N° 3641

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

L'impact éventuel de la consommation des drogues
sur la santé mentale de leurs consommateurs

Première partie - chapitres V & VI

CHAPITRE V : LES OPIACÉS : L'HÉROÏNE, LA CODEÏNE, LA MORPHINE, L'OPIUM... 77

Section I : Les effets des opiacés 78

Section II : L'analyse du Rapporteur 80

Section III : La mise en _uvre d'une politique de substitution 82

Section IV : Les sulfates de morphine 84

Section V : L'usage du Rachacha 85

A) Le produit 85

B) Disponibilité saisonnière et limitée 85

C) Modalités de consommation 85

CHAPITRE VI : LES MÉDICAMENTS PSYCHOTROPES DÉTOURNÉS DE LEUR USAGE (BENZODIAZÉPINES...) 87

Section I : Les effets des hypnotiques et sédatifs euphorisants barbituriques rapides, benzodiazépines 88

Section II : L'analyse du Rapporteur 90

A) La situation 90

B) Le rôle de l'industrie pharmaceutique 91

Conclusion de la première partie 94

 

 

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Suite du rapport
 : deuxième partie

 

 

Chapitre V :
Les opiacés : l'héroïne, la codeïne, la morphine, l'opium...

Les prises en charge sanitaire pour usage de drogues illicites sont très majoritairement (70 %) liées à l'abus ou à la dépendance aux opiacés.

De toutes les drogues l'héroïne passe pour être la plus dure et la plus dangereuse pour la santé publique. Il existe environ 135 000 héroïnomanes, dont le traitement constitue un problème majeur de santé publique.

L'héroïne n'est que l'un des produits de la famille des opiacés qui sont des produits extraits de l'opium, substance obtenue à partir du Papaver somniferum dont les alcaloïdes naturels sont la morphine et la codéïne et les composés synthétisés l'héroïne, la buprémorphine (subutex, temgesic), la méthadone, le propoxyphène ou le fentanyl.

Le consensus scientifique est relativement établi sur les effets de l'héroïne et des opiacés sur la santé : tous les produits évoqués dans ce chapitre sont des « drogues » mais la morphine jouit d'un statut particulier car elle est beaucoup utilisée en médecine pour combattre les effets de la douleur.

L'OFDT note que la diffusion de l'héroïne met en évidence une situation contrastée entre l'espace urbain et l'espace festif.  «  Alors que dans le premier, la consommation, à l'instar de l'année dernière, est stable (difficultés d'accès, contraction du petit trafic de rue, caractéristiques des usagers), dans l'espace festif, en revanche, la consommation serait en augmentation. Dans cet espace, en effet, l'héroïne s'intègre, peu à peu, comme produit de régulation des produits stimulants et hallucinogènes. Elle serait, en outre, consommée de manière très minoritaire, en dehors de ce cadre de régulation, comme produit principal, pour ses effets opiacés propres ».

Section I : Les effets des opiacés

L'effet de ces produits en début de consommation est celui d'une euphorie intense.

L'héroïne passe plus rapidement que d'autres substances dans le cerveau où elle est transformée en morphine. La forte densité de récepteurs dans la moelle épinière, explique l'action analgésique de la morphine.

La morphine stimule également le système de la dopamine, mais par un mécanisme indirect, en diminuant le contrôle négatif des neurones à GABA sur les neurones à dopamine selon le schéma ci-après.

graphique

De nombreux effets ont été observés après l'administration d'opiacés chez des animaux, en particulier l'augmentation de l'activité locomotrice

S'il est avéré que l'héroïne rend rapidement dépendant, sa toxicité directe sur les neurones n'est pas démontrée mais les résultats de certaines études animales semblent l'indiquer. D'autre part, on observe de rares cas de dépendance à la morphine après sa prescription dans un cadre hospitalier comme médicament de lutte contre la douleur.

La modification des structures nerveuses sous l'effet des opiacés semble avérée, du moins à partir des observations faites sur l'animal mais les chercheurs n'ont pas en l'état actuel de mon information établi un lien clair entre cette altération des neurones et le développement de maladies neurologiques particulières.

Pour l'Académie nationale de médecine l'héroïne, morphine et opiacés, présentent les effets suivants

1. - Action analgésique ou anti-douloureuse, avec indifférence.

2. - Action sédative et somnifère.

