cité plusieurs exemples de l'incompréhension de la notion d'actions civilo-militaires par les ONG, mentionnant leur réticence à voir les forces armées prendre en charge le dépannage des véhicules affectés à l'aide humanitaire, assurer le transport des blessés par ambulance ou encore participer à la reconstruction des logements. Il a alors jugé nécessaire que les ONG, dont certaines continuent de considérer que les militaires font le mal quand elles-mêmes font le bien, soient mieux informées de la réalité et de l'intérêt des actions civilo-militaires.

Il a ensuite relevé l'insuffisante rapidité des procédures françaises d'aide humanitaire, regrettant les lenteurs auxquelles il s'était efforcé de remédier lors de la création de la cellule d'urgence du ministère des Affaires étrangères. Il a jugé regrettable que l'intégration des services de la Coopération au sein du ministère des Affaires étrangères, loin de se traduire par une accélération des mécanismes d'intervention, ait conduit au contraire à une lenteur accrue. Il a estimé que les procédures d'appel d'offre notamment, qui s'étalent sur plusieurs mois, étaient incompatibles avec la notion même d'urgence. Il a fait référence par contraste à la rapidité d'action du DFID britannique. Il a cité à cet égard la souplesse de son organisation qui lui permettait de recruter sur des contrats de trois semaines ou un mois des avocats ou des économistes et évoqué la valeur accordée à ce type d'expériences internationales dans la mentalité britannique. De même, les Italiens ont été capables de dépêcher très rapidement des équipes d'assistance technique pour réparer et faire fonctionner les chemins de fer kosovars. M. Bernard Kouchner a alors considéré que les obstacles mis au déroulement rapide des opérations d'aide humanitaire par les procédures françaises suscitaient le découragement. Il a regretté la difficulté pour un volontaire de quitter la France, mais également les handicaps qu'il subit à son retour, l'expérience internationale n'étant pas valorisée, mais pouvant au contraire avoir pour effet de ralentir la carrière des personnes intéressées.

Il a souligné en conclusion que la France disposait, pour l'aide humanitaire, d'un potentiel important et qu'elle ne manquait ni de volontaires ni de projets. Des solutions de nature juridique et institutionnelle doivent donc être trouvées pour mieux utiliser ce potentiel.

Le Président Paul Quilès a demandé à M. Bernard Kouchner si un bilan de la contribution des armées à la reconstruction du Kosovo pouvait être établi. Il l'a également interrogé sur le rôle des militaires dans le maintien de l'ordre, faisant remarquer que la doctrine n'était pas totalement clarifiée sur ce point.

Soulignant la difficulté d'établir des bilans précis dans une région ravagée comme l'était le Kosovo, M. Bernard Kouchner a rappelé que la reconstruction n'était pas du ressort des armées mais d'organisations internationales comme le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) ou des ONG. Pour autant, rien n'aurait été possible sans le concours actif des armées pour rouvrir les voies de communication, dégager les routes ou reconstruire les ponts. 120 000 maisons détruites ou endommagées devaient faire l'objet de travaux. Pratiquement toutes celles qui n'étaient qu'endommagées ont été réparées dès avant l'hiver 1999-2000 tandis que celles qui exigeaient des opérations plus lourdes ont été reconstruites ultérieurement.

Le maintien de l'ordre ne fait pas partie en principe des missions des forces armées. Mais devant l'ampleur des besoins et en l'absence de toute force de police civile au cours des premiers mois, rien n'aurait été possible sans le recours aux armées. Ce serait toutefois une erreur de confier, de manière durable, des actions telles que les opérations d'investigation et d'arrestation aux forces armées.

Au bout de quelques mois, une force de police internationale où étaient représentées plus de cinquante nationalités a pu être déployée au Kosovo dans le cadre de la MINUK. Ces policiers internationaux ont eu la responsabilité du maintien de l'ordre mais aussi de la recherche et de l'arrestation des auteurs de crimes ou autres infractions. Leur action a été difficile à organiser mais elle a permis une réduction très sensible de l'insécurité et en particulier du nombre de meurtres, passé d'une moyenne hebdomadaire de 50 en 1999 à 3 début 2001. Parallèlement, près de 3 000 policiers kosovars ont été formés, l'objectif étant de parvenir à un effectif de 6 000 policiers recrutés localement pour l'ensemble de la province. L'accent a donc été mis sur la formation et l'entraînement d'une force de police locale.

M. Bernard Kouchner a alors souligné l'importance des règles d'engagement pour la contribution que les forces armées pouvaient apporter à la sécurité publique, regrettant que certains contingents nationaux aient eu pour consigne d'éviter tout affrontement. Il a enfin relevé les difficultés de coordination entre les services de renseignement et la mauvaise qualité des relations entre la force de police civile de la MINUK et la KFOR.

M. Robert Gaïa a interrogé M. Bernard Kouchner sur la perception qu'il avait eue, lorsqu'il était représentant du Secrétaire général de l'ONU au Kosovo, de la coordination des actions menées par les différents ministères ou organismes français. Il a souligné que la France ne possédait pas d'outil opérationnel efficace pour l'aide humanitaire, au contraire du Royaume-Uni, des États-Unis ou de l'Allemagne qui disposent, avec le DFID, l'USAID ou le GTZ, d'agences ou d'administrations réactives. Il a alors émis l'idée de confier à l'Agence française de développement (AFD) une mission d'intervention humanitaire en la dotant d'un vivier d'experts civils projetables rapidement et en lui permettant de débloquer des crédits d'urgence, tout en maintenant ses fonctions d'établissement financier.

Il a regretté que le seul cadre d'emploi satisfaisant pour les ressortissants français désireux de remplir à l'étranger des missions d'aide humanitaire en période de crise soit celui de la réserve militaire. Puis il a déploré les obstacles trop souvent opposés aux fonctionnaires volontaires pour ces tâches, soulignant que les armées étaient dès lors contraintes de pourvoir des postes qui auraient vocation à être occupés par des experts civils, au sein des organisations internationales par exemple.

