graphique

N° 3663

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 février 2002.

RAPPORT D'ACTIVITÉ

DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1)

ANNÉE 2001

AUDITIONS  
ANNEXES
 
Retour  

FAIT

en application de l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958

relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Martine Lignières-Cassou,

Députée.

Assemblée nationale.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimmermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, M. Pierre Aubry, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Claude Goasguen, Mme Cécile Helle, M. Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Françoise Imbert, Conchita Lacuey, MM. Patrick Lemasle, Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

IV- AUDITIONS

   

pages

12 juin 2001

M. Paul Cesbron, président, et Mme Elisabeth Aubény, membre du conseil d'administration, de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC)

Mmes Françoise Laurant, présidente, Danielle Gaudry, et Fatima Lalem, membres du bureau executif, et Maïté Albagly, secrétaire générale, du Mouvement français pour le planning familial (MFPF)

Mmes Maya Surduts, secrétaire générale, Danielle Abramovici et Nora Tenenbaum, membres de la Coordination nationale pour le droit à l'avortement et à la contraception (CADAC)

145

155

165

16 octobre 2001

Mmes Françoise Laurant, présidente, Danielle Gaudry, Fatima Lalem, membres du bureau exécutif, et Maïté Albagly, secrétaire générale, du Mouvement français pour le planning familial (MFPF)

171

30 octobre 2001

Mme Elisabeth Aubény, présidente de l'Association Française pour la Contraception et M. Robert Chambrial, médecin, membres de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC)

183

6 novembre 2001

M. André Lienhart, président de la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR)

Mme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Centre d'étude de la vie politique française (CEVIPOF)

Mmes Marie-France Casalis, conseillère technique auprès de la déléguée aux droits des femmes d'Ile-de-France, Emmanuelle Piet, médecin de PMI, et M. Jean-Claude Magnier, président de l'Association des centres d'orthogénie de l'AP-HP

195

203

213

13 novembre 2001

Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM

M. Bruno Carbonne, secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF)

M. Jean Parrot, président du conseil national de l'Ordre des pharmaciens

225

233

241

20 novembre 2001

Mme Annick Fayard-Riffiod, conseillère technique auprès de M. Jack Lang, ministre de l'Education nationale

251

27 novembre 2001

Mmes Brigitte Le Chevert, secrétaire générale, et Jacqueline Le Roux, secrétaire générale adjointe, du syndicat national des infirmières et conseillères de santé-FSU (SNICS-FSU)

Mmes Anne-Marie Gibergues, secrétaire générale, et Brigitte Accart, secrétaire générale adjointe, du syndicat national des infirmiers, infirmières, éducateurs de santé (SNIES UNSA-Education)

M. Guy-Marie Cousin, secrétaire général du syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF)

263

271

277

4 décembre 2001

Mme Carine Favier, responsable de la commission Sida du Mouvement français pour le planning familial (MFPF)

283

Audition de M. Paul Cesbron, président, et de Mme Elisabeth Aubény, membre du conseil d'administration, de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC)

Réunion du 12 juin 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes heureuses de vous accueillir aujourd'hui. Vous avez souhaité nous rencontrer pour faire le point sur la loi relative à l'IVG et à la contraception, définitivement votée le 30 mai 2001, et nous exposer les problèmes posés par son application.

M. Paul Cesbron : Au nom de l'ANCIC que je représente, je tiens à remercier la Délégation parlementaire aux droits des femmes qui veut bien nous entendre dans le cadre de l'application d'une loi, obtenue de dure lutte, et dont nous nous félicitons des avancées, même si elle ne correspond pas dans sa totalité à l'ensemble des voeux que nous avions émis.

S'agissant de son application, le premier élément que je me permets de souligner est que les acteurs professionnels, maintenant au pied du mur, souhaitent que les décrets d'application soient pris très rapidement. L'ensemble des centres nous ont à plusieurs reprises demandé s'ils devaient les attendre pour mettre en application cette loi.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La loi sera applicable dès sa publication au Journal Officiel. Mais elle fait actuellement l'objet d'un recours devant le Conseil Constitutionnel, qui doit rendre sa décision dans le délai d'un mois. La loi ne pourra donc être publiée qu'une fois cette décision connue. Certains articles s'appliqueront immédiatement, deux articles nécessiteront un décret en Conseil d'Etat (les articles 3 et 27), et deux autres (les articles 9 et 24), un décret simple ; quelques autres nécessiteront certainement des textes d'application (décrets, arrêtés, ou circulaires).

M. Paul Cesbron : Nous souhaitons en premier lieu une parution rapide des décrets d'application.

Sur le plan pratique, en effet, face à une mineure qui vient demander une IVG, les difficultés d'application de la loi sont réelles. La nécessité d'avoir recours à une anesthésie générale, pour pratiquer une IVG, dans un certain nombre de cas, bute sur la volonté des anesthésistes d'attendre les décrets d'application. A l'heure actuelle, les médecins anesthésistes refusent très souvent de pratiquer une anesthésie générale sur des mineures, s'ils ne disposent pas d'une autorisation parentale.

Notre deuxième souci concerne le moyen qui permettra de faire respecter la loi aux centres, y compris à ceux qui ont été hostiles à cette mesure et ont fait connaître leurs réserves quant à son application. Pour notre part, nous considérons impératif qu'il existe un responsable qui se porte garant de l'application de la loi dans les centres, c'est-à-dire dans les hôpitaux. Ce garant doit-il être le responsable administratif ou un responsable médical ? Nous vous posons la question, sans y répondre, souhaitant seulement que ce garant soit clairement désigné dans les textes, étant donné que nous allons connaître des difficultés. Si nous posons ce problème aujourd'hui, c'est parce que nous le rencontrons déjà et qu'il a fréquemment été rapporté.

S'agissant de l'autorisation des mineures et de l'absence de nécessité d'une signature des parents, nous souhaitons avoir des textes précis qui fassent obstacle à toutes les réserves qui, aujourd'hui, sont mises en avant.

Mme Elisabeth Aubény : Les personnes qui accepteront de s'engager comme responsables, après avoir été désignées par les mineures, souhaitent savoir à quoi exactement elles s'engagent. Certaines vont refuser de le faire, dans la crainte d'être pénalement responsables et en l'absence de toute connaissance précise des modalités de cet engagement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Une grande partie des débats préparatoires ont porté sur le rôle de l'adulte référent accompagnant la mineure. En aucun cas, cet adulte référent ne peut être responsable, que ce soit civilement ou pénalement, puisque ce n'est pas lui qui prend la décision de l'IVG, mais bien la mineure.

M. Paul Cesbron : Nous prenons acte de votre réponse. Cette disposition que vous soulignez nous paraît claire. Mais ce qui nous paraît devoir être souligné également, c'est l'importance de l'existence d'un garant au niveau de chacun de nos hôpitaux qui fasse appliquer la loi, quelles que soient les circonstances, étant donné les difficultés que nous allons rencontrer.

S'agissant de la non-responsabilité de l'adulte référent, il est tout à fait clair aujourd'hui qu'un anesthésiste ne se satisfera pas de la seule présence d'un adulte référent, qui n'a aucune responsabilité vis-à-vis de cette mineure. Cela ne peut être, à nos yeux, qu'un responsable médical - le responsable du centre - ou un responsable administratif - qui serait la direction de l'hôpital.

Mme Elisabeth Aubény : Il y a deux aspects : celui de l'adulte référent qui va accompagner la mineure, et, ce que souligne M. Cesbron, la personne qui va signer l'autorisation. Lors d'une IVG, les anesthésistes, qui ont souvent recours à une anesthésie générale, demandent la signature d'un parent parce qu'ils n'ont pas le droit d'endormir un patient sans cette signature. L'adulte référent peut-il signer l'autorisation pour une anesthésie générale ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non, c'est la mineure qui apposera sa signature.

Mme Yvette Roudy : C'est un fait nouveau puisqu'un mineur, dans notre législation, a généralement un tuteur. Or, la loi sur l'IVG prévoit que c'est la mineure qui prendra la décision d'IVG. Les opposants peuvent évidemment avoir le sentiment qu'il existe une petite faille, puisque c'est la première fois que cet élément nouveau apparaît. Il faut qu'il soit bien établi que la volonté du législateur a été que la décision revienne en dernier lieu à la mineure.

Quand les anesthésistes demandent une signature et que la mineure a décidé de se faire opérer, c'est à elle de signer cette autorisation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comme c'est la mineure qui prend la décision, c'est à elle de signer l'autorisation.

Mme Elisabeth Aubény : C'est un point qu'il faudrait bien préciser dans les décrets, sinon nous risquons de rencontrer les pires ennuis.

Mme Yvette Roudy : Il s'agira de préciser, dans le décret, que du fait que la décision est prise, en dernier lieu, par la mineure, il s'ensuit que tous les autres actes, pour lesquels jusque là on faisait appel à un tuteur, seront décidés par elle.

M. Paul Cesbron : Vous me permettrez de rappeler la situation que nous avons connue en 1975. Par divers canaux, il a été possible de s'opposer à l'application de la loi, dans la réalité, dans un très grand nombre d'hôpitaux. Le Gouvernement a fait face à cet obstacle en donnant au directeur d'hôpital la responsabilité d'être lui-même responsable du centre d'interruption de grossesse et de se porter garant de l'application de la loi. C'est à ce titre que nous souhaitons qu'il en soit de même pour l'application de cette nouvelle loi.

Mme Yvette Roudy : Comment envisageriez-vous le décret d'application ?

M. Paul Cesbron : Il devra stipuler très clairement la responsabilité du directeur de l'établissement, dans le respect de la loi. C'est lui le garant de la loi. De la même façon qu'il y a eu de nombreuses directives et décrets qui, lors des attaques contre les centres d'IVG, ont donné aux directeurs d'hôpitaux la responsabilité de porter plainte, faisant de cette plainte une obligation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons bien noté votre souci concernant à la fois les mineures et la personne signataire de l'autorisation pour les anesthésistes de pratiquer une anesthésie générale. C'est pourquoi nous avions amendé le texte initial en indiquant que la responsabilité des soins et des actes liés n'était pas, quand il s'agissait d'une mineure, de l'autorité des médecins. C'est le troisième alinéa de l'article 7 : "Si la mineure ne veut pas effectuer cette démarche ou si le consentement n'est pas obtenu, l'interruption volontaire de grossesse ainsi que les actes médicaux et les soins qui y sont liés peuvent être pratiqués à la demande de l'intéressée".

Mme Elisabeth Aubény : Merci de nous le souligner.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Y a-t-il d'autres points sur lesquels vous souhaitiez attirer notre attention ?

M. Paul Cesbron : En ce qui concerne la disparition de l'obligation d'entretien préalable, nous souhaitons que, dans les décrets d'application, soit soulignée l'obligation pour les unités fonctionnelles - centres d'IVG ou autres services prenant en charge les interruptions de grossesse - d'avoir un personnel d'accueil et d'accompagnement pour toute femme souhaitant une interruption volontaire de grossesse.

Il ne s'agit pas seulement de défendre le poste et la fonction des conseillères conjugales et familiales, mais de permettre des conditions d'accueil qui soient décentes et respectueuses à l'égard des femmes. Or, nous savons les difficultés que nous rencontrerons si cette nécessité d'avoir un personnel d'accueil qui reçoive ces femmes n'est pas spécifié.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas ce que nous avons voté. Nous avons voté le fait qu'un entretien doit être systématiquement proposé avant ou après l'IVG. En revanche, nous n'avons pas précisé, dans le texte de loi, que cet entretien devait se faire dans l'établissement de santé. Nous avons simplement modifié la loi de 1975 pour lever l'interdiction faite aux établissements privés de santé d'effectuer des entretiens pré-IVG dans leurs murs, parce que cela ne nous paraissait plus nécessaire aujourd'hui.

La question que vous posez concerne aussi bien l'IVG qu'un certain nombre d'actes fondamentaux. Nous voyons bien aujourd'hui combien la question de l'accompagnement du patient est au centre du débat. Stipuler, dans un décret, que chaque centre d'IVG doit disposer du personnel d'accueil nécessaire peut poser la question de l'existence des centres de planification qui ne sont pas localisés à l'intérieur des établissements. Cette question n'est pas simple à résoudre.

Est-il possible de dissocier la question d'un accueil respectant la dignité des femmes et celle de l'obligation d'avoir in situ des moyens en termes d'entretiens pré ou post-IVG. Pour moi ces deux aspects sont différents.

Mme Elisabeth Aubény : Je partage le souci de M. Paul Cesbron. Les conseillères conjugales sont rémunérées par le département. Certains conseils départementaux ont déjà indiqué qu'il fallait supprimer les postes des conseillères conjugales, puisqu'elles n'ont pas de fonction officielle. Certains ont déjà commencé à faire.

Or, ces conseillères conjugales ont un rôle très important pour l'accueil des femmes. Jusqu'à présent, elles menaient systématiquement l'entretien obligatoire et pouvaient être présentes lorsque la femme le souhaitait. Quand ces conseillères ne seront pas occupées par des entretiens, elles pourront parfaitement accueillir les femmes et leur expliquer les différentes techniques, ce que les médecins font rarement, par manque de temps.

Elles peuvent être reconverties de cette manière. Très souvent, en effet, lorsqu'on explique une technique, on "dérape" sur d'autres sujets. Cela permet d'aborder la psychologie de la femme, sans toutefois la forcer à parler. Il est donc très important que ces conseillères conjugales soient là pour expliquer les techniques et, éventuellement, selon la réceptivité des femmes, aller plus loin. Il faut absolument maintenir leurs postes, notamment lorsqu'elles travaillent déjà dans les centres.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A ce sujet, une autre question peut être abordée. Jeudi matin, nous débattrons d'un texte sur l'autorité parentale, où est évoqué le recours à la médiation familiale. Le point commun entre ces métiers de conseillère conjugale et de médiateur familial, c'est l'écoute. Or, ces deux métiers ne font pas l'objet d'un diplôme d'Etat, ni d'une formation. Il est regrettable qu'un certain nombre de ces conseillères conjugales n'aient pas étendu leur activité à la médiation. Mais, si nous arrivons à faire avancer la reconnaissance et l'encadrement du métier de médiateur, nous pourrions résoudre du même coup la question posée au travers du conseiller conjugal qui, aujourd'hui, n'a pas de diplôme. Le fait que ces métiers de l'écoute ne soient pas homologués freine leur reconnaissance et leur place. Il me semble que la médiation devrait être davantage reconnue. Cette question amène à avoir une réflexion plus vaste autour des métiers de l'écoute qui ne sont pas, à mon sens, suffisamment structurés.

M. Paul Cesbron : Tout d'abord, je soulignerai que les conseillères conjugales et familiales suivent une formation obligatoire de 400 heures. Certes, cela n'a pas valeur de diplôme, mais c'est une formation professionnelle reconnue puisqu'exigée pour obtenir l'agrément de conseillère conjugale et familiale.

Au-delà de l'accueil, il nous semble qu'il faut insister sur le fait que c'est la femme, qui vient pour une contraception ou une IVG, qui pose elle-même l'indication du geste. C'est une situation très nouvelle et très différente de la découverte d'un cancer du sein ou du suivi d'une grossesse. Dans de tels cas, la femme vient dans le cadre d'un suivi qui implique un accompagnement. En revanche, dans le cas d'une IVG, c'est la femme qui vient demander le geste, alors qu'elle n'a pas une pathologie particulière. En raison de la différence réelle de ce dispositif, l'accueil ne se fait pas simplement et facilement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous rencontrons la même difficulté avec l'assistance médicale à la procréation (AMP). Nous avons pu constater, lors du colloque que nous avons organisé sur ce thème, que la prise en compte de la personne dans sa globalité et son accompagnement n'existe pas.

M. Paul Cesbron : Nous considérons que les médecins n'en ont pas la disponibilité voire l'envie - c'est une réalité très forte -, car ils n'ont pas la formation à ce type d'accueil. C'est pourquoi il nous paraît indispensable qu'une médiation soit assurée par un personnel d'accueil.

Mme Yvette Roudy : C'est la question de l'accueil de la personne qui se présente pour demander un service. C'est une situation que les médecins n'apprécient pas, car ils ne veulent pas être considérés comme des prestataires de services ; ils veulent être ceux qui décident, car ils savent poser un diagnostic. Mais dans le cas de la contraception ou de l'IVG, la situation s'inverse, car c'est la patiente elle-même qui va décider de son ordonnance ou du diagnostic.

Peut-être devrions-nous demander que soit présent, dans les hôpitaux, un personnel particulièrement formé à l'accueil des personnes qui viendraient chercher une assistance dans le cadre d'une situation exigeant une intervention médicale. Ces personnels devront être formés à l'écoute.

Il est vrai que cela s'applique tant à la procréation médicalement assistée qu'aux IVG, voire à d'autres situations. C'est une fonction nouvelle. Il faudrait y réfléchir et élaborer un descriptif de la fonction. Vous pouvez déjà nous aider à déterminer quelles personnes seraient les plus aptes à suivre une telle formation.

Mme Elisabeth Aubény : En Hollande, où les patients sont bien accueillis, toute la chaîne des intervenants suit la formation. Il est important d'investir dans la formation.

M. Paul Cesbron : Nous avons découvert, dans la pratique, qu'il était impératif qu'existe une médiation entre le médecin et la femme, lorsqu'il s'agit de demandes relevant de ce que vous avez appelé un "service". Sinon le médecin se sent mal à l'aise et peut, dans certains cas, mal recevoir la femme. Il n'entend pas la demande de la femme, parce qu'elle le met lui-même en difficulté sur le plan psychologique et professionnel. C'est une des raisons essentielles des réserves que nous connaissons actuellement quant à l'application de la loi par les professionnels. C'est pour nous un vrai obstacle culturel et professionnel.

En ce qui concerne nos centres, il nous paraît également nécessaire qu'à l'occasion des décrets d'application, soient renforcées les unités fonctionnelles et l'autonomie des centres. Cela peut apparaître comme une bataille de clocher, mais à nos yeux, cela ne l'est pas. Il n'y a pas d'application correcte de la loi. D'ailleurs, le "rapport Nisand", même si ses conclusions sont différentes des nôtres, va dans ce sens. Les vingt-cinq années d'application de la loi de 1975 ont bien mis en évidence, de façon négative, la qualité de l'accueil des femmes, leur prise en charge et l'application de cette loi. Nous considérons que cela est lié à l'absence de structures clairement définies, reconnues notamment sur le plan hospitalier, et permettant de défendre les moyens nécessaires à l'application de cette loi.

Vous me permettrez de profiter de votre accueil pour rapporter une situation qui nous semble être révélatrice du débat qui se pose actuellement sur le plan hospitalier.

Le centre de Grenoble, qui avait prouvé la qualité de sa fonction et sa nécessité sur le plan hospitalier, est actuellement remis en cause en tant qu'unité fonctionnelle reconnue sur le plan hospitalier. Tous sont là pour témoigner, y compris les politiques, les associations et la population dans son ensemble, de la qualité du travail accompli dans ce centre. Or ce centre est actuellement menacé de démantèlement.

Nous attacherons donc beaucoup d'importance à la volonté qu'aura ou non le Gouvernement de soutenir et de conforter les structures qui assurent la prise en charge de l'IVG, dans les meilleures conditions.

Mme Yvette Roudy : Quels motifs sont invoqués ?

M. Paul Cesbron : Un texte, rédigé par Mme Françoise Laurant, présidente du MFPF, résume très bien la situation. Ce centre fonctionnait très bien. Puis, pour des raisons de restructuration hospitalière, l'hôpital, ayant besoin de locaux, veut s'emparer de ceux qui étaient occupés par le centre d'IVG et donc le démanteler à cette occasion.

Nous partageons le point de vue du Planning pour la défense de ce centre et son intégration dans un projet de pavillon couples-enfants ou mères-enfants, qui se mettra en place dans un délai de cinq ans. Nous considérons que c'est dans ce cadre d'une planification, au sens large du terme, que doit être discuté, pour l'avenir, un projet de centre d'IVG et de contraception. C'est dans le cadre d'une concertation et de l'édification de ce nouveau pavillon que doivent se faire éventuellement les transformations qui sont nécessaires pour le progrès de ce centre, et non pas dans une espèce d'urgence qui remet en cause un acquis essentiel.

Mme Yvette Roudy : Actuellement, tous les hôpitaux sont sollicités pour se restructurer. Mais l'Etat a néanmoins mis de l'argent à disposition dans cette restructuration et cette modernisation. Il est normal que, dès lors qu'il y a bouleversement, toutes les forces hostiles profitent des ouvertures offertes pour indiquer qu'elles ont besoin de la place pour y installer d'autres pratiques. La direction de l'hôpital risque de répondre qu'elle ne parvient pas à maintenir le service, à moins de trouver les fonds nécessaires. C'est aux gens de Grenoble d'intervenir auprès du Gouvernement.

M. Paul Cesbron : Il nous paraît actuellement important de conforter les unités qui prennent en charge les IVG et la contraception. Ainsi que nous l'avons signalé, en ce qui concerne la répartition département-Etat entre la contraception et l'IVG, on a voulu que les départements aient la responsabilité de la planification familiale, mais cette dissociation IVG et planification est pour nous éminemment dommageable.

Nous souhaitons donc très vivement qu'il y ait une réflexion sur ce point et que certains décrets aillent dans le sens d'un renforcement de l'unification. D'ailleurs, la loi que vous avez votée va dans ce sens, dans la mesure où elle a associé un certain nombre de réformes concernant la contraception et l'interruption de grossesse.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il est vrai que nous ne sommes pas allées au bout de la réflexion concernant le partage des compétences. Il y a partage de compétence entre IVG et contraception, entre Etat et département, ce qui est dommageable en soi. Mais, il y a également le fait que la politique de prévention est variable d'un département à l'autre, selon la couleur politique du conseil général.

C'est une question qui se pose non seulement pour la contraception, mais pour l'ensemble du domaine de la prévention. Nous avons bien souligné, lors des débats, que l'éclatement des compétences n'était pas favorable au développement d'une véritable politique de prévention. Toutefois, comme cette question dépassait le cadre de la contraception et englobait l'ensemble du champ de la prévention, nous n'avons pas pu aller au bout de la réflexion. C'est un des aspects sur lesquels nous sommes le moins satisfaites.

Ces prochains jours, nous discuterons d'un texte sur la démocratie de proximité, mais qui ne reprendra pas, dans l'immédiat, cette question du partage des compétences entre Etat et conseils généraux.

Mme Elisabeth Aubény : Nous avons également évoqué la question de l'extension du délai de douze à quatorze semaines et du personnel qui va pratiquer les IVG. On voit les équipes se mettre en place tranquillement, sans problème. Notre crainte serait que sorte un décret trop restrictif. La pratique de l'IVG doit être laissée à ceux qui l'effectuent déjà et qui ont envie de continuer.

Mme Yvette Roudy : Les parlementaires n'ont pas de droit de regard sur les décrets d'application, qui sont soumis directement à la signature du ministre. Or, il peut arriver que, si le fonctionnaire n'est pas d'accord avec les termes du décret, il le rédige de telle façon qu'il dira le contraire de ce que nous souhaitons, et que le ministre le signe tel quel, sans faire attention. C'est une situation que j'ai connue.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les recommandations de l'ANAES me font un peu peur. L'ANAES a beaucoup insisté sur le geste technique et les conditions de sécurité qui doivent entourer le geste d'IVG, avec notamment la réanimation, la transfusion, etc. Si le Gouvernement suit les recommandations de l'ANAES - et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement - nous risquons d'avoir un certain nombre de centres qui, de fait, ne pourront pas passer de dix à douze semaines.

Mme Danielle Bousquet : Cela risque de réduire les lieux de pratique, mais pas le nombre de médecins. Des CIVG, qui sont localisés en dehors de structures hospitalières, pourraient se trouver dépossédés de cette capacité, compte tenu des préconisations de l'ANAES.

M. Paul Cesbron : Ce risque ne me semble pas être très grand, du fait que la plupart des médecins souhaiteront recommander de pratiquer des IVG au-delà de dix semaines, sous anesthésie générale. Dans ce cas, nous sommes certains d'avoir le cadre qui correspond à celui qui est recommandé par l'ANAES. Peu de médecins proposeront les IVG entre douze et quatorze semaines sous anesthésie locale.

C'est effectivement dans le cadre de l'anesthésie locale qu'il serait possible d'avoir des pratiques qui ne correspondent pas strictement à celles de l'ANAES. Mais très peu de médecins sont prêts à adopter cette pratique, car très peu d'entre eux ont une grande pratique de l'IVG sous anesthésie locale. En France, environ 60 % des interruptions par aspiration sont pratiquées sous anesthésie générale.

Plus une interruption est tardive, plus elle est pratiquée sous anesthésie générale, et les textes de l'ANAES vont dans ce sens. Pour ma part, cela ne représente pas un problème. Par exemple, le centre d'Annecy qui fonctionne bien, dans le cadre d'une association loi de 1901, va se transformer en unité fonctionnelle, avec le soutien du service de gynécologie-obstétrique. Dans ce centre, ce sont des médecins généralistes qui pratiquent les IVG, mais ils sont suffisamment adossés au service de gynécologie-obstétrique pour prendre en charge, dans de bonnes conditions, les interruptions tardives.

Mme Elisabeth Aubény : Connaissant le côté centralisateur de la France, je craignais qu'il n'y ait qu'un seul centre par département.

Je voudrais maintenant intervenir sur les interruptions médicamenteuses, le fameux RU 486. La loi prévoit que les centres agréés pour pratiquer les IVG peuvent constituer des réseaux afin de déléguer leur prescription à des médecins et précise "après décret en conseil d'Etat".

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons estimé que les choses n'étaient pas complètement mûres, mais qu'il fallait aller dans cette direction. Actuellement le RU 486, considéré comme une substance vénéneuse, est gardé sous clé dans la pharmacie de l'hôpital. Nous devons travailler la place du RU, la relation entre le pharmacien de l'hôpital, le médecin référent à l'hôpital et le médecin de ville.

Mme Elisabeth Aubény : Je n'interviens plus au nom de l'ANCIC, mais au nom de l'hôpital Broussais, avec lequel nous travaillons. L'idée de réseau nous intéresse beaucoup. Nous considérons qu'il faudrait commencer par des réseaux de petite taille : ainsi, par exemple, le centre de Broussais autoriserait les médecins qui ont travaillé ou se sont formés à Broussais, à pratiquer des IVG, en ville par délégation. Ces médecins devraient alors suivre strictement le protocole de Broussais et le protocole de l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Tous les trois mois, ils rendraient compte à l'hôpital de cette activité et enverraient une fiche à l'hôpital chaque fois qu'ils pratiqueraient une IVG.

S'agissant du RU 486 qui est un produit gardé sous clé, notre idée serait que les médecins, qui passeraient des conventions avec des centres, en passeraient également avec des pharmaciens en ville, qui auraient donc en dépôt du RU 486, comme le pharmacien de l'hôpital. Une ordonnance serait alors faite qui permettrait à la femme d'aller acheter ce produit chez ce pharmacien.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je pense que la femme n'aura jamais le droit d'aller acheter le RU 486 et que l'ordonnance ne lui sera pas donnée directement ; elle sera donnée par le centre hospitalier au médecin qui remplit les conditions du protocole.

Mme Elisabeth Aubény : Comment paiera-t-on alors le RU 486 à l'hôpital ?

Mme Danielle Bousquet : Certains médecins ont-ils en dépôt, dans leurs cabinets, de tels produits ?

M. Paul Cesbron : Non, c'est interdit par la loi.

Mme Elisabeth Aubény : Les Allemands et les Américains le font.

M. Paul Cesbron : Les produits de substitution des toxicomanes sont, par exemple, gérés hors hôpitaux, dans le cadre d'organismes agréés pour la prise en charge de la délivrance de ce type de produits. Au niveau de notre association, nous avons réfléchi à la possibilité que l'IVG ait lieu à la maison, mais après délivrance hospitalière du premier produit. Mme Elisabeth Aubény a souligné une contradiction très réelle de la situation actuelle, à savoir que le RU 486 est un produit qui n'est pas distribué dans les officines de pharmacie, alors qu'un autre produit, également abortif - le misoprostol et dont le nom commercial est le Cytotec - est en vente en pharmacie.

Il peut être prescrit pour d'autres indications qui sont connues des médecins ; mais, l'interruption de grossesse ne fait pas partie des indications ayant obtenu l'AMM. Le laboratoire d'ailleurs se refuse à demander cette autorisation. Il tient à conserver ses indications d'origine et refuse l'utilisation du produit comme abortif.

Aujourd'hui, nous sommes devant une situation tout à fait contradictoire. En effet, cette prostaglandine, produit éminemment abortif, - Cytotec de son nom commercial et misoprostol de son nom pharmacologique - est en vente en pharmacie et peut être prescrit par un médecin généraliste.

Mme Elisabeth Aubény : Lorsque j'ai rencontré une de mes patientes qui venait de l'île Maurice, elle m'a demandé une ordonnance de ce produit parce qu'elle était enceinte et ne voulait pas aller à l'hôpital. Les gens commencent à le connaître.

M. Paul Cesbron : A titre d'information, ce sont essentiellement les pays du tiers-monde, notamment les pays africains et d'Amérique latine, qui utilisent très largement ce produit. Ce n'est pas seulement parce que son coût est peu élevé, mais surtout parce que l'avortement est interdit dans certains de ces pays.

Un autre point, qui nous semble particulièrement important, c'est le climat qui prévaut dans les milieux de gynécologie-obstétrique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il est certes très tendu, mais pour des raisons qui ne sont pas forcément liées à l'IVG.

M. Paul Cesbron : Nous avons ressenti une réserve, y compris de la part de gynécologues-obstétriciens qui avaient pourtant défendu, voilà vingt-cinq ans, le droit à l'avortement. Dans cette situation, la proposition de Mme Elisabeth Aubény, qui est d'exclure totalement de l'hôpital la pratique de l'interruption précoce de grossesse, constitue une stratégie qui protège les femmes des réserves - quand ce n'est pas de l'hostilité - des gynécologues-obstétriciens. Elle offre la possibilité d'une pratique généraliste qui peut être tout à fait correcte.

Cela peut être une stratégie qui a tout à fait lieu d'être. Toutefois, nous craignons - c'est pourquoi notre association ne met pas en avant cette proposition - un retour de bâton très fort de la part des gynécologues-obstétriciens, qui risquent de voir une véritable irresponsabilité dans cette mesure.

Mme Elisabeth Aubény : Les Etats-Unis, peut-être pas pour des raisons uniquement financières, pratiquent beaucoup l'IVG en ambulatoire. Les femmes américaines ou allemandes prennent leurs comprimés chez elles, sans hospitalisation. Tout semble bien se dérouler. Sans pour autant les suivre complètement dans la démarche, nous pourrions au moins faire des essais de réseau.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sur le principe, nous sommes d'accord. La difficulté est de savoir comment intégrer cela dans la pratique, sachant que le RU est une substance vénéneuse. Peut-être conviendrait-il de modifier la réglementation sur le RU.

Mme Elisabeth Aubény : Serait-il envisageable de mettre ce produit chez des pharmaciens responsables, puis de suivre à la trace son utilisation ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est un problème important que vous soulevez.

M. Paul Cesbron : En ce qui concerne la stérilisation, il y avait en France un blocage professionnel, qui était lié aux anesthésistes. La situation va-t-elle être modifiée par la nouvelle législation ?

Mme Danielle Bousquet : Elle est modifiée ipso facto.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y aura certainement à former des équipes à la stérilisation, car elles sont actuellement très peu nombreuses. L'équipe de Nantes a une réputation nationale.

Mme Elisabeth Aubény : En ce domaine, les conseillères conjugales auraient un rôle important à jouer pour informer et expliquer les techniques.

Je suis très admirative de votre courage car jamais, nous n'aurions imaginé aller si loin en matière de stérilisation.

J'ai une dernière question concernant la contraception. Dans les centres, peut-on actuellement donner une contraception hormonale sans prescription médicale ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Uniquement le Norlevo.

M. Paul Cesbron : La formulation du texte est excellente. Elle permettra, à l'avenir, la démédicalisation de médicaments qui, comme le Norlevo, n'auront aucune contre-indication ou effet secondaire.

Mme Danielle Bousquet : Elle ne touche que le Norlevo pour le moment, mais elle laisse l'avenir ouvert.

M. Paul Cesbron : Dans le code de la santé publique, a été maintenu l'article L. 647 sur la condamnation pour publicité concernant l'avortement. Les articles L. 648 et L. 649, relatifs à la publicité concernant la contraception, ont été abrogés par la "loi Neuwirth" de 1967. L'article concernant la publicité sur l'avortement étant maintenu, cela signifie qu'aujourd'hui il n'est pas possible de communiquer, dans un lycée, une mairie ou un autre lieu, sur les établissements pratiquant l'IVG et les méthodes de l'IVG.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'article L. 647 est devenu l'article L. 2221-1 du nouveau code de la santé publique et figure au chapitre Ier du titre II du livre II de la deuxième partie de ce code. Il a été abrogé par l'article 16 de la loi.

Audition de Mmes Françoise Laurant, présidente, Danielle Gaudry et Fatima Lalem, membres du bureau executif, et Maïté Albagly, secrétaire générale, du Mouvement français pour le planning familial (MFPF)

Réunion du 12 juin 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui pour nous parler des problèmes d'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception, dont la publication est actuellement retardée en raison d'un recours formé devant le Conseil constitutionnel par soixante sénateurs de l'opposition.

Mme Françoise Laurant : Les problèmes d'application de la loi ne sont pas nouveaux et ont déjà été évoqués avec vous au cours du travail de préparation de la loi.

Nous sortons d'un conseil d'administration national, au cours duquel ont été débattus et affirmés un certain nombre de positions que nous allons vous proposer et d'autres qui doivent être encore examinées à la prochaine réunion du mois de septembre. Celles-ci concernent les changements que nous allons être amenés à faire dans nos pratiques, notamment à la suite de la suppression de l'obligation d'entretien préalable - ce qui conduit à organiser les entretiens ailleurs et en amont, ainsi qu'à l'augmentation des délais à douze semaines. Notre position dépendra de la façon dont l'interruption médicale de grossesse sera mise en place. Nous nous interrogerons notamment sur le fait de savoir s'il faudra continuer à envoyer des femmes à l'étranger, ou non.

Mme Danielle Gaudry : Au cours de la réunion du conseil d'administration, nous avons débattu des mesures qui seront applicables dès la promulgation de la loi et de celles qui nécessiteront des décrets d'application. Certains articles prévoient d'emblée des décrets. En revanche, sur d'autres articles, comme le passage à douze semaines de grossesse, aucun décret n'est prévu. Il nous semblait donc important d'affirmer à nos militantes que, notamment sur cette question de délai, la loi serait applicable dès qu'elle serait promulguée. Cela n'ira sans doute pas sans poser de problèmes aux équipes médicales. Toutefois il nous semblait important de vérifier auprès de vous si les articles ne nécessitant pas de décrets sont effectivement applicables d'emblée.

Un certain nombre d'autres articles nécessiteront des décrets, notamment les articles sur les établissements privés pratiquant les IVG et leurs obligations en matière d'équipements, sur la délivrance à titre gratuit dans les pharmacies de la contraception d'urgence aux mineures, et sur la stérilisation volontaire pour les majeurs handicapés.

Dans cette loi qui réaffirme les droits des femmes en matière d'IVG et de contraception, nous voyons poindre sur certains éléments, notamment sur la notion d'information, comme nous l'avions souligné avant le vote, une mainmise du corps médical.

Nous souhaiterions qu'un certain nombre de textes, sous une forme ou une autre, démédicalisent l'IVG et la contraception, non pas en ce qui concerne l'acte lui-même, mais en ce qui concerne l'information donnée aux femmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La loi sera applicable dès sa publication au Journal officiel, qui ne pourra intervenir qu'après la décision du Conseil Constitutionnel. Certains articles, comme celui sur les délais, seront applicables d'emblée. Deux articles nécessiteront un décret en Conseil d'Etat (les articles 3 et 27) et deux autres (les articles 9 et 24) un décret simple ; d'autres articles nécessiteront certainement des textes d'application (décrets, arrêtés ou circulaires).

Pourriez-vous nous indiquer sur quels éléments du texte vous fondez votre affirmation sur le renforcement du rôle du médecin en matière d'information ?

Mme Danielle Gaudry : Sur les articles concernant les mineures.

Mme Yvette Roudy : C'est pourtant la mineure qui décide. L'article 7 prévoit que : "si la femme mineure non émancipée désire garder le secret, le médecin doit s'efforcer, dans l'intérêt de celle-ci, d'obtenir son contentement pour que le ou les titulaires de l'autorité parentale (...) soient consultés...". Dans l'esprit, ce n'est pas un renforcement du pouvoir médical.

Mme Danielle Gaudry : Certes, mais tout dépend de la façon dont le médecin va s'efforcer d'obtenir son consentement. Tout d'abord, le médecin doit contrôler le contenu de l'entretien préalable.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas du tout cela que nous avons voulu. Nous avons donné à la mineure la possibilité de dire, soit lors de l'entretien préalable, soit lors de sa rencontre avec le médecin, qu'elle ne pouvait recueillir le consentement d'un de ses parents et qu'elle avait donc choisi un adulte pour l'accompagner dans sa démarche. Initialement, le texte ne donnait cette responsabilité qu'au médecin. Nous avons donc cherché à élargir cette possibilité offerte à la mineure. De notre part, il n'y a eu aucune volonté de renforcer le rôle du médecin. Je crois que nous l'avons d'ailleurs montré dans d'autres articles, notamment ceux qui concernent l'IMG, la création des commissions pluridisciplinaires et leur ouverture à des membres non-médecins.

Mme Danielle Gaudry : Nous en avons bien compris l'esprit, mais son application nous pose problème.

Mme Françoise Laurant : Mettons de côté le cas des mineures. Comme il n'y a plus d'obligation d'entretien préalable, c'est le médecin qui rencontrera la femme et c'est lui qui lui remettra le dossier-guide. Nous sommes favorable à cette disposition, mais tout dépendra de la façon dont elle se mettra en place.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elle existait déjà dans le texte de 1975 et n'a pas été modifiée.

Mme Françoise Laurant : Lorsque nous affirmons que les femmes qui viennent à l'hôpital ont déjà pris leur décision de recourir à une IVG, et qu'elles y ont droit, cela conduit, d'une certaine façon, à recentrer la fonction de la structure hospitalière à être le lieu de la pratique de l'IVG et donc de la technique. C'est l'envers de la médaille.

C'est pourquoi l'un de nos thèmes de débat, en septembre, sera la place de la parole des femmes. Se posent-elles des questions avant de venir à l'hôpital ou pendant leur séjour ? Nous voudrions que soient établies des procédures d'application.

Mme Yvette Roudy : Nous avons évoqué la nécessité de prévoir des personnes formées et susceptibles de parler avec ces femmes. Nous avons bien précisé qu'elles auraient une assistance, car elles viennent demander un acte médical important. Comme les médecins peuvent plus ou moins bien les accueillir, il faut un médiateur. Cela doit être précisé dans le décret.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est un souhait exprimé également par l'ANCIC.

Mme Françoise Laurant : Je vais prendre un exemple, illustrant notre inquiétude face au repli de l'hôpital sur ses fonctions techniques. En ce moment, nous rencontrons quelques problèmes. A Grenoble, il est question de déménager le CIVG et de considérer que toute la partie chirurgicale - 85 % des IVG se font sous anesthésie générale - se réalisera dans le bâtiment de chirurgie de gynécologie et d'obstétrique. Le reste - consultations et autres - se fera dans un autre bâtiment. Le médecin qui vient d'être nommée responsable de ce centre d'IVG n'aura donc plus que la partie non technique de l'acte d'IVG sous sa responsabilité. La conséquence la plus importante de cette réorganisation est qu'elle tronçonne les prises en charge. Les femmes ont une consultation dans un bâtiment où elles rencontrent des infirmières, ensuite elles vont dans un autre bâtiment et y rencontrent d'autres personnels. Elles se réveillent parmi des patientes qui ont eu un problème médical tout autre. La régression est importante, car jusqu'à maintenant, il y avait unité de lieu et unité d'équipe, puisque le bloc chirurgical était à l'intérieur même du centre d'IVG.

Mme Yvette Roudy : La question du CIVG de Grenoble doit se discuter au sein du conseil d'administration de l'hôpital, présidé par le maire de la ville.

Mme Françoise Laurant : Selon le maire, nous ne sommes plus à l'époque des grandes batailles idéologiques, où l'existence d'un tel centre posait des problèmes. L'hôpital compte trop de blocs chirurgicaux, qui sont répartis en divers endroits. L'ARH et le service de "sécurité" hospitalière demandent qu'il y ait regroupement des blocs et, de fait, la direction commence par ce service. Comme la direction ne veut plus d'un bloc strictement réservé à l'IVG, les femmes venant pour une IVG seront mêlées aux autres patientes de gynécologie-obstétrique.

Nous nous battons contre cette situation qui dure depuis plus d'un an. Nous avons récemment organisé une conférence de presse, regroupant le MFPF, la CADAC, l'ANCIC et l'équipe militante du centre d'IVG, pour faire part de notre opposition à cet éclatement.

Pour ma part, je considère que ce centre ne sera plus un centre d'IVG si tous les actes ne sont pas pratiqués au même endroit, ou du moins avec la même équipe et sous une responsabilité unique. Voilà l'enjeu. L'équipe comprend quatre psychologues qui ont une grande pratique des entretiens sociaux, entretiens qui doivent être liés à l'acte technique. Quand les femmes se réveillent, c'est souvent à ce moment-là qu'elles souhaitent parler. Or, dans la configuration nouvelle, les personnels seront différents de ceux qu'elles auront rencontrés auparavant. Grenoble était un exemple de ce que pouvait être une unité fonctionnelle.

Si l'on revient à la question des locaux, le CIVG de Grenoble pourrait mener à bien toutes ses tâches dans un des préfabriqués où l'hôpital souhaite installer les consultations. Mais il faudrait des fonds supplémentaires pour construire un petit bloc chirurgical et financer un demi-poste d'infirmière anesthésiste. Cela serait peut-être possible en utilisant la fameuse enveloppe de 12 millions de francs mise en place par le Gouvernement. Il faudrait arriver à démontrer au maire que cela ne coûte pas si cher de conserver l'unité de lieu.

Mme Yvette Roudy : Est-ce lui qui pose problème ?

Mme Françoise Laurant : En partie, mais ce sont également le directeur de l'hôpital et le président de la commission médicale d'établissement (CME).

Il y a eu d'autres problèmes dans le passé. La responsable praticien hospitalier, qui était à la tête du Centre médico-social de santé de la femme (CMSF), est partie à la retraite en 1999. Le président de la CME pensait pouvoir recruter un chirurgien, sur le poste ainsi libéré, qui allait s'occuper de tout autre chose que du centre d'IVG. Le Planning avec d'autres structures politiques féministes sont intervenus auprès de la direction des hôpitaux, qui a décidé de maintenir un praticien hospitalier à la tête du CIVG. Le CHU a donc été obligé de céder, ce qui a posé problème. Aujourd'hui, le centre d'IVG a une vraie responsable à sa tête.

Cette affaire montre qu'il est nécessaire d'avoir un texte expliquant la façon dont ces centres doivent fonctionner. L'IVG ne peut être fractionné  : il ne peut y avoir, d'un côté, le social, de l'autre, l'acte technique, et dans un troisième lieu, tout ce qui concerne le post-IVG.

Pour notre part, nous considérons que la qualité de l'IVG réside dans la qualité du parcours de la femme, et non pas uniquement dans l'acte technique lui-même. C'est un aspect que les ARH ne comprennent pas toujours. Si un décret fixe les conditions d'installation des établissements privés, peut-être pourrait-il concerner également les structures publiques, avec la nécessité d'une unité de lieu et de la globalité de la prise en charge de la femme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lors d'un colloque que la Délégation a organisé au début d'avril sur l'assistance médicale à la procréation (AMP), nous nous sommes heurtés aux mêmes difficultés, à savoir une prise en compte globale et un accompagnement de la femme tout au long du parcours.

Mme Françoise Laurant : C'est ce point que nous évoquions quand nous parlions du pouvoir médical. Il ne faut pas uniquement penser à l'acte technique de l'IVG et à ce que fait le médecin.

Mme Fatima Lalem : Il convient également de penser à donner en amont les informations aux femmes, afin qu'elles puissent demander un entretien et des renseignements suffisamment à l'avance. Ce n'est pas lors du premier rendez-vous avec le médecin qu'elles doivent obtenir ces informations.

De plus, dans la pratique, tant dans les structures publiques que privées, le médecin accorde rarement un entretien suffisamment long. Si la femme émet le souhait de se confier, il ne faudrait pas qu'elle soit systématiquement renvoyée vers une psychologue. Cette femme a peut-être plutôt besoin de rencontrer une assistante sociale, si ses questions concernent la prise en charge, des questions sociales, son vécu, un problème conjugal, d'où son besoin de rencontrer une conseillère.

Il faudrait redonner de l'information aux femmes et leur permettre, à travers plusieurs guides, d'effectuer réellement leur démarche et de s'adresser aux lieux qui leur paraissent être les plus à même de leur offrir les réponses qu'elles demandent.

Mme Danielle Gaudry : Dans le texte de loi, sont prévus un dossier-guide IVG et un dossier-guide stérilisation. Dans le cadre de la politique d'information qui doit être menée au niveau national sur les droits des femmes et leur santé, il nous semble important d'envisager d'autres dossiers-guides, qui seraient disponibles non pas seulement lors de la consultation médicale, mais avant même que la problématique de l'IVG ou de la stérilisation soit posée par la femme. Il conviendrait que cette information, sur les possibilités légales et pratiques d'un certain nombre d'actes médicaux, soit donnée bien en amont aux femmes et aux couples.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A quels lieux pensez-vous plus particulièrement ?

Mme Danielle Gaudry : Par exemple, dans les centres de Sécurité sociale, de la même manière que des informations sur la péridurale sont déjà disponibles, il pourrait y avoir des informations sur l'IVG, la contraception, la stérilisation. Ce pourrait être également les centres de PMI, indépendamment du cabinet médical, certains centres de planification et de dépistage anonymes et gratuits, l'Education nationale.

On peut imaginer des lieux où cette information pourrait être disponible au public. La loi pourrait ainsi être portée à la connaissance des personnes à un moment où elles ne sont pas nécessairement concernées par ces questions.

Mme Françoise Laurant : On pourrait même imaginer que ce soit dans les établissements d'information et d'éducation sexuelle que toutes ces questions puissent être posées, éventuellement avec l'appui de guides et de brochures. Les femmes sauront où s'adresser, avant même de prendre une décision, sachant qu'elles seront écoutées et qu'elles recevront les bonnes informations. Cette information peut également inclure tout ce qui concerne la stérilité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le cadre du projet de loi sur le droit des malades, nous allons reprendre un travail, effectué par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), sur l'information éclairée. La question centrale de ce travail concerne le consentement éclairé des personnes handicapées mentales dans l'acte de stérilisation. Toutefois, ce même concept peut s'appliquer à tous les actes fondamentaux. Ce consentement et ce droit à l'information peuvent être aussi des éléments-clés que l'on aurait à étudier dans le cadre plus large, celui du droit des malades.

Mme Maïté Albagly : Le problème doit être également examiné en terme de prévention et d'information. Ne peut-on imaginer que la Délégation demande au ministre et à la secrétaire d'Etat aux droits des femmes d'élaborer des brochures spécifiques, comme celles concernant les violences ? Il serait peut-être possible de faire une campagne d'information concernant l'IVG.

Mme Danielle Gaudry : Pour nous, il est clair que l'information sur les droits de la personne est une mission de l'Etat.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'entends la demande du MFPF qui s'inscrit dans une optique plus large que celle de l'IVG ou de la stérilisation. Il s'agit du droit de la personne face à des actes fondamentaux.

Mme Françoise Laurant : Ce sont des décisions où le pouvoir du technicien est important et pour lesquelles il est intéressant qu'il y ait de l'information. Pour les femmes aujourd'hui, la démarche de demander de l'information et de vouloir parler se fait en même temps et au même endroit que le seront les actes techniques. L'écoute et l'information ne doivent pas être forcément séparées. Nous ferons, sans doute, des propositions nouvelles allant dans le sens de l'élargissement des fonctions de lieux d'informations, déjà existants.

Mme Danielle Gaudry : Cela rejoint le dossier-guide prévu par la loi. Mais il est vrai que nous considérons que c'est une problématique beaucoup plus large que la simple rédaction d'un document. Nous souhaiterions néanmoins savoir qui va réaliser la maquette du dossier-guide.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le texte est restrictif, parce qu'il prévoit que ce sont les DDASS qui assureront la réalisation et la diffusion du dossier-guide destiné aux médecins. Mais, il est vrai que le dossier-guide ne s'adresse pas forcément aux seuls médecins.

Mme Danielle Gaudry : Pour en revenir à la personne mineure, nous souhaiterions des précisions sur le rôle de l'adulte référent. Pour nous, il serait essentiel que cet adulte référent puisse faire l'accompagnement prévu dans la loi, dès le début des démarches. Cela signifie que cet adulte référent puisse être présent lors de la première consultation médicale, si la mineure a déjà fait son choix. Or, cela n'est pas indiqué dans le texte.

Il nous semble qu'il faudrait que le rôle de l'adulte référent accompagnant la mineure soit plus encadré, car, dans le texte de loi, ce rôle peut n'apparaître qu'en dernier recours. Cela nous semble dommage, vu les pressions que la mineure peut éventuellement subir de la part du médecin, qui peut lui demander de revenir plusieurs fois. On ne voudrait pas qu'une telle pratique puisse s'étendre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si nous n'avons pas parlé davantage de la place de l'adulte référent dans le texte, c'est à mon avis pour deux raisons. Premièrement, comme la ministre Elisabeth Guigou l'a toujours indiqué, l'adulte référent ne porte en aucun cas une quelconque responsabilité. Il ne prend pas la décision et n'est pas associé à la décision. Il ne faut donc en aucun cas que l'on puisse piéger l'adulte référent ; ce qui pourrait l'être si on écrit dans la loi qu'il peut être présent dès la première consultation. Deuxièmement, cet adulte référent peut être un violeur. La mineure doit donc disposer d'un temps où elle se retrouve seule face au médecin, à qui elle exprime seule son souhait. C'est pourquoi, face à ces deux types d'écueil, nous avons donné à l'adulte un rôle très limité, celui d'un accompagnement moral. Pour ces deux raisons, il n'est peut-être pas judicieux d'aller au-delà.

Mme Françoise Laurant : La justification de l'adulte référent n'est pas de remplacer les parents, mais de faire en sorte que la mineure ne soit pas seule. En fait, quand une mineure arrive à cette étape, c'est souvent parce qu'elle a trouvé un adulte avec qui elle a pu parler et qui n'est pas un des parents. Si la mineure est déjà dans un type de relation de confiance et d'aide de la part d'un adulte, il n'est pas cohérent de lui dire de venir sans lui à la première consultation, et peut-être aussi à la seconde. Mais nous comprenons les arguments sur la responsabilité.

Mme Danielle Gaudry : Nous avions envisagé le violeur, le proxénète et le cas d'inceste. Toutefois, même si c'est uniquement la décision de la mineure qui compte et qu'elle l'exprime en tête-à-tête avec le médecin, cet adulte référent doit être néanmoins une sorte de limite aux pressions du médecin sur la prolongation des démarches à faire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Qu'est-ce qui vous laisse supposer que le médecin pourrait engager des démarches supplémentaires vis-à-vis de la mineure ?

Mme Danielle Gaudry : Parce qu'il peut s'efforcer plusieurs fois d'obtenir le consentement des parents.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous n'avons jamais écrit cela dans le texte.

Mme Danielle Gaudry : Certes, mais nous avons cette crainte.

Mme Fatima Lalem : D'autant que, d'après les premiers échos, un certain nombre de médecins sentent leur responsabilité engagée vis-à-vis des parents. Il me semble que beaucoup de médecins vont s'engager dans une démarche très prudente, et vont demander à la mineure de réfléchir et de revenir les voir une semaine plus tard. Notre crainte est qu'elle ne revienne pas. Certains médecins sauront la rassurer, lui expliquer qu'elle peut rencontrer à nouveau la personne qu'elle a vue lors de l'entretien préalable. Mais nous craignons qu'un certain nombre de médecins ne renvoient la mineure à un temps de réflexion, qu'elle soit fragilisée et qu'elle ne persiste pas dans sa démarche.

Mme Yvette Roudy : Que souhaiteriez-vous pour apaiser votre crainte ?

Mme Fatima Lalem : Il serait souhaitable, au moment de l'entretien, lorsque l'entretien préalable a lieu avant la consultation chez le médecin, d'aborder avec elle la question de l'adulte référent. Actuellement, lorsque nous accueillons des jeunes, elles nous disent très souvent qu'elles ont pu en parler à l'infirmière scolaire, qu'un professeur leur a donné nos coordonnées, etc. Cela nous donne la possibilité d'aborder avec elles l'éventuelle présence d'un adulte référent. Cela ne signifie pas pour autant que cet adulte sera impliqué dans la décision de la mineure. Elle aura forcément un espace d'échange avec le médecin. Mais nous devons être assurées qu'elle sera informée de la possibilité d'un accompagnement et que les délais, eu égard au temps de réflexion que peuvent proposer les médecins, ne seront pas trop longs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'a jamais été question, dans notre esprit, de mettre un temps de réflexion. Ma crainte est de le créer, en le mentionnant dans une circulaire.

Mme Françoise Laurant : Ne faudrait-il pas quelque chose de général ailleurs dans le texte, expliquant qu'entre la première demande et la fixation du rendez-vous, le délai soit très court, car il est toujours préférable qu'une IVG soit effectuée le plus tôt possible ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je reviens au point précédent. En fait, vous ne considérez pas que le rôle de l'entretien préalable est capital pour la mineure. Nous avons donné à la mineure la possibilité d'expliquer, soit lors de l'entretien préalable, soit devant le médecin, les raisons pour lesquelles elle ne pouvait demander l'autorisation à l'un de ses parents. Nous avons pris garde à ce qu'il y en ait une trace écrite, afin que le médecin ne la réinterroge pas et ne revienne pas à la charge. Cela ne vous paraît-il pas une précaution suffisante ?