3. - Action euphorisante (pas toujours la première fois) :

- soit euphorie passive : sensations de détente physique et mentale, rêveries agréables, visions à yeux fermés, sentiment d'intelligence élargie ;

- soit euphorie active ou « flash » (par voie I.V. ou rapide), véritable orgasme mental et physique.

4. - Contraction de la pupille (myosis) : pupilles en tête d'épingle, mais dilatation en cas de danger mortel imminent.

5. - Action émétique : nausées, vomissements.

6. - Dépression respiratoire : ralentissement respiratoire, diminution du volume courant, « oublis » de respirer, action antitussive (codéine).

7. - Autres actions végétatives : constipation, spasmes de la vessie ou des bronches. Prolongation de l'accouchement et retentissement sur la grossesse.

8.- Effet d'accoutumance (ou tolérance) avec augmentation des doses et dépendance complète :

Phénomènes de « manque » spécialement marqués : larmoiement, sueurs, prurit, douleurs et crampes musculaires, spasmes viscéraux (répondant aux médicaments alpha 2-mimétiques) impatiences, anxiété, recherche du toxique, agitation, etc...

Section II :
L'analyse du Rapporteur

La recherche a mis en évidence avec des souris que le système opioïde était un système majeur de récompense. Il n'existe pas de drogue sans plaisir, cette expression pouvant également signifier « éviter d'avoir mal » : la drogue peut avoir en effet cette fonction. L'utilisation d'opioïdes anatagonistes pour diminuer la consommation constitue un grand progrès de la neurobiologie.

Mais, curieusement, les opioïdes ne sont pas les plus dangereux pour le système nerveux central. En effet les héroïnomanes peuvent vivre jusqu'à un âge avancé. Il faut noter que la toxicité directe sur les neurones n'est pas démontrée, bien que certaines études animales commencent à le suggérer. S'il est exact que des modifications des structures nerveuses ont été observées chez l'animal et chez des personnes dépendantes aux opiacés, aucune étude épidémiologique n'a confirmé le lien entre ces altérations des neurones et des maladies neurologiques.

La fonction anti-douleur pour laquelle on utilise les opiacés en médecine, a pour inconvénient en consommation quotidienne de masquer le principal symptôme de beaucoup de maladies et d'en retarder les soins.

Il faut souligner que l'héroïne entraîne des affections multiples sur le plan végétatif, par exemple des phénomènes de malnutrition par son effet sur le comportement alimentaire et peut générer un comportement associal mais, la cocaïne est plus dangereuse. Les caries dentaires sont spectaculaires et apparaissent au bout d'un ou deux ans d'usage intensif (1 gramme intraveineux par jour ou 2 grammes en sniff c'est-à-dire par le nez).

La constipation est permanente. Les douleurs de type ulcéreuses, gastriques s'expriment surtout lors du manque de produit.

L'impuissance et l'absence de règles correspondent à un phénomène de misère hormonale. La peau se flétrit, chez la femme et chez l'homme l'impuissance est très fréquente ou se réduit parfois à des érections sans éjaculation. Ces signes disparaissent à l'arrêt de l'usage.

L'overdose. Elle correspond à un surdosage. Elle peut se prolonger jusqu'à la mort. Dans un certain nombre de cas, le jeune se réveille avec des dégâts cérébraux très importants. Ces dégâts se manifestent par des crises d'épilepsie et un déficit intellectuel définitif.

Il faut noter que le nombre de morts par overdoses d'héroïne diminue depuis 1994 alors que la politique de mise à disposition du subutex date de 1996.

Mais, on ne devient pas héroïnomane par hasard. 90% d'entre eux ont une histoire psycho-patologique très grave. N'importe qui ne se drogue pas car le contrôle de l'angoisse peut s'opérer par des méthodes différentes se traduisant par la toxicomanie mais aussi par la dépression.

Le problème le plus difficile en matière de désintoxication lorsqu'elle réussit est que l'angoisse demeure. La dépendance physique à l'héroïne dure de 4 à 5 jours alors que la dépendance psychique est plus rare.

A ces problèmes de santé liés directement à l'héroïne s'ajoute le problème de la contamination par les seringues. En particulier du virus du SIDA et de celui de l'hépatite virale C qui a motivé la mise en place d'une politique de mise à disposition de produits de substitution.

L'arrêt d'héroïne entraîne une décompensation psychotique avec des bouffées délirantes.