M. Robert Gaïa a alors suggéré de créer une « réserve civile » de quelques dizaines voire d'une centaine de postes de fonctionnaires spécialisés, projetables rapidement et sans conséquences négatives sur leur carrière.

Enfin, il a demandé si on devait rejeter a priori l'idée d'obtenir un certain retour économique sur les sommes considérables dépensées dans le cadre de la gestion des crises.

M. Bernard Kouchner a rappelé qu'au Kosovo, l'action militaire de la France avait beaucoup compté, non seulement lors des frappes, mais ensuite lors du contrôle du terrain. Le contingent français était non seulement l'un des plus importants, mais aussi, avec le contingent britannique, celui qui a eu la mission la plus difficile et dont l'action a été la mieux reconnue, y compris par les Albanais malgré une réputation de sympathie pour les Serbes.

S'agissant de la mission dirigée par M. Roger Fauroux dont il a salué la qualité du travail, M. Bernard Kouchner a jugé qu'elle avait eu le plus grand mal à faire aboutir ses actions et projets. Il a plus généralement estimé que la coordination interministérielle des actions françaises d'aide à la reconstruction demeurait faible.

Il a également considéré que les instruments français d'action d'urgence avaient perdu en réactivité, soulignant, à cet égard, la nécessité d'accélérer les procédures de passation des marchés.

Il a par ailleurs estimé que le dispositif de mise à disposition d'experts méritait d'être assoupli. La constitution d'une réserve permanente, militaire ou civile, permettant de déployer à brefs délais un noyau de responsables administratifs, judiciaires ou policiers susceptibles de prendre en main une situation d'urgence aurait notamment pour effet de renforcer la place de la France dans les opérations de gestion de territoires en crise. Des garanties devraient être aménagées pour que les fonctionnaires et non-fonctionnaires ainsi déployés ne risquent pas, dans les faits, de pâtir à leur retour des missions ainsi acceptées.

Mme Michèle Rivasi a regretté que la France ne dispose pas d'outils adaptés aux actions d'urgence, relevant sur ce point l'inertie dont pouvaient souffrir les interventions d'aide humanitaire françaises, notamment celles de l'Agence française de développement. Elle a souligné l'impact favorable des interventions à vocation humanitaire sur la promotion de la francophonie, par ailleurs considérée comme priorité de l'action extérieure de la France. Après avoir évoqué les travaux de la mission d'information de la Commission sur les opérations conduites dans le Golfe, Mme Rivasi a interrogé M. Bernard Kouchner sur l'information donnée aux militaires comme aux personnels civils intervenant au Kosovo sur leur éventuelle exposition à des pollutions chimiques et à l'uranium appauvri.

M. Bernard Kouchner s'est déclaré partisan d'une transparence absolue en ce domaine mais a toutefois reconnu la permanence inévitable de certains dangers dans des opérations d'urgence, soulignant qu'en tout état de cause une société sans risque à laquelle semblaient aspirer certains milieux était une société morte. Il a convenu que l'information concernant les risques de pollution industrielle à Mitrovica avait pu être insuffisante au début des opérations, tout en rappelant que, pour les militaires français, un suivi médical avait été ultérieurement organisé. Il a observé que la situation de ces derniers demeurait moins préoccupante que celle de la population civile locale, qui comptait, parmi les seuls travailleurs du complexe industriel de Trepca, 190 cas graves de saturnisme auxquels les autorités serbes n'avaient manifestement pas consacré l'attention nécessaire.

Pour ce qui concerne une éventuelle exposition à l'uranium appauvri, il a indiqué avoir immédiatement fait procéder à des relevés de radioactivité afin de les comparer à ceux qui avaient été effectués par les militaires, en précisant qu'il avait initialement envisagé de faire appel à l'organisation Greenpeace et, qu'en définitive, devant les préventions exprimées par certains milieux, cette tâche était revenue aux Amis de la Terre qui s'en étaient acquitté de façon satisfaisante.

Après avoir évoqué les résultats rassurants des études déjà réalisées sur ce point et souligné que les recherches se poursuivaient tant du côté des autorités militaires que civiles, il a ajouté qu'il avait été constaté un nombre de leucémies plutôt inférieur aux moyennes généralement observées, ce qui corroborait les conclusions de l'étude conduite par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE).

Plus généralement, M. Bernard Kouchner a insisté sur la nécessité de développer une culture de l'urgence humanitaire qui n'était pas celle de la diplomatie classique, en regrettant la disparition des mécanismes de la cellule d'urgence qu'il avait contribué à créer au ministère des Affaires étrangères et qui avaient permis à des personnels immédiatement opérationnels de partir pour les zones de crises avec le matériel indispensable à leur intervention. M. Bernard Kouchner a alors insisté sur la nécessité de bâtir en France un « service d'urgence humanitaire » doté de moyens politiques, diplomatiques, juridiques et matériels spécifiques et capable de mobiliser rapidement une réserve de personnels formés et disponibles pour faire face à des situations d'urgence.

Concernant l'action de l'Union européenne, il a fait remarquer que la Commission ne se caractérisait pas par une culture de l'urgence, à l'exception toutefois des actions lancées sous l'impulsion de Mme Emma Bonnino, alors commissaire européenne chargée de l'aide humanitaire, qui permettent le déblocage de fonds communautaires au titre de la procédure Echo.

Il a enfin déploré l'absence en France d'un dispositif de préparation aux départs à destination des zones d'intervention humanitaire, en soulignant que, malgré l'avance dont notre pays disposait initialement en ce domaine, l'Allemagne disposait désormais de structures mieux adaptées.

III. - EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa séance du mercredi 20 juin 2001, la Commission a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Robert Gaïa sur l'action civile des armées sur les théâtres extérieurs (action civilo-militaire).

Le Président Paul Quilès a tout d'abord souligné le caractère approfondi, détaillé et vivant du travail accompli par le rapporteur.

M. Robert Gaïa a observé qu'avec la multiplication des conflits régionaux dans lesquels intervient la communauté internationale, les mandats de l'ONU ne se limitent plus à assurer le déploiement de forces d'interposition mais conjuguent désormais activités civiles et militaires : au-delà de la paix civile qu'il convient de faire respecter, il s'agit aussi de rétablir l'État de droit, de soutenir voire de former des administrations civiles, ou encore d'organiser des élections. Les opérations de paix, devenues pluridisciplinaires, nécessitent l'intervention de multiples acteurs, civils et militaires.

C'est dans ce contexte que le ministère de la Défense mène des actions civiles destinées à faciliter l'intégration des forces dans leur environnement. Ces actions, dites « civilo-militaires », complètent l'action militaire et diplomatique des États sur le théâtre d'opération et permettent d'éviter qu'une armée accueillie avec des fleurs par les populations qu'elle est venue protéger ne se transforme, au fil des mois et des années, en une armée d'occupation.

Mais les actions civilo-militaires ne constituent qu'un des outils de la gestion civile des crises, qui englobe également d'autres formes de l'action extérieure de la France, de sa diplomatie et de sa politique de coopération.

M. Robert Gaïa a ensuite présenté la directive du 11 juillet 1997 de l'État-major des Armées qui classe les actions civilo-militaires (ACM) en trois catégories : celles au profit des forces, celles au profit de l'environnement et celles à caractère humanitaire.

La première catégorie recouvre le champ des relations avec les autorités civiles : il s'agit notamment de déterminer et de négocier les implantations, de gérer les contentieux éventuels, de contrôler les sources d'approvisionnement. Ces actions participent au renforcement de la sécurité des unités en usant de solutions alternatives à l'emploi de la force et évitent ainsi de donner l'image d'une armée d'occupation.

La deuxième catégorie d'action civilo-militaire porte sur les domaines les plus variés de la reconstruction et concerne, par exemple, la restauration d'établissements scolaires ou hospitaliers. Ces actions ont principalement pour but de contribuer au rétablissement des fonctions vitales d'un pays sinistré en vue du désengagement progressif de la composante militaire et du transfert des responsabilités vers les autorités civiles.

Enfin, la troisième catégorie d'ACM revêt un caractère humanitaire. L'objectif de ces actions est essentiellement de contribuer à sécuriser l'environnement tout en laissant les Organisations non gouvernementales et les agences de l'ONU accomplir les tâches humanitaires dont elles sont les principales responsables.

M. Robert Gaïa a noté que toutes les armées occidentales menaient des actions similaires, dès lors qu'elles participaient à des actions de maintien ou de rétablissement de la paix à l'étranger.

Sur le plan concret, c'est évidemment en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo que ces actions prennent les formes les plus achevées. Mais les armées mènent également des ACM dans les pays d'Afrique où la France entretient des forces prépositionnées. Il s'agit alors de faire en sorte que les forces françaises, installées pour une longue durée en vertu d'accords bilatéraux, continuent d'être acceptées par les populations locales.

Les montants des crédits militaires consacrés aux ACM proprement dites en Afrique sont très faibles : 1,2 million de francs en 2000, 1,5 million en 2001, soit une moyenne de 200 000 à 300 000 francs par pays. Mais ces petites sommes peuvent être abondées, au cas par cas, par des crédits de l'Union européenne ou d'autres organismes internationaux ou par du mécénat. On reste néanmoins dans l'ordre du microprojet : réfection d'une école, restauration d'un dispensaire de brousse ou d'un château d'eau, par exemple.

Après avoir jugé plutôt satisfaisantes les actions civilo-militaires menées par les armées, M. Robert Gaïa a estimé que l'articulation entre ces actions et la politique extérieure globale de la France apparaissait déficiente.

Il a souligné qu'il manquait à la France des instruments opérationnels pour la gestion civile des crises et en particulier une agence comme la GTZ allemande, le DFID britannique ou l'USAID américaine. Cette situation crée des difficultés pour le financement des actions, chaque intervenant devant rechercher lui-même les ressources disponibles au lieu de s'adresser à un guichet unique. Le rapporteur a en particulier considéré que ce n'était pas le rôle des officiers projetés au Kosovo de s'investir dans de telles démarches.

Il a également fait valoir que l'absence d'agence opérationnelle d'intervention privait nos compatriotes expatriés d'un cadre d'emploi souple et protecteur et les laissait trop souvent dans des situations administratives extravagantes.

Il a également critiqué les lourdeurs de l'administration du ministère des Affaires étrangères, dont il a jugé qu'elle n'était pas suffisamment opérationnelle. Il a évoqué des exemples d'agents confrontés, au cours de leurs périlleuses missions au Kosovo, à des difficultés administratives qu'il a jugées inadmissibles.

Evoquant la réforme des services de la Coopération, intégrés en 1998 au sein du ministère des Affaires étrangères, il a considéré que la rencontre entre les cultures administratives des deux ensembles avait la capacité potentielle de faire du puissant appareil ainsi créé un formidable outil d'action, à condition que l'aspect opérationnel introduit au Quai d'Orsay resurgisse de manière à permettre un usage complet de la vaste panoplie d'outils, désormais disponible pour l'action extérieure de la France.

Le rapporteur a également mis l'accent sur le manque de coordination politique dont souffre à ses yeux l'action extérieure de la France, soulignant en particulier l'absence de toute stratégie d'insertion des agents français dans les organismes internationaux et faisant remarquer que les généraux français en poste dans les Balkans ne disposaient pas, à l'inverse de leurs homologues étrangers, de conseillers politiques, en dépit de la nature, elle-même éminemment politique, de leurs fonctions.