Mme Françoise Laurant : Actuellement, quand les mineures viennent nous voir, il n'est pas rare qu'avec la dédramatisation, la suppression de la tension, le fait d'être avec une amie, elles sortent de leur angoisse folle vis-à-vis de leurs parents. Par ailleurs, d'autres mineures parlent à leurs parents, suite à l'entretien. Il est bon que ces entretiens puissent jouer ce rôle. C'est pourquoi nous ne sommes pas contre.

Mme Danielle Gaudry : Sur l'entretien obligatoire, nous resterons vigilantes. En revanche, nous craignons que d'autres associations agréées pour faire les entretiens le soient beaucoup moins. Nous souhaitons donc que les associations, affichant leur opposition à l'IVG, ne soient pas agréées pour faire cet entretien. La femme majeure, qui n'est plus soumise à l'obligation de cet entretien, ne subira plus l'argumentaire des opposants à l'IVG. En revanche, la mineure va continuer à les subir, ce qui risque de la fragiliser encore plus. Certaines de ces associations assurent la formation des conseillères conjugales et assurent des entretiens. Leurs conseillères travaillent à l'hôpital ou dans n'importe quelle structure publique. L'association ne sera donc pas représentée, mais son idéologie passera par son intermédiaire. Ces questions d'agrément nous semblent tout à fait importantes, encore plus lorsqu'il s'agit de la mineure.

En ce qui concerne les nouvelles mesures concernant l'interruption médicale de grossesse, nous avons été obligées de répéter à nos militantes que l'interruption médicale de grossesse ne pourrait être un recours pour les IVG au-delà des 12 semaines de grossesse. Certaines étaient très enthousiastes et n'avaient pas vu qu'il est créé une commission pluridisciplinaire, laquelle comprend le médecin du choix de la femme ou du couple, le médecin spécialiste, soit gynécologue-obstétricien, soit de médecine foetale, et une personne autre, psychologue ou travailleur social.

C'est vrai que nous nous demandons si un certain nombre de personnes, croyant bien faire, ne vont pas assimiler les demandes d'interruptions de grossesse tardives à des cas psychosociaux, pour que ceux-ci puissent passer devant cette commission pluridisciplinaire. C'est une de nos craintes, parce que nous ne souhaitons pas que les femmes en demande d'IVG au-delà de douze semaines de grossesse soient toutes considérées comme des cas psychosociaux. En premier lieu, ce n'est pas le cas. De plus, cela renforce la dévalorisation de la position de la femme dans la société et conduit à la traiter comme une malade.

Mme Yvette Roudy : Ce texte représente néanmoins un net progrès.

Mme Danielle Gaudry : Ce n'est pas une critique du texte que nous faisons. Pour nous, c'est un net progrès par rapport à ce qui existait. Dans les cas "vrais" d'interruption médicale de grossesse, ces commissions n'auront pas systématiquement des prises de position homogènes, sur l'ensemble du territoire français. C'est pourquoi nous nous demandons s'il est possible de préciser, dans un texte, la possibilité d'un recours, si une commission n'accepte pas le choix de la femme ou du couple.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A priori, rien ne l'empêche. Je ne connais pas la façon dont les décrets d'application seront rédigés, mais aujourd'hui si une commission n'accorde pas à un couple une autorisation d'IMG, il va dans un autre hôpital. Aucun texte ne l'interdit.

Mme Françoise Laurant : Mais nous nous demandons s'il ne pourrait pas y avoir une procédure d'appel de la décision.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne sais pas si nous avons intérêt à être très précises sur ce point.

Mme Fatima Lalem : Nous avions aussi deux questions concernant la contraception. Tout d'abord, la possibilité pour des mineures d'accéder à la contraception en termes de prescription, de bilan et de suivi, peut se faire, non plus seulement dans les centres de planification, sans le consentement des parents, mais aussi auprès des médecins de ville et de campagne, ce qui est une très bonne mesure. Mais nous avons des questions concernant la prise en charge, puisque dans les centres, il y a une gratuité des contraceptifs pour les mineures. Quid des mineures qui habitent la campagne et vont voir un médecin parce qu'il n'y a pas de centre de planification à proximité. Vont-elles devoir payer la consultation et la contraception ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La situation ne change pas par rapport à l'existant.

Mme Danielle Gaudry : Mais comment leur rembourser leur consultation sans passer par les parents ?

Mme Françoise Laurant : Nous avons quelques expériences intéressantes pour ces cas-là. Dans les zones où il n'y a pas de centres de planification, les médecins, qui sont d'accord pour jouer un rôle intelligent vis-à-vis des mineures, peuvent passer une convention avec le centre de planification le plus proche et sont alors considérés comme une antenne du centre de planification. Par conséquent, il y a gratuité de la consultation et des autres actes. Certes, il faut un accord entre la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et le conseil général. Si nous n'obtenons pas, dans les cabinets médicaux, la gratuité de la consultation et de la contraception, ce système d'antennes de médecins autour d'un centre de planification peut être intéressant.

Mme Danielle Gaudry : Sans passer forcément par les conseils généraux, mais éventuellement avec l'accord de la CPAM.

Mme Françoise Laurant : C'est la CPAM qui rembourse la consultation, le laboratoire et la prescription, le Conseil général n'intervenant pas. Dans un centre de planification, le Conseil général paie la conseillère, le fonctionnement du centre, mais rien au titre de l'assurance maladie. A Montpellier et en Alsace, cela fonctionne très bien.

Mme Fatima Lalem : Par rapport à la stérilisation volontaire, le MFPF propose, pour éviter une trop grande disparité des pratiques, de saisir l'ANAES pour qu'il établisse des recommandations de bonnes pratiques.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans notre réflexion, nous ne sommes pas parties des recommandations de l'ANAES, mais de la pratique du centre hospitalier de Nantes, qui nous paraît remarquable. C'est à partir de leur pratique que nous avons élaboré le guide, le délai de réflexion, la clause de conscience pour les médecins, etc. Mais considérez-vous qu'il faille une réflexion sur l'acte technique lui-même ?

Mme Fatima Lalem : Oui, afin qu'il n'y ait pas une trop grande diversité au niveau des pratiques et que les médecins aient un cadre de référence reconnu qui simplifie, pour le plus grand nombre, leur démarche d'acceptation.

Sur le remboursement et la clause de conscience, nous considérons que le médecin doit informer, dès la première visite, la femme ou l'homme, mais il n'est pas indiqué qu'il doit les orienter vers un médecin susceptible de proposer cette stérilisation. Par ailleurs, nous n'avons pas encore d'indications quant au remboursement de cette contraception.

Mme Françoise Laurant : D'un point de vue plus général, étant donné que la loi de 1975 n'était pas bien appliquée, nous souhaiterions que les décrets d'application puissent être également des décrets d'amélioration globale du texte.

Mme Danielle Gaudry : Ce texte est une grande avancée.

Audition de Mmes Maya Surduts, secrétaire générale, Danielle Abramovici et Nora Tenenbaum, membres de la coordination nationale pour le droit à l'avortement et à la contraception (CADAC)

Réunion du 12 juin 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir de vous accueillir aujourd'hui et d'entendre vos observations sur les textes d'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception.

Mme Maya Surduts : Nous sommes ravies du travail considérable que vous avez accompli pour les femmes. Le problème est maintenant de savoir si nous aurons les conditions matérielles nécessaires à l'application de la loi. Voilà ce qui nous préoccupe aujourd'hui.

Il est gênant que seule une circulaire ait traité de l'usage abusif de la clause de conscience et ait imposé aux chefs de service l'obligation de pratiquer des IVG dans leur service, même s'ils y sont opposés. Nous aimerions savoir comment faire appliquer cette disposition et quels moyens seront mis en _uvre pour l'imposer aux chefs de service, de manière à ce que ceux-ci soient tenus d'organiser des IVG dans leur service.

Nous craignons également une réduction du budget concernant les conseillères conjugales. Ce serait tout à fait regrettable à tout point de vue. Mais dans le cadre de la politique de restriction budgétaire en général, il ne faudrait pas que la suppression de l'entretien préalable obligatoire pour les majeures en soit l'occasion.

Une autre de nos préoccupations porte sur les unités fonctionnelles où seront pratiquées les IVG.

En ce qui concerne les délais, il devrait y avoir suffisamment de médecins, même si leur nombre est limité, pour pratiquer des IVG au-delà de douze semaines. Il ne faut donc pas en faire un obstacle majeur.

L'adulte référent nous pose aussi quelques problèmes. Il faudra faire en sorte que les pressions exercées sur les mineures ne soient pas intolérables et ne rendent pas la situation très délicate pour ces jeunes femmes.

Comment faire en sorte que l'avancée concernant la mifépristone entre en vigueur et que soient signées les conventions entre médecins de ville et établissements de santé, prévues par l'article 3 de la loi ? Qui va contrôler cette application de la loi ? Nous aimerions avoir des précisions sur ces points.

En ce qui concerne les campagnes en faveur de la contraception, il nous semble indispensable que ces campagnes soient permanentes. C'est notre grande préoccupation. Nous constatons, avec regret que le comité de pilotage chargé de l'IVG et de la contraception ne s'est toujours pas réuni, alors que l'engagement avait été pris de mener une campagne d'information sur la contraception chaque année. Quant à la pilule de troisième génération, on nous avait promis une pilule générique à la fin 2000 ; nous ne voyons rien venir...

Nous souhaiterions également que la loi fasse l'objet d'un suivi.

Nous comptons beaucoup sur vous. Nous avons l'impression que, d'ici les élections, les conditions matérielles objectives et subjectives pourraient être réunies pour permettre, dans la pratique, une bonne application de la loi.

Mme Danielle Abramovici : En ce qui concerne les structures, qui seraient habilitées, tant à pratiquer et prendre en charge les IVG qu'à informer sur la contraception et les MST, nous tenons à rappeler les trois structures qui nous paraissent importantes.

Tout d'abord l'unité fonctionnelle, rattachée à un service de gynécologie, de gynécologie-obstétrique ou d'obstétrique, est tenue aux termes de la loi à assurer la prise en charge des IVG. Nous rappelons également, comme deuxième type de structure, la nécessité de disposer d'unités fonctionnelles autonomes, avec un plateau technique comparable à celui des CIVG actuels. Il est indispensable que ces structures demeurent.

Les troisièmes structures passent par la construction de réseaux ville-hôpital associant généralistes et gynécologues de ville aux médecins hospitaliers dans la prise en charge d'IVG précoces utilisant la mifépristone.

Dans toutes ces structures, il nous paraît important que les femmes disposent de l'ensemble des choix des techniques d'IVG, sous anesthésie locale ou générale, par mifépristone ou aspiration, et qu'elles aient toutes les informations nécessaires.

En matière de contraception, il faut des campagnes permanentes. Le comité de pilotage IVG-contraception doit continuer d'exister sous l'autorité du ministère de tutelle, avec des moyens suffisants. Qui va veiller à l'application de la loi ? Comment être sûr de sa bonne application ?

En ce qui concerne les chefs de service, la circulaire n'a pas la force juridique d'un décret d'application ou d'un article de loi. Jusqu'à présent, nous avons bien vu que la loi n'était pas toujours appliquée et que le droit de réserve existait toujours dans certains services. Certains services actuellement ne pratiquent pas d'IVG ou ne donnent pas les informations sur les différents choix aux femmes. Or, il est important que les femmes aient le choix entre les différentes méthodes d'IVG et de contraception.

Mme Nora Tenenbaum : En complément, j'interviendrai sur quelques points sur lesquels nous souhaiterions que des décrets d'application précisent les différents articles. Je reviendrai sur le dossier-guide. Nous nous sommes interrogées sur son contenu, sur sa rédaction et sa diffusion.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans la loi, la diffusion de ce dossier-guide est laissée aux soins des DDASS. Il nous semblait que cela permettrait une adaptation locale permettant d'informer sur les établissements dans lesquels sont pratiqués les IVG ainsi que sur la localisation des centres de planification et des organismes pouvant accompagner les femmes.

Mme Nora Tenenbaum : Nous nous demandions si la réalisation de ce dossier serait différente selon les DDASS.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y aura un corps central, avec une adaptation qui sera fonction de chaque département.

Mme Nora Tenenbaum : Le texte de loi prévoit que ce sera le médecin qui le diffusera. Nous souhaiterions qu'il soit diffusé plus largement et que les femmes puissent obtenir les informations dans des centres de santé, ou éventuellement des mairies.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous n'avons peut-être pas suffisamment réfléchi sur ce point. Nous avons conservé la trame de la loi de 1975, qui prévoyait la remise de ces dossiers-guides par les médecins et leur réalisation et leur diffusion par les DASS. Nous n'avons modifié que le contenu de ce dossier-guide.

Mais, étant donné que tous les articles concernant l'interdiction de la propagande en matière d'IVG sont levés, il conviendrait effectivement de prévoir une information grand public ou un dossier-guide qui ne soit pas seulement disponible dans le cabinet du médecin.

Mme Maya Surduts : C'est un des éléments qui contribuerait à faire diminuer le nombre d'IVG ou permettrait qu'elles soient pratiquées plus tôt.

Mme Nora Tenenbaum : En ce qui concerne la formation qualifiante de la conseillère conjugale, nous nous sommes interrogés sur les organismes qui seront habilités à donner cette formation qualifiante. En particulier, nous sommes inquiètes de ce qu'un certain nombre d'associations hostiles à l'IVG pourraient recevoir l'agrément leur permettant de donner des informations. Nous souhaitons qu'un décret veille à ce qu'il n'y ait pas de confusion sur cette formation qualifiante.

Le troisième point sur lequel nous souhaitons intervenir concerne les mineures. Nous souhaiterions que le décret n'alourdisse pas la tâche du médecin qui doit vérifier si la mineure a été véritablement bien informée et que celui-ci ne la pousse pas dans des délais extrêmes aux fins d'obtenir l'autorisation parentale. La mineure pourrait alors laisser passer les délais légaux, mais surtout sortir des structures médico-sociales et se retrouver dans une situation dramatique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sur ce point, il me semble que l'information est mal passée. Nous avons ouvert la possibilité pour la mineure de discuter de cette question lors de l'entretien préalable, auprès de la conseillère conjugale. La mineure peut ensuite rencontrer le médecin et produire un document spécifiant que le consentement de l'un des titulaires de l'autorité parentale ne peut pas être recherché et précisant le nom de l'adulte référent.

Dans la mesure où était maintenu l'entretien préalable obligatoire pour la mineure, il nous a semblé que c'était à ce moment là que cela pouvait se discuter. Ce n'est donc pas le médecin seul qui va l'interroger sur ce consentement. Une double possibilité est laissée à la mineure

Mme Nora Tenenbaum : Dans le troisième alinéa de l'article 7, il est dit : "Le médecin doit s'efforcer, dans l'intérêt de celle-ci, d'obtenir son consentement ... ou doit vérifier que cette démarche a été faite lors de l'entretien..." Il est vrai que le quatrième alinéa vient tempérer le troisième. Mais nous craignons que le médecin ne se sente investi par le troisième alinéa d'une sorte de tâche morale le poussant à aller soutirer à la mineure l'autorisation parentale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons bien inscrit l'alternative selon laquelle "le médecin doit s'efforcer d'obtenir son consentement ou doit vérifier que la démarche a été faite". Il vérifie qu'elle a un document émis par le centre indiquant qu'elle ne peut pas obtenir ce consentement. Ceci étant, il faut rester très vigilant.

Mme Nora Tenenbaum : S'agissant de l'IVG au-delà des douze semaines, nous allons défendre de nouveau notre position, mais nous ne savons pas si cela peut faire l'objet d'un décret d'application. Nous souhaitons que, quelle que soit la décision de l'équipe pluridisciplinaire pour une demande d'IVG au-delà de douze semaines, ce soit la position de la femme qui soit en définitive retenue.

En ce qui concerne le délit d'entrave à l'IVG, il faudrait un décret précisant que la direction de l'hôpital doit faire appel à la force publique lorsqu'il y a délit d'entrave, afin que les auteurs du délit soient connus et que les poursuites puissent être engagées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : D'après le code de procédure pénale, le directeur d'établissement, comme tout officier public ou fonctionnaire, doit signaler sans délai au procureur les délits dont il a connaissance, en particulier les délits d'entrave, et porter plainte.

Mme Maya Surduts : Je voudrais préciser ce point. A une époque, notamment à l'hôpital Saint-Louis, le directeur, les syndicats et les organisations extérieures étaient prêts à porter plainte, car cela faisait des années qu'ils ne parvenaient pas à faire punir le fait de perturber l'accès au centre d'IVG. Au dernier moment, lorsque tout a été prêt, le procès s'est avéré impossible, car personne n'avait été interpellé.

Mme Danielle Abramovici : La police est bien venue, mais comme personne n'avait été interpellé, il ne restait aucune trace.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le problème, c'est qu'il faut prendre quelqu'un sur le fait. De plus, même si ces personnes avaient été interpellées, le procureur aurait pu décider de ne pas donner suite, en raison de la difficulté à démontrer la responsabilité de tel et tel individu. C'est un problème beaucoup plus large que cette situation donnée. C'est, à mon avis, le propre d'un certain nombre de situations auxquelles nous sommes confrontées régulièrement.

Mme Maya Surduts : Ce qui est positif, c'est qu'il y a eu une attention particulière portée à la loi et à un renforcement de la loi.

Mme Nora Tenenbaum : En ce qui concerne le décret d'application relatif à la délivrance gratuite du Norlevo, la contraception d'urgence en pharmacie pour les mineures, nous souhaiterions savoir si le décret d'application est paru.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non, il ne l'est pas encore.

Mme Nora Tenenbaum : Nous nous posons aussi la question du remboursement de la pilule de troisième génération.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est noté.

Mme Maya Surduts : Il n'y en a plus en France, il faut aller la chercher en Angleterre.

Mme Nora Tenenbaum : En relisant le texte définitif de la loi, nous avons vainement cherché l'article où était inscrit le fait que les chefs de service étaient tenus d'organiser dans leur service, quelles que soient leurs convictions personnelles, la prise en charge des IVG. Nous ne l'avons pas retrouvé, ce qui nous inquiète.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans les deux derniers alinéas de l'article 8, il était mentionné que, lorsqu'un chef de service ne voulait pas organiser une telle pratique, il appartenait au conseil d'administration de la mettre en place et de décider de créer une unité spécifique. Nous avons supprimé ces deux alinéas qui étaient dérogatoires par rapport au fait que le chef de service doit assumer la responsabilité de l'IVG.

Mme Nora Tenenbaum : Le chef de service était autorisé à ne pas pratiquer lui-même d'IVG et à ne pas en organiser dans son service, si lui-même était contre l'IVG. Il avait cette possibilité. Mais, il n'est pas indiqué dans la loi qu'un chef de service est tenu d'assurer, dans son service, la prise en charge de l'IVG

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons supprimé la dérogation prévue aux deux derniers alinéas. Donc, il appartient à l'établissement public tenu de pratiquer les IVG, dont la liste est fixée par décret, d'organiser cette pratique de l'IVG. Dans ces établissements, le conseil d'administration doit organiser les IVG comme toute autre activité médicale et le chef de service n'a donc plus le droit d'en refuser la responsabilité.

Mme Maya Surduts : Le problème est que la nomination du chef de service n'est pas subordonnée au fait, entre autres, qu'il organise ou non des IVG dans son service. Le pouvoir d'un mandarin est tel que, s'il n'y a rien qui le contraigne à pratiquer des IVG, il n'en fera pas. D'ailleurs les services les plus prestigieux de Paris en font très peu, que ce soit Cochin, la Pitié-Salpétrière, etc. Les deux tiers des IVG, dans la région parisienne, sont pratiquées dans le privé, le reste, soit 80 %, étant fait dans les CIVG, qui sont fragiles. Nous pensons que la loi ne crée pas des contraintes suffisantes pour obliger les chefs de service à pratiquer des IVG dans leur service.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sur ce point, nous ne partageons pas cette interprétation et nous pensons, de plus, que depuis 1975, les mentalités ont évolué.

Audition de Mmes Françoise Laurant, présidente, Danielle Gaudry et Fatima Lalem, membres du bureau exécutif, et Maïté Albagly, secrétaire générale, du Mouvement français pour le planning familial (MFPF)

Réunion du 16 octobre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La réunion d'aujourd'hui a lieu dans le cadre du suivi par notre Délégation de l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception, sollicité, lors des débats parlementaires, par le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

L'ordre du jour appelle l'audition de représentantes du Mouvement français pour le planning familial sur l'application de la loi Veil relative à l'IVG et sur les difficultés d'application de la nouvelle loi du 4 juillet 2001. Une circulaire d'application a été publiée le 28 septembre dernier et cinq décrets sont en préparation.

Mme Françoise Laurant : Nous nous sommes mobilisées pour faire savoir, là où nos centres sont implantés, que la loi était applicable, au moins pour tous les articles qui ne faisaient pas mention de décrets d'application.

Notre première surprise a été de constater que cette loi a eu pour effet, à certains endroits, d'aggraver les difficultés de fonctionnement de la loi précédente. L'absence de médecins disposés à pratiquer des IVG est un phénomène qui dépasse le fait que des médecins ne souhaitent pas pratiquer des IVG pendant la période de douze à quatorze semaines d'aménorrhée.

Nous avons observé des situations extrêmement différentes d'une ville à l'autre. Même si certains journalistes ont voulu cibler telle ou telle ville, où la loi était mal appliquée, les établissements ne sont pas tous forcément dans la même situation, en particulier dans la région parisienne.

Par ailleurs, nous suivons de près les décrets d'application. La rédaction du dossier-guide, à laquelle nous avons été associées, peut être considérée comme terminée, avec l'accord et la validation de toutes les parties intéressées. Toutefois, une question demeure : pourquoi attendre les autres décrets avant de diffuser le dossier-guide ? Les décrets, en conseil d'Etat ou non, prendront du temps. Seul le décret sur le dossier-guide est prêt.

Notre mouvement qui a tenu un conseil d'administration il y a une huitaine de jours, a voté un document faisant le bilan de nos positions en matière d'IVG. Nous y avons ajouté le problème des pilules de troisième génération. En effet, au regard des dernières informations en notre possession, non seulement ces pilules ne seraient pas plus performantes, mais en plus elles induiraient des risques certains. Nous avons donc demandé à l'ensemble de nos médecins de ne plus les prescrire.

Mme Danielle Gaudry : Je voudrais apporter un complément d'information sur le dernier point de notre communiqué de presse qui fait état d'une campagne nationale sur l'IVG et la contraception. En fait, il s'agit d'une campagne interne que nous n'avons pas encore décidé et qui ne portera absolument pas ombrage à la campagne nationale qui va être lancée. J'apporte cette précision, car la rédaction du communiqué peut prêter à confusion. Il ne s'agit pas de deux campagnes ayant le même objectif et nous participerons bien à la campagne nationale.

Mme Françoise Laurant : Nous voulions insister sur l'intérêt d'avoir abrogé, dans la loi, tout ce qui condamnait la propagande ou la publicité en matière d'IVG et préciser que la meilleure façon était de nous en saisir, mais sans donner de date. La presse en a immédiatement conclu que nous lancions une campagne concurrente de celle du Gouvernement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comme vous l'avez indiqué, le dossier-guide est prêt. Toutefois, le ministère n'a toujours pas décidé s'il allait publier l'ensemble des décrets, ou les publier les uns après les autres.

Nous allons maintenant aborder une série de questions. Premièrement, en ce qui concerne l'information des femmes, nous avons entendu dire que, cet été, les permanences téléphoniques régionales n'avaient pas bien fonctionné. Partagez-vous ce constat ?

Notre deuxième sujet de préoccupation concerne la suppression de l'entretien obligatoire. Vous avez laissé entendre qu'un certain nombre de médecins continuaient de l'exiger des femmes majeures. L'entretien est-il systématiquement proposé avant et après l'IVG ? En effet, d'après la loi et sur la base du volontariat, pour les femmes majeures, un entretien doit être proposé également après l'IVG.

Sentez-vous une évolution de l'entretien préalable et des missions des conseillères conjugales vers plus d'accompagnement ? Le caractère facultatif de l'entretien préalable entraîne-t-il une attitude différente des conseils régionaux qui supprimeraient des postes ou des financements ?

Troisièmement, en ce qui concerne la pratique de l'IVG, les causes des réticences des médecins doivent être analysées. Un malaise s'est manifesté chez les gynécologues-obstétriciens l'année dernière avec une menace de grève concernant l'IVG, et au début de l'été concernant les accouchements. Peut-on expliquer une partie des réticences du corps médical par une absence d'information ou de formation des médecins aux nouvelles techniques d'IVG pour la période allant de dix à douze semaines de grossesse ? Y-a-t-il un problème récurrent de manque de personnel pendant la saison estivale ? La situation s'est-elle améliorée à l'automne ? Ou alors faut-il plutôt imputer ce malaise à une mauvaise rémunération de l'acte (300 francs), qui n'a fait l'objet d'aucune réévaluation depuis plusieurs années ? Des femmes ont-elles continué de partir à l'étranger, cet été et à l'automne, et dans quelles proportions ?

Avez-vous constaté un impact sur la pratique des IVG de la levée du contingentement concernant les établissements privés ? La faible rémunération de l'acte dissuade-t-elle ces établissements de pratiquer des IVG au-delà du contingentement fixé jusqu'à présent ?

En ce qui concerne les mineures, avez-vous constaté que des praticiens exigeaient une autorisation parentale, y compris pour des mineures indiquant qu'elles ne pouvaient avoir recours à cette autorisation ? De façon générale, quelle est l'attitude et l'écoute des praticiens vis-à-vis des mineures ? Les conseillers ou conseillères aident-ils au choix de l'adulte référent ? Les mineures se présentent-elles accompagnées d'un adulte qu'elles ont choisi, et quel est-il ?

Par rapport à la contraception, il a été question, au printemps dernier, de l'implant contraceptif, qui a apporté de grands espoirs, notamment pour les jeunes filles ou femmes qui ne supportent pas une contraception quotidienne. Cette technique est-elle intéressante à développer ? Quelles mesures permettraient de développer le préservatif féminin ? Y a-t-il des problèmes culturels, de coût ?

Dans chaque collège, ont été mis en place des conseils d'éducation à la santé. Font-ils appel à des organismes, tels que le Planning familial ? Les élèves, dans les collèges où existent ces instances, reçoivent-ils une éducation à la sexualité ?

Dans les régions où il n'y a pas de centre de planification, notamment en milieu rural, avez-vous mené une réflexion avec les médecins et les caisses de Sécurité sociale sur la possibilité de conventionnement entre médecins et centres de planification, sous l'égide des caisses de Sécurité sociale ou des DDASS ?

Mme Danielle Gaudry : J'ai eu malheureusement encore aujourd'hui une expérience pénible en ce qui concerne l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception. La circulaire du 28 septembre n'est toujours pas connue des établissements, même militants, même des CIVG qui fonctionnent bien. Cette circulaire n'est pas arrivée là où il le faudrait. Il me paraît donc difficile de dire s'il y a eu des changements depuis la circulaire, puisque les équipes ne la connaissent pas.

Mme Fatima Lalem : En ce qui concerne le fonctionnement des permanences téléphoniques régionales, je prendrai l'exemple de la permanence parisienne. Elle a bien fonctionné et reçu un grand nombre de sollicitations de la part des femmes et des professionnels, soit une moyenne de trente à trente-cinq appels par jour, pendant le mois d'août.

Cela étant, les responsables de cette permanence ont rencontré des difficultés au niveau de l'orientation, car ils ne disposaient pas d'indicateurs suffisamment fiables et précis sur les possibilités d'accueil. Il est vrai qu'un effort a été fait au niveau de la région parisienne, puisque la DRASSIF a demandé aux différentes DDASS de lui envoyer des listings, avec les plannings d'ouverture et les disponibilités d'accueil des femmes en demande d'IVG.

Malheureusement, nous avons rencontré trois problèmes par rapport à ces listings. Tout d'abord, nous les avons reçus tard, c'est-à-dire courant août, au lieu du mois de juin. Ensuite, les éléments fournis n'étaient pas homogènes. Nous ne savions pas le nombre de femmes que les médecins pouvaient accueillir sur une vacation. Enfin, nous avions des tableaux qu'il fallait pratiquement décoder, parce que très mal remplis. Il y a donc un effort à faire au niveau de la collecte des informations, notamment par rapport à la situation de l'été.

Nous avons fait un bilan de l'application de la loi en région parisienne. Entre les mois de janvier et juin, les délais d'attente à Paris ont été en moyenne de deux à trois semaines. Les vacances d'été ont aggravé des difficultés qui préexistaient, du fait que, en région parisienne, le secteur privé assure 50 % des IVG et que, à Paris, six structures publiques concentrent 80 % des IVG pratiquées. Ce sont des structures qui remplissent leur mission de service public. Elles sont donc repérées par les professionnels et les femmes et, de ce fait, reçoivent un grand nombre de sollicitations, d'où leur saturation. C'est d'ailleurs parmi ces structures que nous retrouvons le contingent le plus important de médecins qui appliquent la loi.

D'après les dernières informations, datant du mois d'août, cinq établissements publics à Paris pouvaient pratiquer des IVG jusqu'à quatorze semaines d'aménorrhée, dont quatre établissements de l'AP-HP et un établissement privé. Depuis, la situation a peut-être évolué car, à l'époque, quelques structures importantes, qui avaient l'habitude de pratiquer des IVG, étaient en attente. Certains médecins appréhendaient le geste technique de l'IVG tardive et certaines équipes s'interrogeaient. D'autres équipes, en revanche, nous avaient indiqué qu'elles ne pouvaient envisager, à court terme, la mise en application de la loi.

Nous avons également recueilli nous-mêmes des indications sur différents départements, mais nous n'avons pas souhaité en faire un état nominatif. Elles donnent le nombre de structures pratiquant des IVG et des indicateurs sur l'application de la loi, notamment dans les structures privées, et sur les modalités de prise en charge (tiers payant, CMU), et le forfait IVG. Dans certains départements, près de la moitié des structures privées vont jusqu'au doublement de ce forfait.

Cela pose de gros problèmes aux responsables des permanences, car c'est un vrai parcours du combattant, lorsque les femmes sont dans un délai avancé et ne peuvent pas avancer l'argent. Cet été, nous avons rencontré des femmes qui, à douze ou treize semaines, ne pouvant obtenir une IVG à Paris, ont préféré aller en Hollande.

Certes, nous constatons une légère amélioration, mais sans pour autant pouvoir dire que la situation quant à l'application de la loi à Paris et en région parisienne a beaucoup évolué. Les permanences sont un outil intéressant d'information et d'orientation, à condition de leur donner les moyens de fonctionner.

Mme Danielle Gaudry : Je vais reprendre les différentes questions que vous avez posées, Madame la présidente.

En ce qui concerne la suppression de l'attestation d'entretien des femmes majeures, que ce soit en région parisienne ou au niveau national, nous avons pu constater que certains médecins libéraux continuaient, cet été, voire encore actuellement, à exiger l'attestation d'entretien, mais cela par pure ignorance de la loi. Nous leur avons adressé un courrier pour leur indiquer que la loi avait été modifiée et que l'entretien n'était plus obligatoire. Nous pouvons recevoir les femmes si elles le souhaitent, mais sans pour autant avoir à établir d'attestation d'entretien obligatoire.

Toutefois, dans certaines structures, même publiques, nous avons pu constater que le rendez-vous d'IVG était refusé si la femme ne se présentait pas avec son attestation d'entretien. C'est une situation très gênante, qui semble d'ailleurs perdurer dans certains départements et qui engendre pour certaines femmes des difficultés notables. En effet, comme parfois les structures ignorent la suppression de cette obligation d'entretien, les femmes se renseignent où avoir cet entretien, ce qui leur fait perdre du temps et les amène à se retrouver parfois dans des délais limites.

En ce qui concerne l'entretien post-IVG, nous n'avons aucun renseignement, car les structures s'interrogent actuellement sur l'application de la nouvelle loi. Les équipes de conseillères conjugales réfléchissent au nouveau contenu de l'entretien, qu'il soit avant ou après l'IVG, et sur la façon de le présenter. Leur principale interrogation porte sur l'entretien des mineures et le choix de l'adulte accompagnant.

Je ne peux répondre spécifiquement sur l'entretien post-IVG, mais de nombreuses équipes de conseillères conjugales s'interrogent à ce sujet. Certaines estiment qu'elles peuvent se retrouver mises en cause, ce qui n'est pas l'esprit de la loi. D'autres cherchent à établir des protocoles, des procédures de présentation de l'entretien, que ce soit en centre de planification ou dans les établissements pratiquant l'IVG.

Mme Fatima Lalem : Avant d'aborder le problème de l'accueil des femmes au regard du nouveau dispositif, je souhaiterais vous signaler que, parmi les structures que nous avons testées, deux hôpitaux publics en région parisienne nous ont déclaré pratiquer des IVG jusqu'à quatorze semaines d'aménorrhée, mais avec pose de laminaire et hospitalisation des femmes.

S'agissant de l'accueil des femmes, nous avons noté dans nos permanences une diminution du nombre de femmes qui viennent nous voir. C'est une bonne chose, car cela signifie que l'attestation est moins souvent demandée. Toutefois, en même temps, nous sommes confrontées à des situations plus difficiles. Nous sommes sollicitées pour des accompagnements d'une autre nature, liés à de réels problèmes familiaux, de violences conjugales, de précarité ou de toxicomanie.

C'est principalement dans le secteur privé que l'attestation est souvent requise, parce que l'information n'est pas bien passée.

Par ailleurs, nous avons eu des échos de certaines difficultés, notamment d'un risque de déviation de l'entretien pour les mineures ; dans certains lieux, il semble qu'un entretien avec la psychologue soit systématiquement proposé pour vérifier la raison pour laquelle la mineure ne souhaite pas demander l'autorisation à l'un de ses parents, alors même qu'elle a indiqué avoir un accompagnant adulte.

Il existe également une autre difficulté pour les mineures. Certains médecins, y compris dans le secteur privé, prêts à pratiquer une IVG sur une mineure accompagnée par un adulte référent, se sont heurtés au refus de l'anesthésiste, malgré la consultation préalable.

S'agissant de la nature des adultes référents, nous n'avons pas mené d'enquête approfondie. Dans le cas des jeunes filles que nous avons rencontrées dernièrement, il s'agit souvent d'adultes membres de la famille, la tante, voire la mère du copain. Ce sont des situations fréquemment rencontrées.

Mme Danielle Gaudry : Récemment encore, j'ai eu l'impression que certaines équipes "psychologisaient" énormément l'entretien de la mineure en considérant que si elle ne pouvait en parler à ses parents, c'est qu'il y avait des difficultés au sein de la famille et qu'il fallait absolument réunifier cette famille, d'où plusieurs entretiens et non pas un seul.

Certes, cela ne part pas d'un mauvais sentiment, mais c'est une dérive que nous constatons dans certaines équipes, qui acceptent difficilement la décision de la mineure de ne pas en parler à ses parents.

Quant aux causes des réticences des médecins, elles sont multiples. L'absence d'information claire par circulaire ministérielle a été une des causes de ces réticences. Les médecins voulaient absolument pouvoir s'abriter derrière un texte, et apparemment un texte de loi ne leur suffisait pas.

En ce qui concerne la menace de grève des gynécologues-obstétriciens, il est vrai qu'en novembre 2000, ces derniers s'étaient engagés à ne pas pratiquer d'IVG et que, cet été, ils ont fait porter leur menace sur les accouchements. Je crois que cela dépasse largement la loi sur l'IVG et qu'il s'agit plutôt d'un malaise général de la spécialité. Ces menaces étaient un outil de pression, mais ce n'était pas une opposition complète et flagrante à l'IVG, en tout cas pas de la majorité des praticiens.

Au sujet du refus actuel par de nombreuses équipes de pratiquer les IVG de dix à douze semaines de grossesse, il s'agit d'une crainte générale de ne pas savoir-faire. Certaines équipes nous ont rapporté que leurs médecins avaient été se former en Espagne. Cela peut paraître étonnant dans un pays comme le nôtre, mais c'est une réalité. D'autres essaient actuellement d'appliquer aux interruptions de grossesse entre dix et douze semaines des techniques, qui avaient pu être utilisées dans les interruptions médicales de grossesse plus tardives. Techniquement parlant, ce n'est pas justifié, comme l'ANAES l'a indiqué, car cela entraîne pour les femmes une hospitalisation et un coût supplémentaire, car les produits utilisés sont plus onéreux. C'est certainement un problème de formation.

Quant au manque de personnel, il ne se pose pas uniquement l'été, mais aussi actuellement. L'automne n'a pas réellement amélioré la situation dans les CIVG ou les services de gynécologie-obstétrique pratiquant les IVG.

Les problèmes de rémunération sont évidents, car le taux de l'acte n'a pas bougé depuis 1991. Si on prend l'exemple de la pratique de l'IVG médicamenteuse, lorsque le médecin remet, lors de la deuxième consultation, les trois comprimés à la femme, au regard du prix des comprimés, celle-ci ne lui est payée que 20 à 30 francs. Certains établissements ont arrêté de pratiquer des IVG médicamenteuses parce que ce n'était pas "rentable" ; c'était un geste quasiment bénévole. Les médecins, même militants, ne peuvent se permettre, à l'heure actuelle, de pratiquer uniquement des IVG bénévolement en consultation. Ce n'est plus possible.

Il faut revoir le problème de la nomenclature de l'acte, sous forme de forfait ou de cotation. C'est une question qui est débattue. Je ne pense pas que la direction générale de la Sécurité sociale soit actuellement très pressée d'étudier ce problème, même si des associations comme la nôtre, l'ANCIC ou la CADAC le souhaitent.

Nous avons appris, lors de notre dernier conseil d'administration, que dans certaines régions, des médecins arrêtaient de pratiquer des IVG, alors qu'ils en pratiquaient auparavant. Aussi, les structures qui continuent à en faire se retrouvent alors complètement saturées.

Mme Fatima Lalem : Si l'on examine les statistiques du secteur privé en région parisienne, on constate que, à Paris, en moyenne moins de 20 % des IVG médicamenteuses sont pratiquées dans le secteur privé. Cela renvoie à ce qui a été dit sur le forfait. Un certain nombre de cliniques pratiquant un nombre important d'IVG, comme la clinique Léonard de Vinci, ont soit restreint leurs actes, c'est-à-dire qu'elles n'en font plus que pour leurs patientes, soit fermé. On risque d'aboutir à une situation encore plus difficile que par le passé, au moment même où la loi améliore le droit.

Mme Danielle Gaudry : En ce qui concerne la levée du contingentement dans le secteur privé, vu les nombreuses fermetures d'établissements privés dans le secteur sanitaire, nous n'avons pas remarqué une montée en flèche du nombre d'IVG pratiquées dans certains établissements privés. Ce serait plutôt le contraire.

Vous posiez la délicate question des départs à l'étranger. Sur une quarantaine de fiches recueillies cet été, bien que ce ne soit pas statistiquement significatif, alors que la femme avait fait sa première démarche dans les délais légaux, j'ai pu repérer au moins cinq départs à l'étranger, hors région parisienne, ce qui montre bien un malaise, pour nous inacceptable. En région parisienne, nous obtiendrions une proportion identique.

De plus, pour les femmes qui s'adressaient à des structures dans les délais légaux, nous avons noté un phénomène de "tourisme", au niveau national. Ces femmes étaient obligées de partir hors de leur département, voire dans un département lointain. Cela nous parait inacceptable que, pour ces femmes qui font la démarche dans les délais légaux, il n'y ait pas de solution dans un département ou une ville limitrophe. Cette situation, très fréquente, concerne vingt-deux cas sur nos quarante fiches.

Quant aux départs à l'étranger, qui n'ont pas lieu seulement l'été, ils continuent encore actuellement. Lorsque les femmes s'inquiètent à huit ou neuf semaines de grossesse, comme les délais d'attente sont de deux, trois, voire quatre semaines dans certains établissements, elles se retrouvent alors dans un délai limite. Nous n'avons alors aucune solution à leur proposer. Même si nous évoquons la procédure d'urgence, nous ne pouvons pas obliger un centre à accueillir une femme.

Mme Fatima Lalem : Nous n'avons pas eu l'impression qu'il y ait, en dehors d'une ou deux structures, une procédure d'urgence organisée en tant que telle. Lorsqu'il s'agissait d'équipes militantes, nous arrivions à obtenir des rendez-vous supplémentaires, à négocier en fait avec le médecin.

C'est d'ailleurs le même type de démarche que nous utilisons comme stratégie d'orientation. Toutes les femmes ne viennent pas nous voir et notre but n'est pas de toutes les faire venir dans notre mouvement. Nous accueillons un certain nombre de femmes qui, à treize semaines, viennent nous voir et que nous accompagneront dans les démarches, sachant que si nous les laissons faire seules, les démarches n'aboutiront pas.

Nous sommes donc contraints de faire pression sur les structures militantes.

Mme Danielle Gaudry : Pour en revenir aux mineures, l'un des problèmes vient des anesthésistes. Nous militons ouvertement pour que ces praticiens cessent leur pression. Mais il y a également le problème de la prise en charge des frais de l'IVG pour les mineures. Certains établissements arrivent encore à se débrouiller et ne font pas de difficultés, mais chacun "bricole" dans son coin.

Des établissements utilisent l'aide médicale d'Etat, alors que théoriquement, ils ne devraient pas à y avoir recours. Ils utilisent des possibilités de gratuité comme la prise en charge PMI, etc. Il n'en demeure pas moins vrai que certains établissements refusent les mineures, parce qu'ils ne peuvent être payés, ce qui conduit à des difficultés supplémentaires. Nous attendons le décret sur la prise en charge de l'IVG pour les mineures, mais nous nous trouvons face au même problème que celui de la prise en charge de la contraception des mineures hors centre de planification.

Une autre difficulté tient à la peur des complications par les médecins. Les médecins craignent cette éventualité, par rapport à leur responsabilité médicale et aux parents de la mineure. Même si les complications suite à une IVG sont très rares, la prolongation de l'hospitalisation est un des soucis des médecins. Certes, nous discutons énormément avec ces équipes, mais nous avons beaucoup de mal à lever leurs réticences. De ce fait, certains praticiens n'accepteront pas de pratiquer une IVG sur une mineure.

Mme Maïté Albagly : Je voudrais rapporter un fait concernant la prise en charge de deux mineures qui auraient pu demander l'autorisation à l'un ou l'autre de leurs parents, mais qui sont venues avec un adulte accompagnant pour ne pas avoir à payer les frais d'IVG. Comme elles avaient des difficultés financières, c'était une façon de ne pas régler la facture. A l'inverse, nous avons eu deux autres cas de mineures, accompagnées d'un adulte accompagnant, dont les parents ont reçu la facture de l'IVG chez eux. Cela vous montre à quel point il est urgent que les choses soient clarifiées.

Mme Fatima Lalem : Nous attendons la mise en place de la nouvelle campagne contraception. En ce qui concerne la campagne contraception 2000-2001, les aspects les plus positifs avaient été les actions et les initiatives locales qui avaient réellement créé des dynamiques très intéressantes. Or, aucun financement n'est prévu dans la campagne de communication pour ce type d'action. Nous craignons que les bonnes volontés, qui s'étaient mobilisées avec très peu de moyens lors de la campagne 2000, ne soient pas au rendez-vous cette année. Nous allons attendre et reprendre ce point, dans le cadre du pilotage de la campagne à laquelle nous pensons être conviées.

S'agissant des mineures qui consulteraient pour une contraception en dehors des centres de planification, la loi ne prévoit aucune modalité de prise en charge, alors que pour l'IVG -même si cela tarde- cette prise en charge est prévue. Notre crainte est que cela crée une discrimination entre celles qui peuvent avoir accès à un centre de planification, où il y a gratuité, et celles qui consultent chez un médecin privé. Qu'en est-il de la mineure de 15 ans qui n'a pas toujours l'argent nécessaire pour pouvoir payer un praticien et pour laquelle il est exclu de demander de l'argent ou d'utiliser la carte des parents ?

Vous avez évoqué la possibilité de modalités de conventionnement entre les conseils généraux et les centres de Sécurité sociale. Il conviendrait qu'il y ait des modalités plus largement proposées au niveau national, afin que les intéressés puissent travailler sur des conventions. Pour le moment, cela n'est pas envisagé. Quant à la faisabilité technique d'une telle opération, peut-être faudrait-il avoir un éclairage national.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est effectivement pas évoqué dans le cadre de la loi, mais nous nous interrogeons pour savoir si un développement en réseau par convention ne serait pas une réponse possible, notamment en milieu rural, puisque la loi se limite à la gratuité dans les centres de planification. Pour nous, c'est une piste de travail. Est-ce une idée que vous avez vous-même envisagé ?

A titre d'information, dans le cadre de la loi sur le droit des malades et la qualité des systèmes de santé, nous avons fait voter un amendement précisant que, dans les politiques nationales de prévention, sont incluses la prévention du sida, des MST, la contraception et l'IVG, et l'éducation à la santé.

Même si nous avons souhaité faire inscrire ce point dans la loi, cela ne signifie pas qu'il y aura les financements appropriés, mais c'était pour nous une façon de conforter cette politique. Nous aurions également voulu faire inscrire dans la loi le fait que ces actions devraient être élaborées par sexe. Par exemple, si on ne développe pas le préservatif féminin, on n'enrayera pas la propagation du sida chez les femmes, du fait des rapports de domination existant dans le couple. Néanmoins, l'inscription, dans la politique de prévention, des missions liées à l'éducation, à la sexualité et à la prévention des risques liés à la sexualité, nous paraît importante.

Mme Maïté Albagly : Nous avons reçu aujourd'hui l'information selon laquelle, en région parisienne, il y a une augmentation de 40 % du sida chez les femmes.

Mme Danielle Gaudry : Une de nos associations départementales a développé une politique de conventionnement des médecins avec les centres de planification. Il est vrai que nous avons mené une réflexion dans les deux directions suivantes : d'une part, ne pas surcharger les conseils généraux et, d'autre part, rappeler que c'est la mission de la Sécurité sociale.

Au cours de nos débats, nous axons nos réflexions sur le fait qu'il s'agit de droits des mineures, qui doivent être remboursés par la Sécurité sociale, même si elles sont ayants droit de leurs parents, et dont l'anonymat doit être préservé. Mais nous n'avons pas fait de montage. Il nous semblait plus juste que ce soit la Sécurité sociale des parents qui règle, de façon indirecte, le problème de la contraception de leurs enfants, plutôt que les conseils généraux qui ont déjà des charges très lourdes et qui, pour certains, deviennent réticents à développer des centres de planification. Cela n'empêche pas que nous ayons l'exemple d'un conventionnement qui fonctionne très bien dans un département, celui du centre de Montpellier.

Mme Fatima Lalem : Avec ce type de conventionnement, les mineures ne peuvent s'inscrire que dans les actions déjà organisées en liaison avec le conseil général. C'est une délocalisation de permanence, en quelque sorte. Au lieu de les faire de manière centralisée, le médecin, qui est rattaché au Planning, va assurer un certain nombre de permanences dans des zones rurales. Toutefois, à grande échelle, cela paraît difficile. Cela imposerait de revoir les conventions avec les conseils généraux de manière à ce qu'ils acceptent d'y inscrire, de manière significative, ce type de modalités.

Mme Odette Casanova : Vous avez évoqué les problèmes liés à la région parisienne. Existe-t-il une différence entre Paris et la province ?

Le remboursement, l'information, etc. ont été des points abondamment évoqués. Plusieurs structures sont en mesure d'accomplir ce travail, mais je ne sais comment nous pouvons faire pour les mobiliser.

En premier lieu, il y a les conseils généraux. Il est évident que la prévention leur incombe, car elle est inscrite dans leurs missions. Dans cette prévention, devraient figurer l'information et l'éducation. Les départements l'ayant inscrit dans leurs lignes budgétaires sont certainement peu nombreux, mais il conviendrait de faire quelque chose en leur direction, car c'est de leur compétence.

Si je prends la région PACA, au niveau des conseils généraux, nous avons une ligne budgétaire qui s'appelle "vie lycéenne", qui a été créé suite à la demande de certains lycées. Des conventions sont signées avec des proviseurs et des responsables des élèves. Dans ces conventions, nous discutons des thèmes qu'ils souhaitent inscrire. Cela peut être l'information sur la contraception ou des permanences. C'est une volonté de notre conseil général. Peut-être est-ce exceptionnel, mais comme les conseils généraux ont la compétence des lycées, cela pourrait être une piste à creuser.

Ensuite, il y a l'Education nationale. Dans mon département, il existe un comité d'éducation à la santé, sous forme d'association. Il est géré par le médecin scolaire et subventionné par le conseil général. Chaque année, il y a une action continue de ce comité sur les MST, l'alcoolisme, l'IVG et la contraception. Il convient toutefois de souligner que nous avons une équipe de médecins scolaires très volontaires. Elles ont des jeux pour initier les tout-petits. Elles font participer les fédérations de parents d'élèves. Cette équipe accomplit un travail remarquable.

Pour autant, cela ne signifie pas que, dans mon département, tout fonctionne bien. En effet, une fois ce travail réalisé, cela fonctionne mal au niveau des hôpitaux et des cliniques. L'idéal serait d'arriver à ce que les deux niveaux fonctionnent.

Mme Danielle Gaudry : En ce qui concerne l'implant, il y a eu une extraordinaire campagne d'information du laboratoire qui le fabrique, avec plusieurs sessions de formation des médecins organisées par ce laboratoire, dans tous les départements. Votre question concernait-elle les mineures ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non, elle concernait, en fait, plus particulièrement, les jeunes femmes handicapées mentales, parce qu'il y a peu d'éducation à la contraception dans les établissements recevant des personnes handicapées. C'est pourquoi d'ailleurs cela fait partie d'un des amendements retenus dans la loi et adopté. Nous savons que cette éducation n'est pas faite, que les prises de pilules ne sont pas régulières, et nous étions quelques-unes à considérer que l'implant pouvait être une réponse contraceptive.

Mme Danielle Gaudry : Je vous donnerai une expérience ponctuelle. Avant l'implant, il existait la Dépoprovéra, sous forme d'injection trimestrielle. Il est vrai que certaines équipes d'éducateurs estimaient que cela ne conduisait pas à développer l'autonomie des personnes handicapées mentales, d'où une certaine réticence à ces contraceptions "imposées" et non maîtrisées par les femmes elles-mêmes. Toutefois, nous n'avons pas encore suffisamment de recul par rapport à l'implant. Il semblerait que, dans certaines régions, cette méthode se développe bien, dans d'autres peu.

Pour ne citer qu'un des freins à l'utilisation de l'implant, quand vous montrez le dispositif insertion aux femmes, elles reculent un peu, car c'est un trocart d'un certain diamètre. Même sous anesthésie locale, elles craignent l'insertion de ce dispositif dans leur bras. Il existe un frein du côté des femmes, mais pas des médecins.

Concernant les freins au développement du préservatif féminin, il est certain que des facteurs culturels interviennent. Quand nous présentons le préservatif à des femmes, nous sentons immédiatement un recul, non seulement sur l'idée de l'utiliser, mais sur l'objet physique lui-même. Cette réaction n'est pas uniquement observée dans les milieux défavorisés où, au contraire, le préservatif féminin serait peut-être mieux accepté.

Il s'agit plus d'un frein financier, car ce préservatif est coûteux. S'y ajoutent les difficultés de le trouver, car il est peu disponible en pharmacie. Il faut le commander.

Mme Maïté Albagly : En région parisienne, seules trois pharmacies le vendent, à 50 francs les trois unités.

Mme Danielle Gaudry : Comme le préservatif féminin n'est pas remboursé, les tarifs peuvent différer d'une pharmacie à l'autre. Dans certains départements, il y a eu des campagnes publiques en faveur du préservatif féminin, mais le fait de ne pas le trouver facilement, même si les femmes ont choisi de l'utiliser, constitue un des freins.

Mme Maïté Albagly : Le Planning familial mène une action nationale depuis trois ans avec la Direction générale de la santé sur la réduction des risques sexuels encourus par les femmes dans leur sexualité. Ce programme global prévoit la distribution gratuite de préservatifs féminins. Nous avons pu constater que le préservatif féminin est utilisé, dès lors qu'il y a une formation idoine, ou lorsqu'il est distribué gratuitement.

Mme Fatima Lalem : Nous n'avons pas abordé la question de la stérilisation à visée contraceptive. Il nous semble intéressant d'insister sur le fait qu'il faut une stratégie d'information des femmes et des professionnels.

En ce qui concerne l'éducation sexuelle dans les établissements scolaires, nous avons déjà des sollicitations au niveau des établissements, sollicitations rituelles chaque année, mais nous attendons de voir la façon dont l'Education nationale l'organisera, avec quels moyens, sur quelles modalités et avec quelle progression.

Actuellement, nous n'avons pas encore reçu de sollicitations par rapport aux tout-petits, même si nous avons par ailleurs une certaine expérience du travail avec les enfants, notamment sur la prévention des agressions sexuelles et des comportements sexistes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne les pilules de troisième génération, vous avez indiqué que vous faites passer le mot d'ordre de ne plus la prescrire. Il ne me semblait pourtant pas avoir lu des articles si inquiétants sur les pilules de troisième génération. Certes, vous nous avez transmis une lettre du Directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, mais pourriez-vous nous apporter quelques précisions supplémentaires ?

Mme Danielle Gaudry : En ce qui nous concerne, nous avons toujours considéré que les première et deuxième générations de pilules étaient tout à fait performantes et nous avons continué à les prescrire. Toutefois, nous demandions le remboursement des pilules de troisième génération, voire d'une pilule générique.

Comme les conclusions de l'Agence font état de l'augmentation du risque thromboembolique veineux, nous n'avons pas intérêt pour la santé des femmes à prescrire ces pilules de troisième génération. C'est pourquoi, au niveau de nos centres, le dernier conseil d'administration a jugé bon de faire campagne auprès des médecins qui travaillent avec nous pour ne prescrire que de façon très exceptionnelle la pilule de troisième génération, et non pas systématiquement, comme cela est fait dans certains centres de planification.