La consommation d'héroïne est en chute libre, essentiellement du fait de la consommation de drogue de synthèse et du subutex, intervenant comme voie d'accès à des opiacés, mais la consommation de subutex est parfois liée à une mauvaise formation des généralistes qui en prescrivent parfois à des patients qui ne sont pas héroïnomanes (cf. section III et annexe IV).

Section III :
La mise en _uvre d'une politique de substitution

L'OFDT note que :  « dans l'espace urbain, la disponibilité accrue des médicaments de substitution, notamment la buprénorphine haut dosage, a contribué à modifier la place de chacun des opiacés. Ainsi, la demande d'héroïne et de Néo-codion semble être en régression, celle des sulfates de morphine est constante dans un contexte où la prescription régresse. La méthadone, quant à elle, même si elle est disponible hors prescription médicale reste très limitée en termes de diffusion. Dans cette nouvelle configuration, héroïne et Subutex dominent le marché parallèle des opiacés tandis que la méthadone et les sulfates de morphine semblent jouer désormais un rôle marginal.. Dans l'espace festif, le Rachacha est l'opiacé dominant. La consommation d'héroïne et des autres opiacés y est extrêmement minoritaire.

« Même si la voie d'administration intraveineuse demeure prépondérante dans l'espace urbain, l'usage de la voie nasale pour l'héroïne et le Subutex est en progression. A l'inverse, dans l'espace festif, les voies nasale et pulmonaire demeurent prépondérantes et l'usage de la voie injectable, quoique minoritaire, serait en augmentation ».

En effet, le coût de l'achat d'héroïne qui génère de nombreux délits mais surtout la nécessité de prévenir l'épidémie de sida ont conduit à la mise en place d'une politique de prévention axée sur la mise à disposition de nouveaux produits.

Cette évolution est massive : à la fin de 1995 il n'y avait que cinquante toxicomanes bénéficiaires d'un programme de substitution, aujourd'hui le subutex concerne 85 000 personnes.

Mais il existe un excès de l'usage du subutex dont il semble que les pouvoirs publics ne se préoccupent que fort peu. Or, il est clair que ce produit qui est une drogue génère un trafic qui apparaît d'ailleurs dans les statistiques de la police nationale.

Dans les faits le refus de prescription par un médecin est impossible. Or, on constate parfois vingt prescriptions/jour pour un seul patient dont certains vivent de ce trafic. Quelques médecins consultés par votre Rapporteur se sont montrés très choqués de l'activisme de certains visiteurs médicaux sur ce produit qui, à leurs yeux, et à ceux de votre Rapporteur, ne devrait faire l'objet d'aucune publicité car, nous en arrivons à voir des prescriptions à des non-consommateurs ce qui est pour le moins consternant.

Il faudrait imposer à la commercialisation du subutex des règles particulières en interdisant toute activité aux visiteurs médicaux.

Les opiacés ne constituent plus aujourd'hui le principal souci de santé publique, ou plus exactement il ne semble pas que le nombre des héroïnomanes augmente ; l'image de l'héroïne parmi les consommateurs est dégradée car le seul danger perçu par les consommateurs est le risque de mort qui apparaît très clairement avec l'héroïne.

Mais, l'utilisation massive du subutex et de la méthadone pose de nouveaux problèmes lorsqu'elle est prescrite sans être accompagnée d'un projet thérapeutique:

- Il semblerait que des toxicomanes débutent avec ces produits, cette crainte est réelle mais difficile à quantifier,

Le subutex est au centre de la problématique suivante : « maintenance ou sortie » ; il est un bon système d'approche si derrière il y a la prise en compte d'un objectif de sortie.

Il existe aujourd'hui peut être une trop grande focalisation sur la diminution des risques. Or, il ne faut pas oublier l'existence d'un but final de sortie de la dépendance. La politique de prévention des risques est critiquable si le système conduit à une maintenance dans leur état de toxicomanes.

Dans une conférence de consensus l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé souligne qu'il « ne faut pas confondre :

- le traitement de substitution, qui est un traitement à part entière : AMM, prescription médicale, respect par le patient des règles de prescription et autonomie dans la gestion de ce traitement,

- et le mésusage du produit de substitution qui s'inscrit dans le continuum d'une conduite toxicomaniaque.