Il a par ailleurs regretté l'absence de continuité dans l'action française. Si les armées interviennent généralement en premier, dans l'urgence, le relais n'est pas pris suffisamment vite par les professionnels de l'humanitaire, de la reconstruction et de la coopération. Il a cité à ce propos l'exemple du contrôle de l'espace aérien de la Bosnie-Herzégovine confié depuis neuf ans à l'armée de l'Air française.

Dans le domaine des ressources humaines, il a considéré que la gestion civile des crises pâtissait d'une absence de stratégie globale de l'influence, évoquant les modalités du choix des fonctionnaires affectés à des postes internationaux, ainsi que la pénalisation subie par ces agents dans le déroulement de leur carrière.

Il a ensuite regretté l'absence d'une véritable animation du réseau des Français de l'étranger, qu'il a jugée préjudiciable au développement d'un sentiment de double fidélité. Il a également évoqué les déficiences du réseau d'alerte sur les crises, l'absence d'un lieu de croisement et d'analyse contradictoire des informations en provenance du terrain ainsi que le manque de lisibilité de l'action de la France, dû notamment à l'absence de comptabilisation spécifique et rigoureuse des moyens.

Abordant la question de l'influence économique, il a souligné que si la France intervenait sur des théâtres extérieurs, c'était évidemment avant tout au nom de valeurs démocratiques et humanistes, pour contribuer à faire cesser des combats et à ramener la paix civile. Toutefois, il a considéré qu'il n'y avait rien de choquant à vouloir, une fois la paix revenue, participer à la compétition économique dans des pays où sont intervenus et sont parfois morts nos soldats. L'intervention économique étant aussi un élément fondamental de la sortie de crise, inciter des entreprises à s'installer sur un marché contribue à la création des conditions permettant aux populations locales de se procurer les biens et les services nécessaires à une vie normale.

M. Robert Gaïa s'est alors interrogé sur le rôle dissuasif joué par la DREE et par certains diplomates à l'égard des investissements dans les pays en sortie de crise. La DREE semble considérer, par exemple, que le marché de la Bosnie-Herzégovine, trop petit, n'est pas susceptible d'intéresser les investisseurs, ce qui est démenti par les faits et par la présence de nombreuses entreprises étrangères.

M. Robert Gaïa a alors souligné à quel point les ACM subissaient le contrecoup des faiblesses de la gestion civile des crises.

Il a estimé que l'absence de coordination contraignait les officiers à prendre des initiatives risquées qui devraient être du ressort de la diplomatie. Les armées se trouvent seules à décider s'il faut mener des ACM sur l'ensemble du Kosovo pour y manifester la présence française ou concentrer les efforts là où la France déploie des troupes. De même les armées sont confrontées à Djibouti au choix entre une action civilo-militaire réservée au secteur Issa, comme semble le souhaiter le gouvernement local, ou étendue à des zones habitées par les Afars.

Le rapporteur a alors fait remarquer que l'absence de gestion des expatriés français au sein des organismes internationaux conduisait les armées à y insérer leurs officiers afin que certains postes considérés comme essentiels n'échappent pas à notre pays. Mais ces personnels font ensuite défaut aux armées dont le rôle n'est pas de pallier les insuffisances des administrations civiles.

L'absence d'un cadre d'emploi pour les personnels civils a pour conséquence de faire de la réserve le seul statut opérationnel pour les expatriés. Ce qui conduit les administrations civiles à se reposer sur les armées pour l'envoi du personnel nécessaire.

L'absence d'intelligence économique et d'implication des postes diplomatiques contraint par ailleurs les armées à aller aux limites de leur rôle. C'est ainsi qu'en 1996, la Chambre de commerce et d'industrie franco-bosnienne a dû être créée et financée par le ministère de la Défense, la DREE ne manifestant pas d'intérêt pour ce projet.

M. Robert Gaïa a alors présenté à la Commission dix mesures destinées à rendre les procédures de gestion civile des crises plus démocratiques et plus efficaces.

Il a proposé que les crédits affectés aux ACM soient inscrits sur une ligne budgétaire clairement définie et identifiée en loi de finances initiale et ne fassent plus, comme pour les opérations extérieures, l'objet d'une simple régularisation en loi de finances rectificative.

Il a demandé qu'une mission de pilotage interministérielle soit mise en place de manière à coordonner l'action des principaux ministères concernés par la gestion civile des crises, suggérant que le SGDN assure le secrétariat de cette structure.

Il a jugé nécessaire de situer au plus haut niveau, c'est-à-dire au niveau du directeur du cabinet du Premier ministre, la responsabilité de la gestion civile des crises.

Il a demandé que les interventions de gestion civile des crises soient confiées à une agence opérationnelle dotée d'un budget conséquent, sur le modèle du DFID britannique ou de la GTZ allemande, suggérant que l'Agence française pour le développement (AFD) assume ce rôle. Il a toutefois relevé que l'exercice de cette nouvelle mission nécessiterait une évolution des habitudes de travail de l'Agence et éventuellement de son statut.

Il a jugé indispensable de donner aux instruments de la coopération autant de flexibilité dans les pays en sortie de crise que dans les pays de la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP), proposant d'abonder, le cas échéant, le fonds de solidarité prioritaire afin de ne pas pénaliser les pays qui bénéficient actuellement de ses interventions.

Il a préconisé la création d'un cadre d'emploi souple pour les expatriés, de manière à constituer une « réserve civile » de quelques dizaines de postes (magistrats, greffiers, policiers, médecins, directeurs d'hôpitaux, administrateurs territoriaux...) qui seraient affectés en surnombre auprès des ministères concernés en temps normal mais rapidement mobilisables en période de crise.