Mme Fatima Lalem : Nous avons par ailleurs pris la décision, au niveau de notre conseil d'administration, d'interpeller les pouvoirs publics. Si le risque est réellement avéré, il nous semble important qu'une information soit conduite auprès des femmes et des professionnels pour qu'ils ne continuent pas à prescrire des pilules qui ne présentent aucune amélioration évidente, mais au contraire des risques, et que soit revue la question de la poursuite de leur mise sur le marché.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne le stérilet, nous avons constaté, pendant un an, des difficultés à faire appliquer l'arrêté parce que les fabricants menaçaient de ne plus le produire. Je sais que le ministère a renégocié avec les fabricants et qu'un nouvel arrêté devrait sortir bientôt, qui prend en compte un coût de fabrication plus important que celui prévu, il y a un an et demi, par Mme Martine Aubry.

Mme Maïté Albagly : Ces derniers temps, nous avons été sollicitées par la presse pour faire part de notre sentiment sur l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception. Nous l'avons exprimé, même si nous avons été quelque peu seules à le faire. Les villes mises en cause se sont alors senties obligées de nous écrire pour se justifier. C'est important de le souligner. A cet égard, j'ai reçu aujourd'hui une lettre de Poitiers qui explique pourquoi ils ne pouvaient pas appliquer la nouvelle loi. Quand les dysfonctionnements sont clairement exprimés, la situation évolue. C'est important, car cela constitue un bon moyen de pression.

Mme Fatima Lalem : Nous avons principalement pris pour exemple la région parisienne. Sur l'ensemble de la France, les études qui avaient été faites avant la promulgation de la loi montraient qu'en termes de délais et de difficultés particulièrement visibles pendant la période estivale, il y avait deux points noirs : la région parisienne et la région PACA.

En ce qui concerne l'application de la loi, il ne me semble pas que la région parisienne et la région PACA soient dans une situation particulière. Elles rencontrent les mêmes difficultés. Or, comme elles butent déjà sur les délais d'attente, la faiblesse des structures publiques qui accueillent les femmes, cela donne un paysage plus dur. Toutefois, dans certaines régions, l'application de la loi par les médecins était, au mois d'août, pratiquement inexistante. A titre d'exemple, dans la région Rhône-Alpes et la ville de Lyon, la situation était catastrophique.

Audition de Mme Elisabeth Aubény, présidente de l'Association Française
pour la Contraception et de M. Robert Chambrial, médecin, membres de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC)

Réunion du 30 octobre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Elisabeth Aubény, gynécologue, présidente de l'Association Française pour la Contraception, et M. Robert Chambrial, médecin, tous deux membres de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC), M. Paul Cesbron, président de l'ANCIC, s'étant excusé.

Lors d'une rencontre avec l'ANCIC, le 12 juin dernier, nous avons fait un premier point sur l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception, qui venait d'être définitivement adoptée par l'Assemblée nationale. Votre association avait alors déjà souligné un certain nombre de difficultés.

La loi est entrée en vigueur dès sa promulgation, le 4 juillet 2001. Les dispositions ne nécessitant pas de décrets d'application étaient immédiatement applicables, en particulier l'article 2 relatif à la prolongation des délais légaux de 10 à 12 semaines de grossesse, l'article 5 supprimant l'entretien préalable obligatoire et l'article 7 concernant les mineures.

D'autres dispositions (l'article 3 relatif à la médecine ambulatoire, l'article 11 relatif à l'interruption médicale de grossesse et l'article 24 relatif à la délivrance à titre gratuit aux mineures de la contraception d'urgence en pharmacie) attendent la parution de décrets, qui devraient paraître d'ici la fin de l'année.

Devant certains problèmes posés par l'interprétation des textes, les hésitations ou réticences des médecins, le ministère de l'emploi et de la solidarité vient d'adresser, le 28 septembre dernier, à tous les responsables hospitaliers une circulaire relative à la mise en _uvre de la loi du 4 juillet dernier.

Pouvez-vous nous faire le point de la situation actuelle ? La circulaire, qui est de portée générale, répond-elle aux interrogations des professionnels de la santé, en ce qui concerne notamment :

1) la pratique de l'IVG de 10 à 12 semaines de grossesse et le respect des recommandations de l'ANAES concernant les bonnes pratiques médicales ;

2) la situation faite aux femmes en cas de dépassement des nouveaux délais ;

3) le problème de l'autorisation parentale pour les mineures soulevé par les anesthésistes, notamment en cas de complications, et le rôle de l'adulte référent ;

4) la suppression de l'entretien obligatoire et la réorientation envisagée des conseillères conjugales vers de nouvelles fonctions d'accueil et d'information ;

5) l'élaboration de conventions entre l'hôpital et les médecins de ville pour la mise en _uvre d'une pratique ambulatoire de l'IVG médicamenteuse ;

6) la nouvelle procédure de concertation collégiale en ce qui concerne l'interruption médicale de grossesse.

D'autres questions se posent également, telles que la revalorisation du tarif de l'IVG, le remboursement des contraceptifs de troisième génération, voire leur sort, la diffusion du préservatif féminin, notamment dans le cadre de la lutte contre le sida et les MST, et celle des stérilets, dont le tarif de remboursement vient d'être récemment fixé par décret.

M. Robert Chambrial : Je souhaiterais également intervenir sur la situation du centre d'IVG de Grenoble. C'est une des raisons de ma présence à cette audition.

Mme Elisabeth Aubény : En ce qui concerne l'allongement des délais, les choses se mettent doucement en place. Ces derniers temps, je me suis beaucoup déplacée, notamment à Carcassonne et à Avignon. De plus, j'ai eu l'occasion de rencontrer un certain nombre de personnes venues à des réunions de l'Association Française pour la Contraception. Il semble que, dans chaque département, une personne prenne la responsabilité de cette mise en place.

Pour résumer la situation, les réticences des médecins à appliquer les nouvelles dispositions de la loi relatives à l'allongement des délais tiennent, d'une part, à une formation insuffisante à la pratique des IVG de 12-14 semaines d'aménorrhée, qu'ils imaginent comme une IVG du second trimestre, d'autre part, à l'idée que cette pratique sera très dure à supporter pour les médecins.

On constate qu'un grand nombre de médecins pratique des IVG chirurgicales. Certains médecins sont allés à l'étranger pour voir comment se pratiquaient les IVG tardives. Ainsi, des médecins de Carcassonne sont allés à Barcelone, des médecins d'Angers en Hollande. En général, ils reviennent rassurés, car ils ont vu que la pratique n'était pas si compliquée. D'autres médecins pratiquent sans être allés se former à l'étranger, parce qu'ils considèrent que ce n'est pas très compliqué. A Angers, certains médecins ont indiqué qu'ils avaient pratiqué un grand nombre d'IVG dans des délais de 12 à 14 semaines d'aménorrhée au cours du mois d'août. En fait, ils en ont pratiqué huit au cours de ce mois, en drainant toutes les demandes d'IVG de ce type de la région. Ce n'est donc pas un chiffre énorme.

Ceux qui n'ont pas la pratique de l'IVG chirurgicale considèrent qu'il faut pratiquer des IVG médicamenteuses, ce qui suppose d'hospitaliser les femmes la veille, avec, souvent, un curetage en fin d'intervention. L'analyse de l'ANAES a été claire sur ce point : il ne faut absolument pas aller dans ce sens. Les médecins qui utilisent ce type d'IVG médicamenteuse sont ceux qui n'ont pas connaissance de la façon dont s'effectue une IVG chirurgicale à 12-14 semaines et ne savent pas les faire.

Toutefois, la plupart des médecins que j'ai rencontrés se sont dit prêts à pratiquer des IVG chirurgicales. L'ANCIC s'engage dans cette voie en préparant et diffusant une cassette d'information expliquant les différentes étapes d'une IVG chirurgicale.

Mme Conchita Lacuey : C'est une bonne initiative.

Mme Elisabeth Aubény : Dès lors que les médecins ont vu comment se pratiquait une IVG chirurgicale de 12-14 semaines, cela démystifie les choses et les rassure. L'ANCIC essaiera de peser de tout son poids en faveur de la pratique de l'IVG chirurgicale au stade des 12-14 semaines. Il est indispensable d'arrêter de pratiquer des IVG médicamenteuses à ce stade, car c'est alors une intervention très douloureuse et, de plus, trop longue, nécessitant une hospitalisation.

En revanche, une IVG chirurgicale se pratique sous anesthésie et ne demande qu'une demi-heure. Il n'y a aucune comparaison entre les deux méthodes.

J'ai recueilli un grand nombre de ces informations lors de mes déplacements dans la région de Carcassonne, d'Avignon et dans le grand Ouest, c'est-à-dire Angers, Nantes et Tours. Toutefois, je ne connais pas la situation dans le Nord et dans l'Est.

M. Robert Chambrial : Je serai moins optimiste, car la région où j'exerce connaît plus de difficultés. Selon M. Paul Cesbron, président de l'ANCIC, les choses commencent progressivement, après beaucoup de réticences, à se débloquer en Picardie et dans le Nord-Pas-de-Calais.

Pour ma part, il me semble que les régions PACA et Rhône-Alpes rencontrent toujours un grand nombre de difficultés. A Lyon, elles commencent à se résorber, même si une femme à 13 semaines d'aménorrhée va devoir partir cette semaine pour Barcelone. Cet exemple montre qu'il y a encore un dysfonctionnement, mais qui, à Lyon, ne date pas de la nouvelle loi.

En ce qui concerne la méthode d'IVG, je suis d'accord avec Mme Elisabeth Aubény. L'ANAES a tranché ce point. Mais en plus de la longueur de l'intervention avec hospitalisation et de la douleur qu'elle provoque, il me semble que, psychologiquement, une IVG à 12 ou 14 semaines est beaucoup plus difficilement vécue par les femmes par voie médicamenteuse que par voie chirurgicale.

La situation se débloque, mais il y aura beaucoup de résistance. Les équipes médicales, dans les services, vont pouvoir s'appuyer sur la circulaire du 28 septembre. A Grenoble, par exemple, un chirurgien gynécologue s'est proposé de prendre en charge les IVG entre 12 et 14 semaines et s'est approprié cette spécialité.

Toutefois, il y a des dérapages, principalement dans le cadre de l'IVG pour les mineures. Dans certaines régions, on demande la pièce d'identité de l'adulte référent et on lui fait signer des documents, alors que les textes n'en font pas mention. En revanche, dans d'autres centres, comme en Haute-Savoie, l'application de la loi s'est tout de suite mise en place et chaque jour, un médecin est prêt à pratiquer des IVG entre 12 et 14 semaines. Toutefois, les points de blocage importants de la région restent la ville de Lyon et la Savoie, voire plus au sud, Marseille et Toulon.

Mme Elisabeth Aubény : A Paris, cela se met en place progressivement. Par exemple, l'hôpital Saint-Vincent de Paul et d'autres cliniques privées commencent à pratiquer des IVG au-delà de 12 semaines.

M. Robert Chambrial : Il est nécessaire de démystifier la pratique. C'est ainsi qu'un journaliste prépare actuellement une cassette d'information, en collaboration avec la maternité des Lilas. Certains médecins qui ont vu pratiquer dans cette maternité, en bloc opératoire, des IVG jusqu'à 12-14 semaines ont été étonnés, car ils étaient persuadés qu'entre 12 et 14 semaines, le f_tus gagnait beaucoup en taille. Cette attitude est particulièrement étonnante de la part de médecins, qui devraient connaître le développement embryonnaire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lors des auditions, l'hiver dernier, en vue de la préparation de la loi, nous avons pu constater une méconnaissance de certains médecins sur le moment du passage du f_tus à l'embryon.

Mme Elisabeth Aubény : Lors de l'un de mes déplacements à Avignon, j'ai rencontré un groupe d'obstétriciens et de gynécologues médicaux de la Société de néonatologie. Tous étaient par ailleurs des échographistes. Leur tâche consiste à détecter des malformations foetales. Or, lorsque, tout à coup, on leur demande d'arrêter la croissance d'un f_tus en bonne santé, ils ont beaucoup de difficultés à l'accepter.

La psychologie des obstétriciens, qui ont pour tâche de détecter des malformations et de mettre au monde des enfants normaux est tout à fait différente de celle des médecins généralistes, qui ne prennent en compte que la situation de la femme. C'est peut-être ce qui explique les réticences des gynécologues-obstétriciens à pratiquer des IVG.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'an dernier, nous avons eu l'impression d'assister à un débat sur l'interruption médicale de grossesse (IMG) et non pas sur l'IVG. Ce qui en ressortait, c'était la souffrance des médecins devant les IMG.

Mme Elisabeth Aubény : C'est exact. C'est cela qu'ils prennent en compte, sans percevoir que c'est quelque chose de totalement différent. Quant aux médecins qui pratiquent déjà des IVG, ils sont surtout réticents à pratiquer des IVG à 12-14 semaines, en raison de tout ce qu'ils ont pu entendre autour de cet acte. Néanmoins, quand ils seront rassurés, ils en pratiqueront également.

Mme Conchita Lacuey : Comment expliquer cette crainte des médecins ?

Mme Elisabeth Aubény : Quand nous avons commencé à pratiquer des IVG à 12-14 semaines, nous n'étions pas très rassurés, car nous n'avions l'expérience que d'IVG compliquées, de femmes qui s'étaient "auto-avortées", qui avaient des septicémies, qui avaient de la fièvre et qui saignaient. Pour être rassurés, nous avons dû nous rendre en Hollande ou aux Etats-Unis et voir pratiquer des IVG faites par des médecins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez évoqué le cas de femmes à 12 semaines d'aménorrhée, qui sont obligées d'aller en Espagne ou en Hollande pour une IVG. S'agit-il de cas isolés, ou est-ce une pratique malheureusement plus générale, ou encore liée à des situations régionales ?

M. Robert Chambrial : Ce sont des situations régionales qui expliquent le blocage de la pratique des IVG à 12-14 semaines. Cet été, dans la région Rhône-Alpes, c'est-à-dire l'Isère, les deux Savoies, la Drôme, le seul hôpital qui les pratiquait était celui de Grenoble. Les autres hôpitaux renvoyaient toutes ces IVG sur Grenoble. Régionalement, il y a encore des problèmes, qui poussent des femmes, avant 14 semaines d'aménorrhée, à partir à l'étranger.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Faites-vous les mêmes constatations en ce qui concerne les autorisations parentales pour les mineures ? La loi n'est-elle pas appliquée, ou est-elle appliquée différemment selon les régions ou les chefs de service ?

M. Robert Chambrial : En ce qui concerne les mineures, il risque d'y avoir les mêmes dérapages qu'avec la loi Veil, selon laquelle il fallait l'autorisation écrite d'un des deux parents. Dans certains centres, on demandait l'autorisation écrite d'un des deux parents, que personne ne vérifiait, mais dans d'autres, la présence physique des deux parents était requise. A Montpellier, un CHU demandait même que l'autorisation soit certifiée par le commissariat de la ville.

Mme Elisabeth Aubény : En ce qui concerne les mineures, j'ai entendu certains médecins dire qu'il fallait attendre le décret pour savoir si l'accompagnant devait être présent ou non.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les médecins n'ont pas besoin du décret en ce qui concerne la dispense d'autorisation parentale des mineures. Ils ont uniquement besoin du décret pour la prise en charge financière.

Mme Danielle Bousquet : Dans mon département, des jeunes filles se sont rendues à l'aide sociale à l'enfance pour demander à être protégées, car l'hôpital leur refusait l'anesthésie. Cette affaire, qui a fait beaucoup de bruit, n'est toujours pas résolue, en raison d'un refus obstiné des anesthésistes à mettre en _uvre la loi. J'ai reçu des témoignages de blocages concernant les mineures par plusieurs assistantes sociales, qui toutes ont été confrontées à ces problèmes.

Mme Elisabeth Aubény : Certains médecins ont demandé des précisions sur la nature de l'accompagnant, ne sachant pas s'il devait être présent, s'il devait signer, etc. Par ailleurs, les médecins anesthésistes, dans un texte préparé par le président de la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR) et validé par le conseil d'administration, le 19 septembre 2001, ont demandé que l'adulte accompagnant soit présent à la consultation. Rappelant que la loi prévoit l'accompagnement de la mineure par la personne majeure de son choix, ce texte apporte les précisions suivantes :

"Il en découle que la mineure doit être accompagnée dans sa démarche d'anesthésie par la personne majeure de son choix, et que celle-ci doit donc être présente lors de la consultation de l'anesthésiste. Concrètement, il convient de communiquer qu'en cas d'anesthésie pour IVG, une mineure doit se rendre à une consultation d'anesthésie plusieurs jours à l'avance, soit avec une autorisation parentale, soit accompagnée de la personne majeure qu'elle a désignée pour l'ensemble de la démarche. Il n'est pas anodin de noter que la loi n'exige pas que cette personne signe une "décharge", n'indique pas qu'elle donne un consentement "à la place" de la mineure, n'en fait pas son représentant légal : la loi dit qu'elle l'accompagne. Il est en revanche prudent d'inscrire, sur la fiche de consultation d'anesthésie, le nom de la personne majeure présente au moment où l'information sur l'anesthésie est délivrée (ses avantages, ses limites, ses contraintes, ses risques et les façons de les limiter) et de demander à cette personne accompagnante de lire attentivement avec la mineure le formulaire d'information sur l'anesthésie."

Que dois-je répondre aux médecins anesthésistes ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce qui est contenu dans la circulaire et qui me semble tout à fait clair, à savoir que l'accompagnant n'est en aucun cas engagé juridiquement.

Mme Elisabeth Aubény : Doit-il être présent lors de la consultation pré-anesthésique ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il est présent lors de l'entretien social préalable. En effet, nous souhaitions savoir qui était l'accompagnant, en cas de viol ou d'inceste. C'est donc le rôle de l'entretien social préalable obligatoire que de détecter des dysfonctionnements. La question de l'accompagnant peut être reposée par le médecin, mais la loi ne dit pas si l'accompagnant doit être présent au moment de l'IVG ou après.

M. Robert Chambrial : La circulaire dit que la mineure "peut" demander que l'accompagnant soit présent lors de sa sortie, mais ce n'est pas une obligation.

Mme Elisabeth Aubény : La mineure signe un document indiquant qu'elle a choisi un accompagnant. Comment les anesthésistes auront-ils la preuve qu'elle a bien choisi un accompagnant ? Ils posent cette question en permanence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si cette question revient souvent, cela suppose un manque de communication au sein de l'équipe médicale. En effet, ce serait au médecin qui a reçu cette jeune fille d'indiquer à l'anesthésiste qu'elle est venue avec tel accompagnant, qui est la personne de son choix, puisqu'elle ne peut obtenir le consentement de ses parents.

Mme Elisabeth Aubény : Les anesthésistes exercent souvent dans d'autres lieux que le centre d'IVG.

Mme Conchita Lacuey : Dès lors qu'une IVG va être pratiquée sur une mineure, c'est que toute la procédure a été suivie, que tous les éléments d'information ont été recueillis et que la mineure a été accompagnée. Une procédure d'anesthésie ne serait pas mise en route, si cette procédure antérieure n'avait pas été suivie.

Mme Elisabeth Aubény : La mineure choisit donc l'adulte référent lors de l'entretien social préalable ou lors de la consultation chez le médecin. Les conseillères conjugales me demandent également si elles doivent le rencontrer physiquement. En effet, si la mineure déclare qu'elle choisit par exemple son frère, comment s'assurer qu'elle lui en a vraiment parlé, qu'il est majeur, etc.

M. Robert Chambrial : Premièrement, à la lecture de la loi, il apparaît que le v_u du législateur n'était pas d'instaurer un système de "flicage". La disposition concernant l'adulte accompagnant avait pour but d'éviter que la mineure ne se retrouve seule. Il s'agit d'un accompagnement psychologique.

Deuxième élément, dans le centre de Grenoble dont je dépends, les femmes vont à la consultation pré-anesthésique le même jour que l'IVG. Si elles ont opté pour une anesthésie générale, le même matin, elles rencontrent successivement le médecin généraliste ou le gynécologue, elles ont l'entretien social si elles le souhaitent, elles rencontrent l'assistante sociale pour les problèmes de prise en charge, et enfin le médecin anesthésiste. Au centre d'IVG de Grenoble, cela ne pose aucun problème.

Mme Conchita Lacuey : Rencontrez-vous l'accompagnant ?

M. Robert Chambrial : Non, pas systématiquement. L'accompagnant peut être la s_ur ou une très bonne amie de la jeune fille. Souvent l'adolescente souhaite que cette personne l'accompagne, lors de sa consultation chez le médecin.

Mme Elisabeth Aubény : Il est nécessaire que la mineure puisse se confier à un accompagnant, s'il se passe quelque chose. Toutefois, les équipes médicales craignent que le directeur de l'hôpital exige la preuve qu'elle a un accompagnant. Elles ont peur d'être attaquées sur ce point.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'esprit de la loi était de combattre l'isolement de la mineure.

Mme Elisabeth Aubény : Certains directeurs seront libéraux, d'autres demanderont plus qu'une attestation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ont été reprises, pour l'ensemble des actes médicaux, les dispositions de la loi sur l'IVG concernant les mineures. Cela signifie que les médecins vont être confrontés à cette question pour d'autres actes que l'IVG.

Mme Elisabeth Aubény : Pourrait-il être mentionné, lors de la procédure d'IVG, que la mineure a rencontré la conseillère conjugale, et qu'elles ont choisi ensemble un accompagnant ? Même si l'équipe médicale ne le rencontre pas, le dossier contiendra néanmoins un document signé des deux, indiquant que ce sujet a été abordé. Cela tranquilliserait certains directeurs d'hôpitaux et médecins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela est prévu à l'article 5 du texte de loi : "Si elle exprime le désir de garder le secret à l'égard des titulaires de l'autorité parentale ou de son représentant légal, elle doit être conseillée sur le choix de la personne majeure mentionnée à l'article 2212.7 susceptible de l'accompagner dans sa démarche."

La conseillère conjugale va mentionner dans un document qu'elle a rencontré telle jeune fille, qu'il ne semble pas possible que ce soit le père ou la mère qui l'accompagne, et qu'ensemble elles ont discuté du choix d'une personne majeure accompagnante. Cette attestation sera ensuite intégrée au dossier, qui sera consulté par le médecin, puis par l'anesthésiste.

Mme Elisabeth Aubény : Peut-être faudrait-il concevoir un formulaire prêt à remplir.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le médecin qui la reçoit doit, soit s'efforcer d'obtenir le consentement des parents, soit vérifier que cette démarche a été faite lors de l'entretien social. C'est donc bien par le biais d'un formulaire.

M. Robert Chambrial : Dans le dossier, on retrouve de toute façon le compte rendu de l'entretien social.

Mme Elisabeth Aubény : Il faut un papier qui assure une couverture à l'équipe médicale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pensez-vous que le groupe national d'appui qui va être constitué devrait s'enquérir de cette question ?

Mme Elisabeth Aubény : Oui, sinon il risque d'y avoir des dérapages. Ces questions préoccupent beaucoup les médecins et les anesthésistes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pensez-vous que nous serons confrontés aux mêmes difficultés pour la suppression du caractère obligatoire de l'entretien préalable pour les femmes majeures ?

M. Robert Chambrial : Non, je ne le pense pas. J'ai toujours défendu la suppression de l'obligation de l'entretien. Le travail sera beaucoup plus intéressant pour la femme et pour le professionnel, qu'il soit psychologue ou conseillère conjugale, s'il n'y a pas cette notion d'obligation. Les femmes ne viennent pas chercher un papier, mais décident de venir parler avec un professionnel.

Mme Elisabeth Aubény : Je suis beaucoup moins optimiste, car on dit rarement aux femmes que l'entretien social est devenu facultatif.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela veut-il dire que cet entretien n'est pas non plus proposé après l'IVG ?

M. Robert Chambrial : La situation n'est pas la même partout. A Grenoble, ce sont des psychologues qui sont conseillères conjugales, et quand elles reçoivent la femme, elles lui rappellent que cet entretien n'est pas obligatoire. Les trois-quarts des femmes se rendent cependant à l'entretien qui, d'ailleurs, dure beaucoup plus longtemps. Elles y vont sans y être obligées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En résumé, il vous semble que les plus grandes difficultés d'application de la nouvelle loi vont se concentrer autour de la formation des médecins à pratiquer des IVG dans les nouveaux délais et de l'appréhension qu'ils peuvent avoir par rapport aux mineures qui viendraient sans autorisation parentale.

Mme Elisabeth Aubény : Tout à fait, ce sont les deux points importants.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne les difficultés de mise en place de l'IVG médicamenteuse et du réseau entre médecins de ville et l'hôpital, les décrets, qui ne sont pas encore parus, seront certainement les plus difficiles à élaborer. En effet, il faut non seulement organiser la mise en place des réseaux, mais aussi définir le statut de la mifégyne et des autres substances classées vénéneuses. Sur ce thème, avez-vous des observations à faire ?

Mme Elisabeth Aubény : En ce qui concerne la distribution de la mifégyne, l'ANCIC n'est pas favorable à ce que les patientes payent ce médicament aux médecins. Il a été suggéré que les médecins passent commande de la mifégyne auprès du laboratoire, selon la méthode allemande, et qu'ils fassent payer aux femmes à la fois la consultation et le médicament. Mais nous ne voulons pas assumer ce rôle de pharmacien. Cela nous pose des problèmes de comptabilité et de gestion des stocks de ce médicament. Nous avons suggéré d'établir des ordonnances sécurisées, avec lesquelles la femme irait payer le médicament chez le pharmacien. Ensuite, les médecins iraient chercher le médicament chez le pharmacien, pour que la femme le prenne dans son cabinet.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est aussi très compliqué pour vous.

Mme Elisabeth Aubény : Mais oui. En outre, à la différence du pharmacien ou de l'hôpital, nous ne pourrons pas appliquer le tiers payant, alors que le médicament coûte 360 francs, somme conséquente à avancer par la femme. L'ANCIC n'est pas satisfaite à l'idée de vendre le médicament.

M. Robert Chambrial : Où est le problème ? Il suffit de délivrer une ordonnance de trois comprimés à la patiente, qui ensuite ira les chercher à la pharmacie.

Mme Conchita Lacuey : Le problème concerne la prise du médicament : comment s'assurer qu'elle le prend elle-même, qu'elle ne le donne pas à quelqu'un d'autre, ou qu'elle le prend de façon conforme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le médicament pourrait être effectivement acheté pour une amie. Toutefois, le problème de santé publique le plus important me semble être que la femme le prenne dans de bonnes conditions.

Mme Elisabeth Aubény : Le second problème concerne le Cytotec. Nous savons tous que le Cytotec est abortif. Le médecin donnera-t-il aux femmes les quatre comprimés de Cytotec ? Comme cela ne coûte pas très cher, il peut le faire. Ou bien prescrira-t-il une boîte de soixante comprimés ? Ceux-ci pourraient être utilisés ensuite sans recourir au médecin. Par ailleurs, la présentation actuelle est source de gaspillage.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Est-il possible que le laboratoire modifie sa présentation ?

M. Robert Chambrial : Cela m'étonnerait. Le Cytotec etant utilisé pour les brûlures d'estomac, la boîte comprend soixante comprimés. Chaque fois que j'aborde avec les visiteurs médicaux la question des propriétés abortives du médicament, ils me répondent qu'il leur est interdit d'en parler. En Afrique du Sud et à Cuba, où la mifégyne n'existe pas, les femmes utilisent des comprimés de Cytotec toutes les deux heures, et cela marche très bien.

Mme Elisabeth Aubény : Peut-être serait-il plus prudent que le médecin n'établisse pas une ordonnance pour soixante comprimés, mais donne lui-même le Cytotec. Sinon, d'un point de vue de santé publique, ce serait un peu irresponsable.

M. Robert Chambrial : Je voudrais aborder la question du centre IVG de Grenoble. Ce centre, qui s'appelle centre médico-social de la femme et qui fonctionne depuis plus de vingt-cinq ans, est structurellement une unité fonctionnelle du service de gynécologie-obstétrique, même si, dans l'hôpital, il est situé dans un autre lieu. Depuis deux ans et demi, il se trouve dans une situation très grave.

Suite à un vote du conseil d'administration, le 27 avril 2000, le centre IVG a été délocalisé, dans l'optique d'une restructuration de l'ensemble de l'hôpital. Nous avons accepté cette délocalisation. En revanche, dans l'endroit où nous allons être replacés, nous défendons la volonté d'une unité de lieu et d'équipe. Car, ce qui est en cause, c'est le fonctionnement du service.

Je vous ai donné précédemment des indications sur son fonctionnement, en ce qui concerne la conseillère, la psychologue, l'assistante sociale, ou l'anesthésiste. Pour nous, cette unité faisait la richesse de notre travail. En effet, actuellement, les femmes sont suivies par la même infirmière, depuis la consultation avec le médecin jusqu'à l'intervention au bloc. Cela fonctionne ainsi depuis vingt-cinq ans. Nous voulons bien admettre - difficilement - qu'il existe des impératifs de restructuration, mais nous considérons dramatique l'éclatement de ce service en trois lieux différents, qui nous est proposé.

Les consultations auront lieu à un endroit. Le bloc opératoire sera intégré à celui de gynécologie-obstétrique. Dans la salle de réveil, il y aura quand même un paravent entre les femmes qui auront eu une césarienne et celles qui auront eu une IVG ! Nous ne pourrons donc plus accomplir tout le travail de suivi et d'équipe que chacun appréciait à Grenoble.

Malheureusement, nous nous heurtons au directeur d'hôpital et au maire de Grenoble, qui n'est pas favorable à notre service. En tant que maire, il est président du conseil d'administration. Pour l'instant, il fait la sourde oreille à nos demandes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous étions informées de la situation du centre de Grenoble, car nous avons eu l'occasion d'en discuter avec des représentants du M.F.P.F. ou d'autres associations. Nous ne pouvons pas, en tant que Délégation, intervenir auprès du conseil d'administration de l'hôpital de Grenoble. En revanche, il y a un an, le président du conseil d'administration nous avait indiqué, que la situation allait s'arranger. Il était assez optimiste sur l'issue de cette affaire. Nous pouvons, à titre amical, en discuter à nouveau avec lui, mais nous ne pouvons aller au-delà.

M. Robert Chambrial : Fin mai, nous avions eu une réunion qui m'avait laissé optimiste et au cours de laquelle nous avions senti une ouverture. Mais depuis, il n'y a plus rien, et nous savons que les travaux ont commencé. Pour nous, c'est une situation grave, qui ne concerne pas seulement le centre de Grenoble. Ces unités fonctionnelles travaillaient de façon autonome, et les femmes ont tout à perdre à leur intégration dans un service de gynécologie-obstétrique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'an dernier, nous avions visité un certain nombre de centres et nous avions noté que, si on voulait avoir des services efficaces, il fallait des unités fonctionnelles qui puissent, même dans le cadre d'un service, travailler de façon autonome.

Mme Elisabeth Aubény : En ce qui concerne les IVG médicamenteuses, si elles sont pratiquées dans le cadre des réseaux, les médecins libéraux devront les prendre en charge. Il faudra donc absolument en revoir le financement, car les tarifs fixés depuis 1991 sont totalement sous-évalués. Nous voulons que l'IVG soit payée comme un acte normal.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La réévaluation de la consultation des IVG, notamment médicamenteuses, est à l'ordre du jour. Le coût de trois comprimés de mifégyne est de 360 francs.

Mme Elisabeth Aubény : Nous faisons payer l'acte 400 francs, par conséquent il nous reste 30 francs pour la consultation.

Mme Conchita Lacuey : Il faudrait obtenir des prix moins élevés auprès du laboratoire.

Mme Elisabeth Aubény : Je ne pense pas que le laboratoire soit prêt à revoir ses prix. C'est une petite structure, qui ne vit que de cette fabrication, puisque ce laboratoire a été créé expressément pour produire la mifégyne. Aucun laboratoire ne voulait le faire. On ne sait d'ailleurs pas qui le fabrique : la poudre est fabriquée par un laboratoire, les comprimés par un autre, la mise en boîte est faite par un troisième. On sait que les Américains achètent du RU chinois.

En tant que praticiens, nous ne souhaitons pas vendre le produit, mais si nous y sommes obligés, nous le ferons. En outre, nous voudrions que l'acte médical soit revalorisé.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si on parvient à mettre en place des réseaux hôpitaux-médecins dans le cas de l'IVG médicamenteuse, ne peut-on envisager aussi des réseaux, en ce qui concerne la contraception, entre les centres de planification et les médecins ruraux ?

Mme Elisabeth Aubény : Absolument, c'est encore moins difficile. Dans le cas du RU, il faut des médecins formés, mais en ce qui concerne la contraception, tous les médecins, en principe, sont compétents pour la prescrire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette question concerne particulièrement les mineures qui, dans les zones rurales, ne peuvent accéder aux centres de planification.

Mme Elisabeth Aubény : Comment l'envisagez-vous ? Est-ce le pharmacien qui délivrerait gratuitement une contraception ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous pensions davantage à des réseaux de santé liés par des conventions pluripartites entre une CPAM, une DDASS, un centre de planification et des médecins. Puisque la contraception est gratuite pour les mineures dans les centres de planification, peut-être pourrions-nous étendre ce dispositif hors des centres, à des médecins qui auraient une minipharmacie chez eux et qui donneraient une consultation gratuite aux mineures.

Mme Elisabeth Aubény : Nous revenons toujours au même problème, à savoir que les médecins devraient stocker les médicaments et les donner, ce qu'ils ne souhaitent pas. Ne pourrait-on envisager que le médecin donne à la mineure un bon qu'elle puisse présenter à la pharmacie ? Il est possible que le médecin fasse gratuitement la consultation, qu'il se fera ensuite rembourser.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela peut être difficile en milieu rural, parce que l'anonymat n'est pas toujours respecté.

Mme Elisabeth Aubény : L'idée est excellente, mais je ne suis pas certaine que vous trouverez beaucoup de médecins qui accepteront de gérer le sock. Ils seront d'accord pour la consultation et un remboursement différé, mais le problème vient de la gestion des stocks.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Toujours dans le domaine de la contraception, avez-vous pris connaissance des articles très critiques de l'Agence du médicament sur les pilules de troisième génération ?

Mme Elisabeth Aubény : Ces articles mentionnent en effet que les accidents veineux sont légèrement plus fréquents avec les pilules de troisième génération. Certes, ils augmentent, mais de façon très légère. De là à arrêter la prise de ces pilules pour toutes les femmes qui les prennent, il n'en est pas question.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Certaines associations recommandent à leurs médecins d'en arrêter la prescription.

Mme Elisabeth Aubény : Si la jeune fille est satisfaite de sa pilule contraceptive, il ne faut pas la changer. Certaines femmes supportent mieux des pilules à faible taux d'_strogène, donc de troisième génération. L'important dans une contraception est que la femme en soit satisfaite, même s'il existe un risque d'accident veineux majoré très léger. Elle prendra plus de risques si elle est enceinte.

L'Agence du médicament a pris la même position en disant que, même s'il y a un risque d'accidents un peu plus élevé, il n'était pas nécessaire d'arrêter les pilules de troisième génération. Il faut simplement faire attention aux contre-indications, qui sont les mêmes pour les pilules de première et deuxième générations. Mon souhait serait que les pilules de troisième génération soient remboursées pour que femmes et médecins aient vraiment le choix.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avez-vous travaillé sur le préservatif féminin ?

Mme Elisabeth Aubény : Non, mais nous allons le faire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Notre réflexion est de deux ordres. Premièrement, un certain nombre d'IVG sont dues au fait que le garçon refuse de se protéger. Les femmes peuvent se trouver démunies, si elles ne disposent pas du préservatif féminin, qui peut être un moyen de négociation, y compris dans le couple.

Deuxièmement la progression du sida en région parisienne est, ces derniers mois, de 40 % chez les femmes. Il y a donc un type de population qui ne se protège pas, et le seul moyen de la protéger est le préservatif féminin.

Mme Elisabeth Aubény : En fait, nous hésitons souvent à le prescrire, car on ne le trouve pas dans les pharmacies et qu'il vaut cher (50 francs les quatre pour un usage unique). Nous souhaiterions pourtant le prescrire aux femmes dont le mari est sida-positif. Avec une meilleure accessibilité, nous pourrions le prescrire plus souvent. Il serait intéressant de le faire passer dans le budget sida.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les décrets sur le stérilet viennent de sortir. Son prix est de 180 francs et son tarif de remboursement de 140 francs.

Mme Elisabeth Aubény : C'est convenable, car les femmes actuellement le payent plus de 300 francs et sont remboursées 70 francs.

Dernière observation sur la contraception :  vous avez voté une loi sur la contraception d'urgence en décembre 2000. Le décret d'application relatif à la contraception gratuite pour les mineures en pharmacie n'est toujours pas paru. Or, le texte demandé par la CNAM pour accompagner cette délivrance gratuite aux mineures, auquel nous avions travaillé, est prêt.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce décret devrait paraître assez rapidement.

Audition de M. André Lienhart, président de la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR)

Réunion du 6 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La Délégation aux droits des femmes a été chargée par la commission des affaires sociales du suivi de l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception. C'est à ce titre que nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. André Lienhart, président de la Société française d'anesthésie et de réanimation, chargée d'établir à l'intention des 8 500 anesthésistes de France un code de bonnes pratiques professionnelles.

Il nous a semblé indispensable, Monsieur le président, de recueillir votre point de vue sur l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception, dans la mesure où les médecins anesthésistes, avec l'allongement des délais légaux de l'IVG, vont être davantage sollicités pour participer aux IVG tardives, qui, - semble-t-il - se pratiquent essentiellement sous anesthésie générale.

De nombreux médecins anesthésistes se sont montrés préoccupés par la possibilité qu'offre la nouvelle législation de réaliser une anesthésie générale chez une personne mineure, sans autorisation parentale. Quel doit être, selon vous, le rôle exact de l'adulte accompagnant la mineure et quelle est la marche à suivre en cas de complications ? Quels sont précisément les problèmes rencontrés par les médecins anesthésistes et quelles sont leurs réticences ?

Pour répondre à ces interrogations, la SFAR a estimé nécessaire d'élaborer des recommandations, validées par le conseil d'administration du 19 septembre 2001 et diffusées à tous ses adhérents.

Pouvez-vous nous préciser le contenu de ces recommandations ? Ont-elle fait l'objet d'une concertation avec le ministère de l'emploi et de la solidarité ? La circulaire d'application du 28 septembre 2001 apporte-t-elle des réponses suffisantes aux questions que se posent les médecins ?

M. André Lienhart : Il est vrai que peu après la parution au Journal officiel de la nouvelle loi, la SFAR a été interrogée, durant l'été, par un certain nombre de ses membres. La première de leurs préoccupations concernait l'anesthésie générale effectuée sur des personnes mineures. C'est pourquoi il nous est apparu indispensable de rédiger un texte, qui n'est pas à strictement parler une recommandation, mais qui a été validé par notre conseil d'administration. Il ne fait que reprendre les termes de la loi, selon laquelle l'anesthésie pratiquée sur des personnes mineures est licite, dès lors que l'on s'est entouré des précautions indiquées dans la loi.

Pour répondre à votre question concernant la circulaire du 28 septembre 2001, j'observerai en premier lieu qu'elle n'est pas parvenue encore à ce jour dans tous les lieux où elle aurait dû l'être. Je l'ai reçue et l'ai communiquée, mais je ne peux pas dire qu'elle me soit parvenue par les canaux habituels. La circulaire répète que l'anesthésie générale est licite dans ce cadre, mais ne donne aucune indication sur la marche à suivre. Or, notre société est interrogée par ses membres qui veulent savoir quelle est la procédure concrète à suivre. La loi est claire : elle indique qu'une personne majeure accompagne la mineure dans l'ensemble de sa démarche. Pour nous, la démarche anesthésique commence dès la consultation en vue de l'anesthésie générale. C'est pourquoi nous avons recommandé que cette personne majeure accompagnante soit présente au moment de la consultation, pour pouvoir entendre un certain nombre des conseils prodigués à la mineure et pour les commenter avec elle ensuite.

En effet, lors de cette consultation, nous allons évoquer les avantages de l'anesthésie, ses risques éventuels et les précautions à prendre. Nous allons également remettre un formulaire d'information et nous voulons pouvoir dire à la personne majeure accompagnante de le revoir tranquillement avec la mineure, afin qu'elle comprenne mieux la situation.

En ce qui concerne la question de la confidentialité de la consultation, il nous parait tout à fait possible, même si nous ne l'avons pas écrit dans ce texte, de séparer deux parties dans la consultation d'anesthésie :

- un colloque singulier avec la jeune fille, auquel il n'est pas question qu'une autre personne assiste. C'est d'ailleurs une recommandation que nous préconisons à l'égard des parents, parce qu'un enfant qui souhaite se confier à un médecin doit pouvoir le faire en dehors de la présence de ses parents ;

- une autre partie de la consultation, plus centrée sur l'information et les recommandations à donner à la mineure lorsqu'elle rentre chez elle, lui conseillant notamment de faire attention à ce qui peut se passer pendant la nuit suivant l'IVG et lui indiquant les personnes à prévenir en cas de problème. Voilà pourquoi il nous semble important que soit présente une personne majeure, qui puisse se faire le relais de ces recommandations auprès de la mineure.

Certes, ces recommandations n'ont pas à figurer dans le texte de loi, car ce sont des indications de pratique médicale. Toutefois, elles ont été perçues de façon plutôt favorable par notre milieu, qui y voit une façon concrète et simple d'agir.

En ce qui concerne votre question sur notre concertation avec le ministère, je peux vous répondre par la négative. Nous n'avons nullement été consultés avant l'adoption de la loi. Néanmoins, à propos du dossier-guide qui va être publié et dont il est fait mention dans la circulaire du 28 septembre, nous souhaiterions une certaine collaboration.

A cette occasion, j'ai relu le dossier-guide 2000 qui ne parle pas de l'anesthésie générale, sauf pour indiquer qu'il vaut mieux ne pas y recourir. Il souligne, en effet, qu'une bonne anesthésie locale est largement plus efficace et qu'elle entraîne moins de complications qu'une anesthésie générale. C'est à peu près tout ce qui est dit de l'anesthésie dans le texte du dossier-guide 2000.

Il est clair que dans le texte du dossier-guide 2001, étant donné qu'il faudra prendre en considération l'allongement des délais à 12-14 semaines, l'anesthésie générale sera de pratique constante. Il nous semblerait donc utile d'indiquer qu'il y a une consultation préalable d'anesthésie, pour éviter que les femmes demandant une IVG ne soient surprises. Ensuite, il conviendrait de communiquer l'intérêt à avoir, lors de la consultation d'anesthésie, un parent ou une personne majeure accompagnant la femme qui souhaite interrompre sa grossesse. Il faudrait qu'il puisse y avoir une communication en amont, afin que la femme qui prend la décision d'IVG, ait en tête non seulement des idées générales, mais aussi la façon concrète dont l'IVG va être pratiquée et les différents rendez-vous à prendre.

En ce qui concerne les mineures et la possibilité qui leur est offerte de garder le secret à l'égard de leurs parents, une préoccupation s'est fait jour, même si elle est minoritaire parmi les appels que nous avons reçus : qui prévenir en cas d'accident ? Il est évident que le nouveau texte de loi, qui rend licite l'acte dans un certain nombre de cas où il ne l'était pas auparavant, ne dit rien en ce qui concerne les complications éventuelles.

Nous ne nous en étonnons pas, mais nous avons à faire face à l'éventualité d'une situation dans laquelle la mineure aurait gardé le secret à l'égard de ses parents et devrait rester hospitalisée en raison d'une complication grave (accident d'anesthésie ou, plus fréquemment, de type chirurgical). La question qui nous est alors posée est de savoir qui prévenir et comment. Doit-on continuer à garder le secret ou non ?

Nous avons recommandé, s'il s'agit d'une situation très grave, de prévenir les parents et de demander à la personne majeure accompagnante de continuer à jouer son rôle de relais. En effet, si c'est un membre de la famille, il nous paraît humainement plus convenable que l'information aux parents soit communiquée par cette personne.

A cet égard, il nous paraît normal de prévenir l'adulte accompagnant de cette éventualité, par exemple au moment de la consultation pré-anesthésique. Ainsi, lors de cette consultation, d'une part, on préviendrait la mineure des précautions à prendre, puis on demanderait à la personne majeure accompagnante de répercuter à la mineure ces précautions. D'autre part, on informerait cette personne majeure qu'en cas de problème lors de l'acte d'IVG, elle sera sollicitée pour servir d'intermédiaire auprès de la famille.

J'évoquerai maintenant l'allongement des délais à 12-14 semaines. Nous avons également été interrogés sur ce point, mais cette préoccupation ne figure pas dans le texte que nous avons rédigé, tout simplement parce que l'essentiel de ce problème ne se situe pas dans notre discipline. Dans un certain nombre de centres, les IVG chirurgicales sont réalisées par des médecins généralistes, et non par des gynécologues-obstétriciens ayant une certaine compétence chirurgicale. Les recommandations de l'ANAES, qui font état de la nécessité d'un bloc opératoire, montrent bien qu'il faut un environnement technique spécifique. Selon l'ANAES, l'opérateur doit avoir suivi une formation, sans que ne soit précisé de quelle formation il s'agit. Doit-on comprendre que seul un gynécologue-obstétricien est habilité à réaliser cet acte ou alors qu'un généraliste ayant une certaine habitude peut le faire jusqu'à 8 semaines ? Doit-il y avoir des formations particulières pour l'opérateur, lorsqu'il s'agit de grossesses de 12-14 semaines ? Je ne sais que répondre aujourd'hui aux membres qui me posent la question suivante : "Ai-je le droit de pratiquer une anesthésie générale, sachant que l'opérateur n'a pas le diplôme de gynécologue-obstétricien ou de chirurgien" ? Je vais interroger les gynécologues-obstétriciens sur ce point, mais la réponse ne sera pas facile.

Une autre question concernant les IVG à 12-14 semaines porte sur la personne qui va prendre soin de la femme à son retour au domicile, car notre préoccupation, ce sont les complications. Elles ne sont pas fréquentes, mais notre travail est de faire en sorte qu'elles soient le plus rares possible et, si jamais elles surviennent, de les détecter en temps utile et de les traiter convenablement.

Souvent l'IVG est pratiquée en ambulatoire, c'est-à-dire que la femme rentre chez elle le soir même de l'opération. Quand l'environnement est convenable, il n'y a aucun souci particulier à se faire. Toutefois, comme ces femmes sont souvent dans des situations de détresse et que nous ne connaissons pas la situation au domicile, nous souhaitons la présence de la personne majeure accompagnante, afin de ne pas laisser repartir une femme chez elle sans savoir si elle a le téléphone, pour au moins appeler une ambulance ou l'hôpital, en cas de saignements.

Dans le cas des IVG à 12-14 semaines, statistiquement, il y a plus d'anesthésies générales, donc nous sommes plus souvent impliqués, de même qu'il y a un peu plus de complications, sans que les chiffres soient très élevés. C'est pourquoi nous essayons de mettre en place en amont, si possible dès la première consultation, un environnement favorable pour la jeune femme et de veiller à ce que le dossier-guide attire à la vigilance sur cette surveillance à domicile.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je souhaiterais, au préalable, faire une remarque d'ordre général. Le nombre des mineures qui ne peuvent pas ou ne pourront pas solliciter une autorisation parentale, selon les estimations que nous avions pu faire lors de la discussion du projet de loi, se situe entre 5 et 10 % de la population des mineures. Environ 10 000 mineures sont enceintes chaque année en France et 7 000 d'entre elles procèdent à une IVG. On peut donc supposer qu'une population d'environ 500 mineures par an pourraient se retrouver en situation de ne pouvoir être accompagnées par l'un des deux parents.

Ma première question portera sur votre appréciation du texte de loi, et notamment de son article 7. Vous a-t-il rassuré en ce qui concerne la responsabilité des anesthésistes pour des opérations sur des mineures ne bénéficiant pas de l'autorisation parentale ? Nous avions souhaité une rédaction qui vous décharge de toute responsabilité, notamment par rapport aux parents. Cette rédaction vous convient-elle ?

M. André Lienhart : L'écriture du texte de loi et de la circulaire sont absolument sans ambiguïté. A mes yeux, l'anesthésie générale fait partie "des actes médicaux et des soins qui lui sont liés", dont parle la loi. Pour autant, un certain nombre d'anesthésistes-réanimateurs font remarquer que l'anesthésie ne figure pas en toutes lettres dans le texte.

Ne pas voir que l'anesthésie générale est liée à l'acte d'IVG, j'y vois un peu de mauvaise foi de la part d'un certain nombre de mes collègues. Toutefois, c'est une réaction dont il faut savoir qu'elle peut exister. Honnêtement, je ne vois aucun problème vis-à-vis de l'anesthésie. En revanche, j'en vois un, lorsqu'il y a complication liée à l'acte. Devons-nous toujours respecter la demande de secret vis-à-vis des parents ? Cette complication va entraîner un acte lié à l'IVG. Pourtant, si cette complication est grave, il nous apparaît humainement indispensable de prévenir et d'expliquer à la famille que l'on garde une jeune fille à l'hôpital, voire que l'on effectue une hystérectomie.

En amont de l'IVG, la rédaction du texte de loi nous paraît très clair, mais en aval et lorsque l'acte médical reste lié à l'IVG, nous sommes alors honnêtement plus gênés par cette rédaction. Nous sommes rassurés pour ce qui concerne la licité de l'acte lui-même, mais pas pour les complications.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente :  En ce qui concerne la place de l'accompagnant, il me semble que, dans vos recommandations, vous allez au-delà de la volonté du législateur. En effet, dès lors que le médecin qui va pratiquer l'acte s'est assuré par lui-même ou lors de l'entretien social que le consentement des parents n'a pas pu être recueilli, je suis étonnée de constater que vous souhaitiez que le nom de cet accompagnant figure sur la fiche de consultation d'anesthésie. Je m'interroge donc sur la transmission de l'information au sein de l'équipe médicale. Le travail d'anesthésiste se fait-il en parallèle avec celui du médecin ? Un échange d'information ne se fait-il pas sur un dossier ?

M. André Lienhart : Nous ne requérons pas, contrairement à certains formulaires de nos confrères gynécologues-obstétriciens, la moindre signature de quelque personne que ce soit. En revanche, il nous semble souhaitable de transmettre à l'adulte accompagnant la mineure un certain nombre d'informations et de précautions à prendre.

Nous informons la personne majeure accompagnante qu'elle n'a pas à signer, mais simplement à expliquer la situation à la mineure. C'est pourquoi nous considérons que c'est une précaution convenable d'inscrire, dans le dossier médical, l'identité de l'interlocuteur, pour ceux qui auront par la suite le dossier médical en mains.

Il suffit d'attester : "J'ai expliqué à telle mineure en présence de..." Nous devons avoir l'identité de notre interlocuteur, de même que nous avons l'identité de la mineure, qui nous est communiquée avec le dossier. L'identité de la personne majeure peut être inscrite dans le dossier, il suffit alors de demander : "Vous êtes bien telle personne..." et nous le notons. En revanche, nous ne demandons pas à la personne majeure accompagnante de signer. Tout cela relève d'une pratique normale, qui permet de laisser une trace écrite dans le dossier.

Ensuite, si le dossier médical comporte le nom de la personne majeure, le médecin vérifie qu'il a bien affaire à cette personne. Nous attirons l'attention sur cette précaution nécessaire, parce que les dossiers médicaux sont plus ou moins complets.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente :  Vous allez au-delà de la loi en "exigeant" la présence de l'adulte accompagnant. Nous ne l'avons pas écrit dans le texte.

M. André Lienhart : Je suis d'accord. J'aurais dû dire que la rédaction du texte de loi était, de ce point de vue, insuffisamment claire. Nous avons lu qu'une personne majeure accompagne la mineure dans sa démarche de demande d'anesthésie, laquelle fait partie des actes liés à l'IVG.

J'admets tout à fait que le législateur n'a pas en tête que les informations relatives à la "partie basse" de l'IVG concernent un praticien et celles relatives à la "partie haute", un autre, et qu'il n'utilise qu'un seul terme général "le médecin", alors qu'en réalité il y en a deux. La solution idéale serait de mettre en présence les deux médecins concernés, la mineure et la personne majeure accompagnante. Mais pour des questions d'organisation, cela est impossible.

Concrètement, les échanges d'information se font, soit de façon directe, soit au travers du dossier, et nous donnons des recommandations sur la tenue du dossier. Pour en revenir à votre remarque sur la rédaction de notre recommandation, il ne nous était pas apparu que c'était une exagération. Pour nous, c'était une déclinaison, pour les différentes parties de l'acte, de la même précaution. En effet, nous avons supposé que la personne majeure accompagnante était présente pour servir de relais auprès de la mineure quant aux informations et précautions données par le ou les médecins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente :  L'article 7 de la loi précise que le médecin qui pratique l'IVG s'assure que "le consentement est joint à la demande qu'elle présente au médecin en dehors de la présence de toute autre personne". L'entretien est singulier. Nous avons mis des garde-fous pour que l'adulte accompagnant ne soit pas sujet de pression. De la même façon, - mais il serait intéressant d'avoir un débat sur ce point avec le ministère -, qui prévient la famille en cas de complications ? Est-ce l'adulte accompagnant ou la direction de l'hôpital ?

De mon point de vue, si on demande que l'adulte accompagnant serve d'intermédiaire avec la famille et la prévienne en cas de complications, il me semble que l'on ne se situe plus tout à fait dans l'esprit de la loi. Prévenir la famille relève plus de la responsabilité du directeur de l'hôpital que de l'adulte accompagnant, mais cela se discute.

M. André Lienhart : Il me semble que la préoccupation de prévenir la famille se situe hors du champ législatif et que nous sommes là dans le domaine des relations humaines. Certes, l'administration doit prévenir une famille qu'une jeune fille est dans le coma, suite à une anesthésie, mais tout ce qui peut être fait pour rendre plus humain l'annonce d'une telle nouvelle nous semble devoir être privilégié. Qu'il soit réglementaire que l'établissement prévienne la famille nous semble un très bon garde-fou, mais cela doit-il être la première démarche ?