L'instauration d'un traitement de substitution suppose comme préalable une alliance thérapeutique spécifique. Ce traitement s'inscrit dans la durée et n'a pas comme objectif son interruption ». Votre rapporteur partage bien entendu cette analyse1.

Section IV :
Les sulfates de morphine

La morphine permet de lutter efficacement contre les douleurs fortes ou rebelles. Le fentanyl, beaucoup plus efficace, est réservé au contrôle de la douleur durant les opérations. La codéine et le propoxyphène sont utilisés dans des médicaments contre la douleur.

L'analyse de l'OFDT est La suivante :

« L'image du Skénan (sulfate de morphine) comparée à l'héroïne et au Subutex, est plutôt bonne.

Lorsqu'il est vendu sur le marché parallèle, le sulfate de morphine est proposé principalement par des usagers ayant une prescription médicale. La forme courante est le troc ou la vente destinée à l'achat d'autres substances telles que la cocaïne ou le crack. Il semblerait qu'il n'existe plus de petits trafics spécialisés de sulfate de morphine. Le prix (comprimé/gélule de 100 mg, vendu à l'unité) varie entre 25 et 150 F. Le prix moyen sur les sites TREND est stable, environ 75 F.

Disponibilité et accessibilité limitées

II y a quelques années, le sulfate de morphine était largement disponible sur le marché parallèle. Actuellement, les usagers qui parviennent à avoir des prescriptions sont de moins en moins nombreux. Alors qu'en 1999 le sulfate de morphine est rapporté comme disponible sur la moitié de sites TREND (Lille, Paris, Rennes, Lyon et Bordeaux) et non disponible ou rare sur les cinq autres sites, en 2000 il n'est plus disponible que pratiquement sur trois sites (Paris, Bordeaux et Rennes). À Lyon et à Lille, il est devenu rare ou a complètement disparu. Cela tient, semble-t-il, aux pratiques des médecins généralistes, lesquelles divergent sensiblement selon les sites. Ainsi, à Marseille, à Lyon et à Toulouse la prescription apparaît très limitée tandis qu'à Bordeaux, à Paris ou en Seine-Saint-Denis, il semble que ce ne soit pas le cas »

Section V :
L'usage du Rachacha

A) Le produit

Le Rachacha, appelé aussi « arrache », « rach », est un opiacé naturel fabriqué artisanalement à petite échelle par de nombreux usagers, notamment dans les zones de culture de pavot dans le sud de la France. Fait à partir de la décoction des têtes de pavot, ce processus permet d'obtenir une substance pâteuse de couleur rougeâtre. Le processus de fabrication du rachacha est connu, semble-t-il, depuis quelques dizaines d'années par certains cercles d'initiés. Sa diffusion hors de ces cercles est contemporaine à celle du mouvement techno au cours des années 1990. Depuis, il est devenu l'opiacé « techno » par excellence. Quoique sa consommation ne se limite pas à cet espace, ces liens avec celui-ci ont rendu sa consommation visible et favorisé sa diffusion au-delà des quelques cercles d'initiés existants.

B) Disponibilité saisonnière et limitée

Au sein de l'espace festif techno, en dehors des teknivals, le rachacha est peu disponible à la vente. Auparavant, objet de troc et de partage, le rachacha, phénomène récent, fait désormais l'objet de vente. La disponibilité du rachacha dans les manifestations techno est saisonnière. Du fait de sa rareté et de sa difficile conservation, il est plus disponible en été qu'en hiver. En fonction de la saison et de la qualité, le prix du gramme se négocie entre 20 et 70 F. Le prix le plus courant se situe, semble-t-il, autour de 50 F le gramme.

C) Modalités de consommation

Le mode d'administration du rachacha le plus courant au sein de l'espace festif techno est la voie fumable (cigarette ou « chillum » ou « bhang »). L'ingestion de « boulettes » (un gramme environ, placé dans du papier à cigarettes à cause du goût amer très prononcé) est pratiquée de même que l'infusion.

Le rachacha peut être utilisé pour ses effets opiacés intrinsèques, calmants et relaxants ou légèrement planants. Cependant, dans l'espace festif techno, il est plutôt utilisé comme un produit de régulation destiné à adoucir la descente de produits stimulants et/ou hallucinogènes notamment le LSD et le speed.