Il a demandé que l'expérience internationale améliore la carrière des agents concernés, se demandant s'il ne fallait pas envisager qu'une affectation dans un organisme international devienne un passage obligé pour l'accès à des postes de haute responsabilité.

Il a proposé d'animer le réseau des Français employés dans les organismes internationaux en les recensant, en publiant un annuaire, un bulletin de liaison ou en les réunissant une fois par an.

Afin de valoriser l'action de la France, il a recommandé la création d'une charte graphique ou d'un logo systématiquement exposé sur toutes les réalisations civiles ou militaires concourant à la gestion civile des crises.

Il a enfin suggéré la création d'une fondation d'entreprises capable de prendre le relais des acteurs publics de la gestion civile des crises. Faisant valoir que seules les plus grandes entreprises ont accès aux marchés des zones en sortie de crise, il a souligné que cette structure permettrait également aux PME d'y trouver leur place.

Reconnaissant les difficultés que ses propositions ne manqueront pas de soulever, M. Robert Gaïa a fait valoir que l'image et l'influence de la France dans le monde étaient en jeu dans l'amélioration de la gestion civile des crises.

Le Président Paul Quilès a tenu à rendre hommage au travail du rapporteur sur un sujet difficile, abordé pour la première fois par le Parlement. Après avoir estimé que le Parlement était l'institution la plus appropriée pour examiner cette question, il a souligné son actualité, rappelant que les actions que les forces auront à conduire dans l'avenir se dérouleront principalement dans des situations de projection et de sortie de crise.

Il a fait observer que le rapport avait le mérite de rappeler qu'il ne fallait être, en tout état de cause, ni naïf devant les réalités internationales, ni inefficace en raison de pratiques bureaucratiques conçues pour des périodes de normalité.

M. Robert Gaïa a souligné que le rôle civil dévolu aux armées devait à l'évidence être limité dans le temps et restreint à l'accomplissement de certaines actions d'urgence, les entreprises devant impérativement relayer leur intervention et assurer le passage à une vie économique normale.

M. René Galy-Dejean a salué la qualité des observations présentées suggérant que le rapport soit personnellement adressé au général Valentin qui prendra le commandement de la KFOR au mois de septembre prochain, il a estimé que ce dernier pourrait sans doute faire un usage utile de ses observations et recommandations.

Le Président Paul Quilès a considéré qu'il fallait, pour répondre aux questions soulevées par le rapport, mettre en _uvre des solutions aisément praticables et rompant avec des modes de fonctionnement largement inadaptés.

M. Michel Voisin, après s'être associé aux conclusions du rapporteur, a fait état de la difficulté à trouver des réservistes disposant des qualifications nécessaires pour les envoyer immédiatement dans une zone en crise.

M. Robert Gaïa a souligné que la difficulté la plus sérieuse concernait les missions d'une durée supérieure à quatre mois. Il a par ailleurs insisté sur les leçons tirées par l'État-major des Armées de l'expérience des forces en Bosnie-Herzégovine en indiquant que le concept d'ACM était désormais développé dans la totalité des enseignements militaires et que, de plus, une école spéciale allait être créée sur ce thème à Lyon.

M. Michel Voisin a également mis en doute l'adéquation des rémunérations offertes à des réservistes, le plus souvent très compétents, pour le temps de leur mise à disposition des armées.

La Commission a alors décidé à l'unanimité d'autoriser, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information de M. Robert Gaïa sur l'action civile des armées sur les théâtres extérieurs (action civilo-militaire).

ANNEXES

1. LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES

1. Mme Thérèse Pujolle, conseiller technique auprès du ministre délégué à la coopération et à la francophonie (23 janvier 2001).

2. Le Général de corps d'armée Gérard Marcille, conseiller du gouvernement pour la défense (24 janvier 2001).

3. M. Christian Lechervy, conseiller du ministre de la défense, chargé des affaires internationales (24 janvier 2001).

4. Général de corps d'armée Bernard Thorette, chef du cabinet militaire du ministre de la défense (30 janvier 2001).

5. Mme Cécile Sportis, membre de la Mission pour l'Europe du Sud-Est (MIESE) (30 janvier 2001).

6. M. Roger Fauroux, président de la Mission pour l'Europe du Sud-Est (MIESE) (31 janvier 2001).

7. Commandant William C. Butcher, chef du bureau des opérations du 96th civil affairs bat. de Fort Bragg, spécialiste des ACM américaines menées au Moyen Orient (13 février 2001).

8. M. Alain Leroy, coordonnateur du Pacte de stabilité pour l'Europe du sud-est, ancien représentant de l'ONU pour la région de Pecs, au Kosovo (13 février 2001).

9. M. Frédéric Tiberghien, président de la commission « Gestion, prévention des crises et coopération » du Haut Conseil de la Coopération internationale (13 février 2001).

10. M. Harold Valentin, conseiller technique au cabinet du ministre des affaires étrangères (22 février 2001).

11. M. Georges Serre, membre du cabinet du ministre des Affaires étrangères (22 février 2001).

12. Le Général de Courtivron, représentant du ministre de la défense auprès de la Mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est (MIESE) (5 mars 2001).

13. Le Général Gaviar, le lieutenant-colonel Ribierre et le lieutenant-colonel Chauvancy, de l'État-major des Armées (5 mars 2001).

14. Le Général Thomann, représentant militaire de la France auprès du commandant de la KFOR en 1999 (5 mars 2001).

15. M. Eric Chevallier, ancien directeur de cabinet de Bernard Kouchner Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU au Kosovo (6 mars 2001).

16. M. Jean-Pierre Thebault, conseiller diplomatique du ministre de la fonction publique (20 mars 2001).

17. M. Jean-Louis Machuron, ancien coordinateur de l'action humanitaire française en Albanie puis au Kosovo de février 1999 à mai 2000, cofondateur de Pharmaciens sans frontières (20 mars 2001).