C'est pourquoi, au stade des recommandations, nous essayons d'expliquer à nos confrères le meilleur comportement à avoir dans une telle situation. Je me méfie de certaines réactions. Si le premier coup de fil qui arrive au sein de la famille est celui de l'administrateur de garde, cela ne me paraît pas être l'idéal en termes de rapports humains. Très clairement, sur ce sujet, je suis totalement en dehors d'une quelconque préoccupation réglementaire, encore moins législative. Mais nous sommes tout à fait disposés à mener une réflexion avec le ministère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut savoir, par ailleurs, que cette démarche, qui permet à une mineure de recourir à un certain nombre d'actes médicaux ou chirurgicaux en dehors du consentement des parents, va trouver un écho plus large dans le cadre de la loi sur le droit des malades. Le dispositif imaginé dans le cadre de la loi IVG pourra être étendu à n'importe quel acte médical ou chirurgical. Peut-être vaut-il mieux en discuter au préalable.

M. André Lienhart : Nous sommes à votre entière disposition.

Mme Odette Casanova : Ma question ne concerne pas directement votre discipline. Vous avez indiqué que la profession médicale en général est inquiète en ce qui concerne son savoir-faire. Cela me surprend, parce que des pays, autres que la France, pratiquent des IVG au-delà des 10 semaines de grossesse, depuis déjà un certain temps. J'en ai discuté très amicalement avec des médecins que je connais personnellement et ils sont effectivement inquiets.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pour répondre au problème de la formation, le ministère vient de mettre en place, suite aux recommandations de l'ANAES, un groupe national d'application de la loi, qui sera présidé par Mme Emmanuelle Mengual, inspecteur de l'IGAS. Ce groupe est chargé à la fois d'examiner les difficultés d'application techniques, le développement de la formation médicale aux techniques, la formation des acteurs au sens large (écoute, accueil, accompagnement) et toutes les questions liées à la formation.

Pour reprendre les propos de Mme Odette Casanova, il est vrai que les médecins sont très inquiets. L'ANCIC, dont nous recevions les représentants la semaine dernière, s'est également fait l'écho de ces appréhensions dues, entre autres, au changement qualitatif entre l'embryon et le foetus entre 10 et 12 semaines, à la nature de l'acte (certains médecins ont le sentiment de pratiquer un acte odieux), à la dramatisation par rapport à l'acte et à l'absence de formation. Les représentants de l'ANCIC nous ont expliqué qu'ils avaient commencé à organiser par région des formations, qui ont lieu, soit en Hollande, soit en Espagne, et que les craintes des médecins tombaient, dès lors qu'ils avaient reçu une formation. Mais il serait bon que ces inquiétudes puissent être discutées et prises en compte par le groupe de pilotage mis en place par le ministère.

M. André Lienhart : Il y a plusieurs niveaux de réponse. Le premier est qu'il n'est pas question d'états d'âme, il s'agit de faire en sorte que la loi soit applicable dans le meilleur intérêt général. Cela dit, il n'est pas niable qu'un embryon de 14 semaines, pour qui l'a vu, provoque une émotion. Par conséquent, il s'agit de faire la part des choses, entre les réticences qui se cachent derrière tout ce qui vient d'être évoqué et les réticences techniquement fondées. Croyez bien que ces points sont le point de départ de ma réflexion sur le sujet.

Toutes les indications que je vous ai données, et les écrits que j'ai évoqués, je vous les ai exposés après avoir fait le tri entre ce qui est réticence subjective, même sans entrer dans des débats philosophiques, et le domaine spécifiquement médical, c'est-à-dire la fréquence des complications et les problèmes à régler en consultation ou ailleurs. Je n'ai parlé que de cette seconde partie.

Ma seule préoccupation, en termes de formation, est un peu différente de celle du praticien qui réalise l'acte. Elle porte sur l'aspect diplômes et qualifications. D'une manière générale, si l'anesthésiste-réanimateur estime que le chirurgien n'est pas qualifié pour pratiquer tel acte, il doit refuser l'anesthésie, en demandant que l'on fasse appel à un praticien réellement qualifié. C'est une situation exceptionnelle - mais qui peut arriver - au cours de laquelle l'anesthésiste-réanimateur se trouve face à un praticien dont il sait pertinemment qu'il ne sait pas réaliser l'acte, puisqu'il ne l'a jamais fait. Pour l'IVG, une telle situation ne concerne que quelques centres. A l'hôpital Saint-Antoine, il est évident que cet acte a déjà été pratiqué, sans jamais rencontrer de problèmes de cette nature. Toutefois, dans certains centres d'orthogénie, on sait que les généralistes s'arrêtaient de pratiquer des IVG à un certain nombre de semaines d'aménorrhée. Or, s'il faut une anesthésie pour les IVG à 12-14 semaines, les praticiens sont-ils capables ou non de pratiquer l'acte ? La question reste entière.

Néanmoins, une partie de ce problème tombe, s'il y a accord professionnel spécifiant que tel type de médecin, qui avait déjà l'habitude de réaliser les IVG dans tel contexte, qui a suivi telle formation complémentaire en Hollande ou en Espagne, possède les qualifications suffisantes pour réaliser l'acte d'IVG. Cela concerne vraiment l'aspect qualification, au sens strict du terme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Aviez-vous vous-même des questions à nous poser ?

M. André Lienhart : Une de mes questions concerne notre lecture du texte de la loi. Vous nous avez dit que nous avions peut-être été un peu loin dans cette lecture, alors qu'au contraire nous nous sommes efforcés d'en être le plus proche possible. Notre demande concernant la présence d'une personne majeure accompagnante pour répéter à la mineure les informations données et les précautions à prendre, vous paraîtrait-elle toujours illégitime, dès lors que l'on préciserait qu'une partie de l'entretien doit être réalisée en colloque singulier et en dehors de la présence de cet adulte accompagnant, comme d'un éventuel parent ?

Si nous apportions cette précision, cela vous semblerait-il toujours une exagération de notre part, ou cela correspondrait-il à une modalité acceptable de mise en place de cette loi ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Est-ce le rôle de l'accompagnant de prévenir la famille en cas de complications ? Je souhaiterais, très honnêtement, que l'on puisse retravailler ce point, mais je prends note de votre souci de rassurer les praticiens et de prévenir les complications qui, à mon sens, devraient être très limitées. Donnons-nous les garanties pour prévenir les problèmes et anticipons.

Dans le même temps, je partage tout à fait votre souci de calmer le jeu parce que nous ne sommes pas, d'une part, sur des pratiques à haut risque et, que d'autre part, statistiquement les risques ne sont pas très élevés.

M. André Lienhart : Je suis à votre entière disposition pour approfondir le sujet. Quant aux risques peu élevés, ce n'est pas aux anesthésistes qu'il faut dire cela. Nous sommes partis d'un sur mille ; il y a dix ans, nous en étions à un sur dix mille ; nous travaillons vers un sur cent mille, l'objectif étant d'un sur cinq cent mille. Certes le risque n'est pas très élevé, mais une vie est une vie.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout à fait. De plus, dans ce métier, vous devez avoir présent à l'esprit les conséquences d'un acte médical en termes de responsabilités éventuelles.

Audition de Mme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche
au Centre d'étude de la vie politique française (CEVIPOF)

Réunion du 6 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Centre d'étude de la vie politique française (CEVIPOF), dont les études menées, depuis plusieurs années, sur les femmes en politique, sur la parité hommes/femmes et sur la sexualité, nous ont permis de mieux saisir la place actuelle de la femme dans la société française.

Aujourd'hui, vous venez nous présenter les fruits d'un travail mené l'année dernière, à la demande de la Division sida de la Direction générale de la santé, sur le thème : "Une politique de réduction des risques sexuels pour les femmes en difficulté de prévention". Il y a, en effet, une recrudescence inquiétante, ces dernières années, de l'épidémie de sida chez les femmes, dont la protection est mal assurée, particulièrement lorsqu'elles sont en situation de vulnérabilité. "En 1998", indiquiez-vous dans l'introduction de votre rapport, "on apprenait qu'en dix ans, en ce qui concernait les cas de sida féminin, le "sex ratio" était passé en France d'une femme pour sept hommes à une femme pour trois hommes".

L'opération "réduction des risques sexuels" a consisté à aller à la rencontre des femmes, là où elles se trouvaient, dans leur environnement immédiat, en ayant un contact direct avec elles, grâce au partenariat du Mouvement français pour le planning familial, dont l'expérience et le réseau national ont été mis à contribution.

Pourriez-vous nous dire comment s'est déroulée concrètement cette opération ? Quel est le profil sociologique des femmes en difficulté de prévention ? Quelle a été la portée des groupes de paroles organisés par les animatrices du Planning familial ? Quels sont les premiers résultats des questionnaires réalisés auprès de ces femmes ?

Un autre point précis intéresse notre Délégation. Quelle est l'incidence du préservatif féminin dans la prévention ? Ce mode de contraception offre-t-il des perspectives intéressantes et quels seraient les moyens nécessaires, selon vous, pour le développer ?

Mme Janine Mossuz-Lavau : Ma présentation sera fondée sur des éléments tirés de deux enquêtes, la première à laquelle vous faisiez référence, que j'ai conduite jusqu'en l'an 2000, et la seconde que j'ai menée après cette date.

C'est à partir de ces deux enquêtes que je viens de terminer un livre, à paraître en mars 2002, sur la vie sexuelle en France, celle des hommes comme celle des femmes, quel que soit le milieu social - y compris les milieux défavorisés, sur lesquels a porté la première enquête -, quels que soient les âges et les régions.

La première enquête concerne l'évaluation du programme de réduction des risques sexuels, décidée en 1998 par la Division sida de la Direction générale de la santé. Nous avions pu constater, lors d'un colloque tenu en 1997 sur "Les femmes et le VIH", que l'épidémie de sida progressait chez les femmes hétérosexuelles par voie sexuelle et non pas uniquement chez les toxicomanes hétérosexuelles par voie intraveineuse. C'est ce constat qui a décidé l'Inspection Générale de la Santé à engager ce programme qui, à mon sens, est très intéressant.

Des animatrices du Planning familial ont tout d'abord été formées à la problématique des risques sexuels en général, dans le cadre de la grossesse, des MST et du sida. L'objectif du programme était de ne pas découper la sexualité des femmes en petits morceaux, mais de traiter conjointement ces trois sujets. La formation prévue, très complète, commençait par une intervention sur le sida, à laquelle j'ai assisté. Cette formation très intense - deux jours d'affilée à trois reprises, soit pratiquement six jours de formation -, comprenait des rencontres avec des médecins, des gynécologues, des médecins faisant de la recherche sur le sida, etc.

Suite à cette formation, les animatrices du Planning, venues de toutes les régions de France, devaient, dans leur région, animer, en 1999 et 2000, quatre groupes de paroles de femmes, que l'on appelle en difficulté de prévention. Ces femmes ont été recrutées dans les milieux de la grande précarité, via les centres sociaux, les foyers d'hébergement, les Restos du c_ur, les structures d'insertion des Rmistes, les associations de femmes immigrées. Le groupe de paroles était constitué de dix ou douze femmes. Un après-midi par semaine, pendant sept semaines d'affilée, l'animatrice leur parlait de tous les aspects de la sexualité, de la contraception, de l'IVG, du sida, de la visite chez le gynécologue. Il n'y avait pas de cours magistral. Au milieu d'une table étaient déposés tous les objets concernés (spéculums, préservatifs, etc.) et des petits miroirs pour qu'elles puissent regarder leur sexe, car la plupart, n'ont jamais vu leur sexe. L'animatrice commençait alors à évoquer les sujets à l'ordre du jour, et très vite, s'instaurait une dynamique.

Les femmes qui venaient dans ces groupes ne se connaissaient pas, elles pensaient chacune être dans une situation difficile qu'elles étaient seules à connaître, puis s'apercevaient petit à petit que les autres femmes étaient confrontées aux mêmes difficultés. Elles discutaient entre elles et posaient des questions. Ainsi ont été évoqués les problèmes de violence, qui faisaient partie de leur vie sexuelle.

L'originalité de ce programme tient au fait que l'on m'a demandé d'en conduire l'évaluation dès son démarrage, alors que, généralement, l'évaluation d'une action de politique publique se fait en fin de programme, ce qui ne permet pas souvent d'en saisir les différentes nuances.

Dès le début, j'ai suivi les formations données aux animatrices du Planning. Ensuite, je suis allée dans les différents groupes de paroles pour conduire deux types d'enquête auprès des femmes. D'une part, je leur faisais remplir des questionnaires, afin d'évaluer qui elles étaient, si elles étaient mariées, si elles avaient fait des études, leur profession, leur religion, leur vie sexuelle, leurs modes de prévention. D'autre part, je les rencontrais successivement, seule à seule, en entretien de type semi-directif.

Pour effectuer ces entretiens, j'ai disposé de l'aide des deux meilleures étudiantes de mon cours de DEA sur la formation à l'entretien. A trois, nous avons conduit un peu plus de soixante-dix entretiens, en début de formation, puis à l'issue de celle-ci, au moyen de questionnaires et d'entretiens de bilan.

Nous avons pu constater une évolution très intéressante de leur prise d'autonomie et de parole. Beaucoup de ces femmes, notamment les femmes musulmanes, ne parlent de sexualité, ni en famille, ni avec leurs enfants. Toutefois, au regard de ce qu'elles ont appris pendant ces sept semaines, elles ont compris l'importance, notamment quand elles avaient des enfants adolescents, de faire passer un message de prévention et d'aborder avec eux ces problèmes, totalement tabous dans leur culture.

Ces premières constatations concernent donc ma première enquête, à l'issue de laquelle j'ai rendu un rapport sur le programme de réduction des risques sexuels. J'ai fait ensuite une deuxième enquête pour atteindre les différents groupes de la société. En effet, de plus en plus, ces problèmes touchent toutes les couches sociales, y compris des personnes qui s'estiment totalement préservées.

Cette deuxième enquête a été conduite auprès d'hommes et de femmes de tous âges, de tous milieux, répartis sur l'ensemble du territoire, de toutes sensibilités sexuelles. La méthodologie suivie était quelque peu différente, car, lors de ces entretiens, je leur faisais raconter leur vie amoureuse et sexuelle, de la toute première à la toute dernière relation, en commençant dans l'enfance. Je leur demandais, ce qui n'avait jamais été fait jusqu'à présent, quand ils avaient découvert l'existence de la sexualité. Quand les personnes se sentent écoutées, et non pas jugées, elles racontent énormément de choses.

Sur les points qui vous intéressent, au regard des résultats des deux enquêtes, un grand nombre d'éléments peuvent être mis en évidence.

En ce qui concerne la contraception, les enquêtes permettent de mettre en évidence des réticences vis-à-vis de la pilule, qui s'avèrent plus fortes que celles que j'avais imaginées. Certaines femmes refusent de la prendre, car elle ferait grossir. D'autres évoquent les risques de cancer, le fait qu'elle provoquerait des vomissements, des maux de tête, des troubles oculaires. Ce sont des arguments assez anciens. Mais d'autres femmes, notamment chez les jeunes, estiment que c'est un produit qui n'est pas naturel et qui perturbe le cycle normal. C'est un argument que j'ai trouvé fréquemment chez les jeunes femmes sensibles à l'ambiance écologique. Je cite l'une d'entre elles : "Pour moi, ce n'est pas naturel, j'ai l'impression que cela dérègle le cycle normal et je n'aime pas cela. Je suis très bio, c'est un produit que l'on met dans ton corps, ce sont des cycles artificiels. En plus, j'ai entendu dire qu'une femme qui prend la pilule régulièrement, après il faut l'arrêter un moment assez long pour avoir des enfants. Il ne suffit pas de l'arrêter juste un soir pour faire des enfants. Et moi je veux des enfants plus tard." Là aussi, nous avons le spectre de la stérilité. Enfin, il y a les arguments des fumeuses. Comme on leur a dit que la combinaison pilule et cigarette n'était pas bonne pour l'organisme, elles choisissent alors de sacrifier la pilule.

J'ai trouvé des arguments plus nouveaux, liés au contexte dans lequel nous vivons depuis les années 90. Ces arguments sont utilisés par des jeunes femmes sensibilisées aux risques du sida, qui considèrent que, si elles prenaient la pilule, elles ne seraient pas certaines de pouvoir obliger leur partenaire à mettre un préservatif et qu'elles relâcheraient leur attention à un moment ou à un autre. Par conséquent, la peur de la grossesse les aide à se protéger contre le virus HIV. Moyennant quoi, de temps à autre, elles font une exception et se précipitent sur la pilule du lendemain et le test HIV.

Autre constatation : quand la pilule a fait son apparition en France, elle a signifié une libération pour des générations de femmes, qui pouvaient désormais faire l'amour quand elles le voulaient et disposer de leur corps sans être menacées d'une grossesse. Or nombre de jeunes femmes ne vivent plus aujourd'hui la pilule comme une libération, mais comme une contrainte, c'est-à-dire un geste que l'on doit immanquablement refaire chaque jour et dont la répétition leur parait insupportable. C'est un argument de jeunes femmes, mais aussi de femmes plus mûres. Par exemple, cette femme, âgée de 36 ans, m'a dit la chose suivante : "Il faut toujours y penser, Aujourd'hui est-ce que je l'ai prise ? Où est-ce que j'en suis dans ma tablette ?". Certaines d'entre elles, à partir d'un certain âge, ont donc eu recours au stérilet, car elles oubliaient leur pilule de plus en plus souvent.

J'ai aussi recueilli des témoignages d'hommes sur la pilule. Des étudiants ont témoigné de l'utilisation tout à fait approximative de la pilule par leurs petites amies, c'est-à-dire de leur oubli de certaines pilules. Ces hommes ne sont généralement pas très informés, tout en sachant néanmoins que l'oubli de la pilule peut avoir des conséquences.

Une des constatations que j'ai pu faire m'a surprise. Un certain nombre de femmes, notamment des jeunes femmes, en raison des différents problèmes liés à la pilule (oubli, produit non biologique, pas de pose d'un stérilet à un âge trop précoce) reviennent aux mauvaises méthodes, à savoir la méthode Ogino et le comptage des jours. Elles me racontent que quand ce sont les "mauvais" jours, elles demandent à leur partenaire d'éjaculer à l'extérieur. Elles reviennent en fait aux méthodes qui ont fait leur preuve pour avoir des enfants.

Je vous cite le témoignage d'un étudiant qui vit avec une jeune étudiante : "Elle prenait les cours qu'elle avait suivis en première sur l'ovulation avec les dates. Un jour, elle s'est trompée, elle est tombée enceinte, ça a été le drame." Beaucoup d'hommes me disent que la jeune fille calculait et qu'ils faisaient attention.

Deux chercheuses, Nathalie Bajos (socio-démographe) et Michèle Ferrand (sociologue) ont conduit une enquête remarquable sur les grossesses non prévues. Elles citent, dans leur rapport, le témoignage d'une jeune fille, élève en 1ère S, qui utilise systématiquement des préservatifs le quatorzième jour du cycle, car elle s'est mis en tête que c'était le jour de l'ovulation. Avant ou après ce quatorzième jour, elle ne prend aucune précaution. Elle s'est donc retrouvée enceinte, d'où le recours à l'IVG. Ce que j'ai trouvé inquiétant chez un certain nombre de jeunes femmes, c'est ce retour à la méthode Ogino et au retrait.

D'autres femmes, qui représentent une population cible fragile, arrêtent leur contraception, car elles se retrouvent seules, suite à une séparation, un veuvage ou un divorce. Dans un premier temps, elles considèrent qu'elles n'auront pas ou plus de relations sexuelles pendant une longue période. Ces femmes, qui ont souvent eu des histoires douloureuses de violence, ont tourné la page et, le temps passant, elles ont intégré l'idée que, si elles avaient un nouveau partenaire, elles utiliseraient le préservatif. Ces femmes, le plus souvent autour de la quarantaine, ne se rendent pas compte de la résistance des hommes de leur génération à utiliser le préservatif. Un jour ou l'autre, elles peuvent avoir de nouveau une relation, mais elles ne seront pas protégées contre la grossesse, et si elles ne parviennent pas à négocier pour imposer le préservatif à leur partenaire, elles risquent d'avoir des problèmes.

Mme Odette Casanova : Ce sont des situations de personnes que je rencontre autour de moi, quels que soient leurs milieux, même souvent les plus bourgeois. Il me semble que la seule solution pour corriger ces situations passe par l'information au quotidien, et la formation à l'école et au lycée. J'ai l'impression que nous n'avons fait aucun progrès.

Mme Janine Mossuz-Lavau : Nous en avons fait quelques-uns, mais pas autant que nous aurions dû.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je suis partagée entre deux explications. Soit il s'agit d'une tyrannie de la pilule et, effectivement, ce mode de contraception n'est pas adapté à toutes les femmes. Il y a une absence de recherche et de mise en valeur de supports contraceptifs autres que la pilule. On pèche par manque de multiplicité de supports. Soit il s'agit d'un manque de maîtrise de soi et de capacité à maîtriser sa vie, contrairement à l'attitude des femmes de nos générations. Mais, il est vrai que la conception du monde n'est peut-être plus la même.

Mme Janine Mossuz-Lavau : Je vais aborder maintenant le thème du déficit de protection par rapport au sida. La peur du sida existe, notamment chez les jeunes qui sont arrivés à l'âge de la sexualité dans un contexte marqué par l'épidémie. Beaucoup se définissent comme la génération sida et disent mettre le préservatif car, de toute façon, ils n'ont rien connu d'autre. Ils sont résignés.

Toutefois, à certains moments, toutes les précautions ne sont pas prises et les hommes et les femmes font comme si cela n'arrivait qu'aux autres. Il convient de mettre à part une certaine catégorie de femmes, que j'ai rencontrées lors de l'enquête et qui ne se sentent pas du tout concernées par la question du sida : celles qui déclarent qu'elles sont fidèles et que leur mari est fidèle. C'est la quasi-totalité des femmes élevées dans la religion musulmane et qui appartiennent aux milieux défavorisés, donc touchées par le programme que j'évoquais précédemment. Dans le même temps, elles se posent parfois des questions. L'une d'entre elles me disait : "J'ai un mari qui travaille en déplacement. J'espère que non, mais c'est un homme, c'est comme tous les autres hommes, on ne sait jamais, certaines choses peuvent arriver, j'ai peur." Mais elle ne s'imagine pas du tout interroger son mari, lui demander une protection ou lui dire de se protéger, si jamais il lui arrive quelque chose. C'est un sujet tabou.

D'autres femmes musulmanes sont totalement fatalistes. L'une d'entre elles, mariée, quatre enfants, me disait la chose suivante : "Si c'est écrit dans mon avenir que j'ai attrapé cela, qu'est-ce que ça va changer ? C'est le destin." Ces femmes considèrent quelles sont protégées par la fidélité de l'un et l'autre membre du couple.

J'ai rencontré d'autres femmes en position moins confortable, celles qui ont eu de très nombreux partenaires, parfois des toxicomanes, mais qui n'ont rien fait pour se protéger.

Certaines femmes de 35-40 ans considèrent que leurs partenaires, du fait que ce sont des hommes mûrs, des pères de famille, qu'elles sont elles-mêmes mères de famille, ne pourraient pas les mettre en danger. Elles ne se protègent donc pas. Elles reconnaissent prendre des risques, tout en ayant cette image rassurante de l'homme de 40 ans, qui ne lui ferait pas cela.

J'ai souvent rencontré ce type de raisonnement dans des milieux de précarité, mais aussi dans des milieux de cadres supérieurs/professions libérales. J'ai rencontré une femme de 35 ans, cadre supérieur, qui a un amant marié, plus âgé qu'elle, et qui me disait ne pas se poser la question, car elle n'a pas l'impression qu'il mène une vie dissolue avec des partenaires multiples. Certes, il a une relation avec sa femme, mais il lui dit que sa femme n'a pas d'amant et que lui n'a qu'elle comme maîtresse, d'où l'absence de tout danger. A aucun moment, il n'imagine que sa femme, pendant qu'il est avec sa maîtresse, pourrait être avec un jeune homme multi-partenaire et se tenir le même discours.

Il y a également l'attitude, mise en évidence par Rommel Mendès-Leité, auteur de nombreux travaux sur le sida, qui consiste à mettre en _uvre ce que l'on appelle les protections imaginaires. Les femmes font confiance à leurs partenaires et puisqu'elles leur font confiance, elles se sentent à l'abri ou bien elles n'ont plus de relations qu'avec des hommes qu'elles connaissent et, de ce fait, elles supposent qu'ils sont sains.

Beaucoup d'hommes et de femmes m'ont expliqué qu'ils n'aimaient pas faire l'amour avec un préservatif. Il est intéressant d'en connaître les raisons. Des femmes, qui ont plusieurs amants et qui prennent des risques, me disent que cela va trop vite et qu'ils n'ont pas le temps de mettre le préservatif. Pour d'autres, le préservatif est ressenti comme un obstacle. L'une d'entre elles me disait : "Quand il n'y a pas de préservatif, je sais qu'il est là, c'est vraiment lui qui est là, je le sens mieux." Il y a vraiment ce sentiment de forte proximité, que l'on ne retrouve pas avec un préservatif. D'autres femmes me disent que le préservatif est une barrière, alors que faire l'amour, c'est la communion.

Certains hommes considèrent que le préservatif enlève une partie de la sensation réciproque, ce qui casse la relation amoureuse. Un homme me disait, de façon très imagée : "La relation sexuelle, c'est quelque chose de très compliqué. C'est une espèce de mayonnaise. C'est comme une mayonnaise que tu arrêterais tout d'un coup pour dire "tiens je suis en train de faire une mayonnaise avec les mains nues, il faut que je mette des gants". Je m'arrête, je mets des gants. Le temps que tu t'arrêtes et que tu mettes tes gants, la mayonnaise est descendue. Tu sens une femme en train de partir, tu te dis "m..., je ne peux pas interrompre cela maintenant, parce que derrière, elle ne va pas trouver son plaisir."

Il y a des irréductibles, hommes et femmes, qui tout en sachant qu'ils prennent des risques et ont recours à des protections imaginaires, ne se résolvent pas à utiliser un préservatif. Puis, il y a ceux qui sont à mi-chemin, c'est-à-dire qu'ils se protègent de temps en temps, mais pas systématiquement. Ils savent qu'il y a des dérapages, mais ils essaient d'en choisir l'occasion, une fête par exemple.

De plus, si l'homme propose de se protéger, c'est tant mieux, car les femmes ont du mal à le lui proposer. Elles ont un important problème d'autonomie en ce domaine.

Il faut également faire une différence entre les histoires d'un soir, lors desquelles on se protège, et celles plus stables, au cours desquelles on abandonne toute protection. En fait, les relations dangereuses, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ne sont pas les relations d'un soir, qui sont elles protégées, mais les relations stables, qui font qu'on ne se protège plus, car on est amoureux et en confiance.

Il faut insister sur ce phénomène de la confiance. J'ai interviewé une femme bisexuelle, pacsée avec un bisexuel. Elle est fidèle, mais elle sait que son compagnon continue à aller au bois de Boulogne voir des garçons. Selon elle, c'est plus pour des fellations, pour le voyeurisme ou la masturbation. Elle ne s'en inquiète donc pas. Elle suppose que s'il y avait pénétration, il utiliserait des préservatifs, moyennant quoi elle ne se protège pas.

Un autre constat est la résistance masculine à l'utilisation du préservatif. J'ai recueilli de très nombreux témoignages faisant état de ce que les garçons, y compris dans les milieux étudiants, n'aiment pas le préservatif et qu'ils inventent toutes sortes de prétexte pour ne pas avoir à en mettre un.

Il est vrai aussi que les hommes d'une quarantaine d'années n'ont pas eu l'habitude de se protéger, parce qu'ils étaient en couple avec une femme qui avait une contraception efficace. Lorsqu'ils se retrouvent seuls, par exemple après une rupture, il faudrait qu'ils utilisent le préservatif, mais comme ils n'y sont pas habitués, les femmes doivent beaucoup insister. Quand elles insistent, soit ils refusent, soit ils acceptent, soit parfois ils lui demandent si elles le croient malades, si elles ne lui font pas confiance.

Ce type de comportement se retrouve même dans les milieux bien informés. Un journaliste me disait la chose suivante : "La protection contre le sida, ce n'est pas forcément intégré, c'est un grand reproche que je me fais. Quand j'ai des relations épisodiques avec des personnes, la démarche de la capote vient rarement de moi. Je suis toujours tombé sur des femmes qui voulaient se protéger. Heureusement. Et en fait je m'aperçois que la demande venait plutôt d'elles." Si la femme ne demande pas à l'homme de se protéger, il n'y a alors aucune protection. J'ai recueilli de nombreux témoignages en ce sens.

On pourrait dire que le préservatif semble assez incontournable dans les relations où la fidélité n'est pas garantie, mais il n'est pas non plus fiable à 100 %. Plusieurs témoignages font état d'accidents ("il a éclaté", "il s'est perdu", "il est resté à l'intérieur", "il faut avoir du gel parce que quand il a servi un moment, la lubrification du préservatif se dessèche et il peut alors éclater"). Nulle part dans les campagnes télévisées, je n'ai entendu évoquer le fait qu'il fallait avoir du gel avec soi et en remettre pendant la relation, si elle durait longtemps. De même qu'on n'apprend nulle part, sauf auprès des animatrices du Planning familial, qu'il vaut mieux ne pas acheter des préservatifs dans des distributeurs installés en plein soleil ou dans les stations de sport d'hiver, car la chaleur et le froid les rendent cassants.

Tous ces inconvénients ont conduit à promouvoir un autre mode de protection, qui est encore très peu répandu, à savoir le préservatif féminin. Il a l'avantage de pouvoir être mis en place plusieurs heures avant le rapport sexuel et il n'a pas, à la différence du préservatif masculin, à être retiré immédiatement après le rapport. Contrairement au préservatif masculin qui est en latex, le préservatif féminin est en polyuréthane. Il ne provoque aucune réaction allergique et laisse passer la chaleur. C'est aussi l'un des arguments évoqués contre le préservatif masculin.

Le préservatif féminin, mis en vente sur le marché français le 3 mai 1999, est aujourd'hui disponible dans plus de vingt pays, dont les Etats-Unis, la Suisse, l'Espagne et le Royaume-Uni. Dans un premier temps, son approvisionnement a été réservé aux centres de Planning familial, aux associations de lutte contre le sida, aux centres de PMI, aux services sociaux des municipalités, qui les distribuaient gratuitement. Actuellement, en France, une cinquantaine de pharmacies le vendent. Sa rareté et son prix, puisqu'il vaut presque 10 francs, expliquent sa faible utilisation. Au total, environ quatre cent mille préservatifs féminins ont été distribués ou vendus en France, à la suite d'un effort important du secrétariat d'Etat à la santé, devenu ministère délégué, avec le retour de M. Bernard Kouchner à sa tête.

Dans le cadre du programme de réduction des risques sexuels, le préservatif féminin était proposé aux participantes des groupes de parole. Certaines l'ont essayé et ont donné leur avis sur ce nouveau moyen de prévention des risques sexuels. Cinq cent quatre-vingt-dix-neuf femmes ont rempli le questionnaire de fin de stage. Quatre-vingt-seize, soit 16 %, déclarent l'avoir essayé, ce qui est peu, mais leur taux de satisfaction est de 71 %.

Un petit nombre de femmes exprime une réticence. Elles mettent en avant le caractère anti-érotique de cette espèce de fourreau de polyuréthane. D'autres le jugent difficile à mettre ou le trouvent impressionnant par sa taille. Pour un petit nombre de femmes musulmanes, il n'est pas envisageable de l'utiliser, car il faudrait qu'elles introduisent un doigt dans leur sexe, ce qu'elles ne peuvent pas faire. D'autres femmes lui trouvent un aspect ridicule. Une femme me disait qu'elle ne s'imaginait pas aller vers son partenaire et lui dire "attends, je mets ma toile de tente". Cela ne l'a pas empêché d'en prendre pour les donner à sa fille adolescente.

Toutefois, les réactions favorables l'ont emporté, les réactions défavorables restant minoritaires. Le plus grand avantage du préservatif féminin, pour les utilisatrices, tient au fait qu'il redonne leur autonomie aux femmes. On emploie les mots d'indépendance, de libre choix, de chance de disposer enfin d'un moyen à soi pour se protéger. Elles peuvent se protéger, lorsque leur partenaire ne veut pas ou ne peut pas mettre un préservatif masculin. Cela apparaît comme une garantie de ne pas avoir à négocier avec le partenaire, s'il ne veut pas se protéger.

Cette notion d'autonomie, centrale dans le processus qui conduit à l'estime de soi, est très largement apparue à l'occasion de la découverte du préservatif féminin. Même lorsqu'elles ne prévoient pas de l'utiliser dans l'immédiat, la plupart des femmes ont bien compris à quoi il pourrait servir dans une stratégie de protection de soi et de reconquête de l'initiative. Elles le trouvent plus fiable que le préservatif masculin. La protection semble supérieure. Elles pensent aussi qu'il peut être plus agréable pour l'homme, qui n'est plus enserré par du plastique. Une d'entre elles l'avait testé avec l'un de ses partenaires, qui l'avait beaucoup apprécié. Le fait de pouvoir le mettre à l'avance est un autre avantage.

Le préservatif féminin comporte des inconvénients et des avantages. Tout comme les autres moyens de protection, il peut convenir à certaines et demeurer inenvisageable pour d'autres. En tout cas, il permet de diversifier une palette, qui jusqu'à ce jour n'a pas fait la preuve d'une efficacité à 100 %. Or, chacun et chacune a besoin d'une méthode adaptée à son mode de vie, à sa santé, aux exigences de ses partenaires. Même si le préservatif féminin ne constitue pas la panacée, il reste un moyen de diversifier les modes de protection contre les risques sexuels.

Cela étant, je pense que la protection contre les risques sexuels a encore beaucoup de progrès à faire. En effet, même si beaucoup connaissent les moyens de protection, il y a une différence entre savoir et s'en servir.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'absence d'utilisation de ces moyens ne me semble pas être forcément un problème de formation, parce que chacun connaît globalement ou vaguement l'existence de ces moyens de contraception. Au-delà des raisonnements que vous avez évoqués, est-ce lié au degré d'autonomie, à l'estime de soi, à la capacité à se prendre en charge ?

Mme Janine Mossuz-Lavau : Je pense qu'il y a une certaine inconscience. Les femmes se disent qu'il y a la pilule du lendemain, l'IVG. Puis, elles s'aperçoivent qu'elles n'ont pas pensé suffisamment tôt à la pilule du lendemain, que l'IVG n'est pas un moment agréable. Elles pensent que cela n'arrive qu'aux autres.

Par ailleurs, il y aurait certainement une action à mener au niveau de l'enseignement donné aux jeunes dans les collèges et les lycées, car l'affirmation que l'ovulation a lieu au quatorzième jour a été évoquée de nombreuses fois par des étudiantes, que l'on pourrait pourtant supposer a priori mieux informées.

Dans le colloque que vous aviez organisé l'année dernière, le docteur Elisabeth Aubény s'était exprimée selon ces termes : "La méthodologie nous frappe encore. Aussi il paraît important que tous ceux qui interviennent auprès des adolescentes leur expliquent que l'ovulation peut avoir lieu à n'importe quel moment du cycle, qu'il faut protéger chaque rapport." Cela devrait être affiché dans les lycées.

Une remise à niveau des professeurs, qui sont censés enseigner cette matière pourrait aussi être envisagée. Il n'est pas possible d'enseigner à des élèves que la femme ovule le quatorzième jour et que, le reste du mois, elle ne risque rien. En tout cas, c'est ainsi que ces élèves l'interprètent. Les professeurs ont-ils suffisamment insisté sur le fait que l'ovulation peut avoir lieu avant ou après ? Les jeunes ont retenu que l'ovulation se fait le quatorzième jour, donc, qu'avant et après celle-ci, le rapport est sans risque. Or, la femme ovule à n'importe quel moment du cycle. Cette rectification devrait être transmise en priorité aux professeurs, ensuite il conviendrait de l'afficher dans les lycées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avez-vous pu mesurer l'acquis du travail collectif et de la parole de groupe ?

Mme Janine Mossuz-Lavau : Il est énorme. Les femmes qui pensaient être seules à avoir tel problème se sont aperçues que d'autres l'avaient également. Par exemple, dans les discussions des groupes de femmes musulmanes, le problème des relations contraintes a été évoqué. Elles disent qu'elles ont des maris qui sont demandeurs chaque soir. Pour leur part, certains jours, elles sont fatiguées, d'autres soirs, elles n'ont pas envie. Mais, dans leur culture, cela ne se fait pas de refuser son mari.

Certaines d'entre elles disent : "Si je suis vraiment fatiguée, il ne me force pas, il n'est pas méchant". D'autres disent qu'elles ne peuvent pas refuser. Certaines utilisent la ruse, qui ne marche pas toujours. L'une d'entre elles, dans le groupe, racontait : "Moi, j'ai un truc, je mets une couche, comme ça mon mari croit que j'ai mes règles et il me laisse tranquille." Une autre a répondu : "J'ai essayé, mais mon mari regarde dans la couche et s'il n'y a pas de sang, il me bat et il me viole". C'est un réel problème, qui est revenu à maintes reprises.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le magazine "Transida", des groupes de paroles de femmes étaient présentés. En conclusion, les femmes souhaitaient que tous leurs échanges soient rapportés aux hommes. Vous semblerait-il nécessaire que le type de travail que vous avez conduit avec des femmes puisse être parallèlement conduit avec des hommes, quitte à établir des ponts à un moment donné ?

Mme Janine Mossuz-Lavau : C'était l'une des recommandations que je préconisais à la fin de ce rapport, à savoir l'organisation de groupes de paroles auprès des jeunes encore scolarisés. Je recommandais également d'organiser des groupes de paroles avec des femmes de milieux plus favorisés, car il existe un réel problème avec les femmes des couches moyennes ou cadres supérieurs/professions libérales. Elles ne sont pas habituées à l'idée que des femmes hétérosexuelles puissent être contaminées par voie sexuelle et elles n'imaginent pas que cela pourrait leur arriver. Pour elles, cela arrive à des femmes toxicomanes, mais pour leur part, elles se sentent en dehors de cela.

Ma dernière recommandation était l'organisation de groupes de paroles avec des hommes issus de ces milieux défavorisés. On n'évolue pas, si on n'agit que sur les femmes. Il faut agir sur l'ensemble des populations concernées. Je ne sais pas si cette recommandation sera suivie, car les moyens financiers nécessaires sont relativement importants.

Une des raisons pour lesquelles ce programme a bien fonctionné, c'est que nous avons compris que, pour agir, il fallait agir dans la proximité des gens. Les campagnes télévisées ne sont pas suffisantes. Il faut aller toucher ces personnes là où elles sont et là où on ne va jamais, car elles ne feront pas la démarche d'aller à une conférence pour s'informer.

C'est pourquoi l'enquête que j'ai conduite présente le grand avantage sur d'autres enquêtes sur la sexualité, voire des enquêtes générales, de toucher le point aveugle des enquêtes, c'est-à-dire les personnes qu'on ne sollicite jamais. Les femmes que nous avons rencontrées par le biais des instances que je vous ai citées, ne sont jamais touchées par les enquêtes. Ce programme a été conduit dans la proximité, la durée et le concret, avec la manipulation des objets en question. Il a été très bien conçu.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne le préservatif féminin, vous disiez que quand il a été utilisé, même si l'utilisation était relativement minoritaire (environ cent femmes), les trois quarts d'entre elles étaient majoritairement satisfaites. Est-ce un élément que vous avez repris dans vos préconisations, à savoir que les circuits de distribution soient accessibles et que le coût en soit diminué ?

Mme Janine Mossuz-Lavau : C'est ce que nous essayons de préconiser actuellement, c'est-à-dire une négociation avec le fabricant pour baisser le coût à l'unité et un effort des pouvoirs publics pour qu'il soit distribué aux femmes qui n'ont pas les moyens de l'acheter, dans le plus d'endroits possibles. Le Planning familial fournit déjà des préservatifs féminins, mais ce n'est pas suffisant. Il faut aussi engager une négociation avec les pharmaciens pour qu'il y ait un peu plus de pharmacies que les cinquante qui le vendent actuellement en France.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous allez, au mois de mars, publier un livre à partir de cette enquête sur la sexualité des hommes et des femmes.

Mme Janine Mossuz-Lavau : Tout à fait. Je vous ai livré la primeur du chapitre "Comment ils se protègent contre les risques sexuels" du livre à paraître, intitulé "La vie sexuelle en France".

Audition de Mmes Marie-France Casalis, conseillère technique auprès de la déléguée aux droits des femmes d'Ile-de-France, Emmanuelle Piet, médecin de PMI,
et M. Jean-Claude Magnier, président de l'Association des centres
d'orthogénie de l'AP-HP

Réunion du 6 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Marie-France Casalis, conseillère technique auprès de la déléguée régionale aux droits des femmes d'Ile-de-France, qui a eu l'obligeance de nous communiquer les premiers résultats d'une enquête, menée, à l'initiative de la commission régionale de la naissance d'Ile-de-France, sur l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception.

Nous accueillons également Mme Emmanuelle Piet, médecin de PMI et M. Jean-Claude Magnier, président de l'Association des centres d'orthogénie de l'AP-HP. Nous avions déjà rencontré le docteur Jean-Claude Magnier, qui avait eu l'amabilité, il y a un an, de nous accueillir dans le centre d'IVG qu'il dirige à l'hôpital Bicêtre.

Nous souhaiterions savoir comment s'applique la loi relative à l'IVG et à la contraception dans la région Ile-de-France. Des problèmes particuliers ont-ils surgi du fait de l'allongement des délais et du fait des IVG de mineures désirant garder le secret vis-à-vis de leurs parents ? Des réticences se sont-elles manifestées chez des médecins ou des anesthésistes vis-à-vis de ces mineures ? La circulaire d'application du 28 septembre 2001 est-elle bien parvenue aux intéressés, médecins et personnels des centres d'IVG ? Vous parait-elle apporter une réponse satisfaisante aux problèmes posés ?

D'après l'enquête menée en Ile-de-France, la proportion des IVG pratiquées dans le secteur public ne dépasse pas 45,7 %. Les IVG pratiquées dans le secteur privé, soit 54,3 %, le sont-elles dans de bonnes conditions ? Quels sont les tarifs pratiqués ? La levée du contingentement, votée par amendement dans la loi, a-t-elle modifié les pratiques ? Où en est la pratique de l'IVG médicamenteuse dans le secteur public et privé ?

Les moyens supplémentaires, inscrits au budget de l'année 2000, pour renforcer les moyens du secteur public en personnel, ont-ils été suffisants ? D'autres questions se posent également en ce qui concerne la formation des praticiens, une meilleure prise en charge financière des actes médicaux pré-IVG, la revalorisation de l'acte d'IVG lui-même ainsi que l'IVG médicamenteuse, dans le cadre de réseaux entre médecins et établissements de santé.

Mme Marie-France Casalis : Je représente ici Mme Catherine Morbois, déléguée régionale aux droits des femmes. Mme Morbois n'a pas été nommée membre de la commission régionale de la naissance d'Ile-de-France lors de sa mise en place, mais seulement plus tard, lorsque notre service a dû revendiquer sa participation à cette commission, en se fondant sur la circulaire d'application de la loi relative à l'IVG.

Je commencerai par évoquer la commission régionale de la naissance d'Ile-de-France. Notre région n'a jamais été positive en matière d'application de la loi sur l'IVG et l'instauration d'un groupe de travail, chargé d'étudier la question, a été une grande innovation. La première difficulté rencontrée par ce groupe de travail tient au fait que ses membres devaient être issus de la commission régionale de la naissance, organisme en majeure partie composé de praticiens spécialisés dans la périnatalité, la procréation médicalement assistée, les bébés de petits poids, les transferts in utero, toutes questions capitales, mais qui n'ont guère de relations avec le travail d'un service d'IVG.

La circulaire d'application avait précisé que deux associations devaient participer à ce groupe de travail, l'une traitant des questions de contraception, l'autre des questions relatives à l'IVG. Pour les militants et les spécialistes de terrain, il ne pouvait s'agir que de l'ANCIC et du Mouvement français pour le planning familial. Or, cela n'a pas été le cas pour la commission régionale de la naissance d'Ile-de-France, qui ne comprend ni l'une ni l'autre de ces deux associations. Il s'est cependant constitué des groupes d'experts affiliés, qui sont écoutés et parmi lesquels nous avons peu à peu coopté des membres. Ainsi, grâce à la volonté d'un certain nombre de participants, nous avons pu compenser ce "handicap de naissance", mais je tenais à vous en faire part, car il me semble significatif de l'absence de vigilance quant à une bonne application de la loi.

Je vais maintenant vous présenter les principaux points du rapport de ce groupe de travail, qui n'est pas encore officiel.

Je peux dire, en notre nom à tous, praticiens ou responsables de cette région, déterminés à faire appliquer la loi relative à l'IVG, que nous sommes lassés des études et des bilans portant sur une région qui n'a jamais bien appliqué la loi sur l'IVG. Nous savons ce qui ne fonctionne pas bien et pourquoi. Nous voudrions maintenant que les moyens de dépasser ces difficultés historiques - qui se sont atténuées et ont pris d'autres formes - soient donnés aux services efficaces et déterminés à faire appliquer la loi.

En dehors de la mobilisation du ministère de l'emploi et de la solidarité, qui a été réaffirmée, notre moyen de progresser reste la loi et les règlements d'application. Ce sont nos meilleures armes. Il est donc important de rédiger des textes, même si parfois certains considèrent que l'Assemblée nationale légifère trop.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le cas présent, nous avons été aux limites du travail législatif, lors de la discussion du texte. Quant au suivi de l'application de la loi, il fait partie de notre travail parlementaire.

M. Jean-Claude Magnier : Nous avons toutefois deux regrets : le problème d'une meilleure rémunération de l'acte d'IVG, qui est d'ordre réglementaire, et le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale, qui est d'ordre législatif. Il faudrait peut-être modifier la loi pour que l'IVG ne se situe pas en dehors de la nomenclature et qu'elle ne soit donc pas traitée de manière particulière, sous forme de forfait. Par ailleurs, l'acte lui-même n'a pas été réévalué depuis 1991.

Ma deuxième observation concerne les structures accueillant les IVG. Le Gouvernement a refusé d'inscrire les unités fonctionnelles dans la loi. J'étais présent dans les tribunes lorsque Mme la ministre a indiqué qu'elle était contre, au motif qu'il ne fallait pas mettre à part les IVG.

Or, c'est tout à fait le contraire : il s'agissait de leur donner une structure véritable. Les unités fonctionnelles proposées avaient pour but d'intégrer ces structures qui, historiquement, se sont créées, parce que les services officiels de l'hôpital ne voulaient pas prendre en charge les IVG. Les médecins qui pratiquent des IVG dans les hôpitaux veulent une structure qui les intègre réellement et les protège.

En ce qui concerne l'application de la loi relative à l'IVG entre 12 et 14 semaines, ce sont principalement les centres autonomes qui, en région parisienne, ont pratiqué ces IVG pendant l'été. En effet, certains chefs de service d'hôpitaux parisiens importants ont choisi délibérément de ne pas faire d'IVG entre 12 et 14 semaines.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne les unités fonctionnelles, nous avons eu le débat à la fois en commission et en séance publique avec la ministre. Elle nous a indiqué que l'organisation en unités fonctionnelles était le sens même de la réforme hospitalière de 1992 et qu'il y aurait donc une certaine tautologie. Mais je comprends bien votre scepticisme.

M. Jean-Claude Magnier : Dans le Nord-Pas-de-Calais, l'Agence régionale d'hospitalisation a proposé de créer des unités fonctionnelles, lorsque sont pratiquées entre 400 et 800 IVG par an, et au-delà de créer un service. Nous n'avons jamais demandé la création de services, mais nous allons le faire, pour faire avancer les choses. En effet, seule cette solution permet la représentation des centres d'IVG dans les structures hospitalières, puisque celle-ci ne peut se faire que par le biais d'un service. Une unité fonctionnelle n'est représentée de droit que par le chef de service, au niveau de la commission médicale d'établissement. S'il y a des services d'IVG, il y aura au moins une personne qui pourra évoquer la pratique des IVG.

Mme Marie-France Casalis : C'est nécessaire, car, jusqu'à présent, dans notre région, les IVG ont été laissées à la charge de militants volontaires qui ne trouvent pas, dans les jeunes générations, de candidatures suffisantes pour répondre aux besoins de demain.

Je voudrais souligner, auprès de votre Délégation, les nouvelles difficultés en matière d'IVG, tout en gardant à l'esprit qu'en Ile-de-France, les difficultés étaient antérieures à la modification législative et qu'elles sont connues. Il est insupportable d'imaginer qu'aujourd'hui, en Ile-de-France, il faut trois semaines pour obtenir un premier rendez-vous d'IVG. Il en découle des problèmes de délai pour les femmes se présentant à neuf semaines de grossesse.

Certaines d'entre vous ont peut-être vu un reportage réalisé avec une caméra cachée et présenté au journal télévisé d'Antenne 2 le 1er novembre. Une journaliste s'est rendue à l'hôpital Bichat et à l'hôpital de la Salpétrière pour demander une IVG à neuf semaines de grossesse. On lui a répondu, dans l'un, que la loi ne le permettait pas et, dans l'autre, que c'était légal, mais que personne ne le ferait. La circulaire du 28 septembre est donc indispensable et elle était impatiemment attendue. Je ne saurais dire si elle est arrivée dans tous les lieux concernés, mais elle devrait certainement faire l'objet de concertations à l'intérieur de l'institution hospitalière.

Mme Emmanuelle Piet : Le département de Seine-Saint-Denis, où la pratique des IVG fonctionne bien, connaît néanmoins quelques difficultés. Six hôpitaux publics y pratiquent des IVG. Il y a dix ans, il y avait vingt-six cliniques privées, qui maintenant ne sont plus que dix-huit. De plus, la situation ne s'améliore pas en raison de la grève de l'été dernier, motivée par le fait que la tarification des IVG n'a pas été réévaluée depuis le décret de 1991. Nous nous étions battues pour que le forfait ne soit pas élevé, car nous considérions qu'il ne fallait pas médicaliser l'IVG, mais c'est une bataille que nous avons perdue. Très peu de praticiens font des IVG sans échographie. La consultation pré-anesthésique est de droit pour tous les actes qui nécessitent une anesthésie. L'IVG en est un. La recherche du facteur rhésus, de même que le sérum, qui permet l'immunisation des femmes ayant un rhésus négatif, n'est pas compris dans le forfait IVG.

Il est indispensable que la nomenclature soit révisée, en matière de forfait des examens biologiques avant l'IVG. Dans le même ordre d'idée, le décret sur le prix du stérilet indiquait qu'il ne devait pas coûter plus de 220 francs, alors que les laboratoires le vendent 290 francs. Les pharmaciens ne l'ont donc pas appliqué. Une réévaluation est vraiment une étape indispensable.

Par ailleurs, la pénurie massive de médecins est compensée, dans nos hôpitaux publics, par des médecins étrangers. Pour ma part, dans les hôpitaux du département, il y a eu successivement, affectés aux IVG, un Polonais intégriste, un Marocain intégriste et un Irakien intégriste ! Je vous laisse imaginer comment ces médecins peuvent pratiquer des IVG, qui leur sont imposées et vont à l'encontre de leurs convictions. Les femmes en ont vraiment souffert. Il y a un réel problème entre les convictions des médecins et la politique du service qui pratique les IVG. Comme le chef de service ne fait pas d'IVG lui-même, il oblige donc son médecin irakien à les faire, ce qui n'est pas une situation facile.

Le service d'IVG doit être considéré comme un vrai service. C'est pourquoi je soutiens l'idée des unités fonctionnelles. Dans une maternité de base, l'IVG est la cinquième roue du carrosse pour le chef de service. Aussi, l'été, lorsqu'il y a pénurie d'infirmières, le service des IVG en pâtit systématiquement. Cet été, un hôpital du département avait un médecin, une infirmière et une aide-soignante, mais aucune secrétaire pour prendre les rendez-vous. Le médecin devait téléphoner lui-même pour indiquer que son service était à même de recevoir des femmes ! L'hôpital avait refusé de remplacer la secrétaire du centre d'IVG.

Mme Marie-France Casalis : Cela rejoint le problème des difficultés budgétaires hospitalières, qui, pour certains relèvent de la réglementation, et, pour d'autres du budget interne. L'enveloppe budgétaire distribuée en 2000 n'a servi qu'à réduire les distorsions préexistantes. Elle n'a pas permis d'améliorer les choses.

Le système de vacation ne permet pas le remplacement pendant les congés, ce qui conduit, chaque année, à une crise estivale. Ce fut d'ailleurs l'une des motivations de Mme Martine Aubry pour promouvoir les plates-formes téléphoniques d'information. Cette crise estivale se rencontre désormais en Ile-de-France tout au long de l'année, en raison de la fermeture d'établissements du secteur privé.

J'ai été très impressionnée par l'enquête du journal "Libération" dans la région Rhône-Alpes, selon laquelle les femmes demanderaient plus tardivement une IVG - ce qui est parfaitement inexact - parce que de nombreux établissements ne pratiquant pas l'avortement médicamenteux les font attendre, en cas de demande précoce.

La question est tellement cruciale que la délégation aux droits des femmes d'Ile-de-France avait publié, en 1993, un premier guide de l'ensemble des centres de planification de la région, avec la collaboration de l'Observatoire régional de la santé. Ce guide comprenait les horaires, les spécificités de ces centres et diverses autres informations. Nous avons en projet un nouveau guide, qui recensera à la fois la liste des lieux où l'on peut obtenir une IVG et celle des centres de planification familiale. Nous avons obtenu auprès de la DRASS, mais seulement l'année dernière, la liste des centres pratiquant les IVG en Ile-de-France. C'était la première fois qu'ils étaient ainsi tous listés. Depuis, nous attendons une actualisation. La modification législative conduisant à la liberté d'information en ce domaine a été très importante. Cette simple constitution par l'Observatoire régional de santé du fichier des centres d'IVG avec les techniques utilisées - RU, anesthésie locale ou générale - est une vraie innovation. Mais, l'une des grandes faiblesses de l'enquête diligentée par la DRASS, dont vous aurez bientôt les résultats, est sa non-fiabilité. En effet, certains services indiquent pratiquer une technique, alors qu'ils ne la pratiquent pas ; leur réponse officielle est toujours très positive.