Co-morbidité sur la vie entière dans une population de toxicomanes aux opiacés, comparaisons en fonction de l'âge et du sexe des patients (d'après Rounsaville 1982 [12])

graphique

Source : Documents du groupement de recherche psychotropes, politique et société (octobre-novembre 1999)

Chapitre VI :
Les médicaments psychotropes détournés de leur usage (benzodiazépines...)

L'usage des médicaments psychotropes au sein de la population générale est fréquent, puisque sur une période d'une année, 8,3 % des Français ont consommé au moins une fois des antidépresseurs et 14,5 % des tranquillisants ou des somnifères (Baromètre Santé 2000)2.

Selon une étude menée par le CREDES, la France est le premier consommateur européen de psychotropes (notamment d'anxiolytiques et d'hypnotiques). Les benzodiazépines, médicaments visant à traiter les troubles de l'anxiété et/ou du sommeil, présentent des risques, notamment de dépendance, lorsqu'elles sont consommées à posologie élevée et à long terme.

Le mésusage constaté en France depuis plusieurs années a conduit les autorités sanitaires à prendre différents types de mesures : limitation réglementaire des durées maximales de prescription, publication de Références Médicales Opposables et recommandations de bonnes pratiques, redéfinition des indications thérapeutiques et des posologies.

En 1998, la commission de la transparence qui évalue les médicaments en vue de leur prise en charge par l'Assurance Maladie a dénoncé les prescriptions de deux anxiolytiques ayant des dosages forts (Tranxène50 mg, Nordaz 15 mg) au-delà des posologies usuelles maximales validées par l'Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans plus de 25 % des cas.

En annexe III à ce rapport figure une étude de la Caisse nationale d'assurance maladie et maternité qui établit un bilan de ce mauvais usage des médicaments.

Section I :
Les effets des hypnotiques et sédatifs euphorisants
barbituriques rapides, benzodiazépines

Les benzodiazépines sont des médicaments anxiolytiques extrêmement utilisés dans la pratique quotidienne. Ils sont réputés « à dépendance » parce qu'après une cure régulière et prolongée, les patients ont des difficultés à les arrêter. Des psychotropes destinés au traitement des insomnies (flunitrazépam, commercialisé sous le nom de Rohypnol) ou des convulsions (diazépam) ont des effets hypnoptiques, anxioliques mais leur utilisation prolongée ou à de fortes doses est susceptible d'engendrer le développement d'une tolérance et un risque de dépendance physique et psychique pouvant entraîner un syndrome de sevrage. A fortes doses le flunitrazepam peut induire une euphorie avec une levée des inhibitions et une amnésie rétrograde. Les principaux effets selon l'académie nationale de médecine sont les suivants :

1.

1. - Effets sédatif et hypnotique utilisés en thérapeutique.

2.

2. - Euphorie : transitoire et forte avec barbituriques rapides, insensible et durable avec BZD.

3.

3. - Ébriété puis confusion mentale, troubles de la mémoire.

4. - Extrême danger des associations à d'autres toxiques : Comportements « automatiques » apparemment normaux donc dangereux, avec ou sans amnésie (surtout avec l'alcool).

5.

5. - Action convulsivante à l'arrêt de l'intoxication.

6.

6. - Apparition de tolérance, d'accoutumance et de dépendance avec troubles du sevrage.

Le principe de dépendance en pharmacologie est établi lorsqu'à l'arrêt d'un produit, on voit apparaître dans un certain nombre de cas des convulsions. Les benzodiazépines répondent à ce critère. Ce critère est toutefois sans aucune relation avec la notion de « dépendance psychique » qui est le principal moteur de la consommation. (Le tabac qui est un produit à très forte dépendance psychique, n'engendre pas de convulsion au sevrage). Le fait que l'arrêt du produit engendre des troubles est un élément plus général du phénomène de dépendance physique. Pour les benzodiazépines, outre parfois des convulsions, on constate un raptus anxieux qui enclenche une nouvelle consommation.

La dépendance psychologique est plus floue et moins standardisable. On peut en retenir que l'appétence des produits à dépendance psychique est liée au contexte de consommation : il y a des lieux, des horaires ou des circonstances qui engendrent le besoin du produit. L'usage régulier tend à faire augmenter les doses pour retrouver les mêmes effets : on parle de « tolérance au produit ».