18. M. Jean-Claude Mallet, secrétaire général du gouvernement à la défense nationale (SGDN) (21 mars 2001).

19. Du 22 au 24 mars 2001 : déplacement auprès des forces françaises de la KFOR stationnées au Kosovo (Pristina, Mitrovica, Lesak).

20. M. Michel Bonnot, directeur de la cellule d'urgence du ministère des affaires étrangères (28 mars 2001).

21. Commissaire en chef de 1ère classe Beyries, représentant le commandement des opérations spéciales (COS) (3 avril 2001).

22. Mme Julie Crèvec_ur, représentante du Medef international (4 avril 2001).

23. M. Pierre Sellal, directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères (4 avril 2001).

24. M. François Crémieux, ancien directeur de l'hôpital de Mitrovica puis coordonateur hospitalier pour l'OMS au Kosovo, d'août 1999 à mai 2000 (11 avril 2001).

25. Mme Renée Veyret, directrice du service d'aide humanitaire du ministère des affaires étrangères (12 avril 2001).

26. M. Michel Pinet et M. Jean-Jacques Sanvert, conseillers techniques au cabinet du ministre de l'économie et des finances (12 avril 2001).

27. M. Bernard Kouchner, ministre de la santé, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo (13 avril 2001).

28. M. Antoine Pouilleutte, directeur de l'Agence française de développement (AFD), (18 avril 2001).

29. Du 27 au 29 avril 2001, déplacement auprès des forces françaises stationnées en République de Djibouti.

30. Commissaire général Arrecks, chef du bureau Environnement du Commandement des opérations spéciales (COS) (2 mai 2001).

31. Du 9 au 11 mai 2001, déplacement auprès des forces françaises de la SFOR stationnées en Bosnie-Herzégovine (Sarajevo, Mostar).

32. M. Serge Telle, conseiller technique au cabinet du premier ministre (15 mai 2001).

33. Déplacement au Department for international development (DFID), à Londres (16 mai 2001).

34. Audition devant la Commission de la défense nationale et des forces armées de M. Alain Richard, ministre de la défense (22 mai 2001).

35. Audition devant la Commission de la défense nationale et des forces armées de M. Bernard Kouchner, ministre de la santé, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo (23 mai 2001).

36. M. Frédéric Doré, administrateur principal à la Direction générale relations extérieures (DGE) du Conseil « sécurité et défense » de l'Union européenne, à Bruxelles (7 juin 2001).

37. Général Raymond Germanos, inspecteur général des armées (8 juin 2001).

38. M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie (12 juin 2001).

39. M. Antoine Godbert, chargé de mission sur la coordination de la gestion des crises au secrétariat général pour la défense nationale (SGDN) (12 juin 2001).

40. M. Alain Vidart, président du Comité de liaison défense du Medef (14 juin 2001).

2. EXEMPLES D'ACTIONS CIVILO-MILITAIRES MENÉES AU KOSOVO, EN BOSNIE-HERZÉGOVINE ET À DJIBOUTI

ACTIONS CIVILO-MILITAIRES MENÉES
AU KOSOVO EN 1999 ET 2000

Au titre de l'environnement civil en 1999

(en francs)

Description

Moyens engagés

Matériel informatique pour l'école

13 851,42

Matériel de pédiatrie pour l'hôpital

5 632,15

Cercueils pour les pompes funèbres

5 643,00

Climatiseurs pour les pompes funèbres

10 732,34

Badges et pincettes pour les pompes funèbres

13 650,00

Impression de tracts

2 917,85

Fournitures pour l'école

882,00

Réfection d'une passerelle

21 967,72

Matériel pour les pompiers

43 700,67

Réfection d'une école

116 579,83

Travaux

10 296,32

Réfection des sanitaires du stade

48 580,52

Réfection d'une passerelle

5 248,78

Lampe frontale pour les pompiers

3 722,77

Rations de combat pour les pompiers

3 589,96

Matériel électrique pour le village (1)

3 747,93

Matériel électrique pour le village (2)

3 628,87

Matériel électrique pour le village

4 564,59

Local de stockage de médicaments du service de santé ACM

4 997,24

Banderole pour la mosquée

436,00

Ampoules électriques pour le village

1 006,16

Autocollants pour la communication opérationnelle

1 341,54

Sacs de ciment pour EDF

2 951,39

Réparation de mobilier scolaire

4 522,67

Antigel pour les pompiers

939,08

Sécurisation du Centre de secours principal

419,23

Travaux pour le dispensaire

4 963,70

Vitrerie de la maison médicale des ACM

1 744,00

Réfection d'une passerelle

4 980,47

Raccordement électrique de l'école

1 073,23

Matériel électrique

150,92

Au titre de l'appui des forces et de l'environnement civil en 2000

(en francs)

Nom du projet

Moyens engagés

Gymnase de l'école Meto Bajaktari

1 676,96

École Stari Trg

68 743,96

Panneaux de la zone de confiance

26 093,00

Aire de stockage des poubelles

27 203,29

Achat des portes et des fenêtres du KPC

6 774,79

Projet Macédoine Eau

2 569,05

Réparation d'un camion de pompier

1 861,39

Achat de disques de meuleuse

30,18

Achats de pièces de tracteur

670,77

Achats de livres anglais

1 442,16

Participation au démarrage d'éco entreprise lavage

167,70

Câbles électriques Banja

80,49

Réparation de mobilier scolaire

291,79

Toit de l'école de Pcinja

12 744,65

Complément pour l'école de Novo Selo

24 999,63

Matériel électrique pour l'école de Ljubovac

164,34

Passerelle de Tusilje

27 115,30

Réparation des tours de Mitrovica Nord

40 380,41

Construction d'une passerelle sur la rivière Ibar

50 056,88

Plomberie de l'école Meto Bajaktari

2 347,70

Terrain de sport de Suvi Do (1)