M. Jean-Claude Magnier : En ce qui concerne le secteur public, il ne faut pas oublier que les centres d'IVG, qui pratiquent réellement les interruptions de grossesse, sont des centres qui, historiquement, se sont créés en s'opposant à la structure hospitalière. On n'a jamais donné les moyens aux médecins qui pratiquent réellement les IVG de travailler correctement, et cela vaut pour l'ensemble du territoire.

Selon Mme Chantal Birman, sage-femme libérale, qui travaille également à la maternité des Lilas et qui fait partie de la commission régionale de la naissance, on ne calcule le fonctionnement des personnels que sur douze mois, alors qu'on devrait le calculer sur treize mois, puisque l'IVG, comme les accouchements, sont des activités qui ne connaissent pas de chute saisonnière. Ce sont simplement les moyens permettant de répondre à cette demande qui varient. Les unités fonctionnelles permettent d'assurer le fonctionnement des services, mais il faut aussi trouver les moyens de financer un personnel supplémentaire.

Par ailleurs, un autre élément n'est jamais pris en compte. Dans un service ayant d'autres activités que l'IVG, les femmes viennent aux rendez-vous fixés. En revanche, dans un service d'IVG, environ 25 % des femmes ne se présentent pas aux rendez-vous. En juillet, période difficile pour trouver du personnel, alors que nous pratiquons entre 70 et 80 IVG par mois, onze femmes ayant effectué toute la procédure jusqu'au moment de l'IVG, ne l'ont pas réalisée. Pour nous, cela signifie une perte de onze places, alors que nous n'en avons déjà pas beaucoup. Dans la prise en compte des moyens pour les IVG, c'est un aspect à considérer. C'est une activité très fluide et très compliquée à gérer. Par exemple, personne ne connaît le nombre de femmes qui ne trouvent pas de solutions en France. Le MFPF est le plus à même de le savoir, car il organise des voyages et beaucoup de médecins leur envoient les femmes qui ont dépassé les délais. Mais, depuis la nouvelle loi, je ne sais pas s'ils ont autant d'affluence.

Mme Marie-France Casalis : Comme l'avait rappelé Mme Danielle Gaudry, lors d'une audition à l'Assemblée il y a dix-huit mois, les IVG à 12-14 semaines d'aménorrhée représentent une partie importante des femmes qui sont hors délais, mais il y a aussi les grands délais dépassés. Certains sont inévitables, car ils sont provoqués par des circonstances de vie, des accidents, des problèmes profonds. Mais, il est vrai que plus nous développerons la diffusion de la contraception d'urgence auprès des mineures, voire une publicité et une information sur ces questions, plus nous verrons les délais se réduire.

On a pu constater, dans les pays où les lois permettent des délais plus longs qu'un bon accès à la contraception entraîne une réduction du nombre des IVG tardives. Mais il y en aura toujours. Dans ces situations, les praticiens honnêtes doivent écouter la détresse de la femme et y répondre.

Sur la question des IVG à 12-14 semaines, il semble que l'on observe en ce moment un blocage très fort de certains praticiens. Il faut réfléchir sur ce point. Certains services ne pratiquaient déjà pas les IVG à 10 semaines. Il était assez fréquent, dans certains hôpitaux parisiens, que la fin du délai précédent ne soit déjà pas prise en considération. A force de réduire le délai de prise en charge, nous sommes toujours en retard de trois semaines sur le délai légal.

A cet égard, je pense que la diffusion des recommandations de l'ANAES peut être un élément important. Le collège des obstétriciens devrait évoquer ce problème, lors de son congrès. Actuellement, il est nécessaire que les médecins échangent, publient, discutent, accueillent en formation. Je pense à certains médecins, qui se sont rendus en Hollande pour étudier la pratique des IVG avec anesthésie locale.

J'évoquais tout à l'heure l'étroitesse des méthodes pratiquées en Ile-de-France. Non seulement l'IVG médicamenteuse est peu pratiquée dans la région, mais le recours à l'anesthésie locale est peu répandu. Il y a quinze ans, nous avions déjà un retard avec la région Nord-Pas-de-Calais, en ce qui concerne l'utilisation de l'anesthésie locale. Il est étonnant que les praticiens d'Ile-de-France ne soient pas capables d'utiliser cette méthode.

M. Jean-Claude Magnier : Dans le Nord, certains centres ne pratiquent les IVG que sous anesthésie locale. A l'Assistance publique de Paris, le centre de Louis Mourier utilise presque exclusivement cette méthode. A l'hôpital Broussais, le service d'IVG a perdu son anesthésiste, du fait que l'hôpital s'est vidé de la plupart de ses activités. En revanche, le centre de Corentin Celton, avec mille IVG par an, ne pratique presque que des anesthésies générales.

En ce qui concerne les anesthésistes, en nombre insuffisant, ils n'ont pas soulevé de problèmes au sujet des mineures sans autorisation parentale. Cela m'a beaucoup surpris.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous ont-ils parlé des recommandations élaborées par la Société française d'anesthésie et de réanimation ?

M. Jean-Claude Magnier : Je n'en ai pas entendu parler. Le problème de l'anesthésie est important, car même si l'on veut développer l'avortement médicamenteux, il faut savoir que cette méthode impose une décision rapide, puisqu'il y a une semaine de délai de réflexion et que l'urgence ne vaut que pour les IVG de 13 à 14 semaines. En l'occurrence, il faudrait accueillir les femmes à six semaines maximum d'aménorrhée. Quand le décret instituant des réseaux entre l'hôpital et les médecins de ville se mettra en place, cette pratique pourra être plus accessible, sous réserve que les femmes ne souhaitent pas être hospitalisées, ce qui n'est pas certain en France.

Mme Marie-France Casalis : C'était ma position, il y a douze ans, aux débuts de l'utilisation de la mifégyne. Je ne croyais pas du tout à son développement, car l'IVG médicamenteuse me semblait difficile à vivre. Lors d'un colloque, en janvier 1991, où intervenait Mme Elisabeth Aubény, nous avions pourtant pu constater que beaucoup de femmes choisissaient cette technique, quand un service traitait de la douleur accompagnant l'évacuation du foetus ; il s'agissait de femmes jeunes, accompagnées, qui vivaient cette démarche d'une façon très positive.

La réticence tout à fait compréhensible que certaines peuvent éprouver, n'a pas eu l'impact que l'on aurait pu redouter au départ.

Mme Emmanuelle Piet : J'ai pour ma part, une expérience plus ancienne, lorsqu'au Planning, il y a seize ans, nous avions décidé de pratiquer des IVG avec aspiration précoce en centre de planification, sans aucune hospitalisation. En deux mois, nous avions reçu deux cents femmes, qui s'étaient alertées à moins de douze jours de grossesse. Quand nous avons arrêté cette pratique, elles nous ont fait savoir leur mécontentement pendant plus de six mois. Je suis persuadée que les femmes seraient tout à fait intéressées par des structures de proximité, sans hospitalisation.

M. Jean-Claude Magnier : Pour l'heure, nous n'en avons pas encore la possibilité. Cette pratique est tout à fait intéressante, mais je ne sais pas si cela résoudra le problème du nombre d'IVG. Nous le verrons dans dix ans, quand les médecins de ville seront formés.

Une étude faite en 1994, alors que Mme Simone Veil était ministre de la santé, montrait que la plupart des médecins pratiquant les IVG en France étaient des généralistes et des gynécologues médicaux, mais pas des obstétriciens.

Actuellement, on parle beaucoup de gynécologie médicale. Dans les projets de programmes du certificat universitaire d'obstétrique, ne figurent ni la contraception, ni l'orthogénie, disciplines qui ne sont enseignées qu'en gynécologie médicale. Il serait pourtant raisonnable que les obstétriciens s'en chargent, mais cela les intéresse si peu que, lorsqu'ils ont élaboré ce cursus, ils les ont oubliées !

Les médecins généralistes ne sont pas non plus bien formés à la gynécologie. Ils recevront peut-être une formation de trois mois, mais ce ne sera pas suffisant pour apprendre la pratique de l'IVG et de la contraception. A l'hôpital Bicêtre, nous en avons reçu quelques uns, mais peu se sont intéressés à la pratique des IVG. Je ne sais pas comment nous allons faire lorsque les praticiens actuels partiront à la retraite. Le développement des réseaux sera peut-être une solution, mais je n'y crois guère.

Mme Marie-France Casalis : Dans les propositions que nous avions formulées, il y avait la mise en place d'une formation médicale pluridisciplinaire sur ces questions. Il faut que ces praticiens se sentent non seulement accompagnés, mais aussi reconnus dans un acte qui a été, jusqu'à présent, méprisé par la société, le monde médical, les obstétriciens, et une partie des personnels.

Le reportage diffusé à Antenne 2 sur la façon dont les personnels répondent aux demandes d'IVG en est une illustration. Il concernait la région parisienne, mais on peut imaginer la situation dans un département isolé et très conservateur !

Une autre difficulté, à nos yeux, tient aux modalités financières, qui ne sont pas les mêmes selon les lieux où est pratiquée l'IVG. Dans les établissements publics, les femmes ont accès à l'aide médicale d'Etat, à la CMU et au tiers payant. Tout est complètement différent, lorsqu'elles sont obligées de s'adresser au secteur privé.

Vous avez posé la question de savoir si nous étions satisfaits de la pratique du secteur privé. Ce qui est satisfaisant, c'est la rapidité de la réponse et généralement un style commercial correct. Mais, dans cette région où le secteur privé assume une grande partie des IVG, nous sommes très gênés, car, s'il respecte les tarifs officiels, d'autres frais sont toujours ajoutés.

Mme Emmanuelle Piet : Les tarifs officiels ne sont pas respectés par le secteur privé, car il y a des dessous de table. En Seine-Saint-Denis, certaines IVG reviennent à plus de 3 500 francs.

M. Jean-Claude Magnier : Il m'arrive de pratiquer des IVG dans une clinique privée, où les tarifs sont respectés. En revanche, cette clinique n'accepte pas le tiers-payant, parce que les remboursements par les caisses d'assurance maladie sont beaucoup plus compliqués pour les IVG que pour les autres actes. Aussi, pour une somme aussi peu élevée, les établissements qui respectent les tarifs ne souhaitent-ils pas s'astreindre à remplir les papiers qui leur permettraient d'obtenir un remboursement, trois mois après.

Mme Marie-France Casalis : Il faudrait redonner à l'IVG une place ordinaire parmi les autres actes.

M. Jean-Claude Magnier : L'IVG est un forfait, car lorsqu'on a évoqué son remboursement, les anesthésistes venaient d'obtenir d'être rémunérés au minimum au Kc 25, quels que soient leurs actes. A cette époque, les anesthésistes étaient rémunérés la moitié de l'acte. L'IVG étant classée Kc 30, les anesthésistes auraient dû être rémunérés au Kc 15, ce qui aurait fait Kc 45 et les femmes recourant à l'IVG sous anesthésie générale n'auraient pas été remboursées à 100 %. Comme les anesthésistes ont obtenu un minimum de Kc 25, l'IVG sous anesthésie était cotée Kc 55, donc remboursable à 100 %, ce que ne voulait pas le Gouvernement de l'époque. D'où une cotation au forfait, ce qui a entraîné de nombreux dysfonctionnements.

Mme Marie-France Casalis : J'attends beaucoup du développement de l'avortement médicamenteux. Je considère que vous avez gagné une partie très difficile, qui conduira à un accès plus normal à l'IVG.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le décret sur l'IVG médicamenteuse est le plus difficile à mettre en oeuvre. La mise en place du réseau lui-même ne pose pas nécessairement problème ; en revanche, faciliter l'accès à la mifégyne, substance vénéneuse qui devra être déclassée, suppose d'autres modifications réglementaires. Par ailleurs, il faudra déterminer si c'est la femme qui ira chercher la mifégyne et où. Il n'est pas possible que ce soit chez le pharmacien, car elle pourrait omettre de retourner voir le médecin et le prendre seule. Une autre solution serait que le médecin dispose d'un stock de mifégyne.

Mme Marie-France Casalis : En ce qui concerne l'enveloppe budgétaire supplémentaire de l'année 2000...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elle est reconduite en 2001.

Mme Emmanuelle Piet : J'avais été frappée d'entendre Mme France Quatremarre, chef de service, chargée de mission à la Direction des Hôpitaux du ministère de l'emploi et de la solidarité, dire qu'elle avait des fonds pour les IVG, mais qu'elle ne pouvait pas les dépenser, parce qu'aucune demande n'était remontée des hôpitaux. Lorsque des crédits ont été débloqués par l'Agence, j'ai pourtant téléphoné dans tout mon département, mais les demandes n'ont jamais franchi la direction de l'hôpital. Il faut savoir qu'en matière d'IVG, les gros hôpitaux préfèrent ne pas demander de crédits. Je pense au service d'IVG de l'hôpital de Montreuil, qui pratique plus de mille IVG par an, en ne disposant que d'une secrétaire et d'une conseillère conjugale. Le chef de service est pourtant d'accord pour demander des fonds, mais l'hôpital n'en fait pas la demande, car il considère que cette activité est honteuse.

Mme Marie-France Casalis : Ce sujet a été traité par la commission régionale de la naissance, lorsqu'il a été annoncé qu'il y avait eu très peu de demandes, alors que l'on manque de tout. Il y a une espèce de double langage, de double gestion assez surprenante : on est souvent ballotté d'un service à l'autre, d'une administration à l'autre, avec une faible transparence.

La fameuse traçabilité des crédits affectés n'existe pas. Il n'y a pas qu'en matière d'IVG que nous rencontrons ce problème. Il en est ainsi également pour les urgences médico-judiciaires, dont chaque acte est pris en charge par les frais de justice. Par exemple, pour l'Hôtel-Dieu de Paris - grosse unité médico-judiciaire, reçevant un grand nombre de personnes - la somme correspondant aux actes est "pompée" par la direction centrale de l'hôpital. Aucune structure médico-judiciaire en Ile-de-France ne reçoit l'argent déboursé. Les fonds reviennent à l'hôpital qui décide et prend sa quote-part ; pendant ce temps, nous n'avons pas de praticiens, mais deux vacataires et une psychologue bénévole à l'Hôtel-Dieu. Nous avons souvent imaginé que cela ne concernait que l'Assistance publique, mais, apparemment, la situation est identique dans les autres hôpitaux.

J'aurais souhaité évoquer un autre élément devant vous. Dans le premier bilan des actions de la commission régionale de la naissance, deux cents centres sont recensés en Ile-de-France comme pratiquant des IVG. Ne croyez pas que cela signifie que ces deux cents centres pratiquent quatre cents, six cents, huit cents, voire mille IVG. Certains sont recensés pour pratiquer des IVG, alors qu'ils n'en font que deux, trois, ou huit. Il est quand même extraordinaire de voir ces deux cents centres recensés, alors qu'ils ne font que deux IVG par semaine, qui sont d'ailleurs le plus souvent des interruptions médicales de grossesse (IMG) !

M. Jean-Claude Magnier : Dans l'étude faite par la DRASS en Ile-de-France, il y avait effectivement un mélange des deux activités : IVG et IMG.

Mme Marie-France Casalis : En ce qui concerne les interruptions médicales de grossesse, serait-il possible de les autoriser en cas de viol ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous n'avons pas voulu faire une liste des indications permettant une IMG ; nous n'avons fait que modifier l'accès à celle-ci.

Mme Marie-France Casalis : Cela me choque de penser qu'en l'an 2001, on est encore obligé d'envoyer des femmes à l'étranger, comme cette petite Zaïroise qui, violée, a dû se rendre en Hollande.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons mis en place des commissions médicales pour les IMG, dans lesquelles le médecin de la femme pourra siéger et où la femme ou le couple pourront être entendu.

Mme Marie-France Casalis : J'aborderai enfin la question des plates-formes téléphoniques. En Ile-de-France, elle a fonctionné dans un premier temps avec des horaires réduits. Aujourd'hui, elle est accessible de 12 à 19 heures. Cette structure n'est pas aussi nécessaire dans certains départements que dans d'autres. Elle l'est moins là où des centres de planification sont bien implantés, comme en Seine-Saint-Denis. En revanche, dans des départements très étendus comme la Seine-et-Marne, les Yvelines ou l'Essonne, c'est un instrument intéressant, qui permet de faire sortir du silence un certain nombre de problèmes.

Mme Emmanuelle Piet : En ce qui concerne la contraception d'urgence en milieu scolaire, il y a deux problèmes. L'établissement scolaire doit acheter lui-même le Norlevo, selon ses besoins. Dans mon département, nous avons choisi de le fournir avec des crédits spéciaux, à la fois aux lycées et aux collèges. Nous avons acheté de quoi donner aux infirmières un fonds de roulement de trois boites, à charge pour elles d'en demander d'autres et de remplir un questionnaire scolaire.

Le contexte scolaire s'est révélé difficile. Dans un certain nombre de cas, sortir de l'établissement est un calvaire pour la jeune fille, car tout le monde sait qu'elle est sortie avec l'infirmière. Des aménagements ont été faits par téléphone avec les centres de Planning. Mais en raison du flou juridique entourant les infirmières scolaires, la question n'a pas été facile à traiter. Néanmoins, sur l'ensemble du département, elles ont donné, l'année dernière, 60 boîtes de Norlevo. Mais, un plus grand nombre de jeunes filles l'avaient demandé. Un problème demeure, c'est que les infirmières ne disposent pas de fonds pour cet achat. J'ai proposé que l'achat soit fait au niveau départemental ou régional, mais ce n'est pas possible.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La distribution du Norlevo dans les pharmacies à titre gratuit pourrait-elle constituer une réponse ?

Mme Emmanuelle Piet : Il serait préférable que la jeune fille rencontre l'infirmière qui peut lui donner des explications.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Qu'en est-il de la situation en zone rurale ?

Mme Marie-France Casalis : Dans les zones rurales, la difficulté provient du fait qu'il n'y a presque plus de pharmacies et de centres de planification. Par ailleurs, quand il y a encore une pharmacie, les jeunes filles préfèrent se rendre à la ville voisine pour des raisons de confidentialité. L'idée de l'infirmerie scolaire serait une solution pour ces zones rurales.

Mme Emmanuelle Piet : Il faudrait que soient fournies aux établissements scolaires les boites, et non pas l'argent.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ou alors que les pharmaciens approvisionnent l'infirmerie.

Mme Emmanuelle Piet : Il n'est pas possible de laisser cet approvisionnement à la discrétion des chefs d'établissement.

M. Jean-Claude Magnier : Je voudrais évoquer un problème qui concerne les mineures, à savoir l'imprécision des textes sur la façon de recueillir le consentement. En effet, le praticien peut recueillir ce consentement comme il le souhaite et les parents n'ont pas à venir signer devant lui. Cela m'amène à deux questions. Doit-on relever l'identité de la personne qui accompagne la mineure et lui faire signer un document qui dit qu'elle a bien compris le rôle que lui confie la loi  ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est hors de question, ce n'est pas le sens que nous avons voulu donner à la loi.  Nous n'avons pas voulu préciser si la personne accompagnante assiste à l'entretien social, est présente lors de la consultation chez le médecin, pendant l'acte, ou à la sortie. Il y a cependant une demande des médecins, notamment des anesthésistes, qui seraient rassurés, lorsqu'il n'y a pas de consentement parental, que l'on mette par écrit le nom de la personne majeure qui accompagne la mineure, pour les cas de complications éventuelles.

M. Jean-Claude Magnier : Sur le terrain, nous considérons qu'il faut relever l'identité de la personne et la rencontrer.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais non pas lui faire signer une attestation ! Que cette personne majeure donne son nom, qu'elle se présente, ce sont des éléments intéressants pour une analyse sociologique, mais aller au-delà et recueillir sa signature me paraît dangereux.

M. Jean-Claude Magnier : Ma deuxième question concerne la gratuité de l'acte chez les mineures. Ont-elles la gratuité de fait, même avant la parution des décrets ? Certaines mineures prétendent ne pas avoir le consentement parental pour obtenir la gratuité.

Mme Emmanuelle Piet : Les mineures ont droit à la gratuité de l'acte, même sans le consentement parental.

M. Jean-Claude Magnier : Pour notre part, nous nous efforçons d'avoir ce consentement afin que s'établisse un dialogue entre la mineure et ses parents.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons bien pris note de toutes vos observations.

Audition de Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM

Réunion du 13 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM, qui, lors du colloque tenu en mai 2000 sur "Contraception-IVG : mieux respecter les droits des femmes", nous avait informé des recherches alors conduites par l'INSERM sur la prévention et la sexualité chez les jeunes filles, confrontées à l'IVG, et les réactions de ces mineures par rapport au problème de l'autorisation parentale.

Pouvez-vous, à la lumière des dernières enquêtes de l'INSERM, menées conjointement avec le CNRS, nous exposer la situation actuelle des femmes face à l'IVG ?

La mise en _uvre de la contraception, à la suite des efforts d'information entrepris ces dernières années -campagne dans les médias, campagne auprès des jeunes dans les établissements scolaires- et de la diffusion de méthodes contraceptives de plus en plus performantes, a-t-elle atteint ses buts ? Qu'en est-il de l'accès concret des femmes à l'IVG, c'est-à-dire aux nouvelles méthodes, aux médecins et aux établissements ?

Quelle est l'incidence, à votre avis, de la nouvelle loi sur ces différents facteurs ?

Mme Nathalie Bajos : Effectivement, l'INSERM a lancé un grand programme de recherches de santé publique sur l'accès à la contraception et à l'avortement en France, dont j'assure la responsabilité avec de nombreux collègues. Nous nous sommes dotés de moyens scientifiques et financiers afin d'obtenir des données fiables sur les questions de l'accès à la contraception et à l'avortement du point de vue des femmes.

Je vous ai déjà présenté les recherches sur l'accès à la contraception et à l'avortement des mineures en France, recherches qui se poursuivent.

Très schématiquement, nous menons une grande enquête sur les pratiques contraceptives et le recours à l'IVG, qui s'étendra sur dix ans. Elle est réalisée auprès de 7 000 femmes, qui constituent un échantillon représentatif de la population française.

Une seconde enquête qualitative complète celle-ci et consiste en des entretiens avec des femmes ayant subi des échecs de contraception : quatre-vingt femmes reparties sur tout le territoire, confrontées à un échec de contraception, les deux tiers ayant subi une IVG, l'autre partie ayant décidé de poursuivre la grossesse.

Ces deux grandes sources de données aideront à établir des comparaisons entre la France et différents pays industrialisés.

Ces enquêtes ont trois objectifs principaux.

Le premier, c'est de déterminer pourquoi il y a tant d'échecs de contraception en France, pays, qui détient pourtant le record de la contraception médicalisée. Ce que l'on appelle le "paradoxe contraceptif français" n'est toujours pas résolu, mais nous disposons maintenant d'éléments permettant d'éclairer la question.

Le deuxième, c'est de combler l'absence de réflexions scientifiques et de données fiables sur les raisons pour lesquelles, en cas d'échec, la moitié des femmes ont recours à l'avortement. Sur le sujet, nous avons beaucoup de résultats disponibles.

Le troisième volet, - également très documenté, car nous avons poussé loin les analyses dans ce domaine -, c'est de mieux connaître l'accès à l'IVG : comment cela se passe-t-il en France pour les femmes qui souhaitent recourir à l'IVG ? Quels interlocuteurs contactent-elles ? Dans quel ordre ? Leur propose-t-on le choix de la méthode ? Quel est le vécu ? Autant de données qui font tomber nombre d'idées reçues dans ce domaine.

Je propose de centrer mon propos sur le "pourquoi", avec l'idée, non pas de remettre en cause le droit de recours à l'IVG, mais d'éviter à nombre de femmes un événement, qui, sans être un drame, pour autant, n'est ni anodin, ni banal dans leur vie, pour des raisons psychologiques, mais aussi pour des raisons de santé.

Pour situer l'ampleur du problème, entre 200 000 et 220 000 IVG sont pratiquées par an, avec une recrudescence des IVG chez les plus jeunes, phénomène qui demande à être confirmé car, malheureusement, les dernières données disponibles datent de 1998.

Les campagnes contre le sida peuvent avoir relégué au second plan les enjeux liés à la contraception. Les jeunes qui ont débuté leur vie sexuelle à l'heure du sida ont été fortement mobilisés par les risques concernant le VIH, mais pas du tout par la contraception. Rien n'a été fait à l'exception de la campagne de janvier 2000.

Donc, 220 000 IVG et 760 000 naissances, dont 30 % proviennent de grossesses non prévues. Notre objectif est vraiment de nous centrer sur l'IVG. 3 % seulement des femmes déclarent ne pas avoir de contraception, alors qu'elles ne souhaitent pas être enceintes. Or, ces 3 % de femmes ne sont pas suffisants pour expliquer ces 220 000 IVG. Les autres femmes déclarent une utilisation régulière et efficace de contraception.

Que se passe-t-il ?

Selon des chiffres non encore validés scientifiquement, 20 % des femmes, dont la dernière grossesse s'est terminée par une IVG, prenaient la pilule. Ce ne sont donc pas des femmes "inconscientes", qui n'avaient pas de contraception. Les données montrent qu'au moment de l'IVG, 35 % des femmes n'avaient pas de contraception, mais que 20 % d'entre elles utilisaient la pilule et 8 % le stérilet. Cela souligne le problème d'adéquation des méthodes contraceptives aux conditions de vie sociales, affectives et sexuelles des femmes. C'est un facteur clé.

Pourquoi les femmes se trouvent-elles confrontées à un échec de contraception ?

Nous avons pu distinguer trois groupes de femmes confrontées à cet échec. En tant que chercheurs en santé publique, ce qui nous intéresse le plus, ce sont les échecs dont nous pensons que des mesures de santé publique pourraient les influencer.

Le premier de ces trois groupes est celui des femmes qui ont un rapport très favorable à la contraception.

Le deuxième groupe est celui des femmes dont la contraception est au service de l'ambivalence par rapport à la survenue d'une grossesse. Ce sont des couples incertains. La grossesse va forcer le couple à poser le problème.

Le troisième groupe de femmes soulève d'autres questions de santé publique : ce sont les femmes soumises à ce que j'appelle l'impossible démarche contraceptive. Cela m'amène à rappeler un point, peut-être évident, mais que l'on a tendance à oublier : pour les couples, inscrire dans une démarche contraceptive sa vie reproductive implique d'être doté socialement des capacités à maîtriser sa vie. Certaines femmes sont dans des situations tellement "galères" que, pour elles, la question de la contraception ne se pose même pas. D'autres enjeux apparaissent : survie sociale, survie au sein du couple, avoir de quoi nourrir ses enfants. Pour ces femmes, des mesures d'insertion sociale sont le préalable indispensable à l'idée même d'avoir une maîtrise de leur vie reproductive.

C'est le premier groupe de femmes qui nous intéresse, celles qui ne veulent pas être enceintes et qui le deviennent malgré une véritable démarche contraceptive.

Le premier type d'accident, c'est l'échec incontournable de la grossesse sous stérilet ou sous pilule, alors que la femme ne se souvient pas de l'avoir oublié. C'est le hiatus entre l'efficacité théorique d'une méthode et son efficacité pratique. Sur ce point, il n'y a rien à ajouter.

Le deuxième facteur clé de l'échec de contraception, c'est ce que j'appelle la méthode inadéquate. Un certain nombre de grossesses est dû au fait que la méthode contraceptive utilisée par la femme n'est pas en adéquation avec les caractéristiques de sa vie affective, sociale ou sexuelle.

Je citerai deux exemples qui illustrent mon propos : 20 % des dernières grossesses qui se sont terminées par une IVG concernaient des femmes dites "sous pilule". Cela ne signifie pas pour autant bien évidemment que le taux d'échec de la pilule en elle-même soit de 20 %. Mais tout simplement que ces femmes étaient sous pilule et qu'elles ont eu des problèmes.

Nous avons rencontré une femme de trente-sept ans, agent hospitalière, mère de trois enfants, ayant une relation avec un homme marié. Son gynécologue lui conseille la pilule. Cette femme a une relation stable, mais clandestine, répète à plusieurs reprises qu'elle aimerait que cette relation soit plus officielle. Elle est parfaitement au courant des méthodes de contraception ; il n'y a aucun problème d'information. Elle souligne cependant que, prendre la pilule tous les soirs, alors que l'on a personne dans son lit, est difficile et que l'on y pense rarement.

Les moyens de contraception sont en France attachés à certaines périodes de la vie : on débute avec le préservatif, on continue avec la pilule et on finit avec le stérilet. Pour cette femme, cette pilule signifie socialement une activité sexuelle régulière : elle l'oublie donc tout le temps.

Autre exemple. Une jeune femme, secrétaire, ayant deux enfants, dont un très jeune, prend une pilule particulière pour suites d'accouchement. Elle dit qu'elle a peut-être oublié de la prendre, qu'elle n'a pas fait attention. "Il est vrai", dit-elle, "que juste après avoir accouché, reprendre la pilule, alors qu'on ne l'a pas prise pendant toute la grossesse, n'a pas été facile : moi, je sais que c'est par habitude que je la prends." Cette femme, qui a un très jeune bébé qui pleure sans arrêt, qui gère tout dans son foyer - son partenaire ne fait pas grand chose - est décalée dans ses horaires et oublie sa pilule.

Ces deux exemples servent à illustrer ce que l'on entend par problèmes d'adéquation de la méthode utilisée : à côté des questions de méthodes, les conditions de vie matérielles ou affectives, comme dans le cas de la première, peuvent agir. La différence entre l'efficacité théorique d'une méthode et son efficacité pratique soulève un problème extrêmement important d'un point de vue de santé publique, celui de la formation des prescripteurs, qui, raisonnant souvent dans une logique d'efficacité médicale, se heurtent parfois à une logique sociale de prise en compte des conditions de vie et prescrivent des méthodes qui ne sont pas adaptées aux besoins de la femme. Ces phénomènes d'affrontement de logiques sont fréquents en santé publique.

Un autre facteur qui concerne surtout les jeunes, tient au fait que certaines jeunes femmes ont une sexualité qui n'est pas socialement acceptée. C'est le cas notamment des très jeunes femmes et de certaines femmes d'origine maghrébine, qui ont un déficit d'information et de reconnaissance sociale de leur sexualité.

Il est évident que les jeunes filles souffrent d'un véritable déficit d'information. Elles pensent, par exemple, n'être fertiles que le quatorzième jour du cycle et, au mieux, un jour avant et un jour après. Pour autant, ce déficit d'information n'est pas le seul en cause pour expliquer les difficultés d'accès à la contraception des jeunes filles et, d'une manière plus générale, des femmes dont la sexualité n'est pas reconnue dans le milieu où elles vivent.

L'histoire suivante, celle d'une jeune fille de dix-sept ans, l'illustre parfaitement. Cette jeune fille a une relation avec un partenaire, le premier, pour qui elle est également la première. Sa mère considère qu'elle est trop jeune et ne lui a jamais rien dit sur la contraception. Elle tient donc sa sexualité secrète vis-à-vis de ses parents. Comme ces jeunes ont été très sensibilisés par le sida, elle dit : "Mais on ne devait pas mettre de préservatif, puisque c'était mon premier partenaire et que j'étais sa première. On faisait attention le quatorzième jour". Elle se sentait d'autant plus protégée que ses deux meilleures copines faisaient la même chose. Le risque de sida écarté, elles relèguent au second plan le risque de grossesse non prévue.

Mais, l'obstacle familial qui apparaît dans cette enquête conforte nos résultats, à savoir que c'est la non-acceptation sociale de la sexualité qui conduit les femmes à se retrouver dans des situations de vulnérabilité, par déni du risque de grossesse.

Une jeune fille, Samia, musulmane non pratiquante, nous dit que la pilule perturbe le corps, qu'il faut un suivi et que cela suppose des rendez-vous chez un gynécologue et qu'il y a toujours le risque que la pilule soit découverte par les parents. Sa mère ne lui a jamais parlé de contraception, parce qu'elle considère que sa fille doit arriver vierge au mariage.

Ces attitudes constituent un véritable frein pour accéder à l'information et à la pratique de la contraception. La peur que cette sexualité soit révélée, par la contraception, au milieu familial, contribue à créer un sentiment d'infertilité sociale : "Je suis trop jeune, cela ne peut pas m'arriver".

Ces conclusions et les comparaisons internationales montrent que la France et la Suède sont largement moins concernées par rapport aux autres pays. L'un des facteurs de grossesse non prévue chez les mineures tient à ce déni du risque de grossesse. Aux Etats-Unis par exemple, où les grossesses adolescentes sont très fréquentes, les politiques préventives pour éviter les risques de sida et de la grossesse  vont dans le sens : "Attendez d'avoir quelques années de plus" et non dans celui d'une prévention. Il y a donc nécessité, non de fournir à ces jeunes une information sur les risques au-delà du quatorzième jour, mais de faire en sorte que l'accès à cette information leur paraisse légitime.

Autre point important : la contraception au c_ur des rapports homme-femme. En effet, la contraception, même si elle repose sur des méthodes féminines de contraception, n'est pas exclusivement une affaire de femmes. Nous constatons que le choix contraceptif est fortement influencé par le partenaire et se fait souvent au détriment du bien-être de la femme.

Une jeune étudiante, qui ne supportait pas la pilule en raison de ses effets secondaires, demande à son gynécologue d'en changer. Elle essaie trois marques de pilule différentes en quelques mois, sans résultat. Elle demande à son partenaire d'utiliser des préservatifs, parce qu'elle en a assez. Celui-ci lui répond que cela perturbe son plaisir sexuel. Au total, en un an, elle a donc essayé cinq marques de pilules. Sa gynécologue lui parlant de la nécessité d'une pause et son partenaire ne souhaitant pas utiliser le préservatif, elle a fini par accepter d'avoir un rapport sexuel sans protection.

Une autre jeune femme vient d'accoucher et son médecin lui conseille d'utiliser le préservatif. Mais, son mari ne le veut pas. Tout cela pour souligner qu'aussi bien les hommes que les femmes reconnaissent encore aujourd'hui une priorité au plaisir sexuel masculin.

Un dernier groupe d'échec de contraception touche les femmes autour de la quarantaine. La femme se sent beaucoup moins susceptible de risquer une grossesse et on constate un relâchement de l'attitude contraceptive, parfois en accord avec le gynécologue, dans cette période de pré-ménopause alors que, même dans cette période, une femme est susceptible de devenir enceinte.

Il n'existe pas de femmes à risque, mais bien des situations à risques dans la vie des femmes en trente-cinq ans de vie sexuelle reproductive, de dix-sept ans à quarante-cinq ans. Les failles dans cette trajectoire contraceptive sont assez probables.

Il y aura toujours des IVG. Mais certaines actions peuvent sans doute être entreprises pour réduire leur fréquence. L'élargissement de la palette contraceptive, notamment l'utilisation du préservatif féminin, le Fémidon, qui, dans certaines situations, est un moyen de lutter contre le sida et les grossesses non prévues, la prise en compte par les médecins des enjeux sociaux et démographiques dans les contenus de leur formation, le fait de favoriser l'accès à la contraception et de reconnaître la sexualité des jeunes, ne peuvent qu'être bénéfiques pour amener les femmes à affronter l'ensemble des risques du sida, des MST, des grossesses non prévues ou de l'IVG.

Mme Yvette Roudy : Comment se fait-il que les choses aient si peu changé depuis un trentaine d'années ? Je veux bien qu'il y ait un paradoxe contraceptif français et que l'on interroge les femmes sur ce point. Mais, pourquoi nous sommes-nous heurtées à tant de difficultés, quand nous avons voulu demander une campagne d'information sur la contraception ? Dans d'autres pays, il y en a régulièrement. Nous, il a fallu que nous sortions dans la rue, que nous fassions du militantisme, pour obtenir une simple campagne. Pour moi, tout le problème est là : il y a des freins que les femmes subissent, car elles sont dans un bain culturel.

Pourquoi, depuis le temps que nous savons que les contraceptifs existent, qu'il y a eu la bataille de la loi sur l'IVG et que l'on s'est aperçu que le taux d'IVG n'avait pas augmenté après son adoption, n'avons-nous pas encore intégré que les femmes n'emploient pas l'IVG comme moyen contraceptif ? Pourquoi les études médicales n'intègrent-elles pas les moyens de répondre aux femmes sur ces points ? Pourquoi la recherche, dominée par les laboratoires pharmaceutiques, est-elle orientée vers une contraception principalement féminine ?

Nous avancerions s'il y avait moins de blocages culturels en France, moins de résistances et de freins, si l'on était davantage guidé par un souci de la santé, de l'équilibre et du bien-être des êtres humains - c'est ce que l'on dit dans les textes européens. On n'a fait qu'une seule campagne sur la contraception, confidentielle ! Pourquoi de telles campagnes ne sont-elles pas banalisées ? Pourquoi les enseignants ne peuvent-ils répondre ?

C'est cela le paradoxe français.

Je lis actuellement un livre de Suzanne Képès, médecin, qui a reçu beaucoup d'hommes et de femmes pour des problèmes de sexualité. C'est un sujet dont on ne parle pas en France, à la différence des pays anglo-saxons. Il y a chez nous des blocages culturels qui font que, depuis trente ans, nous n'avons pas encore intégré l'information sur la contraception. Nous devons le faire.

Pourquoi les garçons sont-ils toujours indifférents ou égoïstes ? Pourquoi assistons-nous, en ce moment, à une montée des violences sexuelles dans les écoles ? Nous sommes en train de vivre une période de régression. Pourquoi la sexualité n'est-elle pas expliquée aux jeunes ? On assiste toujours à la même brutalité, au même égoïsme.

Il faut obtenir qu'il puisse y avoir une information et que la recherche progresse. Pour ce qui me concerne, je pense que le paradoxe français, c'est surtout que l'on refuse d'avancer sur ces sujets. Il n'y a pas plus d'IVG qu'autrefois, sauf chez les très jeunes. Comme ce ne sont pas les mères, ni leurs enseignants qui peuvent leur expliquer, avec qui vont-elles en parler ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit, notamment sur les blocages culturels qui sont les nôtres, mais pas sur l'efficacité des campagnes de contraception. Je suis la première à souhaiter l'organisation de campagnes, mais je ne suis pas sûre que les campagnes de communication ou d'information à la télévision soient les plus efficaces.

La semaine dernière, Mme Janine Mossuz-Lavau nous a exposé le remarquable travail de proximité qu'elle a réalisé auprès de groupes de femmes. Il s'agissait de femmes adultes qui, soit sortaient de prison ou de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), soit étaient plongées dans de grandes difficultés sociales - donc, très éloignées de préoccupations contraceptives. Ces groupes de parole d'une quinzaine d'heures ont été conduits par le Planning dans différentes régions de France pendant deux ans, engageant une réflexion sur leur devenir, le rapport à la violence, à la contraception, au sida, etc.

Comment est proposée l'éducation à la sexualité en milieu scolaire dans des pays où le taux d'IVG est très bas, comme en Hollande ? Comment se fait le travail d'information : par campagnes de proximité ou généralistes ?

M. Pierre Aubry : Je partage totalement ce qui vient d'être dit. J'y mettrai un petit bémol cependant : pourquoi pensez-vous qu'il ne faille pas demander aux mères d'en parler ? Si l'on ne peut pas s'adresser à sa mère, à qui demander ? Si sa mère ne peut répondre, comment la jeune fille pourra-t-elle transmettre elle-même à ses enfant, à sa fille ? Il faut un lieu où elle puisse apprendre.

Mme Nathalie Bajos : J'avais coordonné la grande enquête sur la sexualité. Nous avions à cette occasion collecté quantité de données sur la question de savoir avec qui on parlait de sexualité et sur les problèmes liés à la vie affective.

Beaucoup de jeunes ne souhaitent pas parler de questions intimes avec leurs parents. Il faut donc créer des lieux où ces jeunes puissent recevoir une information, mais la démarche doit relever également de l'écoute. Les jeunes doivent pouvoir parler des rapports entre les filles et les garçons, du droit de dire non, etc. Des lieux d'écoute sont nécessaires pour répondre à la demande de certains jeunes. Il est vrai toutefois que d'autres en parlent avec leurs parents.

Ce n'est pas parce qu'il y a une stabilité du taux d'IVG que rien n'a changé. Les grossesses imprévues ont diminué de manière drastique en France avec l'arrivée des méthodes médicales, mais cette stabilité peut aussi cacher des phénomènes contraires.

Aujourd'hui, je crois qu'en cas d'échec de contraception, le recours à l'IVG n'est pas le même qu'il y a vingt ans. L'échec est d'autant moins supporté qu'une contraception efficace est disponible. Ce qui change, et qui apparaît dans nos dernières données, c'est une médicalisation de la contraception, aux effets extrêmement bénéfiques - vive la pilule ! -. Pour autant, l'existence de moyens médicaux de contraception ne doit pas s'accompagner d'une médicalisation à outrance de celle-ci...

Mme Yvette Roudy : La recherche va bientôt nous proposer des patchs.

Mme Nathalie Bajos : Ces patchs ne sont pas encore disponibles, mais vont bientôt l'être.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais les femmes ne le savent pas.

Mme Nathalie Bajos : Plusieurs nouveaux moyens féminins de contraception ont été mis en place récemment. En revanche, il y a absence totale de recherches sur la contraception masculine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Une femme ne fera jamais confiance à un homme pour assurer sa protection.

Mme Nathalie Bajos : Peut-être, mais je vous parle des femmes que nous interrogeons lors de nos enquêtes. Un certain nombre de celles qui vivent dans des couples stables, expriment l'envie, quand elles sont en relation de confiance avec leurs partenaires, qu'il puisse y avoir des périodes d'alternance dans la contraception. Evidemment, ce n'est pas le cas des femmes qui ont des relations sexuelles irrégulières ou occasionnelles, parce qu'alors, les questions de confiance ne se posent pas dans les mêmes termes.

Faisant partie du comité de pilotage de la campagne sur la contraception, j'ai constaté les blocages dont vous parlez. Cependant, une écrasante majorité des femmes et des hommes a approuvé cette campagne, trouvé très positif, indépendamment du fait même de l'avoir vue, l'organisation d'une communication sur la contraception - ce n'est donc pas un blocage culturel de la part de la population -, et estimé que cette campagne avait une utilité sociale indéniable, puisque l'on n'avait pas parlé de contraception depuis des années et qu'un discours public sur la contraception était extrêmement important : pour autant, d'un point de vue de santé publique, les résultats de l'évaluation de cette campagne ont fait ressortir que le type de campagne proposé n'aura presque pas d'effet, voire aucun, sur la pratique contraceptive, sur les échecs de contraception et le recours à l'IVG, car cette communication ne peut jouer sur les obstacles relevés par le comité scientifique de suivi.

Nos résultats sont tout à fait cohérents : des travaux de proximité sont à mener, la formation des prescripteurs doit être mise en oeuvre. Mais il n'y a pas d'enseignants formés dans les facultés de médecine pour traiter d'une manière générale des questions de santé publique. Pour l'instant, l'enseignement de la santé publique en France se limite trop à l'épidémiologie.

M. Pierre Aubry : En tant que publicitaire en marketing, je peux vous dire que lancer une seule campagne, sans la renouveler régulièrement, ne sert pas à grand-chose. Une campagne qui n'est pas imaginée dans la continuité, avec des thèmes qui peuvent varier et s'adapter, je ne dis pas qu'elle ne sert strictement à rien, mais elle sera totalement oubliée : elle fera impression, on en parlera... et on l'oubliera !

Mme Nathalie Bajos : C'est la raison pour laquelle j'ai souligné l'utilité sociale de cette campagne qui était attendue par la population...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La campagne suivante débutera en janvier 2002.

Mme Nathalie Bajos : Cela ne me paraît pas suffisant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je regrette que nous n'ayons pas pu vous entendre sur les deux autres objectifs de l'étude. Quand terminerez-vous ce travail ?

Mme Nathalie Bajos : Nous en publierons prochainement la partie qualitative. La partie quantitative dont j'ai pu vous donner les premiers résultats est en cours d'analyse.

Audition de M. Bruno Carbonne, secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF)

Réunion du 13 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bruno Carbonne, gynécologue-obstétricien à l'hôpital Saint-Antoine et secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens français.

L'an dernier, nous vous avions reçu à la veille de la première lecture du projet de loi relatif à l'IVG et à la contraception. Accompagnant les professeurs Alain Durocher et Michel Tournaire, vous aviez présenté à la Délégation aux droits des femmes les premières études de l'ANAES concernant la pratique de l'IVG au-delà de dix semaines de grossesse. Depuis, ont été publiées, en mars 2001, les recommandations de l'ANAES sur la prise en charge de l'IVG dans les nouveaux délais légaux et destinées à tous les professionnels de santé concernés.

Or, depuis la promulgation de la loi, le 4 juillet dernier, des difficultés se font jour, qui tiendraient notamment aux réticences de certains médecins gynécologues-obstétriciens et anesthésistes, aux capacités d'accueil insuffisantes liées à la surcharge des blocs opératoires dans de nombreux services et au manque de médecins suffisamment formés pour pratiquer des IVG tardives.

En tant que secrétaire général du CNGOF, quelle appréciation portez-vous sur la situation actuelle, tout d'abord dans votre service à l'hôpital Saint-Antoine, puis, dans la région Ile-de-France, où se manifeste un déséquilibre important entre le secteur public et le secteur privé, et enfin, sur l'ensemble du territoire ?

Dans votre pratique, êtes-vous confronté à de nombreux cas d'IVG tardives ? Comment sont-elles traitées ? En cas de dépassement des nouveaux délais, quelles solutions sont proposées ?

Quelle est l'incidence de la suppression de l'entretien obligatoire pour les femmes majeures ?

Quels sont les obstacles au développement de l'IVG ambulatoire ? L'ouverture de la pratique en médecine de ville, par un prochain décret, offrira-t-elle de nouvelles perspectives ?

D'autres questions surgiront certainement en cours de débat, portant notamment sur la revalorisation des frais de soins et d'hospitalisation afférents à l'IVG, sur l'inscription à envisager de l'acte dans la nomenclature de la sécurité sociale ainsi que sur le statut des services et des personnels affectés à l'IVG.

M. Bruno Carbonne : Je suis, effectivement, confronté à la pratique de l'interruption de grossesse et, notamment, à celle de l'IVG tardive et aux difficultés dont vous faisiez mention à l'instant. Il me semble utile de vous exposer les difficultés rencontrées et les différents obstacles à l'application de la loi.

Il convient tout d'abord de rappeler que cette loi est récente, puisqu'elle n'est parue que le 4 juillet dernier.

Le premier obstacle à son application me semble dû à un manque d'information des professionnels. Un premier facteur qui a freiné son application est que, durant l'été, les professionnels présents étant très occupés - vous connaissez les difficultés démographiques auxquelles nous sommes confrontés durant cette période - n'ont pas forcément été bien informés de l'adoption de cette loi. Beaucoup se sont également demandés si elle pouvait être appliquée directement et immédiatement, ou s'il fallait attendre des décrets d'application ou des recommandations particulières. Ils ne se sont pas précipités pour modifier leurs pratiques.

Un autre facteur qui a freiné son application est l'existence de méfiances vis-à-vis de cette loi, liées notamment à la question des mineures et aux éventuels problèmes médico-légaux. Ces réticences ne venaient pas seulement des gynécologues-obstétriciens, mais également des anesthésistes car, la loi n'imposant plus la nécessité de l'autorisation parentale pour l'IVG des mineures, la question se posait de savoir s'il en fallait une pour pratiquer l'opération. Ce fut un des débats que nous avons eus récemment.

Mais ce premier obstacle peut être, à mon avis, assez vite résolu.

Le deuxième obstacle tient au manque de formation des médecins à ce type de pratiques, dans la mesure où peu de services en ont l'expérience. Selon moi, les seuls à avoir une relative expérience en la matière, étaient essentiellement les services qui avaient l'expérience du diagnostic prénatal et pratiquaient déjà les interruptions tardives de grossesse pour motif médical. Or, techniquement, la réalisation d'une interruption tardive de grossesse est différente. Entre dix et onze semaines de grossesse, on peut dire qu'il n'y a aucune différence avec une interruption instrumentale classique. En revanche, au-delà, il est très fréquemment nécessaire de recourir à des instruments pour morceler le f_tus et il faut reconnaître que c'est un geste particulièrement désagréable et difficile à pratiquer, non seulement pour des raisons techniques, qui font que cette réalisation d'IVG tardive est réputée plus dangereuse - en tout cas, les chiffres montrent une augmentation discrète des risques de complications -, mais aussi parce que ce risque s'accroît probablement en des mains non entraînées. Les médecins ont donc montré une certaine réticence, parce qu'ils n'étaient pas formés à cette technique.

Pour remédier à ces difficultés, le Collège des gynécologues-obstétriciens français a tenté de mettre en place des formations à cette interruption tardive de grossesse ; il ne s'agit pas encore d'une formation continue, mais lors des prochaines journées du Collège, sur les trois journées prévues, deux porteront sur des thèmes consacrés à l'IVG. Le mercredi 6 décembre sera notamment consacré aux techniques chirurgicales. A cette occasion, un gynécologue-obstétricien hollandais, qui a l'expérience de la pratique de l'interruption tardive de grossesse, nous présentera un film qu'il a réalisé sur la technique instrumentale de grossesse entre dix et douze semaines de grossesse. Il y aura également la présentation, par le professeur Michel Tournaire, des recommandations professionnelles de l'ANAES, qui ont été publiées et diffusées par les réseaux de l'ANAES, mais pas directement aux professionnels de gynécologie-obstétrique. Le troisième thème abordé durant ces journées des 6 et 7 décembre portera sur l'interruption de grossesse pour motif médical.

C'est un premier pas car, cet été, quand nous avons commencé à pratiquer des IVG tardives, nous avons été fréquemment interpellés par des collègues d'autres services et nous avons bien senti une réticence d'ordre technique. Les questions étaient : "Tu en fais, toi ? Comment est-ce que cela se passe ? Quelles techniques utilisez-vous à l'hôpital Saint-Antoine ? Vous n'avez pas eu de problèmes ?" Nous avons senti qu'ils redoutaient surtout de rencontrer des difficultés techniques ou des complications. Le deuxième obstacle est donc dû au manque de formation et aux réticences qu'il engendre.

Le troisième obstacle qui a pu restreindre l'ouverture à l'IVG, ce sont les raisons éthiques. Plus que les problèmes de diagnostic prénatal, de dépistage de malformations mineures ou de choix du sexe de l'enfant, le problème éthique qui s'est posé à certains médecins tient à la nécessité d'avoir à morceler ce f_tus. C'est une difficulté sur un plan technique, mais c'est surtout, je pense, extrêmement difficile à vivre pour de nombreux praticiens, car le geste s'en trouve modifié, peut-être pas tant dans son risque que dans la manière dont il est vécu par les médecins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Certains entretiens que nous avions eus sur les techniques hollandaises faisaient ressortir que, jusqu'à douze semaines de grossesse, les médecins utilisaient la même technique. Certes, les recommandations de l'ANAES indiquaient qu'il fallait changer de technique et de pratique à ces termes de grossesse, mais les professionnels qui avaient vu pratiquer l'acte en Hollande confirmaient que les techniques ne changeaient pas.

M. Bruno Carbonne : Je pense pouvoir donner un avis légèrement différent, pour en avoir pratiqué moi-même et avoir vu pratiquer les techniques utilisées par les Hollandais. Ces derniers pratiquent l'interruption de grossesse jusqu'à vingt-quatre semaines et il est clair qu'à ces termes, on ne peut pas avoir recours à une simple aspiration.

En fait, entre dix et onze semaines de grossesse, l'IVG se fait presque toujours par une aspiration simple, exactement de la même manière qu'avant dix semaines. Mais il arrive très fréquemment - une fois sur deux - qu'entre onze et douze semaines, nous ayons recours au morcellement du f_tus. Même entre des mains relativement expérimentées, on ne peut pas le prévoir à l'avance et on ne peut affirmer avec certitude qu'il ne sera pas nécessaire d'y avoir recours.

Finalement, on arrive à la situation quelque peu étonnante de médecins qui n'ont pas d'opposition de principe à l'IVG et ne font pas état d'une clause de conscience pour réaliser une IVG, mais qui font état de celle-ci pour réaliser les IVG à ce terme particulier, parce qu'il peut s'avérer nécessaire d'avoir à morceler le f_tus.

J'ai personnellement pratiqué des IVG tardives en nombre important, particulièrement au cours des trois derniers mois. J'avais déjà l'habitude de les pratiquer pour motif médical. Dernièrement, un nouveau chef de clinique est arrivé, auquel j'ai enseigné la technique d'interruption sur une grossesse de douze semaines, pour laquelle il y a eu nécessité de morceler le f_tus. Ce chef de clinique, qui était habitué à pratiquer des aspirations tout à fait normales et qui en avait une grande pratique, était très ému au sortir de cette intervention. C'est un acte difficile à vivre et qui tend à restreindre - j'en suis convaincu - la motivation de certains médecins, qui réalisaient auparavant des IVG.

J'ajouterai une réflexion, ni d'ordre technique, ni d'ordre éthique. Dans leur grande majorité, les patientes qui viennent consulter pour une IVG ne font aucune différence entre une grossesse de huit, dix ou douze semaines. C'est une situation qu'elles vivent de la même façon. La décision est difficile, mais s'inscrit, pour elles, dans un continuum à huit, dix ou douze semaines. Pour certains médecins, y compris pour les anesthésistes confrontés à la réalisation technique de l'IVG en bloc opératoire, le fait d'avoir à assumer cette difficulté technique "douloureuse", au sens moral du terme, alors qu'ils ont l'impression que la patiente ne ressent pas ces difficultés - ce qui est tout à fait normal - est vécu comme une certaine injustice.