Les benzodiazépines, s'ils présentent toutes les caractéristiques de produit à dépendance psychique, n'engendrent pas de pathologie organique ou sociale à l'instar par exemple du tabac, de l'alcool ou de l'héroïne par exemple. Encore faut-il que les doses soient raisonnables, respectées par le patient, et qu'il n'y ait pas de mélange explosif, ce qui est malheureusement l'essentiel de la problématique avec ces produits.

Section II :
L'analyse du Rapporteur

A) La situation

Pour l'OFDT « La fréquence du mésusage de ces classes médicamenteuses est difficile à estimer au sein de la population générale. 11 en va de même au sein des espaces observés par le dispositif TREND. Les médicaments psychotropes susceptibles d'être détournés de leur usage sont nombreux. Des noms commerciaux sont fréquemment cités par les observateurs du dispositif TREND tels le Tranxène (Clorazépate dipotassique), le Stilnox (Zolpidem), l'Imovane (Zopiclone), le Rivotril (Clonazépam), l'Ariane (Trihexyphénidyle), le Rohypnol (Flunitrazépam), le Valium (Diazépam). 11 s'agit surtout de produits de la famille des benzodiazépines. Ce chapitre traitera des trois molécules (Flunitrazépam, Diazépam et Trihexyphénidyle) pour lesquelles le dispositif de recueil a permis une collecte d'informations pertinentes».

Les cliniciens consultés par votre Rapporteur dressent un bilan plutôt inquiétant de l'usage de ces produits :

Les benzodiazépines sont utilisés rarement seuls et plutôt pour calmer le phénomène de descente suivant la prise de cocaïne ou pour commettre des actes délictueux

Les benzodiazépine provoquent une incapacité d'enregistrement des faits passés qui compliquent l'action thérapeutique mais, ce n'est pas le pas produit rencontré le plus souvent

Le stilnox est assez utilisé sous la forme de 10 à 15 comprimés par jour dans un but de défonce ponctuel a remplacé l'alction et est utilisé par de vrais toxicomanes.

Or, ces produits doivent être réservés à la crise anxieuse, et la durée de traitement doit être la plus réduite possible.

Dans une enquête, la Caisse nationale d'assurance maladie dresse un bilan très inquiétant de l'usage de ces médicaments. Elle souligne en effet que 20 à 40 % des patients dépassent les posologies usuelles maximales recommandées Plus de 36 % des patients consommant du Nordaz 15 mg et du Rohypnol 1 mg, et environ 23 % des patients consommant du Tranxène 50 mg ont dépassé les posologies usuelles maximales.

Pour les trois médicaments étudiés par la CNAM, les patients dépassant la posologie usuelle maximale ont consommé trois fois plus de produits que ceux qui respectaient la posologie et 30 à 50 % des patients dépassent les durées de traitement préconisées.

Les patients consommant aux posologies élevées dépassaient également dans leur grande majorité la durée de traitement. Ce résultat suggère fortement une dépendance des patients aux produits.

Il convient également de souligner que l'usage des médicaments est le fait de personnes relativement âgées puisque la CNAM relève que l'âge moyen des patients était de 49 ans pour Tranxène, 54 ans pour Nordaz et 61 ans pour Rohypnol.

B) Le rôle de l'industrie pharmaceutique

Votre Rapporteur tout en reconnaissant la difficulté de la tâche a parfois le sentiment que l'industrie pharmaceutique n'agit pas autant qu'elle le devrait et, il se demande si elle avait pris conscience de ce problème, et du fait que quelques toxicomanes disposent du Vidal comme livre de chevet.

Il est vrai que l'industrie pharmaceutique doit répondre à quelques contraintes depuis le décret d'avril 1999 qui a institué un dispositif de sensibilisation avec l'obligation de déclaration immédiate à l'agence de la sécurité sanitaire Les laboratoires sont tenus de fournir leurs chiffres de vente, et des pharmacies pilotes ont été mises en place pour voir apparaître les produits comportant un effet hypnotique ; cette action est distincte de la pharmaco-vigilance, elle a été bénéfique et en 1999 les pouvoirs publics ont décidé la suppression du carnet à souche.

Mais le poids de ces médicaments est tout à fait considérable pour l' industrie pharmaceutique :

Si en 2000, le montant remboursable par l'Assurance Maladie des anxiolytiques et des hypnotiques non barbituriques seuls est en légère décroissance (-2,4% et -5,6%), le nombre de boîtes délivrées sur la même période reste élevé : 52 millions pour les anxiolytiques et 32 millions pour les hypnotiques. Tranxène 50 mg, Nordaz 15 mg, et Rohypnol 1 mg représentent respectivement 1 million, 266 mille et 3,8 millions de boîtes.