5 600,94

Terrain de sport Boulogne

20 374,67

Passages busés Turisevac

33 975,90

Terrain de sport de Suvi Do (2)

14 923,98

Corde de puits de Grace

335,39

Étendoir pour un village rom

590,28

Aides pédagogiques mines

620,47

Transformateur pour l'enclave de Priluzje

160,99

Carrefour Austerlitz

12 342,19

Pièces pour la pompe de Sipolje

67,08

Complément pour la clôture de l'école de Xhevat Jusufi

100,62

Clôture de l'école primaire de Xhevat Jusufi

11 481,92

Réparation d'une passerelle sur l'IBAR

11 564,09

Pompe électrique pour l'hôpital de Mitrovica Nord

6 707,71

Pont de Seljance

4 360,01

Terrain de sport de Mitrovica Nord

8 885,57

Réparation de la citerne du monastère de Devic

14 797,21

Complément pour la pompe de l'hôpital de Mitrovica Nord

157,63

Copies du cadastre

85,86

Disques de meuleuse

30,18

Paiement de la facture Elektro-Kosovo

15 142,65

Nom du projet

Moyens engagés

Grillage et ciment pour l'école de KRASALIC

1 458,92

Cornes de brume vaches suisses

2 716,62

Alimentation du monastère de DEVIC

4 360,00

Serrure pour la porte blindée du juge VUSHTRRI

33,54

Compresseur pour l'hôpital de Mitrovica Nord

1 408,62

Alimentation électrique de KOTORE

7 043,10

Radiateurs électriques AMBULATA RUDNICK

2 129,70

Éclairage de la rue CETKOVIC

3 773,09

Cadenas pour les containers de fret humanitaire

117,38

Eaux usées de la clinique pédiatrique de Mitrovica Nord

6 171,09

École MEHE UKA (1)

5 852,48

École MEHE UKA (2)

3 638,93

École MEHE UKA (3)

706,32

École MEHE UKA (4)

46 923,78

Travaux d'étanchéité de la maternité de Mitrovica Nord

11 289,06

Clôture de l'école de TRNAVCE

7 254,40

Clôture de l'école de SALCE

3 856,94

Électricité AMBULANTA KODRAMINATOREVE

6 258,29

Électricité de l'école de BUROS

14 924,65

Clôture de l'école de KACANDOL

5 855,83

Achat de poteaux électriques pour la BMN-N

13 314,80

Terrain de sport de KOSUTOVO

14 757,00

Pose de "gendarmes couchés" à SVINJARE

3 194,55

Plafond de la cuisine de l'hôpital de Mitrovica Nord

52 196,05

Transformateur du quartier de BRDJANI

14 005,70

Câbles téléphoniques de SUVI DO

402,46

Câbles SUVI DO

670,77

Documents techniques ACM

268,31

Bouche d'égout

905,54

Adduction d'eau de PRILUZJE

342,09

Complément clôture de TRNAVJE

1 274,47

Raccordement électrique du lycée de VUCITRN

3 270,01

Bouche d'égout

838,46

Raccordement électrique de BANJA

157,63

Système d'alimentation d'eau du lycée de RUDNIK

19 667,01

Électricité de la cuisine de l'hôpital de Mitrovica Nord

45 226,83

Clôture d'école à MORINA

20 894,49

Clôture d'école à TUSHILJE

13 622,70

Abri pour le groupe électrogène de la maison de France

12 657,45

45 poules pour l'enclave de SLATINA

1 509,23

Antenne ACM KUMANOVO

2 629,42

BILAN DES ACTIONS CIVILO-MILITAIRES MENÉES EN BOSNIE-HERZEGOVINE EN 2000

Au titre de l'appui des forces

(en francs)

Localisation

Description

Moyens engagés

Date de réalisation

Bileca

Réhabilitation d'une école

41 500,23

29/03/2000

Donja Bijenja

Réhabilitation d'une chambre

9 307,37

18/04/2000

Kopaci

Aire de jeux

10 967,08

18/04/2000

Gacko

Réhabilitation d'une école

13 880,71

18/04/2000

Mostar

Semences

3 357,19

18/04/2000

Borvcici

Réhabilitation d'une école

2 426,58

25/05/2000

Miljevina

Eclairage public

20 386,36

30/06/2000

Oracac

Réhabilitation d'une école

9 751,59

15/08/2000

Podonis

Réseau d'eau

5 047,13

15/08/2000

Gracac

Réhabilitation d'un gymnase

23 031,24

15/08/2000

Nevesinje

Réseau d'eau

6 425,30

18/09/2000

Kljuc

Réseau d'eau

5 661,11

29/09/2000

Bradina

Réhabilitation d'une école

7 212,90

29/09/2000

Scipe

Réhabilitation d'une école

7 853,05

17/10/2000

Pridvorci

Réhabilitation d'une école

10 719,98

01/11/2000

Bucici

Maison collective

33 499,99

03/11/2000

Paric

Réfection d'une route

5 828,97

13/11/2000

Domanovici

Réhabilitation d'une école

26 774,98

15/11/2000

Mededa

Maison collective

24 123,34

15/11/2000

Seljani

Réhabilitation d'un pont

51 919,65

01/12/2000

Mostar

Cuisine collective

47 208,18

02/12/2000

Varos

Réhabilitation d'une école

9 344,83

03/12/2000

Kosor-Blagaj

Réfection d'une route

16 749,99

04/12/2000

Gorazde

Réhabilitation d'un pont

23 411,50

06/12/2000

Osijek

Achat de livres d'école

5 025,02

30/12/2000

Au titre de l'environnement civil

(en francs)