Ces éléments ne constituent pas des blocages définitifs, mais font partie des freins rencontrés quotidiennement. Je pense qu'en 1975, au début de la pratique de l'interruption de grossesse, les médecins ressentaient probablement le même dégoût pour les aspirations. Finalement, ce sont des gestes auxquels ils se sont habitués. La pratique rendra probablement les choses moins difficiles, mais il est clair qu'au début, c'est un obstacle ; en tout cas, quand on est proche des douze semaines de grossesse.

Enfin, il y a, à l'évidence, de la part de certains praticiens, des réticences qui ne sont, ni d'ordre éthique, ni d'ordre technique, mais de principe. Certains d'entre eux, s'étant clairement affichés comme étant opposés à l'allongement des délais, freinent pour mettre la loi en application.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Etes-vous plutôt optimiste pour l'avenir ?

M. Bruno Carbonne : Je suis plutôt optimiste, dans la mesure où je pense qu'il y avait au début un manque d'information et que j'ai pu constater depuis lors le souhait, généralement individuel, de médecins de s'informer.

Ce défaut d'information va pouvoir être assez rapidement comblé, d'une part, par la circulaire d'application qui est diffusée actuellement - assez lentement, je dois le dire, puisque je ne l'ai encore reçue, ni via le Collège, ni dans ma pratique personnelle - d'autre part, par des actions d'information, comme celle que nous sommes en train de mener, par exemple, avec le professeur Fabrice Pierre de Tours, qui a participé à la rédaction de la circulaire. De nombreuses questions de praticiens sur leurs difficultés nous sont parvenues et nous sommes en train de publier rapidement des réponses dans le Journal de gynécologie-obstétrique français. Nous mettons également en place des formations comme celles que nous réalisons au sein du Collège.

Ce manque d'information ou ces réticences techniques vont tomber progressivement et je crois pouvoir dire que la plupart des centres qui réalisent des IVG sont tout à fait ouverts et d'accord pour accueillir des professionnels qui souhaiteraient venir voir leur pratique.

Quant aux difficultés éthiques ou morales, au sens large du terme, que peut provoquer cet allongement, il me semble qu'à partir du moment où les praticiens auront acquis une certaine habitude technique, on passera sûrement au second degré. C'est au tout début de l'expérience que c'est délicat. De plus, cela ne représente pas la majorité des cas ; cela ne représente que quelques interruptions tardives de grossesse et une partie de celles situées entre onze et douze semaines de grossesse. Mais, je répète que l'on ne peut jamais affirmer qu'elles ne nécessiteront pas l'usage de cette nouvelle technique de morcellement du f_tus.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel est votre sentiment par rapport à la situation en Ile-de-France ?

M. Bruno Carbonne : Nous avons vécu cette transition de manière très douloureuse à l'hôpital Saint-Antoine, puisque nous avons décidé d'appliquer la loi dès le mois de juillet et que nous nous sommes heurtés non seulement, comme à l'accoutumée, à la réduction des effectifs pendant cette période, mais aussi au fait que, très clairement, cette année, il n'y a eu aucune concertation entre les professionnels ou les différents services pour assumer cette charge de travail supplémentaire.

De nombreuses demandes ont été présentées dans les hôpitaux de l'Assistance publique et quand on a su - le bouche-à-oreille fonctionne bien en pareil cas - que les hôpitaux Saint-Vincent-de-Paul et Saint-Antoine acceptaient de pratiquer des IVG tardives, de nombreux centres n'ont pas ressenti la nécessité de faire un effort et ont dirigé très systématiquement les cas qui leur arrivaient sur ces deux centres.

Bref, nous avons dû accepter très rapidement une patiente par jour, alors que les prévisions étaient d'une ou deux par semaine au maximum. Puis, nous sommes passés à deux patientes par jour et avons fini par être débordés au point, parfois paradoxal, d'être obligés de retarder des interruptions de grossesse, qui nous avaient été demandées dans des délais précoces, pour pouvoir faire passer des interruptions de grossesse tardives. Certains jours, nous avons eu jusqu'à trois interruptions tardives à pratiquer en urgence, urgence liée au fait que beaucoup de patientes avaient perdu du temps en raison des consultations qu'elles avaient faites dans d'autres centres, qui ne les avaient finalement pas acceptées, et qu'elles arrivaient chez nous à onze semaines et cinq jours. Nous étions donc contraints à programmer ces interventions en urgence, tout en nous demandant si nous avions raison de pratiquer des interruptions chez des patientes qui n'avaient découvert leur grossesse que très récemment, qui pouvaient se trouver dans une situation temporaire de difficultés, et dont nous ne pouvions affirmer qu'elles n'avaient pas pris cette décision hâtivement. Cette difficulté se posera toujours, car nous aurons toujours des patientes qui arriveront en dernière minute et l'allongement des délais conduira, fatalement, certaines patientes à se déterminer plus tardivement pour leur interruption de grossesse.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous le croyez ?

M. Bruno Carbonne : Nous l'avons constaté, mais ce n'est pas la majorité. Nous avons, je crois, rencontré tous les cas de figure, mais nous avons vu trop de patientes qui avaient consulté dans des délais raisonnables dans d'autres centres et se sont retrouvées finalement dirigées bien trop tard vers d'autres centres qui acceptaient de les prendre en charge. Nous devons vraiment travailler sur ce plan pour trouver de meilleures solutions.

Je pense que la situation progresse quand même, peu à peu, et que de plus en plus de centres acceptent de faire ces IVG. Mais, ceux-ci ne se manifestent pas trop, pour éviter les déconvenues que nous avons subies cet été. Ils ne tiennent pas à se retrouver submergés de demandes. Mais si chacun, à sa mesure, accepte les interruptions tardives, nous devrions réussir à répartir la demande.

Je crains que les prévisions, dont il me semble avoir déjà dit qu'elles seraient difficiles à vérifier, de quelque cinq mille IVG tardives par an puissent être dépassées. Mais ma vision peut être biaisée par l'afflux de demandes que nous avons pu connaître cet été à l'hôpital Saint-Antoine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous parliez de la réaction des anesthésistes par rapport aux mineures. Qu'en est-il aujourd'hui à l'hôpital Saint-Antoine ?

M. Bruno Carbonne : La demande qu'ils exprimaient nous a été posée un certain nombre de fois. Finalement, la Société française d'anesthésie et de réanimation, la SFAR, a été saisie de cette question et s'est prononcée sans ambiguïté pour dire qu'à partir du moment où la loi autorisait l'interruption volontaire de grossesse chez les mineures sans autorisation parentale, les gestes qui entouraient cette interruption de grossesse, que ce soit l'hospitalisation ou l'intervention elle-même, étaient également autorisés, de fait, par la nouvelle loi.

Cette prise de position de la SFAR a rassuré les anesthésistes qui, maintenant - en tout cas, pour ceux que je connais qui pratiquent des anesthésies pour l'IVG - n'ont plus de réticence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avez-vous aussi noté une incidence de la suppression du caractère obligatoire de l'entretien préalable ?

M. Bruno Carbonne : L'incidence s'en est surtout fait sentir dans les situations d'urgence entraînées par des IVG tardives. Plus que l'entretien, ce qui nous a semblé utile, c'est ce petit délai entre le moment où la patiente est vue en consultation et celui où l'acte est réalisé, un délai de quelques jours, quatre ou cinq, dû à de simples raisons de programmations, au cours duquel, qu'il y ait ou non entretien auprès de services spécialisés, nous avons constaté un certain nombre de changements d'avis de patientes qui, finalement, ont préféré poursuivre leur grossesse.

Ce délai n'est pas toujours possible à tenir ou à offrir aux patientes, quand on se trouve dans des situations d'urgence de onze semaines et demi de grossesse, mais il est vrai que nous nous sommes parfois demandés si cette patiente aurait finalement maintenu sa décision, si elle n'avait pas été soumise à la pression de la date butoir. Mais cette question s'est posée de tout temps. Auparavant, quand la date butoir était de dix semaines, les patientes se trouvaient dans la même situation. Je ne pense pas que la situation soit fondamentalement modifiée de ce point de vue.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'alternative proposée, celle de l'IVG médicamenteuse, à condition que la femme sache qu'elle est enceinte suffisamment tôt, puisque les recommandations de l'ANAES préconisent son utilisation jusqu'à sept semaines de grossesse, peut-elle être une réponse, notamment face à certaines réticences des médecins ? Que pensez- vous de son développement en médecine de ville ?

M. Bruno Carbonne : Pour ce qui est de l'allongement du délai pour l'IVG médicamenteuse, à mon avis, les centres qui ont l'habitude de ces interventions sont assez à l'aise avec cette technique jusqu'à cinq semaines de grossesse et, finalement, le besoin d'allonger ce délai n'est pas manifeste.

En revanche, il me semble que l'on peut gagner en proposant de réaliser ces interruptions à domicile, ce qui a été envisagé dans les recommandations de l'ANAES. Ces recommandations sont publiées, mais l'information n'est pas très bien passée. Des centres s'interrogent notamment sur la question de la prise en charge, puisque, auparavant, il y avait une hospitalisation de quelques heures. Certains se sont demandés si le forfait qui était appliqué, comprenant une hospitalisation, le serait toujours quand la patiente serait à domicile.

Mme Elisabeth Aubény est en train de lancer une enquête sur trois centres, dont nous avons voulu faire partie. La publication de l'expérience de quelques centres devrait déjà apporter un élément rassurant aux professionnels qui hésitent à recourir à ce type de techniques. A l'hôpital Saint-Antoine, cette technique permettrait clairement d'augmenter nos capacités d'accueil, puisque, aujourd'hui, les lits d'hospitalisation consacrés à l'interruption de grossesse sont relativement limités. Pouvoir pratiquer ces IVG de manière ambulatoire nous offrirait probablement la possibilité de répondre à plus de demandes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il existe donc deux possibilités : l'ambulatoire et la médecine de ville avec la création de réseaux. Dans le cadre de réseaux entre l'hôpital et des médecins, il y aurait ainsi possibilité de pouvoir sortir l'IVG de l'hôpital.

M. Bruno Carbonne : Dès lors que les centres ou les hôpitaux qui pratiquent l'IVG auront pris l'habitude de traiter les patientes sans hospitalisation, les relations médecine de ville-hôpital devraient être facilitées pour la prise en charge de l'IVG. Pour le moment, il est difficile de modifier les vieilles habitudes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel est votre sentiment concernant l'absence de statuts des services et des personnels, même si des crédits votés dans les budgets 2000 et 2001 devraient permettre de transformer des postes de vacataires en postes hospitaliers ? Cela a-t-il été suivi d'effet ?

La valorisation de l'acte d'IVG ou le fait de ne plus accorder à cet acte un statut spécifique, mais de le traiter comme tout autre acte médical dans le budget de la sécurité sociale seraient-elles des propositions de nature à faire avancer la situation des médecins ou des personnels de santé ?

M. Bruno Carbonne : Vous n'ignorez pas que les vacations sont très mal payées et surtout qu'elles correspondent à des statuts extrêmement précaires, qui n'étaient acceptables que par les médecins ayant vécu l'époque militante de l'IVG. Or, je crois pouvoir dire que ce militantisme a beaucoup diminué, car les nouvelles générations de médecins, qui ont toujours connu l'IVG, n'ont pas connu les difficultés d'une société où elle était interdite. Il en résulte que les médecins ne se battent pas pour pratiquer des interruptions volontaires de grossesse, surtout dans le cadre de statuts de vacataire.

A l'hôpital, vacataire est synonyme d'insécurité d'emploi et, généralement, ce sont des médecins installés en ville qui détiennent ces postes de vacations hospitalières. Ces médecins, de plus en plus sollicités, ont davantage de travail. Il est donc de plus en plus difficile de trouver des professionnels qui acceptent de donner de leur temps pour un travail, ni particulièrement enrichissant, ni gratifiant et, de surcroît, mal payé.

Il me semble que la transformation de ces vacations en poste de praticien hospitalier, à temps partiel, par exemple, ne peut être qu'une bonne chose. J'y mettrai cependant un bémol : quand un chef de service propose un poste de praticien hospitalier, même à mi-temps à un médecin, il risque d'y avoir des réticences, si ce poste est exclusivement réservé à l'interruption de grossesse. Très concrètement, dans les services, ces postes ont permis de recruter des personnels qui ne consacrent qu'une partie de leur temps à l'IVG. En effet, dans la plupart des services, l'interruption de grossesse est répartie entre plusieurs médecins et il est assez rare, dans la pratique, que ces postes soit dévolus à un seul médecin, même s'il en est le titulaire officiellement.

En revanche, les services ayant bénéficié de postes de praticiens au titre de l'interruption volontaire de grossesse devraient se montrer particulièrement exemplaires en matière d'application de la loi. Je crois pouvoir affirmer que ce n'est pas toujours le cas, au moins en ce qui concerne la région parisienne. En l'état actuel, un chef de service, qui accepte la mission de service public, est censé organiser l'IVG selon les termes de la loi. Il me semble donc difficile de concevoir qu'un chef de service n'accepte pas que l'on pratique des IVG au-delà de dix semaines dans son établissement et son service. Des recommandations adressées aux chefs de service devraient faire sauter les blocages, qui sont toutefois extrêmement mineurs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous est-il arrivé, personnellement, de pratiquer des IVG sur des mineures n'ayant pas recueilli le consentement parental ?

M. Bruno Carbonne : Oui.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Par qui sont-elles accom-pagnées ? Quel est le rôle de l'accompagnant ?

M. Bruno Carbonne : C'est assez variable. Il nous est assez difficile de savoir exactement quelle est la relation de la jeune femme avec le majeur accompagnant. Il faudrait leur demander leurs papiers pour s'assurer que l'accompagnant est majeur. C'est une de nos difficultés d'ordre pratique. Dans certains cas, il est vraisemblable que le majeur accompagnant n'est autre que le copain de la personne mineure. Jusqu'à présent, cette situation ne s'est pas souvent présentée. Nous avons toujours insisté pour avoir l'accord parental.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce sont le plus souvent des garçons qui accompagnent ?

M. Bruno Carbonne : Les deux cas se présentent. Parfois, c'est un garçon et nous avons la forte présomption qu'il s'agit de l'ami de la jeune femme. Parfois aussi, les personnes accompagnantes sont des parentes, une cousine ou une tante, probablement à l'écoute plus bienveillante que celle de parents directs. Mais la situation la plus délicate est sans doute celle de mineures de moins de quinze ans. Mais, nous n'avons pas été très souvent confrontés à ce type de situations.

Nous sommes en train de collecter des renseignements sur toutes les interruptions de grossesse, notamment tardives, pour répertorier les difficultés techniques que nous avons pu rencontrer, les incidents, voire les accidents, pour essayer de dresser un état des lieux précis, de chiffrer les situations nouvelles auxquelles nous avons été confrontés et la manière dont nous avons été amenés à y répondre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avez-vous vous-même des questions à nous poser ?

M. Bruno Carbonne : Par quels canaux, la circulaire d'application que vous venez de me remettre, est-elle diffusée ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elle est envoyée aux agences régionales de l'hospitalisation, aux préfets de région, aux préfets de départements et, normalement, directement aux directeurs d'établissements de santé.

Audition de M. Jean Parrot, président du conseil national de l'Ordre des pharmaciens

Réunion du 13 novembre 2001

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean Parrot, président du conseil national de l'Ordre des pharmaciens, pour évoquer les problèmes d'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception, promulguée le 4 juillet dernier, et de la loi relative à la contraception d'urgence.

Il nous a semblé indispensable de recueillir votre avis, car les pharmaciens, en officine, en laboratoires ou à l'hôpital, jouent un rôle clé, trop souvent méconnu, dans la diffusion de la contraception et l'accès à l'IVG, notamment à l'IVG médicamenteuse.

En ce qui concerne la contraception d'urgence, la vente libre du Norlevo en pharmacie, sans prescription médicale, constitue un progrès considérable. La France a été le premier pays à mettre ce produit sur le marché, sans prescription médicale. D'autres pays l'ont suivie depuis. De même, la possibilité d'administrer cette contraception en milieu scolaire aux mineures sans autorisation parentale, constitue une autre avancée de la loi sur la contraception d'urgence.

Peut-on dès à présent, par l'analyse des ventes en officine, évaluer l'usage qui en est fait par les femmes majeures, mais aussi par les mineures ?

Un décret devrait prochainement intervenir afin d'organiser la délivrance gratuite aux mineures en officine de cette contraception d'urgence. Quelles sont les difficultés rencontrées à ce sujet, notamment en matière de prise en charge ?

Les procédés contraceptifs se sont perfectionnés ces dernières années, depuis les pilules de troisième génération jusqu'aux implants sous-cutanés et aux préservatifs féminins. On nous annonce également la sortie d'un patch contraceptif. Le préservatif féminin, qui présente l'avantage de prévenir aussi contre le sida et les MST, n'est en vente que dans une cinquantaine de pharmacies en France. Pouvez-vous nous dire à quelles difficultés se heurte une plus large diffusion ?

S'agissant de l'IVG médicamenteuse, quel est l'avenir du RU 486 et de son utilisation en médecine de ville ? Un assouplissement de la réglementation et de la mise à disposition de ce médicament vous semble-t-il envisageable ?

En ce qui concerne le stérilet, un nouvel arrêté est paru fixant son prix de vente à 180 francs. Pensez-vous qu'il connaîtra les mêmes difficultés que celles du précédent arrêté, qui avait fixé ce prix à 142 francs et n'a jamais pu être appliqué ?

M. Jean Parrot : Nous sommes heureux de pouvoir vous rendre compte de ce qui se passe sur le terrain, afin vous puissiez légiférer sur ces questions de société, qui nous intéressent grandement compte tenu de notre activité professionnelle.

S'agissant de la loi relative à l'IVG et à la contraception du 4 juillet 2001, les pharmaciens n'ont pas à intervenir directement, sauf pour conseiller ou orienter les personnes qui viendraient dans une pharmacie pour savoir comment faire en la matière. Généralement, le pharmacien oriente tout de suite vers un médecin ou, directement, pour ne pas perdre de temps, vers un gynécologue. Les problèmes qui peuvent se poser à nous en ce domaine concernent l'obtention de rendez-vous en urgence. Dans l'exercice de mon métier de pharmacien, j'ai dû deux ou trois fois batailler pour obtenir des rendez-vous en urgence pour des jeunes filles, pour lesquelles la décision d'IVG devait être prise dans les jours ou les semaines suivantes et non dans les trois ou six mois. Quand un spécialiste dit que son carnet de rendez-vous est plein et qu'il ne peut pas accorder de rendez-vous avant le mois de décembre, alors qu'on est début novembre, ce n'est pas admissible. Heureusement, dans la plupart des cas, entre pharmaciens et médecins, qu'ils soient généralistes ou spécialistes, nous arrivons à obtenir des rendez-vous en urgence, du jour au lendemain. Mais c'est parfois un véritable souci.

Je ne me permets pas de juger, même si j'ai des convictions personnelles, du côté positif ou négatif de l'allongement des délais de l'IVG : c'est un débat de société. Je pense que vis-à-vis de jeunes ou de moins jeunes, placées dans une situation de détresse, il est bien qu'une telle loi ait été adoptée, mais je me demande aussi, à titre personnel, s'il n'existe pas d'autres moyens d'éviter l'IVG, alors que tant de familles sont à la recherche d'un enfant. J'ai été amené à m'interroger personnellement à plusieurs reprises sur ce sujet, peut-être parce que j'ai eu un parcours assez atypique. J'ai fait mon internat à l'hôpital Lariboisière, où je suis resté plusieurs années et où j'ai noué des relations fortes avec mes collègues internes en médecine, qui travaillaient à la maternité.

Venons-en au deuxième point que vous avez soulevé : le Norlevo.

Il s'agit d'un produit très intéressant. Arrivé sur le marché, il a tout de suite trouvé sa place, en répondant à une attente des pharmaciens, qui, confrontés à des jeunes personnes en situations difficiles, devaient trouver une réponse avec les médicaments qu'ils avaient en stock : une pilule de première génération sous forme de prise de quatre pilules était dispensée en une seule fois. En général, les pharmaciens essayaient de la faire prescrire par un médecin pour qu'il y ait une prise en charge médicalisée par la suite.

La mise du Norlevo sur le marché et son accessibilité sans prescription ont permis aux pharmaciens de jouer un rôle de conseil : orientant toujours la jeune femme vers un médecin, ils lui expliquent qu'il lui faut une prise en charge médicale, parce que la contraception d'urgence, réponse à une situation critique un jour donné, ne constitue pas une gestion de la contraception dans le temps.

Le Norlevo a donc bien trouvé sa place en pharmacie. A l'heure actuelle, sur neuf mois cumulés pour l'année 2001, les pharmaciens ont délivré plus de 600 000 boîtes, ce qui se compare aux 441 000 boîtes vendues en 2000, sur neuf mois cumulés. Cela montre à l'évidence que, d'une part, les pharmaciens jouent le jeu, remplissent bien leur mission et que, d'autre part, ce produit répond à une demande importante. Il est maintenant connu, il répond à une situation de risque ou à une inquiétude formulée un jour donné. En l'absence d'usage, dans 90 % des cas, l'inquiétude de la femme disparaîtrait avec la réapparition des règles quelques jours plus tard et le problème serait résolu sans médicament, mais au prix d'une certaine anxiété et d'une prise de risque. Le fait de pouvoir dispenser ce produit, dès l'instant où la personne pense avoir pris un risque, élimine celui-ci, mais appelle un comportement modifié de la part des jeunes, qui ne doivent pas systématiquement recourir à ce produit.

Je suis, à cet égard, un peu inquiet de la politique développée par le fabricant, qui voudrait que son produit soit remboursé. J'entends dire qu'il devrait être remboursable pour que les pharmaciens aient un prix maximum imposé. Je n'ai pas eu connaissance de dérives de prix, même si j'ai entendu dire que certains pharmaciens le vendaient 80 francs. Mais le fait de le rendre remboursable ne va-t-il pas conduire des jeunes à tenter de le faire inscrire sur une ordonnance et à risquer d'en faire un achat de prévention ?

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Vous considérez que c'est un risque ?

M. Jean Parrot : Je considère que c'est un risque et j'estime que ne pas mettre en _uvre de politique de prévention par des outils normaux, mais prescrire ce produit "au cas où..." ne répondrait pas à une bonne politique de santé publique.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Une enquête, dont nous parlait Mme Elisabeth Aubény, a été réalisée en Angleterre à partir de deux catégories de femmes, celles ayant le Norlevo à domicile, et celles qui devaient le réclamer en cas de besoin. Les résultats ont montré qu'il n'y avait pas de grande différence comportementale.

M. Jean Parrot : Je juge simplement en termes de santé publique. Je pense qu'il est dommage d'en venir à dispenser une charge hormonale importante, sans mettre en place une véritable politique de prévention à long terme.

Le Norlevo engendre une forte motivation pour l'obtenir dans un temps très réduit, parce qu'il se justifie en cas d'urgence, mais si, ensuite, on ne sécurise pas le comportement de la jeune fille ou de la femme, elle risque de revivre la même situation. Or, je dis à chaque femme qui vient m'en acheter qu'il faut parvenir à mettre en _uvre une vraie contraception.

Là où j'exerce, se trouve un lycée agricole avec un internat, pour garçons et filles. Dès l'instant que tout le monde a su que ce produit était arrivé en pharmacie, j'ai vu régulièrement venir des jeunes de l'internat. Ils savent maintenant que, premièrement, si le jeune homme vient seul, je ne délivre rien, car j'exige que ce soit la jeune fille qui vienne, accompagnée ou non, et que, deuxièmement, je l'envoie systématiquement ensuite chez le médecin. Maintenant, le pli est pris. Elles viennent régulièrement. Mais, parfois ce sont les mêmes qui reviennent ; alors j'essaie d'avoir un rôle éducatif à leur égard.

J'en arrive maintenant au point concernant la gratuité.

Un jour, j'ai reçu le coup de téléphone d'un sénateur, qui m'a dit : "Monsieur le président, on a décidé la gratuité du Norlevo en milieu scolaire. Mais, vous savez comme moi que les heures d'accès en milieu scolaire sont relativement brèves par rapport à la vie. Ne croyez-vous pas qu'il serait bien de décider aussi la gratuité dans les pharmacies ?" Je lui ai répondu que, personnellement, j'y serais favorable, que cela m'aiderait même beaucoup, parce que, dans notre exercice quotidien, nous recevons des mineures, parfois même de très jeunes mineures, ce qui nous pose problème.

Il m'a demandé comment résoudre la question du paiement : je lui ai répondu de ne pas s'inquiéter, que les pharmaciens avaient l'habitude de mener tellement d'opérations compliquées avec les caisses, que nous arriverions bien à trouver une formule pour le Norlevo.

Au cours des débats parlementaires, la ministre a estimé gênant d'étendre cette gratuité aux pharmaciens, parce qu'elle n'exerçait pas de contrôle sur ces derniers. Le sénateur avait alors répondu : "Mais, madame, en avez-vous davantage sur les infirmières ?" Donc, cette gratuité a été décidée par la loi. Le décret serait actuellement devant le Conseil d'Etat et j'espère qu'il paraîtra avant Noël.

Nous avons assorti le décret d'une convention entre la CNAM et le conseil national de l'Ordre des pharmaciens, par l'intermédiaire du comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, le CESSPF, créé au sein de l'Ordre il y a maintenant plus de 40 ans. Cette convention prévoit l'élaboration par ce comité d'un livret grand public sur le Norlevo, la contraception, la mise en place de la contraception, la vie sexuelle de la femme, etc. Les pharmaciens doivent s'engager, en remettant gratuitement le Norlevo, à donner des explications et à remettre ce livret à la jeune fille. Cette convention a été soumise aux autorités de tutelle et n'a soulevé aucune objection. Nous allons donc nous y engager et recevoir des subsides pour le faire. Assortir la délivrance en pharmacie de la remise de ce document d'accompagnement devrait permettre d'obtenir une meilleure prise en charge de ces jeunes.

La distribution de la contraception d'urgence en milieu scolaire est complémentaire à l'action des pharmaciens et non une concurrence. Les infirmières scolaires ont distribué quelques milliers de boîtes. C'est à la fois très peu par rapport aux pharmaciens et beaucoup. C'est très peu en quantité, mais c'est beaucoup parce que 4 000 boîtes délivrées peuvent représenter 4 000 cas importants. Le travail des infirmières est donc complémentaire de celui des pharmaciens et s'inscrit dans un autre cadre, qui est aussi un cadre sanitaire. Nous ne nous y sommes jamais opposés et nous avons toujours soutenu qu'il fallait agir de concert. Dans le cadre de la convention, nous avons même prévu, si les infirmières s'approvisionnaient en pharmacie - ce qui risque fort d'être le cas, puisqu'elles n'ont pas d'autres sources d'approvisionnement - de leur remettre le livret, pour qu'elles puissent le transmettre, en même temps que le Norlevo, à la jeune personne intéressée.

Reste la question de savoir comment nous ferons la différence entre femmes majeures et mineures. Pour nous, ce sera déclaratif, c'est-à-dire que nous demanderons à la personne, qui se présentera devant nous, si elle est mineure ou majeure. Si elle répond qu'elle est mineure, il y aura gratuité. Sinon, elle paiera. Nous jugeons que les personnes que nous aurons devant nous, dans la situation où elles sont, seront suffisamment honnêtes pour nous dire si elles doivent payer ou non. De toute façon, d'après notre expérience, il n'y aura pas plus du quart des jeunes femmes qui sera concerné par la gratuité. Nous avons déjà étudié avec la sécurité sociale ce que cela pourrait représenter en valeur. Nous l'avons estimé entre 5 et 7 millions de francs, pour un marché global aujourd'hui de 18 millions de francs.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne le contenu du livret, je voudrais attirer votre attention sur un point précis, car nous vérifions, auditions après auditions, qu'une des raisons de l'échec de la contraception est le manque de contraception adaptée. La pilule, par exemple, est prévue pour les jeunes femmes de moins de quarante ans, ayant des relations régulières, mais il y a des accidents, des oublis, liés parfois au mode de vie. On fait beaucoup reposer la contraception sur la pilule. Dans votre livret de présentation, je voudrais savoir si vous avez pensé à présenter une large palette des moyens de contraception.

M. Jean Parrot : Il y a une présentation assez large, mais également succincte, parce que nous renvoyons cette information au médecin. En revanche, nous insistons beaucoup sur l'hygiène et sur la connaissance que la femme doit avoir de son cycle. Nous nous sommes malheureusement aperçus que ce point n'est pas facilement abordé, ni connu des jeunes filles et qu'elles avaient besoin d'une connaissance technique donnée par une documentation succincte. Il fallait donc un petit fascicule, clair et compréhensible, qui renvoie surtout la jeune fille à une décision de consulter, de manière à être suivie dans sa vie de femme par un médecin.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Je trouve que c'est une très bonne initiative. Mais il subsiste un mythe chez les jeunes filles, qui croient n'être vulnérables qu'au 14e jour de leur cycle. Je n'ai pas relu depuis un certain temps les manuels de sciences de la classe de première, mais c'est une idée qui semble complètement ancrée dans la tête des jeunes filles. Elles ont des accidents de contraception, parce qu'elles croyaient qu'en dehors du 14e jour, elles ne risquaient rien.

M. Jean Parrot : Il y aurait beaucoup à faire au niveau des manuels scolaires. Mais nous touchons là à un tout autre domaine, celui de l'enseignement des sciences de la vie. Il faudra bien, un jour, y introduire la santé en général, c'est à dire également les médicaments et les pathologies les plus graves. Ce sera plus important que de continuer à étudier la mouche drosophile et ses chromosomes ! Qui pèsera suffisamment fort pour que cette mutation s'opère ? Je ne le sais pas, mais cela me paraît capital. Ce n'est pas à soixante ans, quand nous commençons à développer des pathologies, que l'on éduque les gens. Il faut commencer dès l'école maternelle et l'école primaire.

Nous avons fait des expériences en ce sens, avec les moyens limités qui sont les nôtres. Nous avons conçu des valises pédagogiques d'usage scolaire, adaptées aux âges des enfants, pour leur présenter des points essentiels, tels que les posologies, et de façon très ludique pour les écoles maternelles ; il y avait la présentation d'une gélule, d'un comprimé, d'une cuillère à soupe, à dessert. On expliquait pourquoi un sirop est sucré. Les enseignants qui ont accepté de prendre ces valises et de jouer avec les enfants s'en sont très bien trouvés. Nous avons fait le même travail pour les écoles primaires et pour le secondaire. Les quelques professeurs de sciences de la vie qui ont joué le jeu et accepté ces valises ont été très contents de l'impact sur les jeunes. Mais il faudrait maintenant changer de niveau. Cela ne peut plus rester expérimental. A mon avis, le législateur pourrait tout à fait s'emparer de ce sujet dans le cadre d'une politique de prévention.

Vous m'avez ensuite posé de nombreuses questions sur les procédés contraceptifs et les pilules.

En ce qui concerne les pilules, j'ai essayé de mener une réflexion sur la consommation des pilules de première, deuxième et troisième génération, pour vous donner une photographie de la situation actuelle.

A l'heure actuelle, sont dispensés près de deux millions de pilules de première génération, près de quatre millions de deuxième génération et dix millions de troisième génération, sachant que les pilules de troisième génération ne sont pas prises en charge, mais devraient bientôt l'être.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Il y a débat sur ce point, surtout après les dernières analyses de l'ANAES.

M. Jean Parrot : Oui, je fais partie de la commission de la transparence, qui a travaillé sur ce sujet. De deux choses l'une : ou l'on considère comme une valeur ajoutée le fait que ces pilules soient micronisées, sous-dosées par rapport aux autres, avec une exposition hormonale plus faible pour un résultat identique, auquel cas, il y a une valorisation galénique et, si c'est le cas, il n'y a aucune raison que le laboratoire n'en soit pas récompensé ; ou A égale B égale C, et les pilules sont toutes payées le même prix. Les deux politiques sont possibles. Personnellement, je suis pharmacien. A ce titre, je respecte la galénique et l'investissement galénique qu'a pu faire un laboratoire. Je pense de plus qu'une exposition moins forte à des hormones est toujours préférable. Peut-être faut-il valoriser la pilule de troisième génération, pas forcément au prix où elle est sur le marché mais, en tout cas, il faut qu'elle soit valorisée.

En ce qui concerne les implants, je suis assez réservé parce que, pour le moment, dans les pays développés, nous n'avons pas une grande expérience de la mise en place d'implants. Cette technique me paraît devoir être plutôt réservée à des catégories de population qui n'ont pas la même maîtrise que celle que nous pouvons avoir dans nos sociétés.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Dans notre population, je pense notamment aux personnes handicapées mentales.

M. Jean Parrot : Vous avez tout à fait raison, mais, pour le moment, ce n'est pas encore très avancé. En tout cas, je n'ai pas de statistiques sur les implants.

Nous avons essayé de mettre en place le préservatif féminin en pharmacie. Cela n'a pas été très bien accueilli. Il faut dire, tout d'abord, que le prix était dissuasif. Ensuite, son usage n'est pas vraiment pratique, il faut bien le reconnaître. Si vous entrez en discussion avec des jeunes femmes qui peuvent vous donner leur expérience du vécu de cette pratique, les quelques échos que vous en aurez ne sont pas du tout favorables à l'usage des préservatifs féminins.

Pour autant, il existe. Il est certainement bien conçu et répond très bien à ce pourquoi il est fait. Je pense que, dans certaines populations, il faut qu'il soit vulgarisé. Quand ce n'est pas le désir du conjoint de mettre un préservatif, il faut bien trouver une solution et que ce soit l'autre qui se protège.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Qui protège les deux.

M. Jean Parrot : Le marché des préservatifs masculins est plutôt en baisse en officine. Mais cette baisse ne signifie pas forcément que le marché global soit en baisse, puisque, comme vous le savez, il n'existe pas de monopole sur ce marché. D'autres circuits que le réseau pharmaceutique - les associations, les grandes surfaces - permettent aussi d'en acquérir. Mais pour nous, globalement, de 2000 à 2001, nous sommes passés de 3,7 millions à 3,4. Sur un an, nous avons perdu près de 10 %.

Les préservatifs sont considérés comme des articles d'hygiène et non comme des médicaments. On peut se poser la question de la qualité de certains dispositifs, qui, normalement, doivent être soumis au marquage CE et correspondre à un cahier des charges précis. Dans les pharmacies, nous avons eu à nous mettre aux normes CE, il y a quelques années, ce qui a entraîné la disparition de tous les stocks que nous avions. Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres circuits de distribution, car cela ne fait pas partie de notre champ d'activité.

Le patch est certainement un bon outil pour l'avenir. Il faudra simplement faire très attention à sa diffusion. En effet, la diffusion du produit ne se fait pas de la même façon, selon la qualité de réalisation du patch. Il faudra donc des cahiers des charges très stricts et une conformité absolue, sans cela la diffusion hormonale ne sera pas identique. Selon les procédés de diffusion, selon que ce sera des filets osmotiques, des gels ou simplement un plaquage genre gomme, la diffusion ne s'opérera pas de la même façon. Il faut faire des essais indépendants de chaque sorte de patch, mais encore faut-il qu'ils soient dosés, non pas en fonction de la quantité d'hormones contenue dans le patch, mais en fonction de celle diffusée par le patch. Les études d'évaluation seront donc très difficiles à réaliser. De plus, son utilisation nécessitera un véritable suivi hormonal des charges hormonales diffusées. Un élément supplémentaire est à prendre en compte : je ne suis pas sûr que la totalité des individus réagissent de la même façon. L'épaisseur de la peau des blonds n'est pas la même que celle des peaux mates et, pour les populations noires et asiatiques, c'est sans doute encore très différent. L'élaboration de ces patchs sera donc très délicate.

Ma réflexion sur ce sujet vient du fait que l'on utilise déjà le patch pour les traitements de la ménopause. Beaucoup de produits existent, soit mono-hormonaux, soit bi-hormonaux, chargés soit uniquement en progestérone, soit en progestérone plus _stradiol. Selon la composition du dispositif, les personnes réagissent plus ou moins aux patchs hormonaux qu'on leur prescrit. Il faudra donc, dans le cadre de la transposition du patch pour la contraception, que le sujet soit bien étudié.

En ce qui concerne l'IVG médicamenteuse, nous sommes prêts à jouer notre rôle. Pour l'instant, le RU est dispensé par les hôpitaux. Il faudra que les autorités réfléchissent à la question de son accès en ville.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Dans le cadre de la nouvelle loi sur l'IVG, à partir du moment où sont mis en place des réseaux de soins et de santé entre médecins de ville et centre hospitalier, cela signifie qu'il faudra modifier le classement du RU.

M. Jean Parrot : Nous n'y sommes absolument pas opposés. Les pharmaciens sauront aussi bien gérer ce produit, qui ne présentera pas plus de risques que d'autres médicaments dispensés aujourd'hui par les pharmaciens, qui jouent très bien leur rôle. De toute façon, nous serons dans le cadre d'un vrai suivi médical, puisqu'il y aura eu prescription avant et qu'il y aura un suivi. Cela ne se fera pas sans équipe médicale.

En ce qui concerne le stérilet, il est vraiment regrettable qu'il n'y ait pas eu davantage de concertation préalable lorsqu'il a été décidé de le mettre d'autorité à 140 francs. Le prix alors demandé - 300 francs - a été jugé excessif. Or, à mon avis, le stérilet était la méthode contraceptive qui coûtait le moins cher, puisqu'il est mis en place pour deux ou trois ans.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : En moyenne, deux ans. Cela fait 150 francs par an.

M. Jean Parrot : Par ailleurs, les femmes qui l'utilisent ont un confort de vie et une liberté d'esprit qui, s'il est supporté, en fait un outil très intéressant. De plus, il permet de traiter des catégories de femmes parfois difficiles à éduquer. Dans mon quartier, beaucoup de femmes du Maghreb, par exemple, utilisent ce moyen qui leur permet d'avoir une contraception à l'insu de leur mari. Pour elles, c'était une bonne solution qu'elles arrivaient toujours à payer. On trouvait des solutions et, finalement, ce n'était pas cher par rapport à la durée d'utilisation.

Personne ne s'est plié à la décision nous imposant un prix de 140 francs. Pourquoi ?

Il faut savoir que le pharmacien achète, en général, cet article entre 180 francs et 220 francs, selon les laboratoires. Le prix d'achat par le pharmacien du Nova T, le plus vendu puisqu'il représente la moitié du marché, est de 220 francs. Après application du taux de TVA à 19 %, et non 5,5 % ou 2,1 % comme pour les médicaments, on obtient un prix de 270 francs. Il faut ensuite que le pharmacien prenne une marge. Qu'il prenne 15 ou 20 %, et nous sommes autour de 300 francs. Comment voulez-vous qu'il puisse le facturer 140 francs ?

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : L'objectif du ministère était de faire baisser le prix de vente par le laboratoire.

M. Jean Parrot : Il faut donc faire baisser le prix du fabricant. J'aurais apprécié que l'on démonte la filière et qu'on la remonte, comme on a pu le faire quand on a mis en place le Stéribox pour les toxicomanes. On a clairement dit que c'était un problème de santé publique : on a donc réduit la marge de tous les intervenants, mais on a aussi donné quelque chose à tous. Les pharmaciens ont accepté d'avoir 1,5 franc par boîte ; les grossistes d'avoir 40 centimes par boîte et les fabricants de le réaliser pour 5 francs. Quand on additionne le tout, on le vend à 7 francs et personne n'est lésé. Tout le monde l'est, en fait, puisque personne n'a de véritable marge, mais chacun a un pourcentage, ce qui fait qu'il n'y a pas de rejet.

Or, pour le stérilet, nous allons encore arriver à un blocage et je sais très bien que, comme c'est une vente anecdotique, certains confrères n'en vendront pas. Car il faut bien reconnaître que nous n'en délivrons pas beaucoup. Pour vous donner des chiffres, nous en délivrons actuellement 320 000 boîtes, contre 350 000 boîtes par an auparavant. Ramené à 23 000 officines, cela fait à peu près une boîte par mois par officine. Il existe de plus une douzaine de marques différentes. Certes, quatre font la quasi-totalité du marché, et les autres sont confidentielles. Donc, les pharmaciens les vendront sur commande, s'ils les vendent.

On a abouti à une impasse, parce que l'on n'a pas mis tous les acteurs autour d'une table. Or, nous avons l'habitude de le faire. Une étude comme celle sur le Stéribox a été initiée par l'Ordre. C'était l'époque où nous avions une ministre, Mme Michèle Barzach, médecin et gynécologue elle-même, qui s'était beaucoup investie pour que l'on passe à un autre système que celui de l'interdiction de vente des seringues en pharmacie.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Elle a été très courageuse.

M. Jean Parrot : Oui, elle était très courageuse, mais elle nous avait fait exécuter un virage à 180°. Je puis vous dire qu'à l'époque, je l'avais fait avec bien des difficultés. Dans la profession, nous nous étions fait beaucoup critiquer. Nous avions reçu des volées de bois vert. Mais nous l'avions fait ! Et je crois que les pharmaciens, sur le principe du Stéribox et de la prise en charge du toxicomane, ont bien accepté de jouer le jeu et d'assumer un rôle social.

Pour en revenir au stérilet, il faut recommencer. Ce n'est pas comme cela qu'il faut faire.

Je peux vous adresser le contenu de notre livret sur le Norlevo dès que nous l'aurons validé.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : J'insiste vraiment sur le mythe du 14jour du cycle.

M. Jean Parrot : Je ne sais pas comment ce point a été traité. Nous pouvons peut-être encore agir sur le contenu du livret que nous avons rédigé, bien entendu, avec des gynécologues et des professionnels compétents en ce domaine.

Je voudrais aborder un point supplémentaire, celui de la nécessité d'avoir une meilleure lisibilité en termes de prévention.

Mme Martine-Lignières-Cassou, présidente : Je vous l'accorde. Il faudrait que nous ayons une politique de prévention qui puisse se décliner par sexe et par âge. Je connais moins les problèmes des hommes, mais je vois que, de la contraception à l'IVG en passant par la détection du cancer du sein, l'ostéoporose et la ménopause, une véritable politique de prévention reste à décliner.

Audition de Mme Annick Fayard-Riffiod, conseillère technique
auprès de M. Jack Lang, ministre de l'Education nationale

Réunion du 20 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Annick Fayard-Riffiod, conseillère technique auprès de M. Jack Lang, ministre de l'Education nationale, accompagnée de Mme Nadine Neulat, chef du bureau de l'action sanitaire et sociale du ministère de l'Education nationale.

La Délégation aux droits des femmes s'est vu confier une mission de suivi de l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception du 4 juillet 2001. L'article 24 de cette loi reprend, en les inscrivant dans le code de la santé publique, les dispositions de la loi du 13 décembre 2000 et du protocole national du 27 mars 2001, relatif à la contraception d'urgence en milieu scolaire. Ces textes ont permis aux infirmières scolaires d'administrer à nouveau la pilule du lendemain à des élèves en cas d'urgence et de détresse caractérisée et si aucun médecin ou centre de planification n'est immédiatement accessible.

Nous souhaiterions recueillir de votre part un premier aperçu de l'application de la contraception d'urgence dans les collèges et les lycées et évoquer avec vous quelques difficultés signalées par des collègues de la Délégation : réticence de certains médecins scolaires ou chefs d'établissement à l'application du protocole et divergence d'appréciation entre médecins et infirmières scolaires sur les conditions de son application ; difficultés pour les infirmières à contacter en urgence un médecin ou un centre de planification, notamment dans les petites villes ou en milieu rural ; difficulté de sortie des établissements pour les mineures ; problème de formation des infirmières à ces nouvelles pratiques ; problème de crédits pour l'approvisionnement en Norlevo des pharmacies d'établissements.

Par ailleurs, nous souhaiterions avoir des éclaircissements sur la manière dont est traité, en milieu scolaire, le problème des violences et des agressions sexuelles sur les mineures de moins de 15 ans. Quelle attitude doivent adopter les infirmières scolaires vis-à-vis des autorités administratives ou judiciaires, lorsqu'elles ont connaissance de tels faits ?

Mme Annick Fayard-Riffiod : Deux phases doivent être distinguées : d'une part, la période précédant la promulgation et l'application de la loi du 4 juillet 2001, qui a donné lieu à des mises en _uvre diverses du protocole et a soulevé de nombreuses incertitudes ; d'autre part, la période de mise en _uvre de la loi, qui nous a permis de lever un grand nombre des difficultés d'application.

En ce qui concerne le problème de l'information des personnels, je commencerai par souligner que l'Education nationale a fait, ces dernières années, un effort considérable de recrutement de personnels, notamment de santé - particulièrement médecins et infirmières. Voici d'ailleurs quelques chiffres. Entre la rentrée 1997 et la rentrée 2001, le taux d'encadrement est passé d'une infirmière pour 2 300 élèves à une infirmière pour 1 960 élèves et d'un médecin pour 6 550 élèves à un médecin pour 5 920 élèves ; il s'est donc considérablement amélioré. Cet effort sera poursuivi, puisqu'au budget 2002, 150 postes d'infirmières et 25 postes de médecins supplémentaires sont inscrits dans le cadre du plan pluriannuel d'éducation. Cet effort est important, car la présence des personnels conditionne l'accueil que nous réservons aux élèves, notamment aux élèves en situation de détresse. Ce personnel doit être accessible et formé, afin de répondre à sa mission d'éducation affective et sexuelle.

D'octobre 2000 à avril 2001, sept séminaires inter-académiques ont été mis en place. Ils nous ont permis de contribuer à la formation très particulière des infirmières à la délivrance du Norlevo. Cette formation a été organisée et conduite en partenariat avec le Mouvement français pour le planning familial et l'Association française nationale pour la contraception. Cette mesure vient s'agréger à un effort plus global de formation à l'éducation affective et sexuelle, entamé dès 1997.

Nous venons d'effectuer un bilan des actions et formations réalisées dans le cadre de la mise en _uvre de l'éducation affective et sexuelle, à laquelle, depuis les circulaires de 1998, deux heures doivent être consacrées.

Cette éducation affective et sexuelle concerne non seulement les infirmières et les médecins, mais aussi les enseignants et les autres personnels de la communauté éducative. Elle sert de relais à l'action des infirmières en charge de l'accueil des élèves, en difficulté ou non. Nous souhaitons, en effet, qu'il y ait une meilleure maîtrise de la fécondité en général et des rapports sexuels entre les jeunes.

Ces sept séminaires inter-académiques ont permis de former mille infirmières, et nous souhaitons faire bénéficier de cette formation l'ensemble des infirmières d'ici à deux ans, en s'appuyant sur les services académiques de formation des personnels. Ces mille infirmières formées couvrent l'ensemble des académies et des départements.

Le bilan spécifique de la contraception d'urgence, que je vais dresser, tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif, porte sur des données relatives aux six premiers mois d'application du protocole. En effet, en raison de l'annulation du protocole et de la parution récente de textes législatifs, il n'y a pas eu de bilan au cours de l'année scolaire 2000/2001 ; en revanche, nous avons prévu un recueil de données, en cours de réalisation, et qui portera sur l'année scolaire 2001/2002, en deux tranches, dont une de septembre à décembre 2001. Nous aurons donc des données pour l'année 2001 à partir du 15 janvier 2002.

Au plan quantitatif, selon la première évaluation faite, il y a eu 7 084 demandes de Norlevo ; 4 720 provenaient d'élèves mineures et 2 364 d'élèves majeures. Le Norlevo a été délivré à 1 618 élèves, soit 23 % d'entre elles.

Comment se répartissent ces 7 084 demandes ?

Dans les 1 158 collèges qui ont appliqué le protocole, il y a eu 1 368 demandes d'élèves, dont 1 313 étaient mineures ; sur ces 1 368 demandes, 316 élèves se sont vu délivrer le Norlevo par l'infirmière, soit 23 % des demandes.

Dans les 585 lycées qui ont appliqué le protocole, il y a eu 4 209 demandes d'élèves, dont 2 602 mineures ; les infirmières ont délivré le Norlevo à 968 élèves, soit 23 % des demandes.

En ce qui concerne les lycées professionnels, 437 d'entre eux ont appliqué le protocole ; 1 497 demandes ont été formulées par des élèves, dont 805 mineures. Le Norlevo a été délivré par les infirmières à 333 élèves, soit 22 % des demandes.

Le taux de délivrance, par rapport au taux des demandes est constant. Cela veut dire que l'approche est conforme à l'esprit du protocole et à l'esprit de la loi ; en effet, le Norlevo doit être délivré à titre exceptionnel, dans des situations de détresse, et lorsque ces élèves ne peuvent pas avoir recours à d'autres modalités - un centre de planning familial ou un médecin.

Bien entendu, dans tous les cas, comme le prévoit le protocole, l'infirmière a orienté toutes les élèves vers un centre de planification - aussi bien celles qui ont bénéficié du Norlevo que les autres. En effet, nous avons le souci d'assurer une meilleure maîtrise de la fécondité et donc de s'assurer d'un suivi éducatif, notamment par le Planning familial. Nous pouvons considérer cette orientation comme une démarche de sensibilisation et d'information sur la contraception en général.

50 % des élèves ont été suivies par un centre de planification, 39 % par l'infirmière, 8 % par un médecin et environ 3 % ont fait l'objet d'un suivi par une assistante sociale. Ce suivi, au cas par cas, très personnalisé, est fonction des relations de confiance instaurées entre l'élève et les personnels.

Sur le plan qualitatif, nous pouvons estimer que l'esprit du protocole - écouter les difficultés des élèves, les guider, et, en cas d'extrême urgence, administrer une contraception - a été respecté. En effet, le bilan quantitatif montre qu'il y a deux administrations de cette contraception par l'infirmière pour dix demandes d'élèves.

Voyons maintenant les impacts positifs du dispositif. Il a tout d'abord permis de répondre à des situations d'urgence. Il a également entraîné une augmentation de la fréquentation des centres de planification familiale et du Planning familial par les adolescentes. Par ailleurs, il a permis une extension de la couverture géographique, puisque nous arrivons maintenant à toucher les zones géographiques les plus éloignées, notamment le milieu rural, où nous avions de grandes difficultés à contacter en urgence un médecin ou le Planning familial, en raison des problèmes de transport. La délivrance du Norlevo par les infirmières, en situation de détresse avérée ou de grande urgence, permet de répondre à un certain nombre de ces difficultés et donc d'inégalités de fait entre les jeunes filles.

Avant de revenir sur les difficultés que vous avez abordées, je souhaiterais faire également un bilan des actions de formation en éducation à la sexualité.

Les orientations en matière d'éducation à la sexualité ont été définies par la circulaire du 19 novembre 1998, modifiant la circulaire du 15 avril 1996, annulée par le Conseil d'Etat. Un premier état des lieux, réalisé en 1997, a porté sur la mise en _uvre des actions de 1995 à 1997. En fonction des nouvelles orientations définies par la circulaire de 1998, un nouveau bilan du dispositif a été réalisé.

Tout d'abord, il convient de relever une évolution significative des formations de formateurs, des formations d'équipes d'établissement, mais aussi des actions menées auprès et avec les élèves. On dénombre actuellement 204 formateurs de formateurs - ressource qui nous manquait cruellement pour mettre en _uvre des heures d'éducation à la sexualité - répartis dans seize académies. A terme, notre objectif est que chaque académie dispose d'une équipe de formateurs capables d'organiser les formations des personnels et d'assurer le suivi des équipes d'établissement. 10 260 personnes ont été formées pour organiser et animer les séquences d'éducation à la sexualité auprès des élèves, donc une augmentation très nette des personnes formées, puisqu'en 1997 nous n'en démembrions que 3 000. Par ailleurs, il y a eu une implication très importante de l'ensemble des enseignants dans ce dispositif, et pas seulement des enseignants de biologie ou de sciences de la vie. Les axes transversaux - l'éducation à la santé, la relation affective - ont été renforcés et doivent être intégrés dans l'ensemble des matières. Nous pouvons donc espérer avoir de réelles retombées en termes d'éducation affective et sexuelle.

52 % des collèges ont mis en place ces séances, et, parmi ceux-ci, 50 % les ont inscrites dans leur projet d'établissement. Il s'agit d'une avancée significative, parce que leur inscription dans le projet d'établissement leur confère un statut incontournable. Par ailleurs, la campagne nationale sur la contraception a pu s'intégrer dans ce cadre et bénéficier d'un meilleur accompagnement éducatif par les personnels de l'établissement. Nous pouvons donc penser que la mise en _uvre de la loi du 4 juillet 2001 sera favorisée par l'ensemble de ces mesures.

Nous notons également des progrès au plan qualitatif. Le bilan des actions menées avec les élèves témoigne de l'intérêt et de la satisfaction des élèves pour ces séances. Il existe une très forte demande de leur part. Ce travail a également modifié l'ambiance de travail des établissements, en ouvrant de nouvelles possibilités d'espace de parole et d'écoute entre adultes et adolescents.

En ce qui concerne les personnels, l'opportunité de travailler à un projet commun autour du projet d'établissement, de travailler en équipe - effet non négligeable - et de travailler à des dynamiques pédagogiques relationnelles et partenariales au sein des établissements, a été ressentie comme positive.

Le précédent bilan de 1997 avait mis l'accent sur les difficultés liées à l'accompagnement pédagogique et aux formations de formateurs académiques. Nous avons donc mis en place des réponses dans ce domaine, avec la réalisation de documents pédagogiques, notamment les fameux repères pour l'éducation à la sexualité, les mallettes "bonheur d'aimer". Nous avons également mis en place une formation universitaire d'une année.

Néanmoins, des difficultés subsistent. En dépit de l'évolution très satisfaisante du dispositif, toutes les académies ne sont pas couvertes. Il nous reste encore beaucoup à faire, et, notamment, à soutenir ce dispositif, afin d'éviter tout essoufflement. Nous avons la volonté d'améliorer les orientations des académies ; déjà nous relayons ces orientations - par exemple, à l'échelon d'un établissement -, et il est important de renforcer le volet santé des projets académiques. Avec des orientations claires, nous devrions alors pouvoir étendre complètement ce dispositif.