Il a été affirmé à votre Rapporteur que les visiteurs médicaux étaient sensibilisés à cette question de même que les laboratoires qui craignent que l'utilisation d'un produit par les toxicomanes ne causent la mort du médicament.

Il existe des indicateurs permettant de surveiller l'usage des psychotropes et on a constaté une grosse augmentation de la consommation de benzodiazépine lors de la sortie du subutex mélangé à ces produits.

Les industriels ont le sentiment d'une rotation et de transferts successifs de produits mais, la consommation de benzodiazépine diminue ponctuellement lors des campagnes de communication.

L'exemple des laboratoires Bouchara qui exploitent le Néocodion est intéressant. Ce produit a connu une augmentation brutale des ventes il y a vingt ans alors que ce produit existe depuis 1936. Ce fait a alerté les responsables à la fin des années 80 mais lorsque le laboratoire s'en est rendu compte il a proposé le retrait du médicament mais les intervenants dans le domaine de la toxicomanie ont demandé son maintien car il était utilisé en auto-administration à des fins de sevrage. Il était demandé pour un traitement de bas seuil par ceux qui ne rentrent pas dans un circuit de sevrage d'où l'intérêt de ce produit qui est sûr car il n'est pas injectable.

D'où l'augmentation de la consommation de ce produit jusqu'à l'arrivée du Subutex qui a largement pris sa place ; il connaît une décroissance de 10% par an depuis 1995, malgré cela les intervenants souhaitent qu'on le laisse en vente libre mais, la dose de codéine a été ajustée pour rester en vente libre, et on ne peut délivrer qu'une boîte à la fois mais cette restriction est assez formelle.

Au regard de son autorisation de mise sur le marché la méthadone appartient aux hôpitaux. Ce produit ne pose pas trop de problèmes de détournements côté fabricants mais de temps en temps il y a des appels de la police car des cartons disparaissent dans le circuit hospitalier. Le détournement est rare car la prescription est très encadrée. Ce produit est relativement sûr mais la limitation des places limite son développement à la différence du Subutex qui est peu utilisé ailleurs qu'en France.

S'il existait déjà un groupe de travail sur la pharmaco-vigilance, ce n'est que depuis un an qu'a été créé un groupe sur le mésusage, ce qui aux yeux de votre Rapporteur illustre une prise de conscience de la profession, même si elle apparaît tardive.

Si la préoccupation émerge il semble que ce ne soit pas sous l'impact des questions de toxicomanie mais plutôt de dopage.

Il est vrai que l'action au niveau des pharmaciens et la traçabilité du produit sont difficiles car il existe des grossistes intermédiaires et que l'information qui doit remonter vers la firme est externe. Mais il paraît douteux que cette industrie ne puisse pas réaliser ce qu'a fait la filière bovine.

Votre Rapporteur est surpris par l'absence de cellule de veille au niveau de la profession ; il y voit un problème global d'utilisation de la pharmacopée.

Conclusion de la première partie

Au terme de l'examen des principales drogues une conclusion s'impose : il n'existe pas de produits psychoactifs anodins, que ce soit à long ou à court terme.

Une seconde conclusion apparaît : l'étendue de l'ignorance scientifique sur ce sujet qui s'explique par deux motifs un effort insuffisant de la recherche et des avancées scientifiques (imagerie médicale, biologie...) qui ouvrent des perspectives de recherches que personne n'imaginait il y a quelques années.

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N° 3641.- Rapport de M. Christian Cabal sur l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs (Office d'évalation des choix scientifiques).

1 Cette crainte est développée en annexe IV par le Conseil National de lutte contre le SIDA

2 Chez les étudiants de 14 à 19 ans (ESPAD 2000), l'utilisation au cours de la vie de tranquillisants sans ordonnance est de 15 % chez les filles et de 10,3 % chez les garçons. Chez les jeunes de 17 ans participant à la journée d'appel, la fréquence d'usage de « médicaments pour les nerfs, pour dormir » au cours des 12 derniers mois est de 15,6 %. Elle est plus élevée chez les jeunes filles (23,6 %) que chez les jeunes hommes (7,5 %).