Localisation

Description

Moyens engagés

Date de réalisation

Celebici

Réfection d'une passerelle

57 957,01

2000

Orasac Sud

Réhabilitation d'une école

54 890,82

2000

Vojno

Maison collective

48 273,50

2000

Bucici

Maison collective

47 051,59

2000

Drugovici

Réparation d'un pont

29 990,14

2000

Miljevina

Chauffage du dispensaire

51 489,50

2000

Mostar Centre

Crèche

39 540,05

2000

Bucici

Maison collective

60 269,85

2000

Seljani

Réfection d'une route

50 893,20

2000

Prigradzani

Maison collective

66 969,85

2000

Visici

Réfection d'un trottoir

80 364,83

2000

Dogovici

Réparation d'un pont

20 141,54

2000

Paric

Réfection d'une route

39 831,50

2000

ACTIONS CIVILO-MILITAIRES MENÉES
EN RÉPUBLIQUE DE DJIBOUTI EN 2000

     

Date réalisation ou prévision

Financement
sur crédits ACM
(en francs)

Unité

Localisation

Opération

Début

Fin

   

Réalisation microbarrage

sur l'oued Atar

Janvier 2000

Carburant financé par la Mission de coopération française

13°DBLE

Damerjog

5°RIAOM

Ali Sabieh

Centre socioculturel

Février 2000

20 282,18

13°DBLE

Dikhil

Dispensaire (1)

Rénovation du bâtiment de consultation

Mars 2000

48 688,26

13°DBLE

Dikhil

Dispensaire

Rénovation de la pharmacie

Avril 2000

39 146,26

13°DBLE

Oueah

Rénovation de l'école primaire

Mars 2000

Juin 2001

Financement de l'Union européenne

5°RIAOM

Damerjog

Rénovation de l'école primaire

Mai 2000

Juillet 2000

Financement de l'Union européenne

13°DBLE

Dikhil

Dispensaire

Remise en état du circuit de distribution d'eau

Juin 2000

Juillet 2000

42 859,47

5°RIAOM

Ali Sabieh

Dispensaire (1)

Démolition du château d'eau et mise en place de réservoirs

Juin 2000

Juillet 2000

46 991,10

13°DBLE

Dihkil

Réhabilitation de la palmeraie

Juillet 2000

Octobre 2000

Financement de
la Mission de
coopération française (23 000 francs)

13°DBLE

As Eyla

Réhabilitation du marché couvert

Octobre 2000

Octobre 2000

28 857,30

13°DBLE

Yoboki

Réhabilitation du marché couvert

Novembre 2000

Novembre 2000

28 830,30

5°RIAOM

Hol-Hol

Rénovation de la maison culturelle

Différé sur 2001

Opération reportée sur le plan d'action 2001

5°RIAOM

Ali Sabieh

Aménagement salle de lecture de l'école

Annulé

Remplacé par rénovation dispensaire de Sagalou

5°RIAOM

Ali Sabieh

Dispensaire

Rénovation du secteur des enfants mal nourris

Annulé

13°DBLE

Gagade

Remise en état de la piste d'accès

Septembre 2000

Novembre 2000

Carburant financé par la Mission de coopération française et les FFDJ

DA 188

Djibouti

Rénovation école Aribah

Décembre 2000

13 782,96

5°RIAOM

Sagalou

Rénovation du dispensaire

Décembre 2000

24 426,00

(1) report plan d'action 1999 TOTAL

293 863,83

PROJETS D'ACTIONS CIVILO-MILITAIRES À MENER
EN RÉPUBLIQUE DE DJIBOUTI EN 2001

Localisation

Opération

Coût estimé
en francs

Observations

Finalités

Hol Hol

Rénovation de la maison culturelle

50 000

Report d'une opération 2000

Zone de man_uvre des forces proche de Djibouti ville

Dikhil

Réhabilitation de la palmeraie

32 000

Poursuite des trois premières tranches de travaux réalisés en 2000

Zone de man_uvre privilégiée éloignée de Djibouti ville. Maintien sur zone pendant plusieurs semaines d'une présence militaire

Assamo

Réhabilitation de l'école primaire

38 000

Nouveaux projets destinés à remplacer ceux prévus initialement en zone nord

Zone de man_uvre éloignée de Djibouti

Goubetto

Réfection du toit de l'école primaire

24 000

Zone de man_uvre proche de Djibouti

Hol Hol

Réhabilitation de la maison des jeunes

16 000

Zone de man_uvre proche de Djibouti

Oueah

Rénovation de l'école primaire

Financement UE

Poursuite de l'opération débutée en 2000

Amélioration des condi-tions de scolarisation

Total du plan pour 2001 : 172 000 francs français

Dans l'hypothèse d'une ouverture de la zone nord de la République de Djibouti aux forces françaises, un accompagnement ACM sera défini. Il fera l'objet d'une demande de financement complémentaire.

Rapport d'information déposé par la commission de la Défensesur l'action civile des armées sur les théâtres extérieurs (action civilo-militaire) et présenté par M. Robert GAÏA

1  Dossier « Diplomatie économique : l'esprit de conquête », Label France, n°29, octobre 1997 (publication du ministère des Affaires étrangères).

2 Cette expression, qui pourrait prêter à confusion, désigne les troupes françaises stationnées au Sénégal, la France n'entretenant pas de force sur les îles du Cap-Vert.

3 Haut Conseil de la Coopération internationale. Rapport remis au Premier ministre (23 novembre 2000).

4 Gesellschaft für technische Zusammenarbeit

5 US Agency for international development

6 Danish international development assistance

7 Swedish international development cooperation agency

8 Department for international development

9 Technisches Hilfswerk

10 « Rapport sur la situation juridique et judiciaire au Kosovo sous administration de la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (Minuk) » par Me Jean-Pierre Mignard, Me Matthieu Gibert et Me Emmanuel Tordjman, décembre 2000.