Deux axes seront retenus : d'une part, l'inscription de l'éducation à la sexualité dans le cadre de la politique de santé des académies, en tenant compte des orientations définies au niveau national et du contexte local ; d'autre part, le travail en réseau et l'ouverture à un partenariat plus vaste.

J'aborderai maintenant les perspectives.

Selon l'article L. 312-16 du code de l'éducation : "Une information et une éducation à la sexualité doivent être dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âges homogènes". Ces séances peuvent bien entendu associer d'autres personnels que les personnels de l'Education nationale.

Qu'en est-il de la mise en _uvre de cet article ? Tout d'abord, le décret d'application est en cours d'élaboration. Ensuite, en ce qui concerne les modalités horaires et pédagogiques, il convient de distinguer les trois niveaux d'enseignement - primaire, collège et lycée -, sachant que les contenus et l'approche seront extrêmement différents. Il nous a paru opportun, pour l'école primaire, que cette mesure soit intégrée dans le cadre des nouveaux programmes, actuellement en cours d'élaboration. Elle englobe à la fois le renforcement des compétences psychosociales - le respect de l'autre, de soi-même... -, et les apports plus particuliers sur la connaissance du corps - les aspects relationnels, les aspects de différenciations sexuelles -.

Mme Danielle Bousquet : Les enseignants qui transmettent cette information aux élèves de l'école élémentaire, ont-ils reçu une formation particulière ?

Mme Annick Fayard-Riffiod : Les formations à l'éducation affective et sexuelle, et plus globalement les formations d'éducation à la santé, n'existent pas dans tous les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Néanmoins, certains d'entre eux se sont plus particulièrement interrogés à ce sujet : certains IUFM (celui d'Auvergne, notamment) ont réalisé un important travail sur l'éducation à la santé. Nous souhaitons que tous les IUFM disposent de capacités de formation dans ce domaine ; nous y travaillons. Demain, par exemple, je rencontrerai M. Philippe Mérieux, chargé de mettre en place les formations de formateurs dans l'ensemble des IUFM. La formation est actuellement très variable selon les IUFM : parfois, elle n'est que de quelques heures, d'autres fois d'une journée, et avec des partenariats différents selon les ressources locales ; il existe par exemple des modules très spécifiques sur la connaissance de l'enfant et de l'adolescent.

Mme Danielle Bousquet : J'ai pu constater que cette formation n'était pas intégrée, alors qu'elle est indispensable aux enseignants.

Mme Annick Fayard-Riffiod : C'est la raison pour laquelle j'ai précisé que l'on ne pouvait pas former uniquement les personnels de santé et qu'il fallait élargir ce dispositif aux enseignants.

Nous avons travaillé à la mise en place, - notamment dans le cadre de la prévention des conduites à risque avec la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie - de formations de ce type, ouvertes non seulement aux personnels de santé, mais également aux enseignants ; cela permet de démultiplier les actions, d'avoir une plus grande efficacité, d'avoir plus de relais, d'aller plus en profondeur. Par ailleurs, un député est actuellement chargé d'une mission relative à la mise en _uvre par les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté des objectifs relatifs aux conduites à risque. Nous avons donc le même souci que vous, celui d'arriver à des solutions efficaces permettant d'assurer une grande égalité de couverture du territoire.

Au collège, le cadre réglementaire remonte à 1998, ce qui nous permet de nous appuyer sur des expériences. Avec les deux heures déjà consacrées à l'éducation affective et sexuelle, nous pouvons davantage respecter nos obligations.

Pour le lycée, nous avons mis en place un groupe de travail, composé notamment du délégué à la vie lycéenne, en vue de proposer un texte qui définirait les modalités du contenu et de l'accès des lycéens aux séances d'éducation affective et sexuelle. Certains lycées se mobilisent déjà dans ce domaine, notamment pour la lutte contre le sida.

Il est difficile de trouver les modalités pédagogiques adaptées à la fois à l'âge de ces jeunes et à leurs besoins ; ceux-ci changent en fonction du cycle et des personnes auxquelles on s'adresse, ainsi qu'en fonction du contexte ; je pense aux départements d'outre-mer.

Mme  Martine Lignières-Cassou, présidente : Je voudrais vous signaler une erreur dans le programme de biologie des premières concernant le 14e jour du cycle, qui a des effets catastrophiques sur les adolescentes.

Mme Nadine Neulat : On nous a effectivement signalé cette erreur et nous avons déjà saisi l'inspection générale, responsable des programmes. Cependant, la fabrication des manuels est de la responsabilité des éditeurs et non pas de l'Education nationale. Le bureau des programmes de la direction de l'enseignement scolaire a donc saisi l'ensemble des éditeurs pour leur signaler cette erreur.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Ces manuels font une présentation très théorique du cycle féminin, préjudiciable dans la mesure où elle laisse place à des pseudo-méthodes contraceptives. Il convient donc effectivement de disposer d'autres documents ; certaines brochures, extrêmement bien faites, sortent de cette présentation théorique du cycle, qui n'est vraie que pour une "femme statistique" et qui ne correspond pas à la réalité.

Mme Nadine Neulat : Nous pouvons tout de même penser que les professeurs de biologie sont compétents et rétabliront les choses.

Mme  Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans les enquêtes effectuées par Mme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CEVIPOF, et par le Planning familial, cet élément est relevé de façon assez marquée.

Mme Danielle Bousquet : Les enseignants ne sont pas forcément aptes à aborder, avec les jeunes, des questions pour lesquelles ils n'ont pas été formés. Ils vont parler de la sexualité en fonction d'eux-mêmes ; la plupart du temps, ils ne vont pas en parler du tout. Et les adolescentes n'auront pour référence que ce qui est écrit dans les manuels.

Mme Nadine Neulat : Dans ces manuels, sont données des connaissances scientifiques sur la reproduction ; ce n'est pas de l'éducation affective et sexuelle.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Je suis d'accord avec vous, mesdames les députées, car j'estime, tout d'abord, que les manuels devraient avoir une autre approche de cette question ; actuellement, elle laisse place à des pseudo-méthodes et leur donne une fausse base scientifique. Ensuite, il est effectivement très gênant que ce soit écrit ; cette approche prend alors une grande force parce que, pour un élève, ce qui est écrit dans un manuel scolaire vaut loi.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons rencontré, la semaine dernière, le président du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens. Il nous a indiqué que, par convention entre l'Ordre des pharmaciens et la CNAMTS, allait être mise au point une brochure d'information sur la contraception d'urgence, qui devra être remise à l'adolescente par les pharmaciens délivrant le Norlevo. Nous leur avons demandé d'évoquer aussi le fameux 14e jour du cycle. Mais peut-être est-ce une question qui relève également des infirmières scolaires. Avez-vous eu des échos à ce sujet ?

Mme Annick Fayard-Riffiod : Il est souhaitable que les manuels en cours d'élaboration puissent avoir une autre approche de cette problématique. Par ailleurs, il convient de souligner qu'il n'est parfois pas facile, même si l'on est formé, de parler de sexualité, car il convient déjà d'être à l'aise avec sa propre sexualité. Tout le monde n'a pas forcément envie d'animer des séances d'éducation affective et sexuelle. C'est une difficulté : pouvons-nous contraindre des personnels, parce qu'ils ont la responsabilité d'une classe, d'animer des séances qui touchent à des sujets, pour lesquels ils ne sont pas forcément à l'aise, en dépit d'une formation ? Il est donc important de s'ouvrir vers des partenariats extérieurs, d'autant qu'il est parfois plus facile, pour les élèves, de parler à un tiers qu'à son enseignant. Nous nous sommes également aperçus que les adultes intervenant ne devaient pas être uniquement des femmes et que les élèves étaient désireux d'entendre aussi des hommes parler de ces problèmes.

Mme Danielle Bousquet : Disposez-vous d'une liste de partenaires agréés par l'Education nationale, ce qui permettrait d'exercer une vigilance sur leurs propos ?

Mme Annick Fayard-Riffiod : Nous sommes vigilants. On nous a même parfois reproché de l'être trop, de ne pas être assez ouverts à des partenaires extérieurs. Dans la majorité des cas, nous faisons appel à des réseaux reconnus, tels que le Planning familial ou l'Association française pour la contraception. C'est une sécurité à la fois pour les chefs d'établissement et pour les personnels ; en effet, lorsqu'il s'agit de personnels extérieurs, ils souhaitent souvent qu'il n'y ait pas de personne référente de l'établissement présente aux séances éducatives.

Mme Nadine Neulat : Une commission nationale d'agrément des associations à l'Education nationale donne un agrément aux grandes associations et aux grands réseaux. Nous avons donc des garanties, même si l'on ne peut pas obtenir une garantie totale pour chaque intervenant. Par ailleurs, presque tous les rectorats disposent d'une commission académique d'agrément des associations, qui conseille les chefs d'établissement s'ils le souhaitent.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Je vais maintenant répondre plus précisément aux difficultés que vous avez évoquées. S'agissant des centres de planification familiale, nous avions relevé l'incompatibilité des jours et horaires d'ouverture - deux ou trois jours par semaine, parfois seulement jusqu'à 17 heures -, la difficulté d'obtenir un rendez-vous, notamment en urgence, et les problèmes de transports vers ces centres - particulièrement en milieu rural. Cette situation est encore plus problématique s'il n'y a pas de pharmacie à proximité. C'est la raison pour laquelle il était important que les infirmières scolaires puissent délivrer le Norlevo.

Avant la loi du 4 juillet 2001, nous avions noté certaines difficultés, notamment des refus de chefs d'établissement à appliquer le protocole ; aujourd'hui ces difficultés sont levées.

Mme  Martine Lignières-Cassou, présidente : Un cinquième des collèges seulement appliquait le protocole !

Mme Nadine Neulat : Cette situation était compréhensible, eu égard aux difficultés d'application de la loi.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Certes, mais il me semble que cet élément d'appréciation devrait être pris en compte dans le bilan que vous présenterez le 15 janvier : il faudrait disposer de renseignements sur la proportion de collèges et de lycées appliquant le protocole après le vote de la loi.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Nous avons travaillé sur la définition de postes mixtes, la taille des établissements étant extrêmement variable. Bien entendu, il est nécessaire d'améliorer la couverture et le recrutement des personnels.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pourriez-vous préciser ce que vous appelez postes mixtes ?

Mme Nadine Neulat : Il y a une redéfinition du taux de couverture des infirmières scolaires, suite aux circulaires de janvier 2001, qui attribuent à chaque infirmière un rattachement administratif à un collège - ou deux, quand cela est nécessaire -. Les zones de recrutement ont été redessinées dans la plupart des académies pour que l'ensemble des établissements soit couvert. Bien entendu, il n'y a pas d'infirmière à temps complet dans tous les collèges. Cependant, l'infirmière peut être contactée en cas d'urgence.

Mme Danielle Bousquet : Effectivement, dans la réalité, les petits collèges situés dans les zones rurales, bénéficient d'une infirmière une demi-journée ou deux par semaine ; celle-ci est dans les autres collèges, le reste du temps. Cela peut expliquer certaines difficultés.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé prévoit la création de réseaux entre des établissements de santé, des médecins libéraux, etc. L'article 57 relatif à la mise en place des réseaux de santé ne vise ni les centres de planification, ni le travail en réseau entre infirmières libérales et infirmières des secteurs scolaires. Pourtant, il me semble utile que les centres de planification et les médecins travaillent de concert. Comment mettre en place un système englobant l'Education nationale, des infirmières et des médecins libéraux et les centres de planification ? Avez-vous réfléchi à cette question ?

Mme Annick Fayard-Riffiod : Nous réfléchissons de façon plus globale. Comme vous le savez, il existe aujourd'hui, depuis la mise en place des conférences nationales et régionales de santé, des programmes régionaux de santé. Or, cinq d'entre eux sont consacrés à la santé des enfants et des jeunes. Lorsque ces programmes sont concernés, une consultation des acteurs s'effectue, ce qui favorise leur coordination et leur mise en réseau. Parmi ces acteurs, nous retrouvons les collectivités territoriales, les médecins libéraux, les médecins hospitaliers, les agences régionales de l'hospitalisation, les centres de PMI, etc. Cela leur permet de travailler avec des objectifs communs. Cette problématique pourrait donc peut-être figurer dans l'un des axes de ces programmes régionaux de santé qui allient tous les acteurs. Dans les régions où ces programmes de santé sont mis en _uvre, les recteurs sont incités à y participer.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé prévoit également des conseils régionaux de santé.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Jusqu'à présent, la santé n'était pas de la compétence des régions, mais principalement des départements et de l'Etat. En revanche, au niveau régional, dans un objectif de démocratie sanitaire, étaient organisées des conférences nationales et régionales de santé. Par ailleurs, il existait également des comités politiques régionaux de santé, pilotés et coordonnés par le préfet de région.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ces comités vont être transformés dans le cadre de la loi sur les droits des malades en conseils régionaux de santé. Il conviendrait donc de s'assurer que la part de la prévention et de l'éducation a bien été prise en compte dans leurs missions.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Cela dépend des régions et des priorités qu'elles ont définies. Les programmes régionaux de santé mis en _uvre le sont en fonction des priorités relevées dans les régions en 1996. Par exemple, dans les régions où les jeunes sont nombreux, on trouvera de façon marquée des programmes régionaux de santé enfants et jeunes : je pense notamment à la région Nord-Pas-de-Calais. Certaines régions souhaitent également renverser des tendances laissant présager de mauvais indicateurs de santé. Ainsi, le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie ont mis en _uvre de tels programmes afin d'obtenir de meilleurs indicateurs, grâce à la prévention.

Je pense qu'il convient de travailler dans une perspective d'ouverture. Ces programmes régionaux de santé pourraient être l'occasion de le faire. Nous travaillons, par exemple, sur les projets académiques de santé, en cohérence avec les programmes jeune-santé.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Autre difficulté, le budget de fonctionnement des établissements : les infirmières ne disposent pas d'un budget très important, ce qui ne rend pas facile l'acquisition du Norlevo. Des collègues nous ont également appris que certains conseils d'administration d'établissements s'étaient opposés à l'achat du Norlevo par les infirmières.

Envisagez-vous un protocole national - ou des protocoles académiques - avec l'Ordre des pharmaciens qui permettrait aux infirmières d'être approvisionnées plus facilement en Norlevo ? Cette question des crédits pour l'approvisionnement en Norlevo devrait cependant être réglée, à partir du moment où cette pilule sera remboursée aux mineures par la Sécurité sociale.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Nous sommes tout à fait prêts à étudier la mise en place d'un tel protocole. Cela serait effectivement très intéressant.

En ce qui concerne les difficultés que vous venez d'évoquer, nous n'avons pas eu beaucoup d'échos en ce sens. En effet, le budget de fonctionnement de l'infirmerie est inscrit au compte 6066 des établissements et peut être abondé pour le financement du Norlevo. Cela n'est donc pas laissé à la libre appréciation des chefs d'établissement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette difficulté existait avant la loi du 4 juillet 2001, lorsqu'il n'y avait que le protocole.

Mme Nadine Neulat : Avec le nouveau bilan, nous verrons ce qu'il en est depuis l'adoption de la loi.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Vous avez également évoqué les réticences de certains médecins et chefs d'établissement. Là encore, c'était avant la loi du 4 juillet 2001 ; nous étudierons donc cette question dans le prochain bilan.

Mme Danielle Bousquet : Je voudrais revenir sur la question de la formation. Je suis tout à fait d'accord lorsque vous dites que ce n'est pas parce que l'on a été formé que l'on est capable d'enseigner l'éducation affective et sexuelle ; cependant, c'est une condition nécessaire. J'aimerais donc savoir si cette question est abordée dans la formation continue. Quelle est votre évaluation des premiers plans académiques de formation ?

Mme Nadine Neulat : Nous avons déjà engagé cette politique de formation depuis plusieurs années. Un socle de 10 000 personnes a déjà été formé, qui comprend des infirmières, des médecins et des enseignants (40 % d'entre elles).

Mme Danielle Bousquet : Il y a 800 000 enseignants !

Mme Nadine Neulat : Certes, mais nous jouons beaucoup sur le volontariat et la motivation personnelle. Bien entendu, il y a également des injonctions, mais il faut une véritable motivation pour s'inscrire à ce type de stage. Nous avons mené une politique très volontariste en termes de formation. Une formation très structurée et très complète envisage tous les aspects de l'éducation à la sexualité - éthiques, sociaux, etc. Nous pourrons d'ailleurs vous faire parvenir les contenus des modules. Cependant, je suis tout à fait d'accord avec vous : il n'y a jamais assez d'enseignants formés.

En termes de formation continue, des orientations sont données au niveau national - pour les plans académiques -, puis chaque recteur organise dans son académie son plan de formation. Il faut donc, là aussi, que les personnels, dont c'est la mission, s'inscrivent à ces stages.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lors de l'examen de la proposition de loi sur le Norlevo, l'année dernière, nous avions reçu des lycéens ; certains nous ont dit qu'ils souhaitaient être formés afin de diffuser l'information ; en effet, une grande partie de l'information passe par les jeunes eux-mêmes.

Mme Annick Fayard-Riffiod : C'est ce que nous appelons l'éducation par les pairs, qui peut être effectivement très efficace. Des jeunes qui s'adressent à des jeunes : l'idée est intéressante. Pour l'instant, nous avons souhaité avoir des adultes référents - cela nous paraît important - qui sont une garantie pour les élèves. Si nous envisagions des formations de lycéens, nous devrions mettre en place des formations d'une grande qualité, parce que certains effets peuvent être induits au cours de ces formations, je pense notamment aux effets leaders. Il conviendrait donc d'assurer une aussi grande qualité - une aussi grande écoute - que celle proposée aux adultes référents.

Cette solution peut-être intéressante pour tout ce qui est transmission des connaissances et des informations, si les jeunes concernés sont partie prenante de l'ensemble du dispositif. Nous devons travailler non pas pour, mais avec les jeunes. Cependant, l'accompagnement de l'adulte est nécessaire dans le processus éducatif - il n'y a pas d'auto-éducation. C'est notre mission d'adulte d'accompagner les jeunes. Une éducation, c'est construire un projet pédagogique, et être responsable de l'accompagnement du jeune dans son cheminement vers l'objectif pédagogique que nous nous sommes fixé. Nous ne pouvons pas tout déléguer. Les jeunes doivent être acteurs, participer à des processus pédagogiques actifs ; il est intéressant de ne pas se priver de la culture jeune, par exemple et de toutes ses richesses ; mais nous devons aussi être conscients et garder nos responsabilités d'adultes face à un processus éducatif.

Mme Odette Casanova : C'est aussi la raison pour laquelle je pense qu'un enseignant ne peut pas toujours déléguer à un intervenant extérieur ; il doit, s'il délègue, être partie prenante. L'enseignant ne doit pas se décharger complètement ; les élèves doivent sentir qu'il participe à ce projet.

Par ailleurs, lorsque vous évoquiez les problèmes de contraception, j'ai pensé, malgré moi, à la violence. Il me semble que le jeune enseignant sortant de l'IUFM doit être à l'écoute de tous ces problèmes ; non pas forcément être formateur, mais les prendre en compte.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Je partage votre souci d'efficacité et de qualité. C'est la raison pour laquelle je faisais la différence entre la transmission de l'information et l'éducation. Lorsque je vous parle d'éducation affective et sexuelle, cela implique un projet sur six mois ou une année, à construire avec une équipe - état des lieux, âge de l'enfant, etc.

Il est important d'avoir des intervenants extérieurs, mais nous devons avoir des exigences de qualité. Nous devons renforcer la formation des personnels, afin qu'ils soient capables de choisir les intervenants et de construire des projets pédagogiques. Il y a un problème de qualité à la fois de la demande et de l'offre. Du côté de l'offre, des personnes qui veulent vraiment une éducation à la santé de qualité vont essayer d'étudier cette demande - faire un véritable diagnostic et transformer la demande. Du côté de la demande, certaines personnes proposent des projets avec de véritables états des lieux, dégagent des priorités, travaillent sur les méthodes qui seront utilisées et les relais qui seront proposés, travaillent avec les enseignants, les conseillers principaux d'éducation, l'assistante sociale, l'infirmière, etc. C'est contraignant.

Les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté sont importants, car ils permettent de constituer des équipes et de travailler autour d'un projet pédagogique, non seulement ponctuellement, mais également dans le cadre d'une année, et d'enchaîner d'une année sur l'autre..

Pour construire un projet pédagogique, nous avons besoin d'adultes référents, et il faut, dans ces domaines transversaux, que ces projets soient portés par des équipes. Cela ne peut pas reposer sur une personne seule, quelle que soit sa compétence. Il s'agit d'une méthode d'intervention assez complexe, qui demande à la fois formation et qualité.

En ce qui concerne les violences et les agressions sexuelles...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette question a été soulevée par l'une de nos collègues. Des infirmières scolaires de sa circonscription, qui ont eu à connaître ce type de violences sur des mineures de moins de 15 ans, se demandaient quelle attitude avoir par rapport aux autorités administratives et judiciaires.

Mme Nadine Neulat : Il existe déjà des instructions claires relatives aux violences sexuelles : la circulaire de 1997. Il est inquiétant que se pose ce type de question ! Le code pénal prévoit la majorité sexuelle à 15 ans et précise que l'infirmière doit signaler les violences sexuelles au procureur. Toute infirmière qui a connaissance d'une violence sexuelle avérée doit appliquer la loi.

Le problème vient peut-être de la relation entre la confidentialité et la manière dont la mineure vient se confier à une infirmière, et le fait de signaler une violence sexuelle. Mais il n'y a pas d'état d'âme à avoir, l'infirmière doit la signaler directement au procureur, comme tout fonctionnaire.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Nous nous efforçons de mieux repérer les violences sexuelles et les situations de risque de danger, notamment en informant et en rendant vigilants les adultes de la communauté scolaire. Un certain nombre de conventions ont été signées pour la prise en charge des victimes et de leurs familles, notamment entre l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) et l'Education nationale. Par ailleurs, des centres de ressources départementaux ont été mis en place - je pense à celui du Pas-de-Calais. De nouvelles mesures ont été annoncées par le ministre de l'Education nationale à la suite du rapport de Mme Nicole Belloubet-Frier, rectrice de l'Académie de Toulouse.

Mme Nadine Neulat : Une première circulaire a déjà été signée par le ministre au mois de mars 2001 : elle rappelle aux académies et aux départements les obligations découlant des dispositions de la circulaire de 1997 sur le signalement des violences sexuelles et elle déroule un programme d'actions qui fait suite au rapport de Mme Nicole Belloubet-Frier. Ce programme, que nous sommes en train de mettre en _uvre, comporte notamment la formation et la sensibilisation de tous les inspecteurs de l'Education nationale. Ce rapport vient d'être rendu public, à la suite du lancement de la campagne sur l'école du respect.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Ce rapport a formulé un certain nombre de propositions pour lutter contre les violences sexuelles dans les établissements scolaires. A la suite de ce rapport, le ministre de l'Education nationale a lui-même proposé cinq mesures : un projet de décret sur la maltraitance, qui institue une information à tous les niveaux de la scolarité sur la maltraitance ; une formation de tous les inspecteurs de l'Education nationale sur le repérage et le traitement des situations de violence sexuelles - cinq séminaires, d'octobre à décembre, sont prévus-, ...

Mme Nadine Neulat : Nous en avons déjà tenu quatre, et le dernier aura lieu en décembre.

Mme Annick Fayard-Riffiod : ... la diffusion d'un guide de repères pour la prévention des violences sexuelles à l'ensemble des personnels, la mise en ligne sur le site www.eduscol.education.fr, ainsi que la généralisation des centres de ressources départementaux.

Mme Nadine Neulat : Nous avons tenu deux séminaires de relance de ces centres départementaux, qui avaient été instaurés par la circulaire de 1997, mais qui étaient inégalement mis en place jusqu'à présent.

Mme Annick Fayard-Riffiod : L'idée est d'inciter fortement les adultes à signaler les actes de violence.

Mme Nadine Neulat : En tout cas, lorsqu'il y a violences avérées. Dans ce cas, il n'y a aucun doute, un signalement doit être fait au parquet. Par ailleurs, un rapport national du médiateur de l'Education nationale, M. Jacky Simon, été rendu public, le 21 mai 2001. Il a trait notamment aux problèmes de violence concernant des personnels et des parents d'élèves.

Mme Annick Fayard-Riffiod : Récemment, le ministre a tenu une conférence de presse sur ce problème de violence à l'école. Je vous propose de vous communiquer un dossier complet sur ce problème et nous vous indiquerons tous les contacts dont vous pourriez avoir besoin.

Audition de Mmes Brigitte Le Chevert, secrétaire générale,
et Jacqueline Le Roux, secrétaire générale adjointe,
du syndicat national des infirmières et conseillères de santé - FSU (SNICS-FSU)

Réunion du 27 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Brigitte Le Chevert, secrétaire générale du SNICS-FSU, accompagnée de Mme Jacqueline Le Roux, secrétaire générale adjointe.

Le président de la commission des affaires, culturelles, familiales et sociales a confié à la Délégation aux droits des femmes une mission de suivi de l'application de la loi du 4 juillet 2001 sur l'IVG et la contraception, dont l'article 24 reprend les termes de la loi du 13 juillet 2000 et du protocole national du 27 mars 2001, relatifs à la contraception d'urgence.

Ces deux textes ont permis à nouveau aux infirmières scolaires de délivrer la pilule du lendemain, à titre exceptionnel, à des élèves en situation de détresse caractérisée, et si aucun médecin ou centre de planification n'est immédiatement accessible, selon les termes du protocole.

Nous souhaiterions recueillir de votre part un aperçu de l'application de la contraception d'urgence et évoquer avec vous des difficultés qui nous ont été signalées par des collègues de la Délégation, à savoir :

- réticences de certains médecins scolaires ou de chefs d'établissement à l'application du protocole ;

- difficultés pour les infirmières à contacter en urgence un médecin ou un centre de planification, en particulier dans les petites villes ou en milieu rural et, pour les mineures, difficultés de sortie de l'établissement ;

- problème de formation des infirmières à ces nouvelles pratiques ;

- insuffisance du nombre des infirmières scolaires dans les établissements pour assurer convenablement cette tâche, sachant que le taux d'encadrement est aujourd'hui dans les établissements, d'une infirmière pour 2 200 élèves environ ;

- problèmes de crédits pour l'approvisionnement en Norlevo des pharmacies d'établissement.

Par ailleurs, nous souhaiterions avoir des éclaircissements sur la manière dont est traité le problème des violences et des agressions sexuelles en milieu scolaire, notamment sur les mineures de moins de 15 ans, et sur l'attitude que doivent adopter les infirmières quand elles ont connaissance de tels faits, en application de la circulaire de 1997 concernant les violences sexuelles. La délivrance de la contraception d'urgence a-t-elle mis en lumière un certain nombre de ces faits ?

Mme Brigitte Le Chevert : J'aborderai, en premier lieu, les difficultés que nous pouvons rencontrer avec les médecins et quelques chefs d'établissement. Il serait important que les infirmières, ainsi que les chefs d'établissement, sachent que ce sont les conseils d'administration qui décident des protocoles et que le chef d'établissement, de son propre chef, ne peut interdire l'application de la loi.

S'agissant des médecins, nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers avec les médecins de ville ou hospitaliers, mais nous en rencontrons avec ceux de l'Education nationale. Ce ne sont jamais des écrits que l'on peut prouver, mais plutôt des pressions insupportables exercées sur les infirmières, par le rappel de la responsabilité qu'elles prennent, si jamais un parent d'élève l'apprenait, etc., qui conduisent certaines infirmières à prendre peur. C'est un élément très prégnant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le vivez-vous au quotidien ?

Mme Brigitte Le Chevert : Tout à fait. Nous sommes fatiguées de cet état de fait. Il y a eu un débat avant l'adoption de la loi et il continue depuis. Nous nous demandons où est l'intérêt des jeunes.

Les difficultés rencontrées par les infirmières sont aussi d'ordre financier, mais ce n'est jamais un problème majeur. Quand les infirmières évoquent un problème financier, comme il y a peu de demandes de pilules du lendemain, on peut supposer que c'est l'arbre qui cache la forêt, c'est-à-dire qu'il existe un autre problème.

En ce qui concerne la sortie des mineures de l'établissement, ce n'est plus aujourd'hui une difficulté. Cela l'a été pendant six mois, pendant la période où nous n'avions plus le droit de donner la pilule du lendemain. Nous avions alors rencontré de vrais problèmes, lorsque Jack Lang avait autorisé les jeunes à sortir de l'établissement. La situation n'est d'ailleurs pas la même pour les lycées et les collèges. Dans les lycées, les jeunes peuvent rentrer et sortir de l'établissement sans autorisation, tandis que dans les collèges, dès lors qu'une jeune fille était autorisée à sortir, tout le monde savait que c'était parce qu'il lui fallait la pilule du lendemain. Il convenait de trouver un autre système afin de protéger l'intimité de cette jeune fille.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est une difficulté qui est levée depuis la promulgation de la loi du 4 juillet 2001.

Mme Brigitte Le Chevert : Oui. Mais ce qui nous pose maintenant problème, c'est la rédaction du protocole d'application sur les infirmières. Lorsqu'il a été soumis au Conseil supérieur de l'éducation, il indiquait que l'infirmière administre la contraception d'urgence en cas de détresse caractérisée ou en cas d'impossibilité d'accessibilité du médecin. Cette rédaction était bonne, car chaque minute compte dans cette situation. Or, quand ce protocole est revenu de Matignon, ce "ou" avait été transformé en "et".

Selon notre syndicat, la profession d'infirmière est une profession de santé à part entière. L'infirmière est responsable de ses actes et doit prendre ses responsabilités. Si la jeune fille a parlé de sa situation à l'infirmière et non pas à sa mère, à sa s_ur ou à une autre personne, c'est qu'elle a confiance en l'infirmière et, comme elle est en situation de détresse, c'est à l'infirmière qu'il revient d'agir.

Lorsqu'il est dit "en cas d'absence du médecin", il n'y a pas un endroit en France où il y a absence de médecin. Partout, un médecin peut immédiatement intervenir. Le fait d'avoir changé le "ou" en "et" a comme conséquence directe qu'une infirmière, qui ne voudrait pas appliquer la loi, ne l'applique pas. Elle peut botter en touche, dire qu'un médecin est disponible et ne pas délivrer la contraception d'urgence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela dit, celles qui veulent botter en touche le feront, quel que soit le texte.

Mme Brigitte Le Chevert : Avant la sortie du protocole, nous avions organisé une formation syndicale de nos collègues dans toutes les académies, en leur indiquant que la loi s'appliquait et qu'elles étaient responsables. Par exemple, si une jeune fille sort de l'infirmerie et que l'infirmière lui a dit qu'il y a des médecins disponibles, si jamais elle va se jeter à l'eau, l'infirmière en sera en partie responsable. Nous mettions nos collègues face à leurs responsabilités d'infirmière. Le "et" a tout fait basculé. Cela a jeté le doute dans les esprits.

Les syndicats qui sont opposés à la délivrance par les infirmières de la pilule du lendemain font une "intox" auprès des collègues en leur indiquant que si elles ne veulent pas donner la pilule du lendemain à une élève, elles ont toujours la possibilité de dire qu'il y a un médecin disponible. Nous avons été déçues par cette modification. Nous n'avons pas voulu communiquer sur ce point pour ne pas faire empirer la situation.

De ce fait, le problème des sorties d'établissement des mineures se pose à nouveau. Une infirmière, qui ne veut pas donner la pilule du lendemain, qui a peur ou qui a subi des pressions de la part des médecins scolaires, doit faire sortir la jeune fille de l'établissement pendant les heures de classe.

En ce qui concerne la formation des infirmières à ces nouvelles pratiques, nous sommes satisfaites qu'il y en ait une. Toutefois, nous souhaiterions qu'elle corresponde au niveau que nous avons nous-mêmes acquis dans le cadre de notre diplôme d'infirmière. Nous demandons une formation par des psychologues ou des gynécologues, sur la relation et le suivi, et non pas une formation en anatomie, physiologie et pathologie, disciplines que nous avons déjà étudié dans le cadre de notre diplôme. En gynécologie et allaitement, nous avons déjà reçu une bonne formation. Il n'est pas nécessaire de nous faire "l'offense" de nous donner des formations dans des domaines que nous avons déjà étudiés. Nous voulons bien former d'autres collègues, mais nous ne voulons pas être formées par des personnes que nous pourrions nous-mêmes former.

En ce qui concerne l'insuffisance des infirmières scolaires, le bât blesse plus que jamais. Le taux d'encadrement est d'une infirmière pour 2 200 élèves. Le taux souvent requis est une infirmière pour un complexe scolaire de 1 500 élèves. La situation est différente en milieu rural, où l'infirmière pourra avoir la charge de trois établissements de 500 élèves. Cela signifie que les élèves ont à peine une infirmière pendant une journée et demie. Nous vous demandons, en tant que femme et mère, de revoir le nombre d'infirmières en termes d'établissement. Ce serait beaucoup plus équitable.

La répartition des infirmières scolaires a été organisée sur le même schéma que celle des médecins et des assistantes sociales. Nous avions rencontré M. Jean-Paul de Gaudemar il y a environ un an, et lui avions expliqué combien nous trouvions anormale cette répartition par rapport au nombre d'élèves et non d'établissements. Il nous a répondu que nous avions raison. Dont acte. En effet, la différence, c'est que la présence des assistantes sociales est liée aux dysfonctionnements sociaux, qui sont plus ou moins fréquents d'un établissement à un autre. En revanche, les jeunes ont partout besoin d'une infirmière pour les questions de sexualité, de violences au quotidien, de mal-être, d'éducation à la santé.

La tâche d'une assistante sociale est de remédier à un dysfonctionnement social. Elle doit être présente en priorité dans les établissements qui connaissent des dysfonctionnements sociaux. En l'absence de dysfonctionnement social, l'élève n'a en général pas besoin de rencontrer une assistante sociale. De même, les médecins de l'Education nationale doivent être présents dans les établissements où il y a un manque flagrant de suivi médical. Souvent, les jeunes sont bien suivis médicalement et ils ont besoin d'une infirmière, mais pas forcément d'un médecin.

Mme Jacqueline Le Roux : Les obligations légales des médecins de l'Education nationale concernent surtout le primaire.

Mme Brigitte Le Chevert : Le code de la santé publique détermine les obligations des médecins scolaires : la visite d'admission des élèves en CP, la surveillance des élèves qui travaillent sur machines dangereuses et les orientations.

En ce qui concerne les violences sexuelles en dessous de 15 ans, nous en découvrons, mais les enseignants, les assistantes sociales et les conseillers d'éducation en découvrent également. Il semble exister une contradiction entre la loi sur la contraception d'urgence et les dispositions du code pénal, selon lesquels la majorité sexuelle se situe à l'âge de 15 ans. Les infirmières ont-elles le droit de donner une contraception d'urgence dans les collèges, où la majorité des élèves ont moins de 15 ans ?

Que doit faire une infirmière quand une élève de 14 ans vient la solliciter pour la contraception d'urgence, compte tenu qu'une circulaire de l'Education nationale de 1997 stipule que tout acte sexuel en dessous de 15 ans doit être considéré comme un viol. Cela pose un vrai problème.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le problème, c'est que les articles du code pénal ne sont pas aussi systématiques que l'affirme la circulaire. Il n'y a pas correspondance totale entre les termes de la circulaire et ceux du code pénal.

Le code pénal ne dit absolument rien en ce qui concerne le viol ou les atteintes sexuelles entre mineurs. Si une mineure a eu une relation sexuelle avec son petit copain du même âge, ce n'est pas du tout considéré comme un viol ou une agression. En revanche, les atteintes sexuelles sans violences provoquées par un majeur sont passibles des sanctions prévues par le code pénal.

Mme Jacqueline Le Roux : Il y a aussi la réalité de la vie et de la société actuelle. On rencontre des jeunes filles qui sont mûres et qui prennent la décision d'avoir des relations sexuelles avec leur petit copain. L'infirmière ne va pas, chaque fois qu'une mineure de moins de 15 ans vient la trouver et en fonction de ce que l'élève lui aura raconté, faire une déclaration. Ce n'est pas possible. On ne peut pas se mettre dans une telle situation. Une telle indication dans une circulaire ne peut que faire peur à la profession et l'empêcher de faire son travail.

Mme Brigitte Le Chevert : Des infirmières se sont trouvées confrontées à des situations où des jeunes filles de moins de 15 ans sont venues les voir, soit parce qu'elles avaient eu des relations sexuelles avec un garçon, soit parce qu'elles voulaient une contraception, soit parce qu'elles avaient peur du sida, soit parce qu'elles souhaitaient une contraception d'urgence, soit tout simplement pour parler, parce qu'elles leur font confiance. Ce n'est pas une situation fréquente. L'âge des relations sexuelles n'a pas baissé. Mais certaines jeunes filles ont leurs règles à 9 ans et, à 14 ans, sont tout à fait mûres.

Quand une jeune fille vient voir l'infirmière pour lui parler, l'infirmière regarde comment elle se comporte et si elle est détendue. Si l'infirmière lui demande si elle a eu envie de ces relations sexuelles et si elle a eu du plaisir, la jeune fille répond oui. Si elle lui demande si son partenaire se protège, elle répond oui. Mais son souhait est quand même d'avoir une contraception. On ne peut pas obligatoirement demander à cette jeune fille si elle l'a dit à ses parents, et sinon lui dire que l'on est dans l'obligation de prévenir le procureur. Si elle vient nous voir, c'est qu'elle a confiance en nous. Nous sommes l'adulte en qui elle a confiance. Cela signifie qu'elle ne le dit à personne d'autre. Pour nous, c'est une élève qu'il va falloir suivre.

Par ailleurs, nous nous posons beaucoup de questions. Si elle a moins de 15 ans, compte tenu de ce qui est précisé dans la circulaire, que doit faire l'infirmière ? Nous sommes ravies que vous vous posiez cette question, car c'est une préoccupation pour notre profession.

Mme Jacqueline Le Roux : Pour nous, la sexualité n'est pas une maladie, c'est la vie. Il n'y a pas d'âge.

Mme Brigitte Le Chevert : Il faut mener aujourd'hui une réflexion sur le métier d'infirmière, que l'on sache que c'est une profession de santé à part entière, avec des responsabilités importantes, et que cette profession veut faire son travail dans le système de l'Education nationale.

Toutefois, cette profession est en danger parce que trop de pressions s'exercent sur nous de part et d'autre, parce que les élèves aiment les infirmières et que cela génère des attitudes négatives à leur égard. Lors des colloques, certains des participants nous rapportent que les gens se demandent ce qui se passe ou se dit dans l'infirmerie.

Mme Jacqueline Le Roux : Nous vivons cela tous les jours, et de plus en plus, ce qui nous étonne d'ailleurs.

Mme Brigitte Le Chevert : Par exemple, il arrive qu'un chef d'établissement vienne dans la salle d'attente. Il est 12 heures 30, il y voit cinq ou six élèves. Il rentre, leur demande ce qu'ils font là. Nous ne voulons pas qu'il agisse ainsi. Alors, nous sortons pour le saluer et dire que ces élèves sont malades. Nous venons à leur rescousse. Les élèves sont désarçonnés par les questions. Nous leur suggérons ensuite de répondre qu'ils sont malades. Nous voulons qu'ils se protègent.

Les élèves viennent à l'infirmerie pour un mal au doigt, un mal au dos, ou un mal au ventre. Ils viennent pour que l'on s'occupe d'eux, parce que nous sommes des infirmières et que nous nous occupons du corps. Les élèves comprennent notre métier, ce que beaucoup d'adultes ne comprennent pas. Ils savent que nous sommes là pour leur bien-être, pour qu'ils soient bien dans leur vie. Nous prenons soin d'eux, et c'est pourquoi ils viennent nous parler. Notre travail n'interfère pas avec celui du psychologue et de l'assistante sociale, car le lien entre l'élève et l'infirmière, c'est le corps.

Mme Jacqueline Le Roux : Cette attitude vaut pour le chef d'établissement, mais aussi pour le médecin scolaire qui passe dans l'établissement. Moi qui entretenais de bonnes relations avec le médecin avec qui je travaillais, j'ai observé cette même réaction.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je n'ai pas souvenir qu'il y a un an et demi, vous ayez exprimé des comportements de cette nature. Ce que vous dites est nouveau.

Mme Brigitte Le Chevert : Avec les médecins scolaires, cela s'est exacerbé.

Avec les enseignants, cela va mieux. Avant, ils se demandaient pourquoi nous gardions autant de temps les élèves. Nous le leur avons expliqué, lors de colloques, par exemple. Nous avons des élèves qui viennent pour un mal de tête, et cela prend du temps à passer. En plus les élèves somatisent.

Mme Conchita Lacuey : Cela peut être révélateur.

Mme Brigitte Le Chevert : Cela peut être un élève qui a peur d'un autre élève, qui est racketté. Cela peut être un enfant dont la maman est malade. Il a entendu que sa mère était atteinte d'un cancer, il sait que sa tante en est morte, et cela le mine. Cette situation lui provoque des maux de tête et il porte cela comme un fardeau. Nous lui expliquons alors ce qu'est le cancer, nous lui demandons s'il veut que l'on prenne contact avec sa maman. Nous parlons et ensuite cela va beaucoup mieux. Nous communiquons beaucoup avec les parents. L'infirmerie est un lieu de parole, dont le fil conducteur est le corps.

Mme Jacqueline Le Roux : A l'extérieur de l'école, les enfants n'ont pas ce type de professionnels de la santé. Lorsque l'on est malade, on va voir le médecin de famille, mais pas forcément une infirmière, dont le rôle est spécifique.

Dans l'acte éducatif, nous sommes là pour aider les enfants et les accompagner tout au long de la scolarité. Nous pensons notamment avoir un rôle très important à l'âge de l'adolescence, où les enfants sont fragiles. Quelquefois, il suffit de notre empathie professionnelle ou de nos compétences pour parler de ce dont ils n'osent pas toujours parler avec les parents ; ainsi nous remettons les choses en place. Quand ils rencontrent des difficultés en cours avec un professeur, cela influe sur leur santé, cela parasite leur temps scolaire. C'est pourquoi nous avons un rôle très important.

Mme Martine Lignières-Cassou : Y a-t-il l'équivalent de votre profession dans d'autres pays d'Europe ?

Mme Brigitte Le Chevert : Non, dans les autres pays, le métier dans les établissements scolaires tient plus de la santé publique, des vaccinations, du dépistage. D'ailleurs, les infirmières ne suivent pas les mêmes études. En Allemagne, par exemple, elles ne font pas de prise de sang. Ce sont plutôt des aides-soignantes.

Notre métier est une spécificité du système français. Dans les autres pays, les infirmières convoquent les élèves. Nous, nous ne les convoquons pas : il y a une infirmerie avec une infirmière, et les élèves viennent sans arrêt.

Claude Allègre, alors ministre de l'Education nationale, nous avait indiqué, lors d'une audience, pourquoi il souhaitait qu'il y ait des infirmières, même s'il ne parvenait pas à obtenir tous les postes d'infirmières voulus. En effet, contrairement aux assistantes sociales, que l'on trouve en secteur ou en territorial, on ne trouve pas à l'extérieur de l'école de structure infirmière comme la vôtre, nous avait-il dit. Les infirmières libérales ne font pas du tout le même travail.

Mme Jacqueline Le Roux : Nous sommes là pour les enfants malades et les enfants bien portants, pour les aider à être bien dans leur corps.

Mme Brigitte Le Chevert : La semaine dernière, lors d'un colloque à Marseille, le docteur Rufo a indiqué qu'il n'y avait aucun déterminant social dans le suicide et que les jeunes qui tentent de se suicider ont surtout besoin de personnes qui s'occupent de leur corps.

Mme Jacqueline Le Roux : Vous nous avez demandé si le fait de pouvoir donner la contraception d'urgence nous permettait de repérer davantage de cas d'agressions sexuelles. Nous ne disposons pas de statistiques, mais dans notre pratique journalière, nous ne relevons pas plus de cas qu'avant.

Mme Brigitte Le Chevert : Il est important de mentionner que nous sommes aussi les infirmières des personnels. Par exemple, les agents de service viennent régulièrement faire prendre leur tension. Cela leur évite d'aller chez le médecin. Des enseignants qui craquent viennent souvent se reposer à l'infirmerie. Comme avec les élèves, nous avons un rôle d'éducateur à leur égard. Nous y tenons beaucoup.

Audition de Mmes Anne-Marie Gibergues, secrétaire générale, et Brigitte Accart, secrétaire générale adjointe, du syndicat national des infirmiers, infirmières, éducateurs de santé (SNIES UNSA-Education)

Réunion du 27 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Anne-Marie Gibergues, secrétaire générale du syndicat national des infirmiers, infirmières et éducateurs de santé (SNIES UNSA-Education), accompagnée de Mme Brigitte Accart, secrétaire générale adjointe.

Nous souhaiterions évoquer avec vous, comme nous venons de le faire avec Mme Brigitte Le Chevert, les difficultés qui nous ont été signalées par des collègues de la Délégation, à savoir :

- réticences de certains médecins scolaires ou de chefs d'établissement à l'application du protocole ;

- difficultés pour des infirmières à contacter en urgence un médecin ou un centre de planification, a fortiori dans des petites villes ou en milieu rural et, pour les mineures, difficultés de sortie de l'établissement ;

- problème de formation des infirmières à ces nouvelles pratiques ;

- insuffisance du nombre d'infirmières scolaires dans les établissements ;

- problèmes de crédits pour l'approvisionnement en Norlevo des pharmacies d'établissement.

Par ailleurs, nous aimerions avoir des éclaircissements sur la manière dont est traité le problème des violences et des agressions sexuelles en milieu scolaire, notamment sur les mineures de moins de 15 ans. Quelle attitude doivent adopter les infirmières scolaires, lorsqu'elles ont connaissance de tels faits, en application de la circulaire de 1997 concernant les violences sexuelles ? La délivrance de la contraception d'urgence a-t-elle mis en évidence un certain nombre de ces faits ?

S'il nous reste un peu de temps, vous pourrez évoquer très brièvement la situation actuelle des infirmières dans le système scolaire.

Mme Anne-Marie Gibergues : Je souhaiterais aborder au préalable un autre point qui concerne l'éducation à la vie affective et sexuelle à l'Education nationale et vous transmettre la lettre que le Groupe national d'information et d'éducation sexuelle (GNIES) a adressée à M. Jack Lang, ministre de l'Education nationale, sur l'insuffisance des postes, des formation et des moyens. C'est un problème prégnant, parce que l'on nous attribue de plus en plus de tâches à remplir, sans nous donner les moyens adéquats, qu'ils soient humains ou matériels.

En ce qui concerne les moyens en personnel, de nombreux collègues ont en charge trois collèges et cinquante écoles primaires. Ils ne peuvent donc pas faire toutes les tâches qu'ils devraient. De plus, les infirmières n'étant pas en permanence dans les collèges, il leur est pratiquement impossible de répondre à l'urgence. J'imagine mal une élève aller demander à son chef d'établissement ou à son conseiller principal d'éducation d'appeler l'infirmière, car elle a un besoin urgent. Où serait la confidentialité dans ce cas ?

S'agissant des moyens matériels, les infirmières qui sont sur un secteur - ce que l'on appelle les postes mixtes - n'ont pas suffisamment de frais de déplacement dans l'année pour remplir toute leur charge de travail.

En ce qui concerne la formation, il ne s'agit pas simplement de la formation à la contraception d'urgence, mais aussi à l'éducation sexuelle. Dans certaines académies, il existe, dans le planning de formation de l'année, des formations à la vie affective et sexuelle, mais elles ne sont pas institutionnalisées et se font sur la base du volontariat. Nous souhaiterions que cette formation fasse partie de l'accueil de toutes les infirmières à l'Education nationale. Notre projet serait un an de formation avec des stages et parfois des formations de groupe, pour travailler avec les professeurs et les maîtres d'école. Cela nous permettrait de parler tous d'une même voix sur ce sujet. Nous essayons d'établir le programme de cette année de formation, parce que l'infirmière scolaire a un travail particulier, qui n'est pas celui de l'infirmière hospitalière.

Nous sommes de très bonnes techniciennes. Nous avons une ouverture sur la santé publique, mais il faudrait que nous ayons une obligation à la formation, lors de l'entrée dans le corps de l'Education nationale, en raison de ses particularités. Ensuite, nous devons apprendre à travailler avec les autres et les autres doivent apprendre à travailler avec nous, à nous reconnaître et à former des projets avec nous. L'éducation sexuelle fait partie de la formation que nous aimerions recevoir.

Je vais maintenant aborder les problèmes que nous avons rencontrés dans l'application de la circulaire sur la contraception d'urgence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avant le vote de la loi du 4 juillet 2001 ?

Mme Anne-Marie Gibergues : Non, depuis cette rentrée scolaire.

Dans la loi sur la contraception d'urgence, confortée par la loi sur l'IVG, il est fait référence à un médecin directement accessible. Or, cela a posé un énorme problème de responsabilité à l'infirmière, lorsqu'elle est confrontée à une élève qui ne veut pas rencontrer un médecin.

D'un point de vue pénal, nous nous sommes demandées comment faire, puisque la loi précise qu'il convient d'avoir un contact avec un médecin. Nous avons donc interrogé sur ce point une assurance professionnelle. Sa réponse a été très explicite :

L'idée générale est que l'intervention de l'infirmier n'est légitime que si celle d'un médecin est effectivement impossible. Ceci doit donc, comme vous le faites justement remarquer, être limité à un nombre très réduit de cas, l'accès rapide à un médecin étant en général possible en France, ne serait-ce qu'au service d'accueil des urgences du centre hospitalier le plus proche."

Quand l'établissement se situe à vingt kilomètres du centre hospitalier ou du centre de planification le plus proche, comment faire ?

Je continue : "Je pense donc que l'attitude des infirmiers scolaires, au moins en l'état actuel de cette réglementation, doit être de s'impliquer le moins possible dans l'administration de ces contraceptions d'urgence et réserver cette activité aux médecins. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de l'administration d'un produit médicamenteux nécessitant une indication médicale, même si ce produit est en vente libre."

Nous nous attendions à une telle réponse, mais nous sommes très inquiets de la responsabilité qu'elle suppose. Dans chaque établissement, nous pouvons contacter le 15, qui nous enverra un médecin en urgence. Mais il se pose le problème de confidentialité. De plus, si un médecin se déplace, qui va payer les frais ?

Mme Brigitte Accart : Même si nous pouvons imputer ces frais au fonds social, nous devrons expliquer la dépense.

Mme Anne-Marie Gibergues : Notre préoccupation principale porte sur la confidentialité. Nous essayons de régler les problèmes au cas par cas, mais ce n'est pas toujours facile. Certaines collègues sont réticentes à appliquer la loi, peut-être parce qu'elles se sentent prises en défaut dans leur fonctionnement. Par ailleurs, nous nous étions posé la question de la responsabilité de l'infirmière, dans l'éventualité où cette contraception d'urgence serait inefficace, ce qui arrive parfois.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne vois pas pourquoi la responsabilité de l'infirmière serait davantage engagée.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si l'enfant ne veut pas faire une IVG, la famille peut se retourner contre l'infirmière qui a commencé à délivrer une contraception d'urgence. Certaines de nos collègues se sont posé la question, plus particulièrement dans le cas de familles maghrébines. Quelle va être la réaction de ces familles lorsqu'elles vont constater la grossesse de leur fille qui, ne voulant pas faire d'IVG, leur dit qu'elle a commencé une contraception d'urgence auprès de l'infirmière du collège ou du lycée ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La question de l'efficacité du Norlevo peut se poser pour les mineures, quelle que soit leur ethnie d'origine. Cela dit, il me semble aussi que vous êtes tenues au secret professionnel.

Mme Anne-Marie Gibergues : Ce n'est pas vis-à-vis de notre secret professionnel, mais vis-à-vis de la famille à laquelle la mineure va raconter que l'infirmière lui a donné la pilule du lendemain.

Nous devons tenir des registres pour ces pilules et en faire un bilan. Or, dans le cas d'un dépôt de plainte contre l'infirmière ou d'une commission rogatoire, la justice aura accès au registre infirmier.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais ce ne sont pas des rapports nominatifs.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si, dans notre registre infirmier, c'est nominatif. Toute une partie n'est pas divulguée, mais en cas d'enquête ou de commission rogatoire, le secret professionnel est levé. C'est ce qui nous a causé du souci, parce que le droit parental n'est pas levé.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si, il est levé. Depuis la loi relative à l'IVG et à la contraception du 4 juillet 2001, toute mineure a le droit de prendre une contraception en toute confidentialité et de recourir à une IVG.

Mme Anne-Marie Gibergues : Un autre problème concerne la confidentialité. Il est bien précisé, dans le décret d'application, que nous devons disposer de locaux pour aider à cette confidentialité. Or, si nous faisions un bilan de la situation des collèges où nous passons de temps en temps, vous seriez surprises de constater que nous travaillons souvent dans des conditions déplorables. Syndicalement, notre v_u est que l'on puisse refuser les établissements où il n'existe aucun lieu permettant de pratiquer un accueil dans la confidentialité. Toutefois, les rectorats et les inspecteurs d'académie ne le comprennent pas. Pour eux, nous devons passer dans tous les établissements.

Nous travaillons parfois dans des conditions lamentables. Une de nos collègues, dans l'académie de Créteil, était installée au fond d'un couloir avec une table.

Mme Conchita Lacuey : Que font les conseils généraux ? Vous devriez agir auprès d'eux.

Mme Anne-Marie Gibergues : Il y a deux ans, dans un département, j'ai entrepris une action en ce sens. Deux ans après, il n'y a toujours aucun résultat au niveau des conseils généraux. Ils ont d'autres priorités que de construire des infirmeries.

Mme Conchita Lacuey : C'est une obligation.

Mme Anne-Marie Gibergues : Je suis ravie de vous l'entendre dire, mais vous ne savez pas ce que nous vivons.

Mme Conchita Lacuey : Si, dans un établissement, certains lieux ne sont pas conformes à la législation, cela doit être rapporté lors du conseil d'administration, où siègent le représentant du conseil général, les parents d'élèves et l'administration.

Mme Anne-Marie Gibergues : Nous avons fait un travail en amont, puisque nous sommes allées dans les conseils départementaux de l'Education Nationale (CDEN), mais franchement, cela n'avance pas beaucoup.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les CDEN ne sont pas forcément les bons lieux.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si, car dans un CDEN par an, nous sommes en contact avec le conseil général. Nous dénonçons aussi cette situation au conseil d'administration, quand nous pouvons y participer. En effet, comme nous naviguons entre plusieurs établissements, nous ne sommes pas obligatoirement dans un conseil d'administration.

Mme Conchita Lacuey : Vous avez toujours un conseiller général ou des élus de la commune qui y siègent.

Mme Brigitte Accart : Ce n'est pas pour cela que nous sommes entendues ou qu'ils débloquent des fonds pour les infirmeries. D'ailleurs, dans des collèges déjà anciens, il n'y a pas toujours de lieu disponible pour installer une infirmerie. Une telle structure peut se concevoir quand il s'agit d'un nouvel établissement, mais dans des établissements scolaires plus anciens, aménager un local qui n'était pas prévu au départ pose des problèmes.

Nous ne pouvons pas délivrer une contraception d'urgence, installées à une table au bout d'un couloir. Les élèves passent, nous demandent une serviette hygiénique, la pilule du lendemain, un Doliprane, un Spasfon. Si nous ne pouvons pas nous isoler avec l'élève pour avoir un entretien, il nous est difficile de travailler.

Mme Anne-Marie Gibergues : Pour nous, la question des locaux est très importante au regard de la confidentialité. Nous sommes souvent très gênées, notamment pour les questions d'IVG ou de pilule du lendemain.

Les problèmes de la ruralité se rencontrent tous les jours dans les petits établissements de moins de cent élèves. En revanche, aucune difficulté ne nous est remontée concernant des violences et agressions sexuelles sur mineurs depuis le texte de la circulaire de 1997. Aucune de nos collègues ne nous a contactées pour nous informer que cela lui posait problème, peut-être aussi parce qu'elles ne veulent pas se poser le problème.

Nous sommes auprès des enfants et pas auprès de l'administration. Nous sommes là pour aider les enfants. En général, il ne s'agit pas d'un majeur qui aura eu des relations avec une mineure, mais de couples qui se forment à l'intérieur de l'établissement.

Mme Conchita Lacuey : On ne vous a donc signalé aucun cas avec des violences.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si, des violences, cela peut arriver. C'est alors une agression sexuelle, que nous déclarons. Il y a des circuits bien établis de déclaration selon les départements.

Mme Conchita Lacuey : A travers la contraception d'urgence, avez-vous rencontré de tels cas ?

Mme Anne-Marie Gibergues : Non, nous n'avons eu aucun signalement d'agression sexuelle. C'est peut-être arrivé, mais nos collègues ne l'ont pas signalé.

Nous voulions également aborder le problème de la sortie pour l'IVG et de l'adulte référent. Le mieux, c'est qu'un membre de la famille soit l'adulte référent. Mais, parfois, seule l'infirmière peut l'être. D'autres agents de l'administration, comme le médecin ou l'assistante sociale, pourraient également l'être, mais leurs secteurs étant très étendus, nous les voyons rarement.

Pour nous, il est très difficile de quitter l'infirmerie, où nous avons des permanences à faire, puisque nous sommes tenues de traiter l'urgence. Il peut arriver une urgence quand nous sommes à l'hôpital pour accompagner la jeune fille. Nous nous posons beaucoup de questions à ce sujet.

D'autre part, je voudrais vous raconter ce qui est arrivé à une de nos collègues. Elle a eu à traiter le cas d'une élève enceinte, qui voulait recourir à une IVG, sans qu'aucun membre de sa famille n'en soit informé. L'infirmière, qui s'est proposée comme adulte référent, a été refusée par le centre d'IVG. Les problèmes viennent principalement des médecins anesthésistes qui exigent que la famille signe les décharges.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous confortez les informations que nous avons eues d'un certain nombre de nos collègues, voire des médecins anesthésistes que nous avons rencontrés. Nous avons voté une loi pour qu'elle soit appliquée. Or, on s'aperçoit qu'elle ne l'est pas et qu'il y a vraiment un travail à faire.

Mme Anne-Marie Gibergues : Que faire dans ce cas ? Que dire à nos collègues qui nous contactent ? La plupart du temps, ce sont les anesthésistes qui bloquent.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Notamment s'ils doivent pratiquer une anesthésie générale.

Mme Anne-Marie Gibergues : Entre la dixième et la douzième semaine, il est difficile de pratiquer une IVG autrement que sous anesthésie générale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce sont des discussions que nous menons actuellement avec les anesthésistes, ainsi qu'avec le ministère. Mais cette situation n'est pas générale.

Mme Anne-Marie Gibergues : Le problème est que l'IVG reste le dernier recours et ne peut souffrir de délai. Ne pouvant plus attendre, on se retrouve confrontées à des grossesses non désirées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons reçu le président de la Société française d'anesthésie et de réanimation, qui nous a tenu un discours certes prudent, mais moins abrupt que ce que vous venez de nous décrire. Toutefois, je sais que, dans mon département, certaines femmes viennent de départements voisins, en raison de l'attitude des anesthésistes. C'est pourquoi nous nous mobilisons sur le suivi de l'application de la loi, car nous constatons que certains blocages ne sont absolument pas levés.

Audition de M. Guy-Marie Cousin, secrétaire général du syndicat national
des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF)

Réunion du 27 novembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Guy-Marie Cousin, secrétaire général du syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France, qui rassemble 2 400 gynécologues et obstétriciens.

La Délégation aux droits des femmes a été chargée par le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale du suivi de l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception. Dans le cadre de cette mission, elle déjà reçu M. Bruno Carbonne, secrétaire général du collège national des gynécologues-obstétriciens français, qui a fait part d'un certain nombre de difficultés de mise en _uvre de la loi, notamment un manque de formation des médecins, et des réticences d'ordre à la fois médicales et éthiques.

Nous souhaitons recueillir votre appréciation sur la situation actuelle de l'IVG et sur l'attitude des gynécologues-obstétriciens devant l'allongement des délais et vis-à-vis des mineures accompagnées d'un adulte qui n'est pas leur parent. Vos adhérents sont-ils confrontés à de nombreux cas d'IVG tardives ? Comment ces cas sont-ils traités ? En cas de dépassement des nouveaux délais, quelles sont les solutions proposées ? Selon vous, existe-t-il des différences de pratiques entre les secteurs public et privé ? Quels sont les obstacles au développement de la médecine ambulatoire ? L'ouverture de la pratique de l'IVG médicamenteuse à la médecine de ville, va-t-elle offrir de nouvelles perspectives ?

Nous souhaiterions également aborder le problème de la revalorisation des frais de soins et d'hospitalisation afférant à l'IVG, connaître votre sentiment quant à l'inscription de l'acte d'IVG dans la nomenclature de la Sécurité sociale et aborder le statut des services et des personnels affectés à l'IVG ?

M. Guy-Marie Cousin : Dès l'annonce des modifications envisagées de la loi Veil, au mois de juillet 2000, nous avions, au nom de notre syndicat, qui représente les gynécologues et les obstétriciens aussi bien hospitaliers publics que privés, réagi, en soulevant trois problèmes : tout d'abord, celui de la réticence des professionnels, sur le plan technique, en matière de délais ; ensuite, la question des jeunes filles mineures, notamment en cas de complications ; enfin, le problème des femmes qui, malgré l'allongement des délais, devraient aller avorter à l'étranger. Nous avions publié un communiqué, interpellant Mme Martine Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité. Dans son intervention au conseil des ministres le 4 octobre 2000, soit quinze jours plus tard, elle avait affirmé que l'augmentation du délai ne posait pas de problèmes techniques. Le rapport de l'ANAES, selon lequel une IVG à 13 ou 14 semaines posait des problèmes techniques, est paru ultérieurement.

Or, il s'agit pour nous d'un réel souci, puisqu'une IVG pratiquée dans ces délais nécessite un environnement particulier, un environnement hospitalier, avec possibilité d'anesthésie, une surveillance post-intervention, voire une hospitalisation. Voilà la raison pour laquelle certains médecins sont réticents à de telles pratiques ; plusieurs de nos collègues, qui acceptent de pratiquer les IVG jusqu'à douze semaines, estiment ne pas avoir la formation adéquate pour les pratiquer au-delà.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sont-ils prêts à se former ?

M. Guy-Marie Cousin : Il faut savoir comment les former, et quelles seront les mesures incitatives à une telle formation. Dans la réalité, les centres d'IVG fonctionnent assez souvent en marge des services hospitaliers, grâce à la participation de médecins en voie de disparition - les médecins militants -, qui étaient soit des médecins généralistes soit des gynécologues médicaux. A partir du moment où existe un problème technique chirurgical - ce qui est le cas entre 12 et 14 semaines -, les médecins généralistes sont très réticents à pratiquer des IVG, notamment dans les centres d'IVG qui ne font pas partie d'un service hospitalier. Par ailleurs, la spécialité de gynécologie médicale n'existe plus depuis 14 ans, et la formation ne comprenait pas l'apprentissage de la technique chirurgicale, surtout entre 12 et 14 semaines d'aménorrhée ; certes, il a été décidé de former à nouveau les gynécologues médicaux, mais il faudra attendre 4 ou 5 ans avant d'avoir des jeunes médecins formés.

Nous sommes donc dans une période d'autant plus difficile que le nombre de gynécologues-obstétriciens diminue et que ceux-ci sont de plus en plus sollicités par le suivi des grossesses, par les problèmes chirurgicaux et par les stérilités. Il faut avouer de plus que dans le secteur hospitalier public comme privé, l'IVG n'est pas "la tasse de thé" des médecins, et qu'elle l'est d'autant moins qu'il s'agit d'une activité souvent gérée dans un service annexe, que les médecins volontaires ne disposent pas des moyens de la pratiquer dans de bonnes conditions et qu'un grand nombre de chefs de service refuse la pratique des IVG dans leur service.

Je pense qu'il convient de reprendre les choses à la base. On assiste à la disparition des médecins militants, qui avaient participé aux luttes pour l'adoption de la loi Veil, mais en contrepartie les médecins ont aujourd'hui des positions moins marquées, moralement, pour ou contre l'IVG. Il convient simplement de leur donner les moyens de les pratiquer dans des conditions correctes.

Au niveau du secteur hospitalier public, il faut que l'on donne la possibilité aux médecins qui le souhaitent, de pratiquer des IVG dans les services d'IVG au sein des services hospitaliers. Cette charge de travail, comme n'importe quelle autre, devrait être partagée par tous et ne pas reposer sur une seule personne. C'est pour cette raison qu'en été, faute de personnels, certains services doivent fermer et que l'on assiste, de ce fait, à une augmentation insupportable des délais.

Dans le monde hospitalier privé, je crains que les médecins ne se déchargent un peu de la pratique des IVG, du fait, notamment, de l'accroissement de l'activité et de la demande forte sur d'autres activités...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : ... vécues comme plus nobles !

M. Guy-Marie Cousin : Vécues comme plus nobles, oui, il faut dire les choses comme elles sont. Cependant, il y a aujourd'hui un changement de comportement de la part des médecins. Ils savent que la pratique de l'IVG fait partie de leur métier et que la détresse des femmes dans cette situation doit être prise en compte : la jeune génération est beaucoup moins réticente que les médecins plus âgés.

Malheureusement, ces jeunes médecins ne sont pas incités à pratiquer les IVG, parce qu'ils sont trop sollicités par ailleurs et qu'ils n'y sont pas incités financièrement, puisque le tarif des actes d'IVG, fixés par arrêté en janvier 1991, n'a jamais été réévalué depuis. Par conséquent, aujourd'hui, un médecin gynécologue-obstétricien a tout intérêt à réaliser une aspiration pour une fausse couche plutôt qu'une aspiration pour une IVG ; bien que l'investissement, en ce qui concerne le temps médical de prise en charge, soit moins lourd, l'acte est mieux payé. L'anesthésiste est lui aussi mieux rémunéré en cas d'aspiration pour grossesse spontanément interrompue que pour une IVG. Et la situation dans les établissements privés est encore pire puisque, par rapport à une activité comparable, le forfait prive l'établissement d'environ 1 000 francs de revenus par intervention (correspondant aux frais de salle d'opération).

Il est donc clair que les choix des directions d'établissement - qui progressivement échappent aux médecins - ne se portent plus aujourd'hui sur l'ouverture ou le maintien d'une activité d'IVG ; il est beaucoup plus rentable d'exercer d'autres activités. Cette situation est inquiétante, notamment en Ile-de-France, où l'on peut penser que, dans les années qui viennent, le secteur hospitalier public va devoir s'investir beaucoup plus dans la pratique des IVG.

Je ne reviendrai pas sur le rapport de l'ANAES, mais il explique clairement que la méthode recommandée, entre 13 et 14 semaines, est la méthode chirurgicale.

Il existe, à l'évidence, un problème de formation des personnels médicaux. Les gynécologues-obstétriciens sont formés à la technique - puisqu'ils réalisent tous des interruptions médicales de grossesse, même bien au-delà de 14 semaines -, mais ne savent pas bien, en revanche, manier les produits médicamenteux, notamment à 13 ou 14 semaines de grossesse. Nous savons qu'ils peuvent être utilisés avec succès, mais avec des effets secondaires douloureux ; par ailleurs, nous ne disposons pas de protocole évalué concernant la gestion de la douleur. Le rapport de l'ANAES précise d'ailleurs que les femmes qui ont déjà subi une IVG chirurgicale choisiraient, si le cas se présentait, à nouveau une IVG chirurgicale, et que les femmes qui ont subi une IVG médicamenteuse choisiraient, elles aussi, une IVG chirurgicale, car elles ont trop souffert. Ce problème pourrait peut-être se régler par la mise au point d'un protocole anti-douleur, mais il y a vraiment du travail à faire dans ce sens.

Il convient également de réfléchir à l'accès au plateau technique, car les IVG doivent être pratiquées dans un service hospitalier, avec l'environnement adéquat.

S'agissant des mineures, le problème n'est absolument pas réglé. Nous sommes tout à fait disposés à appliquer la loi, mais notre souci est de savoir ce que nous devons faire en cas de complication. Si l'hospitalisation est nécessaire, comment devons-nous prévenir la famille ? Je n'imagine pas une seconde ne pas prévenir les parents. Quelles sont les responsabilités respectives du médecin et de l'adulte référent ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il s'agit pour l'adulte référent d'une responsabilité non pas pénale, mais morale.

M. Guy-Marie Cousin : Bien entendu, mais le problème, pour nous, n'est pas réglé.

Par ailleurs, j'estime que la loi a été trop timide par rapport à la proposition formulée par M. Israël Nisand, et que nous avons soutenue, relative aux centres régionaux spécialisés dans les IVG tardives, d'autant qu'aujourd'hui, nous pouvons nous appuyer sur le réseau maternité.

Aujourd'hui, les maternités - publiques comme privées - sont obligées de s'organiser de façon régionale en réseaux interdépendants les uns des autres, pour une meilleure prise en charge des grossesses à risque et des nouveau-nés à problème. Les praticiens vont se connaître par l'intermédiaire de ces réseaux. Nous pouvons donc très bien imaginer qu'au sein de ces derniers vienne se superposer un centre régional prenant en charge les IVG à problème, y compris les IVG pratiquées au-delà de 14 semaines. Nous comprenons, en effet, assez mal pourquoi on laisse sur le bord de la route 2 000 à 2 5000 femmes qui, ayant dépassé les délais légaux, iront de toute façon à l'étranger.

A partir du travail réalisé par l'ANAES, il conviendrait de solliciter les sociétés savantes correspondantes, que ce soit celles de gynécologie-obstétrique ou celles d'anesthésie-réanimation, pour élaborer des guides de bonnes pratiques, que toutes les organisations professionnelles pourraient diffuser aux médecins. Cela est notamment vrai pour l'utilisation des produits médicamenteux et pour les protocoles anti-douleur.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela pourrait être également l'une des fonctions du groupe national d'appui.

M. Guy-Marie Cousin : Oui, tout à fait. Enfin, je crois que de nombreux professionnels sont prêts à s'engager dans la participation à l'information des adolescents. Nous sommes, en effet, assez troublés de constater, que le nombre d'IVG ne baisse pas par rapport au nombre de naissances en France ; certains pays savent faire bien mieux que nous.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pourtant, nous sommes l'un des pays dont les femmes ont le plus recours aux méthodes contraceptives.

M. Guy-Marie Cousin : Nous nous rendons compte aujourd'hui que les IVG les plus difficiles concernent des femmes de plus en plus jeunes : alors que la moyenne d'âge était de 25/29 ans, elle est actuellement de 20/24 ans. Cela signifie que la prise en charge contraceptive n'a pas été faite correctement et qu'il faut donc diffuser une information. Mais, lorsque j'en parle avec des responsables du monde éducatif, je sens une grande réticence de leur part à introduire les professionnels de santé dans l'information à la sexualité. C'est regrettable, car un gynécologue pourrait se rendre dans plusieurs classes et donner une information d'une manière différente de celle de l'éducateur. Ce message pourrait marquer les adolescents. Nous pourrions par ailleurs leur préciser qu'ils peuvent avoir accès à l'information médicale en poussant simplement la porte de n'importe quel cabinet médical. Les adolescents qui connaissent des problèmes sont démunis, surtout s'ils ne peuvent pas en parler à leurs parents.

Nous sommes donc tout à fait disposés à appliquer la loi, nous avons seulement soulevé un certain nombre de problèmes, aujourd'hui, non résolus. Par ailleurs, nous craignons que la diminution des effectifs dans notre spécialité ne rende les choses plus difficiles dans les années qui viennent.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous pourrions penser que la relève pourrait être prise par l'IVG médicamenteuse et par la création de réseaux entre médecins de ville et établissements de santé.

M. Guy-Marie Cousin : Certainement, notamment pour ce qui concerne la délivrance elle-même, mais l'IVG médicamenteuse après 12 semaines de grossesse pose des problèmes de douleur importants qui ne peuvent pas être gérés en libéral.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout à fait, d'ailleurs l'ANAES ne la recommande pas pour les IVG tardives, mais seulement pour les grossesses jusqu'à sept semaines. Mais, pour ces grossesses, le développement de l'IVG médicamenteuse, en médecine de ville, conventionnée, et dans le cadre des réseaux de santé, pourrait être une réponse.

M. Guy-Marie Cousin : Les réseaux de santé restent pour le moment théoriques. En revanche, le réseau de maternité existe. Pourquoi les médecins de ville ne pourraient-ils adhérer au réseau, sachant qu'ils trouveraient là facilement des interlocuteurs qui pourraient prendre en charge les problèmes qu'ils sont susceptibles de rencontrer lors des IVG ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le texte relatif aux réseaux de santé ne l'interdit pas.

M. Guy-Marie Cousin : Il ne l'interdit pas, mais ne l'organise pas non plus. Par ailleurs, les professionnels de santé du monde libéral pensent qu'effectivement la mise en place de ces réseaux est une bonne idée, mais qu'il convient avant tout de déterminer les responsabilités et le financement du temps passé au sein des réseaux. Car ceux-ci ne peuvent pas fonctionner uniquement avec des bonnes volontés. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'en parler avec le ministre de la santé, pour ce qui concerne les réseaux de périnatalité. Il a prévu d'en financer le fonctionnement, car il a bien conscience que, sinon, ils ne fonctionneront pas.

Ce que nous regrettons, dans cette démarche, c'est que nous n'ayons pas participé au travail important réalisé par M. Israël Nisand l'année dernière ; la consultation a eu lieu après que les décisions importantes aient été prises. Or, le fonctionnement n'est pas satisfaisant, et l'on se demande maintenant comment résoudre le problème.

Globalement, tous les professionnels sont d'accord sur la prise en charge qu'il avait proposée et sur la création de centres régionaux. Lorsque nous sommes confrontés à une IVG difficile à 13 ou 14 semaines de grossesse, ce n'est pas facile à gérer, même pour un spécialiste ayant de l'expérience. Il serait donc intéressant, à ce moment-là, de pouvoir faire appel à un centre régional, où l'on sait que la décision et l'acte vont être portés par un collège de médecins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne voudrais pas revenir sur les discussions que nous avons eues l'année dernière avec M. Israël Nisand, notamment sur la personne qui prend la décision de l'acte d'IVG. Il y a eu un malentendu à ce sujet et le débat a changé de nature, notamment en ce qui concerne l'allongement des délais légaux d'IVG et les examens de diagnostic prénatal.

M. Guy-Marie Cousin : La création de centres régionaux serait justement un bon moyen de limiter les risques de dérive eugénique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Personnellement, en ce qui concerne la détermination du sexe, je ne crois pas à ce risque.

M. Guy-Marie Cousin : Aujourd'hui, à 12 semaines de grossesse, nous pouvons déceler un certain nombre de malformations. Nous sommes à la veille d'une décision de la Cour de cassation : si elle confirme l'arrêt Perruche, cela va poser un énorme problème. Un grand nombre d'échographistes vont ouvrir un parapluie et dire à leur patiente, s'ils dépistent une malformation, qu'ils sont incapables d'en estimer la portée et qu'il lui appartient - puisqu'elle est dans les délais d'une IVG - de prendre ses responsabilités. Ce qui est un discours effrayant à entendre, lorsqu'on est enceinte de trois mois. C'est la raison pour laquelle un centre régional, couplé à un centre de diagnostic prénatal, permettrait de dégonfler le problème : il y aurait confirmation par un expert échographiste et discussion collégiale du dossier. Tous les professionnels concernés - dont les chirurgiens néonataux - seront capables de dire, pratiquement en temps réel, comment ils envisagent le traitement de la malformation, quels sont les risques de handicap, etc. Un couple qui se retrouve dans cette situation a besoin d'information, et c'est justement l'absence de cette information qui conduit des couples à décider d'une IVG non motivée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas l'arrêt Perruche qui crée l'indemnisation ; la nouveauté de cet arrêt, c'est l'indemnisation de l'enfant.

M. Guy-Marie Cousin : Tout à fait, mais pour nos assureurs, cette indemnisation risque de leur coûter cher et ils répercuteront le surcoût sur les assurances en responsabilité civile professionnelle ! C'est un vrai problème. A titre d'exemple, je viens d'être informé des tarifs applicables en 2002 pour l'assurance de groupe gérée par le syndicat : gynécologie médicale sans échographie et sans IVG : 4 200 F par an, gynécologie médicale avec échographie et avec IVG : 28 000 F par an !

Audition de Mme Carine Favier, responsable de la commission Sida du Mouvement français pour le planning familial (MFPF.)

Réunion du 4 décembre 2001

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Carine Favier, responsable de la commission Sida du Mouvement français pour le planning familial, accompagnée de Mme Maïté Albagly, secrétaire générale.

Chargée par la commission des affaires sociales du suivi de l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception, la Délégation a déjà reçu, le 16 octobre dernier, Mmes Françoise Laurant, présidente, Danièle Gaudry, Fatima Lalem et Maïté Albagly, membres du bureau exécutif du Planning familial.

Au fil des auditions auxquelles nous procédons depuis un mois et demi, au-delà des difficultés soulignées dans l'application de la loi, tant par les associations que par les professionnels de santé, nous découvrons de nouveaux problèmes concernant la prévention en matière de contraception, liés la recrudescence du sida et des maladies sexuellement transmissibles.

Ainsi, en région parisienne, il y aurait une forte augmentation du sida chez les femmes, ces trois dernières années. Le relâchement de la vigilance parmi les populations dites à risque - homosexuels, hommes et femmes, mais aussi femmes hétérosexuelles - ainsi que l'abandon progressif, en raison du succès des trithérapies, d'une indispensable protection, nécessitent de la part des professionnels de santé, des associations, des pouvoirs publics un effort accru de prévention auprès des hommes comme auprès des femmes les plus vulnérables.

Pouvez-vous nous donner des informations sur cette population de femmes particulièrement exposée, sur la progression de la contamination ces dernières années et sur les moyens alternatifs de prévention ? On fonde beaucoup d'espoirs sur le développement de l'utilisation du préservatif féminin, malheureusement encore coûteux et peu disponible en France.

Qu'en est-il des récentes campagnes de prévention contre le sida, notamment de celle lancée en mars dernier en direction des femmes par le ministère délégué à la santé et le Comité français d'éducation à la santé, avec le soutien des associations.

Mme Carine Favier : Je suis une militante des droits des femmes, qui travaille au Planning familial depuis longtemps. Je suis également médecin consultant de personnes infectées par le VIH dans un service de maladies infectieuses à Montpellier.

J'anime la commission Sida du Planning familial et je coordonne un programme national de prévention en direction des femmes - programme conjoint du ministère de la santé et du Planning familial - . Dans le cadre de ce programme, qui m'a permis de rencontrer de nombreuses femmes, j'ai pu constater un certain nombre de défauts dans la manière d'aborder aujourd'hui la prévention en direction des femmes.

La situation des femmes a changé depuis le début de l'épidémie. Aujourd'hui, environ 30 000 femmes seraient concernées. Ce chiffre n'est qu'une évaluation, puisqu'il n'y a pas de déclaration obligatoire de séropositivité. L'infection à VIH a été modifiée par l'arrivée des traitements antirétroviraux efficaces (les trithérapies), qui entraînent une apparition beaucoup plus tardive du sida. La féminisation de l'épidémie existait depuis un certain temps déjà, mais n'avait pas encore été clairement perçue. Auparavant, le ratio était d'une femme pour sept hommes ; il est actuellement, d'une femme pour 2,7 hommes ; il y a donc une féminisation clairement établie. Les dépistages menés dans les laboratoires permettent d'évaluer à 40 % le nombre de femmes séropositives aujourd'hui, ce qui est un changement radical.

La question du sida chez les femmes pose des problèmes particuliers. Or, rien n'est programmé dans les services médicaux pour les femmes ; notamment il n'y a généralement pas de consultation gynécologique. A Marseille, il y en a une dans le service de maladies infectieuses, ce qui est important car ces personnes sont souvent en difficulté sociale et n'ont pas forcément l'énergie nécessaire pour venir en consultation de maladies infectieuses, être suivies, prendre des traitements et faire en plus un suivi gynécologique. Or, ce suivi est pourtant très important pour les femmes séropositives, qui ont des risques accrus de cancer du col utérin.

Il y a très peu d'essais cliniques ; or, nous avons beaucoup de problèmes d'effets secondaires des traitements, généralement des problèmes hormonaux et endocriniens. Il y a donc certainement un travail à faire en ce domaine.

Aujourd'hui, les femmes ayant des pratiques hétérosexuelles sont contaminées, alors qu'au début de l'épidémie, cette contamination n'a été vue qu'à travers les femmes toxicomanes et les partenaires d'hommes bisexuels.

Actuellement, dans les relations hétérosexuelles, on se rend compte qu'il y une contamination des femmes ayant des relations avec des hommes multi-partenaires, ou des femmes, elles-mêmes multi-partenaires. On note également qu'un nombre important de femmes d'origine africaine est touché. Cela explique la contamination hétérosexuelle très importante de l'Ile-de-France, notamment en Seine-St-Denis et dans les Hauts-de-Seine, où la contamination hétérosexuelle se rapproche beaucoup de celle que l'on trouve dans les départements d'outre-mer.

Au mois d'octobre, nous avons fait une formation de prévention auprès des femmes en Guyane. Il y avait une vingtaine d'animatrices d'associations travaillant avec des femmes d'origines différentes - haïtiennes, dominicaines, guyanaises - , qui faisaient état d'une prévalence importante du sida.

Ce problème de santé publique très important n'a été découvert, y compris au Planning, qu'avec retard. C'est en 1997 que le ministère a organisé un colloque sur femmes et sida en Europe, qui a été le point de départ d'une prise de conscience collective. On s'est rendu compte que la question économique était importante, c'est-à-dire que la dépendance économique venait renforcer la difficulté des femmes à être autonomes et à imposer des moyens de prévention à leurs partenaires. C'est également à ce moment que sont apparus les problèmes des femmes africaines.

Nous avons donc développé un programme de prévention sur proposition du ministère. Au départ, c'était un programme d'accompagnement du préservatif féminin, mais, rapidement, c'est devenu un programme de prévention des risques sexuels.

Le travail de prévention du sida en direction des femmes doit aborder les problèmes de façon globale. En effet, les femmes ne se vivent pas comme étant un groupe à risque ; elles n'ont pas le sentiment d'être en situation de risque, parce que souvent leur contamination est due à leur partenaire. Elles peuvent être fidèles, ne pas prendre de risques, et avoir quand même un risque de contamination. Il faut donc aborder le problème de façon globale, c'est-à-dire ne pas séparer les questions de contraception, de l'IVG, du sida et des MST.

La majorité des contaminations en Europe se trouvent en Europe du Sud  - Espagne, Portugal, Italie et France -  et la conception des rapports homme/femme n'est pas étrangère à cette situation. Entrent en jeu à la fois des questions économiques, la conception des rapports homme/femme, la place sociale des femmes, la capacité qu'elles ont à s'exprimer et à pouvoir revendiquer de façon légitime.

Aujourd'hui, après avoir créé 250 groupes et rencontré plus de 2 500 femmes sur tout le territoire et dans les DOM, nous commençons à avoir une certaine expérience et à nous rendre compte que la prévention en direction des femmes était jusqu'à maintenant très masculine, mettant en avant l'utilisation du préservatif masculin et sa facilité d'utilisation. Beaucoup de femmes dans les groupes de parole nous ont dit que ce n'était pas toujours facile, quand les hommes ne veulent pas l'utiliser. Nous devons donc avoir une approche différente en matière de prévention.

Vous avez dû être destinataires du document paru, au cours de l'année 2000, en direction des femmes, sur la prévention du sida. Alors que l'épidémie se développe depuis 15 ans, c'est le premier document élaboré par le ministère de la santé qui aborde l'aspect interactif et relationnel, plus proche du vécu des femmes. Il reste toutefois encore très peu diffusé.

Le 1er décembre 2001, des campagnes de prévention ont été menées par les associations, mais j'ai ressenti de façon cruelle le manque de place faite aux femmes. Un seul document présentait la vision différente des femmes en matière de prévention. Aujourd'hui, aucune association ne représente spécifiquement les femmes, car les femmes ne se considèrent pas comme concernées. Certaines associations interviennent auprès des femmes usagères de drogues ; AIDES est une association reconnue pour son travail, surtout dans le monde gay, mais les femmes ne sont pas présentes, même symboliquement, dans leurs documents.

Nous avons travaillé avec des groupes d'une dizaine de femmes de tous les milieux sociaux, mais principalement des femmes en difficulté sociale, qui ont exposé leur besoin de lieux où s'exprimer et poser des questions en matière de sexualité. A l'issue de ces réunions, les femmes disaient : "C'est bien ce que l'on a fait. On se sent beaucoup plus fortes."

Mme Jeannine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CEVIPOF, a évalué ce programme de réduction des risques sexuels. Ce qui l'a frappé, c'est que les femmes, à la fin de ce programme, la regardaient en face et disaient : "On a appris des choses. On nous a accordé du temps. On a été importantes pour un certain nombre de gens." Certaines femmes nous ont dit qu'elles n'avaient jamais eu le temps, ni l'espace pour pouvoir parler d'elles-mêmes, de leurs préoccupations, de leurs difficultés à parler de sexualité à leurs enfants, etc. Surtout, pour elles, le plus important, c'était d'avoir pu se « redresser » et décider de faire autrement désormais, y compris dans les négociations avec leurs partenaires. Dans certaines cultures, il n'est pas possible de parler directement de sexualité avec les enfants. Les femmes ne peuvent peut-être pas affronter les traditions frontalement, mais elles ont décidé de faire bouger les choses.

Le travail doit continuer en direction des femmes, mais également avec les hommes, pour discuter de leur représentation des femmes et de la sexualité des femmes. A la fin du programme, certaines femmes disaient : "Il faut dire aux hommes la même chose, car ils font les intéressants, mais ils sont aussi trouillards." Ensuite, les femmes ont organisé des réunions dans les centres sociaux et elles ont dit : "On va expliquer aux hommes tout ce que l'on a appris, on va leur montrer, ils vont nous écouter et ils vont voir que nous aussi avons des choses à dire." Le travail sur la prévention du sida en direction des femmes doit donc aussi passer par un travail en direction des hommes sur le thème : "Réfléchissez aux rapports entre hommes et femmes, réfléchissez à la place que vous devez laisser à votre partenaire."

Ce programme a été quelque chose de très enrichissant, mais il ne représente qu'une goutte d'eau dans la lutte contre le sida. Il sert d'expérimentation et donne des orientations sur la manière la plus pertinente de travailler, mais il est très important qu'une formation et une sensibilisation soient données à toutes les personnes qui reçoivent des femmes dans des endroits non spécifiques. En effet, les femmes, y compris les femmes usagères de drogues, vont très peu dans les lieux de prévention, car ce sont des lieux d'accueil extrêmement masculins. Quand il y a un accueil spécifique pour les femmes, celles-ci peuvent s'exprimer sur les questions de sexualité et de prévention. Mais il y en a encore très peu. Compte tenu des particularités de l'épidémie, qui touche les femmes africaines en particulier, il semble très important que ces questions soient abordées dans d'autres lieux que des lieux spécifiques " sida ", comme les PMI ou les lieux traitant des questions de violence, et par les médecins, les gynécologues, et les assistantes sociales.

En tant que médecin des maladies infectieuses, je m'aperçois que la question du sida n'est pas perçue dans la population générale comme un risque sexuel que la femme peut avoir par l'intermédiaire de son partenaire et qui peut être difficile à gérer pour elle. Cette question est laissée à des spécialistes du sida, alors que, si l'on veut travailler en direction des femmes, il faut absolument que ce soit l'ensemble des personnes qui reçoivent les femmes qui soient sensibilisées à cette question.

Ensuite, s'il faut une prise en charge plus spécifique du VIH, il faut avoir recours à des personnes formées plus spécifiquement à la question du sida. Mais, on ne fera pas de prévention et on ne donnera pas aux femmes la possibilité d'en discuter et de s'en approprier les outils, si ce n'est pas fait là où sont les femmes et où vont les femmes.

Certaines responsables de Plannings, dans les départements les plus touchés, reçoivent aujourd'hui des jeunes de 17 ou 18 ans, séropositives. Les chiffres sont alarmants : 47 % des personnes qui ont eu un diagnostic de séropositivité au VIH sont en phase de maladie, c'est-à-dire qu'il s'est passé un temps infini - peut-être 10 ans - pendant lequel elles ont pris des risques et n'ont jamais rencontré sur leur chemin, y compris auprès des médecins ou des centres de Planning, des personnes pensant qu'elles pouvaient être concernées. Chez les femmes africaines, le chiffre est encore plus important : 63 %. Il y a donc vraiment un problème de santé global.

Mme Maïté Albagly : Ce programme a permis de faire le lien entre contraception et sida. C'est très important. Notre association est sollicitée sur ces deux thèmes et fait passer des messages pour que la campagne contraception n'oublie pas le sida et, inversement, que la campagne contre le sida n'oublie pas la contraception. Il ne faut pas séparer ces deux notions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce que vous dites me paraît essentiel. Vous proposez que l'on forme des acteurs généralistes et qu'on les sensibilise à la dimension sida. On avait d'ailleurs évoqué, lors d'une précédente rencontre, la possibilité d'une articulation entre les campagnes contre le sida et celles en faveur de la contraception. Le Fémidon, le préservatif féminin, peut faire cette articulation entre sida et contraception.

Mme Carine Favier : Au départ, le programme portait sur le Fémidon, puis il a été élargi. On constate une forte méconnaissance, même chez des éducateurs spécialisés, de l'anatomie et du fonctionnement du corps.

Dans un premier temps, nous avons donc formé une cinquantaine d'animatrices du Planning, puis des personnes appartenant à d'autres associations. Nous avons été très étonnées de constater que les animatrices de prévention, qui s'occupent, sur le terrain, de toxicomanie ou de sida, ne connaissaient pas bien les moyens de contraception.

Au ministère de l'emploi et de la solidarité, ce n'est que depuis peu que les responsables en matière de contraception ont des réunions communes avec les responsables du sida au ministère. Ce n'est pas encore habituel, même si le VIH touche de plus en plus de femmes. Certains pensent encore : les femmes, c'est la contraception ; le sida, ce sont les hommes et les toxicomanes. Dans le dépliant réalisé pour la campagne nationale de contraception, on ne parlait pas du Fémidon, le préservatif féminin, alors qu'il est pourtant un important outil dans la prévention du sida. De même, quand sont lancées des campagnes de prévention du sida, la contraception est passée sous silence.

Nous essayons donc de faire le lien entre contraception et sida.

Nous cherchons à développer l'utilisation du Fémidon, qui permet d'aborder la question de la relation homme/femme et de la négociation entre eux. Même si l'on n'est pas persuadé que beaucoup de femmes vont utiliser le Fémidon - mais parfois les acteurs de santé ont plus d'a priori que les femmes - c'est un outil qui permet de discuter. Il y a celles qui n'en ont pas besoin, ou qui trouvent que c'est dégoûtant, mais les femmes, dans les groupes de parole, l'ont trouvé extrêmement intéressant, car cela leur permettait de dire à leur partenaire : "Tu as des problèmes avec le préservatif masculin, tu ne le supportes pas, tu as des problèmes d'érection ; pas de difficulté, j'ai le mien. Si tu ne veux pas mettre le tien, je mets le mien. Nous avons pu constater dans l'évaluation des campagnes portant sur le Fémidon, que c'est un excellent outil de discussion sur la responsabilité partagée du risque.

Mme Yvette Roudy : Les femmes acceptent donc bien le Fémidon ?

Mme Carine Favier : C'est très surprenant. Les populations africaines l'utilisent bien, d'après les informations transmises par les associations communautaires. Quand les hommes refusent le préservatif, la femme a quand même une protection. Mais, ce n'est pas encore largement diffusé, c'est cher, et sur le plan esthétique, cela ne plaît pas vraiment. La pose n'est pas compliquée quand on s'est exercé. Ce qui pose question, c'est que cela plaît beaucoup aux hommes, car c'est moins contraignant pour eux. En revanche, ce qui plaît aux femmes, c'est qu'il n'y a pas de retrait intempestif et que l'on peut rester ensemble longtemps.

Mme Danielle Bousquet : Les femmes à risques sont-elles essentiellement des populations en difficulté, vivant dans la marginalité sociale, avec de tout petits moyens d'existence, et des femmes prostituées ?

Mme Carine Favier : Dans nos groupes de parole, nous avons rencontré beaucoup de femmes en difficulté sociale, mais aussi beaucoup de femmes en difficulté affective : ayant 40, 45 ans, elles ont connu une rupture familiale et traversent une période de solitude. Dans notre service, nous avons fait une étude sur la situation sociale et historique des personnes nouvellement contaminées. Lorsque les femmes, qui vivent difficilement la solitude et qui ont un besoin affectif, rencontrent des hommes autour de la cinquantaine qui n'ont pas la culture du préservatif, l'enjeu affectif l'emporte. Il y a aussi un nombre non négligeable d'hommes seuls qui ont eu des relations non protégées.

Mme Yvette Roudy : Peut-on évaluer les dommages chez les prostituées ?

Mme Carine Favier : Pour les prostituées dépistées, il n'y a pas de taux important de contamination. Le problème, c'est qu'aujourd'hui il y a une prostitution clandestine très importante, en provenance des pays de l'Est et des pays africains. Ces personnes n'ont pas de suivi et ne se font pas dépister. Pour les prostituées ayant un problème de toxicomanie, il y a eu un effort de prévention qui a entraîné une chute importante de la contamination. Mais la population en marge du circuit sanitaire est d'une grande fragilité. Les personnes qui s'occupent de prévention de la prostitution, disent que, quand elles arrivent pour discuter avec les filles, celles-ci disparaissent aussitôt. Elles changent de ville. C'est une source de préoccupation. Lorsqu'elles viennent nous voir au Planning pour des problèmes de contraception et d'IVG, on essaie de les orienter vers la prévention, mais elles ont très peu de relations avec les réseaux sanitaires et sociaux. Avec la population de prostituées plus traditionnelle ou repérée dans des réseaux de toxicomanie, le travail de prévention se fait plus facilement.

Mme Odette Casanova : Dans nos sorties sur le terrain, avec la mission d'information sur l'esclavage moderne, les policiers nous ont dit que les prostituées clandestines des pays de l'Est utilisent toutes des préservatifs, parce qu'elles ne peuvent pas se permettre d'être malades. Si elles sont malades, elles se font tuer immédiatement.

Mme Carine Favier : Nous menons des enquêtes auprès de ces femmes. Mais nous avons beaucoup de difficultés à les aborder et à discuter avec elles. Les souteneurs craignent qu'elles ne prennent contact avec des travailleurs sanitaires et sociaux pour sortir de la prostitution et s'échapper. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas d'informations précises sur la prévalence du sida dans ces populations. Nous ne sommes pas dans la situation des pays africains, où les prostituées ont un taux de séropositivité extrêmement élevé : de 40 à 60 %.

Mme Danielle Bousquet : En matière de prévention, je pense que les populations habituées à être suivies socialement toléreront parfaitement bien qu'on leur pose des questions à la PMI ou chez le gynécologue. En revanche, des femmes de la classe moyenne ne vont pas comprendre la prévention.

Mme Carine Favier : On a le même problème pour le retard de dépistage. Certains médecins généralistes n'osent pas poser la question du test aux personnes qu'ils ont l'habitude de suivre dans leur clientèle.

En formation médicale continue, il faudrait former les médecins à parler de sexualité et à aborder les questions de prévention.

Nous avons initié une formation avec une trentaine de médecins autour du thème : parler de sexualité. Ils nous ont fait part de leurs difficultés à aborder ces questions. Quand on parle dans un milieu scolaire de contraception, de sida, on montre que cela existe, que c'est possible : le fait d'intervenir dans l'institution scolaire donne une légitimité au discours.

Après, ce sont les acteurs de santé qui vont pouvoir jouer un rôle auprès de ces populations qui ne se sentent pas à risque. Les gynécologues sont très peu mobilisés sur la question du sida, car ils pensent qu'ils ne voient pas des " femmes à risque " : ni prostituées, ni toxicomanes, ni africaines.

Les médecins généralistes et les gynécologues pourraient jouer un rôle vis-à-vis de cette population qui se sent peu concernée par le sida et qui pense que cela concerne les autres.

Mme Maïté Albagly : Dans le programme triennal contre le sida présenté par M. Bernard Kouchner, la semaine dernière, les femmes ne sont pas une cible prioritaire. Nous ne comprenons pas pourquoi.

Mme Carine Favier : Nous avons participé, avec Maïté Albagly, à l'élaboration de ce programme et nous avons souligné ces carences. Les militantes d'associations ou les responsables d'institutions de PMI que l'on a formées en Guyane travaillent dans les lieux où les femmes viennent consulter : c'est en formant ces femmes de " premier recours " que l'on sera le plus efficace.

Dans cinq ans, le chiffre des personnes atteintes par le sida sera encore supérieur ; or, on n'arrive pas à inverser le modèle de prévention du sida, qui est celui d'un début d'épidémie. On est sur une lancée, on va faire des campagnes, on a fait un petit livret pour les femmes ;  malheureusement cela ne peut pas suffire.

Les populations ont des modes de représentation et des rapports à la sexualité différents et il faut faire des campagnes de prévention différenciées.

Mme Danielle Bousquet : Je suis allée en Afrique, au mois de juillet dernier, et j'ai vu beaucoup de documents émanant d'associations. Ils concernaient exclusivement les hommes, alors que le nombre de femmes prostituées est très important. Beaucoup sont contaminées et transmettent le sida. Les dépliants étaient fort bien faits au demeurant, mais ne s'adressaient qu'à des hommes.

Mme Carine Favier : Je vais me rendre, la semaine prochaine, à la conférence sur le sida à Ouagadougou, pour développer un partenariat avec les associations de femmes africaines et pour essayer aussi de soutenir nos s_urs africaines, qui sont dans une situation assez dramatique.

ANNEXES

_ Liste des membres de la Délégation aux droits des femmes

_ Liste des rapports de la Délégation

_ Lettre de l'Association départementale du Calvados du MFPF à Mme Yvette Roudy sur les difficultés d'application de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse

_ Brochure sur la contraception d'urgence à l'attention des mineures, élaborée par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et le Comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française (CESSPF)

DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Groupe Socialiste (16)

MM. Patrick Bloche, Mmes Danielle Bousquet, Nicole Bricq, Odette Casanova, Marie-Françoise Clergeau, Cécile Helle, Françoise Imbert, Conchita Lacuey, M. Patrick Lemasle, Mmes Martine Lignières-Cassou, Hélène Mignon, Catherine Picard, M. Bernard Roman, Mme Yvette Roudy, MM. André Vallini, Kofi Yamgnane.

Groupe R.P.R. (9)

M. Pierre Aubry, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Philippe Briand, Mme Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Patrick Delnatte, Patrice Martin-Lalande, Mme Marie-Jo Zimmermann.

Groupe U.D.F. (4)

M. Pierre Albertini, Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Patrick Herr, Mme Anne-Marie Idrac.

Groupe D.L. (3)

Mme Nicole Ameline, MM. Claude Goasguen, Michel Herbillon.

Groupe Communiste (2)

Mme Muguette Jacquaint, M. Patrick Malavieille.

Groupe R.C.V. (2)

M. Jean-Pierre Defontaine, Mme Chantal Robin-Rodrigo.

_

_ _

Présidente :

Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU

Vice-présidentes :

Mmes Muguette JACQUAINT

Chantal ROBIN-RODRIGO

Yvette ROUDY

Marie-Jo ZIMMERMANN

Secrétaires :

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU

M. Michel HERBILLON

LISTE DES RAPPORTS DE LA DÉLÉGATION

- Rapport d'information de Mme Nicole Bricq (n° 2071) du 11 janvier 2000 sur le projet de loi (n° 1867) adopté par le Sénat, relatif aux volontariats civils institués par l'article L. 111-2 du code du service national ;

- Rapport d'information de Mme Odette Casanova (n° 2074) du 12 janvier 2000 sur le projet de loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des Iles Wallis-et-Futuna ainsi que sur le projet de loi (n° 2012) tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ;

- Rapport d'information de Mme Catherine Picard (n° 2101) du 19 janvier 2000 sur le projet de loi (n° 1821) modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives ;

- Rapport d'information de Mme Marie-Françoise Clergeau (n° 2109) du 25 janvier 2000 sur la proposition de loi (n° 735), adoptée par le Sénat, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce ;

- Rapport d'information de M. André Vallini (n° 2226) du 1er mars 2000 sur la proposition de loi (n° 2132) de Mme Catherine Génisson et plusieurs de ses collègues, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

- Actes du colloque "Contraception, IVG : mieux respecter les droits des femmes" du 30 mai 2000 - DIAN 45/2000 ;

- Rapport d'information de Mme Marie-Françoise Clergeau (n° 2593) du 25 septembre 2000 sur la proposition de loi (n° 2567) de Mme Danielle Bousquet et plusieurs de ses collègues, sur la contraception d'urgence ;

- Rapport d'information de Mme Danielle Bousquet (n° 2702) du 15 novembre 2000 sur le projet de loi (n° 2605) relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception ;

- Rapport d'information de Mme Nicole Bricq (n° 2703) du 15 novembre 2000 sur la proposition de loi (n° 2604), modifiée par le Sénat, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

- Rapport d'information de Mme Hélène Mignon (n° 2798) du 13 décembre 2000 sur le projet de loi (n° 2415) de modernisation sociale ;

- Rapport de Mme Martine Lignières-Cassou (n° 2800) sur l'activité de la Délégation aux droits des femmes pour l'année 2000 ;

- Rapport d'information de Mme Yvette Roudy (n° 2901) du 31 janvier 2001 sur la proposition de loi (n° 2709) relative au nom patronymique ;

- Rapport d'information de Mme Marie-Françoise Clergeau (n° 2902) du 31 janvier 2001 sur la proposition de loi (n° 2867) relative aux droits du conjoint survivant ;

- Actes du colloque "Femmes et bioéthique : l'assistance médicale à la procréation - L'AMP en question" du 5 avril 2001 - DIAN 22/2001 ;

- Rapport d'information de Mme Danielle Bousquet (n° 3087) du 30 mai 2001 sur le projet de loi (n° 2870) relatif à l'accès aux origines personnelles ;

- Rapport d'information de Mme Chantal Robin-Rodrigo (n° 3111) du 6 juin 2001 sur la proposition de loi (n° 3074) relative à l'autorité parentale ;

- Rapport d'information de Mme Marie-Françoise Clergeau (n° 3294) du 3 octobre 2001 sur la proposition de loi (n° 3189) relative à la réforme du divorce ;

- Rapport d'information de Mme Yvette Roudy (n° 3525) du 9 janvier 2002 sur le projet de loi (n° 3166) relatif à la bioéthique.

graphique

Mouvement Français pour le Planning Familial

Association Départementale du Calvados

11, Place de la Demi Lune

14000 CAEN

A MADAME ROUDY

DEPUTEE DU CALVADOS

Madame,

Le Mouvement Français pour le Planning Familial, Association du Calvados, tient à vous informer des difficultés rencontrées depuis le mois de septembre, a propos de l'application de la loi du 4 juillet 2001, relative aux nouvelles dispositions concernant l'Interruption Volontaire de Grossesse.

Nous avons recensé un certain nombre de situations qui nous semblent préoccupantes :

Le 10 septembre 2001 :

- Une femme de Cherbourg ayant trois enfants, est enceinte de 12 semaines (grossesse sous pilule). L'hôpital ne veut pas la prendre en charge et l'envoi au Planning familial en ambulance, afin que nous lui trouvions une solution. Le CHR de Caen refuse de la prendre en charge, car elle n'est pas de l'agglomération.

Le 11 septembre 2001:

- Une jeune fille du Havre nous contacte par téléphone, car elle ne parvient pas à trouver un centre au Havre qui accepte de pratiquer une IVG à 12 semaines de grossesse.

- Une femme de Cherbourg étant à 10 semaines et demi de grossesse, ne trouve pas de centre, dans la Manche pour pratiquer une IVG. Nous l'orientons vers l'hôpital de Falaise, qui est le seul centre où un gynécologue accepte de la recevoir en rendez-vous, afin d'étudier sa situation.

Le 12 septembre 2001 :

Un jeune homme de la région rouennaise appelle pour son amie qui est enceinte de 12 semaines. Il ne trouve pas de centre qui accepte de pratiquer une IVG à 12 semaines, à Rouen. Ils trouveront une solution à Paris.

Le 13 septembre 2001 :

Une femme de Dieppe nous contacte. Elle ne trouve pas de centre qui accepte de pratiquer une IVG à 12 semaines de grossesse.

Le 17 septembre 2001 :

- Une femme de Rouen appelle pour que nous l'aidions à trouver un centre acceptant de pratiquer une IVG à 12 semaines de grossesse. Tous les établissements qu'elle a contactés en Seine Maritime ont refusé.

Le 16 octobre 2001 :

- Un médecin de Coutances nous contacte, car elle a eu un refus de tous les hôpitaux du département de la Manche de pratiquer une IVG pour une femme enceinte de 12 semaines.

Le 22 octobre 2001 :

- Un médecin de PMI de la Manche nous contacte pour une femme enceinte de 11 semaines de grossesse. L'hôpital d'Avranches ne pratique pas d'IVG après 10 semaines et demi d'aménorrhée.

- Une femme du Havre nous contacte car tous les centres IVG de Seine Maritime lui opposent un refus d'intervention. Elle souhaite que nous l'aidions à trouver une solution dans le Calvados.

Le 23 octobre 2001 :

- Une jeune femme à 12 semaines de grossesse s'est vu refusé l'IVG sur Rouen et le Havre. Après ces deux rendez-vous, elle se trouve finalement hors des délais légaux.

Faute de moyens financiers, elle ne pourra pas aller à l'étranger pour pratiquer une IVG.

- Une femme de la Manche enceinte de moins de 12 semaines se voit refuser une IVG à Coutances et à Avranches. Elle nous appelle pour que nous l'aidions. Aucun centre de la Manche n'accepte de la recevoir.

Le 21 novembre 2001 :

- Une jeune fille du Havre âgée de 16 ans a eu un refus de l'hôpital du Havre de pratiquer une IVG à 13 semaines d'aménorrhée. Elle a obtenu un rendez-vous à Honfleur, quelques jours plus tard. Mais le délai était dépassé.

Le 5 décembre 2001 :

- Une femme de 26 ans ayant quatre enfants s'est adressée à l'hôpital de Cherbourg, le 20 novembre alors qu'elle était enceinte de 10 semaines, afin de demander une IVG. Le gynécologue lui a fait savoir qu'il ne pratiquait pas d'IVG au-delà de 10 semaines. L'hôpital la renvoie le lendemain vers une conseillère conjugale qui fixe des rendez-vous. Elle est reçue le 28 novembre par l'anesthésiste. Le 29 novembre, elle est reçue par un gynécologue qui lui fait savoir, après une échographie, que le délai est désormais dépassé, sans explication. Elle rencontre à nouveau la conseillère conjugale qui lui donne notre adresse.

Le 12 décembre 2001

- Une jeune femme majeure de Bernay s'est vu opposer un refus à sa demande d'IVG alors qu'elle est à 11 semaines de grossesse. Elle trouvera une solution dans le Calvados

Le 19 décembre 2001

- Une femme à 11 semaines de grossesse s'est vu refusé une IVG sous prétexte que le bloc opératoire était complet pour les prochains jours. Elle s'est ensuite adressée à l'hôpital de Louviers et de Vernon où on lui a fait des réponses similaires. Avant de nous contacter, elle a tenté de trouver une solution à Rouen et à Paris sans succès.

Nous vous prions de recevoir, Madame, nos sincères salutations.

Les membres de l'association du Calvados

_________________________

3663 - Rapport d'activité de la Délégation aux droits des femmes : année 2001